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Deux opuscules de Semnéni sur le moi théophanique Hermann Landolt DNs pba lb 9 Cond ga jlo Se GS ays) ELSES Le ‘Moi’ est propre a |’Etre divin, Car le ‘Lui’ désigne l’absence, et un étre absent n’est pas réel. (Shabastari, Golshan-e raz’) 1, Présentation des textes et introduction Les deux textes persans que nous publions ici selon un majmi‘ahk manuscrit récemment inventorié du Musée Britannique’, et qui contient une importante collection dWopera minora de ‘Ala’oddawleh-ye Semnani (659/1261- 736/1336)°, nous permettent de saisir la pensée du grand mystique kobrawi pendant une certaine période de son dé- veloppement spirituel. C’est la période qu’il convient de considérer comme moyenne, puisque d’une part, elle se si- tue aprés le mois de Safar 689 (février 1290), date de la ren- trée de ‘Ala’oddawleh aprés avoir regu a Baghdad I’auto- risation d’enseigner le soufisme de la part de son maitre Nuroddin ‘Abdorrahman-e Esfarayeni (639/1242—717/ 1317), 4 Semnan, et que d’autre part, cette période précéde celle de l’achévement de sa pensée dans des ceuvres telles 279 que Mashdri‘ abwdab al-qods (datée de 711/1312) ou Al-‘or- wah li-ahl al-khalwah (terminée en 722/1322)* Le second de nos deux documents (ci-dessous: II) est en effet daté par Semnani lui-méme du Rajab 699 (mars— avril 1300; cf. II 9). C’est un petit traité écrit «en hate» sur la demande d’un certain Mo’ayyadoddin (cf, Il 2 et 9), et intitulé a juste titre, selon la Table des matieres qui nous l’a conservé’, «Epitre sur le vrai sens du Moi» (Risdlah dar tahqiq-e andniyat). Quant au premier de nos deux textes persans (ci-des- sous: I), il s’agit d’une lettre adressée par Semnani a son maitre Esfarayeni, non portée par les manuscrits qui nous ont servi de base pour l’édition de la Correspondance spiri- tuelle’ échangée entre les deux mystiques. Cette lettre est datée d’un 5 Rajab (cf. 110) et fut écrite dix mois aprés la (premiére) rencontre des deux hommes (cf.17), ce qui nous donne, comme date probable de sa rédaction, le 5 Rajab 689 (14 juillet 1290)’. Ecrite en réponse a deux lettres d’Esfara- yeni (cf. I 1 et 9) que nous ne possédons pas, mais dont Semnani cite plusieurs extraits importants pour les com- menter de sa maniére trés personnelle, cette lettre aurait done sa place tout au début de ce que nous avons appelé la «seconde partie» (bakhsh-e dowom) de leur Correspon- dance. De toute facon, elle constitue un permier essai de la part de Semnani de formuler ce qui deviendra sa doctrine 4 la fois originale et élaborée concernant le Moi (andniyat ou and@’iyat*) — doctrine qui fut analysée d’une fagon magis- trale, pour la premiere fois lors d’une conférence sur «L’in- tériorisation du sens en herméneutique soufie iranienne» donnée en 1957, par Henry Corbin’. Ajoutons que certains d’entre les termes les plus caractéristiques du lexique de Semnani, tels que «la substance subtile du Moi» (latifeh-ye and@’iyat) ou «la perle rare du Moi» (dorr-e yatim-e an@’i- yat)—termes que l’on cherche en vain dans les écrits d’Es- 280 farayeni* — font déja leur apparition dans cette premiére lettre de notre collection (cf. 11 et 8). Par rapport aux ceuvres de la période de maturité, ou la pensée de notre mystique est pleinement développée, de sorte que l'on est parfois «pris de vertige», comme disait M. Corbin dans la conference précitée, devant les multiples structures de «substances subtiles» dont se compose le cosmos semnanien, les deux opuscules publi¢és ici nous montrent sa doctrine a un état relativement rudimentaire. Mais s'il ne faut donc pas les prendre pour son dernier mot, ils offrent, en revanche, l’avantage de nous permettre de le suivre sur le chemin qu'il a parcouru a un certain moment de sa vie, et d’entrevoir ainsi comment il a pu arriver a son but. La «substance subtile du Moi» nous est présentée ici sous deux aspects, qu'il convient de distinguer dans Tanalyse: expérience mystique et doctrine. Sous le premier point de vue, il y aura 4 considérer en particulier deux poémes qui en sont l’expression immediate, puisque tous les deux ont été composés, dans un certain ¢tat d’ex- tase mystique, «par la substance subtile du Moi» elle-méme (cf. 11 et II 3). Il s’agit d’un quatrain persan (1 1 et II 3) et d'une variation arabe, en métre Ramal, sur un fragment de Hallaj (I 3 et II 3)”. Ces deux poémes sont importants; ils semblent former ensemble quelque chose comme une donnée constante de la vie spirituelle de Semnani, car ils figurent non seulement dans nos deux textes de 689h. et 699h., mais seront encore cités par notre auteur dans la let- tre qu’il écrira aprés 722h., et probablement vers la fin de sa vie, au grand docteur soufi ‘Abdorrazzaq-e Kashani (ob. 736/1335), pour formuler sa position critique a légard de la doctrine dite de l'unité de létre (wahdat al-wejid)". En voici la traduction, en commencant par le quatrain persan: 281 Ce moi, ce n’est pas moi. S’il existe un Moi (mani), cest Toi! Et si une chemise couvre ma poitrine, c'est Toi! Dans la voie du chagrin éprouvé pour Toi, ni corps ni esprit ne me sont restés, Bien que, puisque Tu es pour moi esprit et corps, il existe un Toi (toi)” Les trois versions de la «variation hallajienne» ne por- tant pas toujours les mémes lignes, nous en signalerons cha- que fois la source, en désignant celle de la lettre adressée a Kashani par III: ‘Je suis celui que j’aime, et celui que j’aime est Moi’. Il n’y a dans le Miroir que Nous. (J II III) C'est par négligence que ce poéte chantait: ‘Nous som- mes deux esprits demeurant dans un seul corps’. (I III) Celui qui établit entre nous une différence, affirme clairement la pluralisation de IlEtre (shirk). (III) Celui qui dit: ‘Il est loin’, est un égaré dans la nuit; et celui qui dit: ‘Il est proche’, est un dé- routé dans le désert. (1) Ce n’est pas Lui que j'invoque et dont je fais l'objet de ma mémoration (dhikr): mon invocation et ma mémoration, c'est: 6 Moi! (1 II III) Ne me blamez pas, car je suis stupéfait de passion; mon cceur et mon for intérieur sont ravis de douleur. (I II) Je suis ébloui par les douleurs de l'amour passionné; mon cceur est devenu une demeure des douleurs. (I IT) Comment me plaindrais-je de l'amour passionné du coeur, puisque c’est mon esprit méme qui est un corps pour cet amour (II) Je ne me soucie pas du blame. Blamez-moi done! Car le blame est nourriture agréable pour les amants. (III) Dans ce qui suit, nous quitterons ces deux poemes pour un instant, mais nous y reviendrons aprés avoir exa- miné l’aspect doctrinal de notre theme tel qu’il se présente dans les parties de nos deux opuscules qui nous concernent. Nous allons done d’abord traduire et analyser le passage de la lettre écrite 4 Esfarayeni ou se trouve la premiére esquis- se de la doctrine semnanienne du Moi, pour voir ensuite comment cecte doctrine se sera développée dans «l’Epitre sur le vrai sens du Moi». 