Retérence:
Lagendre, M.-F. (1998) «Transformer les savoirs pour les rendre accessibles aux éléves », Vie
pSdagogique, 1998. 108, septembre-octobre, 99-38.
Transformer les savoirs pour les rendre
accessibles aux éléves
par Marie-Frangoise Legendre
ole
Introduction
Enseigner, ce n'est pas simplement transmettre un contenu, Mais au-deli de cette
affirmation devenue banale, que doit-on comprendre? Essentiellement que la
connaissance d'une discipline, quoique nécessaire son enseignement, n'est pas
suffisante. Les connaissances que doit posséder lenseignant, en rapport avec une
discipline particuligre, sont bien différentes de celles du spécialiste. Contrairement au
spécialiste, enseignant ne vise pas a faire évoluer les connaissances dans sa discipline,
mais faciliter Facquisition par l'éleve d'un certain nombre de savoirs, d'habiletés,
dlattitudes. Lienseignant n'est pas un «producteur», mais un «diffuseury de connaissances.
Il doit rendre accessibles aux éléves un certain nombre de savoirs & enseigner. Cela exige
des compétences pédagogiques particuliéres qui vont bien au-dela de la simple maitrise
des contenus de la discipline
Les savoirs enseigner ne correspondent jamais intégralement aux savoirs savants
produits par la culture. Ils ne correspondent pas davantage a Yensemble des savoirs
disciplinaires que les enseignants ont acquis au cours de leur formation, Les savoirs qui
ont éé sélectionnés puis regtoupés dans les programmes d'études sont modifiés,
remodelés cn fonction des visées particuliéres de I'école. Ils sont adaptés aux
caractétistiques du contexte scolaire et & ses finalités propres. La récente réforme du
curriculum témoigne de ces choix socistaux, liés aux valeurs privilégiges 4 une période
donnée, qui influent largement sur la détermination de ce qui doit étre enseigné et de ce
qui doit étre visé par cet enseignement, De la méme fagon, les savoirs effectivement
enseignés ne se réduisent pas aux contenus des programmes d'études. L'enseignant doit
son tour modifier les contenus de son enseignement afin d'aider 'éléve a les comprendre
et A les assimiler. Il existe donc une certain écart entre les savoirs d enseigner, les savoirs
effectivemeni enseignés et les savoirs réellement appris. La notion de transposition
didactique peut nous aider 4 mieux comprendre la nature de cet écart ct les modifications
de divers ordres que subissent les savoirs lorsqu'ils passent d'un contexte, celui de la
culture, a Pautre, celui de I'école. Dans la premiére partie du présent article, nous
préciscrons ce qu’est la transposition didactique et les divers niveaux auxquels elle se
produit, Dans la soconde partie, nous nous intéresserons & la mise en oeuvre du
curriculum par lenseignant et au cadre de référence qui la sous-tend. Puis, nous
essaierons de dégager, en conclusion, quelques implications du phénoméne de la
transposition didactique pour la formation initiale et continue des enseignants.1. Transposition didactique et transformation graduelle
des savoirs
La transposition didactique correspond au «travail qui, d'un objet & enseigner, fait un
objet d’enseignementy (Chevallard, 1991). Elle désigne done les transformations que
subissent les «savoirs savants» lorsqu'ils passent de leur contexte d'origine, celui de la
culture au sens large, au contexte de lenseignement. Ces transformations ont
essentiellement pour but de faire en sorte que les savoirs produits par la culture puissent
ttre enscignés et évalués dans la pratique pédagogique. Elles conduisent a la création
Aobjets d'enscigncment, les savoirs scolaires, qui ne constituent pas seulement des
versions simplifiges des savoirs savants, mais présentent leurs caractéristiques propres.
Prise au sens large du passage d'un objet de savoir a un objet denseignement, puis de
celui-ci 4 un objet d'apprentissage et d'évaluation, 1a transposition didactique inclut
également les transformations quleffectue lenseignant dans les contenus de
enseignement pour en favoriser I'appropristion par 'élive, Elle intégre aussi les
modifications que I'éléve est amené faire aux contenus qui lui sont enseignés dans son
effort pour les assimiler ou pour répondre aux exigences de I'évaluation.
On peut done distinguer deux grands niveaux dans la transposition didactique. Le
premier niveau, bien qu’il inlue sur la pratique pédagogique, cesi-a-dire sur ce qui se
passe dans la classe, demeure exteme a celle-ci. II correspond au passage des savoirs
produits aux savoirs diffusés, puis aux savoirs sélectionnés qui deviendront objets
denseignement. On peut parler en ce sens de transposition didactique externe. Le
second niveau est directement lig aus relations qui s'Stablissent entre l'enseignant, I'élbve
et le savoir dans le contexte de la pratique pédagogique. Il correspond au passage des
savoirs scolaires, définis dans les programmes d'études, aux savoirs effectivement
enseignés, puis de ceux-ci aux savoirs appris et aux savoirs évalués. Il reléve de ce que
Ton peut appeler la transposition didactique interne. A chacun de ces niveaux
imerviennent différents filtres qui ont pour effet de modifier les savoirs 4 des degrés
divers en fonction de contraintes de divers ordres. Alors que la transposition didactique
externe a pour objet de faire en sorte que les savoirs puissent étre enseignés et évalués, la
transposition didactique interne consiste essentiellement a faire en sorte que les savoirs
puissent étre appris.
