Titre : Le Venezuela indépendant. Une nation par le discours –
1808-1830. Publication : Paris : L’Harmattan, 1996. (Collection Recherches et documents –Amériques Latines). Pages : 457 p. Type de ouvrage document : Domaine : Histoire. Histoire Politique. Amérique Latine [Venezuela] Observations : Collection dirigée par Joëlle Chassin, Pierre Rangon et Denis Rolland. Préface de François Xavier Guerra. Résultat d’une recherche doctorale. Thèse de doctorat de nouveau régime réalisée sur la direction du Professeur François-Xavier Guerra. « La nation par le discours. Venezuela, 1810-1830 ». Paris, Université Panthéon- Sorbonne, 1992, 732 p. Localisation : bp Historie [ du Venezuela : problèmes] ; Histoire [du Venezuela : méthode] ; Histoire [du Venezuela : XIXe siècle, indépendance] ; Histoire [du Venezuela : méthode, sources] ; Histoire [Venezuela : méthode, périodisation] ; Venezuela [XVIIIe siècle : territoire] ; Venezuela [XVIIIe siècle : société, organisation] ; Venezuela [XVIIIe- XIXe siècle siècle : société, conflits] ; Histoire [Venezuela XVIIIe siècle : Junte de Caracas de 1810] ; Histoire [Venezuela : XVIIIe , politique, représentation] ; Histoire [Venezuela : XVIII, 19 avril 1810] ; Histoire [Venezuela XIXe siècle : politique, citoyenneté] ; Histoire [Venezuela XIXe siècle : indépendance, identité collective] ;
Historie [ du Le présent ouvrage est le résultat d’un travail de doctorat
Venezuela : sur la nation vénézuélienne et plus spécifiquement sur le problèmes] discours de ses acteurs et « fondateurs »… …avons-nous allié un intérêt personnel pour l’Amérique hispanique et la formulation d’une problématique de recherche et décidé de faire porter notre analyse sur le Venezuela au moment des indépendances américaines. De plus , en travaillant sur la première moitié du XIXe siècle, nous nous approchions historiquement de l’épicentre, de l’événement fondateur que représente la Révolution Française, à partir duquel les « périphéries » (l’Espagne, puis ses « colonies » américains) allaient opérer leur propre mutation politique, où la nation apparaît là encore comme un élément central. D’une part, du point de vue de la formation et de la formulation « d’un consensus générateur d’identité ». D’autre part, en raison de la mutation qu’elle engendre au niveau des imaginaires politiques et sociaux, mais aussi quant au mode d’appréhension de ces membres, conformément aux principes qui en sont l corollaire « obligé »… [89 : 13-14] Histoire Nous avions posé les premiers jalons de cette recherche en [méthode] ; étudiant plus spécifiquement le processus de légitimation à Histoire [du l’œuvre au moment de la formation de la Junte de Caracas Venezuela : en avril 1810. Par conséquent, il s’agit ici d’appréhender ses XIXe siècle, implications et ses différentes fonctions dans l’élaboration, indépendance] dans l’édification d’une nation et la tentative de structuration d’une identité dans un cadre national –ou supposé tel. Il nous faudra également mesurer son enracinement ou pour le moins son adéquation avec le « peuple » qui est placé au cœur de ce dispositif. Par ailleurs, ce travail s’inscrit dans un double renouvellement historiographique –extérieur et intérieur au Venezuela- du concept même de nation et de l’appréhension du phénomène national et de l’identité, tentant en cela de prendre à rebous les présupposés d’une historiographie traditionnelle qui a trop souvent considéré l’existence de la nation comme acquise dès que proclamée… [89 : 14] Histoire [du …nous nous proposions de réfléchir sur le processus Venezuela : d’élaboration d’un projet national dans le cadre d’une méthode, modernité de rupture, où le concept même de nation voit sources] son sens et sa définition changer et avec eux tout l’imaginaire politique et social des élites qui en sont à l’origine, il n’était pas question pour autant de négliger l’apport de Bolívar. Homme de discours s’il en est, concepteur et prometteur d’une nation universelle, nous souhaitons toutefois considérer l’ensemble des acteurs de la période étudiée et donner la parole à ceux, plus anonymes et de ce ait souvent négligés, qui empruntent, à mesure que les modes de sociabilité eux aussi se dotent su sceau de la modernité, le chemin de la participation aux choix opérés ou de leur remise en cause. En outre, c’est par le biais du discours que les acteurs tentent de donner corps à cette réalité nouvelle. Sa fonction première consiste alors à jouer sur les sens multiples des concepts employés –en particulier ceux de nation, patrie, peuple- afin de tenter d’opérer un transfert de l’adhésion au nom de leur sens ancien, à celle en faveur du projet élaboré par les élites. Et nous verrons de quelle façon il est fait usage de l’ambivalence des concepts afin de parvenir à un consensus, mais aussi quand et à quelles fins il est tenté d’y mettre un terme […]. Il ne s’agissait en aucun cas de refaire une histoire nationale univoque, tant ces acteurs et les cadres à partir desquels ils se sont exprimés, apparaissaient incontournables pour la compréhension de l’édification de la nation. Mais au contraire, en opérant un retour aux « sources » tenter, en leur redonnant la parole, de contribuer à la sortie de cette « prison historiographique » analysée par G. Colmenares. Nous avons donc fait en sorte de retrouver des sources de nature politique publiées durant cette période, à savoir en premier lieu des textes officielles (décrets, textes de lois, et constitutions), de discours et actes de congrès, et de documents et ouvrages publiés par les élites qui ont pris part au processus, ainsi que ceux rédigés par les acteurs politiques (parfois de façon anonyme) et les membres de la « société civile » : groupes de citoyens, corps civils ou militaires notamment. [89 : 15-16] Histoire Pour ce faire, nous avons cherché à constituer un corpus le [Venezuela : plus diversifiée possible, en prise sur l’événement, avec méthode, également l’étude de la presse qui permettait, en raison de sources] la multiplication des titres –surtout à partir de 1820-, de saisir les différences « régionales », de certains actes de cabildos et, dans le même temps, des textes qui ont un objectif plus théorique […]. Plusieurs raisons ont présidé à la constitution du corpus. Raisons directement rattachées à un axe de recherche que nous souhaitons privilégier car il correspondait à la volonté d’aborder cette problématique de la formation de la nation au Venezuela sous l’angle du politique. En parallèle se sont greffés des impondérables liés à la condition de la recherche elle-même, qui ont renforcé cette orientation… [89 : 16] Histoire Aussi, avons-nous privilégié une conception politique de la [Venezuela : nation qui correspond, somme toute, s’il nous est permis problèmes] ; d’employer ces termes, au substrat historique du Venezuela Histoire et se confirme dès les débuts du processus. En effet, cet [Venezuela : espace politico-administratif n’était pas doté d’une identité méthode, culturelle forte qui puisse servir de fondement à périodisation] l’élaboration d’un discours identitaire dans le cadre de la nation telle qu’elle est proclamée en 1811. Par conséquent, cette dernière est avant tout pensée du point de vue de l’identité politique, fondée sur la libre adhésion de ses membres et régies par des lois propres. Dans ce contexte, l’œuvre constitutionnelle représente le nœud à partir duquel la volonté initiale des acteurs de fonder une république se transforme en volonté constituante. […] la périodisation que nous avons adopté s’articule autour de l’élaboration des quatre constitutions qui jalonnent la période, à savoir 1811, 1819, 1821 et 1830. Elle permet, en effet, de mettre en relief les projets politiques et les enjeux de pouvoir dont ils sont porteurs. D’autre part, elle rend possible une analyse de l’évolution de la pensée des auteurs sur deux point clés pour notre étude. D’une part, la participation de la population à ce projet d’édification « nationale » ; d’autre part, l’appréhension d’un espace national : par les armes et politiquement (notamment au travers du débat sur la fédération). Etant étendu qu’à chaque fois nous assistons à la mise en œuvre d’une identité collective. [89 : 16-17] Ce plan chronologique est également organisé à partir de ces quatre constitutions en raison de leur impact sur le discours de légitimation politique des acteurs et, plus encore, parce qu’elles ont valeur de garde-fou pour l’introduction théorique du peuple sur la scène politique… [89 : 17] …Historiquement, nous avons affaire à quatre moments clés, quatre périodes signifiantes, marquées chacune par une appréhension singulière de la nation, notamment à travers la modification de ses frontières et du mode d’intégration des individus dans le corps politique, et qui révèlent les relations particulières voire ambiguës que les élites dirigeantes entretiennent avec le peuple réel ; et par un rapport ambivalent au passé et partant, à l’identité. L’adoption d’un tel plan était celui qui contribuait le mieux à la compréhension et à l’analyse du discours et de l’appréhension, par les acteurs, du processus en cours durant ces vingt années… [89 : 17] Histoire Il convient, avant d’entreprendre l’analyse du processus qui [Venezuela : s’opère durant cette période, de replacer la rupture de 1810 méthode] dans un contexte historique plus large, interne et externe… [(1) dans le cadre de la réponse générale des deux parties de la monarchie à l’invasion napoléonienne de 1808 puis de l’abdication et emprisonnement de Ferdinand VII qui lui sont consécutives. (2) dans le cadre des conséquences que pour la structure administrative de la Capitainerie eurent les réformes bourboniennes du XVIIIe siècle.] [89 : 19] Venezuela Dans l’historiographie traditionnelle, il est convenu de partir [XVIIIe siècle : des réformes bourboniennes stricto sensu, lorsqu’il s’agit de territoire] considérer les territoires américains à la veille de l’invasion de la péninsule et du démantèlement de l’empire espagnol. Il convient toutefois de signaler que dans bien des cas, et en particulier celui du Venezuela, ces réformes, d’une part s’inscrivent dans la continuité des tentatives de regroupement de ces territoires telles qu’elles ont cours dans la première moitié du XVIIIe selon des logiques différentes ; d’autre part, elles entérinent une tendance amorcée au cours des années 1730, tant d’un point de vue politico-administratif qu’économique […]. Mais surtout, le relatif abandon des territoires vénézuéliens durant le XVI e et XVIIe siècles, de la part de la métropole n’eut pas que des effets négatifs. En effet, ne pouvant se reposer sur une forte « présence » de ses représentants et en l’absence de directives bien définies, le Venezuela, ainsi que le note J.A. Garcia « (…) s’accommodait de ne pas dépendre excessivement de la métropole et à régler de la meilleure façon ses problèmes, créant des circuits commerciaux et [favorisant l’émergence] d’un groupe social adapté qui, le moment venu interviendra afin de défendre ses positions avantageuses et ses privilèges »… [89 : 19-20] …les réformes entreprises sous le règne de Charles III (1759-1788) toujours dans un souci de rationalisation et centralisation de l’administration des Indes, ont des répercussions importantes au Venezuela, dans la mesure où elles signifient en premier lieu, dans le domaine politico- administratif, un pas supplémentaire décisif vers l’unification des territoires jusqu’alors dispersés, ce qui ne va pas sans aiguiser les rivalités inter-régionales, avec la centralisation des organes administratifs et politiques à Caracas. [89 : 22] Venezuela Ce deuxième aspect [caractéristiques socio-ethniques] est [XVIIIe siècle : tout aussi déterminants pour la compréhension des société, modalités du projet politique élaboré par les nouvelles élites organisation] créoles, au pouvoir à partir d’avril 1810 (date de la formation de la Junte de Caracas), ainsi que de sa réception et intégration dans la société. [J.M. Morales, pour une chiffre global de 772.000 habitants : 51,8% de métis, 25,9% d’indiens, 