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LA TORTURE PENDANT LA GUERRE D'ALGÉRIE : UN CRIME CONTRE

L'HUMANITÉ ?

Raphaëlle Branche
in Jean-Paul Jean, Barbie, Touvier, Papon

Autrement | « Mémoires/Histoire »

2002 | pages 136 à 143


ISBN 9782746702639
Article disponible en ligne à l'adresse :
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https://www.cairn.info/barbie-touvier-papon---page-136.htm
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LA TORTURE PENDANT LA GUERRE D’ALGÉRIE :
UN CRIME CONTRE L’HUMANITÉ ?

Raphaëlle Branche
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Depuis le mois de juin 2000, la société française semble découvrir une nou-
velle fois que son armée a pratiqué la torture pendant la guerre menée en
Algérie de 1954 à 1962. L’émotion publique trouve son origine dans un
témoignage publié en première page du journal Le Monde. La militante natio-
naliste Louisette Ighilahriz y évoque les tortures endurées à Alger en 1957.
Les généraux qu’elle met en cause réagissent soit en niant totalement
(général Bigeard), soit en reconnaissant et même en regrettant (général
Massu).
À l’automne, le débat se déplace sur le terrain judiciaire après les décla-
rations publiques d’un ancien officier des services spéciaux, le général Aus-
saresses, qui reconnaît et revendique l’assassinat de plusieurs dizaines de
personnes et le recours à la torture 1. En l’écoutant, on est transporté plus
de quarante ans en arrière. Ses justifications sont autant d’arguments repris
dans les débats organisés par les médias en étant placés sur le même plan
que ceux qui récusent l’usage de la torture au nom des droits de l’homme,
des lois ou des règlements que la France était censée respecter. Deux camps
sont de nouveau désignés et les acteurs de l’époque appelés à « témoigner ».

1. Il précise ses responsabilités dans certains assassinats dans son ouvrage Services spéciaux en
Algérie 1955-1957. Mon témoignage sur la torture, Paris, Perrin, 2001.

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Tout se passe comme si la force de conviction des arguments employés par
le général Aussaresses n’avait pas été émoussée par l’histoire, comme si la
guerre n’était pas finie.

L’absence de reconnaissance politique des faits

Dans cette apparence de débat où deux camps s’opposent irréductible-


ment, l’État est étonnamment absent. Un appel signé par douze person-
nalités demandant au président de la République et au Premier ministre
de « condamner ces pratiques par une déclaration publique », pratiques qui,
précise le texte, ont été entreprises au nom de la France, n’aboutit pas 2.
La volonté des signataires n’est pas de rejouer la guerre mais de provoquer
un déplacement de cette question vers l’État. Or les réponses des autorités
politiques sont extrêmement limitées. Le Premier ministre reconnaît et
déplore la torture tout en marquant sa préférence pour un « travail scienti-
fique et historique ». Il refuse surtout de reconnaître la responsabilité des
autorités de l’époque, considérant que l’État n’était pas alors mis en cause
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et que les actes incriminés étaient minoritaires – deux manières d’exprimer
le même refus 3.
L’attitude du pouvoir politique demeure dans la continuité de la raison
d’État des années 1954-1962. La ligne choisie est toujours l’impunité,
garantie dès l’amnistie de mars 1962. Elle permettait à l’État de se protéger
en protégeant ses agents ; elle dispense toujours de s’interroger sur les ordres
donnés et les responsabilités. En 2000-2001, le même régime – la Ve Répu-
blique – continue à rejeter ces questions.
C’est dans ce vide de la réponse étatique que la thématique judiciaire
s’installe. Faute d’une réponse en adéquation avec la vérité historique, la

2. Appel paru dans L’Humanité du 31 octobre 2000. Les douze personnalités sont : Henri Alleg,
ancien directeur d’Alger républicain, auteur de La Question ; Josette Audin, épouse de Maurice
Audin ; Simone de Bollardière, veuve du général Pâris de Bollardière ; Nicole Dreyfus, avocate ;
Noël Favrelière, rappelé, déserteur ; Gisèle Halimi, avocate ; Alban Liechti, rappelé, insoumis ;
Madeleine Rebérioux, historienne, secrétaire du comité Audin ; Laurent Schwartz, mathématicien,
président du comité Audin ; Germaine Tillion, ethnographe, résistante, auteur notamment de
L’Afrique bascule vers l’avenir ; Jean-Pierre Vernant, historien, résistant ; Pierre Vidal-Naquet, his-
torien, auteur notamment de La Torture dans la République.
3. Le 4 mai 2001, la présidence de la République rend public un communiqué dans le même
esprit.

