Vous êtes sur la page 1sur 7

Ici, le trottoir est un jardin !

Guillaume Bagnolini

Au milieu des conséquences dramatiques, le confinement que nous avons vécu a eu quelques
effets bénéfiques. Un parmi d’autres, ce sont nos trottoirs fleuris. Ils se sont couverts d’un tapis
végétal plus ou moins dense et diversifié. Déjà, la révolution avait commencé le 22 juillet 2015
avec l’abandon des produits phytosanitaires dans nos communes1. De nombreux services
écosystémiques rendus par la végétation en ville ont été prouvés et reconnus. Sur le plan
esthétique, sur le stockage du CO2 (les arbres surtout), sur la diminution des dépenses de santé
par l’amélioration du bien-être physique et psychique des populations locales voire même sur la
création d’activité et d’emplois, les avantages au développement des plantes dans les milieux
urbains sont loin d’être négligeables. Les services espaces verts des communes ont dû s’adapter.
Pour le même résultat qu’avec des désherbants, il faudrait beaucoup plus de passages. Or les
moyens humains et financiers sont limités. Dans ce cadre, une certaine tolérance aux herbes
dites folles (ou mauvaises herbes) et un changement de regard a dû obligatoirement s’imposer
de la part des usagers et des agents de la commune. Mais ce n’est pas simple ! En utilisant
l’excuse de la propreté ou celui de la sécurité, les habitants comme les élus politiques
souhaitent des trottoirs sans végétation. Quels sont les problèmes de cette conception ?
Comment cohabiter en ville avec des êtres aussi étranges que des végétaux ?

Une représentation de la propreté

Selon un sondage Unep-Ipsos, sept français sur dix estiment qu’il n’y a pas assez de végétation
en ville2. Dans le même temps, demeure l’exigence d’une ville propre, c'est-à-dire un milieu
urbain où la végétation est contrôlée sur certains espaces. Un paradoxe apparait. Loin du « land
sharing » de l’agroécologie, les espaces sont séparés. Ici, un trottoir sans végétation, là, un
espace vert avec végétation. Ce n’est donc pas propre quand le trottoir devient un espace vert.
Le sous-entendu du « ce n’est pas propre » est donc « je n’identifie pas la catégorie de cet
espace, est-ce un trottoir ? est-ce un espace vert ? ». Ainsi, ne pas identifier la catégorie d’espace
implique un certain désordre, une réduction de la qualité d’une représentation de la propreté.

1
Les textes des différentes lois sont disponibles sur Legifrance. Pour l’article 68 de la LTE [Consulté le
23/05/2020] URL :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000031044385&dateTexte=20160927
Pour la loi Labbé [Consulté le 23/05/2020] URL :
https://www.legifrance.gouv.fr/affichTexte.do?cidTexte=JORFTEXT000028571536&dateTexte=20160927
2
L’enquête Unep-Ipsos de 2010 montre clairement l’intérêt des français pour la revégétalisation. Par exemple, il
est décrit que neuf français sur dix pensent que le vert est un élément important de la vie quotidienne. [Consulté le
23/05/2020] URL : https://www.lesentreprisesdupaysage.fr/content/uploads/2019/12/dp-unep-2010-enquete-bien-
social-bd.pdf
De plus, si sous prétexte de propreté nous nous sentons obligé de catégoriser, c’est que nous
sommes dans une liberté sous contrôle. Une approche laissant évoluer librement un espace
couvert de végétation entraine le développement d’un milieu désordonné à priori donc pouvant
être perçu comme sale. Nous ne savons pas l’identifier précisément. Quand c’est dans une zone
faiblement urbanisée, il y a peu de problèmes. Par contre, quand les frontières entre les espaces
ne sont pas clairement tracées dans un milieu urbain, nous trouvons le milieu sale.

