Académique Documents
Professionnel Documents
Culture Documents
On croisera donc dans ces pages des femmes et des hommes, des
célèbres – du moins en leur temps – et des anonymes, des riches et des
pauvres, de vieux jupons rapiécés et de belles robes chamarrées. Il faut
insister sur la diversité des vies, des conditions, dire et redire que les
femmes ne forment pas une population homogène sans attache sociale ou
chronologique, qu’elles appartiennent à des groupes parfois antagonistes.
Dire aussi que ce n’est pas parce qu’elles sont femmes qu’elles sont
nécessairement solidaires : gestes d’entraide et paroles réconfortantes
voisinent avec rivalités, mépris social ou hostilité religieuse. Une noble
dame se sentira plus proche d’un seigneur que de la mendiante édentée
qui la regarde passer avec envie ou colère, une catholique du XVIe siècle
n’aura que haine pour une protestante. Comme les hommes ? Non, pas
exactement, car toutes, à l’intérieur de leurs catégories sociales
respectives, sont perpétuellement renvoyées à « leur sexe » et à une
position inférieure. Elles sont rassemblées dans le discours tenu sur « la
Femme », l’être féminin : il définit ce qu’est la différence des sexes, dit
ce que doivent être la Femme, l’Homme et leurs fonctions distinctives.
Ces représentations contribuent à maintenir l’inégalité et il est nécessaire
de les analyser dans leur contexte historique. Mais il est tout aussi
essentiel de comparer l’image de la Femme et la vie des femmes, de
mettre en évidence l’écart entre les injonctions et le concret des
conduites, telles qu’elles peuvent apparaître dans les archives :
n’oublions pas qu’il s’agissait de personnes réelles, et que l’existence ne
peut se réduire aux normes imposées, que les rapports humains sont faits
de révoltes individuelles, d’arrangements, d’accords, de tractations. Que
l’on comprenne bien : nous ne voulons pas par là opposer discours et
pratiques, représentations et « réel », mais écrire une histoire qui mette en
résonance et en tension ces différentes composantes. Une histoire qui
conjugue exclusion et participation féminine, qui interroge leurs
mécanismes tout en secouant leurs évidences parfois trompeuses. Une
histoire qui rappelle que les interventions des individus dans le tissu
social et politique peuvent brouiller, déplacer les cadres dans lesquels on
souhaiterait les tenir enfermés, tout en n’oubliant pas que ces cadres
pèsent sur les possibilités et les modalités de leurs interventions.
Il sera ici question de la France des XVIe-XVIIIe siècles. Dans une
synthèse au nombre limité de pages, comme celle-ci, il faut faire des
choix : on a préféré dresser un tableau aussi complet que possible de cette
société, quitte à sacrifier les ouvertures sur l’étranger, pourtant toujours
parlantes – on regrette également que les travaux sur les femmes et le
genre dans les colonies françaises soient encore trop peu nombreux pour
pouvoir les intégrer dans une synthèse, ce qui devrait à coup sûr évoluer
dans les années à venir. La période envisagée s’ouvre et se clôt par deux
ruptures retentissantes, aux conséquences durables : la Réforme
protestante, qui brise l’unité religieuse et appelle à reconsidérer la place
des fidèles dans l’Église, et la Révolution française, qui met fin à la
société d’ordres fondée sur le principe d’inégalité juridique. Entre ces
deux dates, la France connaît de nombreuses transformations, plus
souvent lentes que brutales. On est ainsi passé de la rédaction des
coutumes provinciales à celle du code civil, de l’affirmation de
l’absolutisme à sa critique puis sa destruction, de la notion de groupe à
celle d’individu, des réformes religieuses à une amorce de sécularisation
de la société, de la toute puissance de l’oralité à la progression de l’écrit,
etc. Or, l’image, le statut, le rôle des femmes (et les rapports de genre)
sont dépendants de ce contexte, de ces évolutions – que, membres de la
société, elles contribuent d’ailleurs à créer à des degrés divers.
L’histoire n’est pas immobile et il faut faire attention à ne pas plaquer
sur cette période des images toutes faites, souvent héritées du XIXe siècle :
la lecture de ce livre devrait aussi permettre de relativiser les discours
contemporains sur la famille « traditionnelle » stable et nombreuse, sur
l’entrée « récente » des femmes dans le monde du travail, ou encore sur
la « libéralisation » des mœurs au XXe siècle.
Le déroulement du propos tient compte de tous ces éléments. Une
première partie est destinée à mettre en place le décor dans lequel se
situent les mouvements historiques et à souligner d’emblée le décalage
entre les images de la Femme et la vie quotidienne des femmes. On
plantera donc d’abord le cadre normatif formé par le système de
représentations et la législation, qui font de la sujétion féminine un pilier
de l’ordre social et politique - même si cette sujétion n’est pas totale. Puis
on le confrontera avec les pratiques, dans la sphère domestique et
l’espace public. On verra ainsi comment se définissent les rôles des deux
sexes dans la famille, comment s’y négocient les relations entre époux,
en n’ayant garde d’oublier toutes celles qui vivent « seules », sans mari.
Dans les champs, les ateliers, le cabaret, la rue, on côtoiera de coriaces
femmes d’affaires, des travailleuses aux corps meurtris par la fatigue, aux
doigts agiles et abîmés ; on y surprendra le caquet des voisines et les cris
des émeutières.
Après avoir présenté la vie quotidienne, dans une deuxième partie on
s’attachera aux évolutions historiques des XVIe-XVIIe siècles, et ce dans
des lieux de pouvoir a priori interdits à celles qui, dit-on, doivent se taire
et obéir. On analysera alors dans quelle mesure les (ou des) femmes ont
participé, avec les hommes ou selon des modalités particulières, aux
mouvements politiques, religieux, culturels. En même temps, on se
demandera quelles répercussions ont pu avoir ceux-ci sur leur place dans
la société. Crises violentes ou sourdes transformations de longue haleine,
réformes religieuses ou cartésianisme n’induisent-ils pas un déplacement
des normes, l’ouverture vers d’autres possibles, dans les faits et les
esprits ? Et jusqu’à quel point le règne de Louis XIV fige-t-il les choses
dans l’ordre absolutiste ? Ces questions familières aux historiens de la
période seront ici posées à propos des rapports hommes-femmes.
Puissantes et renommées princesses, nobles dames caracolant sur le
domaine familial pour le protéger de la soldatesque, martyres
huguenotes, pieuses dévotes œuvrant à la rénovation du catholicisme,
sorcières conduites au bûcher, petites filles apprenant à lire et à craindre
Dieu dans des écoles nouvellement ouvertes pour elles, précieuses
ridiculisées et femmes savantes moquées peupleront ces pages, en
compagnie de ceux avec qui elles contribuent à faire l’histoire.
Au XVIIIe siècle s’affirment une autre conception du monde et de
nouveaux comportements. La conception du genre se modifie-t-elle dans
ce monde reconstruit sur d’autres bases, d’abord en théorie (Lumières),
puis dans les faits (Révolution) ? L’analyse des écrits philosophiques sera
suivie par le rappel de l’action féminine dans les événements, puis par
une présentation plus fine des importantes mutations que connaît la
famille ; et on mesurera la place prise par les femmes dans le mouvement
des Lumières. On les verra ensuite emportées dans le tourbillon
révolutionnaire, manifestant, pétitionnant, se battant pour ou contre le
nouveau régime ; alors que le principe d’égalité a été affirmé, on les verra
agir en citoyennes malgré leur exclusion de la citoyenneté.
PREMIÈRE PARTIE
Images de « la Femme »
et vie quotidienne
des femmes
Chapitre 1
Le cadre mental et
juridique de la Renaissance
à l’aube des Lumières
Le discours religieux
Paroles d’hommes d’Église
Saint Paul
« Il n’y a ni Juif ni Grec […], ni esclave ni homme libre, ni homme ni femme : car tous vous
ne faites qu’un dans le Christ Jésus » (Galates III, 8)
« Que les femmes soient soumises à leur mari comme au Seigneur ; en effet, le mari est chef
[la tête] de sa femme, comme le Christ est chef de l’Église, lui, le Sauveur du corps. Or
l’Église se soumet au Christ ; les femmes doivent donc, et de la même manière, se soumettre
en tout à leurs maris » (Éphésiens, V, 22-24).
« Que les femmes se taisent dans les assemblées, car il ne leur est pas permis de prendre la
parole ; qu’elles se tiennent dans la soumission comme la loi elle-même le dit » (I,
Corinthiens XIV, 34-35)
« Je ne permets pas à la femme d’enseigner et de gouverner l’homme » (I, Timothée II, 11-
14)
Jean Benedicti, La Somme des péchés et remèdes d’iceux, 1re éd. Lyon 1584 (Benedicti était
un prédicateur lyonnais et professeur de théologie ; son livre eut de nombreuses éditions).
« Celui qui sévèrement et atrocement bat ou corrige sa femme, encore que ce soit pour
quelques fautes, il pèche. Il doit la corriger doucement et non pas avec cruauté… Parquoy la
loy veut que le mari qui cruellement bat sa femme soit puni. Et même que la femme ne pèche
point si elle se sépare de son mari pour sa cruauté […]. Il peut bien toutefois la corriger pour
sa faute, au moyen qu’il ne passe point les bornes de modestie et de raison : car combien
qu’elle soit inférieure, toutefois elle n’est pas esclave ou chambrière mais compagne et chair
des os du mari […].
La femme qui ne veut obéir à son mari en ce qui concerne le gouvernement de la famille et de
la maison, et en ce qui concerne les vertus et bonnes mœurs, pèche. Car la femme est obligée
de faire le commandement de son mari. Si au contraire elle se veut emparer du gouvernement
de la maison, pertinacement contre la volonté de son mari quand il le lui prohibe pour quelque
bonne raison, elle pèche, car elle ne doit rien faire contre son mari auquel elle est soumise par
le droit divin et humain […]. Elle se doit plutôt taire et ronger son frein que de le faire
maugréer et jurer, connaissant bien son humeur et sachant fort bien qu’il est sujet à ce vice.
[…]. La femme qui, enflée d’orgueil, de son bon esprit, de sa beauté, de ses biens, de son
parentage, déprise son mary ne lui voulant obéir, résiste à la sentence de Dieu, par laquelle il
veut que la femme soit sujette au mari, lequel est plus noble et plus excellent que la femme,
attendu qu’il est l’image de Dieu, et la femme n’est seulement que l’image de l’homme
[…]. »
Littérature et iconographie
Poètes, écrivains et artistes ont à la fois chanté les louanges et la
beauté de la Femme et participé au discours sur la « mauvaiseté » des
femmes. Les belles pages de Ronsard ne doivent pas faire oublier que le
même, avec d’autres poètes de la Renaissance ou de l’âge baroque –
Du Bellay, d’Aubigné –, ont dressé des portraits terribles de la vieille
femme, sorcière décharnée représentant la mort. Et les spécialistes
n’arrivent pas à se mettre d’accord sur Rabelais : ami ou ennemi du
« beau sexe » ? Amorcée au Moyen Âge dans les milieux lettrés, la
« Querelle des Femmes » se poursuit au XVIe siècle, le but étant de
démontrer l’infériorité ou la supériorité des femmes, en dressant la liste
de leurs défauts ou de leurs qualités. Elle rebondit avec L’Amye de Court
(La Borderie, 1541), hostile à la femme, suivie par La Contr’Amye de
Court (Fontaine, 1541) et La Parfaite Amie (Heroët, 1542) qui en font au
contraire l’apologie. Si certains auteurs, et en particulier Cornelius
Agrippa (De la Noblesse et Préexcellence du sexe féminin, 1509, trad. fr.
1537) et François de Billon (Le Fort inexpugnable de l’honneur du sexe
féminin, 1555), prennent réellement leur défense dans des plaidoyers aux
accents féministes, d’autres réduisent la Querelle à un exercice de
rhétorique, quitte à se faire dans le même texte tour à tour avocat et
procureur (Jean de Marconville, De la bonté et mauvaiseté des femmes,
1564). La Querelle est avant tout un jeu littéraire né à la cour et portant
sur les questions de l’amour, du mariage, et, fait nouveau, de
l’instruction ; mais elle montre aussi que la conception de l’infériorité
naturelle des femmes n’était pas partagée par tous, même si, dans les
conditions mentales du temps, il était difficile de penser les choses en
termes d’égalité (soit les femmes sont inférieures, soit elles sont
supérieures).
Des genres plus répandus concourent à diffuser une image négative ou
pour le moins ambivalente. La femme fatale n’est pas absente des
occasionnels, petites feuilles volantes vendues dans les rues, racontant
des faits divers extraordinaires censés être véridiques : épouse ayant
assassiné son mari ; femme trop belle et conduite par le Démon poussant
un homme amoureux à commettre des crimes qui le mènent à la mort et à
la damnation ; femme lubrique accouchant de monstres, etc. Explicitée
ou sous-jacente, la morale de ces « histoires incroyables et
merveilleuses » est évidente : il ne faut pas laisser trop de bride aux
femmes, toujours potentiellement dangereuses. Plus ambiguë est celle
des farces présentées sur les tréteaux du théâtre de foire : on y voit certes
des épouses acariâtres qui ne pensent qu’à mentir, tromper et diriger leurs
maris ; mais on peut aussi y rire du ridicule de maris jaloux, obsédés
jusqu’à la bêtise par leur volonté de domination et bernés par des épouses
bien plus fines et fortes qu’eux2.
Les peintres du temps ont laissé de magnifiques portraits de femmes.
Accessible à un plus grand nombre, la production gravée présente une
image plus complexe. Vecteur d’acculturation, la gravure est un support
privilégié pour faire passer un discours normatif dans une population
largement analphabète, tout en reprenant les stéréotypes courants et en
amusant. S. Matthews Grieco a ainsi analysé plusieurs milliers
d’estampes gravées ou vendues en France de 1490 à 1620 : l’ensemble
révèle tout à la fois une idéalisation et une « méfiance critique, voire une
répugnance viscérale », fondées sur « un système de représentations
antagonistes où les qualités positives […] sont systématiquement
contrebalancées par des traits fortement négatifs » plus fréquents. Y sont
abondamment représentés les « vices féminins » : luxure, envie, vanité,
paresse, orgueil, coquetterie, avarice, adultère, mensonge, bavardage, etc.
La violence des femmes, leur cruauté et leur fureur sont des thèmes
récurrents tout comme celui de leur pouvoir séducteur qui mène les
hommes à la perdition. Tout n’est pourtant pas que noirceur et les
femmes de vertu sont bien présentes dans le corpus : vierges ou épouses
et mères dévouées, fidèles et travailleuses, occupées à filer, cuisiner,
soigner, s’occuper des enfants. Ces femmes vertueuses représentent
l’idéal des hommes du temps. Mais un idéal difficile à atteindre,
perpétuellement menacé par l’insubordination toujours latente de l’autre
sexe.
« Une beste » ? Certes pas : les lettrés répètent avec vigueur que la
femme est comme l’homme un être humain et non un animal.
« Imparfaite, sans foi, sans loi, sans crainte, sans constance » ? Pour
beaucoup, assurément. Dans la majorité des textes et des images qui les
relaient domine une représentation des femmes qui, d’une façon ou d’une
autre, les assimile avant tout au mensonge, à l’inconstance, au désordre.
Ce qui justifie leur subordination, nécessaire au bien de tous, elles y
compris.
Les filles
Filles et garçons sont soumis à la puissance paternelle qui se renforce
avec l’absolutisme : ils ne peuvent disposer de leurs biens, passer des
contrats, ester en justice, se marier sans l’accord du père, qui a droit de
correction sur eux, peut les faire enfermer. Dans les pays coutumiers, le
mariage émancipe de la puissance paternelle. La fille passe certes alors
sous celle du mari, mais, devenue veuve, même si elle est encore
mineure, elle conserve son indépendance juridique et peut se remarier
contre l’avis de son père sans que son mariage soit annulé – malgré la
Déclaration de 1639 qui, sur ce point, assimilait la veuve de moins de
25 ans à une mineure, mais ne fut jamais appliquée par la jurisprudence5.
L’émancipation s’obtient également par jugement, acte notarié ou à la
majorité – au-delà des multiples nuances coutumières, la majorité de
droit est fixée dans la quasi-totalité du royaume à 25 ans pour les filles et
garçons. En pays de droit écrit où le pouvoir du pater familias est très
lourd, même mariés ou majeurs les enfants demeurent sous sa puissance
juridique jusqu’à sa mort – sauf acte volontaire d’émancipation ou
profession de foi ; mais dans les faits, bien souvent en se mariant la fille
quitte là aussi le pouvoir du père pour celui du mari. Quant aux filles
majeures célibataires, elles n’apparaissent que comme des silhouettes
floues dans les textes juridiques, tant est prégnante l’idée que le destin de
la femme est le mariage – ou l’entrée en religion – : en théorie, elles
possèdent pleine capacité juridique dans les coutumes, alors qu’elles
restent, comme leurs frères, sous le pouvoir paternel en pays de droit
écrit.
Égaux face à la puissance paternelle, les enfants ne le sont pas toujours
dans la législation successorale : un seul enfant, le plus souvent le fils
aîné, hérite parfois de la plus grande partie du patrimoine, les cadets
recevant leur légitime et les filles une dot à leur mariage. C’est la règle
(primogéniture masculine) dans la noblesse – en l’absence d’enfant mâle,
une fille noble peut cependant hériter d’un fief6. Elle est également en
usage dans les familles roturières du Midi où le père choisit l’héritier (ou
en Picardie et Wallonie). Plusieurs coutumes pyrénéennes précisent
toutefois que l’héritier doit dans tous les cas être l’aîné, quel que soit son
sexe : dans ce cas, c’est le mari de l’héritière qui quitte sa maison
(famille) pour venir s’installer dans celle de sa femme. Avec les
habituelles nuances, les coutumes roturières du nord du royaume sont
plus égalitaires et tous les enfants, filles et garçons, cadets et aînés, se
partagent les biens ; la Normandie se distingue toutefois dans cet
ensemble car les filles « n’ont droit qu’à un mari » du vivant de leur père
et à une faible dot versée par leurs frères si elles se marient après la mort
du père.
Les veuves
Si l’on s’en tient aux textes juridiques, le statut de veuve peut
apparaître satisfaisant à bien des égards. Émancipée de la puissance
paternelle par le mariage et libérée de la puissance maritale par la mort
du conjoint, elle possède pleine capacité juridique, peut contracter, ester
en justice, administrer ses biens, etc. De plus la législation prévoit toute
une série de mesures pour éviter qu’elle se retrouve sans un sou ou ne
puisse tenir son rang dans les milieux aisés. Dans les pays de droit écrit et
en Normandie, la veuve recouvre sa dot. Dans le régime de la
communauté des biens, le survivant, quel que soit son sexe, hérite de la
totalité (Picardie, Flandres) ou d’une partie du patrimoine acquis par le
couple pendant le mariage : dans le droit parisien, qui fait souvent
jurisprudence, il en touche la moitié, le reste allant aux héritiers du
défunt. La veuve a d’ailleurs un avantage sur le veuf : considérant assez
logiquement qu’elle n’est pas responsable d’une mauvaise gestion des
biens, les coutumes lui permettent de renoncer à l’héritage si celui-ci est
grevé de dettes, qui ne sont pas de son fait. De plus, elle peut jouir d’un
préciput du survivant décidé par contrat de mariage : une part des biens
pris sur la communauté, avant le partage de celle-ci, en plus de sa part
légale. Et un mari affectueux et prévoyant peut lui faire un legs ou une
rente viagère par testament.
La veuve ne peut hériter des propres de son mari car ces biens ne
doivent pas sortir de la famille du défunt, ce qui pourrait arriver en cas de
remariage. Mais, pour assurer sa survie, elle a droit à un douaire dans les
pays coutumiers : un usufruit sur une partie des propres du défunt, sur
lesquels elle touchera des revenus sans être propriétaire. Variable suivant
les coutumes, le douaire porte sur environ un tiers des biens du mari dans
l’Ouest, la moitié dans le groupe coutumier parisien, ou est fixé dans le
contrat de mariage (douaire conventionnel ou préfix) qui précise alors de
quel bien la veuve jouira (somme globale, rente en argent ou en nature).
Si elle se remarie, elle garde en général son douaire, qui retourne aux
héritiers du défunt à la mort de la veuve ; elle risque de le perdre pour
cause d’adultère pendant le mariage ou de « débauche » lors du veuvage.
Dans les pays de droit écrit, le douaire n’existe pas, mais le système dotal
en vigueur se combine parfois avec un augment de dot assez proche : un
usufruit sur les biens du mari, qui représente du tiers à la moitié (voire à
la totalité) de la dot.
On le voit, la veuve est assez bien protégée, d’autant qu’elle a la
possibilité théorique de combiner les différents systèmes : dans le droit
parisien, elle peut ainsi recevoir un préciput avant le partage des biens
communs, hériter de la moitié de ceux-ci et jouir d’un douaire en
usufruit ; selon le droit écrit, elle peut disposer de sa dot, de ses
paraphernaux et d’un augment de dot en usufruit. Faut-il ajouter
l’évidence ? Tout cela est bien beau… s’il y a des biens. En cas contraire,
le sort de la veuve n’est guère enviable. Et, même en ce cas, les
difficultés de la succession dessinent une réalité parfois moins rose :
avidité des créanciers, contestation de la famille du mari ou des enfants
d’un premier lit, etc. On comprend que le droit ait multiplié les
précautions pour protéger la veuve. Et, toute libérée qu’elle soit de la
puissance d’autrui, elle reste femme, et l’on redoute que son
indépendance juridique ne la conduise à agir contre les intérêts familiaux.
Différents édits royaux se sont donc efforcés, avec plus ou moins de
succès, de la limiter : en 1560, par l’Édit des Secondes noces, le roi,
« entendant l’infirmité du sexe », interdit aux veuves de faire des
donations trop importantes à leur second mari, ce qui pourrait spolier ses
enfants du premier lit ; et, on l’a vu, en 1639, on tenta, sans succès,
d’obliger les veuves mineures à obtenir le consentement de leur père à
leur remariage.
Finalement les textes juridiques laissent une impression en demi-teinte.
On assiste à un mouvement contradictoire : certes l’épouse a un statut
proche de celui d’une mineure, mais son incapacité n’est pas totale,
malgré les écrits théoriques. Sur certains points l’évolution du droit lui
est plutôt favorable et protège mieux qu’autrefois ses intérêts financiers.
La jurisprudence et les actes notariés peuvent limiter les tentatives de
durcissement. Comme ceux d’un enfant mineur, ses biens et sa personne
sont en fait préservés d’un éventuel mauvais gouvernement de son tuteur,
en l’occurrence son mari. Placée sous l’autorité d’un chef donné par
Dieu, l’épouse et la mère a des droits pour lui garantir une existence
digne au sein de la famille. De plus, comme tous les sujets du royaume,
elle peut demander au roi une lettre de cachet pour faire enfermer un
mauvais mari dont la conduite dissolue mettrait en péril sa survie
économique, l’honneur de la famille et l’ordre social : on sait qu’au
e 7
XVIII siècle cette pratique est utilisée dans tous les milieux sociaux .
Avant le mariage
Élevés ensemble dans leurs premières années, filles et garçons
prennent ensuite des chemins qui s’éloignent. Tandis que les jeunes
nobles et bourgeois quittent la famille pour se préparer à leur futur état au
service d’un Grand, dans une académie militaire ou au collège, leurs
sœurs restent au domicile ou sont envoyées pour une ou plusieurs années
dans un couvent, selon une pratique nobiliaire qui se diffuse à d’autres
milieux au XVIIIe siècle. Les amitiés conventuelles sont poursuivies après
la sortie à travers des lettres où les jeunes filles échangent leurs
impressions sur le monde et sur cette grande affaire qu’est le mariage –
qui conduit souvent à un éloignement des amies. Si l’instruction des
filles est relativement limitée (ch. 6), on leur apprend en revanche « ce
qu’une demoiselle doit savoir » (Mme de La Guette) : musique, danse,
art de la conversation, et pour les jeunes nobles, équitation. Le goût de la
toilette, de la parure, de la coquetterie est encouragé par les mères, tout
comme l’attention portée aux soins domestiques. L’adolescence est un
moment social dont les mémorialistes se souviennent avec un certain
plaisir, un temps de relative insouciance avant le mariage, fait selon les
lieux, les dates et les conditions, de sorties, de promenades aux champs et
bains dans la rivière entre amies (de La Guette), de bals-concerts où se
côtoient les jeunes gens des deux sexes (de Ferrières, Chastenay), de
lectures (Roland, Chastenay). Amies et premiers prétendants tiennent une
place de choix dans la vie de ces jeunes filles. Moins toutefois que la
mère, personnage omniprésent, souhaitée confidente attentive et d’une
bienveillante fermeté pour éviter tout faux pas à sa fille. Figure d’autorité
et de savoir, les pères aimants ne sont pas absents. Et, au XVIIIe siècle,
c’est de plus en plus vers leur confesseur que se tournent celles en proie à
des questions sur leur identité en construction.
Dans les milieux populaires, filles et garçons évoluent aussi dans des
univers plus ou moins différents. Pendant que les petits paysans vont
aider les hommes aux champs, leurs sœurs secondent la mère dans ses
tâches agricoles ou familiales effectuées au village ou à la maison et
grandissent dans le monde des femmes. Elles ne sont pas organisées en
société de jeunesse comme les jeunes hommes célibataires de la paroisse.
Les moins riches s’engagent souvent très tôt comme servantes ou filles
de ferme dans l’intention de constituer ou arrondir leur dot. D’autres
émigrent vers une ville pour les mêmes raisons. La ville est plus
favorable au mélange et la mixité y est plus grande, bien que les progrès
de la scolarisation contribuent à une séparation à laquelle pousse l’Église.
Pas de fille par exemple dans la bande de copains du petit Parisien
Ménétra, qui court les rues en s’amusant à faire toutes sortes de
polissonneries aux voisins – et ses trois sœurs, mentionnées brièvement
au début de ses mémoires, en disparaissent ensuite complètement sans
que l’on sache ce qu’elles sont devenues. Comme à la campagne, les
garçons aident leur père et les filles leur mère dans leurs travaux
respectifs, s’ils ou si elles ne sont pas mis en apprentissage. Dans le
monde grouillant de vie et de mouvements de la ville, les jeunes filles
sont plus libres, échappant parfois au contrôle familial, et la rencontre
avec l’autre sexe est de tous les instants : dans les rues, les cabarets, les
escaliers, à l’atelier, à la promenade ou au bal, on se croise, on badine et
on échange quelques baisers sous les yeux des voisins.
La pastorale post-tridentine fait de la sexualité une chose sale, à
cacher, et la pudibonderie gagne incontestablement du XVIe au
e
XVIII siècle – sans toutefois atteindre les sommets qu’elle connaîtra plus
tard. Dans Les Liaisons dangereuses (1782), Laclos appelle à se méfier
de l’éducation conventuelle, qui fait des pensionnaires des oies blanches
à l’ingénuité fatale à leur propre vertu. Le cas de Diderot qui, pour éviter
ce danger, fait un véritable cours d’éducation sexuelle à sa fille de 15 ans
(lettre à Sophie Volland, 22 novembre 1768), est exceptionnel, mais
révèle bien comment l’ignorance dans laquelle on élève les jeunes filles
dans un souci de décence peut apparaître périlleuse. Toutes n’ont pas la
même candeur : fille d’un artisan parisien aisé, la future Mme Roland ne
peut s’empêcher de rire quand sa grand-mère lui parle des enfants trouvés
dans les choux, alors qu’elle a appris dans une vieille Bible des
« instructions que l’on ne donne pas aux petites filles » ; à la suite
d’attouchements traumatisants, elle refuse ensuite d’envisager tout ce qui
concerne la sexualité et arrive au mariage dans un état d’ignorance qui
fait de sa nuit de noce une désagréable et douloureuse désillusion. On
peut supposer que dans les milieux populaires où la promiscuité de
logement est grande, la parole plus libre, les filles sont plus averties.
Les Églises dénoncent avec une violence accrue les relations sexuelles
hors mariage. De fait, le taux de naissances illégitimes diminue pour
tomber à 1 % au XVIIe siècle (0,5 % dans les campagnes) avant de
grimper spectaculairement au XVIIIe. Celui des conceptions prénuptiales
est plus élevé mais suit le même mouvement ; du moment que la
grossesse est suivie d’un mariage réparateur, on ne s’offusque d’ailleurs
guère de l’avance prise. En revanche, terrible est le sort de la mère
célibataire, stigmatisée, marginalisée, ayant du mal à survivre ; aussi
certaines n’hésitent pas à cacher leur état et à abandonner leur enfant ou à
le supprimer à la naissance. Pour lutter contre les infanticides, un édit
d’Henri II interdit en février 15571 aux femmes de cacher toute grossesse
illégitime ; si elles mettent au monde un enfant mort-né, les
contrevenantes sont systématiquement suspectées d’infanticide et
risquent la peine de mort. Reste que le nombre de naissances illégitimes
est au XVIIe siècle étonnamment faible, alors que s’écoule environ une
dizaine d’années entre la puberté et le mariage. Les historiens sont
partagés sur les explications à donner. Certains (P. Chaunu) soutiennent
que la chasteté serait réelle, fruit d’un auto-contrôle imposé par le poids
de l’Église. D’autres (J.-L. Flandrin) pensent que les jeunes, moins
chastes que le laissent croire les données démographiques, auraient en
fait recours à d’autres formes de sexualité (masturbation réciproque et,
pour les garçons : homosexualité, fréquentation de prostituées ou de
femmes mariées), à des pratiques contraceptives et à des remèdes abortifs
(saignées, breuvages). En 1676, dans la petite bourgeoisie de Carhaix,
une mineure de 20 ans et ses parents portent plainte contre un jeune
homme qui salit sa réputation en racontant partout qu’il l’a « baisée
charnellement » : pour éviter une conception, il n’aurait eu avec elle que
des rapports debout, aurait pratiqué le coït interrompu ou la masturbation
(il « lui mettoit le doigt dans la matrice »)2.
Le mariage
Contrairement à certaines idées reçues, on ne se marie pas très jeune
dans la France d’Ancien Régime, car beaucoup attendent d’avoir amassé
un petit pécule avant de s’établir. D’après les registres paroissiaux, l’âge
moyen au premier mariage, d’environ 22 et 24-25 ans pour les femmes et
les hommes au XVIe siècle, serait de 25-26 ans et 27-28 ans au XVIIIe. Ces
moyennes admettent bien entendu de multiples exceptions, individuelles,
régionales (on convole plus tôt en Limousin ou en Bretagne) et sociales
(union plus précoce dans l’aristocratie). En général, on se marie plus
jeune à la campagne qu’en ville : 27,5 ans par exemple pour les
Lyonnaises du XVIIIe siècle, et plus de 30 ans pour un tiers d’entre elles.
Par ailleurs dans cette société où la mortalité est très élevée, les mariages
sont souvent brisés par la mort d’un des conjoints : leur durée moyenne
serait de 10-12 ans au XVIe siècle, 15-18 au XVIIIe. Il s’agit de moyennes
et, dans les faits, certaines unions sont beaucoup plus longues alors que
d’autres ne durent que quelques années. Veuvage n’est donc pas
synonyme de vieillesse et les remariages sont fréquents : au XVIIe siècle
environ un « nouveau » marié sur trois serait un(e) veuf(ve) – et 60 %
après les graves crises démographiques – ; au XVIIIe siècle où la mortalité
régresse un peu, ce ne serait « que » un sur cinq. Il n’est donc pas
exceptionnel, surtout aux XVIe-XVIIe siècles, qu’une personne d’une
quarantaine d’années ait été mariée trois fois : la famille d’Ancien
Régime n’est pas une cellule stable, mais est bien souvent composée
d’enfants de plusieurs lits, élevés par un beau-parent.
La formation du couple
Partout l’homogamie est la règle générale. Dans la noblesse et la
bourgeoisie, le mariage est arrangé par les familles. Jusqu’au XVIIIe siècle
où les choses changent, on estime que ce qui compte pour réussir une
union assortie n’est pas le sentiment mais l’accord des fortunes, du rang,
des patrimoines. Le mariage est au cœur des stratégies sociales des
(grandes) familles en recherche d’alliances symboliquement ou
financièrement intéressantes. Dans ce jeu, les filles constituent un atout
essentiel et pour qu’elles fassent un beau mariage qui bénéficiera à
l’ensemble de la parenté, leur dot est souvent très élevée. Marier sa fille à
un noble, même peu argenté, est pour un riche bourgeois un
investissement aussi intéressant que l’achat d’un office anoblissant ou
d’une seigneurie. À l’inverse, dans la mesure où c’est le mari qui donne
son titre à l’épouse, une jeune aristocrate ne doit pas se marier en dessous
de son rang – ce qui limite davantage les possibilités d’unions pour les
filles que les garçons. La recherche d’un(e) futur(e) est donc l’affaire de
tous les proches… et tout particulièrement des femmes qui, du moins
dans la noblesse, mettent alors en branle leur réseau de relations sociales
pour trouver un bon parti à un fils, un neveu, une nièce, une filleule, une
cousine, un familier : « Je ne songe plus à la guerre, madame ; je ne
songe qu’à me marier. Souvenez-vous de moi, afin que je puisse faire
affaire quand je serai hors d’ici » écrit un ami de son mari à Mme de
La Guette qui va effectivement s’y employer avec succès, lui trouvant
une belle demoiselle de grande naissance, de bonne conduite et fort riche,
convainquant les parents de la jeune personne, organisant une rencontre.
Dans ce contexte, les filles n’ont guère voix au chapitre sinon, au
mieux, pour refuser un prétendant qui leur déplaît. Le but du mariage
arrangé n’est pas de rendre les enfants malheureux en les forçant à se
marier contre leur gré, mais d’empêcher que, livrés à la passion
amoureuse, ils fassent un « mauvais mariage » qui entacherait l’honneur
et le devenir de toute la famille et ne les rendrait pas nécessairement
heureux. Les filles peuvent d’ailleurs elles aussi être persuadées que
l’inclination préalable n’est pas gage de bonheur conjugal, bien plus
sûrement assis sur le jugement des parents et les garanties familiales. En
1765, une jeune fille de la petite noblesse poitevine assez traditionnelle
trouve encore tout à fait normal que son père lui interdise de fréquenter
un jeune noble pourtant fort à son goût mais qui ne pouvait lui convenir
« n’ayant pas de fortune et d’existence ». Sa mère lui demande ce qu’elle
pense de deux prétendants – jamais vus – proposés par un oncle : « Je
pensais comme mon père […] et étant née d’une ancienne maison, je ne
voulais pas déroger. […] Nous voilà donc fort occupés de ce projet de
mariage et comme il arrive toujours, il fallut commencer par parler
fortune, dot, et savoir les espérances mutuelles. » Après deux rencontres,
le marquis de Ferrières demande sa main, puis suivent des visites « pour
parler d’intérêts » et le mariage est célébré quelques semaines plus tard.