2. Traduction et analyse du passage I 8 En répondant aux paroles d’Esfarayeni, «Si tu n’es ni non-étre ni étre, alors tu auras brisé l’idole» (ce qui veut probablement dire, étant donné que le «non-étre» est l’équi- valent de l’annihilation, fand™: le tawhid par annihilation n’est pas parfait tant qu’il en reste une conscience, le but étant Vannihilation de lVannihilaion, fand’ ‘an al-fand’), Semnani écrit: «Quand la copie écrite de ces paroles me parvint, je fis un effort de sincérité pour briser l’idole de limagination vaine avec la pierre du zéle et de I’héroisme, encore que cette autre idole, mon iconoclasme, soit toujours la. C’est un état étrange: J’ai la certitude de ne pas étre, puisque je sais que ‘l’étre situé entre les deux non-étres est du non-étre’; mais d’autre part, j’ai l'incertitude d’étre, car j’ai connais- sance de mon étre a moi (hasti-e khwod) comme ayant été avant l’actualisation de l’étre advenant (hadith), qui est 283 ce que l'on entend par cet ‘étre situé entre les deux non- étres’. I] n’y pas de doute que mon non-étre (mon existence temporelle) vient de Lui, alors que mon étre (préexistant) est par Lui. Tout ce qui est, est entiérement Lui; tout ce qui n’est pas, est entiérement moi. C’est par la d’ailleurs que l’on peut comprendre la différence entre l’annihilation (fana’) concernant le corps, et la perdition (haldk) con- cernant Vesprit’. Plus merveilleux encore: c’est dans la perdition méme de l’esprit que le pelerin mystique péris- sant (devient) le souverain de tous les royaumes! Il n’y a pour moi qu’a exclamer ‘Celui qui se tait sera sauve’, et je ne peux faire mieux que de retirer la téte dans le collier de l’esprit et de ne révéler qu’a l’Aimé (jéndn) le secret du coeur affligé, qui est la perle rare du Moi (dorr-e yatim-e ana’iyat). Ayant passé de la source primordiale de l’Es- sence divine (dhdt) et des sources des Attributs (sifdt) par les ruisseaux des Signes théophaniques (@ydt), elle s'est réunie dans l’'Océan du monde invisible appartenant au macrocosme (bahr-e ghayb-e dfaq). pour étre attirée en- suite par le fumier (?) du monde visible (zabl-e shahddat). Ce dernier l’a fait croitre et mirir de maintes maniéres, pour la jeter enfin dans la conque du cceur (sadaf-e del) qui se trouve dans la cachette de l’;Océan du monde invi- sible appartenant au microcosme (bahr-e ghayb-e anfos); finalement, elle a achevé la parfaite capacité d’étre l’objet du Regard divin tout en savourant l’expérience d’étre cet objet (dhawq-e manztri)...» Ce passage se distingue du reste de la lettre comme un monologue solennel, comme si Semnani avait oublié pour un moment qu'il s’adressait en fait 4 son maitre Esfarayeni. Notons cependant que c'est par une parole de ce dernier que cet entretien avec lui-méme est provoqué dans l’esprit de Semnani, et cette parole est sans doute d’une portée con- 284 sidérable. Elle évoque la dialectique soufie de 1 ’annihila- tion (fand’) dans la terminologie persane (nisti)", équiva- lente 4 «non-étre», ce qui suscite chez Semnani la question proprement philosophique de l’étre, ce dernier étant pris dans un sens 4a la fois absolu-objectif (l’Etre 4 Lui) et sub- jectif (l’Etre a Moi). C’est ainsi que l'idée de l'unité de ’Et- re s'impose avec force comme unité objective, celle de l'Etre a la troisiéme personne. Mais le monologue culmine dans une entretien avec l’Aimé, et cette philosophie rede- vient profondément soufie, car l’identité de l’Etre objectif et de 1 Etre subjectif ne se révéle que dans la «perdition de lesprit», c’est-a-dire dans l’annihilation absolue”, comme opposé exact du Néant: comme identité du Moi divin dans le macrocosme (dfaq) et dans le microcosme (anfos). C’est une pensée originale qui essaie de se trouver ici: La distinc- tion entre le monde des «horizons» (dfaq) et le monde des «ames» (anfos), dérivée du verset coranique 41:53, est ici une variante de celle, bien connue en soufisme kobrawi", entre le macrocosme et le microcosme; mais elle sera aus- si, chez Semnani, une distinction entre deux sortes de temps: le temps quantitatif (zamdn-e dfdqi) de Vhistoire des prophétes, et le temps qualitatif ou intérieur (zaman-e anfosi), celui des «prophétes de ton étre»”. C’est pourquoi la structure cosmique sousjacente a la pensée qui s’exprime dans notre lettre ne saurait étre comprise, elle non plus, comme une structure purement statique; elle a, au cont- raire, un élément essentiellement dynamique. Aussi bien, Videntité du Moi divin dans les structures cosmiques est- elle une identité dynamique et non pas statique: Tout en étant l’essence méme de 1’Etre, elle est en état de progres- sion cyclique et d’achévement a travers les étres, pour deve- nir finalement, dans le «cceur» de l'homme individuel, a la fois l’objet et le sujet du Moi regardant le Moi*. Pour clarifier cette structure, on peut se representer 285 le Moi divin comme étant situé au zénith d’un cercle con- centrique qui achéve le macrocosme. Le microcosme, étant Essence ( source ae primordiate) Attribute ( sources) Perle rare du not Signest ruiseeac) Conque du coaur dant “| 2 } Monda visible macro- eosmique Attraction Ockan invis Lt0cban invisible oni gue microcoamique un monde en croissance, surgit alors 4 partir de la jonction des deux hémicycles macrocosmiques au nadir, pour re- joindre a l’intérieur le point de départ du Moi. 3. Traduction et analyse des passages II 3-5 (II 3) «Il y a pour la substance subtile du Moi, qui est en réalité le fruit achevé de l’Arbre des existants, un vo- yage (sayr) par tous les degrés d’ascension de ]’Etre (mada- rij-e ma‘arij-e wojtid)” dans les mondes invisible et visible du macrocosme et du microcosme, ainsi qu’une mémoration particuliére (dhikr) dans chaque station. «Quand son voyage dans les mondes invisible et visible du macrocosme est achevé, et quand la structure de l'Hom- me est ainsi complétée—car la pensée précéde l’agir—, cette substance subtile du Moi, qui est en réalité le rossignol 286 (amoureux) de la souche du rosier, c’est-a-dire du corps humain, commence a déployer toutes ses mélodies. «Au premier pas, dans la station de l'ame charnelle (nafs), elle commence 4 chanter (comme Pharaon): ‘Moi, je suis votre selgneur supréme’ (Coran 79:24). «Dans la seconde étape, qui est le monde du cceur (del), cette memoration est changée en ‘Moi, je suis l’Etre Vrai’ (Hallaj). «J’avais une fois demande a Dieu pourquoi Pharaon de- vint l’objet de la violence divine et fut rejeté a cause de cette prétention, alors que Hallaj fut accepté. J’entendis la ré- ponse énoncgant que Pharaon avait fait cette prétention de par son étre a lui seul (az sar-e hasti), alors que Hallaj avait joué cet air de par son extréme non-étre (az ghdyat-e nisti)*. «Quand elle s’avance du monde du ceeur au monde de la surconscience (du ‘secret’, sirr), ce chant est transformé en ‘Moi je suis ignorant, Toi tu es l’omniscient; Moi je suis le sot, Toi tu es le sage. Gloire a Toi; il n’y a de science pour moi que ce que Tu m’as appris; c’est Toi l’omniscient sage.’ «Quand le voyage dans ce monde (de la surconscience) est achevé et qu'elle s’avance dans celui de l’esprit (rih), c'est cette mélodie qui se fait entendre, et que j’ai une fois chantée: «Ce Moi, ce n'est pas Moi. S’il existe un Moi, c’est Toi...’ (voir supra p. 256). C’est dans la méme station que le rossig- nol du jardin aux roses de l’esprit, c’est-a-dire le Moi, chan- tait amoureusement ce poéme auquel vous (Mo’ayyadod- din) avez fait allusion: «Je suis celui que j’aime, et celui que j’aime est Moi...’ (voir supra p. 256s.). «Mais c'est 1a encore la station des ‘crus’ de la Voie mys- tique (knaémadn-e tariqat). Quand, sous la protection de la Religion instaurée (shari‘at), elle s’avance de cette station au monde de l’arcane (khafi), cette mélodie est changée en ce plaisant chant d’oiseaux: ‘Moi je suis le serviteur, Toi tu es le Maitre; c’est Moi le plus bas des humbles, c’est Toi le plus haut des exaltés; c’est Moi V'indigent, le Mineur, cest Toi qui Te suffis 4 Toi-méme, le Majeur; c'est Moi le faible et humble, c'est Toi le majestueux et puissant.’ «Aprés cela, elle pose la téte sur le seuil de la servitude (‘obidiyat) et met le collyre de l'imitation du Prophéte ai- mé de Dieu dans |’ceil de l’esprit (jén), pour devenir digne de la vision de la Beauté de ]’Aimé divin, ce qui est le But total—et en vérité, sans cela, esprit ne pese que peu.» (II 4) «On veut dire ceci: C’est d’abord au jardin de la Religion instaurée (shari‘at) qu’il faut élever jusqu’a l’aché- vement cet Arbre qui donnera le fruit parfait du Moi, pour que toutes les particules séparées dans le macrocosme vi- sible et invisible soient réunies dans l’ésotérique de cet Arbre, c’est-a-dire dans le monde visible du microcosme. Ensuite, ces particules étant ainsi réunies dans le monde vi- sible du microcosme, qui est l’ésotérique de l’Arbre, elles se mettent en voyage (sayr) dans le monde invisible du micro- cosme, pour enfin parvenir a l'état parfait d’étre fruit, qui est justement ce qu’on entend par le Moi. «Puis, ce fruit, qui ressemble a la noix, est cueilli de lArbre. Aprés en avoir séparé la premiére pelure, qui joue le réle du placenta (mashimah), on l'introduit dans le pres- soir 4 Vhuile qui est la Voie mystique (tariqat), pour en en- lever la seconde pelure, au moyen de la pierre ‘lutte spiri- tuelle’, et pour séparer ensuite la troisieme pelure, qu’on appelle ‘l’4me charnelle’ (nafs), du noyau ‘coeur’ (del), au moyen du feu ‘exercice ascétique’. Ce noyau est ensuite pilé dans le mortier ‘solitude’ et mis sous la griffe ‘serre- ment de coeur’ (qabz), pour que Vhuile en soit gagnée. Quand on a obtenu Vhuile, e’est-a-dire lesprit (rawghan-e rihani), on Vemporte a la Chambre des clercs de la Vraie 288 Réalité (farraéshkhdneh-ye haqiqat), pour que ces derniers (farrashan-e hagiqgi=Anges?) la versent dans la (lampe de la) Niche aux Lumieres qui est I’Etre (mishkat-e wojid), y mettent la méche ‘surconscience’ (sirr) et allument le feu ‘arcane’ (khafi) (cf. Coran-24:35). Ainsi, la Vraie Réalité de cette Lumiére rejoint son Origine cachée — cette Réalité qui avait été dispersée dans les éléments primordiaux des mon- des invisible et visible du macrocosme, fut ensuite reunie dans l’ésotérique de l’Arbre qui est ’Homme, et parvint fi- nalement a l'état parfait d’étre fruit dans le monde invisible du microcosme, ayant été rendu capable, grace a l’élevage au jardin de la Religion instaurée et grace au pressoir 4 Vhuile de la Voie mystique, de ce que les clercs de la Vraie Réalité en remettent les parties au Tout dans leur Chambre. Ainsi, elle connait maintenant de fagon directe toutes les entités particuliéres qu’elle n’avait connues que d’une fa- con indirecte et universelle avant de faire le voyage a tra- vers les différents mondes, et elle est devenue digne des théophanies des Attributs de Majesté et de Beaute.» (II 5) «Il est donc du devoir du pélerin mystique d’éle- ver l’Arbre de son humanité au jardin de la Religion instau- rée, avant qu’il ne devienne sec et ne meure, pour ne pas étre privé de son fruit. Dés que ce fruit est obtenu, il faut aussitét séparer ces pelures du noyau, au pressoir a Vhuile de la Voie mystique, aux moyens de la pierre ‘lutte spirituelle’ et du feu ‘exercice ascétique’, pour ne pas étre éprouvé, le Lendemain, par le feu de l’enfer. Si alors il ar- rive par bonheur que l’attraction divine (jadhbah = ex- tase mystique) opére l’extraction de la Vraie Réalité de ce pélerin en dehors de Vhuile de l’esprit — quelle joie infi- nie!» Essentiellement, la structure cosmique présentée dans ce traité de 699 h. est la méme que celle que nous avons 289 dégagée plus haut de la lettre écrite a Esfardyeni, mais elle est enrichie de plusieurs éléments importants. L’image de l'Océan cosmique qui recéle, 4 son intérieur invisible micro- cosmique, la conque du Coeur humain avec Ja «perle rare du Moi», est remplacée ici par celle de l’Arbre cosmique. L’«ésotérique» de cet Arbre, c’est-a-dire le corps humain ou microcosme visible, recéle comme «fruit achevé» dans son mystére invisible, la «substance subtile du Moi» (latifeh-ye and’iyat) — substance subtile qui est définie dés le début macrocosmique, pour ainsi dire, comme la quintessence ab- solue de l’étre, le «fruit achevé des existants» (thamareh -ye kamileh-ye mawjtddat). Le monde de I’Essence, des At- tributs et des Signes théophaniques, situé selon I 8 au-dessus du monde invisible macrocosmique, n'est pas mentionné spécifiquement ici. 3, a) Le Moi comme «substance subtile» L'élément le plus important de cette structure est sans doute celui constitué par l’échelle de l’ascension de la «substance subtile du Moi» a V’intérieur du microcosme, échelle qui est en propre celle de lexpérience mystique—ou disons plutét: des expériences mystiques. Composée ici (II 3) de cing degrés: (1) ’Ame charnelle (nafs), (2) le coeur (del), (3) le «secret» ou la surconscience (sirr), (4) Vesprit (rth), et (5) Varcane (khafi), elle prend racine dans le corps humain, la «souche du rosier», et culmine au-dessus de l’arcane, dans un état de vision de l’étre divin réalisé en imitation du prophéte Mohammad (motébi‘at-e habib). Cette échelle préfigure donc celle que nous connaissons des écrits postérieurs de Semnani*, et qui est composée de sept «centres subtils» (lata’if), avee au début le «centre subtil du corps» (latifah qalibiyah) et a la fin le «centre subtil di- vin» (latifah haqqiyah). On ne peut que renvoyer ici a la profonde analyse d’Henry Corbin, ot l'importance de cette 290 structure heptadique est démontrée a la fois comme éch de sept couleurs, visualisées en des états correspondant au> sept degrés de l’achévement mystique, comme gradation de lintériorisation du sens du Livre divin et comme mesure du temps qualitatif (zaman-e anfosi), dans lequel se succédent les «sept prophétes de ton étre», de ’«Adam de ton étre» jusqu’au «Mohammad de ton étren*. D’une maniére semblable, l'image des trois «pelures» de la «noix» du coeur (II 4 et 5) préfigure sans doute ce qui deviendra la doctrine semnanienne des trois corps de 1’étre humain, a laquelle on ne peut que faire allusion ici égale- ment, en renvoyant aux ceuvres d’Henry Corbin*. Il y a, en effet, pour Semnani, (1) le corps physique perissable (al-badan al-donyaw?) qui est le «placenta» (mashimah) du (2) «corps acquis» (al-badan al-moktasab), matiére subtile des «centres» (latd@’if) et enveloppe (ghilaf) du vrai Moi (andniyah) et (3) le corps rassemblé au Jour de la Résurrec- tion (al-tadan al-mahshir)”; et cette doctrine sera encore illustrée par Semnani 4 l’aide de l'image des trois pelures du noyau de l’amande”. Cependant, si dans notre texte la premiére pelure est également le «placenta», la significa- tion de la seconde n’y est pas précisée, et la troisiéme est ici lame charnelle (nafs). Or, puisque cette derniére précéde le coeur comme «centre subtil» il semble plutot que ce soit encore de ]’échelle des «centres subtils» que les «trois en- veloppes du cceur» font ici partie ou constituent une va- riante. Dans un traité peu élaboré, comme l’est le nétre de l’aveu méme de I’auteur, il ne faut sans doute pas lui de- mander une cohérence logique absolument stricte. Aussi bien, la «physiologie» soufie étant en fait une psychologic de lexpérience mystique sous forme d'images, il est de bonne tradition de faire entrevoir la Réalité qui est en cause, par une série d'images qui peuvent se suppléer et se supplanter. 