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VIE PROFESSIONNELLE

Mieux comprendre le rôle


des agences régionales
de santé
E. Senbel*

L
es agences régionales de santé (ARS) ont été indépendants (RSI), de la Mutualité sociale agri-
créées lors de la publication de la loi HPST1 cole (MSA) et des directions régionales du service
(article 118) et ont fait, depuis, l’objet de médical (DRSM).
nombreux décrets d’application, car ce sont les On peut imaginer que les attributions précédentes
piliers – d’aucuns diront “le bras armé” – de la des organismes regroupés seront dorénavant affec-
réforme. Leur création est présentée comme un tées aux agences. Ces entités sont pilotées par les
moyen de “renforcer l’efficacité collective et [de] directeurs d’ARS qui, même s’ils sont appuyés par des
garantir l’avenir du service public de la santé”. De commissions, dont le Conseil de surveillance (présidé
fait, il s’agit bien d’une concentration extraordi- par le préfet de Région, qui approuve le compte
naire de services de l’État et de l’assurance maladie financier et émet un avis sur le plan stratégique
à l’échelon régional, puisqu’il existe à ce jour 26 ARS régional de santé et les résultats de l’action menée
employant plus de 9 000 personnes. par l’agence) ainsi que la conférence régionale de
Pour mieux comprendre le “mastodonte admi- la santé et de l’autonomie (CRSA, qui rassemble
nistratif” avec lequel nous – médecins libéraux l’ensemble des acteurs concernés par les politiques
et hospitaliers et, en fait, toutes les professions de santé dans la région, usagers et professionnels),
de santé – allons devoir cohabiter, nous devons deviennent de véritables préfets de la santé.
connaître le champ de compétences étendu qu’il Ainsi, il est du domaine des directeurs d’ARS (nommés
est censé couvrir, les moyens dont il dispose ainsi en avril 2010 par décret en conseil des ministres) :
que, comme nous le verrons par l’intermédiaire de ➤ au niveau budgétaire : de préparer et d’exécuter le
quelques exemples, ses objectifs et ses priorités, bien budget de l’ARS, d’approuver les budgets des établis-
différentes selon les régions concernées. sements ou des projets, de verser les subventions ;
➤ au niveau du projet régional de santé : d’arrêter
le projet de l’ARS, de recourir à des procédures
Constitution d’appel à projets, notamment dans le domaine du
et gouvernance des ARS médico-social, de développer les évaluations des
établissements ;
D’après le site Internet des ARS, celles-ci regroupent ➤ au niveau représentatif : de signer les conven-
en une seule entité plusieurs organismes chargés des tions, par exemple les outils de contractualisation
politiques de santé dans les régions et les départe- pour mettre en œuvre des solutions à des problèmes
ments : direction régionale des affaires sanitaires d’organisation des soins (actions de prévention dans
et sociales (DRASS) et direction départementale des maisons de retraite, mobilisation de profession-
des affaires sanitaires et sociales (DDASS), ARH, nels pour faire fonctionner des plateaux techniques
groupements régionaux de santé publique (GRSP), hospitaliers, permanence des soins, etc.), de repré-
unions régionales des caisses d’assurance maladie senter l’ARS en justice et dans tous les actes de la
(URCAM), missions régionales de santé (MRS) et vie civile, de signer le contrat d’objectif et de moyen
volet hospitalier de l’assurance maladie, composé avec les ministres de tutelle.
d’une partie du personnel des caisses régionales Il faut bien constater que, bien que soutenu par un
d’assurance maladie (CRAM), du régime social des complexe organigramme composé de multiples
commissions, ils peuvent au final prendre la plupart
1Loi no 2009-879 du 21 juillet 2009 portant réforme de l’hôpital et
des décisions de manière “unilatérale”, ce qui fait
* Rhumatologue, Marseille.
relative aux patients, à la santé et aux territoires. craindre aux syndicats et aux représentants des