La description qu’elle fait se retrouve dans bien d’autres récits
autobiographiques ou romancés, où il n’est question que de tractations
pour élaborer un contrat de mariage dont la signature constitue un
moment décisif qui rassemble toute la famille – et qui intéresse aussi ces
jeunes filles car de lui dépendra en partie leur position dans le couple ou
leur condition de veuve. Rares sont celles qui savent tenir tête à leur
famille, voire braver les lois, pour imposer l’élu de leur cœur. Dans les
années 1630, M. Meurdrac, de vieille noblesse normande, après avoir
accepté de bon cœur que sa fille Catherine (20 ans) refuse plusieurs
prétendants, s’oppose à ce qu’elle épouse M. de La Guette, officier
proche du duc d’Angoulême mais « sans naissance ». Très amoureux, les
deux jeunes gens se marient clandestinement, de nuit, avec la complicité
du curé, de la mère et de la sœur de Catherine et d’amis du marié – qui
risquait la peine capitale – : colère du père, enlèvement rocambolesque
de la jeune femme par son époux et pardon paternel quelques années plus
tard sous la pression de la duchesse d’Angoulême.
Cet exemple, qui révèle les limites d’application de la législation
royale, ne doit pas être mal interprété : dans ses Mémoires,
Mme de La Guette ne se présente pas sous les traits d’une héroïne de
l’indépendance féminine et, malgré son mariage heureux, déconseille aux
filles de désobéir à leur père. En fait, le poids des normes et des
conventions sociales est tel que les mariages arrangés ne choquent pas les
intéressées du moment que le fiancé ne leur répugne pas ; il faudra
attendre que s’affirme l’idée de liberté individuelle pour que l’on
dénonce au XVIIIe siècle la « tyrannie des pères » – et que, par voie de
conséquence, les mariages arrangés soient plus mal vécus.
Dans les milieux populaires, les enjeux socio-économiques existent
aussi mais sont moins lourds et, du moment qu’ils respectent certains
impératifs (accord des parents, homogamie), les garçons ont une plus
grande possibilité de choix personnel. Celle des filles se limite plus à
indiquer, par une série de gestes codés, si tel prétendant leur agrée ou
non. À la campagne, où l’endogamie est très élevée, on se connaît depuis
longtemps et on a su apprécier les qualités de l’autre, son caractère, sa
force de travail, sa situation familiale et patrimoniale. L’attirance
personnelle joue certes plus, mais on tient également à ce que l’apport
des deux partis favorise la constitution d’une exploitation viable en
contrebalançant les effets des règles successorales (mariage croisé entre
deux frères et deux sœurs en pays de partage égalitaire, union entre une
héritière et un cadet ou favorisant la circulation des dots en pays de droit
écrit), ce qui permettra la survie du futur ménage. La jeune fille peut
rencontrer son futur lors d’une noce, d’une fête, d’une foire, d’un
pèlerinage ou d’un pardon local – ceux-ci sont parfois interdits à partir du
e
XVII siècle par des autorités plus sévères qu’autrefois, sous prétexte des
« excès » entraînés par leur mixité. La veillée hivernale est elle aussi
objet des foudres ecclésiastiques pour les mêmes raisons : les jeunes
célibataires sont admis auprès des filles qui filent et, sous le contrôle des
vieilles, s’y échangent petits baisers ou caresses furtives. Une fois reçu
l’accord du père de la jeune fille pour la hanter (fréquenter), le soupirant
peut faire l’amour, c’est-à-dire faire sa cour sous le contrôle des parents
et du voisinage. L’offre de cadeau en nom de mariage est au cœur de la
cour amoureuse : l’objet offert peut être anodin car ce qui compte est le
caractère rituel du don qui, fait devant témoins, équivaut au XVIe siècle à
une véritable promesse de mariage qui engage les jeunes gens et ne peut
être rompue que par l’officialité. Avant que l’Église post-tridentine ne
réussisse à imposer des normes plus strictes, les mœurs sont parfois assez
libres : dans certains villages alpins, la fille peut inviter, au su de ses
parents, son soupirant à partager son lit, théoriquement en tout bien tout
honneur ; en Corse, au Pays Basque et vraisemblablement ailleurs, le
mariage a pendant longtemps été précédé d’un temps de cohabitation afin
de s’assurer de la fécondité du couple.
En ville, où hommes et femmes du peuple jouissent d’une relative
liberté de mouvement, on fait connaissance dans la rue, dans l’immeuble
où l’on habite ou travaille, à la promenade, à un bal des faubourgs. Moins
il y a de biens et plus la liberté de choix des filles est grande. Mais le
mariage n’en est pas moins une affaire tout aussi sérieuse que dans les
couches supérieures et les préoccupations économiques ne sont pas
étrangères au choix du futur conjoint, même quand les parents
n’interviennent pas : après avoir fait les quatre cents coups dans sa
jeunesse, le compagnon vitrier Ménétra songe en 1765 à se ranger et se
fait présenter par un ami à une jeune fille qu’on lui a vantée comme
« aimable, sage et qui avait quelqu’avoir ». Là où les seuls biens se
résument à l’honneur et à la force de travail, ce sont souvent ces qualités
qui vont pousser un homme à demander une femme en mariage et celle-
ci à l’accepter. Les femmes du peuple le disent toutes dans les archives :
dans une vie par ailleurs bien précaire, elles attendent du mariage un
« établissement », une certaine stabilité économique et affective.
Le mariage représente un temps de passage, l’entrée dans le monde des
adultes : le garçon quitte le groupe de jeunesse ; la fille passe de la
maison paternelle à celle du mari et de l’état de jeune fille vierge à celui
de femme mariée. Surtout dans les campagnes, ces changements sont mis
en valeur et dédramatisés par une série de gestes, de rites de passage,
divers suivant les lieux, mais tous symboliquement destinés à marquer la
rupture, retarder le moment de la défloration et valoriser la fécondité.
Lorsque le marié, entouré de ses amis, vient chercher sa fiancée chez son
père, celle-ci se cache ou simule la fuite ; sur le chemin du cortège, la
Jeunesse dresse une barrière, obstacle réel (pierres, bottes de paille) ou
figuré (ruban, bouquet), que le marié lève en versant des droits de
mariage – assez élevés en cas de remariage, toujours susceptible
d’entraîner un charivari. Après la cérémonie religieuse où le curé bénit
les époux, les mariés peuvent être aspergés de grains de blé en signe de
fécondité. D’autres rites ont lieu pendant le repas de noces ou à la fin du
bal, dans la chambre nuptiale où, avant de les laisser seuls, on force les
mariés à boire la rôtie, la soupe de la mariée, faite de vin et d’épices
« aphrodisiaques ».
Le couple
Une association où chacun a un rôle à tenir
Dans la vie courante le mariage n’est pas qu’une affaire d’autorité et
les maris ne sont pas tous des seigneurs domestiques tout-puissants
réclamant silence et soumission. Du mari aimant et écoutant sa femme au
tyran lui imposant toutes ses volontés, de l’épouse tremblante à la forte
femme menant ses affaires à la baguette, vaste est le champ des situations
concrètes, faites de multiples ingrédients. Le couple est une association
dans laquelle chacun a une image sociale à respecter et un rôle à tenir, qui
lui donne des droits et des devoirs. Gravures et discours associent la
femme à l’univers domestique et l’homme au monde extérieur : ces
représentations normatives de la différence pèsent certes sur la définition
des rôles conjugaux, mais sans la rigidité qui s’imposera plus tard. Les
archives judiciaires nous font entrer dans le quotidien du temps, et on
réalise bien vite que la dichotomie intérieur/extérieur est dans le concret
des vies susceptible de très larges interprétations, quand elle ne vole pas
en éclat sous le coup de la nécessité. On y entend aussi les attentes des
unes et des autres : à travers les désillusions amères, les rancunes tenaces,
les indignations des témoins, se dessinent les portraits du bon mari et de
la bonne épouse.
Le premier se doit de « fournir aux besoins du ménage ». Qu’il
s’agisse d’acheter du pain chez les plus pauvres ou de tenir son rang
grâce aux équipages et domestiques chez les plus riches, l’idée est
toujours la même et, dans tous les milieux, celui qui ne remplit pas ce
rôle se déshonore et encourt la réprobation sociale, surtout s’il s’agit d’un
« débauché » préférant courir les filles, s’enivrer ou jouer plutôt que de
s’occuper de sa famille. Cela est vrai du début à la fin de la période ; en
revanche, il semble que l’attitude envers le mauvais mari se soit
progressivement durcie, peut-être sous l’influence de l’Église et de la
valorisation du lien conjugal. Faute d’études suffisantes sur les XVIe-
XVIIe siècles, l’on doit rester prudent sur l’ampleur de cette évolution. Au
e
XVI siècle, même si le mari qui ne pourvoit pas aux besoins du ménage
est blâmé, on n’encourage pas son épouse à s’en plaindre mais bien
plutôt à essayer, par sa conduite vertueuse, de le remettre dans le droit
chemin. Ce qui, toutes les études le montrent, n’est pas le cas au
e
XVIII siècle. Les femmes qui demandent alors au roi l’enfermement de
leur mari par lettre de cachet évoquent par exemple bien souvent cette
raison parmi d’autres : « Il ne l’a pas assistée des fruits de son travail », il
a « toujours dépensé au cabaret ce qu’il gagnait sans avoir aucun soin de
sa famille5 », il lui « refuse le nécessaire pour la dépense journalière de la
nourriture de la maison », etc. Cette conception du bon mari est partagée
par les voisins qui encouragent dans leurs démarches ces épouses mal
loties, par les autorités qui, après enquête, n’hésitent pas à faire enfermer
celui qui trouble l’ordre social parce qu’il ne tient pas son rôle conjugal.
Si légalement le mari a droit de gérer à sa guise les biens du couple et
ceux de sa femme, on voit que dans les faits les choses sont au
XVIIIe siècle bien plus complexes et qu’il y a des limites à ne pas franchir.
« Si je ne mettois pas de l’ordre dans mon ménage, si je n’établissois pas une proportion
exacte entre la recette & la dépense, est-ce que je pourrois y suffire, surtout avec un mari qui
boit comme six, qui mange comme quatre, avec un tas d’enfants qui ont toujours le bec
ouvert ? Allez, allez : sans me vanter, je peux bien dire que Pétronille Mache-Fer est une des
meilleures ménagères du quartier. » (Quatrième lettre bougrement patriotique de la Mère
Duchêne, 1791).
Les femmes prennent ce rôle très à cœur et peuvent se sentir insultées
si on le leur dénie : en 1637, la femme d’un petit noble cambrésien veut
se séparer de son mari car, entre autres, « au lieu de la traiter
maritalement, il lui refuse le maniement de l’argent et gouverne[ment] de
son ménage, et à son exclusion le commet à son valet ou servante […] il
la prive entièrement de la connaissance des affaires domestiques […], ne
permet qu’elle ait aucun argent en main ». Dans la noblesse, cette
fonction peut aller jusqu’à une véritable gestion des biens : d’après
Fénelon (L’Éducation des filles, 1687), outre le soin des enfants et la
surveillance des domestiques, l’épouse est chargée « du détail de la
dépense, des moyens de faire tout avec économie et honorablement,
d’ordinaire même de faire les fermes et recevoir les revenus », c’est-à-
dire administrer les propriétés. Mme de La Guette loue sa mère, « une
très honnête et habile femme, puisque par ses soins et son économie elle
a laissé en mourant une maison assez opulente ». Mariée à un soldat la
plupart du temps en campagne ou en exil, elle-même tient en son absence
la fonction de seigneur, s’occupe de ses terres, négocie avec les armées
de passage pour protéger ses biens et « ses » paysans, dont elle juge les
querelles à l’amiable. Rien d’exceptionnel en ces temps troublés : aux
e e
XVI -XVII siècles, dans la très grande aristocratie comme la petite
noblesse, on rencontre de nombreuses épouses qui font ainsi marcher les
affaires, gèrent le patrimoine familial, dirigent les domestiques et les
fermiers, tiennent les comptes6, pendant que leurs maris sont au loin. Et
même encore au XVIIIe siècle des femmes nobles sont occupées à faire
fructifier leurs biens, autant si ce n’est plus que leur mari ; que ce soit lui
qui signe légalement les papiers comme le veut la loi ne les empêche pas,
s’il les laisse faire, de mener les transactions. Ce rôle de gestionnaire se
retrouve aussi dans la bourgeoisie marchande où, leur correspondance en
fait foi, les femmes collaborent souvent aux affaires de leur mari. Les
lettrés de la Renaissance demandent quant à eux à leur femme de leur
assurer la tranquillité d’esprit nécessaire à l’étude en s’occupant de la
maison. Ils leur en abandonnent donc la direction, quitte à se sentir
ensuite exclus de ce « royaume domestique » dominé par des épouses
« vertueuses mais austères » (E. Berriot-Salvadore) avec lesquelles ils ne
partagent guère d’affinité intellectuelle – d’autant que dans ce milieu la
distance culturelle entre époux est alors particulièrement flagrante. Cet
écart se résorbant avec les progrès de l’instruction féminine, les hommes
éclairés des Lumières refuseront de voir dans leurs compagnes de
simples gestionnaires et développeront parfois avec elles une véritable
complicité d’esprit (ch. 8).
Dans les milieux populaires urbains, pas de biens ou de domestiques à
surveiller. Le logement est fait d’une ou deux pièces sommairement
meublées dont l’entretien est relativement rapide ; le couple est une
association de travailleurs et l’épouse doit participer par son travail, au
côté ou non de son mari, à sa bonne marche. Elle doit de plus s’occuper
des enfants et, comme le dit bien la Mère Duchêne, gérer au quotidien
l’argent du ménage, qui est le plus souvent en sa possession : aux
hommes de le leur ramener, à elles de le transformer, quelle qu’en soit la
quantité, en bonne soupe fumante sur la table. Nourricière est avant toute
autre chose la ménagère populaire qui doit se débrouiller comme elle le
peut, avec ce qu’elle a, pour nourrir tout son monde. Sa colère lors des
crises de subsistances est socialement excusable par l’impossibilité de
tenir alors ce rôle : une émeutière arrêtée peut demander sa liberté en
expliquant aux autorités que « son humeur est venue de ce qu’elle ne
pouvait procurer à son mari la nourriture nécessaire au retour de son
travail7 ». Pour s’occuper de son ménage, elle ne doit pas tant rester chez
elle que courir les rues à la recherche de subsistances ou pour arrondir
par ses propres moyens ce que lui a rapporté son mari, et s’arranger pour
que tout soit prêt à temps. Car, de la même façon qu’elle attend qu’il lui
donne de l’argent, lui attend qu’elle le nourrisse. « Le dîner n’était pas
prêt », « la soupe n’était pas chaude » lorsqu’ils sont rentrés : le grief est
récurrent chez les hommes mécontents, justifiant à leurs yeux les coups
portés par les plus violents. « Elle refusoit même de préparer à manger »
s’offusque un mari qui dresse un portrait accablant de son épouse :
« Femme incapable d’aucun travail manuel et de la direction d’un
ménage ; elle est naturellement à l’oisiveté, laissant le ménage à
l’abandon ; elle ne sait ni coudre ni filer8. » À l’inverse, en 1742, le
paysan Jean Elliot fait l’éloge de sa femme décédée, résumant bien les
qualités qu’un homme du peuple attend de son épouse :
« Il étoit bien triste par la perte d’une bonne femme, dévouée, attentive, affectueuse […] qui
faisoit peu de bruit (et qui) travailloit comme quatre à la terre et à quérir le bois. […] la
douleur étoit trop présente […] votre suppliant avoit perdu une compagne pour ses vieux
jours […] d’autant qu’il étoit trop âgé pour espérer un nouveau mariage […] la douleur de
votre suppliant étoit d’autant plus vive que son épouse laissoit une demeure, et deux jeunes
enfants à nourrir, dont il ne pouvoit prendre soin à cause que le travail aux champs étoit dur,
et que cela n’étoit pas une tâche d’homme9. »
Tout est dit dans ces mots malhabiles qui, adaptant des « sentiments
individuels au moule des représentations sociales et des nécessités de la
vie rurale » (J. Quéniart), mêlent naturellement la perte affective, sociale
et économique : difficulté de survivre seul et peur de mourir solitaire ;
partage des rôles qui n’exclut pas le travail commun sur l’exploitation ;
épouse aimée et compagne de travail ; respect, dévouement… et silence.
Tout est dit et rien n’est dit. À nous d’imaginer ce que cache la pudeur :
les gestes tendres, les mots doux et réconfortants, la soumission
silencieuse, les joies et les angoisses partagées, tout ce qui a appartenu à
Jean Elliot et à sa femme, de Quistinic, en Bretagne.
L’amour conjugal
Il faut attendre le XVIIIe siècle pour que s’affirme l’idée que l’amour est
essentiel à un bon mariage (ch. 8). Mais il n’était évidemment pas
inconnu avant. L’Église catholique commande aux époux d’avoir l’un
pour l’autre un amour chrétien : fondé sur celui de Dieu et non sur
l’apparence ou même l’affinité des âmes, il ne doit pas être « excessif »
et détourner de Dieu10. Les protestants insistent sur la nécessaire et forte
« amitié » qui doit unir mari et femme. Les préoccupations sociales et
familiales le rejettent certes au second plan dans la conclusion des
mariages nobles ou bourgeois, mais sans nécessairement l’exclure. Les
enfants majeurs, les veufs(ves), s’ils doivent tenir compte de l’avis de
leurs parents, ont plus de latitude pour convoler avec un être aimé. Le
mariage arrangé, s’il est fait contre les sentiments des intéressés, peut
conduire à de solides détestations et à des drames, surtout pour l’épouse
qui a bien rarement les mêmes possibilités que le mari d’aller chercher
des compensations hors du couple légitime. Mais la tendresse conjugale
peut aussi s’y développer, nourrie par le partage des joies et peines
quotidiennes, par la confiance et le respect, par des intérêts communs,
familiaux, économiques, religieux, politiques, lignagers, etc. Ayant
épousé (1657) sur les instances de sa famille une jeune fille à la fortune
considérable, Isaac Dumont de Bostaquet note dans ses Mémoires :
« Bien que l’amour n’eût pas de part au commencement de cet hymen,
mille qualités engageantes que je trouvais en sa personne et en son
humeur me donnèrent toute la véritable tendresse qu’il faut pour se
rendre heureux les uns les autres dans cet état rempli de dégoûts et de
chagrins11. » L’amour fou peut même naître entre époux mariés par
intérêt. En 1597, Charlotte de Nassau (18 ans), fille du prince d’Orange,
épouse le duc de La Trémoïlle (31 ans) : arrangé sur portrait, c’est un
mariage politique qui lie deux familles de la très haute aristocratie
protestante européenne. Pourtant, pendant les sept années que dure
l’union, les époux vont partager une véritable passion conjugale : le duc
lui envoie des lettres passionnées où il lui dit tout son amour et son désir
pour elle, s’inquiète de sa grossesse12. Près de deux siècles plus tard, la
marquise de Ferrières, dont on a vu comment le mariage avait été conclu,
sera l’épouse amoureuse et heureuse d’un homme qui l’aime et s’occupe
d’elle. Ne généralisons surtout pas trop hâtivement ces exemples : ils
indiquent simplement que, même si cela n’est certainement pas toujours
le cas, l’affection peut quand même trouver sa place, sous différentes
formes, dans un mariage arrangé, qui n’est pas toujours synonyme de
malheur.
Montaigne présente le mariage comme une nécessité sociale et appelle
même à se méfier des excès de l’amitié conjugale (Essais, I,1,30 ; III,
5,9). Il « devint aussi amoureux d’elle que si elle n’eût point été sa
femme » écrit vers 1660 Mme de Lafayette (La Comtesse de Tende).
Doit-on en conclure que ces opinions sont représentatives de toute la
société française ? Ne seraient-elles pas plutôt celles de milieux
particuliers, celui des lettrés qui voient dans leurs épouses des
gouvernantes plus que des compagnes, celui de l’aristocratie ? Même si
ce n’est pas le modèle social, on trouve néanmoins à la même époque
plusieurs exemples de couples unis par une grande tendresse et une
« douce complicité » fondées sur l’entente sentimentale, physique et
intellectuelle. Éprouvant une « véhémente passion d’esprit » pour sa
femme Claude (épousée par amour), admirant les qualités spirituelles de
celle qui le poussa à se convertir au protestantisme, le baron Charles
Gouyon dresse après sa mort (1587) un tableau idyllique de son bonheur
conjugal, fait de discussions, parties d’échecs, promenades et prières
communes et conclut : « Jamais homme n’eut tant de plaisir, de
contentement et de consolation, tant au corps qu’à l’esprit, comme j’en ai
eu avec ma très fidèle et loyale amie13. » Avec des mots moins choisis, le
paysan Jean Elliot dira la même chose 150 ans plus tard. Si on possède
peu d’informations sur le sentiment conjugal en milieu populaire avant le
e
XVIII siècle, rien, bien au contraire, n’autorise à penser qu’il y aurait été
inconnu.
« Qu’elles apprennent l’impudence, au moins, d’une autre main. Elles sont toujours assez
éveillées pour notre besoin. […] C’est une religieuse liaison, et dévote, que le mariage : voilà
pourquoi le plaisir qu’on en tire, ce doit être un plaisir retenu, sérieux et mêlé à quelque
sévérité […] [et non] folâtre et lascive concupiscence […] » (Essais, I, 1, 30).
Mères et enfants
Devenir mère
On l’a vu, jusque dans les milieux savants les mécanismes de la
conception et de la gestation sont mal connus. Au XVIIIe siècle encore, on
ne sait pas bien expliquer le phénomène menstruel et des médecins
s’interrogent très sérieusement sur la prétendue grossesse d’une fillette.
Au début de la période, grossesse et accouchement sont perçus à
l’intérieur d’une vision du monde empreinte de religiosité magique et
s’accompagnent d’un rituel d’interdits et de protection. On tremble à la
pensée du nouement de l’aiguillette, sort jeté par une personne mal
intentionnée qui rendrait le mari impuissant ou la femme stérile. Terrible
malheur, la stérilité d’un couple est généralement imputée à la femme,
qui la combat par des breuvages, des recettes magiques (porter une
ceinture d’herbes cueillies la nuit de la Saint-Jean) et des pèlerinages au
sanctuaire d’une sainte (Anne, Marguerite) ou d’un saint spécialisé
(Guerlichon, Foutin, Guignolé, Nicolas). Là, elle peut boire l’eau d’une
source miraculeuse, accomplir des gestes suggestifs : manger des œufs,
s’allonger ou se frotter le ventre contre la statue du saint, mettre le doigt
dans un trou, le « nombril de Sainte-Marguerite » – pratiques
condamnées par l’Église post-tridentine comme indécentes. Elle en
revient avec une ceinture bénie, qui la protégera aussi pendant la
grossesse et l’accouchement. La femme enceinte est au cœur d’un
entrelacs de tabous, car on pense que ses sensations et ses visions se
répercuteront sur le devenir physique et mental de son fruit : dans
certaines régions, elle ne doit pas voir le curé mettre la ceinture de son
aube « de crainte que son enfant naisse le boyau au cou » (étranglé par le
cordon ombilical). Non satisfaites, ses envies rentrées contamineront le
physique de l’enfant qui naîtra avec une tache de vin ou de fruits. On
essaye de deviner le sexe du bébé – la partie droite de son corps est plus
robuste : bonne nouvelle, ce sera un garçon !
Si on l’entoure de protections symboliques, si les femmes de son
entourage l’assistent, elle n’en continue pas moins à mener ses activités
et, dans les milieux populaires, à porter de pesants fardeaux et travailler
très durement jusqu’à terme. Les fausses couches sont donc fréquentes.
Certaines sont peut-être désirées, plus ou moins consciemment, pour
éviter une nouvelle naissance : courir les chemins à cheval, dans un
mauvais carrosse ou une vieille charrette brinquebalante, porter de
lourdes charges, battre sa femme enceinte peuvent être des moyens d’en
provoquer une. Assimilant certaines imprudences à des manœuvres
abortives, des théologiens incitent les maris à être plus attentionnés, dans
le but de protéger la vie de l’enfant. Des recettes de potions abortives
circulent de femme en femme, chuchotées par une amie ou une parente,
vendues par une sage-femme, ou copiées dans un traité médical signalant
ce qui nuit au fœtus. Jusqu’au milieu du XVIIe siècle, se plaçant sur le
terrain de la pratique et non de la morale, les chirurgiens ne sont
d’ailleurs pas hostiles à l’avortement thérapeutique en cas de danger pour
la mère.
« Femme grosse a un pied dans la fosse ». Heureusement toutes n’y
tombent pas, mais on note bien une surmortalité féminine entre 25 et
40 ans. Chaque femme de l’époque a au moins une de ses connaissances
morte en couches, et beaucoup redoutent ce passage périlleux : lorsque
Mme de Sévigné s’inquiète des grossesses répétées de sa fille, elle ne fait
qu’exprimer un sentiment partagé par de nombreuses mères. Les
conditions d’hygiène sont aussi dangereuses que l’ignorance
thérapeutique : il n’est pas rare que, alors que l’accouchement s’est bien
passé, l’accouchée meure peu de temps après de fièvres causées par une
infection. La souffrance doit être acceptée comme punition du péché
originel, ce qui n’empêche pas les médecins effrayés de compatir devant
« le piteux spectacle des angoisses, […] prières, piteux regards de ces
pauvres créatures ainsi gehennées [torturées], criantes au meurtre », et
implorant « à jointes mains » un secours21. L’accouchement est un
moment collectif, et les femmes proches de la parturiente l’entourent,
s’efforçant de la soulager par leurs prières, leurs recettes magiques, leurs
gestes réconfortants. Les hommes sont généralement exclus de cette
« affaire de femmes », mais le père de l’enfant à naître peut
symboliquement être présent par un de ses vêtements ou, en Corse et
dans les Pyrénées, y participer en simulant les douleurs pour « aider » sa
femme. Fixée par la tradition, la posture d’accouchement varie suivant
les lieux : sur le dos, sur une chaise spéciale, assise sur le bord du lit,
debout, à genoux. Le travail est le plus souvent dirigé par une matrone
(souvent veuve) à la formation empirique et dont la moralité a en
principe été reconnue par le curé car, s’il y a urgence, elle peut baptiser
l’enfant. Les citadines fortunées ont recours aux quelques sages-femmes
un peu plus qualifiées qui, si elles sont reçues ou jurées, ont passé un
examen devant un homme de l’art après un stage à l’Hôtel-Dieu. Entre
XVIe et XVIIIe siècle, médecins et chirurgiens vont grignoter ce monopole
féminin. Au XVIe siècle, ils n’interviennent qu’en cas de difficultés et
lorsqu’il faut utiliser forceps ou crochets. Puis on recourt plus
fréquemment à eux dans la bonne société (en 1663, Louis XIV confie
spectaculairement à un chirurgien le soin d’accoucher sa maîtresse,
Mlle de La Vallière). Au XVIIIe siècle, leur suprématie théorique est
acquise et la situation se retourne au détriment des sages-femmes.
Toutefois, même à la fin de la période, la majorité des femmes accouche
encore à l’aide d’une matrone – ou à l’hôpital pour les plus pauvres.
Comme l’écrit un médecin breton en 1774 : « Les femmes des
campagnes sont pudibondes et n’appellent pas MM. les chirurgiens.
L’intérêt [financier] se joint à la pudeur. On en trouve peu à la campagne
qui sachent opérer en ce genre. Les sages-femmes jurées qui habitent les
villes sont rares et trop chères pour les paysans. » L’Église recommande
en cas de danger de sauver la vie de l’enfant plutôt que celle de la mère,
de façon à ce qu’il puisse être baptisé ; mais elle est loin d’être écoutée
par les chirurgiens et les sages-femmes.
Après sa délivrance, l’accouchée reçoit les visites des femmes du
village ou du quartier. Considérée comme impure, elle doit se soumettre
au rite religieux des relevailles : théoriquement 40 jours après
l’accouchement, et souvent bien avant, elle se rend à l’église où le curé la
bénit (rite de purification) et prononce une messe pour elle. Tant qu’elle
n’est pas relevée, les croyances populaires en font un être impur auquel
on interdit parfois sous peine de malheur d’avoir des relations sexuelles,
de toucher pain ou eau bénite, voire de sortir de chez elle.
Rôles maternels
Une nouvelle fois, oublions les images toutes faites et les idées reçues :
la mère de famille de l’époque moderne n’a pas une ribambelle d’enfants
accrochés à ses jupes. D’abord, parce que, même en l’absence de
contraception, la majorité des femmes ne met pas un enfant au monde
tous les ans. Environ 3 fois sur 4 celle qui allaite n’est pas féconde :
l’intervalle inter-génésique (entre 2 naissances) serait en moyenne de 24 à
30 mois. Les fausses couches ou la stérilité précoce provoquée par les
mauvaises conditions d’accouchement sont bien plus fréquentes
qu’aujourd’hui. Et l’âge élevé au mariage limite sérieusement la
fécondité féminine entre 15 et 25 ans. En tenant compte de tous ces
facteurs, on aboutit à une moyenne très théorique de 5 à 7 naissances par
couple – 4 à 5 en incluant les veuvages ou la stérilité naturelle de certains
couples. Naissances et non enfants, car l’effroyable mortalité infantile et
juvénile réduit de moitié le nombre de petits : environ 1 sur 3 ou 4 meurt
avant 1 an, et au total 1 sur 2 avant 10-15 ans. Plus précisément, dans la
France de Louis XIV, la mortalité infantile est de 350 ‰ et celle de 1 à
4 ans de 261 ‰ ; un siècle plus tard les taux sont respectivement de
263 ‰ et 223 ‰ . Bien entendu, ces moyennes (citées par D. Julia)
cachent de multiples disparités, entre régions, entre ville et campagne,
entre catégories sociales : à Rouen, le taux de mortalité infantile est de
365 ‰ chez les ouvriers et « seulement » de 200 ‰ chez les notables.
Un ménage moyen est ainsi composé de 2 parents et de 2 à 4 enfants
vivants. Lorsque certaines femmes font état d’une dizaine à une vingtaine
de grossesses, elles incluent les fausses couches, les enfants mort-nés ou
décédés en bas âge. Ces grossesses multiples ne sont pas sans
conséquence sur l’état de santé de ces femmes, qui n’ont cependant pas
eu à s’occuper de nombreux enfants. D’autant que, dès sa naissance, le
nouveau-né est souvent envoyé pour environ deux ans chez une nourrice
qui l’allaitera de la naissance au sevrage.
Nourricière
À une époque où l’usage du lait animal reste exceptionnel, la pratique
de la mise en nourrice est, elle, assez répandue. Limitée semble-t-il au
XVIe siècle aux milieux aisés, elle se développe au XVIIe. Au XVIIIe siècle,
elle est courante dans toutes les couches de la population urbaine et
concerne par exemple plus d’un petit Parisien sur deux ou à Rouen 71 %
des notables, 64 % des boutiquiers, 51 % des artisans et 41 % des
ouvriers. Dans les familles riches, la mère n’allaite pas pour ne pas
altérer sa santé et sa beauté, pour mener sa vie mondaine, par refus du
couple (du mari) d’interrompre des relations sexuelles jugées aux XVIe-
e
XVII siècles néfastes pour le lait, pour ne pas être dérangée la nuit… et
par simple conformisme social car cela « fait peuple ». Tous les
mémorialistes nourris par leur mère le signalent et louent sa bonté car
cela n’est « pas ordinaire en France aux gens qui ne sont pas du
commun » (Mme de La Guette). Si peu ordinaire que le désir qu’en
manifeste dans les années 1740 Mme d’Épinay, mariée à un fermier
général, ne résiste pas à « la crainte du blâme et du ridicule que ses
parents lui présentaient sans cesse », aux plaisanteries de ses amies et à
l’hostilité de son mari pour qui ce projet dénué de sens commun n’est que
ridicule enfantillage, absurdité, nigauderie : « Quelle diable de
satisfaction peut-on trouver à nourrir un enfant ? » lui demande-t-il
(Mme de Montbrillant). Les médecins, au XVIe et surtout au XVIIIe siècle,
le préconisent pourtant – si les « maris le veulent souffrir » (Paré) –, mais
leurs recommandations restent le plus souvent lettre morte avant les
années 1760 quand l’allaitement maternel devient à la mode dans les
milieux huppés. Jusqu’au XVIIIe siècle, on croit que le lait est un sang
blanchi qui communique au bébé le caractère physique et mental de la
nourrice, et médecins et sages-femmes multiplient les conseils pour bien
la choisir, en fonction de critères corporels et moraux. Femme du peuple,
elle ne vit pas loin des parents, souvent sur leurs terres à la campagne : ils
peuvent donc facilement aller voir le nourrisson et surveiller que tout se
passe bien.
Il n’en va pas de même en milieu populaire urbain où l’enfant est
confié à une nourrice parce que sa mère travaille. Les enfants de maîtres
artisans sont placés chez des paysannes des environs (Arpajon pour la
fille du maître graveur parisien Phlipon, unique survivante de 7 enfants)
où les parents peuvent se rendre sans trop de difficulté et avoir ainsi des
nouvelles relativement régulières. En fait, plus la nourrice demeure près
de la ville et plus la pension est élevée : les plus pauvres sont donc
envoyés dès la naissance dans des paroisses fort lointaines (jusqu’en
Picardie, Normandie ou même Poitou et Bourgogne pour les Parisiens).
Dans ces conditions, il n’est pas rare que la mère ne revoie pas son enfant
avant un ou deux ans… s’il est encore vivant, car le taux de mortalité est
particulièrement élevé parmi les enfants mis en nourrice dans ces
conditions (400 à 800 ‰). Plus dramatique encore est le sort des enfants
abandonnés, déposés à l’hôpital par des parents démunis ou des mères
célibataires, et dont le nombre s’accroît nettement dans la seconde moitié
du XVIIIe siècle.
