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Introduction

Catherine Kerbrat-Orecchioni, ICAR, Université Lumière Lyon 2

MONSIEUR DE SOTENVILLE. — Qu’est-ce, mon gendre ? vous me paraissez tout troublé.


GEORGE DANDIN. — Aussi en ai-je du sujet, et…
MADAME DE SOTENVILLE. — Mon Dieu ! notre gendre, que vous avez peu de civilité de ne pas saluer les
gens quand vous les approchez !
GEORGE DANDIN. — Ma foi ! ma belle-mère, c’est que j’ai d’autres choses en tête, et…
MADAME DE SOTENVILLE. — Encore ! est-il possible, notre gendre, que vous sachiez si peu du monde, et
qu’il n’y ait pas moyen de vous instruire de la manière qu’il faut vivre parmi les personnes de qualité ?
GEORGE DANDIN. — Comment ?
M ADAME DE S OTENVILLE . — Ne vous déferez-vous jamais avec moi de la familiarité de ce mot de
« belle-mère », et ne sauriez-vous vous accoutumer à me dire « Madame » ?
GEORGE D ANDIN. — Parbleu ! si vous m’appelez votre gendre, il me semble que je puis vous appeler ma
belle-mère.
MADAME DE SOTENVILLE. — Il y a fort à dire, et les choses ne sont pas égales. Apprenez, s’il vous plaît,
que ce n’est pas à vous à vous servir de ce mot-là avec une personne de ma condition ; que tout notre
gendre que vous soyez, il y a grande différence de vous à nous, et que vous devez vous connaître.
MONSIEUR DE SOTENVILLE. — C’en est assez, mamour, laissons cela.
M ADAME DE S OTENVILLE . — Mon Dieu ! Monsieur de Sotenville, vous avez des indulgences qui
n’appartiennent qu’à vous […].
M ONSIEUR DE SOTENVILLE. — Corbleu ! pardonnez-moi, on ne peut point me faire de leçons là-dessus.
[…] Sachons un peu, mon gendre, ce que vous avez dans l’esprit.
G EORGE D ANDIN. — Puisqu’il faut donc parler catégoriquement, je vous dirai, Monsieur de Sotenville,
que j’ai lieu de…
M ONSIEUR DE SOTENVILLE. — Doucement, mon gendre. Apprenez qu’il n’est pas respectueux d’appeler
les gens par leur nom, et qu’à ceux qui sont au-dessus de nous il faut dire « Monsieur » tout court.
GEORGE DANDIN. — Hé bien ! Monsieur tout court, et non plus Monsieur de Sotenville, j’ai à vous dire
que ma femme me donne…
M ONSIEUR DE S OTENVILLE. — Tout beau ! Apprenez aussi que vous ne devez pas dire « ma femme »,
quand vous parlez de notre fille.
GEORGE D ANDIN. — J’enrage. Comment ? ma femme n’est pas ma femme ? […] Eh ! de grâce, mettez,
pour un moment, votre gentilhommerie de côté, et souffrez que je vous parle maintenant comme je
pourrai. Au diantre soit la tyrannie de toutes ces histoires-là ! je vous dis que je suis mal satisfait de mon
mariage.
MADAME DE SOTENVILLE. — Quoi ? parler ainsi d’une chose dont vous avez tiré de si grands avantages ?
G EORGE D ANDIN. — Et quels avantages, Madame, puisque Madame y a ? (Molière, George Dandin, I-
IV ; italique ajouté)

Si ce que le pauvre Dandin appelle « ces histoires-là », c’est-à-dire le maniement approprié


des formes nominales d’adresse, n’est sans doute plus aussi « tyrannique » aujourd’hui que
dans la bonne société de l’ancien régime, ces formes jouent cependant toujours un rôle
important dans le fonctionnement des interactions, entre autres pour marquer la relation
interpersonnelle et construire l’espace social de l’interaction : ce sont de puissants
« relationèmes », et les seuls qui soient en français véritablement grammaticalisés1 (même si
toutes sortes d’autres types d’unités peuvent à l’occasion, en discours, être mises au service de
la construction de la relation).
Marginales d’un point de vue syntaxique (et à ce titre négligées par les grammaires, même les
plus accueillantes aux considérations pragmatiques2), les formes nominales d’adresse le sont

1
À la différence de ce qui s’observe dans d’autres langues comme le japonais, le coréen ou le javanais, qui
possèdent en outre une riche panoplie de formes « honorifiques » et « humiliatives » (humble forms), dont il
n’existe pas de véritable équivalent en français.
2
Dans la Grammaire du sens et de l’expression de Charaudeau (1992), deux pages sont tout de même consacrées
à ces formes, sous la rubrique « Interpellation ».

1
beaucoup moins d’un point de vue pragmatique. Or elles sont représentées de façon très
inégale selon les situations d’interaction. Ainsi se font-elles rares dans certaines conversations
familières, où les participants disposent pourtant avec le prénom d’une forme parfaitement
appropriée. Dans d’autres cas c’est l’absence d’une forme disponible adaptée à la situation et
à l’état de la relation qui explique leur absence. Par exemple, dans le corpus que nous avons
utilisé comme base des analyses présentées dans Décrire la conversation3, si l’on ne rencontre
aucun nom d’adresse c’est qu’il s’agit d’échanges entre jeunes qui ne se connaissent pas au
départ, on ne voit donc pas comment ils pourraient s’adresser l’un(e) à l’autre. Autre
exemple : lorsque l’on a à héler dans les couloirs de l’université quelqu’un qui n’est ni un
étranger ni un proche, on ne dispose d’aucune ressource véritablement satisfaisante
— « monsieur » est trop formel, le prénom trop familier, le patronyme trop cavalier…
L’existence de situations de ce genre, qui sont loin d’être exceptionnelles, m’avait amenée
naguère à parler de « crise des appellatifs en français contemporain »4, mais il s’agissait là
d’une simple intuition, méritant que l’on y regarde de plus près.
Dans d’autres types d’interactions les formes nominales d’adresse se manifestent au contraire
en nombre conséquent (soit dans des moments stratégiques de l’échange soit de façon plus
aléatoire en apparence), et la question qui se pose alors est celle de savoir « pourquoi » et
« pour quoi faire ». Bien des mystères restent donc à élucider en ce qui concerne les fonctions
de ces formes et leurs effets sur l’interaction, et c’est ce qui nous a incités à constituer autour
de cette question une équipe de recherche5 dont la perspective se caractérise ainsi :
(1) la recherche est focalisée essentiellement sur les formes nominales d’adresse (dorénavant
FNA),
(2) envisagées dans une perspective essentiellement pragmatique et interactionnelle,
(3) à partir de données orales authentiques enregistrées dans diverses situations
communicatives,
(4) l’accent étant mis sur la question des variations à la fois intraculturelles et interculturelles
— mais si l’horizon de cette recherche est contrastif, il ne s’agira dans ce volume que du
fonctionnement actuel6 des FNA en français7.

1. Définition de l’objet

1.1. Pronoms et noms d’adresse

Tous les énoncés sont en principe adressés8, qu’il comportent ou non un terme d’adresse,
c’est-à-dire une forme linguistique désignant explicitement l’allocutaire (ou « destinataire
direct », en anglais addressed recipient ou addressee).
Le système de l’adresse, ensemble de catégories et d’items dont les locuteurs disposent pour
désigner leur(s) partenaire(s) d’interaction (Braun, 1988 : 11) se compose en français, comme
dans la plupart des langues, de formes pronominales et de formes nominales.
(1) En ce qui concerne les formes pronominales, la fonction d’adressage est normalement
dévolue au pronom de deuxième personne (« tu/vous ») qui lorsqu’il n’est pas employé par
« énallage »9 représente l’allocutaire.

3
J. Cosnier & C. Kerbrat-Orecchioni éds, Lyon : PUL, 1987.
4
Dans Les interactions verbales, t. II (1992 : 54).
5
Équipe constituée dans le cadre du laboratoire ICAR (CNRS-Université Lyon 2) et soutenue par l’ILF.
6
Pour une approche diachronique, voir Coffen 2002 (sur les pronoms d’adresse essentiellement) et Lagorgette
2006.
7
Un deuxième volume est prévu, qui sera consacré à l’approche comparative interculturelle.
8
Même le self-talk peut être considéré comme adressé (à soi-même, à la faveur d’un dédoublement énonciatif du
sujet).