1.1 De la culture extra-scolaire au curriculum formel
Le filtrage et la diffusion des sayoirs par la communauté scientifique
Un nombre considérable de «avoirs sevants» sont produits par la communauté
scientifique dans une variéié de domsines de connaissance. La notion de «savoirs
savantsy ne se référe pas 4 un domaine de connaissance particulier, mais a lensemble des
savoits produits par la culture, Elle s‘oppose aux «savoirs communsy, seuls les premiers
faisant l'objet d'une validation sociale et culturelle, alors que les seconds relévent plutét
dela[début de la p. 34 du iexie original]
sphire privée ou de savoirs communément admis sans pour autant éue légitimés. Elle
peut également inclure des «pratiques sociales de référence» (Develay, 1993), clest-d-dire
des activités professionnelles de divers ordres reliées 4 un domaine de connaissance ou &
une discipline donnée. Or, ce ne sont pas tous les savoirs produits par la culture qui font
Fobjet dune «publicité», clest-A-dire dune diffusion dans le grand public. Ces savoirs
sont «filtrés» par la communauté scientifique, Celle-ci d'une part, ne diffuse pas tous les
savoirs et, d'autre part, les diffuse sous une forme qui ne correspond généralement pas 4
Ja maniére dont ils ont été construits ou modifi¢s.
La sélection des savoirs par les décideurs et leur organisation dans le curriculum
Pour élaborer le curriculum, le systéme scolaire va puiser dans les «savoirs diffusés» qui
ont été préalablement validés. Mais cc ne sont pas tous les savoirs diffuses qui peuvent
devenir objets dlenscignement. Dabord, toutes les connaissances présentes dans une
société ne se prétent pas nécessairement i une transmission de type scolaire, c'est-a-dire &
une adaptation aux caractéristiques du cadre scolaire (M. Verret, 1975, cité par Develay,
1993), Par ailleurs, tout ce qui peut étre enseigné ne devient pas nécessairement «objet
denseignement», ne serait-ce qu'en raison des contraintes de temps qui imposent des
choix. Ainsi, le choix de ce qui doit étre enseigné dépend aussi bien des objectifs de
formation visés que des valeurs privilégiées par la culture et des savoirs valorisés @ une
époque donnée. Ceriains savoirs peuvent devenir désuets alors que d'autres vont acquérir
un caractére essenticl quils ne possédaient pas auparavant. De plus, 'élaboration du
curriculum officiel fait souvent objet de négociations entre les décideurs confrontés aux
exigences contradictoires de la société ct a ses aitentes variées. L’évolution des
programmes d'études est le reflet de cette influence sociale et eulturelle qui, par le filtre
du systéme denseignement et de la politique éducative, sélectionne les savoirs et les
appréte» de telle fagon quils puissent étre enseignés, appris et évalués,
2.1 Du curriculum formel a ce qui est effectivement enseigné et appris
Le «bricolage» des programmes par les enseignants
Bien que les programmes comportent, par définition, un aspect prescriptif, les
enseignants disposent d'une certaine marge de manoeuvre. Ne serait-ce quien raison des
contraintes propres au contexte scolaire et a la classe, ils ne peuvent actualiser le
curriculum, cest-d-dire le rendre effectif, qu'en 'adapiant & leurs éléves. Leur activité
siinscrit toujours dans un cadre dynamique qui nécessite des ajustements continucls et of
il est possible dlimproviser. «Lnseigner, dit Perrenoud, c'est notamment bricoler les
savoirs pour les rendre enseignables, exercables et évaluables dans le cadre d'une classe,
d'une année, dun horaire, d'un systeme de communication et de travail» (Perrenoud,
1994, p. 115), Certes, une partie du travail de transposition est souvent assurée par les
manuels scolaires qui proposent aux enseignants des outils, des méthodes, des situations,
des exercices, ete. Le travail de bricolage des contenus a enseigner peut donc étre plus ou
moins important selon les enseignants, mais quelle que soit I'ampleur des transformationsquils effectuent, les contenus «effectivement enseignésy ne correspondent jamais
intégralement aux contenus «a enscigner»
Le «remodelage» des contenus de lenseignement par l'éleve
Si l'on ne saurait dire de I'éléve qu'il effectue consciemment un travail de transposition
didactique au méme titre que lenseignant, il n'en demeure pas moins qu'il ne peut
"éellement assimiler ce qui Iui est enseigné sans un travail d appropriation personnelle des
savoirs. L'apprenant n'est pas passif. Il effectue, lui aussi, genéralement de fagon plus
implicite quexplicite, un travail de «remodelage» des contenus enseignés en fonction de
son niveau de comprehension et de ses propres objectifS. Il filtre les savoirs tant en
fonction de ses connaissances antérieures que des attentes qu'il pergoit chez son
enseignant, C'est pourquoi le travail de lenscignant, clest-a-dire la transformation des
savoirs objets d'enseignement en savoirs effectivement enseignés, ct le travail de Téleve,
clestai-dire la transformation des savoirs enseignds en savoirs réellement appris, sont
intimement liés. En effet, si c'est a I'léve de donner un sens a ses apprentissages, c'est &
lenseignant de faire en sorte qu'une situation d'apprentissage puisse Stre porteuse de sens
pour I’éleve. Ces deux types de transformation interagissent done étroitement, puisque le
travail de lenseignant sur les objets de sa pratique détermine en partie le travail de |'éléve
sur les contenus qui lui sont enseignés.