Il n’est plus à démontrer que la propreté est un instrument politique puissant permettant
d’exclure certaines populations humaines ou au moins des les contrôler3. Il en est de même
avec la biodiversité en ville, avec les non-humains. La biodiversité gêne, dérange. Elle ne suit
pas les décisions politiques et économiques du plan local d’urbanisme. Peu encline à se laisser
contrôler, les herbes dites folles ont trouvé des stratagèmes pour se développer en ville. De
nombreuses études montrent les adaptations évolutives au niveau de la dispersion des graines
ou de la croissance. Je ne citerai qu’un seul exemple. C’est le cas de Crepis Sancta ou Crépis de
Nîmes, petite plante de 10 à 30 cm de hauteur que l’on peut observer sur nos trottoirs. Les
chercheurs se sont aperçus que les populations urbaines de cette plante produisent des plus
gros akènes (fruits) que celles des champs4. Ces dernières produisent des akènes plus petits et
plumeux assurant une dispersion plus importante. L’adaptation à la ville se traduit dans ce cas
par le choix de la survie dans des espaces fragmentés, séparés où la graine plumeuse a peu de
chance de tomber sur de la terre mais plutôt sur du béton. De nombreux autres cas
d’adaptation au milieu urbain sont décrits pour les plantes mais également pour la faune.

Comme l’indique Michel Serres dans son livre Le mal propre, « propriété, propreté, même
combat dit par le même mot, de même origine et de même sens »5. La propreté exclut
l’étranger, l’incontrôlable, le désordonné, le fougueux, le rampant, le squatter par souci de
propriété. Cette ville m’appartient, il faut donc contrôler les espaces et qu’ils restent bien
séparés. Nous décidons que c’est un espace vert alors les plantes admises et légitimes pour nous
ont droit de s’établir. Les autres ne le peuvent pas ou difficilement. Il faudra qu’elles se cachent,
qu’elles s’insèrent dans les interstices ou dans les espaces indéfinis. C’est l’exemple des délaissés
urbains. Ce terme savoureux désigne « des espaces dépourvus d’usage officiel, des lieux

3
Guitard, E. et Milliot, V. (2015). Les gestes politiques du propre et du sale en ville. Ethnologie française, vol. 3,
N° 153, p. 405-410. [Consulté le 23/05/2020] URL : https://www.cairn.info/revue-ethnologie-francaise-2015-3-page-
405.htm
4
Cheptou, P.-O., Carrue, O., Rouifed, S. Cantarel, A. (2008) Rapid evolution of seed dispersal in an urban
environment in the weed Crepis sancta. Proceedings of the National Academy of Sciences, vol. 105, N°10, p. 3796-
3799.
5
Serres, M. (2008) Le mal propre. Paris : éditions Le pommier, 118 p., p. 11.
transitoires présentant, du fait d’une gestion irrégulière, voire inexistante, une végétation
spontanée »6. Ils ont souvent un caractère ambigu à la fois considérés comme « espace
abandonné (négatif, disservice, inesthétique) tantôt comme espace de liberté (positif, de bien-
être). La valorisation de ces espaces est donc un enjeu fort et comme l’indique Gilles Clément
« il n’est pas question d’accepter la nature, il est question de la rendre acceptable »7. Comment
la rendre acceptable ? Ce n’est pas une question facile mais sans aucun doute la déconstruction
du terme de propreté est inévitable. Penser un espace partagé à la fois écologique, culturel,
social pour les humains et les non-humains demande des changements importants. Cependant,
ce n’est pas une régression en termes de qualité de vie mais bien une augmentation. Les
délaissés urbains peuvent être des espaces d’expérimentation pour mélanger les catégories.

La sécurité sur les trottoirs cache d’autres problèmes

Prenons le cas de la sécurité sur les trottoirs. Comme le concept de propreté, c’est un argument
courant contre la végétation spontanée des trottoirs. Est-ce que les plantes ne vont pas gêner la
circulation des piétons ? Est-ce que les personnes en situation de handicap vont pouvoir
circuler sur les trottoirs ? Ce sont des questions légitimes. Logiquement, si nous laissions la
végétation recouvrir les trottoirs, il y aurait effectivement des problèmes dans la circulation
urbaine. Cependant, ce n’est pas de ça qu’il est question. Quand trois ou quatre plantes
poussent, c’est tout de suite l’arrachage mécanique. Il est vrai que de plus en plus de communes
font des efforts pour laisser la biodiversité végétale « reconquérir » certains espaces. Mais ce
n’est pas une « reconquête » de la biodiversité que nous souhaitons, c’est un véritable partage
du territoire. Or, sous prétexte de sécurité nous arrachons le moindre plant d’herbe sans
prendre en compte l’espèce, son développement, sa croissance sur la chaussée. Le crépis de
Nîmes (Crepis sancta) n’aura pas le même développement que la renouée des oiseaux
(Polygonum aviculare) ou que le raisin d’Amérique (Phytolacca americana). Ainsi, cela
demande de s’adapter, de réfléchir qui nous pouvons laisser se développer spontanément et qui
nous devons enlever. On nous rétorquera que les agents municipaux n’ont pas le temps de faire
de la botanique et ne sont pas formés sur ces questions. Sur ce dernier point, rien n’empêche
de faire suivre aux agents des formations en botanique notamment quand nous avons des
associations telles que Tela Botanica et des universités telles que Paris Sud qui réalisent en