2
D’un point de vue syntaxique, le pronom peut assurer les différentes fonctions dévolues aux
syntagmes nominaux : « Tu viens ? »10, « Je te vois », « Je te parle », etc. Tous ces énoncés
comportent bien un « pronom d’adresse », mais c’est seulement en emploi vocatif (« Viens-là
toi ! ») que le pronom reçoit une véritable « fonction d’adresse » — comme le rappelle Neveu
(2003 : 29-30), « les termes d’adresse ne sont pas nécessairement des termes en adresse ». Le
pronom revêt alors sa forme dite « forte » ou « tonique » : ce n’est plus une simple « particule
préverbale » mais une unité qui fonctionne à tous égards comme un véritable syntagme
nominal11.
D’un point de vue sémantique : les pronoms (faibles ou forts) ont un contenu très pauvre
— deux traits seulement : ils désignent d’abord l’allocutaire (deixis personnelle) ; mais du fait
de l’existence, au singulier du moins, de deux formes concurrentes en français (« tu » vs
« vous » dit « de politesse »), ils se chargent en outre de diverses valeurs sociales et
relationnelles (deixis sociale selon Fillmore 1997[1975]).
(2) À la différence du pronom dont la forme elle-même indique le rôle énonciatif de la
personne dénotée (sauf exception, « tu » et « vous » renvoient à l’allocutaire et l’allocutaire
est désigné par « tu » ou « vous », ces pronoms sont donc bien des « termes d’adresse » même
s’ils ne sont qu’exceptionnellement employés « en adresse »), n’importe quel syntagme
nominal susceptible de désigner un être auquel on est susceptible de s’adresser12 peut en
principe fonctionner comme une forme d’adresse. Toutefois, certaines unités sont plus aptes
que d’autres à jouer ce rôle ; mais ces items n’ont, en langue, qu’une valeur d’adresse
potentielle : c’est seulement en discours qu’ils deviennent véritablement des « formes
d’adresse », l’expression désignant donc une catégorie fonctionnelle. Ces mêmes items sont
généralement susceptibles de désigner, outre l’allocutaire (valeur allocutive : « Tu viens
Pierre ? »), le délocuté (valeur délocutive : « Pierre est là »), voire le locuteur (dans les auto-
présentations : « Pierre à l’appareil »), même si certains d’entre eux ont tendance à se
spécialiser dans l’un ou l’autre emploi. On peut à cet égard comparer : « madame » (très
généralement utilisé comme allocutif lorsqu’il est employé seul, sauf dans le registre
cérémonieux où il peut aussi fonctionner en emploi délocutif13) et « dame » (très
généralement utilisé comme délocutif, sauf dans la formule « messieurs dames »), ou
« mademoiselle » et « demoiselle » ; et en ce qui concerne les termes de parenté :
« maman/papa » vs « mère/père » ou « frérot » vs « frère » (les premiers termes étant plus
volontiers utilisés comme allocutifs que les seconds14), etc.

9
Le cas le plus fréquent étant celui du « tu » dit « générique ».
10
En fonction de sujet le pronom marque la deuxième personne en relation avec la désinence verbale.
11
Cette similitude fonctionnelle autorise Dominique Lagorgette à prendre en compte dans son étude non
seulement les FNA proprement dites mais aussi ces emplois particuliers du pronom d’adresse. Par contre, les
formes faibles des pronoms, et a fortiori les désinences verbales, n’ont à notre avis pas leur place dans une étude
sur les formes de l’adresse.
12
Être humain, animal ou même inanimé, dans le cas d’une apostrophe rhétorique.
13
Qu’il s’agisse ou non d’un « iloiement » (« Madame est servie » vs « Madame est arrivée »). Quant à « la
madame », c’est un usage caractéristique du parler enfantin.
Notons que cette distinction entre « madame » et « dame » n’a pas d’équivalent au masculin, « monsieur »
pouvant fonctionner aussi bien comme allocutif que comme délocutif.
14
Encore qu’il faille signaler la généralisation récente de « maman » en emploi délocutif : « elle est venue avec
sa maman », « la fête des mamans », etc. On peut donc s’étonner de cette remarque d’André-Larochebouvy
(1980 : 728) : « Les termes traditionnels de Papa et Maman peuvent apparaître comme termes d’adresse, mais de
plus en plus rarement comme termes de désignation et on entend de très jeunes enfants parler de leurs parents en
disant “mon père”, “ma mère” ». C’est aujourd’hui exactement le contraire : même certains adultes n’hésitent
pas à parler de « mon papa » ou de « ta maman », « père » et « mère » étant de plus en plus confinés dans
l’emploi administratif (des étudiantes m’ayant même soutenu que « mère » était un terme « péjoratif »).
Signalons d’autre part que sous l’influence de l’arabe, la forme d’adresse « (mon) frère » est fréquente dans les
banlieues, mais surtout en emploi métaphorique.

3
D’un point de vue syntaxique : en tant qu’équivalents des vocatifs latins, les FNA se
caractérisent par la propriété de détachement, c’est-à-dire que « le vocatif est en marge de la
phrase, comme le titre est en marge du texte »15 (Bally 1932 : §36, cité par Neveu, 2003 : 36),
ou bien encore que les « apostrophes » se situent « hors de la charpente phrastique » (Détrie
2006 : 28). Cette notion de détachement n’est pas sans poser de nombreux problèmes
théoriques et descriptifs, comme le montre bien Neveu (200316, 2005). Précisons simplement
que sauf lorsqu’elle fonctionne comme un énoncé à part entière (emploi « autonome »), la
FNA est bien « rattachée » à un énoncé particulier (même si ce rattachement, reposant sur
l’emplacement de la forme mais aussi sur des indices prosodiques, pose parfois problème —
on en verra des exemples au passage). Précisons aussi que ce détachement syntaxique ne
s’accompagne qu’exceptionnellement d’une « dislocation intonative »17, comme on le verra
également.
D’un point de vue sémantique : le paradigme des noms d’adresse est infiniment plus riche que
celui des pronoms d’adresse (voir ci-dessous en 4.2.). Corrélativement, ils sont plus chargés
sémantiquement, permettant d’exprimer des valeurs sociales et relationnelles plus fines et
diversifiées que les pronoms, avec lesquels ils fonctionnent en corrélation (principe de
cooccurrence selon Ervin-Tripp 1972).
D’un point de vue pragmatique : les FNA ne se contentent pas de référer à l’allocutaire
(comme on réfère à un tiers absent, ou à n’importe quel objet de discours) mais elles
accomplissent une activité particulière, l’activité d’adressage. Elles désignent le principal
destinataire (ou les principaux destinataires en cas d’adresse collective) des propos tenus,
qu’elles « visent » et « pointent » en même temps qu’elles le(s) « nomment » (Plantin, 1985 :
243), et qui de ce fait se trouve(nt) sommé(s) de réagir. Qu’elles constituent l’allocutaire en
tant que tel, qu’elles le sélectionnent parmi un ensemble de candidats possibles, ou qu’elles le
confirment simplement, ces formes signifient toujours que « c’est à toi/vous que je parle
prioritairement ». Les FNA ne sont pas, tant s’en faut, les seules ressources pour cette activité
d’adressage, qui s’accomplit d’abord par des moyens non verbaux — d’abord, parce que dans
la communication orale on peut difficilement concevoir de s’adresser à quelqu’un sans le
regarder, alors qu’on peut fort bien se passer de toute forme nominale et même pronominale
d’adresse : à la suite de Goodwin (1981 : 160) ou de Goffman (1981 : 133), on peut définir
l’addressee comme « the one to whom the speaker addresses his visual attention ». La
détermination de l’allocutaire repose aussi sur des facteurs linguistiques tels que le contenu de
l’énoncé (en relation avec le principe de pertinence) ou la logique de l’enchaînement des tours
de parole. Mais il s’agit là de procédés implicites, qui peuvent laisser planer une certaine
incertitude sur la nature de l’allocutaire18 (à la différence de celle du locuteur qui est
clairement « visible » dans la communication en face à face) alors que la FNA constitue un
procédé explicite de désignation de l’allocutaire. L’activité d’adressage ne s’identifie donc pas
à l’activité de « référence aux personnes », qui a fait l’objet d’un certain nombre d’études en
analyse conversationnelle (par exemple Sacks & Schegloff 1979, Schegloff 1996), en relation

15
Cette comparaisons suggère que la forme vocative porte sur l’ensemble de la phrase (qui est en effet tout
entière adressée à la même personne), comme le titre porte sur l’ensemble du texte qu’il surplombe.
16
Cet article figure dans le numéro 40 des Cahiers de Praxématique, dirigé par Franck Neveu et tout entier
consacré à la notion grammaticale de « détachement syntaxique ». Le cas particulier des termes d’adresse y est
envisagé, outre par Neveu lui-même, par Dominique Lagorgette dans une perspective diachronique. Voir aussi
sur cette question Lagorgette 2006, ainsi que Détrie, 2006 : chap. 2, où sont passées en revue les principales
propriétés syntaxiques de l’« apostrophe ».
17
Malgré ce qui est régulièrement affirmé, sans doute sous l’influence de l’écrit : à l’écrit, les FNA sont
systématiquement précédées d’une virgule, ce dont il faut conclure, non qu’elles sont à l’oral systématiquement
précédées d’une pause, mais que la ponctuation a ici une valeur syntaxique et non prosodique.
18
 Voir Lerner 2003 sur les limites du « gaze-directional addressing ».

