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Revue de l'Occident musulman et

de la Méditerranée

Note sur le mot ribât' (terme d'architecture) et son interprétation en


Occident musulman
Lucien Golvin

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Golvin Lucien. Note sur le mot ribât' (terme d'architecture) et son interprétation en Occident musulman. In: Revue de l'Occident
musulman et de la Méditerranée, n°6, 1969. pp. 95-101;

doi : https://doi.org/10.3406/remmm.1969.1008

https://www.persee.fr/doc/remmm_0035-1474_1969_num_6_1_1008

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NOTE
SUR LE MOT RIBAT9 (TERME D'ARCHITECTURE)

ET SON
INTERPRÉTATION EN OCCIDENT MUSULMAN

L'institution des Rib&t'-s, leur histoire, leur fonction, voire leur


organisation ont fait l'objet de sérieuses études auxquelles nous n'avons pas la
prétention d'apporter des corrections1. En fait, cet article est né d'une
mésaventure assez pittoresque qui vaut peut-être la peine d'être contée.
Une assez longue fréquentation de la Tunisie, complétée par la lecture
d'articles ou d'ouvrages cités ci-dessous en référence, m'avaient inscrit en
tête une Image assez nette et en quelque sorte stéréotypée de ce que l'on
nomme un Ri bât' et, pour moi, ce cliché semblait définitif lorsqu'un récent
séjour au Maroc remit tout en question. Visitant la bourgade de Tît', dont
je gardais le souvenir, peut-être un peu flou, à travers un article autrefois
consacré à ce lieu historique par H. Basset et H. Terrasse2, je cherchai'
en vain les ruines d'un fortin pouvant évoquer l'un de ces "couvents
fortifiés" dont Sousse et Monastir nous offrent les témoins les plus parfaits. Mes
questions aux gens du pays ne soulevaient d'autre écho qu'un muet étonne-
ment ou des réponses inattendues : "Ribût1?. . . où Rlbût' ?. .. Ribât' ,
c'est par là, c'est par ici. . . " et on me désignait la route vers le nord .
Dans leur esprit, sans doute, je cherchais la route de Rabat. . . Je
demandai alors s'il existait les ruines d'un ffahrès d'un Qçâr, d'une Qaçba, bref