Liextériorisation de savoirs par 'éléve et leur évaluation par Venseignant
De méme quil existe un écart entre cc qui est effectivement enscigné et ce qui est
réellement appris, il existe un écart entre ce qui est appris et cc qui est évalué, D'une part,
les savoirs évalués ne constituent qulun sous-ensemble de ce qui a été enscigné, D'autie
part, le savoir extériorisé par 'éléve au cours de I'évaluation ne refléte que tres
partiellement les savoirs quiil a réellement acquis. L'éléve peut avoir appris quelque chose
sans le manifester dans une évaluation officielle. Il peut également faire appel, au
moment de 'évaluation, a des connaissances autres que celles qui ont été enseignées mais
qui influent néanmoins sur ses résultats, II est en effet tres difficile de déterminer avec
prévision le début et le terme d'un apprentissage (Develay, 1993), Enfin, l'éleve peut
avoir appris autre chose que ce que Venseignant désirait lui faire apprendre tout en
manifesiant les signes extéricurs de la compétence en question. Le contrOle des acquis est
Tune des caractéristiques du contexte scolaire qui peuvent contraindre plus ou moins la
transposition didactique interne, aussi bien celle qu'effectue l'enscignant que celle que
fait, de maniére implicite, l'apprenant. En effet, la maniére dont lenseignant «appréte» les
savoirs pour les rendre assimilables par I'éIéve n'est jamais complétement indépendante
de la maniére dont il les évalue. De la méme fagon, le «sens» que Péléve donne aux
savoirs dans la situation scolaire n'est pas indépendant de la maniére dont ils seront
évalugs. Les contraintes d'évaluation qui psent tant sur lenseignant que sur l'éléve
peuvent done influer sur Jeur rapport au savoir et, par le fait méme, sur la maniére dont
les objets ¢enseignement seront remodelés par l'enseignant et assimilés par Téleve. C'est
pourquoi il est essentiel d'intégrer dans la transposition interne le passage des savoirs
récllement appris aux savoirs évaluésDans la premiére partie du présent article, nous avons vu qu'une partie du phénoméne de
la transposition didactique non seulement échappe a l'enseignant, mais lui impose
certaines contraintes dont il ne peut faire abstraction. En effet, la transposition didactique
exteme, qui a pour fonction de déterminer les contenus des programmes d'études en
conformité avec les attentes de 1a société, est essentiellement sous la responsabilité du
systéme d’éducation. Toutefois, une partie non négligeable de la transposition demeure
sous la responsabilité de lenseignant et lui procure, au-deld des contraintes du systéme
scolaire et du curriculum qui pésent sur sa pratique, une certaine marge de manoeuvre.
Cest 1a oi se joue Ia dynamique entre lenseignement et Vapprentissage, oi les
connaissances de I'enseignant et celles de I’éléve entrent en interaction, ov il y a place
pour Tétablissement dune relation plus personnelle avec les savoirs. La transposition
didactique interne, celle qui s‘effectue dans la pratique pédagogique, est principalement
sous la responsabilité de lenseignant, C'est a lui de déterminer comment faire en sorte
que les éléves acquiérent la
[début de lap. 35 du texte original]
maitrise des savoirs. Clest également lui qui doit assurer, en suscitant la collaboration
active de léléve, la transformation des savoirs enseignés en savoir réellement appris. La
transposition didactique inteme, liée a la mise en oeuvre du curriculum par
Venseignant, prend appui sur le eadre de référence de lenseignant, c'est-A-dire sur
ensemble des connaissances pouvant guider sa pratique. C'est ce que nous nous
proposons d'examiner dans 1a seconde partie du présent article. .
2. La mise en oeuvre du curriculum et le cadre de
référence de la pratique
Tout travail de transposition didactique interne implique une réappropriation du
curriculum par Venseignant, c'est-i-dire une transformation des objets mémes de la
pratique pédagogique en fonction des buts de lenseignant. Enseigner, ce n'est pas
transmettre aux éléves les contenus des programmes d'études. C'est leur donner des
travaux, leur proposer des taches, leur faire faire des exercices, susciter leurs questions, y
répondre, concevoir des situations d'apprentissage, en évaluer les résultats, etc.
Leenseignant doit done constamment accomplir un travail de réinvention, dexplicitation,
de mise en forme, dillustration et de concrétisation du curriculum officiel. I! doit établir
Vordre chronologique des apprentissages, hiérarchiser les éléments du programme,
déterminer les savoirs généraux dont il devra essurer la maitrise. A ces aspects de
création et d'interprétation, inhérents & la mise en oeuvre du curriculum, il faut ajouter les
contraintes de divers ordres avec lesquelles lenseignant doit composer et le travail de
négociation quiil est amené @ faire pour inciter les éléves & stengager dans leur
apprentissage, Tout cela est source de certains écarts, inévitables mais nécessaires, entre
le curriculum prescrit et celui qui est enseigné. C'est pourquoi, comme le note Perrenoud
(1994), «La culture qui doit Bre concrétement enseignée et évaluée en classe n'est que
balisée par le curriculum formel.» (p. 34-35). Ce dernier devra étre mis en oeuvre par
Venseignant et, il devra done faire objet d'une interprétation.2.1 L'interprétation du curriculum
Liinterprétation du curriculum par I'enseignant ne se limite pas a la compréhension de ses
contenus particuliers. Elle ne peut faire abstraction du contexte de la pratique et tout
particuligrement des éléves & qui il enseigne. Par ailleurs, enseigner, ce n'est pas
simplement faire acquérir des connaissances sans lien entre elles; c'est aider I'élave a les
organiser et favoriser chez lui 'acquisition d'habiletés et d'attitudes fondamentales. Cest
pourquoi lenseignant doit aussi prendre en considération le statut des savoirs enseigner.
Interpréter le curriculum, c'est en quelque sorte se demander a qui I'on enseigne, queest-ce
quion enseigne et pourquoi I'on enseigne. Les réponses @ ces questions, l'enseignant ne
peut les trouver dans les programmes d'études.
A quij'enseigne?
