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2,00 € Première édition. No 12258 Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.

fr
Joe Biden, mercredi. Photo ERIN SCHAFF. «The New York Times». REDUX-REA

L’AMÉRIQUE
SUR UN FIL
pages 2-5

Télétravail
combines et
éditions Allary

RIAD SATTOUF

compagnies
Retour vers
«l’Arabe
du futur»
Interview, pages 22-24

FINANCE
SOLIDAIRE «Libération» a recueilli des centaines de témoignages
Après l’essor, d’employés dont l’entreprise ou l’administration refuse qu’ils
le réconfort travaillent à distance, malgré les directives du gouvernement.
Cahier central, 8 pages Aucun secteur n’échappe au phénomène. Enquête, pages 8-11
IMPRIMÉ EN FRANCE / PRINTED IN FRANCE Allemagne 2,50 €, Andorre 2,50 €, Autriche 3,00 €, Belgique 2,00 €, Canada 5,00 $, Danemark 29 Kr, DOM 2,80 €, Espagne 2,50 €, Etats-Unis 5,00 $, Finlande 2,90 €, Grande-Bretagne 2,20 £,
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2 u
présidentielle américaine Libération Vendredi 6 Novembre 2020

JOE BIDEN
Mister prés...
Par
Frédéric Autran
Envoyé spécial à Orlando (Floride) Le Bureau ovale se rapproche
se poursuit. Cela va prendre du
temps. Nous devons laisser les cho-
ses se faire correctement. Nous som-
mes absolument certains que Joe Bi-
pour l’ancien vice-président
V
ingt-quatre heures supplé- den sera le prochain président des
mentaires se sont écoulées, Etats-Unis», a déclaré jeudi la di-
interminables, tendues, et
au bouclage de cette édition, jeudi
de Barack Obama. Mais trois rectrice de campagne du démo-
crate, Jen O’Malley Dillon, exhor-
soir à Paris, début d’après-midi à jours après le scrutin, une tant tout le monde au «calme» et à
Washington, les Etats-Unis atten- la «patience».
daient toujours, entre fatigue et poignée d’Etats clés continuent Retranché à la Maison Blanche,
­fébrilité, le verdict de leur élection
présidentielle. Submergée par une à dépouiller les votes : Trump, qui ne s’est pas exprimé pu-
bliquement – hormis sur Twitter –
participation historique et un re-
cours inédit aux votes par corres- interminable épilogue d’une depuis la nuit de mardi à mercredi,
ne semblait quant à lui ni calme ni
pondance, plus fastidieux à dé-
pouiller, l’Amérique continue de guerre des nerfs ahurissante. patient. «Arrêtez de compter !» a-t-il
tweeté en lettres capi­tales, alors
compter, bulletin après bulletin. Le même que le dépouil­lement pro-
phénomène n’est d’ailleurs pas tout longé lui permet, depuis deux jours,
à fait nouveau : à chaque élection, de réduire peu à peu l’avance de Bi-
que chaque Etat américain organise les ultimes sondages les signes de 2,5 millions de votes par corres­- den en Arizona. Toujours sur Twit-
selon ses propres règles, il faut par- d’une victoire éclatante. Elle ne s’est pondance. A 19 heures heure de ter, Trump a promis que «tous les
fois des jours, voire des semaines, pas maté­rialisée. La seconde con- ­Paris, jeudi, il en restait encore plus Etats récemment revendiqués par Bi-
pour obtenir des résultats définitifs cerne spé­cifiquement la Pennsylva- de 580 000 à traiter. den» seraient «contestés en justice
par endroits. nie. En ­refusant de modifier les rè- par nous pour fraude électorale».
Cela n’empêche pas, le plus sou- gles électorales, qui interdisent de «Calme» Dans plusieurs Etats, le camp du
vent, d’attribuer les grands élec- comptabiliser les bulletins par cor- et «Patience» ­républicain a lancé une offensive ju-
teurs d’un Etat à l’un ou l’autre des respondance avant le jour de l’élec- Or, si la Pennsylvanie avait livré son diciaire (lire ci-contre) jugée «sans
candidats, sans attendre le dé- tion, les républicains de cet Etat cru- verdict dès mardi soir, Joe Biden se- fondement» par les démo­crates. En
compte définitif. Mais jeudi soir, cial ont condamné le dépouillement rait peut-être déjà élu. Car le candi- continuant à dénoncer sans preuves
cinq Etats confrontés à des marges à durer des jours et des jours. A lui dat démocrate, au vu des tendances le manque d’intégrité du scrutin, le
étroites et un stock conséquent seul, le Keystone State a recensé plus observées depuis quarante-huit milliardaire et son entourage nour-
de votes à dépouiller n’avaient tou- heures, et fort de ses victoires rissent les tensions. Et les mo­-
jours pas livré leur verdict. Et sans dans le Michigan et le Wisconsin, queries des adversaires des Etats-
l’Arizona, le Nevada, la Georgie,
la Pennsylvanie et la Caroline
En refusant remportés par Trump en 2016, sem-
blait jeudi soir plus proche que
Unis. «Quel spectacle !» a raillé le
Guide suprême iranien, Ali Kha­-
du Nord, ni Joe Biden ni Donald de comptabiliser ­jamais de remporter l’élection. Au menei. Quant à la Russie, accusée
Trump n’était en mesure d’atteindre fur et à mesure que les votes par cor- depuis 2016 d’in­gérence dans les
le nombre magique de 270. Pour la
les bulletins par respondance manquants étaient élections américaines, elle a ­relevé
première fois depuis 2000, le vain- correspondance pris en compte en Pennsylvanie, les «lacunes ­évidentes» d’un ­système
queur de la présidentielle améri- l’avance de Donald Trump se rédui- électoral «archaïque». •
caine n’était donc pas connu au len- avant le jour sait. Elle est passée de plus de
demain du scrutin. de l’élection, 500 000 voix tôt mercredi à 115 000
jeudi, grignotée par des bulletins ve- LIBÉ.FR
580 000 votes les républicains nus presque ­exclusivement de com-
à traiter tés très favorables aux démocrates, L’Amérique a-t-elle élu un prési-
Si ce scénario était attendu, la pan-
de Pennsylvanie notamment à Philadelphie et sa dent dans la nuit, après le bou- Joe Biden,
démie de coronavirus ayant entraîné ont condamné banlieue. Une victoire en Pennsyl- clage de ces pages ? Suivez mercredi à
un recours sans précédent au vote à vanie, riche de 20 grands électeurs, heure par heure l’évolution de la Wilmington.
distance, deux choses a ­ uraient per- le dépouillement offrirait l’élection à Joe Biden. situation de cette folle élection Photo ERIN
mis de l’éviter. La première, une va-
gue bleue, secrètement espérée par
à durer des jours Dans le camp de l’ancien vice-pré-
sident, on demeure convaincu que
américaine sur Libération.fr
avec nos envoyés spéciaux
SCHAFF. NYT-
REDUX-REA
le camp démocrate, qui voyait dans et des jours. l’issue sera favorable. «Le décompte aux Etats-Unis.
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 3

Trump, ou
la stratégie de
l’élection brûlée
En multipliant les recours plusieurs comtés, qui font peser de sé-
juridiques, l’équipe de rieux doutes sur la validité des résul-
campagne du président tats», a avancé Stepien, sans donner
plus de détails. L’entourage du prési-
sortant entend utiliser dent sortant évoque d’hypothétiques
toutes les ficelles possibles. recours en Arizona et dans le Nevada.
Le Parti républicain n’est pas en reste :

U
ne partie du pays exige le res- il a de son côté déposé un recours en
pect du processus démocrati- justice dans le Nevada. Un autre en
que, et que «tous les votes soient ­Georgie, conjointement lancé avec
comptés». Une autre, celle de Donald l’équipe de cam­pagne de Trump, a été
Trump, d’«arrêter de compter». Ainsi rejeté par un juge jeudi midi. Il exigeait
va l’Amérique des injonctions contra- que soient mis de côté 53 bulletins de
dictoires, toujours en attente des résul- vote par correspondance qui, accusent-
tats de l’élection présidentielle, jeudi ils, seraient arrivés après l’heure limite.
midi heure locale. Nourrissant les ten- Mais les témoins appelés par les répu-
sions, et le suspense, la campagne du blicains ont finalement affirmé devant
président sortant et les avocats du Parti le tribunal qu’ils n’étaient pas en me-
républicain ont lancé dès le lendemain sure de le prouver.
du scrutin une véritable offensive judi- «Ces recours en justice sont sans fonde-
ciaire dans plusieurs Etats-clés. ment, et rien de plus qu’une tentative de
La campagne de Trump a déposé mer- détourner l’attention et retarder ce qui
credi un recours en justice dans le Mi- est désormais inévitable : Joe Biden sera
chigan, affirmant que ses représen- le futur président des Etats-Unis», a af-
tants avaient été tenus à l’écart de la firmé jeudi Jen O’Malley Dillon, direc-
supervision du vote dans des sites de trice de campagne du démocrate, lors
dépouillement. Le rival démocrate, Joe d’une conférence de presse virtuelle.
Biden, s’est imposé dans cet Etat du Des tentatives «vouées à l’échec», a
Midwest, remporté de justesse en 2016 ajouté le conseiller Bob Bauer, «mais
par Trump. L’équipe du président sor- qui créent un bruit de fond sur les
tant a déposé des recours similaires en “fraudes”, les “irrégularités”, pour ten-
Pennsylvanie et en Georgie, deux Etats ter de créer de la confusion».
qui, jeudi soir heure française, étaient
toujours en jeu. «C’est un effort concerté Evasif. Le scénario était écrit d’avance.
de ces escrocs qui dirigent le Parti dé- Depuis des mois, le Président agite le
mocrate» pour maintenir les républi- spectre de «fraudes massives» à cause
cains à distance du dépouillement, a du vote par correspondance, auquel les
accusé mercredi, lors d’une conférence Américains, en particulier les démocra-
de presse, l’avocat du président sor- tes, ont eu recours de manière ­inédite
tant, Rudy Giuliani. L’ancien maire de dans le contexte pandémique. Accu-
New York estime que «120 000 bulletins sant les démocrates de chercher à «tru-
en Pennsylvanie», dont les 20 grands quer l’élection». Dimanche, déjà, Trump
électeurs sont très convoités, pour- prévenait : «Dès que les élections seront
raient être contestés : «Autant que je sa- terminées, nous verrons ça avec nos avo-
che, [ces bulletins] pourraient venir de cats.» Lors d’une allocution à la Maison
Mars ou du Parti démocrate, a ironisé Blanche, mardi, il avait même annoncé
Giuliani. Joe Biden pourrait avoir voté qu’il avait gagné l’élection, et qu’il
50 fois, ou 5 000.» comptait faire intervenir la Cour su-
prême, restant évasif sur les motifs. Ses
«Sans fondement». Les autorités du avocats ont, à ce stade, seulement saisi
Keystone State ont été débordées par le les tribunaux locaux. «L’intégrité de no-
volume de bulletins reçus par la Poste. tre système, et de l’élection présidentielle
Donald Trump y était largement en tête elle-même, a déjà été abîmée», a tweeté
mardi soir, ses électeurs ayant majori- Donald Trump mercredi.
tairement choisi de voter en personne La guérilla judiciaire s’accompagne
le jour de l’élection, et leurs suffrages d’une virulente campagne de désinfor-
ont été comptés en premier. Mais son mation, orchestrée par le Président et
avance a fondu au fur et à mesure que ses proches, et largement relayée sur les
les bulletins envoyés par courrier, favo- réseaux sociaux, qui accusent le clan
rables à Biden à hauteur de 78%, étaient démocrate de tricheries. Les partisans
comptés. Jeudi midi, Trump n’avait du républicain reçoivent depuis mardi
plus que 2 points d’avance en Pennsyl- soir des dizaines de mails et SMS de la
vanie, et les démocrates se disaient cer- campagne de Trump: «La gauche essaie
tains de l’emporter à la fin du comptage. de VOLER cette élection !!! Je fais appel
«Nous agissons en justice pour suspen- à vous pour vous engager et riposter»,
dre le dépouillement en attendant plus ont-ils ainsi reçu jeudi, signé du Prési-
de transparence», a déclaré Bill Stepien. dent. Un appel aux donations, mais
Le directeur de campagne de Trump a aussi à la mobilisation. Des manifesta-
également annoncé qu’un recomptage tions ont eu lieu mercredi à Detroit (Mi-
des voix dans le Wisconsin, où Biden chigan) et Phoenix (Arizona), près de
est donné vainqueur avec un écart de ­sites de dépouillement.
moins de 1 %, allait être demandé. «Des Isabelle Hanne
irrégularités ont été rapportées dans Envoyée spéciale à Detroit
4 u
présidentielle américaine Libération Vendredi 6 Novembre 2020

«L’attitude de Trump est


une remise en cause de la
démocratie inédite dans
l’histoire des Etats-Unis»
Plus que la violence, ce n’est pas un vocabulaire à utili- croit qu’elle est un ­problème ma-
toujours possible, ser à la légère. En revanche, on ne jeur réclamant des mesures.
peut pas exclure que les plus enra- Comment cela s’explique-t-il,
c’est la contestation
gés des trumpistes, auxquels le pré- dans une vieille démocratie
décomplexée de la sident sortant a fait des clins d’œil comme celle des Etats-Unis ?
validité d’une élection de connivence, manifestent vio- La Constitution, votée en 1787, est
quand le résultat lemment leur colère. Mais plus que brève, souvent évasive, ou même
ne convient pas le risque de violence, c’est la remise silencieuse sur beaucoup de ques-
qui inquiète le plus en cause à bas bruit de la validité de tions à propos desquelles ses
l’historien Pap Ndiaye toute élection dont le résultat ne ­concepteurs n’arrivèrent pas à s’en-
serait pas conforme aux attentes, tendre, et qui risquaient de faire
sur le long terme.
qui me semble, à long terme, être la échouer le projet des Etats-Unis
chose la plus problématique. Les d’Amérique. Parmi ces questions,
Etats-Unis ont une longue histoire celle du droit de vote. Celui-ci ne

P
rofesseur à l’Institut d’études de privation du droit de vote, d’inti- devait apparaître en toutes lettres
politiques de Paris, spécia- midations devant les bureaux de qu’avec le quatorzième amende-
liste des Etats-unis et des mi- vote, et de multiples stratagèmes ment, quatre-vingts ans plus tard !
norités, auteur de la Condition pour limiter les droits civiques des Qu’est-ce qu’un citoyen américain ?
noire, l’historien Pap Ndiaye s’in- minorités. C’est ce grignotage pa- Jusqu’au lendemain de la guerre de
quiète du «grignotage patient des tient des droits civiques auquel le Sécession, la question n’était pas
droits civiques» mené par le Parti ré- Parti républicain travaille d’arra- précisément réglée, la Constitution
publicain, et rappelle la longue his- che-pied, brandissant le mythe de parlant des «habitants», du «peu-
toire de l’intimidation et du mythe la fraude électorale, vieux thème ple» et des «personnes», mais pas
de la fraude dans le pays. conservateur depuis le XIXe siècle, des «citoyens». Ce qui était clair,
Revendiquer la victoire alors qui est la menace principale. c’était que les esclaves et les In-
que le décompte n’est pas fini, En 1985, Jeff Sessions, alors procu- diens n’en étaient pas, mais on
parler de «fraudes», annoncer reur fédéral de l’Alabama et futur n’alla pas plus loin. Ce furent donc
qu’il va saisir la Cour suprême… attorney general de Trump, lança les Etats fédérés et les cours de jus-
Trump défie le système électo- des poursuites judiciaires contre tice qui se débrouillèrent pour
ral. Au point de faire basculer trois militants des droits civiques, ­conférer un contenu positif à la ci-
la démocratie amé- en les accusant de toyenneté et à l’exercice du droit
ricaine ? fraude électorale via de vote. La question du vote fut
Voilà plusieurs mois des votes par corres- donc dévolue aux treize Etats de
que Trump annonce pondance frelatés. l’Union : chacun pouvait agir à sa
qu’il n’acceptera pas En 2000, un épagneul guise. Presque partout, le droit de
le verdict des urnes si breton du nom de vote demeura restreint, avec des
celui-ci lui est défavo- Ritzy eut son moment variations selon le type d’élection.
rable. Cela a le mérite de célébrité car un élu Les élections municipales pou-
de la franchise. Ses républicain du Mis- vaient ainsi être relativement ou-
DR

partisans les plus fer- souri affirma que ce vertes, avec des critères censitaires
vents estiment désor- Interview chien était inscrit sur assez libéraux, tandis que l’élection
mais que le processus la liste électorale de présidentielle, avec ses grands élec-
électoral est truqué, manipulé en Saint-Louis, ce qui était pure inven- teurs choisis par les notables
sous-main par les démocrates et tion. Mais l’extravagante anecdote ­locaux, était hors de portée de
leurs amis du Deep State. De toutes fit mouche, et put convaincre que ­l’immense majorité des citoyens. trice de normes nationales. Faute de voter n’étaient pas suffisamment
les remises en cause de la démo­- la fraude électorale était un pro- Jusqu’à l’élection d’Andrew Jack- normes précises sur l’élection, la dé- nombreuses pour permettre de vo-
cratie que Trump a multipliées, blème bien réel. Les enquêtes me- son en 1828, très peu d’Américains mocratie américaine a ­besoin d’un ter sans attendre plusieurs heures.
­celle-ci est sans doute la plus grave nées par le journal local réduisirent élisaient les grands électeurs qui consensus large pour fonctionner, C’est aussi du côté de ces fameuses
et elle est inédite dans l’histoire des à néant les accusations de fraude : choisissaient le président. d’us et coutumes ­recueillant l’assen- machines que le problème survint,
Etats-Unis. Elle se heurte cepen- les personnes indûment inscrites Aujourd’hui, quelles traces en timent transpar­tisan, quitte à trans- puisque les trous, ou indentations,
dant à la résistance d’institutions, se comptaient sur les doigts d’une reste-t-il ? férer les litiges insolubles aux juges. faits en face des noms, étaient suffi-
comme l’armée ou la justice, qui ne main, et le brave Ritzy n’était pas Toute l’histoire du droit de vote est Lorsqu’un président remet en cause samment imprécis pour qu’un re-
sont pas disposées à le suivre sur le électeur. Toutes les études vont marquée par des tentatives répétées le fonctionnement de la démocratie comptage manuel des bulletins eût
terrain de l’aventurisme politique. dans le même sens : la fraude élec- de le restreindre (jusqu’à l’interdire sans aucun élément pour appuyer lieu. Alors que l’écart n’était plus
Lors des grandes manifestations torale est parfaitement anecdoti- aux Noirs du Sud de la fin du ses dires, alors cela devient une atta- que de 150 voix, la Cour suprême
Black Lives Matter, les généraux que aux Etats-Unis, bien qu’un XIXe siècle aux années 60), et par que principielle contre elle. ­interrompit la procédure en usant
ont clairement signifié à Trump pourcentage élevé d’Amé­ricains l’absence d’autorité centrale produc- Peut-on comparer la situation d’un argument pour le moins spé-
qu’il y avait une ligne à ne pas fran- électorale actuelle avec celle cieux, selon lequel le procédé
chir lorsqu’il envisageait une ré- de l’an 2000, qui vit s’affronter ­contrevenait à la règle de l’égalité
pression militaire. Les institutions
d’Etat tiennent encore bon, et la so-
«Toutes les études vont dans Al Gore et George W. Bush ?
L’élection présidentielle de 2000
entre les électeurs de Floride puis-
qu’il ne concernait que certains
ciété civile, KO debout il y a qua- le même sens : la fraude électorale posa un double problème démo­- comtés. George W. Bush fut donc
tre ans, a su trouver les moyens de cratique : elle fut l’occasion d’une élu au terme d’une double
résister au pouvoir narcissique et
est parfaitement anecdotique purge des listes électorales de Flo- manœuvre de privation du droit de
autoritaire du président sortant. aux Etats-Unis, bien qu’un ride, visant surtout des électeurs vote et d’interruption du recomp-
Craignez-vous que les résultats noirs et hispaniques. Certains tage. Mais la fracture politique
des élections suscitent des vio- pourcentage élevé d’Américains ­d’entre eux se présentèrent au bu- n’était pas si accentuée qu’au-
lences, voire une guerre civile ?
A propos d’un pays qui a connu une
croit qu’elle est un problème majeur reau de vote le jour de l’élection,
pour apprendre qu’ils ne pouvaient
jourd’hui, et Al Gore reconnut sa
défaite, alors qu’il avait de bonnes
vraie guerre civile (700 000 morts), réclamant des mesures.» plus voter. Ailleurs, les machines à raisons de se plaindre.
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 5

éditorial
Par
Dov Alfon

Crispé
Et si le vainqueur ne vient
pas cette nuit, nous revien-
drons demain. Estragon
aurait sans doute ajouté
«et puis après-demain»,
tant le drame de l’élection
présidentielle aux Etats-
Unis ressemble de plus en
plus à une version particu-
lièrement infantile de
En attendant Godot.
A l’heure où nous mettons
sous presse, Donald Trump
voit ses espoirs de rester
quatre années supplémen-
taires à la Maison Blanche
se dissiper, Etat après Etat,
recours judiciaire après re-
cours judiciaire. Et pour-
tant le vainqueur n’appa-
raît toujours pas. Est-ce
parce que Joe Biden a en-
core du mal à s’affirmer
dans ce contexte si éloigné
des années Obama aux-
quelles il a participé ? Il a
pourtant reçu plus de
69 millions de votes, plus
que son ancien président,
plus que tout autre candi-
dat dans l’histoire. Mais
même si c’est lui qui prête
serment le 20 janvier, sa
victoire sera loin d’être
éclatante. Le Sénat restera
probablement républicain,
et l’Amérique profondé-
ment divisée. La guerre ci-
Des manifestants vile ne paraît pas si loin-
contre les taine que ça, quand on sait
discriminations que Trump aussi a reçu
raciales, mercredi plus de votes que tout autre
à Portland. Photo candidat républicain dans
Nathan Howard. AFP l’histoire, quand on sait
qu’au moins 68 millions
d’Américains ont tenu à ex-
primer leur préférence
Y a-t-il eu d’autres guérillas plus du côté des Latinos : Trump pour lui, pour son chauvi-
­électorales de ce genre dans le «Voilà que les minorités passent aurait obtenu un tiers de leurs voix, nisme, pour sa xénophobie,
passé ? pour les boucs émissaires des en progression par rapport à 2016. pour son rejet de toutes les
Plus loin dans l’histoire, l’élection C’est un groupe très divers, qui a valeurs humanistes. Et ces
présidentielle de 1876 déclencha résultats décevants de Biden ! historiquement des sous-groupes électeurs ne sont pas près
une crise institutionnelle majeure :
l’élection du républicain Hayes fut
Mais il y a toujours eu des électeurs plutôt républicains, comme les
Américains d’origine cubaine, qui
de disparaître après la vali-
dation du choix des autres,
très serrée et refusée par son adver- noirs conservateurs qui votent ont contribué à la victoire de Trump rendant la notion même
saire démocrate. Des négociations en Floride. Il faut dire que Biden n’a d’un seul peuple, uni sous
entre les deux partis eurent alors républicain. Rien de très nouveau. pas fait beaucoup d’efforts en leur son drapeau, encore plus
lieu, qui aboutirent à un compro- Et puis Biden, ce très estimable direction, sauf à la dernière minute floue que le vainqueur de
mis : les démocrates acceptèrent et de manière un peu maladroite, ces élections. C’est cela que
l’élection de Hayes en échange du géronte démocrate, n’est pas Obama.» lorsque des inquiétudes se firent Joe Biden a compris, et
retrait de l’armée fédérale du Sud, jour dans son camp. Il y a là un sujet c’est pour cela que son sou-
ce qui permit aux anciens proprié- pour les démocrates, notamment rire est si crispé, son teint si
taires d’esclaves de reprendre le nir à mobiliser davantage parmi score moyen du parti conservateur : dans le Sud et dans le Sud-Ouest, pâle, ses paroles si hésitan-
pouvoir et d’éliminer les Noirs de les minorités noires et hispani- entre 8 % et 11 % généralement, sauf qu’ils veulent conquérir à moyen tes. Il a compris que seul le
la vie politique. En 1876 comme ques ? en 2008 et 2012 en raison de la terme. A commencer par une perdant est connu, et ce
en 2000, les institutions fonction- Voilà que les minorités passent ­candidature de Barack Obama (5 %). meilleure représentation des Lati- perdant est le peuple amé-
nèrent tant bien que mal parce que pour les boucs émissaires des résul- Il y a toujours eu des électeurs noirs nos dans leur parti, d’autant plus ricain. «Nous sommes con-
personne ne voulut aller jusqu’au tats décevants de Biden, or les pre- conservateurs religieux, en parti­- que leur poids électoral va crois- tents», répète Estragon
bout de la remise en cause de l’élec- miers chiffres indiquent que 12 % culier sur les questions sociétales, sant, y compris dans certains Etats dans En attendant Godot,
tion. Dans les deux cas, on sacrifia des Noirs ont voté pour Donald qui votent républicain. Rien de très du Nord, comme New York ou la avant de demander au pu-
les droits civiques des Noirs. Trump : on est quand même très nouveau. Et puis Biden, ce très esti- Pennsylvanie. blic : «Qu’est-ce qu’on fait,
Pourquoi Joe Biden et les démo- loin d’un ralliement aux répu­- mable géronte démocrate, n’est pas Recueilli par maintenant qu’on est
crates ne semblent-ils par parve- blicains ! De fait, on retrouve ici le Obama. La question se pose un peu Catherine Calvet content ?» •
6 u
monde Libération Vendredi 6 Novembre 2020

Dans les rues du quartier de Cocody, à Abidjan, des affrontements ont eu lieu entre les opposants au président Alassane Ouattara et les forces de l’ordre, le 3 novembre. Photo Leo

La Côte-d’Ivoire
Après la réélection
d’Alassane Ouattara,
des violences ont
éclaté dans le pays

replonge
et plusieurs figures
de l’opposition
ont été arrêtées.
Un Conseil national
de transition a vu

dans l’instabilité
le jour pour faire
face au Président.
Analyse
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 7

carnet
cratique de Côte-d’Ivoire (PDCI) tre manifestants et forces de l’ordre, bognon, qui fut longtemps un com-
dont les murs s’ornent de fresques voire entre groupes ethniques rivaux pagnon de route de Ouattara avant
représentant Bédié et Félix Hou- visiblement manipulés, Ouattara de rompre avec lui en 2014. L’an-
phouët-Boigny, le père de l’Indé- avait déjà menacé d’emprisonner ses cien ministre des Sports a ensuite
pendance décédé en décem- opposants qui prônaient la désobé- rejoint Guillaume Soro, ancien Pre-
bre 1993. Le long règne de celui qui issance civile. Certains observateurs mier ministre et ancien président
fut également ministre en France avaient alors pu croire qu’il s’agissait de l’Assemblée jusqu’à ce que lui
sous la IVe République fait désor- simplement d’une tactique pour éta- aussi fasse défection et s’exile en DÉCÈS
mais figure d’âge d’or aux yeux des blir un rapport de force favorable à France. Le 23 décembre, alors que
Ivoiriens. Houphouët n’était peut- ce président, ancien haut Soro s’apprêtait à
être pas un démocrate, mais il avait fonctionnaire au FMI, rentrer à Abidjan, Jean-Pierre PAGLIANO,