On ne peut plus aujourd’hui adhérer sans réserves aux écrits des
premiers historiens de la famille (Ph. Ariès, E. Shorter) qui, de
l’hécatombe enfantine, de la pratique de la mise en nourrice ou de
l’abandon d’enfants, concluaient à l’indifférence des parents face au
jeune enfant. Le défaut d’expression publique de l’émotion ou
l’acceptation chrétienne de la mort aux XVIe-XVIIe siècles ne signifient pas
absence de sensibilité, d’affection et d’attention, au demeurant plus
facilement admise de la mère que du père ; que les Lumières glorifient
l’amour maternel ne signifie pas qu’il n’existait pas avant. Tous les
travaux actuels abondent au contraire en exemples d’amour maternel (et
paternel), qui démentent la thèse de l’indifférence, au XVIe comme au
XVIIIe siècle. De pauvres femmes illettrées payent un écrivain public pour
rester en contact avec la nourrice, lui envoient des vêtements, de l’argent
pour des soins. Poignant est le cas de cette domestique parisienne qui,
« par tendresse maternelle et désirant revoir » son fils en nourrice depuis
15 mois, est incapable d’identifier le cadavre du bébé mort en route car
« elle ne l’a jamais vu que le jour où elle l’a mis au monde » et reconnaît
seulement sa layette22. Le billet mal écrit accroché au linge ou au bras de
l’enfant abandonné par des parents dans la misère dit la blessure, la
douleur aiguë de la séparation, que l’on espère provisoire.
Protectrice et éducatrice
Traditionnellement, les enfants des deux sexes restent dans le monde
des femmes jusque vers 7 ans. Même si, du haut en bas de l’échelle
sociale, les exemples d’attention paternelle ne manquent pas, c’est à la
mère qu’est prioritairement confié leur soin : « Cela n’estoit pas une
tâche d’homme » assurait en 1742 le paysan J. Elliot, écho de l’opinion
dominante. Dans les milieux aisés, elle est aidée par une servante ou une
gouvernante. Dans les milieux populaires, il n’est guère facile de
concilier activité féminine et garde des enfants. À la campagne, ils restent
sous la surveillance de la mère ou d’une sœur, dans le périmètre proche
de la maison ; mais que, attirée par d’autres travaux, leur vigilance se
relâche et c’est l’accident, parfois dramatique. Plus mobiles, les citadines
hésitent à les laisser seuls chez elles de peur qu’ils ne se blessent ; alors,
le plus souvent, elles les emmènent partout avec elles : dans la rue, sur
les marchés, au travail – dans les filatures, des ouvrières filent avec un
bambin sur le bras pendant que leurs aînés (4-10 ans) sont payés
quelques sols à faire de menus travaux23 –, dans les émeutes… et dans
les clubs pendant la Révolution. À la maison, elles défendent leur
progéniture des voisines agressives ou du père violent : orphelin de mère,
en butte aux brutales colères de son père, le jeune Ménétra trouve
réconfort et assistance auprès de sa belle-mère et surtout de sa grand-
mère ; ayant supporté pendant des années les mauvais traitements sans
broncher, des femmes portent plainte pour peu que les enfants soient
visés.
Les Églises insistent sur la mission éducatrice des parents. Bien qu’ils
en soient en principe coresponsables, la distinction faite par Xénophon
est souvent reprise dans les discours : aux mères les soins du corps et de
la petite enfance, aux pères les soins de l’âme et l’éducation, notamment
des garçons. Mais ces modèles différenciés ne s’imposent guère dans la
pratique et les femmes demeurent les principales éducatrices, ce que
reconnaissent les traités d’instruction chrétienne. Dans les faits ce sont
elles, mères, grand-mères, gouvernantes ou servantes qui transmettent les
premiers savoirs : religieux (prières, signe de croix) ; sociaux et
familiaux par des récits mêlant histoire et légende, qui incluent l’enfant
dans la lignée et la communauté en lui en transmettant la mémoire ;
savants en lui apprenant à lire et écrire.
Femmes éducatrices
Né en 1600 dans une noble famille tourangelle, Michel de Marolles apprit à prier et à lire
par sa mère, à écrire par une sœur de son père. Parente éloignée recueillie au château, une
« vieille Demoiselle » servait de gouvernante : « Sa douceur et ses tendresses m’étaient une
des plus précieuses choses du monde. Elle nous racontait des histoires du temps passé, je
pense mêmes qu’elle en inventait quelques unes. »
(Mémoires de Michel de Marolles, abbé de Villeloin, Paris, 1656).
Né en 1718 dans la bourgeoisie troyenne, Pierre Grosley se rappelle avec émotion qu’il eut
« pour instituteur, gouverneur et précepteur une vieille servante », au service de la famille
depuis l’âge de 15 ans. Illettrée, elle avait pourtant « une intelligence et des lumières au-
dessus de son état : elle faisait sur ses doigts, avec autant de promptitude que de justesse,
les quatre règles d’arithmétique […]. Elle savait par cœur plusieurs morceaux de Corneille,
et presque tout Malherbe, dont ses maîtres s’occupaient dans leurs soirées d’hiver, tandis
qu’au coin du feu elle filait sa quenouille. Elle me chantait la complainte du maréchal
Biron allant au supplice [1602] comme événement récent ; elle avait été témoin des
désordres que l’armée du duc de Lorraine, marchant vers Paris au secours de la Fronde,
avait commis dans son pays [1652], et les nouvelles de la gazette, qu’on lisait toujours en
sa présence, lui étaient moins étrangères qu’elles ne le sont aujourd’hui à quantité de nos
bourgeois les plus huppés. Quoiqu’elle ne sût point lire, c’est elle qui me l’a appris : une
demi-heure dans chaque soirée était consacrée à une lecture que je faisais dans Les Figures
de la Bible. J’étais obligé de recommencer chaque phrase, tant qu’elle ne l’entendait point
de manière à en saisir le sens, qu’elle m’amenait par là à sentir moi-même. Quand je lisais
sans m’arrêter aux points et aux virgules, elle frappait le livre du bout de son fuseau, en me
disant d’arrêter ». À 7 ans, le garçon entre au collège, mais la vieille femme poursuit son
rôle d’« institutrice » : « Elle me faisait lever à six heures en toute saison, exigeait que je
lui lusse mes versions [latines] ; et en tout temps ne me permettait de course et de
récréation, que quand mon devoir était fait. La lecture du soir continuait : aux Figures de la
Bible se joignaient la vie des Saints et celle des saints du diocèse. »
(Vie de M. Grosley écrite en partie par lui-même ; continuée et publiée par l’abbé Maydieu,
Paris, 1787).
Pour faire bonne mesure, ajoutons avec Martine Sonnet, que les pères
qui surveillent de près l’éducation de leurs fils mais aussi de leurs filles
ne sont pas absents, notamment au XVIIIe siècle.
Célibataires
Elles sont un peu les grandes ignorées de la période, apparaissant en
grisé dans les sources, et donc dans les travaux historiques, tant leur
place est mal définie dans une société organisée autour du mariage. Le
célibat laïc est déprécié et être fille (ou garçon) n’est guère une position
enviable. Elles représentent pourtant 11,6 % des feux à Dijon en 1750,
5 % à Châtellerault en 1788, 16 à 18 % des décès féminins à Paris en
1791. L’on doit d’ailleurs distinguer les jeunes filles en attente de
mariage et les célibataires plus âgées.
Tout porte à croire que la migration vers les centres urbains de jeunes
paysannes à la recherche de travail progresse fortement après 1750 : à
Lyon, elles forment le tiers des épouses passant contrat de mariage en
1730 et plus de la moitié en 1780 ; dans cette ville industrielle, elles sont
quasiment aussi nombreuses que les hommes parmi les migrants, mais
viennent de moins loin qu’eux. À peine âgées de 15-20 ans, elles sont
parfois accueillies temporairement par un parent éloigné avant de
travailler comme servantes ou journalières. En général, elles finissent par
s’installer en ville et s’y marier relativement tard (30 ans à Lyon contre
26,5 ans pour les natives de la ville) après avoir épargné sur leurs faibles
gains pour se constituer une dot. Dans le peuple parisien, les jeunes
célibataires vivant hors du cercle familial sont assez nombreuses à la fin
du XVIIIe siècle : immigrées ; orphelines ; travailleuses supportant mal
l’autorité parentale qui veulent « aller chercher leur vie ailleurs », ont
« de l’ennui pour la maison paternelle » qu’elles quittent après une
dispute ou une gifle de trop25. Elles louent alors une chambre, parfois
avec une amie, une sœur, une cousine, ou avec l’aide financière d’un
amant. À juste titre, on a souligné la détresse économique et affective de
ces filles seules, proies de séducteurs masculins qui leur promettent le
mariage ou de maîtres brutaux qui les chassent sans scrupule après les
avoir engrossées (ch. 8), parfois conduites à se prostituer faute de
ressources. Non qualifiées, sans biens, les plus pauvres vont de chambre
en chambre, de travail en travail, n’hésitant pas à commettre de petits
larcins, à s’emparer du mouchoir qui dépasse de la poche d’un passant ou
à quitter rapidement le garni en emportant une vieille couverture mitée.
Fragiles, celles qui ne sont pas parvenues à s’intégrer sont frappées de
plein fouet par toute crise économique ou incident de parcours, ballottées
au gré des circonstances : à Paris ou ailleurs, on les voit alors changer en
quelques mois cinq ou six fois d’employeur, de logement, voire de ville ;
sans attaches fermes, elles sont en mouvement pour fuir la misère, « se
jetant à tout pour vivre », à la limite de la marginalité et du vagabondage.
Mais cette précarité bien réelle et pesante ne tue pas nécessairement
l’envie de s’amuser d’une jeune fille de 20 ans : celles que l’on rencontre
dans les archives semblent ainsi naviguer entre indépendance et
vulnérabilité, désespoir face à la misère solitaire et rires joyeux à la
promenade, au bal, avec une amie ou un nouvel amoureux.
Au XVIIIe siècle, environ une femme sur dix de plus de 50 ans serait
une célibataire, plus souvent citadine que rurale. Exceptionnellement
choisi, le célibat définitif résulte des difficultés économiques à s’établir.
En milieu populaire où, on l’a vu, le mariage obéit à des règles moins
lourdes, ce sont pour l’essentiel des servantes, des domestiques ou des
mères hors mariage. Elles sont proportionnellement plus nombreuses
dans l’aristocratie à cause de la peur de la mésalliance et du poids
financier de dots dont le montant s’accroît dans un climat de surenchère :
dans les années 1700, 42 % des sœurs de ducs et pairs restent célibataires
(20 % des hommes). Pour ne pas diviser le patrimoine et éviter les unions
« au rabais », on préfère richement doter une seule fille et faire entrer ses
sœurs au couvent, des bénéfices d’abbesses permettant aux plus huppées
de tenir leur rang sans frais pour la famille. Si elles ne possèdent qu’une
médiocre fortune, celles restées dans le siècle sont accueillies par le frère
aîné ou des membres du lignage chez qui elles servent de gouvernante
pour les enfants, ou se glissent dans le sillage d’une famille puissante où
elles ont un statut ambigu d’amie dépendante, plus ou moins entretenue.
Les femmes
dans l’espace public
L’économie agricole
Avant de se marier, de nombreuses jeunes paysannes entrent en service
afin de constituer ou compléter leur dot ; E. Le Roy Ladurie juge
essentielle pour l’économie rurale du Languedoc cette main-d’œuvre
surabondante et sous-payée – et la remarque peut être étendue à d’autres
provinces. On l’a dit, le mariage est une association économique et la dot
de l’épouse constitue un apport non négligeable dans la formation d’une
exploitation. Familiale, celle-ci se passe difficilement d’une présence
féminine : dans son Théâtre d’agriculture (1600), l’agronome Olivier de
Serres insiste à plusieurs reprises sur la nécessité d’être bien marié,
« pour le besoin que tout ménage a de la conduite d’une femme ». Un
propriétaire se montrera réticent à louer sa terre à un homme seul ; dans
l’Ouest, aux XVIIe-XVIIIe siècles, les baux sont d’ailleurs co-signés par les
deux époux. Solidaires et associés pour la bonne marche de
l’exploitation, il et elle n’y ont pourtant pas les mêmes tâches : « C’est de
l’ordonnance antique que les affaires des champs demeurent au mari, et
celles de la maison à la femme » écrit O. de Serres, décrivant un partage
genré des activités et des espaces en partie corroboré par d’autres
documents, à condition d’entendre le mot maison dans un sens large. Le
travail des champs est bien prioritairement l’affaire des hommes qui y
partent très tôt le matin pour en revenir en fin d’après-midi ; mais au
soleil sec de l’été, toutes les énergies, masculines et féminines, sont
mobilisées pour la moisson, à laquelle en Île-de-France participent même
des journalières venues de la capitale ou de Franche-Comté. Si fenaison
et vendanges nécessitent aussi des bras féminins, les principales tâches de
la paysanne ont pourtant lieu dans la demeure et ses alentours : outre la
surveillance des enfants, la préparation du pain et des repas, elle fait
pousser dans le courtil les légumes indispensables pour compléter les
céréales ou pallier leur absence en cas de mauvaise récolte ; à elle
également le soin de la basse-cour, des cochons, des vaches, des ruches
ou des vers à soie dans certaines régions. Sans que cela soit systématique,
c’est le plus souvent elle qui porte au marché urbain le surplus
commercialisable (légumes, fruits, poulets, beurre) : dans nombre de
ménages, la vente de ces productions féminines constitue au XVIe siècle le
principal apport régulier de ressources monétaires – et favorise
l’introduction de l’argent dans les campagnes. La fermière aisée distribue
le travail entre les servantes. La paysanne plus pauvre va quérir le bois ou
l’eau au puits ; elle peut également prendre en nourrice un enfant de la
ville. Dans de nombreuses régions, l’hiver est le temps du travail
artisanal, souvent nécessaire pour compléter les maigres revenus tirés de
la terre : toute la famille s’y emploie, mais là encore les travaux sont
répartis différemment entre les sexes. Ce sont par exemple les femmes
qui cultivent le lin et le chanvre, qu’elles filent ensuite pendant les
veillées hivernales, pendant que les hommes tissent le fil ; puis elles
blanchissent la toile près du ruisseau.
La mort d’un des conjoints perturbe cette organisation, surtout chez les
petits paysans où, si les enfants sont encore jeunes, le (la) survivant(e) a
du mal à assurer seul(e) l’ensemble des tâches3. En revanche, une veuve
à la tête d’une grande ou moyenne exploitation peut très bien en assurer
la direction avec l’aide de domestiques. Dans le Bassin parisien, la
qualification de fermières laboureuses marque la reconnaissance
professionnelle accordée à ces veuves qui mènent leurs affaires avec
acuité et succès ; si la majorité se retire après le mariage du dernier
enfant, d’autres refusent d’abandonner leur activité et continuent jusqu’à
leur mort à administrer la ferme, parfois associées à un fils. Dans l’Ouest,
on trouve des cas assez similaires de veuves qui, seules ou en société
avec leurs enfants ou un proche parent, sont à la tête de grosses métairies,
dont elles assurent ainsi la transmission familiale : tenue à bail par la
même famille de 1629 à 1710, celle de la Chapelle-aux-Moines près de
Nantes est par exemple dirigée pendant 21 ans par une veuve, seule
(6 ans) ou avec son fils (15 ans), puis un peu plus tard par une autre
pendant 4 ans.
Femmes d’affaires
Dans la bourgeoisie, la participation des femmes à la vie économique
dépend largement de la fonction de leurs parents masculins. Les
opportunités sont ainsi très réduites pour l’épouse d’un officier ou d’un
intellectuel, qui n’interviendra dans l’économie que par la gestion
quotidienne des biens conjugaux. Il faudrait s’intéresser de plus près au
rôle féminin dans le marché des capitaux car, ne pouvant acheter
d’offices, celles qui ont de l’argent vont le placer ailleurs, dans les rentes
royales et municipales ou les entreprises commerciales : en 1673, des
Morlaisiennes contrôlent par exemple 20 % des dettes de la ville. De
riches Marseillaises investissent au XVIe siècle dans des compagnies de
commerce. Filles souhaitant arrondir leur dot, veuves rentières ou
épouses de négociants, les Malouines concourent à la frénésie spéculative
du port à travers la prise d’intérêts dans des armements de vaisseaux
corsaires ou partant pour les mers du Sud : elles suivent de près l’état de
la conjoncture, possèdent leurs propres réseaux d’information, forment
de « véritables « clubs d’investissement » féminins avant la lettre »
(A. Lespagnol). Et l’implication des femmes dans les réseaux du crédit
commercial au XVIIIe siècle a été soulignée par des études récentes
(Crowston 2013, Hafter 2015). Quant aux épouses de négociants ou de
manufacturiers, elles sont dans bien des couples les premières
collaboratrices de leur mari, le remplacent lors de ses absences pour
affaires, tiennent les comptes et la correspondance : la femme du Malouin
Danycan aurait tenu sa comptabilité au début de sa carrière de négociant ;
celle de Guerhard, propriétaire d’une manufacture de porcelaine à Paris,
s’occupe en 1789 des relations avec les autorités qui la qualifient
d’ailleurs de « directrice de la manufacture ».
Ce savoir-faire, cette compétence professionnelle acquis au côté de
leur mari – et parfois dans leur famille d’origine dans ces milieux où
l’endogamie est forte – permettent à celles devenues veuves de reprendre
les affaires. C’est ainsi qu’en 1701, un « Monsieur de Saint-Malo » sur
10 est en fait une veuve de négociant, à la tête de maisons au caractère
patrimonial marqué et pratiquant le commerce international. Véritables
chefs d’entreprise capitalistes, ces Malouines savent prendre des
initiatives hardies, n’hésitant pas à engager des centaines de milliers de
livres dans des secteurs risqués mais fort lucratifs ou à parcourir la
Bretagne pour s’occuper de leurs affaires, jouant ainsi selon
A. Lespagnol « un rôle non négligeable dans l’essor du capitalisme
malouin ». Répugnant parfois à passer la main, elles dirigent des maisons
importantes pendant 15-20 ans, formant leur fils puis s’associant avec lui
sous la raison « Veuve et fils » : la grand-mère du physiocrate Vincent de
Gournay a par exemple dirigé la maison familiale pendant 15 ans,
d’abord seule puis en société avec ses deux fils âgés d’une trentaine
d’années. On relève le même phénomène aux Sables-d’Olonne où,
d’après N. Dufournaud et B. Michon, dans les années 1720-1740 18 %
des navires allant pêcher la morue à Terre-Neuve sont armés par des
veuves de négociants : appelées armatrices ou négociantes, elles
s’occupent elles-mêmes de faire construire de nouveaux bateaux ou du
recrutement des matelots, accroissant parfois la fortune familiale. Celles
qui se remarient (souvent avec un armateur) cessent leur activité, mais les
autres la continuent jusqu’à leur mort, éventuellement associées à un fils
– plus exceptionnel, en 1715, un terre-neuvas est équipé par un
regroupement de marchandes sablaises. Dans des affaires de moindre
envergure, on trouve aussi à Paris des sociétés familiales regroupant une
veuve et son fils ou une femme et son frère, sa sœur. Réel, cet
engagement économique n’en est pas moins dépendant de nombreux
aléas : structure familiale de l’entreprise, décès du mari pendant la
minorité des fils, personnalité des individus – Malouines, Sablaises ou
Parisiennes n’ont pas toutes la volonté ou la capacité de remplacer leur
défunt mari. Et, quelle que soit leur importance, ces femmes ne font que
succéder temporairement à un homme : elles maintiennent mais ne créent
pas.
Ce qui est en revanche le cas d’autres entrepreneuses, qui, souvent
célibataires, montent et font prospérer elles-mêmes des affaires
d’envergure, notamment dans le milieu de la mode féminine, en forte
expansion au XVIIIe siècle (Crowston, 2013). Rose Bertin en est une des
figures les plus connues. Née en 1747 à Abbeville dans une famille
modeste, elle migre à Paris comme beaucoup de jeunes Picardes ; après
avoir travaillé dans une boutique de modes, elle ouvre à 23 ans son
propre magasin, à l’enseigne du Grand Mogol. Devenue marchande
officielle de Marie-Antoinette, elle connaît une réussite éclatante, qui
repose sur son inventivité créatrice en matière de mode et sur son sens
des affaires : surnommée la « ministre des modes » de la reine (qui la
reçoit régulièrement), ayant une clientèle internationale, elle possède
alors plusieurs maisons et mène un grand train de vie. Elle emploierait
trente femmes dans sa boutique, sans compter les dizaines d’artisans
qu’elle fait travailler à l’extérieur. La carrière spectaculaire de Rose
Bertin est exceptionnelle, mais, à un niveau plus humble, d’autres
marchandes de modes menaient dans les années 1770-1780 des affaires
importantes, telles ces deux associées parisiennes (célibataires) qui
avaient envoyé pour 20 000 livres de marchandises vers les Antilles, où
l’une d’elles s’était rendue pour surveiller leur commerce. Et dans
d’autres secteurs que la mode, on trouve aussi des marchandes de stature
imposante, comme cette marchande poissonnière qui fait une faillite de
80 000 livres à Paris en 1769 (Collins, 2015).
L’atelier et la boutique
L’organisation au XVIe siècle de nombreuses professions en corps et
communautés de métiers (jurandes, corporations, métiers) très
majoritairement masculins tend à y marginaliser la place des femmes. Il
ne faut cependant pas s’arrêter à cette dévalorisation statutaire, qui
masque leur réelle importance économique et sociale. Exploitation
agricole, florissant comptoir de commerce international ou petite échoppe
de quartier : dès que l’entreprise est familiale les femmes ont un rôle à
jouer. Ainsi, même s’il ne se lit pas dans la réglementation
professionnelle, leur travail est indispensable à la bonne marche de
l’atelier ou de la boutique. De plus, les métiers libres, ouverts à tous et à
toutes, sont loin d’avoir disparu. La généralisation des corps de métiers
n’a pas donc pas conduit à l’effacement du travail féminin dont la
présence est largement attestée dans les villes françaises du XVIe au
e 7
XVIII siècle. Des monographies anciennes et des études récentes l’ont
souligné, qui ne sont toutefois pas encore assez nombreuses pour mettre
en relief les nuances régionales ou chronologiques.
La soierie lyonnaise
Dès le XVe siècle, l’industrie lyonnaise de la soie utilise une importante main-d’œuvre
féminine : des apprentisses, des compagnonnes dévident, ourdissent, font des canettes,
tirent les cordes et tissent même sur le métier ; les femmes de compagnons sont même
autorisées à posséder leur propre métier. Mais, pour limiter la concurrence, les statuts de
1561 chassent des ateliers les apprenties (qui pourraient ensuite s’installer avec un mari
étranger au métier) et les compagnonnes non mariées à un travailleur de la soie. En
revanche il est permis à un maître de montrer son art à ses filles ou sœurs, et à sa femme ou
veuve de travailler sur le métier familial. Malgré une interdiction de 1569, les épouses,
veuves et filles de maîtres tirent effectivement la navette pendant toute la période. Un
atelier moyen à la fin du XVIIIe siècle abrite ainsi 3 métiers à tisser directement installés
dans le logement : devant chacun d’eux s’activent le maître, sa femme et un compagnon,
aidés par les enfants du couple, par une servante-ouvrière, parfois par une dévideuse.
Au XVIIIe siècle, les marchands-fabricants (négociants) contrôlent la production et la
commercialisation de la soie. Bien que possédant une maîtrise et dirigeant un atelier, les
maîtres artisans sont sous leur dépendance économique et leur statut se rapproche des
salariés – ils sont d’ailleurs appelés maîtres ouvriers ou ouvriers en soie. Dans le long
conflit qui oppose les deux groupes, la question du travail des femmes intervient plusieurs
fois. En effet, dans un contexte de paupérisation, celui de l’épouse et des filles est
indispensable dans les familles ouvrières : sans en avoir le statut, elles sont employées
comme compagnons, soit dans l’atelier familial (ce qui économise un salaire), soit pour les
plus pauvres au service d’un autre maître (leur salaire complétant le revenu familial). En
1737, un règlement pris sous la pression des maîtres ouvriers entérine cet état de fait ; mais
en 1744 les marchands obtiennent un nouveau statut, très défavorable aux maîtres et qui,
entre autres, interdit à leur épouse de se salarier – ce qui fragilise leur situation économique
et les rend plus vulnérables face au marchand. Cet édit provoque une grande révolte des
ouvriers lyonnais, qui sont finalement vaincus : la loi martiale est déclarée, le règlement de
1744 rétabli, et l’interdiction du travail féminin à l’extérieur, quoique peu observée, restera
en théorie valable jusqu’en 1786.
Dans les années 1780, 86 % des Lyonnaises déclarant une profession travaillent dans la
Fabrique, qui compterait ainsi 20 000 à 25 000 femmes (60 à 69 % des effectifs), parentes
de maîtres, ouvrières employées illégalement sur le métier, dévideuses et servantes-
ouvrières. Venues vers 10-15 ans des campagnes de Bresse, du Bugey, du Dauphiné, de
Savoie, ces dernières sont tordeuses de soie, tireuses de cordes, puis dévideuses (plus
qualifiées) : tâches épuisantes qui ruinent leur santé et en conduisent plusieurs à une mort
précoce. Au bout de longues années, après avoir économisé une petite dot, elles épousent
souvent un compagnon ou un maître ouvrier. Les travailleurs lyonnais sont hostiles à leur
emploi (illégal) sur le métier à tisser, qu’ils veulent réserver aux artisans qualifiés et aux
ouvrières de leur famille.
À l’inverse, plusieurs marchands aimeraient généraliser cette main-d’œuvre renouvelable,
peu payée, non organisée, qui concurrence les ouvriers. Les autorités poussent à la
libéralisation du marché du travail de la soie et à son ouverture à toutes les femmes.
Prenant acte de leur importance et de leur sort misérable, l’intendant propose en 1781 de
réorganiser la Fabrique en légalisant leur accès aux différentes tâches de la profession, tout
en restant dans le cadre corporatif : forte de 4 ans d’expérience, une dévideuse pourrait
suivre pendant 2 ans un apprentissage de tisserande sur le métier, puis un compagnonnage
de 4 ans et devenir ensuite maîtresse ouvrière. Ce projet reste lettre morte, mais en 1786 le
Conseil du roi autorise l’emploi de toutes les femmes « sans distinction » – autrement dit,
des filles venues de la campagne. Dans un contexte de crise de l’industrie textile, l’effet est
immédiat : bas salaires féminins, disqualification du statut privilégié de femme ou fille de
maître ouvrier, paupérisation accrue de leurs familles. En 1789, des maîtres écrivent dans
des Doléances que l’emploi de migrantes non qualifiées, qui travaillent mal et ont fait
chuter les salaires, n’est pas étranger à leur misère actuelle : ils accusent les marchands
d’avoir dressé un sexe contre l’autre pour réduire les deux à l’esclavage et demandent que
le tissage soit réservé aux hommes et « aux filles de maîtres qui par leur expérience ont
droit à cette grâce ».
(D’après M. Garden, N. Davis, et D. Hafter)
Ouvrières
La fabrication des étoffes mobilise donc aussi en ville un nombre
important d’ouvrières, qui interviennent le plus souvent dans des tâches
peu qualifiées et peu payées, en amont ou en aval du tissage, en général
masculin. Éplucheuses, époustilleuses, surbouleuses, cardeuses préparent
le lin, le chanvre, le coton avant de le confier aux fileuses, puis aux
coupeuses ; elles peuvent travailler chez elles pour le compte de
négociants ou dans des manufactures regroupant plusieurs centaines
d’ouvriers. Au XVIIIe siècle, à Lyon ou Paris, les femmes représentent de
la moitié aux trois quarts des ouvriers en soie : elles préparent la chaîne
(ourdisseuses), mettent le fil en écheveaux (dévideuses), ou s’occupent
de différentes tâches sur les métiers à tisser installés dans une pièce où
parents, enfants et salarié(e)s travaillent dur pour les marchands-
fabricants. Très nombreuses sont également les ouvrières en bas de coton
ou de soie, à une époque où tous en portent. La féminisation du secteur
vestimentaire s’est peu à peu imposée durant l’époque moderne et, au
e
XVIII siècle, ce sont les innombrables ouvrières en couture, en linge, en
culottes (pantalon d’homme coupé aux genoux) qui, en ville,
confectionnent les vêtements ensuite portés, grâce aux raccommodeuses
et ravaudeuses, jusqu’à usure complète. Certaines ont reçu un
apprentissage auprès d’une lingère ou d’une couturière. D’autres ont été
formées gratuitement dans les écoles charitables où l’on enseigne les
« travaux d’aiguille » aux petites filles pauvres pour leur procurer un
moyen de gagner leur vie (ch. 6) – et pour développer les qualités
« féminines » de modestie et obéissance. Ainsi, des femmes au chômage
s’improvisent sans difficulté apparente ouvrières en linge ou en couture.
Capitale de la mode et du luxe, le Paris des Lumières abrite la profession
en pleine expansion d’ouvrière en modes qui, elle, a suivi un
apprentissage coûteux et poussé lui permettant de manier avec la même
habileté le pinceau et l’aiguille et de bien gagner sa vie en travaillant
pour les marchandes de modes. Autrefois métier majoritairement
masculin, la broderie est désormais largement féminisée, tout comme la
fabrication de la dentelle. Enfin, voilà les blanchisseuses, lavandières,
buandières, figures bien connues de l’espace urbain : à la différence des
précédentes, c’est dehors, sur les bords de rivières où sont amarrés des
bateaux-lavoirs, qu’elles exercent un travail physiquement dur, au contact
d’autres métiers, ce qui leur vaut la réputation de virago au mauvais
caractère, à la langue déliée, aux réactions promptes.
Pendant longtemps, persuadés que les femmes n’intervenaient que
dans le cycle du linge perçu comme une extension de leurs travaux
domestiques, les historiens n’ont pas vu que, au moins dans les grandes
villes du XVIIIe siècle, on en trouve dans quasiment tous les secteurs de la
production artisanale. Travaillant aux côtés des ouvriers dans de petits
ateliers, ou en chambre (à domicile) avec un mari ou une mère, une fille,
un fils, les ouvrières sont très nombreuses dans la fabrication parisienne
d’objets de luxe15. Représentées sur les planches de l’Encyclopédie, elles
figurent sur quasi toutes les listes d’ouvriers dressées par leurs
employeurs au début de la Révolution (Godineau, 1988). Découpant,
peignant, collant, dorant le papier ou le bois, polissant le métal, cousant
les étoffes chatoyantes, elles confectionnent ou décorent avec art et
adresse les boutons, les plumes et fleurs artificielles destinées à parer la
tête ou le chapeau des élégantes, les perles qui brilleront à leur cou, les
éventails derrière lesquels se cacheront malicieusement les coquettes, les
belles tabatières qui contiendront le tabac à priser des hommes et des
femmes de la bonne société, bref tous les petits accessoires vendus très
chers qui feront le bonheur des riches oisifs. Brunisseuses et polisseuses
– métier très féminisé – travaillent le métal pour les armuriers, les
épingliers, les argenteurs, les bijoutiers, qui emploient aussi des doreuses.
Les fondeurs de caractères d’imprimerie ont également recours à des
femmes, qui polissent les lettres dans des conditions très pénibles dues à
la chaleur des fours : elles forment en 1791 plus du quart des effectifs du
célèbre Firmin Didot. Des ouvrières interviennent également en amont
des métiers du livre en fabriquant le papier. Si l’impression, très bien
payée, est une tâche jalousement protégée par les typographes, ce sont
ensuite des femmes qui plient et brochent les feuilles, parfois les relient
puis passent leur tranche à l’or fin. Assez pauvres, d’autres coupent les
poils de lapin pour les chapeaux, fourrent les sabots, fabriquent les
espadrilles, les portefeuilles, les perruques, cannent et empaillent les
chaises pour les menuisiers.
Domestiques et revendeuses
L’importance des femmes dans la domesticité croît à l’époque
moderne16 car de plus en plus nombreuses sont les familles de la petite
ou moyenne bourgeoisie à engager une domestique appelée, peut-être
pour faire plus chic, chambrière, femme de confiance ou cuisinière.
Souvent jeune et d’origine paysanne, elle seconde sa maîtresse en
s’occupant des courses, des enfants, et aide éventuellement à la boutique,
l’atelier ou dans la salle du cabaret. Elle vit au même rythme que ses
maîtres, partage leur intimité, leurs loisirs, est dans leurs confidences ; il
n’est pas rare qu’elle ait à se défendre, avec plus ou moins de succès, des
assiduités du maître ou des compagnons. Les maisons plus cossues
comptent plusieurs domestiques des deux sexes parmi lesquels règne une
subtile mais solide hiérarchie qui ne met pas au même niveau la servante
et la femme de chambre. Cette dernière appartient aux couches
supérieures de la domesticité et, grâce à des gages élevés (mais
irrégulièrement versés) et des avantages en nature (logement, nourriture,
habillement), elle peut amasser une modeste fortune. Comme ses
collègues masculins, elle est un intermédiaire culturel qui favorise la
diffusion des pratiques de lecture ou des habitudes vestimentaires et
alimentaires des élites sociales17. Elle apparaît souvent sous la plume des
écrivains ou le pinceau des peintres, favorisant les intrigues amoureuses
de sa maîtresse ou assistant à sa toilette dans des mises en scène érotisées
(Boucher, Femme attachant sa jarretière, 1742).
Immortalisées par les gravures, les petites marchandes des rues vivent
dans une précarité bien plus grande que les boutiquières croisées plus
haut. Criant leur marchandise, à tout coin de rue elles offrent du tabac, du
fil, de la quincaillerie, de vieux chapeaux, de vieilles hardes, des rubans,
de la tisane, des petits pâtés, du pain d’épice, des cerises, des marrons,
des fleurs… On pourrait continuer cet inventaire à la Prévert, reflet de la
misère et de la rage de survivre de ces revendeuses dont les plus pauvres
vont au jour la journée, promptes à sauter sur la moindre occasion, la
moindre affaire qui leur permettra de payer leur logeuse. Les fripières
revendent les vêtements usagés ou passés de mode des riches, les
regrattières leurs restes alimentaires. Des femmes sans ouvrage proposent
leurs propres effets, des chiffons ou toute autre chose en attendant des
jours meilleurs : ici se tient une ouvrière en robe au chômage qui, avec
les quelques sols gagnés à faire du raccommodage, a acheté deux bottes
d’asperges, dans l’espoir que leur revente lui procure de quoi manger et
dormir pour la journée. Toute à ses soucis, elle n’entend pas la chanteuse
qui, quelques pas plus loin, tente d’attirer les passants pour qu’ils
achètent le texte de ses chansons. Par ignorance ou conviction, des
colporteuses diffusent des brochures interdites – plusieurs sont arrêtées
pendant la crise janséniste ; avec la libéralisation de la presse en 1789, la
marchande de journaux devient un personnage familier des rues
parisiennes. Les plus chanceuses ont une petite échoppe en bois, fragile
construction, qui, accrochée par une voiture, tombe et vole en éclats, à
moins qu’elle ne soit furieusement démolie à coups de marteau par une
autre marchande dont elle a usurpé la place. Que l’on étale sa
marchandise sur des tréteaux ou par terre, que l’on soit protégée ou non
du vent par un bout de tapisserie, on tient à « sa place », preuve de son
intégration à une communauté qui n’a pas à courir les rues pour vendre.