Dans son interprétation du curriculum, lenseignant ne peut ignorer que les éléves
diffrent dans leur rapport au savoir. Ce rapport au savoir se construit d'abord dans la
famille, mais il slabore aussi au contact de la culture environnante, notamment des
médias. Or, les éléves sont inégalement préparés a assimiler les savoirs scolaires, & leur
donner un sens. Ils ne possédent pas le méme bagage de connaissances et sont souvent de
cultures différentes. Is ne disposent pas tous de stratégies d'apprentissage efficaces,
notamment sur le plan métacognitif. Certains sont relativement autonomes, d'autres ont
davantage besoin d’étre soutenus. De plus, l'enseignant et les élves n'ont pas un rapport
du méme ordre au savoir. Le premier a la responsabilité dorganiser des situations
favorables a l'apprentissage, les seconds ont la responsabilité d'apprendre. Mais ils ne
possédent pas, comme l'enseignant, une vue d’ensemble des savoirs 4 acquérir et de la
manigre dont ils s'articulent. Il faut donc les aider & anticiper les connaissances visées et &
faire des liens entre les notions successivement abordées. Lienseignant et les éléves ont
également des positions différentes en ce qui conceme la démarche de construction de
connaissances, puisque le projet d'enseignement ne coincide pas nécessairement avec le
projet dlapprentissage. L'éleve n'a pas toujours le désir de connaitre ce que l'enseignant a
pour but de lui faire apprendre. Le sens quill donne 4 lapprentissage peut étre bien
différent de celui de lenseignant. Leur position différe également en ce qui a trait a la
gestion du temps. Le temps d'enseignement définit une norme conduisant & un certain
découpage des savoirs; un ensemble de contenus devant étre abordés dans une période
déterminée. Dans la dynamique de lenseignement, les savoirs sont done présentés a
Téléve sous une forme progressive et cumulative. Dans la dynamique de l'apprentissage,
le temps nest pas nécessairement cumulatif: il peut donner liew & des réorganisations, &
des réélaborations, a des intégrations et parfois méme a des régressions.
Les enseignants doivent donc, dans la mise en ocuvre du curriculum, sefforeer de
concilier deux logiques irréductibles: celle de lenseignement et celle de l'apprentissage.
La premigre correspond a une progression ordonnée des contenus du programme et s¢
présente sous la forme d'un découpage de ces contenus en modules, en legons, en
exereices liés aux divers objectifs du programme. La seconde correspond au processus de
construction des connaissances par I'éléve. Elle obéit & une logique différente, beaucoup
moins linéaire, qui ne s'accorde pas toujours avec Ia logique de l'enseignement. Ainsi,tout en respectant Ja logique et la progression du programme, les enseignants doivent
adapter les contenus de l'enseignement aux caractéristiques des éleves et du groupe-classe
ainsi qu‘a la diversité des objectifs visés. Ils sont constamment engagés dans un processus
de reconstruction, de contextualisation et de représentation de la matiére qui vise & en
faciliter lapprentissage.
Qu'est-ce que j'enseigne et pourquoi je 'enseigne?
Dans le cadre scolaire, les savoirs 4 enseigner ne constituent pas seulement un objectif ou
une fin en soi. En effet, les contenus de formation définis dans le curriculum sont a la fois
des objets ct des outils. En tant quobjets, ils correspondent aux savoirs essentiels définis,
dans les grands domaines dapprentissage (Groupe de travail sur Ia réforme de
curriculum, 1997). En tant qu’outils, ils servent & "apprentissage Uhabiletés cognitives de
niveau supéricur ou de competences générales de divers ordres dont l'acquisition ne
reléve pas du domaine exclusif de lenseignement des disciplines (Avis du CSE, 1990;
1994). Crest le cas des compétences iransversales, proposées par la récente réforme du
curriculum, dont I'aequisition doit se faire dans Tensemble des matiéres. Chaque
discipline posséde ainsi, outre sa valeur intcinséque A titre de domaine de connaissance,
une valeur instrumentale, puisquielle participe a Iatteinte dobjectifs généraux des
programmes. Ces objectifs généraux, qui renvoient a la formation fondamentale visée par
des contenus c'apprentissage variés, ne peuvent se réduire a lacquisition de
connaissances particuligres. Ils somt davantage de ordre de finalités éducatives qui ne
peuvent étre atteintes sans un minimum de concertation pédagogique et de collaboration
interdisciplinaire. Ils peuvent étre concrétisés par l'enseignant, a lintérieur de sa pratique
pédagogique, par la fagon dont il exploite les contenus de son enseignement. C'est en ce
sens que le Conseil supérieur de l'éducation (1990) invite chaque enseignant a se
pereevoir non seulement comme un spécialiste, mais comme un généraliste, aidant
Téléve a établir des liens entre les divers apprentissages scolaires ainsi quentre les
apprentissages et la réalité extrascolaire. Dans linterprétation du curriculum, il s'agit de
favoriser le développement d'un savoir significatif, clest-A-dire lié aux savoirs antérieurs
de léléve, structuré, c'est-a-dire permettant de relier les connaissances les unes aux
autres, et Iransférable, c' lire applicable dans des contextes autres que celui de
Técole.
Ainsi, au-dela des contenus particuliers définis dans les programmes, l'enseignant doit
savoir exploiter les objets denscignement de telle fagon quiils puissent contribuer a
Tatteinte dobjectifs plus globaux. L'enseignant, dans une «appropriation responsable» du
curriculum officiel, (Avis du CES, 1994) ne pout done faire !'économie d'une réflexion
[alébut de la p. 36 du texte original]
sur les finalités de l'éducation et sur le contexte socioculturel 4 l'origine des missions qui
sont confiées & I'école. Cette réflexion interpelle l'enseignant sur le plan de ses propres
valeurs et du sens qu'll donne a sa discipline au regard de finalités éducatives plus larges.
