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Golvin Berchem
Golvin Berchem
de la Méditerranée
Golvin Lucien. Note sur le mot ribât' (terme d'architecture) et son interprétation en Occident musulman. In: Revue de l'Occident
musulman et de la Méditerranée, n°6, 1969. pp. 95-101;
doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1969.1008
https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1969_num_6_1_1008
ET SON
INTERPRÉTATION EN OCCIDENT MUSULMAN
1. Citons R. Dozy et M.J. de Goeje, glossaire de al-Idrlsl dans leur livre : Edrlsl,
Description de l'Afrique et de l'Ispaine, Leyde, J. Brill, 2e" édition 1968, au mot Mahres,
p. 283. -Max Van Berchem, Matériaux pour un Corpus Inscritionum arablcarum- Egypte,
Paris, Leroux, 1894, pp. 153 ; n° 3, 408, n* 4 et bibliographie toujours excellente chez cet
auteur - G. Marçais, Mote sur les ribats en Berbérie, Mélanges René Basset, Paris,
Leroux, 1925, pp. 395 et sq. repris dans les Mêlantes d'Uistoire et d'Archéoloiie de
l'Occident Musulman, t. I, pp. 23 et sq. , pub. du Gouvernement Général de l'Algérie, 1957, du
même auteur, l'architecture musulmane d'Occident, Paris, Arts et Métiers Graphiques, 1954,
p. 30, enfin, toujours de G. Marçais, article Ri but' dans l'Encyclopédie de l'Islam, première
édition. Doutté - Les marabouts, in Revue de l'Histoire des Religions, XL-XLI, p. 31 et sq .
- A. Lézine, Le Sibat de Sousse suivi de Motes sur le rlbat de Monastir, pub. de la
Direction des Antiquités et Arts de Tunisie, Notes et Documents, XIV, Tunis, 1956, recension
de G. Marçais Intitulée Deux Sibat' du Sahel tunisien. Les Cahiers de Tunisie, 1956, 3°
trim. , n° 15, pp. 279 et ss. etc. . . etc. . .
2. H. Basset et H. Terrasse, Sanctuaires et forteresses almohades, Hespéris, 1927,
t. VII, 2° trim. pp. 117 et sq.
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tout ce qui pouvait permettre de guider mes interlocuteurs sur la piste, mais
c'était en vain. On me montra les restes des remparts, les bastions encore
debout, un minaret, et je finis par comprendre que le Ri but' c'était toute
la ville, fortifiée vers 1148 de notre ère par les Almohades. Cette opinion
devint conviction après la visite du site de Kouz qu'une étude récente
remettait en honneur3. Cet ancien port d'Aghmat, que les géographes arabes
appellent Ri bât' était, en fait, une ville fortifiée. J'eus alors la conviction
qu'il devait en aller de même pour la capitale actuelle du Maroc, Rabat,
déformation de Ri bât' ainsi qu'on le sait. Le Ri bat' de Salé devant être un
faubourg au-delà du Bou Regreg, mais un faubourg fortifié et destiné a des
personnages religieux. . . Sans doute fallait-il encore étendre ce sens au
fameux Ri bat' maurétanien bâti dans une Ile par rAbd Allah ibn Yâsln où devait
naître la fameuse épopée des hommes voilés, les futurs Almor avides, al-
Murabitûn-s = les gens du Ribât'... Alors sembla soudain s'éclairer en
moi un mystère qui m'intriguait depuis bien longtemps: à savoir l'histoire de
la conquête de la Sicile. Comment l'armée aghlabide conduite par le Qâdi
Kairouanais Asad b. al-Furât, avait-elle pu être concentrée au Ri bût' de
Sousse et y être endoctrinée avant le grand départ de l'expédition qui, en
827, devait aboutir à l'installation en Sicile puis à la conquête de l'Ile occupée
alors par les Byzantins ? . . ,4 Les dimensions exigtles de ce que nous
appelons actuellement le Ribôt' me paraissaient exclure une telle possibilité. Le
fortin ne me parait guère pouvoir recueillir que deux à trois cents hommes ,
chiffre bien maigre en vérité et peu conforme aux données de l'histoire5.
J'eus bientôt l'impression que j'étais en pleine divagation, il convenait
de ne pas se laisser entraîner davantage par l'imagination et je me promis
de revoir attentivement les textes arabes. . .
Je commencerai par al-Bakrl, certainement le plus complet, sinon le
plus sûr dans ce domaine, un passage est particulièrement suggestif :
"A l'intérieur (de la ville de Sousse) se trouve un mahrès érand
comme une ville et entouré de solides remparts. On le connatt sous le
nom de mahrès al-Rlbat. Il sert de retraite aux tens de bien et aux
saints personnages. A l' intérieur se trouve un H'içn secondaire nommé
al-Qaçba. Il est situé dans la partie septentrionale de la ville près de
l ' arsenal 8.