SO A
FA KIN
fini par autoriser le multipartisme que la communauté MALI les forces de l’or- son époux,

R
et avait surtout assuré le succès internationale avait dre ont envahi a la grande douleur

BU
flamboyant d’un pays, érigé en mo- adoubé, séduite le tarmac de d’annoncer le décès de son
dèle de réussite dans toute l’Afrique par son profil mo- GUINÉE ­l’aéroport con- unique amour,
de l’Ouest. derne, si compa- CÔTE-D’IVOIRE traignant l’avion  
tible avec les Yamoussoukro GHANA
de cet ancien al- Paule PAGLIANO,
Hommes encagoulés ­milieux d’affaires Abidjan
lié de Ouattara à Ancienne éditrice de
Son décès avait inauguré une lon- internationaux. faire demi-tour en littérature jeunesse qui a

LI
donné tout son prestige à la

BE
gue période d’instabilité, dont Bé- D’autres observa- plein vol. Mais sur

RI
collection

A
dié, son successeur désigné, avait teurs s’étaient pour- Océan Atlantique place, le QG de celui
fait les frais, chassé du pouvoir par tant étonnés de l’agres- qui est désormais un «Aux 4 coins du temps».
100 km
un coup d’Etat en 1999. Depuis sivité ­exprimée soudain des leaders de l’opposition  
Un adieu musical réunira ses
dix ans pourtant, les troubles sem- par cet homme d’Etat qui révélait un a été violemment investi. Une di-
amis au crématorium du Père
blaient appartenir au passé. Mais autre visage, prenant à partie le jour zaine de personnes mais aussi
Lachaise le mardi 10
aujourd’hui, le mythe de la stabilité du vote un journaliste français qui cinq députés, dont Alain Lobo- novembre 2020 à 15h30.
tant vantée par le président Alas- avait osé lui poser la question du gnon, ont été arrêtés. Ni fleurs ni couronnes.
sane Ouattara, au pouvoir de- «mandat de trop». Visiblement ner- Pour Lobognon, c’était la deuxième  
puis 2011, s’effondre comme un veux, Ouattara a lancé : «On ne se arrestation en moins d’un an. Déjà Maison Henri de Borniol
château de cartes. Officiellement, laissera pas dicter nos choix par les en janvier 2019, un simple tweet lui 75017 PARIS
Ouattara a été réélu à l’issue de Occidentaux.» avait valu d’être incarcéré pendant 01 45 74 13 23   
l’élection présidentielle de samedi Jeudi, trois jours après l’annonce plusieurs mois. «Cette fois-ci, tous
avec un score soviétique de 94,3 % des résultats, aucun pays, ni parmi les autres députés ont été libérés fin
des voix. Mais l’opposition, et no- les partenaires occidentaux ni septembre, mais pas mon mari.
tamment Bédié, son ex-allié avec parmi les pairs africains, n’avait en- L’immunité parlementaire n’a pas
­lequel il a rompu en 2018, ne recon- core félicité le vainqueur officiel de été respectée, ni même la durée
naît pas un scrutin au cours duquel cette présidentielle tourmentée. de détention provisoire», déplore
le président sortant s’est arrogé le Bien au contraire, ce sont des mises Amira Lobognon, qui doit effectuer
droit de se représenter pour un troi- en garde qui se sont multipliées. de laborieuses démarches adminis-
sième mandat, proscrit par la Cons- L’Union européenne avait tiré la tratives pour obtenir le droit de
titution, au prix d’une acrobatie ju- première salve, bientôt suivie des rendre visite à son époux, désor-
ridique. Lundi soir, à peine les Etats-Unis, pour dénoncer le climat mais détenu à la prison d’Agboville
résultats connus, l’opposition a an- de violence et appeler au dialogue. à 80 km d’Abidjan.
noncé ne pas reconnaître le verdict La Suisse, pourtant d’ordinaire peu
d’une élection entachée de vio­- prolixe sur les scrutins en Afrique, «Dossier vide»
lences inédites, propulsant Bédié a, elle aussi, constaté «l’absence de «Il avait entamé une grève de la faim
à la tête d’un Conseil national de consensus dans les différentes étapes qu’il a interrompue en juillet. Heu-
transition censé prendre en mains du processus électoral», appelant reusement, car sa santé est fragile.
le destin du pays. «toutes les parties» à «faire des gestes Mais il n’a toujours pas accès à son
La réaction ne s’est pas fait attendre.
Dès lundi soir, le gouvernement a
concrets pour recréer un climat de médecin personnel», ajoute-t-elle.
confiance dans la population». La Plusieurs courriers de cette ressor-
Vous organisez
saisi le procureur pour qu’il assigne France enfin, partenaire historique tissante française au président Ma- un colloque,
devant les tribunaux ces opposants d’un pays qui semble parfois modelé cron sont restés sans réponse. Sauf un séminaire,
considérés comme les auteurs des à son image, a appelé mercredi à le dernier, remis en mains propres une conférence...
troubles dans le pays. Et mardi «mettre fin aux provocations et actes lors de la cérémonie du 14 Juillet. La
après-midi, les forces de l’ordre ont d’intimidation». Pour l’instant, le réaction laconique du Quai d’Orsay Contactez-nous
pris d’assaut la résidence de l’ex- langage diplomatique ne désigne ne suffit pas à la rassurer. «Le dossier
Correa. AP président à Cocody, alors que de pas de responsables dans les trou- est vide. Mais le pouvoir en place a
Réservations
nombreux journalistes se trouvaient bles en cours. promulgué une loi sur les troubles à
à l’intérieur. Dans la soirée, ils ont l’ordre public et la diffusion de faus- et insertions
Par arrêté une vingtaine de membres Dérives préoccupantes ses nouvelles qui permet d’arrêter la veille de 9h à 11h
Maria Malagardis de l’entourage de Bédié, parmi les- Reste que, mercredi soir, une im- n’importe qui. Mon mari n’est pas le
Envoyée spéciale à Abidjan quels des députés mais aussi deux portante délégation diplomatique, seul à se retrouver derrière les bar- pour une parution
neveux et deux nièces de l’ex-prési- dont faisait partie l’ambassadeur de reaux. Qui en parle ? Ouattara est le lendemain

D
es gaz lacrymogènes, des dent. Lui-même n’a pas été inquiété France, ceux de l’Union europé- un homme intelligent qui a toujours
Tarifs : 16,30 e TTC la ligne
policiers qui chargent pour mais il est désormais assigné à rési- enne et des Etats-Unis, s’est rendue très bien géré sa communication»,
disperser de petits groupes dence, comme deux autres leaders à la résidence encerclée de Bédié. constate-t-elle. Forfait 10 lignes :
de manifestants : le même specta- de l’opposition, alors qu’un troi- Pour tenter de le persuader de re- Mercredi, les avocats de Bédié ont, 153 e TTC pour une parution
cle se déroule depuis mardi dans le sième, Pascal Affi N’guessan, est en noncer à ce Conseil national de eux, dénoncé des arrestations effec- 15,30 e TTC la ligne suppl.
quartier de Cocody à Abidjan qui a fuite. Il semble qu’une intense mo- transition, selon l’hebdomadaire tuées sans tenir compte de l’immu- abonnée et associations : - 10 %
connu des jours plus sereins. Sur- bilisation diplomatique a conduit à Jeune Afrique. Et pendant qu’à nité parlementaire des députés
tout dans cette partie chic et rési- faire pression sur Ouattara pour évi- Abidjan, les opposants encore en ­emprisonnés. Quelques heures Tél. 01 87 39 84 00
dentielle aux environs de l’église ter l’arrestation de Bédié, qui aurait ­liberté se terrent ou ne décrochent plus tard, Guillaume Soro sortait
Sainte-Marie. Beaucoup de diplo- été vécue comme une provocation plus leur téléphone, dans l’arrière- du silence pour s’adresser aux Vous pouvez nous faire
mates y sont installés, dans des de- par une partie de la population. pays se déroulent des actes inquié- ­Ivoiriens via une vidéo postée sur parvenir vos textes
meures cossues dissimulées der-
rière de hauts murs le long d’allées
Mais mercredi matin, des hommes
encagoulés sont quand même en-
tants. Entre mardi et mercredi, Facebook. Dénonçant une «période
deux convois ministériels ont ainsi de périls graves et imminents», par e-mail :
proprettes et fleuries. Ils sont aux trés dans la résidence déjà encerclée été criblés de balles faisant plu- il a invité la population «à rallier le carnet-libe@teamedia.fr
premières loges ces temps-ci pour pour emmener vers une destination sieurs blessés et un mort. Sans Conseil national de transition»
observer l’impressionnant disposi- inconnue l’un des membres de son qu’on sache qui sont ces mystérieux ­présidé par Bédié, et les forces de
tif des forces de l’ordre déployé de- protocole, Jean-Claude N’Dri, qui assaillants si bien armés. défense et de sécurité à «agir pour
puis mardi. Celui qui bloque l’accès est également le neveu de l’épouse Ces dérives préoccupantes font stopper les tueries». Au lendemain
à l’une des petites rues où se trouve de Bédié. sourire tristement Amira Lobo- d’une élection contestée, c’est un
la résidence de l’ancien président Pendant la dernière semaine de la gnon, attablée à la terrasse d’un ­face-à-face aux contours incertains 01 87 39 80 00
Henri Konan Bédié. A deux pas du campagne électorale, alors que se café dans la rue des jardins. Cette qui s’installe. Et la Côte-d’Ivoire carnet-libe@teamedia.fr
siège de son parti, le Parti démo- multipliaient les affrontements en- Française est l’épouse d’Alain Lo- ­retient son souffle. •
8 u
France Libération Vendredi 6 Novembre 2020

Pour éviter
le télétravail,
les employeurs
confinent
à la combine
A l’inverse du printemps, où le travail à distance avait
été très pratiqué, nombre d’entreprises et administrations
rechignent cette fois à suivre les directives du
gouvernement. Après un appel à témoignages,
«Libération» a reçu des centaines de réponses d’employés
sommés de venir au bureau. Morceaux choisis.

Par Les plus de 750 personnes qui ont répondu, ­ onseil IT à Paris. Le ton est parfois plus
c jeudi dernier, le lendemain du discours de
Emma Donada, en quarante-huit heures, à l’appel à témoi- abrupt. «Mon patron refuse catégoriquement M. Macron, de la part de ma direction à l’en-
Frantz Durupt gnages lancé par Libé lundi l’ont confirmé. le télétravail. Même un jour. Il n’est pas obligé, semble du personnel : “Notre entreprise doit
et Jérôme Lefilliâtre Une avalanche de messages a déferlé dans voilà son motif de refus», résume Sandra, continuer son activité. La priorité est la santé
Photos Denis Allard ­notre boîte mail. Administrations et services ­responsable marketing dans «une PME qui économique de l’entreprise” […]. Le message
publics, banques, entreprises du BTP, de l’au- vend à l’international». disait également que “les mesures mises en

«L
orsque j’ai entendu les annonces, je tomobile ou des télécoms, petites ou grandes Les patrons récalcitrants s’appuient sur le fait place dans l’entreprise sont suffisantes”. Or,
m’attendais à retourner en télétra- sociétés, commerces ou associations : à leur que le protocole national pour les entreprises, concrètement, à part les affichages et le port
vail pour ce deuxième confinement. lecture monte l’impression vertigineuse publié par le ministère du Travail, ne fait pas du masque que certains portent assez mal,
Quelle n’a pas été ma surprise d’entendre mon qu’aucun secteur n’échappe au phénomène, mention d’une «obligation» inscrite noir sur rien n’est respecté, que ce soit les règles de dis-
patron me répondre qu’il n’en était pas ques- partout en France. blanc (lire ci-contre). Certains se croient à tanciation ou les règles d’hygiène», déplore
tion», témoigne Thibaut (1), salarié d’une PME L’étude analytique d’une centaine de courriels l’abri de toute sanction. Parmi les entreprises Alain.
du nord de la France, auprès de Libération. permet de mesurer que le télétravail, bien que peu concernées par le télétravail généralisé, Nombreux sont les témoignages qui rappor-
«Dans les reportages, je vois souvent des entre- pratiqué dans l’immense majorité des cas au on retrouve de nombreux cabinets d’architec- tent le manque de confiance de la direction.
prises qui jouent le jeu en mettant en place des printemps, est «devenu un sujet tabou» cet au- ture ou des sociétés disposant de bureaux «Le télétravail n’est pas du travail. Il y a trop
mesures importantes de télétravail, d’aména- tomne, totalement exclu par les employeurs d’études. Pas un hasard: la ministre du ­Travail, de perte de productivité», a expliqué aux em-
gement des postes. Ici, nous avons des masques de 50 % de nos répondants. Pour l’autre moi- Elisabeth Borne, les a citées comme pouvant ployés la direction d’une entreprise d’ingé-
mais rien de plus», observe, dépité, Paolo, tié, ils bénéficient du temps d’un, deux, voire aménager des temps de présence sur site. Ce nierie située à Aix-en-Provence. Pourtant,
qui travaille «en bureau d’études dans une – avec un peu de chance – trois jours de travail qui est facilement interprété comme un droit «durant le premier confinement, l’ensemble
grande entreprise de déploiement de réseau à distance. Parfois, le télétravail est réservé à faire venir tout le monde au bureau. Ils sont des collaborateurs travaillaient à la maison
fibre optique». Leurs employeurs, comme aux personnes justifiant d’une situation à ris- pourtant nombreux dans ces entreprises à et les retours que nous avions eus à l’époque
beaucoup d’autres, boudent les appels du que. A d’autres endroits, les équipes sont divi- écrire à Libé que leur travail peut entièrement montraient que cela s’était globalement bien
gouvernement à recourir au travail à distance sées et viennent à tour de rôle. être réalisé à distance. «La ministre du Travail passé», confie l’un des salariés. D’autres met-
«cinq jours sur cinq» quand c’est possible, afin est loin de la réalité du terrain», raille un géo- tent l’accent sur l’aspect humain, en assurant
d’endiguer l’explosion des contaminations «Quand c’est possible» mètre dans un bureau d’études. que le travail sur site a été choisi «pour garder
de Covid-19. Beaucoup d’employeurs se retranchent der- Dans ces conditions, des entreprises considè- le lien», «éviter l’isolement» ou former telle ou
Le trafic sur les routes, dans les couloirs du rière l’absence d’obligation légale. «Le cabinet rent que les mesures mises en place depuis telle personne. «A l’heure actuelle, mon em-
métro parisien (arpenté lundi par 50 % des s’appuie sur le flou du discours gouvernemen- le déconfinement suffisent à respecter cette ployeur nous a imposé deux jours au bureau
voyageurs habituels, contre 6 % en mars) et tal : le télétravail “n’est pas une option quand obligation de protection de salariés. C’est le et trois jours en télétravail. Leur argument est
les parkings d’entreprises remplis laissent c’est possible”. Le “quand c’est possible” rend cas par exemple chez Thales (lire page 10) qu’ainsi, cela ne cassera pas la “dynamique de
penser que les consignes ne sont pas aussi le télétravail obligatoire non obligatoire», D’autres exemples sont arrivés dans la boîte travail” et qu’il est plus facile de faire les réu-
respectées que lors du premier confinement. ­relève un manager dans un cabinet de mail de Libé. «Nous avons eu un message clair nions de reporting commercial au bureau,
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 9

Une obligation
au bon vouloir
des patrons
Aucune sanction ment semble déterminé à
­réagir : ce jeudi, Elisabeth
n’est prévue en cas
Borne, la ministre du Travail,
de non-respect s’est entretenue avec plu-
du télétravail sieurs ­directions des ressour-
généralisé. Un flou ces ­humaines de grandes
juridique exploité ­entreprises.
par les entreprises. Il n’en reste pas moins que,
le gouvernement ne dispo-
sant pas de beaucoup de

E
n première lecture, la moyens légaux, le flou régle-
règle semble claire : mentaire et législatif risque
«Le temps de travail ef- de persister. Il se traduit,
fectué en télétravail est porté dans de nombreux témoi-
à 100 % pour les salariés qui gnages de salariés envoyés à
peuvent effectuer l’ensemble Libé, par l’expression d’un
de leurs tâches à distance.» sentiment d’impuissance.
C’est ainsi que le protocole En l’absence de représen-
sanitaire national, actualisé tants du personnel dans les
le 29 octobre par le ministère plus petites entreprises,
du Travail, demande aux beaucoup ne savent pas à
­entreprises de généraliser qui s’adresser.
au maximum le télétravail.
Et pourtant, comme en attes- Volontariat. Certains ont
tent les témoignages reçus saisi l’inspection du travail,
par Libération, nombreux comme recommandé par Eli-
sont les employeurs qui en sabeth Borne, mais atten-
font une interprétation parti- dent encore une réponse.
culière, ou ne s’estiment Ou restent démunis quand
pas concernés. Au risque elle leur répond, par exem-
d’être immédiatement sanc- ple, «qu’il fallait que j’envoie
tionnés ? En réalité, c’est loin moi-même un courrier re-
d’être évident. Car ces em- commandé à mon patron lui
ployeurs peuvent s’appuyer rappelant ses obligations.
sur plusieurs arguments. Vous vous doutez que je ne l’ai
pas fait», comme le raconte
Protection. D’abord, et une assistante juridique dans
contrairement au discours une TPE de Tours. Dans un
gouvernemental, le protocole communiqué publié jeudi, la
ne fait jamais mention d’une CGT du ministère du Travail
«obligation» de placer ses sa- déplore que les agents «ne
r­ éunions qui sont faites en visioconférence fina- ­ oque de nous. De la chair à canon, voilà ce
m Dans le quartier lariés en télétravail. ­Ensuite, disposent d’aucun outil faci-
lement, protocole oblige», explique Robin, que nous sommes.» d’affaires de il ne précise pas davantage lement et rapidement mobili-
technico-commercial dans une société située Une méthode est fréquemment employée par La Défense, quels postes doivent être sable […] pour contraindre
à Montpellier. Certains prétextes invoqués les employeurs pour contourner la consigne à Paris, jeudi. ­télétravaillés, ce dont se ré- les entreprises».
sont plus déroutants : des dirigeants arguent gouvernementale : la délivrance d’attestations jouissait d’ailleurs le Medef Au fond, le problème réside
ainsi que le présentiel s’impose «par solida- de déplacement mensongères. Des dizaines fin octobre, en revendiquant dans le fait que peu de consé-
rité avec ceux qui ne peuvent pas télétra- de mails reçus le racontent. Julie, salariée avoir insisté sur ce point. En- quences ont été tirées du pre-
vailler», pour «ne pas laisser les locaux vides» d’un courtier grossiste : «Nos dirigeants nous fin, et c’est sans doute le plus mier confinement. Alors que
ou tout simplement parce que c’est «plus ap- fournissent une attestation indiquant que nos important : d’un point de l’unique accord national in-
proprié» d’être au bureau. activités ne permettent pas le télétravail, alors vue juridique, le Conseil terprofessionnel conclu entre
même que nous avons signé un accord sur le d’Etat a estimé le 19 octobre, les organisations syndicales
«Chair à canon» ­télétravail lors du dernier confinement.» dans une ordonnance, que et patronales pour encadrer
«Sachant que 80 %, voire 90 % de mon temps ­Nathan, qui travaille dans le sud de la France le protocole consiste en «un le télétravail remonte à 2005,
est consacré à travailler sur mon ordinateur pour une entreprise de déploiement de la fibre ­ensemble de recommanda- des négociations ont seule-
– je me lève de mon siège pour aller aux toilet- optique, est à «100 % sur ordinateur», faisant tions». Beaucoup de juristes ment démarré mardi pour
tes ou déjeuner – je ne comprends pas pourquoi partie du bureau d’étude interne. Pourtant, et d’avocats d’employeurs tenter d’en écrire un nou-
l’employeur ne respecte pas les directives gou- comme la quasi-totalité des collègues de son l’estiment donc sans valeur veau. Il pourrait inclure des
vernementales», confie Marlène, assistante open space, il lui a été donné une attestation contraignante. dispositions sur le volonta-
juridique dans un cabinet d’avocats. «Les en- «justifiant la présence en physique au bureau Le ministère du Travail, lui, riat, la charge de travail, l’iso-
tretiens d’embauche, eux, se font uniquement avec pour raison “intervention réseau télé- conteste cette analyse : le lement ou encore les frais
par vidéoconférence du fait que nous ne pou- com”, ce qui n’est pas ­réellement notre travail protocole est, comme l’écrit professionnels.
vons plus recevoir nos candidats», détaille un étant donné que nous sommes en bureau d’étu- la même ordonnance, une Mais les discussions promet-
salarié en cabinet de recrutement. «Lors du des et non sur le terrain.» Il poursuit : «La «déclinaison opérationnelle» tent d’être âpres, ne serait-ce
premier confinement, nous sommes passés im- ­raison qui nous a été donnée oralement est qu’il de l’obligation de protection que sur la définition d’un
médiatement en télétravail. Nous avons eu y a des formations de collaborateurs en cours des salariés qui échoit à l’em- poste télétravaillable : le Me-
­ordinateur et téléphone. Là, reconfinement, ou à faire et qu’il faut donc être présent sur ployeur. De là, «ne pas res- def veut la laisser au bon
annonces gouvernementales, protocole… Mais place.» pecter le protocole pourrait vouloir de chaque entreprise,
pas de télétravail. Alors je demande, et voici Parfois, les salariés sont entraînés dans être qualifié par un juge la CFDT souhaite une des-
la réponse : “Non, votre poste ne le permet les combines. «Mon directeur nous a forcés à comme un manquement», cription précise. Des réu-
pas.” Mais pourtant, je fais le même boulot écrire un mail disant que “notre appartement ­estime le ministère. nions sont prévues jus-
qu’en mars ! s’étonne Sandra, qui travaille ne permet pas de travailler en télétravail Après presque une semaine qu’au 23 novembre.
pour une plateforme téléphonique. On se de manière convenable”, ce Suite page 10 de flottement, le gouverne- F.Du.
10 u
France
Libération Vendredi 6 Novembre 2020

Suite de la page 9 qui est totalement faux», A nous de remplir le reste. Je ­justifie donc mes «En réunion d’équipe, des consignes sont don- avec sa propre voiture, donc tout le monde
­ ffirme Joël, employé d’une société de para-
a déplacements à l’aide d’un document mention- nées pour limiter au maximum la propaga- peut venir travailler.»
pharmacie située dans les Alpes-Maritimes. nant de fausses informations, et j’espère que ça tion du virus : pause-café assis à son poste, ne Certains chefs d’entreprise assument parfai-
Nous avons vu l’échange de mails, avec une ne sera pas considéré comme un délit [d’usage pas parler fort, ne pas rire…» dit Claude, tement le non-respect du télétravail. Dans
réponse particulièrement enthousiaste de la de faux] si je me fais contrôler.» qui travaille aux Chantiers de l’Atlantique. une vidéo publiée sur YouTube, qui nous a été
direction. Yves, employé d’un sous-traitant Employée d’un bureau d’études, Sarah rap- transférée, Alban Boyé, directeur général de
dans le secteur aéronautique, dont le travail «Bureaux individuels» porte la réponse trompeuse de son patron : Trecobat, un constructeur de maisons indivi-
ne requiert pas sa présence sur site : «On nous Les directions qui filoutent sont pourtant «Le gouvernement impose le télétravail aux duelles, n’y va pas par quatre chemins : «Nous
a fourni une attestation de déplacement pro- conscientes du risque sanitaire. Certaines entreprises qui sont dans les grandes agglo- ne pratiquerons pas de télétravail. A ce stade,
fessionnel vierge à l’exception de la mention préconisent ainsi des mesures de «pru- mérations pour éviter les transports en nous considérons que l’ensemble de nos colla-
“impossibilité de télétravail” et de la signature. dence», surréalistes, à leurs collaborateurs. ­commun. Mais chez nous, tout le monde vient borateurs sont protégés, souvent dans des bu-

A Saint-Raphaël,
la mairie fait
de la résistance
Dans la ville du Var, naires sont paresseux et qu’ils doivent
l’édile refuse le télétravail, être à leur poste. Le Covid, il n’en a rien
à faire.» Julie raconte les réunions de
malgré les demandes des quinze personnes et le chef de service
fonctionnaires. qui «nettoie ses lunettes et l’écran d’or-
dinateur avec son masque».