Elle ne peut non plus faire abstraction de ses caractéristiques propres, aussi bien
personnelles que socioculturelles et professionnelles. Le choix de ses stratégiespédagogiques ne prend done pas appui exclusivement sur ce qu'il sait, mais également
sur ce qu'il est ct sur ses propres valeurs, Son questionnement ne se limite pas & «quoi
enseigner ni méme a comment enseigner, mais inclut aussi le «pourquoi enseigner»
tel ou tel contenu a tels ou tels éléves. Les réponses a ce type de questions reposent
principalement sur le eadre de référence de l'enseignant, c'est-d-dire sur un ensemble de
savoirs relatifs au contexte, aux éléves et aux contenus qui vont grandement influer sur sa
fagon de remodeler les objets de sa pratique pédagogique. C'est ce cadre de référence
dont nous définirons maintenant les principales composantes.
2.2 Le cadre de référence de l'enseignant
Ce qui guide lenseignant, ce ne sont pas seulement les caractéristiques du groupe-classe
et les contenus de lenseignement, mais la représentation quill sen fait, Cette
représentation nest évidemment pas statique mais dynamique, puisqu’elle évolue cn
fonction des connaissances et de Texpérience acquise par l'enscignant au cours de sa
pratique. Cette représentation esi done fonction du cadre de référence de l'enscignant,
Cest-i-dire des connaissances sur lesquelles il prend appui pour guider sa pratique
pédagogique.
Ce cadre de référence comporte de nombreuses composantes. En effet, lorsque les
enseignants préparent leurs cours et enseignent A leurs éléves, ils puisent différentes
sources. Ils intégrent a leur connaissance de la matiére d'autres éléments de connai:
pertinents pour I'enseignement. Ces demiers ne sont pas explicitement présents dans le
programme, mais ils influent largement sur la maniére dont les enseignants vont le mettre
en oeuvre et la fagon dont il vont enseigner. Ainsi, le rapport qu'entreticnnent les
enseignants avec les «savoits a enseignem est «cmultidimensionneb». Il ne se réduit pas &
la connaissance de la matiére ou des contenus des programmes d'études, mais implique
tune perspective particuliére en ce qui conceme Ia discipline correspondant & ce que
Shulman (1986) appelle la connaissance pédagogique de In matiére. Cette derniere
repose sur un ensemble de savoirs contextuels, disciplinaires, pédagogiques et
didactiques qui ne sont pas simplement juxtaposés, mais intégrés sous une forme qui
permette de faciliter acquisition de connaissances par l'éléve. Ce sont dailleurs ces,
connaissances qui distinguent, selon Shulman (1986, 1987), I'expertise de lenseignant de
celle du spécialiste d'une discipline. Ces connaissances peuvent étre aussi bien implicites
quexplicites, puisque lenseignant n'est pas nécessairement conscient de ensemble des
connaissances qui guident son action. Il peut délibérément prendre appui sur certains
savoirs tout comme il peut subir T'influence, & son insu, des nombreuses connaissances
acquises par Texpérience. On peut regrouper ces connaissances cn trois grandes
composantes interreliées: la connaissance du contexte, la connaissance des éléves et la
connaissance des contenus, La figure 1 présente différentes connaissances constitutives
du cadre de référence de l'enseignant. Elle n'en fournit pas une représentation exhaustive,
mais elle vise a illustrer Je caractére multidimensionnel du rapport de lenseignant aux
savoirs a enseigner.‘CADRE DE REFERENCE DE L'ENSEIGNANT
Connaissance du CONTEXTE
Connaissance du contexte éducatif au sens large:
- connaissance de l'environnement social et culture! de I'école
connaissance de divers milieux éducatifs
connaissance des finalités et des buts de l'éducation
| connaissance de institution scolaire, etc
Connaissance du contexte de I'école et de Ia classe:
| + connaissance du projet éducatif de l'école
= connaissance du milieu professionnel (collegues, etc.)
= connaissance des ressources fournies par le milieu
~ connaissance de la classe, ete,
| Connaissance des ELEVES
| Caractéristiques du groupe-classe: .
|- dynamique
~ homogéneité ou hétérogénéité
= degré de motivation
~ habiletés sociales
~ degré de coopération ou de compétition, etc.
Caractéristiques des éleves:
ccau de développement cognitif, affectif et social
- motivation a |'égard des apprentissages scolaires
| - répertoire de connaissances et d'expériences
culture dorigine
= niveau socio-eonomique
- répertoire des stratégies (cognitives, métacognitives, etc.)
- niveau de maitrise des habiletés préalables
Caractéristiques des processus d'apprentissage:
~ processus cognitif en jeu dans l'apprentissage
= r0le des connaissances antéricures
= nature des «conceptions intuitives et spontanées»
| - effet des représentations préalables sur l'apprentissage
| - rdle des stratégies cognitives et métacognitives+ réle de organisation des connaissances, etc.
Connaissance du contenu
Connaissance de la discipline et culture générale:
- principaux concepts constitutifs de la discipline
+ liens entre ces concepts (réseau dle concepts, concepts intégrateurs)
| «structure de ta diseipline
| liens avee des notions appartenant a d'autres di
- méthode diinvestigation propre a la disci
= taches, situations, problémes liés a la discipline
- épistémologie de la discipline, ete,
‘iplines
Connaissance du curriculum:
+ notions, sujets, concepts, modules du programme
+ objectifs dur programme
+ ressources pédagogiques ou didactiques
- matériel approprié et accessible
~ connaissance verticale: liens avec les programmes antérieurs et ultérieurs dans laméme |
discipline |
- connaissance horizontale: liens avec les contenus abordés dans @autres programmes, |
ete.
