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Pour un naturalisme vitaliste https://journals.openedition.

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Methodos
Savoirs et textes

2 | 2002 :
L'esprit. Mind/Geist
Analyses et interprétations

Pour un naturalisme vitaliste


Les devenirs et la culture

GUILLAUME SIBERTIN-BLANC

Résumés
Français English
Par sa conceptualisation des normes, Michel Foucault renouvelle profondément la
philosophie théorique et pratique de la culture, par rapport aux principaux postulats qui la
commandent depuis le XVIIIe siècle. On a pu montrer qu’il ouvrait celle-ci sur une pensée de
la production immanente des normes. Il s’agit ici de mettre cette hypothèse à l’épreuve d’une
compréhension vitaliste de la positivité des normes, qui assigne celle-ci à une puissance
créatrice de nouvelles possibilités d’existence, de nouvelles allures de vie. Comment articuler
la perspective d’un processus immanent de production à celle de la création et de la
nouveauté   ? On s’oriente alors vers un naturalisme vitaliste, capable de conférer aux
« possibilités d’existence » leur teneur ontologique, leur effectivité pratique, et leur primat
axiologique et épistémologique. C’est dans ce contexte que l’on tente d’évaluer chez Gilles
Deleuze un certain nombre de déplacements terminologiques et conceptuels par rapport à
Foucault : du possible au potentiel, de la stratégie au problématique, de la généalogie à la
géologie, de l’histoire aux devenirs.

Philosophy of culture is deeply renewed by Michel Foucault’s philosophy of norms with


regard to principal postulates which command it since XVIIIth century. One could see he
introduced a theory of immanent production of norms. The matter is to put this hypothesis to
the test of a vitalist comprehension of positivity of norms, which assigns this positivity to a
vital strength that creates new possibilities of life and new «allures de vie». How could we
articulate the perspective of an immanent process of production with the perspective of
creation and newness   ? This is a way for a vitalist naturalism that is able to give to
possibilities of life ontological consistency, practical effectivity, and axiological and
epistemological priority. In this context, one tries to appreciate in the philosophy of Gilles
Deleuze several terminological and conceptual changes in comparison with Foucault : from

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possible to potential, from strategy to problematic, from genealogy to geology, from history to
becomings.

Entrées d’index
Mots-clés : culture, Deleuze, Foucault, naturalisme vitaliste, norme, philosophie de la
culture
Keywords : Foucault, norms, philosophy of culture, vitalist naturalism Deleuze

Texte intégral

I. Position traditionnelle du problème


de la culture
1 Dans un texte consacré à l’opuscule de Kant, Was ist Aufklärung ?1, Michel Foucault
s’attache à identifier la position qu’il dit être encore la nôtre par rapport à la culture,
et qu’il désigne par le terme de «   modernité   ». Cette notion ne renvoie pas
seulement à une périodisation particulière de l’histoire occidentale, mais avant tout
à une certaine attitude théorique et pratique par rapport au présent, qui rend
possible l’élaboration d’une «   ontologie historique de nous-mêmes   »2. À charge
d’une telle ontologie d’élucider ce qui, à travers l’histoire, nous a constitués comme
les sujets de savoir, sujets de pouvoirs et sujets éthiques que nous sommes
actuellement, et par là même de discerner les lignes de résistance et de mutation sur
lesquelles est aujourd’hui possible un devenir autre, « les points où le changement
est possible et souhaitable. »

« Cette critique n’est pas transcendantale (...) : elle est généalogique dans sa
finalité et archéologique dans sa méthode. (...) cette critique sera généalogique
en ce sens qu’elle ne déduira pas de la forme de ce que nous sommes ce qu’il
nous est impossible de faire ou de connaître; mais elle dégagera de la
contingence qui nous a fait être ce que nous sommes, la possibilité de ne plus
être, faire ou penser ce que nous sommes, faisons ou pensons. »3

2 Indépendamment de la question de la fidélité de la lecture foucaldienne au texte


de Kant, on peut souligner l’originalité de cette analyse relativement aux postulats
principaux sur lesquels repose la philosophie de la culture depuis le XVIIIe siècle4.
En effet, la culture est généralement pensée sous deux attendus conceptuels forts :
d’une part une thématisation de la «   crise   »; d’autre part une thématisation du
rapport entre la pensée et l’histoire de la civilisation occidentale. Inscrite dans une
pensée de la crise (crise des institutions politiques, crise des sciences, crise de la
philosophie ou de la rationalité), la culture est justiciable d’une « critique », qui
désigne la forme théorique adéquate pour rendre compte d’une telle situation. Dans
le champ de la philosophie contemporaine, la phénoménologie et l’École de
Francfort ont repris, chacune pour son compte, ce programme critique. Suivant
deux orientations très différentes, l’une et l’autre lient le sort actuel de la culture à
une histoire de la raison. L’analyse de la culture fait fond sur une détermination
préalable de la rationalité occidentale, que celle-ci soit définie à partir du logos grec

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ou de la Raison des Lumières, et s’inscrit dans une philosophie de l’histoire qui lit
dans la crise actuelle les conséquences du développement de cette rationalité. Le
second attendu conceptuel sous lequel est pensée la culture est corrélatif au
premier, et pose le problème des fins de la culture et de son rapport à l’histoire, du
point de vue de la conscience de soi actuelle. D’une manière générale, la philosophie
moderne a pensé les fins de la culture à partir d’un concept de la raison et de la
liberté. La culture est l’esprit objectif, la sédimentation de l’histoire de la
civilisation, dont le sens est téléologique et normatif : en elle doit s’objectiver et
s’exprimer la réalisation d’une essence, Raison ou Liberté. Inversement, cette
essence, assignant à la culture son telos, en fonde la valeur essentielle (la culture
comme monde du Sens), dans la phénoménalité et l’historicité même des
communautés humaines. Par là même la culture scelle un certain rapport de la
pensée à l’histoire, puisque la pensée doit se retrouver en cette dernière; la pensée
prenant la culture comme objet doit s’y reconnaître en y reconnaissant le résultat de
sa propre histoire, le mouvement de réalisation de son essence ou vérité. À cet
égard, la problématique de « la crise de la culture », telle qu’on la trouve thématisée
chez E. Husserl et H. Arendt, ou encore, dans une autre perspective, chez les tenants
de l’École de Francfort, n’invalide pas ce schéma, mais l’utilise plutôt de manière
négative pour comprendre la crise comme absence, manque de reconnaissance,
impossibilité pour la conscience de se ressaisir dans la culture actuelle dont elle se
sait être en même temps le produit.
3 Enfin, ces deux postulats impliquent un certain rapport de la culture à la nature.
Si la culture se définit comme le monde du Sens, c’est-à-dire le monde dans lequel la
conscience s’élève à la conscience de soi en se reconnaissant comme Esprit
identique à soi à travers l’histoire de son propre développement, la nature apparaît
comme l’autre de la culture, ou pour le dire avec Hegel, « l’esprit hors de soi » : elle
est l’altérité dans laquelle l’esprit éprouve sa propre négativité, et dans la négation
de laquelle il se produit comme culture.

« Dans cette vérité, la nature est disparue, et l’esprit s’est produit comme Idée
parvenue à son être-pour-soi, dont l’objet, aussi bien que le sujet, est le
concept. (...) si, dans la nature, le concept a son objectivité extérieure
accomplie, cette sienne extériorité séparant d’avec soi est supprimée, et il est,
en celle-ci, devenu pour lui-même identique à lui-même », culture5.

4 L’analyse de Foucault permet de dégager un double déplacement par rapport à


ces déterminations dominantes de la philosophie de la culture. En premier lieu,
« l’ontologie historique de nous-mêmes » proposée par Foucault ne fait fond sur
aucune définition univoque de la rationalité, aucune détermination d’essence, mais
s’attache au contraire à analyser les formes multiples de rationalité qui caractérisent
notre rapport actuel au monde (savoir), à autrui (pouvoir) et à nous-mêmes
(éthique), rationalités différenciées dont il s’agit de comprendre les modes de
formation et de fonctionnement dans les discours, les pensées et les actes qui
composent un champ social et historique donné6. Corrélativement, une telle
ontologie historique implique un rapport bien précis entre la culture et la question
de son sens, irréductible au paradigme de la crise. Pas plus que l’état actuel de la
culture ne peut être apprécié à partir d’une définition univoque de la rationalité
occidentale, l’on ne peut interpréter la « crise de la culture » à l’aune d’une origine
ou d’une essence dont la modernité signerait la perte ou le manque7. À
l’interprétation de la culture selon un sens transcendant se substitue alors une
description des conditions de production et de transformation des sens multiples

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dans la culture, moraux, religieux, économiques, juridiques, techniques, politiques,


esthétiques...
5 Le second déplacement majeur par rapport à la formulation traditionnelle du
problème de la culture consiste à désolidariser le rapport entre la pensée comme
conscience de soi et l’histoire, que la philosophie depuis le XVIIIe siècle a pensé
sous le concept de culture. La culture n’est pas l’esprit objectif, elle n’exprime ni ne
réalise le développement de l’essence de la rationalité occidentale ou la raison
pratique des Lumières, mais découvre une actualité que Nietzsche appelait
l’intempestif ou l’inactuel, c’est-à-dire le mouvement non historique d’un devenir
qui ne reçoit du passé qu’un conditionnement négatif, non pas un principe
génétique positif8. Aussi la pensée entre-t-elle en rapport avec la culture sur les
lignes de rupture de celle-ci, c’est-à-dire aussi bien sur ses lignes de résistance et de
changement possibles. Ce n’est pas en y cherchant la réalisation de ses propres fins
essentielles que la pensée s’élève à la culture, mais au contraire lorsqu’elle se trouve
engagée dans des rapports au corps, au langage, au savoir et au pouvoir, quila
forcent à « se déprendre de soi-même », à penser, à sentir, à agir « autrement » :