Et dans toutes les villes existent des marchés, couverts ou non, où une
très large majorité de femmes débite des denrées alimentaires achetées
par menues quantités à des paysannes ou des marchands en gros. Elles
ont un statut officiel de marchandes publiques, doivent payer leur
emplacement et se soumettre aux règles de la police. Maîtresses femmes
sachant se faire entendre et respecter, ces poissardes ou harengères
incarnent pour les puissants un petit peuple urbain jugé emporté mais
fidèle à ses maîtres : les dames de la Halle parisiennes ont ainsi le
privilège d’être reçues par le monarque pour le féliciter lors d’une
naissance royale. Pour faire rire les lecteurs distingués, leur parler
grossier et savoureux est caricaturé par les auteurs de mazarinades ou les
adeptes du style poissard. De façon générale, les élites sociales jettent sur
les marchandes populaires un œil mi-amusé, mi-méprisant : fille du
peuple costumée en bourgeoise, la jeune et jolie écaillère aurait selon la
légende accompagnant la gravure (Bonnart, Les Cris de Paris, v. 1680)
« l’huître [symbole du sexe féminin] ouverte à tout venant » ; dans la
même série iconographique, la vieille revendeuse à l’air inquiétant est
présentée comme une voleuse buvant tous ses gains au cabaret.
Dans les marchés, des femmes misérables pèlent les marrons, écossent
les pois et les rangent suivant leur calibre. Les commissionnaires portent
sur le dos des hottes fréquemment chargées d’au moins 40 kilos. D’autres
plient sous le poids du charbon, du bois ou de l’eau qu’elles montent
chez les particuliers. Orpheline à 15 ans, Catherine Vignot décharge avec
sa sœur les voitures de charbon : les deux jeunes Parisiennes habitent
ensemble et s’habillent en homme car un costume féminin les gênerait
dans leur ouvrage ; sa sœur ayant épousé un collègue, elle a pris une
chambre chez une famille de charbonniers et continue à travailler avec
son beau-frère jusqu’à ce que, en mai 1795, coiffée d’un tricorne et
armée d’un sabre, celle que l’on surnomme la Charbonnière se mette à la
tête d’une manifestation de femmes18.
À Lyon, Rabelais et Félix Platter ont traversé la Saône sur des petites
embarcations dirigées par des batelières, tandis que sur la terre ferme des
femmes s’activaient comme manœuvres pour les maçons – l’architecte
Philibert Delorme considère d’ailleurs en 1568 que le bâtiment est un
excellent moyen d’employer de pauvres gens « d’un chacun sexe »19. On
ne trouve plus guère dans les villes du XVIIIe siècle de femmes employées
à ces travaux, mais que s’abattent sur les plus pauvres un accident ou une
maladie, et les voilà courant les rues pour gagner quelques sous. Et toutes
s’affairent ainsi, de l’aube au crépuscule ; puis la nuit vient et avec elle
les prostituées (appelées femmes du monde, femmes publiques) prennent
possession des rues.
Femmes publiques
Quoique réprouvée religieusement, à la fin du Moyen Âge la
prostitution20 est tolérée et les villes tentent de la contrôler en créant des
bordelages municipaux et en cantonnant étuves et maisons privées dans
certaines rues. Mais le climat moral des réformes religieuses et, surtout,
le développement de la syphilis poussent le roi à interdire « tous
bordeaux » en 1560. Comprise dans la politique d’enfermement des
pauvres et des marginaux, la répression se durcit sous Louis XIV avec les
sévères ordonnances de 1684 et 1713 : jugées dangereuses pour la
société, la santé publique et la morale, les prostituées arrêtées sont
emprisonnées dans les Hôpitaux généraux récemment créés. Pour
protéger la société, les punir et sauver leur âme, elles doivent y expier
leurs péchés par la pénitence, la prière et le travail ; elles sont en fait
souvent détenues dans des conditions épouvantables, parfois rasées et
soumises au fouet. La déportation vers les colonies ne concerne qu’un
petit nombre d’entre elles mais frappe l’opinion et devient sujet de roman
(abbé Prévost, Manon Lescaut, 1733). Dans les grandes villes, des
refuges religieux (la Madeleine, le Bon Pasteur) reçoivent également les
repenties plus ou moins volontaires qui y mènent une vie de
mortification. Le contexte socio-économique de la seconde moitié du
e
XVIII siècle (filles seules, crise du textile) conduit de plus en plus de
femmes à se prostituer – notamment dans la capitale où elles seraient 10
à 15 000. Considérant la prostitution plus comme un fléau social qu’un
péché, les hommes des Lumières s’en inquiètent et décrivent des rues
envahies nuit et jour par des prostituées hardies et provocantes, qui font
de l’homme un gibier, débauchent les jeunes gens, choquent les femmes
honnêtes : ils souhaitent donc qu’elle soit contenue, contrôlée et surtout
cachée. Tous reconnaissent que c’est le manque d’ouvrage qui pousse les
femmes à raccrocher, soulignant par là la nécessité du travail féminin en
milieu populaire, et demandent qu’il soit favorisé (cf. édit de 1776).
Celles arrêtées par la police racontent effectivement des histoires
tristes et banales, tragiques et sordides, où il est question de chômage, de
pauvreté ou de misère, d’entremetteuses (parfois la mère), de séduction,
de tentations, d’engrenage, de l’envie aussi de goûter aux biens de
consommation que la ville étale. Ouvrières du textile ou de l’artisanat,
elles sont en majorité jeunes et sans attaches familiales stables (bien
qu’une minorité soit mariée) : dans le Paris des Lumières, une sur deux a
moins de 22 ans et trois sur quatre viennent de villes de province.
Certaines ne raccrochent qu’épisodiquement en période de chômage,
d’autres ont un travail et font le commerce le soir pour compléter leurs
revenus. Les professionnelles qui ont définitivement abandonné leur
premier métier sont souvent dépendantes de maquerelles ou de logeurs
proxénètes, et en contact avec un milieu de voleurs, de joueurs,
d’escrocs, de soldats (leurs principaux clients, qui leur servent parfois de
souteneur), d’indicateurs de la police. Sans être totalement coupées de
leur milieu d’origine, elles se distinguent cependant par leur habillement,
leur argot, leur vie tapageuse qui pousse des voisins à se plaindre du bruit
et du scandale qu’elles occasionnent.
Violences
Violences de femmes
Les relations sociales du temps sont marquées par une violence27 à
laquelle contribuent les deux sexes. Les innombrables représentations
iconographiques de crêpages de chignons répondent aux innombrables
dépositions contre une relation de voisinage ou de travail qui, dans la rue,
au marché ou au lavoir, s’est jetée sur la plaignante, lui a arraché sa
coiffe et une poignée de cheveux, lui a lancé de la boue ou son battoir à
la figure, l’a souffletée, lui a assené des coups de poing, de balai, de
casserole, de sabot, plus rarement de bâton. La rixe a toujours été
précédée d’injures stéréotypées ou plus inventives, souvent à connotation
sexuelle (putain, bougresse, salope, gueuse, carogne, garce à chien,
demoiselle de merde, pourrie, cul-creux…) et fréquemment de menaces
de mort (elle va lui manger le cœur sur le gril, danser sur la panse de
cette bougre de femme…). Cette violence n’est pas l’apanage des
femmes du peuple : la fille du maire d’une petite ville du Midi organise
avec ses amies une bastonnade contre la femme d’un artisan qui l’avait
injuriée et jetée dans le pétrin du boulanger28. « Dispute de femmes
n’intéresse personne » écrit un policier29 et les hommes n’y interviennent
pas car, disent-ils, cela ne les regarde pas. Sauf si le motif de discorde
concerne l’honneur ou les biens communs : là, les hommes de la famille
sont impliqués et il n’est pas rare qu’une altercation verbale entre
femmes se poursuive et s’aggrave par leur intervention. Dans les
empoignades masculines provoquées par une affaire touchant toute la
famille, l’épouse intervient souvent par la voix, poussant son mari à
l’acte puis l’encourageant. Mais l’altercation publique entre homme et
femme en reste le plus souvent au niveau des injures et des menaces
échangées de part et d’autre sans déboucher sur l’affrontement physique.
Les querelles féminines ne se soldent qu’exceptionnellement par de
graves blessures – à la différence des nombreuses rixes masculines où les
armes sont sorties. Les femmes sont d’ailleurs peu représentées dans les
statistiques de la criminalité. Suivant les instances et les lieux, elles
représentent 10 à 20 % des inculpés : elles sont plus nombreuses dans les
affaires de vol ou d’injures, moins dans celles de violence ou d’homicide.
Seulement 1 % des lettres de rémission (demandes de grâce, excluant
l’infanticide) de criminels étudiées par R. Muchembled (Artois, XVe-XVIe)
ou N. Davis (France, XVIe) provient de femmes. Elles forment 11,7 % des
accusés jugés par le parlement de Paris sous François Ier, environ 20 %
de ceux jugés dans la Bretagne rurale du XVIIIe siècle (et 13 % de ceux
inculpés d’actes de violence contre personne), 17 % de ceux inculpés
pour violence grave devant le parlement de Paris en 1782, 11,6 % des
meurtriers d’Ille-et-Vilaine de 1792 à 1811. Ces chiffres reflètent les
poursuites devant la justice, traditionnellement plus clémente avec les
femmes que l’on hésite plus à arrêter et que l’on relâche plus facilement à
cause de leurs fonctions maternelles. La hausse – qui nécessiterait d’être
confirmée par d’autres études – des pourcentages à la fin de la période
peut tout aussi bien tenir d’une sensibilisation sociale plus élevée à la
violence (plus poursuivie) que d’une indulgence décroissante envers les
femmes. Indulgence relative car, si elles échappent à la condamnation
aux galères, elles peuvent en revanche être fouettées, exposées en place
publique carcan au cou, flétries au fer rouge d’une fleur de lys à l’épaule
ou pendues. Et les juges ne font guère preuve de mansuétude dans les
procès pour sorcellerie (ch. 5) ou infanticide, où les femmes sont les
principales accusées : de 1557 (édit d’Henri II sur le recel de grossesse) à
1789, le parlement de Paris a condamné de 1 000 à 1 500 femmes
suspectées d’infanticide à la pendaison.
Le pouvoir politique
Reines de France
La reine, « souveraine et sujette »
Grâce aux travaux de F. Cosandey1, on peut désormais bien cerner la
place et le rôle de la reine dans le système monarchique. À la différence
des autres pays d’Europe, en France une fille de roi ne peut hériter de la
couronne car les femmes et leurs descendants sont écartés de la
succession du trône. Élaborée lors des crises dynastiques du XIVe siècle
pour protéger le royaume d’une domination étrangère (époux ou fils
d’une princesse française), cette règle est théorisée au XVe sous le nom de
loi salique2 : au moment où sont définies et fixées les bases de la
monarchie française, elle devient loi fondamentale du royaume. Les
juristes des XVe-XVIe siècles en font un mythe en la présentant comme
remontant à la nuit des temps et conforme à l’ordre de la nature, et
justifient l’exclusion par l’incapacité « naturelle » des femmes à
gouverner un pays ou en assurer la défense à la tête de l’armée. Aussi,
seul le mariage avec le roi permet à une femme de devenir reine de
France. Généralement d’extraction princière et étrangère –
Mme de Maintenon, épouse morganatique, ne fut pas reine de France –,
de préférence fille d’une famille régnante, elle est choisie dans le
« stock » de princesses européennes en âge de convoler, selon des critères
politiques et diplomatiques, car cette union politique doit sceller
l’alliance avec une puissance étrangère. Souvent mariée très jeune, elle
doit s’adapter à son nouveau pays, à sa langue, ses modes, ses usages. Sa
principale fonction d’épouse royale est de fournir une descendance, gage
de stabilité dynastique et de paix à l’intérieur du royaume : sa position ne
devient vraiment assurée qu’à la naissance d’un dauphin.
Régentes
Au-delà de cet aspect institutionnel, la majorité des reines n’ont
d’ailleurs concrètement pas eu un grand rôle politique du vivant de leur
mari, d’autant qu’elles étaient souvent soumises à des grossesses
rapprochées (7 en 10 ans pour Claude de France, 10 en 12 ans pour
Catherine de Médicis, 6 en 8 ans pour Marie de Médicis, 6 en 11 ans
pour Marie-Thérèse). Pourtant certaines ont exercé un pouvoir en tant
que régentes. Car, quoique la loi salique soit justifiée par l’incapacité
féminine, c’est bien souvent à elles qu’est confié le gouvernement du
royaume pendant l’absence ou la minorité d’un roi. Lorsqu’un souverain
quitte le pays pour aller guerroyer à l’étranger, il choisit lui-même qui
assurera la régence en son absence : en général, une proche parente, selon
une pratique parallèle à la tradition qui charge les femmes de la noblesse
d’administrer la seigneurie lorsque leur mari est au loin. La régente n’est
d’ailleurs en ce cas pas nécessairement reine, à l’instar de Louise de
Savoie, mère de François Ier associée au gouvernement et plusieurs fois
régente avec les pleins pouvoirs – ce qui n’est pas toujours le cas.
En cas de minorité royale, les règles de dévolution de la régence ne
sont pas juridiquement fixées, mais depuis la fin du Moyen Âge sont
associés tutelle-éducation de l’enfant roi, du ressort de sa mère, et
gouvernement du royaume. De plus, l’amour maternel et l’inaccessibilité
féminine au trône sont des arguments avancés contre les princes du sang,
candidats potentiels à la régence, mais qui, en tant qu’héritiers, pourraient
être tentés par une usurpation du pouvoir. Les reines mères Catherine
de Médicis, Marie de Médicis et Anne d’Autriche ont donc été régentes
pendant la minorité de leurs fils. Mais l’obtention de la régence par la
reine ne va jamais de soi et tient du « mélange de légitimité et de coup de
force » (F. Cosandey). La tradition veut que les états généraux désignent
le régent, mais ils sont longs à se réunir et le parlement de Paris s’est
attribué ce rôle. En fait, dès la mort de son mari, la reine doit rapidement
négocier avec les princes du sang et le parlement, obtenir leur
approbation, faire éventuellement casser le testament du défunt roi, se
faire confirmer officiellement par son fils. Une fois désignée, la régente a
pour rôle de faire le lien entre le père et le fils, sans innover, sans laisser
de trace. Pourtant, même si face aux prétentions des Grands elle est
toujours dans une situation fragile, elle n’en détient pas moins le pouvoir
et gouverne réellement, en s’appuyant éventuellement sur des conseillers
(Concini et Richelieu pour Marie de Médicis, Mazarin pour Anne
d’Autriche). Comme les veuves de négociants chargées elles aussi de
faire la transition entre le père et son héritier, elle peut y prendre goût.
Mais la France n’est pas une entreprise familiale, et à la majorité du roi
(13 ans révolus) elle perd son titre de régente et doit lui restituer
l’autorité. Cependant, dans la pratique, l’influence de la reine mère sur le
jeune roi subsiste et elle peut ainsi continuer à exercer une activité
politique. Nommée surintendante du royaume par Charles IX, Catherine
de Médicis assiste au Conseil, où elle est la première à ouvrir les
dépêches et regarde toutes les lettres avant que le roi ne les signe
(règlement de 1563) ; elle, qui « gouverne avec un plein et absolu
pouvoir comme si elle était roi » (ambassadeur de Venise), sera active sur
la scène politique pendant près de 30 ans. Marie de Médicis (20 ans
d’activité) et Anne d’Autriche sont toutes deux chefs du Conseil après la
majorité de leur fils. Mais la mère du roi est désormais sous la puissance
de celui-ci, dépendante d’une confiance qu’il peut lui retirer, comme le fit
Louis XIII en 1617 : refusant d’être reléguée au second plan, Marie
de Médicis entre alors en guerre ouverte contre son fils.
Les régences des XVIe-XVIIe siècles sont des périodes de guerres civiles
pour le royaume, les Grands profitant de la jeunesse du roi pour tenter de
limiter l’autorité monarchique et fomenter des troubles. Obligées de
s’allier avec les uns contre les autres, les régentes sont la cible des
attaques orchestrées par le parti adverse. On leur reproche leur duplicité,
leur goût du pouvoir, leurs dépenses, leur origine étrangère et leur qualité
de femme : exclues du trône à cause de leur incompétence, elles
devraient également l’être de la régence. Ainsi pendant la Fronde,
plusieurs mazarinades assurent que les femmes sont incapables de
gouverner et que, conséquence de la loi salique, la régence devrait être
exercée par l’oncle du roi et les princes du sang. Développée par les
Princes pour servir leurs intérêts, cette thèse s’appuie sur une opinion
défavorable, en particulier dans la bourgeoisie, à tout exercice féminin du
pouvoir : « Nous sommes conduits par une femme qui, de son sexe, ne
peut jamais être capable de gouverner un grand État comme celui-ci. Les
anciens Gaulois ont été bien sages de mettre pour loi fondamentale que le
royaume ne tomberait point en quenouille. Mais il fallait aussi ordonner
que la minorité des rois ne serait sous la tutelle de leur mère », écrit
Oudard Coquault, bourgeois de Reims (Mémoires). Après avoir dressé la
liste des malheurs arrivés sous les précédentes régences féminines, il
conclut : « Notre Anne d’Autriche régente ne fait pas mieux. Je ne la
veux accuser de malice en son gouvernement, mais de n’être capable
d’affaires. »
Dans cette guerre des mots qu’est aussi la Fronde, un pamphlétaire
proche de la reine réplique que les femmes sont tout aussi capables de
gouverner que les hommes, que des régences masculines ont aussi été
traversées de conflits : ce ne sont pas les régentes qui sont à blâmer, mais
« l’ambition des Grands » et le fait que « les hommes, notamment les
Français, portent plus impatiemment le gouvernement des femmes »
(d’Audiguier du Mazet, Le Censeur censuré, 1657).
Au cours des siècles suivants, alors que le pouvoir des femmes était de
plus en plus mal considéré, on a dressé des portraits épouvantables des
régentes, chargées de tous les maux et de tous les défauts, symboles
éclatants, disait-on, de l’action néfaste des femmes en politique : les
historiens reviennent aujourd’hui sur cette présentation faite de préjugés.
Ils soulignent par exemple que l’image de cruauté et de duplicité associée
à Catherine de Médicis a été créée par ses ennemis, puis reprise ensuite
par l’historiographie et la littérature. Mais Catherine, rappellent-ils
(D. Crouzet, Th. Wanegfellen), était une figure humaniste, une véritable
femme d’État. Persuadée que les femmes ont une fonction pacificatrice et
négociatrice, elle a œuvré de toutes ses forces en faveur du
rétablissement de la paix et d’une politique de tolérance civile ; et sa
fameuse « duplicité » n’était pas « l’expression d’un machiavélisme
pervers mais les armes d’une femme tiraillée entre les redoutables
factions de la cour4 ».
Femmes politiques
Associées à la politique de leur famille, de grandes aristocrates
participent aux diverses conspirations du temps : en 1560 la princesse de
Condé et sa mère (sœur de Coligny) sont impliquées dans celle
d’Amboise dirigée contre les Guise, en 1574 Marguerite de Valois et la
duchesse de Nevers dans le complot des Malcontents. Certaines font
figure de chefs de parti, en général aux côtés de leurs fils, frères ou mari.
À la fin des années 1580, la sœur5, la mère6 et la veuve7 du duc de Guise
(assassiné le 23 décembre 1588) jouent un rôle de premier plan dans
l’opposition au roi. « Grande femme d’État » selon Brantôme,
« gouvernante de la Ligue à Paris » d’après le chroniqueur Pierre de
L’Estoile, la première (la duchesse de Montpensier) est en particulier
accusée par ses contemporains de diriger la propagande des Guise en
payant des prédicateurs ou en faisant courir de faux bruits pour soutenir
le moral des Parisiens assiégés en 1590. En juillet 1589, le roi lui aurait
même fait dire « qu’il étoit bien averti que c’étoit elle qui soutenoit et
entretenoit le peuple de Paris en sa rébellion » (L’Estoile). Après
l’assassinat d’Henri III – que des rumeurs leur attribuent –, les
« princesses de la Ligue » (L’Estoile) se réjouissent de la mort du
« tyran », haranguent la foule de leurs carrosses et organisent des
réjouissances. Conscient de leur pouvoir, Henri IV s’adresse à elles après
son sacre. Ralliées à sa politique de pacification, elles interviennent alors
auprès des hommes de la famille pour qu’ils déposent les armes. En
Bretagne, c’est la duchesse de Mercœur8 qui pousse son mari plus
hésitant à prendre le parti de la Ligue. C’est elle qui appelle des
prédicateurs ligueurs, harangue au besoin la foule et qui, enceinte de
8 mois, soulève Nantes en avril 1589. Elle encore qui en 1598 négocie la
soumission du duc, au cours de pourparlers avec Gabrielle d’Estrées,
maîtresse et représentante officielle du roi Henri IV – le traité de paix,
signé par les deux femmes, prévoit le mariage de la fille des Mercœur
avec le duc de Vendôme, fils de Gabrielle d’Estrées et du roi. En
Provence, Chrétienne d’Aguerre (1553-1611), veuve du comte de Sault,
est à la tête de la Ligue.
Soixante ans plus tard, la duchesse de Longueville est
incontestablement l’une des dirigeantes de la Fronde, avec ses frères
(Condé, Conti) et son mari9. Pendant la Fronde parlementaire, elle pousse
d’abord Condé à s’allier avec les parlementaires contre Mazarin, puis,
suite à son refus, elle entraîne son jeune frère Conti, son mari et son
amant La Rochefoucauld. Pendant le blocus de la capitale, très populaire
parmi les Parisiens, elle s’installe à l’Hôtel-de-Ville où le Conseil de
guerre de la Fronde, qu’elle préside avec Conti, se tient dans sa chambre.
Elle prend part aux pourparlers de la paix de Rueil (1649). En janvier
1650, alors qu’elle devait être arrêtée avec ses frères et son mari, elle
s’enfuit et tente de soulever la Normandie. Déguisée en homme pour
échapper à l’armée royale, elle gagne Rotterdam où elle publie une Lettre
au Roi : elle y justifie sa conduite et se dit victime du despotisme
ministériel. Réfugiée ensuite à Stenay (place forte de Condé en Argonne),
elle co-signe avec Turenne un traité avec l’Espagne, rédige plusieurs
textes politiques (Manifeste et, en collaboration, l’Apologie pour
Messieurs les Princes), recrute des troupes qu’elle paye en gageant ses
bijoux, participe avec Turenne à la défense de la place. De retour à Paris
(avril 1651), après avoir participé aux négociations entre les deux frondes
(parlementaire et princière), elle contribue à l’échec de l’union (par
hostilité au mariage de son frère Conti et de Mlle de Chevreuse). Accusée
de crime de trahison et de lèse-majesté avec ses frères (1651), elle rejoint
Bordeaux, dernier bastion frondeur, où, en l’absence de Condé à la tête
de ses troupes, elle anime avec Conti la rébellion, tentant de négocier
entre le parlement bordelais et l’Ormée populaire, puis co-signe, avec
Conti, un traité de paix avec la cour (juillet 1653). « Elle fut comme un
tison ardent qui mit le feu à tout le royaume » (Goulas, Mémoires, 1651).
Agissant ouvertement, elle fut, selon la conception du temps, mais pas
moins que ses frères, une femme politique. Et pas la seule. Parmi la
quinzaine de frondeuses récemment étudiées par Sophie Vergnes, citons
en particulier Anne de Gonzague de Clèves, princesse Palatine (1616-
1684), Isabelle-Angélique de Montmorency, duchesse de Châtillon
(1625-1695), Marie de Rohan, duchesse de Chevreuse (1600-1679) et
bien sûr la Grande Mademoiselle (Anne-Marie-Louise, fille du duc
d’Orléans, duchesse de Montpensier, 1627-1693). Toutes ont mené des
actions importantes pendant la Fronde.
L’engagement de ces grandes aristocrates a pendant longtemps été
présenté comme anecdotique par les historiens, relevant d’une « petite
histoire » faite d’intrigues galantes et de détails croustillants et non d’une
histoire politique sérieuse. On a retenu leurs liaisons, revêtu leurs actions
de romanesque parce que vécues par des femmes, en gommant leur
aspect politique officiel. On les a décrites menées par leurs sentiments,
leurs passions, leur désir de gloire, leur goût de l’intrigue. À cela on peut
répondre qu’elles le sont exactement comme les hommes de leur milieu,
et qu’il faut replacer ces actions dans les pratiques du temps. Privé et
public, affaires familiales et affaires politiques sont alors souvent
confondus ; les appartenances lignagères sont essentielles dans les prises
de position et les Grands s’appuient sur leurs réseaux de clientèle. Or, les
études récentes sur la noblesse ou sur les femmes ont confirmé qu’elles
sont au cœur des réseaux nobiliaires, qu’ils soient familiaux ou
clientélistes. Unies à leur famille d’origine et à celle de leur époux, elles
occupent une place centrale dans les ramifications familiales et font bien
souvent le lien, au sens propre et au sens symbolique, entre les familles
et/ou les partis (S. Vergnes). Ainsi, négocier des mariages ou rassembler
une petite cour de gentilshommes autour de soi peut avoir un sens
politique, comme l’a noté Mazarin à propos de son adversaire Mme de
Longueville : « Si elle aime la galanterie, ce n’est pas du tout qu’elle
songe à mal, mais pour assurer des serviteurs et des amis à son frère. »
Aristocrates de lignées prestigieuses, elles s’engagent pour des raisons
où se mêlent intérêts de leur clan, convictions religieuses, hostilité
nobiliaire à la montée de l’absolutisme et ambitions personnelles. Liées à
la maison de Lorraine, sincères catholiques, Marie de Mercœur ou
Chrétienne de Sault avaient peut-être aussi l’espoir en entraînant leurs
provinces dans la Ligue de voir, comme au Moyen Âge, la Bretagne ou la
Provence indépendantes – sous leur tutelle familiale, cela va sans dire !
Quant à Mme de Longueville, c’est une argumentation idéologique, celle
de son milieu, qu’elle développe dans le Manifeste ou l’Apologie, « texte
capital pour la compréhension de la Fronde aristocratique » (H. Carrier).
À la définition moderne de l’État, elle oppose une conception princière
qui fait du royaume un patrimoine héréditaire. Selon elle, il doit être
dirigé par les parents du roi mineur, seuls aptes par leur naissance à le
conseiller, et non par Mazarin, étranger de basse extraction auquel les
Princes n’ont pas à obéir et qui exerce une autorité despotique contraire
aux traditions françaises.
Et c’est bien parce qu’elles appartiennent à de grandes familles, parce
que, dit-on, leur rang les placerait au-dessus du commun que ces femmes
interviennent de plain-pied dans les affaires du royaume en temps de
désordre. Elles le font au nom de leur clan, pour accroître le pouvoir d’un
homme de la famille : on touche là les limites de leurs interventions.
Même si, dotées de fortes personnalités, elles ne sont certes pas les
simples auxiliaires des ambitions masculines, et même si la gloire d’un
proche signifie aussi plus de puissance pour leur maison, et donc pour
elles, on n’en est pas moins dans une société où les hommes sont les
chefs nominaux d’une famille et où le pouvoir est et reste masculin –
Mme de Longueville se bat par exemple pour que, selon ce qu’elle juge
être la tradition, ce soient ses frères (et non elle) qui participent au
gouvernement du royaume.
Au cours des conflits, elles sont particulièrement chargées des
négociations entre parties, et de la propagande de leur camp
(E. Viennot) : Jeanne d’Albret compose le manifeste du parti huguenot,
les duchesses de Montpensier et de Mercœur entretiennent des
prédicateurs ligueurs, Mme de Longueville co-rédige l’Apologie, dont
elle organise de plus l’impression et la diffusion. Et, parce que le genre
féminin est associé à la paix comme à l’art de la conversation et à la
parole, elles ont une action diplomatique de médiatrices (S. Vergnes). La
guerre est en revanche affaire d’hommes, mais il arrive que,
exceptionnellement, le temps d’une bataille ou d’un siège, dans ces
périodes troublées certaines se transforment en guerrières.
Guerrières
« S’exposant aux arquebusades et canonnades comme un de ses
capitaines » (Brantôme), Catherine de Médicis conduit les troupes
françaises au siège du Havre. En 1652, la Grande Mademoiselle passe en
revue ses troupes qui vont s’emparer d’Orléans. Trois mois plus tard, elle
intervient de façon décisive à la bataille du faubourg Saint-Antoine en
faisant tirer le canon de la Bastille sur l’armée royale. Plus fréquemment,
c’est pour défendre leur domaine assiégé que, en l’absence d’un mari
mort ou retenu ailleurs, des femmes nobles dirigent la résistance face à
l’ennemi, parfois les armes à la main10. En 1590, alors que les ligueurs
étaient déjà maîtres de Châtillon-sur-Loing, Marguerite d’Ailly, épouse
de Coligny,
« ayant rassemblé autour d’elle dans le château le peu de serviteurs qui lui restaient, fit sur les
assiégeants une sortie si vigoureuse qu’elle les mit en fuite, fit Bourron [leur chef] prisonnier,
et reprit tout le butin que les ennemis avaient déjà chargé sur des chariots » (De Thou,
Histoire universelle, 1604-1620).
« Que les femmes fassent les femmes, non les capitaines : si la maladie de leurs maris, la
minorité de leurs enfants, les contraignent de se présenter au combat, cela est tolérable pour
une fois ou deux en la nécessité ; il leur est plus séant de se mêler des affaires en une bonne
ville proche des armées, que d’entrer en icelle, où elles sont injuriées des ennemis et moquées
des amis » (Tavannes, Mémoires du capitaine Gaspard de Saulx-Tavannes12).
« Il n’a jamais été dit que la Noblesse ne fût que d’un sexe et que la Fleur du bon sang fût
toute d’un côté, et toute la lie de l’autre. La distribution s’en fait également […] : les Filles la
possèdent en commun et sans distinction avec leurs frères13. »
Il importe de rappeler que les nobles n’ont pas été les seules à être
concernées par les conflits de l’époque. Pour la majorité de la population,
ils ont signifié misère, pillages, exactions, massacres, et viol pour les
femmes. La Ligue ou la Fronde n’ont pas été seulement nobiliaires : des
roturières en furent aussi actrices, même si leur engagement n’a guère été
étudié. On se souvient (ch. 3) des marchandes parisiennes menaçant
Anne d’Autriche, puis participant à la Journée des Barricades (26-27 août
1648) ; et la présence féminine dans les foules frondeuses, à Paris ou
ailleurs, est attestée par tous les mémorialistes. Les travaux historiques
sur la Ligue populaire, dans la capitale ou en province, ne disent rien des
femmes, et c’est dommage car on peut supposer que cette veuve d’une
cinquantaine d’années, habitant Thouars en Poitou, injuriée par un voisin
en septembre 1595 pour avoir soutenu la Ligue n’a pas été la seule à se
faire remarquer pour ses prises de position pendant les troubles ; et que
dire de cette paysanne, qui fréquentait des ligueurs connus de Chartres et
qui, en 1617, entendit une voix lui dire d’aller à Paris pour tuer le roi14 ?
Conclusion
L’échec de la Fronde ouvre la voie à l’absolutisme et à une conception
moderne, moins familiale et plus abstraite, de l’État et du pouvoir. Le roi
s’affirme d’une espèce particulière, souverain incarnant l’État et pas
seulement premier d’entre les Grands. Réunis à la cour autour de sa
personne, ces derniers sont réduits au silence politique et exclus de la
direction des affaires. Dans l’État moderne, le roi ne gouverne pas avec
l’aide de ses proches parent(e)s, mais en s’appuyant sur des personnes
choisies pour leurs compétences. Dès son avènement personnel,
Louis XIV écarte du conseil d’État sa mère et tous ceux qui pouvaient y
siéger jusque-là grâce à leur naissance, titre ou fonction, pour ne plus y
admettre que les ministres, issus de la noblesse de robe et s’appuyant sur
le travail préparatoire des officiers de leurs bureaux. Alors que les princes
du sang sont éloignés du Conseil, il va sans dire que personne n’imagine
plus y voir des princesses. Et on finira par oublier que du temps des
Valois, mère et sœur du roi y avaient parfois siégé. F. Cosandey a montré
comment la création de l’État moderne a placé la reine dans l’ombre du
roi absolu, la reléguant à l’arrière-plan de la scène politique, sans place
dans le gouvernement – alors qu’Henri IV avait par exemple fait entrer
Marie de Médicis au Conseil en 1603 pour assurer son éducation
politique. Toutes choses égales par ailleurs, la remarque peut être étendue
aux grandes dames de l’aristocratie, dont le rôle politique à la cour
s’efface, passant désormais d’un caractère public quasi officiel à l’ombre
des petites intrigues courtisanes. Bien entendu, cela ne concerne pas les
seules femmes, qui ne sont pas prioritairement ni spécifiquement visées
par cette évolution : la volonté royale n’est pas tant de les exclure du
pouvoir que d’en écarter les puissants et ambitieux lignages. Mais cela
conduit à faire des membres du Conseil exclusivement des hommes, des
« professionnels » faisant carrière au service du roi, ce que ne peut être
une femme : la modernisation de l’État passe par sa masculinisation.
Bien sûr, les dames de la cour peuvent soutenir telle coterie ou tel clan, et
certaines, notamment ses maîtresses, ont une influence personnelle sur le
monarque. Mais on est désormais dans l’ordre du privé, qui tend à se
distinguer de la chose publique comme l’écrit Louis XIV à son fils : un
roi doit séparer « les tendresses d’amant d’avec les résolutions du
souverain » et ne pas parler avec sa maîtresse des affaires et des
serviteurs de l’État (Mémoires pour l’année 1667). Favorite épousée en
secret, Mme de Maintenon n’a eu qu’une action limitée sur la vie
religieuse et politique du royaume : si elle a pu peser sur les nominations
royales, Louis XIV ne lui demandait guère son avis sur les grandes
affaires, et n’en tenait d’ailleurs pas compte – sauf à l’extrême fin du
règne lorsque les ministres passaient par elle pour ne pas fatiguer le vieux
roi.
Et comme la noblesse assagie ne songe plus à prendre les armes contre
le roi, la France ne connaît plus les désordres civils qui avaient conduit
des femmes à se battre pour un parti ou pour défendre militairement leur
domaine ou « leur » ville en l’absence d’un époux. D’autant qu’avec les
progrès de la discipline militaire, les armées en campagne ne s’en
prennent plus aux contrées et châteaux sur leur route. L’éventuelle action
militaire d’une dame, qui n’avait jamais été totalement approuvée,
devient tout aussi impensable que sa présence au Conseil.