| Connaissance pédagogique de la matire:
+ nature des connaissances (déclaratives, conditionnelles et procédurales) en cause
+ niveau de complexité et de généralité des notions enseignées
+ liens avec les connaissances antérieures et les représentations préalables de l'apprenant |
= utilité de certains exemples, analogies, comparaisons, métaphores, ete, |
= liens avec des situations extrascolaires |
+ niveaux de complexité ou registres de formation selon lesquels on peut aborder ces
notions
- concepts clés et nocuds de difficulté, ete,
La connaissance du contexte
La connaissance du contexte comporte Vensemble des connaissances que posséde
Venseignant relativement 4 divers contextes éducatif’. Elle ne se limite pas au contexte de
la classe puisqu'elle inclut les savoirs relatifs 4 environnement éducatif au sens large. Il
va de soi quiune telle connaissance est ¢troitement lige au bagage d'expsriences de
Yenseignant et 4 leur plus ou moins grande diversité. Par exemple, l'enseignant qui a
travaillé dans divers milieux socio-économiques et culturels aura une connaissance plus
vaste et plus diversifige des contextes éducatif’ que celui dont I'expérience se limite a unseul milieu d'enseignement. La connaissance du contexte éducatif joue done un réle
important dans la manire d'adapter les contenus de 'enseignement au contexte de la
pratique. Elle met également en cause les conceptions de lenseignant sur les finalités de
'éducation et ses valeurs sous-jacentes.
La connaissance des éléves
La connaissance des éléves implique aussi bien la connaissance du groupe-classe que la
connaissance des processus d'appreniissage des éleves. La dynamique peut étre tres
diférente d'un groupe autre et influer de fagon importante sur le choix des siratégies
pédagogiques, Tout enseignant
[début de ta p. 37 du texte original]
sait bien que les groupes different les uns des autres et ou'il doit adapter sa pratique
pédagogique en consequence. Il en est de méme des caractéristiques des éléves. Ces
demicrs peuvent différer & plusieurs égards: leur niveau de développement cognitif,
social et affectif, leur motivation au regard de lapprentissage ou leur répertoire de
connaissances et de strategies tant cognitives que métacognitives. La représentation que
se fait Venseignant des processus d'apprentissage de I'éleve, notamment du réle
facilitateur ou perturbateur des représentations intuitives, est une composante importante
de la connaissance des éléves. En effet, l'une des fonctions de 'enseignant consiste a faire
évoluer les représentations intuitives ou naives des éleves dans la direction des savoirs
objectivés transmis par la culture. II doit done apprendre & reconnaltre les connaissances
antgricures des éléves sur lesquelles il devra prendre appui et les types dobstacles
associés a lapprentissage de certaines notions. Il doit prendre en considération la
pertinence et le niveau de difficulté des taches qu'il propose aux éléves. Ce type de savoir
nlest pas relatif uniquement aux caractéristiques des éléves, mais a I'influence que celles-
ci peuvent avoir sur les interactions, tant cognitives qwaffectives, entre les jeunes et les
contenus de l'enseignement. La représentation que l'enseignant se fait des processus
dapprentissage de I'éleve est importante 4 plusieurs égards. Non seulement elle influe sur
sa fagon d’intervenir, mais elle a aussi un effet sur la vision de lapprenant lui-méme en ce
qui concerne 'apprentissage et, par le fait méme, sur son rapport au savoir.
La connaissance du contenu.
La connaissance du contenu comprend bien sir 1a connaissance de la discipline et des
programmes, mais elle ne s'y limite pas. Elle inclut également des connaissances & la fois
pédagogiques ct didactiques, relatives aux conienus, qui ne sont pas dissociées des
connaissances de la discipline et du curriculum. La connaissance de la discipline ne se
réduit pas a la connaissance des principaux concepts constitutifs de cette discipline et de
leurs relations. Elle comporte également des connaissances relatives la structure de la
discipline, aux méthodes dinvestigation qui lui sont propres et aux rapports quelle
entretient avec d'autres champs de connaissance. En ce sens, elle n'est pas indépendante
de la culture générale de 'enseignant. Elle inclut aussi une connaissance des types de
tiches & accomplir ou de problémes 4 résoudre relativement aux contenus et desexigences variées que cela peut entrainer, Ce type de connaissances permet a I'enseignant
de mettre en évidence la pertinence et I'ullité des contenus des différentes disciplines
dans des contextes autres que scolaires. Il joue un r6le particuliérement important dans le
choix des exemples ou des situations proposés aux éléves
La connaissance des programmes inclut la connaissance des sujets et des notions
enseignés dans les diverses classes ainsi que celle du matériel pédagogique disponible et
de ses contextes ou conditions d'utilisation. Shulman (1986) distingue deux aspects de la
connaissance du curriculum: la connaissance latérale ou horizontale et la connaissance
verticale. Le premier aspect est relatif 4 la connaissance des autres matiéres
simultanément enseignées aux éléves d'une méme année, Elle est généralement moins
difficile pour les enseignants du primaire qui enseignent la plupart des matiéres du
programme. Elle lest davantage au secondaire ot les enseignants se pergoivent plutét
comme des spécialistes d'une discipline et ont peu de contacts avec leurs collegues des
autres matigres. Le second aspect implique une certaine connaissance des notions dune
discipline qui ont &é enseignées ou seront enseignées. C'est cette connaissance
horizontale et verticale du curriculum qui sous-tend I'habileté de l'enseignant a relier le
contenu d'une legon a des sujets, a des questions ou des notions présentés dans d'autres
cours ow a des étapes différentes du programme, Cette idée a été reprise dans le récent
projet de réforme du curriculum pour faciliter la mise en oeuvre des programmes. On
propose en effet de présenter ces demniers sous la forme de deux documents: l'un, de type
vertical, indiquant, pour chaque programme, ensemble des cours qui le constituent
année aprés année; l'autre, de type horizontal, prenant la forme d'un documesit de
référence établissant le champ d'action collective du personnel enseignant, clest-i-dire
ensemble du contenu des matiéres pour chaque année d'études (Groupe de travail sur la
réforme du curriculum, 1997).