« Il y a des moments dans la vie où la question de savoir si on peut penser


autrement qu’on ne pense et percevoir autrement qu’on ne voit est
indispensable pour continuer à regarder ou à réfléchir. On me dira peut-être
que ces jeux avec soi-même n’ont qu’à rester en coulisses (...) Mais qu’est-ce
donc que la philosophie aujourd’hui – je veux dire l’activité philosophique – si
elle n’est pas le travail critique sur elle-même ? Et si elle ne consiste pas, au
lieu de légitimer ce qu’on sait déjà, à entreprendre de savoir comment et
jusqu’où il serait possible de penser autrement ? »9

6 Sous ces deux aspects, archéologie des « formes de rationalité qui organisent les
manières de faire » et de leur constitution historique (versant technologique des
pratiques), généalogie des limites dans la forme du «franchissement possible»
(versant stratégique des pratiques), la «critique permanente de notre être
historique» en quoi consiste l’ontologie de nous-mêmes repose sur l’analyse des
normes, de leur constitution en dispositifs de pouvoir et de savoir, et de leur
fonctionnement dans l’immanence de la praxis sociale. Foucault a montré en effet
que les normes définissent un type spécifique de pouvoir ou de «relations de
pouvoir»10, non pas transcendantes à l’objet auquel elles s’appliquent (paradigme
«   juridico-discursif   »11 de la loi transcendante par rapport à son objet), mais
immanentes aux objets qu’elles constituent aussi bien, aux productions culturelles,
discursives et non discursives. Ainsi concernant la culture scientifique, la pensée
philosophique a la charge, non pas d’énoncer «   une théorie générale de toute
science et de tout énoncé scientifique possible », mais de proposer une « recherche
de la normativité interne aux différentes activités scientifiques, telles qu’elles ont été
effectivement mises en œuvre   »12, c’est-à-dire telles que cette normativité a
effectivement réalisé les conditions effectives de leurs discours, de leur formation et
de leur circulation, de leurs domaines d’objectivité et des pratiques qu’elles y
engagent, de leur articulation à des procédures de pouvoir.

II. Nature et culture : la naturalité des


normes

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7 L’article de Foucault sur « Qu’est-ce que les Lumières ? » soulève cependant une
difficulté précise concernant le rapport de la philosophie des normes et des
investigations archéologiques qu’elle requiert à la pensée de la culture comme
pensée pratique actuelle tendue vers la tâche de « penser autrement ». Dans un
article consacré à Foucault13, Pierre Macherey a montré que l’immanence de la
norme aux phénomènes auxquels elle s’applique, si elle exclut le paradigme
juridique d’un pouvoir qui s’imposerait de l’extérieur, sous forme d’oppression ou
de répression, sur des spontanéités transgressives, implique non seulement de
comprendre la constitution par la norme de son objet, mais aussi l’auto-constitution
de la norme elle-même dans son activité normalisatrice. Il met ainsi en valeur la
radicale positivité d’une norme «qui se donne tout entière dans son action, c’est-
à-dire dans ses phénomènes, ou encore dans ses énoncés, sans du tout retenir en
deçà de ceux-ci, ou les surplombant, un absolu de pouvoir d’où elle tirerait son
efficacité»14. Or si l’auto-production de la norme dans son processus normatif même
conduit bien à soutenir, contre l’idée que «le pouvoir des normes est artificiel et
arbitraire», «le caractère nécessaire et naturel des normes», cette dimension des
dispositifs de savoir-pouvoir semble introduire une difficulté quant à la
compréhension de l’orientation généalogique définie dans l’article mentionné
précédemment, et quant à l’articulation de cette orientation à la méthode
archéologique revendiquée.
8 En effet, si l’archéologie a bien à charge, pour Foucault, d’analyser la manière
dont un certain nombre de dispositifs normatifs «   nous ont amenés à nous
constituer et à nous reconnaître comme sujets de ce que nous faisons, pensons,
disons »15 (constitution par la norme de son objet-sujet), et la manière dont ces
dispositifs mêmes se sont constitués comme «   disciplines à la fois collectives et
individuelles », « procédures de normalisation au nom des pouvoirs de l’État, des
exigences de la société ou des régions de la population », etc.16 (auto-constitution de
la norme dans le procès historique de sa propre effectuation), la finalité
généalogique définie par Foucault empêche d’inscrire pleinement l’ontologie
historique de nous-mêmes dans une compréhension naturaliste des normes. C’est
en réintroduisant une distinction entre « ce qui nous est donné comme universel,
nécessaire, obligatoire   » et «   ce qui est contingent et dû à des contraintes
arbitraires »17 que Foucault peut définir la finalité de l’ontologie historique comme
« critique pratique dans la forme du franchissement possible ». S’il y a, en vertu de
l’immanence des normes, une naturalité et une nécessité des normes dans le
processus par lequel elles s’auto-constituent en constituant leur objet, la manière
dont Foucault définit «l’éthos philosophique», c’est-à-dire le rapport de la pensée à
la culture dans la tâche actuelle de «   penser autrement   », conduit plutôt à la
recherche des lignes de contingence et d’arbitraire sur lesquelles une résistance aux
dispositifs de savoir-pouvoir devient possible. Autrement dit, la «   critique
pratique » vise à dégager du procès nécessaire par lequel la norme se déploie à
travers ses effets en les intégrant à son propre processus les limites non nécessaires
au niveau desquelles un franchissement permet d’échapper à la nécessité de la
norme.
9 C’est dans cette perspective que prend sens le détour par le Was ist Aufklärung ?
de Kant. On a pu montrer, à propos d’un cours au Collège de France de 1983
consacré à ce même texte, les distorsions que l’analyse foucaldienne faisait subir à la
référence kantienne. Dans l’article de 1984, en revanche, cette référence prend une
fonction centrale et éclaire la manière dont Foucault déplace le programme

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transcendantal plus qu’il ne le supprime. Il ne s’agit plus de définir ce qu’il est


impossible de faire ou de connaître en vertu de limites absolument nécessaires et
universelles, mais de définir les conditions sous lesquelles on peut agir et penser
autrement en vertu de limites contingentes, singulières et franchissables. Si l’enjeu
de l’ontologie historique diffère du programme transcendantal, c’est en en
reprenant néanmoins le concept de limite : sous la forme d’une limitation nécessaire
ou sous la forme du franchissement possible, la limite conserve le sens d’une
condition de possibilité. C’est la détermination d’une telle condition de possibilité
que doit permettre la distinction, au sein des dispositifs qui nous constituent
comme sujets de nos rapports de pouvoir, de nos rapports de savoir et de nos
rapports éthiques, de ce qui est nécessaire et de ce qui est contingent. Et si les
procès dans lesquels nous nous sommes constitués historiquement comme sujets de
pouvoir, de savoir et éthiques, déterminent la situation actuelle (ce que nous
sommes, faisons, pensons, disons, aujourd’hui) comme un état de fait ou un donné,
il s’agit moins de dégager la positivité de celui-ci, selon la naturalité et la nécessité
du processus d’auto-constitution et de diffusion des normes dans le champ de la
praxis sociale, que son caractère arbitraire, en vertu duquel un changement devient
possible.
10 À s’en tenir là, cette possibilité resterait une possibilité simplement logique,
déterminée négativement par rapport à la pleine positivité et nécessité du procès
des normes; c’est pourquoi Foucault doit définir les conditions sous lesquelles cette
possibilité se réalise, prend la consistance d’une «résistance» effective. C’est le jeu
stratégique inhérent aux dispositifs technologiques de normes qui permet la
détermination, non pas seulement logique mais physique, du possible, sous la forme
de « points de résistance mobiles et transitoires » présents « partout dans le réseau
du pouvoir »18. C’est « (...) la liberté avec laquelle [les hommes] agissent dans ces
systèmes pratiques [les dispositifs définis par ‘les formes de rationalité qui
organisent les manières de faire’, le ‘versant technologique’ des pratiques],
réagissant à ce que font les autres, modifiant jusqu’à un certain point les règles du
jeu (ce qu’on pourrait appeler le versant stratégique de ces pratiques) »19, qui donne
consistance et réalité au possible, non pas la nécessité et positivité des dispositifs
pratiques eux-mêmes. Cependant, toute la question du changement même, de
l’effectivité du devenir, demeure. Si les conditions de possibilité du changement
sont remplies par la détermination stratégique de la résistance, reste inexpliqué le
phénomène même de la mutation, c’est-à-dire la manière dont la résistance elle-
même s’actualise de manière immanente en posant de nouvelles normes. Dans cette
mesure, les dispositifs de normes de savoir et de pouvoir conservant leur primauté
axiologique, il est difficile de comprendre la nécessité du devenir lui-même, la
positivité du « penser autrement »20.
11 La lecture proposée par P. Macherey du « principe d’immanence » de la norme
ouvre une autre perspective pratique pour la pensée de la culture, que celle
développée par Foucault dans l’article sur lequel nous nous sommes appuyés
jusqu’ici. En convoquant un article consacré à Georges Canguilhem21 où Foucault
ressaisit le rapport établi par celui-ci (contre Bergson) entre le concept et la vie,
P. Macherey commente :

« Élaborer des normes de savoir, c’est-à-dire former des concepts, en rapport


avec des normes de pouvoir, c’est s’engager dans un processus qui engendre
lui-même, au fur et à mesure qu’il se déroule, les conditions qui l’avèrent et le
rendent efficace : la nécessité de cette élaboration ne se rapporte à rien d’autre

