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TISSER DES LIENS – VOLET « ENTREVUES AUDIO »

Retranscription*
Avec commentaires réflexifs de Karoline Truchon
Date : novembre 2019

I – Intervieweuse (Marie-Frédérique Lemieux-Simard)


M – Michelle Makoko

*il reste certainement quelques coquilles et nous nous en excusons…

Légende :
surligné en jaune = thème général
surligné en bleu = illustrations de thèmes généraux

00:00 I - Ça serait vraiment bien si vous pouviez me


résumer votre rôle ici; c'que vous faites...

M - Moi je suis l'intervenante sociale ici à


l’AFIO. Ça fait sept ans que je suis déjà ici
comme intervenante. Mais avant ça, j'étais in-
tervenante de milieu; je faisais des visites à do-
miciles pour des personnes immigrantes nou-
vellement arrivées ici.

00:33 I - Puis est-ce que vous pouvez nous parler des


défis que vous rencontrez au quotidien, dans
l'accueil?

M - Ça va faire tout une journée ça! Y'en a


beaucoup beaucoup. Parce que faut d'abord
savoir que les personnes qui arrivent ici vien-
nent de milieu un peu diversifié. Donc, c'est dif-
ficile pour ces personnes-là c'est difficile de ve-
nir et d'arriver et de s'adapter facilement à la
réalité de la société d'accueil ici. Beaucoup de
défis... on va d'abord commencer par la langue.
Y'a des femmes ou des personnes qui arrivent
qui n'ont jamais parlé français dans leur pays
d'origine. Alors arriver ici, vu que le système est
complètement différent comparativement par
rapport à là où les personnes viennent. Arriver
ici sans la langue, sans la connaissance de la
société, sans des ressources qui sont adaptés
à cette personne-là. Ces personnes se sentent
très très isolées et sont perdues.

I - Donc, ça c'est un gros défi; la langue.


M - Et puis la paperasse administrative. Les
gens sont pas habitués à ça. On arrive ici, faut
lire, faut écrire, faut répondre, faut utiliser
l'Internet. Tout ça, les gens sont souvent per-
dus. Moi je vous donne juste un petit exemple.
Il y a des personnes, des réfugiés qui arrivent,
qui ont vécu dans des camps de réfugiés, qui
n'ont pas été scolarisés même dans leur langue
maternelle, qui se retrouvent ici à qui on de-
mande par exemple d'inscrire le nom de l'en-
fant sur la liste d'attente centralisée de la place
05. Mettez-vous à la place de la personne.
Même si bien sûr, on dit que la personne est en
francisation. Mais tu arrives en francisation, on
te dit: «Il faut lire, faut écrire, faut répondre, faut
appeler...» Les personnes ne se retrouvent
pas. Selon moi, je trouve que le système n'est
pas adapté aux personnes immigrantes, surtout
celles qui font face à la barrière linguistique.
Même les personnes qui arrivent comme tra-
vailleurs qualifiés, qui ont été sélectionnées...
Des fois je me demande comment ils ont fait
pour faire les demandes pour arriver ici comme
travailleurs qualifiés. Des simples formulaires à
compléter, il y a des personnes qui ont de la
difficulté. Vraiment de la difficulté. Donc moi je
peux dire que c'est des défis de tous les jours
que je vois ici. Et ça continue.

03:21 I - Et est-ce que l’AFIO agit en tant que... vous


aidez ces personnes-là à remplir des de-
mandes, des choses comme ça... est-ce que
c'est des actions que vous pouvez poser juste-
ment pour alléger un peu la lourdeur administ-
rative?
M - Oui, nous on est vraiment là pour soutien
de base. Parce que quand je regarde dans
l'équipe ici, on est multi-langues. Moi-même je
parle cinq langues. Ma collègue parle trois,
l'autre parle trois, l'autre parle... donc, au moins
on arrive un peu à soutenir les personnes par
rapport à notre connaissance ici. Et dans les
cas où personne ne parle la langue de la per-
sonne, la femme qui demande de l'aide ici, on
est obligé de chercher parmi nos bénévoles
parmi nos bénévoles qui peuvent comprendre
la langue pour mieux comprendre les besoins
de la personne avant de pouvoir continuer à
l'aider. Donc, c'est vraiment un grand défi pour
nous ici.