291 Ainsi, depuis la psychologie soufie de Tirmidhi al-Hakim au IIléme siécle de l’hégire, la «physiologie du coeur» joue en effet un réle tout a fait paralléle a celui qu’assume ailleurs l’échelle composée de l’Ame, de l’esprit, du «secret» ete* Mais il faut peut-étre distinguer deux grandes categories d'images traditionnelles, bien que toutes les deux puissent entrer, en psychologie soufie, dans la plus grande categorie de ce qui s’appelle «substance subtilen (latifah ou ‘ayn latifah) depuis le Véme siécle de l’hégire au plus _tard*. D’une part, il y a plusieurs échelles de «centres subtils» au pluriel, délimitant le champ des expériences mystiques, et d’autre part, il y a le centre unique, le sujet de ces expér- iences, l’aliquid in anima, parcelle divine dans l’homme, qui est précisément ce Moi théophanique dont l’expression adé- quate n’a jamais cessé d’occuper l’esprit de Semnani. Dans notre traité sur le Moi, c’est seulement ce dernier qui est appelé «latifah», alors que le terme s’applique aux deux categories dans des écrits semnaniens comme Al-‘orwah ou son Tafsir ésotérique. On sait que la psychologie soufie des échelles est trés complexe. Déja au Iléme siécle de l’hégire, elle se présente sous plusieurs variantes considérables, suivant probable- ment les régions et les «écoles» soufies. A Baghdad par exemple, l’enseignement de ‘Amr b. ‘Othman al-Makki (ob. 291/903-4) connait une échelle de quatre degrés d'intériori- sation de la priére rituelle, qui sont désignés par (1) le corps (tan), (2) le coeur (del), (3) esprit (jan) et (4) le secret- surconscience (sirr) — échelle qui n’est d’ailleurs pas sans une certaine touche de philosophie émanatiste, puisqu’elle est aussi, au sens inverse, une échelle des phases de la Créa- tion". Dans la province iranienne, il y a en méme temps, a eéte de la psychologie de Tirmidhi déja complexe en elle- méme, un autre schéma tétradique parmi les soufis de Nay- shapur appelés maldmatiyah par Vhistorien soufi Abt ‘Ab- 292 dorrahman-e Solami (ob. 412/1021), schéma qui se distingue de celui de ‘Amr b. ‘Othman (adopté par la majorité) par le fait qwil place l’esprit au-dessus du _ secret-surcons- cience”, comme c’est le cas chez Semnani. Sans vouloir en faire la «source» de l’échelle semnanienne, notons encore qu'il y aenoutre une certaine affinite ici en ce que le schéma «malamati» décrit par Solami est aussi une échelle d'intériorisation de la pratique spirituelle de la mémora- tion (dhikr) et qu'il dérive logiquement de la distinction, fondamentale dans cette école, entre le gaéhir (l’extérieur, l'exotérique) et le batin (l’intérieur, l’esotérique). Au sens de «centre subtil» unique et non comme degré faisant partie d’une échelle, nous trouvons le terme de lati- fah pour la premiére fois dans les Tamhiddt de ‘Aynolgo- zat-e Hamadani (492/1098 - 525/1131), done en milieu wah- dat al-wojtid", ce qui est significatif, car pour Hamadani ce centre, ton Toi (to’t), le «tréfonds de ton étre» (nehdd-e to), la «vraie essence de l’étre humain (haqiqat-e ddami- yat), est Vhomologue de l’absolue nuité divine®. C’est la sans doute une notion de latifah bien proche de ce centre unique appelé latifeh-ye and’iyat dans notre traité. Mais la source directe de la notion semnanienne ne peut étre que Najmoddin-e Kobra (540/1145 - 618/1221)”, le fondateur de Vordre kobrawi dont Semnani fut l'un des aqtéb. La «mé- thode alchimique» (tarig al-kimiyd’) de Kobra semble en ef- fet préfigurer l’idée du «murissement du fruit de la subs- tance subtile»; et cette alchimie mystique de Kobra consiste précisément en l’extraction de la «substance subtile lumi- neuse» (al-latifah al-ntiirdniyah), qui est le «Toi» (anta) ca- ché dans l’étre physique (Fawd’ih $§ 11-12). Il est vrai que cette substance subtile lumineuse est pour Kobra aussi ce qu'il appelle «substance subtile célestielle» et «esprit saint», en quelque sorte |’ «étranger» (gharib) gnostique (cf. Faw. § 59), et qu’en revanche, la latifah du Moi semnanienne se rat situe dans un contexte dépassant ce dualisme gnostique, parce qu’elle est le noyau de la totalité cosmique et se dis- tingue, pour cette raison méme, non seulement de l’eire matériel, mais aussi de l’étre spirituel considéré comme sé- paré de la matiére. Mais il importe de relever que ce point de vue dépassant tout dualisme est également profondé- ment ancré dans la tradition kobrawie. L’idée que la des- cente de l’Esprit dans la Matiére fut, en derniére analyse, non pas un malheur lamentable, mais un événement béné- fique, parce que la connaissance directe de la totalité des choses en leur particularité — prérogative divine selon lor- thodoxie et impossible selon les philosophes hellénisants — n’est possible que par l’élevage de ce «fruit spirituel» sur Terre aux moyens de la Religion instaurée et de la Voie mystique, cet optimisme religieux et mystique, manifeste dans notre traite (II 4), est également caractéristique d’Es- farayeni “; et Najmoddin-e RAzi, le discipe direct de Kobra et du disciple de ce dernier, Majdoddin-e Baghdadi, lavait déja exprimée 4 peu prés par la méme image dans un im- portant passage de son Mirsad ol-‘ibad”. Quant a Kobra lui- méme, ce point de vue «moniste» (au sens étymologique du mot, bien entendu) existe dans sa pensée a c6té du dualisme matiére/esprit auquel nous venons de faire allusion. A plu- sieurs reprises, Kobra souligne en effet l'idée que non seu- lement Vesprit retourne & sa patrie, mais que tous les elements ou «joyaux» (jawéhir) dont se compose le mi- crocosme humain doivent rejoindre leur origine ou «mine» (ma‘din) respective dans ie macrocosme et, ce qui est plus, il connait méme la notion du Moi (andniyah) en tant que sujet total de la Personne microcosmique ayant la vision pleniere du macrocosme (Faw. § 66)”. En faisant de la substance subtile du Moi non seule- ment Je centre du microcosme, mais aussi le résultat d’un processus débutant par l’expansion de I’unité divine (tafar- 204 roq) dans les mondes macrocosmiques et s’achevant, en une premiére phase, par la naissance physique de l'Homme, dans lequel les particules dispersées de l’unité originale se- ront finalement réunies (jam‘) par le mirissement spirituel, Semnani pousse encore beaucoup plus loin, sans doute, ce cété «moniste» de la pensée kobrawie et soufie. Mais si ce «monisme» n’est, certes, pas exclusivement spiritualiste, il est encore moins matérialiste. Aussi, le dynamisme carac- terisant le processus de l’expansion et de la réunion de Tunite divine dans la fruition du Moi, n’a-t-il rien de com- mun avec le matérialisme évolutionniste cher A la pensée occidentale du XIXéme siécle — pas plus d’ailleurs que le naturalisme de la mystique allemande. Bien au contraire: c'est justement le dynamisme inhérant