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qu’à ce que, déjà, Pascal appelait d’une formule stupéfiante la ‘force de la


vie’... »22

12 Il est à noter que Foucault, dans son article sur Le Normal et le pathologique, ne
fait guère mention d’une des thèses centrales développées par Canguilhem, à
laquelle semble pourtant se référer P.   Macherey en rappelant l’expression
pascalienne de « force de la vie » : la thèse de la normativité vitale. Par le concept de
normativité vitale, Canguilhem définit le dynamisme de la vie immanent au vivant
comme création de valeurs, position de nouvelles normes. En vertu de ce
dynamisme, les normes actuelles relèvent d’une puissance (valorisation) qui est
elle-même un acte (position de normes selon une détermination de valeur) et qui
préside à leur constitution. C’est à partir de cette normativité vitale, comme position
de norme, que le vivant s’individualise, et que le milieu est constitué
corrélativement par l’individu vivant. La création de nouvelles normes est alors
aussi bien création de nouvelles possibilités d’existence, ou pour reprendre le mot
de Nietzsche, de nouveaux « modes d’existence ». Mais ces possibilités ne sont plus
comprises à partir de la nécessité des dispositifs actuels de normes dont elles
constitueraient les failles ou les lignes de contingence   ; elles ont elles-mêmes la
positivité de la puissance de vie qu’elles expriment et qu’elles effectuent. Qu’apporte
la thèse canguilhemienne de la normativité vitale à la position du problème de la
culture ? En quoi la compréhension du processus de production par les normes de
ses objets, et d’auto-constitution des normes à travers l’histoire de son effectuation,
se trouve-t-elle renouvelée dès lors que l’on rapporte ce processus à une « force de
la vie », à une puissance de création des valeurs et des normes qui doit désormais en
assumer la positivité et la nécessité ?
13 Deux risques apparaissent ici. En soulignant la nécessité de comprendre
l’intrication dans un même processus, d’une part, de la production par les normes
des objets qui en constituent le champ d’application, et d’autre part, de l’auto-
production des normes elles-mêmes dans cette activité, P. Macherey nous prévient
du risque d’essentialiser cette productivité normative dans une « force vitale dont le
‘pouvoir’ préexisterait à l’ensemble des effets qu’il produit », dans «une obscure
puissance qui détiendrait dans son ordre, à l’état virtuel, le système de tous leurs
effets possibles»23. Ce risque pèse lourdement sur le projet d’une philosophie
vitaliste de la culture tel que nous l’avons esquissé, puisqu’une telle force vitale
essentialisée réoccuperait la place du logos, de l’Esprit ou du sens originaire
destitués, sans pouvoir rendre compte pour autant du devenir ou de la mutation des
cultures. À ce risque essentialiste répond une alternative tout aussi insatisfaisante,
qui consisterait à faire de cette force vitale le lieu d’un pouvoir de normativité
purement arbitraire. Il faut donc penser la normativité vitale elle-même dans son
immanence aux normes, comme processus d’auto-constitution des normes dans les
effets qu’elles produisent.
14 Or c’est bien cette difficulté que Gilles Deleuze résout selon une orientation
spinoziste, en rapportant les formes socioculturelles à un unique plan de réalité
pour l’intégralité des phénomènes, et les dispositifs de savoir-pouvoir à une
puissance vitale (conatus) univoque qui produit ses objets comme ses effets, et qui
s’auto-produit dans le processus de son effectuation selon la nécessité même de ce
processus. Ce que Deleuze appelle désir n’est pas une instance mentale déterminée
de manière interne au sujet désirant, selon une structure ou une économie
pulsionnelle du psychisme, mais le processus même de l’auto-production du réel
comme Nature. La Nature ne renvoie pas à « un pôle spécifique de la nature »24 par

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opposition à l’industrie ou de manière plus générale à la culture, ni à une « réalité


naturelle » par opposition à une « réalité spirituelle »25. Elle est «la nature comme
processus de production   »26. Deleuze et Guattari se réfèrent, pour cette idée, à
Marx : « rappelons-nous l’avertissement de Marx : on ne devine pas au goût du
froment qui l’a cultivé, on ne devine pas au produit le régime et les rapports de
production   »27, de sorte que les formes sociales et culturelles doivent être
rapportées au « processus matériel de production », c’est-à-dire à la production
désirante du social en son dynamisme immanent : la Nature comme processus. Le
concept de processus est expliqué en ce sens   : d’une part, le processus est
production, il implique une « production primaire » dont dérivent toutes les autres
dimensions économiques, tant au niveau psychique qu’au niveau social (production,
enregistrement, consommation sont des modalités différenciées de la production
primaire); d’autre part, le processus implique une identité du produit et du
produire, de la production et de ses effets, ou comme l’écrivent encore Deleuze et
Guattari, « une indifférence du produire et du produit », en vertu de « la règle » de
la production primaire : « produire toujours du produire, greffer du produire sur le
produit   »28. De sorte que la Nature comme processus annule aussi bien la
distinction homme-nature, ou la distinction corrélative culture-nature :

« L’essence humaine de la nature et l’essence naturelle de l’homme


s’identifient dans la nature comme production ou industrie, c’est-à-dire aussi
bien dans la vie générique de l’homme. L’industrie n’est plus prise alors dans
un rapport extrinsèque d’utilité, mais dans son identité fondamentale avec la
nature comme production de l’homme par l’homme. Non pas l’homme en tant
que roi de la création (...) : homme et nature ne sont pas comme deux termes
l’un en face de l’autre, même pris dans un rapport de causation, de
compréhension ou d’expression (cause-effet, sujet-objet, etc.), mais une seule
et même réalité essentielle du producteur et du produit. La production comme
processus déborde toutes les catégories idéales et forme un cycle qui se
rapporte au désir en tant que principe immanent. »29

15 Mais à travers l’Homo natura, « non pas l’homme en tant que roi de la création »
ou « empire dans un empire », c’est bien l’ontologie spinoziste qui commande la
compréhension deleuzienne du désir, « unité de l’histoire et de la nature, de l’Homo
natura et de l’Homo historia »30. Et de la même manière que Spinoza refusait de
fonder une éthique et une philosophie politique sur une essence humaine, le désir,
comme auto-production du réel sur un unique plan d’immanence Nature, exclut la
possibilité de fonder la philosophie de la culture dans une anthropologie. C’est là le
sens de la naturalisation de la culture, selon laquelle les mêmes dynamismes
traversent tous les plans du réel, matériels et psychiques, naturels (au sens
restreint) et sociaux, la même puissance vitale s’auto-produisant dans la production
même du réel. Or cette naturalisation implique chez Deleuze une requalification du
problème de la culture, par rapport à l’ontologie historique, critique et pratique, de
Foucault.

III. La naturalisation de la culture :


désir et détermination vitaliste des
champs socio-culturels

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16 C’est en effet dans des notes rédigées à l’attention de Foucault que Deleuze est
amené à préciser le sens de cette auto-production du désir dans les productions
désirantes que sont les « agencements », et que l’on peut pour l’instant identifier
aux dispositifs de savoir-pouvoir foucaldiens (nous verrons que le concept
d’agencement recouvre en fait une réalité plus large, du fait précisément de son
rapport au «principe d’immanence» du désir) :

« Pour moi, agencement de désir marque que le désir n’est jamais une
détermination ‘naturelle’, ni ‘spontanée’. Par exemple la féodalité est un
agencement qui met en jeu de nouveaux rapports avec l’animal (le cheval),
avec la terre, avec la déterritorialisation (la course du chevalier, la Croisade),
avec les femmes (l’amour chevaleresque)... etc. Des agencements tout à fait
fous, mais toujours historiquement assignables. Je dirais pour mon compte
que le désir circule dans cet agencement hétérogène, dans cette espèce de
‘symbiose’ : le désir ne fait qu’un avec un agencement déterminé, un co-
fonctionnement. (...) [Le] désir ne comporte aucun manque ; ce n’est pas une
donnée naturelle; il ne fait qu’un avec un agencement d’hétérogènes qui
fonctionne ; il est processus, contrairement à structure ou genèse ; il est affect,
contrairement à sentiment ; il est ‘haecceité’ (individualité d’une journée,
d’une saison, d’une vie), contrairement à subjectivité ; il est événement,
contrairement à chose ou personne .»31

17 Par l’exemple donné dans ce texte, on voit que le désir ne répond ni à la


détermination qu’en propose la psychanalyse, ni à la critique qu’en fait Foucault
dans La Volonté de savoir. Dans ce texte, en effet, Foucault critique la
compréhension psychanalytique du rapport entre désir et pouvoir, en soulignant la
continuité dont elle témoigne par rapport à « l’hypothèse répressive » dans « la
manière de comprendre le pouvoir »32. En faisant de la loi l’instance « constitutive
du désir et du manque qui l’instaure », la psychanalyse ne sort pas, selon Foucault,
du paradigme « juridico-discursif » d’une norme qui, bien que constitutive, reste
elle-même transcendante à ses effets.
18 Or tel n’est plus le cas chez Deleuze, dont la thèse principale soutenue dans
L’Anti-Oedipe affirme précisément que le désir comme Nature, identité du
processus de production de l’homme et de la nature sur un unique plan
d’immanence, n’est pas une «énergie sauvage» et originaire qui serait après coup
réprimée par les pouvoirs propres à telle formation socio-culturelle; mais il n’est pas
plus la résultante, un simple produit de ces pouvoirs qui lui préexisteraient, au
moins logiquement. P. Macherey proposait, à partir des analyses de La Volonté de
savoir, de voir dans le geste hobbesien, qui consiste à marquer le passage d’un état
de nature poussé à des contradictions mortelles, à un état social imposant sous la
forme de lois des normes chargées de « protéger les hommes contre eux-mêmes »,
«   comme l’anticipation, à l’époque classique, d’une sorte de psychanalyse du
pouvoir   »33   ; à l’inverse, ne peut-on pas voir dans la rupture spinoziste comme
l’anticipation d’une schizo-analyse du pouvoir ? Dans la société, c’est toujours le
désir qui agence, agit et est agi ; la naturalité du désir signifie précisément, dans la
perspective vitaliste, l’immanence de la puissance de vie, conatus, à tous ses effets –
psychiques, techniques, linguistiques, artistiques, économiques... –, et son auto-
constitution dans les agencements qu’elle constitue. C’est en ce sens que Deleuze et
Guattari trouvent chez Reich, et contre Freud, le prolongement d’une interrogation
spinoziste :