L’association du féminin au privé et à la famille n’est pas chose
nouvelle. Mais, tant que privé et public n’étaient pas nettement séparés,
l’intervention active d’une aristocrate dans les affaires de l’État, au nom
de ses intérêts lignagers, était beaucoup moins choquante qu’à partir du
moment où la sphère publique tend à se disjoindre de la sphère privée.
Triomphe alors l’idée que, quelle que soit sa naissance, une femme n’a
pas à se mêler de politique : elle doit limiter ses ambitions à une
existence domestique et à une vie de bonne chrétienne.
Chapitre 5
La religion, entre
engagement
et répression
Les huguenotes
Être huguenote
Contemporains et historiens ont remarqué l’attirance des femmes du
e
XVI siècle vers le protestantisme. Pour discréditer leurs adversaires, les
catholiques de l’époque l’expliquent par la faiblesse morale et
intellectuelle du sexe féminin. Soulignons plutôt que la Réforme prône
un nouveau rapport du fidèle à l’Écriture sainte : en permettant à tous,
clercs et laïcs, savants et humbles, hommes et femmes, d’avoir un accès
direct au texte sacré traduit, elle bouleverse profondément les traditions.
Le besoin d’une religion plus intime était partagé par de nombreux
fidèles des deux sexes, ce que l’Église catholique ne prendra en compte
que plus tard, se contentant pour l’heure d’affirmer que les femmes ne
doivent surtout pas lire la Bible. Érasme, qui dès 1516 souhaitait « que
les plus humbles femmes lisent l’Évangile » (Parclésis), avait bien
compris cette aspiration féminine et l’amertume de ne pas la voir prise au
sérieux. Dans un de ses Colloques (Abbatis et Eruditœ, 1524), une
femme docte, sachant le grec et le latin, rétorque ainsi à un abbé « bête
comme un âne » qui se moque d’elle : « Si vous continuez comme vous
avez commencé, les oies prêcheront plutôt que de souffrir plus longtemps
les pasteurs muets que vous êtes. Vous voyez bien que tout maintenant
est sens dessus dessous sur la scène du monde. Il faut quitter le masque,
ou bien chacun dira son mot. » Une brochure protestante de 1557
souligne cet enjeu féminin, en s’adressant ironiquement aux catholiques
qui traitent de « paillardes » les femmes désireuses de lire la Bible :
« Vous dites qu’il suffit aux femmes pour assurer leur salut de faire leur
ménage, de coudre et de filer. Que signifient alors pour elles les
promesses du Christ ? Mais vous laisserez entrer les araignées au Paradis,
puisqu’elles savent si bien filer […]1. »
Celles qui ne se contentent pas d’un statut d’araignées appartiennent à
différents milieux. Si Marguerite de Navarre ne sauta pas le pas, sa fille
Jeanne d’Albret abjura publiquement le catholicisme en 1560 et
institutionnalisa le calvinisme dans ses États. Renée de France se fit
également connaître pour ses sympathies réformées : accueillant les
persécutés à sa cour de Ferrare, correspondant avec Calvin, ne se rendant
plus à la messe, elle fut condamnée à la prison par l’Inquisition ; de
retour en France après la mort de son mari, elle continua à protéger les
protestants jusqu’à sa mort (1575). Citons encore, parmi de très
nombreuses aristocrates, la comtesse de Roy et ses filles Éléonore,
princesse de Condé, et Charlotte, comtesse de La Rochefoucauld, ou
Charlotte de Laval, femme de Coligny. L’historienne N. Rœlker a montré
que, dans la noblesse française, ce furent souvent les femmes qui firent le
premier pas vers la conversion, entraînant leurs proches à leur suite.
Moins connu, l’engagement religieux de roturières fut pourtant tout
aussi important. Celles étudiées par N. Davis à partir des archives
lyonnaises et de l’Histoire des Martyrs de Jean Crespin sont, comme les
hommes, majoritairement des urbaines du monde de l’artisanat et du
commerce, qui participent à la vie sociale par l’exercice d’un métier. Si
l’on trouve aussi parmi elles des servantes converties par leur maître(sse),
en revanche, les lettrées y sont rares. Comme dans la noblesse, les veuves
sont proportionnellement sur-représentées parmi les roturières.
Marguerite Le Riche (?-1559), dite la Dame de la Caille,
martyre huguenote
Publié pour la première fois à Genève en 1554 sous la direction de Jean Crespin,
constamment réédité et enrichi jusqu’à l’édition définitive de 1619, l’Histoire des Martyrs
rassemble des centaines d’histoires de protestants morts pour leur foi. Parmi les 250 cas
féminins, celui de Marguerite Le Riche, particulièrement développé, est proposé en
exemple aux « femmes chrestiennes ». Elle tient à Paris avec son mari un commerce de
librairie, à l’enseigne de La Grand’Caille, d’où provient son surnom. C’est son mari qui lui
« donne connoissance des abus de la Papauté », mais « bien légèrement » car, craignant
pour sa vie, il préfère dissimuler et pratiquer les rites catholiques. Plus résolue que lui, elle
veut aller plus loin : grâce à son insertion dans la sphère publique, elle a connoissance de la
tenue d’assemblées secrètes protestantes et s’y fait admettre sans lui. Refusant désormais
d’aller à la messe, elle doit affronter sa fureur et ses mauvais traitements qu’elle accepte en
bonne épouse, avec patience et piété, sans se plaindre ni se révolter. Craignant qu’il ne
l’oblige à faire ses Pâques, et préférant « mécontenter son mari que Dieu auquel elle s’étoit
entièrement consacrée », elle se sauve le jour de Pâques 1559 auprès de ses amis
huguenots. Mais, consciente de son rôle, elle se refuse à rester plus longtemps absente de sa
maison et retourne vers « celui auquel Dieu l’avoit liée & conjointe, encore qu’elle prévît
les grands ennuis & fâcheries qu’elle aurait avec lui ». Aussitôt dénoncée par le curé de sa
paroisse, elle est arrêtée et interrogée par des juges et des docteurs en théologie : « Sa foi
n’en fut en rien ébranlée, & demeura toujours victorieuse en tous les assauts qui lui furent
donnés. » Déclarée hérétique, elle est condamnée à être brûlée et consumée en cendres,
après avoir subi la torture pour lui faire dénoncer ses coreligionnaires. Dans sa prison, elle
fait preuve d’une fermeté et d’une joie « indicible », louant Dieu et chantant des psaumes,
consolant les autres prisonnières, exhortant ceux que l’on mène au supplice et incitant
même le conseiller Du Bourg, emprisonné non loin d’elle, à ne pas fléchir : « Une femme
m’a montré ma leçon & enseigné comme je me dois porter en ceste vocation-ci », aurait-il
dit, « sentant la force & vertu des admonitions de ceste pauvre femme. » Conduite au
bûcher dressé place Maubert, elle passe « comme triomphante » au milieu du peuple
amassé dans les rues pour la voir. Refusant jusqu’au bout de se dédire, elle est donc brûlée
vive le 19 août 1559.
Impressionné par son histoire, le poète protestant Agrippa d’Aubigné a consacré quelques
vers à cette « Caille » (Les Tragiques, 1616, « Les feux »), qu’il mentionne également dans
son Histoire universelle (1618).
Prophétiser
La Révocation, qui oblige les réformés à se convertir, ouvre une
nouvelle phase de résistance, familiale et discrète chez les notables,
ouverte et offensive dans le peuple des campagnes méridionales. Des
laïcs baptisent, distribuent la cène et font des sermons devant un public
composé de protestants des deux sexes : l’artisan lainier Bonbonnoux
raconte dans ses Mémoires comment l’exemple « si digne de nous servir
de modèle » du courage montré par sa mère et sa femme, emprisonnées
pour avoir « fréquenté les saintes assemblées », le poussa à rejoindre les
Camisards. De plus, la répression royale provoque une vague de
prophétisme, dans laquelle s’illustrent des femmes du peuple : elle débute
en 1688 avec la Dauphinoise Isabeau Vincent, bergère illettrée de 15 ans
qui, inspirée pendant son sommeil par l’Esprit de Dieu, prophétise et
exhorte à se repentir. À l’automne 1700, le prophétisme se diffuse dans
les Cévennes et le Bas-Languedoc :
« Une vieille fille du Vivarais, tailleuse d’habits […] fut une des premières qui commença à
fanatiser dans les assemblées. Elle communiqua ce prétendu don de prophétie à quelques
jeunes gens de l’un et de l’autre sexe [qui à leur tour engendrèrent de nombreux prophètes et
de prophétesses. En 1701,] une femme du Vivarais, qui jetait quelquefois du sang par les yeux
et par le nez, voulant mettre à profit cette incommodité naturelle, s’érigea en prophétesse. Elle
disait au peuple que Dieu faisait ce miracle en sa faveur afin qu’ils ajoutassent foi à ce qu’elle
annonçait de sa part, que le temps de la délivrance était arrivé, qu’ils ne balançassent donc
plus à secouer le joug du papisme et à pratiquer publiquement et sans crainte tous les
exercices de leur sainte religion. Ces prédications séditieuses firent beaucoup d’impression ;
elle fut arrêtée et conduite à Montpellier où elle expia son imposture sur la potence […]. Cette
même année 1701, Marguerite Armand, qui était servante […] et Étienne Gout […] jeune
homme de vingt ans, s’érigèrent aussi en prophètes et prédicants. [Ils touchèrent des centaines
de personnes], en sorte que tout le pays fut rempli de prophètes et prophétesses4. »
« Que les femmes qui exposaient des prédications aux assemblées seront interdites, vu que ce
n’est pas au sexe féminin de porter la main à l’encensoir. Et c’est d’autant que l’apôtre saint
Paul le leur défend […]. Cependant, celles qui ont édifié l’Église par une bonne doctrine et
qui voudront visiter les malades, instruire la jeunesse, de maison en maison, elles seront
entretenues comme pour le passé, mais la prédication leur est interdite » (Synode du Vivarais,
1721).
Sans jouer le même rôle qu’au temps des Camisards, des femmes
continuent à participer à l’esprit de résistance qui anime cette Église
clandestine du Désert et ses assemblées illicites : enfermée de 1730 à
1768 avec d’autres prisonnières dans la Tour de Constance d’Aigues-
Mortes, Marie Durand en est le symbole.
L’engagement féminin
dans la Réforme catholique
À partir de la fin du XVIe siècle, la France connaît un important
mouvement de Réforme catholique, auquel les femmes ne sont pas
étrangères, certaines en étant des figures de proue, d’autres le relayant et
le diffusant dans la population. Appartenant en général aux élites
sociales, elles ont su saisir, voire créer, les possibilités d’investissement
personnel, religieux, social, soutenues et encouragées en cela par des
hommes d’Église qui, conscients de leur désir de perfectionnement
spirituel, d’engagement actif au service de Dieu, et du rôle qu’elles
peuvent jouer, les prennent au sérieux, les écoutent, dialoguent avec elles,
épaulent leurs initiatives.
Réformer et créer
Les religieuses, qui ont prononcé des vœux solennels6 (pauvreté,
chasteté, obéissance), doivent en théorie rester coupées du siècle
[monde], cloîtrées dans leur monastère où leur vie, communautaire, est
consacrée à la prière. Ces règles étant loin d’être toujours suivies, des
abbesses, filles de grandes familles influentes, s’attellent à réformer leur
abbaye en imposant le retour aux règles d’origine. Parmi ces dizaines
d’abbesses réformatrices qui ont marqué la vie religieuse du XVIIe siècle,
la plus connue est certainement la Mère Angélique, née en 1591
Jacqueline Arnauld. Très tôt, elle apprend sans joie que son destin est
tracé et qu’elle sera religieuse ; novice à 8 ans, elle devient en 1602
abbesse de Port-Royal-des-Champs. Petite fille, elle aurait voulu mener
la vie d’une femme mariée et déteste le couvent. Mais, après avoir
entendu un prédicateur, à 18 ans elle décide de réformer l’abbaye en y
rétablissant d’abord la clôture : au cours d’une scène dramatique où elle
s’évanouit, elle affronte la violente colère de son père qu’elle refuse de
recevoir autrement qu’au parloir, derrière un guichet (Journée du Guichet
du 25 septembre 1609, qui symbolise la réforme monastique). Portée par
la même foi et la même volonté, elle poursuit ensuite son œuvre
réformatrice.
Des congrégations nouvelles, liées à l’esprit de la Réforme catholique,
apparaissent en France, comme les carmélites réformées par Thérèse
d’Avila, introduites à Paris puis en province par Mme Acarie dans les
années 1600. Les carmélites sont des contemplatives qui, retirées du
monde, se consacrent à la vie spirituelle. La Contre-Réforme a aussi été
grande vague charitable et intense effort d’enseignement : pour faire
refluer le protestantisme, sauver l’âme des fidèles ignorants, moraliser le
peuple, lutter contre les « superstitions » et les conduites jugées
désormais indignes d’un bon catholique, l’instruction religieuse est au
centre du combat réformateur.
De nouveaux instituts féminins destinés à enseigner la doctrine
chrétienne aux fillettes sont donc créés par des filles ou femmes de la
bonne société, qui désirent se vouer au service de Dieu en dehors du
mariage ou de la vie contemplative : prétentions sans précédent qui
heurtent les autorités. En effet, le concile de Trente (1563), puis le pape
(1566) ont réitéré l’obligation de la clôture pour les religieuses : une fille,
dit-on, a besoin « d’un mari ou d’une muraille » car sa faiblesse naturelle
ne peut lui permettre sans risque de jouir de la liberté. Et n’est-il pas
incongru et dangereux de la laisser parler publiquement des « mystères
de la foi » ?
« Tu m’es un vase, que j’ai élu pour porter la lumière au bout du monde. Ne t’excuse pas sur
ton sexe en disant que tu n’es pas prédicateur pour porter ma parole en l’Église. Tu la porteras
en la façon que je l’ai ordonnée. »
« Directions » féminines
Carmélite à Beaune et propagatrice de la dévotion à l’Enfant Jésus depuis qu’il lui est
apparu en vision, Marguerite du Saint-Sacrement conseille le baron Gaston de Renty et le
P. Parisot, supérieur de l’Oratoire de Beaune, qui la consulte sur de nombreux sujets : « Il la
dirigeait et se faisait, à son tour, diriger par elle » maugrée un autre prêtre scandalisé par
cette direction féminine. Elle-même parle toujours au nom de l’Enfant Jésus (« l’Enfant
Jésus veut… ; le petit Jésus ne veut pas… ») et son confesseur est certain que ses conseils
sont tellement admirables qu’ils ne sont pas issus de son propre esprit mais que c’est la
sagesse de Dieu qui parle par elle.
Après avoir instruit sur « la voie de la foi » le Père La Combe, Mme Guyon sensibilise
Fénelon, théologien, précepteur du duc de Bourgogne et futur archevêque de Cambrai, à la
dévotion à l’Enfance et entame une longue et régulière correspondance (1688-1710) avec
lui. Il lui écrit ses doutes, ses interrogations, se demandant ce qu’il deviendrait si elle
disparaissait. Elle le conseille sur sa vie spirituelle comme sur la façon de se comporter en
société et lui assure : « Je sens en moi dans le moment que je vous parle, un maître
infiniment puissant et infiniment petit qui me donne un droit sur vous pour vous rendre
petit, et ce droit me donne celui de disposer de vous. »
Même les femmes du peuple peuvent s’illustrer dans ce domaine, comme en témoigne
Olier à propos de la marchande de vin Marie Rousseau : « Quoique cette femme soit d’une
basse naissance et d’une condition qu’on a presque honte de nommer, elle est toutefois le
conseil et la lumière des personnes de Paris les plus illustres par leur extraction et des âmes
les plus élevées en vertu et en grâce. »
« Nous sommes dans un étrange siècle, où il se trouve aussi bien des directrices que des
directeurs. […] C’est un renversement intolérable, que celles qui n’eurent jamais d’autre
emploi dans l’Église de Dieu que celui de prier, veuillent maintenant prendre un nouveau rang
en prenant celui de conduire les âmes ; l’Église n’a pas jugé qu’elles fussent capables
d’aucune occupation hiérarchique, et elles veulent s’élever contre son jugement en
s’appropriant, par une étrange confusion d’ordre, ce qui appartient à l’homme, et en
s’ingérant d’une chose pour laquelle elles n’ont pas la moindre capacité. […] Elles doivent
plutôt se persuader avec beaucoup d’humilité que le propre du sexe sont les ténèbres et le
silence10. »
Oublier les obligations féminines d’humilité et de silence, c’est aussi
ce qui est reproché à celles qui se mêlent d’enseignement, de conseils,
d’écriture, de récits : une femme peut-elle parler de Dieu sans aller contre
les prescriptions de saint Paul ? Ce faisant, non seulement elle usurpe le
rôle des docteurs mais, en parlant d’elle et de ses révélations, fait preuve
d’une vanité qui ne sied pas à son sexe. Les mystiques ont été accusées
par certains d’aspirer à la liberté, de ne plus écouter leurs supérieurs, de
délaisser leurs tâches ménagères ou conventuelles sous prétexte
d’oraison, de semer le désordre dans les familles ou les couvents. Aux
critiques adressées à l’ensemble des mystiques par leurs détracteurs,
s’ajoute en ce qui concerne les femmes, celle de quitter la place que leur
assigne la société. À cela elles répondent en insistant sur leur attachement
aux valeurs « féminines » qui sont aussi celles prônées par les
mystiques : ignorance, intuition, connaissance irrationnelle, esprit
d’enfance, passivité, soumission.
Si le mysticisme n’a jamais fait l’unanimité, il provoque une méfiance
croissante après 1650, quand le baroque cède à la rigidification et à
l’ordre. Il inquiète l’Église de la Contre-Réforme et l’État absolutiste par
son caractère hors normes et incontrôlable, par la place très secondaire
qu’il donne aux hiérarchies. Et il ne correspond plus à la culture
dominante, qui tend de plus en plus à distinguer naturel et surnaturel et
accorde une place nouvelle à la science, la pensée cartésienne, la raison.
L’antimysticisme n’a pas été une offensive contre les femmes, il a visé
les mystiques des deux sexes, mais, dans la mesure où la mystique était
une possibilité pour elles de se faire entendre, sa dévaluation a marqué la
fin d’une « forme originale de promotion féminine » (L. Timmermans).
Les amitiés spirituelles entre une femme et son directeur, si fréquentes
dans la première moitié du siècle, sont maintenant fort mal jugées ; et de
plus en plus fréquemment des mystiques sont enfermées au couvent, en
prison, ou avec les fous. En effet, croissant est le nombre d’esprits
rationnels qui voient désormais dans l’extase mystique une illusion, fruit
d’une imagination déréglée. Pour eux, si les femmes sont aussi
nombreuses parmi les mystiques ce n’est pas parce que Dieu les a
choisies pour leur petitesse mais parce qu’elles sont pourvues d’une
imagination ardente, qui leur fait confondre visions résultant de leurs
sens et révélation divine. Dans l’Examen de la théologie mystique (1657),
le P. Chéron juge que la majorité des mystiques sont de « pauvres
créatures » atteintes de mélancolie, maladie mentale proche de la folie et
qui touche particulièrement les femmes à cause de leur faiblesse morale
et physique, de leur propension « à s’émouvoir aux passions » : que leur
directeur ne prête pas attention à leurs paroles folles mais « en laisse la
guérison à un bon médecin » qui saura les « délivrer » en leur prescrivant
un changement d’air ou des médicaments, conclut-il.
Jansénistes
L’histoire du jansénisme, qui marque fortement la société française, est
au XVIIe siècle indissolublement liée à celle des religieuses de Port-Royal.
En 1625, elles quittent la vallée de Chevreuse et s’installent faubourg
Saint-Jacques à Paris ; mais en 1648, la communauté étant devenue trop
importante, la mère Angélique Arnauld retourne aux Champs avec une
partie des moniales. Entre temps, Saint-Cyran, l’ami de Jansénius, est
devenu le directeur spirituel de l’abbaye (1635), le pape a condamné
l’Augustinus de Jansénius et Antoine Arnauld (frère de la mère
Angélique) a défendu ces thèses dans De la fréquente communion (1643).
Foyer du jansénisme, Port-Royal est pris dans la tourmente de la
répression menée par le pouvoir royal qui ne peut tolérer une doctrine
refusant la soumission inconditionnelle à l’autorité et prônant
l’autonomie de la conscience. En 1657, l’Assemblée du clergé oblige tout
prêtre, religieux et religieuse à signer un formulaire condamnant cinq
propositions « hérétiques » attribuées à Jansénius : les religieuses de
Port-Royal s’y refusent. En 1661, la signature est imposée par un arrêt du
Conseil du Roi : intraitables, elles persistent dans leur refus, tant que les
autorités n’accepteront pas la clause sur « le droit et le fait » (distinction
formulée par Arnauld : les 5 propositions sont hérétiques, mais elles ne
sont pas de Jansénius). Le 26 août 1664, l’archevêque de Paris, venu en
personne à Port-Royal, les somme sans succès d’obéir : douze sœurs sont
dispersées dans des couvents hostiles – dont la mère Agnès (Jeanne
Arnauld) et Angélique de Saint-Jean (Angélique Arnauld d’Andilly),
sœur et nièce de la mère Angélique, qui depuis la mort de cette dernière
(1661) sont à la tête de la résistance. Le reste de la communauté est privé
de sacrements et placé sous surveillance. En 1665, les opposantes sont
rassemblées, gardées par des archers, espionnées, interdites de
sacrements, de communication, jusqu’à ce qu’elles finissent par signer
(1669), le pape ayant tacitement accepté la distinction entre le droit et le
fait. Haut lieu intellectuel et spirituel, Port-Royal rayonne alors dans tout
le royaume, ce qui inquiète Louis XIV : en 1679, il ordonne l’expulsion
des pensionnaires et des novices et interdit tout nouveau recrutement. En
1705, il obtient du pape une nouvelle bulle de condamnation : refusant de
la signer, les 17 dernières religieuses de Port-Royal-des-Champs sont
dispersées en 1709 dans différentes villes par les archers de la police. Peu
après, sur ordre du roi, tous les bâtiments sont rasés « comme on fait des
maisons des assassins des rois » (Saint-Simon), le cimetière détruit et les
corps des religieuses exhumés et jetés à la fosse commune. C’en est fini
de Port-Royal, mais non du jansénisme (ch. 7).
Le jansénisme n’est évidemment pas limité aux religieuses de Port-
Royal, il séduit de nombreux Français, prêtres, religieux et religieuses
d’autres couvents, séculières (les Filles de l’Enfance de Jésus), et laïcs
des deux sexes. Les controverses religieuses sur la grâce, sur
l’interprétation de saint Augustin agitent les salons mondains, auxquels
s’adressent explicitement des auteurs jansénistes, écrivant en français (et
non en latin, langue de la théologie) pour toucher un public non
spécialiste. Alors que nombreux(ses) sont ceux qui pensent que les laïcs,
et tout particulièrement les femmes, doivent se contenter de savoir les
bases de la religion, lire des ouvrages de dévotion, mais sans connaître
les disputes théologiques au-dessus de leur portée, Pascal, dont les
Provinciales (1656-1657) ont joué un rôle prépondérant dans la diffusion
du jansénisme, emploie volontairement un « style agréable, railleur et
divertissant » pour être « intelligible aux femmes mêmes » : « J’ai cru
qu’il fallait écrire d’une manière propre à faire lire mes lettres par les
femmes et les gens du monde11. » Le jansénisme rencontre effectivement
un écho certain auprès des femmes de la haute société, les « belles amies
de Port-Royal ». La princesse de Guéméné, Louise-Marie de Gonzague
(future reine de Pologne), la marquise de Sablé, l’ancienne frondeuse
Mme de Longueville12, pour ne citer que les plus illustres, ont des
directeurs jansénistes, s’installent près de l’abbaye qu’elles protègent
financièrement et politiquement, animent des cercles mondains, religieux
et intellectuels, diffusent le jansénisme dans les lieux à la mode, auprès
de leurs proches ou en finançant la publication d’ouvrages ; la marquise
de Sévigné et Mme de Lafayette sont elles aussi liées à ce milieu. Les
adversaires des jansénistes leur reprochent de consulter ces mondaines
« comme des docteurs », de leur faire croire qu’elles ont les mêmes
facultés que les hommes à raisonner sur les matières religieuses, cela afin
de les flatter et attirer de puissantes et riches protectrices et prosélytes :
dans le « pays de Jansénie », la doctrine serait « tombée en quenouille13 »
(en mains féminines). Affirmation bien exagérée car les dirigeants
jansénistes ne donnent pas aux femmes le droit de juger les querelles
théologiques, quoiqu’il leur arrive effectivement de consulter leurs
protectrices : Arnauld, qui juge « au moins fort douteux » que les femmes
aient moins d’intelligence naturelle que les hommes (De la lecture),
sollicite par exemple l’avis de Mme de Sablé à propos d’un écrit sur
l’âme. Les belles amies sont accusées de vouloir se distinguer, s’élever
au-dessus du commun en adhérant ostensiblement à une sensibilité
religieuse exigeante et élitaire moralement et intellectuellement. Sans
mettre en doute la sincérité de leur conversion, il n’est d’ailleurs pas
impossible que l’élitisme janséniste (morale sévère, dévotion austère peu
accessibles à tous) ait attiré ces aristocrates qui avaient une conscience
aiguë de leur supériorité : protéger les jansénistes et mener une vie de
contrition est peut-être aussi pour Mme de Longueville façon de se
distinguer, comme elle l’a fait sur un autre plan pendant la Fronde. Si
elles sont les plus connues et les plus visibles, ces princesses, duchesses
et marquises ne sont cependant pas les seules à avoir été séduites par le
jansénisme : l’historien J. de Viguerie signale que l’on trouve également
en province des groupes informels de femmes et filles, de la bonne
société ou de milieux plus modestes, converties par leur curé aux idées
jansénistes qu’elles tentent, lorsqu’elles sont régentes d’école, de faire
passer auprès de leurs élèves.
Les religieuses sont quant à elles accusées de se croire « aussi éclairées
que les plus habiles théologiens », de vouloir « connaître de tout, parler
de tout, juger de tout » (Bourdaloue), et notamment de théologie, pas plus
de leur ressort que de celui des autres femmes. Celles de Port-Royal
protestent fermement de leur ignorance et de leur soumission : « Ce n’est
pas à nous autres filles à nous mêler de parler des vérités, mais seulement
à nous taire, à nous humilier, et à prier pour ceux qui sont obligés de
défendre l’Église » écrit la mère Agnès Arnauld (lettre du 14 juin 1651 à
Jacqueline Pascal). Malgré leurs dénégations d’ignorance, quelques-unes
font pourtant preuve dans leurs lettres d’un solide savoir théologique et,
tout en signalant avec humilité que ces affaires sont au-dessus des
femmes, en discourent. Si la première génération (mères Angélique et
Agnès) est effectivement opposée à ce que les sœurs se mêlent de
disputes « fort au-dessus de leur sexe », les persécutions qui suivent leur
refus de signature modifient les choses et poussent certaines à s’exprimer
différemment : « Je sais bien que ce n’est pas à des filles à défendre la
vérité, quoiqu’on pût dire, par une triste rencontre du temps et du
renversement où nous sommes, que puisque les évêques ont des courages
de filles, les filles doivent avoir des courages d’évêques » (Lettre de
Jacqueline, sœur de Biaise Pascal, entrée en 1652 à Port-Royal, à la mère
Angélique de Saint-Jean, 23 juin 1661). Comme pour les huguenotes,
c’est le contexte de persécution et de résistance qui modifie, « renverse »
l’ordre traditionnel, celui des genres et des fonctions (prier pour les
religieuses et combattre pour les évêques). Gardons-nous
d’anachronisme : ces religieuses ne revendiquent pas pour les femmes le
droit de s’ériger en docteur, mais la force de l’événement, doublée par
l’affirmation janséniste des droits de la conscience individuelle, les
autorise, les pousse, malgré leur statut de femmes, à sortir du silence qui
doit être le leur – ce qui n’est d’ailleurs pas approuvé par la majorité des
jansénistes. De plus, quelques-unes, dotées d’une forte personnalité, d’un
esprit élevé et d’une foi inébranlable, exercent une forme de direction
spirituelle, auprès de religieuses, mais aussi de laïques ou de prêtres, et
suscitent l’admiration, telle celle portée par Pascal à sa sœur Jacqueline,
avec laquelle il travailla au renouvellement des méthodes d’apprentissage
de la lecture, ou celle provoquée auprès de tous par l’intelligence
d’Angélique de Saint-Jean dont le janséniste du Fossé écrira dans ses
Mémoires (1697-1698) : « C’était une fille qu’on peut assurer n’avoir
rien eu des faiblesses de son sexe. Tout était grand et mâle en elle. Son
esprit paraissait tellement supérieur à celui de tous les autres que les
hommes mêmes, que l’on regardait comme les plus grands, l’admiraient
comme un prodige. »
Ainsi des femmes ont-elles bien participé à la rénovation du
catholicisme français, dans ses aspects les plus et les moins
conventionnels. Moniales, séculières, dévotes laïques, mystiques,
jansénistes, elles ont été actrices de ce mouvement historique, qui a
fortement marqué la société française, et elles ont contribué à donner ses
couleurs à la sensibilité religieuse de leur temps. Le « siècle des saints »
fut aussi celui des saintes : près du tiers des 22 canonisés et 12 béatifiés
français ayant vécu au XVIIe siècle sont des femmes14 – alors que
l’ensemble des canonisations opérées entre le xe et le xxe siècle ne
concerne que 17 % de femmes (20 % pour les béatifications du XVe au
xxe siècle). Si ces chiffres doivent être maniés avec beaucoup de
prudence (ils reflètent surtout l’état d’esprit des autorités ecclésiastiques
à la date de la canonisation), ils sont cependant un des indices de la part
prise par des femmes dans la vie religieuse du XVIIe siècle. Leur
engagement, qui n’est pas limité à celui des saintes, a été rendu possible
par la force de leurs convictions et l’attention que leur ont portée des
réformateurs, illustrée par plusieurs amitiés spirituelles (Jeanne de
Chantal et François de Sales, Alix Le Clerc et Pierre Fourier, Louise de
Marillac et Vincent de Paul, Mme Guyon et Fénelon, etc.). Il a conduit
l’Église à leur accorder plus de considération et leur permettre un
investissement plus actif (filles séculières). Cela dans des bornes qui
restent, faut-il le rappeler, extrêmement étroites. Mettre l’accent sur la
participation féminine permet d’en mesurer la force, le risque étant de
l’exagérer et d’oublier que, quelle qu’ait été son importance, elle fut
toujours jugée secondaire, voire sans intérêt ou dangereuse par certains.
À aucun moment il n’est question de revoir la place des femmes dans la
société et dans l’Église, de les autoriser à pénétrer dans des domaines qui
ne sont pas les leurs (théologie). L’évolution n’est d’ailleurs pas linéaire
et les « acquis » sont contrebalancés par la relative « fermeture » du
règne de Louis XIV, où l’institution (ecclésiastique et royale) tente de
mettre de l’ordre dans l’effervescence du début du siècle, en rappelant à
chacun sa place. L’immense majorité de ces femmes n’a elle-même pas
de revendications sur leur statut ou leur image dans la société et l’Église.
Même celles qui y contreviennent justifient leur conduite en termes
d’exceptionnalité – de leur condition sociale, de leur inspiration divine,
du contexte de répression. Tout en ayant un rôle actif, parfois à la limite
de ce qui est permis à leur sexe, elles s’abritent dans leurs écrits derrière
une image traditionnelle de la femme, faite de modestie, d’humilité et de
soumission, que leur propre vie peut démentir mais qu’elles contribuent
ainsi à confirmer, et à diffuser par leur enseignement.
Conclusion
L’histoire religieuse de la France moderne est, comme dans bien
d’autres domaines, une histoire mixte. Ce qui ne signifie pas là encore
qu’hommes et femmes y jouent une identique partition. Si elles ont été
sensibles aux grands courants et bouleversements religieux du temps, le
rôle qu’elles y ont tenu fut en grande partie dépendant de leur image et
statut socio-culturel. Qui ne sont d’ailleurs pas immuables mais
connaissent des infléchissements plus ou moins importants, auxquels leur
action n’est pas étrangère. Protestantes ou catholiques, leur engagement
les a parfois poussées à se mettre en avant et, au plus fort de
l’effervescence, des remises en cause ou des persécutions, lorsque les
règles traditionnelles se brouillent sous la force des événements, à
contrevenir à l’attitude réservée et soumise attendue de leur sexe. Le
retour à l’ordre qui suit s’accompagne toujours d’un rappel insistant de la
hiérarchie des genres, par les autorités protestantes ou catholiques. Tout
ne redevient pourtant pas comme avant et, malgré la force des pesanteurs,
les Églises ont été amenées à prendre en compte le désir d’engagement
féminin, et à l’intégrer tout en le canalisant de façon à ne pas bouleverser
le traditionnel rapport masculin-féminin. Encore déconcertante pour
nombre de ses contemporains, la position de François de Sales – élever
les femmes non à l’égalité, mais au moins à une place honorable dans
l’Église – va finir par l’emporter. Ce qui ne sera pas sans conséquences et
pour l’histoire religieuse, sociale et politique, et pour celle des femmes et
du rapport entre les sexes, bref pour l’histoire tout court, dans les siècles
suivants. Celles qui auraient souhaité aller plus loin, vers l’égalité, à
l’instar de la huguenote Marie Dentière ou de la catholique Gabrielle
Suchon (ch. 6), ne sont d’ailleurs pas légion. Il importe également de
rappeler que les acteurs et actrices de la Réforme catholique sont d’abord
membres des élites, œuvrant à imposer aux hommes et femmes du peuple
le modèle tridentin. Ce qui sera long et n’ira pas sans résistances – et il
serait intéressant de savoir si les femmes du peuple ont été des alliées ou
des adversaires privilégiées des réformateurs ou si le facteur genre n’a ici
aucune pertinence. Si la répression de la sorcellerie est un des aspects,
violent, du désir d’éradiquer la « religion populaire », celui-ci est
également à l’origine de la volonté de mieux instruire la population des
deux sexes.