a la pensée sem- nanienne (cf. supra n. 20), croyons-nous, qui a finalement amené Semnani 4 critiquer son propre «monisme», ainsi que celui de l’école d’Ibn ‘Arabi, comme «mystique inache- vée», voire 4 le qualifier d'un certain «matérialisme pire que celui des philosophes hellénisants et des bouddhistes» — encore que les motivations de cette auto-critique aient éte, sans doute, complexes”. En d’autres termes, bien que cette critique lancée par Je Semnani postérieur contre la doctrine dite de l'unité de l’étre (wahdat al-wojtid) se présente a certains égards comme une réaction de la théologie exoteri- que contre l’ésotérisme mystique tout court, il s’agit en réalité plutét d’une expression véhémente de son tempéra- ment mystique, qui est essentiellement dynamique. Qu’il en soit vraiment ainsi, c’est ce que nous confirme le fait que la «variation hallajienne», que Semnani citera plus tard, dans sa lettre écrite a ‘Abdorrazzaq-e Kashani, pour la critiquer comme donnant expression 4 un sentiment dunité mystique a dépasser*, figure déja dans notre «Epitre sur le vrai sens du Moi» comme paradigme d’une «mystique inachevée»: c'est qu’ici, idée de la fruition du 295 Moi recéle celle d'un dépassement, par ascension mystique sur l'échelle des centres subtils, de la conscience d’une simple identité des deux Moi divin et humain. 3. b) Le paradoxe du Moi Le Moi, pronom de l’identité unique et présente, est peut-étre l’entité la plus paradoxale d’entre tous les para- doxes mystiques qui soient.° D’accord pour considérer l’égoisme, la présence du moi social, comme l’obstacle ma- jeur de l’achéevement, les soufis en genéral voient le but de la Voie mystique dans le dépassement de cette identité tenace, diabolique (cf. Coran 7. 11/12) ou pharaonique (cf. Coran 79:24), qui se veut meilleure ou supérieure par rapport a un autre, comme le résume ce célébre vers de ‘Attar dans le Langage des Oiseaux: Mee WSS uebl Ls hy deers es SN ol Se & Ne dis pas: Moi! 6 toi qui souffres sous tant d’afflictions a cause du Moi, afin que tu ne sois pas éprouvé par Vétat d’Iblis!* Cest pourquoi un Abd Sa‘id b. Abi 1-Khayr n’aurait jamais employé le mot «je»; il aurait plutét dit «eux» (ishan) en parlant de lui-méme*. Dvautre part, le Moi est aussi le pronom divin par excel- lence (cf. Coran 20:14), secret supréme du Sujet absolu tel que percu par l’exégése mystique du Coran depuis les temps classiques"; et c’est pour cette raison aussi que l’on peut hésiter de prononcer le Moi*. C’est a la premiére personne qu’ont été formulées les célébres «locutions théopathiques» (shathiydt) du soufisme classique — ou disons justement, avec Corbin: les «paradoxes»” — tels que le «And l-Haqq» de Hallaj, le «Sothdni» de Bayazid-e Bastami et le «Laysa fi 296 jobbati siwd Allah» d’Abt Sa‘id b. Abi 1-Khayr". Et c’est la- méme que se pose alors le probléme de la différence entre ces locutions mystiques et la prétertion diabolique ou pha- raonique. On nous dit que ces outrances mystiques ont été proférées dans un état extatique, et que par conséquent ce n'est pas le Moi de Hallaj ou de Bastami qui s’est ainsi affirmé, mais le Moi divin lui-méme. Certes, c’est trés vrai, et c'est une explication qui peut satisfaire tout le monde. Cest explication que Semnani dit avoir regue de Dieu lui-méme, et qu’il donnera encore a ses disciples en réunion reguliére (majles)". Mais c’est aussi l’explication qui évite de mettre en lumiére l’essentiel, 4 savoir la nature méme du paradoxe. Elle ne répond pas a la question de savoir pourquoi c’est toujours le Moi qui est le sujet de ces outran- ces, et pourquoi la notion du Moi est ainsi capable en prin- cipe de couvrir les sens les plus radicalement opposés, comme le sont celles de l’Aame (nafs), du soi-méme (khwod), de V’étre (hasti). Notre traité sur le Moi prouve que Semnani avait a donner une solution beaucoup plus fine de ce probléme que celle, inoffensive et un peu rationaliste, qu’il se contentait de donner en public. C’est que les deux identités que la rai- son aimerait classifier comme entiérement différentes, celle du Moi pharaonique et celle du Moi hallajien, sont en réalite deux phases d’un processus unique mais dialectique et dyna- mique puisque ouvert sur l’avenir, processus done qui seul permet de voir la différence entre les deux Moi comme une forme de l’identité sans réduire l’individuel au général. Ainsi, la premiére manifestation de ce processus, au niveau de l’ame (nafs), est bien le pur «étre» (hast?) au sens néga- tif, celui du Moi pharaonique, tandis que la seconde mani- festation, au niveau du cceur (del), en est la négation au sens positif, c’est-a-dire le «non-étre» (nisti) du Moi hatlajien. Mais ce n’est que le début du processus, car au 297 troisiéme niveau, celui du «secret»-surconscience (sirr), il y a une nouvelle conscience du Moi, mais cette fois-ci comme étant absolument different du Toi en «science»: en lui-méme, le Moi est totalement ignorant, mais il a une con-science en vertu du Toi qui est omniscient. Au qua- triéme niveau, celui de l’esprit (ruh), cette conscience de la différence entre le Moi et le Toi est dépassée par une nou- velle conscience d’identité en amour: c’est lidentite decrite par les deux poémes «chantés par la substance subtile du Moi» que nous avons traduits au début de cette introduc- tion supra p. 256. Le caractére dialectique de l’échelle se montre ici dans le fait que ce quatriéme niveau, celui de Yesprit, est en quelque sorte une répétition du deuxi¢me niveau, celui du cceur, puisqu’il s’agit de nouveau d’une conscience d'identité hallajienne. Mais c’est un Hallaj «déchristianisé» pour ainsi dire, qui nous parle ici par la variation semnanienne de son poeéme «Je suis celui que jaime, et celui que j'aime, est Moin, c’est-a-dire un Hallaj purifié de tout soupeon d’«incarnationnisme» (holil) que semble impliquer la ligne originale hallajienne «Nous sommes deux esprits demeurant (halalnd) dans un seul corps»*. Dans cette nouvelle conscience hallajienne purifiee, on peut bien dire: «S’il y a un Moi, c’est Toi!» (le quatrain persan), mais on peut aussi bien dire: «6 Moi seul!», car «il n’y a dans le Miroir que Nous» (la partie changée du poeme de Hallaj), l'image du Miroir permettant d’affirmer 4 la fois «l'identité du différent et la difference de lidentique»” Or, ce Hallaj «déchristianisé» n'est pourtant pas encore entiérement «islamisé». C’est sans doute la raison pour laquelle il y a ici l’intervention de la shari‘at, pour que cetie «mystique inachevée» (maqdm-e khdmén-e tariqat) soit dépassée au niveau suivant. Le cinquiéme niveau de Véchelle, en effet, celui de l’arcane (khafi), représente de nouveau une conscience de la différence absolue entre le 298 Moi et le Toi, et ce niveau répéte donc celui du «secret» (No. 3) de la méme manieére que celui de l’esprit (No. 4) a répété celui du coeur (No. 2). Ici, la différence entre le Moi et le Toi est vecue comme celle d’une absolue inégalité de puis- sance: Le Moi est Vabsolument impuissant, «pauvre» (faqir), le Toi est l'absolument puissant, celui qui se suffit a lui-méme (ghani). Et ce n'est qu’apres la réalisation de cette pauvreté spirituelle que le Moi devient, par imitation du Prophéete Mohammad l’«aimé», le pur Miroir de la Beauté divine, dans un état d’identité qui est sans doute Vhomologue du cceur et de l’esprit, mais a l’état absolument purifié et acheve. Evidemment, ce passage est un important témoignage de la survie spirituelle de Hallaj (ob. 309/922) dans le soufisme postérieur. Mais ce n’est décidément pas de la «mystique hallajienne» dont il s’agit; c’est l’expression d’- une expérience originale. Aussi bien peut-on découvrir ici la présence anonyme de deux autres grands soufis classiques, également célébres pour avoir osé le Moi (and): Bayazid-e Bastami (ob. 234/848 ou 261/874) et Sahl b.