« La production sociale est uniquement la production désirante elle-même


dans des conditions déterminées. Nous disons que le champ social est

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immédiatement parcouru par le désir, qu’il en est le produit historiquement


déterminé, et que la libido n’a besoin de nulle médiation ni sublimation, nulle
opération psychique, nulle transformation, pour investir les forces productives
et les rapports de production. Il n’y a que du désir et du social, et rien d’autre.
Même les formes les plus répressives et les plus mortifères de la reproduction
sociale sont produites par le désir, dans l’organisation qui en découle sous
telle ou telle condition que nous devrons analyser. C’est pourquoi le problème
fondamental de la philosophie politique reste celui que Spinoza sut poser (et
que Reich a redécouvert) : ‘Pourquoi les hommes combattent-ils pour leur
servitude comme s’il s’agissait de leur salut ? »34

19 Cependant, sous une commune critique du dispositif psychanalytique et du


diagramme de pouvoir qu’il effectue, la problématisation deleuzienne de la culture
implique un déplacement important par rapport à la perspective foucaldienne. En
rapportant toutes les productions culturelles, et les dispositifs de pouvoir et de
savoir eux-mêmes, à cette puissance constituante qu’est le désir en tant qu’il
agence, Deleuze est conduit à ne voir dans les « dispositifs » qu’une des dimensions
des agencements de désir. Si les normes ne sont pas une donnée première que le
désir, « toujours déjà piégé », investirait en second lieu (étant lui-même produit par
cet investissement), le désir comme normativité vitale ou volonté de puissance,
naturant-naturé, agençant-agencé, s’auto-produit dans l’intégralité des productions
culturelles, matérielles et spirituelles, de sorte qu’il est inhérent non seulement aux
dispositifs d’assujettissement, mais aussi aux agencements qui creusent dans ces
dispositifs des « lignes de fuite ». Deleuze marque clairement cette divergence avec
Foucault, dans les Notes de 1977 déjà citées, à propos du statut que prend chez lui la
résistance :

« Je ne cesse pas de suivre Michel sur un point qui me paraît fondamental : ni
idéologie ni répression – par exemple, les énoncés ou plutôt les énonciations
n’ont rien à voir avec de l’idéologie. Les agencements de désir n’ont rien à voir
avec de la répression. Mais évidemment, pour les dispositifs de pouvoir, je n’ai
pas la fermeté de Michel, je tombe dans le vague, vu le statut ambigu qu’ils ont
pour moi : dans S. et P., Michel dit qu’ils normalisent et disciplinent ; je dirais
qu’ils codent et reterritorialisent (je suppose que, là aussi, il y a autre chose
qu’une distinction de mots). Mais vu mon primat du désir sur le pouvoir, ou le
caractère second que prennent pour moi les dispositifs de pouvoir, leurs
opérations gardent un effet répressif, puisqu’ils écrasent non pas le désir
comme donnée naturelle, mais les pointes des agencements de désir. (...) J’ai
donc besoin d’un certain concept de répression non pas au sens où la
répression porterait sur une spontanéité, mais où les agencements collectifs
auraient beaucoup de dimensions, et que les dispositifs de pouvoir ne seraient
qu’une de ces dimensions. »35

20 À travers le problème du statut de la répression chez Foucault et chez Deleuze,


apparaît la divergence qui les sépare quant à la production des normes dans un
champ socio-culturel donné. Alors que cette production est saisie, chez Foucault, à
travers la formation historique de dispositifs de savoir et de pouvoir, elle est
rapportée, chez Deleuze, à l’activité immanente du désir comme agencement – et
cette activité n’est pas moins processus que les formations des dispositifs de
pouvoir, même si, nous le verrons, elle engage un autre type de temporalité. Les
agencements sont bien «   historiquement assignables   » chez Deleuze; et c’est
pourquoi celui-ci reconnaît dans la démarche archéologique de Foucault la méthode
propre à subordonner l’analyse historique au programme généalogique d’un
diagnostic de l’actuel, lui-même finalisé par le problème de «penser autrement».

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Mais les agencements de désir, dans la perspective deleuzienne, sont déterminants


dans le champ social, moins en vertu de leur formation historique, du processus
historique dont ils sont le résultat actuel, que pour la puissance qui s’exprime et
s’effectue dans ce processus, agit et est agie en lui, et pour les nouveaux
agencements qui s’y esquissent (« ligne de fuite »). Le « primat du désir » signifie le
primat de la normativité vitale sur les normes constituées, du processus
d’agencement sur les dispositifs de savoir-pouvoir, de la création de valeurs sur le
système de jugement qui s’en empare.
21 C’est dans cette divergence qu’apparaît clairement le sens du vitalisme
revendiqué par Deleuze, et tel que nous l’avons brièvement défini à partir de
Canguilhem : la position vitaliste du problème de la culture implique non seulement
de reconduire les dispositifs de normes de pouvoir et de savoir à leur processus
immanent de production, mais aussi de conférer un primat à la valorisation active à
l’œuvre dans ce processus, autrement dit, dans les termes de 1972, de ressaisir les
produits de la culture dans le processus de production qui les traverse et qui se
réalise en eux en y effectuant ses valeurs. Dans cette perspective, le désir, comme
«   création de valeurs nouvelles   »36, positions de nouvelles normes, est bien
« volonté de puissance »37, étant entendu que la volonté de puissance ne renvoie pas
à une essence ou à une origine, mais à une activité de détermination de valeurs au
sein d’un rapport de forces. Tel est le sens de la compréhension vitaliste du
« principe d’immanence » dans la pensée de la culture : les productions matérielles,
spirituelles, techniques et artistiques, économiques, religieuses, juridiques,
psychiques et perceptives même, doivent être analysées selon les types de valeur qui
s’en emparent, selon la «volonté de puissance» qui les constitue (immanence) et
exprime en eux sa qualité normative.
22 C’est en vertu d’un tel primat du désir que Deleuze peut déplacer le point focal du
problème de la culture et du « penser autrement ».

« Il me semble qu’une grande nouveauté encore de la théorie du pouvoir chez


Michel, ce serait : une société ne se contredit pas, ou guère. Mais sa réponse,
c’est : elle se stratégise, elle stratégise. (...) Je dirais pour mon compte : une
société, un champ social ne se contredit pas, mais ce qui est premier, c’est qu’il
fuit, il fuit d’abord de partout, ce sont les lignes de fuite qui sont premières
(même si ‘premier’ n’est pas chronologique). Loin d’être hors du champ social
ou d’en sortir, les lignes de fuite en constituent le rhizome ou la cartographie.
Les lignes de fuite sont à peu près la même chose que les mouvements de
déterritorialisation : elles n’impliquent aucun retour à la nature [compris
comme retour à une spontanéité originaire et innocente de tout rapport de
pouvoir], ce sont des pointes de déterritorialisation dans les agencements de
désir. (...) Les lignes de fuite ne sont pas forcément ‘révolutionnaires’, au
contraire, mais c’est elles que les dispositifs de pouvoir vont colmater,
ligaturer. »38

23 Foucault localise la problématique pratique (généalogie) de l’ontologie historique


sur le «versant stratégique» des pratiques; et cela se comprend par le fait que le
donné dont il part est déjà déterminé comme dispositif de pouvoir («   versant
technologique » des pratiques). Corrélativement, la manière dont une société « se
stratégise   », c’est-à-dire définit pour elle-même les modalités pratiques et
théoriques du changement, de la transformation de l’actuel (en faveur, peut-être,
d’un « penser autrement ») est comprise comme « résistance ». Pour Deleuze, au
contraire, le problème de la résistance ne se pose pas, dans la mesure précise où le
«   donné   » n’est plus seulement déterminé par un ensemble de dispositifs, mais

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comme agencement de désir, de sorte que le champ social se caractérise non plus
seulement et essentiellement par les dispositifs, mais aussi bien par les « lignes de
fuites » qui le traversent, c’est-à-dire les agencements, logiquement premiers, qui
réalisent le désir comme production primaire et puissance vitale, et que les
agencements-dispositifs ont à charge de bloquer, « boucher », « colmater ».

« La stratégie ne pourra être que seconde par rapport aux lignes de fuite, à
leurs conjugaisons, à leurs orientations, à leurs convergences ou divergences.
Là encore, je retrouve le primat du désir (...). Les lignes de fuite, les
mouvements de déterritorialisation ne me semblent pas avoir d’équivalent
chez Michel, comme déterminations collectives historiques. Pour moi, il n’y a
pas de problème d’un statut des phénomènes de résistance : puisque les lignes
de fuite sont les déterminations premières, puisque le désir agence le champ
social, ce sont plutôt les dispositifs de pouvoir qui, à la fois, se trouvent
produits par ces agencements, et les écrasent ou les colmatent. »39

24 Il ne s’agit donc plus, pour Deleuze, de comprendre les dispositifs de


normalisation selon leurs limites franchissables, leurs lignes de contingence pour
une résistance possible, mais de les reconduire au processus même de valorisation
qui les sous-tend et les constitue; les normes apparaissent alors qualitativement
différenciées, selon qu’elles permettent la position de nouvelles valeurs et de
nouvelles normes (normes à «   valeur propulsive   », selon la terminologie de
Canguilhem, définissant un équilibre dynamique ou «   métastable   », comme dit
Gilbert Simondon, en ce sens qu’elles comprennent leur propre relativité, leur
propre dépassement), ou selon qu’elles limitent ou bloquent une telle puissance
immanente de vie (normes à « valeur répulsive » pour un équilibre stable, statique,
réactif)40. À cet égard, le primat du désir sur le pouvoir, ou, plus précisément, des
agencements-lignes de fuite sur les agencements-dispositifs de pouvoir correspond
au primat méthodologique de «l’anomal» défini par Canguilhem. Celui-ci formulait
en effet, pour le vitalisme, l’importance méthodologique et épistémologique d’un tel
primat, en montrant la nécessité de penser la constitution de la norme à partir de sa
tératologie   : «   la connaissance de la vie, comme celle de la société, suppose la
priorité de l’infraction sur la régularité   »41. La création de nouvelles valeurs, le
dynamisme normatif de la vie se révèlent toujours dans un écart, une « anomalité »
qui prend certes, de fait, la forme négative d’une infraction (anormalité), d’une
transgression des normes instituées, mais qui renvoie plus fondamentalement à un
devenir autre qui n’est pas une négativité mais l’affirmation positive d’une
« puissance de vie immanente au vivant », puissance de faire « craquer les normes »
actuelles et « d’en instituer de nouvelles », c’est-à-dire de devenir autre en inventant
de « nouvelles allures de vie »,de « nouveaux modes d’existence ».
25 Avant de préciser ces concepts de devenir et de mode d’existence, il nous faut
résoudre le second problème soulevé précédemment, quant à l’orientation vitaliste
telle que nous l’avons présentée jusqu’ici : quel contenu donner à cette création de
nouvelles allures de vie, de nouvelles possibilités d’existence ? Quel en est le rapport
avec les concepts de production et de processus que nous avons privilégiés
jusqu’ici ? Il est évident que la naturalité du processus du désir invalide par avance
l’idée d’une création qui réintroduirait une spontanéité et comme une libre initiative
dans la nécessité de la production primaire. Mais si le partage entre, d’une part, les
lignes de fuite sur lesquelles se créent de nouvelles valeurs, s’inventent de nouveaux
rapports individuels et collectifs au corps, au langage, à l’art, à la technique, etc., et
d’autre part, les dispositifs qui s’en emparent et les tournent au service des pouvoirs

