Le plaidoyer de Michel
Polémique. Dans « Quiest
Dieu?» (Editions de Fallois),
Jean Soler, philosophe érudit
et méconnu, s’attaque aux trois
religions monothéistes. Un livre
décapant qui va faire débat.
PAR MICHEL ONFRAY
L a France est riche d'une école exégétique biblique vieille
de quatre sitcles: de Richard Simon, son inventeur, un
contemporain de Bossuet, jusqu’a Jean Soler, un savant
biemt6t octogénaire auquel notre époque a scandaleusement
tournéledos,en passant parlecuré Meslier,lebarond'Holbach,
Yanarchiste Proudhon, le laic Charles Guignebert, Paul-Louis
Couchoud ou Prosper Alfaric, qui nie existence historique
de Jésus, il existe une école francaise remarquable de lecture
destextesditssacréscommede texteshistoriques,ce que, bien
sr, ils sont. Le silence qui accompagne cette ligne de force
scientifique s'explique dans un monde imprégné de judéo-
christianisme.
Qui est Jean Soler? Un diplomate érudit, un homme qui a
ppassésa vie’ ire, traduire, analyser et éplucher dans leurs lan
gues originalesles textes fondateurs du monothéisme. Diplo
ille fut huit années en Israél, oi ila été conseiller cult:
reletscientifiqueal’ambassade de France. laégalement travaillé
en Algérie, en Pologne, en Iran et en Belgique. Depuis 1993,ce
défenseurdeslanguesrégionales viten payscatalan ettravaille
dans un petit bureaw-bibliothéque lumineux comme une cel
Tule monacale, entre mer et montagne, France et Espagne.
homme ne se répand pas, il va 3 lessentiel. Son ceuvre
dense concentre le résultat d'années de travaux solitaires et
de recherches loin du bruit et de la fureur. Voila pourquoi le
fruit de ses études se trouve ramassé dans « Aux origines du
Dieu unique», un essai en trois volumes: «L'invention du
monothéisme» (2002), «1a loi de Moise » (2003) et «Vie et
mortdansla Bible» (2004). En 2009, ilajoute un opusintitulé
«La violence monothéiste».
Cet agrégé de lettres clessiques déconstruit les mythes et
les légendes juifs, chrétiens et musulmans avec la patience
de Vhorloger et V’efficacitéd’un dynamiteur de montagne. 11
excelle dans la patience du concept, il fournit ses preuves, il
renvoieavec précision auxtextes, ilanalyse minuticusement.
Ma toutes les qualités de Puniversitaire, au sens noble du
terme;voilapourquoil'université, quimanquedecestalents 13,
ne le reconnait pas.
Cette patience deVhorlogerquineconvaincpasuniversité
sedoubledoncdeVefficacitédudynamiteurqui pourrait plaire
aux jouralistes. Mais, sil'université ne doit pasaimerchez lui
usage desbatonsdedynamite,lesjournalistes,eux,nvapprécient,
probablementpassaméticulositéconceptuelle. Voila pourquoi
cet homme est seul et sa pensée révolutionnaire méconnue.
Certes, il a pour lui la caution d’un certain nombre de
pointures intellectuelles du XX siécle: Claude Lévi Strauss,
Jean Pierre Vernant, Marcel Detienne, Maurice Godelier, Ilya
Prigogine, mais aussi Edgar Morin, Claude Simon, René
Schérer, Paul Veyne lui ont dit tout le bien qurils pensaient
deson travail. Maisrienn'y fait, lenomdeJeanSoler nedéborde
pasle cercle étroit d'une poignée d’aficionados~mémessi ses
livres, tous édités aux Editions de Fallois, se vendent bien,
Jean Soler vient doned'avoir labonneidée de faire paraitre
«Qui est Dieu? ». Le résultat est un texte bref qui synthétise
latotalitédeson travail, pourtant déjaquintessencié, un petit
livre vif, rapide, dense, qui propose un feu artifice avec le
restant de dynamite inutilise..’est peu dire quils'y ferades
ennemis, tant le propos dérange les affidés des troisreligions
monothéistes.
