Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
Dans les lignes qui suivent, j’aimerais suggérer que la question du Filioque
au sens large, c’est-à-dire du rôle du Fils dans la procession de l’Esprit
Saint, a été soulevée dès les premières passes d’armes du débat pneuma-
tologique, au deuxième quart du IVe siècle, lorsque Marcel, évêque d’An-
cyre, entame une controverse avec Astérius, qui, tout laïc qu’il est, n’en a
pas moins une grande audience dans les Eglises de la partie orientale de
l’Empire romain. Le débat prend un tour décisif lorsque Athanase d’Alexan-
drie, à la fin des années 350, tente de développer un début de pneumatologie
systématique à travers ses Lettres à Sérapion. Trois phases retiendront
notre attention: 1. une préhistoire peu documentée où naît la formule selon
laquelle la procession de l’Esprit Saint a lieu “par l’intermédiaire du Fils”;
2. une pneumatologie qu’Athanase construit “par l’intermédiaire” de la
christologie; 3. la postérité des ambiguïtés laissées par Athanase.
1
Origène, Peri archon, préface, 4, selon la traduction de Rufin, GCS Origenes V, 11
Koetschau. Les développements d’Origène sur l’Esprit Saint se trouvent en I 3 et II 7:
l’Alexandrin professe que l’Esprit n’est pas une créature, mais ne parle pas de sa
procession. Sur cette question, il faut surtout lire le développement du Commentaire sur
Saint Jean II 73-87 (SC 120, 252-262 Blanc).
La préhistoire du «Filioque»
2
A.H.B. Logan, Marcellus of Ancyra (Pseudo-Anthimus), «On the Holy Church». Text,
Translation, and Commentary, JThS 51, 2000, (81-112) 85. L’attribution à Marcel
faisait l’objet de la communication: Id., Marcellus of Ancyra and anti-Arian Polemic,
dans: StPatr 19, Leuven 1989, 189-197. Cf. K. Seibt, Die Theologie des Markell von
Ankyra, AKG 59, Berlin/New York 1994, 64-66.
3
Logan, Marcellus of Ancyra (Pseudeo-Anthimus) (cf. note 2), 93 ll. 94-96.
4
Cf. Logan, Marcellus of Ancyra and anti-Arian Polemic (cf. note 2), 193: «Le statut du
Saint-Esprit en relation avec la Trinité a bien été l’objet d’un débat et a marqué la
théologie orientale de la fin des années 330 et du début des années 340, justement en
réponse aux critiques de Marcel et sa propre théologie».
5
M. Vinzent (éd.), Asterius von Kappadokien. Die theologischen Fragmente, SVigChr 20,
Leiden/New York/Köln 1993.
6
Vinzent, Asterius von Kappadokien (cf. note 5), 277.
Pîj g¦r, e„ ™k toà PatrÕj ™kporeÚetai, par¦ toà Uƒoà t¾n diakon…an taÚthn
lamb£nein ™paggšlletai; 'An£gkh g¦r, e„ dÚo diairoÚmena, æj 'Astšrioj œfh,
prÒswpa e‡h, À tÕ Pneàma ™k toà PatrÕj ™kporeuÒmenon m¾ de‹sqai tÁj par¦ toà
Uƒoà diakon…aj (p©n g¦r tÕ ™k PatrÕj ™kporeuÒmenon tšleion e"nai ¢n£gkh, mhdamîj
prosdeÒmenon tÁj par' ˜tšrou bohqe…aj), ½, e„ par¦ toà Uƒoà lamb£nei kaˆ ™k tÁj
™ke…nou dun£mewj diakono…h t¾n c£rin, mhkšti ™k toà PatrÕj ™kporeÚesqai7.
«Comment, si <l’Esprit Saint> “procède du Père” (Jn 15,26b), est-il déclaré qu’il
reçoit ce ministère du Fils (cf. Jn 16,14)? De fait, s’ils sont, comme Astérius l’a
prétendu, “deux personnes séparées”, il s’ensuit nécessaire cette alternative: ou
bien l’Esprit procède du Père (cf. Jn 15,26b) et n’a pas besoin du ministère du
Fils (tout ce qui procède du Père est nécessairement parfait, et n’a aucunement
besoin de l’intervention d’un tiers), ou bien, s’il reçoit du Fils (cf. Jn 16,14) et
qu’il administre la grâce du fait de la puissance du Fils, on ne peut plus dire qu’il
procède du Père.»
