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Ameur des Arcades

et l’ordre

S’IL était Ameur des Arcades, c’est qu’il était difficile de lui
donner un autre état civil. Il n’avait pas de maison, ce qui est
régulier, pas de père non plus, ce qui est régulier aussi ; mais on ne
lui connaissait pas de mère, ce qui est tout de même anormal, parce
que les enfants de dix ans qui n’ont pas de père et pas de maison
ont en général une mère. Lui non. Il était Ameur, voilà tout, et parce
que tous les soirs que Dieu créa, qu’il fît vent ou clair de lune,
tempête ou nuit bleue, il dormait sous les arcades du marché, on
l’appelait Ameur des Arcades, pour le distinguer de tous les autres
Ameur qui, eux, ont un nom.
Pour le connaître on le connaissait et plutôt trop que pas assez,
ne serait-ce que parce que le soir, sous les arcades, on butait
souvent sur son petit corps étendu : il dormait tôt, Ameur. Il n’allait
évidemment pas à l’école. Qui l’y aurait mis ? Mais il parlait français
mieux que tous les élèves de M. Bourdais. Bien sûr, parce que pour
lui ce n’était pas un luxe ou une corvée, mais une nécessité, un
instrument de travail : il faut savoir se procurer du pain, des sous, se
tirer des mauvais coups que l’on monte et pour cela parler, parler,
parler.
Par la même occasion, et puisqu’il y était, il avait appris aussi le
kabyle ; c’est qu’à Saint-Ferdinand il y a aussi des commerçants
kabyles, à qui on peut toujours extorquer quelque chose. Il avait
remarqué, Ameur, que ses démarches étaient plus efficaces de ce
côté quand il se servait de la langue même de ces commerçants. Et

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