Six idées regues. jean Soler démonte six idées regues.
Premitreidée recue: la Bibledépasseen anciennetélesanciens
textes fondateurs. Faux:les philosophesnes‘inspirent pasde
Vancien Testament, car «la ibleest contemporaine, pour essenticl,
de Venseignement de Socrate et des exwvres de Platon. Remaniée et
complete plus tard, elleest méme, en grande partie, une ceuure de
Pépoque hellénistique
Deuxieme idée recue: la Biblea faitconnaitrea ’humanité
le dieu unique, Faux: ce livre enseigne le polythéisme et le
dieujuifestun d'entrelesdieux du panthéon, dieu national
qui annonce qu'il sera fidele & son peuple seulement si son
peuple lui est fidele. La religion juive n'est pas monothéiste
mais monolatrique: elle enseigne le préférence d’un dieu
parmid’autres.Le monothéisme juifest une construction qui
date du V' siécle avant l’ere commune.
‘Troisi¢me idée recue: la Bibleadonné le premierexemple
d'une morale universelle. Faux :ses prescriptionsne regardent
pas Puniversel et 'humanité, mais la tribu, le local, dont il
fautassurer! étre,ladurée etlacohésion. Uamourdu prochain
ne concerne que le semblable, !'Hébreu, pour les autres, la
mise a mort est méme conseillée.
Quatrit me idée recue: les prophiétes ont promu la forme
spiritualisée du culte hébraique. Faux: pour les hommes de
laBible,iln'ya pas de vie aprésla mor. Lidée de résurrectionOnfray pour Jean Soler
1933 Naissance’d
Arles-sur-Tech,
1959 Agrégation de
lettres classiques.
1973 «Sémiotique
delanourriture
dans a Bible» (revue
Annales»).
2002.« Aux origines
duDiew unique»,
tIseLinvention
du monothéisme»
(Ed.de Fallois), salué
par Edgar Morin et
Claude Simon, Réédité
dans|a collection
«...eméme
Moise, bien que scribe de la Torah, ne savait pas écrire: les Hi
breux nécrivent leur langue qu’ partir du IX® ou du VII si
cle. $i Yalvé avait écrit les Dix Commandements de sa main,
Te texte aurait pas pu étre déchiffré avant plusieurs sitcles.
Le dieu unique nait dés quil faut expliquer que ce diew
national et protecteur ne protege plusson peuple. Ily cut un
tempsbéni,celuidelasortied' Egypte, delaconquétedeCanaan,
dela constitution d'un royaume; mais ily eut également un
temps maudit: celui de la sécession lors de la création de la
Samar, un Etat indépendant, celui deson annexion parles
Assyriens,alafin du VIIF sitcle,etdeladéportation du peuple,
celui de la destruction de Jérusalem par le roi babylonien,
Nabuchodonosor au débutdu VF siécle.
Lemonothéismestimposedansla seconde moitié dulV* sit
cle. Le dieu des Perses, qui leurest favorable, devient le diew
des juifs, qui souhaitent eux aussi obtenir ses faveurs. Ce
‘méme dieu favorise 'un ou Pautre peuple selon ses mérites.
Oncessedenommer Yahvé, pourl'appeler Dieu ouSeigneur.
Les juifs réécrivent alors le premier chapitre de la Genese.
Menacé de disparition physique, le peuplejuifchercheson
salut dans Vécrit Il invente Moise, un prophite scribe qui
consigne a parole de Yahvé. Isedonneuneexistencelittéraire
etse réfugie dans les livres dont le contenu est arrété par des
rabbins vers?an 100 de notre ére. Les juifs deviennent alors
Te peuple du Livre et du dieu unique.