1. Citons R. Dozy et M.J. de Goeje, glossaire de al-Idrlsl dans leur livre : Edrlsl,
Description de l'Afrique et de l'Ispaine, Leyde, J. Brill, 2e" édition 1968, au mot Mahres,
p. 283. -Max Van Berchem, Matériaux pour un Corpus Inscritionum arablcarum- Egypte,
Paris, Leroux, 1894, pp. 153 ; n° 3, 408, n* 4 et bibliographie toujours excellente chez cet
auteur - G. Marçais, Mote sur les ribats en Berbérie, Mélanges René Basset, Paris,
Leroux, 1925, pp. 395 et sq. repris dans les Mêlantes d'Uistoire et d'Archéoloiie de
l'Occident Musulman, t. I, pp. 23 et sq. , pub. du Gouvernement Général de l'Algérie, 1957, du
même auteur, l'architecture musulmane d'Occident, Paris, Arts et Métiers Graphiques, 1954,
p. 30, enfin, toujours de G. Marçais, article Ri but' dans l'Encyclopédie de l'Islam, première
édition. Doutté - Les marabouts, in Revue de l'Histoire des Religions, XL-XLI, p. 31 et sq .
- A. Lézine, Le Sibat de Sousse suivi de Motes sur le rlbat de Monastir, pub. de la
Direction des Antiquités et Arts de Tunisie, Notes et Documents, XIV, Tunis, 1956, recension
de G. Marçais Intitulée Deux Sibat' du Sahel tunisien. Les Cahiers de Tunisie, 1956, 3°
trim. , n° 15, pp. 279 et ss. etc. . . etc. . .
2. H. Basset et H. Terrasse, Sanctuaires et forteresses almohades, Hespéris, 1927,
t. VII, 2° trim. pp. 117 et sq.
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tout ce qui pouvait permettre de guider mes interlocuteurs sur la piste, mais
c'était en vain. On me montra les restes des remparts, les bastions encore
debout, un minaret, et je finis par comprendre que le Ri but' c'était toute
la ville, fortifiée vers 1148 de notre ère par les Almohades. Cette opinion
devint conviction après la visite du site de Kouz qu'une étude récente
remettait en honneur3. Cet ancien port d'Aghmat, que les géographes arabes
appellent Ri bât' était, en fait, une ville fortifiée. J'eus alors la conviction
qu'il devait en aller de même pour la capitale actuelle du Maroc, Rabat,
déformation de Ri bât' ainsi qu'on le sait. Le Ri bat' de Salé devant être un
faubourg au-delà du Bou Regreg, mais un faubourg fortifié et destiné a des
personnages religieux. . . Sans doute fallait-il encore étendre ce sens au
fameux Ri bat' maurétanien bâti dans une Ile par rAbd Allah ibn Yâsln où devait
naître la fameuse épopée des hommes voilés, les futurs Almor avides, al-
Murabitûn-s = les gens du Ribât'... Alors sembla soudain s'éclairer en
moi un mystère qui m'intriguait depuis bien longtemps: à savoir l'histoire de
la conquête de la Sicile. Comment l'armée aghlabide conduite par le Qâdi
Kairouanais Asad b. al-Furât, avait-elle pu être concentrée au Ri bût' de
Sousse et y être endoctrinée avant le grand départ de l'expédition qui, en
827, devait aboutir à l'installation en Sicile puis à la conquête de l'Ile occupée
alors par les Byzantins ? . . ,4 Les dimensions exigtles de ce que nous
appelons actuellement le Ribôt' me paraissaient exclure une telle possibilité. Le
fortin ne me parait guère pouvoir recueillir que deux à trois cents hommes ,
chiffre bien maigre en vérité et peu conforme aux données de l'histoire5.
J'eus bientôt l'impression que j'étais en pleine divagation, il convenait
de ne pas se laisser entraîner davantage par l'imagination et je me promis
de revoir attentivement les textes arabes. . .
Je commencerai par al-Bakrl, certainement le plus complet, sinon le
plus sûr dans ce domaine, un passage est particulièrement suggestif :
"A l'intérieur (de la ville de Sousse) se trouve un mahrès érand
comme une ville et entouré de solides remparts. On le connatt sous le
nom de mahrès al-Rlbat. Il sert de retraite aux tens de bien et aux
saints personnages. A l' intérieur se trouve un H'içn secondaire nommé
al-Qaçba. Il est situé dans la partie septentrionale de la ville près de
l ' arsenal 8.
Ce texte nous offre un lot d'expressions que nous allons tout d'abord
tenter de comprendre à l'aide des définitions des dictionnaires.
3. cf. B. Rosenberger, Notes sur Kouz, un ancien port à l'embouchure de l'oued
Tensift, Hespéris - Tamuda, vol. VIII, fasc. unique, 1967, pp. 23 à 66.
4. cf. Âmari, Storta del Musulmanl dl Slctlla, Florence, 1854, I, 262, H, 73, 188,
222. . .
5. cf. al-Malikl, Conquête de la Sicile par les musulmans, texte et trad. M. Canard ,
Bulletin des Etudes arabes, 4e"» année, n° 16, Janvier-Février, 1944, p. 9 : "Abu '1-Arab
dit : "Son départ pour la Sicile eut lieu au mois de Rabt I, 212 (Juin 827). Dans l'armée qui
était avec lui (il s'agit de Âsad ibn al-Furât) 11 y avait environ dix mille cavaliers, cf.
également Âmari, op. cit. t. I.
6. al-Bakrt, Description de l'Afrique septentrionale. Texte et traduction de Slane ,
Paris, Maisonneuve, 1965, texte, pp. 35 et 36.
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Mahres (M ah* ras, pi. Mah'àris), enceinte fermée de murs et assez