6
Brun, M., Vaseux, L., Martouzet, D. et Di Pietro, F. (2017). Usages et représentations des délaissés urbains,
supports de services écosystémiques culturels en ville. Environnement Urbain / Urban Environment [En ligne],
vol. 11. [Consulté le 23/05/2020] URL : http://journals.openedition.org/eue/1906
7
Clément, G. (2004). Manifeste du Tiers paysage. Paris ; Editions Sujet/Objet. 25 p.
collaboration des MOOC sur ce sujet8. Sur le premier point, il est vrai que le temps est une
denrée rare. Mais pourquoi ne pas développer des programmes de science participative tels
que Sauvage de ma rue ? Ce programme a pour objectif de donner aux citadins les outils pour
reconnaître les espèces végétales qui poussent dans leur environnement immédiat notamment
celles qui se développent sur les trottoirs, dans les pelouses ou autour du pied des arbres.
Même s’ils n’ont pas beaucoup de connaissances, l’utilisation d’applications telles que Plant Net
ou la formation par des outils ludiques comme The plant Game permet de connaître la
diversité végétale à l’échelle de son quartier9. Par extension, ces connaissances construites
collectivement pourraient être utilisées pour décider ensemble du « jardinage » de ses trottoirs.
Ainsi, la végétation n’atteindrait jamais des volumes suffisants pour bloquer véritablement la
circulation sur les trottoirs. Les initiatives de micro-fleurissements sont typiquement des
premiers pas encourageants sur la possibilité d’avoir un espace ayant à la fois la fonction de
circulation des piétons et également d’espaces verts.

L’argument de la sécurité sur les trottoirs lorsque la végétation pousse est donc à relativiser.
Cependant, il est révélateur d’autres problèmes importants dans une ville notamment la place
laissée au piéton. Ce dernier est souvent réduit à devoir circuler sur des espaces restreints, les
trottoirs. Car la ville est faite pour les voitures. Cette phrase provocante ne reflète pas
entièrement la réalité. Il est vrai que de nombreuses villes mettent en place des espaces piétons
et réfléchissent également à l’espace pour d’autres usagers tels que les cyclistes. Tout de même,
l’espace laissé au piéton est faible et ne facilite pas la circulation à pied. Dans ce cadre, si sur
une zone réduite, se développent des plantes, il est normal qu’une concurrence s’instaure au
détriment la plupart du temps de nos amis chlorophylliens. Si l’espace était plus grand, voire si
la voiture n’était plus autorisée en ville, il n’y aurait que peu de problèmes avec la végétation.
Ainsi, c’est donc une question avant tout d’occupation du milieu. Le vivant ne s’oppose pas aux
êtres humains, il s’y oppose lorsqu’il y a un usage spécifique et volontairement concurrentiel du
territoire. La diversification des usages amène plus probablement à une véritable cohabitation.
C’est en définitive une question de choix politique plus que technique. La plante radicalement
différente peut servir de révélateur afin de questionner nos modes de partage du territoire entre
humains et non-humains.

8
Tela Botanica va également avoir des actions plus ciblées à destination des professionnels avec le « Kit flore
spontanée ». [Consulté le 23/05/2020] URL : https://mooc.tela-botanica.org/course/view.php?id=6.
9
[Consulté le 23/05/2020] URL : http://sauvagesdemarue.mnhn.fr/
Cohabiter avec les plantes ?