7,7% d’esclaves et 1,5% de péninsulaires][89 : 27] [* Mulâtres : consacrés aux activités d’artisanat et de commerce, développement chez les affranchis d’une main d’œuvre salariée. * Population blanche : blancos de orilla : commerçants, artisans et salariés agricoles. mantuanos o grandes cacaos : riches propriétaires de terres et d’esclaves et les créoles professions libérales, administratives ou appartenant au clergé. Contrôle des ayuntamientos. Monopole des oficios vendibles et direction des milices. Péninsulaires : hautes charges administratives.] [89 : 28] Venezuela Deux traits fondamentaux sont à mettre en corrélation avec [XVIIIe- XIXe cette hétérogénéité de la structure sociale, en ce qu’ils sont siècle siècle : eux aussi déterminants pour la compréhension du processus société, d’indépendance. Tout d’abord, si la société vénézuélienne conflits] telle qu’elle se présente en ce début du XIXe siècle ne peut être définie comme une société esclavagiste, la peur de la rébellion noire est omniprésente, en particulier après le précédent que constitue la révolution haïtienne […]. D’autre part, l’opposition de l’élite créole à la mainmise des péninsulaires sur hautes charges politiques et administratives se fait de plus en plus forte dès lors que la Couronne entreprend des réformes qui, au contraire, vont dans le sens d’une renforcement de son autorité aux « provinces américaines »… [89 : 28] Ces caractéristiques « sociales », associées à la situation géographique des territoires vénézuéliens, permettent d’expliquer l’importance des soulèvements populaires ainsi que leur extrême perméabilité aux revendications des soulèvements d’esclaves qui se produisent dans les Antilles françaises dans la continuité de la Révolution de 1789 […]. Les tensions sociales étaient donc importantes, et nombreuses furent les révoltes d’esclaves au cours de cette période, les dernières se réclamant explicitement des nouvelles idées issues de la Révolution française et auxquelles participent alors des mulâtres qui revendiquent le droit à l’égalité… [Révolte de Coro en 1795 ; Conspiration de Manuel Gual y José Maria España en 1795; complot “noir” à La Guaira en 1798...] [89 : 29] Histoire ...Néanmoins, il convient de signaler qu’en raison même de [Venezuela : la nature des revendications –révoltes anti-fiscales XVIIIe siècle : d’ « ancien-régime » - et en dépit d’un discours société, « révolutionnaire » qui empruntent au précédent français, conflits] ; ces mouvements ne peuvent être considérés comme Histoire annonciateurs, en terme de référents, des réactions [Venezuela : suscitées par l’invasion de l’Espagne en 1808 où la rupture XIXe siècle : se fonde bien plus sur un discours pactiste, traditionnel et indépendance] comme une réponse politique à la crise de la monarchie. Il s’agit bien plus de faire barrage aux possibilités induites par ces mêmes idées nouvelles. L’élite locale, qui prend la direction du mouvement juntiste, est avant tout soucieuse de préserver sa sécurité et la pérennité de ses biens ; dans tous les sens du terme, elle fait « corps », en dépit des conflits et oppositions qui la traversent par ailleurs […] C’est dans ce contexte de crainte d’une propagation de la révolution par les Antilles et d’asphyxie de l’économie, qu’il convient d’analyser les déclarations en faveur d’une rupture avec l’Espagne et les tentatives abusivement qualifiées d’antécédents directs de l’indépendance qui se produisent au Venezuela, à l’instigation de Miranda dès 1795 et de ses essaies avortés de débarquement en 1806... [89 : 29-30] Histoire Si la création de la Junte de Caracas le 19 avril 1810 [Venezuela constitue l’événement à partir duquel les créoles, agissant XVIIIe siècle : toujours au nom de Ferdinand VII et pour la sauvegarde de Junte de la Monarchie contre l’usurpation du pouvoir par Napoléon à Caracas de travers l’accession au trône de Joseph Bonaparte puis la 1810] création de la Régence, prennent en charge le gouvernement de la Capitainerie Générale du Venezuela, il convient de souligner que dès l’annonce de l’invasion de l’Espagne en 1808, il est tenté d’apporter une réponse à la crise. [89 : 30] Dans un premier moment, l’invasion de l’Espagne par les troupes napoléoniennes en 1808 et l’abdication forcée de Ferdinand VII, provoquent, en Espagne et en Amérique, une vague de loyalisme et le refus de reconnaître comme souverain légitime Joseph Bonaparte. Dès mai-juin 1808 des juntes insurrectionnels provinciales sont ainsi formées dans la péninsule, au nom des référents traditionnels de la légitimité historique du monarque, de la religion et de la défense de la patrie, mais aussi en rejet de l’exemple révolutionnaire français ; durant l’été un processus identique est enclenchée en Amérique. Il en va ainsi au Venezuela… [89 : 31] Histoire En outre, ces premières juntes (espagnoles et américains) ne [Venezuela : constituent, somme toute, qu’une légitimité imparfaite et XVIIIe siècle, partielle […]. Bien que reconnue en Amérique [la Junte de Junte de Séville de 1808], elle ne dispose que de la représentation de Caracas de juntes espagnoles. C’est pourquoi très vite, il est décidé de 1810] ; convoquer des représentants de l’ensemble de la nation et Histoire de procéder à l’élection de députés américains. Election de [Venezuela : représentants qui inaugure le premier processus électoral XVIIIe , de l’Amérique espagnole, mais aussi un large débat sur la politique, représentation. De fait, les élections à la Junte centrale, qui représentation] se déroulent en 1809-1810 ont fait jaillir, au moment de leur organisation, des questionnements sur les composantes de la nation et les détenteurs de la souveraineté. […]cette élection crée un précédent, d’autant plus explosifs que leur représentation en proportion de leur poids humain et de leurs ressources est contestée. Dès 1809 le principe de représentation est acquis et lorsque la nouvelle de la dissolution de la Junte Centrale et de son remplacement par un conseil de Régence parvient en Amérique, les élites américains revendiquent le droit de former des juntes au même titre que l’Espagne. C’est sur ce point mais aussi et surtout sur celui de sa représentation aux Cortès que s’effectue, pour l’Amérique la deuxième rupture vers la modernité. En effet, dès lors que les cités-capitales, telle Caracas le 19 avril 1810, créent une junte de gouvernement autonome, et en raison de l’absence de tout pouvoir légitime dans la péninsule, il leur faut procéder à la redéfinition de cette représentation, puisque de facto la souveraineté revient au peuple, qu’il convient lui aussi de définir et de circonscrire. [89 : 32] Histoire C’est pour cette raison que, très vite, une mutation s’opère [Venezuela : qui transforme le soulèvement traditionnel en une révolution XVIIIe , qui, contrairement aux premières déclarations, s’inspire des indépendance] principes politiques modernes. En son centre, le principe de représentation constitue donc le concept-clé de la rupture opérée par les élites, dès que les premières juntes doivent acquérir une légitimité qui ne peut plus se réclamer du monarque disparu. Comme l’a souligné F.X. Guerra, « c’est par le biais du débat sur la représentation que va se produire la grande mutation des élites hispaniques vers le nouveau système de références. En effet, débattre de la représentation c’est aborder les deux thèmes clés qui ouvrent la porte aussi bien à la révolution qu’à l’indépendance américaine : Qu’est-ce que la nation ? Quelle est en son sein la place respective de l’Espagne péninsulaire et de l’Amérique ? » Par conséquent, le processus d’opposition des élites créoles au pouvoir en place en Espagne, tel qui se concrétise au mois d’avril 1810 avec l’organisation de cette junte, possède un enracinement éminemment politique… [89 : 33] Histoire En dernière lieu, nous souhaiterons revenir sur la question [Venezuela des cités et de leurs mutations, en tant qu’espace XVIIIe : administratif et lieu de la représentation politique, dans la politique, mesure où elles font figure d’acteurs récurrents tout au long représentation]] du processus en relation avec le contexte antérieur que nous venons de brosser à grands traits […] si l’on adopte comme postulat que la réponse apportée par les « provinces » américaines à la crise péninsulaire, et qui prend corps dans les cités, s’enracine dans une tradition de forte autonomie mise à mal par les réformes entreprises au cours de XVIII e siècle bien plus qu’elle s’inscrit dans une perspective de constitution d’un Etat-nation, il est possible d’analyser la cité comme véritable espace de représentations et pôle structurant des imaginaires dans une perspective de plus long terme, et leurs action à partir de 1808, comme étant dans un premier temps une réponse critique aux réformes bourboniennes… [89 : 34] Historie C’est uniquement en ayant ce schéma présent à l’esprit que [Venezuela : les enjeux qui affleurent lors de la création de la junte en problèmes] avril 1810 entre cités et acteurs concurrents peuvent être appréhendés à leur juste valeur et non comme des épiphénomènes fruits de factions circonstancielles et/ou partisans, ainsi que les acteurs –et nombre d’historiens à leur suite –les qualifient dans ce temps court de la révolution. Mais surtout, en appréhendant de la sorte cette période, il nous semblait possible –ou pour le moins aisé- de saisir deux aspects déterminants du contexte et de la problématique générale. D’une part ce que recouvre pour les créoles la condamnation du gouvernement de la péninsule après l’invasion napoléonienne alors même que, comme nous l’avons signalé, les projets présumés « préindependantistes » sont des phénomènes ponctuels qui ne valent pas preuve ; d’autre part et corrélativement, de réviser l’étude du discours élaboré à partir de ce moment, dont certains concepts et déclarations on été de façon hâtive considérés comme rattachés à la modernité ou renvoyant à des imaginaires politique et sociaux modernes… [89 : 34] Histoire C’est à partir de ce cadre préalable qu’il nous semble [Venezuela : possible d’appréhender les contours de la communauté qui, XVIIIe , théoriquement, assume désormais la souveraineté dont il indépendance] ; fait mention mais qui, dans le même temps, est à redéfinir. Histoire En effet, sa représentation politique nécessite une [Venezuela : circonscription de son territoire et de ses membres. Il XVIII, 19 avril convient pour ce faire de rendre compte de la journée du 19 1810] avril, signifiante en elle-même du contexte dans lequel s’enclenche se processus, ainsi que des contradictions qui saisissent les acteurs. [89 : 38] Histoire A travers ce compte rendu de la création de la junte, nous [Venezuela : retrouvons pour partie les éléments clés qui permettent de XVIII, 19 avril mieux cerner le mécanisme de légitimation tel qu’il se met 1810] ; Histoire en place dès ce moment, et posé en premier lieu en terme de [Venezuela, confiance. En outre, la création de la junte ayant eu lieu politique, dans le cadre du cabildo, elle dispose d’une légitimité tacite représentation] puisqu’elle s’insère dans le cadre d’une institution légale. De plus, l’acception d’Emparan de remettre sa démission, certes quelque peu forcée, se fait sans grande résistance apparente. Le pouvoir qui lui succède exploite cette situation à son avantage, comme garantie supplémentaire de sa légitimité ; il n’est pas le fruit d’un coup de force. Il existe de surcroît un second facteur déterminant dans ce processus de légitimation : l’accueil réservé par la foule à laquelle le nouveau pouvoir s’efforce de rendre explicite son entreprise. [89 : 38] En ce sens, la journée du 19 avril, fait apparaître successivement différents acteurs qui permettent d’ores et déjà appréhender ce « peuple » auquel il est fait référence […] [Les acteurs : les membres de l’ayuntamiento, les patriciens aux artisans et boutiquiers, ne participent pas à ce premier moment, le peuple amotinado] [89 : 38] Histoire Immédiatement après la célébration de la création de la [Venezuela : junte et la formation du gouvernement