La connaissance pédagogique de la mati’re correspond la fagon de représenter et de
formuler les contenus d'enseignement sous une forme qui les rende significatifs et plus
facilement assimilables par les éléves. Elle inclut une compréhension des difficultés
particuliéres relatives & Tapprentissage de telle ou telle notion; une connaissance des
conceptions préalables des €leves qui peuvent nuire a l'apprentissage; une connaissance
des stratégies les plus efficaces pour amener les éléves a restructurer ou a réorganiser
leurs connaissances antéricures; la connaissance des notions clés ou des concepts
intégrateurs permettant de distinguer, dans la structure d'une discipline, ce qui est
essentiel et ce qui est aecessoire (Develay, 1996); la connaissance de «différents niveaux
de formulation» ou cregistres de conceptualisation» (Astolfi et Develay, 1989)
permettant d'aborder un méme ensemble de notions selon des niveaux de complexité ou
dabstraction variés, etc. La connaissance pédagogique de la mativre permet &
Yenseignant de se représenter non seulement les connaissances ou competences visées par
son enseignement, mais les connaissances et processus de raisonnement utilisés par
Yapprenant et leur effet éventuel sur 'apprentissage. Elle est indispensable pour amener
Teéleve & construire de nouvelles connaissances partir de celles qu'll a déja acquises.
Ce sont ces différentes composantes du cadre de référence de l'enseignant qui vont guider
Vinterprétation et la mise en ocuvre du curriculum, c'est-a-dire le passage du curriculumofficiel au curriculum effeotif. Cest ce cadre de référence qui oriente en grande partie les,
processus de la transposition didactique interme, Dans cette perspective, le curriculum
formel n'est pas considéré comme un objet dappremtissage, mais comme un outil
@enscigncment au service de lapprentissage, un instrument de travail a partir duquel des
choix pédagogiques adaptés aux contenus, au contexte, aux éléves et & la dynamique du
groupe-classe peuvent étre faits. En tant qu’outil il doit fournir a lenscignant les repéres
essentiels qui lui permettront de situer la contribution particuliére de ce qu'il enseigne a la
formation générale de Iéléve. Mais il doit aussi laisser & Tenseignant une marge de
manoeuvre suffisante pour assurer sa mise en oeuvre. Ine peut préciser en détail
comment ce dernier devra s'y prendre pour atteindre les objectifs. Cette perspective
sollicite tout particuliérement expertise professionnelle de T'enseignant puisque
interpretation et la mise en ceuvre du curriculum dépendent largement de son bagage de
connaissances et dex
Conclusion
Dans le présent article, nous avons établi une distinction entre deux grands niveaux de la
transposition didactique: lun exierne 2 la pratique et l'autre inteme a la pratique, cest-i-
dire aux relations qui s'établissent entre l'enseignant, I'éleve et le savoir. Nous avons
cherché & montrer que la transposition didactique interne ne peut
{début de la p. 38 du texte original)
avoir licu sans une réappropriation du curriculum par lenseignant prenant appui sur
son cadre de référence, ¢c'est-a-dire les connaissances de divers ordres susceptibles de
guider sa pratique pédagogique. S'approprier un curriculum n'est pas une démarche que
Ton fait une fois pour toutes, mais un processus sans cesse renouvelé, année aprés année,
Il existe en effet une interaction continuelle entre 'appropriation ou [a réappropriation
dun curriculum par Tenseignant et l'élaboration de son cadre de référence, Tout
censeignant débute avec un certain cadre de référence, puisque méme lenseignant novice
posséde déja une certaine représentation du contexte, des éléves et des contenus. Au fur
et A mesure quill est amené interpréter le curriculum pour le mettre en oeuvre dans un
contexte déterminé, l'enseignant est susceptible d'enrichir son cadre de référence, de le
modifier.
Par conséquent, Ics connaissances et habiletés cn jeu dans la transposition didactique ne
peuvent se réduire a de simples techniques quon pourrait transmetire aux futurs
enseignants au cours de leur formation initiale. Elles relévent de processus
@'inierprétation consistant donner un sens A des objets de savoir dans des contextes
diversifiés. Elles impliquent un rapport dynamique et constamment renouvelé avee les
savoirs A enseigner puisque Ienseignant est sans cesse amené 4 modifier sa
comprehension de ces savoirs par leur enseignement
Si la formation initiale doit, bien str, faire en sorte que les fururs enseignants acquiérent,
les connaissances de base nécessaires a la pratique, elle doit aussi les préparer a se donner
une formation continue au cours leur pratique professionnelle. Pour cela, ils doiventdisposer de cadres de référence significatif’ leur permettant de réfléchir sur leur pratique
pour en titer un enseignement. Ils doivent aussi trouver dans le milieu un soutien adéquat
pour consiruire graduellement leur compéience. I! est cone important de concevoir des
dispositifs d'insertion professionnelle pouvant faciliter 'appropriation du curriculum par
Tenseignant et 'enrichissement graduel de son cadre de référence.
La transposition didactique ne doit pas étre vue comme une transformation globale du
programme préalable & sa mise en ocuvre. Elle se manifeste dans le travail quotidien de
Tenseignant par une série dlajustements et denrichissements graduels, une adaptation et
tune personnalisation progressives, tant en ce qui concerne Ja planification de legons et
interaction en classe qu’en ce qui a trait a l'évaluation des apprentissages et des stratégies
Genseignement. Elle prend simultanément appui sur le bagage de connaissances de
Yeaseignant et sur les diverses expériences qui peuvent l'enrichir, mais aussi sur une
attitude douverture qui laisse place, au-dela des actions routiniéres nécessaires & la
pratique quotidienne, a l'innovation, a Vimagination, a la recherche erative de nouveaux
moyens adaptés au contexte, aux éléves et a la personnalité méme de Yenscignant.