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de domestication et d’assujettissement, ne se fait plus désormais selon le nécessaire


ou le contingent mais en vertu seulement du devenir que les agencements de désir
réalisent (« lignes de fuite ») ou empêchent (« dispositifs »), comment comprendre
la nécessité de la création de nouvelles allures de vie, l’articulation de la puissance
créatrice de la vie au processus immanent du désir?

IV. Position vitaliste du problème de la


culture : problèmes vitaux et créations
d’allures de vie
26 «   Le désir est toujours agencé, et il est ce que l’agencement le détermine à
être. »42 Le désir agencé, c’est le mode sous lequel le désir s’actualise ou réalise sa
condition. Mais la condition elle-même, c’est ce que Deleuze appelle «   machine
abstraite », qu’il rapproche du concept de «diagramme» élaboré par Foucault dans
Surveiller et punir. La machine abstraite est un «   champ de forces   »43, une
répartition de rapports de forces déterminant des modes singuliers d’être affecté
(«matière non-formée» de la force) et d’affecter («fonction non-formalisée» de la
force) :

« Ainsi ‘Surveiller et punir’ définit le Panoptique par la pure fonction


d’imposer une tâche ou une conduite quelconques à une multiplicité
d’individus quelconque, sous la seule condition que la multiplicité soit peu
nombreuse, et l’espace limité, peu étendu. On ne considère ni les formes qui
donnent des buts et des moyens à la fonction (éduquer, soigner, châtier, faire
produire), ni les substances formées sur lesquelles portent la fonction
(‘prisonniers, malades, écoliers, fous, ouvriers, soldats...’). Et en effet le
Panoptique, à la fin du XVIIIe siècle traverse toutes ces formes et s’applique à
toutes ces substances : c’est en ce sens qu’il est une catégorie de pouvoir, pure
fonction disciplinaire. »44

27 Cependant, par le concept de «   machine abstraite   », Deleuze fait subir un


déplacement notable au concept foucaldien de «  diagramme  ». En soulignant le
prolongement de ce concept dans les analyses de La Volonté de savoir sur la
stratégie et les points de résistance, Deleuze fait du «   milieu stratégique   » que
détermine le diagramme un espace d’extériorité par rapport aux dispositifs, leur
« dehors ». C’est dans cette mesure que Deleuze peut voir dans les dispositifs une
dimension seconde du champ social, sous laquelle les rapports de forces sont
organisés, intégrés et différenciés selon des formes et des fonctions, et qu’il peut
corrélativement donner à ces rapports «   non-stratifiés   » la primauté
épistémologique qu’imposent l’ontologie vitaliste et la logique des forces. Certes, il
peut trouver dans « l’extériorité sauvage » mentionnée dans L’Ordre du discours à
propos de la biologie de Mendel, la confirmation de sa lecture du diagramme ; mais
c’est en minimisant cependant le caractère indissociable chez Foucault de la
stratégie et de la technologie, de la résistance et des dispositifs de normes qui lui
donnent sa consistance, les dispositifs étant axiologiquement premiers, et la
stratégie ne définissant pas un dehors absolument non normé mais plutôt un espace
de jeu interne aux normes permettant dans une certaine mesure de «   piéger sa
propre culture. »

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28 Les déplacements qu’opère Deleuze dans le réseau conceptuel de Foucault


permettent de ressaisir le statut de cette puissance de vie qu’est le désir. Sous la
double orientation qui préside à la lecture deleuzienne de Foucault, articulant le
« profond nietzschéisme » de la théorie des forces à un kantisme renouvelé, le désir,
loin d’être un pur indéterminé, apparaît comme le processus de synthèse de sa
condition (machine abstraite ou « catégorie de pouvoir ») et de lui-même en tant
que conditionné ou agencé. Le processus désirant est dans cette mesure processus
de schématisation, production schématisante du réel. Mais ce processus synthétique
est immanent en ce sens que la condition s’actualise dans le conditionné lui-même ;
c’est pourquoi Deleuze souligne que « les conditions ne sont pas plus générales ou
constantes que le conditionné   »45. Il n’est pas l’application particularisante de
l’universel abstrait dans le sensible, mais l’actualisation d’un universel concret dans
un agencement singulier qui en incarne les valeurs. Le désir comme processus
primaire est donc le mouvement réel de la détermination, et est dit « transcendantal
et matériel   » en ce sens   : il s’engendre lui-même en produisant à la fois les
conditions de sa propre production (machine abstraite déterminant un champ
transcendantal ou plan d’immanence) et de lui-même comme conditionné
(agencements déterminés).
29 Pour bien comprendre le statut de cette schématisation, son sens vital, il faut
expliciter la nature de la condition, et la requalification qu’elle impose de la
synthèse :

« Les conditions ne sont jamais plus générales que le conditionné, et valent


par leur propre singularité historique. Aussi les conditions ne sont-elle pas
‘apodictiques’, mais problématiques. Étant des conditions, elles ne varient pas
historiquement; mais elles varient avec l’histoire. Ce qu’elles présentent en
effet, c’est la manière dont le problème se pose dans telle formation
historique. »46

30 Deleuze se réfère ici au concept de « problématisation » auquel Foucault donne


toute son importance à partir de L’Usage des plaisirs, et qu’il applique
rétrospectivement à ses ouvrages antérieurs47  ; mais le « problématique » comme
état de système, qualifiant un «champ ontologique autant que social»48 dans lequel
se répartissent des rapports différentiels de forces et des singularités ou affects,
renvoie plus précisément à l’ontogenèse élaborée par Gilbert Simondon dans
L’Individu et sa genèse physico-biologique. Le problématique définit alors un état
de système tendu ou « sursaturé », « incompatible avec lui-même » et chargé d’une
énergie potentielle qui constitue la puissance de transformation de ce système.
Selon un tel état de système, « l’être ne se réduit pas à ce qu’il est ; il est accumulé
en lui-même, potentialisé. Il existe comme être et aussi comme énergie; l’être est à
la fois structure et énergie (...)   ; à chaque structure correspond un certain état
énergétique qui peut apparaître dans les transformations ultérieures et qui fait
partie de la métastabilité de l’être.»49 La théorie simondonienne du problématique
et de l’énergie potentielle permet de préciser la manière dont se détermine le champ
de forces à l’horizon du champ social, autrement dit, la manière dont se déterminent
les conditions de sa mutation   : un champ social se problématise par la
détermination des rapports différentiels de forces sous forme de « potentiels » qui
correspondent aux valeurs de ces rapports. Ce procès d’autodétermination du
champ de forces problématique, « ontologique autant que social », a donc sa propre
nécessité; la modalité du nécessaire ne qualifie plus les dispositifs de normes
historiquement déterminés, mais la détermination objective et complète de ces

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potentialités, qui constituent ainsi les puissances réelles de mutation du champ


social, la nécessité de son devenir. Et le déplacement terminologique, de la stratégie
au problématique, exprime précisément la priorité logique et ontologique de ces
puissances de devenir complètement déterminées, parrapport aux intégrations
auxquelles les soumettent les dispositifs :

« C’est bien en ce sens que le diagramme se distingue des strates : seule la


formation stratifiée lui donne une stabilité qu’il n’a pas par lui-même, en lui-
même il est instable, agité, brassé. C’est le caractère paradoxal de l’a-priori,
une micro-agitation. C’est que les forces en rapport sont inséparables des
variations de leurs distances ou de leurs rapports. Bref, les forces sont en
perpétuel devenir, il y a un devenir des forces qui double l’histoire, ou plutôt
l’enveloppe, suivant une conception nietzschéenne. Si bien que le diagramme,
qui expose un ensemble de rapports de forces, n’est pas un lieu, mais plutôt un
‘non-lieu’ : ce n’est un lieu que pour les mutations. Soudain, les choses ne sont
plus perçues, ni les propositions énoncées de la même façon... Sans doute le
diagramme communique-t-il avec la formation stratifiée qui le stabilise ou le
fixe, mais suivant un autre axe, il communique aussi avec l’autre diagramme,
les autres états instables de diagramme, à travers lesquels les forces
poursuivent leur devenir mutant. C’est pourquoi le diagramme est toujours le
dehors des strates. »50

31 La manière dont un champ social se problématise définit les potentialités qui


débordent de toute part telle formation historique, les virtualités ou puissances de
devenir qui excèdent ses dispositifs de savoir-pouvoir actuels. Dans cette mesure, le
concept deleuzien de devenir requiert que soient désolidarisées la question de la
formation des cultures et celle de leur mutation. Si la formation d’une culture
appelle bien une élucidation archéologique des procès historiques constitutifs de ses
rationalités et de ses normes, et si la question de sa mutation doit certes être
contextualisée selon des agencements historiquement assignables (il va de soi que la
mutation et la formation d’une culture sont deux phénomènes liés, ce qui
n’empêche pas leur distinction réelle ou de nature), on ne peut cependant rendre
compte de la mutation en tant que telle par cette seule détermination historique. La
mutation de la culture implique la puissance positive de nouvelles forces, de
nouveaux rapports de forces qui surviennent dans le champ social et l’engage dans
une temporalité spécifique que Deleuze comprend précisément sous le concept de
devenir. Elle ne peut donc être comprise que comme surgissement d’une
« différence pure » au sein d’une forme culturelle. Cette différence est pure au sens
où elle ne se définit pas par cette forme ou identité culturelle, selon un rapport de
simple altérité, d’opposition ou de contradiction (rapport dont le concept de
résistance reste peut-être encore trop proche). Une culture se transforme, non parce
que quelque chose en elle se contredit, ou bien s’épuise et finit, mais parce que de
nouvelles forces, de nouveaux rapports dans les productions spirituelles et
matérielles du champ social surviennent, imposant dans sa pleine nécessité la
création de nouvelles valeurs.
32 La vie des cultures engage une temporalité propre à leur transformation, qui n’est
pas le temps historique des formes culturelles, la temporalité génétique de
développement d’une Forme, ou à l’inverse de recouvrement d’un sens déjà donné.
Le devenir, c’est précisément ce temps non historique propre à la différence
créatrice, à la mutation elle-même comme événement.