grande pour loger une petite garnison, où les zélés musulmans se
réunissaient pour faire la guerre aux non-musulmans, nous dit Dozy qui cite Edrlsi
Athîr, VII, 196, Aghlab. , 49,2 af, 55,2 af ; Amari, 239,5, Léon, 581.. .7
Ribût' pi. Rau/ùbit' : caserne, Renou, 26 "Les ribâts étaient
primitivement des casernes fortifiées qu'on construisait sur les frontières de
l'empire! Outre les troupes qu'on y entretenait, les gens pieux s'y rendaient pour
faire le service militaire et obtenir ainsi les mérites spirituels qui sont
attachés à la guerre faite contre les infidèles : la pratique de la dévotion y
occupait leurs moments de loisir, et bientôt les moeurs et les habitudes du
couvent prenaient la place de celles de la caserne", de Slane, dans J. A. ,
1842, I, 168 8.
H'içn pi. H'uçÛn : village entouré d'une muraille, Djob. 208,20 etdern
1. -Les fortifications qui entourent une ville, une enceinte de murailles, gl .
Edrîsl/286, 388, 1001, n. II, 141, af.9 -Lieu fortifié, retranché, citadelle10
Qaçba (Qaçaba) palais, principal édifice d'une ville, château, maison carrée11.
A l'aide de ces différentes définitions, nous pourrions penser, en
reprenant le texte du géographe andalou, que ffahrès al-Ribtt' serait en
quelque sorte le quartier fortifié (Hahres) de la caserne fortifiée (Ribût1). Le
H'içn devrait alors être considéré comme une seconde enceinte fortifiée (ou
un fortin) situé au nord de l'ancienne cité, près de l'arsenal.
L'Içtibçâr, nous relatant la fondation de Kairouan, fait ainsi parler le
conquérant iJqba b. Nâfif . . . " Ne pensez vous pas, 6 musulmans, à fonder
une ville qui soit pour vous une cause de puissance sans fin ?" et l'auteur
d'ajouter : "On adhéra à cette proposition et l'on tomba d'accord que ceux
qui y habiteraient serviraient de gardiens de frontière (morûblt'oun), de
sorte, dit-on, qu'on devrait l'établir proche de la mer, afin que cette place
servit à la fois à faire la guerre sainte et comme ri bât' (couvent-frontière)1.2
Il semble bien que, dans ce texte, Ri bât' doit être accepté comme ville
fortifiée habitée par des hommes pieux et guerriers.
Un peu plus loin, le même auteur anonyme écrit :
(Mahrès Monastiri)... "consiste en une forteresse aux hautes et
solides constructions qu'habite une troupe d'hommes pieux qui .s'y tiennent

7. Dozy, Suppléments aux dictionnaire 8 arabes, I, p. 270, Is col.


8. -Id- I, p. 502, 1° col.
9. -Id- I, p. 297, 1° col.
10. Kazimirski, dictionnaire..., I, p.. 444, 2° col.
11. Kazimirski, dictionnaire, H, p. 747, 2° col.
12. E. Fagnan, l'Afrique septentrionale au XII' siècle de notre ère, Constantino,
Braham, 1900, p. 8.
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renfermés et y vivent séparés de leur famille et de leurs amis. Ce sont


les habitants du pays qui (subviennent à leurs besoins) en leur apportant
des aumônes"13
Mahrès serait donc ici un fort.
Enfin, plus loin encore on peut lire :
Dans le pays de Taza a été élevé de nos jours Er-Rïtiht, grande ville
située sur le flanc d'une montagne et qui domine les plaines traversées
par des ruisseaux d'eau douce"1*
Ribùt' a donc, là, le sens de ville fortifiée.