provisoire, se pose le XVIIIe siècle, problème de l’énonciation de cette situation inédite ; la Junte de mutation en cours tant au niveau des idées que de la Caracas de conjoncture politique complique, de fait, tout essai de 1810] détermination satisfaisant. Effectivement, un tel contexte s’accompagne de l’apparition de termes et de concepts nouveaux, avec les impératifs de définition afférents, afin qu’ils soient compréhensibles pour ceux auxquels l’on adresse. C’est pour contrebalancer ce flou que les acteurs recourent à des images ou symboles, ce qui est caractéristique d’un tel processus, où le souci de convaincre est plus nécessaire que jamais. Ainsi, avons-nous constaté, comme le souligne fort justement B. Baczko, que dans une période aussi délicate « tout pouvoir doit s’imposer non seulement comme puissant mais aussi comme légitime. Or, dans la légitimation d’un pouvoir, les circonstances et les événements qui sont à ses origines comptent autant que l’imaginaire qu’ils font naître et dont s’entoure le pouvoir établi ». La junte de Caracas se trouve par conséquent confrontée à la nécessité de se légitimer afin de pallier le vide juridique qui, somme toute, entoure sa création, et de répondre, symboliquement, aux appels de la communauté politique dont elle se veut le représentant tant que des élections n’auront pas entériné son existence sur l’ensemble du territoire… [89 : 39] Histoire Le recours au principe de souveraineté du peuple est attesté [Venezuela XIXe dès le projet de l’organisation d’une Junte acquis puis siècle : entériné par l’acclamation du peuple assemblé sur la place. politique, Toutefois, la priorité est accordé en premier lieu non pas représentation] tant à la définition du peuple lui-même, mais à celle des notions en corrélation avec lui, et à la façon dont il sera représenté. Il est certes présent dans les propos et l’objet de nombreux débats ; mais la polysémie du terme contribue peu à la clarification du concept… [89 : 39-40] Histoire …Le peuple est déclaré souverain et par conséquent, tout [Venezuela XIXe gouvernement, quelle que soit sa forme, tire de celui-ci, son siècle : droit à exercer le pouvoir. Par ailleurs, le pacte qui unissait politique, les pueblos du royaume au monarque (en tant que tête du représentation] corps politique de la monarchie) est déclaré rompu dès lors la Junte Centrale élue en 1808 a contrevenu au droit en autorisant, sans consultation préalable, la formation de la Régence. Immédiatement, se trouve ainsi posée une double référence à la notion de souveraineté comme principe légitimateur. D’une part, il est question du peuple souverain en tant que masse de population ; d’autre part, nous trouvons invoqué la souveraineté des pueblos du Royaume. Ces dernières renvoient par conséquent à des entités territoriales, ainsi que F.X. Guerra le définit, lorsqu’il indique que « […] Les « pueblos d’Espagne » font référence aux communautés qui formaient la monarchie hispanique : principalement les royaumes, mais aussi les provinces ou villes principales »… [89 : 40] …Le modèle demeure ici la Péninsule qui, par son organisation juridico-administrative, favorise l’expression des provinces et, au-delà, celui des villes-capitales, des Pueblos […]. Il n’est point question, pour les homme qui ont décidé de la formation de la Junte de Caracas, d’enclencher un processus de séparation politique, mais au contraire de faire en sorte que le corps politique soit préservé, fusse par l’initiative de chacune de ses parties, en référence au droit du Peuple souverain d’où tout pouvoir émane… [89 : 41] Le peuple apparaît dès lors comme une figure-relais entre le roi et les nouveaux détenteurs du pouvoir ; c’est par son intermédiaire que cette « régence » a été rendue possible (dans la théorie sinon dans les faits) et par sa volonté qu’ils ont constitué la Junte. Bien que cette action soit purement fictive, puisque fondée à posteriori, la création de la Junte, fruit d’un compromis politique, est antérieur aux manifestations de rues, aux aclamas, selon l’expression la plus communément usité, avec celle –ambiguë- de votos du pueblo de Caracas (de la cité-capitale) en faveur du départ du Capitaine Générale et pour célébrer la création de la Junte et du gouvernement provisoire. Ses membres s’en remettent dès lors à cette légitimité de fait, fondée sur l’autorité d’un corps abstrait qui permet de s’adresser à l’ensemble des provinces du Venezuela en vertu de l’autorité qu’il leur a été confiée « par ce peuple patriotique et éclairée ». Au-delà, c’est la ville de Caracas qui acquiert cette autorité, lui conférant le droit de se prévaloir de la qualité de dépositaire de la légitimité, face au reste du pays [89 : 42] A partir de la volonté, du vœu (voto) émis par le peuple présent sur la place de la cité-capitale le 19 avril, toute une chaîne de représentation se met également en place […]. Les habitants du Venezuela et, implicitement, les autorités qui, à l’instar de Caracas se constituent en junte de gouvernement, doivent se soumettre à l’autorité de celle de Caracas en vertu du serment d’obéissance que ses membres ont passé avec le peuple souverain. A partir de cette structure pyramidale d’obéissance et de représentation, Caracas joue un rôle d’interface entre le peuple de la cité et les habitants du territoire de la Capitainerie dans sa totalité… [89 : 43] Ainsi défini et placé à l’origine de ce processus, le peuple doit être obéi, tel un monarque de droit divin (en tant que souverain « collectif ») et comme tel, son adhésion est supposé –avant que d’être- et, à l’instar du peuple de Caracas, parée de vertus et de pouvoirs qui demeurent à l’état de virtualité et qui sont, eux aussi, désirés plus que constatés. Le peuple ainsi intégré au processus engagé, une continuité est établie entre ces deux pôles de la société que sont le peuple réel et les élites qui ont pris en charge le pouvoir… [89 : 43] Histoire …dans cette première étape de la constitution d’un pouvoir [Venezuela XIXe autonome, le trait dominant demeure l’unité du pueblo de siècle : Caracas (et par la suite de ceux qui se rallient à son indépendance] ; entreprise)… [89 : 46] Histoire Caracas devient le noyau fédérateur, le pôle attractif vers [Venezuela XIXe lequel doivent converger les intérêts communs. D’ailleurs, si siècle : Caracas se trouve à l’origine de ce mouvement, elle le doit, politique, outre ses qualités naturelles, à sa position géographique représentation] privilégiée qui lui a permis d’être la première avertie des événements d’Espagne… [89 : 46] …Une telle aspiration confirme, dans le même temps, l’oscillation entre la définition du pueblo comme entité géographique et administrative et celle qui renvoie aux habitants ou, figure plus abstrait encore –mais ô combien nécessaire- à celle du peuple souverain. L’appel aux pueblos est ainsi lancé, mais très vite il se circonscrit à une entente plus restreinte, celle des cabildos et des vecinos, détenteurs de l’autorité. Le pueblo représente avant tout l’entité administrative et ses représentants ; le peuple en tant que communauté d’individus est une figure tutélaire qui cautionne, par ses acclamations, le bien-fondé des engagements politiques… [89 : 47] Histoire Ainsi que nous l’avons vu, le concept du peuple est [Venezuela XIXe ambivalent par les acceptions linguistiques et les siècle : composantes humaines que sa polysémie autorise. Et indépendance] lorsqu’il s’agit de procéder à sa représentation politique, c’est à l’entité territoriale à laquelle il est fait référence, comme interlocuteur privilégié. En effet, l’appel à la mobilisation pour les élections est adressé en premier lieu aux pueblos du Venezuela, ces communautés politiques héritées de la monarchie […] Dans le même temps se fait jour chez les représentants de la Junte, dès lors que les élections sont annoncées publiquement, cette méfiance vis- à-vis du peuple réel, bien plus difficile à appréhender et à maîtriser dans ses réactions que celui, aux accents universalistes, proclamé souverain, dont dépend la légitimité politique mais qu’il est impossible d’incarner. [89 : 47] Histoire La conception de l’espace territorial par agglomération des [Venezuela XIXe provinces et des cités avant –voire à la place de- celle des siècle : individus qui les composent, est ici tout à fait explicite. […] politique, Quelle est donc la place réservée au peuple durant cette représentation] phase charnière de la mise en place du congrès qui a malgré tout reçu pour mission, selon les termes mêmes de ses membres , de former un plan d’administration et de gouvernement conforme à la volonté de ces « pueblos ». […] A ces différentes degrés de représentation territoriale, du pueblo jusqu’à la province, s’ajoutent les modalités de participation de la population elle-même et, dès lors, il convient de déterminer qui va être autorisé à participer aux élections. Ce sont les bases de la citoyenneté qui se mettent en place. Quel est ce « peuple » auquel les élites s’adressent dès le 19 avril, sur lequel elles se fondent pour asseoir leur légitimité et qui, dans le même temps, apparaît très vite comme une entité abstraite, effrayante et par la même dangereuse pour la suite de l’œuvre entreprise ? [89 : 49] Or, c’est précisément la référence aux pueblos qui introduit la mutation. En effet, l’attention est immédiatement attiré par l’apparition d’un double langage, selon qu’il est question des pueblos ou du peuple, des habitants des provinces. Nous passons ainsi de la notion de souveraineté du peuple à celle de représentation des pueblos… [89 : 50] Il s’agit donc bien de représenter les pueblos du Venezuela ; ce dernier étant entendu au sens d’entité intermédiaire entre ceux-ci et la grande nation espagnole ; une partie de l’ensemble américain –soit l’équivalent d’un royaume. La légitimité du gouvernement, n’est valide que dans la mesure où celui-ci ne poursuit pas d’autre fin, en sus de la préservation des droits et du respect du pouvoir qui lui a été conféré par le peuple souverain, que de garantir ceux du roi. [89 : 50] Histoire L’impératif de la représentation acquiert une toute autre [Venezuela XIXe signification lorsqu’il s’agit de procéder à la consultation siècle : proprement dite ; d’en appeler, par conséquent, au peuple politique, en vertu du principe proclamé de sa souveraineté. Il y a représentation] d’une part cet impératif de procéder à des élections ; de l’autre, la peur du peuple réel et les dangers, eux aussi incontournables, de lui permettre de prendre part effectivement à cette participation d’un type inédit. Ainsi, cette période électorale est-elle également l’occasion d’un appel à l’unité du peuple… [89 : 51] Histoire Lorsqu’il est question du danger inhérent à la consultation [Venezuela XIXe électoral, c’est au peuple-masse susceptible de surgir sur la siècle : scène politique qu’il est fait implicitement référence. Il politique, représente une menace en raison de ses réactions représentation] imprévues, et de sa réceptivité aux manipulations et aux agissements souterrains de ceux qui, par fidélité à la Régence, se font les agents du despotisme et de la corruption… [89 : 52] Le statut de « sujet », vasallos, reconnu aux pueblos et au membres du corps social, présente un aspect négatif, voire dangereux, puisque cette condition suppose l’absence d’autonomie de jugement pour cette partie du peuple ; même s’il est doté en droit du pouvoir en tant que souverain potentiel de faire observer par la loi. Par conséquent, lui redonner son autonomie par le biais de la consultation électorale signifie, dans le même mouvement, prendre le risque qu’il devienne « sujet » des ennemis de l’ordre et de l’unité… [89 : 52] La multitude est dotée d’une forte capacité de mobilisation, motivée par un instinct de survie et de conservation, mais ses choix no sont pas dictés par la raison […]. Par conséquent, la multitude renvoie donc bien à ces classes indéfinies et indéfinissables qui, tout en étant incluses dans le pueblo n’en demeurent pas moins sans visage. Il y a deux foules : celle, séditieuse identifiée