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professions de santé que la politique soit téléguidée talières de territoires (CHT). Ces CHT permettent à
par le ministère. Fort heureusement, la loi a prévu des établissements publics, principalement de taille
un partenaire de négociation avec les professionnels moyenne, de développer une stratégie territoriale
de santé au travers des unions régionales des pro- commune, sur la base d’un projet médical partagé
fessions de santé (URPS), dont on peut espérer que avec les autres établissements.
l’avis soit considéré, avant toute décision engageant L’ARS dispose d’un pouvoir coercitif sur les établis-
le rôle des médecins – notamment – dans la gestion sements publics, le directeur d’hôpital devenant le
de la politique régionale de santé publique. subordonné du directeur de l’ARS. Avec les médecins
libéraux, on se situe plus dans une logique de négo-
ciation, par l’intermédiaire des URPS – le schéma
Champ de compétences régional d’organisation des soins (SROS) n’étant,
des ARS pour l’instant, pas opposable.
Les attributions des ARS en matière d’organisation
La mission globale de l’ARS est de mettre en œuvre des soins serviront de leviers pour orchestrer les
la politique régionale de santé afin de répondre objectifs de la loi HPST : validation des protocoles
au besoin de santé des populations en veillant à d’éducation thérapeutique, développement des
une gestion efficiente du système de santé. Cela pratiques collaboratives interprofessionnelles, uti-
implique une gestion de la santé publique au plus lisation des fonds d’intervention pour la qualité
près du terrain, avec la mise en place de poli- et la coordination des soins (FIQCS, notamment
tiques de prévention, d’organisation des soins, de lors des dotations aux réseaux), organisation de
gestion des établissement et des acteurs impliqués la permanence des soins, expérimentation de
dans l’accompagnement médico-social et dans le nouveaux modes de rémunération et de finan-
domaine de la veille et de la sécurité sanitaires. Cela cement des centres de santé. Il existe clairement
s’opérera au travers de la commission de coordina- une volonté de rééquilibrage vers la médecine de
tion des politiques dans le secteur de la prévention premier recours vis-à-vis de laquelle l’ARS souhaite
et de la commission de coordination de la prise en plus être perçue comme un partenaire que comme
charge et de l’accompagnement médico-social. un gendarme.
L’ARS reprend donc la maîtrise de l’offre de soins L’ARS a ainsi, au niveau régional, en plus de son rôle
en milieu libéral, dans les établissements de santé de “grand organisateur” de la santé publique, un rôle
publics et privés et les structures d’accueil médico- de décideur concernant la validation et le finance-
social. Cette gestion par l’ARS la conduira à réor- ment d’expérimentations de nouvelles pratiques
ganiser et à réorienter l’offre de soins pour pallier ayant vocation à être diffusées dans la région. On
l’insuffisance de cette offre (les déserts médi- note cependant le flou des financements, qui sera
caux…) ou remédier à sa redondance en veillant nécessairement à l’origine d’arbitrages complexes.
à en établir une meilleure répartition : l’ARS pourra
agir en ouvrant ou en fermant des lits – voire des
établissements – et, selon les besoins estimés, en Les moyens
encourageant les professionnels de santé à s’ins-
taller dans un endroit donné – ou même en les dis- Le financement des frais de fonctionnement des
suadant de le faire, comme les futures directives ARS est relativement limité, provisionné à hauteur
issues des différents rapports sur la médecine de d’environ 1 milliard d’euros, ce qui représente à peu
proximité le laissent augurer. L’ARS pourra agir près 40 millions d’euros en moyenne par ARS.
aussi – et surtout – en renforçant la transversalité Bien plus conséquent est le budget alloué à la réa-
entre établissements de santé (publics ou privés lisation des objectifs de santé publique précédem-
– hospitaliers ou libéraux) afin d’optimiser le tissu ment énoncés, puisque 40 milliards d’euros environ
sanitaire de son territoire. Chaque agence régio- sont prévus. Ces crédits portent sur les champs hos-
nale détient le pouvoir d’approbation ou de rejet pitalier et médico-social, la prévention et le finan-
des comptes des établissements hospitaliers et peut cement des réseaux.
même prononcer une pénalité financière en cas de La loi a donc prévu, pour un pilotage plus perfor-
non-exécution d’une obligation contractuelle. Elle mant dans le cadre des missions précédentes, de
devrait en cela être aidée par l’amélioration du cadre développer des systèmes d’information spécifiques
législatif des groupements de coopération sanitaire avec, notamment, la mise en place de 2 opérateurs
(GCS) et par la création des communautés hospi- complémentaires : l’Agence des systèmes d’informa-