7
Marcel d’Ancyre, frag. 48, dans: M. Vinzent (éd.), Markell von Ankyra. Die Fragmente.
Der Brief an Julius von Rom, SVigChr 39, Leiden/New York/Köln 1997, 44,1-8.
8
Marc. Anc., frag. 48 (42,16 Vinzent) et frag. 73 (62 V.).
9
Marc. Anc., frag. 48 (42,5-12 V.).
extra de l’Esprit Saint, non par confusion avec la procession ad intra, mais
tout simplement par qu’il n’y a pas de procession réelle ad intra.
Il est beaucoup plus facile de reconstituer la pneumatologie d’Eusèbe de
Césarée, et cette pneumatologie devrait nous permettre de confirmer, par
rapprochement, notre hypothèse sur celle d’Astérius. Eusèbe reprend l’inter-
prétation de Jn 15,26b que Vinzent a prêtée à Astérius: «Etre issu du Père
signifie être créé; celui qui est issu est un autre que celui de qui il est issu»10.
Il consacre une partie du troisième livre de la Théologie ecclésiastique (III
4-6) à réfuter les conséquences pneumatologiques de la doctrine marcel-
lienne. Au moyen d’une lecture précise et mesurée des principaux passages
johanniques sur l’Esprit Saint, Eusèbe brosse sa propre pneumatologie,
fortement influencée par Origène. Pour ce qui est du mode de procession
de l’Esprit Saint, Eusèbe ne peut qu’affirmer qu’il est différent de la
génération du Fils par le Père (Eus., e.th. III 6,3): il est «l’un des êtres
engendrés par l’intermédiaire du Fils». Or cette formule est tirée tout droit
du Commentaire sur Saint Jean d’Origène, où l’Alexandrin, s’appuyant sur
la déclaration de Jn 1,3: «toutes choses advinrent à l’être par l’inter-
médiaire» du Verbe, concluait, que l’Esprit Saint fait partie «des choses qui
sont advenues à l’être du Père par l’intermédiaire du Christ» (p£ntwn tîn
ØpÕ toà PatrÕj di¦ Cristoà gegenhmšnwn)11.
Astérius, du moins si l’on suit l’interprétation de Vinzent, et Eusèbe de
Césarée, seraient donc, au quatrième siècle, parmi les premiers à déclarer
que l’Esprit advient à l’être par l’intermédiaire du Fils, en reprenant la
manière dont Origène avait posé, à titre d’hypothèse, le problème de sa
procession. Cinq autres occurrences d’une telle formule viennent confirmer
l’hypothèse que cette proposition pneumatologique est propre à la théologie
orientale (les «eusébiens»).
Alors que la formule de Nicée et la «première formule» du Synode
d’Antioche (341) se contentent d’un article pneumatologique très succinct:
kaˆ e„j tÕ ¤gion Pneàma, «et <nous croyons> dans le Saint-Esprit»12, la
«deuxième formule», que M. Tetz considère comme la véritable synoda-
le13, apporte une première tentative de développement:
10
Vinzent, Asterius von Kappadokien (cf. note 5), 278.
11
Origène, Commentaire sur Saint Jean II 75 (SC 120, 254 Bl.)
12
A. Hahn, Bibliothek der Symbole und Glaubensregeln der Alten Kirche, Berlin 1897, §
153.
13
Cf. M. Tetz, Die Kirchweihsynode von Antiochien (341) und Marcellus von Ancyra. Zu
der Glaubenserklärung des Theophronius von Tyana und ihren Folgen, dans: id.,
Athanasiana, BZNW 78, Berlin/New York 1995, (227-248) 236-241. La «troisième
formule» est une profession de foi de Théophronios par laquelle il écarte de lui les
soupçons de marcellianisme et gagne le droit de siéger avec les autres synodaux;
«deuxième formule» est le résultat des travaux du synode; la «première formule» est une
lettre plus courte et plus œcuménique adressée à Jules de Rome. La «quatrième formule»
a été composée après le synode.