Chapitre 6
Instruction et culture
savante de la Renaissance
à l’aube des Lumières
« L’instruction et l’éducation des pauvres petites filles dans leur bas âge est un des principaux
biens que les chrétiens peuvent faire et procurer, et une des plus grandes missions et des plus
nécessaires œuvres de miséricorde qu’ils puissent exercer pour le salut des âmes1. »
Externes
Depuis le Moyen Âge, des maîtres et maîtresses laïques tiennent en
ville des petites écoles (enseignement primaire) payantes : municipales
dans le Midi, elles sont ailleurs sous contrôle des autorités religieuses,
seules habilitées à les autoriser. La difficile bataille menée par l’Église
post-tridentine contre la mixité la pousse à ouvrir des écoles de filles,
enseignées par des femmes. Selon M. Sonnet, à Paris, en 1672,
166 maîtres et 166 maîtresses dépendent ainsi officiellement de la
cathédrale – sans compter ceux et celles qui ouvrent sans autorisation des
écoles buissonnières. À Lyon, 26 écoles payantes de garçons, 33 de filles
et 17 mixtes scolarisent en 1697 1 000 écoliers et 600 écolières (pour une
population d’environ 85 000 habitants). Chaque régente (maîtresse)
reçoit, souvent chez elle, une vingtaine d’élèves, majoritairement filles de
maîtres artisans et boutiquiers, pour lesquelles les parents payent une
somme variant suivant ce qui leur est appris.
Privilégiant dans les faits les écoles de garçons, ce ne sont pas les
protestants qui modifient profondément ce paysage, mais les instituts
enseignants catholiques créés au XVIIe siècle. La première génération,
celle des religieuses cloîtrées, fait classe à l’intérieur de la clôture à des
pensionnaires payantes et reçoit également hors clôture des externes dans
des classes gratuites jouxtant l’entrée du couvent : les contrats liant les
ursulines aux villes qui les appellent dans les années 1630-1650 stipulent
qu’elles s’engagent à instruire « gratuitement et par charité » les pauvres
– vocation première que, d’après A. Sarre, elles ne semblent pas toujours
respecter, préférant les pensionnaires payantes. La seconde génération,
celles des filles séculières non cloîtrées, se consacre, elle, quasi
exclusivement à l’instruction gratuite. Parfois formées dans les
séminaires de la communauté, ces maîtresses enseignent dans des écoles
ouvertes par leurs congrégations ou sont détachées auprès des écoles
paroissiales créées et gérées par des curés et des compagnies charitables.
À l’origine d’une école charitable se trouve souvent un(e) pieux(se) riche
laïc(que) qui, acquis(e) aux idéaux de la Réforme catholique et
persuadé(e) de la nécessité d’instruire chrétiennement les pauvres, lègue
un capital devant permettre l’installation d’un institut enseignant ou
l’ouverture d’une école paroissiale de charité. Ces initiatives peuvent être
soutenues par les autorités civiles qui y voient surtout un moyen de lutter
contre la débauche, la fainéantise et le vagabondage populaires qui,
disent-elles, envahissent les villes : scolarisés, filles et garçons du peuple
ne troubleront plus l’ordre public en jouant, se battant, volant ou
mendiant dans la rue ; formées dans l’enfance à la piété, la vertu, au
respect et au travail, les femmes du peuple ne se livreront plus à la
prostitution et élèveront leurs enfants dans les « bonnes mœurs ». De tels
arguments sont avancés par le Magistrat valenciennois défendant l’action
des Filles Dévotes (1629, ch. 5), ou par le prêtre Charles Démia
demandant au Consulat lyonnais de financer des écoles gratuites pour les
pauvres (1665).
Grâce aux dons de l’archevêque et de dévots de la Compagnie du
Saint-Sacrement, Démia ouvre à Lyon 16 « petites écoles des pauvres »
(8 de filles et 8 de garçons), accueillant environ 4 000 indigents. Il fonde
un séminaire de formation des maîtres, puis des dames des Écoles – la
communauté de Saint-Charles (1680), qui deviendra la Congrégation des
Sœurs de Saint-Charles. Nommé directeur des écoles du diocèse, il
promeut une pédagogie renouvelée et crée un Bureau des Écoles
s’occupant de l’inspection des écoles et des familles, des règlements, des
livres.
Les écoles charitables comptent facilement plusieurs dizaines, voire
centaines d’élèves, réparties en une ou deux classes. En théorie, elles sont
toutes indigentes, mais en réalité de nombreux parents solvables envoient
leur fille dans les écoles gratuites. Le règlement des classes charitables
des ursulines de Paris appelle ainsi à « ne pas mettre les filles de
condition proches des plus pauvres et malpropres, pour ne point leur
donner de dégoût : ce que [les régentes] feront pourtant avec discrétion,
afin que les pauvres ne se croient pas méprisées ». Il est de même
recommandé aux ursulines avignonnaises de séparer les pauvres « parce
que l’incivilité qui leur est ordinaire pourrait porter préjudice aux filles
de bonne maison, et que les pauvres ont besoin d’une instruction plus
grossière ». Cas semblant assez exceptionnel, la future marquise de
Ferrières est envoyée par une mère noble mais fort économe à l’école
charitable des ursulines de Thouars d’où on la retire bien vite car,
« confondue avec la canaille », elle devient « un vrai polisson, mentant,
parlant en mauvais termes ». Si des parents à l’aise ne dédaignent donc
pas d’y envoyer leurs enfants, en revanche, ceux plus démunis ont besoin
du salaire rapporté par les leurs, qui ne fréquentent l’école que par
intervalles – ou sous la menace de leur supprimer les secours distribués
par la paroisse. Quant à la population instable – jusqu’à 20 % des
urbains –, elle échappe à la scolarisation. Le public des écoles charitables
est donc formé en majorité d’enfants de compagnons ou d’ouvriers
domiciliés, pauvres mais pas misérables.
Même si parents et autorités privilégient toujours l’enseignement des
garçons, le processus de scolarisation féminine amorcé à partir de 1650
tend ensuite, lentement mais sûrement, à s’affirmer en ville grâce à la
diversification des structures d’enseignement. Il en va tout autrement
dans les campagnes : pas de couvents de religieuses enseignantes, pas
d’écoles paroissiales gratuites ouvertes grâce à un riche donateur et
l’école villageoise, quand elle existe, est à la charge de la communauté, et
des familles. Rétribuer un maître est déjà une lourde dépense pour un
village, alors pas question d’engager une maîtresse pour les filles ! Dans
ces conditions, l’évêque ferme parfois les yeux sur la mixité, à condition
que les filles ne soient ni trop âgées ni assises à côté des garçons. Mais
qu’arrive un nouveau curé ou évêque plus rigoriste, et les voilà exclues.
La différence entre les garçons et leurs sœurs est bien plus criante à la
campagne qu’en ville – et encore plus dans la France peu alphabétisée
située au sud de la ligne Saint-Malo-Genève, car plus les écoles sont
rares, plus elles sont masculines. Pendant tout le XVIIIe siècle, les
390 paroisses rurales du Doubs emploient ainsi 3 000 maîtres… et
60 maîtresses laïques. Un peu plus présente au siècle des Lumières,
l’école rurale féminine est alors le plus souvent tenue par une
congrégation séculière (Filles de la Charité, Dames de Saint-Maur,
Vatelotes lorraines, Filles de la Sagesse de Louis de Montfort) qui forme
des maîtresses pour aller enseigner dans les campagnes, avec de grandes
disparités régionales.
Pensionnaires
Horrifiées à l’idée de fréquenter le tout-venant sur les bancs des
écoles, les privilégiées se retrouvent entre elles derrière les murs des
cloîtres. Au Moyen Âge déjà, des abbayes recevaient des petites nobles
de 5-7 ans fréquemment destinées par leur famille à la vie religieuse :
prises en charge par une parente moniale, elles y étaient alphabétisées et
initiées à la piété avant, pour beaucoup, d’y prendre le voile. Cette
pratique ne disparaît pas – songeons aux filles Arnauld à Port-Royal ! –
mais au XVIIe siècle le couvent devient plus nettement un lieu
d’éducation. Parce que cela répond à une demande des élites sociales et
leur procure une source non négligeable de revenus, des ordres féminins,
à vocation prioritairement enseignante (Sainte-Ursule, Notre-Dame) ou
non (Visitation), accueillent en pension les filles de la noblesse et de la
bonne bourgeoisie pour parfaire leur formation. Certes, comme
auparavant, plusieurs deviendront novices puis religieuses et ne
franchiront plus les murs du monastère, mais d’autres, de plus en plus
nombreuses, le quitteront au bout de quelques années pour se marier.
L’habitude est désormais prise de donner une éducation conventuelle aux
filles de la bonne société destinées au monde et non au cloître : c’est là
l’objectif de la Maison royale de Saint-Cyr, créée par Mme de Maintenon
en 1686 pour des filles de gentilshommes pauvres alignant quatre degrés
de noblesse. Dans le couvent, pas question de mélange social : les
pensionnaires ne doivent surtout pas avoir de contact avec les externes
des classes charitables ; les filles de l’aristocratie se retrouvent entre elles
dans des abbayes au tarif prohibitif, tandis que celles de la noblesse de
robe ou de la magistrature sont envoyées dans des pensionnats
relativement plus abordables.
Quelques instituts séculiers non soumis à la clôture tiennent aussi des
internats beaucoup moins huppés pour des orphelines, des « filles
d’honnête famille qui n’ayant point de bien se trouveraient sans ce
secours exposées à beaucoup de dangers »2.
L’enseignement
Du riche pensionnat à l’école charitable, la finalité religieuse de
l’entreprise éducative touche tous les aspects de l’enseignement ; mais
l’objectif commun, former de bonnes chrétiennes, se décline évidemment
avec des différences suivant les milieux sociaux, et donc les lieux
d’enseignement.
« La sœur […] instruira ses élèves [externes] dans la piété et la dévotion, imprimant
progressivement dans leur esprit […] la connaissance de Dieu, son amour et la crainte à son
égard, ainsi que la modestie, fidèle compagne des jeunes filles que doivent suivre
l’obéissance et le respect en toutes les personnes. Enfin, on leur apprendra à lire, écrire et
travailler3. »
« Les hommes qui n’ont point de communication avec les femmes sont peu sociables ; ils
sont rudes & farouches […] les Habitants de l’Europe qui honorent [les femmes] et qui
recherchent avec soin leur conversation sont civilisés et raisonnables ; surtout les Français qui
ont plus de respect & de vénération pour elles que les autres Peuples, [et] sont aussi les plus
courtois, & les plus généreux. L’on voit donc que c’est des femmes que les hommes
apprennent les bonnes mœurs, & que c’est d’elles qu’ils acquièrent les qualités nécessaires à
la douceur et la tranquillité de la vie civile10. »
« Que dans les doutes de la langue, il vaut mieux pour l’ordinaire consulter les femmes, &
ceux qui n’ont point étudié, que ceux qui sont bien savants en la langue grecque, & en la
latine » et risquent par là même de parler un français « corrompu » par le mélange avec les
langues anciennes12.
La vie littéraire : « tyrannie des ruelles »,
précieuses et femmes de lettres
Après la Fronde, la critique littéraire mondaine qui s’appuie sur le goût
(supposé naturel) tend à concurrencer la critique érudite qui fonde son
jugement sur le respect des règles. Et, parce qu’elles auraient un « bon
goût » inné, un jugement sensible et intuitif, non perverti par les dogmes
scolastiques, les dames – entendons celles de la cour, qui se retrouvent
dans les salons – seraient la quintessence de ce public mondain, et c’est à
elles que l’écrivain devrait chercher à plaire. C’est du moins ce
qu’assurent ceux qui défendent l’indépendance de la culture française
face au modèle antique (Malherbe, les Modernes à la fin du siècle). Ce
faisant, ils songent certes plus à dominer le champ littéraire par
l’intermédiaire des femmes qui leur sont favorables qu’à leur donner un
poids réel dans les institutions culturelles : mais en en appelant à leur
arbitrage, ils leur confèrent une autorité de jugement. Les tenants de la
tradition le regrettent, clamant haut et fort que les dames n’ont pas les
connaissances nécessaires pour juger des grandes œuvres, des genres
nobles sur lesquels se fonde la République des Lettres : l’importance
accordée à leur goût conduit à des futilités littéraires. Dans cet
affrontement qui enfle dans les dernières décennies du siècle (Querelle
des Anciens et des Modernes), les femmes sont érigées en symbole d’une
conception « moderne » de la littérature, dégagée de l’érudition et de la
référence antique, plus légère et divertissante. Mais au-delà de la querelle
esthétique, c’est aussi de leur influence dont il est question : qu’ils le
déplorent ou non, nombreux sont les écrivains à assurer que leur
approbation facilite le succès d’une œuvre :
« Si une fois tu es agréable aux Dames, ta fortune est faite, elles te mettront en crédit
partout » ; « Ce sont elles qui mettent les ouvrages en réputation […] c’est une chose qui ne
reçoit point de doute que c’est aux femmes que les auteurs veulent plaire » ; « Il faut plaire à
la Cour, il faut être au goût des Dames pour réussir13. »
« Après avoir n’avoir jugé des vers et de la prose qu’en secret [dans la première moitié du
siècle], elles commencèrent à le faire en public, et rien n’était plus approuvé sans leurs
suffrages. Cette puissance, qu’alors elles usurpèrent, s’est depuis augmentée, et elles ont porté
si loin leur empire que, non contentes de juger des productions d’esprit de tout le monde, elles
ont voulu se mêler elles-mêmes d’écrire » (Somaize, Dictionnaire des Précieuses, 1660).
« Nulle différence de nature entre l’âme d’un homme et l’âme d’une femme ; rien ne nous
autorise à attribuer à l’une ou l’autre âme quelque supériorité distinctive d’essence […]. Les
âmes sont affranchies de la loi du sexe ; chez l’homme et chez la femme, même esprit pour
penser, même raison pour comprendre, même langage pour communiquer. »
« Bienheureux es-tu, lecteur, si tu n’es point de ce sexe, qu’on interdit de tous les biens,
l’interdisant de la liberté : oui, qu’on interdit encore à peu près de toutes les vertus, lui
soustrayant le pouvoir […] afin de lui constituer pour seule félicité, pour vertus souveraines et
seules, ignorer, faire le sot et servir. »
À cette date, Mlle de Gournay était moquée comme une vieille fille
attachée à des modèles culturels (érudition, autorités des Anciens) dont
s’éloignaient les beaux esprits, et ses théories féministes n’ont pas eu
d’écho dans le milieu intellectuel français – en revanche, on sait qu’elle
influença une des femmes les plus célèbres du temps, la Hollandaise
Anne-Marie de Schurman, connue dans la République des Lettres
européenne comme un prodige (elle connaissait le néerlandais, le
français, l’anglais, l’italien, le latin, le grec, l’hébreu, le syrien, l’arabe, et
était aussi douée pour les arts que pour les sciences !).
Dans les années 1630-1640, conscients de l’évolution de la société
mondaine et de l’aspiration féminine à la culture, des hommes d’Église22
rejettent l’image négative de la femme qui a longtemps dominé dans les
milieux ecclésiastiques ; ils insistent sur l’égalité spirituelle des deux
sexes, « également honorés de Dieu dans la création » (Du Bosc) et ne
différant pas « en essence » (Grenaille). On a pu parler à leur propos de
« féminisme religieux », né d’un souci moralisateur : montrer que les
femmes, ayant les mêmes capacités morales que les hommes ont les
mêmes droits et les mêmes devoirs. Ils défendent notamment l’accès des
femmes aisées à l’étude, préférable aux dangers de l’oisiveté et qui
rendra la conversation des ruelles moins frivole. « Féminisme » très
mesuré et plutôt ambigu, qui n’entend pas revenir sur la place et les rôles
respectifs des deux sexes ou faire des femmes des savantes à l’égal des
hommes, il a malgré tout contribué à réhabiliter leur image. Certains de
ces auteurs participent d’ailleurs au courant héritier du discours sur la
supériorité féminine qui, sous la régence d’Anne d’Autriche, célèbre la
« femme forte » réelle ou imaginaire (les Amazones) : le recueil de
« femmes illustres », le portrait d’héroïnes deviennent des genres à la
mode.
« Quel est le plus noble de l’homme et de la femme ? », « S’il est
expédient aux femmes d’être savantes » se demandent les conférenciers
du Bureau d’adresse de Renaudot en 1634 et 1636. En 1666, un
dénommé Raymond Vaslet soutient une thèse de médecine intitulée
« Savoir si l’esprit suit le sexe » : non, répond-il, assurant que « l’esprit
de l’homme n’est pas masculin, celui de la femme n’est point féminin » ;
la traduction de la thèse en français indique qu’elle était susceptible de
trouver un public de non-spécialistes. Pourtant, le débat sur la nature
féminine semble à cette date ralenti, ou plutôt recentré, à travers les
personnages des précieuses et des femmes savantes, sur la question bien
concrète de l’accès au savoir, toléré à l’impérative condition d’accepter
l’inégalité entre les sexes.
Penser l’égalité des sexes en philosophe :
Poullain de la Barre
En 1673, un an après Les Femmes savantes, paraît De l’Égalité des
deux sexes. Discours physique et moral, où l’on voit l’importance de se
défaire des préjugés, traité dû à François Poullain de la Barre (1647-
1723). En 1671, alors étudiant en théologie, il a adhéré au cartésianisme ;
ordonné en 1680, il deviendra curé puis, converti au protestantisme,
s’exilera à Genève (1688) où il mourra. De l’Égalité… marque une
radicale rupture dans l’histoire des idées féministes. D’emblée, Poullain
se démarque de la Querelle, en affirmant qu’il n’a pas l’intention de
parler à « l’avantage des dames » par galanterie ou préférence
personnelle. Son objet : examiner en philosophe les préjugés « dont nous
sommes remplis ». Sa méthode : comme son maître Descartes, pratiquer
le doute méthodique, examiner l’opinion courante « suivant la règle de la
vérité, qui est de n’admettre rien pour vrai qui ne soit appuyé sur des
idées claires et distinctes ». Son champ d’application : le préjugé sur
l’inégalité des sexes, tellement lourd que même celles qui en sont
victimes le partagent. En philosophe cartésien, Poullain accorde la
primauté à la raison : « L’esprit n’a point de sexe » écrit-il, signifiant par-
là que la capacité à raisonner appartient au départ indistinctement aux
hommes et aux femmes. Pour le démontrer – car il s’agit bien de
démonstration logique –, il passe « les discours ordinaires » au crible du
doute méthodique.
Ceux-ci, remarque-t-il, sont aussi tenus par les femmes qui, « naissant
et croissant dans la dépendance, la considèrent de la même manière que
font les hommes », la trouvent normale et se moquent même de celles qui
voudraient en sortir : elles « s’accordent à dire qu’elles n’ont point de
part aux sciences ni aux emplois parce qu’elles n’en sont pas capables,
qu’elles ont moins d’esprit que les hommes, et qu’elles leur doivent être
inférieures en tout comme elles sont ». Il y a là une percutante analyse de
ce que nous appellerions aujourd’hui « l’aliénation », le consentement à
sa propre soumission au nom de la tradition, intégrée comme un fait
naturel. Or, écrit Poullain, cette situation n’a rien de naturel ou
d’immuable, mais résulte du poids de l’habitude sur les représentations
mentales.
On considère par exemple que les femmes ne sont propres qu’à s’occuper des enfants et de la
maison, car elles ont moins d’esprit que les hommes, « que c’est un effet de la providence
divine et de la sagesse des hommes de leur avoir fermé l’entrée des sciences, du
gouvernement et des emplois, que ce serait une chose plaisante de voir une femme enseigner
dans une chaire l’éloquence ou la médecine en qualité de professeur, marcher par les rues
suivie de commissaires et de sergents pour y mettre la police, haranguer devant les juges en
qualité d’avocat, être assise sur un tribunal pour y rendre la justice à la tête d’un Parlement,
conduire une armée, livrer une bataille, et parler devant les Républiques ou les princes comme
chef d’une ambassade. J’avoue que cet usage nous surprendrait, mais ce ne serait que par la
raison de la nouveauté ».
Les choses doivent être ainsi parce qu’elles ont toujours été ainsi : ce
n’est pas là argument fondé en raison, affirme Poullain, mais simple effet
de la difficulté à les imaginer autrement. Il s’efforce ensuite d’analyser
comment cette situation est née, comment elle a été construite
historiquement, socialement, politiquement – et donc, comment, loin
d’être intemporelle, elle est susceptible de changer. « Au commencement
du monde », les deux sexes étaient égaux, mais, profitant des périodes de
grossesse qui affaiblissaient leurs compagnes, les hommes les ont
assujetties : méprisées et regardées comme des inférieures, elles furent
exclues du pouvoir dont s’emparèrent les guerriers les plus injustes et
violents. Puis, « ceux qui ont fait ou compilé les lois, étant des hommes,
ont favorisé leur sexe comme les femmes auraient peut-être fait si elles
avaient été à leur place ». Ainsi, selon lui, la dépendance féminine n’est
pas fruit de la volonté divine, mais résulte d’un processus historique.
Quant à la différence des sexes « on la doit restreindre dans le dessein
que Dieu a eu de former les hommes par le concours de deux
personnes » : la seule différence naturelle est donc celle des organes
concernant la reproduction23. Tout le reste est affaire d’éducation. Or,
celle des filles semble conçue
« pour abaisser le courage, obscurcir leur esprit et ne le remplir que de vanités et de sottises ;
pour y étouffer toutes les semences de vertu et de vérité ; pour rendre inutiles toutes les
dispositions qu’elles pourraient avoir aux grandes choses, et pour leur ôter le désir de se
rendre parfaites, comme nous, en leur en ôtant les moyens ».
Même sur le plan physique, « si l’on exerçait également les deux
sexes, l’un acquerrait peut-être autant de vigueur que l’autre ». Quant au
plan moral et intellectuel, il est clair qu’on élève les filles pour en faire
des sottes. Tout concourt à cela :
« L’ignorance où on les laisse, les préjugés ou les erreurs qu’on leur inspire, l’exemple
qu’elles ont de leurs semblables, et toutes les manières à quoi la bienséance, la contrainte, la
retenue, la sujétion et la timidité les réduisent. »
« Et s’il arrive que quelques-unes se distinguent du commun par la lecture de certains livres
qu’elles auront eu bien de la peine à attraper, à dessein de s’ouvrir l’esprit, elles sont obligées
souvent de s’en cacher, la plupart de leurs compagnes par jalousie ou autrement, ne manquant
jamais de les accuser de vouloir faire les précieuses. »
« L’on se tourmente l’esprit à chercher les raisons pourquoi nous sommes sujets à certains
défauts et avons des manières particulières, faute d’avoir observé ce que peuvent faire en
nous l’habitude, l’exercice, l’éducation et l’état extérieur, c’est-à-dire le rapport de sexe,
d’âge, de fortune, d’emploi, où l’on se trouve dans la société. »
Ainsi, Poullain propose une approche raisonnée de la différence des
sexes : biologique, la seule différence naturelle est secondaire face à
l’essence commune fondée sur la raison ; les autres dissemblances ont été
créées par l’histoire et la société, et sont renforcées par l’éducation. Il
faut donc entièrement la revoir pour donner une place égale aux deux
sexes dans la société : ayant mêmes capacités que les garçons, les filles
devraient pouvoir suivre des études similaires, être admises à l’université,
accéder aux titres de docteurs, puis exercer toutes les professions et
responsabilités publiques. Il les verrait très bien non seulement médecins,
professeurs, avocats, juges, mais même accédant à la prêtrise et exerçant
des fonctions de pouvoir dans l’Église, l’armée ou l’État. On le voit, à
l’opposé du raisonnement que tiendra par exemple Fénelon (éducation
spécifique pour des tâches différentes qui fondent l’ordre social), l’idéal
égalitaire de Poullain l’amène à envisager une transformation de la
société.
En 1674, il revient sur le point essentiel de la formation (De
l’Éducation des dames pour la conduite de l’esprit dans les sciences et
dans les mœurs), et en 1675 se livre à une critique des textes sacrés
hostiles aux femmes (De l’excellence des hommes contre l’égalité des
sexes). Quoique ces traités s’appuient sur un système philosophique
cohérent, dont le féminisme n’est qu’une des conséquences24, on ne
mesura pas alors leur portée : d’après l’auteur, quelques précieuses
applaudirent, mais la majorité des lecteurs et lectrices y virent des écrits
galants de plus, dans la tradition apologétique de la Querelle. Réédités
plusieurs fois, ils ne passèrent pourtant pas inaperçus : De l’Égalité fut
traduit en anglais (1676), et plusieurs indices témoignent que les hommes
et les femmes des Lumières le connaissaient bien – d’après B. Magné,
Montesquieu en aurait fait grand cas25.
L’a également lu Gabrielle Suchon (1632-1703), une ex-religieuse –
entrée sans vocation au couvent, elle s’en est échappée et a obtenu du
pape lors d’un voyage à Rome qu’il lève ses vœux. Retirée à Dijon, elle
publie en 1693 un Traité de la morale et de la politique et en 1700 Du
Célibat volontaire ou la vie sans engagement. Moins radicale que
Poullain, elle défend elle aussi l’égalité des sexes, s’élevant contre la
dépendance spirituelle, politique et domestique, dans laquelle les
hommes maintiennent les femmes en les dévalorisant et en se réservant le
savoir (notamment religieux) pour mieux asseoir leur domination.
Conclusion
À la fin du règne de Louis XIV, presque neuf Françaises sur dix ne
savent pas signer. Chiffre éloquent, qui rappelle que la majorité de la
population n’a pas accès à l’instruction et encore moins à la culture
savante. Mais qui ne dit pas qu’entre Renaissance et Lumières de
nombreuses bases ont été posées. D’abord a progressé l’idée de la
nécessité d’une instruction féminine, même minimale : en retard sur les
garçons, les filles ne sont pourtant pas ignorées et laissées hors champ de
l’acculturation à l’écrit. C’est aussi pendant cette période que sont
établies les caractéristiques qui marquent l’éducation féminine pour des
siècles. La séparation des sexes à l’école, voulue au départ par l’Église,
s’est imposée en France jusque dans les années 1960 – malgré les
tentatives, présentes dès la Révolution française, d’introduire la mixité
dans le primaire. Elle s’inscrivait dans la lutte quasi obsessionnelle contre
la fréquentation des sexes (à l’école, à la veillée, au pèlerinage…) jugée
dangereuse pour les mœurs, et répondait aussi à l’idée que l’éducation
des filles doit être différente de celle des garçons, à l’image de leurs
futurs rôles d’adultes. Présente dès les premiers écrits de Vivès sur
l’éducation féminine, développée par Fénelon, cette conception se
retrouve… lors de la création des lycées de filles en 1880, la loi précisant
alors qu’il ne s’agit pas de « préparer les jeunes filles à être savantes »
mais à « faire de bonnes épouses et de bonnes mères, sachant à la fois
plaire à leur mari, instruire leurs enfants, gouverner leur maison avec
économie et répandre autour d’elles les bons sentiments et le bien-être »
– Fénelon n’avait-il déjà écrit que l’éducation des filles devait les former
à leurs futurs devoirs, soit « une maison à régler, un mari à rendre
heureux, des enfants à bien élever » ? Rappelons que, introduits aux XVIe-
XVIIe siècles pour les raisons que l’on a vues, les travaux d’aiguille ont
survécu jusque vers 1970 dans l’éducation des écolières, voire des
lycéennes ! C’est également au XVIIe siècle que l’accès des femmes aisées
à la culture a été lié à leur rôle mondain. Et l’on commence à dire que la
création féminine, dans l’art ou la littérature, excelle dans des genres
faisant appel au sentiment de l’enfance (contes de fées), à la sensibilité,
la délicatesse, mais ne peut se déployer dans les domaines nobles et
sérieux. Mais c’est aussi pendant cette période qu’est exprimée pour la
première fois avec clarté l’opinion inverse, à l’origine du féminisme
contemporain, celle d’une égalité de nature entre les sexes devant
conduire à une éducation identique et un partage des fonctions.
TROISIÈME PARTIE
Construire
un nouveau monde
Chapitre 7
L’esprit a un sexe
Loin de penser que les différences biologiques sont secondaires et que
« l’esprit n’a point de sexe », ces auteurs assurent au contraire que, chez
la femme, le physique détermine le moral (esprit, émotion, sentiments) :
comme le reste de sa personne, sa raison est soumise à ses organes
génitaux. Son utérus dominateur fait d’elle un être outrancièrement
sensible, en proie à une imagination débridée, exaltée : « La femme porte
au-dedans d’elle-même un organe susceptible de spasmes terribles,
disposant d’elle et suscitant dans son imagination des fantômes de toute
espèce » écrit Diderot (Sur les femmes, 1774). Se fondant sur l’anatomie,
les médecins ajoutent que la ramification plus importante de ses
vaisseaux sanguins et de ses nerfs contribue à lui donner une sensibilité
exacerbée. Or, le sensualisme (Condillac) alors en vogue fait naître la
raison de la sensation. Les femmes n’en sont pas pour autant avantagées,
car l’excès de leur sensibilité bloque ce développement : trop de
sensations empêche la maturation des idées, le passage du sensible au
conceptuel. Elles s’arrêtent donc au premier stade, celui de l’imagination,
et d’une imagination négative, peuplée de « fantômes de toute espèce »,
une imagination enfantine (« O femmes ! Vous êtes des enfants bien
extraordinaires » : Diderot), incontrôlable et dangereuse si elle n’est pas
réprimée. À cause de cet excès de sensibilité, concentration et réflexion
approfondie leur sont impossibles. Incapable de conceptualisation
poussée, leur raison est une « raison pratique » (Rousseau) qui doit se
tourner vers le concret. Aux hommes la recherche des principes, aux
femmes leur application et l’observation des détails : « La femme
observe, l’homme raisonne » écrit Rousseau. Comme l’abstraction n’est
pas de son ressort, sa réflexion ne peut porter que sur le particulier et non
le général ou la théorie. Elle ne doit pas philosopher sur l’Homme, mais
étudier « l’esprit des hommes qui l’entourent, l’esprit des hommes
auxquels elle est assujettie » (Rousseau) et qu’elle doit rendre heureux.
C’est parce que les deux sexes sont différents par leur constitution, leur
esprit et leurs fonctions sociales, qu’ils ne doivent pas recevoir la même
éducation, poursuit Rousseau : les femmes « doivent apprendre beaucoup
de choses, mais seulement celles qu’il leur convient de savoir ». La jeune
fille trop ignorante pourrait se laisser facilement séduire par les
« hommes corrompus » et l’épouse faire honte à son mari. Mais sciences,
physique, raisonnement sont au-dessus de leur portée, et qui plus est
inutiles à leurs fonctions. En fait « toute l’éducation des femmes doit être
relative aux hommes. Leur plaire, leur être utiles, se faire aimer et
honorer d’eux, les élever jeunes, les soigner grands, les conseiller, les
consoler, leur rendre la vie agréable et douce : voilà les devoirs des
femmes dans tous les temps, et voilà ce qu’on doit leur apprendre dès
leur enfance ». Ainsi, si quelques exercices physiques sont envisagés, ce
n’est surtout pas pour les rendre robustes comme les hommes « mais
pour eux, pour que les hommes qui naîtront d’elles le soient aussi ».
Rousseau préconise pour Émile une pédagogie très moderne, fondée sur
la liberté. Sophie, elle, doit être brimée dès l’enfance, interrompue en
plein jeu : car il faut lui inculquer docilité et obéissance dont elle aura
besoin toute sa vie, « lui apprendre de bonne heure à souffrir même
l’injustice et à supporter les torts d’un mari sans se plaindre ». Émile est
élevé pour devenir un homme à l’esprit libre, capable de braver le
jugement public ; Sophie doit au contraire se soumettre à l’opinion.
L’absence d’intelligence conceptuelle des femmes ne signifie pas
qu’elles sont inférieures aux hommes, assurent nos auteurs, mais qu’elles
ont d’autres qualités et fonctions. Pitié, tendresse, compassion sont
exaltées comme des vertus féminines : elles « montrent » que les femmes
sont faites, par la nature, pour soigner, consoler, se dévouer au service de
la famille. Alors que Poullain voyait dans les différences d’intelligence,
de caractère ou même de force physique, le résultat d’une construction
sociale et historique renforcée par l’éducation, ici les différences sont
perçues comme naturelles et immuables. Comme Rousseau, le médecin
Roussel est persuadé qu’une identique éducation ne changerait pas
fondamentalement les différences intellectuelles entre hommes et
femmes, celles-ci risquant même d’y perdre cette sensibilité brillante qui
constitue, selon lui, l’essence de la femme morale.
Permanences et paradoxes
Écrit en réponse à celui de Thomas, l’essai Sur les femmes (1774) de
Diderot montre comment un esprit ouvert, éloigné de la misogynie
rousseauiste, n’est pas sur ce sujet à l’abri des contradictions. Diderot
compatit au sort des femmes, asservies et humiliées par les hommes,
« traitées comme des enfants imbéciles » par des lois cruelles, et dont
l’éducation est négligée. Mais il n’envisage aucune évolution et véhicule
tous les poncifs sur la nature féminine : « Sa tête parle le langage de ses
sens »1 car elle est dominée par « la bête féroce qui fait partie d’elle-
même » (l’utérus) et la rend « hystérique », « extrême dans sa force et
dans sa faiblesse ». Elle a donc moins de raison que l’homme, mais plus
d’instinct et de passion. Le philosophe reprend sans sourciller le
catalogue des défauts féminins : dissimulatrices, cruelles, curieuses,
dominatrices ; « armées d’une haine profonde et secrète contre le
despotisme de l’homme », les femmes conduisent à leur perte ceux qui
les aiment.
Brusquement, au détour d’une page, on retrouve dans plusieurs textes
cette peur archaïque d’une Femme destructrice, fatale à l’homme et à la
société. Peur de ses « désirs illimités » (Rousseau), peur que l’attrait
qu’elle exerce sur les hommes ne les conduise à la mort. « Avec la facilité
qu’ont les femmes d’émouvoir les sens de l’homme », si c’étaient elles
qui faisaient les avances amoureuses, leurs compagnons ne pouvant leur
résister « se verraient tous traîner à la mort [par épuisement sexuel] sans
qu’ils pussent jamais s’en défendre » : « Il en résulterait la ruine de tous
deux, et le genre humain périrait par les moyens établis pour le
conserver », écrit Rousseau (Émile). Montesquieu avait déjà expliqué
l’enfermement des femmes dans les pays chauds par la crainte de leur
sexualité débridée.
Sous la plume des philosophes, la peur du féminin n’est plus, comme à
la Renaissance, exprimée en termes religieux. Elle n’est d’ailleurs plus
aussi envahissante, largement contrebalancée par la place première
accordée à la fragilité, la pudeur et la douceur féminines. Le ton est
différent, beaucoup plus violent, dans les ouvrages de la Bibliothèque
Bleue, bon marché et diffusés à des millions d’exemplaires. Une
quarantaine traite explicitement des femmes et des rapports entre les
sexes2 : on y retrouve tous les stéréotypes sur la femme agent de Satan, à
la trompeuse beauté, incapable d’amour, dotée d’une interminable liste de
défauts, créée pour le malheur de l’homme qui doit la soumettre s’il ne
veut pas périr. Fort éloignée des écrits philosophiques, cette littérature de
colportage nous rappelle que le siècle des Lumières n’est pas que raison
et est aussi fait de permanences.