« Il se peut que rien ne change dans l’histoire, mais tout change dans
l’événement, et nous changeons dans l’événement : ‘Il n’y a rien eu. Et un

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problème dont on ne voyait pas la fin, un problème sans issue... tout d’un coup
n’existe plus et on se demande de quoi on parlait’ ; il est passé dans d’autres
problèmes ; ‘il n’y a rien eu et on est dans un nouveau peuple, dans un
nouveau monde, dans un nouvel homme’. Ce n’est plus de l’historique et ce
n’est pas de l’éternel, disait Péguy, c’est de l’Internel (...) Et n’est-ce pas
quelque chose de semblable qu’un penseur loin de Péguy avait désigné du
nom d’Intempestif ou d’Inactuel : la nuée non-historique qui n’a rien à voir
avec l’éternel, le devenir sans lequel rien ne se ferait dans l’histoire, mais qui
ne se confond pas avec elle. Par-dessous les Grecs et les États, il lance un
peuple, une terre, comme la flèche et le disque d’un nouveau monde qui n’en
finit pas, toujours en train de se faire : ‘agir contre le temps, et ainsi sur le
temps, en faveur (je l’espère) d’un temps à venir’ (...) – mais l’avenir n’est pas
un futur de l’histoire, même utopique, c’est l’infini Maintenant, le Nûn que
Platon déjà distinguait de tout présent, l’Intensif ou l’Intempestif, non pas un
instant, mais un devenir. »51

33 Le devenir n’est pas la temporalité historique de l’archéologie critique, mais


plutôt la temporalité propre au «   changement   » ou à la «   transformation   » qui
finalisait l’ontologie historique de Foucault, le temps de «   l’Actuel », dans sa
différence avec le présent : « le nouveau, l’intéressant, c’est l’actuel. L’actuel n’est
pas ce que nous sommes, mais plutôt ce que nous devenons, ce que nous sommes en
train de devenir, c’est-à-dire l’Autre, notre devenir-autre. Le présent, au contraire,
c’est ce que nous sommes et, par là même, ce que nous cessons déjà d’être. »52 Le
présent est une dimension historique qui, comme telle, se définit relativement aux
autres dimensions de l’histoire, le passé et le futur : ces trois dimensions sont les
coordonnées du temps historique. Mais le devenir n’est pas une coordonnée du
temps, mais le mouvement même, un mouvement qui ne se subordonne plus le
temps, mais en épouse la durée concrète. S’il y a un recouvrement du présent et du
devenir, leur distinction n’en est pas moins réelle, en ce sens que « aujourd’hui
encore l’histoire désigne seulement l’ensemble des conditions, si récentes qu’elles
soient [dans la dimension du présent], dont on se détourne pour devenir, c’est-
à-dire pour créer quelque chose de nouveau   »53. Ces conditions historiques
purement négatives, ce sont celles analysées par l’archéologie foucaldienne; elles
répondent à une nécessité extrinsèque, ou, pour reprendre la terminologie
spinoziste, à une «   causalité inadéquate   », non pas par rapport à une essence
individuelle mais par rapport à une puissance de devenir complètement déterminée
et cependant problématique, appelant une création résolutrice capable d’actualiser
ce devenir54. Le devenir, c’est ce que Foucault désignait dans L’Archéologie du
savoir comme « la bordure du temps qui entoure notre présent »55. C’est bien cet
aspect que Deleuze retient de la lecture foucaldienne de Kant :

« Lorsque Foucault admire Kant d’avoir posé le problème de la philosophie


non pas par rapport à l’éternel mais par rapport au Maintenant, il veut dire
que la philosophie n’a pas pour objet de contempler l’éternel, ni de réfléchir
sur l’histoire, mais de diagnostiquer nos devenirs actuels : un devenir-
révolutionnaire qui, selon Kant lui-même, ne se confond pas avec le passé, le
présent ni l’avenir des révolutions. Un devenir-démocratique qui ne se
confond pas avec ce que sont les États de droit (...) Diagnostiquer les devenirs
dans chaque présent qui passe, c’est ce que Nietzsche assignait au philosophe
comme médecin, ‘médecin de la civilisation’ ou inventeur de nouveaux modes
d’existence immanents. »

34 Ainsi le devenir est la temporalité de «   l’actuel   », où Deleuze retrouve


l’inactualité, l’intempestivité nietzschéenne d’une nuée non historique,

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« atmosphère ambiante où seule peut s’engendrer la vie, qui disparaît de nouveau


quand cette atmosphère s’anéantit »56, ce milieu qui, loin d’imposer unilatéralement
au vivant ses déterminismes, devient l’élément dans lequel la vie déploie sa « force
plastique », « force qui permet [à un homme, un peuple, une civilisation] de se
développer hors de soi-même, d’une façon qui vous est propre, de transformer et
d’incorporer les choses passées ou étrangères, de guérir des blessures, de remplacer
ce qui est perdu, de refaire par soi-même des formes brisées », en somme, de créer
de nouvelles formes et de nouvelles valeurs pour des possibilités d’existence
inédites. C’est pourquoi le concept de devenir renvoie moins à l’histoire qu’à une
géographie, une « géo-philosophie » et aux « puissances d’un milieu ». Il y a là un
déplacement à la fois méthodologique et conceptuel. Certes, Deleuze reconnaît la
valeur de l’archéologie foucaldienne, dont Foucault définissait ainsi la fonction  :
« Le généalogiste a besoin de l’histoire pour conjurer la chimère de l’origine, un peu
comme le bon philosophe a besoin du médecin pour conjurer l’ombre de l’âme. »57
C’est cependant cette même fonction qu’il attribue désormais à la géo-philosophie : « Elle
arrache l’histoire au culte de la nécessité pour faire valoir l’irréductibilité de la
contingence. Elle l’arrache au culte des origines pour affirmer la puissance d’un ‘milieu’
(ce que la philosophie trouve chez les Grecs, disait Nietzsche, ce n’est pas une origine,
mais un milieu, une ambiance, une atmosphère ambiante...) »58. Ce changement de
modèle méthodologique prend sens au regard du déplacement du point de départ
de la pensée de la culture : non pas les dispositifs de pouvoir et leurs formations
historiques, mais la puissance de vie («   primat du désir   ») et son rapport à un
« champ de forces », atmosphère ambiante où s’élaborent les conditions du devenir.
Canguilhem déjà avait construit son concept de normativité vitale dans la relation
problématique du vivant à son milieu, étant compris que le milieu ne renvoie pas à
un déterminisme extérieur à l’individu vivant mais est constitué par le vivant qui le
polarise selon des valeurs et des normes. Canguilhem donnait d’ailleurs, dans ce
cadre, une grande importance à l’éthologie animale, et à la géographie physique et
humaine (cf. « Le vivant et son milieu »). On s’explique par là aussi l’importance de
ces disciplines pour la pensée deleuzienne (les travaux de von Uexküll notamment
sont une référence commune à Deleuze et Canguilhem). Les puissances de devenir,
les potentiels comme déterminations d’un champ de forces sont les puissances d’un
milieu ; de sorte que la création de nouvelles allures de vie a rapport avant tout à
l’expérimentation de telles puissances, le devenir en étant la temporalité propre,
irréductible au temps historique.
35 Toute la question reste alors de savoir sous quelles modalités s’opère cette
création de nouvelles possibilités d’existence et de pensée (comment s’engendre le
« penser autrement » dans la pensée), et comment ce devenir actif et créateur peut
s’articuler à la nécessité du mouvement d’autodétermination du champ de forces
problématique dégagée précédemment.