Et moi je m'imagine, nous en tant qu'immi-


grante, l'avantage est qu'on est à cheval; moi je
suis vraiment à cheval et c'est un grand avan-
tage pour moi. Je viens de quelque part, je suis
très bien intégrée ici et je me retrouve un peu
au milieu. Je peux comprendre les personnes
qui arrivent et je peux comprendre la société
d'accueil pour pouvoir ramener les personnes
qui arrivent vers leur pleine intégration. Mais
imagine maintenant les personnes qui n'ont ja-
mais vécu... moi je sais que je suis là. Donc
vous êtes ici, par exemple: vous. Vous, vous
mettez à ma place pour aider la personne qui
arrive nouvellement. Je suis sûre que vous se-
riez choquée.

I - Probablement! [rire] Comme je n'ai pas


passé au travers, mais oui tout à fait.

M - Parce qu'il y a des choses que des person-


nes vont vous confier. Tu te dis: «Ok... là je
comprends... lorsque j'ai encore mon oeil en ar-
rière.» Comment je peux ramener cela pour
que la société d'accueil puisse comprendre.
Donc c'est là personnellement que je me
trouve.

05:29 I - Puis, de quelle façon cet outil là linguistique,


au delà de la francisation... comment selon
vous, ce défi-là pourrait être allégé. Comment
on peut arriver...
M - Moi je crois que la société d'accueil doit
mieux se préparer. Comme on dit, il y a tou-
jours cette phrase-là que j'aime pas: que les
immigrants s'adaptent pas. Moi, une fois, j'ai
dû faire un petit test, je faisais des présenta-
tions de service de l’AFIO au Centre Vision-
Avenir. Il y a juste une étudiant qui dit: «Mais
les immigrants, ils exagèrent, ils veulent pas
s'adapter!» J'ai dit: «Ok. Pour répondre à ta
question, moi je te demanderais de prendre ton
stylo et un bout de papier. Écris-moi ton pré-
nom comme d'habitude.» La personne écrit son
prénom. J'ai dit: «OK. Dépose-ton stylo,
change de main. Prends avec la main droite si
vous êtes gaucher, prenez avec la main
gauche si vous êtes droitier.» La personne
change. J'ai dit: «Écris ton prénom, comme tu
avais écrit avant.» Elle écrit. J'ai dit: «Ok. Com-
pare les deux écritures.» Puis, sans rien dire,
elle dit: «Ah ouin! C'est différent!» J'ai dit: «Ok!
Mets-toi à la place de la personne immigrante.
Elle est habituée à écrire avec sa main gauche.
Dans sa culture, elle est habituée... ?... et puis
on change de milieu, on change de situation et
on demande à la personne de s'adapter.» Ça
doit prendre du temps. C'est pas à la seconde,
que vous désirez que la personne change,
qu'elle va changer. C'est un grand processus.

Et de deux, vous comprenez même pas pour-


quoi cette personne se retrouve ici. Il y a
quelque part, un peu de parcours migratoire de
la personne. Vous savez pas d'où viennent ces
personnes et pourquoi elles viennent ici. Parce
que si on l'savait, je crois que toute la popula-
tion se mettrait à la place pour essayer d'adap-
ter un peu l'accueil de ses personnes-là. Mais
tant qu'on se met pas à la place de ces per-
sonnes-là, ce sera difficile de pouvoir com-
prendre pourquoi ces personnes-là ne s'adap-
tent pas, pourquoi ces personnes-là viennent
ici et comment ces personnes-là arrivent chez
nous, ici. C'est très difficile.

08:10 I - Donc, une sensibilisation est vraiment né-


cessaire?
M - Oui, très important et l'adaptation aussi des
services pour ces personnes-là. Moi je prends
l'exemple ici, y'a des fois personnes entrent et
disent: «Ah! Ici je me sens bien.» C'est juste
l'accueil qui est différent. Tu arrives par
exemple, ça c'est juste un exemple, au CLSC:
«Ahhh, tu dois appeler [cris]*.» La personne
n'est pas habituée à ça; elle se sent choquée.
Vous vous allez aussi vous sentir choquée,
«mais pourquoi les personnes ne comprennent
pas?» Mais vous comprenez pas d'où elles vi-
ennent!