‘Abdollah-e Tostari (ob. 283/896)". En fait, c’est Tostari qui parait étre le premier A avoir fait allusion au «secret» de ame (nafs) en tant qu’identité du Moi pharaonique. Dans son com- mentaire sur le theme coranique de l’ascension manquée de Bileam (7: 175/6), Tostari aurait en effet dit: L’Ame a un secret, et ce secret ne s'est révélé 4 aucune créature sauf Pharaon qui disait ‘Moi je suis votre seigneur supréme!’ L’Ame a sept voiles célestiels et sept voiles terriens. Chaque fois que l'homme serviteur de Dieu aura enterré son Ame dans l'une des (sept) terres, son cceur montera dans l’un des (sept) cieux. Or, lorsque tu auras enterré l’4me dans la Terre (en- 299 tiere, al-tharé), tu auras atteint le Tréne célestiel (‘arsh) par ton cceur.” Il est trés remarquable que ce soit dans un contexte d’ascension spirituelle que la notion paradoxale du Moi, a la fois la seule réalité A dépasser et le seul secret supréme a atteindre, est ainsi envisagéc; l’échelle «dialectique» des centres subtils de Semnani, nous l’avons déja dit, est éga- lement une échelle d’ascension (madérij-e ma‘drij-e wojtid). Une méme remarque s’impose pour Bastami, dont le nom évoque en premier licu le theme de J’ascension (mi‘réj). Or c'est dans les récits d’extase mystique de Bas- tami qu’apparait pour la premiére fois en soufisme la notion abstraite du Moi (andniyah ou mani), a la fois comme réalité a disparaitre” et comme réalité ultime du Moi divin”. L'expérience bastamienne semble se prolonger dans celle de Semnani encore dans un autre sens. D’une maniére générale, on peut dire que le caractére dialectique et dialo- gique de l’ascension spirituelle du Moi que nous venons de relever dans notre traité de Semnani, n’est pas sans rappe- ler ces séries de négations aboutissant a l’expérience de la pure unitude, bien connues des récits bastamiens”; et nous savons que ces récits ont été médités dans l’école d’Esfara- yeni”. Le plus long d’entre ces récits” est un dialogue exta- tique entre le Moi bastamien passant successivement par des expériences d’annihilation et de résurrection devant le Lui (howa) et le Toi (anta) divins, pour s'achever dans un monologue dialogique en «Moi, Moi» (and and). Comme l’a observé Henry Corbin", on entrevoit dans ce récit exta- tique «une conscience approfondie de la triple condition de l’étre sous la forme de Moi...., la forme de Toi...., la forme de Lui», ces trois «personnes» étant chacune 4a son tour le prédicat de l’unite divine au lieu du nom «Allah» dans la formule de dhikr «Il n’est de divinité si ce n’est Dieu» (ld ildha ila Allah). Or, cette triple condition «grammaticale» 300 de l’Etre sera élargie chez Semnani par une quatriéme con- dition, celle du «Nous» (nahno), également percue dans la pratique spirituelle du dhikr. Selon un enseignement retenu deux fois par le disciple Amir Eqbal-e Sistani*, il peut en effet arriver, dit Semnani, que par une «transmutation d’états mystiques» (tabdil-e ahwal) dans celui qui accom- plit le dhikr, le nom «Allah» se change, dans la formule Lé ilaha illa Allah, en l'un des quatre pronoms «Moi», «Nous», «Toi», «Lui» (and, nahno, anta, howa); mais il faut en revenir, en état de réveil (sobriété), 4 la formule nor- male®. Et c’est alors une quadruple condition de l’Etre que Semnani dérive explicitement de cette expérience spirituel- le: ces quatre pronems nous sont en effet expliqués (ibid.) comme étant, dans le méme ordre de succession, les «lieu- tenants» des quatre «lieux d’apparition» (mazhar), a savoir des Noms divins (1) Allah, (2) Rahman, (3) Rahim et (4) Rabb, et ces derniers comme étant l’homologue des quatre niveaux de théophanie (tajalli) que Semnani distingue partout”: (1) Essence (dhdt), (2) Attributs (sifét), (3) Actes (af‘al) et (4) Vestiges (athar). Cet enseignement retenu par Amir Eqbal nous semble étre d'un extréme intérét, parce que ces quatre niveaux théophaniques sont en effet ceux mémes qui constituent la doctrine semnanien- ne de l’étre (wojiid) en général, doctrine postulant quatre niveaux métaphysiques: (1) Essence (dhét), (2) Etre réel ou actuel (al-wojid al-hagq), (3) Etre absolu (al-wojud al-motlaq) et (4) Etre conditionné par le statut ontologique de possibilité (al-wojid al-moqayyad bi l-imkan). Nous avons essayé de montrer ailleurs" comment Semnani entend réfuter, en établissant cette métaphysique «essentialiste», la doctrine de «ceux qui identifient l’étre absolu avec Dieu», c’est-a-dire l'école d’Ibn ‘Arabi. Il est maintenant possible de voir quel est le fondement expérimental de cette méta- physique. On n’a qu’a juxtaposer les différentes structures 301 tetradiques de Semnani pour comprendre en effet que l'Essence «précéde» son Attribut d’Etre réel de la méme maniére que le Moi divin précéde le Nous divin, c’est-a- dire le Moi divin au pluriel. En d'autres termes: c’est a l'intérieur de la Premiére Personne divine que l’Essence précéde l’Etre. Et la méme logique grammaticale explique également la curieuse position de I’Etre absolu au troisiéme niveau métaphysique: étant homologue de la Deuxiéme Personne (Toi), il assume exactement la position inter- médiaire entre l’étre actuel de la Premiére Personne au pluriel et l’étre possible de ia Troisiéme Personne. Duméme coup, il est facile de comprendre maintenant pourquoi Semnani identifie l’étre absolu avec l’acte méme de |’exis- tentiation (fi‘l al-tjad): c’est sans doute parce que la Deu- xiéme Personne est en Islam aussi celle de l’impératif divin existentiateur, celle du kon! (Sois!, esto, et non fiat). Quant a l’«étre possible», c’est-a-dire le monde, le niveau théophanique des «Vestiges», #1 n’y a rien d’éton- nant, en principe, a ce qu’il soit "homologue de la Troisiéme Personne, car cette derniére désigne toujours 1’«absent» (cf. le distyque de Shabastari cité comme leitmotiv de cette introduction), et les «vestiges» sont en effet ce qu’il y a de plus éloigné de la source de l’activité. Mais c’est dans ce détail, semble-t-il, que se révéle encore ce qui distingue la pensée semnanienne comme plus traditionnelle que l’école d’'Ibn ‘Arabi, parce que dans cette derniére, l’ordre de pré- séance entre le Moi et le Lui divins sera renversé en défi- nitive. La raison de ce renversement est sans doute l’idge fondamentale d’Ibn ‘Arabi allant 4 l’encontre du soufisme classique, énoncant que l’Essence est inaccessible en son unitude absolue (ahadiyah) & Y'expérience d’un mystique particulier, parce qu’elle se montre chaque fois sous la forme de «celui 4 qui elle se montre» (al-motajalla lahi, selon la célébre expression d’Ibn ‘Arabi”). Ainsi, pour ‘Abdolkarim 302 al-Jili par exemple, c’est la Troisi¢me Personne (howiyah) désignant l’aspect «absent» et «caché» de ’Etre absolu, qui «précéde» la Premiére Personne (aniyah) désignant l’aspect «présent» et «manifeste» de l’Etre absolu, c’est-a-dire la divinité (ilahiyah) disant «Moi» dans chaque chose” Pour Semnani au contraire, |’Essence absolue n’est précisément pas le Deus absconditus, mais le Dieu qui se révéle a la Premiére Personne dans une supréme expérience mystique individuelle, une «théophanie a savourer» (tajalli dhawqt) qui se situe au dessus du monde des formes, de la lumiére et méme des idées". NOTES 1. Dans Shamsoddin-e Lahiji, Mafatih ol-i‘jaz fi sharh Golshan-e raz, Téhéran, 1337 sh., p. 374. 