L
orsque Jonathan, employé de «Panique». Sa consœur Marianne (1)
mairie, a appris le reconfine- relate «les tête-à-tête dans les bureaux»
ment, bien isolé dans son loge- et les agents «qui éternuent dans les cou-
ment de Saint-Raphaël, il a demandé à loirs» : «Après, on traverse pour aller à
être placé en télétravail. «On m’a ré- la photocopieuse et on risque sa vie. Cer-
pondu : “Votre fille est malade ? Vous tains ne prennent pas la mesure de cette
avez un problème de santé ?” raconte- pandémie. J’ai la chance d’avoir mon
t-il. J’ai dit non, on m’a maintenu sur bureau, mais une collègue m’appelle tous
place.» A la mairie de Saint-Raphaël et les soirs, en panique car elle est en open
dans sa communauté space.» Marianne est pourtant
d’agglomération, le té- ALPES- malade. Mais sa demande,
DE-HAUTE-
létravail reste une ex- PROVENCE avec attestation de Sécu-
AL

ception. Mercredi, rité sociale, est restée


PE
S-

seuls 5 % des 1 300 sa- sans réponse. «Le fait


M
AR

Saint-Raphaël
DU-RHÔNE

lariés en bénéfi- d’avoir une maladie


BOUCHES-

ciaient. Et dans le «rè- VAR


n’empêche pas la per-
glement intérieur en sonne d’avoir recours à
période d’épidémie», Toulon des arrêts, des aména-
envoyé en début de se- gements d’emploi du
maine, la fiche indique : Mer Méditerranée
temps, des démarchages.
«Dans le cas où la distancia- 10 km Pour bénéficier du télétra-
tion n’est pas respectée, le télé- vail, il faut avoir un motif lié au
travail peut être envisagé.» Envisagé travail, comme la réduction des distan-
mais pas automatique, alors que la mi- ces de trajet, maintient le maire. Il faut
nistre du Travail Elisabeth Borne répète aussi que l’agent soit clair sur ses moti-
que «le télétravail n’est pas une option». vations. L’organisation familiale n’est
pas un bon motif. A partir du moment
«Rendement». Frédéric Masquelier où on met toutes les précautions sanitai-
est le maire de Saint-Raphaël et le prési- res en place, le télétravail doit rester une
dent de la communauté d’aggloméra- prérogative des employeurs.» L’élu af-
tion Var Estérel Méditerranée (Cavem). firme que les conditions sanitaires sont
C’est lui qui gère les agents territoriaux. toutes respectées dans les deux collecti-
Pour l’élu divers droite, «il faut que le vités, les protocoles ayant été validés en
rendement du télétravail soit équivalent comité d’hygiène et de sécurité. Total, Thales, BNP Paribas… Plusieurs grands groupes du CAC 40 ont envoyé des mails à leurs
à celui sur place» et «il faut pouvoir sui- A la Cavem, Elodie (1) a été l’une des ra-
vre le travail accompli». Bien sûr, le pré- res à «fronder». «Je me suis autoplacée

Le CAC 40
sentiel ne peut être évité pour le net- en télétravail, explique-t-elle. C’est une
toyage des locaux, l’entretien des attitude de provocation. Je me mets pro-
espaces verts et la maintenance. Sauf fessionnellement en danger alors que je
qu’à Saint-Raphaël, les employés de bu- respecte les consignes gouvernementa-
reau continuent de se déplacer. «C’est les.» Si ses collègues n’osent pas impo-
une vue de l’esprit de penser qu’une ad- ser leur volonté, c’est par «crainte des
ministration peut à 100 % travailler à réprimandes». Ils ont «peur» pour les
distance, expose le maire. Il faut des re- indemnités, les primes, les missions.
ne s’empresse pas
lations humaines, il faut pouvoir se re- «On peut être vite placardisé, dit Elodie.
garder, se parler. Pour que le télétravail Et après, ça devient délicat de travailler
réussisse, les tâches doivent être déter- sur l’agglomération.» Le seul recours
minées et évaluées. Le 100 % est une con- reste le tribunal administratif. Sinon, il
de montrer l’exemple
U
ception théorique.» faudra rechercher du travail ailleurs et Certains grands n télétravail à la carte national. Vendredi dernier, le
C’est ainsi que Julie (1) s’est vue refuser loin de son domicile, pour rester dans groupes incitent plutôt que systéma­- géant pétrolier Total «recom-
ses trois demandes de télétravail. Elle la fonction publique. tique : c’est ainsi que mandait» dans une note à ses
qui n’a que des missions de rédaction. Mathilde Frénois
leurs salariés à venir plusieurs grandes entreprises salariés de venir deux jours
«Je peux tout faire à distance, affirme- Envoyée spéciale à Saint-Raphaël sur site, en jouant françaises interprètent les par semaine sur site, au motif
t-elle. Mais la vision du président [de sur l’ambiguïté dernières consignes édictées que certaines tâches ne peu-
l’agglomération], c’est que les fonction- (1) Les prénoms ont été modifiés. des directives. à l’occasion du reconfinement vent être exécutées à distance
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 11

reaux individuels ou, en tout cas, avec des dis- Un «petit patron», responsable d’une asso- de venir travailler», «des salariés ont mal la mesure de cette crise sanitaire et met en
tanciations.» Un salarié d’une entreprise ciation socioculturelle d’une cinquantaine vécu l’isolement du travail à distance», danger ses agents», écrit Nina, qui travaille
d’édition de logiciel en Savoie nous a transféré de salariés, nous a écrit pour nous expliquer «des managers intermédiaires ont été en pour une municipalité près de Lyon. «Je suis
le courriel de son supérieur : «Je considère que son choix et proposer «un autre point de ­difficulté sur le long terme pour animer les choqué et je me sens en insécurité, ajoute
nous avons un mode de travail beaucoup trop vue». Il ne souhaite pas apparaître nommé- équipes»… Hervé, en Auvergne-Rhône-Alpes. J’ai la sen-
collaboratif pour que notre activité du mo- ment pour éviter d’avoir à se «justifier devant Le non-respect des demandes gouvernemen- sation d’être obligé d’aller travailler malgré
ment ne soit pas fortement impactée par un té- un inspecteur du travail et /ou de régler tales suscite une inquiétude quasi générali- ma volonté de lutter aussi contre cette épidé-
létravail généralisé. Or, nous ne pouvons pas des amendes» : «L’expérience du premier sée chez nos répondants. «Aujourd’hui c’est mie. Je sais qu’il y aura des morts au bout
nous le permettre. […] Nous ne pouvons pas ­confinement nous a décidés à fonctionner avec la boule au ventre que je suis partie de la chaîne.» •
prendre le risque de perdre des clients par des ­autrement», explique-t-il. Et de lister les ­travailler… C’est l’incompréhension, et j’ai le
retards pris ou autre.» ­arguments : «Des salariés nous demandent sentiment que mon employeur ne prend pas (1) Les prénoms ont été modifiés.

Certains employeurs incitent à venir sur site au motif de préserver les liens sociaux.

leur patron, qui s’est traduit Pourquoi ces réticences ? De


par des consignes différentes
«Des nombreux employeurs peu-
selon les entités et les servi- attestations vent s’appuyer sur une réalité,
ces. «Des attestations en blanc invoquée par Total et BNP :
signées de la RH [les ressour- en blanc ont des salariés ont pu mal vivre
ces humaines, ndlr] ont été
envoyées à l’ensemble des sa-
été envoyées le télétravail confiné, qui s’est
parfois accompagné d’un
lariés du groupe par mail», à l’ensemble sentiment d’isolement. Mais
écrit un salarié des fonctions chez Thales, Grégory Lewan-
support. Un autre affirme tra-
des salariés.» dowski évoque aussi «des réti-
vailler sur site cinq jours sur Un employé de Thales cences de chefs de service qui
cinq, alors que «le télétravail ont peur de ne pas savoir ce
est tout à fait possible pour que font les salariés, de ne pas
nous, nous l’avons fait en mars ­ ffirme au contraire à ­Libé
a contrôler le travail». Pourtant,
sans préparation». que «50 % de nos 8 500 sala- dit-il, «on a l’expérience, et on
Plusieurs employés ayant riés bénéficient actuellement» sait que les salariés en télétra-
contacté Libération souli- du télétravail, mais il ne pré- vail travaillent parfois plus».
gnent qu’à leurs yeux, Thales cise pas combien de jours par
devrait d’autant plus montrer semaine. Conflit moral
l’exemple que son principal Dans le secteur bancaire Plus globalement, les com-
actionnaire, à hauteur de aussi, où les agences peuvent munications patronales na-
plus de 25 %, n’est autre que rester ouvertes, des salariés viguent allègrement dans les
l’Etat lui-même. Quant à son qui pourraient néanmoins eaux incertaines des notions
salariés pour leur signifier leur souhait de limiter le télétravail. second actionnaire, le groupe travailler à distance font part de «recommandation» ou
Dassault (24 %), il semble que de leur sidération. Chez BNP d’«incitation». «Ils jouent
sa filiale Aviation ne soit pas Paribas, qui emploie près beaucoup sur les termes», re-
mais aussi pour maintenir le plages horaires de départ et complet au printemps, ils se- irréprochable non plus. Là- de 55 000 personnes en lève une responsable syndi-
lien social. Le groupe, qui a d’arrivée sur certains sites, ou raient aujourd’hui beaucoup bas, des salariés apprennent France, voici ce qu’ils ont pu cale dans un grand groupe
depuis précisé qu’il ne s’agis- encore le recours au télétra- moins nombreux, selon Gre- à l’occasion de présentations lire dans un message partagé bancaire : «La direction “sou-
sait que de «volontariat», vail dans le cadre des accords gory Lewandowski, coordi- PowerPoint que la direction sur l’Intranet : «Soucieux de haite”, “vous invite à”, “vous
n’est pas le seul à tenter de li- en vigueur ont démontré toute nateur CGT du groupe. Et ce, souhaite «fixer un objectif maintenir le lien avec l’entre- pouvez”… Mais derrière, à
miter le télétravail. Un autre leur efficacité», assure le indépendamment du fait que de 2 jours max de télétravail / prise pour éviter un nouvel aucun moment le terme de
fleuron du CAC 40, Thales, ­patron du groupe dans ce des salariés «qui travaillent semaine». éloignement prolongé et de fa- “volontariat” n’est clairement
estime n’avoir aucune consé- message envoyé juste après sur du matériel spécifique ou Le siège de Saint-Cloud serait voriser autant que possible le employé. Le sous-entendu,
quence à tirer du nouveau l’allocution présidentielle sur des réseaux de défense» particulièrement concerné. travail à distance, le groupe c’est : “venez”.» Un discours
tour de vis sanitaire. C’est du 28 octobre. Partant de doivent effectivement se ren- Alors que près de 2 900 sala- souhaite la présence sur site ambigu qui, marié à la cul-
son PDG, Patrice Caine, quoi, selon lui, «toutes ces dre sur site, souligne le res- riés, sur les 3 200 qui le fré- des collaborateurs une à deux ture française du présenté-
qui l’a expliqué dans un mes- mesures déjà en vigueur au ponsable syndical. quentent, pourraient télé­- journées par semaine ou une isme, plonge bien des sala-
sage adressé aux près de sein des sites de Thales en travailler, on ne compte semaine sur trois pour les ac- riés dans un conflit moral.
40 000 salariés que compte France sont conformes aux «Cinq jours sur cinq» aujourd’hui selon la CFDT tivités /organisations en split Certains le tranchent comme
le groupe d’électronique en annonces faites par le gouver- A la suite d’un appel à témoi- qu’un millier de salariés team hebdomadaire.» Au sein ils peuvent : «Mourir pour la
France. nement et restent en applica- gnages, plusieurs d’entre eux en travail à domicile sur de LCL, FO s’est ému dans un France oui, pour le Medef
«Des dispositifs éprouvés tels tion». Conséquence : alors ont écrit à Libération pour ­l’ensemble de l’entreprise, communiqué d’un «0 % télé- non», écrit un employé de
que le port du masque obli­- que près de 20 000 salariés de faire part de leur incompré- ­contre 4 000 durant le pre- travail» imposé à tout le ré- BNP dans un mail.
gatoire, l’aménagement des Thales étaient en télétravail hension face au message de mier confinement. Le groupe seau commercial. Frantz Durupt
12 u
france Libération Vendredi 6 Novembre 2020

ÉCOLE D’ARCHITECTURE
«Un régime basé
sur la terreur,
le harcèlement
et l’intimidation»
Une ambiance délétère mine depuis plusieurs mois
l’Ensam, l’Ecole nationale supérieure d’architecture
de Montpellier. Saisine du procureur, démissions...
«Libération» révèle d’accablants témoignages
d’étudiants et d’enseignants.
Enquête

Par Le corps enseignant ne se porte pas réponse.» Au cœur des griefs : une docteure en histoire de l’art. J’ai la part de la direction. Et pointent
Sarah Finger mieux : on y dénonce des abus et ex- organisation clanique de l’école. La moi-même été éconduite en août, également, dans ce «climat de ten-
Correspondante à Montpellier cès de pouvoir concernant des non- direction et les différentes commis- après un entretien hallucinant où il sions», des «attitudes hostiles et des
Dessin renouvellements de contrat, des sions qui gèrent la vie de l’établisse- m’a été reproché de ne pas m’associer violences verbales récurrentes».
Sandrine Martin ­irrégularités dans les procédures de ment seraient monopolisées par aux “bons architectes”.» Jean Pla- Cette enquête révèle en outre que
recrutement, des jurys non confor- quelques-uns, peu disposés à laisser nès, architecte, paysagiste et ensei- des «propos sexistes et comporte-

L
es conflits qui agitent l’Ecole mes… Au total, une demi-douzaine s’exprimer des voix discordantes. gnant, s’est lui aussi vu remercié cet ments à connotation sexuelle» ont
nationale supérieure d’archi- de recours devant le tribunal admi- Jean-Luc Lauriol, enseignant à été : «J’avais réussi le concours pour été évoqués à 18 reprises lors
tecture de Montpellier (En- nistratif vise l’Ensam. Le procureur l’Ensam durant trente ans et au- être titulaire, et j’étais candidat sur des 45 entretiens individuels ou
sam) s’affichent désormais sur les de Montpellier a en outre été saisi, jourd’hui retraité, dénonce ainsi trois postes. Mais je n’ai été audi- ­collectifs qui ont été menés.
murs de l’établissement. Le 27 octo- le 27 octobre, par 14 enseignants qui une «prise de pouvoir», une «main- tionné sur aucun : on m’avait fabri-
bre, élèves et enseignants décou- souhaitent porter devant la justice mise sur l’école» : selon lui, la direc- qué un jury sur mesure, un vrai «J’ai envie de te violer»
vraient des tags et des collages près des faits de harcèlement. «Les pro- tion privilégie l’«embauche continue ­peloton d’exécution. Et le directeur «Lors de la première présentation de
du portail : «harcèlement», «compli- blèmes s’aggravent et s’institution- d’enseignants “obligés” qui suivent a mis fin à mes quinze ans de contrat cet audit, le 14 février, nous avons
cité», «école de la honte». Les noms nalisent à l’Ensam, où l’arbitraire les consignes de vote». Lambert comme non-titulaire dans le plus découvert ces témoignages faisant
de quatre professeurs étaient aussi est devenu la règle, commente à Li- Dousson, maître de conférences grand mépris.» état de harcèlement moral, mais
placardés sur le mur, avant que le bération Me Sophie Mazas, qui ­durant six ans à l’école, va plus loin : Un audit sur les risques psychoso- aussi de propos et de gestes à conno-
tout ne soit recouvert d’une bâche ­défend la plupart des requérants. Il «Cet établissement public d’ensei- ciaux, finalement mené par la di- tation sexuelle», raconte Robert Ce-
par la direction qui, dans la foulée, s’agit désormais d’agréger les forces gnement et de recherche a été, de rection de l’Ensam auprès du per- laire, qui est, alors, l’un des deux
déposait plainte pour dégradations des victimes.» fait, privatisé.» sonnel après des signalements de ­représentants enseignants dans le
et propos diffamatoires. Mais des Le malaise ne date pas d’hier. Le «situations de souffrance au travail» comité de pilotage de cet audit.
étudiants de l’Ensam ne veulent ministère de la Culture, tutelle de «Un vrai peloton par le médecin de prévention, a «Dans la seconde version du docu-
plus se taire : 170 d’entre eux ont dif- l’Ensam, a été alerté à plusieurs re- d’exécution» servi de détonateur. Les témoigna- ment, produite quatre jours plus
fusé en début de semaine une lettre prises sur des dysfonctionnements Conséquence directe de cette ges recueillis fin 2019 par le cabinet tard, ces verbatims avaient dis-
ouverte dans laquelle ils pointent au sein de l’école. «Depuis 2018, j’ai ­dérive, selon ces témoins : l’éjection d’audit dépeignent un tableau som- paru», poursuit-il. Peu avant la pré-
une «ambiance de travail polluée», envoyé au ministère pas moins de des enseignants non titulaires bre : agents et enseignants confes- sentation finale de l’audit, en juillet,
un «climat de tension», un «silence huit courriers pour dénoncer des ir- ­suspectés d’insoumission. «Leur sent un mal-être, un manque de re- une version encore plus édulcorée
écrasant qui [les] empêche d’étudier régularités, raconte un enseignant ­contrat n’est pas renouvelé, sans rai- connaissance et de considération, est proposée au comité de pilotage.
sereinement». encore en poste. Je n’ai reçu aucune son valable, raconte Hélène Guérin, d’information et de transparence de Robert Celaire et sa collègue démis-
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 13

sionnent, refusant de «cautionner sein de l’Ensam une enquête admi- ses d’eczéma chez une de mes copi- étudiant de première année perd du milieu de l’architecture : «Aupa-
un texte qui trahissait les témoigna- nistrative dont les conclusions sont nes ; une autre n’a plus ses règles, ra- pied. Seul et anxieux, il décroche de ravant, nous n’en avions jamais en-
ges de souffrance des agents de l’En- attendues pour la fin de l’année. conte Camille (1), inscrite en troi- l’enseignement à distance malgré le tendu parler. Les problèmes étaient
sam». Nous avons pu consulter certains sième année. Mais les étudiants ont soutien de la psychologue scolaire. étouffés.» A l’inverse, Ahlem Ghez-
Parmi ces témoignages, celui d’une témoignages qui lui avaient été peur de se plaindre à cause de leur Les mails qu’il envoie à l’Ensam té- zali, vice-présidente de l’Union na-
cadre administrative qui raconte adressés ; tous sont éloquents. «En cursus ou de leur future embauche. moignent d’une grande angoisse. tionale des étudiants en architec-
avoir alerté depuis deux ans et demi quinze ans de carrière dans l’ensei- Moi, je cherche clairement à quitter L’un de ses appels au secours sus- ture et paysage (Uneap), n’est guère
le ministère sur des situations de gnement, je n’ai jamais vu une telle cette école.» cite un commentaire aussi bref que étonnée : «Les cas de harcèlement et
harcèlement sans obtenir le moin- quantité de souffrance chez des col- Le cas de deux étudiants a particu- sarcastique du directeur… qui de discrimination sont fréquents
dre retour : «Deux collègues et moi- lègues et des étudiant(e)s. Je suis lièrement choqué les jeunes. Tout l’adresse à Guillaume par erreur. dans les écoles d’art, où sévissent
même avons subi des gestes ou pro- parti de cette école dégoûté de l’en- d’abord celui d’une jeune Maro- Les échanges s’enveniment, ce qui l’entre-soi et l’omerta», déplore-t-
pos déplacés, du genre “j’ai envie de seignement», écrit ainsi Lambert caine venue en France pour étudier lui vaut d’être convoqué en conseil elle. Selon une enquête du minis-
te violer”. Pour moi, c’était une main Dousson. «Au fil des années, un à l’Ensam : «Elle a été exclue pour de discipline. Il sera assisté par Fa- tère de la Culture lancée en février
sur la cuisse, à deux reprises. Mais ­régime basé sur la terreur, le harcè- trois ans sans même passer par le bien Bon, président du Syndicat de auprès de 101 établissements, 61 %
le pire, c’est la violence morale, les lement, l’intimidation s’est mis en conseil de discipline, dénonce combat universitaire de Montpel- des sondés déclarent en effet avoir
agressions verbales, les reproches place», résume Robert Celaire, qui Me Mazas, son avocate. L’école lui a lier (Scum) : «C’était hallucinant. été témoin ou victime d’agressions
permanents, les humiliations. Avec a demandé sa mise en disponibilité mis zéro sur vingt à son rapport Notre audition a été expédiée en sexistes. «Mais un fait distingue
une collègue, en comité de direction, après douze ans passés à enseigner d’étude, prétendument pour plagiat, vingt minutes, alors qu’on parlait de l’Ensam, ajoute Ahlem Ghezalli.
on se tenait la main sous la table à l’Ensam. Une de ses collègues, en alors que la notion de plagiat la dépression d’un élève, raconte ce A Montpellier, le malaise touche au-
pour ne pas pleurer.» poste durant cinq ans, a quant à elle n’existe pas pour de tels rapports, dernier. Pour Guillaume, c’était la tant les étudiants que les ensei-
Le 26 août, Alain Derey, directeur demandé sa mutation. qu’elle cite les auteurs qu’elle est ac- double peine. Quant à moi, je n’ai gnants.»
de l’Ensam depuis 2014, met pré- cusée d’avoir plagiés, qu’elle n’a pas quasiment pas pu m’exprimer.» S’abritant derrière l’enquête admi-
maturément fin à son mandat et «la double peine» été encadrée pour la rédaction de ce nistrative en cours, ni l’Ensam, ni
annonce qu’il va piloter la librairie Les étudiants qui acceptent de té- document et qu’elle a validé les deux «L’entre-soi Alain Derey, ni le ministère de la
montpelliéraine Sauramps. Mais moigner décrivent tous un climat tiers d’une licence !» et l’omerta» Culture n’ont souhaité s’exprimer.
l’affaire n’en reste pas là. Entre- délétère. «Des convocations inopi- Guillaume, lui, a écopé de deux se- A Montpellier, les tensions au sein Les étudiants, eux, attendent des
temps, le ministère de tutelle a nées par la direction se transforment mestres d’exclusion «avec sursis». de l’Ensam n’ont été révélées que réponses. •
chargé l’Inspection générale des af- en tête-à-tête qui virent à l’intimi- Ses ennuis ont commencé pendant très récemment, si l’on en croit une
faires culturelles (Igac) de mener au dation. Le stress a provoqué des cri- le confinement : dès fin mars, cet ancienne élue municipale proche (1) Le prénom a été modifié.
14 u
Expresso Libération Vendredi 6 Novembre 2020

L’Ethiopie lance
LIBÉ.FR l’armée contre la
­région du Tigré
Le Premier ministre Abiy Ahmed a an-
noncé une opération militaire en réponse
à «l’attaque d’un camp fédéral» dans le
­Tigré. Les autorités de cette région ne
­reconnaissent plus la légitimité du gou-
vernement. Photo AFP

moitié de la semaine au ly-


cée. Interrogé mercredi soir,
le rectorat de Créteil ne sem-
blait pas au courant. Grégory
Thuizat, cosecrétaire dépar-
temental du Snes-FSU 93, en-
rage : «Des établissements, qui
avaient mis en place des de-
mi-groupes, ont été rappelés
à l’ordre par le recteur. L’ad-
ministration joue le pourris-
sement, la montre, au mépris
des conditions sanitaires.»

«On ne peut pas». Dans


un autre lycée de Seine-Saint-
Denis, pour contourner l’in-
terdiction des demi-groupes,
l’équipe a opté pour une alter-
nance par niveaux : les secon-
des viennent tous les jours au
lycée, mais les premières et
les terminales sont en pré-
sentiel un jour sur deux. «On
reste en classe entière. Ce n’est
pas optimal, reconnaît un
­enseignant, mais cela permet
de bien réduire le brassage
dans les couloirs, et à la can-
tine surtout.»
Réduire les effectifs, quelle
que soit l’option choisie,
­revient à réduire les heures
d’enseignements. «En demi-
groupe, on est plus efficace,
et on donnera des exercices
Grève au collège Hector-Malot, jeudi en Normandie, face à l’impossibilité de faire respecter les gestes barrières. Photo Florence Brochoire adaptés à faire à la maison.
Par exemple, des exercices de
grammaire à la maison, et les

Protocole sanitaire : les enseignants études de texte en classe», as-


sure Clara, prof de français
dans un collège de Grigny
(Essonne). Un personnel de

réclament des demi-groupes direction de lycée parisien


­tique pourtant : «Pour moi,
un fonctionnement par demi-
groupe n’est envisageable que
s’il est suivi d’aménagement
Dans plusieurs voyant les mines déconfites tir aux parents, leur faire suit-il. C’est un scénario prévu tion, avec une nouvelle orga- pédagogique. On ne peut pas
collèges et lycées, sous les masques. D’habi- croire que les conditions de sé- par le ministère dès le mois nisation, mettant le rectorat organiser la moitié de l’emploi
des profs sont en tude, ses collègues sont cal- curité sont garanties !» Ils ont d’août en cas de circulation devant le fait accompli. A Bo- du temps avec des terminales
grève pour obtenir mes, pas frondeurs pour deux rédigé un courrier pour expo- active de l’épidémie. Pourquoi bigny, par exemple, un pro- qui ont les épreuves du bac au
sous. Mais lundi, la moitié ser leur plan, avec copie à ne pas l’avoir ­activé ?» fesseur raconte que depuis mois de mars et des program-
le droit de scinder des profs ont débrayé. Et plus leur inspecteur d’académie : mercredi, les classes de son mes laissés en l’état.» C’est
les classes. Face à des trois quarts de l’équipe ce «On veut passer en demi- «Larmes de joie». En Dor- collège ont été divisées en l’autre revendication qui
leur mobilisation, jeudi matin. groupes : les élèves auront dogne, en Indre-et-Loire, deux, les élèves invités à ne émerge : pousser le ministre
le ministère a «Vu la situation sanitaire, on classe un jour sur deux, avec dans le Rhône, en Seine- venir qu’un jour sur deux. à alléger la pression. Jeudi
accédé jeudi soir ne peut plus faire comme si du travail à faire à la maison. Saint-Denis… Des salles des «On ne reviendra pas en ar- soir, dans un courrier adressé
à une partie de de rien n’était, expose l’ensei- Cela permet d’éviter les bras- profs se mobilisent, de façon rière», dit-il avec aplomb, aux proviseurs, Jean-Michel
leurs demandes. gnant, syndiqué au Snes- sages, en maintenant le lien spontanée et sans réelle coor- alors que le rectorat a refusé Blanquer a lâché du lest : les
FSU. Depuis lundi, on est avec les élèves.» dination pour l’instant – le ce dispositif. Dans deux ly- lycées (mais pas les collèges)
­censés mettre en place un pro- Comme lui, de nombreux Snes (syndicat majoritaire cées au moins de Seine-et- pourront organiser les cours
Par tocole sanitaire renforcé, mais professeurs répètent ne pas dans le secondaire) et le Marne, les professeurs ont en garantissant «50 % de pré-
Cécile Bourgneuf il est impossible à tenir. Les vouloir revivre la séparation SnuiPP (primaire) appellent aussi porté leur plan devant sentiel», ce qui autorise les
et Marie Piquemal élèves sont trop nombreux : du premier con- à une grève sani- le proviseur qui a accepté di- demi-groupes. Le bac sera
comment espacer les tables finement, catas- L'histoire taire nationale rect : «Quand on s’est rendu aussi aménagé : suppression

I
l n’en revient pas lui- quand on a 29-30 élèves et des trophique en du jour mardi prochain. compte qu’il était avec nous, des épreuves communes de
même. Philippe Poisson, salles petites ? Comment aérer termes de décro- Il est encore dif- on a eu des larmes de joie, contrôle continu (les fameu-
54 ans, professeur de quand les fenêtres, conçues chage. Alors pour éviter la ficile de mesurer l’ampleur c’était beaucoup de soulage- ses E3C). Et pour les épreuves
maths dans un collège tran- pour des raisons de sécurité, fermeture des écoles, il faut de la mobilisation. Dans ce ment, une vraie victoire», ra- de spécialité, les candidats
quille près de Rouen (Seine- ne s’ouvrent que de 7 ou 8 cm réduire le nombre d’élèves mouvement qui part de la conte une professeure de auront deux sujets au choix
Maritime), a lancé l’idée en maxi ?» L’un de ses collègues présents au même moment. base, par endroits, les équi- français dont les élèves ne «à partir des entrées prépon-
l’air dans la salle des profs en insiste : «On ne peut pas men- «On n’invente rien, pour- pes sont déjà passées à l’ac- viendront désormais que la dérantes du programme» •
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 15

«Sale race, je vais te


LIBÉ.FR planter» : des agressions
racistes anti-asiatiques
avec le retour du confinement Un appel
à la violence lancé la semaine dernière sur les ré-
seaux sociaux a été suivi de plusieurs violentes
agressions physiques. A travers la France, des vic-
times de violentes agressions, dont le caractère ra-
ciste ne fait guère de doute, témoignent. Photo AFP

l’élue socialiste avait appris,


de la bouche du porte-parole Schiappa : «La lutte contre
du gouvernement Gabriel
Attal, qu’un couvre-feu allait
être réinstauré «dans la jour-
les violences conjugales
née» en plus du confinement
dans la capitale «et peut-être
doit rester une priorité»
sur l’Ile-de-France». A l’hôtel Lors du dernier confinement, ment rappelées. Avez-vous
de ville, on regrette de pas les signalements pour des donné des consignes en
avoir été concerté. Et la pi- faits de violences intrafa­- ce sens ?
lule a du mal à passer même miliales avaient connu une Oui. C’est l’objet du vade-me-
si l’annonce est vite démen- forte hausse. Dans une cum adressé aujourd’hui par
tie par Matignon : «Cette me- note adressée aux préfets ce le ministère de l’Intérieur à
sure va être concertée avec la jeudi, la ministre déléguée l’ensemble des préfets, des
municipalité parisienne par chargée de la Citoyenneté, commissariats et des gendar-
la préfecture mais n’est pas Marlène Schiappa, appelle à meries de France.
décidée à ce stade. Une déci- une «vigilance renforcée vis- Le Haut Conseil à l’égalité
sion sera prise dans les pro- à-vis des violences conjugales a pointé du doigt les refus
chains jours», expliquait-on et intrafamiliales en cette pé- de plaintes encore fré-
alors dans l’entourage du riode de confinement». quents. Vous aviez lancé
Premier ministre. Seule dif- Les victimes de violences un audit dans 400 com-
Vente à emporter dans un restaurant parisien, en mai. Photo ALAIN JOCARD. AFP férence avec le couvre-feu peuvent fuir sans attesta- missariats et brigades de
présenté par Gabriel Attal tion. Concrètement, com- gendarmerie. Où en est-il ?
mardi, il débutera à 22 heu- ment procéder ? Dans plus de 80 % des cas,