à la multitude, cette masse incontrôlable ; et la foule en liesse venant manifester son soutient et dont le modèle est celle du 19 avril. Cette dernière conforte, par son volume, la légitimité politique en tant qu’émanation de la volonté générale. Mais dans les deux cas de figure, c’est son caractère mouvant qui, telle une lame de fond envahit les rues et bientôt les urnes et dont les hommes éclairés ne sont pas certains de pouvoir contenir les élans et les errements. [89 : 52]. Le problème est dès lors posé de savoir jusqu’ou aller pour opposer un frein aux tempêtes de la multitude hallucinée sans pour autant se couper de ce soutien indispensable à l’acquisition d’une légitimité de fait, face aux pressions de plus en plus fortes de la Régence. [89 : 53] La peur du peuple existe certes, mais ce peuple-masse n’intervint pas directement dans le cadre politique. En outre, il ne faut pas perdre de vue que les élections des députés de novembre 1810 se déroulent dans le cadre de la monarchie et dans le but de suppléer momentanément l’absence du roi par la nomination de représentants légitimes… [89 : 54] Véritable laboratoire du mode d’accès à la citoyenneté et à la pratique politique pour cette nation à venir, il nous permet de saisir le décalage qui existe entre cette velléité politique et sa mise en pratique. L’expérience est d’autant plus aisée que tant que le Venezuela appartient encore à l’empire, la légitimité accordée à la Junte signifie, officiellement, un soutien au roi déchu, au père –titre dont se pare également, en miroir, le nouveau gouvernement ; or c’est bien à la personne du roi que la population est attachée… [89 : 55] …le principe de l’acte électoral acquiert, par effet de retour, une importance et une signification évidentes. Ce n’est pas tant le peuple qu’il convient d’exclure, mais le despotisme et, plus encore, ceux qui l’incarnent et le représentent, à défaut de représenter le peuple lui-même. Cet équilibre difficile –voire introuvable – entre le peuple, être abstrait et idéal, et le peuple réel, est encore opérant à cette date, car le temps des foules fraternelles et unanimes d’avril 1810 est toujours présent dans les mémoires et conserve une force de persuasion importante ; celles, à la fois nécessaires et menaçantes, des hommes en armes ne s’y sont pas encore substituées… [89 : 55] Histoire Cette partie éclairée du pueblo s’affirme immédiatement non [Venezuela XIXe seulement comme porte-parole et détenteur des valeurs et siècle : de la volonté générale, mais également comme garde-fou politique, face aux possibles débordements de la multitude, ce qui représentation] constitue un corollaire logique de sa première fonction… ; Histoire [89 : 56] [Venezuela XIXe Il convient dès lors de s’interroger sur l’identité de cette siècle : partie de la population qui compose la « saine » de Caracas politique, et, au-delà, des villes qui se rallient au mouvement qu’elle a citoyenneté] impulsé. Soulignons d’abord que de telles mentions éparses dans le corpus, se présentent sous deux formes, à savoir des classifications par groupes et celles qui distinguent des personnes, en fonction de qualités particulières. Concernant les groupes, le terme le plus usité est celui de « classe », associé à des adjectifs qui en déterminent les qualités, morales avant tout, et celui de corps…[89 : 57] Nous retrouvons bien ici, non seulement les qualités morales mais également la notion d’utilité qui fait référence, outre l’exercice d’une activité, à une fonction utile à la société et qui contribue à sa richesse, au principe d’utilité en terme de capacité –et donc de droit- à exprimer, notamment par le biais du vote, son opinion sur la chose politique. […] A ces classes honnêtes correspondent des catégories à caractère économique auxquelles des qualités morales sont associées. C’est en fonction de cette double appartenance, que l’on acquiert le droit, là encore, de s’exprimer… [89 : 57-58] Histoire …Ainsi parvenus à définir les limites d’une communauté par [Venezuela XIXe ailleurs insaisissable, les acteurs politiques voient dans siècle : l’élection des députés et leur réunion en congrès indépendance, constitutionnel en vue de rédiger la loi suprême que identité représente la constitution, le passeport pour l’avenir du collective] pays. En cela, elle constitue une spécificité du Venezuela qui, une fois de plus, se fixe pour mission d’entraîner dans son sillage l’ensemble du continent. Par contre, il n’est jamais fait référence, dans cette tentative de circonscrire la communauté à gouverner, à une identité de type culturelle de la « nation » vénézuélienne, antérieure ou indépendante des référents espagnols. C’est bien plutôt comme partie – certes la plus illustre- de la grande nation espagnole que le Venezuela (et plus encore Caracas) exprime le droit de suppléer le pouvoir vacant en Espagne, puis de s’en séparer. Ses élites revendiquent avec force cette assimilation à ce qui constitue la spécificité espagnole… [89 : 73] Conservatrice des droits du monarque, Caracas confirme ainsi la distinction qu’elle a acquise en raison de son antériorité sur les autres cités. A ce titre, elle revendique le statut de nouveau centre politique, souverain et légitime, à partir duquel il est possible que la nation espagnole se reconstitue… [89 : 73] Histoire Après la célébration des élections, au mois de novembre [Venezuela XIXe 1810, le gouvernement annonce la réunion du premier siècle : congrès constitutionnel vénézuélien pour le 2 mars 1811. indépendance] […] le texte de ce serment pose apparemment explicitement le principe de l’indépendance et de la constitution d’une Etat, tout en réaffirmant la défense des droits de Ferdinand VII. [89 : 75]] Histoire Les débats se structurent à partir de cette problématique, [Venezuela XIXe par laquelle, arguments juridiques à l’appui, le deuxième siècle : terme de l’alternative est écarté et permet d’entreprendre la politique, marche vers l’indépendance effective ainsi que la représentation] réorganisation des provinces du Venezuela… C’est en définitive sous la pression de la Société Patriotique de Caracas et du journal qu’elle publie, El Patriota de Venezuela, que l’indépendance est mise au débat et proclamée le 5 juillet 1811… [89 : 76] …il s’agit en premier lieu de déterminer les modalités institutionnelles à partir desquelles les différentes provinces du Venezuela, réunis en représentation nationale, vont pourvoir à leur gouvernement. S’il n’est pas question officiellement, lors de l’ouverture des sessions, de rompre tout lien avec l’Espagne, mais uniquement avec son gouvernement jugé illégitime, l’hypothèse d’une rupture totale était, dès avant avril 1810, au centre des débats. Outre le rappel des précédents de Gual y España de 1797 et des projets de Miranda, au mois de janvier 1811, des articles paraissent dans la presse qui attestent de la volonté d’une partie des élites de proclamer l’indépendance, fondée en droit, et d’accéder au rang de nation, en tant que communauté auto-gouvernée… [89 : 77] Histoire Aussi s’agit-il tout d’abord de débattre de la question de la [Venezuela XIXe représentation des entités qui forment cet ensemble lors de siècle : l’ouverture du congrès ; qu’il s’agisse des individus ou politique, ensembles territoriaux (provinces, municipalités, cités). Et représentation] c’est sur ces derniers que les débats s’engagent… [89 : 77] Ce débat constitue le préliminaire incontournable de l’indépendance, dans la mesure où il sous-entend la définition d’un nouveau pacte politique afin d’entériner la rupture, mais aussi d’éviter la dissolution du corps social. […] Les acteurs de la « révolution » doivent suppléer l’appartenance à la grande nation espagnole par l’établissement d’un nouveau contrat politique […]. Or, dans le cas particulier de la société vénézuélienne en ce début du XIXe siècle, l’hétérogénéité ethnique et sociale renforce l’urgence de cette reconstitution. [89 : 79] …Nous percevons ici la conscience des acteurs ainsi que leur incapacité à dépasser la distorsion qui existe entre les classes dirigeants –les élites- et le reste de la population. Une forte dichotomie apparaît entre les affirmations de principe et leur inadaptation à l’état réel de la société qu’ils ont pris en charge de diriger ; le retour à un état de nature idéal, nécessairement théorique, ne saurait être mis en pratique, tant sont ténus les liens entre les membres du corps social. De même, le principe de la souveraineté du peuple ne saurait aller au-delà d’un discours de légitimation conjoncturelle… [89 : 79] Deux niveaux d’organisation s’articulent et se complètent dans ce texte. D’une part, le corps politique comme réunion d’individus rassemblés par l’adhésion à un projet politique et co-responsables de leur destin. D’autre part, ce corps organique qui cimente une communauté hétérogène et définit les liens de subordination des individus et des corps aux autorités dont ils se sont dotés. Seule cette subordination, dont la nature organique pour décrire les relations politiques confirme cet impératif d’union, peut arracher l’homme à sa condition d’individu isolé, pour le faire participer à la cause commune. […] Implicitement, elle [l’indépendance] pose le problème de ce qu’il doit advenir du pacte qui liait jusqu’alors la colonie à la métropole. La controverse qu’elle occasionne entre les membres du Congrès, outre le fait de révéler les enjeux de pouvoirs au niveau des provinces, permet de cerner la nature du nouveau contrat à établir ; sous quelle forme il doit être formuler et avec qui. [89 : 81] Histoire C’est en tant que représentants des provinces qui ont [Venezuela XIXe adhéré au principe de la Junte, à savoir Margarita, Cumaná, siècle : Barinas, Barcelona, Mérida, Trujillo y Caracas, que les independance] députés engagent la discussion sur l’avenir du Venezuela ; et en premier lieu sur la forme politique qui doit être adoptée, ainsi que la base à partir de laquelle l’indépendance doit être envisagée, posant immédiatement la question des liens avec l’Espagne et de l’héritage administratif afférent. La première pomme de discorde est, en effet, directement déterminée par ce dernier aspect, puisqu’il s’agit de la contestation du principe de vote adopté par province qui entérine l’inégalité existant entre elles, certaines, en raison de leur nombre d’habitants, disposant d’un nombre inférieur de voix. Or, ce découpage est celui en vigueur depuis la création en 1777 de la Capitainerie Générale du Venezuela, qui renforçait considérablement le rôle de Caracas, dont le gouverneur, en sa qualité de Capitaine général, détenait dorénavant les pouvoirs militaires sur l’ensemble du territoire. [89 : 81]
Venezuela …l’installation en Espagne d’un pouvoir jugé illégitime a, de