« Nous attendons les forces capables de faire de la pensée quelque chose


d’actif, d’absolument actif, la puissance d’en faire une affirmation (...) il faut
qu’une puissance la force à penser, la jette dans un devenir-actif. Une telle
contrainte, un tel dressage est ce que Nietzsche appelle ‘Culture’ (...) Elle
exprime la violence des forces, qui s’emparent de la pensée pour en faire
quelque chose d’actif, d’affirmatif.»59

36 La création est la dimension selon laquelle la pensée s’élève à cette différence


pure ou événement en devenant active, c’est-à-dire en devenant elle-même autre
(« penser autrement ») : il ne s’agit pas «de diriger ni d’appliquer méthodiquement

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une pensée préexistante en droit, mais de faire naître ce qui n’existe pas encore (...).
Penser, c’est créer, il n’y a pas d’autre création, mais créer, c’est d’abord engendrer
‘penser’ dans la pensée.»60 Si Deleuze peut éviter de reconduire le problème du
«penser autrement» à celui d’une résistance possible, ainsi que le fait Foucault, c’est
parce qu’il conçoit les phénomènes de mutation, de transformation dans la culture,
à partir d’une puissance pleinement positive qui constitue pour la pensée son
dehors, des forces qui la forcent à penser autrement. Si la pensée de la culture est
dans un rapport intime avec une situation critique de la culture, s’il y a à
proprement parler un problème de la culture, ce n’est pas au sens où la crise
exprimerait la perte d’un Sens originaire, le dévoiement de la rationalité
occidentale, ou l’aliénation de la conscience actuelle en manque de reconnaissance
(on n’a toujours pas expliqué par là l’émergence même d’une nouvelle culture,
l’événement de la mutation) ; ce n’est pas non plus au sens où la pensée de la culture
apparaît sur les lignes de résistance d’une situation présente ou sur les points de
changement possible dans un dispositif de pouvoir partiellement contingent; c’est
au sens où la pensée se trouve prise dans un devenir, dans l’apparition, au sein
d’une forme culturelle, d’une différence qui en brise l’identité et qui ne peut être
comprise en tant que différence à partir de la formation historique de cette identité
culturelle61. Dès lors, la position vitaliste du problème de la culture engage une
nouvelle noétique, dont on peut seulement dégager ici les principaux attendus
conceptuels : il s’agit de restituer l’émergence du « penser » dans la nécessité d’un
devenir, la création d’un acte de penser qui ne peut se ramener à la conscience et à
ses corrélats subjectifs (reproduction, remémoration, recognition, reconnaissance),
une pensée elle-même créatrice d’une différence irréductible à l’identité à soi dans
l’objectivité (Raison) et dans l’histoire (Esprit). Si en effet la pensée entre en rapport
avec la culture quand elle se trouve saisie par de nouvelles «   forces réelles   »62
affectant ses rapports au corps, au langage, au savoir et au pouvoir, ces forces
mêmes brisent en tout état de cause l’intégrité de la forme synthétique d’un Je
pense, de l’identité à soi de la conscience et de ses corrélats subjectifs. Dans cette
perspective, la philosophie de la culture engage une nouvelle noétique chargée
d’établir les conditions effectives sous lesquelles la pensée, saisie par ces nouvelles
forces qui traversent la culture, travaille à son propre devenir-actif, à faire d’elle-
même une puissance créatrice de devenir, ou à faire en sorte, comme l’écrivait
Foucault à propos de Boulez, « qu’elle lui permette sans cesse de faire autre chose
que ce qu’il faisait »63.
37 Une telle noétique implique qu’une allure de vie n’a nul besoin d’être attribuée à
un sujet, une conscience ou un individu préalablement définis. C’est bien plutôt tel
mode d’existence qui préside à la production de telle subjectivité ; autrement dit, un
type de subjectivité est induit par les valeurs et les normes posées par tel ou tel
mode d’existence. Et c’est non seulement l’esprit subjectif, mais le champ entier de
la culture qui doit à présent être pensé à partir des modes d’existence qui s’y
creusent et le traversent. La culture se présente à la pensée comme un problème,
parce qu’un mode d’existence se distingue d’une forme culturelle comme la
différence pure, de l’identité dialectisée de l’identité et de la différence, de l’identité
à soi de l’esprit dans l’identité dialectique de la culture (esprit fini, subjectif et
objectif) et de la nature (différence ou négativité). Dès lors aussi, si les formations
culturelles ne sont plus pensées à partir de l’identité à soi de la conscience mais à
partir des différences créatrices qui les creusent, des puissances qui en forcent la
mutation, la nature ne peut plus être l’Autre de la culture, l’esprit hors de soi ou la

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négativité dans l’épreuve de laquelle l’esprit se ressaisit dans l’élément du sens. Elle
est au contraire l’élément de la différence pure où s’engendre chaque fois le devenir.
Elle n’est donc ni une origine ni une préhistoire mais le dynamisme immanent qui
traverse la culture, en brise les formes d’identité et de reconnaissance. C’est sur ce
plan d’immanence « Nature » que s’inventent de nouveaux modes d’existence, « que
la lutte change, se déplace, et que la vie reconstitue ses enjeux, affronte de nouveaux
obstacles, invente de nouvelles allures, modifie les adversaires »64.
38 Le « penser autrement » ne s’effectue qu’en vertu d’une puissance pleinement
positive qui déborde déjà les normes, les dispositifs normatifs de pouvoir et de
savoir actuels. Un tel devenir-actif de la pensée n’a rien d’une opération miraculeuse
et spontanée puisqu’il requiert, on l’a vu, une activité de problématisation (qui n’est
en rien réservée à la philosophie, tant le devenir-actif de la pensée concerne aussi
bien l’art, la science, et tous les domaines de la praxis sociale) qui investit les
possibilités effectives (potentiels) de mutation du champ social. Mais par le devenir
actif et créateur de la pensée doit être comprise plus précisément la manière dont
s’effectuent ces conditions problématiques, autrement dit, la manière dont les
puissances de mutation de la culture s’actualisent dans le conditionné. Or ces
potentiels sont dits problématiques, parce qu’ils ne s’actualisent pas de manière
apodictique dans des agencements déterminés. Ils appellent la création
d’agencements capables de résoudre la problématique déterminée. La synthèse des
conditions (rapports différentiels de forces et potentiels) et du conditionné
(agencements de désir déterminés) requiert une activité créatrice qui n’exclut pas la
nécessité intrinsèque du mouvement objectif de problématisation du champ social
(synthèse des conditions du problème, détermination complète des potentiels ou
puissances de mutation du champ social), mais qui constitue l’acte de résolution de
cette problématique, ce que G. Simondon appelle précisément une
« individuation »65.
39 Mais à expliciter la nature d’une telle individuation et sa valeur créatrice, il faut
encore tenir compte de la distinction faite dans les notes de 1977 entre les deux
types d’agencements, les agencements-dispositifs et les agencements-lignes de fuite.
G.   Simondon distingue deux moments dans l’individuation par laquelle un état
métastable problématique résout son incompatibilité interne. Un état de système
problématique résout son incompatibilité initiale par invention d’une structure
nouvelle qui compatibilise les potentiels, les intègre et les différencie ; on retrouve
ici l’activité propre aux agencements-dispositifs chez Deleuze, comme organisation
– intégration, différenciation – des rapports différentiels de forces, par formation
des matières, et par formalisation et finalisation des fonctions diagrammatiques.
Mais antérieurement à cette structuration, Simondon dégage un phénomène de
« résonance interne » des potentiels qui en réalise une première actualisation par
des mouvements purement intensifs, dans un « espace topologique » polarisé selon
des « axes », des « gradients » et des « seuils ». Ainsi s’appuie-t-il sur les études de
Dalcq relatives aux dynamismes organisateurs de l’œuf pour suggérer l’existence
dans la matière vivante de «   certains champs que l’on connaît mal   », mais qui
pourraient se constituer selon de tels processus de polarisation vitale et de
production d’asymétries intensives  

« Il y a préparation de l’individualité toutes les fois qu’une polarité se crée,


toutes les fois qu’une qualification asymétrique, une orientation et un ordre
apparaissent; les conditions de l’individuation résident dans cette existence de
potentiels qui permet à la matière d’être polarisée ; il y a d’ailleurs réversibilité

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entre la condition de polarité et l’existence de potentiels : tout champ fait


apparaître des polarités dans des milieux primitivement non orientés (...) »66

40 Un tel champ intensif d’individuation permet alors de comprendre la spécificité


des agencements-lignes de fuite. Le partage se fait désormais entre les agencements
qui effectuent les rapports de force en les homogénéisant et les stabilisant dans des
dispositifs normalisateurs de savoir et de pouvoir, et les agencements qui en
incarnent les potentiels ou puissances de devenir dans des « dynamismes spatio-
temporels   » intensifs. Le premier type d’agencements recouvre le problème et
écrase les puissances de devenir ; mais le second résout la problématicité du champ
de forces par une individuation intensive qui en actualise les potentialités, les
puissances de devenir, et se confond avec un devenir même.
41 Définie par un tel dynamisme intensif, une allure de vie se présente donc
comme une manière d’évaluer les «   forces réelles   » qui traversent le champ
socioculturel, et d’expérimenter les puissances qui l’entraînent dans un devenir
débordant les formes et fonctions actuelles. Une allure de vie est en ce sens à la fois
schématisation («   dramatisation   ») et création   : elle est une schématisation des
conditions problématiques du champ social, puisqu’elle actualise par des parcours
et mouvements intensifs les potentialités qui traversent le champ social et en
forcent le devenir. Mais cette schématisation a le sens vital d’une expérimentation
des rapports de forces impliqués par ces potentiels, expérimentation qui procède à
leur évaluation immanente ; elle est par là même création locale et ponctuelle de
nouvelles normes, dont la fonction est double : évaluer ces forces, les puissances de
devenir qu’elles recèlent ou au contraire les dispositifs qui déjà s’y esquissent   ;
actualiser ces puissances de devenir. En somme, les normes sont des schèmes vitaux
qui actualisent les valeurs et potentiels du champ de forces problématiques, en en
faisant les termes d’une expérimentation qui procède à leur évaluation immanente.
S’esquisse ainsi l’orientation méthodologique générale d’une pensée vitaliste de la
culture   : selon la position de normes qu’elles réalisent, il s’agit de saisir les
productions spirituelles et matérielles, techniques, scientifiques, artistiques,
linguistiques, dans leur double fonction   : leur fonction symptomatologiste et
diagnosticienne d’une part (elles opèrent une symptomatologie des forces réelles et
un diagnostic des puissances de devenir qui s’y esquissent), qui appelle une théorie
vitaliste des signes fondée dans l’affect   ; leur fonction clinique, ou proprement
thérapeutique, d’autre part (elles se présentent comme des cas singuliers pour un
problème vital défini, selon des trajets intensifs qu’elles élaborent à même
l’expérimentation vitale des champs socioculturels), qui appelle une théorie des
expérimentations mineures, artistiques et philosophiques, mais aussi techniques et
scientifiques.