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porte étroite de la justice est apparue rapidement comme la seule voie pos-
sible pour provoquer une reconnaissance officielle de la vérité.
Les évolutions du droit international et la prégnance croissante de la
lutte contre l’impunité, encouragée par les récents développements des
affaires Pinochet ou Milosevic, renforcent ceux qui œuvrent dans ce sens.
Cependant, le procès pénal ne peut rendre qu’imparfaitement compte des
réalités historiques 4.
Même si certains peuvent être tentés de faire le procès de la politique
menée en Algérie entre 1954 et 1962 à travers le procès de quelques
individus, le cadre pénal oblige à s’en tenir au seul jugement des actes d’un
individu. La responsabilité de l’État et, plus généralement, l’existence et le
fonctionnement d’une structure hiérarchique expliquant que des actes de
torture ont été commis ne peuvent être aperçus qu’au travers des cas sin-
guliers. Le juge se retrouvera alors devant les questions suivantes : Qui
juger ? Et pour quels actes ?
L’état du droit complique encore davantage le problème puisque seule
la qualification de crime contre l’humanité permettrait à un procès pénal
de se tenir. Or cette qualification, intervenant en amont, serait déjà un
discours extrêmement fort sur le passé. Confirmée par un jugement, ne ris-
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querait-elle pas d’aboutir à des généralisations ou à des amalgames éloignés
de la réalité historique ? L’avenir judiciaire de la guerre d’Algérie ne peut
être dit, encore moins la manière dont la société recevra ces éventuels déve-
loppements, mais on peut d’ores et déjà attirer l’attention sur les spécificités
des domaines dans lesquels peuvent émerger des discours proclamant la
vérité sur des actes passés. Le champ de l’histoire n’est pas celui du droit.
Leurs exigences et leurs règles sont distinctes. La vérité ne s’y exprime pas
dans les mêmes termes ; elle ne s’attache pas aux mêmes éléments. L’histo-
rien n’a pas pour vocation de juger des individus ou de qualifier juridique-
ment des faits ; autant que possible, sa tâche est de les établir et de les éclairer
pour qu’ils soient expliqués et connus. Il s’agit donc ici de donner des
éléments pour alimenter la réflexion de ceux qui cherchent à répondre à la
question : La torture a-t-elle constitué un crime contre l’humanité pendant
la guerre d’Algérie ?
Le premier élément évident concerne les victimes des violences des
forces de l’ordre françaises. La population civile a incontestablement été

4. Sur ce point, le livre d’Henry Rousso (La Hantise du passé, Paris, Textuel, 1998) apporte une
démonstration nette des torsions auxquelles est soumise la vérité historique pour entrer dans les
cadres juridiques.

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visée délibérément puisque l’état-major considérait comme ennemis des
forces françaises non seulement les combattants en armes de l’armée
adverse, mais les réseaux de soutien nationalistes voire, dans certains
endroits, l’ensemble de la population algérienne locale.
Le principe de la responsabilité collective fut ainsi affirmé par le
commandant de la 10e région militaire, c’est-à-dire de l’Algérie, dès le mois
de mai 1955. Il fut immédiatement mis en application dans certaines zones,
ce qui aboutit à la pratique de représailles collectives. On peut citer par
exemple le cas de l’embuscade meurtrière de Palestro en mai 1956, qui fut
suivie de l’incendie des mechtas alentours et de l’exécution de 50 personnes
du douar le plus proche 5. Plus souvent il s’agissait d’amendes en argent ou
en nature. Les destructions de biens, en particulier de maisons, étaient aussi
habituelles.
De même, à partir de l’instruction interministérielle du 1er juillet 1955,
« tout rebelle faisant usage d’une arme ou aperçu une arme à la main ou en
train d’accomplir une exaction [devait être] abattu sur-le-champ. Le feu
[devait] être ouvert sur tout suspect qui tent[ait] de s’enfuir ». Dans les faits,
il suffisait souvent d’être fuyard pour devenir suspect. Et l’instruction signée
par les ministres de la Défense et de l’Intérieur devint une légitimation a
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priori pour tous les assassinats qui pouvaient ainsi être maquillés sans diffi-
culté en sanction de tentative de fuite.
Ce texte est tout à fait révélateur des difficultés qu’eurent les autorités
françaises à cerner leurs ennemis. Peu à peu, tirant notamment les leçons
de la guerre d’Indochine, furent développées des activités dites « de rensei-
gnement ». La plupart des Algériens devinrent dès lors suspects de savoir
quelque chose sur les ennemis des soldats français, qu’ils fussent terroristes,
combattants de l’ALN ou simplement collecteurs de fonds. Dans ce contexte,
la torture se répandit et toucha principalement des civils.
Dans certains cas, elle fut délibérément utilisée comme instrument de
terreur, définie comme la volonté de dominer psychologiquement une
population. Cet usage a connu un paroxysme au cours des opérations
menées à Alger par la 10e DP du général Massu. Particulièrement dans les
premiers mois de 1957, l’action des forces de l’ordre a été menée en violation
des droits les plus élémentaires : violations de domicile, enlèvements,
séquestrations, « disparitions », tortures et exécutions sommaires sont
devenus les éléments quotidiens d’une politique de terreur organisée.