[XIXe siècle , fait, rompu les liens du pacte social entre le Roi et ses territoire] colonies […] ils sont unanimes pour reconnaître cette rupture qui rétrocède au peuple les droits de la souveraineté en qui ils résident originellement… [89 : 81] Dès lors, il s’agit de savoir si la réorganisation des provinces ne va pas à l’encontre des objectifs de réformes que se sont assignés les députés et, particulièrement , celles qui doivent permettre de définir la forme du gouvernement, de conduire le pays à l’indépendance et finalement de définir un nouveau contrat […]. Toutefois, ces souverainetés provinciales ne sont pas sans poser problème au sein du Congrès, dans la mesure où la rupture du pacte entraîne théoriquement la disparition des anciennes limites de provinces… [89 : 83] Venezuela …le poids considérable de Caracas, d’un point de vue [XIXe siècle , administratif et territorial est renforcé, compte tenu du rôle territoire] moteur qu’elle joue dans le processus politique de séparation du pouvoir en place en Espagne […] se fondant sur la situation politique en Espagne, dont la Junte de Caracas a officiellement refusé depuis le 25 décembre 1810 de reconnaître les représentants, certains députés vont jusqu’à envisager le redécoupage de l’ensemble des provinces. Là encore, l’argumentation théorique qui étaie les débats laisse entrevoir le nécessaire retour à un état original, jamais précisé au demeurant ; table rase idéale, elle compléterait le retour de l’individu à sa dignité primitive, tel qu’il s’est opéré par l’acte fondateur du 19 avril… [89 : 83] Venezuela Dès lors, se pose le double problème occasionné par la [XIXe siècle ; rupture du pacte avec l’Espagne, à savoir les limites des indépendance, frontières provinciales mais, aussi, voire surtout le poids représentation inégal des villes-capitales et plus particulièrement celui de politique] Caracas… [89 : 84] Une telle redistribution des pouvoirs au détriment des provinces est d’importance dans les conflits qui, en 1811, opposent les députés pour la définition des nouveaux liens qui doivent unir ces provinces –si tant est que leur existence en tant que telle soit encore légitime. Car c’est bien autour de cette hypothèse que se noue la polémique. Dans la mesure où les limites intérieures sont considérées caduques, il appartient désormais aux pueblos du Venezuela, à égalité de décision, de décider des termes du nouveau contrat qui doit les réunir, selon les nouvelles limites établies, en Etats confédérés, et permettre ensuite d’ouvrir le débat sur la constitution. [89 : 86] Il s’agit bien des pueblos-villes qui, en dernière analyse, sont considérés comme souverains. Ils sont en outre porteurs d’identité et garants de la prospérité locale ; argument supplémentaire en faveur d’une division du territoire qui respecte ces petites entités. […] nous percevons à quel point est forte l’expression de « particularismes », qui témoigne au demeurant d’une conception fragmentée de la représentation et de la difficulté à accepter une autorité centrale sans y voir immédiatement une atteinte à la souveraineté des représentants de ces provinces (et plus encore des villes). Cette vision sera d’ailleurs au centre du débat sur l’octroi de l’égalité des droits aux mulâtres […] En effet, ce qui est en jeu ici relève du pactus societatis unissant les citoyens entre eux et dont la rupture devient possible dès lors que celle du contrat entre les provinces et la monarchie est admise. Mais, en ce cas, la dissolution du corps social serait automatique… [89 : 86] Venezuela …la crainte d’une telle dissolution [du corps social] renvoie à [XIXe siècle : la spécificité géographique du Venezuela. Vaste territoire, organisation composé de régions où la densité de population est très territoriale, faible et par conséquent les liens très distendus, tant entre organisation ses membres qu’avec le pouvoir –même local-. Véritable politique] population frontière, le retour à l’état de nature, redouté comme conséquence de la destruction des liens primaires, correspond ici à une quasi-réalité. […]Le nouveau contrat doit surgir d’un état de nature de principe, à défaut d’être le résultat d’un processus historique. [89 : 88] La permanence d’une telle pyramide d’interdépendance est assurée par les municipalités qui structurent cet ensemble de relations et confèrent à l’entité pueblo sa toute-puissance souveraine. L’accession du Venezuela au rang de nation moderne, comme certains auteurs l’annoncent au mois de janvier 1811, se heurte, par conséquent, à une conception ancienne du corps social. La suppression des corps ne peut être envisagée sans que surgisse la crainte de l’anarchie… [89 : 88] Dans ce débat, le primat du pueblo, de la ville, fait obstacle à une conception moderne de la nation, composée d’individus autonomes et représentés en tant que tels… [89 : 88] Venezuela L’union est essentiellement dictée par une nécessité d’ordre [XIXe siècle : extérieur et non tant par le désir d’une législation commune organisation qui serait seul à même de fonder un corps politique politique] homogène, une nation. La souveraineté unique est envisagée pour les relations avec l’extérieur, mais elle demeure multiple pour tout ce qui relève de la gestion interne. Seule cette dernière leur paraît capable de susciter l’adhésion de communautés attachées avant tout à leur province, à leur ville, première étape vers un sentiment d’appartenance plus large. [89 : 94] Venezuela Si la mise en œuvre du processus électoral dès juin 1810, [XIXe siècle : puis l’ouverture du Congrès constitutionnel marquent le organisation primat de la souveraineté des pueblos au détriment du politique] peuple, dont les capacités à faire usage de sa raison pour choisir en fonction du bonheur général sont mises en doute, il n’en demeure pas moins qu’un nouvel acteur fait son apparition dans le champ politique : l’individu-citoyen. Se référant au principe du Peuple Souverain, le recours à la consultation par les urnes est, de fait, placé au cœur du dispositif politique et sera présenté comme tel dans la constitution présentée en décembre 1811. [89 : 94] Venezuela Cependant, lorsqu’il s’agit de passer de cette mise en [XIXe siècle : théorie de l’action, à la réalité de la consultation des indépendance, membres de la communauté, c’est un tout autre peuple qui citoyenneté] jaillit, bien plus dangereux que celui idéalisé par les élites au pouvoir. Son ignorance ne semble à même de conduire, par miracle, à des actes nés de la saine raison. Sa soif de liberté n’est dictée que par les passions qui l’agitent, et la force de l’éloquence ne suffit plus à l’endiguer. [89 : 95] Venezuela Les débats qui jalonnent l’année 1811 attestent du caractère [XIXe : tangible de ce clivage entre l’élite au pouvoir –et indépendance] légitimement à ce poste depuis les élections de novembre 1810- et ceux qui, dotés virtuellement de la qualité de citoyens, n’en constituent pas moins une partie de la population que ses représentants entendent écarter de la vie politique… [89 : 95] Malgré toutes ces précautions, tant oratoires que législatives, le problème de la participation politique et de ses dangers se trouve posé dès les sessions de juillet à propos de l’opportunité d’engager le processus devant mener à l’indépendance. Le débat porte précisément sur la nécessité, ou non, de consulter la population… [89 : 95] Venezuela Afin d’obtenir le droit à l’expression, il faut disposer des [XIXe : connaissances nécessaires. C’est ce qui, justement fait indépendance : défaut aux peuples et aux petites villes de l’intérieur. Les citoyenneté] répercussions de l’ignorance de la population déplacent les danger au niveau des luttes que se livrent les caciques locaux et les représentants d’une entité qui se veut nationale, mais demeure en réalité une juxtaposition de provinces ; aux deux niveaux, ces hommes défendent des intérêts locaux, opposés parfois au projet d’indépendance. Ils représentant une menace en cela qu’ils ont investi l’espace politique par le biais des pratiques électorales modernes inaugurées en 1810, mettant à jour les tentatives de ces oligarchies anciennes de jouer de leurs ascendant traditionnel et de la force des réseaux dont elles disposent pour conserver le contrôle des municipalités et dans le même temps siéger au Congrès. [89 : 100] Venezuela Il importe surtout de voir qu’il existe également dans son [XIXe : discours une perception très vive du hiatus séparant les indépendance] élites ainsi que leurs idéaux du reste de la population, mais aussi la croyance presque vaine en la toute-puissance des mots et en leur capacité à agir sur le politique et les mentalités, notamment pour parvenir à l’unité de la communauté autour d’un projet défini comme national. La sacralité dont sont investis les deux actes fondateurs comme l’expression de la parole républicaine en ce qui concerne la proclamation de l’indépendance et, pour reprendre la distinction proposée par L. Castro Leiva, comme « resurrección de la « libertad del habla » a traves de la sacralidad de su textualismo » pour ce qui est de la constitution, atteste de ce procédé discursif aux objectifs didactiques où l’éloquence joue un rôle important… [89 : 102] Venezuela Dès le principe d’indépendance entériné par le congrès, et [XIXe : jusqu’à la rupture occasionné par l’arrivée des troupes indépendance : espagnoles en février 1812, marquant une modification des citoyenneté] priorités, avec des répercussions importantes quant aux acteurs mis en avant dans le discours, le citoyen au sens large du terme apparaît comme la figure centrale. Par les droits afférents à ce statut qui désigne l’homme libre, il incarne la modernité politique, car il jouit des droits civils, par opposition au vasallos. Ce passage de l’état de sujet à celui de citoyen implique théoriquement la mutation de l’homme politiquement immature en un être doué de raison et donc apte à intégrer les concepts modernes. Véritable « génération spontanée », son apparition est consubstantielle à l’accession du pays à l’indépendance. Elle est entièrement tournée vers l’ avenir et dégagée de toute allégeance au passé. Elle rompt ainsi avec les vices rattachées au système politique qui les caractérisait… [89 : 102] …le citoyen est certes présent en tant qu’acteur, mais le plus souvent comme simple témoin de ce qui va se dérouler, entérinant en cela le clivage posé par l’adoption d’un mode de suffrage, certes quasi universel dans son principe mais qui, par l’instauration du vote à deux degrés, écarte de fait un nombre important de citoyens au profit d’une minorité qui détermine la représentation au pouvoir… [89 : 103] …Bien qu’il [le citoyen] soit interpellé par ce « titre » dès janvier 1811, pour jouer le rôle de témoin vigilant du travail qui va être accompli par les élus qu’il a contribué à élire, les actes par lesquels le citoyen fait réellement son apparition dans le discours politique –et partant dans son élaboration- sont la déclaration d’indépendance et la constitution… [89 : 104] L’ambiguïté n’est pas levée quant au degré d’inclusion suggéré dans cette définition du citoyen. Si, à première vue, ce sont bien les habitants des provinces, les critères requis de rationalité et d’instruction qui s’y rattachent, nous paraissent restreindre, de fait, son champ d’application aux seuls habitants éclairés des cités, aux vecinos… [89 : 104] …acception très large de la citoyenneté, en référence à l’appartenance à la nation et non lié exclusivement au vote, le décret du 8 juillet déjà mentionné précisant que tous les citoyens de plus de 15 ans ont obligation de venir prêter serment. Le critère d’âge, inférieur aux 21 ans requis pour être électeur au premier degré correspond, de fait, aux dispositions prises pour l’enrôlement dans la milice : de 15 à 60 ans. Le nouveau contrat conclu par la volonté des individus, confère au citoyen vénézuélien tel que célébré lors de la proclamation de l’indépendance, une dimension universelle, à l’instar des droits et devoirs qui lui sont associés. En cela, il constitue le fondement de la nationalité vénézuélienne, consacrant dans le même mouvement l’indépendance d’un territoire aux limites internes floues, mais dont les frontières extérieures sont déterminés […] la définition du citoyen retenue dans la constitution privilégie-t-elle cet esprit unitaire de l’édifice, au détriment des particularismes provinciaux. [89 : 105] Venezuela Le fait d’établir une corrélation entre la condition d’homme [XIXe : libre et le titre de citoyen confirme l’exclusion des individus indépendance, dépourvus de cette liberté, en particulier celles des esclaves citoyenneté] qui se trouvent écartés de toute participation à la vie politique dès lors qu’ils ne sont pas considérés comme des individus dotés d’une autonomie juridique. Par conséquent, c’est à l’intérieur du corps même de citoyens que vont s’opérer les distinctions permettant de maintenir malgré tout les solidarités anciennes et d’assurer aux élites le plein contrôle de l’exercice du pouvoir… [89 : 105] Venezuela …le débat soulevé par la question du statut des mulâtres, [XIXe : avec la volonté d’éviter que le mécontentement suscité par politique, leur mise à l’écart de la citoyenneté ne conduise à un acteurs] soulèvement social, ainsi que l’annonce de troubles « antipatriotiques » contribuent à l’intrusion des hommes en armes dans le champ du politique. [89 : 114] A travers ces premières épreuves, le vœu émis au moment de la déclaration de l’indépendance que la patrie soit considérée par des citoyens comme leur bien le plus précieux, au point qu’ils acceptent de mourir pour elle, prends corps. Un lien est délibérément établi entre l’action politique et l’action militaire, la seconde défendant la première qui, en retour, s’engage à récompenser ceux qui se sont ainsi engagés au service du pays. Elle les assure d’une part de sa reconnaissance et, d’autre part, elle leur apporte la preuve de l’efficacité de ce soutien en leur présentant les décisions politiques comme lui étant directement liés ; la constitution n’aurait ainsi pu voir le jour sans l’effectivité de cette symbiose. De plus, par ce biais, un fraction plus importante de citoyens acquiert une fonction participative sans que soit pour autant remise en cause la cohésion politique au sommet de l’édifice social –et partant politique. En effet, la distinction établie entre les différents groupes d’acteurs, lors de la promulgation de la constitution, rend compte des liens d’interdépendance qui régissent leurs relations. Interdépendance qui s’inscrit également dans le temps écoulé depuis le 19 avril ; chaque « ordre » nouveau se voit assigner un rôle particulier qui contribue à sa façon à l’édification d’une nouvelle patrie, les citoyens étant placés au sommet de cette pyramide qui marque chronologiquement le terme de la révolution avec la célébration du nouveau contrat [89 :114] Venezuela Si la volonté d’une certaine redéfinition des termes du [XIXe : contrat avec la métropole est formulé dès le 19 avril 1810, indépendance] c’est au moment de la déclaration d’indépendance le 5 juillet 1811 (toute velléité de sauvegarde des droits –usurpés- de Ferdinand VII abandonné) qu’elle va acquérir toute sa vigueur. Préconisée publiquement dès le mois de novembre 1810, l’indépendance offre alors la possibilité d’envisager un avenir plus heureux et l’attention est immédiatement attirée sur le fait que la « régénération » du pays ne saurait être entreprise qu’à la condition d’effacer les « vestiges de l’ancienne tyrannie ». Pour ce faire, il est demandé aux Vénézuéliens de « poser un voile » sur toute la période antérieure à cette « auguste » époque. [89 : 121] Venezuela Au-delà de cette condamnation qui vise avant tout un [XIXe : système politique, il existe des pans entiers du passé Indépendance] colonial que l’élite créole au pouvoir entend conserver soit parce qu’ils sont constitutifs de l’identité du pays ou indispensables à l’accomplissement de l’œuvre de l’entreprise. Mais dans ce dernier cas, cet attachement, dicté par la conjoncture, s’émousse au fur et à mesure que le nouveau pouvoir acquiert de la force et que sa légitimité s’affirme. L’indépendance, le 5 juillet 1811, marque officiellement le terme de l’allégeance au monarque… [89 : 122] A ce titre, l’utilisation de la trilogie « La Religion, le Roi, la Patrie » qui figure notamment dans les serments, à l’instar de l’Espagne bien avant 1808, est caractéristique de cette volonté d’union à partir du référent religion. Cette dernière confère en outre à la patrie une dimension sacrée liée à la difficulté de définir ce concepts hors de la chrétienté à laquelle elle appartient […] dans le cas du Venezuela […] la religion catholique constitue l’assise de leur identité… [89 : 123] C’est par la préservation de ce « caractère espagnol » (religion, langue) que la nouvelle communauté politique postulée (la nation) peut être projetée dans l’avenir et se trouve dotée de toutes sortes de perfections idéales. [89 : 124] Venezuela [Mise en place du processus électoral]. Elle consolide et [XIXe : légitime les choix politiques opérés depuis avril. De fait, dès Indépendance] sa création, la junte est ancrée dans un dans un processus historique et la possibilité qu’elle figure dans les annales de l’histoire est liée à la capacité de ses dirigeants et de l’ensemble des acteurs politiques à mettre en œuvre les objectifs fixés. Elle ouvre le vaste champ du possible, propre aux actes fondateurs et qui confère aux discours des accents prophétiques quant aux perspectives qui s’ouvrent pour l’avenir de la patrie. Ainsi est-il mentionné à plusieurs reprises que la « révolution » de Caracas fera date ; le mot révolution étant alors entendu au sens de retour à une origine idéalisée et employé comme synonyme de régénération… [89 : 124] Venezuela La vertu et l’enthousiasme propres à l’héroïsme du 19 avril [XIXe : ne sont, de fait, plus suffisants dès lors qu’il s’agit de indépendance] garantir la pérennité de la junte et, partant, la crédibilité du processus entrepris. Ce sont en effet des fondements trop abstraits pour obtenir l’adhésion d’une population hétérogène, tant sur le plan ethnique que culturel, et permettre à ceux qui évoluent en marge d’une certaine modernité, telle que revendiquée par les élites, de s’identifier au projet qui leur est proposée. D’où, en définitive, le recours à cette fiction démocratique des élections qui créent un pôle officiel de rassemblement permettant, justement, d’entrer dans l’histoire. C’est pourquoi la phase de préparation électorale apparaît véritablement comme le moyen de faire exister le pays sur la scène des nations –toujours au nom de la conservation des droits du monarque –et, par conséquent, de conférer aux mois écoulés, une dimension historique. Ainsi, c’est bien davantage de façon rétrospective que le 19 avril est considéré comme un acte mémorable, une fois que le processus de légitimation par les urnes est mis en marche… [89 : 125] Venezuela …l’annonce du débarquement des troupes espagnoles à [XIXe : Puerto Rico au mois de janvier 1812, puis de la marche de Indépendance] Monteverde sur Caracas en mars de la même années, met à l’épreuve de la réalité un certain nombre de principes inhérents à l’accession à l’indépendance et de droits reconnues au peuple par la constitution. Aussi, une double approche s’avère indispensable, organisée, d’une part, autour de l’idée de défense de la patrie avec ce que cela suppose du point de vue de l’adhésion de la communauté aux valeurs de liberté et d’union qu’elle incarne. D’autre part et simultanément, de l’élaboration d’une réflexion sur l’identité de cette communauté… [89 : 136] Venezuela [A propos de l’analyse de la notion de « patrie en danger » [XIXe : l’auteur analyse les rapports religion-patrie] …Dans son Indépendance] origine comme dans la pérennité de son destin, les deux forces sont indissociables, la religion conférant au sol qui doit être défendu, son caractère sacré… [89 : 138] Outre l’objectif militaire, nous percevons ici le rôle conféré au référent religieux qui, immédiatement, entraîne l’identification de l’ennemi à un véritable profanateur du sol vénézuélienne qui abrite en son sein la religion catholique… [89 : 139] Venezuela …A la différence des deux années précédents, durant [XIXe : lesquelles la priorité accordée à l’édification politique avait Indépendance] consacré la prééminence d’une appréhension beaucoup plus théorique et, dans le même temps plus idéalisée, de l’espace reconquis, la nécessité de la défense par les armes fait apparaître un sentiment d’attachement qui relève beaucoup plus de l’affectif… [89 : 141] Venezuela …les membres de l’élite politique s’interrogent en 1812- [XIXe : 1813 sur le problème de la corrélation entre les mœurs et Indépendance] coutumes d’une population et la nature de ces lois et institutions. Parmi ceux-ci, J. Roscio pose le premier problème, en des termes qui le distinguent des autres auteurs, qui s’expriment surtout à partir de 1818. […] J.G. Roscio reconnaît que la population a des pratiques, des coutumes, des références qui lui sont propres, mais que celles-ci présentent l’inconvénient d’être des filles du despotisme ; elles ont été plaquées sur la population au moment de la Conquête. Par conséquent, il ne peut être question de construire un édifice constitutionnel sur de telles bases, au risque de faire disparaître uniquement les tyrans et non pas le terrain favorable à leur présence. Il appelle dès lors à une véritable tabula rasa, en renouant avec l’homme à l’image de Dieu, son créateur, et en entreprenant l’instruction des individus ainsi régénérés… [89 : 144] Venezuela A plusieurs reprises, des insurrections sont mentionnées lors [XIXe : des derniers débats qui ont lieu au congrès en 1812, de Indépendance ; même que l’impératif du combat à mener, désormais, sur les catégories deux fronts, intérieur et extérieur. Or, nous pouvons sociales, remarquer que les responsables ne sont, un fois encore, appartenances jamais clairement mentionnées. Il est question des troubles, politiques] d’insurrections, de manipulations et, en ce qui concerne leurs acteurs, de factieux, de semeurs de discorde. Cette difficulté à désigner et à identifier l’ennemi intérieur est inhérente à la mutation politique opérée, qui a détruit les référents traditionnels de classification de la communauté en ordres distinctes. [89 : 146] Dans cette lutte où s’opposent les couples passions-raison, vices-vertus, qui sont les critères principaux dans cette perception politique qui ne reconnaît que l’individu et la communauté dont il est membre, et où les premiers termes du binôme semble prévaloir dans ce contexte troublé, toute les manœuvres imputées à ces ennemis occultes sont, de fait, une menace à l’existence même de la patrie… [89 : 148] Venezuela Une telle organisation [militaire] en vue de la défense de la [XIXe : patrie, et des acquis politiques qui lui ont permis de figurer Indépendance ; au rang des nations, incarnant la rupture avec l’Espagne, catégories tient aussi compte du territoire et de la position particulière sociales, du Venezuela. Hormis la manque de cohésion lié pour partie appartenances à l’absence de valeurs communes à même de la créer, se politiques] pose le problème de la défense des côtes qui forment une partie importante des frontières du pays et que sont également un élément clé de l’activité économique. Et pour mener à bien une telle entreprise, une armée professionnel est indispensable… [89 : 152] …Mais paradoxalement, alors que les difficultés rencontrées tant pour la mobilisation des citoyens que pour l’organisation même de l’armée sont importantes et grèvent l’efficacité de la riposte aux troupes espagnoles, c’est à partir de cet élan virtuel que sont définis et circonscrits les premiers contours d’une identité intérieure en cela qu’elle prend appui non pas tant sur l’opposition à l’Espagnol qui demeure l’ennemi à combattre et permet cette évolution, mais sur la différentiation établie entre le traître et le patriote. Les mêmes archétypes binaires sont employés mais, cette fois, à l’intérieur du champ délimité par opposition aux Espagnols européens. [89 : 153] Venezuela Nous pouvons parler de célébration en ce sens que c’est [XIXe : toujours en vertu des actions passés qu’il est fait mention de Indépendance ; l’importance que les soldats et/ou les militaires ont joué acteurs dans l’affirmation de l’existence du Venezuela en tant que politiques : le nation. Proclamation qui s’adresse non seulement aux militaires]] Espagnols, mais également au reste du monde. Les exploits réalisés par ces hommes sur les champs de bataille apportent la mesure des sacrifices auxquels les fils du Venezuela et, plus largement du continent américain, sont prêts pour que son droit à l’indépendance soit reconnu, ainsi que la capacité de ses membres à soutenir, voire à restaurer les institutions républicaines. [89 : 156] …l’élément militaire se révèle déterminant dans la redéfinition de la société à laquelle l’élaboration d’une nouvelle constitution donne lieu après ces années de conflits où le pouvoir civil a été mis entre parenthèses. [89 : 156] A partir de 1818, la reconnaissance des militaires, cette fois sur le plan politique, autorisera le transfert des devoirs qui leur incombent de la sphère de l’armée à celle du politique. Jusqu’à présent défenseurs de l’indépendance de la patrie, ils auront dorénavant pour obligation de