Ainsi, malgré les découvertes sur la reproduction et les progrès de
l’obstétrique à la fin du siècle, le corps féminin est encore un étrange
mystère pour les hommes du temps : les règles sont d’après
l’Encyclopédie « un des plus curieux et embarrassants phénomènes du
corps humain », et Roussel doute de leur rapport avec la fécondité. En ce
siècle de la raison, il demeure lieu de l’extravagance la plus désordonnée,
comme en témoignent les dossiers reçus par la très savante et sérieuse
Société royale de médecine : en 1785, un praticien lui écrit qu’il croit
« comme à l’existence du soleil » qu’une fille de 14 ans « rend par les
deux seins des petits corps étrangers, graines et fleurs ressemblant à
celles de chardons ombelles » – et le cas est sérieusement discuté avant
de conclure à la supercherie. A. Farge qui a étudié ces dossiers rapporte
également comment gens du monde et médecins reconnus se pressent en
1756 au chevet d’une fillette de 9 ans que l’on dit enceinte de plus de
9 mois3.
Le discours des Lumières n’est donc pas univoque et même le milieu
lettré n’est pas à l’abri des paradoxes. Alors que les philosophes
échangent régulièrement des idées avec des femmes dont ils respectent et
parfois admirent l’intelligence, ils doutent dans leurs écrits des
possibilités intellectuelles de « la Femme ». Ils déclarent la guerre aux
préjugés, ennemis de la raison, mais ne songent pas tous à les abandonner
pour penser le féminin. Ils mettent au centre de leurs écrits la notion
d’universel et le principe d’égalité, mais sont nombreux à défendre l’idée
d’une nature féminine séparée et inférieure. Ils croient en la perfectibilité
de l’espèce humaine, voient dans les progrès de la raison un des moteurs
de l’histoire, mais plusieurs situent les femmes hors de cette histoire :
entièrement déterminées par leur physiologie, elles seraient sous le signe
de l’immuable. Et pourtant, ceux convaincus de l’égalité des sexes ne
sont plus seulement quelques penseurs isolés ; beaucoup reconnaissent
que ce sont les hommes qui maintiennent les femmes dans un état
d’infériorité. Ce discours-là aussi progresse. Les écrivains créent de
beaux personnages de femmes en révolte contre l’injustice de leur
condition : Marceline s’élève contre la servitude et l’oppression où est
tenu son sexe (Beaumarchais, Le Mariage de Figaro, 1784), tandis que
Mme de Merteuil s’enorgueillit d’être née pour le venger (Laclos, Les
Liaisons dangereuses, 1782). Les Liaisons… sont d’ailleurs une
illustration romancée des catastrophes, individuelles et sociales,
auxquelles peuvent conduire la mauvaise éducation et la condition faite
aux femmes dans la société. Mais rares (Helvétius, Laclos) sont ceux qui
envisagent un changement radical ; pour la majorité, la dénonciation
débouche au mieux sur le souhait d’une meilleure instruction. Et elle
peut, comme chez Diderot, coexister avec les idées reçues sur la nature
des femmes, la différence des sexes et les rôles impartis à chacun.
« changera-t-elle ainsi brusquement […] de manière de vivre sans péril et sans risque ? […]
Passera-t-elle tout à coup de l’ombre de la clôture et des soins domestiques aux injures de
l’air, aux travaux, aux fatigues […] ? Des femmes qui n’ont jamais affronté le soleil et qui
savent à peine marcher, le supporteront-elles après cinquante ans de mollesse ? » (Émile).
« Allons, mettons le feu, brisons et mettons en pièces ce qui leur appartient. Révoltons-nous
contre les puissants qui depuis si longtemps sucent si impunément notre sang ; qui se sont
engraissés de nos travaux et qui font sans cesse plier notre col sous la plus injuste, la plus
infâme et la plus insupportable servitude. »
Bien entendu, il s’agit là d’un modèle, qui ne touche pas au même degré
tous les Français. Dans l’aristocratie, ce serait aller contre « l’usage du
monde » et faire preuve du plus mauvais goût pour des époux que d’être vus
trop souvent ensemble en public ou d’y montrer trop d’attention l’un pour
l’autre : c’est ce que répond M. de Montbrillant (alias d’Épinay) à sa jeune
femme, ou que note avec colère l’auteur du Catéchisme de la morale… Ce
comportement n’est plus celui des hommes éclairés des années 1780, qui
voient dans leurs femmes des compagnes avec lesquelles partager les choses
importantes de leur vie.
Ayant contracté (1765) un mariage tout ce qu’il y a de plus arrangé, le
marquis de Ferrières n’en est pas moins un homme de son temps et ne veut pas
que son épouse, à l’instruction assez négligée, soit seulement « une jolie
femme dont la tête est vide d’idées et de connaissances » : il s’occupe à
« former son esprit », lui donne le goût de la lecture et de l’histoire ; pour elle,
le mariage représente l’entrée dans la culture. Fille d’un maître graveur
parisien et grande lectrice depuis l’enfance, Manon Phlipon est, elle, déjà très
cultivée lorsque, après avoir rejeté plusieurs prétendants, elle épouse (1780) à
26 ans Roland de la Platrière (46 ans), séduite par sa droiture et son esprit :
toute sa vie, Mme Roland coopérera au travail de son mari, co-rédigeant avec
lui ses discours académiques, ses traités techniques, ses rapports d’inspecteur
des manufactures, ses articles pour l’Encyclopédie méthodique et, pendant la
Révolution, ses textes ministériels. Cette égalité intellectuelle est cependant
peu courante et les Lavoisier, tels qu’ils sont peints en 1788 par David, sont
plus représentatifs du couple des Lumières : tout de noir vêtu, le célèbre savant
est dans son cabinet, en train d’écrire sur une table encombrée d’instruments
de chimie ; mais son regard est tendrement tourné vers sa femme qui, debout à
ses côtés, habillée d’une souple robe blanche, s’appuie gracieusement sur son
épaule. Le tableau dit à la fois la complicité et l’écart : douce compagne qui
s’intéresse au travail scientifique de son époux, elle représente plus la beauté
que l’esprit.
Cette nouvelle conception du couple, partagée et vécue par plusieurs
(Grimm et Mme d’Épinay, les Helvétius, les Condorcet…) valorise la place de
la femme. Mais compagne ne signifie pas égale. Que l’amour, la confiance, la
complicité règnent dans le couple des Lumières n’a pas comme corollaire que
l’inégalité en soit absente. Même Mme Roland, qui, en bonne rousseauiste,
voit dans le mariage « une association où la femme se charge pour l’ordinaire
du bonheur des deux individus », avoue à la fin de sa vie que le « caractère
dominateur » de Roland a fini par lui peser : « À force de ne considérer que la
félicité de mon partenaire, je m’aperçus qu’il manquait quelque chose à la
mienne […] j’ai senti souvent qu’il manquait entre nous de parité. » Et, aussi
progressistes soient-ils, tous les penseurs s’accordent pour dire qu’il est naturel
que l’homme domine et commande dans le couple.
L’importance accordée à l’amour (ou tendresse, amitié) conjugal n’est pas
propre aux élites éclairées. Artisan dans un village du Maine, Louis Simon
souhaite une épouse caressante, avec de l’esprit et de l’éducation, et ne veut
surtout pas se marier sans amour (A. Fillon). En 1793, une blanchisseuse
parisienne assure « que l’on n’a rien de plus cher dans le monde qu’un mari,
surtout quand on a le bonheur d’être bien assemblés et que l’on s’aime bien »1.
Que les couches supérieures nous aient laissé plus de témoignages n’autorise
en rien l’historien à supposer que le modèle du mariage d’amour se soit
d’abord développé parmi elles pour descendre ensuite dans le peuple. Les
contemporains affirmaient d’ailleurs l’inverse : pour Mercier comme pour
l’auteur du Catéchisme de la morale…, il est évident que l’amour et la
tendresse entre époux se rencontrent surtout parmi « les petites gens », « le bas
peuple ».
L’attitude face à la violence conjugale a elle aussi évolué. Alors
qu’auparavant il était admis qu’un mari batte sa femme, cela est désormais
moins bien accepté : un mari violent n’est plus un bon mari et encourt la
réprobation de ses voisins et des autorités. Dans les immeubles urbains où tout
s’entend, la femme battue trouve souvent quelqu’un pour la défendre : ses
voisines, qui n’hésitent pas à s’interposer physiquement ou à lui offrir
l’hospitalité en attendant qu’il se calme ; mais aussi ses voisins, qui peuvent
sermonner le mari violent, éventuellement témoigner contre lui ou signer une
demande d’enfermement adressée au roi. Dans les grandes villes comme Paris
ou Rennes, celles qui vont se plaindre aux autorités sont accueillies avec
compréhension et bienveillance (A. Farge) : le commissaire de police
convoque parfois le coupable, le réprimande, lui interdit de recommencer,
voire l’enferme quelques heures à titre de correction ou en attendant qu’il
dessoûle. Les brutalités conjugales ne disparaissent certes pas et ne sont pas
non plus unanimement condamnées, mais le seuil de tolérance sociale
s’abaisse : si de nombreux maris affirment encore sans vergogne qu’ils ont le
droit de frapper leur femme tout leur content, ce discours n’est cependant plus
la norme.
Une autre évolution, voire révolution, concerne la sexualité de certains
couples : la diffusion, surtout dans la seconde moitié du siècle, en France – et
seulement en France –, de pratiques contraceptives (coït interrompu). Les
contemporains font de plus en plus allusion à ce qu’ils nomment les funestes
secrets, l’art de tromper la nature, dénoncés pour des raisons religieuses et
démographiques (peur d’une dépopulation du pays). Les registres paroissiaux
confirment qu’en certains lieux le nombre de naissances par femme diminue
de façon significative : J.-P. Bardet a calculé qu’à Rouen il décroît avec
régularité pour passer de 7,34 vers 1650 à 4,5 en 1789 ; à cette date, près d’un
couple rouennais sur deux pratiquerait cette méthode contraceptive. Dès la
seconde moitié du XVIIe siècle, elle s’était développée dans la haute
aristocratie, soucieuse de limiter l’émiettement du patrimoine : en moyenne,
après 1750 les femmes de ducs et pairs ne mettent plus que deux enfants au
monde (6 en 1650), et ce avant 25 ans (31 ans en 1650). Vers 1700, cette
pratique se diffuse dans certaines villes, d’abord dans les couples de notables,
puis d’artisans et enfin de salariés. Toute la France n’est pas concernée au
même titre : dans plusieurs villes, les progrès contraceptifs, bien plus tardifs et
beaucoup moins spectaculaires qu’à Rouen, n’apparaissent que timidement
après 1750. C’est alors que les campagnes du Bassin parisien et de Normandie
sont à leur tour touchées. Ce schéma général connaît évidemment de multiples
variantes suivant les lieux, et de nombreux Français n’ont jamais entendu
parler des funestes secrets. Cette pratique, qui dissocie sexualité et procréation
et nécessite une relative maîtrise, est condamnée par l’Église : sa progression
signale une plus grande liberté des fidèles dans leur vie privée face à ses
injonctions. L’homme en étant jugé seul responsable, il est rabroué par son
confesseur et risque un refus d’absolution, ce qui contribue à l’éloigner des
sacrements : les historiens du religieux voient là une des causes de la
féminisation de la pratique religieuse à partir du XVIIIe siècle. Complexes, les
raisons de cette diffusion ne peuvent être envisagées qu’en terme
d’hypothèses : préserver la vie de l’épouse, toujours en danger lors de
l’accouchement ? Dans un contexte d’attention plus grande portée à l’enfant,
faire moins d’enfants pour mieux les élever et leur léguer un héritage plus
important ?
Mères et enfants
La société éclairée prend conscience de l’effroyable mortalité infantile et,
alors que la mort n’est plus unanimement perçue comme une fatalité divine
devant laquelle le chrétien doit s’incliner, tente de la limiter. Les médecins
dénoncent l’incurie des matrones et décrivent des accouchements difficiles,
« meurtriers », se soldant par la mort, après d’insupportables douleurs, de la
parturiente et de l’enfant. Pour lutter contre cela, les autorités s’intéressent à la
formation des sages-femmes. Dans toutes les provinces, des cours
d’obstétrique sont organisés, les intendants invitant les curés à y envoyer une
de leurs paroissiennes. Dans les années 1770-1780, Madame Ducoudray,
maîtresse sage-femme parisienne nommée par le roi « pour enseigner l’art des
accouchements dans toute l’étendue du royaume », multiplie les tournées de
conférences en province pour former, à l’aide d’un mannequin articulé, des
sages-femmes que l’on souhaite plus « professionnelles ». À leur intention
sont publiés les Instructions succinctes sur les accouchements, en faveur des
sages-femmes de province, faites par ordre du Ministère, ouvrage écrit en 1769
par un médecin du roi et traduit en langues régionales, et surtout le Principe de
l’art des accouchements par demandes et par réponses en faveur des élèves
sages-femmes (1775) de Baudelocque, véritable manuel à l’origine de
l’obstétrique. Les réels progrès médicaux de la fin du siècle ne doivent
pourtant pas faire oublier que seule une minorité de citadines aisées fait appel
à des chirurgiens ou à des sages-femmes qualifiées, la majorité accouchant de
façon traditionnelle, avec l’aide d’une matrone.
C’est aussi pour combattre la mort des enfants, et parce que cela correspond
au rôle « naturel » des femmes, que se développe dans les années 1760-1770
une véritable campagne en faveur de l’allaitement maternel. Médecins et
philosophes, Rousseau en tête, le martèlent : celle qui n’allaite pas est une
mauvaise mère, qui se prive de la tendresse de son enfant et lui fait courir des
risques en le confiant à une nourrice « mercenaire » qui lui transmettra
maladies et mœurs grossières. L’allaitement maternel devient alors en vogue
dans les milieux éclairés : sur les gravures ou dans les intérieurs cossus, on
voit des jeunes femmes modernes, coiffées et habillées à la mode, donnant le
sein à leur bébé, ou surveillant attentivement ses premiers pas. Jeune mère
rousseauiste, Mme Roland nourrit évidemment sa fille et écrit à son mari les
sentiments que cela lui procure : « Je n’ai presque plus de douleur en lui
donnant à téter, ce que je n’aurais pas cru, je sens de l’augmentation dans le
plaisir de le faire ; je la prends toujours sur moi avec un tressaillement d’aise,
en voyant son empressement et son air de santé : c’est une fête pour nous
deux. » D. Julia, qui cite cet exemple2, ajoute qu’il est difficile de prendre
l’exacte ampleur de ce nouveau comportement, limité selon Mercier à un
engouement passager. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’a pas le même impact dans
les milieux populaires urbains où, quel que soit leur désir, les mères sont
contraintes d’envoyer leurs enfants en nourrice, comme le note le lieutenant
général de police de Lyon :
« Il serait sans doute à désirer que les femmes de notre peuple allaitassent leurs enfants, mais
comment les ramener à cette première loi de la nature au milieu de la corruption des villes, avec
l’embarras des manufactures, la cherté des loyers, le rétrécissement et l’infection des domiciles ?
Comment une femme chargée de vêtir, d’approvisionner et de nourrir une famille déjà nombreuse et
travaillant elle-même pour subsister pourra-t-elle avoir un nourrisson ? » (Prost de Royer, Mémoire
sur la conservation des enfants, 1778).
1686- 14 % 29 % 48 44 % 17 %
90
1786- 27 % 47 % 57 44 % 71 % 62 12 % 27 % 44
90
Tenir salon
Personnage emblématique, la salonnière tient un rôle de premier plan dans
l’éclosion et la diffusion de la pensée et favorise sa rencontre avec le monde de
l’argent et du pouvoir. L’image des salons parisiens du XVIIIe siècle vecteurs
des Lumières a été quelque peu corrigée par l’historiographie récente5, qui a
insisté sur leur caractère mondain et finalement assez fermé. Ce qui n’empêche
qu’ils ne sont plus seulement, comme ceux des Précieuses, cénacles
aristocratiques et jeux littéraires : rassemblant nobles et riches roturiers,
hommes de lettres et de sciences, Français et étrangers, ils sont aussi des lieux
de rencontre, de savoir, d’échanges et de circulation culturelle. Y cohabitent
mondanité et exercice aimable de la critique, surtout après 1770 où la politique
y fait son entrée. À la différence du siècle précédent, la société n’y est plus
majoritairement féminine, mais est surtout composée d’hommes, réunis sous la
direction d’une femme : Mme de Lambert (de 1692 à 1733) et Mme de Tencin
dans la première moitié du siècle ; puis Mme Geoffrin, Mme du Châtelet,
Mme du Deffand, Mlle de Lespinasse, Mme d’Épinay, Mme Necker dont le
salon a la réputation d’être un des plus politiquement engagés dans les années
1780. Chez elles, on croise Montesquieu, Voltaire, Fontenelle, d’Alembert,
Diderot, Buffon, Grimm, Marmontel, Turgot, Condorcet… Des hommes
(d’Holbach) ou des couples éclairés (les Helvétius, Condorcet, Lavoisier)
organisent aussi des dîners (déjeuners), nom donné à l’époque à ces réunions
mondaines qui peuvent durer tout l’après-midi : le jeudi, Mme Geoffrin reçoit
les artistes (Boucher, Greuze, Vernet…) et le mercredi les écrivains et les
étrangers, le mardi, c’est le dîner des Helvétius, les jeudi et dimanche ceux de
d’Holbach, le vendredi celui de Mme Necker… On mange, on joue, on fait des
lectures à haute voix, on écoute de la musique et, surtout, on converse, on
confronte les idées, on débat, mais toujours dans un contexte de politesse et de
civilité mondaines, auquel veille la maîtresse de maison : d’après Marmontel,
Mme Geoffrin était connue pour son adresse « à tenir sous sa main ces sociétés
naturellement libres, à marquer des limites à cette liberté et à l’y ramener par
un mot, par un geste, comme un fil invisible ». Les salons masculins auraient
été « moins délicieux et harmonieux » (Buffon) mais plus libres, certains s’y
sentant finalement plus à l’aise entre hommes.
L’hôtesse doit veiller à la composition de l’assistance, éviter les
débordements, mettre chacun en valeur. Si elle accomplit bien sa tâche, elle y
gagne de multiples satisfactions. Satisfaction mondaine de se faire un nom
dans le milieu culturel, de voir son salon recherché par la société à la mode.
Satisfaction intellectuelle de converser avec les grands esprits du temps, de les
écouter émettre des idées novatrices, de leur donner la réplique, de leur offrir
la possibilité de se faire connaître et d’obtenir pensions et faveurs. Fréquenter
une de ces sociétés favorise la carrière de l’homme de lettres et le soutien
d’une salonnière est un puissant levier pour siéger à l’Académie française :
Montesquieu y aurait été élu grâce à l’appui de Mme de Lambert et
d’Alembert grâce à Mme du Deffand. On retrouve le fameux « pouvoir des
femmes », critiqué par certains au nom de la différence et de la séparation des
sexes : pour Rousseau, qui déteste par ailleurs les mondanités, toute société
rassemblée par une femme est « un sérail d’hommes plus femmes qu’elle »
puisqu’ils cherchent à l’amuser (alors que la nature veut l’inverse). Le salon
est certes un lieu de promotion et de pouvoir symbolique pour quelques
femmes. Il serait cependant illusoire de croire qu’y sont abolies comme par
enchantement les distinctions de rang, de fortune ou de sexe. Le rôle, brillant
et reconnu des salonnières reste inscrit dans certaines limites et ne bouleverse
pas fondamentalement les rapports de genre. D’abord parce que cette
sociabilité mondaine et intellectuelle ne touche qu’une petite poignée de
femmes. Leur office est celui de compagnes éclairées, attentives, suffisamment
instruites et intelligentes pour soutenir une conversation, pour guider l’homme
(auteur, penseur) par leurs encouragements ou leurs critiques pertinentes et
l’aider par leur attention à construire son œuvre.
Outre ces salons renommés, on trouve aussi, à Paris et en province, des
sociétés plus modestes, qui tentent, avec plus ou moins de succès, de les
imiter.
Lire
En 1690, la lectrice est personnage inconnu des dictionnaires, aussi bien
celui de Furetière que celui de l’Académie française, qui font de lecteur un
substantif masculin. Ce qui n’est plus le cas au siècle suivant, où elle est
devenue figure familière que nul ne peut ignorer. Les auteurs savent que les
femmes font partie de leur public, et, dans leurs romans, s’adressent à elles ou
les mettent en scène en train de lire. Dans les représentations picturales de la
lecture, surtout privée, silencieuse et solitaire, la lectrice est en passe de
détrôner le lecteur : alors que l’on trouvait jusque-là peu de portraits de femme
lisant, nombreuses sont celles, maîtresse royale ou anonyme bourgeoise,
peintes seules dans leur intérieur, un livre à la main6. Mais si la lecture
masculine est symbole d’activité intellectuelle, la femme qui lit est facilement
considérée comme une pédante orgueilleuse ou une paresseuse. Dans les deux
cas, c’est parce qu’elle transgresse son rôle traditionnel. En voulant accéder à
un savoir masculin. En volant le temps qu’elle devrait accorder à la direction
de sa maison, à son mari ou ses enfants. En créant entre elle et le livre un
espace intime dont l’homme est exclu. Pour beaucoup, la lecture féminine ne
va pas de soi. Livre sérieux sur sa table : elle veut devenir savante, prendre la
place de l’homme. Roman à la main ou sur les genoux : elle va se laisser aller
au rêve, à l’abandon, la lascivité. Cette association ressort clairement des
commentaires suscités par les tableaux (R. Chartier). On la retrouve également
dans les plaintes formulées contre sa femme par un artisan parisien, fabricant
d’ouvrages de mode. En 1774, il entame un journal7 dans lequel il raconte la
débâcle de son couple : persuadée que c’est au mari de nourrir sa femme, la
sienne ne veut plus travailler, mais s’amuser, sortir, et lire des romans toute la
journée. « Elle voulait être avec un livre à sa fenêtre ». Pour elle comme pour
lui, lire est associé à une certaine oisiveté et au mode de vie des classes
privilégiées, auxquelles cherche à s’identifier cette femme qui ne veut plus de
sa condition d’épouse d’artisan. Être vue un livre à la main est pour elle signe
de distinction sociale : au même titre que la promenade, la dégustation
d’huîtres et le maquillage (rouge aux joues), la lecture entre dans ce désir
féminin d’ascension sociale et suscite l’imitation.
Que lisent donc ces lectrices plus nombreuses grâce aux progrès de
l’alphabétisation ? Comme Manon Phlipon, les privilégiées de la culture
parcourent tout ce dont elles entendent parler et qu’elles peuvent se procurer :
la jeune Geneviève Randon de Malboissière suit l’actualité littéraire, française
et étrangère, s’intéresse aux prix décernés par l’Académie, et lit auteurs
anciens, théâtre, récits de voyage, romans, ouvrages de science (Buffon), de
philosophie (Spinoza, Locke, Voltaire, Rousseau) et d’histoire. La très grande
diversité et modernité des titres mentionnés dans les mémoires ou lettres de
femmes cultivées est pondérée par l’étude des inventaires après décès de
veuves de tous milieux, où dominent les ouvrages de dévotion. Mais, comme
le remarque J. Quéniart, il s’agit là de femmes âgées. Et les ouvrages lus ne se
limitent pas à ceux possédés, Manon Phlipon n’étant pas la seule à en
emprunter à des connaissances ou à des loueurs professionnels. Autour du
livre se met en place un réseau de sociabilité dont les femmes sont partie
prenante : dans les milieux aisés, on se prête les livres, on en discute, par oral
ou dans ses lettres. À côté de la lecture individuelle, celle à haute voix est
encore fort appréciée, entre mère et fille, ami(e)s, dans les salons ou au sein
des multiples petites sociétés de lecture, généralement mixtes, formées par une
compagnie cultivée. Objet plus rare en milieu populaire, le livre n’y est
pourtant pas absent, mais l’on est peu renseigné sur les pratiques de lecture, en
particulier féminines. On a vu que des travailleuses achètent les publications
jansénistes ; d’autres gardent un livre de piété ou un volume de la Bibliothèque
Bleue.
La naissance d’une presse féminine est un autre signe du nombre croissant
de lectrices. D’après C. Rimbault, il a existé de 1710 à l789 21 journaux de
langue française écrits par ou pour des femmes, traitant de mode ou de
littérature. Dans la première moitié du siècle, plusieurs sont dirigés par une
femme sans s’adresser spécialement à elles (Mme Dunoyer, La Quintessence
des nouvelles, 1711-1719) et ont une existence assez brève. Celui à la vie la
plus longue, Le Journal des dames (mensuel, 1759-1778), est aussi le premier
à être écrit « par et pour les dames ». Créé par un homme pour distraire celles
de la bonne société, il se transforme en publication littéraire sérieuse sous la
houlette de ses différents directeurs (9, dont 3 femmes et L. S. Mercier).
Journal littéraire au prix relativement faible, il ne compte pas que des femmes
dans son lectorat – le vitrier Ménétra le lisait. Publiant des comptes rendus
d’ouvrages récents ou les bonnes pages de livres inédits, il prend aussi parti
dans les débats publics, défendant les parlementaires et, sous sa directrice la
plus radicale (Mme de Beaumer), la tolérance religieuse, la franc-maçonnerie,
l’égalité devant la loi. Plusieurs fois interdit, il s’assagit et accorde à la fin de
son existence plus de place aux thèmes de la maternité, des enfants, de
l’éducation des filles. Tout en visant un public mondain et cultivé, ses
directrices avaient à cœur de défendre l’accès des femmes au savoir et à la
création, revendiquant leur entrée dans les carrières universitaires, publiant des
éloges de femmes célèbres ou la liste d’artistes obscures.
Publier et créer
De la lecture ou de la conversation salonnière, il est tentant de passer à
l’écriture. Correspondance, notes prises sur les livres lus, extraits recopiés,
traduction d’un auteur antique ou étranger, journal intime : ces premiers accès
à l’écriture personnelle donnent à certaines le désir d’écrire pour le public. Le
nombre de publications féminines augmente, tout comme le nombre d’auteures
publiées sous leur propre nom et pas seulement dans des recueils ou revues
comme au XVIIe siècle : d’après C. Hesse, elles seraient 55 en 1766-1776, 78 en
1777-1788 – et, grâce à la libéralisation du marché du livre pendant la
Révolution, 329 entre 1789 et 1800. Leur proportion parmi les auteurs aurait
au minimum doublé depuis le XVIe siècle, passant de 1 % (1585, du Verdier) à
2 ou 3 % (et 4 % au début du XIXe siècle)8. Au premier rang de ces écrits
figurent les romans, et en particulier les romans épistolaires, genre très à la
mode à partir de 1750 et qui, dit-on, convient bien aux femmes – mais que ne
dédaignent ni Rousseau ni Laclos – : Lettres d’une Péruvienne (Mme de
Graffigny, 1747) ou Lettres de Mistriss Fanni Butlerd (Mme Riccoboni, 1757),
pour ne citer que les plus célèbres, furent en leur temps de grands succès. Les
femmes s’illustrent aussi dans les traités pédagogiques, et ceux de Mmes
de Genlis et d’Épinay font référence. Poésies et réflexions morales ne
manquent pas à l’appel, dans le Journal des dames ou ailleurs. La littérature
médicale pratique leur est également ouverte. Plus difficile de se faire
reconnaître dans ce genre noble qu’est la dramaturgie et, depuis la pionnière
Marie-Catherine Villedieu (1662), à peine une petite dizaine a vu jouer ses
pièces ; Olympe de Gouges a toutes les peines du monde à se faire accepter
comme dramaturge à Paris dans les années 1780. Si comme au siècle
précédent les femmes de la bonne société lisent des ouvrages scientifiques,
suivent les cours donnés par des vulgarisateurs ou des savants, frissonnent
avec délices aux expériences données au public sur l’électricité, une auteure
scientifique comme Émilie du Châtelet fait exception : vivant avec Voltaire
avec qui elle rédige un Examen de la Genèse, amie des savants Maupertuis et
Kœnig, la marquise, qui possède dans son château un véritable laboratoire,
écrit des Institutions de physique (1740), une Dissertation sur la nature et la
propagation du feu (1744), un Discours sur le bonheur (v. 1746, publié en
1779) et traduit juste avant de mourir en couches (1749) les Principes
mathématiques de Newton. La traduction peut être un moyen d’accéder à
l’écriture savante : Louise de Kéralio traduit des auteurs anglais avant de
rédiger sa propre Histoire d’Élisabeth, reine d’Angleterre (1786-1789), louée
par le milieu intellectuel ; élue membre honoraire de l’académie d’Arras, elle
publie une Collection des meilleurs ouvrages français composés par des
femmes (14 vol., 1786-1789), puis fonde avec son mari Robert le Journal
d’État et du Citoyen en août 1789. Veuve de Condorcet, Sophie de Grouchy
traduira quant à elle à la fin du siècle la Théorie des sentiments moraux
d’Adam Smith, suivie de ses propres réflexions.
Si certaines jugent plus convenable de rester dans l’ombre de l’anonymat,
d’un pseudonyme ou de l’auteur qu’elles traduisent, d’autres affrontent
ouvertement l’opinion. Et parfois obtiennent ainsi la reconnaissance de la
République des Lettres, deviennent membre honorifique d’une académie
provinciale et, ce qui n’est pas négligeable, gagnent de l’argent avec leur
plume. Car, dans la seconde moitié du siècle, la femme auteur n’est plus
seulement une aristocrate écrivant en amateur pour se divertir. La plupart
appartiennent certes à la noblesse ou la bourgeoisie, mais plusieurs sont de
rang (relativement) modeste, sans fortune personnelle, obligées de subvenir à
leurs besoins. Pour elles, publier des compilations, des traductions ou des
romans répond aussi à un besoin financier : veuve de petite noblesse
provinciale, c’est d’abord pour cette raison que Mme de Graffigny s’est faite
auteure. Quittant les habits distingués de l’amateurisme, elles envisagent leur
activité littéraire en « professionnelles ».
C’est probablement pour cela que, au-delà de son importance sociale
finalement assez mince, la femme auteur devient dans les dernières décennies
du siècle un épouvantail repoussant, comme l’a été la précieuse et comme l’est
encore la femme savante. Une femme comme il faut ne se rêve pas auteur, et,
si elle écrit, refuse de se considérer comme telle. Mme Roland qui adore écrire
et a la plume facile, aurait promis à quelqu’un lui assurant qu’elle finirait par
faire un livre : « Ce sera donc sous le nom d’autrui. Car je me mangerai les
doigts avant de me faire auteur » – promesse tenue car, à part les Mémoires
rédigés avant sa mort, elle ne signera jamais ses nombreux textes publics,
écrits anonymement ou sous le nom de son mari. Les plus hostiles sont, on ne
s’en étonnera pas, ceux et celles assurant que les femmes ne doivent pas se
mettre en avant. Admirant les livres de Mme de Graffigny, Rousseau précise
que l’exception n’est pas la règle : « Ce n’est pas à une femme, mais aux
femmes que je refuse les talents des hommes » (Lettre à d’Alembert, 1758).
Aux yeux de ses détracteurs, la femme auteur est coupable de transgresser les
valeurs féminines : modestie, place dans l’ombre du mari, dévouement
familial. Autant de vertus qui doivent s’exercer dans le privé, la sphère
domestique. Or, non contente de s’approprier la qualité masculine de création,
la femme auteur, par ses écrits, s’affiche au grand jour.
Particulièrement virulent, Restif de la Bretonne assimile allègrement
actrices, femmes auteurs, prostituées, qui, toutes, s’offrent au public : « Toute
femme qui se produit en public par sa plume est prête à s’y produire comme
actrice, j’oserais dire comme courtisane […] je ne permettrais d’écrire qu’aux
femmes entretenues et aux actrices » (La Paysanne pervertie, 1784).
Immodeste, la femme pensante, savante et surtout autrice est, selon lui,
physiquement et moralement laide : « Elle a perdu les charmes de son sexe ;
c’est un homme parmi les femmes, et ce n’est pas un homme parmi les
hommes », mais un monstre qui n’a plus de place dans la société. Pour
retrouver de bonnes mœurs, il propose d’interdire « l’écriture et même la
lecture à toutes les femmes ; ce serait le moyen de resserrer leurs idées, et de
les circonscrire dans les soins utiles du ménage » (Les Gynographes ou la
femme réformée, 1777)9. Son ami Mercier est, lui, favorable aux « femmes
auteurs », auxquelles il consacre un chapitre de son Tableau de Paris,
s’interrogeant sur les raisons de l’hostilité qu’elles suscitent. L’homme jaloux,
écrit-il, voit dans leur existence un danger, celui de la rivalité entre les deux
sexes, sur la scène littéraire et dans le couple : « L’homme voudra bien que la
femme possède assez d’esprit pour l’entendre, mais point qu’elle s’élève trop,
jusqu’à vouloir rivaliser avec lui et montrer l’égalité de talent, tandis que
l’homme exige pour son propre compte un tribut journalier d’admiration » ; de
plus, « l’homme » n’aime point trop que tout le monde, et non lui seul, jouisse
de l’esprit de celle qui publie. Pour Mercier l’accès des femmes à l’écriture
publique renvoie à la question de l’égalité : c’est parce qu’ils voudraient tenir
le sexe féminin dans un état d’infériorité que les médiocres fustigent les
femmes auteurs, craignant qu’en faisant preuve d’une égalité de talents, elles
ne les rabaissent. Lui les défend, mais en tant qu’exception car « les devoirs
d’amante, d’épouse, de mère, de sœur, d’amie, souffrent toujours un peu de ces
ingénieuses distractions de l’esprit ». Et, ajoute-t-il, la femme créatrice goûtant
à « l’enchantement de la renommée » ne verra-t-elle pas ses capacités d’amour
se refroidir ?
Les violentes diatribes de Restif ou l’ambiguë défense de Mercier
soulignent les problèmes posés par l’entrée de (quelques) femmes dans le
métier des lettres, pensée en terme de transgression et de concurrence. Une
concurrence inégale car leur carrière est différente de celles des hommes et en
marge de l’institution : même celles dont le talent est reconnu n’obtiennent ni
charges ni pensions et les portes de l’Académie française leur restent fermées.
Le vocabulaire reflète ce dimorphisme : on parle d’homme de lettres et de
femme auteur, et jamais d’homme auteur ou de femme de lettres. Or, l’homme
de lettres n’est pas seulement celui qui publie : ancêtre de l’intellectuel engagé,
il est celui qui fait entendre sa voix dans le monde pour contribuer à
l’améliorer en dénonçant ses imperfections et en conseillant les puissants.