4
avec les activités apparentées de description et de catégorisation, études qui privilégient
d’ailleurs largement la troisième personne au détriment des deux personnes d’énonciation19.

1.2. Les noms d’adresse, alias « FNA »

« Formes nominales d’adresse » : telle est l’expression20 que nous avons retenue pour
désigner notre objet, de préférence à d’autres dénominations telles que :
– « Noms d’adresse » : les unités qui nous intéressent relèvent du niveau non du mot mais du
syntagme (ce sont des syntagmes nominaux d’adresse, qui sont souvent constitués de
plusieurs items).
– « Apostrophes nominales » : cette expression est utilisée par Détrie (2006), qui s’en justifie
dans le premier chapitre de son ouvrage21, en s’appuyant en particulier sur Fontanier. Le
terme d’« apostrophe » vient en effet de la tradition rhétorique, son principal inconvénient
étant pour nous qu’il ne couvre pas les emplois les plus ordinaires des formes qui nous
intéressent : en disant « Bonjour Pierre », le locuteur « s’adresse » à Pierre (et indique
explicitement qu’il s’adresse à lui) plutôt qu’il ne « l’apostrophe », le dictionnaire définissant
l’apostrophe comme une « interpellation brusque, sans politesse » (Le Petit Robert 1991).
– « Appellatifs » ou « formes appellatives »22 : si ces expressions sont souvent utilisées
comme des équivalents de « formes d’adresse », elles reçoivent parfois une extension plus
large, s’appliquant à toute désignation d’une personne dans le discours, qu’il s’agisse d’un
emploi allocutif, délocutif ou même « locutif » (« Moi, Pierre »).

Revenons pour terminer sur quelques caractéristiques des FNA qui découlent de la définition
de la classe, et qui constituent des points problématiques, dont on peut espérer qu’un examen
attentif de nos données permettront de les clarifier.
(1) En tant qu’elle désignent l’allocutaire, les FNA correspondent grammaticalement à une
deuxième personne (du singulier ou du pluriel), même si cela n’est pas apparent comme dans
le cas des formes pronominales. Il arrive toutefois que celui/celle que les marqueurs non
verbaux désignent clairement comme étant le/la destinataire principal(e) soit traité(e)
linguistiquement à la troisième personne, comme dans le cas de l’iloiement (« Qu’est-ce
qu’elle veut la dame ? », « Le chef qu’est-ce qu’il va prendre ? », « Comment va mon cher
voisin ? » etc.23) : l’allocutaire, identifiable comme tel par l’orientation du corps du locuteur et
la direction de son regard, est traité verbalement comme un délocuté. On a donc en surface
une forme délocutive (comme « la dame »), mais qui est en réalité l’équivalent d’un vocatif
(« madame ») : l’iloiement est bel et bien une allocution effectuée à la troisième personne —
d’un point de vue pragmatique il n’y a guère de différence entre « Comment ça va voisin ? »
et « Comment va mon cher voisin ? » accompagné d’un contact oculaire, il semble donc
légitime de traiter « la dame », « le chef » ou « mon cher voisin » des énoncés précédents
comme de véritables formes d’adresse. La situation est tout autre, par exemple, dans le débat

19
 Sur la self-reference, voir toutefois le numéro 9(4) de Discourses Studies (2007, Lerner & Kitzinger éds), qui
offre d’abord une vue d’ensemble sur les travaux dans ce domaine de la person-reference, puis se focalise sur la
question de savoir comment les locuteurs réfèrent à eux-mêmes dans la conversation.
C’est aussi dans une perspective référentielle que se situe Sacks lorsqu’il note par exemple (1992 : 349) que les
pronoms I et you constituent les formes de base pour référer au locuteur et au destinataire, dont les syntagmes
nominaux ne sont que des substituts plus développés.
20
Proche de celle retenue par André-Larochebouvy (1980) : « termes d’adresse lexicaux ».
21
Tout en reconnaissant d’ailleurs « les opacités de la définition syntaxique » et « le dévoiement de la définition
rhétorique » de cette notion d’apostrophe.
22
On parle aussi parfois d’appellèmes.
23
Dans ces exemples, l’iloiement a une tonalité familière, alors qu’il exprime au contraire la formalité et la
déférence dans « Madame est servie ».

5
électoral du 2 mai 2007 où il arrive à Sarkozy de traiter à la troisième personne son
interlocutrice, en prenant à témoin les animateurs et les téléspectateurs (« je ne sais pas
pourquoi madame Royal d’habitude calme a perdu ses nerfs… ») — aucune allocution ici (le
segment « madame Royal » ne doit donc pas être considéré comme une FNA), mais une
délocution in praesentia : une personne présente est à tous égards traitée comme une tierce
personne, c’est-à-dire exclue du circuit de l’interlocution. Mais nous verrons que la frontière
n’est pas toujours claire entre ces deux phénomènes, et qu’outre l’adresse directe à la
troisième personne et la délocution in praesentia nous serons amenés à distinguer divers cas
intermédiaires d’adresse indirecte, en revenant sur les différentes composantes du « format de
réception » (Goffman 1981 ; Goodwin 1981, 1986 ; Levinson 1988 ; Traverso 1997 ; Kerbrat-
Orecchioni 1992, 2004).
Nous verrons également qu’en contexte médiatique (lequel se caractérise par l’existence d’un
double niveau de réception), un même item peut avoir à la fois une fonction allocutive (par
rapport à tel ou tel intervenant présent sur le plateau) et délocutive (servant indirectement à
informer les auditeurs de l’identité de cet intervenant).
(2) Les FNA désignent l’allocutaire, mais comme ces formes sont, à la différence du pronom
d’adresse, dotées d’une charge sémantique plus ou moins forte, elles spécifient certaines
propriétés de la personne qu’elles désignent, et la « catégorisent » du même coup. C’est ce
que rappelle Perret (1980 : 113) : « le sens de l’appellatif choisi, s’il en a un, et même si celui-
ci est pauvre, permet d’effectuer une certaine prédication », laquelle est, d’après Perret
toujours, « explicite ». Il paraît plus juste de considérer que dès lors que la prédication
s’effectue sous la forme d’un « posé » (par exemple dans les insultes de type « espèce
d’andouille »), on n’a plus affaire à une forme d’adresse mais à une qualification (insultante)
du destinataire. Dans les véritables FNA la prédication est au contraire présupposée (« Salut
l’andouille » !) — même si le départ n’est pas toujours facile à faire entre ces deux cas de
figure que constituent les « termes d’adresse injurieux ou insultants » et les « injures ou
insultes24 proprement dites ».

2. Les caractéristiques de l’approche

Précisons en quoi notre approche vient compléter, tout en s’en démarquant, les nombreux
travaux antérieurs sur les termes d’adresse.

2.1. Formes nominales d’adresse

Ainsi que le remarque Détrie (2006 : 8) : « si les linguistes se sont intéressés aux pronoms
d’adresse, […] les noms d’adresse les ont par contre peu mobilisés »25 — tout au plus sont-ils
mentionnés comme venant spécifier la valeur du pronom, la grand affaire étant la question de
savoir sur quelles bases s’effectue la répartition des formes « tu » et « vous »26. C’est au

24
Les deux termes sont ici considérés comme équivalents. Sur les injures et autres insultes la littérature est
abondante — voir entre autres Rosier 2006, Larguèche 2009 ainsi que le numéro 144 (2004) de Langue
française dirigé par D. Lagorgette et P. Larrivée.
25
Deux exemples parmi d’autres : le numéro de Langage et Société intitulé « “Comment tu me parles !” Les
pronoms d’adresse : langue et discours » (108, juin 2004) et l’ouvrage tout récent (2009) dirigé par Bert Peeters
et Nathalie Ramière intitulé Tu ou vous : l’embarras du choix, dans lesquels seule une petite minorité des
contributions (celles de Chantal Claudel dans les deux volumes et celle de Christine Béal dans le second)
envisagent l’ensemble du système d’adresse, noms compris.
26
Le privilège accordé à ce problème (voir aussi, sur cette « tu-vousologie » contemporaine, Kerbrat-Orecchioni
1992 : 48-51) est certes compréhensible : le choix entre « tu » et « vous » est aussi délicat (vu le nombre des
facteurs qui interviennent dans cette opération) que lourd d’enjeux relationnels (puisqu’il existe un véritable
hiatus entre les valeurs socio-affectives de ces deux formes) ; corrélativement, ce problème hante aussi bien la

6
contraire sur les noms d’adresse qu’est focalisée notre étude, le pronom n’étant pris en
compte que dans la mesure où il fait système avec le nom (« madame » impose le « vous », le
prénom peut également s’associer au « vous » mais il est plus volontiers « cooccurrent » avec
le « tu », etc.).
Par son objet, cette étude se situe donc dans la lignée des réflexions de Delphine Perret (1968
et 1970) ou de Catherine Détrie dans son récent ouvrage (2006) sur l’« apostrophe
nominale », ouvrage qui constitue une véritable somme sur cette « petite oubliée » des
manuels de grammaire, mais dont l’orientation revendiquée est plus « énonciative » que
véritablement interactionnelle.