Lediewuniquedevient vengeur jaloux,guerrier,belliqueux,
cruel, misogyne.JeanSolerassociele polythéisme’ latolérance
etlemonothéismealaviolence:lorsquilexisteunemultiplicité
dedieux, lacohabitation rend possible 'ajout d'unautre dieu,
venudailleurs;quandiln'yaqu'un dieu, ilestlevrai,'unique,
lesautressont faux. Déslors,aunom dudieu un, il faut lutter
contre les autres dieux, car le monothéisme affirme: « Tous
les diewx sauf un sont inexistants. >
Premier génocide. «Tune tueras point» est un comman
dement tribal, il concerne le peuple juif, et non Vhumanité
danssatotalité. La preuve, Yahvé commande de tueretlisons
Exode, 32.26-28, troismille personnes périssentsursonordre.
Dans «Contre Apion »,/historien juif Flaviusostpheétablit
au I" sitcle de notre ére une longue liste des raisons qui jus
tifient la peine de mort: adultére, viol, homosexualité, z00
philie, ébellion contre es parents, mensongesursavirginité,
travail lejour du sabbat, etc.
Jean Soler aborde extermination des Cananéens par les
juifset parleace proposd’«unepolitiquede purifcationethnique
&aencontre des nations de Canaan». Puisil signale que le Livre
de Josué précise qu’une trentaine de cités ont été détruites,ce
quilui permet d'affirmer que les juifs inventent le génocide
= «le premier en date dans la littérature mondiale»... Jean Soler
poursuit en écrivantque cetacte généalogique «estrévélateur
de la propension des Hébreux ixce que nous nommons aujourd hui
Pextrémisme». Toujours soucieux d’opposer AthenesaJérusalem, Jean Soler note que la Grice, forte de cent
trente cités, n'a jamais vu Tune d’entre elles avoir le désir
@exterminer lesautres.
Enavancant danse temps, Jean Soler, on le voit, ouvre des
dossiers sensibles. La lecture des textes dits sacrés releve
effectivement de la politique. Il interroge donc la postérité
dumodéle hébraique dansi’histoire etavancedeshypotheses
qui ne manqueront pas de choquer.
Lejudaisme, écrit:il, a été en crise cing foisen mille ans. 11
Vestauxalentoursdel'an ode notreére. D’ousonattented’un
messie capable de le sauver et de lui redonner sa splendeur.
Iya pléthore de prétendants, Jésus est l'un d’entre eux. Ce
sectateur juif renonce au aationalisme de sa tribu au profit
deV'universalisme. Des ors, il n'yaqu'un dieu, etilestlediew
de tous. Plus besoin, done, des interdits qui cimentaient la
communauté tribale appelée 3 régner sur le monde une fois
régénérée,
SiJésusséparaitbien lesaffairesreligieuses
Villusion quisécurise.Son euvre géne lesjuifs les chrét
lescommunistes, les musulmans. Ajoutons:les universitaires,
les journalistes, sinon les néonazis. Ce qui, convenons-en,
constitueun formidable bataillon! Faut i, déslors,s'étonner
quill wait pas audience que son travail mérite?
Laccusation d’antisémitisme, bien sir,estcellequiaccueille
leplussouventses recherches. Elleest!'insultelaplusefficace
pourdiscréditerle travaild’une vie,etétremémed'unhomme.
En effet, ean Soler détruit des mythes juifs: leur dieu fut un
parmi beaucoup d'autres, puisil nedevint unique quesousla
pression opportunisteethniqueettribale,nationaliste. Toujours
selon Jean Soler, le monotheisme devient une arme de guerre
forgée tardivement pour permettre au peuple juif d’étre et de
durer, ft-ce au détriment des autres peuples. Il suppose une
violence intrinséque exterminatrice, intolérante, qui dure
jusqu'aujourd’hui. La vérité du judaisme se trouve dans le
christianismequiuniversaliseun discoursd’abordnationaliste.
Autant de theses iconoclastes!
sete ete rie Neca