Kaˆ e„j tÕ Pneàma tÕ ¤gion, tÕ e„j par£klhsin kaˆ ¡giasmÕn kaˆ tele…wsin to‹j
pisteÚousi didÒmenon, kaqëj kaˆ Ð KÚrioj ¹mîn 'Ihsoàj CristÕj diet£xato to‹j
maqhta‹j, lšgwn: poreuqšntej14 …
«Et dans l’Esprit Saint (Jn 14,26), qui est donné (cf. Jn 14,16) pour l’assistance
(cf. Jn 14,26), la sanctification et la perfection des croyants (cf. Jn 7,39), comme
notre Seigneur Jésus Christ lui aussi l’a établi pour ses disciples, en disant:
“Allez …” (Mt 28,19).»
Si tels sont bien les mots de la formule originale, «l’Esprit est par le Fils»,
les synodaux professaient donc que le Fils joue un rôle d’intermédiaire
dans la procession éternelle du Saint-Esprit (est)18; si l’on préfère accorder
foi à la traduction grecque, di' Uƒoà ¢postal{n19, et corriger l’ordre des
mots du texte latin: Spiritus, qui per Filium missus est, venit juxta promis-
sum, la médiation du Fils est atténuée, puisqu’elle porte seulement sur
l’envoi temporel de l’Esprit (missus).
Quoi qu’il en soit, la formule vise à réfuter la pneumatologie marcel-
lienne dans la ligne d’Eusèbe de Césarée. L’Esprit est «le Paraclet», c’est-à-
dire un «autre Paraclet» (Jn 15,26a) que le Fils, une personne distincte de
lui (cf. Eus., e.th. III 5,1), définie par son rôle d’enseignement (cf. e.th. III
5,6-8.12) et de sanctification (e.th. III 5,22; 6,1); il est envoyé par l’inter-
14
Hahn, Bibliothek der Symbole (cf. note 12), § 154.
15
Cf. Logan, Marcellus of Ancyra and anti-Arian Polemic (cf. note 2), 194: «La véritable
raison pour laquelle les symboles de foi orientaux, à compter du Concile d’Antioche de
341, s’intéressent subitement au Saint-Esprit, que Nicée avait passé sous silence, et
insistent sur son titre de Paraclet, sur son activité de révélation et de sanctification, et
sa distinction d’avec le Père et le Fils, n’est autre que pour s’opposer à Marcel». Logan
compare par ces mots les articles pneumatologiques des synodes orientaux à la doctrine
pneumatologique d’Eusèbe de Césarée que nous avons présentée plus haut.
16
Hahn, Bibliothek der Symbole (cf. note 12), § 155.
17
Hahn, Bibliothek der Symbole (cf. note 12), § 161.
18
Cf. Tertullien, Contre Praxeas IV 1: Spiritus non aliunde puto quam a Patre per Filium.
19
Cf. Athanase, De synodis 28,12 (Athanasius Werke II/7, 257 Opitz).
médiaire du Fils, selon la version grecque (e.th. III 6,1a), ou issu par l’inter-
médiaire du Fils, selon la version latine (e.th. III 6,1b), et non directement
du Père dans une dilatation sans division de la «monade» de Marcel.
Le 22 mai 359, lors du quatrième synode de Sirmium, les homéens
parviennent à signer avec les homéousiens, représentés par Basile d’Ancyre,
une formule de compromis. Une lettre de réaction, traditionnellement
attribuée à Georges de Laodicée, mais dont je pense plutôt qu’elle est un
traité de Basile d’Ancyre20, dénonce les dangers de l’homéisme. Le Traité
de Basile d’Ancyre21 commence néanmoins par écarter une nouvelle fois les
risques de sabellianisme suscités par la doctrine de Marcel. Il reprend en
apparence les arguments d’Eusèbe de Césarée. Basile commence par la
procession ad extra de l’Esprit, qu’il prend comme exemple d’une opération
où les trois hypostases sont réellement distinguées, puisque l’une, l’Esprit,
est ce qui est donné, et ne saurait être confondue avec le Père, qui est
l’origine de la donation, ni avec le Fils, qui est celui qui donne. La
distinction entre donateur et donné vient tout droit d’Eusèbe (e.th. III 5,3).
Mais Basile affine sa terminologie en appliquant à la procession de l’Esprit
Saint la préposition ™k que Nicée avait employée pour dire la procession du
Fils. Basile commence par là:
Pneàma ¤gion ™k PatrÕj di' Uƒoà pisto‹j didÒmenon,
«<l’Esprit Saint> est Esprit Saint donné aux croyants, à partir du Père par
l’intermédiaire du Fils.»22
Mais on peut aussi lire la proposition comme juxtaposant les deux pro-
cessions de l’Esprit. Ad intra, il est «issu du Père par l’intermédiaire du
Fils», puis ad extra, donné aux croyants.