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tion partagés de santé (ASIP) et l’Agence nationale d’organiser les relations entre les hôpitaux de réfé-
d’appui à la performance des établissements de rence des départements périphériques et les petits
santé et médico-sociaux (ANAP). hôpitaux en zone rurale.
On retrouve là des priorités d’organisation de santé La Région Languedoc-Roussillon fait face à une
publique, avec le développement de la télémédecine, situation très différente : elle comporte une zone
la relance du dossier médical personnel (DMP) et le littorale disposant d’une démographie satisfaisante
suivi des professionnels de santé et de leurs acti- et un arrière-pays qui connaît des problèmes de
vités grâce à l’élargissement d’un répertoire partagé démographie et de vieillissement. La probléma-
des professionnels de santé (RPPS). Figure aussi le tique est assez proche en Aquitaine, avec des zones
projet de mettre en place un guichet unique pour le correctement dotées (Bordeaux, Pau) et d’autres
professionnel de santé afin, notamment, de faciliter (Dordogne) où l’offre de soins est considérée comme
ses démarches à l’installation. Si ces structures ont insuffisante.
les outils et le financement à terme, on notera la De même, autres Régions, autres spécificités, illus-
possibilité de suivi tant du travail des professionnels trées par exemple avec la lutte contre les addictions
de santé que des données épidémiologiques de la (alcool, tabac) dans le Nord et en Bretagne et com-
population française. pliquées parfois par des différences intrarégionales
rendant encore plus complexes leur analyse et les
solutions à mettre en œuvre.
Projets spécifiques
Lors de la mise en fonction des agences, il a été Conclusion
nécessaire d’établir des objectifs prioritaires selon
les spécificités régionales. Pour maintenir une cohé- Si l’organisation et le champ de compétences des
rence et une bonne transmission dans les actions ARS semblent confus (les agences sont parfois
entreprises, un organisme intermédiaire entre le qualifiées d’“usines à gaz”) et étendus, leur rôle se
ministère et les ARS a été créé : le Comité de coor- concentre avant tout sur une meilleure organisation
dination des ARS, chargé de fixer des objectifs aux des soins, par le développement de nouvelles moda-
ARS, de gérer leurs moyens financiers et humains lités de fonctionnement de la profession. Il peut en
et de coordonner les directions centrales du minis- résulter le meilleur : la population pourra bénéficier
tère chargé de la santé et les services de l’assurance d’un accès aux soins plus efficace et moins coûteux,

"ANMMDY
maladie. et les professionnels de santé pourront se recentrer
En outre, il existe un Conseil national de pilotage, sur leur métier. Cependant, il est possible aussi que

UNTR
qui veille à la cohérence des politiques que les ARS l’ensemble devienne ingérable – surtout si l’avis des
ont à mettre en œuvre en termes de santé publique, véritables experts de la santé que sont les médecins
d’organisation de l’offre de soins, de prise en charge n’est pas pris en compte. Il s’agit là d’un des écueils
médico-sociale et de gestion du risque. Ce conseil
valide les objectifs et les directives ; il s’assure éga-
majeurs auxquels risque de se heurter l’avenir des
ARS. Le gouvernement vient, tout récemment, de
DMKHFMD
lement de leur application et du succès de leur finaliser leur feuille de route pour les 4 prochaines
réalisation. années, et attendrait une économie de 500 millions #TKKDSHM
Une fois nommés, les directeurs d’ARS ont avant d’euros en 2011 sur 10 objectifs prioritaires : le trans- C¢@ANMMDLDMS
tout pour mission d’effectuer un diagnostic des port sanitaire, la prise en charge de l’insuffisance
besoins de santé publique en utilisant les indica- rénale chronique, la liste en sus, c’est-à-dire la maî-
CHRONMHAKD
teurs de l’état de santé et de l’offre de soins dans trise des volumes par la contractualisation avec les O@FD
leur région. On remarque ainsi des différences établissements ciblés, l’identification et le suivi de la
marquantes entre les régions dans les objectifs prise de médicaments hospitaliers exécutée en ville,
principaux. On peut citer la Région Centre, où il la régulation des dépenses d’imagerie convention- www.edimark.fr
est difficile de trouver des lits spécialisés de soins nelle, le développement de la chirurgie ambulatoire,
de suite et de réadaptation (SSR) et qui souffre l’efficience des établissements d’hébergement pour
plus généralement d’une pénurie médicale rendant personnes âgées dépendantes (EHPAD), la prescrip-
nécessaire la réorganisation de l’offre de soins – avec tion dans les EHPAD, la maîtrise des soins de suite
le développement de maisons de santé pluridisci- et de réadaptation, la maîtrise de la progression des
plinaires ou la révision de la permanence des soins. dépenses de santé des soins ambulatoires et des
Afin de contrer ces carences, le directeur prévoit urgences. ■

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