5. Voir Jean-Charles Jauffret, Soldats en Algérie, 1954-1962. Expériences contrastées des hommes du
contingent, Éditions Autrement, coll. « Mémoires », 2000, 367 p., p. 259 et 261.

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On retrouve cette dimension intentionnellement terrorisante dans
d’autres régions d’Algérie, dès que certaines unités y sont envoyées, que
certaines délimitations d’espace sont décrétées. Si l’intention ne fut pas
manifeste partout, la torture a toujours eu cet effet car, au-delà de la per-
sonne qu’elle faisait souffrir, elle touchait tous ses proches et s’adressait à
tous ceux qui partageaient ses idées. En ce sens, son usage n’avait rien
d’étonnant dans un conflit qui était d’abord politique.
Cette dimension politique de la guerre amène à poser la question de
l’existence d’un système. Il existait au sein de l’armée d’Algérie des déta-
chements opérationnels de protection qui constituaient une forme d’insti-
tutionnalisation de la torture. Mais les DOP avaient un statut très particulier :
l’ensemble de l’armée ne peut absolument pas leur être assimilé. Cependant,
la priorité donnée par l’état-major et le pouvoir politique au renseignement
et le développement dans l’armée des officiers de renseignement ont indé-
niablement favorisé le recours à la torture. Pendant la guerre, les conditions
de possibilité furent réunies pour que la torture soit massivement pratiquée
– étant entendu que les exécutants, et en particulier les chefs militaires,
conservèrent toujours une marge de manœuvre, réelle bien qu’étroite.
Étroite en effet car il existait en Algérie un contexte incitatif à la vio-
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lence. Ce contexte était le produit d’une certaine vision du monde, des
Algériens et de la guerre. Il fit de la torture et des autres violences illégales
commises par les forces de l’ordre françaises des crimes par obéissance,
accomplis au service de la patrie.

Une justice impuissante

À la différence des deux guerres mondiales, la guerre d’Algérie fut avant


tout une guerre touchant quotidiennement les populations civiles. Cette
dimension-là, surtout, fait que l’on touche à la notion de « lèse-humanité »
au sens où l’entend Mireille Delmas-Marty d’une atteinte de l’Humanité
dans l’homme. L’exemple de la torture le confirme : présentée comme un
simple moyen d’obtenir des renseignements, la torture porte en réalité
atteinte d’une tout autre manière aux personnes qu’elle fait souffrir. Ainsi
la nudité systématique des prisonniers quand, après les avoir éventuelle-
ment interrogés, on décide de les torturer, témoigne de cette autre finalité.
L’application de la douleur sur un individu privé de tout droit alors que,
dans la salle de torture, les tortionnaires ont un pouvoir absolu, est une

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pratique qui ne ressort pas simplement du renseignement. Parce qu’elle
repose sur la manipulation la plus radicale qui soit, celle de l’idée de la mort
de l’autre, la torture porte atteinte au fondement de l’humanité des victimes
– et d’ailleurs sans doute, par ricochets, des tortionnaires aussi.
Comme l’assassinat, la torture était, à l’époque de la guerre d’Algérie,
considérée comme un crime par le code pénal. En revanche, les lois décla-
rant les crimes contre l’humanité imprescriptibles ne furent intégrées dans
le droit français qu’après la guerre, en décembre 1964. De façon plus géné-
rale, la reconnaissance par la France du droit international était alors pro-
blématique. Stricto sensu, en Algérie, il ne s’agissait que d’« opérations de
maintien de l’ordre », donc d’affaires intérieures et en aucun cas de guerre.
Ce n’est d’ailleurs officiellement que depuis le 10 juin 1999 que l’on peut
parler de « guerre » en Algérie.
Pendant les « événements » d’Algérie, les forces de l’ordre françaises
disaient lutter contre deux catégories de population : les « hors-la-loi » et les
« suspects ». Les premiers étaient des combattants armés au maquis ou des
terroristes. Les seconds formaient un groupe flou, constitué exclusivement
de civils : ils relevaient de la quatrième convention de Genève sur la pro-
tection des civils tombés au pouvoir de l’ennemi, qui réglemente l’interne-
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ment et interdit la prise d’otages et la déportation. Or la France ne
reconnaissait pas cette convention en Algérie. Elle avait seulement admis,
à la limite, la pertinence de la troisième convention de Genève, qui concerne
exclusivement les prisonniers militaires 6.
Cependant, puisque les tortures constituaient des crimes punis par le
code pénal, des actions en justice étaient possibles pour des actes commis
par les forces de l’ordre dans la répression du mouvement indépendantiste,
qu’il s’agisse ou non de prisonniers militaires. Dans les faits, seuls quelques
procès eurent lieu.
Que ce soit la peur des représailles ou l’ignorance du système judiciaire
français par les plaignants ou bien l’hostilité des magistrats à instruire ce
type de plaintes, les instructions furent très peu nombreuses. Plus rares
encore furent celles qui débouchèrent sur un procès. La justice était en effet
alors massivement engagée dans la guerre contre les nationalistes algériens
et elle partageait la mission des forces de l’ordre. Elle était peu pressée de
faire aboutir des plaintes mettant en cause des représentants de l’État. Cette