La cohabitation nécessite un partage du territoire. Elle n’implique pourtant pas une séparation
des espaces. Au contraire, c’est le partage du même habitat à la même époque sur le même
espace. Pour cohabiter, il faut donc comprendre l’autre en faisant attention à son
comportement face aux changements de l’environnement. On ne peut comprendre l’autre si on
le perçoit comme un ennemi, comme un nuisible. Si je perçois les plantes poussant
spontanément sur les trottoirs comme des êtres gênants à exclure, je ne pourrai jamais les
comprendre. Par contre, si je les perçois comme des cohabitants partageant le même territoire,
soumis aux mêmes perturbations, avec lesquels tisser des alliances, je peux tenter de les
comprendre. Pourquoi tenter de le faire ? Car comme l’indique le philosophe Baptiste Morizot
« il est hautement probable que dans beaucoup de cas, des pratiques plus concernées par la
cohabitation serviraient en même temps la transition des territoires en question vers des
pratiques écologiquement plus soutenables et humainement plus vivables »10. Par exemple, la
disparition des abeilles est un révélateur de l’épandage des pesticides dans nos champs. Ces
mêmes molécules ont des effets toxiques sur nous. Mais, même s’il n’y en avait pas la
disparition des abeilles et insectes pollinisateurs est un problème fondamental en termes de
sécurité alimentaire pour l’avenir de nos sociétés. Ainsi, tenter de partager le même territoire
avec des insectes pollinisateurs va dans le même sens que tenter de maintenir notre sécurité
alimentaire. C’est ce qu’indique Morizot « ce qui détruit écologiquement le monde vivant est
toxique pour les conditions d’existence des humains »11. Les plantes révèlent de nombreuses
informations sur la qualité du milieu. L’agronome Gérard Ducerf va, en parlant des « mauvaises
herbes », évoquer le fait que ce sont des plantes bioindicatrices12. Avoir cette espèce plutôt que
telle autre sur un territoire donné est un symptôme ayant une ou des causes biotiques ou
abiotiques. La présence ou l’absence, le bon ou mauvais état d’une espèce ou d’un groupe
d’espèces révèlent les caractéristiques écologiques de l’environnement ou également les
conséquences de certaines pratiques humaines. Prendre le temps d’être à l’écoute et attentif par
rapport à l’état de la diversité des espèces qui nous entoure nous permettrait de réajuster notre
rapport au monde de manière plus optimal. Bien entendu, il s’agit de prendre encore une fois
plus de temps mais les bénéfices en termes économique, écologique et de bien-être ne sont plus

10
Morizot, B. (2017). Nouvelles alliances avec la terre. Une cohabitation diplomatique avec le vivant. Tracés.
Revue de Sciences humaines [En ligne], vol. 33. [Consulté le 23/05/2020] URL :
http://journals.openedition.org/traces/7001
11
Ibid.
12
Dans le cadre des rencontres internationales de l’agriculture du vivant, Gérard Ducerf a réalisé une conférence
très instructive sur ce sujet. [Consulté le 23/05/2020] URL : https://www.youtube.com/watch?v=OolnAaJhRvo
à prouver. Cette relation repensée pourrait nous amener à une attention plus forte à notre
environnement.

Il faut donc composer avec les autres vivants pas dans une attitude agressive d’imposition d’une
volonté mais plutôt avec un souci éthique des autres êtres vivants dans ma rue, dans mon
quartier. Morizot évoque la diplomatie comme une attitude pacifiste afin d’accepter les limites
de notre pouvoir sur le monde vivant mais également de comprendre que nos intérêts en
termes de survie et de bien-être ne sont pas séparés des intérêts du reste des vivants. Un
diplomate négocie et pour négocier, il doit comprendre les enjeux, les besoins des uns et des
autres. Par la suite, il doit communiquer des messages, des informations. La cognition végétale
est reconnue depuis peu dans le monde scientifique. Ce terme est pourtant gênant car le seul
référentiel que nous ayons est la cognition des animaux13. Sans détailler la cognition végétale, il
est bon de rappeler que de nombreux chercheurs travaillent sur la compréhension des plantes
de leur environnement14. Avec le sens donné par Morizot, cette attitude est éminemment
diplomatique et pourrait servir à favoriser la cohabitation à l’échelle d’une ville avec ces
espèces. De plus, la valorisation de cette attitude pour les plantes n’est pas déconnectée des
intérêts en termes de protection pour les autres espèces. Au contraire, laisser plus de place aux
plantes dans les villes, c’est laisser plus de place aux insectes, oiseaux et autres animaux. La
continuité écologique que nous avons réduite voire détruite pourrait se réinstaurer
partiellement et faciliterait ainsi la dispersion des espèces et les échanges entre populations.