2.2. Perspective pragmatique et interactionnelle

À l’exception des travaux précédemment mentionnés, la plupart des études antérieures sur les
termes d’adresse adoptent une approche sociolinguistique : il s’agit surtout d’établir des
corrélations (représentables à l’aide de diagrammes) entre les formes observées et les facteurs
externes qui déterminent leur choix (âge, statut, sexe des interlocuteurs etc.), dans la lignée de
la célèbre étude de R.W. Brown et M. Ford (1961), qui fait en la matière figure de modèle.
Notre objectif est autre : il consiste principalement à mettre en lumière les différents rôles que
jouent les FNA dans les interactions orales, où elles fonctionnent à plein régime27. Notre
questionnement de départ est le suivant : étant donné que l’activité d’adressage n’implique
généralement pas impérativement le recours à une forme nominale d’adresse, dans quels cas
va-t-on y faire appel, et avec quelle fréquence ? Quelles sont les formes mobilisées pour
réaliser cette activité ? Enfin : les FNA, pour quoi faire ? — c’est-à-dire, pour répondre à
quels besoins, assurer quelles fonctions, et produire quels effets interactionnels ?

2.3. L’utilisation de données authentiques

Il arrive que les sociolinguistes adoptent une méthodologie de type ethnographique (notations
en situation d’observation participante) comme c’est le cas dans l’étude de Denis Guigo
(1991) sur le fonctionnement des termes d’adresse dans une grande entreprise française :
après avoir dégagé les principaux facteurs déterminant leur choix (âge, sexe, statut,
ancienneté du lien…), l’auteur est amené à distinguer, à partir de la combinaison des formes
pronominale (« tu » ou « vous ») et nominale (« monsieur/madame », patronyme,
« monsieur/madame » + patronyme, prénom), huit « styles » différents (à savoir : distant,
respectueux, militaire, poli, américain, potache, camarade et amical). Mais dans leur grande
majorité, les études à orientation sociolinguistique se fondent sur des enquêtes en forme de
questionnaires, écrits ou oraux (les informateurs devant répondre à des questions du genre
« Comment vous adressez-vous à vos voisins/vos collègues de travail/les membres de votre
famille etc., dans telle ou telle situation… ? »). C’est sur une telle méthode que reposent par
exemple l’étude de Brown et Ford précédemment mentionnée, mais aussi une autre étude de
référence, celle de Friederike Braun (1988) et ses collaborateurs de l’Université de Kiel, qui
se sont employés à décrire et comparer les systèmes d’adresse dans de nombreuses langues et

conscience linguistique des locuteurs francophones (Schmale 2008 : 61) que la conscience professionnelle des
enseignants de français langue étrangère.
27
Corrélativement, nous ne nous intéresserons qu’à l’allocution in praesentia, à l’exception des diverses formes
d’adresse à un absent ou à un être imaginaire (deixis am phantasma, cf. Neveu 2003 : 31), attestées dans les
écrits fictionnels ou poétiques ou encore dans des activités telles que la prière.
Ajoutons que les FNA jouent un rôle relativement important dans certains types d’écrits dialogués, comme les
chats ou le courrier électronique (sur ce dernier type d’échanges, voir Kerbrat-Orecchioni 2007).

7
cultures28. Ces différents travaux ont permis de récolter nombre d’informations intéressantes
sur les termes d’adresse, tout en laissant certaines questions en suspens.
En ce qui concerne l’approche pragmatique, à côté des travaux qui recourent à des
questionnaires on en rencontre qui s’appuient, en tout ou en partie, sur des données naturelles.
Ainsi l’étude de Détrie précédemment mentionnée met-elle à contribution aussi bien des
textes littéraires relevant d’époques et de genres différents (Les Tragiques d’Agrippa
d’Aubigné, Le mariage de Figaro29) que des enregistrements d’interactions institutionnelles
contemporaines (séances de conseil municipal, débats à l’Assemblée nationale)30. De même,
dans sa thèse de doctorat sur les termes d’adresse en français contemporain31 (2004), Fadia
Kheder exploite des données aussi bien orales qu’écrites, authentiques que fictionnelles
(enregistrements et notations sur le vif mais aussi romans, tracts, publicités et prospectus).
Cela lui permet de récolter une riche moisson de formes et de fonctions, mais dont il est
difficile de tirer des conclusions précises du fait de la nature excessivement hétéroclite des
données. Il faut remonter près de trente ans en arrière pour trouver une étude des termes
d’adresse qui se fonde exclusivement sur des données enregistrées : véritablement pionnière,
la thèse de Danielle André-Larochebouvy (1980) sur les conversations exploite un abondant
matériel constitué d’échanges enregistrés durant près de dix ans dans divers sites de la vie
quotidienne (cafés, commerces, coiffeur…). Une partie de ce travail (p. 709-749) est consacré
aux « termes d’adresse lexicaux »32, dont l’auteure propose une classification, puis elle
s’emploie à déterminer à quelles situations et à quels rôles peuvent convenir ces différents
types de formes : elle fait donc intervenir, à côté des règles de cooccurence (cohérence intra-
discursive), certaines règles de congruence (adaptation aux variables extralinguistiques).
Le travail présenté ici prolonge et approfondit celui d’André-Larochebouvy. Il repose
entièrement sur l’analyse détaillée de corpus enregistrés (sous forme audio et parfois vidéo)
dans diverses situations communicatives, et soigneusement transcrits33. Une telle entreprise
est terriblement chronophage : elle a donc tout à gagner à être menée en équipe plutôt qu’en
solitaire. Nous estimons en tout cas que cette méthodologie est la seule qui soit en mesure de
nous fournir quelques assurances sur le fonctionnement réel des unités qui nous intéressent.
Elle permet de mettre en lumière certaines fonctions des FNA qui sont occultées par la
méthode des questionnaires, en particulier celles qui relèvent du niveau non pas
« relationnel » mais « organisationnel » de l’interaction. On verra aussi que l’observation de
nos données met en déroute certaines idées reçues véhiculées par les manuels de savoir-vivre
ou d’enseignement du français, et que l’on retrouve même dans les réponses aux
questionnaires (du fait de la pression normative qui s’exerce sur les informateurs), par
exemple l’idée selon laquelle « Bonjour madame Dupont » serait « populaire », et « Merci »
non accompagné d’une FNA, familier voire impoli…

2.4. La dimension comparative

28
Cet ouvrage fournit en outre une très abondante bibliographie sur les différentes approches (anthropologiques
et ethnographiques, grammaticales, stylistiques, littéraires, historiques, normatives, dialectologiques…) dans le
domaine concerné.
29
C’est aussi sur l’étude d’une dialogue théâtral (Huis clos de Sartre) que repose l’article de Plantin (1985),
lequel met en évidence un certain nombre de fonctions des termes d’adresse que nous allons retrouver ici.
30
Dans sa contribution à ce volume, Détrie recourt exclusivement au deuxième type de données, en même temps
qu’elle adopte une orientation plus nettement interactionnelle.
31
Ce travail comporte également un chapitre consacré à l’arabe.
32
Partie non reprise dans la version publiée de cette thèse (La conversation quotidienne, Paris, Didier/Crédif,
1984).
33
Conformément à la méthode préconisée dès les années 70 par les fondateurs de la conversation analysis
(H. Sacks, E. Schegloff, G. Jefferson). Mais à notre connaissance, les FNA n’ont jamais fait l’objet d’une
investigation systématique dans le cadre de la CA.

8
On l’a dit, il ne sera question dans ce volume que du français, la comparaison interculturelle
étant réservée à une étape ultérieure. En revanche, la diversité des situations étudiées
permettra une comparaison intraculturelle, en fonction surtout du type d’interaction dans
lequel les FNA sont susceptibles d’apparaître, l’hypothèse étant que le fonctionnement de ces
formes est particulièrement sensible au « genre » interactionnel, ainsi que le signale Détrie
(2006 : 7) : « La question du genre du discours est […] déterminante pour l’interaction en
général et pour l’apostrophe en particulier ».