C’est en tout cas de la procession ad intra qu’il est question quelques
lignes plus loin:
tÕn UƒÕn … ™k PatrÕj tšleion ™k tele…ou gegennhmšnon … tÕ Pneàma tÕ ¤gion …
™k PatrÕj di' Uƒoà Øfestèj23.
«Le Fils … engendré d’un Père, parfait issu d’un parfait … l’Esprit Saint …
subsistant issu d’un Père à travers un Fils.»
20
Sur le problème de l’identification, cf. J. Zachhuber, Basil and the Three Hypostases
Tradition. Reconsidering the origins of Cappadocian theology, ZAC 5, 2001, 66 n. 6.
Il serait trop long de présenter ici ma propre argumentation.
21
Conservé dans Epiphane de Salamine, Panarion 73,12-22 (GCS Epiphanius III, 284-295
Holl/Dummer).
22
Traité de Basile d’Ancyre, dans: Epiphane de Salamine, Panarion 73,16,2 (288,27 H./
D.).
23
Epiphane de Salamine, Panarion 73,16,4 (289,4-7 H./D.).
24
Cf. Epiphane de Salamine, Panarion 73,16,5 (289,8-10 H./D.).
25
Tome aux Antiochiens § 11, PG 26, 800 B 12f.
26
Je suis la reconstitution de Zachhuber, The Antiochene Synod of AD 363 and the
Beginnings of Neo-Nicenism, ZAC 4, 2000, 83-101.
27
Réfutation de l’Hypocrisie de Mélèce, PG 28, 88 B 3-C 12.
28
Athanase, Epistula de fide ad Jovianum 1, PG 26, 816 B 15.
29
Socrate, Historia ecclesiastica III 25,10-18 (GCS Socrates Scholasticus, 226f. Hansen).
30
Cf. par exemple Augustin: Fatendum est Patrem et Filium unicum principium esse
Spiritus Sancti, non dua principia (De Trinitate XIV 15); Spiritus Sanctus de Patre
principaliter … communiter de utroque procedit (ibid. XV 26,47), et la constitution sur
la procession de l’Esprit Saint du concile de Lyon II (1274).
31
Cf. par exemple Jean Damascène : dÚnamij toà PatrÒj, ™k PatrÕj m{n di' Uƒoà ™kporeuomšnh,
… oÙ gennhtîj. … Pneàma toà PatrÒj, æj ™k PatrÕj ™kporeuÒmenon … Kaˆ Uƒoà d{
Pneàma, oÙc æj ™x aÙtoà, ¢ll' æj di' aÙtoà ™k toà PatrÕj ™kporeuÒmenon. MÒnoj g¦r a‡tioj
Ð Pat»r, «puissance du Père, qui procède du Père à travers le Fils, … non sous le mode
de la génération. … Esprit du Père, en tant qu’il procède du Père … Et Esprit du Fils,
non pas en tant qu’il procède de lui, mais en tant qu’il procède du Père à travers lui. En
effet, le Père est, seul, cause.», Expositio fidei 12b (36,47-57 Kotter = De fide orthodoxa
PG 94, 849 A 7 - B 9). Cette définition est tirée du chapitre inséré à la suite du chapitre
12 dans les manuscrits de la forme «inversée» du De Fide, que Kotter appelle c. 12b,
et qu’il considère comme authentique. Cf. Kotter, Die Überlieferung der Pege Gnoseos
des Hl. Johannes von Damaskos, Ettal 1959, 3.148. Cf. encore Maxime le Confesseur,
Lettre à Marinos de Chypre (PG 91, 136 AB) et Question 63 à Thalassios (CChr.SG 22,