I - Les gens n'ont pas accès à l'historique des


autres...

M - Souvent ils vont dire: «Non, ils sont là juste


pour prendre de l'aide sociale. Ils sont là pour
faire ceci...» Ça aussi, moi personnellement ça
me choque. Parce que moi je suis arrivée vo-
lontairement. Vraiment volontairement, parce
que c'est le Canada qui nous a attiré. «Venez,
vous allez recevoir ceci, venez, vous allez
travailler comme vous travailliez dans votre
pays. Venez, il y a des avantages.» La per-
sonne qui veut changer va dire quoi? «Ok je
vais aller essayer.» Vous arrivez ici, en famille,
vous avez tout perdu là-bas, ou avez tout
vendu pour recommencer une vie ici et vous ar-
rivez ici et on vous dit «Non! Vous pouvez pas
travailler dans votre domaine, il faut l'ex-
périence québécoise. Il faut l'expérience cana-
dienne, il faut l'expérience canadienne.» On se
sent coincé, on n'peut plus faire marche arrière.
On a déjà tout perdu, et on reste ici, on va es-
sayer de s'adapter, des fois à accepter même
un travail que tu pouvais faire dans ton pays.

10:00 I - Est-ce que c'est l'information que vous re-


cevez versus ce qui est vécu ici n'est pas la
même.

M - N'est pas la même. Donc, je peux dire à


90% des personnes qui arrivent volontairement
sont déçus. Des fois, on arrive, on est surquali-
fiés et on ne trouve pas quelque chose qui con-
vient à notre niveau ou à notre scolarité. Et tu
vas voir aujourd'hui, il y a des personnes sur-
qualifiées qui se retrouvent comme taximan, y'a
des médecins qui se retrouvent comme taxi-
man, y'a des chefs d'entreprise qui se retrou-
vent à travailler au McDo... c'est très choquant
pour ces personnes-là.

I - D'autant plus qu'on a besoin de médecins,


on a besoin de spécialistes...
M - Des fois ça fait pleurer, parce que quand tu
vas sur le site de l'immigration, la façon dont on
se vante pour la main d'oeuvre au Canada, tu
te dis: «Oui. Dès que j'arrive, j'vois pas d'pro-
blème.» Mais vous arrivez, vous faites face à
d'autres situations très difficiles. C'est un peu
ça, on est confrontés tous les jours par ce
genre de choses.

11:20 I - Ah oui, ça je comprends bien ce que vous


m'dites, très bien. Et au quotidien, en général.
Est-ce que vous pouvez me partager quelque
chose qui s'passe bien dans l'accueil de ce per-
sonnes-là? Une belle histoire.

M - Y'a des personnes qui sont vraiment con-


fiantes. Qui se disent... moi j'peux donner un
petit proverbe dans ma langue, mais je vais es-
sayer de transformer cela en français... chez
nous on dit: «Si tu veux recevoir une belle
plante en semant la graine, cette graine doit
d'abord pourrir avant de germer.» La plupart
des personnes immigrantes font face à la rési-
lience. On se dit: «Oui! On est déjà là, des fois
on n'a plus de choix. Qu'est-ce qu'il faut faire?
On se fait petit pour pouvoir grandir dans cette
société ici.» Donc, c'est vraiment ce qui s'ap-
plique souvent auprès des personnes immi-
grantes. Moi-même je peux dire, pour ne pas
aller loin, c'est vraiment ma propre expérience.
J'suis arrivée, j'étais déjà qualifiée, j'étais scola-
risée, j'avais déjà fait l'université dans mon
pays, j'ai fait une deuxième partie de l'univer-
sité en Belgique, mais j'arrive ici et je ne pou-
vais pas travailler. Je me suis retrouvée au
Centre Bell en train de faire le nettoyage. C'est
la dame du Centre Bell qui m'a dit: «Madame,
avec ce que vous avez déjà fait, nous on n'peut
pas te garder ici.» Moi, j'ai commencé à pleu-
rer, j'ai dit: «Non! Je dois survivre, laissez-moi
travailler. Ne regardez pas ce que j'ai dit.» Elle
me dit: «Non, Madame, on ne peut pas te gar-
der ici. Malheureusement, on n'peut pas te gar-
der.» J'suis sortie en pleurant, mais j'ai pris une
décision, il faut que je change ma propre vie.
De toute façon, je ne peux pas continuer à faire
le nettoyage avec ce que j'ai comme bagage in-
tellectuel. J'ai commencé à sillonner les univer-
sités et les collèges. J'ai fait des demandes
partout. Et la première université qui m'avait ré-
pondu c'est là où je suis allée. J'ai dit: «Voilà!»
J'ai vu une intervenante en orientation. «Re-
garde ce que j'ai déjà fait. Regarde ce que je
faisais. J'aimerais me retrouver ici. Je ne sais
pas dans quoi.»
I - Est-ce que c'est l'UQO?