3. Les situations et types d’interactions retenus

(1) La première étude porte sur ce qui est généralement considéré comme représentant la
forme « basique » de réalisation des échanges oraux, c’est-à-dire les conversations familières
(Emmanuel Defay).
Les autres types d’interactions étudiées ont tous un caractère institutionnel mais à des degrés
divers puisque sont analysés successivement les genres suivants :
(2) Réunions de travail en entreprise (Virginie André).
(3) Interactions se déroulant en contexte scolaire :
– Échanges entre maître(sse) et élèves à l’école primaire (Nathalie Francols) ;
– Interactions entre CPE (conseillère principale d’orientation) et élèves visant à la résolution
de conflits (Maryline Mathoul).
(4) Interactions fortement ritualisées en contexte politique :
– Questions orales au Gouvernement (Catherine Détrie) ;
– Séances de débats parlementaires filmées à l’Assemblée nationale (Francesca Cabasino).
(4) Interactions relevant de la grande famille des échanges médiatiques, avec des formats
divers mais qui tous impliquent, outre les participants de plateau, une « audience » à laquelle
les participants ne s’adressent qu’exceptionnellement mais qui n’en constitue pas moins le
destinataire principal de ce qui se passe sur la scène médiatique.
– Émissions radiophoniques :
• Interviews politiques dans le cadre de l’émission de France Inter « Le Franc-parler » (Anna
Giaufret) ;
• Émission de phone-in « Radiocom, c’est vous » (Elisa Ravazzolo).
– Émissions télévisuelles :
• Débats politiques (Hugues Constantin de Chanay) ;
• Série de télé-réalité « L’île de la tentation » (Dominique Lagorgette).

Afin de permettre une comparaison systématique ces différentes études adoptent non
seulement une méthodologie commune, fondée sur des données enregistrées et transcrites
selon des conventions partagées34, mais aussi les mêmes grandes entrées pour analyser les
différents sous-corpus.

4. Les aspects envisagés

4.1. Fréquence

La variation étant d’abord de nature quantitative, il faut commencer par évaluer, ne serait-ce
qu’approximativement, la fréquence globale des FNA (nombre d’occurrences pour une durée
déterminée) dans chaque sous-corpus, ainsi que la fréquence relative par type de FNA.

34
Elles sont présentées à la fin de cette introduction.

9
Ce qui renvoie à une autre propriété quantitative des FNA : leur variété (nombre de formes ou
catégories de formes différentes attestées).

4.2. Formes

Cher Monsieur

Je vous dis « cher Monsieur » en pensant à l’interprétation enfantine de ce mot dans le dictionnaire : « un
homme, quel qu’il soit ». Je ne vais pas vous dire « cher Jean-Paul Sartre », c’est trop journalistique ; ni
« cher Maître », c’est tout de que vous détestez, ni « cher confrère », c’est trop écrasant. (F. Sagan,
« Lettre d’amour à Jean-Paul Sartre », dans Avec mon meilleur souvenir, Gallimard 1984, Folio : 127)

Pour désigner son destinataire dans une situation discursive donnée (ici à l’écrit, mais il en est
de même à l’oral), on a souvent « l’embarras du choix », entre diverses formes également
acceptables (mais non équivalentes : elles n’instaurent pas avec son interlocuteur le même
type de relation) ; choix dans notre exemple entre : « monsieur », le nom propre au complet,
un titre (« Maître »), ou un terme relationnel (« confrère »).
Le paradigme des formes qui sont susceptibles d’être utilisées comme FNA en français est
relativement riche. Il convient au sein de ce paradigme de distinguer :
– Les FNA simples (constituées d’un seul lexème) vs complexes.
– Les formes d’adresse vs les catégories dans lesquelles se répartissent ces formes.
L’inventaire proposé ici est évidemment celui des catégories, dont certaines constituent un
paradigme infiniment ouvert.

4.2.1. Les unités élémentaires


En croisant les diverses classifications proposées35 on distinguera les catégories suivantes
(dont certaines se chevauchent) :
(1) Les noms personnels (noms de famille ou « patronymes », prénoms, diminutifs36 et
surnoms) ;
(2) Les formes « monsieur/madame/mademoiselle », qui sont généralement traitées comme
des titres bien qu’ayant aujourd’hui perdu cette valeur37 : ce sont les termes d’adresse « passe-
partout » en relation non familière, le problème étant que cette catégorie peu fournie mais fort
exploitée n’a plus, du coup, de nom générique…38
(3) Les titres : qu’ils soient hérités (titres nobiliaires) ou conférés (« capitaine », « chef »,
« patron », « [cher] Maître », « maîtresse » etc.), les titres ont toujours une valeur
« honorifique », et c’est sur cette base qu’on peut les distinguer de la catégorie suivante, celle
des noms de métier — difficilement parfois : si « Président » est manifestement un titre, que
dire par exemple de « docteur » ou « professeur » ? (cf. Braun, 1988 : 10 : « There is no
unanimity as to what should be classified as a title »).
On assimilera aux titres les noms abstraits comme « Votre Excellence » ou « Votre
Honneur ».
(4) Les noms de métier et de fonction : « taxi » (par métonymie) 39, « chauffeur », « garçon [de
café] »… ; ou sur les chantiers : « serrurier », « électricien », « maçon »40 ; ou bien encore
dans les prisons : « surveillant », « chef », « détenu » — d’après Philippe Claudel qui
35
Entre autres par A. Larochebouvy, D. Perret et F. Braun.
36
Sur la formation des diminutifs en français, voir André-Larochebouvy, 1980 : 722-724.
37
Conséquence et indice, à l’écrit, de ce changement de statut : l’usage « flottant » (Grevisse, 1986 : 124) de la
majuscule.
38
 On parle parfois à ce sujet de « (forme de) civilité ».
39
En français d’Algérie, on préfère le dérivé « taxieur ».
40
Dans la mesure où l’emploi de ces noms de métier est le plus souvent purement occasionnel, on pourrait tout
aussi bien, à l’instar de Mulo Farenkia (2008 : 102), les ranger dans la catégorie des « labels ».

10
commente ainsi ces usages appellatifs : « La prison incite à gommer les hommes pour ne voir
en eux que des fonctions »41.
(5) Les termes relationnels, dont l’emploi implique un élément de référence par rapport
auquel s’établit une relation particulière (par exemple : « collègue » par opposition à
« professeur »), et qui peuvent marquer :
– une relation de parenté42 : « maman », « oncle » ou « tonton », « cousin », « frangin »,
« [mon] frère » etc.
– une relation affective : « [chers] amis », « amigos », « camarade », « mon pote »…
– une relation professionnelle ou de quelque autre nature : « [cher] collègue », « [cher]
confrère », « [mes chers] compatriotes », « [salut] voisin ! »
(6) Les labels, qui opèrent un « catalogage » de l’interlocuteur, soit en l’insérant dans une
sous-classe des êtres humains : « [salut] mec/ mon gars/ jeune homme… », ou pour les
adresses collectives : « [salut] les jeunes/ les filles/ les gars/ les gones » etc. ; soit en le
désignant par synecdoque ou métonymie à partir d’une caractéristique physique jugée
particulièrement saillante : « la blonde », « le pull vert », « la casquette », « la clope », « vous
là-bas avec le sac en plastique », etc.
Les labels se différencient des surnoms (classés en (1)) par leur caractère occasionnel. De la
même manière, si les diminutifs de la catégorie (1) sont en tant que tels chargés d’une
connotation affective, ces signifiants sont associés de façon relativement stable à la personne
ainsi désignée, à la différence des unités de la catégorie suivante, qui ont plus un caractère
« émergent ».
(7) Les termes affectifs, à valeur négative (injures : « Ducon », « [Salut] connard », etc.) ou
positive (mots doux tels que « ma belle », « ma beauté », « mon petit/ma petite », « mon
grand/ma grande », « mon vieux/ma vieille », « mon ange », « mon chou », « mon trésor »,
« chéri(e) », « bébé », « mon lapin », « ma puce », « poupoule » et autres métaphores,
animalières ou non).
Ces différentes catégories comportent un nombre très variable d’items, les cas-limites étant
représentés d’un côté par la catégorie très fermée « monsieur/madame/mademoiselle » et de
l’autre par celles des labels et des termes affectifs, qui sont ouvertes à l’infini, comportant
aussi bien des formes quasiment lexicalisées que des items plus ou moins inédits.

4.2.2. Les combinaisons d’unités43


Les unités élémentaires qui composent le système des FNA du français sont soumises à des
contraintes combinatoires à la fois relativement strictes et passablement capricieuses.
Certaines d’entre elles ne peuvent pas s’employer seules, ou ne le peuvent que dans des
conditions particulières — par exemple : le patronyme (« salut Bouvard ! ») ne s’emploie
guère qu’entre hommes44 (d’après Guigo, 1991 : 52, cet usage serait caractéristique du style
« militaire » quand il est associé au « vous » et du style « potache » quand il est associé au
« tu »).
(1) Combinaison avec les prédéterminants (article, possessif) ainsi qu’avec tel ou tel adjectif
(« cher » étant de loin le plus fréquent)45 : « camarade » peut s’employer seul, mais « ami »

41
Le bruit des trousseaux, Stock, 2001 : 107.
42
Contrairement à Braun, nous considérons que les termes de parenté constituent une sous-classe des
relationnels tels qu’ils sont définis ici (étant bien entendu qu’en un autre sens, tous les termes d’adresse peuvent
servir à construire une certain type de relation interpersonnelle).
43
Sur ces différentes combinaisons (obligatoires, possibles, non naturelles, impossibles), voir Kheder, 2004 :
chap. III ; et Détrie, 2006 : chap. 3 sur ce qu’elle appelle la « syntaxe interne » de l’apostrophe.
44
En témoigne l’anecdote rapportée par André-Larochebouvy (1980 : 716) sur l’effet produit par un certain « Oh
voyons Bouvard ! » osé par Ludmilla Tchérina au cours d’une émission télévisée.
45
Sur le rôle de « cher », « pauvre » et « petit » dans les « formules d’interpellation », voir Noailly 2005 et
Leeman 2005.