Un exemple de transposition didact
force
Vapprentissage du concept de
Enseigner un concept tel que celui de «force» ne se réduit pas a faire apprendre un
ensemble de definitions, de formules, de régles ou dalgorithmes de calcul. Crest plutdt
aider l'éleve & comprendre la signification «scientifiquen de ce concept, signification qui
differe de celle du «sens commun». Si le but de lenseignant est d'amener I'éléve A se
représenter Ie concept de force, c'est-t-dire les phénoménes quiil permet de décrire, il
devre effectuer un travail de transposition didactique. Cette demisre est nécessairement
influencée par le cadre de référence de Venseignant et les éléments qui le constituent
Ceux-ci incluent tout autant ses expériences d'enseignement et sa connaissance des éléves
que les connaissances pédagogiques ou didactiques qu'il a acquises.
L’exemple qui suit nous a été fourni par un enseignant d'expérience. 11 illustre en quoi la
représentation que Venseignant se fait de la manire dont les éléves peuvent parvenir &
Jassimiler la signification du concept de force, influe sur son choix de situations
| Sidactiques et de strates pédagogiques permetiant de les expliter
| Comme le démontrent, entre autres, les travaux de Lemeignan et Weil-Barais, les éleves
| sont incapables de construire par eux-mémes les concepts formels comme celui de ta
| force. En tant qu'enseignants, comment peuicon tes aider? Le clef réside dans le fait que.
"dans la construction des concepts formels, la démarche hypothéugue est centrale, II faut
| que lenseignant puisse amener les éleves a formuuler des hypotheses pour expliquer des
phénombnes et en prédire de nouveaux. Pour ce faire, Venseignant doit imaginer des
situations qui favoriseroni une telle démarche.
«La procédure que je suis est celle proposée par Lemeignan et Weil-Barais dans leur
ouvrage intitulé Construite des concepts en physique. Dans un premier temps, les éléves |sont amenés 4 élaborer un modéle «précurseur» au modéle newtonien. Dans ce premier
modéle, baptisé «modéle interaction», les éléves sont conduits, par des discussions, &
établir des correspondances enire les événements et les interactions sans pour cela
introduire les concepts de masse et diaceélération, Dans ce modéle «primitify, les objets
sont conceptualisés non pour ce quiils sont, mais selon les interactions quils
entretiennent avec les autres objets. Apres discussion, les éléves conviennent dune |
représentation symbolique commune & tous les objets (personnes, véhicules, Terre...)
Pour représenter les interactions, irs souvent et spontanément, les éleves choisissent de
dessiner une fldche pour indiquer la direction et le sens. Les expressions «awtant que» et
«plus que» sont traduites par la grandeur des fldches
«Voyons un exemple.
«Prenons le cas de votre premibre oeuvre absiraite que vous avez suspendue & aide de
deux cordes lors de votre dernier vernissage. Le dessin pouvant illustrer la situation est |
le suivant.
|
|
«Si nous représentons la méme situation sous la forme symbolique convenue, nous |
obtiendrons la figure ci-dessous: |
|
Ae
T
‘evmtace Toensate
«Lorsque les éleves seroni familiers avec ce «modéle interaction», nous procéderons |
alors & la construction duu modéle classique de force.» |
“Cet exemple illustre comment Tenseignant, en prenant appui sur sa connaissance de
Tapprentissage du concept de force et des abstacles qui lui sont associés, est amené |
faire construire par I'éléve un «modéle transitoiren. Ce demier, essentiellement qualitatif |
et ne faisant intervenir aucune définition formelle, vise a faciliter la conceptualisation par
Téleve des phénoménes que représente le concept de force. Ce amodéle transitoiren,
précurseur du modéle newtonien, a une valeur essentiellement pédagogique. Tl sert en |
quelque sorte de pont entre ce que Téiéve connait et ce que l'enscignant a pour but de Lui
faire apprendre. L'accent est mis sur la comprehension du concept, e'est-a-dire sur ce qu'il
représente, ct non sur sa définition formelle que I'éléve pourrait fort bien mémoriser sans
| en comprendre le sens.
RéférencesASTOLFI, J.-P. L’école pour apprendre, ESF éditeur, coll. Pédagogies .2° édition, Paris,
1993,
CHEVALLARD, Y. La transposition didactique, Grenoble, Editions La pensée sauvage,
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CONSEIL SUPERIEUR DE L'EDUCATION. L'intégration des savoirs au secondaire,
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CONSEIL SUPERIEUR DE L'EDUCATION. Rénover le curriculum du primaire et du
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DEVELAY, M. De lapprentissage a T'enseignement, Paris, ESF éditeur, coll
Pédagogies, 2° édition, 1993.
JOHSUA, $. et S, DUPIN. Introduction & la didactique des sciences et des
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GROUPE DE TRAVAIL SUR LA REFORME DU CURRICULUM. Ré:
Québec, ministére de "Education, 1997,
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LEGENDRE, M.-F. «Transposition didactique et réflexion épistémologique», Specire,
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MEIRIEU, P. Enseigner, scénario pour un nouveau métier, Paris, ESF Editeur 5° édi
1992.
MEIRIEU, P. Apprendre, oui mais comment?, Paris, ESF Editeur, 11° édition, 1993.
PERRENOUD, P. Métier d'éidve et sens du iravail scolaire, Paris, ESF Editeur, 1994,
SHULMAN, LS. «Those Who Understand: Knowledge Growth in Teaching»,
Educational Researcher, vol. 15 (2), 1986, p. 4-14.
Notes
Marie-Frangoise Legendre est professcure & la Faculté des sciences de
Téducation & "Université de Montréal.