M - C'est l'UQO. Et quand j'ai donné mon expé-


rience, la dame me dit, c'était Madame Pa-
quette si je me souviens: «Mais pourquoi ne te
pas te lancer en travail social?» «Mais c'est
quoi le travail social?» «Mais c'est ce que tu as
fait...» [rire]

I - Donc vous avez refait un BAC en travail so-


cial à l'UQO?

14:07 M - Oui, donc pour mon diplôme à moi, on m'a


donné juste une année d'université. C'était
triste, je me suis dit: «Ok! Peu importe ce qu'on
me donne, je vais commencer comme cette pe-
tite graine-là qui doit pourrir et germer correcte-
ment.»

I - Wow, donc vous avez refait une année d'uni-


versité?

M - Trois ans.

I - Oh, ok, vous avez refait tout le BAC au com-


plet et c'était en travail social?

M - En travail social. Donc j'ai commencé par


un certificat et puis, après le certificat, comme
j'avais bien réussi mon certificat, je me suis dit:
«Mais! Je vais continuer.»

14:41 I - Et c'est ce que vous aviez fait avant aussi?


M - Non. Ça comme expérience en bénévolat,
oui quand je suis arrivée en Europe, j'ai fait au
moins neuf ans et demi en Europe, je ne pou-
vais pas travailler parce que mon mari était étu-
diant étranger. Je n'avais pas le droit de travail-
ler ni d'étudier, mais je faisais beaucoup de bé-
névolat avec l'organisme Terre?-Monde. Donc,
ce que je faisais, c'était juste ça: aider des per-
sonnes réfugiés ou des demandeurs d'asile...
dans la distribution de biens, de meubles, de la
nourriture ou de les accompagner dans des or-
ganismes qui doivent les aider. Des fois, je
faisais de l'interprétariat. Donc quand je suis ar-
rivée ici, avec Madame Paquette, elle m'a dit:
«Non non, tu peux te lancer en travail social!»
J'ai dit: «Ok, go!» Et c'est comme ça que je me
suis retrouvée ici! [rire]

I - Et voilà! C'est une belle histoire et c'est un


beau proverbe pour arriver à cette histoire-là.