Couvre-feu dès 22 heures à res. Mais qu’importe, au


gouvernement, on se satis-
Je voudrais dire à vos lectri-
ces qu’elles peuvent aller à la
les plaintes sont bien prises
et bien qualifiées. Je pense

Paris pour la vente à emporter fait de la mise en place de


ces mesures alors que beau-
coup critiquent la souplesse
rencontre d’un policier, lui
dire qu’elles sont victimes de
violences et se sont enfuies.
que dans 10 % à 20 % des cas,
il peut y avoir un problème
dans les demandes de dépôt
de ce nouveau confinement Celui-ci pourra les aider à se de plaintes, qu’il faut régler.
C’était dans l’air depuis déjà abords de ces établissements ces mesures seraient mises où les écoles, collèges et ly- rendre dans un commissariat Un refus de plainte n’est pas
plusieurs jours, c’est désor- alors que la situation sani- en place dans la journée cée ainsi que de nombreux ou une brigade de gendarme- envisageable, c’est interdit
mais officiel : le confinement taire exige de limiter les in- (sans toutefois les décrire commerces restent ouverts. rie, où elles pourront déposer par le code pénal. Il est toute-
va se durcir à Paris. A partir teractions sociales», affir- précisément) : «On a de nou- «La question des attroupe- plainte si elles le souhaitent, fois essentiel qu’il y ait un
de vendredi, tous les restau- mait jeudi la préfecture de velles restrictions sur Paris et ments causés par la vente à et être mises en relation avec lien de confiance fort entre
rants et débits de boisson police de Paris. Parallèle- la petite couronne décidées emporter le soir était la seule une association partenaire les femmes victimes de vio-
mettant en place la vente à ment à cette mesure, l’arrêté [mercredi]. Le préfet de po- case qui n’était pas cochée, locale. lences conjugales et les for-
emporter devront fermer de pris par Didier Lallement lice m’a demandé mon avis et veut croire l’entourage du Dans son rapport rendu ces de l’ordre. Répéter sans
22 heures à 6 heures du ma- ­interdit également toute j’ai donné mon accord», a-t- secrétaire d’Etat. C’est désor- cet été, la Mission intermi- cesse qu’elles ne seront pas
tin. «Les services de police vente d’alcool durant la nuit elle expliqué sur BFM TV et mais chose faite.» Reste à nistérielle pour la protec- écoutées n’incite pas les fem-
ont constaté, particulière- dans la capitale. Dans la ma- RMC. Façon de montrer que, voir maintenant, l’impact de tion des femmes victimes mes à déposer plainte.
ment en soirée et pendant tinée, la maire de Paris, cette fois, elle a bien pris ces nouvelles restrictions de violences appelait à Recueilli par
la nuit, des regroupements Anne Hidalgo, avait pris les part à la décision. Mardi, sur la courbe de l’épidémie. ce que les victimes identi- Virginie Ballet
de personnes dans et aux devants en annonçant que c’est en direct sur BFM que Sacha Nelken fiées soient spontané- A lire sur Libération.fr

Magnétar
«Sur la forme, le mépris dont Epidémie «La deuxième vague n’est
pas une abstraction», prévient Véran
vous faites preuve et les termes
que vous utilisez à l’égard de Suez, Après plusieurs jours de communication chaotique du gou-
vernement sur les mesures de restriction sanitaires pour
ses équipes, sa gouvernance lutter contre l’épidémie de Covid-19, le ministre de la Santé,
et ses valeurs sont Olivier Véran, a pris la parole jeudi soir pour faire un point
sur la situation épidémique, accompagné du directeur gé-
particulièrement choquants.» néral de la santé, Jérôme Salomon. «La situation épidémio-
logique est grave, a insisté ce dernier en préambule. La deu-
xième vague de la pandémie est brutale sur tout le C’est ainsi que l’on nomme un certain type
continent : la France est le pays d’Europe qui compte le plus d’étoile à neutron doté d’un champ magnétique
grand nombre de cas, cette deuxième vague concerne tous
Philippe Varin particulièrement intense. Et l’un d’entre eux est
les territoires. Toutes les régions sont concernées.» Ainsi, se-
président de Suez, le suspect idéal dans l’enquête sur les «sursauts radio
lon Jérôme Salomon, un peu plus de 3 000 nouveaux mala-
répondant à son homologue
des ont été hospitalisés ces dernières vingt-quatre heures, rapides» (fast radio bursts) qui durait depuis 2007.
AFP

de Veolia, Antoine Frérot


et 447 patients ont été admis en réanimation ou soins in- Cette année-là, on découvrait dans les archives de
Le ton monte dans la bataille financière de l’année. Jeudi tensifs. «La France teste massivement, plus de 2 millions
matin, Philippe Varin, le président de Suez, s’est fendu de tests par semaine, l’épidémie est massive et plus de 20 %
l’observatoire australien Parkes un signal radio capté
d’une lettre gratinée à Antoine Frérot, le PDG de Veolia. des tests reviennent positifs, a ajouté le DGS. L’épidémie pro- six ans plus tôt. D’une durée de 5 millisecondes, on
Depuis fin août, Suez, numéro 2 français de la distribution gresse : […] il revient à chacun d’entre nous d’agir en appli- ne savait pas ce qui avait bien pu le causer. Pour la
d’eau et du traitement des déchets, est la cible d’une offre quant les gestes barrières.» Même tonalité de crise dans la première fois, une équipe a pu localiser la source d’un
publique d’achat du numéro 1 du secteur, Veolia. Les noms voix du ministre de la Santé. «La situation est très sérieuse,
d’oiseaux volent entre les deux camps depuis le début de la deuxième vague n’est pas une abstraction, elle est là et vio-
tel signal, émis en avril … à l’intérieur même de la
la bagarre. Mais dans ce courrier adressé par Varin à Frérot, lente, a souligné Olivier Véran, masqué. En respectant les Voie lactée, alors que tous les signaux précédents
la tension monte encore d’un cran. règles sanitaires et les gestes barrières, les Français aident semblaient provenir d’autres galaxies plus lointaines.
A lire sur Libération.fr les soignants, les Français aident les Français.» A lire sur Libération.fr
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.f 16 u Libération Vendredi 6 Novembre 2020

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01 87 39 80 20 Libération est officiellement habilité pour l’année 2020 pour la publication des annonces
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Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Novembre 2020 www.liberation.fr  facebook.com/liberation  @libe u 37 Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Novembre 2020 www.liberation.fr  facebook.com/liberation  @libe u 23

Modification des modalités de la réunion de restitution du public


Page 40 : Dulce Maria Cardoso / Les fantômes de Salazar Pages 26-27 : Plein Cadre / Alberto di Leonardo, trésors cachés
Page 41 : Federico García Lorca / Feuilles volantes inédites Page 28 : Ciné / João Pedro Rodrigues, ses «Vertes Années»
Page 44 : Jean Teulé / «Pourquoi ça marche» Page 30 : DVD / Masaki Kobayashi, «Condition» nécessaire

SERVICE du 24 novembre 2020 en raison de la crise sanitaire


ECO-RESPONSABLE.
Par
MATHIEU LINDON

M
La réunion de restitution, relative à la participation du public par voie
es souve-
nirs sur
Hugo et
F l a u -
bert : ce titre est apocryphe
et juste. L’Anglaise Gertrude
Tennant, née Collier, a ren-
contré, avec sa sœur Hen-
riette, Gustave Flaubert et

RENDU DES LIEUX électronique sous l’égide de la Commission Nationale du Débat Public
sa sœur Caroline, tous deux
alors la beauté même,
l’été 1842, à Trouville «qui
était à l’époque un coin dé-
solé». Ils ont tous les quatre
autour de 20 ans et, avec de
longues interruptions, reste-
ront proches jusqu’à la mort
de Gustave en 1880 (celle de
sa cadette Caroline étant sur-
venue dès le 22 mars 1846).

concernant l’opération de réaménagement des espaces publics de la Porte


Quand Flaubert apparaît
dans la vie des sœurs Collier,

PROPRES. DEVIS
il n’est pas un écrivain et
la très croyante et très conve-
nable Gertrude sera horri-
fiée quand il lui enverra
quinze ans plus tard le roman
qu’elle s’obstine à appeler
«Madame de Bovary» : elle est
stupéfaite «que vous ayez pu

Maillot, du parc public de stationnement de la Porte Maillot et de ses accès, Paris


prendre plaisir à écrire quel-
Gertrude Tennant par Eveleen Myers (née Tennant). COLLECTION PARTICULIÈRE

que chose de si hideux que ce


livre ! Je trouve tout cela si
mauvais ! – et le talent que
vous y avez mis rend ce livre
doublement détestable !!».

GRATUIT.
Le chien de Flaubert
En 1884, Flaubert mort de-
puis quatre ans, Caroline
Commanville, la fille de Ca-
roline, écrit à Gertrude Ten-

16ème et 17ème arrondissements, se tiendra sous la forme d’une webconférence


nant pour lui demander les

et le parapluie d’Hugo
lettres conservées de son

JEU VIDÉO
oncle en vue de la publica-
tion de sa Correspondance.
Gertrude Tennant rédige

Souvenirs retrouvés
alors pour la nièce de l’écri-
vain, vers 1885-1886, des Sou-

Tournez
venirs sur Gustave Flaubert.
Quant au texte (beaucoup

 
plus long, sur Victor Hugo

de Mrs Gertrude
qu’elle a beaucoup moins
connu), il relate surtout une

en ligne le mardi 24 novembre 2020 à 19h30. Inscription et informations


rencontre à Paris quand

manettes
elle était adolescente, puis
l’été 1862 à Guernesey où le

Tennant
ILLUSTRATION ASEYN

grand homme était exilé et


où la si prude Gertrude arrive
à susciter l’agacement de
l’amante Juliette Drouet qui,
cite Jean-Marc Hovasse dans
sa postface, Suite page 38

46 u Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Novembre 2020 Libération Samedi 7 et Dimanche 8 Novembre 2020 www.liberation.fr  facebook.com/liberation  @libe u 47 EVS DÉBARRAS EST À complémentaires depuis le site http://ppve.maillot.contribuez.net.
 VOTRE ÉCOUTE POUR EP 20-072 E enquete-publique@publilegal.fr
Grenade VOUS ACCOMPAGNER
nouvelles feuilles, fleurit et porte des comme le chawarma de poulet ou
fruits», écrit Sinan Antoon. Dans sa de bœuf. «Le coulis de grenade
préface, il cite ce hadith : «Il n’est de faisait partie des provisions que
grenade qui ne contienne une graine toute réserve rurale ou urbaine
des grenades du paradis.» devait renfermer pour parer au ci-
tron quand il venait à manquer ou
Clochettes joyeuses. «La gre- quand il était onéreux, écrit
nade est un fruit fédérateur» dit l’anthropologue Aïda Kanafani-Za-

perle de cultures
Noha Baz qui vient de lui consacrer har dans sa magnifique somme
un délicat opuscule aux éditions de le Grand Livre du mezzé libanais (5).
l’Epure (4). Cette pédiatre, passion- […] Aujourd’hui, il est utilisé comme

AU
née de cuisine, partage son temps une attestation de bon goût.»
entre la France et le Liban. On lui On l’aura compris, la grenade est
devait déjà la Nuit de la pistache : beaucoup plus qu’un fruit. C’est
Alep, souvenirs et gourmandises (éd. une pomme de concorde en
Noir Blanc et caetera) où elle racon- cuisine. Qui inspire les plus grands
Par
JACKY DURAND Symbole de fertilité, ce fruit scientifique, Stéphane Lagorce
explique : «Etrange fruit que la gre-
tait Alep, la perle syrienne de son
enfance depuis dévastée par la
chefs étoilés comme le magicien
Pierre Gagnaire, interrogé au dé-
Photo
CARMEN MITROTTA de saison, dont les graines nade qui fait se côtoyer l’amertume
des tanins avec la délicatesse d’un jus
guerre. Elle y revient pour évoquer
ses souvenirs liés à la grenade : «En
botté sur le sujet ce lundi : «Il fau-
drait l’essayer avec l’huître.» •
rouges et juteuses se révèlent hors du commun. Notez bien que franchissant le perron de la grande

Q
uand revient la sai- tous les composés amers dont per- maison d’Alep, nous pouvions voir les (1) Ed. Homo Habilis (2020), 30 €.
son de la grenade, on
se souvient de notre
une fois ouvert, habite sonne ne veut se trouvent dans les
membranes, les loges et les pépins.
grenadiers se profiler comme un
tableau juste en face de l’entrée, dans
(2) Ed. Actes Sud (2019), 19,90 €.
(3) Ed. Actes Sud (2017), 22 €.

 
première rencontre.
C’était hier, c’était il y a un siècle. Un
les mythes et les croyances de Ainsi, si vous faites du jus, il ne faut
pas (trop) presser ces parties-là sous
l’embrasure de la fenêtre côté jardin.
Leurs branches se couvraient, dès la
(4) «La grenade, dix façons de la prépa-
rer», éd. de l’Epure (2020), 8 €.
peu avant Noël. Une ruelle étroite
au sol glissant de gel. On s’y aventu-
la Grèce antique à l’Egypte. peine d’en extraire les fameux tanins
et vous retrouver avec un brouet im-
fin du mois de juin, de fleurs rouges
majestueuses ; clochettes élégantes et
(5) Ed. Actes Sud (2020), 35 €.

rait pour les grandes occasions de la


bectance parce que s’y trouvait la
Présent dans la Bible buvable. La chose à ne surtout pas
faire est de mixer les arilles comme
joyeuses. Le premier donnait des
fruits opulents, aux arilles grenat et
seule épicerie fine de la petite ville.
C’était un modeste couloir glacial,
et le Coran, il regorge de on voit parfois : c’est la meilleure ma-
nière d’aller “chercher” les tanins.
au jus acide tandis que le second en
produisait de plus petits, couleur
mais c’était la caverne d’Ali Baba et souvenirs lointains, régale Non, utilisez plutôt un presse-purée. jaune orangée qui nous surprenaient
les Quarante Senteurs. Des bocaux En fait cette situation est exactement une fois épluchés par leur douceur et VU DANS LA
d’épices bigarrées dont on ignorait la cuisine levantine et séduit celle des vignerons qui doivent pres- leur parfum vanillé.» Elle narre la
NEWSLETTER
tout, nous qui ne connaissions que ser le raisin pour en tirer le jus… sans récolte qui commençait au début de
le poivre du moulin à tout faire. Des les chefs. Revue de plaisirs. prendre les tanins dits “végétaux”.» l’automne : «Plus les fruits étaient «TU MITONNES»

06 89 68 71 43 
légumes secs dans d’opulents sacs C’est peu dire que la grenade est un lourds et plus la chair promettait
en toile de jute. Des tresses de pi- fruit d’actualité : confinée dans sa d’être pulpeuse. Mon grand-père
ments dont on redoutait le feu en négligemment le beau fruit dans un son Grand Précis des fruits à éplu- peau rebelle d’automne, furieuse- m’expliquait qu’une grenade mûre se LES PÉCHÉS
bouche. Des fruits confits et d’autres sac en papier kraft. Sans bonsoir, ni cher (1). Il faut dire que le spectacle ment emblématique des régions du reconnaît au bruit métallique qu’elle MIGNONS DE…
secs, convoquant le bonheur des merde. On n’était bien trop fauchés mérite le détour tant elle peut paraî- monde les plus tourmentées : de produit lorsqu’on lui tape dessus.» KIM JONG-UN,
dattes et des pruneaux fourrés à la pour être des clients fidèles et inté- tre belle et mystérieuse, une fois l’Afghanistan au Levant en passant N’en déplaise à Alexandre Dumas DICTATEUR
pâte d’amande. Et surtout, des fruits ressants, et mériter des courbettes. coupé le cuir de son péricarpe. Son par le Caucase. Présente depuis la qui, dans son Grand Dictionnaire de NORD-CORÉEN
inconnus, d’autant plus intrigants jus nous subjugue autant que son nuit des temps dans les croyances cuisine, voit en elle un simple orne-
dans la morne litanie hivernale des Cadre de ruche. Autant l’avouer intérieur nous déroute tel un cadre et les religions des hommes en sym- ment de compotier ; la grenade est – Sushis
pommes et des poires. C’est ainsi sans détour, notre première gre- de ruche avec ses alvéoles où sont bole de fertilité. «Chez les Grecs, la un formidable fruit à tout faire – Soupe de requin
que, parmi eux, on découvrit la belle nade fut un désastre total. La logés les arilles, ces petites perles de grenade est l’attribut d’Aphrodite, comme l’évoque Noha Baz dans ces – Steaks de bœuf
rouge, telle une éclatante boule de daronne avait ferraillé pour l’ouvrir gourmandise contenant les pépins donc un symbole de l’amour. Elle est recettes qui vont des «lentilles à la de Kobé
sapin de Noël, insolente de brillance avec son grand couteau en décré- (pardon, les graines du fruit) que aussi dans le Cantique des Canti- coriandre et grenade» à la «salade de – Caviar
sous l’affreux néon de l’épicerie. tant «mais c’est dur comme du certains mangent et d’autres recra- ques où le roi Salomon, qui en savait grenade à la rose» en passant par – Emmental suisse
«C’est une grenade», grogna le tau- chien». Et nous, on s’était précipité chent. Tout à la fois cuisinier et long sur la question, l’a quatre fois «l’agneau aux fruits et à la grenade». – Champagne cristal
lier aussi morne et gris que la pierre aveuglément sur l’intérieur du fruit, évoquée à propos de la Sulamite [sa Elle a une tendresse toute particu- de Roederer
de taille de la ruelle. La daronne sans faire de distinction sur son bien-aimée, ndlr], écrit Farouk Mar- lière» pour ce qu’elle appelle «le des- – Cognac
tordit un peu du nez quand on
secoua le bas de son manteau
contenu. C’était imbouffable, af-
freusement amer avec, certes un
«Avant d’être fruit, dam-Bey dans sa remarquable Cui-
sine de Ziryâb (2). […] Ajoutez à cela
sert du 4 décembre» : «De l’épeautre
et de la grenade, qui marquait aussi Source : La Tribune
en forme de supplique : «Ça se éclair de jus sucré, mais qui n’avait la grenade a été qu’avant d’être fruit, la grenade a été le début des festivités de Noël et le de Genève.
mange comment ?», murmura-t-elle. absolument rien à voir avec ce que la plus resplendissante des fleurs, la jour où le sapin était posé et décoré.»
«Comme tous les fruits, vous l’ouvrez l’on appelait faussement du sirop de la plus jullanâr, tant célébrée par les poètes L’un de ses autres «émerveillements» A retrouver également
et vous mangez l’intérieur» asséna
l’épicier agacé. Arriva la question
grenadine, puisqu’il s’agissait seule-
ment de sirop de fruits rouges.
resplendissante persans et arabes.»
On a déjà écrit le bonheur ému que
était la «confection de la mélasse de
grenade. Les graines étaient pressées
dans la newsletter
«Tu mitonnes»,
cruciale. «Ça coûte combien ?» «Cinq A l’époque, on n’avait rien compris des fleurs, fut la lecture de Seul le grenadier de à travers des sacs en étamine et le envoyée chaque
vendredi
francs la pièce.» Autant dire une for-
tune pour nous autres bouffeurs de
à la délicieuse singularité de la gre-
nade. «Parmi tous les fruits bizarroï-
la jullanâr, Sinan Antoon (3), un écrivain ira-
kien qui vit aujourd’hui aux Etats-
coulis obtenu cuisait pendant plus
de sept heures dans une bassine en aux abonnés
patates. Surtout que le vendeur des et étrangeoïdaux que Dame na- tant célébrée par unis. C’est un récit où la vie et la cuivre». de Libération :
avait appuyé sur «la pièce», syno- ture aime à nous mettre sous le nez, mort sont insécables, à l’ombre d’un le menu VIP, la quille
nyme à l’époque de rareté et de la grenade est probablement celui les poètes persans grenadier qui boit l’eau qui a servi «Réserve rurale». Cette mélasse, de la semaine, le tour
cherté. La daronne approuva d’un
signe de tête, stoïque. Mais nous, on
qui est à la fois le plus connu et le
moins fréquenté. Découvrez ce petit
et arabes.» à laver les défunts. «Comme il est
étrange, cet arbre ! Il boit les eaux de
appelée dib’s il rummên ou rub il-
rummên en arabe, fait des mer-
de main, des adresses,
la recette du week-end…
savait combien ça lui coûtait dans prodige soufflant le chaud et le Farouk Mardam-Bey la mort depuis des décennies, et tous veilles sur les salades comme le ta-
son silence. Le taulier emballa froid», écrit Stéphane Lagorce dans dans la Cuisine de Ziryâb les printemps, il se couvre encore de boulé ou le pourpier, les viandes

COLLECTIONS
C’est le - Avis -
week-end Adoption de la déclaration de projet relative à la démolition et reconstruction
CONSEIL DE PARIS
Rendez-vous chaque samedi dans en résidence sociale du foyer de travailleurs migrants « Paris-Gergovie », 14ème
arrondissement, emportant mise en compatibilité du PLU de Paris.
Par délibération du Conseil de Paris n° 2020 DU 35 des 6, 7 et 8 octobre 2020,
a été adoptée la déclaration de projet relative à la démolition et reconstruction
en résidence sociale du foyer de travailleurs migrants « Paris-Gergovie », 14ème
arrondissement, emportant mise en compatibilité du PLU de Paris.
ACHETE Cette délibération est affichée pendant 1 mois à l’Hôtel de Ville de Paris et à

COLLECTIONS la Mairie du 14ème arrondissement de Paris..


Le dossier comportant cette délibération, accompagné de ses annexes, est
DE TIMBRES tenu à la disposition du public à la Mairie de Paris, Direction de l’Urbanisme,
Bureau d’Accueil et Service à l’Usager (BASU), 6 promenade Claude Levi
Tous pays Strauss, Paris 13ème, 1er étage, sur demande à : DU-RDV-BASU@paris.fr
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21h05. Koh-Lanta : Les 21h05. Fort Boyard. Jeu. 21h05. Familles nombreuses : tél. : 01 87 25 95 00
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Minne, Sarah Lelouch. 23h10.
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Libération
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Hoffman. 23h30. L’affaire Le grand partage. Film. Denis Olivennes
FRANCE 3 Thomas Crown. Film. III
21h05. La boîte à secrets. 6TER Directeur de la publication
Divertissement. Présenté TMC 21h05. Les Simpson. Dov Alfon
par Faustine Bollaert. 23h20. 21h15. Rizzoli & Isles : Dessin animé. Homer homme IV
Directeur de la rédaction
L’incorrigible. Aventures. Autopsie d’un meurtre. Série. d’affaires. La solution à 10%. Dov Alfon
Avec Jean-Paul Belmondo. Derrière l’armure. Argent Mon père avait tort. 22h20.
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21h00. À couteaux tirés. meurtre. Série. 2 épisodes. CHÉRIE 25 Paul Quinio
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Directeurs adjoints
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ARTE Charleville-Mézières. 23h00. 21h05. Ultimate Airport Directeur artistique
20h55. The Bookshop. Enquête d’Action. Magazine. Dubai. Documentaire. Nicolas Valoteau VIII
Drame. Avec Emily Mortimer, 2 épisodes. 22h55. Ultimate
Bill Nighy. 22h45. Pop fémi- NRJ12 Airport Dubai. Documentaire. Rédacteurs en chef
nisme. Documentaire. Des 21h05. Profilage. Série. Dans
Michel Becquembois IX
LCP (édition), Christophe
militantes aux icônes pop. la lumière. Sortir de l’ombre. Boulard (technique),
23h15. Profilage. Série. 20h30. Dé-con-fi-nés ! Sabrina Champenois
M6 Lire pour s’en sortir. (société), Guillaume X
21h05. NCIS. Série. L’honneur C8 Documentaire. Prison Louvre. Launay (web), Christian
Losson (enquêtes)
du soldat. Boom. 22h50. 20h50. Rugby : Toulon / 21h45. Le jour d’après. Maga-
NCIS. Série. Les compères. Brive. Sport. 8e journée - zine. François Saltiel. 22h00. XI
Rédacteurs en chef adjoints
Lesmauvais garçons. La bri- Top 14. 22h45. Enquête sous Messieurs les censeurs, Jonathan Bouchet-
gade d’honneur. Pour Diane. haute tension. Magazine. bonsoir ! . Documentaire. Petersen (France),
Lionel Charrier (photo), Grille n° 1669
Cécile Daumas (idées), HORIZONTALEMENT
Vittorio De Filippis I. Créateur d’airs inspirés d’air expiré II. Galantes chez Rameau #
(monde), Gilles Dhers Aux cruciverbistes quand le verbicruciste écrit aux cruciverbistes
(web), Fabrice Drouzy
(spéciaux), Matthieu III. H # Hors du clergé IV. Le 126e est à Brive # Des chiots se bala-
dent dans cette ville olympique V. Environ trente grammes # Il fit
VENDREDI 6 SAMEDI 7 Ecoiffier (web), Didier
Péron (culture), Sibylle tout pour que gémisse génisse VI. Elle complète l’histoire # Je
Le soleil s'impose après dissipation des Le temps se dégrade par le sud-ouest. De Vincendon (société) suis deux fois son double # Après une entrée dans le dictionnaire
nuages bas. On observe quelques gelées fortes pluies orageuses se produisent sur le VII. Il ne tue pas dans l’œuf mais juste après VIII. Il y en a un à Aix,
dans le nord-est. Des entrées maritimes Roussillon et le vent matin souffle fort. Abonnements Rennes, Lyon, Bordeaux, Toulouse… # Annonce IX. Il fait du bien là
envahissent le Roussillon et le vent marin se Ailleurs, le soleil s'impose. Site : abo.liberation.fr où ça fait mal X. On y entend plus de tops que de flops XI. Surélevés
abonnement@liberation.fr VERTICALEMENT
lève. L’APRÈS-MIDI Les pluies sont parfois fortes tarif abonnement 1 an 1. Vieille marque au mur 2. Déesse de l’Atlantide # Ce mot est dans
L’APRÈS-MIDI Un bel après-midi printanier sur les Pyrénées et le Languedoc Roussillon, France métropolitaine : 384€
tél. : 01 55 56 71 40 les définitions 3. D’aucuns ont une certaine (n)ostalgie pour elle # Ce
notamment au sud de la Loire avec la mise notamment sur les Cévennes. Les averses peintre allemand sonne comme une ville grecque 4. Celui qui le paie
en place du flux de sud-est. Quelques remontent vers la Bretagne. Le beau temps est prévenu # Met sous terre avant le précédent # Deux-roues italien
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averses concernent le littoral du Roussillon. se maintient sur le nord-est. Altice Media Publicité - en sont des virtuoses 6. Organisation qui défend une autre vision du
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80064. ISSN 0335-1793.
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Soleil Éclaircies Nuageux Pluie Couvert Orage Pluie/neige Neige Origine du papier : France
Taux de fibres recyclées : 7 4 2 7
100 % Papier détenteur de 33
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Caen 2 11 Bordeaux 10 20 Berlin 8 11 La responsabilité du 1 357
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Brest 5 13 Toulouse 13 18 Bruxelles 4 11 journal ne saurait être 2 6 1
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Nantes 6 16 Montpellier 11 18 Jérusalem 14 19 engagée en cas de non- 4 899
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5 1 d’hier 7 8 2 1 3 5 9 4 68 9 5 7 6 4 2 1 3
restitution de documents. 5 3 7 4 9 1 8 2 6 6 4 3 2 9 1 5 7 8
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18 u Libération Vendredi 6 Novembre 2020