155 Laga/Steel).
32
On trouve néanmoins un passage problématique au détour d’une catéchèse de Cyrille de
Jérusalem. En effet, le manuscrit Coislin 227 (cf. PG 33, 31 et SC 126, 54 Paris/
Piédagnel), un exemplaire chypriote du XIe s., insère entre les § 3 et § 4 de la XVIe
catéchèse de Cyrille de Jérusalem (PG 33, 917-965) un passage que Dom Antoine-
Augustin Touttée a édité (1712) à part, sous la forme d’un additamentum ad hanc
catechesim (PG 33, 964f.), y décelant deux parties: 1. un extrait du Discours catéchétique
de Grégoire de Nysse; 2. l’extrait qui contient ces mots: †tÕ ™k PatrÕj ™kporeuÒmenon:
tÕ ™k qeÒthtoj PatrÕj kaˆ Uƒoà Øp£rcon † tÕ ÐmooÚsion PatrÕj kaˆ Uƒoà Øp£rcon,
¢cèristÒn te kaˆ ¢dia…teron. Les mots entre † sont cités par Thomas d’Aquin comme de
Cyrille de Jérusalem à propos de la double procession de l’Esprit Saint dans son Contra
errores Graecorum 32 (53 Vrin). On se reportera aussi à W.K. Reischl/J. Rupp, Cyrilli
Hierosolymorum archiepiscopi opera, vol. II, Hildesheim 21967 (= München 1848-
1860), 248f.
33
La pneumatologie d’Athanase d’Alexandrie fait l’objet de l’ouvrage de A. Laminski, Der
Heilige Geist als Geist Christi und Geist der Gläubigen. Der Beitrag des Athanasios von
Alexandrien zur Formulierung des trinitarischen Dogmas im vierten Jahrhundert, EThSt
23, Leipzig 1969.
34
I Ad Ser. 15 (PG 26, 565 C 15).
35
I Ad Ser. 15 (PG 26, 568 A 5).
36
I Ad Ser. 20 (PG 26, 577 C 6 – 580 A 9).
`Ikan¦ m{n oân kaˆ taàta pe‹sai kaˆ p£nta Ðntinoàn filÒneikon mhkšti lšgein kt…sma
toà Qeoà tÕ ™n Qeù kaˆ t¦ b£qh ™reunîn toà Qeoà kaˆ ™k PatrÕj di' Uƒoà
didÒmenon40.
«Voilà qui devrait aussi suffire à dissuader tout chicaneur de dire encore que
celui qui est “en Dieu” (I Co 2,11 selon Athanase) et “scrute les profondeurs
de Dieu” (I Co 2,10), et est donné (cf. Jn 14,16) à partir du Père à travers le
Fils, est une créature de Dieu.»
Voilà donc les deux uniques passages où Athanase confesse le rôle inter-
médiaire du Fils dans la procession de l’Esprit Saint. Dans les deux cas, il
s’agit toujours de la procession ad extra de l’Esprit, non de sa procession
ad intra.
Il faut distinguer ces deux passages d’une troisième occurrence, où la
médiation prend un sens purement logique:
Athanase commence sa troisième Lettre par un résumé de la scène de
la Pentecôte, telle qu’elle a été promise (Jn 14,16; 16,14; 20,22) puis
réalisée (Jl 3,1 renvoie directement à Ac 2,17). l’Esprit est certes envoyé par
le Père, mais ce qui importe ici, c’est de montrer que l’Esprit est l’Esprit du
Fils, l’Esprit envoyé par le Fils. Si, comme le Fils est le Fils du Père (Mt
3,17), l’Esprit est l’Esprit du Fils (Ga 4,6), alors toutes les propriétés qui,
dans le raisonnement christologique qui constitue la deuxième Lettre à
Sérapion43, ont été transférées du Père au Fils, peuvent aussi être transférées
du Fils à l’Esprit (Jn 16,15a). Athanase énonce ce transfert:
Taàta p£nta di¦ toà Uƒoà eØr»somen Ônta kaˆ ™n tù PneÚmati44,
«Tout cela, nous le trouverons aussi, à travers le Fils, dans l’Esprit.»
40
III Ad Ser. 2 (PG 26, 628 A 6-9).
41
IV Ad Ser. 1 (PG 26, 637 C 4).
42
IV Ad Ser. 6 (PG 26, 645 D 5f.).
43
C’est-à-dire la première partie de la véritable deuxième lettre.
44
III Ad Ser. 1 (PG 26, 625 B 4f.).
45
Grégoire de Nazianze, Discours 31,14 (SC 250, 302-304 Gallay).
46
Grégoire de Nysse, Contre Eunome I 533 (GNO I, 180,22-25.27-181,3 Jaeger).