En rapprochant les textes de al-Bakrî et de l'Içtibçâr, on s'aperçoit


que les acceptions possibles sont très différentes pour ne pas dire opposées .
Mais le même al-Bakrl, décrivant, lui aussi, Monastir note : "c'est
une vaste forteresse Qaçr qui renferme un vaste faubourg et, au centre de
ce faubourg se trouve une seconde forteresse B' içn très grande, remplie de
logements, de mosquées et de châteaux à plusieurs étages"19.
Il classe la ville parmi les Mahûris dépendant de Sousse.
L'auteur conserve donc bien ici le sens de Mahrès - ville fortifiée.
Nous pourrions enrichir la liste de quelques autres exemples et
constater que, dans son récit, le géographe andalou reste le plus souvent fidèle
à cette interprétation du mot. C'est ainsi qu'évocant la ville de Tripoli (de
Lyble), il écrit : "On remarque à Tripoli un grand nombre de Rlbât's
habitée par les gens qui se livrent à la dévotion. Le plus fréquenté et le plus
renommé de ces édifices est la mosquée de al-Chiyâb "16
Pourtant, l'auteur semble ailleurs confondre les deux termes Ribht*
et Mahrès. Ainsi, licite, dans la banlieue de Sfax "quelques Ribat's situés
sur le bord de la mer. Le plus célèbre de ces établissements est celui qui
porte le nom de Mah rès-Bototfia. . . les autres Rlbât's sont le Mahrès Habela ,
Abî al-Ghuçan, le Mahrès Maqdamân, le Mahrès al-Lûza et le Mahrès al-Rîh'
âna" 17.

13. -ld- p. 17
14. -ld- p. 134.
15. al-Bakrî, op. cit. texte, p. 46.
16. al-Bakrt, op. cit. texte p. 7 , trad. pp. 20 et 21. Le traducteur a cru bon de
définir (note 1, p. 21) le sens du mot RtVSt' • petit fort bâti sur la frontière du territoire
islamique et renfermant une garnison de volontaires. Les musulmans qui désiraient mériter les
grâces spécialement réservées pour les fidèles qui prenaient part à la guerre sainte pouvaient
obtenir ce bonheur en allant passer quelques mois dans le ri bat . .
On ne manquera pas de noter au passage qu'un des Right's était la mosquée... Nous
connaissons ailleurs ce même phénomène, à Maharès et à Hergla (Tunisie) en particulier .
N'en aurait-Il pas été de même à Sousse ?. ..
17. -ibid- p. 21 du texte.
NOTE SUR LE MOT RIBAT' (TERME D'ARCHITECTURE) 99

II est clair que l'auteur ne donne plus au mot Mahrès le sens qu'il lui
avait donné en parlant de la ville de Sousse. Cette même confusion, il la
précise encore ailleurs lorsqu'il écrit : "parmi les kahrès ou Ri bât 's qui
dépendent de Sousse, un des plus remarquables est celui de al-Monastir" et
plus loin encore "al-Monastir possède dans ses environs cinq Mahari s
construits avec une grande solidité et habités par des gens dévots"18.
Al-Bakrî cite encore de nombreux Ri bût' s entre Bizerte et Tunis19 puis
au sud de Tunis20. Près de Sousse, 11 note le port de Khafanès "où les
navires peuvent hiverner, et qui est dominé par un grand "Mahrès-Ribùt", et
il ajoute "ensuite se présente le port d'El Monastlr, le Mahrès le plus
considérable de rifrîqiya"...2i
On pourrait donc conclure Ici que, pour al-Bakrl, Ri bût' = fort-couvent ,
que Mahrès = Ri bût' 22, mais le mot peut prendre également le sens de
quartier fortifié.
Or, nous allons voir que tout n'est pas aussi clair dans le vocabulaire
du géographe andalou, car, s'il semble ne connaître aucun Ribtt' ou Mahrès
sur les côtes du Maghrib central jusqu'à Cherchel où il en signale plusieurs 23,
s'il en note encore à Marsa Marîla et à Arzeu24, puis sur la côte
méditerranéenne du Maroc à Nokoûr25 où le sens du mot n'est pas toujours clair ,
11 cite le Ri bût' de Kouz et précise : "Le Ribtt' de Kouz, situé sur l'Océan
environnant, sert de port à Aghmat"26
On voit donc que, dans ce cas précis, le mot Ri bût' s'applique à une
ville entière, ou plus précisément à un port et on s'aperçoit alors que le
même sens est donné à Mahrès pour la ville de Sousse27.
En résumé, nous pouvons affirmer que les termes Ribût' et Mahrès
sont synonymes dans le vocabulaire de al-Bakrl et que ces mots, employés
indifféremment désignent soit un bâtiment très précis, soit un quartier
fortifié, voire une ville ou un port.