Idées/
des besoins ­humains à l’aune des
crises environnemen­tales, sociales
et politiques. Une thèse qui redou-
ble d’actualité à l’heure de la pandé-
mie de Covid-19.
Pour le sociologue à l’université de
Bordeaux, s’interroger sur ce qu’est
un besoin authen­tique, ou «quali-
tatif» pour reprendre la formule de
la philosophe Agnès Heller, c’est
dessiner une politique de l’émanci-
pation à l’égard du capitalisme,
­notamment, qui ne cesse de réo-
rienter nos modes de vie vers l’in-
satiable désir de consommer. Car
que révèle, au fond, le débat sur les
«produits de première nécessité»
– et la pénurie de papier toilette
qu’il engendre – sinon notre alié-
nation à la consommation et le be-
soin pour nos entre­prises d’écouler
continuellement des stocks de
marchandises, quand la produc-
tion culturelle semble avoir été ré-
David Malan. Getty Images

duite au statut de «denrée non es-


sentielle » ? Au même moment, la
«dérogation» au confinement ac-
cordée aux chasseurs achevait de
démontrer le caractère politique de
l’activité essentielle.
La définition des besoins essentiels
n’est pas qu’une affaire d’experts
technocrates, elle se situe au croise-
ment de la subjectivité de chacun,
l’expérience sociale qu’il en fait. Et,
c’est la difficulté du moment, du

Qu’est-ce qu’un risque de contamination qui lui est


associé. Or trop peu d’études scien-
tifiques sont à ce jour en mesure de
prouver si les librairies, les salles de

«besoin essentiel» ?
cinéma et les musées sont des hauts
lieux de contamination au Co-
vid-19, contrairement au milieu
scolaire ou au travail. Un besoin es-
sentiel, ce n’est pas seulement un
objet consommable, à épuiser et à
A se focaliser nistre a finalement décrété que la les jardinières sont-ils des objets métrie variable.» Tout le monde ne recommander. «L’existence est l’es-
sur les produits vente en grandes surfaces des pro- ­nécessaires à la vie confinée au se fait pas la même idée du néces- sentiel», disait Soren Kierkegaard.
duits vendus par les commerces même titre que le riz, le lait ou la fa- saire et du superflu. Passé le strict Il y aurait donc autant d’essentiels
consommables «non essentiels» est interdite. Les rine ? Au printemps, lors de la sai- minimum vital, ce qui est indispen- que d’existences.
des supermarchés, rayons «non alimentaires» des gran- son 1 du confinement, la question sable pour l’un – s’abonner à la nou- Alors, certes, il faut que le corps
n’oublie-t-on pas des surfaces doivent fermer et le res- s’était déjà posée, certes avec moins velle chaîne Téléfoot ou se procurer puisse se nourrir correctement pour
une forme de vie teront tant que les commerces «non de virulence – la mesure avait été le dernier Goncourt – peut paraître fonctionner, mais «on peut mourir
plus subjective, essentiels» n’auront pas rouvert. Cer- plus stricte et moins discutée. Sur totalement déraisonnable pour de chagrin, de séparation, de deuil,
moins saisissable tains étaient déjà fermés dans plu- France Culture, la journaliste Géral- l’autre. «Non seulement l’essentiel et on sait que “l’attachement” est la
mais tout aussi sieurs supermarchés depuis la colère dine Mosna-Savoye en avait fait n’est pas, par essence, essentiel, condition de notre vie subjective,
des ­libraires, comme les rayons de une question d’ordre philosophi- ­essentiel en soi, aux yeux de tous, donc de notre vie, tout court», rap-
indispensable ? produits culturels. Il n’est donc plus que. «La liste de courses est un très mais en plus, il semble avoir cette pelait le philosophe Frédéric
possible d’acheter un livre chez Le- bon exemple de cet essentiel à géo- capacité de nous séparer les uns Worms dans Libération en mars.
clerc, Carrefour ou Auchan. Même des autres, remarquait la chro­- Huit mois plus tard, on ne s’est ja-
Par chose pour les Playmobil et les Lego, niqueuse. Quand on y pense, com- mais autant préoccupé des risques
Simon blin comme l’avait réclamé la fédération La définition des ment d’ailleurs être encore d’accord psycho-sociaux dus à la crise sani-
des marchands de jouets. Et puisque sur l’essentiel quand il semble si di- taire. La fermeture des commerces,
besoins essentiels
L
a saison 2 du confinement est les magasins de prêt-à-porter sont vers, si élastique ?» le couvre-feu et le reconfinement
déjà marquée par un premier
épisode épique. Un grand mo-
fermés, les rayons textiles vont l’être
aussi. Décoration, électroménager…
n’est pas qu’une Qu’est-ce qui relève du primordial
ou de l’inutile, de l’indispensable ou
abolissent tout un régime d’expé-
riences et de besoins vitaux qui leur
ment de planification ­réglementaire la liste est longue. affaire d’experts du superficiel ? La question ne con- sont inséparables : parler, se mou-
sur une question apparemment in- Qu’est-ce qu’un «produit essen- naît pas de réponse absolue – il n’y voir, s’aérer l’esprit, s’émerveiller
nocente : «Qu’est-ce qu’un “besoin tiel» ? A priori, la question paraît fa- technocrates, a pas de bon et de mauvais besoin devant une œuvre d’art ou un spec-
­essentiel”» ? Le week-end dernier, cile. L’eau, le savon… Tout ce dont elle se situe en soi – mais a le mérite de poser un tacle. Des manières d’être parfois
cette notion a conduit Jean Castex on ne peut faire l’économie. Et puis problème politique. Dans les Be- insaisissables mais indispensables.
à un bras de fer avec les petits com- à voir les débats agités sur les ré- au croisement soins artificiels. Comment sortir du Une «soif de l’essentiel» face à la-
merçants, outrés de la fermeture de
leurs boutiques quand les supermar-
seaux ­sociaux et les plateaux télé,
rien ne paraît plus compliqué. Les
de la subjectivité consumérisme (Zones, 2019), le so-
ciologue Razmig Keucheyan propo-
quelle les stocks de survie alimen-
taire et hygiénique paraissent bien
chés restent ouverts. Le Premier mi- livres, le matériel informa­tique et de chacun. sait ainsi de repenser une théorie dérisoires. •
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 19

Islamisme,
fits, l’instance que l’on ne peut qu’un homme a dit non à une ­ onciliation que les crimes de
c
soupçonner d’un quelconque tentative d’asservissement de la colonisation avaient rendue
gauchisme étant probable- son semblable, je me suis senti ­extrêmement difficile. Bref,
ment noyautée par des isla­- solidaire de son acte. En au- nous sommes très éloignés du

où est le déni des mistes dissimulés!


Cette tribune rejoue, une fois
encore, une vieille rengaine,
celle du choc des civilisations :
cune façon je ne dois tirer du
passé des peuples de couleur ma
vocation originelle. […]. Ce n’est
pas le monde noir qui me dicte
«prêchi-prêcha».
Enfin, un mot sur la «haine des
Blancs». Cette accusation est
non seulement stupéfiante si

universitaires ? «haine des Blancs», «doxa anti-


occidentale», «multicultura-
lisme» (!), voilà les ennemis
dont les universitaires se récla-
ma conduite. Ma peau noire
n’est pas dépositaire de valeurs
spécifiques.» Nous devons
choisir le débat plutôt que l’in-
elle veut rendre compte des
travaux universitaires, mais
elle contribue à l’essentialisa-
tion «racialiste» qu’elle dé-
meraient, ou qu’ils laisseraient vective. nonce. En effet, elle donne une

C
Dans une tribune omment peut-on pré- prospérer, jusqu’à saper ce qui Quant à l’obsession anti-multi- consistance théorique à l’appa-
publiée par le «Monde», tendre alerter sur les fait le prix de notre mode de culturaliste («prêchi-prêcha», rition d’un nouveau groupe, les
dangers, réels, cela va vie. Au demeurant, les signa- écrivent-ils), elle est ignorante Blancs, qui auparavant n’était
une centaine sans dire, de l’islamisme en se taires de la présente tribune de ce qu’est vraiment ce cou- pas reconnu, et ne se recon­-
de professeurs référant aux propos confus et sont profondément attachés rant intellectuel. A de nom- naissait pas comme tel. Dès
et de chercheurs injurieux de Jean-Michel Blan- aux prin­cipes de la République breux égards, ce dernier pro- lors, en présupposant l’exis-
dénoncent les «idéologies quer ? Or, une récente tribune et, en l’espèce, à la liberté de pose une conception de tence d’une idéologie racialiste
indigénistes, racialistes du Monde, au lieu de contri- conscience et d’expression. l’intégration différente de celle anti-française, anti-blanche,
et décoloniales» buer à une nécessaire clarifica- C’est au nom de celle-ci qu’ils cherchant à assimiler pour on inverse les termes victi­-
de leurs pairs, lesquelles tion, n’a pas d’autre fonction se proposent de dénoncer les égaliser. Il est donc infondé de maires en faisant de la culture
que de soutenir un ministre approximations de leurs collè- le confondre avec une vision dominante une culture assié-
mèneraient au qui, loin de pouvoir se préva- gues. ethno-culturelle du lien poli­- gée. Ce tour de passe-passe
terrorisme. Les auteurs loir d’une quelconque exper- Concernant l’indigénisme, sa tique. Restituer à l’égal sa diffé- idéologique ne peut servir que
rejouent ainsi la rengaine tise sur les radicalités contem- principale incarnation, le Parti rence, tel est le projet du multi- l’extrême droite identitaire.
du choc des cultures poraines, mène en outre une des indigènes de la République culturalisme, destiné en Toutes nos remarques, cri­-
qui ne peut servir politique régressive pour (PIR), a totalement échoué définitive à aller plus loin dans tiques montrent qu’au lieu
que l’extrême droite. l’école, c’est-à-dire indifférente dans sa volonté d’être audible l’instauration de l’égalité que d’amorcer un nécessaire débat,
identitaire. à la reproduction des ­inégalités dans nos enceintes universi­- n’était parvenue à le faire la la tribune ici analysée témoi-
socio-culturelles dont s’accom- taires. Chacun sait bien que ­solution républicaine clas­- gne du déni dont pourtant des
mode l’idéologie méritocrati- l’écho des thèses racistes, anti- sique. Le meilleur de ce projet, intellectuels non clairement
Par que. Faire oublier cette politi- sémites et homophobes de mais non nécessairement sa identifiés sont accusés.
Alain POLICAR que en détournant l’attention, Houria Bouteldja est voisin de pente naturelle, est sa contri- ­Comment interpréter ce
Chercheur associé au Centre de d’autres que lui l’ont fait. Il zéro. Quant au décolonialisme, bution à ce que l’un de nous ­«manifeste» autrement que
recherches politiques de Sciences-Po convient seulement de ne pas auquel l’indigénisme se ratta- nomme la «décolonisation des comme un appel
(Cevipof) être dupe. che mais qui recouvre quanti- identités» (Alain Renaut), à censurer ? •
Car que disent les auteurs (cer- tés d’autres thématiques, il re-
tains d’entre eux, fort estima- présente bien un corpus
bles, ont probablement oublié structuré. Néanmoins, les étu-
de relire) ? Que «l’islamo-gau- des sur son influence dans nos
chisme», ni défini ni corrélé au campus concluent le plus sou-
moindre auteur, est l’idéologie vent à un rôle marginal. Et,
«qui mène au pire», soit au ter- quoi qu’il en soit, ses proposi-
Demain
dr

dr

rorisme. Ceux qui la propagent tions méritent débat parce


ALAIN RENAUT dans nos universités, «très qu’elles se fondent sur une réa-
Philosophe, université Paris-IV puissants dans l’enseignement
supérieur», commettraient
lité indiscutable : celle de
l’existence d’injustices «épisté-
matin,
Sorbonne
d’irréparables dégâts. Et l’on
invoque pêle-mêle l’indigé-
miques», c’est-à-dire d’injus­-
tices qui se caractérisent par le monde
nisme, le ­racialisme et le déco- les inégalités d’accès, selon LES
lonialisme, sans le moindre
souci de complexification, ni
l’appartenance raciale ou de
genre, aux positions acadé­-
aura MATINS
DU SAMEDI
même de définition, souci non
utile tant le symptôme de la
miques d’autorité.
D’une façon générale, il ne fait
changé. 7H -9H

supposée gangrène serait aisé- aucun doute que la commu- Caroline


ment repérable : le port du nauté scientifique a, dans le Broue
voile. passé, largement légitimé
Plus de trente ans après l’af- l’idée de la supériorité des Avec la
chronique de
faire de Creil, et quantité de hommes sur les femmes, des
Jacky Durand
travaux ­sociologiques, on n’hé- Blancs sur les Noirs, des «Occi-
"Les
site donc toujours pas à nier dentaux» sur les autochto-
mitonnages"
l’équivocité de ce signe d’ap- nes, etc. Mais, à partir de ce
partenance pour le réduire à constat, les décoloniaux refu-
un outil de propagande. Cher- sent la possibilité d’un point de
cher à comprendre, au lieu de vue universaliste et objectif au
© Radio France/Ch. Abramowitz

condamner, serait une mani- profit d’une épistémologie qui


festation de l’esprit munichois. aurait «une couleur et une En
Que la Conférence des prési- sexualité». Ce faisant, ils ou- partenariat
dents d’université (CPU) pro- blient Frantz Fanon dont pour- avec
L’esprit
teste contre les déclarations du tant ils revendiquent l’héri- d’ouver-
­ministre, en rappelant utile- tage : «Chaque fois qu’un ture.
ment la fonction des cher- homme a fait triompher la
cheurs, passe par pertes et pro- ­dignité de l’esprit, chaque fois
20 u Libération Vendredi 6 Novembre 2020

Idées/
choc de les découvrir avec mas- du troisième bébé, et ­l’adoption le K. Brown) et les personnages noirs
ques et gel dans ce premier épi- même jour par le couple Pearson du de la série, William, Beth, Déjà,
sode de la saison 5 ! Au moins dans bébé afro-américain abandonné. Malik.
les scènes consacrées à leurs tri- Cette saison 5, dont le tournage a Rappelons que la réflexivité de
bulations présentes, car la série se démarré en septembre, se branche The Walking Dead tenait à ce que
construit entre différentes tem­- de manière étonnante (même pour la série nous faisait comprendre
poralités – celle de l’enfance des cette série très réaliste) sur l’actua- de nous et de notre transfor­-
personnages centraux, les «Trois», lité. This Is Us n’a jamais aupa­- mation morale progressive.
Kate, Kevin et Randall, faux triplés ravant évoqué le contexte poli­- This Is Us nous fait ainsi revenir
qui sont censés fêter leurs 40 ans tique. L’épisode nous y plonge en sur notre propre attachement à la

Philosophiques lors de cet épisode ; celle de la jeu-


nesse de leurs parents, Rebecca et
trois temps : une déclaration de
Madison, enceinte de Kevin suite
famille Pearson, ancré dans le
geste multiplement caring d’adop-
Jack Pearson ; celle enfin, paral- à un coup d’un soir : «Ça arrive tion de Randall qui aboutit à un
lèle, de la tragédie du père biolo­- juste au moment où le monde déni de sa couleur. Randall est
gique de Randall, William – qui a ­entier s’effondre.» «Tu parles du dans un moment sceptique, de
Par conduit ce dernier à abandonner ­virus ?» demande Kevin. Précision doute sur ce qu’il est et d’où il
Sandra Laugier le nouveau-né, déposé dans la nécessaire, le monde s’écroule aux vient – l’affaire George Floyd le
Professeure de philosophie à l’université grande tradition mélo devant une Etats-Unis de mul­tiples façons, jour de son anniversaire lui fait
Paris-I Panthéon-Sorbonne caserne de pompiers. avec le meurtre de George Floyd ­réaliser que non, pour lui, ce n’est
La série renoue ainsi avec son par des policiers de Minneapolis, pas un jour d’anniversaire, il ne
­pilote, qui mêlait d’emblée le pré- les émeutes qui s’ensuivent, les in- sait même pas quel est son vrai
sent et le passé – l’anniversaire cendies, la pré­sidence catastro­- jour de naissance, il s’est juste
«This Is Us» : des 36 ans de Kate, Kevin et Ran-
dall, et le jour de leur naissance–, et
phique de Donald Trump… Le port
du masque par les personnages de
­retrouvé à l’hôpital en même
temps que Kevin et Kate. Fêter son

une leçon de care affichait sa méthode – revenir en


boucle sur les événements du
la série est un geste tout à la fois
politique et éducatif.
anniversaire avec eux lui apparaît
non seulement comme une cor-
passé, et nous permettre de les Après l’échange entre Madison et vée, mais comme une violence. Et
La saison 5 de la série américaine en prise avec comprendre de multiples nou­- Kevin, un second temps nous con- nous, fans de la série, réalisons
l’actualité, revendique le «nous» non comme velles façons. Il dévoilait pro­- duit chez Beth et Randall pour une que ce que nous voyons depuis le
consensus ou majorité, mais comme prise gressivement le lien qui unit ces scène qui ressemble comme début comme une belle histoire
trois personnes si différentes, un deux gouttes de gel à un spot de d’intégration et d’amour a aussi
en compte des voix étouffées.
homme noir, une femme et un santé publique. Tous les person­- été une histoire de déni. C’est la
homme blancs : l’événement nages tiennent leurs distances ­leçon de This Is Us – sur ses per-

F
aut-il voir la réalité en séries vant les héros de la belle série ­fondateur de la série, l’accou­- dans cette série si affective – y sonnages, et sur nous-mêmes.
pour qu’elle soit définiti­- This Is Us (Dan Fogelman, NBC, chement de Rebecca, enceinte de compris Kate tout émue de la nou- Randall, dans une scène clé de la
vement réalisée ? C’est le 2016, diffusée sur Canal +) absents triplés, la naissance de jumeaux, velle de la paternité de Kevin (des fin de l’épisode, rappelle à sa sœur
sentiment que j’ai eu en retrou- des écrans depuis sept mois : ah, le Kate et Kevin, la tragédie de la mort jumeaux de surcroît, c’est un peu ce qu’était être noir élevé par une
lourdingue), se contentant de mi- famille blanche qui ne parlait pas
mer un câlin («air hug»). de race, d’avoir à se débrouiller
Tourné en pleine campagne prési- seul pour vivre et penser le meur-

L'œil de Willem dentielle, l’épisode rappelle que le


masque est un marqueur poli­-
tique, comme l’exprimait clai­-
tre de Jonny Gammage par la
­police de Pittsburgh en 1995. Kate
vient de prendre conscience du
rement le mépris de Donald ­racisme systémique de l’Amé­-
Trump lors du premier débat avec rique, mais pour Randall rien de
Joe Biden, son geste de défi arra- nouveau… sauf qu’il «n’en peut
chant le masque de retour à la Mai- plus d’essayer de leur faire plaisir
son Blanche après son épisode et “d’éviter le malaise”» – moment
­Covid-19, ses partisans systéma­- vertigineux, où c’est la série qui
tiquement démasqués dans les s’adresse à «nous» et à notre
meetings. Le masque, symbole de ­confort moral.
souci d’autrui, confirme la posi- Ce moment de rupture rejoint
tion morale de la série, centrée sur d’autres gestes de séries telles
le care. Et malgré le sentiment Mrs. America (FX) qui décrit le
d’inquiétante étrangeté que crée sa sort fait par les féministes blan-
présence sur les personnages, il ches connues à la première can­-
n’est pas plus grand que celui didate noire à la présidence,
qu’on éprouve devant ces séries et ­Shirley Chisholm, ou encore
ces films actuels sans trace de la Watchmen et Lovecraft Country
pandémie. (HBO) qui reviennent l’un et l’au-
La pédagogie va plus loin, puisque tre sur des épisodes collecti­-
Randall, troisième temps, décou- vement refoulés de l’histoire amé-
vre sur son portable la nouvelle de ricaine (le massacre de Tulsa). The
la mort de George Floyd, qui va le Comey Rule (Showtime) ironise
bouleverser de façon spécifique. sur les illusions de supériorité
A partir de là, This Is Us affronte la ­morale (self-righteousness) des
question de la race, par un retour ­politiques de tout bord lors de
réflexif sur la trajectoire de Ran- l’élection de Trump en 2016, con-
dall, enfant noir élevé dans une vaincus qu’il n’oserait pas s’en
­famille blanche, aimante et «color- prendre aux institutions améri­-
blind» : on se souvient des scènes caines… et à eux. Il importe qu’une
embarrassantes à la piscine où série comme This Is Us, portée par
­Rebecca tient à le tartiner de NBC (comme jadis The West
crème solaire comme ses frère et Wing), et au large public, reven­-
sœur, de la phase où Randall dique le «nous» non comme con-
­sidère sa famille en voulant fré- sensus ou majorité, mais comme
quenter une famille afro-amé­- prise en compte des voix étouf-
ricaine ou aller à l’université fées. Cela démontre l’enjeu de la
­Howard. culture populaire et des combats
Le réalisme de This Is Us est là, à venir aux Etats-Unis, qui seront
dans ce rapport individuel à la ré- culturels. •
alité sociale, la mort de George
Floyd ajoutant un poids sup­- Cette chronique est assurée en alternance
plémentaire à la charge portée par par Michaël Fœssel, Sandra Laugier, Fré-
Randall (i.e. par le génial Sterling déric Worms et Hélène L’Heuillet.
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 21

Redresseuses de Thor
O
Dans son essai, n les imagine volontiers les-
la médiéviste tées d’un large bouclier, fa-
çon Lagertha, ­héroïne guer-
Johanna Katrin rière de la série ­Vikings. Rien ne
Fridriksdottir permet pourtant d’affirmer avec
raconte le quotidien certitude que les femmes de l’ère vi-
et le rôle des femmes king prenaient part aux combats.
dans la société viking Absentes des champs de batailles,
qui a dominé les femmes n’étaient pas pour au-
la Scandinavie entre tant reléguées à des places subalter-
nes, loin de là, expose la médiéviste
les VIIIe et XIe siècles. islandaise Johanna Katrin Fridriks-
dottir dans les Femmes ­vikings, des
femmes puissantes.
Tout juste traduit en français, l’ou-
vrage démontre avec succès la con-
tribution notable des femmes à la
vie quotidienne du peuple nordi-
que au cours de cette période, qui
démarre à la fin du VIIIe siècle et
s’étale sur 300 ans. L’autrice, spé-
cialiste de littérature scandinave,
s’appuie moins sur des sources ar-
chéologiques que sur des référen-
ces littéraires. Le choix, qui au pre-
mier abord peut surprendre, est
délibéré : les sagas nordiques, si el-
les ne documentent évidemment
Johanna Katrin pas fidè­lement les mœurs de l’épo-
Fridriksdottir que, ont beaucoup à nous appren- Figurines de femmes vikings. Photos A. Mikkelsen. Musée du Danemark ; musée historique de Stockholm
Les Femmes Vikings, dre sur les rôles de pouvoir endos-
Des Femmes puissantes sés par les femmes il y a un qu’à la Révolution. Le reste est tionnaient les voiles des bateaux, in- Birka, en Suède, comme la sépulture
Autrement, 416 pp., 23,30 €, millénaire en Scandi­navie, estime moins réjouissant : les femmes dispensables aux expéditions, ou d’une femme guerrière. Rien ne
e-book 15,99 € Fridriksdottir. étaient généralement victimes de exploitaient les fermes. Certaines prouve que l’impressionnant arse-
Guerriers, rois, dieux… La mytholo- mariages arrangés, voire forcés, et embrassaient des professions mas- nal d’armes retrouvé à cet endroit
gie viking a beau être très mascu- leur vie était rythmée par les gros- culines, dans l’artisanat ou le com- ­appartenait effectivement à la per-
line, «les œuvres littéraires scandi- sesses pas toujours désirées, relate merce, et quelques-unes devenaient sonne enterrée, pointe-t-elle : des
naves sont pleines de femmes l’ouvrage. même poètes, l’une des carrières les ossements de jeunes enfants ont
turbulentes, fières, bruyantes, auto- Les historiens estiment qu’en Nor- plus prestigieuses. Surtout, elles également été découverts aux ­côtés
ritaires, audacieuses», qui ont par- vège, les femmes avaient à l’époque prenaient pleinement part à l’ex- d’équipements militaires qu’ils
fois inspiré des personnages fémi- un enfant tous les trente mois envi- pansion de leur peuple en Scandina- n’étaient pas en âge de ­manier. Une
nins de Game of ron. Dans nombre vie, en accompagnant les hommes hypothèse avancée par la cher-
Thrones, décrit l’au- de légendes, les ma- dans leurs invasions et en s’instal- cheuse : les quelques femmes inhu-
trice, que l’on de-
vine amatrice de
En haut riages sont dépeints
comme une «trans-
lant dans les colonies fondées à tra-
vers l’Europe du Nord, relate l’ou-
mées avec des ­armes ont tout aussi
bien pu être sacrifiées à la place de
la série adaptée
des ouvrages de de la pile action entre hom-
mes», au cours de la-
vrage. Si elles ont pu «participer à
l’élaboration de stratégies militai-
leur mari.
Des femmes ont-elles gouverné ?
George R. R. Martin. quelle le tuteur de la res», il est difficile, pour ne pas dire Certaines étaient, en tout cas,
Les sagas médiévales sont aussi ja- future mariée et le prétendant s’ac- impossible, de prouver que les guer- ­impliquées dans la vie politique,
lonnées de figures mythologiques cordent sur le montant de la dot et rières ont bel et bien existé, explique sans doute souvent «par l’intermé-
féminines, comme les puissantes choisissent jusqu’à la demeure du Fridriksdottir. diaire de leur mari» si celui-ci était
guerrières valkyries ou Freyja, con- couple. Sans surprise, la jeune Comme plusieurs de ses confrères, en position de pouvoir, voire ont pu
sidérée par certains historiens femme se doit de rester chaste jus- l’autrice émet de sérieux doutes sur assumer le rôle de «cheffes à part
comme la déesse la plus importante qu’à la noce, «l’accusation de lubri- une étude parue en 2017 présentant entière», répond l’ouvrage. La ri-
des peuples ­germaniques. cité» restant un moyen pour con- une tombe découverte sur le site de chesse de plusieurs sépul­tures,
La société viking n’en reste pas traindre les femmes à la soumission, comme le fameux bateau tombe
moins profondément patriarcale, et souligne Fridriksdottir, qui dresse d’Oseberg, en Norvège, où les restes
le mariage y fait figure d’institution un parallèle avec le slut shaming Les sagas ont de deux femmes ont été découverts
incontournable. Moins ­archaïques
que l’on pourrait imaginer, les lois
contemporain.
Pourtant, «il n’est pas entièrement
beaucoup à nous aux côtés de somptueuses tapisse-
ries, de bijoux, et d’une chaise aux
nordiques de l’époque garantis- juste de stigmatiser le monde scandi- apprendre sur airs de trône, a été interprétée par
saient, du moins en théorie, des
droits non négligeables aux fem-
nave comme étant une ­société où les
femmes auraient été systématique-
les rôles de pouvoir des historiens comme la preuve de
l’existence de souveraines. Là en-
mes, notamment mariées ou veu- ment opprimées», prévient l’ou- endossés par core, la chercheuse incite à la pru-
ves, qui pouvaient ainsi acquérir un vrage. Leur rôle était loin d’être pas- dence, en l’absence de témoignages
certain statut social. On apprend sif : «Indispensables gestionnaires» les femmes il y a écrits en ce sens. Une incarnation
aussi que les femmes avaient le droit
de demander le divorce – qui, rappe-
du foyer, les femmes étaient un «pi-
lier essentiel» de la structure fami-
un millénaire viking de Cersei Lannister reste en-
core à découvrir.
lons-le, ne sera autorisé en France liale. Ce sont les femmes qui confec- en Scandi­navie. Juliette Deborde
22 u Libération Vendredi 6 Novembre 2020