47
La question du Filioque chez Athanase est traitée d’une façon gauche et ouvertement
apologétique dans SC 15, 69-77 Lebon. Cf. aussi C.R.B. Shapland, The letters of Saint
Athanasius concerning the Holy Spirit, Londres 1951, 40f.; J. Quasten, Patrology III,
Utrecht 1960, 77.
48
J. van Rossum, Athanasius and the Filioque: Ad Ser I, 20 in Nikephorus Blemmydes and
Gregory of Cyprus, StPatr 32, Leuven 1997, 53-58.
49
On trouve les deux discours «Sur la procession de l’Esprit Saint» de Nicéphore Blemmyde
dans PG 142, 533-584. Sur le théologien lui-même, voir aussi M. Stavrou, Filioque et
théologie trinitaire, Com(F) 24/5-6, 1999, 167 et V. Grumel, Nicéphore Blemmyde et
la Procession du Saint-Esprit, RSPhTh 18, 1929, 636-656.
50
Sur Grégoire de Chypre, voir aussi O. Clément, Grégoire de Chypre, De l’ekporèse du
Saint-Esprit, Ist. 3-4, 1972, 443-456, qui traduit et commente des larges extraits du
traité édité dans PG 142, 269-300; les articles dans: DThC, Paris 1903-1950: Lyon. Le
IIe concile et la réunion de l’Eglise grecque (par Grumel, Vol 9/1) et Georges de Chypre
(par F. Cayré, Vol. 6); et la notice à paraître par Jean-Claude Larchet, Georges-Grégoire
de Chypre, dans: C.G. Conticello/V. Conticello (dirs.), La Théologie byzantine et sa
tradition II, CChr, Turnhout 2002.
51
I Ad Ser. 20 (PG 26, 580 A 7f.).
`O m{n mšgaj 'Aqan£sioj oÛtwj e"pe: TÕ Pneàma ™k toà PatrÕj æj par¦ toà LÒgou
toà ™k toà PatrÕj ™kporeuÒmenon52.
«Athanase le Grand a dit: “L’Esprit procédant du Père en tant que procédant
d’auprès du Verbe issu du Père”.»
52
Nicéphore Blemmyde, Sur la procession de l’Esprit Saint I 6 (PG 142, 537 D 3-6).
53
Grumel, Nicéphore Blemmyde et la procession du Saint-Esprit (cf. note 49), 647.
54
Nicéphore Blemmyde, Sur la procession de l’Esprit Saint I 9 (PG 142, 540 D 8-13 et 541
A 9-12).
55
Les mots entre guillemets sont les mots tirés du passage d’Athanase que Nicéphore
commente.
«Certains des Saints ont dit que <l’Esprit Saint> procédait à travers le Fils
d’auprès du Père (di' Uƒoà par¦ toà PatrÕj ™kporeÚesqai), et ils l’ont dit avec
piété, non pas que l’existence de l’Esprit issue du Père soit incomplète, ni qu’il
ait aucunement le Fils pour cause, soit pour cause unique, soit avec le Père56,
mais parce que … il arrive à travers lui (di' aÙtoà), resplendit (¢pol£mpei) et se
manifeste selon son resplendissement prétemporel et éternel.»57
ABSTRACT
The article draws the origins of the filioquist controversy back to the theology of
Asterius the Sophist and his refutation by Marcellus of Ancyra (condemned in 336).
The oriental theology of the Fourth century provides a sort of prehistorical background
to the formula: “The Spirit proceeds from the Father by the Son”. The first systematical
pneumatology, delivered by Athanasius of Alexandria in his Letters to Serapion (ca.
360), similarly expresses a intermediary role of the Son in the mission of the Spirit, in
trying to respect literally the johannine data. Athanasius’ attempt is of particular
interest, in as much as it has been later advocated as a testimony for the filioquist
formula, singularly by Nicephorus Blemmydes (1197-1272) and George of Cyprus
(1241-1290). Actually, later interpretations reveal the ambiguity of Athanasius’ own
formulations.
56
Ces deux corrections sont reprises de Veccos, qui les ajouta aux anathématismes de la
formule de foi en 1280 (Grumel, art. Lyon. Le IIe concile et la réunion de l’Eglise
grecque [cf. note 50], col. 1401).
57
Grégoire de Chypre, Sur la procession de l’Esprit Saint (PG 142, 290 C 4-9.12-14).