6. L’article 13 de cette convention mentionne que les prisonniers militaires doivent bénéficier
d’un traitement humain tandis que l’article 17 interdit les interrogatoires inhumains et toute
forme d’humiliation.

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situation était aggravée par une procédure qui permettait à l’autorité mili-
taire de revendiquer toute affaire concernant un militaire en service. De fait,
ne restèrent du ressort de la justice civile que les affaires visant des officiers
sous statut civil, des policiers ou des militaires en permission 7.
Outre ces nombreux obstacles, on observe une volonté manifeste des
autorités de ralentir la marche de la justice : en mars 1962, seules trois
affaires impliquant des militaires en service ont atteint le stade du verdict.
En mai 1960, le tribunal militaire de Bordeaux relaxa les six membres d’un
groupe de sécurité accusés d’« homicide et coups et blessures volontaires »
sur des « suspects » en Kabylie. En décembre 1961, le tribunal de grande
instance d’Avesnes-sur-Helpe condamna à une peine d’amende trois gen-
darmes du nord de la France, pour avoir torturé à l’électricité des Algériens
pendant leur garde à vue. Enfin, en janvier 1962, le tribunal militaire de
Paris acquitta trois officiers coupables du décès des suites de tortures d’une
jeune Algérienne.
Ces verdicts extrêmement cléments autorisent à conclure que la pra-
tique de la torture ou d’autres crimes sur la population civile n’a pas été
sanctionnée judiciairement à l’époque de la guerre d’Algérie. Cette absence
de sanctions est d’ailleurs un indice supplémentaire pour inférer que ces
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violences étaient au minimum tolérées, mais bien plutôt autorisées, voire
ordonnées.
Le jugement du tribunal militaire de Paris est particulièrement inté-
ressant sur ce point. Les accusés – un lieutenant d’active et deux sous-
lieutenants de réserve – ont reconnu les faits et le commissaire
du gouvernement a requis une très lourde peine. Les magistrats militaires
siégeants ont néanmoins choisi de les acquitter, rejetant ainsi les moti-
vations du pouvoir politique et ignorant la sensibilité de l’opinion publique.
Au-delà des cas individuels, l’armée proclamait, par la bouche de la justice
militaire, qu’elle n’entendait pas endosser la responsabilité des exactions
commises pendant la guerre, dont elle tenait in fine le pouvoir politique
pour responsable.
Semblant renvoyer exclusivement les fautes et les crimes à l’individu
qui les avait commis, le pouvoir politique décida une amnistie maximaliste.
Cette loi de l’obéissance due, qui ne s’assumait pas comme telle, précisait
qu’étaient « amnistiées les infractions commises dans le cadre des opérations
de maintien de l’ordre dirigées contre l’insurrection algérienne avant le

7. Sur la justice pendant la guerre d’Algérie, voir Sylvie Thénault, Une drôle de justice. Les magistrats
dans la guerre d’Algérie, Paris, La Découverte, 2001.

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20 mars 1962 ». Les « infractions » n’étaient pas désignées précisément ; elles
étaient uniquement spécifiées par leur contexte d’accomplissement, qualifié
lui aussi de manière floue, sans aucune référence aux structures de com-
mandement : les « opérations de maintien de l’ordre ». Rien n’y dit si le fait
d’ordonner des actes constitutifs d’infractions pouvait être considéré
comme une infraction.
Or c’est précisément cette dimension qui fut au cœur des tortures et
des exécutions sommaires accomplies pendant la guerre d’Algérie. Aussi
faut-il peut-être s’attarder sur le risque d’occultation de cet aspect central,
si ces violences devaient être exclusivement renvoyées à leurs exécutants
directs.

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