Notes
1  Il s’agit d’un texte paru initialement dans P. Rabinow (éd.), The Foucault Reader, New
York, Pantheon Books, 1984, p. 32-50 ; rééd. Dits et écrits (D. E.), Paris, Gallimard, 1994, t.
IV, p. 562-578, sous le titre « Qu’est-ce que les Lumières ? ».
2  Id., p. 574.
3  Ibid.
4  Il est vrai que Foucault, à la fin du cours de 1983 consacré à Was ist Aufklärung ?, inscrit
son travail dans une orientation (celle d’une «ontologie de l’actualité») qu’il trouve ouverte
« de Hegel à l’École de Francfort en passant par Nietzsche et Max Weber ». Nous indiquerons

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comment l’ontologie historique proposée par Foucault diverge nettement, cependant, de la


philosophie hégélienne de la culture, et de la critique de l’École de Francfort.
5  Hegel, Encyclopédie des sciences philosophiques, III : Philosophie de l’esprit, Paris, Vrin,
1988 (trad. B. Bourgeois), p. 178 (§381 dans l’édition 1827-1830).
6   « Qu’est-ce que les lumières », op. cit., p. 572. La question des Lumières et du type de
rationalité qui la définit, la critique qu’en fait l’École de Francfort, la position de Foucault par
rapport à celle-ci sont développées notamment dans la conférence d’octobre 1979 « ‘Omnes et
singulatim’ : vers une critique de la raison politique », D. E., t. IV, en particulier p. 134-136.
7  C’est le point de vue qui prédomine dans la pensée politique de Hannah Arendt. Il est vrai
que la question du sens du politique est complexe chez Arendt, et que la compréhension de la
crise de la culture comme perte du monde commun ne fait pas l’économie, chez elle,
d’analyses rigoureuses de la situation contemporaine et de ses composantes historiques,
institutionnelles, sociologiques, etc. Reste que le dispositif général motivé par la notion de
« crise » chez Arendt engage bien une conception transcendante du sens (sens du politique) ;
il est bien vain de lui reprocher une nostalgie d’un paradigme antique du monde commun
dans la cité grecque   ; ce qui est en jeu dans l’analyse arendtienne de la culture est plus
profondément le statut de transcendance du sens, qui lui permet de comprendre la crise
comme perte du sens.
8   F. Nietzsche, Considérations intempestives, II, «De l’utilité et des inconvénients de
l’histoire pour la vie».
9  M. Foucault, L’Usage des plaisirs, Paris, Gallimard, 1984, p. 15 s. « Penser autrement »,
« sentir autrement », sont des formules récurrentes chez Foucault (cf. par exemple « Vivre
autrement le temps », D. E., t. III, p. 789 : « [à propos de M. Clavel] il est bien que, dans la
pensée d’une époque, il y ait parfois de ces profonds changements de respiration – de ces
mouvements très élémentaires, et qui font qu’on pense autrement »).
10  M. Foucault, La Volonté de savoir, Paris, Gallimard, 1976, p. 123.
11  Id., p. 109.
12  M. Foucault, « La vie : l’expérience et la science », D. E., t. IV, p. 771 : « les processus
d’élimination et de sélection des énoncés, des théories, des objets se font à chaque instant en
fonction d’une certaine norme   ; et celle-ci ne peut pas être identifiée à une structure
théorique ou à un paradigme actuel, car la vérité scientifique d’aujourd’hui n’en est qu’un
épisode; disons tout au plus : le terme provisoire. Ce n’est pas en prenant appui sur une
‘science normale’ qu’on peut retourner vers le passé et en tracer véritablement l’histoire; c’est
en retrouvant le processus ‘normé’, dont le savoir actuel n’est qu’un moment, sans qu’on
puisse, sauf prophétisme, prédire l’avenir. »
13  P. Macherey, « Pour une histoire naturelle des normes », Michel Foucault philosophe
(collectif), Paris, Seuil, 1989, p. 203-221, en particulier p. 213-221.
14  Id., p. 220.
15   « Qu’est-ce que les Lumières ? », op. cit., p. 574.
16  Id., p. 576.
17  Id., p. 574.
18  La Volonté de savoir, p. 125 s.
19   « Qu’est-ce que les Lumières ? », op. cit., p. 576.
20  Comme le dit G. Le Blanc, « le pouvoir inventif, créateur de nouvelles normes » est une
possibilité « absente de l’analyse de Foucault. Je peux, dans les normes existantes, mettre
entre parenthèses la discipline normative dans la pratique de l’amitié. En revanche, je ne
peux pas inventer de nouvelles normes, ce qui reviendrait à sortir des normes existantes. La
transgression des normes est une impossibilité pour Foucault », Canguilhem et les normes,
Paris, P.U.F., 1998, p. 96.
21   « La vie : l’expérience et la science », op. cit., p. 774.
22  P. Macherey, op. cit., p. 218.
23  P. Macherey, op. cit., p. 218.
24  G. Deleuze-F. Guattari, L’Anti-Oedipe (AO), Paris, Éditions de Minuit, 1972, p. 9.
25  G. Deleuze-F. Guattari, Mille Plateaux (MP), Paris, Éditions de Minuit, 1980, p. 11.

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26  AO, p. 9.
27  Id., p. 31.
28  Id., p. 13.
29  Id., p. 10 s.
30  Id., p. 328.
31  « Désir et plaisir », Magazine littéraire, n° 325, octobre 1994, p. 60-63. Ce texte, publié
par François Ewald, comprend une série de notes rédigées par Deleuze à l’attention de
Foucault en 1977.
32  La Volonté de savoir, p. 109.
33  P. Macherey, op. cit., p. 219. Cf. M. Foucault, La Volonté de savoir, p. 109.
34  AO, p. 36 s. Deleuze et Guattari reprochent cependant à Reich de réintroduire, malgré son
opposition aux culturalistes, la distinction que ceux-ci font entre les systèmes rationnels et les
systèmes projectifs irrationnels   : «   Il en revient (...) à une dualité entre l’objet réel
rationnellement produit, et la production fantasmatique irrationnelle. Il renonce à découvrir
la commune mesure ou la coextension du champ social et du désir. C’est que, pour fonder
véritablement une psychiatrie matérialiste, il lui manquait la catégorie de production
désirante, à laquelle le réel fût soumis sous ses formes dites rationnelles autant
qu’irrationnelles. » Et cette coextension du champ social et du désir requiert chez Deleuze
l’inscription du désir dans un naturalisme défini comme ontologie de l’immanence, dans
l’horizon ouvert par Spinoza et requalifié à partir du concept marxiste de production.
35   « Désir et plaisir », op. cit., p. 61.
36  Nietzsche et la philosophie (NPh), Paris, P.U.F., 1962, p. 93.
37  G. Deleuze-C. Parnet, Dialogues, Paris, Flammarion, 1977, p. 109.
38   « Désir et plaisir », op. cit., p. 62.
39  Ibid.
40  G. Canguilhem, Le Normal et le pathologique, Paris, P.U.F., 1966, p. 137.
41  Id., p. 216.
42  MP, p. 281.
43  G. Deleuze, Foucault, Paris, Éditions de Minuit, 1986, p. 80.
44 Id., p. 79.
45 Id., p. 124.
46 Id., p. 122.
47  M. Foucault, D. E., t. IV, p. 545 s.
48  Foucault, p. 124.

49  G. Simondon, L’Individu et sa genèse physico-biologique (IGPB), Paris, Millon (2nde


éd.), 1995, p. 238.
50  Foucault, p. 91 s.
51  G. Deleuze-F. Guattari, Qu’est-ce que la philosophie? (QPh?), Paris, Éditions de Minuit,
1991, p. 107 s.
52  Ibid.
53  Id., p. 92.
54  C’est en ce sens que Deleuze refuse d’assigner au désir une détermination historique qui
en serait la cause : « le désir est toujours agencé, machiné, sur un plan d’immanence ou de
composition, qui doit lui-même être construit en même temps que le désir agence et machine.
Nous ne voulons pas dire seulement que le désir est historiquement déterminé. La
détermination historique fait appel à une instance structurale qui jouerait le rôle de loi, ou
bien de cause, d’où le désir naîtrait. Tandis que le désir est l’opérateur effectif, qui se confond
chaque fois avec les variables d’un agencement », Dialogues, p. 125.
55  M. Foucault, L’Archéologie du savoir, Gallimard, p. 172.
56  Nietzsche, Considérations intempestives, op. cit.

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57  M. Foucault, D. E., t. II, p. 140.


58  QPh?, p. 92.
59  NPh, p. 123.
60  G. Deleuze, Différence et Répétition, Paris, PUF, 1968, p. 192.
61  Cf. NPh, p. 127 s. : « La philosophie a avec le temps un rapport essentiel : toujours contre
son temps, critique du monde actuel, le philosophe forme des concepts qui ne sont ni éternels
ni historiques, mais intempestifs et inactuels (...). Penser activement c’est ‘agir d’une façon
inactuelle, donc contre le temps, et par là même sur le temps, en faveur (je l’espère) d’un
temps à venir’. La philosophie (...) intempestive à chaque époque. »
62  Id., p. 118.
63  M. Foucault, « Boulez, l’écran traversé », D. E., t. IV, p. 222.
64  MP, p. 625.
65   « L’individuation doit alors être considérée comme résolution partielle et relative qui se
manifeste dans un système recelant des potentiels et renfermant une certaine incompatibilité
par rapport à lui-même, incompatibilité faite de force de tension aussi bien que
d’impossibilité d’une interaction entre termes extrêmes des dimensions », IGPB, p. 23.
66  Id., p. 200 s.

Pour citer cet article


Référence électronique
Guillaume Sibertin-Blanc, « Pour un naturalisme vitaliste », Methodos [En ligne], 2 | 2002,
mis en ligne le 05 avril 2004, consulté le 28 janvier 2020. URL :
http://journals.openedition.org/methodos/92 ; DOI : 10.4000/methodos.92

Auteur
Guillaume Sibertin-Blanc
E.N.S., Lyon

Droits d’auteur

Les contenus de la revue Methodos sont mis à disposition selon les termes de la Licence
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International.

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