11
plus difficilement, l’usage imposant « (mon) cher ami » (ou « mon pauvre ami »,
heureusement plus rare) ; si « (mon) cher Dupont » est parfaitement acceptable, « Dupont »
est réservé aux relations viriles et « mon Dupont » est quasiment agrammatical, alors que le
prénom admet sans difficulté tous ces emplois.
(2) Combinaison des FNA entre eux, par exemple des catégories (2) et (3)46 (« Monsieur le
Premier ministre », « Madame le/la juge »). Pour en rester aux deux premières catégories de
FNA (qui sont aussi les plus fréquentes) :
– “Monsieur/madame” + patronyme : cet emploi est encore parfois contesté par le « bon
usage ». Tous les manuels de savoir-vivre nous le rappellent : à la différence de ce qui se
passe dans bien d’autres langues (comme l’anglais), en français « le patronyme ne doit jamais
suivre “monsieur” ou “madame” dans les rapports mondains » (Picard, 1995 : 52). Mais ces
mêmes manuels ajoutent aussitôt qu’il y a bien des exceptions à cette règle, par exemple :
Le « Bonjour, Madame (ou Monsieur) Durand » est considéré comme particulièrement cordial à la
campagne, au marché, dans le commerce, et surtout au masculin, dans les relations professionnelles.
(Weil, 1983 : 12)

Plus cordial car plus « personnalisé » que l’anonyme « Madame/Monsieur », il n’est pas
étonnant que cet usage caractérise d’abord les situations où il importe de marquer que l’on
« reconnaît » son interlocuteur, comme les commerces et les services. Mais il se répand
aujourd’hui dans toutes sortes d’autres situations communicatives, comme on le verra.
– Prénom + patronyme : emploi réservé d’après Sagan à propos de « Cher Jean-Paul Sartre »
au « style journalistique ». À vérifier.
– “Monsieur/madame” + prénom47 : réservé à certaines fonctions sociales bien particulières
(« Madame Claude », « Monsieur Paul [Bocuse] »48), avec une valeur combinant respect et
familiarité.
– “Monsieur/madame” + prénom + patronyme : syntagme exceptionnel en emploi vocatif
mais aujourd’hui attesté, par exemple dans certaines pratiques de télémarketing.
(3) Enfin, combinaisons autorisées ou proscrites entre nom et pronom d’adresse (principe de
« cooccurrence »).

Ces différentes unités ne sont évidemment pas équivalentes informationnellement, que ce soit
en quantité (« monsieur » par exemple ne véhicule aucun autre trait que [mâle], [adulte], [non
familier]49) ou en qualité (« cousin » et « docteur » ne catégorisent pas de la même manière
l’interlocuteur, rendant saillante telle ou telle de ses propriétés intrinsèques et/ou
relationnelles). Comme les FNA sont toujours pourvues d’une certaine charge sémantique,
parmi les facteurs impliqués dans leur sélection il convient de mentionner les savoirs que le
locuteur possède sur l’allocutaire — sur son nom par exemple : si l’on désire recourir à un
« nom personnel » et qu’on ne le connaît pas, il faut commencer par s’en enquérir50. De la

46
Ou (2) et (4), plus exceptionnellement : « je vais vous dire monsieur le journaliste… ».
47
Sur les emplois de « Monsieur/madame » + prénom et/ou patronyme, voir Grimaud 1989 (mais l’étude se
fonde sur des exemples piochés dans des grammaires ou des œuvres de fiction — romans, BD…).
48
Voir aussi la chanson d’Yves Montand « Ma mie », dont le narrateur (un employé de la grande épicerie Félix
Potin) souligne en ces termes le lien existant entre l’appellatif dont on le gratifie et la considération dont il jouit :
« J’aime bien le boul. Sébastopol, Les clients m’appellent Monsieur Paul, Dans la maison j’suis bien noté,
J’espère d’ailleurs être augmenté […] ».
Curieux tout de même que « monsieur » + prénom s'emploie pour des métiers honnêtes, alors que « madame » +
prénom est réservé aux entremetteuses et mères maquerelles…
49
Plus pauvre encore (mais infiniment plus rare et quasiment insultant), un appellatif tel que
« Machin/Machine », qui s’emploie d’ailleurs plus comme délocutif que comme allocutif.
50
Le rituel des présentations a pour principale fonction de permettre aux interlocuteurs l’usage mutuel de leurs
noms propres.

12
même manière, une question préliminaire (« madame ou mademoiselle ? ») est souvent
nécessaire pour choisir entre les deux formes d’adresse aux personnes de sexe féminin,
formes dont la répartition repose sur un critère qui suppose l’existence chez le locuteur d’un
savoir préalable (l’alliance n’étant plus de nos jours un indice fiable en la matière). Mais
comme une telle question passe pour peu élégante, on a aujourd’hui tendance à substituer au
critère de la « conjugalité » un autre critère distinctif, qui est l’âge supposé de l’allocutaire,
mais la mise en pratique de ce critère n’est pas non plus dénuée de risques — d’où sans doute
le déclin de la forme « mademoiselle », accéléré par la prise de conscience du caractère
éminemment sexiste de l’existence, propre au sexe féminin, de cette opposition lexicale ; sans
parler de la question de savoir s’il convient d’étendre le « madame » aux femmes pacsées ou
vivant en union libre…
Quoi qu’il en soit, les facteurs déterminants dans le choix de la FNA sont encore plus
nombreux et hétérogènes que ceux qui président au choix du pronom personnel : âge, sexe et
statut de l’allocutaire, nature du lien et degré de connaissance, situation de communication, en
fonction de laquelle va s’appliquer le principe de pertinence… Ces différents facteurs qui
interviennent lors de la production du discours dans le processus de sélection d’une FNA
« congruente », on les retrouvera à l’autre bout de la chaîne communicative sous la forme
d’effets interactionnels particuliers associés à ce choix. Par exemple, à la différence de
« monsieur » qui catégorise l’allocutaire de façon générique, le nom propre, impliquant de la
part du locuteur un savoir « personnifié » sur son allocutaire, sera de ce fait apte à instaurer
une relation « personnalisée » entre les deux interlocuteurs.
Pour conclure sur cette question de l’inventaire des formes nominales d’adresse du français, il
apparaît que le paradigme en est relativement fourni. Mais on peut se demander si cette
richesse n’est pas en partie illusoire, dans la mesure où bon nombre de ces formes sont
réservées à un emploi très particulier (par exemple, les labels et les noms de métier ne
s’emploient guère que pour interpeller autrui) : c’est ce qu’il nous faudra vérifier dans nos
corpus.
Au demeurant, si notre objectif est bien de voir quels types de FNA sont utilisés en français et
avec quelles valeurs, la question se pose en amont de savoir dans quel cas on recourt à une
FNA, c’est-à-dire dans quel type d’interaction, à quel moment de cette interaction,
accompagnant quel acte de langage, et pour quoi faire.