Ce texte nous offre un lot d'expressions que nous allons tout d'abord
tenter de comprendre à l'aide des définitions des dictionnaires.
3. cf. B. Rosenberger, Notes sur Kouz, un ancien port à l'embouchure de l'oued
Tensift, Hespéris - Tamuda, vol. VIII, fasc. unique, 1967, pp. 23 à 66.
4. cf. Âmari, Storta del Musulmanl dl Slctlla, Florence, 1854, I, 262, H, 73, 188,
222. . .
5. cf. al-Malikl, Conquête de la Sicile par les musulmans, texte et trad. M. Canard ,
Bulletin des Etudes arabes, 4e"» année, n° 16, Janvier-Février, 1944, p. 9 : "Abu '1-Arab
dit : "Son départ pour la Sicile eut lieu au mois de Rabt I, 212 (Juin 827). Dans l'armée qui
était avec lui (il s'agit de Âsad ibn al-Furât) 11 y avait environ dix mille cavaliers, cf.
également Âmari, op. cit. t. I.
6. al-Bakrt, Description de l'Afrique septentrionale. Texte et traduction de Slane ,
Paris, Maisonneuve, 1965, texte, pp. 35 et 36.
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13. -ld- p. 17
14. -ld- p. 134.
15. al-Bakrî, op. cit. texte, p. 46.
16. al-Bakrt, op. cit. texte p. 7 , trad. pp. 20 et 21. Le traducteur a cru bon de
définir (note 1, p. 21) le sens du mot RtVSt' • petit fort bâti sur la frontière du territoire
islamique et renfermant une garnison de volontaires. Les musulmans qui désiraient mériter les
grâces spécialement réservées pour les fidèles qui prenaient part à la guerre sainte pouvaient
obtenir ce bonheur en allant passer quelques mois dans le ri bat . .
On ne manquera pas de noter au passage qu'un des Right's était la mosquée... Nous
connaissons ailleurs ce même phénomène, à Maharès et à Hergla (Tunisie) en particulier .
N'en aurait-Il pas été de même à Sousse ?. ..
17. -ibid- p. 21 du texte.
NOTE SUR LE MOT RIBAT' (TERME D'ARCHITECTURE) 99
II est clair que l'auteur ne donne plus au mot Mahrès le sens qu'il lui
avait donné en parlant de la ville de Sousse. Cette même confusion, il la
précise encore ailleurs lorsqu'il écrit : "parmi les kahrès ou Ri bât 's qui
dépendent de Sousse, un des plus remarquables est celui de al-Monastir" et
plus loin encore "al-Monastir possède dans ses environs cinq Mahari s
construits avec une grande solidité et habités par des gens dévots"18.
Al-Bakrî cite encore de nombreux Ri bût' s entre Bizerte et Tunis19 puis
au sud de Tunis20. Près de Sousse, 11 note le port de Khafanès "où les
navires peuvent hiverner, et qui est dominé par un grand "Mahrès-Ribùt", et
il ajoute "ensuite se présente le port d'El Monastlr, le Mahrès le plus
considérable de rifrîqiya"...2i
On pourrait donc conclure Ici que, pour al-Bakrl, Ri bût' = fort-couvent ,
que Mahrès = Ri bût' 22, mais le mot peut prendre également le sens de
quartier fortifié.
Or, nous allons voir que tout n'est pas aussi clair dans le vocabulaire
du géographe andalou, car, s'il semble ne connaître aucun Ribtt' ou Mahrès
sur les côtes du Maghrib central jusqu'à Cherchel où il en signale plusieurs 23,
s'il en note encore à Marsa Marîla et à Arzeu24, puis sur la côte
méditerranéenne du Maroc à Nokoûr25 où le sens du mot n'est pas toujours clair ,
11 cite le Ri bût' de Kouz et précise : "Le Ribtt' de Kouz, situé sur l'Océan
environnant, sert de port à Aghmat"26
On voit donc que, dans ce cas précis, le mot Ri bût' s'applique à une
ville entière, ou plus précisément à un port et on s'aperçoit alors que le
même sens est donné à Mahrès pour la ville de Sousse27.
En résumé, nous pouvons affirmer que les termes Ribût' et Mahrès
sont synonymes dans le vocabulaire de al-Bakrl et que ces mots, employés
indifféremment désignent soit un bâtiment très précis, soit un quartier
fortifié, voire une ville ou un port.