18. -al-Bakil- pp. 79-80 trad. p. 36 texte.


19. al-Bakrl, trad. p. 169
20. -Id- p. 170
21. texte p. 84, trad. p. 171.
22. C'est dans ce sens qu'il faut interpréter le passage suivant : Kairouan a toujours
eu sept Mahrès dont quatre à l'extérieur et trois à l'intérieur (texte, p. 24, trad. p. 57).
23. texte, p. 82, trad. p. 165.
24. texte, pp. 70 et 81, trad. 143 et 164.
25. texte p. 91 trad. p. 182, cité aussi par Ya'qûbî, 120-121, Ibn Khaldûn, I, 282, tr .
138, Bajjtn, I, 179, tr. I, 248.
26. -Id- pp. 175 et p. 292.
27. Nous devons mentionner encore deux autres sens donnés au mot Rt bat' dans al-
Bakrl, p. 311 et 318, trad, "celui qui leur fraya cette vole et qui appela les peuples au Ribât'
et au maintien de la vérité se nommait Âbd Allah Ibn Yâstn" où un tombeau, à Kértfelt "forme
un Ri bat' qui est toujours rempli de monde".
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Chez al-Idrîsî, Mahres semble plutôt synonyme de H'içn, du moins en


ce qui concerne le territoire andalou28, mais il peut également prendre le
sens de caserne29, le géographe sicilien ne mentionne pas de Ribât1 s mais
il cite un Qaçr al-Hurtbi fin à six miles de distance de la ville d'Hammamet30
Ibn H'awqal écrit que Sfax possède des Mahdris construits pour le
Ribât'31 et il cite "beaucoup de Ribbt' s à Sousse3^. A Sfax, il semble s'agir
de fortins englobés dans une enceinte (Ribât'), à Sous se, on peut penser
que Ri bât' = fortins.
Nous ne saurions multiplier ici les citations et notamment faire appel
à des auteurs arabes plus tardifs tel al-Tijârîî (qui semble donner au mot
son sens restreint)33 ou Ibn Khaldûn ou encore le Rawd al-Qlrttis où le mot
prend des sens divers sans rien apporter de nouveau34, l'étude de ces textes,
du point de vue historique, ayant été faite depuis longtemps déjà35.
Pour en revenir, par contre, à la ville de Sousse et aux textes se
rapportant à l'histoire des Aghlabides, il me semble que l'acception actuelle
(et ancienne) de Ribat' .= fortin n'est pas à retenir dans le sens restrictif
de fortin ; je crois que son sens le plus ancien est plutôt ville fortifiée ou
quartier fortifié (réservé à de pieux personnages).
On pourrait sans doute objecter que al-Nuwayrî semble bien faire
allusion au Ribat' de Sousse lorsqu'il écrit : "J'espère obtenir la miséricorde
de Dieu, lorsque je comparaîtrai devant lui (c'est Ziyâdat Allah qui parle)
au jour de la résurrection.,, car j'ai fait quatre choses pour la
mériter: j'ai dépensé quatre-vinit mille pièces d'or pour la construction de
la Grande Mosquée de Kairouan, j'ai bâti le pont à la porte d'Aboul-
Rebiâ, f ai fait construire à Souça une forteresse pour les personnes
qui veulent acquérir le mérite d'avoir fait la êuerre contre les
infidèles".,,38
Mais le terme employé par l'auteur est Qaçr et non Ri bat' ou plutôt
celui de Qaçr al-Murabit'ln, que l'on pourrait traduire par forteresse pour
les gens du Ri bât' ce qui laisse toute sa valeur à notre interprétation.
Notons enfin que la pierre de fondation qui se trouve sur le M an'àr du Ribât'

