Vous êtes sur la page 1sur 1

Les  économistes, dont la vue ne s'étend pas au delà de leur nez, prennent  le paysan  propriétaire  moderne,

détérioré par la propriété individuelle, pour le type éternel du cultivateur, et assurent gravement qu'il est et qu'il a
été par conséquent toujours réfraclaire au communisme, qu'il n'a pu et ne pourra jamais travailler en commun et
consommer en commun le fruit de son travail. Cette assertion fantaisiste a été si souvent répétée qu'elle a fini par
être classée au nombre des vérités vraies delà sagesse bourgeoise; cependant, pour constater sa fausseté, il ne
faut qu'ouvrir Beaumanoir et Guy Coquille, qui, placés à trois siècles de distance l'un de l'autre (Beaumanoir est
du XIIIe siècle, et Coquille du XVIe), ont recueilli de nombreux documents sur les communautés paysannes de
France“ (Paul Lafargue, La propriété, origine et évolution)

Les   parçonniers   ou  compains   (vivant   au   même   pain)   qui   formaient   les   sociétés   communistes  que   Coquille
nomme mesnages des champs et qui entreprenaient la culture des terres seigneuriales, des bourdeilages, «qui
sont terres chargées de revenus », étaient les descendants des consortes barbares, ayant droit au même sort, c'est­
à­dire à la même distribution de terres par le sort. Laferrière ne s'est pas trompé sur leur origine quand il fait
remonter « cette coutume de se mettre en communauté aux manières d'être de la société barbare avant l'invasion
» et qu'il y voit « des traces de l'ancien clan celtique ». (Histoire du droit français.) Cette opinion est d'autant plus
exacte que ces communautés ne comprenaient que des personnes de même origine, et plus tard, lorsqu'elles
s'ouvrirent à de personnes non apparentées, un grand nombre de coutumes exigeaient une convention expresse
(coutumes de Dreux, de Chartres, etc.) pour l'admission des étrangers.

« Compagnie se fait par notre coutume, dit Beaumanoir, par solement manoir ensanble à un pain, et à un pot, un
an et unjor, puisque li meubles de l'un et de l'autre sont mêlés ensanble. » Ce n'est pas une association dont les
clauses se mesurent, se discutent avant toute action commune; elle naît tacitement, selon l'expression du moyen
âge, du simple fait de la vie commune pendant un temps très court. (…)On retrouve dans presque toute la France
des traces de ces communautés paysannes, que Coquille comparé à un corps dont les membres dispersés sont
unis par des sentiments et des intérêts [18]. Guérard les signale parmi les colons et les serfs qui, au IXe siècle,
cultivaient les terres de l'abbaye de Saint­Germain des Prés, et elles persistent jusqu'à la veille de la Révolution.
Mais les propriétaires fonciers de la deuxième moitié du XVIIIe siècle, au lieu de les protéger ainsi que le
faisaient les anciens nobles, les dénonçaient comme nuisibles au bon rendement de leurs terres, et réclamaient
leur dissolution, en même temps que l'abolition des droits séculaires que les paysans avaient conservés, alors
même qu'ils avaient perdu leurs terres, enlevées par les seigneurs féodaux. La Révolution, que les historiens
bourgeois représentent comme faite au profit des paysans, lésa spoliés de leurs droits et a désorganisé leurs
communautés.

Vous aimerez peut-être aussi