Il ne s’agit donc pas de laisser nos trottoirs à la végétation et de ne plus y avoir accès. Il ne s’agit
pas non plus d’exclure les plantes de ces espaces. Il s’agit de trouver une attitude envers ces
espèces permettant un partage du territoire. Le trottoir pourrait être vu comme « un jardin » en
agroécologie. Nous pouvons circuler dans un jardin. Nous connaissons les espèces, nous avons
une attitude attentive d’observation envers elles. Le jardin agroécologique est donc un espace à
la fois de préservation de la biodiversité, de liens avec la nature et les autres humains, de
circulation et d’alimentation. Pourquoi ne pas rêver une ville où les trottoirs seraient également
des jardins aménagés ? Bien entendu, il n’est d’ailleurs même pas question de détruire les
trottoirs pour planter des espèces végétales et en faire des jardins mais bien de jardiner la flore
spontanée poussant dans les interstices. Il s’agit donc de prendre la métaphore du jardin pour

13
Sur ce sujet, Monica Gagliano a écrit un très bel article. Monica, G. (2018). Penser comme une plante :
perspectives sur l'écologie comportementale et la nature cognitive des plantes. Cahiers philosophiques, vol. 2, N°
153, p. 42-54. [Consulté le 23/05/2020] URL : https://www.cairn.info/revue-cahiers-philosophiques-2018-2-page-
42.htm
L’écologue Jacques Tassin a écrit plusieurs ouvrages sur ce sujet. Tassin, J. (2016) A quoi pensent les plantes ?
14

Paris : Odile Jacob, 155 p. et également, Tassin, J. (2018) Penser comme un arbre. Paris : Odile Jacob, 144 p.
réinvestir les trottoirs comme des espaces de biodiversité. Ces zones de circulation pour les
piétons seraient donc également des zones de circulation pour les autres êtres vivants15.

Conclusions

Le post-confinement est l’occasion d’un nouveau départ concernant notre manière de penser
l’espace urbain et la diversité des vivants qu’il permet de faire circuler. A l’opposé d’une
conception cloisonnée de l’espace à l’usage exclusif des piétons et des voitures, une attitude
acceptant le mélange, et les usages populaires permettrait la circulation d’une plus grande
diversité d’espèces, dans une perspective positive pour toutes et tous. Le confinement a permis
à la végétation dans certaines villes et quartiers de se développer. Déjà, l’arrêt des
phytosanitaires avait augmenté la place laissée aux plantes poussant spontanément sur les
trottoirs des milieux urbanisés. Cependant, suite au confinement, le retour à la « vie normale »
amène à revenir vers l’arrachage systématique des plantes sur nos trottoirs (hormis dans les
quartiers bénéficiant du microfleurissement). Sans parler de l’altération des services
écosystémiques rendus par la végétation en ville, c’est un véritable enjeu de cohabitation avec le
vivant qui se présente à nous. La déconstruction de la notion de propreté et des arguments
politiques de sécurisation de nos quartiers sont inévitables pour amener chaque citoyen à être
attentif aux plantes dans nos villes. Aucune cohabitation ne pourra être possible tant que la
végétation sera perçue comme des êtres à contrôler, à cantonner à certains espaces bien
délimités et à exclure de tous les autres. La cohabitation avec la biodiversité en ville et le partage
du territoire sont à réfléchir localement à l’échelle de chaque quartier et notamment en utilisant
les outils des sciences participatives tels que Sauvages de ma rue. L’attitude diplomatique avec
les autres vivants passe par une meilleure compréhension des perceptions de ces espèces par
rapport à leur environnement. Une écologie plus sensible est donc à valoriser sans altérer
nullement le niveau de rigueur scientifique16. La crise sanitaire que nous vivons doit nous
amener à nous poser des questions sur notre relation aux autres êtres vivants. Il ne s’agit pas
seulement des animaux les plus fantasmés tels que le loup ou l’ours mais surtout des êtres
vivant autour de nous dans nos villes et nos villages. Aujourd’hui, notre attitude envers eux
décide de notre avenir.

15
Et c’est déjà en partie le cas même si l’homme limite fortement le déplacement des espèces !
16
Je prends le terme d’écologie sensible à Jacques Tassin dans son livre Pour une écologie sensible. Tassin, J.
(2020). Pour une écologie sensible. Paris : Odile Jacob, 208 p.

Vous aimerez peut-être aussi