RIA«J’Dai choisi
SATTOUFla
nation de ceux qui
font les livres»
Alors que paraît le cinquième tome
de sa fresque autobiographique «l’Arabe du futur»,
sociaux. Et complètement à l’image
de cette BD : absolument affable et
redoutablement rusé, un plaisantin
ma grand-mère bretonne me faisait
parvenir des bandes dessinées, et
que je pouvais découvrir le monde
qui sait sur quelles plaies marcher différemment. Donc je ne pourrais
le bédéaste franco-syrien évoque les auteurs sans glisser dans le merdier. jamais dire que le livre n’est pas un
qui ont influencé sa vocation artistique, Donc, vous sortez votre livre pile
au moment où les librairies sont
bien essentiel. Bien sûr, nous avons
maintenu la date de sortie, aussi en
d’Hergé à Bilal en passant par Lovecraft. Et pointe priées de fermer ?
Encore un symbole manqué. Alors
soutien aux librairies indépendan-
tes, toutes celles qui dérouillent au-
le caractère universel de la violence xénophobe. que les librairies sont considérées jourd’hui et qui font du retrait de
comme des biens essentiels partout commandes, du click and collect,
autour de nous – sauf en Irlande et comme on dit !
Recueilli par la parution d’un cinquième tome, début des années 90, au sein même au pays de Galles –, la France, cen- La vente des premiers tomes de
Ève Beauvallet au moment même où les librairies d’un foyer. Il sort à une heure de sée être le pays des Lumières, ferme l’Arabe du futur, ça représente
Photo Audoin Desforges sont censées baisser les stores. grande tension entre la France et le ses bibliothèques et ses librairies. plus de 2 millions et demi
Aussi, le nouvel épisode monde arabo-musul- L’image «vente de livres interdite» d’exemplaires…

E
st-ce le pire ou le meilleur des de ce récit familial fran- man. Angoisse de de- fait le tour du monde. Dans le petit J’ai toujours été athée, avec le désir
contextes pour sortir cette co-syrien, à la fois co- Interview voir théoriser ? De se village syrien où j’ai vécu, enfant, d’assister à un phénomène magique
BD ? Locomotive du marché médie de caractères et positionner ? D’être «ré- personne ne lisait, il n’y avait pas ou surnaturel. Et la seule chose pa-
du livre avec 2,5 millions d’exem- tragédie de mœurs, est une chroni- cupéré» ? «Pas du tout !» Riad Sat- une seule bibliothèque, j’étais com- ranormale qui se soit produite dans
plaires vendus depuis 2014, best- que adolescente où il est partout touf a la pêche, merci. Il est très plètement confiné sur le plan cultu- ma vie, c’est de constater que des
seller traduit en 23 langues, l’Arabe question de rejet, d’identité et d’un confiant dans l’intelligence de ses rel. Je ne dois d’être là, à vous parler milliers de lecteurs attendaient au-
du futur poursuit sa conquête avec fossé culturel qui s’est creusé, au lecteurs et indifférent aux réseaux ainsi de mon travail, qu’au fait que jourd’hui la suite de mon récit fami-
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 23

Riad Sattouf,

CULTURE/
mardi à Paris.

Une adolescence
pas prendre le risque que l’histoire
parvienne tronquée. J’aimerais
aussi beaucoup que ce soit traduit
en hébreu, mais il y avait le même
problème. Je retenterai quand le
dernier tome, le sixième, sera ter-
miné.
Votre père est moins présent
en terrain miné
dans ce nouveau tome, mais il Dans le nouveau tome de sa BD monde, c’est «sale pédé», «fais pas ton juif», «vieille
hante la plupart des planches. A à succès, Riad Sattouf évoque son pute, sale Française». Au collège, il faut choisir son
cette époque, le début des an- camp entre Nirvana et NTM et afficher son identité
arrivée en France à 12 ans, entre
nées 90, il a eu une révélation à sur un tee-shirt. A la maison, c’est le temps de la sé-
la Mecque, il a sombré dans
drame familial, rejet au collège paration. Le jeune Riad est prié de prendre parti au
l’obscurantisme, il est devenu et épanouissement par la lecture. sein du couple binational que forment ses parents.
violent. On ressent pourtant une D’un côté, un père syrien, docteur à la Sorbonne,

N
empathie puissante pour cet ous sommes en guerre. Elle commence au bercé par les rêves nationalistes et panarabiques de
homme antisémite et sexiste. début des années 90, quand un petit Franco- Nasser et dont les idéaux modernisateurs se sont
C’était ça le défi ? Syrien quitte son village de Ter Maaleh près fracassés sur les arêtes de l’histoire. De l’autre, une
C’est précisément ce que je cherche, de Homs pour s’installer au cap Fréhel, en Bretagne. mère élevée par des cathos de gauche bretons, vic-
oui. En tant que lecteur, j’ai une Riad Sattouf a environ 12 ans. C’était un blondinet time d’un mari rattrapé par le traditionalisme reli-
aversion profonde pour les œuvres sublime, il est devenu moche en un instant. Dans gieux, et elle-même dévorée par d’autres démons.
où l’on comprend le positionne- le cinquième tome de son roman graphique à succès Un drame familial est survenu. Et les digues lâchent
ment idéologique dès la première l’Arabe du futur, l’auteur de BD adoré des Français dans le foyer breton : «Mais pourquoi j’ai épousé un
page, où l’on sait trop vite qui sont raconte ce cheminement autobiographique. La fa- Arabe ? Je pensais que j’étais moderne, que je faisais
les méchants et qui sont les gentils. çon dont la perte de la beauté originelle, de l’in- avancer les mentalités», se lamente la mère, pour qui
Les BD d’extrême gauche, ou d’ex- croyable pouvoir social qu’elle confère, a déterminé il y a désormais les «bons Arabes», comme le présen-
trême droite… C’est d’un ennui ter- un destin : se venger évidemment, mais avec d’au- tateur Nagui qu’elle adore, et tous les autres. Terrori-
rible. Dans la série l’Arabe du futur, tres armes. sée, seule la grand-mère rappelle à sa fille tous les
l’idée était de raconter mon histoire Désertant la nation des beaux gosses, qui le con- garde-fous : «Pas d’amalgame !» hurle-t-elle.
familiale avec toutes ses complexi- damne à vivre en dominé, le petit Riad se choisit ici
tés, ses ambiguïtés, ses malaises et un autre continent, le monde alternatif de la créa- Finesse. C’est une histoire interculturelle d’il y a
ses paradoxes. J’adore emmener le tion, où se réinventer dominant. A moins que l’art déjà trente ans. Elle surgit aujourd’hui, tirée à
lecteur vers des sentiments mitigés soit justement le pays des résistants, le seul où s’af- 320 000 exemplaires, dans un contexte sociétal
et faire en sorte qu’il s’en veuille franchir des jeux de domination ? C’est en tout cas abrasif. Il faut donc beaucoup de génie pour faire
parfois de penser ce qu’il pense. leur mécanique, perverse et comique, que décorti- sortir tant de fantômes du placard (antisémitisme,
Vous décrivez un père dévoré que l’auteur depuis 2014, dans ce petit traité de la racisme, tétanie face aux enfants des anciennes co-
par le besoin de reconnaissance cruauté en forme de bonbon acidulé. Et dans ce cin- lonies, etc.) sans se faire le jouet des idéologues.
et la quête du pouvoir. Ce sont quième tome plus que jamais, puisque les dynami- En 2015, un jeune universitaire avait bien tenté :
des affects que vous explorez pa- ques du pouvoir sont scrutées à l’échelle de la so- paru dans l’Orient XXI, un article entendait démon-
rallèlement sur un autre terrain, ciété, à celle du foyer, et à celle de la cour de récré. trer à quel point le premier tome de l’Arabe du futur
celui du collège, dans ce tome 5 alimentait les discours d’extrême droite. Il invitait
où l’on vous retrouve jeune ado- Séparation. A l’époque, Mitterrand est président. donc Riad Sattouf à embellir les dessins sur le
lescent. C’est le ressort central ? Les insultes qui fusent le plus dans le bus ou à monde musulman. Mais quelque part dans ce
L’insatisfaction des individus de ne l’école, celles qui font détourner les yeux de tout le «monde musulman», du moins chez les Syriens qui
pas être ce qu’ils aimeraient être, ont eu le bouquin entre les mains, le travail était en-
c’est quelque chose de cruel et de censé pour sa véracité. Ce superpouvoir, celui de
très comique. Pour ma part, je pen- sembler peu instrumentalisable, Riad Sattouf l’a ac-
sais qu’à l’adolescence, mon corps quis en aiguisant une arme narrative d’une grande
allait se transformer en celui d’Ar- finesse : héritier de Candide, et dans les pas du petit
nold Schwarzenegger. Mais quand Momo de la Vie devant soi, il dessine les rouages de
lial alors que cette histoire – la vie vous marchez dans la rue et que la haine ordinaire pseudo-naïvement, sans surmoi
d’un petit enfant élevé entre deux personne ne vous regarde, vous ex- culturel apparent, à hauteur d’enfant.
cultures dans les années 80 – n’a in- périmentez la frustration. J’étais C’est aussi que l’Arabe du futur relie tout le monde
téressé personne pendant trente- un enfant somptueux et je suis de- dans une communauté de destin, très ancienne et
cinq ans. Même mes proches, aupa- venu invisible, c’est sûr que ça fait très con : comment attirer l’attention ? En effet, il
ravant, ne visualisaient pas trop ce naître des envies de pouvoir ! L’ado- s’agit partout, ici, de ce que provoquent le déficit de
dont je pouvais parler. C’était donc lescence, ça me passionne parce reconnaissance et l’expérience du rejet. C’est toute
vraiment important pour moi de qu’un ado est une sorte de mutant, l’histoire de Sattouf père, gangrené par les échecs
faire un livre facilement lisible par aux frontières de l’enfance et à successifs. C’est aussi l’histoire de Sattouf fils et des
des gens qui ne lisent pas de bandes l’aube de l’âge adulte, qui vit toutes ressorts qui l’ont poussé à devenir roi de la BD (l’un
dessinées, et par des gens qui ne les émotions de manière plus in- d’eux s’appelle la lecture). C’est encore la trajectoire
connaissent pas grand-chose à la tense : l’ennui est plus intense, de ce personnage biblique qui fascine le petit garçon
culture moyen-orientale. Je voulais mais aussi l’amour et la haine. A cet dans ce tome 5 : celle de Lilith, première femme
faire un livre hospitalier, dans le âge se joue, je crois, ce qui va nous d’Adam, trop émancipée au goût des hommes et qui,
sens, «qui a de l’hospitalité». suivre le reste de la vie, la décou- à force de rejet, deviendra reine des Enfers. Les jeux
La série est traduite en 23 lan- verte d’un nouveau corps, le rap- de société des petits comme des grands se réduisent
gues, mais toujours pas en port à la norme… en somme en un dicton : en être ou ne pas en être,
éditions Allary

arabe ? Mais ce nouveau tome raconte aussi telle est la question.


Non, et tout simplement parce qu’il les manières de s’émanciper des E.B.
y a très peu d’éditeurs arabes de BD frustrations par l’expression artisti-
et que les seuls intéressés ne vou- que. C’est le moment où je me Riad Sattouf L’Arabe du futur T. 5 : Une
laient s’engager que sur le tome 1, trouve une identité nationale autre jeunesse au Moyen-Orient (1992-1994)
voir si ça marchait. Or, je ne pouvais que l’identité fran- Suite page 26 éd. Allary 176 pp., 22,90 €.
24 u Libération Vendredi 6 Novembre 2020

ter ça ? Est-ce qu’ils vont dire que de la ségrégation sexuelle en Sy-


j’exagère ?» Il y a un truc assez love- rie, mais vous évoquez aussi
craftien peut-être dans cette série, l’homophobie de votre grand-
c’est l’obsession qu’on sache que ce père breton, un libertin qui vous
n’est pas juste mes complexes ou forçait à mater le cul des filles
ma timidité qui m’ont fait voir le par terreur de vous voir «devenir
réel de cette façon. Il y a la volonté homo»…
de témoigner de violences que d’au- Les cultures musulmane et judéo-
tres peut-être n’ont pas vues ou chrétienne ont quand même en
n’ont pas voulu voir. En tout cas, commun le patriarcat. Evidem-
certaines ont mis du temps à entrer ment, il ne s’agit pas de dire que
dans le débat national. Bon, ça vient toutes les formes de violences se va-
enfin… Qu’on parle enfin des vio- lent et qu’il n’y a pas de différence
lences envers les femmes, par entre un pays où l’on a le droit de
exemple, je trouve ça super. lire, de dire ce qu’on veut, et la Syrie
Et l’antisémitisme ? Un historien rurale. Ce qui m’intéresse, néan-
comme Emmanuel Todd con- moins, c’est ce qui subsiste par-delà
fiait par exemple (dans un entre- les différences sociales et culturel-
tien à Clique.tv en 2015) qu’il les, c’est de pointer des choses
avait dû attendre l’attentat de qu’on prend souvent comme des in-
l’Hyper Cacher pour compren- dicateurs culturels alors qu’ils n’en
dre qu’il y avait un gros pro- sont pas forcément. Ça crée du
blème d’antisémitisme en trouble là où il y a beaucoup de pré-
France. jugés. Ça amène à relativiser le re-
Ouh la, alors c’est grave pour lui ! (il gard qu’on porte sur les autres.
explose de rire). Ah non, il faut que A la sortie du premier tome de
je revoie ça parce que c’est catastro- l’Arabe du futur en 2014, un arti-
phique. Il est quand même censé cle paru sur le site l’Orient XXI
être un super spécialiste… C’est fou, vous accusait d’alimenter les
ce refus de voir. Il a vraiment dit ça ? discours d’extrême droite et
C’est bien Todd qui parle tout le d’entretenir une vision négative
temps de la déconnexion des élites des Arabes. Vous vous attendiez
par rapport au réel ? Je dois voir cet à ce genre d’attaques ?
extrait ! Bon, c’est un retour qui est vrai-
Pour votre part, vous nous décri- ment très minoritaire. Sur
vez le début des années 90. Vous 10 000 messages que j’ai pu rece-
revenez juste d’un petit village voir, il y en a peut-être trois qui al-
syrien et vous tombez des nues laient dans ce sens. J’avoue que je
quand, une fois installé en Bre- m’y suis assez peu intéressé. Je ne
tagne, vous entendez dans la sais même pas quoi vous dire…
bouche d’un camarade de classe L’Arabe du futur est l’histoire de ma
«fais pas ton juif !» vie, c’est autobiographique, et c’est
La Syrie n’est pas un pays que je une longue histoire qui va jusqu’au
connais extrêmement bien. En re- tome 6, on ne peut pas le juger uni-
vanche, je connais très bien le vil- quement sur le tome 1.
lage où j’ai habité. Et là-bas, tout le Néanmoins, est-ce que ce genre
monde était obsédé par les juifs. Les d’accusations vous a rendu par-
enfants jouaient à la guerre contre ticulièrement attentif à ne stig-
Israël. Et moi, en tant qu’enfant à matiser personne ?
moitié français, j’étais soupçonné Pas du tout. Toutes les similitudes
éditions Allary

d’être juif parce que la France était entre les deux cultures dans les-
alliée des Etats-Unis qui étaient al- quelles j’ai grandi, ces correspon-
liés d’Israël. En rentrant en Breta- dances, je les notais, enfant. Et c’est
gne, je n’imaginais pas du tout que précisément ce qui est à l’origine du
la même haine, les mêmes préjugés projet, dont le premier tome est
avaient autant infusé la culture po- sorti en 2014. Ce sont pour moi des
pulaire française. questionnements liés aux réseaux
Suite de la page 25 çaise ou sy- des siècles et des siècles. Et aussi proches de lui d’ailleurs. En plus, il Vous êtes visiblement très atta- sociaux, que je pratique assez peu.
rienne. Le moment où je choisis la parce qu’on ne peut pas être un au- avait un physique assez disgra- ché dans cette série à souligner Ce n’est pas mon temps. Mon
nation de ceux qui font les livres. La teur plus malheureux que lui. cieux. les similarités entre vos deux temps, c’est celui du livre. Plus gé-
nation des Hergé, Moebius, Quand on pense à une vie d’auteur Vous replongez souvent dans ses cultures, notamment sur le ter- néralement, les violences diverses
Druillet, Bilal. Je voulais acquérir misérable, on se dit qu’on ne peut œuvres ? rain de la virilité, de la violence que je dépeins, je les dessine depuis
leur pouvoir. Celui d’influencer les pas être pire. Pour l’écriture de ce tome 5, oui, j’ai et du pouvoir. très longtemps. Les comportements
gens par les histoires, de pouvoir les Vous voulez dire que son mal- voulu me remettre en tête toute sa Ça m’intéresse beaucoup, en effet, sexistes, les rituels masculins, c’est
manipuler et de leur faire vivre des heur vous remonte le moral ? mythologie et j’ai adoré comme au de montrer à quel point les méca- ce qui est déjà au cœur de Pascal
choses inédites. Oui ! Mort dans la misère sans avoir premier jour. Il y a toujours des per- nismes de la violence et de la haine Brutal. Je n’intellectualise pas au
A cet âge-là, vous découvrez un pu entrevoir l’once d’un début de sonnages qui essaient d’en convain- transcendent les cultures. Des épi- point de me dire : «Tiens, je vais en
auteur crucial pour vous, le très succès. Complètement célibataire, cre d’autres de la véracité de ce sodes comme cette «blague» antisé- parler parce que personne ne le
sombre H.P. Lovecraft… ne sortant jamais de chez lui, gan- qu’ils voient et ne sont jamais crus ! mite d’un camarade de classe m’ont fait !» Si je commence à théoriser, je
Lovecraft, c’est un personnage que grené par la peur. Tout ça a quelque J’ai moi-même souvent eu l’impres- fait prendre conscience, jeune gar- sais déjà que je vais rentrer dans le
j’admire absolument. Déjà parce chose de très rassurant. Je pense sion d’être dans cette position, avec çon, que la xénophobie était quel- groupe de tous ces livres idéologi-
que son œuvre est formidable et va que j’aurais été très copain avec lui. l’Arabe du futur : «Est-ce que les gens que chose de tout à fait universel. ques que je déteste. Je n’ai pas envie
influencer la culture populaire pour Beaucoup d’écrivains se sentent vont me croire quand je vais racon- De la même façon, vous parlez de rejoindre ce continent. •
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u 25

culture/
Leyla McCalla,
dans les rimes riches
de Langston Hughes
Réédition du premier du fameux The Negro Speaks of Ri-
album solo de la vers et qui a carrément motivé
Charles Mingus à composer le jazz
musicienne qui mêle de The Weary Blues, son tout pre- Leyla McCalla a découvert l’œuvre de l’écrivain et poète noir à l’adolescence. Photo Rush Jagoe
répertoire traditionnel mier recueil paru en 1926.
haïtien et poèmes
engagés de cette figure Gombo. Quand Yah Supreme jourd’hui. Il a fait de moi une acti- nant au répertoire traditionnel haï- Smithsonian, institution dédiée à la
du Harlem Renaissance clame et déclame les mots de viste et une chanteuse», nous a tien. Comme ce classique qu’est promotion des cultures qui ont fa-
des années 20. ­Hughes, nous sommes en 2009. ­confié, à l’occasion d’un échange té- Mesi Bondye signé du guitariste haï- çonné les Etats-Unis, donne au dis-
C’est son amie Leyla McCalla qui l’a léphonique le mois dernier, celle tien Frantz Casseus. Aussi, tout que de McCalla une valeur toute pa-

A
lerte, disque indispensable. sollicité. La jeune New-Yorkaise, qui est installée à La Nouvelle-Orlé- comme elle jongle avec le violon- trimoniale. «Ces chansons ne m’ont
Plage 9 : spoken word sur multi-instrumentiste, travaille alors ans depuis bientôt dix ans. Là où celle, la guitare ou le banjo, Leyla jamais vraiment appartenu. Je suis
procession tragique orches- sur ce qui deviendra son premier elle a toujours eu le sentiment que McCalla passe aisément de l’anglais heureuse qu’elles sortent du cadre
trée par les vifs coups d’archet d’un ­album solo, Vari-Colored Songs la culture haïtienne de ses parents au créole de son pays d’origine. uniquement commercial de l’in­-
violoncelle et les lamentations d’un (2013), un hommage à Langston suinte de partout, du gombo bien «C’était une façon pour moi de faire dustrie musicale et fassent désor-
violon. Le rappeur brooklynois Yah Hughes dont elle a découvert assaisonné aux potions des supé­- dialoguer les cultures noires. J’aime mais partie de la grande histoire.»
Supreme récite des poèmes intitu- l’œuvre quand elle était ado. «Lang- rettes vaudoues. à imaginer Langston Hughes, qui Emma-Sacha Morizan
lés «As I Grew Older» et «I Continue ston Hughes m’a permis de découvrir était animé par un mouvement
to Dream». Ils font partie de l’œuvre pourquoi je voulais devenir une Banjo. Par ailleurs, dans Vari-Co- émancipateur, écouter certaines de Leyla McCalla Vari-
de Langston Hughes – écrivain ­artiste. Ses mots, ses valeurs et ses lored Songs, les quelques textes de ces chansons écrites au sein de la Colored Songs : A Tribute
frondeur de la Harlem Renaissance, combats pour la reconnaissance Langston Hughes, qu’elle a instinc- toute première République noire.» To Langston Hughes
ce mouvement artistique africain- et le rayonnement des cultures tivement mis en musique, font écho En ajoutant cet album au catalogue (Smithsonian Folkways
américain des années 20 –, auteur ­noires m’accompagnent encore au- à des reprises de chansons apparte- de son label fort de 60 000 titres, le Recordings).

«Possessions», épines de névroses


Entre thriller et reté du casting de la série du fantastique sans jamais
fantastique, la est sa plus grande force, de
la mariée, jeune réincarna-
­y verser totalement, les
croyances et superstitions
nouvelle série tion névrosée de la Uma immémoriales s’invitant
franco-israélienne Thurman de Kill Bill, à sa petit à petit dans ce qui
de Canal + explore mère, terriblement banale
et singulière, à la folie
se présentait au départ
comme un simple thriller.
les rapports tout juste perceptible, Et le choix de privilégier un
ambivalents d’une au point qu’on se demande réalisme à tout prix, fût-il
famille aux prises si on ne la rêve pas.
Visuellement, la série est
vacillant, fait pour beau-
coup dans l’attraction
avec ses démons. vraiment belle, élégante ­produite par Possessions.
mais sans esbroufe. On Ce qu’on découvrira finale-
sent dans la mise en scène ment, c’est que la magie

«L
es jolies filles de Thomas Vincent une noire n’y est peut-être pas
aussi ont des vraie rigueur en même pour grand-chose : les
jours sombres» : temps qu’une foi dans ­mères sont des louves pour
cette phrase entendue au l’image nue, une recherche leurs enfants, leurs filles
début de Possessions, nou- pour restituer la sécheresse principalement, à qui elles
velle création originale de de ces villes poussées ne cessent de dire «j’aime-
Canal +, est un joli euphé- Natalie (Nadia Tereszkiewicz), le jour de son mariage avec Eran. Vered Adir de rien en plein désert, rais te remettre dans mon
misme aux airs de prophé- comme Beer-Sheva, où se ventre». Leur volonté de
tie. Un mariage qui finit israélien Shahar Magen de son mariage. Son visage de l’affaire, Noa Koler, qui passe une grande partie les protéger du monde
en bain de sang avec ma- et l’autrice française aux grands yeux bleus in- jouait dans la meilleure sé- de l’action, communauté des hommes et leur envie
riée blonde angélique écla- ­Valérie Zenatti. nocents de victime idéale rie israélienne de l’année, isolée à population princi- de les dévorer se confon-
boussée d’hémoglobine, Possessions pose d’emblée (ou de manipulatrice hors Our Boys, diffusée en début palement séfarade située dent, et toutes les fables
on ne peut pas s’empêcher ce désir d’évasion narrative pair ?) hypnotise bien vite d’année, où elle incarnait non loin du désert de Né- du monde ne parviendront
de penser à Carrie de nouveau genre puisque les un diplomate du consulat une psy hassidique. Ici, guev. Au sein de cette série pas à masquer cette
Brian De Palma lorsque personnages principaux français (Reda Kateb) avec ses chemises tachées sombre mais très peu noc- ­réalité-là.
commence cette série sont des Français installés qui décide de l’aider. de crachats de bébé turne, les démons ances- Clélia Cohen
­française mais campée en en Israël : Natalie (Nadia Les amateurs seront et son empathie mêlée traux (ou les névroses fa-
Israël, nouvelle terre de fic- Tereszkiewicz) voit son d’ailleurs heureux de re- de je-m’en-foutisme, miliales) brûlent en plein Possessions
tion hautement désirable, mari égorgé sous yeux trouver, sous les traits de elle est tout simplement soleil. On y navigue en série de Thomas Vincent
­coécrite par le scénariste (ou par ses mains ?) le jour l’enquêtrice blasée chargée géniale. D’ailleurs, l’entiè- ­permanence au bord actuellement sur Canal +.
26 u Libération Vendredi 6 Novembre 2020

CULTURE/
Jean-Pierre Vincent, citoyen de la scène
Figure importante en 1958, alors que Jean-Pierre fois, les metteurs en scène
du militantisme Vincent était encore mineur, Claude Régy et Georges La-
étudiant au lycée Louis-le- vaudant salle Richelieu. Les
culturel, il a dirigé Grand, et qu’il participait innovations divisent pas-
le Théâtre national à un groupe théâtral dont sionnément la troupe. C’est
de Strasbourg les membres s’appelaient no- encore une époque où les
et la Comédie- tamment Jérôme Deschamps ­sociétaires et les pensionnai-
Française. Il est et Patrice Chéreau. C’est le res n’ont pas le droit de pren-
mort jeudi à 78 ans. type de rencontre fondatrice dre le même ascenseur !
qui métamorphose une vie, Face aux dissensions, Jean-
lui donne une inflexion Pierre Vincent claque la
Par qu’elle aurait peut-être prise porte. Mais quand on a été
Anne Diatkine de toute manière, mais plus nommé deux fois directeur,
difficilement et solitaire- on l’est de nouveau, et quand