28. Editai, Description de l'Afrique et de V Espagne, texte et trad. R. Dozy et M.J.


de Goeje, Leyde, Brill, 2*« édition, 1968, texte p. 187, trad. p. 227.
29. cf. ilossalre SdrXsl, p. 283.
30. al-Bakrt, op. cit. texte p. 125.
31. Editai, ilossalre, p. 283.
32. Ibn H'awqal, Journal Asiatique, 1942, I, 176.
33. Tijànl, Rlh'la, texte et préface de H. H. Abdul-Wahab, Tunis, 1958.
34. Ibn Khaldûn, Histoire des Berbères..., Paris, Geuthner, 1934, trad, de Slane, n ,
p. 274, 279, in, p. 374 etc., Baud al-Qlrtàs, éd. Tornberg, p. 168, 200, etc.
35. en particulier par G. Marçais dans son article, Note sur les Ri bats en Berbérte .
36. al-Nuwayrl dans Ibn Khaldûn, -El s to ire des Berbères, trad, de Slane, appendice ,
p. 412.
NOTE SUR LE MOT RIBAT* (TERME D'ARCHITECTURE) 101

de Sousse ne mentionne pas ce terme, elle se borne à cette phrase : "ceci


est au nombre des oeuvres qu'à ordonné d' exécuter?.. etc37.
Je suis ainsi amené à penser que le terme, en ce qui concerne les
villes de Sousse et de Monastir, employé ind'fféremment avec son synonyme
Mahres signifie la ville fortifiée où se réunissent des dévots, des sortes de
moines-soldats qui trouvent asile dans des casernements fortifiés du genre
de celui qui existe encore et que nous appelons Ribat' .
On comprendra mieux alors que des milliers de combattants aient pu
être réunis au Ribût' de Sousse en vue de leur préparation physique et
spirituelle, qu'ils y aient donc reçu une instruction militaire et religieuse
propres à les préparer au sacrifice suprême, au martyr. . . Jusqu'ici, on ne
pouvait interpréter les textes historiques qu'en les torturant, en imaginant
par exemple un roulement selon un rythme inconnu où, à la rigueur, une
formation ne s 'adressant qu'à des "cadres".
On aura retenu également que l'un des Ribat's les plus importants de
Tripoli était une mosquée et plus précisément celle de al-Chiyâb. Je ne suis
pas éloigné de croire qu'il en allait de même à Sousse, à la Grande Mosquée
dont le mur d'enceinte évoque étrangement celui du RI bât' voisin. On
pourrait donc admettre, sur le littoral, l'existence de mosquées fortifiées qui
pouvaient servir de Ri bût' s. Dans un ouvrage récent, A. Lézine tente une
restitution tout à fait acceptable du port de Sousse au IX0 siècle avec
indication de l'emplacement de l'arsenal, du "Ri bat" et de la mosquée3! En
reprenant le texte cité initialement de al-Bakrî, nous pouvons maintenant
imaginer les dispositions suivantes : Le Mahres ou Ribàt' est tout le
quartier portuaire, l'actuel Ri bât' , c'est le S'tçn ou al-Qaçba situé "dans la
partie septentrionale de la ville près de l'arsenal".
La conclusion qui s'impose à cette courte enquête est que :
1°) II ne convient pas de donner aux termes Ribût' et Mahres un sens
limité et rigide. Comme tant d'expressions arabes39 les deux termes presque
toujours synonymes couvrent beaucoup de chose et admettent plusieurs
acceptions dans le domaine de l'architecture. On devra donc hésiter, suivant les
circonstances entre un sens élargi, soit : quartier fortifié, ville fortifiée ,
port de guerre. . . ou un sens restreint, soit : fortin, étant bien entendu que ,
dans les deux cas, il s'agit bien de fondations pieuses destinées à des
combattants de la foi, des guerriers de la guerre sainte.
2°) Que certains Ribût' s (sens restreint) peuvent être (ou devenir) des
mosquées.
Lucien GOLVIN
Faculté des Lettres et Sciences
Humaines d'Aix-en-Provence

37. G. Marçals, l'architecture..., p. 7.


38. A. Lézine, op. cit., fig. 42.
39. C'est ainsi que, à Jérusalem Masjtd al -Aqçft, chez les géographes arabes les plus
anciens, doit être interprété comme désignant le Baram en entier sur lequel se dressent la
mosquée et la coupole du Rocher. Par la suite, le terme ne désigne plus que la mosquée.

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