15:50 I - Un défi que vous avez rencontré dans l'accu-


eil d'une de ces personnes... avec un exemple
peut-être...?
M - Je vais donner un exemple d'une dame que
j'ai rencontrée ici. Ça m'avait fait très mal. La
personne est arrivée ici avec un chum québé-
cois. Le Québécois voulait la parrainer. La
dame arrive ici, ne parlait pas le français... au-
cun mot, ni français ni anglais. Elle se retrouve
enceinte et le monsieur refuse de parrainer la
dame. En attendant, le monsieur la chasse de
chez lui parce que, selon le monsieur, ils ne se
comprenaient plus, la madame demande trop...
ça créé un cycle de la violence conjugale. La
dame se retrouve en hébergement, elle n'avait
pas de statut légal ici, elle ne parle pas le fran-
çais, elle ne pouvait pas accéder non plus à la
francisation et elle ne pouvait plus retourner
chez elle car en quitter chez elle, elle est pas-
sée par les États-Unis. Arrivée aux États-Unis,
elle a eu un séjour de 10 ans. Mais avec les
États-Unis, quand tu sors des États-Unis et que
tu fais une année à l'extérieur, sans explication
claire, tu ne peux plus rentrer aux États-Unis.
Donc la dame se retrouve sans statut, elle ne
pouvait plus rentrer aux États-Unis. En étant
enceinte, elle ne pouvait pas rentrer dans son
pays d'origine; elle était obligée de rester
clouée ici au Canada. Moi j'ai dit qu'elle se re-
trouvait à l'intersection de plusieurs probléma-
tiques. Elle-même ne comprend pas le sys-
tème, comme ça fonctionne ici. Sans réseau
social, elle est seule. La seule personne qui la
comprenait c'était son mari, mais le conjoint l'a
mis dehors. Sans ami, sans réseau, sans fa-
mille, sans statut, sans langue. Mettez-vous à
la place de la personne.

18:04 I - Donc aussi au niveau administratif, elle était


refusée de partout.
M - Elle avait aucun droit parce qu'elle n'avait
pas de statut légal. Quand elle a accouché,
dans des situations très difficile, c'est sa belle-
mère qui l'a apporté ici chez nous, donc la ma-
man de son conjoint. Arrivée ici, on se dit «Elle
a droit à rien?» On avait un groupe de sociali-
sation ici et dans le groupe de socialisation elle
a pu se faire des amis et elle a continué à
chaque vendredi à venir dans ce groupe ici. Et
à partir de là, comme on avait des bénévoles
québécoises qui parlaient en français, qui ani-
maient des activités en français, la femme a
commencé à parler un tout petit peu en fran-
çais. Et avec la naissance de son enfant, je
crois qu'après une année/une année et demi,
elle devenait admissible à faire une demande
de permis de travail. Et avec le permis de tra-
vail ouvert, elle a pu accéder à notre groupe de
francisation. Et après deux ans, si je me trompe
pas, elle a dû demander la résidence perma-
nence par le cas humanitaire... et ça été ac-
cepté! Ça été un grand soulagement pour
nous! Et aujourd'hui, quand elle vient ici, on
parle en français avec elle. Et elle continue;
présentement, elle travaille! Moi c'est parmi des
réussites que je vis du début jusqu'à l'ascen-
sion.

I - Ça revient un peu au proverbe que vous me


disiez un peu plus tôt...

M - C'est ça! C'est pas donné à tout l'monde,


mais c'est vraiment une force qui est là chez
les personnes immigrantes.

I - Résilience

M - La résilience

19:50 I - Mais aussi le support des paires... du groupe


de socialisation. Ça m'amène à une autre ques-
tion: Est-ce que vous travaillez beaucoup con-
jointement avec d'autres organismes?
M - Oui bien sûr, bien sûr. Parce que si les per-
sonnes arrivent ici sans savoir par où commen-
cer, par exemple avoir la carte d'assurance ma-
ladie. Par où commencer pour avoir les vac-
cins. Comme je disais, ce sont des systèmes
différents. Alors les personnes qui arrivent sont
vraiment dépaysées. Alors nous on est là pour
voir où la personne peut se rendre pour obtenir
le service auquel elle a droit. Donc, c'est pour-
quoi, travailler en collaboration avec les autres
organismes c'est très important pour nous. Et
puis, travailler ici, il faut avoir une bonne con-
naissance du milieu communautaire ici à Gati-
neau. C'est très important. Ça, ça nous aide
beaucoup à pouvoir référer les personnes se-
lon leurs besoins.

20:50 I - C'est vraiment bien. Est-ce qu'il y a quelque


chose dont on a pas discuté, que vous aimeriez
ajouter.