2. Ms. Or. 9725. Cf. G. M. Meredith-Owens, Handlist of Persian Manuscripts 1895 - 1966, Londres, 1968, p. 7. Il s’agit d'une collec- tion de 42 lettres et de petits traités, dont la plus grande partie sont de Semnani, copiés A Sifi’ab&ad (Semnan) en 894h. sur Voriginal. C’est le manuscrit que nous n’avons pu consulter pour notre édition de la Correspondance spirituelle échangée entre Nuroddin Esfarayeni... et son disciple ‘Alaoddawleh Semnani... (Bibiliothéque Iranienne Vol. 21), Téhéran/Paris, 1972 (voir Correspondance, Introd. p. 28). Les lettres A. I - Vill @Esfara- yeni ainsi que la lettre B. TV de Semnani, publiées dans Corres- pondance, sont en effet conservées par ce manuscrit également, le texte se rapprochant en général de celui du manuserit de Leyde. Nous y reviendrons dans N. A. Isfardyini..., Le Kashif ul- Asrar... «Wisdom of Persia/Danish-i Irdni vol. V, sous presse) 3. Pour une bibliographie semnanienne, voir Correspondance n.5 en p. 33. 4. Cf. Particle «Ala’ al-Dawla» par Fritz Meier dans [Encyclopédie de VIslam (2e édition), pp. 357ss. Selon M. Molé (in R.E.I. 1961, p. 76, n. 58), un autographe des Mashdri‘ serait daté du 16 Rama- zan 715. 5. fol. 2b. Le texte se trouve en foll. 273a - 274b. 303 10. 11. 12. 304 Cf. supra n. 2, Le texte de cette lettre se trouve en foll. 92a - 94b, Elle est sans doute antérieure 4 notre «Epitrey (II) datée de 699h., parce que la variation sur un poeme de Hallaj qui figure dans les deux textes (I 3 et II 3, ef. infra) est déja citée comme un poéme connu par d’autres dans II 3. Aussi, Semnani citera- t-il en 705h. (Correspondance B. IV §6) un poeme adressé antérieurement au Maitre; c'est le poeme qui figure ici I 7 (bandeh haménast...). (Autre auto-citation: Correspondance B. I] § 56 = ici 15 t@ dar-narasad...». Le theme du shekastan-e bot-e pendér (ici I 8) sera repris par Esfarayeni en 693h. selon notre chronologie (Correspondance B. I § 24); et Semnani y répondra encore (ibid. B. II § 45). En outre, la date de notre lettre correspondant au 14 juillet en 689h., cela s’accorde bien avec le fait que Semnani exprime le désir de revoir Esfardyeni «au début de lautomne» (dar awwal-e kharif) (1 9). Les deux formes varient dans les manuscrits. Nous avons tou- jours mis and@’iyat dans les cas fréquents ol: la graphie ne porte ni point ni hamzeh. Dans Eranos-Jahrbuch, XXVI, Ziirich, 1958, pp. 57-187. Comparer aussi, Henry Corbin, Physiologie de VHomme de Lumiére dans le soufisme iranien, étude de 1961 qui vient d’étre rééditée et munie d’un amp'e index: Paris, Libraire de Médicis, 1971. Malheu- reusement, le tome III de En Islam iranien: aspects spirituels et philosophiques, Paris, Gallimard 1972, ceuvre la plus récente d’Henry Corbin sur SemnAni et le soufisme iranien en général, ne nous est pas encore accessible au moment ot nous écrivons ces lignes. Dans les écrits esfarayeniens a notre disposition, nous ne trou- vons le terme de andniyat qu’au sens péjoratif de khwod-bini, ‘ojb ete. Les paroles d’Esfarayeni sur le Moi comme secret sup- réme dans Correspondance B. I § 21 (cf. aussi B. I § 5) peuvent avoir été prononcées sous l’influence de Semn4ni, puisque selon notre chronologie cette lettre B. I est postérieure a la lettre I de SemnAni publice ici. Cependant, il y a chez Esfarayeni une doc- trine de l’4me (nafs) proche de la doctrine du Moi semndnienne. Cf. Louis Massignon, Le Diwén d’al-Halldj... nouvelle édition, Paris, 1955, pp. 92s. et 167 Voir notre étude «Der Briefwechsel zwischen KaSani und Sim- 13. 14. 16. 17. 18. 19. 20. 21. 22. 23. 24. 25. 26. 27. 28. nini tiber Wahdat al-wugad» in Der Islam vol. 50/1 (1953). pp 29-81, ot l'on trouve une traduction allemande des deux poémes selon la version de Jami Comparer le quatrain de ‘Aynolqozat-e Hamadani sur le jand, cité par Esfarayeni dans Correspondance B. I § 20 (cf. ibid. p 127). Cf. infra n. 47. Changer le texte dans Correspondance B. II § 39 suivant la lecon du ms. N: Morakkabat fani shodeh, mofradat halik gashteh. Cf. infra n. 17. Cependant, fand et halak désignent la méme chose selon Kobra, Faw. § 79. Cf. infra n. 47. Istihlak est l'annihilation supréme selon le lexique technique soufi depuis Qoshayri jusqu’a KAshani, cf. Der Briefwechsel, notes 80 et 81 Cf. Fritz Meier, Die Fawd’ih al-§amél wa-Fawétih al-galal des Nagm al-din al-Kubré... (Akademie der Wissenschaften und der Literatur, Veréffentlichungen der Orientalischen Kommis- sion Band IX) Wiesbaden, 1957, pp. 67 - 77 et passim. Comparer également H. Corbin, Physiologie de VHomme de Lumiére... pp. 106 ss. et passim. C£. H. Corbin, L’intériorisation... (Eranos - Jb. XXXVI) pp. T6s., et H. Corbin, Homme de Lumiere... index s.v. temps. Cette cosmologie dynamique «a la Premiére Personne» sera développée par Semn4ni quatre ans plus tard dans la lettre B. II §§ 36 - 39 de la Correspondance, et enrichie de spéculations horifies sur le rapport entre le Alef original et andniyat (cf. aussi B. IT $§ 6). Madérij al-ma‘érij est aussi le titre d'une ceuvre de Semnani; ef. Der Br efwechsel... n. 50. Voir infra n. 47. Par exemple: Al-‘orwah, ms. Essad Effendi 1583, foll. 58a, 66a, 68b, 71a, 7b, 116a - b. Cf. supra n. 9. Notamment H. Corbin, L’intériorisation... pp. 167ss. Selon Al‘orwah, ms. Essad Eff. 1583, foll. 51a ss., 68 s., Tla. Al-orwah, ms. Essad Eff. 1583, fol. 53a. — Egalement dans Mashéari‘ abwab al-qods, cité par Corbin, L’intériorisation... n. 86. Tirmidhi al-Hakim, Al-fargq bayn al-sadr wa l-qalb wa l-fo’dd wa 305 29. 30. 31. 32. 33. 34, 35. 36. 37. 306 Llobb, éd. N. Heer, Le Caire, 1958, Introd. pp. 28s. Comparer aus- si les sept «cercles du coeur» (atwér-e del), dont le premier, le sadr, est appelé piist-e del, chez Najmoddin-e Razi (ob. 654/1256): Mirséd ol“ibad, Téhéran 1336 sh., pp. 109 ss—Chez Esfarayeni, le asecret» (sirr) et l’arcane (Khafi) tiennent lieu des Ge et Te «corcles du cceurn: Kashif ul-Asrar (Wisdom. of Persia vol. V) § 21. Cf. Abt 1-Q4sim al-Qoshayri, Al-risdlah..., Le Caire, 1879/1959, p. 47; Hojwiri-e Jollabi, Kashf ol-mahjib, texte éd. Zhukovshij, pp. 246-50. Aba Sa‘id b. Abi l-Khayr aurait détini le sirr comme une latifah, en dérivant le terme du verset coranique 42:18 «Dieu est latif envers ses serviteurs» (selon Asrar ol-tawhid; cf. R. AS Nichoslon, Studies in Islamic Mysticism, Cambridge, 1921, p. 51). Cité par Hojwiri, Kashf (texte), pp 399, 17 - 400, 10, et répéeté par ‘Attar, Tadhkirat ol-awliya (éd. Nicholson), Leyde, 1905-7, II, p. 38, 6-17. Abi ‘Abdorrahman al-Solami, Risdlat al-malématiyah éd. A. E. Afifi in: Al-malématiyah wa Lstfiyah wa-ahl al-fotowwah, Le Caire, 1364/1945, pp. 100 et 104; répété par Aba Hafs al-Sohra- wardi, ‘Awdrif al-ma‘érif, Beyrouth, 1966, p. 74. L’esprit est également placé au-dessus du secret - sureonscience en page 66 du Mirséd ol-‘tbad par Najm-e Razi Cf. notre contribution «Mystique iranienne: Suhravardi Shaykh al-Ishragq... et ‘Aynulquzat-i Hamadani» in: Essays on Iranian Civilisation and Culture, ed. C. J. Adams, Montréal, 1973. Cf. Tamhidét (éd. A. ‘Osayran, Publications de Université de Téhéran, No. 695) Téhéran, 1341 sh., pp. 73 et 142s., ainsi que les notes 31 et 57 de notre étude citée dans la note précédente. Cf. supra n. 18 Voir Kashif (supra n. 2). Mirséd ol“ibad, Téhéran, 1336 sh., pp. 62-72; ef. ibid., pp. 170-75. Il est impossible de discuter ici le rapport de cette notion d’and- niyah avec celle du «Témoin-de-contemplation» (shahid, shaykh al-ghayb etc-), figure décrite par Kobra dans le méme passage des Fawd’ih (cf. F. Meier, Die Fawd’ih.... index s.v. Doppelgén- ger, et H. Corbin, Homme de Lumiére..., index s.v. témoin). Rele- vons cependant que ce rapport, quel qu’il soit exactement, joue aussi dans l’esprit de Semn4ni: pour lui, la «parfaite substance 38. 