4.3. Valeurs et fonctions

D’un point de vue syntaxique, les FNA sont « marginales » (ou « périphériques »), en ce sens
qu’elles ne sont jamais nécessaires à la complétude grammaticale de l’énoncé (si l’on met à
part les cas où le terme d’adresse constitue à lui seul l’énoncé). Leur rôle reste donc
essentiellement de nature sémantique et pragmatique — mais encore ? Si l’on se demande, à
propos d’énoncés tels que « Pierre tu viens ? » ou « Salut voisin ! », ce que les FNA « Pierre »
et « voisin » ajoutent à l’énoncé de base, il apparaît que :
– dans le premier exemple, où la FNA se trouve placée en tête, elle sert avant tout à attirer
l’attention de Pierre en le désignant explicitement comme le seul destinataire de la question-
requête (qu’il y ait ou non d’autre candidats possibles au rôle d’allocutaire) ; elle permet en
outre de rappeler le lien de familiarité existant entre les interlocuteurs (et même
éventuellement de constituer un tel lien) ;
– dans le deuxième exemple, où la FNA figure en fin d’énoncé, elle vient renforcer l’acte de
salutation, tout en rappelant le lien particulier (en l’occurrence de voisinage) que le locuteur
entretient avec l’allocutaire.
Ce qui met en évidence deux choses :

13
(1) La valeur d’une FNA dépend non seulement de sa nature mais aussi de l’endroit où elle se
trouve placée (dans l’énoncé, dans le tour de parole et dans l’interaction)51, au même titre que
d’autres facteurs cotextuels (entourage linguistique mais aussi prosodique et mimo-gestuel) et
contextuels (nature du canal — avec le cas particulier du téléphone —, type d’interaction,
format participatif etc.). Rappelons à ce propos que les FNA ont la particularité de pouvoir
constituer à elles seules un énoncé, donc un acte de langage (emploi « autonome » ou « en
isolation », Perret parlant quant à elle de « vocatifs phrases »).
(2) Il convient de distinguer dans un premier temps deux grandes fonctions des FNA,
reconnues par tous mais étiquetées diversement, par exemple :
Fillmore (1997[1975]) oppose la deixis personnelle et la deixis sociale.
André-Larochebouvy (1980) distingue pour les termes d’adresse la fonction linguistique de
désignation et la fonction psycho-sociale de marquage de la relation.
Perret (1970) considère de même que tout terme d’adresse, d’une part permet dans une
situation déterminée l’identification d’un référent (c’est son caractère déictique), et d’autre
part exprime certaines relations sociales, sous une forme qui relève, dit-elle, du « sous-
entendu ». Dans un cas tel que « Salut voisin ! » il s’agit en fait plutôt, pour reprendre les
catégories mises en place par O. Ducrot, d’un présupposé. Il importe surtout de préciser que la
signification relationnelle, si elle est « implicite » en ce sens que l’énoncé n’est pas présenté
comme ayant pour objectif principal de prédiquer, via la FNA, un type particulier de relation
entre les interlocuteurs, n’est pas pour autant « secondaire » par rapport à la fonction, elle
explicite, de désignation de l’allocutaire.
Ajoutons que la première fonction est assurée par la simple présence dans l’énoncé d’une
FNA, quelle qu’en soit la nature, alors que la deuxième résulte du choix d’une forme
particulière au sein du paradigme des formes disponibles ; et d’autre part que l’exemple de
« Salut voisin ! » nous invite à envisager une troisième grande fonction, en quelque sorte
intermédiaire entre les deux autres : celle de « renforcement » de la valeur pragmatique de
l’énoncé.
On admettra donc que les FNA sont susceptibles d’assurer trois grands types de fonctions,
non exclusives l’une de l’autre, et qui devront être examinées dans le détail de leurs
réalisations.

4.3.1. Rôle dans l’organisation et la gestion de l’interaction


(1) L’interpellation (fonction « phatique » de Jakobson)
Par définition, toute FNA désigne l’allocutaire, comme le pronom de deuxième personne,
dont elle précise le référent grâce aux traits sémantiques qu’elle comporte. Mais dans certains
cas, la FNA peut même constituer cet allocutaire : elle est alors utilisée pour « interpeller »,
c’est-à-dire pour attirer l’attention d’une personne afin d’engager avec elle un début
d’échange (ou pour le relancer en cas de « désengagement » de l’allocutaire : « Pierre tu
m’écoutes ? ») ; pour (r)établir le contact avec cette personne, qui devient de ce fait
« adressée » (la FNA transforme en allocutaire quelqu’un qui ne l’était pas auparavant), et
tenue de réagir à l’interpellation52.
Pour assurer cette fonction de « hélage », une interjection comme « Hep ! » ou un simple
pronom (« Vous là-bas ! ») peuvent fort bien faire l’affaire, et l’on y recourt d’ailleurs en cas
de pénurie de terme approprié ; mais il est évidemment préférable de préciser par une FNA
quelque caractéristique de l’interpellé(e) afin qu’il/elle se « reconnaisse » dans cette forme,
quel que soit son degré d’informativité — minimal dans le cas de « Monsieur » (qui est à

51
Voir Détrie, 2006 : chap. 4 sur le rôle de ce facteur (survenue précoce, médiane ou finale de la FNA).
52
Cet emploi relève donc à la fois des fonctions « phatique » et « conative » de Jakobson.

14
peine plus informatif que « Hep »), maximal dans le cas du nom « propre » (« je m’appelle
“X” » signifiant en substance : « je me reconnais quand on m’appelle “X” »)53.
Certains types de FNA (noms de métiers, labels) sont quasiment confinés dans cet emploi.
Lorsque la FNA est employée en isolation (« Pierre ! »), elle peut avoir cette seule valeur de
hélage, ou comporter aussi d’autres valeurs additionnelles apportées par l’intonation ou le
contexte (surprise, reproche, avertissement, sommation…). Mais la FNA peut aussi être suivie
ou précédée d’éléments précisant les attentes du locuteur (« Pierre viens ici »).
Quelques cas particuliers :
– À l’hôpital :
Les personnes dont les médecins disent qu’elles se laissent aller reçoivent quelques claques sur les joues
et sont interpellées d’une voix sonore : « Eh, madame, réveillez-vous ! » « Vous m’entendez, madame…
Comment s’appelle-t-elle déjà ? » demande le médecin à l’infirmière. — « Madame X » — « Vous
m’entendez madame X ? » (J-P. Penef, L’hôpital en urgence, Paris, Métailié, 1992 : 190)

Bel exemple de réemploi d’un désignatif en fonction vocative, et du rôle que peut jouer le
terme d’adresse, surtout sous la forme du nom propre, pour redonner à quelqu’un (en le
forçant à « répondre à l’appel de son nom »), le statut de « sujet ».
– Au téléphone : en l’absence d’accès visuel, le terme d’adresse est utilisé (dans le système à
la française) par l’appelant, après que l’appelé a réagi par « allô » au summon que constitue la
sonnerie, pour se faire confirmer (ou infirmer) l’identité de son interlocuteur (le terme
d’adresse étant généralement assorti d’une auto-présentation : « allô Pierre ? c’est Marie »)54.
(2) La sélection de l’allocutaire et la gestion des tours de parole
Dans les interactions constituées mais dont le cadrage est complexe et fluctuant, les FNA
servent tout au long de leur déroulement à redessiner le format participatif, en permettant au
locuteur en place de sélectionner son destinataire principal et son « successeur » (next
speaker) parmi d’autres candidats possibles55 ; ce sont aussi des outils efficaces pour allouer,
réclamer et négocier la prise de parole. Cela vaut pour toutes sortes de situations polylogales
(classes, débats médiatiques, sessions parlementaires, réunions de travail — pour prendre des
situations analysées dans ce volume), avec des modalités chaque fois différentes.

A propos des emplois qui viennent d’être envisagés, Eggins & Slade (1997 : 145) parlent de
targeting vocative (par opposition aux autres cas qualifiés de redondant vocatives), dans la
mesure où ce sont les seuls emplois où la FNA serait véritablement indispensable au bon
fonctionnement de l’échange. On veut bien admettre que c’est en effet dans ce premier type
d’emplois que réside la vocation première des FNA, lesquelles constituent la principale
ressource offerte par la langue pour assurer ces fonctions. Néanmoins, d’une part il ne faut
pas oublier le rôle des marqueurs non verbaux pour assurer ces fonctions organisationnelles :
la FNA peut être plus ou moins utile au bon fonctionnement de l’énoncé, mais il est rare
qu’elle soit vraiment indispensable ; d’autre part et inversement, il est permis de trouver
excessif le terme de « redondant » pour qualifier les autres valeurs des FNA, qui vont être
envisagées maintenant.

4.3.2. Les FNA comme procédés de renforcement du lien interlocutif et de l’acte de langage

53
« Naturellement, ils répondent à leur nom, remarqua distraitement le Moucheron.
– Je ne m’en suis jamais aperçue.
– Pourquoi ont-ils un nom, alors, dit le Moucheron, s’ils ne répondent pas quand on les appelle ? » (Lewis
Carroll, De l’autre côté du miroir [trad. André Bay], Marabout, 1963 : 199).
54
Sur cette organisation, voir Schegloff 1968 et 1979.
55
 Sur le fonctionnement général des mécanismes de sélection du next speaker, pour lesquels les termes d’adresse
constituent une ressource parmi d’autres, voir Sacks, Schegloff & Jefferson 1974 ainsi que Lerner 1996 et 2003.