soutenir le pouvoir politique qui vient d’être restauré et qui incarne bien la liberté civile. [89 : 159] Venezuela Or, c’est justement ce doute quant à la capacité à s’unir [XIXe : pour l’édification d’un pays indépendant et libre que nous Indépendance, pouvons observer tant, au cours de ces années de conflits, la nation, les divisions sur le terrain et au sein de la population citoyenneté] mettent à mal les déclarations de principe des élites politiques et des militaires qui prennent la direction des combats. La menace ici brandie est en quelque sorte le signe avant coureur des limitations apportées par la constitution à l’exercice des droits politiques, et que nous retrouvons également dans les débats qui précèdent son élaboration. Comme nous les verrons, ce n’est qu’avec la proclamation de la Loi Fondamentale du 17 décembre 1819 qui scelle l’union de la Nouvelle Grenade et du Venezuela, que se trouve relancé l’espoir d’une unité grâce à la naissance d’un nouveau peuple dans un nouvel espace. […] Comme lors de la déclaration de la patrie en danger en 1812 –avec en particulier les problèmes posés par l’organisation militaire – c’est toute la question de l’identité du peuple qui se trouve au cœur des débats qui reprennent avec la restauration des institutions. Les victoires remportées et leurs héros glorifiés et célébrés comme il se doit, ne mettent pas fin à ces interrogations. Cette dernière exige, au contraire, la tempérance que confère la raison et la connaissance ; qualités dont sont dépourvus la plupart des membres de cette communauté que doit accéder au rang de nation… [89 : 160] Deux bornes émergent de ces années, véritables indicateurs de la pensée de ces hommes qui tentent de remodeler leur pays, bouleversé par l’invasion espagnole et alors même qu’il venait de fonder sa première constitution. D’une part, l’affirmation d’un vide identitaire qui pousse les individus vers l’autre liberté, c’est-à-dire, l’anarchie ; d’autre part, la régénération que produit la lutte elle-même dès lors que le processus politique paraît à nouveau pensable. C’est dans les comportements même des individus que s’opère en premier lieu ce clivage. [89 : 160] Venezuela L’affirmation de cette multiplicité ethnique [dans le discours [XIXe : d’Angostura], qui a pour corollaire l’absence d’origine et, Indépendance ; par conséquent d’identité clairement définie, est tout à fait société] ; approprié au cas particulier du Venezuela. D’autant plus que Venezuela le pays se trouve confronté, non seulement aux [Discours conséquences de la rupture avec l’Espagne et au nécessaire d’Angostura] questionnement quant à la revendication / réappropriation de l’héritage de cette même Espagne, mais également au problème lié, d’une part, à l’absence de passé précolombien prestigieux auquel se référer et, d’autre part, à une population multiethnique et cloisonnée en fonction principalement de la couleur de peau des individus. La volonté de destruction de la « race » espagnole, proclamée en 1813, porte en germe ce vide identitaire. Il s’affirme de plus en plus à mesure que la restauration politique s’avère à nouveau envisageable. De fait, rompre avec l’Espagne confronte le pays et, plus encore, son élite dirigeante, avec sa réalité, celle d’une « race » intermédiaire, difficilement définissable… [89 : 161] …si la prise de conscience du caractère homogène de la société vénézuélienne existe dès l’origine du processus d’émancipation, puisqu’elle se trouve en filigrane dans les débats du premier congrès en 1811, à propos du manque de préparation de la population à la vie politique moderne, elle se révèle surtout avec l’irruption de la guerre. En effet, à cette occasion, les divisions font apparaître la fragilité des liens qui étaient supposés unir cette population hétérogène par ses origines et son niveau de culture. Diversité qui bascule dans la confusion et l’anarchie sous le poids des événements et de l’influence des ennemis qui exploitent ces faiblesses, afin de rallier dans leurs rangs les groupes de population les plus influençables. Venezuela La référence aux Pueblos et à l’impossible unité de leur [XIXe : opinion, renvoie en outre au problème de la forme Indépendance ; constitutionnelle dont le pays doit être doté. Outre l’interdit société] ; de la participation politique et sa traduction juridique, c’est Venezuela toute l’organisation politique qui est remise et repensée. [Constitution Aussi, durant cette période où cohabitent en quelque sorte d’Angostura] l’impératif militaire et la réorganisation des forces politiques –tout aussi impérative et périlleuse- s’effectue une reformulation des objectifs poursuivis d’indépendance et de liberté, ainsi que les termes employés pour les caractériser. [89 : 162] Une telle volonté [exprimée dans la Constitution d’Angostura] de limiter le droit à l’expression collective d’une opinion différente révèle la difficulté à concevoir la coexistence –confrontation- de plusieurs opinions autrement qu’en termes de conflits… [89 : 163] Venezuela Ce n’est que la sanction de la constitution qui permet, une [XIXe : fois encore, de replacer le peuple sur le devant de la scène, Indépendance ; mais uniquement en tant que principe abstrait et symbolique société] ; de la souveraineté nationale. Dans le même elle autorise sa Venezuela reconnaissance grâce aux patriotisme de ses soldats. […] [Constitution Mais, cette reconnaissance, qui est accompagnée de la d’Angostura] proclamation de l’apparition d’une « race » nouvelle issue des dix ans de lutte contre les Espagnols, se produit dans le contexte de la célébration de l’union entre le Venezuela et la Nouvelle Grenade, de la naissance de la Colombie, qui absorbe, dans le même temps tout particularisme vénézuélien… [89 : 165] Venezuela Les débats qui ont lieu en février 1819 dans le cadre de la [XIXe : discussion du projet de constitution soumis aux députés par Indépendance ; Bolivar au mois de janvier, confirme la volonté des élites que société] ; seuls les hommes éclairés participent à la « construction de Venezuela la société » et à sa direction politique. Tant dans la forme [Constitution constitutionnelle adoptée que par les dispositions prises en d’Angostura] matière de droit électoral, la volonté d’écarter le peuple réel de la gestion du pays est manifeste. Par ailleurs, cette nouvelle étape consacre l’ascendant pris par les militaires dans la société et dans les hautes fonctions politiques. Présence qui n’est pas sans répercussions sur la conception et la définition de la citoyenneté. [89 : 167] Venezuela Avant même que ne s’engage la discussion sur l’organisation [XIXe : du pays en fédération ou selon un mode centralisé de Indépendance ; gouvernement, c’est la nature du pouvoir en tant que tel, qui société] ; est mise en examen. Quelle forme doit-il revêtir dans une Venezuela société bouleversée par plusieurs années de guerre, peu au [Constitution fait des pratiques politiques et en proie des divisions ? Est-il d’Angostura] possible de maintenir un système jugé par trop démocratique au vu de cette fragilité et de ce manque de préparation ? Telles sont les interrogations que l’on retrouve dans les discours prononcés au congrès durant cette période pré-constitutionnelle. [89 : 168] Venezuela Aussi, pour Bolívar ainsi pour que certaines homme [XIXe : politiques et plus particulièrement Peñalver, ne s’agit-il plus Indépendance ; tant d’élaborer des institutions qui forcent les individus à se société] ; dégager des coutumes et défauts hérités de la domination Venezuela espagnole, mais bien de les respecter au plus près afin [Constitution d’éviter des débordements qui naîtraient d’une d’Angostura] incompatibilité des principes à la réalité […] Il convient dès lors d’adapter les institutions et les lois à l’état de civilisation du pays, ce procédé se révélant le seul à même de favoriser l’acquisition non seulement de l’émancipation, mais surtout de la liberté civile qui en est le complément nécessaire et indispensable… [89 : 168] Venezuela Notre propos n’est pas ici de juger du bien fondé ni de la [XIXe : validité d’un type de régime par rapport à l’autre. Il s’agit Indépendance ; bien plus de déceler, à l’intérieur de ces choix et de [Histoire l’argumentation sur lesquels ils se fondent, comment les [Venezuela : hommes qui ont plus ou moins directement participé au méthode] ; rétablissement du processus politique, tentent de rendre Venezuela compatibles les principes politiques qu’ils désirent maintenir [société] ; sur le plan constitutionnel avec la réalité sociale telle qu’ils Venezuela la perçoivent et l’appréhendent. [89 : 168] [Constitution d’Angostura] Venezuela …La reprise en main politique, s’opère à partir de 1817 avec [XIXe : l’organisation d’un provisoire conseil d’Etat à Angostura à Indépendance ; l’initiative de Bolivar le 30 octobre 1817, et d’un conseil de Venezuela gouvernement le 5 novembre. Ce rétablissement des [XIXe : autorités civiles est fondée sur le rejet du fédéralisme qui société] ; symbolise une expérience politique proche mais déjà honnie, Venezuela au profit d’un pouvoir centralisé aux pouvoirs stables. [Constitution Néanmoins, les arguments des tenants tant du système d’Angostura] fédéral que d’un pouvoir centralisé prennent appui sur des critères de degrés de civilisation de la population… [89 : 170] …avec l’entrée en guerre et la prise de conscience de l’extrême fragilité de l’adhésion de la population que les élites avaient posée à la base de leur analyse, prévaut au moment de la restauration du processus constitutionnel, l’impérieuse nécessité de canaliser les forces centripètes et désintégratrices qui, face au danger, se sont rangées derrière les bannières royalistes… [89 : 170] Venezuela Cette définition de la Colombie est fondée sur une [XIXe siècle : conception « libérale » de la nation, en vertu de laquelle la indépendance, nation « devait être assez étendue pour former une unité de politique] développement viable. Si elle tombait au dessous d’un certain seuil, elle n’avait pas de justification historique ». Toutefois, si par ce biais les hommes au pouvoir confèrent à la nouvelle république un surcroît de légitimité, ce processus ne fait que déplacer le débat sur l’adaptation des institutions aux pays auxquels elles sont destinées, sans le résoudre. En effet, comment penser de façon positive la réunion de pueblos dont les dirigeants affirment le caractère naturel des liens qui les unissent, alors même que lesdits caractères, lorsqu’il est question du Venezuela, sont dénigrés en tant que survivance de despotisme […] Or, ce sont ces rapports de confiance qui structurent cette société traditionnelle plus prompte à porter allégeance à celui qui représente à ses yeux l’autorité plutôt qu’à un pouvoir éloigné et inconnu. Un tel rapport à l’autorité est somme toute caractéristique de ce type de société dans laquelle, selon les classiques, l’ordre ne peut être obtenu (et partant le bonheur et l’épanouissement de ses membres) que si elle est cimentée par la confiance mutuelle ; confiance qui se règne d’autant mieux se les individus se connaissent. [89 : 170] Venezuela Il existe certes une nation mythique qui renvoie à une [XIXe siècle : période indéterminée antérieure à la colonisation, et permet indépendance, précisément d’asseoir cette légitimité et de poursuivre la politique] lutte contre les Espagnols au nom de la reconquête de droits qui se perdent dans l’origine des « sociétés », mais pas de mémoire, de conscience collective de ce mythe. [89 : 177] Venezuela …ce n’est pas un certain réalisme qu’il convient de mettre [XIXe siècle : en doute, que l’inadaptation des mesures proposées ou indépendance, mises en œuvre pour pallier ces handicaps tant de fois politique] dénoncés ; ainsi, l’adoption d’un système de gouvernement fortement centralisé, entraînant la suppression des pouvoirs intermédiaires qui ne pouvait que créer un vide tant institutionnel qu’identitaire. En effet, ces réseaux de pouvoir, où les liens personnels sont importants, pouvaient permettre d’opérer des relais durant cette période de mutation politique qui, avec la déclaration d’indépendance et surtout la rupture avec le système monarchique, a rendu la tête du corps politique abstraite. Au demeurant, la négation du rôle politique de ces institutions provinciales n’a pas supprimée pour autant leur existence réelle. Les élites qui se trouvent à la tête des villes ou des pueblos et plus encore les chefs militaires qui, pour nombre d’entre eux ont imposé leur autorité sur une partie du territoire, demeurent. Mais les unes comme les autres échappent dès lors au pouvoir légal, désormais centralisé, renforçant d’autant les risques d’émergence de pouvoirs personnels au niveau local avec les dangers de manipulation de la population par ailleurs dénoncées et redoutés par les élites politiques.