39. 40. 41. 42. 43, 45. 46. 47. subtile du Moi» (latifeh-ye kamileh-ye andniyat) est aussi le Miroir dans lequel se contemple le Dieu existentiateur, de la méme maniére que le «Maitre absolu» (makhdiim-e motlaq) ou le «Maitre en moi» (latifeh-ye waldyat) se contemple dans le Miroir puritié qu’est lentité spirituelle du Disciple ou le «Dis- ciple en moi» (latifeh-ye irddat); cf. Correspondance..., introd. pp. 6s. et 19ss. Comparer aussi le «Maitre Esprit» (mard-e jan) chez ‘Attar, Mostbat-ndmeh 40/0 (Tehran, 1338 sh., p. 356); F. Meier, «Der Geistmensch bei dem persischen Dichter ‘Attar,» in: Eranos - Jahrbuch, XIII, Ziirich, 1946, pp. 283-353. Cf. Der Briejwechsel... (supra n. 12), pp. 54 ss., ainsi que notre conférence «Simnani on wahdat al-wujiid», publiée dans Col- lected Papers on Islamic Philosophy and Mysticism (Wisdom of Persia/Danish-i Irani vol. IV), Téhéran, 1349/1971), pp. 91 ss. Comparer aussi Correspondance..., les notes 44 - 48 de l’introduc- tion, en pp. 41 ss. Cf. supra nn. 11-12, et infra n. 48. Cf. Hellmut Ritter, Das meer der seele; mensch, welt und gott in den geschichten des Fariduddin ‘Attar, Leyde, 1955, chapitres 28-30. ‘Attar, Mantiq ol-tayr (éd. Gawharin), Téhéran, 1348/1969, p 163. Mohammad b. al-Monawwar, Asrér ol-tawhid, Téhéran, 1332 sh., p. 15. Cf. Der Briefwechsel..., nn. 83a et 125. Ce semble étre le cas chez Esfarayeni: Correspondance... B.I § 21. Cf. Henry Corbin, Ruzbehan Baqli Shirazi... Commentaire sur les paradoxes des soufis... (Bibliothéque Iranienne vol. 12), Téhéran/Paris, 1966, Introduction pp. 7 ss. Asrér ol-tawhid, Téhéran, 1332 sh., pp. 55 et 217. Ici II 3 et Amir Eqbal-e Sistani, Cehel majles, Majles 19 (ms. de la Bodleienne 1446, fol. 59a - b). Ce dernier passage est connu d'une version en poésie allemande de Friedrich Riickert sclon d'Herbelot (cité par F. Meier, «(Die Wandlung des Menschen im mystischen Islam,» in: Eranos-Jahrbuch XXIII, Ziirich, 1955, pp. 106 ss.) A l’expression az sar-e hasti de notre texte correspond, dans Cehel Majles, la phrase be-khwod-bini dar-oftéd, hameh khwodrad did, mara gom kard, tandis que az ghéyat-e nisti de 307 48. 49. 50. 51. 308 notre texte correspond a hameh mara did 6 khwodré gom kard. Que le terme persan de nisti (non-étre) puisse en effet étre l’équivalent exact de l’arabe al-fand’ (annihilation), c'est ce qui résulte du Kashif ol-asrdr d’Esfarayeni, ainsi que de plu- sieurs autres textes persans mystiques (voir Késhif, supra n. 2) Dans sa lettre adressée 4 Kashani (cf. Der Briefwechsel... p. 81), Semn4ni affirme en effet qu’il avait composé ce poéme dans un état ou holiil lui était apparu comme étant de Tincroyance (kofr), mais l’'union absolue (ittihéd) comme étant la réalisa- tion de l’unité divine (tawhid). Et c’est 1a évidemment ce que Semnani entend par wahdat al-wojid (et non Voriginal halla- jien); car c’est encore la «station moyenne» du tawhid, la der- niére étant l’abolition de toutes les images, de méme que dans notre texte, c’est encore la «station des crus de la Voie mystique». —Quant au quatrain persan, il y a peut-étre une différence ici entre notre texte et la lettre adressée A Kashani, en ce que dans cette derniére, ce quatrain semble typifier une station antérieure méme a la «station moyenne» typifiée par le posme arabe (cf. Der Briefwechsel... n. 150), alors que selon notre texte, les deux poémes typifient la méme «station». — Pour la critique semna- nienne du «christianisme» holili, cf. Henry Corbin, L*intériorisa- ticn..., pp. 144 ss. Cf. H. Corbin, L’intériorisation... p. 149. Pour les outrances de Bastami proférées a la premiére person- ne, cf. Sahlagi, «Al-ntr min kalimat Abi Yazid Tayfir», in: A. Badawi, Shatahét al-stifiyah I, Abu Yazid al-Bistémi, Le Caire, 1949, surtout pp. 111 et 128. Pour une comparaison entre celles de Bastami et celles de Tostari, cf. Abi Nasr al-Sarraj al-Tusi, Kitab al-loma‘... (éd. R. A. Nicholson), 2e édition Londres, 1963, p- 394, 12 ss. Sahl b. ‘Abdallah al-Tostari, Tafsir, Le Caire, 1329 h. q., p. 41; également dans Sarraj, Kitab al-loma‘ (éd. Nicholson) p. 227 (cf. ibid. pp. 345 et 358), et Aba No‘aym al-Isbahani, Hilyat al- awliyd’... vol. 10, Beyrouth, 1387/1967, p. 208—Semnani connais- sait sans doute bien les dicta de Tostari puisqu’il avait étudié le Quit al-goliib du «sdlimien» Aba Talib al-Makki (ob. 386/996) avant son initiation au soufisme par Esfarayeni (cf. Correspon- dance..., introd. p. 10). — Les problémes posés par le Tafsir de 59. 60. 61. 62, 63. 64. Tostari sont étudiés dans une dissertation actuellement préparée par Gerhard Bowering, Montréal. Par exemple Hojwiri, Kashf ol-mahjib (éd. Zhukovskij), p. 306, 9 (mani) Sarraj, Kitab al-loma‘ (éd. Nicholson), p. 382,3 (andniyah) Cf. G. C. Anawati et L. Gardet, Mystique musulmane..., Paris 1961, p. 112. Cf. Kashif (supra n. 2), Annexe No. 6 in fine Sahlagi, «Kitab al-ndr...» (in: Badawi, Shatahdt...) pp. 138-41 H. Corbin (avec la collaboration de S.H. Nasr et O. Yahya), Histoire de la philosophie islamicque, I, Paris, 1964, p. 270. Cehel Majles, Majles 34 et 36 (ms. de la Bodleienne 1446, foll. 134b et 151b). Comparer Kobra, Fawd’ih... (éd. F. Meier) § 115: la difference entre le sobhani, approprié a l'état de «submersion totale», et le sobhanahti, approprié a l’état de «contenance». Pour ce qui suit, cf. nos deux articles cités supra n. 38 Cf. la note précédente. Cf. Ibn ‘Arabi, Fosts al-hikam (éd. Afifi), Le Caire, 1365/1946, texte pp. 61, 91 et 120. Comparer Henry Corbin, L’imagination eréatrice dans le soufisme d’Ibn ‘Arabi, Paris, 1958, note 76 et passim. Cf. ‘Abdalkarim al-Jilani, Alinsén al-kémil... Le Caire, 1304 h. q., I, pp. 48, et 64ss. (les chapitres 15, 26 et 27). Comparer R. A Nicholson, Studies in Islamic Mysticism, Cambridge. 1921, p. 95s—Cf. aussi Shamsoddin-] Lahiji, Mafatih ol-i‘jdz fi sharh Golshan-e raz, Téhéran, 1337 sh. pp. 220s. et 229 (bien que Lahiji reconnaisse par ailleurs aussi la supériorite du Moi, étant donné qu'il écrit un commentaire sur Shabastari). Le tajalli dhawqi correspond chez Semnini au premier niveau théophanique, donc 4 l’Essence et au Moi (ef. supra n. 38). 309 I solely! Ghd ged ob led! oll. [5S] Sly be BS) eile) Meals egos GS Al UT cgay! ple Gall GLY Ly! 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