M - Euh, oui et non. Bon, il y a tellement beau-


coup de choses! [rire] C'est comme je disais
tout à l'heure, les personnes arrivent ici, sou-
vent la communauté d'accueil ne comprend pas
pourquoi ces personnes-là arrivent et qui sont
ces personnes-là. Par exemple, je vais vous
donner, à date, il y a au moins 114 différents
statuts d'immigration. Alors les statuts là, sou-
vent on va dire: la personne est résidente per-
manente. Mais les catégories diffèrent d'une
personne à une autre. Il y a les réfugiés, on en
refuse pas. Y'a les travailleurs qualifiés, y'a des
investisseurs, y'a des parrainés, y'a des... donc
tout ça. Alors quand les personnes arrivent,
surtout, on dit quoi? «Ils viennent pour prendre
de l'aide sociale.» Mais vous savez pas qui est
la personne qui arrive. Même ces réfugiés qui
bénéficient de l'aide social. C'est juste pour un
début. Dès que la personne commence à tra-
vailler, c'est fini. Et les statistiques présente-
ment montrent que entre les immigrants et les
Québécois ici, ce sont plus les Québécois qui
sont sur l'aide sociale par rapport aux immi-
grants. Mais la société d'accueil, ça, elle le sait
pas.

I - Faque encore une fois, c'est la sensibilisa-


tion, la compréhension...
M - Exact, et comprendre les parcours mig-
ratoires de la personne. Ça je vais donner un
petit exemple. Une histoire regrettable de la
DPJ avec une famille immigrante. La famille est
arrivée ici, ça fait maintenant 10 ans. Cette fa-
mille-là a vécu dans un camp de réfugiés de-
puis des années. Ils n'ont jamais vu de voitu-
res, ils n'ont jamais vu de maisons, ils n'ont ja-
mais vécu dans un endroit comme ici et ils
n'ont jamais été scolarisé... Ils ont eu des en-
fants qui sont nés dans ce camp-là. Et du coup,
avec les accords des Nations Unies, pour relo-
caliser un peu de réfugiés, le Canada a ac-
cepté de prendre cette famille-là. La famille ar-
rive ici, dépaysée, tout est nouveau, tout est
nouveau, tout est correct. La maman est en
train de parler avec une personne de soutien et
les deux enfants, 12 et 10 ans, étaient dans la
cuisine en train d'essayer la cuisinière. Et l'un
dit à son frère: «Tu crois que c'est quoi?»
L'autre dit: «Je crois que c'est un tambour.» Il
dit: «Nenon, c'est un peu chaud.» «Nenenon,
ça peut pas être chaud parce que, ici» «Mais
qu'est-ce qu'on va faire avec?» Les enfants
n'avaient jamais vu une cuisinière. Y'a un en-
fant qui se met au-dessus et l'autre avait déjà
ouvert le feu, sans savoir qu'il était en train de
manipuler. Et l'enfant se brûle aux fesses. Un
des enfants a eu des brûlures. Et puis, arrivé à
l'école, l'enfant ne pouvait pas s'assoir, ils ont
remarqué qu'il était brûlé et puis, c'est une fa-
mille immigrante... directement: signalement à
la DPJ. On signale à la DPJ, la famille conteste
cet enfant, la DPJ arrive, ramasse les 7? en-
fants, Cette famille était ici, ça faisait pas en-
core deux mois. Les personnes qui sortent d'un
camp de réfugiés, qui se disent: «Oui, au
moins, on va trouver une liberté.» Et la plupart
des personnes quand elles arrivent ici, leur ob-
jectif c'est vraiment de donner de l'avenir pour
les enfants. Et deux mois plus tard, vous faites
face à la DPJ. Vous comprenez même pas
c'est quoi la DPJ. Pourquoi, on a le droit de
prendre nos enfants, ce sont nos enfants, on
n'est pas fatigués de ces enfants-là. De se
mettre à la place de ces parents-là; de faire
comprendre... Moi mon rôle c'était de faire
comprendre aux parents. Mais ce sont des per-
sonnes qui comprenaient rien. «Pourquoi nos
enfants? Ce sont nos enfants!?» Ce sont des
situations que des fois on vit vraiment au quoti-
dien.

I - Et cette situation là, est-ce que ça...