I
l devait mettre en scène ment. Quoi de mieux que il succède à Patrice Chéreau
Antigone l’année pro- l’amitié pour s’engager dans au théâtre de Nanterre-
chaine, il avait signé il y a une aventure politique et ar- Amandiers, d’emblée, il pro-
deux ans l’Orestie d’Eschyle tistique intense, à l’époque pose à cinq artistes d’investir
avec les élèves de l’école du où il était encore évident que les lieux. Il y a Jean Jour-
Théâtre national de Stras- le théâtre devait continuer, à dheuil, mais aussi le jeune
bourg, il s’était attaqué à la suite de Jean Vilar, à être Stanislas Nordey et une par-
Georges Dandin de Molière il un art populaire, c’est-à-dire tie de sa troupe pendant
y a une poignée d’années : le à destination d’un public ab- deux ans. Là encore, l’acte est
metteur en scène Jean-Pierre solument mixte – sous peine prémonitoire. Le concept
Vincent disparaît et c’est à la que l’art dramatique périsse d’artiste associé n’existe pas,
fois un artiste très actif que de l’entre-soi ? mais il le met en œuvre.
l’on perd, une vigie morale Jean-Pierre Vincent n’est
des pratiques et institutions Hold-up. Ces convictions, plus et nombre de comédiens
culturelles, et le dernier pan Jean-Pierre Vincent les a por- qu’il a formés quand il ensei-
d’une histoire du théâtre qui tées toute sa vie. On dit que gnait au Conservatoire natio-
s’écroule. le jeune metteur en scène nal le pleurent – en premier
Jean-Pierre Vincent était un «suivit» Patrice Chéreau à lieu Denis Podalydès et Hu-
homme discret, qui pratiquait Gennevilliers (Hauts-de- gues Quester. Difficile de
au fil des années un art de Seine), puis au théâtre de choisir parmi ses mises en
plus en plus épuré, et qui sans ­Sartrouville (Yvelines) que ce scène qui témoignaient
relâche ­découvrait et redé- dernier dirige à 22 ans, mais d’une intelligence aiguë
couvrait des textes inédits le verbe «suivre» n’est peut- du texte et d’une préoccupa-
et classiques, incarnant la être pas le bon, même si l’un tion politique. Ainsi, exem-
meilleure preuve que théâtre attire la lumière et les ban- plairement, Vichy Fictions
à texte et théâtre expérimen- des, et que ses mises en scè- en 1980, où il instruisait le
tal ne sont pas antagonistes, nes éblouissantes sont, à procès de Vichy «par-delà la
que la ­curiosité n’a pas de pré- juste titre, saluées. Patrice frénésie de la mémoire et le
dilection ni de sillon mais Chéreau quitte Sartrouville trop-plein d’informations»,
qu’elle est tous azimuts. Peu perclus de dettes et déses- expliquait-il à Libération lors
de metteurs en scène ont été péré, et publie dans une re- d’un remake de la pièce,
à ce point omniprésents dans vue disparue un bref texte quinze ans plus tard, en 1995.
le paysage théâtral du pays au titre éloquent, «Une mort Des audiences d’un Palais
tout en se tenant dans une exemplaire», à propos du de justice au ­Mariage de Fi-
ombre relative. Qui d’autre ­théâtre, art populaire, tandis Jean-Pierre Vincent en 2001. Photo Pascal Victor. ArtComPress via Leemage garo de Beaumarchais, Jean-
pour avoir dirigé dans une que Jean-Pierre Vincent Pierre Vincent, «homme du
même vie le théâtre national poursuit le combat avec le concret» selon Stéphane
de Strasbourg (1975-1983), le dramaturge Jean Jourdheuil, le théâtre de l’Espérance Jean-Pierre Vincent sera à térité, et s’il accédait aux plus Braunchweig, donnait le
­théâtre Nanterre-Amandiers à partir de 1968. Pendant en 1972, mot qui sonne iro­- l’avant-garde de ce qu’on hauts postes, il avait le désir ­s entiment qu’il pouvait
de 1990 à 2001 à la suite de Pa- trois ans, Vincent et Jour- niquement aujourd’hui. La nomme le théâtre hors les de partager le pouvoir, et ses tout mettre en scène. Il avait
trice Chéreau, après avoir été dheuil, ensemble, revisitent compagnie se spécialise dans murs, n’importe où, dans les subventions. Il allait inlassa- une profonde confiance dans
administrateur de la Comé- le répertoire selon le prisme le hold-up des textes alle- cathédrales, comme dans des blement voir le travail de jeu- le public. A Libération en-
die-Française, un court ins- de la lutte des classes, écu- mands. haras. L’actuel directeur nes compagnies. Ce n’est pas core, il confiait : «Si des por-
tant (1983-1986), quittant le ment les Centres dramati- Et puis il y a cette drôle d’ex- du TNS, Stanislas Nordey, se si fréquent.» tions de la société sont décul-
poste de lui-même en décla- ques nationaux. De la Noce périence dont donne idée souvient : «Jean-Pierre Vin- turées, c’est plutôt vers le
rant qu’il était «le plus dange- chez les petits bourgeois de l’intitulé, le Tex-Pop (Théâtre cent ne ménageait pas sa Innovations. Effective- haut, du côté des élites poli­-
reux de France après celui de Brecht, à la Cagnotte d’après expérimental populaire), peine, il faisait venir dans le ment, dès son arrivée à la tiques qu’il faut les chercher.
Premier ministre» ? Labiche ou une pièce inédite ­installé au Palace, qui n’est théâtre des peintres, des es- ­Comédie-Française, Jean- Nous avons une classe diri-
Il faut revenir au tout début de Rezvani, ils ne cessent de pas encore mythique ni boîte sayistes, des philosophes, il Pierre Vincent tente de chan- geante en pleine “désarti­fi­-
et à cette histoire collective, travailler, et ce qui compte, de nuit. Et soudain, cette cherchait vraiment à faire du ger la donne, faisant entrer cation”, pour reprendre
commencée il y a si long- pour le metteur en scène de marche vers la reconnais- théâtre un espace ouvert. immédiatement des auteurs ­l’expression d’Adorno.» Une
temps et dans un monde si plus en plus affirmé, c’est sance institutionnelle : être C’était un homme extrême- ­contemporains dans le réper- citation d’aujourd’hui ? En
différent d’aujourd’hui que aussi ce compagnonnage nommé directeur du Théâtre ment fidèle en amitié. Il a peu toire, tel Jean Audureau, et tout cas, elle n’a pas
l’on dirait plusieurs siècles, qui leur permet de cofonder national de Strasbourg, où travaillé pour sa propre pos- invitant, pour la première vieilli. •
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Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe

Sur les sommets


veau, comme en mars, à turbiner plus que de raison. Au prin-
temps, il traversait un Paris vide, à vélo, venant de Villemom-
ble, banlieue pavillonnaire de Seine-Saint-Denis. Cette fois-ci,
il privilégie la voiture. Il aime cette ambiance d’intense mobili-
Luc Bronner Le directeur de la rédaction du «Monde», sation, ça le stimule : «Le Monde, c’est un peu une Formule 1.
Quand ça accélère, ça accélère vraiment bien, après, c’est une
qui va quitter son poste, publie un récit méticuleux rédac un peu compliquée à conduire en ville.» Il rit.
sur une montagne abandonnée par les hommes. Grand et sec, flottant légèrement dans ses vêtements, il se ré-
vèle plutôt bonhomme. Comme apaisé ? Pour dire au revoir,
après dix ans de chefferie, dont cinq tout en haut en duo harmo-
nieux avec Jérôme Fenoglio, le directeur du quotidien, il a écrit,
à tous ses collègues : «Par désir personnel, par décision positive,
heureuse même : […] je brûle de retrouver le stress du reporter
qui part sans savoir ce qu’il va trouver, les rencontres avec des
interlocuteurs qui ne sont pas des journalistes, les nuits blanches
de café et d’écriture, l’excitation si particulière de l’enquête et
de l’information exclusive…» Ça nous a étonné : abandonner,
de son plein gré, l’un des postes les plus prestigieux de la presse
française, ce n’est pas courant. A ce niveau de hiérarchie, on
a plutôt l’habitude des berniques septuagénaires qui se cram-
ponnent à leur clavier et aux plateaux télé. Il dit, tandis que des
pigeons grassement nourris aux
restes de cornes de gazelle se
battent autour de nous : «Les at- 1974 Naissance.
tributs du pouvoir peuvent être 1999 Entre au Monde.
une mauvaise raison de rester. Je 2010 La Loi du ghetto.
l’avais en tête dès le premier jour : Enquête dans les
ce sont des postes qu’il faut savoir banlieues françaises
lâcher. Toute la difficulté étant le (Calmann-Lévy).
bon moment ; ni trop tôt ni trop 2015-2020 Directeur
tard.» de la rédaction
Au départ, il devait partir en dé- du Monde.
but d’année, mais 2020 étant ce 2020 Chaudun,
qu’on sait, l’échéance a été re- la montagne blessée
poussée. De Trump au Covid-19, (Seuil).
en passant par le Brexit, les at-
tentats ou Notre-Dame, quand Luc Bronner fait la liste des évé-
nements depuis 2015, il reste estomaqué. «L’intensité est fati-
gante», reconnaît-il. «Il fait partie des gens qui sont toujours
joignables, note Louis Dreyfus, le président du directoire. Tout
en restant d’humeur égale, très serein. C’est impressionnant
de constater qu’au moment où il avait des fonctions qui lui pre-
naient 20 heures sur 24, il écrivait ce livre, qui vous met un au-
tre rythme, qui raconte un autre temps.»
Luc Bronner laisse le canard en bonne santé, et dans le sec-
teur, c’est rare. Les abonnements ont explosé (368 000 print
et Web). Le nombre de journalistes est en constante augmen-
tation (près de 500). Son travail est salué, notamment sa capa-
cité à prendre des décisions ou sa participation à la lutte con-
tre l’arrivée dans l’actionnariat du milliardaire tchèque
Kretinsky. Les couacs, comme cette une de M, le Mag sur Ma-
cron évoquant l’esthé­tique nazie, ont été peu nombreux.
Il s’en réjouit, saluant régulièrement de manière tonitruante
les bons chiffres de diffusion sur les réseaux sociaux. Car
Luc Bronner est aussi un compétiteur. La seule fois où on
l’avait croisé auparavant, c’était lors d’un match de foot entre
le Monde et Libé, où, il faut bien le dire, nous avions perdu.
Il ne manque pas de nous le rappeler.

S
i la vie secrète des journalistes fait parfois fantasmer les L’homme est un bosseur, un acharné. Lorsqu’on avait décou- En creux, en l’écoutant, et en discutant avec ses collègues et
lecteurs, celle de Luc Bronner en décevrait plus d’un. vert ses articles sur la banlieue, qui lui valurent le prix Albert- parfois amis, qui soulignent sa carrure de chef et souvent sa
Vous ne verrez pas le directeur de la rédaction du Monde Londres en 2007, puis son livre sur le même sujet, en 2010, on part secrète, on se pose cette question : «Qu’est-ce que le jour-
dans les dîners en ville ou en visiteur du soir de l’Elysée. Non, avait été marqué par sa passion de la précision. Les longues nalisme fait des hommes que nous voulions être ?» Il y a d’un
dès qu’il a un moment de libre, ce père de trois enfants, divorcé heures passées la nuit dans sa voiture en bas des tours à atten- côté le gamin, fils de médecins à côté de Gap, élève très moyen
d’une enseignante, part dans les Alpes marcher ou se lancer dre une source, une info, étaient restés pour nous, étudiant, à l’école («un tâcheron») qui se libère au moment des études
dans des trails éprouvants. Le sportif de 46 ans n’aime rien tant comme une référence. A la terrasse du restaurant de la Grande (IEP de Grenoble, ESJ-Lille) et en apprivoisant le Monde et Pa-
que ce massif, où il a grandi, et dont il vient de tirer un livre, Mosquée de Paris, où il a donné rendez-vous, Luc Bronner ris, qui connaît succès sur succès, et à qui, même s’il n’ose pas
Chaudun, la montagne blessée. Il y raconte l’histoire d’un vil- sourit : «Mon éditrice me dit que je suis un grand malade.» «Luc se l’avouer, ça plaît. De l’autre, il y a le montagnard à la fibre
lage près de chez ses parents dans les Hautes-Alpes que sa po- a un côté très ascétique, confirme Caroline Monnot, qui va le écolo, qui cache son vote («on s’en fiche»), qui rêverait que tous
pulation vendit à l’Etat à la fin du XIXe et remplacer à la fin de l’année à la tête de la les journalistes quittent Twitter, et qui revient à Chaudun,

Le Portrait
qui fut rendu à la nature sauvage. Le récit, direction de la rédaction. Au sein du jour- comme pour susurrer à ses ancêtres alpins : «Regardez, je ne
très documenté, retrace la vie difficile de nal, les gens étaient convaincus qu’il était vous ai pas oubliés. Je suis toujours le même.» Il confie, repar-
ces habitants des hauteurs, où l’espérance hyperambitieux, mais ils n’avaient rien lant de son changement de poste, qu’il avait peur «de ne plus
de vie des enfants et des femmes enceintes étaient limitée. compris. C’est un montagnard, il est content quand il peut se se reconnaître en tant que journaliste, ni en tant qu’individu.
Dans la pauvreté et la surexploitation de leurs maigres ressour- barrer une semaine voir les marmottes et les chamois sans par- A quel moment on devient trop dur, quand n’a-t-on plus suffi-
ces, ils finirent par détruire leur environnement et durent s’exi- ler à personne.» samment d’empathie, de recul ?» Il continue : «J’ai craint de
ler, parfois de l’autre côté de l’Atlantique. Une pierre après l’au- Le journaliste aurait préféré une transition en douceur, lâcher changer personnellement de façon irréversible. L’exercice du
tre, inspiré par des bouts de tombes, ce mystère aux résonances du lest au fur et à mesure et pouvoir commencer à penser à ses pouvoir transforme les gens et les abîme. Et il finit par abîmer
écologiques très actuelles a fini par obséder Bronner, le pous- futurs sujets, quand il sera redevenu grand reporter, toujours les entourages professionnels, amicaux, personnels…» Au ver-
sant à se plonger dans de multiples sources administratives. au Monde. Au moment où on s’est rencontré autour d’un cous- tige du pouvoir, il préfère celui des cimes. •
«J’avais en tête une image de ce champ de ruines et cette fascina- cous, cela paraissait possible. Samuel Paty n’était pas encore
tion, nous dit-il. Des gens habitaient là, ils sont partis en Améri- mort, le confinement n’avait pas été décrété. Las, le grand tour- Par Quentin Girard
que.» L’ampleur du travail laisse pantois, mais ne surprend pas. billon de l’actualité est reparti pour un tour, et le voilà, à nou- Photo Jérôme Bonnet
Solidarités
Vendredi 6 novembre 2020

Argent solidaire
Ça pousse !
A l’occasion de la «semaine de la finance
solidaire», retour sur un secteur toujours
modeste, mais qui multiplie les initiatives.
Alberto Campi
II u
Solidarités
Libération Vendredi 6 Novembre 2020

Une des machines produites par l’Atelier paysan, le 14 octobre à Montoison (Drôme).

«Notre ferment
commun (Gaec), tenu par trois jeunes asso-
ciés, cultive 3,5 hectares en maraîchage. Ce
jour-là, mi-octobre, il sert de terrain de tra-
vaux pratiques à une vingtaine de paysans.
Huit femmes, douze hommes, dont la
moyenne d’âge tourne autour de 40 ans. Cer-

est éminemment
tains ont suivi un cursus agricole, d’autres
sont en reconversion. Tous souhaitent ap-
prendre à utiliser des machines moins agres-
sives pour la terre et participer à l’émergence
de modes de production renouvelés.
Associé du Gaec, Vincent Bastard, 31 ans, co-
anime avec Thomas Peyre cette journée de

politique»
formation pour le compte de l’Atelier paysan,
devenu une société coopérative d’intérêt col-
lectif (SCIC), au sein de laquelle les salariés
sont tous à bulletin de paie égal (un peu plus
de 2 000 euros par mois). Avant qu’il soit
adopté en 2014, ce statut est d’abord le fruit
de la vision de deux hommes en faveur de
l’autoconstruction paysanne : ­Joseph Tem-
Remplacer les machines par des
R
obe caramel et crin blond, le cheval plier, maraîcher bio en Isère, et Fabrice Clerc,
de trait avance au pas dans un agronome et charpentier. De fin 2007 à 2013,
animaux, partager les expériences champ de poireaux. Le comtois,
baptisé Quenotte, est attelé à une
ce dernier est ­conseiller au sein de l’Associa-
tion pour le développement de l’agriculture
et les connaissances… A la ferme bineuse à brancards. Son rôle : arracher les
herbes indésirables, ­aérer le sol pour qu’il
biologique de l’Isère. «Un collectif de maraî-
chers avait fait le constat que les outils à dispo-
la Cavale, dans la Drôme, trois reste perméable, que les racines des légumes
s’implantent en profondeur, et les «butter»
sition dans le commerce matraquaient les sols,
provoquaient une fatigue chronique de la
jeunes agriculteurs tentent une afin de favoriser leur ­développement. Que-
notte est l’un des deux chevaux qui officient
terre, retrace-t-il. Des groupes de réflexion se
sont réunis, en se disant qu’en continuant
approche différente de leur métier. à la ferme la Cavale, à Montoison (Drôme), où
l’entretien des ­cultures est réalisé unique-
comme ça, ils allaient droit dans le mur.»
Une alternative au labour classique est alors
ment en traction animale. Le travail du sol, testée : la culture en planches permanentes,
Par Maïté Darnault Envoyée spéciale à Montoison (Drôme) lui, est confié au tracteur motorisé. dont l’Allemand Hubert Mussler est un pré-
Photos Alberto Campi Ce groupement agricole d’exploitation en curseur. Cette technique consiste à détermi-
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u III

Solidaire, peut
nières années, l’offre de pro-
duits labellisés solidaires
s’est diffusée à l’ensemble du
secteur bancaire. Alors qu’il

mieux faire
y a dix ans les banquiers et
financiers la considéraient
comme une anomalie, ils la
traitent aujourd’hui comme
une niche, certes, mais une
Argent Malgré parler de l’ISR (investisse- niche légitime.»
des performances ment socialement responsa- Et les spécialistes d’inviter
ble) et un tiers environ de à l’optimisme. Au rang des
inédites, l’investissement solidaire.» très bonnes nouvelles ? Le
les produits Un presque anonymat que succès des fonds communs
financiers dits favorise le faible tropisme de placement d’entreprise
«solidaires» local pour la gestion de l’ar- solidaires (FCPES), ou en-
demeurent gent en général. «En France, core la ­conversion du LDD
confidentiels la culture financière des ci- en LDDS (comme «livret de
en France. toyens est minimaliste, rap- développement durable et
pelle Amélie Artis, ensei- solidaire»). Depuis ce mois

L
es indicateurs sont gnante en économie à l’IEP d’octobre, les épargnants
pourtant bons. Très de Grenoble, chercheuse au peuvent en effet flécher vers
bons, même. L’an CNRS et spécialiste du fi- l’ESS leur épargne ou leurs
passé, sa croissance nancement de l’économie intérêts. «C’est une avancée
fut historique (+ 23 %), les sociale et solidaire (ESS). fondamentale, s’enthou-
plateformes dédiées carton- Face à la chose financière, les siasme le président de Fi-
nent, les nouveaux entrants Français oscillent entre pro- nansol. Concrètement, au
se tirent la bourre et les fond désintérêt et représen- lieu de parler à 1,5 million de
grandes banques s’y met- tation négative.» ménages, la finance soli-
tent… Oui mais rien n’y fait : daire s’adresse désormais
elle plafonne. La finance so- «Légitime». Résultat, en aux 25 millions de déten-
lidaire ne représente encore additionnant les trois ca- teurs d’un LDDS !»
que 0,29 % du patrimoine naux de diffusion que sont De même, la présence dé-
­financier des Français. les souscriptions directes, sormais obligatoire d’au
Quinze petits milliards les produits proposés par moins un produit solidaire
d’euros sur 5 367, fin 2019. les banques et l’épargne dans les fonds proposés à
Une goutte d’eau. ­s alariale, on compte l’épargne salariale dope le
­aujourd’hui 1,5 million secteur. Et la loi Pacte
«Minimaliste». «La fi- d’épargnants solidaires, sur de 2019 va plus loin, impli-
nance solidaire continue de 35 millions de ménages. quant cette fois les assu-
souffrir d’un handicap ma- Pour autant, la finance soli- reurs. Leurs contrats multi-
jeur : son manque criant de daire revient de loin. Ou plu- supports devront bientôt
notoriété», explique Frédéric tôt, de rien. «Longtemps ca- compter impérativement
Tiberghien, président de Fi- taloguée comme gadget pour trois nouvelles unités de
nansol, association réfé- gauchistes et écolos à vélos, comptes : un ISR (dès 2020),
rente dont le label structure elle n’est plus un phénomène une unité verte et une unité
le marché. «Seuls 10 % à 15 % communautaire, souligne solidaire (à partir de 2022).
des Français ont entendu Amélie Artis. Ces vingt der- Benjamin Leclercq

ner des bandes de terre où les roues du trac- fonds propres du fonds de dotation Citoyens tant la réalité du taux d’intérêt général qu’on vale, Vincent Bastard, qui a suivi des études
teur ne passeront jamais, afin de diminuer solidaires (qui collecte des dons auprès de apporte». L’Atelier paysan s’autofinance à agricoles et obtenu une certification de co-
l’effet délétère des tassages répétés et le re- particuliers et de professionnels). La SCIC est hauteur de 60 %, avec ses activités de forma- cher. Conduire un tracteur climatisé ne l’a
cours aux désherbants chimiques. Il suffit également accompagnée par une trentaine tion, de recherche et développement, et de re- «jamais fait rêver», mais il sait pertinemment
d’une saison à Joseph Templier pour être de Cigales (clubs d’investisseurs pour une vente de matériel. Le reste de son budget est que les deux chevaux du Gaec ne vont pas se
convaincu par ce changement de cap. A nou- gestion alternative et locale de l’épargne soli- abondé par des enveloppes publiques (20 % substituer du jour au lendemain au moteur.
velle méthode, nouveaux instruments : il se daire). Ces collectifs de citoyens, qui mettent provenant du ministère de l’Agriculture, de Pourtant, l’agriculture biologique se trouve
met à bricoler des outils dédiés. «Au prin- en commun leurs bas de laine pour soutenir cofinancements européens et de la région selon lui «à un tournant social et énergéti-
temps 2009, on s’est fait une promesse, raconte un organisme de leur choix, ont permis d’in- Bretagne) et par des dotations de fondations que» : «On doit se demander ce qu’on veut faire
Fabrice Clerc, aujourd’hui cogérant de l’Ate- jecter 67 800 euros au projet de départ. privées (20 %). Ces dernières offrent «une faire aux ouvriers, de quels efforts on est capa-
lier paysan. Il fallait mettre en plan ces machi- France Active, un réseau d’«entrepreneurs forme de reconnaissance qui n’existe pas suffi- bles pour éviter les énergies fossiles.» L’évoca-
nes, les recenser dans un bouquin et former des engagés» pionnier de la finance solidaire a, samment auprès des institutions publiques», tion des amish arc-boutés sur leurs traditions
paysans à les fabriquer et à s’en servir.» lui, prêté à l’Atelier paysan près de estime Fabrice Clerc. L’urgence, pourtant, est le fait marrer : «Eux au moins, aux Etats-Unis,
130 000 euros en cinq ans. L’Union des coo- là : il existe aujourd’hui en France en- ont gardé des constructeurs d’outillage ! On est
«Charge bureaucratique» pératives apporte aussi, comme les Cigales tre 400 000 500 000 agriculteurs. Dans une génération qui a encore le choix, la solu-
En 2011, ils organisent six ateliers, plus du et France Active, des capitaux propres ou un dix ans, un tiers d’entre eux prendront leur re- tion doit passer par un compromis technique,
double l’année suivante. Il s’agit d’abord d’ap- financement en fonds de roulement, sous traite, plus de la moitié d’ici vingt ans. économique et environnemental.»
prendre à travailler le métal, à souder, mais forme de prêts participatifs ou de prise de Membre depuis 2016 de l’association natio-
aussi à modéliser des schémas adaptés à cha- parts sociales. Enfin, la banque éthique et co- «Constat douloureux» nale Inpact (Initiatives pour une agriculture
que ferme. Le premier Guide de l’autocon- opérative Nef («Nouvelle Economie frater- «Le projet actuel n’est pas de les remplacer, citoyenne et territoriale), l’Atelier paysan pro-
struction de l’Atelier paysan paraît en fé- nelle») et le Crédit coopératif accordent à mais de les remplacer par des machines, pré- pose aussi depuis deux ans des formations
vrier 2012, sous licence creative commons. l’Atelier paysan des prêts à l’investissement, cise Fabrice Clerc. Or on fait dans le même «politiques», pour populariser son idéal de
Tous les plans sont en accès libre sur le site in- qui se sont élevés à près de 800 000 euros ces temps le constat douloureux que la production transformation sociale. Un pari qui, dans un
ternet de la coopérative. Les fondateurs ne trois dernières années. agroalimentaire, qui est le résultat de l’indus- avenir de plus en plus proche, considère Fa-
s’attendaient pas à un tel engouement. La L’équipe de la SCIC a remporté le grand prix trialisation, est dommageable en termes de brice Clerc, devra nécessairement passer par
structure, dont le siège se trouve à Renage, en de la finance solidaire en 2016 et un prix spé- santé publique et profondément inégalitaire.» un «rapport de force» avec le modèle agricole
Isère, emploie désormais 24 salariés et a créé cial «dix ans» en 2019, attribués par Finansol, Pour lui, la «déprolétarisation» des paysans dominant et ses fermes usines démultipliées :
une antenne de formation et de recherche et l’association phare de promotion et de labelli- doit passer par des alternatives très conc­- «Le ferment de l’Atelier paysan est éminem-
développement dans le Morbihan, en Breta- sation de ce segment très minoritaire de l’éco- rètes : repenser les machines donc, mais aussi ment politique, dit-il. On livre en creative
gne. «On croule sous le boulot, pas sous l’ar- nomie (lire ci-dessus). Rendre l’argent plus l’organisation des tâches, l’ergonomie – «l’éco- commons des plans de machines qui n’existent
gent», constate cependant Fabrice Clerc, qui vertueux demeure une gageure : ces apports nomie du corps», précieuse «pour se libérer et nulle part, on crée des tutoriels en open
touche le même salaire, un peu plus réguliers sont un levier vital pour l’Atelier échanger entre pairs, pour avancer», explique source. Ça pose la question de qui maîtrise et
de 1800 euros, que tous ses collaborateurs, paysan, mais ils impliquent également «une un manuel de l’Atelier paysan. diffuse l’information, la technique, la manière
quelle que soit leur fonction. grosse charge bureaucratique et des taux d’in- «Est-ce que l’agriculture doit rester un boulot de faire. Car le faire soi-même est un prétexte
Depuis 2014, l’Atelier paysan bénéficie du térêt élevés», souligne Fabrice Clerc, qui re- de merde, possible grâce à des millions de litres à l’émancipation, au “faire ensemble”, au
soutien sur le fonctionnement et sur les vendique un «accès à des financements reflé- de fioul ?» s’interroge en écho, à la ferme la Ca- “faire société”.» •
IV u
Solidarités
Libération Vendredi 6 Novembre 2020