15
En emploi autonome, la FNA constitue à elle seule un énoncé donc un acte de langage
(interpellation, éventuellement doublée d’une autre valeur illocutoire comme le reproche ou la
sommation), mais le plus souvent elle se contente d’accompagner un énoncé doté d’une
valeur pragmatique propre. On peut alors se demander à quoi servent les termes d’adresse, dès
lors que le contact et la nature de l’allocutaire sont clairement établis. Dans une conversation
par exemple, la FNA s’impose en cas de changement du format participatif (ainsi pour
prendre un tiers à témoin : « Michèle qu’est-ce que tu en dis ? ») ; mais on en rencontre
également, de façon éparse, à des moments de l’interaction où l’interlocuteur reste inchangé.
Il semble qu’alors, en rappelant de manière explicite la nature de la relation interlocutive, la
FNA ait pour effet de renforcer l’impact de l’énoncé, comme le signale Détrie (2006 : 92) :
« au-delà de sa fonction première de ratification de l’allocutaire, [l’apostrophe] révèle surtout
une autre visée, qui est d’accentuer le lien interlocutif ». Elle accentue du même coup la
valeur pragmatique de l’énoncé, la pression exercée par le locuteur sur l’interlocuteur, et pour
celui-ci l’obligation de réagir (conformément au schéma fréquent : « Quel âge as-tu ?
[silence] Quel âge as-tu Nicolas ? »).
A partir de cette valeur générale commune, la FNA peut se charger de toutes sortes de valeurs
particulières en fonction de l’acte de langage auquel elle se trouve associée. On verra en
particulier que si elle accompagne un acte relevant des rituels de politesse (salutation,
remerciement…), c’est-à-dire un « FFA » (face flattering act ou acte valorisant pour la face
de l’interlocuteur), la FNA va en principe renforcer le caractère poli de l’énoncé ; alors que si
elle accompagne un « FTA » (face threatening act : ordre, requête ou quelque autre
« directif » mais aussi réfutation, critique, reproche, etc.), la FNA peut venir adoucir la
menace mais il semble qu’elle ait plus souvent pour effet de la durcir56 : c’est là un point
particulièrement délicat, qu’il nous faudra observer de près dans nos corpus. À la limite, la
FNA peut fonctionner comme un véritable « marqueur de dérivation illocutoire », servant à
confirmer, voire constituer, la valeur de requête d’un énoncé formellement assertif (« Papa
j’ai soif ! », « La porte est ouverte Pierre ! »).
Dans ces différents emplois, la valeur de base de la FNA (constituer un lien interlocutif direct
et frontal entre le locuteur et son/ses partenaire(s) d’interaction) se trouve à la fois maintenue
et sensiblement atténuée : on peut alors parler de valeur interpellative diluée57, c’est-à-dire
réduite à une fonction générique d’insistance ou de renforcement, sur laquelle peuvent venir
se greffer toutes sortes de valeurs pragmatiques et rhétoriques particulières.

4.3.3. Rôle par rapport à la relation interpersonnelle

Chaque homme se veut comme un terme distinct et lié aux autres termes par le type de relation qu’il
entretient avec eux. X est « Pierre » pour A, « monsieur » pour B, « papa » pour C, « oncle Pierre » pour
D, « monsieur le directeur » pour E etc. C’est ainsi qu’il se définit socialement et il semble y tenir.
(Perret, 1968 : 9)

Dans cette dernière rubrique sont regroupées des valeurs qui résultent du sémantisme
particulier que possède la FNA au sein du paradigme des formes disponibles, et qui consistent
à marquer, en relation avec le pronom d’adresse, un type particulier de relation socio-
affective. Si la valeur relationnelle est dans certains cas largement prédominante, elle
accompagne toujours secondairement les valeurs envisagées dans les rubriques précédentes
(une FNA n’est jamais relationnellement neutre). C’est en grande partie sur les termes

56
Nous nous fondons ici sur le modèle de la politesse en termes de face-work, inspiré de Brown & Levinson
(1987) et développé dans Kerbrat-Orecchioni 1992 et 2005 : chap. 3.
57
Notons les affinités que le terme d’adresse manifeste avec les expression phatiques issues de la
grammaticalisation de verbes à la deuxième personne, comme « tu sais », « tu vois », « écoute », « attends »
(sans parler de « voici/voilà »).

16
d’adresse que repose la gestion de la relation interpersonnelle, que ces formes peuvent
confirmer, modifier ou constituer :
Dans une assemblée politique d’extrême gauche, où « camarade » est la norme, la première prédication de
« camarade » par un nouvel arrivant, étranger au groupe, est constitutive d’une relation nouvelle qui ne
sera réciproquement constituée qu’une fois la réponse de l’allocutaire connue. Si dans le dernier cas cité,
il est répondu « monsieur » au nouvel arrivant, c’est que la relation de solidarité au groupe, réciproque,
lui est refusée. (Perret, 1970 : 117)

Ainsi la relation peut-elle être en permanence négociée entre les interlocuteurs, comme on l’a
vu dans l’exemple de Gorge Dandin cité en exergue58. C’est là un enjeu fondamental de
l’interaction, pour lequel les termes d’adresse interviennent de façon décisive — et cela vaut
pour les trois principales dimensions relationnelles qui organisent l’interaction :
(1) Axe « horizontal » : les interlocuteurs peuvent instaurer entre eux une distance plus ou
moins grande, et les termes d’adresse (pronom et nom) y contribuent au premier chef. Les
FNA permettent même d’établir sur cet axe des distinctions fines, par exemple entre la
familiarité (qui peut aller jusqu’à l’intimité), marquée par le prénom, le diminutif ou les
termes affectifs ; la solidarité59 (appartenance au même groupe ou clan), marquée plutôt par
les termes relationnels, comme ce « confrère » qui semble à Sagan s’adressant à Sartre
excessivement « écrasant » ; ou encore l’informalité (« mon pote »).
(2) Axe « vertical » (celui du Power) : les interlocuteurs peuvent instaurer entre eux, via le
terme d’adresse, une relation d’égalité si l’emploi des FNA est symétrique, ou au contraire de
hiérarchie en cas d’emploi dissymétrique (par exemple : un titre « honorifique » venant du
sujet en position basse marque la déférence ; à l’inverse, une expression telle que « mon
brave » employée par un sujet en position haute marque la « condescendance »).
N.B. : La distinction entre emploi symétrique vs dissymétrique (A et B utilisent le même type
de FNA ou au contraire un type différent, ce qui marque le caractère égalitaire ou non de la
relation) ne doit pas être confondue avec la distinction, pertinente en amont, entre emploi
réciproque vs unilatéral (dans ce dernier cas, A fait usage envers B d’un terme d’adresse mais
pas B envers A, ou inversement), ce qui peut relever de facteurs divers.
(3) Axe définissant le caractère consensuel ou au contraire conflictuel de la relation
interpersonnelle : on verra que cette dimension est aussi importante que délicate à cerner dans
le cas des FNA (problème en particulier de la politesse).

Ces différents aspects seront examinés dans nos différents corpus. L’attention sera portée
aussi bien aux emplois « routiniers » (les plus caractéristiques du système propre à la langue
étudiée, donc pertinents dans une perspective contrastive) qu’aux emplois particuliers, qui
sont responsables d’effets interactionnels d’autant plus forts qu’ils sont plus atypiques. Nous
verrons ainsi que les règles de cooccurrence et de congruence qui régissent l’emploi des FNA
sont à l’occasion transgressées par les locuteurs, avec selon les cas des conséquences positives
ou négatives sur le déroulement de l’échange — énigme supplémentaire à laquelle nous
soumet le fonctionnement des FNA, et qu’il nous faudra tenter d’élucider.

Principales conventions de transcription

58
Voir aussi Kerbrat-Orecchioni, 2005 : 164-182.
59
Brown et Gilman désignent à l’aide du terme de « solidarité » l’ensemble de la dimension horizontale : le
terme recouvre chez eux aussi bien « les caractéristiques sociales partagées » que « le degré d’intimité ».

17
Les conventions adoptées par les contributeurs sont celles du laboratoire ICAR (conventions
ICOR), qui sont elles-mêmes conformes aux usages les plus répandus aujourd’hui dans la
communauté des interactionnistes.
Toute variation ou ajout par rapport à ces conventions de base est signalée dans l’article
concerné.
Les transcriptions adoptent l’orthographe française (qui peut toutefois être adaptée localement
si nécessaire).

Signes conventionnels :

& (en fin et début de ligne suivante) : signale la continuité du tour


= (en fin de tour et début du tour suivant) : enchaînement immédiat
[ ] : chevauchement de parole (crochet ouvrant obligatoire, crochet fermé facultatif)
(.) : bref silence
(1.7) : silence d’1,7 seconde
- : troncation d’un mot
: :: ::: signalent un allongement plus ou moins long du son
/ : montée intonative (slash redoublé si elle est particulièrement forte)
\ : chute intonative (slash redoublé si elle est particulièrement forte)
(XXX) ou (inaud.) : segment inaudible
( ) : segment incertain, ex. : (voui)
(( )) : commentaire sur l’accompagnement prosodique ou mimogestuel.
Sont notés en majuscule les segments dotés d’une saillance perceptuelle particulière.

Le gras est utilisé pour mettre en évidence les éléments sur lesquels porte plus précisément
l’analyse (généralement des FNA).

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