25:40 M - Mais c'est difficile, avec la DPJ, ils ont leur
protocole. Pour eux, c'est juste ça, la négli-
gence. Mais les parents ne comprenaient pas.
Pourquoi on nous accuse de négligence; on
élève nos enfants depuis longtemps. À ce ni-
veau-là, la compréhension de mots. Des fois,
ça peut être les mêmes mots, mais la façon
dont vous parlez à la personne immigrantes,
elle va pas comprendre. Dépendamment de la
personne aussi. D'où elle vient. Si vous com-
prenez pas d'où vient la personne, qui est la
personne, c'est quoi le parcours migratoire de
la personne, c'est difficile de pouvoir évaluer
correctement par rapport à la réalité d'ici. Ces
derniers temps, on a instauré ici le projet de
Madame Mouner?, Espace-Parents. Parce
que, on disait, les parents immigrants doivent
être outillés, doivent prendre le cours d'habileté
parentale. Mais le cours d'habileté parentale ne
reflète pas la réalité des immigrants. Donc, il
faut un cours qui s'adapte à la réalité de ces
personnes-là. Nous, on l'a instauré pour pou-
voir...

I - Ça fonctionne bien?

M - Ça fonctionne très bien. On a donné ces


espaces-là aux parents, de pouvoir com-
prendre... parce que quand vous faites
quelques choses, comme si c'est le contraire
de ce qu'on demande ici, mais les parents ne le
font pas pour nuire aux enfants.

27:10 I - Hum, et c'est un espace de discussion pour


les parents?

M - Y'a des outils concernant l'éducation des


enfants. Donc, c'est un espace, une série de
neuf ateliers où on va parler d'abord: c'est qui
comme personne, parent. Comment, moi je me
considère moi, avant d'aller voir un peu les be-
soins de mon enfant. Qui suis-je? Donc, les pa-
rents qui ont suivi les neuf ateliers ont été très
satisfaits. Il y a même des parents qui ont de-
mandé de se réinscrire. C'est ce genre
d'espace qui manque aux parents pour être
bien outillés par rapport à l'éducation de leurs
enfants dans la société ici.
I - Wow, et ce cours-là, le nom que vous que
vous lui avez donné c'est?

M - Espace-Parents. En réalité, c'est «Habileté


parentale» adaptée en fonction des personnes
immigrantes.

28:21 I - Et ce type d'atelier-là, est-ce que vous en


ajoutez souvent? Vous vous adaptez j'imagine;
vous voyez les besoins.

M - Normalement, parce que dans les ateliers,


il y a la DPJ qui viendra faire une petite confé-
rence. Il y a le CLSC qui viendra faire une pe-
tite conférence. Il y a des services au Canada;
il y a différents services qui viendront faire des
ateliers pour juste soutenir les parents.

I - Donc ça, ça permet aux parents aussi de


mieux comprendre la réalité canadienne...?

M - Exact, c'est un peu ça. C'est la petite force À creuser.


qu'on a de se retrouver à cheval entre la so-
ciété d'accueil et les personnes immigrantes.

I - Tout à fait, c'est vraiment intéressant.


J'pense qu'on pourrait discuter vraiment long-
temps...

M - Tisser des liens-là, c'est très intéressant


aussi, c'est vraiment sensibilité. Moi je mise sur
la sensibilisation.
I - Et vous n'êtes pas la première qui met le
doigt là-dessus. C'est vraiment la sensibilisa-
tion, en tout cas, une des choses, de la [part de
la] société d'accueil et c'est un gros défi
j'pense. J'avais rencontré une personne à
l'APO aussi et puis ça sortait souvent comme
défi: la société d'accueil, une meilleur com-
préhension, une meilleure sensibilisation juste-
ment. On n'a pas accès à l'historique de la per-
sonne en face de nous et le jugement peut être
facile.

M - Exact, parce que là, si y'a quelque chose


qui peut faire fâcher un immigrant, c'est comme
si tous les immigrants font pareils...

I - ... font parti de ce tout-là alors qu'on peut


pas faire ça. C'est comme n'importe quel indi-
vidu... On peut pas généraliser.

M - Malheureusement, c'est ce qui existe.

I - Merci beaucoup, j'apprécie vraiment, super


intéressant!

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