[89 : 178] Venezuela Le rôle ainsi conféré aux élus, consécutif au jugement porté [XIXe siècle : sur la communauté qu’ils sont en charge de constituer, tient indépendance, compte également des modifications territoriales opérées politique – dans le même temps. Elles sont le résultat d’une part des représentation] circonstances militaires qui imposent un nouveau découpage électoral pour les élections de 1818 et, d’autre part de la volonté centralisatrice mise à exécution par la constitution de 1819. Là encore, nous retrouvons le désir d’une table rase en matière territoriale. Comme en 1811, c’est par la redéfinition des espaces que s’opère la mutation en matière de représentation et que l’on discerne une approche de l’ensemble national en des termes différents… [89 : 184] La conception moderne de la représentation se trouve ainsi entérinée par la constitution. Désormais, les députés ne sont plus, officiellement, des délégués de groupes, de pueblos, mais les représentants du peuple souverain, de la nation. [89 : 184] Venezuela …idée d’une nation issue du choix délibéré de ses membres, [XIXe siècle : en dehors de toutes considérations d’ordre culturel, le indépendance, contrat qui doit être scellé par les futurs représentants sera politique] ; formé non pas à partir d’une entité déjà constituée mais, au Venezuela contraire, il regroupera les membres de cette même grande [identité famille que sont appelés à devenir les Colombiens… [89 : collective] 184] Cette identité aux contours flous permet, dans le même temps, de postuler l’extension des frontières au-delà du Venezuela, pour l’édification de la Colombie. On distingue dans cette déclaration, une tentative pour dépasser l’attachement à ce que nous pouvons appeler la « petite patrie » au profit de la nation. Mais, au lieu d’opérer cette mutation par l’affirmation d’une identité lui correspondant, c’est en détruisant les identités primaires (provinciales, voire municipales) qu’ils opèrent… [89 : 185] Venezuela Par la redéfinition des cadres institutionnels, qui joue en [XIXe siècle : faveur d’un pouvoir centralisé, c’est l’ensemble de la indépendance, conception des individus qui se trouve bouleversée. Non politique – seulement le corps de citoyens comme entité citoyenneté] potentiellement agissante, mais également l’individu dans son rôle de citoyen, dans sa capacité à le devenir, et sur la base de quels critères… [89 : 186] Venezuela A l’occasion du rétablissement des organes de [XIXe siècle : gouvernement et en réaction au choc crée par l’arrivée des indépendance, troupes royalistes au Venezuela en 1812 et du fait des politique combats qui ont lieu de façon intense jusqu’en 1819, -mémoire] s’élabore un réseau de références communes destiné à unifier la population et à la réunir autour du projet de défense puis de reconstruction du pays. Les divisions internes nées des combats ont en outre amené les chefs militaires et politiques à prendre conscience, non seulement de l’hétérogénéité ethnique et sociale de la société vénézuélienne, mais également des dommages causés selon eux par la domination espagnole en termes de mémoire politique et démocratique. Le peuple auquel il est alors fait référence, ne posséderait ainsi aucune expérience de la liberté, voire aucun droit à y aspirer. Aussi, dès les premières victoires de 1813 et le rétablissement éphémère de la république, les premiers héros sont célébrés, commémorés… [89 : 215] Un premier travail de la mémoire s’effectue alors avec la célébration de ces héros (prestigieux et anonymes) et la volonté de fonder des monuments en leur mémoire qui consacrent dans le même temps les lieux sur lesquels ils se sont distingués… [89 : 215] Venezuela La déchirure est grande, preuve s’il en est de l’attachement [XIXe siècle : des élites créoles –au-delà des affirmations de principe- à indépendance, leur identité (et ascendance) espagnole, la trahison des politique] métropolitains marque une rupture entre l’Espagne qui incarne la permanence de pratiques tyranniques et le Venezuela qui affirme sa volonté de bâtir une société nouvelle fondée sur la liberté et la reconnaissance des droits de l’individu… [89 : 216] Mais alors qu’il s’avère nécessaire de rompre avec l’histoire de la colonie, il convient toutefois d’en conserver un souvenir précis… Mais, trahie cette société est de surcroît –malgré tout- dans la rhétorique de l’élite créole, une société sans mémoire… [89 : 217] Ainsi la rupture formulée dès 1811 est-elle consommée dans son aspect le plus radical. Nous percevons en effet l’amorce d’un effort de construction d’une « nation » sur la base d’un rejet des passés, à savoir le refus de la mémoire précolombienne et coloniale… [89 : 219] Venezuela …la première Loi Fondamentale de la République de [XIXe siècle : Colombie publiée au mois de décembre 1819, introduit une indépendance, autre rupture dans ce processus en proclamant la naissance politique] de la république colombienne qui réunit les territoires de l’ancien Vice-Royaume de Santa Fe dans son extension original. Rupture acceptée, pourrait-on dire, en ce sens que le passage du Venezuela du statut de nation souveraine telle qu’elle est nommée dans la constitution d’Angostura, à celui de département s’opère, dans le discours officiel des élites vénézuéliennes, sans fracture apparente, en terme d’identification à l’espace national. [89 : 222] Venezuela Le passage de l’existence de trois entités (la Capitainerie du [XIXe siècle : Venezuela, la Nouvelle Grenada et l’Audience de Quito) indépendance, jusqu’alors distinctes bien qu’unies dans la volonté de se politique –la libérer du joug de l’Espagne, à une grande nation appelée nation] Colombie, se traduit par un véritable transfert des allégeances et du signifiant des concepts de nation et patrie. Poursuivant notre analyse des contours politiques et territoriaux de l’ensemble –voire des ensembles- dénommé nation et/ou république, l’étape colombienne, du point de vue vénézuélien, révèle ainsi dans quelle mesure la nation est utilisée par les acteurs en tant qu’instrument de légitimation de leurs actions […]. En dépit des déclarations d’intention, la nation ne renvoie pas à une identité particulière. La double acceptation qu’elle recouvre durant cette période, à savoir la Colombie et/puis le Venezuela lorsque s’affirme son opposition au pouvoir en place à Bogotá n’est, de leur point de vue, contradictoire. Dans l’un est l’autre cas, la nation demeure une alliance de provinces, voire de pueblos, qui peut fluctuer en fonction des allégeances politiques. Partant, l’identité nous apparaît comme un construit, un artefact plaqué aux territoires ainsi désignés, ainsi que révèle la similitude des références employées pour les caractériser. [89 : 226] Venezuela On assiste, avec la préparation du Congrès du Cucutá dont [XIXe siècle : la première session a lieu le 6 mai 1821, à la mise en indépendance, pratique politique de la célébration du peuple telle que nous politique – l’avons vue à l’œuvre sur le terrain militaire au fur et à peuple] mesure de l’évolution des combats contra les troupes royalistes. Cette dynamique de la célébration du peuple comme entité abstraite, inaugurée dès la proclamation de la constitution d’Angostura en août 1819 et surtout après la publication de la Loi Fondamentale le 17 décembre 1819, emprunte la même logique que celle mise en place en 1810 et 1811. A l’instar de la proclamation de la Junte d’avril 1810, elle est vécue et présentée par F.A Zea comme un acte fondateur et, à ce titre, il célèbre le peuple comme l’instance ultime de légitimation, même si son statut est ici empreint des années écoulées et de l’expérience militaire… [89 : 243] Venezuela Cette volonté d’accéder au rang de nation « civilisé », pour [XIXe siècle : reprendre un des leitmotiv du discours, s’exprime en indépendance, premier lieu au travers d’une activité constitutionnelle politique] intense et précoce. Les quatre constitutions, fruit de ce processus, définissent les cadres politiques et les modalités de participation des membres de la communauté politique. Elles constituent en outre le nœud central à partir duquel, en raison des oppositions et des débats qu’elles suscitent, se dessinent les contours de cette « nation » ; une nation aux formes et aux visages multiples. [89 : 405] …c’est le concept même de nation qui se révèle comme un instrument de légitimation, en ce sens où les traits qui le caractérisent, loin de constituer un facteur d’identité, dictent ses frontières mêmes, tant territoriales que politiques. Ainsi est-il toujours débattu de la question de l’adéquation des institutions souhaitées ou adoptées aux « us et coutumes » et au « degré de civilisation » de la population considérée. C’est pourquoi, à chaque étape du processus, deux modes de représentation entrent en conflit. Conflit entre les principes théoriques et la réalité, mais également au sein des élites qui, en dépit des proclamations de principe, perpétuent, dans le cadre des pratiques politiques certes parées du sceau de la modernité, des modes d’accession et de conservation du pouvoir à partir des réseaux anciens qui les structurent. [89 : 405-406] Le principe de représentation et le passage d’une société de corps à une société composée d’individus autonomes donnent son sens véritable au projet d’édification de la nation. Ils sont au cœur du nouveau pacte qui régénère le corps politique et lui donne son unité. De fait constitué au nom d’une conception traditionnelle du pueblo, considéré avant tout comme une juxtaposition de ces différents corps et communautés, les élites dirigeants se trouvent immédiatement confrontées au problème du passage à une représentation d’individus autonomes, mais aussi à l’incorporation –et partant à la reconnaissance en tant que telle – d’une partie de sa population jusque-là déconsidérée, les mulâtres et les esclaves en particulier […]. Nous assistons alors à l’élaboration d’un principe de participation qui, tout en accordant le primat à l’individu moderne (et non plus aux corps) et en reconnaissant théoriquement l’égalité de tous, adopte des codes électoraux qui excluent une partie de citoyens. De manière implicite, quand le nombre de degrés retenus pour les électeurs opère un filtrage naturel qui garantit la permanence des élites dans l’occupation des charges politiques. [89 : 406] La dialectique de la mémoire et l’oubli contribue elle aussi, dans un autre registre qui, bien que s’exerçant sur des champs différents, touche plus directement au problème de l’identité culturelle de la nation, au processus de légitimation de l’action entreprise. Tout au long de la période, une volonté récurrente d’oubli se manifeste […]. Cette volonté d’oubli est également associée au culte de la mémoire des événements et d’acteurs particuliers. L’une et l’autre participent d’une pédagogie civique qui forge une identité en creux, se révélant par la définition de ce que l’on ne doit plus être, en référence au trois siècles écoulés, et par l’appel à des modèles extérieurs et/ou étrangers afin, cette fois, de poser les jalons d’une communauté idéale, voire utopique. Néanmoins, une courbe dynamique s’élabore à partir de ce que l’on doit oublier, au fur et à mesure que les acteurs procèdent à l’élaboration de leur propre histoire –militaire en premier lieu… [89 : 414]