Au Paris FinTech
Forum, en janvier.
Photo Eric TSCHAEN. Rea

Les bons
Par coups d’algorithmes, de ré-
Benjamin seaux sociaux et de ténacité,
LECLERCQ beaucoup de petits cailloux.
Lita.co, la «FinTech» cofon-

L
a finance privée, cet dée par Eva Sadoun, a levé
ogre nonchalant et 50 millions d’euros en
conservateur, n’aime cinq ans, finançant près de

comptes des
pas qu’on vienne 125 sociétés dans trois pays.
l’enquiquiner. Au diable les Gourmande, elle vient de
néophytes, les exaltés, les lancer un fonds de 100 mil-
­rêveurs et autres petits pou- lions d’euros pour la relance
cets qui tenteraient d’infil- post-Covid… Alors l’ogre a
trer sa chasse gardée. Aussi, cédé. Et, aujourd’hui, c’est
lorsque en 2015, à tout juste bien le grand assureur Aviva

petits poucets
25 ans, Eva Sadoun vint frap- France, le mastodonte BNP
per à sa porte, un projet Paribas ou la Caisse d’épar-
d’épargne participatif et soli- gne (25,9 millions de clients)
daire sous le bras, l’ogre l’a qui lui font les yeux doux.
d’abord méchamment toisée. L’histoire de Lita illustre une
«Les grandes banques nous tendance de fond. Ou com-

de la finance
ont ri au nez, se souvient- ment la jeune «tech» finan-
elle. On nous a objecté, avec cière chamboule les habitu-
une pointe de mépris, que le des du marché, exposant ses
grand public n’avait pas à valeurs – sociales, solidaires
s’occuper lui-même de son et écologiques – à la finance
épargne.» traditionnelle.
De fait, la conjoncture est
Tendance de fond bonne. La finance solidaire a
Le géant mal léché a pour-
tant un talon d’Achille : il ne
Néobanques «vertes», plateformes fait une belle poussée en 2019
(lire page 3), et la crise sani-
résiste pas à l’odeur des bon-
nes idées. A fortiori quand
de financement participatif ou assurances taire, en plus d’ébranler les
consciences, a fait gonfler les
celles-ci génèrent des nom-
bres à plusieurs zéros… Alors
éthiques… les start-up «solidaires» encours : entre mars et juillet,
les Français ont épargné
le petit poucet, ne s’en lais-
sant pas conter, a besogné,
foisonnent sur le marché, pilotées (c’est un record) plus de
85 milliards d’euros. Une
amassant sur son chemin, à par une génération engagée. manne que ces nouveaux ac-
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u V

­ onvaincus. Comme Jean-


c Rift, une salutaire appli per- tre ambition est de contour- fait accepter. «Même si l’on le haut du pavé. Les plate­-
David Bar, 32 ans, cofonda- mettant de scanner son por- ner les trois grands écueils du s’arrache parfois les cheveux formes numériques, ergono-
teur de la start-up nantaise tefeuille et d’établir un diag- système financier : sa surin- face à leurs pratiques bu- mique et facile d’accès (cer-
WeDoGood. «C’était en 2012, nostic – vous saurez si vos termédiation, sa faible acces- reaucratiques, nous tra- tains tickets d’entrée
j’avais 24 ans, se rappelle-t-il. billes financent l’industrie de sibilité, et ses impacts délé­- vaillons avec les grandes ban- n’excèdent pas 10 euros),
Je suivais une conférence l’armement et combien elles tères sur l’économie réelle, ques et nos relations sont sont un puissant outil de
TEDx, et l’intervenant a sorti pèsent en CO2. Pour cela, la l’environnement et les inéga- cordiales», se félicite Susana démocra­tisation. Elles atti-
une statistique qui m’a scié : start-up s’est associée au gra- lités sociales.» Nunes, 35 ans, cofondatrice rent de fait tous les profils :
malgré l’urgence climatique, tin de la transition écolo­- de WeDoGood. Pas fous, nos «Du particulier qui investit
il était alors investi quatre gique et sociale : l’ONG Démocratisation jeunes entrepreneurs savent 100 euros par mois au gros
fois plus d’argent dans les ­Oxfam France, le cabinet de En somme, une «disruption» le risque de récupération poisson qui en injecte 200 000
énergies fossiles que dans les conseil Carbone 4, l’associa- façon Macron, la sincérité et et de green ou social wa- par an», dit-on chez Lita, qui
renouvelables.» Dans la cabo- tion Finansol ou encore la vertu en plus. «Nous shing : «BNP Paribas, qui est se réjouit de ne pas savoir
che de cet étudiant en école ­Novethic, filiale de la Caisse n’avons pas tout à fait le aujourd’hui la plus active sur établir de «profil type». Chez
de commerce (Audencia), un des dépôts… même rêve que la start-up na- le front de la finance WeDoGood, l’investisseur est
«déclic». WeDoGood naîtra S’ils se fondent habilement tion de Macron, assène Eva ­solidaire, est aussi l’une des jeune (41 ans en moyenne) et
l’année suivante. dans le décor, ces nouveaux Sadoun. Lui veut exporter la pires ­banques en termes loin d’être crésus (600 euros
Eva Sadoun, elle, a trouvé sa entrants le rappellent à tech française comme un pro- ­d’investissements nocifs par investissement).
vocation plus tôt encore : «Il l’envi, ils sont «différents». duit. Nous, nous voulons sou- pour l’environnement et les Les petits poucets ne comp-
faut dire que j’ai passé mon Eva Sadoun, dont les mails tenir des entreprises ­locales et droits humains», glisse l’un tent cependant pas en rester
Bac en 2008… en pleine crise sont signés d’un efficace­ résilientes au sein de nos ter- d’eux. là. Ils ont remporté des ba-
financière, sourit la fonda- «entrepreneure activiste», n’a ritoires.» Ensuite, la finance solidaire, tailles, mais pas encore la
trice de Lita. J’ai eu envie de pas peur du mot : sa manière Leurs deux premiers com- qui souffre d’un manque guerre. Et il leur reste
pouvoir analyser les algorith- de pratiquer la finance est bats ont d’ores et déjà été de notoriété chronique, tient ­à convaincre un ogre de
mes financiers, ces machines bien un «militantisme». «No- ­gagnés. D’abord, elles se sont désormais, grâce à elles, changer… •
à créer des crises.» Des études
de maths, de finance (EM
Lyon), un stage en banque et
un autre dans le microcrédit
en Inde… et la voilà prête à
lancer sa start-up, en 2014,
avec un copain de prépa,
­Julien Benayoun.

«Activiste»
D’autres se sont convertis
en chemin, rattrapés presque
malgré eux par la violence du
monde bancaire. Pour Kamel
Naït-Outaleb, cofondateur de
OnlyOne, ce fut «une crise de
la quarantaine». Au Crédit
commercial de France, sur le
terrain, puis chez HSBC, au
siège, il grimpe patiemment
les échelons. Dix-sept ans
d’une trajectoire ascension-
nelle qui le mène, en 2017,
«aux portes du Comex». Le
teurs lorgnent avec appétit. paradis des banquiers ambi-
Ça se bouscule au portillon. tieux. Mais soudain le quadra
Il y a, d’abord, les platefor- doute. «J’étais de plus en plus
mes de financement partici- gêné par le comportement de
patif «à impact» (prêt, ou in- la banque vis-à-vis des clients
vestissement en action ou les plus faibles, dit-il. L’alter-
obligation), à l’instar de Lita, native est devenue limpide :
mais aussi de Babyloan, So- soit je continuais comme si de
wefund, Zeste, BlueBees rien n’était et je m’égarais, soit
ou encore WeDoGood, qui se je changeais de cap.» Après
démarquent par des le- un MBA Digital Marketing et
vées de fonds en royalties. Il une thèse sur la disruption de
y a, ensuite, l’émergence la banque de détail, il lance
en 2020 des «néobanques à OnlyOne, qu’il présente
impact». Trois se lancent cet comme la «première néoban-
automne, qui espèrent ver- que à impact positif».
dir le secteur bancaire fran- Surdiplômés et malins, ils et
çais : Helios, OnlyOne et elles usent sans complexe
Green-Got. Il y a, enfin, les des codes et des ficelles du
acteurs sectoriels : Miimosa, métier. La publicité et les slo-
pour le financement de gans sont accrocheurs (quitte
«l’alimentation de demain» ; à parfois en faire des tonnes,
Turbo Cereal, place de mar- tel OnlyOne se comparant à
ché et néobanque dédiée à la «David contre Goliath»). Les
filière agricole ; Coalescent, intérêts sont soigneusement
pour l’investissement locatif défendus (plusieurs possè-
via micro-immobilier et dent une cellule «lobbying»).
blockchain ; Luko, spécia- Et la présence médiatique sa-
liste de l’assurance en ligne vamment orchestrée («On
éthique… cherche une exclusivité sur un
beau papier ou une couv, si ça
Caboche peut intéresser votre rédac-
Aux manettes ? Une clique tion ?» nous écrit-on ainsi à
de trentenaires aux velléités propos du lancement d’un
disruptives, climato-sensi- nouveau service).
bles et socialement engagés. Ils savent, aussi, s’entourer.
D’aucuns ont très tôt été Le 26 octobre, Lita a lancé
VI u
Solidarités Libération Vendredi 6 Novembre 2020

«Une transformation
en douceur»
Amélie Artis dance le symptôme d’une acteurs «clas­siques», tels que
Chercheuse au crise du système ­financier, BNP Paribas, s’en inspirent
ou une piste pour changer pour repenser leurs proposi-
laboratoire Pacte
de modèle ? tions. Cette «finance patiente»,
et prof à Sciences- La perspective historique à l’opposé d’un placement en
Po Grenoble, montre que la finance solidaire Bourse, questionne le système
l’économiste n’est ni le symptôme d’un mo- actuel.
étudie les modèles dèle dysfonctionnel ni une so- Face à cet engouement,
de financements lution, mais bien un phéno- comment expliquer que la
alternatifs. mène permanent. Depuis part de la finance solidaire
le XIXe siècle, on observe à la reste marginale ?

L’
économiste Amélie marge de la haute finance des D’abord, la finance solidaire
Artis étudie un sec- acteurs intermédiaires qui est moins inventive en termes
teur qui existe désor- soutiennent ceux qui sont ex- de design de produits, son of-
mais depuis des clus du système dominant, soit fre est donc beaucoup moins
­décennies. en raison de leurs spécificités large que celle la finance clas-
Vous diagnostiquez un re- (mode de gouvernance, pro- sique, alors que les agents éco-
gain d’intérêt pour la fi- priété du capital, règles de re- nomiques recherchent une di-
nance solidaire. Comment distribution des gains…), soit versification de placements.
cela se manifeste-t-il ? du fait de la conjoncture. Par ailleurs, les rendements
La croissance de la collecte La crise de 2008 a soulevé un qu’elle propose ne sont pas
d’épargne solidaire, mesurée sentiment de défiance par rap- spéculatifs. Ils sont supérieurs
par le baromètre Finansol de- port aux opérateurs financiers au Livret A, c’est-à-dire à une
puis une dizaine d’années, est traditionnels, auquel la fi- épargne de précaution, mais
un premier indice. Mais cela ne nance solidaire répond avec ils restent peu alléchants pour
suffit pas à attester d’une ten- un certain succès, en propo- les épargnants, d’autant qu’ils
dance, car cette augmentation sant moins une révolution sont bloqués sur du long
porte sur un volume d’épargne ­radicale qu’une transforma- terme : cinq, dix ans voire
très faible. D’autres critères tion en douceur. Son dévelop- plus.
confirment ce regain d’intérêt : pement bénéficie de l’essor La finance solidaire, il ne faut
les produits de la finance soli- d’autres enjeux, environne- pas l’oublier, reste un outil fi-
daire, tels que les fonds com- mentaux notamment, qui nancier ; un outil qui va don-
muns de placement ou les li- changent les modes de ner du sens à votre argent, qui
vrets d’épargne, sont de plus en ­consommer et de travailler. va rechercher la transparence,
plus nombreux : en 1987, on en Nous sommes aussi dans une mais qui n’est qu’une option de
comptait 7, aujourd’hui, 160. période de fragilité du contrat gestion de patrimoine parmi
De plus, ils sont proposés par social, qui encourage une re- d’autres. Or aujourd’hui, l’aspi-
Marta NASCIMENTO. REA

un nombre croissant d’acteurs, cherche d’utopie… Les mo- ration qui domine encore très
bien au-delà des guichets spé- ments de crise sont des arènes largement chez les agents éco-
cialisés, ce qui les rend très pour la finance solidaire. La lo- nomiques, c’est la quête court-
acces­sibles. Aujourd’hui, les gique qu’elle sous-tend, c’est- termiste et spéculative de li-
produits de la finance solidaire à-dire l’exigence de transpa- quidités… La finance solidaire
font quasiment partie du cata- rence, de sens, et l’acceptation est à l’opposé de cela.
logue Amazon. du temps long, se diffuse au- Recueilli par
Voyez-vous dans cette ten- delà des cercles militants : des Christelle Granja

«Nous sommes tout petits,


sion facturée aux vendeurs utilisant notre
boutique en ligne, d’autre part sur les ventes
de notre propre stock de livres invendus ; nous
avons un entrepôt en Seine-Saint-Denis et
nous sommes en train de lancer une nouvelle

mais nous existons»


plateforme logistique en Nouvelle-Aquitaine.
Nous avons été déficitaires pour les trois pre-
miers exercices, ce qui était prévu dans le busi-
ness plan, mais nous visons l’équilibre cette
année. Les prochains béné­fices nous permet-
Maud Sarda Cofondatrice sans frontières. Le volume d’activité double d’appauvrissement du lien social, complète trons de rembourser nos prêts solidaires (dont
du site de vente en ligne d’année en année: pour 2020, nous tablons sur le réseau existant ; c’est un relais de crois- les taux d’intérêt voi­sinent les 4 % ou 5 %) puis
près de 200 000 objets vendus. Par ailleurs, sance, qui permet d’être visible d’un nouveau d’investir dans des outils de travail. Le leitmo-
Label Emmaüs, nommé cette Label Emmaüs compte désormais 30 salariés, public. J’espère que demain, elle amènera tiv d’Emmaüs, c’est de faire, et de montrer que
année pour le Grand Prix dont 12 personnes en parcours d’insertion qui ­davantage de personnes à se rendre dans l’un c’est possible. Nous sommes tout petits, mais
de la finance solidaire. se consacrent notamment à la mise en ligne des 450 espaces de vente Emmaüs. nous existons… Alors copiez-nous !
et à la préparation des commandes. Nous Vous défendez Label Emmaüs comme un Quelle responsabilité la finance ­a-t-elle

C
ombative et lucide sur la tâche avons aussi lancé en 2019 une école d’e-com- contre-modèle. C’est-à-dire ? dans la lutte contre la précarité ? Faut-il
­à accomplir, Maud Sarda, du Label merce inclusive, qui cible les personnes qui Nous détonnons dans le paysage des changer de finance pour changer le
Emmaüs, défend un «contre-mo- n’ont pas le bac ; les cours sont assurés béné- start-up et du e-commerce ! Nous sommes monde ?
dèle» social et numé­rique. volement par des salariés d’entreprises parte- une coopérative de type SCIC (société coopé- S’il y a une priorité, c’est bien celle-ci ! On en-
Vous avez lancé le projet Label ­Emmaüs naires. Enfin, le fonds de dotation Label Tran- rative d’intérêt collectif). Une coopérative ne tend beaucoup parler de capitalisme «à visage
en 2016. En quatre ans, qu’est-ce qui a sition, créé l’an dernier, vise à favoriser la permettant ni capitalisation ni dividendes, humain», mais cela reste impossible sans une
changé ? transition numérique d’acteurs de l’ESS, en nous n’intéressons pas les investisseurs clas- remise en question de la financiarisation ex-
Le catalogue est passé de 3 000 produits à plus soutenant des projets solidaires sur le Web… siques : sans la finance solidaire, nous n’au- trême de l’économie. Si nous ne tirons pas de
de 1 million, en provenance d’une centaine de Ce qui n’a pas changé par contre depuis 2016, rions pas pu mener ce projet aussi loin. leçon des crises successives, le capitalisme ne
structures de l’économie sociale et solidaire c’est le nombre de magasins physiques ! La Quant au modèle économique de Label Em- pourra être ni «green» ni «humain».
telles que la Croix-Rouge ou Bibliothèques vente en ligne, qui peut susciter des craintes maüs, il est basé d’une part sur une commis- Recueilli par C.Gr.
Libération Vendredi 6 Novembre 2020 www.liberation.fr f facebook.com/liberation t @libe u VII

«On est loin


d’être dans un
moment de
décroissance»
Philippe Zaouati formances des fonds respon­-
Directeur général sables sont au-dessus des au-
tres, les plans de relance
de Mirova, filiale
orientés vers le développe-
de Natixis, ment durable marchent. Je
une société crois qu’on a eu cette année,
de gestion une tendance sous-jacente
spécialisée dans depuis trois ans, un mouve-
l’environnement ment très fort de l’économie,
responsable. et la ­finance a fini par s’en
rendre compte.»

I
l a créé une société de Philippe Zaouati a été pré-
gestion pour investir curseur dans le secteur, mais
dans l’économie du­- il poursuit ainsi : «La transi-
rable, les énergies tion écologique et énergéti-
­renouvelables, le marché des que, la crise sanitaire ont
obligations vertes… «Investir montré que cette rotation se
dans la nature, c’est rendre faisait de manière réelle et
son exploitation plus soute- brutale. En parallèle de cela,
nable, tenir compte de l’im- se met en place toute la valo-
pact de l’environnement sur risation financière du déve-
la biodiversité… S’occuper du loppement durable. Beau-
capital naturel, de la culture coup d’entreprises innovent,
durable, du recyclable», l’essentiel des plans de re-
­énumère Philippe Zaouati, lance va s’orienter dans cette
53 ans, directeur général direction, le marché finan-
de Mirova. «Au bout du bout, cier anticipe cette rotation
poursuit le financier, il y a ce de l’économie cela “parle”
besoin de s’orienter vers des aux épargnants et aux inves-
solutions qui protègent la tisseurs qui se disent : “Ça y
­nature.» est, on a de la création de va-
leur.” Il faut en inventer un
«Crise». On l’avait joint ce écolo productivisme, réussir
printemps au début du con- la transition écologique, il
finement. Depuis, son entre- faut investir dans de nom-
prise ­connaît «une croissance breux domaines. On est loin
extrêmement forte. Les per- d’être dans un moment de dé-
croissance, il faut des inves-
tissements massifs pour
changer de modèle.»

Jouer sur le «levier de transition» «Sens». Philippe Zaouati


s’inquiète un peu pour la
suite. «Cette deuxième phase
est plus douloureuse à vivre
que la première d’un point de
Lucie Pinson ou de charbon revient à aggraver la question d’engagement : «Nous fai- «Aujourd’hui, s’observe une vue moral. Il y a de la lassi-
Fondatrice situation climatique», condamne sons remonter nos recherches aux ­tendance qui consiste à rajouter tude et de la démoralisation
Lucie Pinson. PDG et nous leur soumettons des so- du renouvelable à un monde qui qui arrivent, dues à l’absence
et directrice
Alors sur le site de Reclaim Fi- lutions. Ne pas ­financer de nouvelle reste profondément écocide. Mais de visibilité et de perspective.
de l’ONG Reclaim nance, l’ONG qu’elle a fondée en centrale à charbon, par exemple.» cela ne résout pas la question de la Le problème aujourd’hui,
Finance. mars 2020 après avoir œuvré chez Un vœu pieux ? Lucie Pinson pré- transition : comment passer du c’est la difficulté d’y voir
les Amis de la Terre, les noms des fère pourfendre la culture du re- ­modèle actuel à un modèle soute­- clair, de se lancer dans de

D
epuis sept ans, Lucie Pin- responsables s’affichent, études noncement et défendre une appro- nable ?» nouveaux projets, de trouver
son bataille pour ne pas à l’appui. La BCE «finance les pol- che pragmatique : «Notre objectif du “long terme”. Cela dé-
laisser la finance entre les lueurs», BlackRock et Roth- n’est pas de transformer les grands Prémices. Plutôt que d’attendre prime. Malgré tout, en no-
mains des seuls experts. schild & Co s’essaient au green wa- groupes en des banques 100 % le grand soir de la finance durable, vembre, on lance une grosse
«C’est un outil majeur de change- shing, quant à la Société générale, ­éthiques, mais de faire en sorte de la militante salue chaque victoire levée de fonds pour investir
ment, que je veux mettre au service carton rouge : «Elle n’a pris aucun diminuer le plus possible leur im- arrachée, telle que l’adoption ré- dans la transition écologique,
du climat et de la société», défend la engagement d’exclusion des pétroles pact.» Financer des activités cente d’une poli­tique de sortie du les énergies renouvelables…
trentenaire. Sa stratégie : pointer du et gaz de schiste.» L’heure n’est plus ­durables ne suffit pas, lâche la mili- charbon par une quinzaine d’insti- Les gens ­se disent : “Je mets
doigt les bonnes et les mauvaises aux nuances de gris. tante. Pour l’énergique directrice tutions françaises, dont le Crédit mon argent dans des fonds
pratiques des acteurs de la finance de Reclaim Finance, l’avenir ne se agricole et Axa. Peut-on y voir les qui créent de l’emploi, pour
internationale – les banques, mais Pragmatique. Autour de Lucie joue pas à la marge du système prémices d’une finance plus res- moi, cela a du sens.” L’épar-
aussi les assureurs et les gestion- Pinson, une petite équipe s’active ­financier, mais bien au niveau des ponsable ? «Les choix les plus diffici- gne est aussi faite pour ré-
naires d’actifs. «Choisir de financer pour analyser, décortiquer, compa- grands flux de capitaux. C’est donc les restent encore à faire», soupire pondre à des problématiques
des activités non soutenables telles rer les pratiques et les discours. Au- sur ce «levier de transition» Lucie Pinson. ­so­ciales.»
que l’exploitation de gaz de schiste delà du name and shame, il est aussi que l’ONG concentre son action. C.Gr. Didier Arnaud
VIII u
Solidarités
Libération Vendredi 6 Novembre 2020

Dans la papeterie Pocheco, en 2012. Photo Franck CRUSIAUX. REA

Quand écologie
portante devrait être consa- lopperaient actuellement la
crée aux femmes, qui, selon méthode de l’écolonomie.
Druon, apportent «des éclai- Emmanuel Druon a même
rages différents». «La trans- constaté une «accélération
formation créatrice, poursuit depuis le confinement, plein
le fondateur de Pocheco, sera de gens nous ont contactés.

rime avec économie


prise au sens large pour se On a créé des emplois pour
mettre en face de la destruc- modifier nos méthodes de tra-
tion créatrice, source du capi- vail. Par ce biais, les entrep­-
talisme actuel.» rises reprennent en main leur
«On propose une entreprise cycle de création et amélio-
qui entreprend sans détruire. rent la recyclabilité et la bio-
Dix arbres sont plantés dégradabilité. Si demain, les
Fondée sur le concept «Quand on gagne de l’argent,
on le réinvestit dans l’entre-
des autres. On a continué de
produire en gérant les gestes
quand on en coupe un. On
doit réintroduire le vivant et
entreprises s’y mettent vous
réglez une partie du pro-
d’«écolonomie», prise.» L’écart de salaire y est
de un à quatre maximum.
barrières, on a plutôt bien
vécu cette période dans l’ate-
le sensible dans l’acte d’entre-
prendre. Quand on développe
blème. Baisser la pression sur
le climat peut se faire dans le
la société de papeterie La méthode de Druon est
­basée sur un principe simple
lier. Nous n’avons pas ­déploré
de malades dans les bureaux,
les corridors de biodiversité,
ou bien l’entreprise zéro dé-
cadre du travail de tous les
jours»…
Pocheco vise à entendre : «Il est plus écono-
mique de travailler de façon
mais on fait très attention.
Certaines activités ont été
chets, on accompagne plus de
cent entreprises dans le
Et de citer l’exemple de cette
usine à Roanne (Loire) qui est
à «entreprendre sans écologique.» Aujourd’hui, la
société a rebondi en se diver-
touchées, comme les séminai-
res qu’on a arrêtés. Mais les
monde pour aller vers des mé-
thodes moins prédatrices.
allée voir son voisin dont le
déchet principal était la va-
détruire». sifiant, explique Emmanuel
Druon, qui martèle ainsi son
fabricants de nos matières
premières ont continué à tra-
Notre conviction, c’est cette
idée de transmission et de
peur. Ils ont simplement
«tendu un tuyau entre les
credo : «Il y a urgence à se pré- vailler régulièrement, on ne se partage.» deux usines» et obtenu une
Par Pocheco a connu des hauts occuper de la manière dont on plaint pas.» baisse de la consommation
dIDIER aRNAUD et des bas, notamment avec produit. On ne va pas tou- Au reste, comme ailleurs, les «Echantillon» d’énergie de 47 %. «Cela n’a
un plan social majeur, mais jours être en croissance, on ne bureaux ont télétravaillé, «Pocheco, tout seul n’a pas l’air de rien mais si vous mul-

I
l est obstiné et veut, à l’issue duquel, insiste Em- peut pas faire comme si de avec de nombreuses réunions d’intérêt, poursuit Emma- tipliez ces occasions-là par-
à sa manière faire chan- manuel Druon, «chacun a été rien n’était, il est impossible à distance. «On a eu l’idée il y nuel Druon, mais si ce petit tout sur le territoire, vous
ger le cours des choses. accompagné et tous ont de ne pas considérer la ques- a longtemps de se mettre en site industriel est un échan- ­gagnez, commente Druon.
A 54 ans, Emmanuel ­retrouvé un travail». La so- tion de l’effondrement en liaison par les biais de forma- tillon de ce qui peut être re- Quand vous proposez des so-
Druon est le directeur de ciété fabriquait des envelop- train de se produire.» tions qualifiantes montées produit dans d’autres entre- lutions pour réduire les effets
­Pocheco, entreprise qu’il pes et l’arrivée du numérique avec l’éditeur Actes Sud et son prises et si d’autres personnes délétères du consumérisme
a fondée. Sa société se déve- lui a porté un coup sévère. «Vivant et sensible» université Domaine du possi- prennent cela en main, cela ultralibéral, c’est très mobili-
loppe autour d’un concept Sévère mais pas fatal. Au- Emmanuel Druon le ble. On continue jusqu’au devient très intéressant. C’est sant pour une équipe.» Un
original, dénommé «écolono- jourd’hui elle produit, grâce ­concède, la situation sani- 10 juin 2021, où l’on organi- ma conviction profonde qu’on temps d’arrêt. Un sourire.
mie» qui, comme son nom le à différents types de fibres, taire ne l’a pas trop affecté : sera nos rencontres “écolono- n’aboutit à rien avec des mes- «Donnez-nous dix ans et un
sous-entend, veut en alliant quelque 10 millions d’enve- «On a eu beaucoup de chance mie” sur des thématiques de sages anxiogènes.» peu de visibilité, et on va
écologie et économie, «entre- loppes par jour, sur des car les machines de produc- transformation créatrice.» A Plus d’une centaine d’entre- changer la situation de la bio-
prendre sans détruire». ­machines performantes. tion sont distantes les unes cette occasion, une place im- prises dans le monde déve- diversité sur le territoire !» •

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