Passe encore que des femmes se mettent à écrire, mais il est impensable, même
pour les plus ouverts, qu’elles exercent ce devoir social et politique
d’intervention critique. Elles ne seront donc pas femmes de lettres mais
femmes auteurs. Et n’écriront pas sur les problèmes du monde mais sur
l’amour et les relations privées. Leurs plus fervents admirateurs le disent : leur
style si délicat, fin et sensible est parfait pour peindre les sentiments et les
méandres du cœur. Mais il ne peut refléter le génie, propre au sexe masculin.
Et le plus beau compliment à faire à celles qui s’aventurent hors des sentiers
du romanesque est de leur reconnaître un style « mâle » – ce que fait Mercier à
propos des travaux historiques de Mlle de Kéralio. Cette appréciation du style
en fonction du genre de l’auteur concerne toute création féminine, l’œuvre des
femmes peintres étant jugée selon les mêmes critères.
Le XVIIIe siècle est une période d’affirmation féminine dans le domaine
artistique. À partir de 1720, l’Académie royale de peinture en accueille de
nouveau quelques-unes, non sans résistances (quota de 4 femmes imposé en
1770) : de 1757 à 1783, elles sont six10 à être reçues dans l’illustre institution
(sur un total de 15 académiciennes de 1663 à 1793). Elles exposent dans les
salons, sont professionnellement reconnues, gagnent de l’argent, sont
soutenues par les femmes de la famille royale : Élisabeth Vigée-Lebrun est
« Peintre de la Reine » Marie-Antoinette qui insiste pour que sa protégée soit
admise à l’Académie, Adélaïde Labille-Guiard « Peintre de Mesdames », les
tantes du roi. Car, alors que les femmes peignaient surtout natures mortes et
miniatures, elles s’illustrent dans l’art du portrait. Et, nouveauté en France, de
l’autoportrait : M.-J. Bonnet a souligné comment, en se représentant elles-
mêmes en train de peindre, palette et pinceaux à la main, les femmes peintres
de la fin du XVIIIe siècle affirment leur statut de professionnelles. Adélaïde
Labille-Guiard, qui forme des jeunes filles dans son atelier, va même plus loin
en ce sens en exposant au salon de 1785 une Femme [elle-même] occupée à
peindre et deux élèves la regardant, tableau qui dit la capacité des femmes à
former des disciples, et ne passe pas inaperçu. Mais, elle a beau se battre, on
lui refuse d’installer son atelier au Louvre, comme son statut d’académicienne
lui en donnerait le droit, car une « école de filles » serait indécente en ces lieux
– les peintres (David) qui accueillent des élèves féminines étant priés de les
renvoyer. Et l’on retrouve dans les éloges adressés à ces femmes les
stéréotypes habituels : les natures mortes d’A. Vallayer-Coster sont « fort au-
dessus d’une femme » ; « c’est un homme que cette femme-là » (A. Labille-
Guiard) tant sa peinture montre de fermeté et de décision, écrit un critique.
Plus fermé et traditionnellement perçu comme masculin, le domaine de la
création musicale s’ouvre cependant un peu au XVIIIe siècle. Alors que J. Letzer
et R. Adelson ne trouvent que trois compositrices ou librettistes (auteures de
sept œuvres au total) dans le monde du théâtre musical en 1670-1720, ils en
relèvent sept de 1720 à 1770 (20 travaux) ; et, en 1770-1820, elles sont vingt-
trois créatrices de 54 œuvres (dont une majorité concentrée pendant la
Révolution, en 1792-1795). Issues pour la plupart de milieux aisés ou de
familles de musiciens (Lucile Grétry, Julie Candeille), plusieurs connaissent
alors un réel succès auprès d’un public croissant et avide de nouveautés, et
leurs créations sont souvent jouées – avant que l’évolution du goût musical ne
les fasse tomber dans l’oubli. Elles écrivent en fait peu d’opéras (genre
« noble » et masculin), s’illustrant plutôt par des opéras-comiques, des
vaudevilles et autres formes musicales certes très populaires mais moins
prestigieuses que l’opéra. De plus, leur carrière est souvent brève et réduite à
quelques œuvres car, après leur mariage, elles cessent une activité jugée
moralement peu compatible avec le statut d’épouse.
Les femmes n’ont donc pas été étrangères aux Lumières, auxquelles
certaines ont directement participé, par leurs salons, leurs livres, leurs
peintures. Plusieurs œuvres majeures du siècle auraient-elles d’ailleurs été les
mêmes si leurs auteurs n’avaient su qu’ils avaient un lectorat féminin ? Mais
leur place reste seconde. Ne nous laissons pas aveugler par la renommée de
quelques salonnières, ou par le réel échange intellectuel entre hommes et
femmes, qui ne se cantonnait pas aux salons. Ceux-ci ne sont pas le seul lieu
de sociabilité intellectuelle, et les femmes ne sont admises qu’à titre
d’exception dans les autres, organisés en sociétés structurées – académies,
loges franc-maçonnes, clubs des années 1780. Et aucune femme ne figure
parmi les 160 auteurs de l’œuvre emblématique des Lumières, l’Encyclopédie,
rédigée par « une société de gens de lettres ».
Conclusion
L’on a insisté ici sur les évolutions qui, à un degré ou un autre, touchent les
femmes et les rapports entre les sexes. On pourrait aussi évoquer la place
qu’elles tiennent dans la diffusion d’un nouveau système de consommation. La
mode est un sujet sérieux, écho des sensibilités et de l’économie d’une société,
et le XVIIIe siècle est de ce point de vue un moment de profonds changements11.
Or, dans toutes les classes sociales, ce sont les femmes qui mènent le
mouvement : avec leurs moyens respectifs, elles sont partout les premières à
faire passer l’esprit du siècle dans le vêtement. Alors que les mots de liberté et
de nature envahissent le discours, c’est dans les garde-robes féminines que
l’on trouve d’abord des formes plus légères et des tissus plus souples, aux
couleurs moins uniformes, égayés de rayures, carreaux ou fleurs, et qui
laissent le corps plus libre et « naturel ». « Institutrices de sensibilité »
(D. Roche), elles jouent ainsi un rôle moteur dans la transformation des
pratiques vestimentaires, l’entrée encore balbutiante dans une société de
consommation et l’essor de la production qui l’accompagne.
Mais le XVIIIe siècle n’est pas qu’élan novateur. Ainsi, si la part du livre
religieux s’effondre dans les publications de nouveautés, les plus grands
succès éditoriaux ne concernent pas les ouvrages philosophiques, mais les
grands classiques religieux ou les livres de la Bibliothèque bleue, considérés
comme populaires et bons pour ceux à qui le savoir serait inutile, voire
nuisible. Et c’est à ces livres que la majorité des femmes ont d’abord accès,
d’autant qu’elles bénéficient de moins d’ouvertures sociales que les hommes :
il faut vivre dans un milieu éclairé pour que la curiosité intellectuelle de
certaines soit favorisée et satisfaite.
Curiosité qui peut amener une Manon Phlipon à un certain détachement
religieux. Mais si le paysage religieux commence à se modifier dans la
seconde moitié du siècle, ce début d’évolution révèle un dimorphisme selon le
sexe. Les contemporains notent une féminisation de la pratique religieuse,
remarquant qu’en ville on voit plus de femmes que d’hommes dans les églises.
Alors que le XVIIe siècle était riche de dévots des deux sexes, la dévotion est
désormais plus spécialement associée aux femmes, la figure de la dévote
supplantant celle du dévot. La vieille dévote devient un personnage caricatural,
et ceux qui écrivent sur la Femme expliquent que c’est parce que la société
méprise celles qui ont perdu leur beauté que, n’ayant pas les secours de
l’esprit, elles se tournent vers la religion : « Négligée de son époux, délaissée
de ses enfants, nulle dans la société, la dévotion est son unique et dernière
ressource » (Diderot). Les études historiques sur la pratique religieuse
confirment ces impressions. Dans plusieurs régions, les confréries de dévotion
tendent à se féminiser et à se populariser, les élites leur préférant d’autres
formes de sociabilité. Là où le détachement religieux s’affirme à la fin du
siècle, la pratique féminine résiste mieux : en 1780, dans un village de l’Oise,
75 % des femmes et 42 % des hommes communient à Pâques.
On a vu que les historiens expliquent en partie ce phénomène par la rigueur
dont fait preuve l’Église avec les hommes pratiquant la contraception. Alors
que le dimorphisme s’affirme, le XIXe siècle y verra la « preuve » que les
femmes seraient « naturellement » plus conservatrices que les hommes, tenant
à l’ordre établi et hostiles aux évolutions de la société. Cette prétendue
caractéristique féminine n’entrait pas dans leur image à l’époque moderne, ce
qui souligne encore une fois comment les catégories de genre, présentées
comme « naturelles », sont des constructions sociales se modifiant avec le
contexte. Les circonstances, l’éducation, le milieu, les rôles culturels, les
possibilités offertes et les limites imposées : ce sont vers ces éléments, et non
vers la « nature féminine », que l’historien doit se tourner pour saisir pourquoi
et comment des femmes contribuèrent à accélérer les évolutions ou à les
freiner, ou encore ne se démarquèrent pas des hommes. Et c’est en fonction de
ces différents critères qu’elles ont, selon les cas, accompagné, subi ou ignoré
les mutations accélérées que vit la société française à partir de 1750-1760, puis
la rupture révolutionnaire de la fin du siècle.
Chapitre 9
La Révolution :
citoyennes sans citoyenneté
Devenir citoyennes
Ouverture
Le 8 août 1788, à l’issue d’une longue et grave crise, Louis XVI se
résout à convoquer les États généraux. Le vote n’étant pas lié à la
personne ou à une inexistante citoyenneté, des femmes participent, le
plus souvent indirectement, à leur élection. Communautés de religieuses
ou nobles détentrices de fiefs peuvent se faire représenter aux assemblées
électorales du clergé ou de la noblesse. Dans certaines campagnes, des
veuves ou filles ayant la qualité de chefs de feu sont présentes à
l’assemblée qui rédige les cahiers de doléances de la paroisse et élit ses
délégués à l’assemblée du Tiers du bailliage.
Quelques femmes écrivent des doléances. D’autres, plus nombreuses,
se font remarquer dans les émeutes qui secouent le pays. Lors de la
fameuse Journée des Tuiles grenobloise (7 juin 1788), des témoins
avaient noté le nombre et le « caractère hardi et déterminé » des femmes
du peuple, sonnant le tocsin et protégeant les magistrats condamnés à
l’exil. Rien d’étonnant ou de novateur à les voir ensuite à la tête des
troubles de subsistances du printemps 1789, ou à les retrouver le 28 avril
dans l’émeute contre le manufacturier parisien Réveillon, accusé de
vouloir baisser les salaires : habituellement actives dans les émotions
populaires, pourquoi ne le seraient-elles plus à partir de 1789 ? Mais ce
rôle traditionnel s’inscrit dans un contexte nouveau : « Vive le Tiers
État ! » aurait crié une marchande de poisson lors du pillage de la
manufacture Réveillon (elle est condamnée à la pendaison), signe que les
femmes du peuple ne sont pas plus insensibles que les hommes à la
propagande du parti patriote.
À Paris où se joue l’avenir du pays, elles sont présentes dans les
mouvements qui agitent la rue depuis l’ouverture des États généraux le
5 mai – auto-proclamés Assemblée nationale le 17 juin. Pas un dessin,
pas une gravure où, dans les tribunes de la salle du Jeu de paume le
20 juin, dans les jardins du Palais-Royal où l’on court écouter les orateurs
et prendre des nouvelles de Versailles, au Champ-de-Mars où l’on
observe avec inquiétude les troupes appelées par le roi, l’on ne distingue
une ou plusieurs silhouettes féminines, bourgeoises élégantes aux
chapeaux enrubannés ou femmes du peuple en simple bonnet, mêlées aux
foules majoritairement masculines. Le 14 juillet, quelques femmes se
battent avec les hommes : ici la blanchisseuse Marie Charpentier femme
Haucourt, estropiée au cours du siège de « l’exécrable Bastille » et qui
fera partie des très officiels Vainqueurs de la Bastille ; ailleurs, Marie-
Françoise Williaume, les mains noircies par la poudre du fusil dont elle
s’est emparée le matin aux Invalides, ou Marguerite Piningre, femme
Vener, qui force les marchands de vin à remplir son tablier de bouteilles
cassées pour servir de mitraille aux canons, et d’autres anonymes dont les
archives n’ont pas conservé la trace et qui, sans se distinguer des
hommes, sont tout simplement là, en tant qu’individus.
À peine passées les chaleurs de l’été, les femmes vont massivement
apparaître sur la scène politique, focalisant pour la première fois de
l’histoire révolutionnaire les regards sur elles en tant que groupe. Déjà,
début septembre des épouses d’artistes connus (Moitte, David…) font
solennellement don à l’Assemblée de leurs bijoux pour aider à liquider la
dette publique : par ce geste, auquel est faite une grande publicité, elles
s’affirment citoyennes, entrent, en tant que femmes, dans la Nation et
disent à ses représentants que les Françaises, elles aussi touchées par les
événements, ne sont plus les frivoles coquettes de l’Ancien Régime mais
renouent avec la générosité et la grandeur des Romaines. À la même
date, le pain manque, le roi refuse de ratifier le décret sur l’abolition des
privilèges ou la Déclaration des droits de l’homme, et les rassemblements
de femmes commencent à attirer l’attention. Le 4 octobre, on apprend
que des gardes du corps du roi ont foulé aux pieds la cocarde tricolore et
le Palais-Royal est animé par des groupes de femmes qui parlent de se
rendre à Versailles. Le lendemain matin, marchandes des Halles et
habitantes du faubourg Saint-Antoine sonnent le tocsin, puis, rejointes
par d’autres femmes et quelques hommes, envahissent l’Hôtel-de-Ville
en réclamant du pain, des armes, et la venue du roi à Paris. Après s’être
emparées des canons du Châtelet, environ 6 000 à 7 000 manifestantes
marchent sur Versailles où, arrivées en fin d’après-midi, elles pénètrent
dans l’Assemblée nationale et s’asseyent sur les bancs à côté des députés.
Elles leur présentent une pétition demandant du pain pendant que six
représentantes sont envoyées auprès du roi. À Paris, après le départ des
femmes, la garde nationale se met à son tour en marche vers Versailles,
où elle arrive dans la nuit : le roi accepte alors les décrets d’août et le
lendemain, escorté par les gardes nationales et les femmes, vient
s’installer à Paris, au milieu du peuple.
De cette première intervention d’une foule féminine dans la
Révolution, se dégagent de grands traits qui se préciseront au cours des
années suivantes. Des femmes prennent l’initiative du mouvement,
bientôt suivies par des hommes organisés en corps armé. Dans une
situation politique tendue, la pénurie de pain est à l’origine de la
formation d’une foule féminine, dont les actrices ne sont cependant pas
mues par la seule question alimentaire : « Elles voulaient du pain, mais
non pas au prix de la liberté » écrit le journaliste des Révolutions de
Paris, rapportant qu’elles accablèrent d’injures un royaliste leur ayant
« perfidement » assuré que le pain reviendrait si le roi recouvrait son
ancienne autorité.
« Exprimons-nous »
« Toute la Nation est actuellement exaltée, chaque individu a le mérite
et la capacité de bien dire, le Patriotisme nous embrase tous, exprimons-
nous » écrivent en 1789 des blanchisseuses marseillaises dans un cahier
de doléances. Touchées par le vent d’espérance balayant le pays, des
femmes ont pris la plume dès l’annonce de la réunion des États
généraux : nobles, bourgeoises ou poissardes, elles s’adressent à la
Nation, les unes défendant la reine et l’Ancien Régime, les autres
félicitant le Tiers et la garde nationale. Timides ou audacieuses, quelques-
unes parlent pour les femmes, demandant des mesures pour réduire les
injustices dont elles sont victimes, de l’inégalité successorale à leur
exclusion des affaires publiques en passant par le manque d’éducation.
Puisque le roi « a permis à chaque individu de porter ses réclamations, de communiquer ses
idées, de traiter, de discuter, par la voie de la presse, tous les objets politiques qui vont bientôt
passer sous les yeux de l’auguste assemblée […], qu’une femme étonnée du silence de son
sexe, lorsqu’il auroit tant de choses à dire, tant d’abus à combattre, tant de doléances à
présenter, ose élever sa voix pour défendre la cause commune ; c’est au tribunal de la nation
qu’elle va la déférer […] »1.
Puis, alors que les députés rebâtissent une nouvelle société, des
femmes leur donnent leur avis sur les affaires du temps, la nationalisation
des biens du clergé, la création du papier-monnaie, les moyens de
restaurer les finances publiques, s’inquiètent du sort des Juifs, des enfants
naturels ou – dans environ la moitié des brochures – de leur propre sexe.
Le fléau de la prostitution hante nombre de ces textes, que leurs auteures
condamnent les femmes du monde au nom des bonnes mœurs dont elles
se veulent les garants ou voient au contraire en elles les victimes de la
misère. Aussi une grande attention est-elle portée aux questions de
l’éducation des filles et de la survie économique des femmes pauvres.
Revient aussi fréquemment le thème des femmes mal mariées,
« esclaves » à vie de leur mari, que seule une loi autorisant le divorce
rendrait à la liberté. Certes peu nombreux eu égard aux milliers de
libelles alors parus, ceux publiés par des femmes montrent néanmoins
que celles-ci souhaitent ne pas être exclues de la vie politique et, même
sans posséder la citoyenneté, apporter leur pierre à la construction de la
cité.
Prenant acte de leur existence, des hommes s’adressent à elles ou les
mettent en scène dans des brochures patriotes ou aristocrates. Sans que
l’on puisse toujours connaître avec certitude le sexe de leurs auteurs, une
dizaine de journaux sont créés en 1790-1791 pour un public féminin
qu’ils incluent, au moins un minimum, dans la sphère révolutionnaire. Le
Courrier de l’hymen, Journal des Dames (fév.-juillet 1791) mêle petites
annonces de veufs et veuves, jeux, articles sur la mode, les philosophes
ou la politique, lettres revendicatrices de femmes et comptes rendus des
débats de l’Assemblée nationale. Et, alors qu’on assiste à une véritable
guerre de pamphlets entre Père Duchêne royalistes et Père Duchêne
patriotes, est inventé le personnage de la Mère Duchêne : dans plusieurs
brochures contre-révolutionnaires, elle symbolise le « bon sens
populaire » et défend l’ancien ordre des choses contre la Constitution.
Les patriotes répliquent par la voix de Mère Duchêne révolutionnaires,
qui parlent aux femmes à travers deux journaux : les Lettres bougrement
patriotiques de la Mère Duchêne (fév.-avril 1791) et La Mère Duchêne,
Journal des Femmes (mars 1791).
Si la presse féminine disparaît ensuite2, jusqu’à la fin de la période des
femmes ne cessent de rendre publiques leurs idées sur le cours de la
Révolution dans des lettres aux journaux, des Adresses imprimées et
vendues dans les rues, des Avis placardés sur les murs des maisons, ou
des pétitions envoyées et lues à l’Assemblée. Très utilisée par les femmes
comme par les hommes, individuelle ou collective, la pétition permet de
se faire entendre des députés, de leur présenter un cas personnel ou, bien
plus souvent, de les féliciter ou leur réclamer des mesures d’ordre
général : bref, de participer au dialogue instauré entre la Nation et ses
représentants. La majorité de ces textes se veulent et sont politiques par
leur contenu (thèmes, langage) et leurs destinataires (ses concitoyen(ne)s,
les législateurs).
Rappelons par ailleurs que, en plus des pétitions ou des libelles
politiques, le nombre de publications féminines (romans, pièces de
théâtre, traités, recueils de poésies) augmente significativement pendant
la Révolution, tout comme celui d’œuvres musicales composées par des
femmes3. Les bouleversements révolutionnaires, l’affirmation que tout
membre de la Nation a le droit de participer au débat public, l’appel à
tous les « artistes » qu’ils soient ou non reconnus à mettre leur créativité
au service des idéaux républicains ont poussé des citoyennes comme des
citoyens à écrire une pièce, des poèmes, un hymne, voire un opéra,
célébrant les nouvelles valeurs ou mettant en scène la société
« régénérée ».
Des femmes fréquentent également les lieux privilégiés de débat
public, participant à l’intense sociabilité révolutionnaire.
Clubs de femmes
Devant la place restreinte qui leur est faite, des femmes ressentent dès
1790 le besoin d’avoir leurs propres organisations pour s’exprimer plus à
leur aise et se faire mieux entendre sur la scène politique. L’on ne connaît
pas toutes ces sociétés de femmes : une soixantaine est actuellement
recensée, mais de nouveaux travaux historiques en exhumeront
certainement d’autres. Celles qui nous sont connues sont disséminées
dans toute la France, avec une implantation particulière dans le quart sud-
ouest, de la Charente au Languedoc. Leurs membres actifs dépassent
rarement la soixantaine, mais le nombre d’adhérentes peut atteindre
plusieurs centaines (227 à Ruffec, 400 à Dijon). En 1790-1791, elles sont
majoritairement composées de bourgeoises apparentées aux notables
révolutionnaires locaux. Par la suite, leur recrutement se démocratise un
peu, mais les rapports restent toujours très étroits avec le club masculin
de la ville dans lequel sont inscrits proches parents, ou employeurs pour
les moins fortunées. Dans les premières années de leur création, elles
remplacent les congrégations charitables en s’occupant surtout de tâches
philanthropiques (instruction des filles, soins aux malades, secours aux
indigents). À côté de ce rôle traditionnel, leurs séances sont meublées par
la lecture de la Déclaration des droits de l’homme, du compte rendu des
séances de l’Assemblée nationale, des lois, des journaux. En 1791, les
clubistes défendent le clergé constitutionnel auprès de leurs
concitoyennes et pourchassent les réfractaires. À partir de 1792, la
plupart des sociétés se radicalisent et prennent activement part à la vie
politique de leur ville ou de leur région, envoient des pétitions à la
Convention. À Besançon ou Bordeaux, elles se mobilisent en 1793 contre
le fédéralisme (soulèvement anti-montagnard) ; à Casteljaloux (Lot-et-
Garonne), c’est même pour mieux lutter contre ce « système subversif et
désorganisateur » que des femmes décident de se réunir en société. La
formation d’un réseau des différents clubs féminins est plusieurs fois
envisagée : en 1791, celui de Ruffec correspond ainsi avec celui de
Bordeaux, ceux de la campagne dijonnaise sont affiliés à celui de Dijon,
qui prévoit en 1792 de former une Confédération nationale des femmes
françaises patriotes.
À Paris, la Hollandaise Etta Palm d’Aelders fonde en mars 1791 la
Société patriotique et de bienfaisance des Amies de la Vérité, pendant
féminin – et mal connu – de la Confédération des Amis de la Vérité.
Formée de bourgeoises, elle s’intéresse à l’apprentissage professionnel
des fillettes pauvres, réclame le divorce, la même éducation pour les deux
sexes, l’accès des femmes aux emplois civils et militaires et l’égalité
politique. Mais elle n’a qu’une faible audience et disparaît en 1792. Le
10 mai 1793, des militantes parisiennes qui se rencontraient depuis les
débuts de la Révolution dans les tribunes des clubs ou dans les sociétés
mixtes, et qui avaient déjà fait plusieurs actions et pétitions en commun,
forment la Société des Citoyennes Républicaines Révolutionnaires. Ses
membres (170, dont une centaine d’assidues) exercent un métier, dans la
petite bourgeoisie marchande et artisanale, la domesticité ou le salariat.
La jeune marchande fabricante de chocolat Pauline Léon (née en 1768 à
Paris) en est une des fondatrices avec sa voisine et amie la cuisinière
Constance Evrard. S’y distinguent aussi Anne Félicité Colombe
(propriétaire d’un atelier imprimant L’Ami du Peuple de Marat) et surtout
Claire Lacombe, qui en devient la figure de proue : née en 1765 à
Pamiers, comédienne, à Paris depuis 1792 où elle vit de ses économies et
se consacre à la Révolution, elle a reçu une couronne civique pour son
courage lors de l’assaut des Tuileries le 10 août 1792.
L’intention première du club était de former des corps armés de
citoyennes pour combattre les « ennemis du dedans » (les Girondins). Si,
devant l’hostilité masculine, elles doivent renoncer à s’armer, en
revanche, elles prennent une part très active à la chute de la Gironde,
contribuant avec les sans-culottes à l’insurrection des 31 mai-2 juin 1793.
Elles sont alors une des principales forces du mouvement révolutionnaire
parisien et les autorités rendent hommage à leur action. Le 26 août, elles
présentent à la Convention une pétition réclamant des mesures de Terreur
(arrestation des suspects, destitution des nobles, organisation de
tribunaux révolutionnaires, levée en masse), les mêmes que celles
demandées par les sans-culottes les plus avancés – mais, contrairement à
eux, elles n’accordent qu’une place annexe au problème des subsistances.
Sans jamais réclamer en public l’égalité des sexes, elles refusent d’être
« des femmes serviles, des animaux domestiques ». Dans une séance, la
citoyenne Monic (marchande de mercerie) assure que « les femmes sont
dignes de gouverner, je dirais presque mieux que les hommes ». Une
domestique, secrétaire du club, voit dans ses ennemis des femmes
« ignorantes et serviles, abruties dans leurs préjugés » et des hommes
s’accrochant à leur « despotisme marital » qui n’a plus sa place en
République : « Ils ont beau faire, les femmes commencent à voir qu’elles
ne sont pas faites pour être plus avilies qu’eux. » De plus, demander
comme elles le font à l’origine la formation de bataillons armés pour
« garder l’intérieur », c’est demander un des attributs de la citoyenneté.
Et elles représentent un exemple plein d’espoir pour toutes celles qui
aspirent à une reconnaissance politique de leur sexe… et un défi pour
ceux qui refusent que les femmes se mêlent de politique.
Seul club de femmes de la capitale, la Société accueille des
révolutionnaires prononcées mais de sensibilité politique parfois
différente : s’y affrontent celles soutenant les Jacobins et celles proches
des Cordeliers ou des Enragés (plus radicales). Sous l’influence de
Pauline Léon et Claire Lacombe, cette dernière tendance l’emporte à la
fin de l’été, poussant le club dans une voie oppositionnelle. Alors que les
chefs Enragés sont arrêtés, la Société est marginalisée et attaquée pour
ses positions politiques, mais aussi parce que beaucoup n’acceptaient
qu’avec réticence l’intervention active de femmes dans la vie politique.
Et le 30 octobre 1793, prenant prétexte d’une rixe avec les marchandes
de la Halle, la Convention l’interdit… ainsi que tous les clubs de
femmes. Comme l’indiquent les termes du décret, il s’agit à la fois de
mettre un frein au mouvement sans-culotte et de renvoyer les femmes à
leurs fonctions privées dans leurs foyers, en rappelant fermement qu’elles
ne peuvent exercer les droits politiques.
Si, à la suite de ce vote, tous les clubs féminins sont effectivement
dissous, les citoyennes ne rentrent pourtant pas bien sagement chez elles,
mais continuent à fréquenter les tribunes et les sociétés populaires mixtes
– après la fermeture de leur club, les Arlésiennes deviennent majoritaires
(57 %) dans celle de la ville.
Des différences
Dans le discours tenu sur elles, notamment pour leur interdire l’espace
politique, les femmes, définies quasi uniquement par leur identité
sexuelle, apparaissent comme un tout homogène. Dans la pratique, elles
sont séparées par de multiples différences, géographiques, sociales,
culturelles, religieuses, d’opinion politique et de trajet individuel. Selon
les cas, elles s’intéressent plus ou moins aux événements, y participent de
près ou de loin. Certaines s’engagent activement pour leurs idées,
d’autres laissent faire, essayant de s’écarter du torrent révolutionnaire,
qui en broie plusieurs. Bref, même si – et c’est fondamental – elles ne
sont pas sur le même plan que les hommes car exclues de la citoyenneté
et des instances dirigeantes, leurs conditions sociales et leurs choix
politiques sont aussi divers que dans la population masculine. Et
l’emportent sur une hypothétique « identité de genre », même chez celles
qui s’insurgent contre leur statut. Auteure d’une Déclaration des droits
de la femme et de la citoyenne, Olympe de Gouges défend la reine,
appelle les femmes à être solidaires, mais a des mots durs et méprisants
pour les militantes populaires. À plusieurs reprises, des femmes en
fouettent publiquement d’autres, « cul nu », les humiliant et les dégradant
devant un public masculin goguenard et grivois. Après les avoir
physiquement attaquées, des marchandes de la Halle demandent
l’interdiction des Citoyennes Républicaines, trop révolutionnaires à leurs
yeux, mais en arguant du fait que « le malheur de la France ne s’est
introduit que par l’organe d’une femme » (Marie-Antoinette).
L’origine sociale pèse aussi sur les formes d’engagement, non
seulement parce qu’une noble sera plus facilement contre que pour la
Révolution, mais aussi parce que, quelles que soient leurs opinions, les
femmes des milieux aisés interviennent moins ouvertement dans l’espace
public, surtout entre 1792 et 1795 quand le peuple y prend place. Elles
peuvent recevoir des députés, écrire dans les journaux, discuter politique
avec leurs proches, envoyer des pétitions individuelles à l’Assemblée,
faire des dons, mais sont moins nombreuses que les femmes du peuple à
donner leur avis dans la rue, se presser dans les tribunes des assemblées
populaires ou manifester. Avant la Révolution, la rue et la foule n’étaient
déjà pas leur domaine, et elles sont de plus les premières à avoir intégré
le discours rousseauiste. Véritable femme politique comptant parmi les
chefs girondins, Mme Roland n’a ainsi pas d’action commune avec
d’autres femmes et écrit (lettre du 6 avril 1791) : « Je ne crois pas que
nos mœurs permettent encore aux femmes de se montrer ; elles doivent
inspirer le bien et nourrir, enflammer tous les sentiments utiles à la patrie,
mais non paraître concourir à l’œuvre politique. Elles ne pourront agir
ouvertement que lorsque les Français auront tous mérité le nom
d’hommes libres » et abandonné leurs préjugés contre les femmes – mais
elle ne fait rien pour cela. Qu’elle s’instruise, écrive ou fasse de la
politique, une femme doit, pense-t-elle, rester dans l’ombre. Et pourtant,
peu après son exécution (8 novembre 1793), La Feuille de salut public
écrit que son désir d’être savante lui a fait, comme à Olympe de Gouges
(guillotinée le 3 novembre 1793), oublier les vertus de son sexe et
prévient toutes les républicaines que « cet oubli, toujours dangereux, finit
par la faire périr sur l’échafaud ». À la différence de Mme Roland,
Mme Julien (épouse d’un député montagnard) est favorable au
mouvement populaire : passionnée par les « affaires d’État » (« je ne
pense, je ne rêve, ne sens que cela »), elle émet dans ses lettres jugements
et analyses politiques, lit la presse, suit les séances de l’Assemblée
nationale, mais n’intervient pas publiquement, ne fréquente ni les clubs
ni les assemblées de section, ne manifeste pas, ne pétitionne pas avec
ceux et celles dont elle approuve cependant le combat.
Bien entendu, il ne s’agit là que de tendances : des premiers clubs de
femmes à l’assassinat de Marat par Charlotte Corday, plusieurs contre-
exemples sont là pour rappeler les dangers d’une lecture trop mécaniste.
Nobles
« J’étais dans le délire […] Tout s’exaltait en moi », se souvient
Mme de Chastenay, décrivant comment la demoiselle (18 ans) qu’elle
était a vécu les événements de 1789. Fille d’un noble libéral élu aux États
généraux, elle fréquente avec sa mère les salons huppés où « règne
l’esprit nouveau » et suit quelques séances de l’Assemblée. À partir de
1792, les choses se gâtent. Les Chastenay quittent Paris pour la province,
où ils mènent pendant la Terreur une vie discrète, faite de lectures,
visites, concerts entre amis, tout en sachant qu’ils peuvent être arrêtés et
guillotinés d’un jour à l’autre. Comme il est devenu « trop dangereux »
d’écrire – elle a brûlé son journal intime –, Victorine compose un opéra,
des romances, étudie le piano, lit des romans anglais. Emprisonnée
pendant quelques jours car son père est sur la liste des émigrés, elle est
libérée après le 9 thermidor. Fréquentant le Tout-Paris du Directoire et du
Consulat, elle se partage dès lors entre mondanités, études, publications
littéraires et savantes. Malgré son statut de ci-devant (noble), elle n’a
jamais totalement renié ses idées, émue par la fête montagnarde de l’Être
Suprême à laquelle elle assiste en l’an II, jugeant fort sévèrement la
réaction thermidorienne.
Même si d’autres nobles élevées dans les idées des Lumières peuvent
se montrer d’abord favorables à la Révolution (Charlotte Corday), la
plupart se détournent vite de « l’horrible révolution » (Mme de
Ferrières). Quelles que soient leurs opinions, nombreuses sont celles qui
tentent de se faire oublier. D’autres quittent la France. Mais, plus
souvent, alors que les hommes émigrent pour combattre la Révolution
avec les armées étrangères, les femmes restent sur place pour s’occuper
des affaires familiales – comme le faisaient leurs ancêtres lors des
révoltes nobiliaires et des guerres des XVIe-XVIIe siècles. En 1793, les
biens des émigrés sont confisqués par la Nation et leurs parents déclarés
suspects : plusieurs femmes sont arrêtées. Certaines divorcent pour se
mettre à l’abri et sauver une partie du patrimoine – séparations parfois
formelles, des couples se reformant au retour de l’ex-mari. Celles dont
les biens ont été nationalisés peuvent se retrouver dans la gêne,
contraintes de travailler (en broderie, dentelle) pour gagner leur vie.
Celles emprisonnées ne le sont pas toujours pour leurs seuls liens
familiaux : appartenant à des familles contre-révolutionnaires, ayant leurs
père, frères, mari, cousins, amis luttant à l’étranger contre la Nation, elles
tiennent des propos hostiles à la Révolution, correspondent avec les
émigrés pour leur donner des renseignements, accueillent ceux rentrés
clandestinement, abritent des prêtres réfractaires ou des insurgés dans les
régions révoltées, transfèrent des fonds à l’étranger, font circuler de faux
assignats, essayent de séduire ou corrompre les administrateurs
révolutionnaires. Sur un mode certes souvent mineur, ces femmes jouent
à l’intérieur du pays un rôle non négligeable dans la contre-révolution.
Religieuses
Le 13 février 1790, l’Assemblée supprime les vœux religieux,
permettant à ceux et celles qui le désirent de quitter leurs monastères,
devenus biens nationaux ; en 1792, les autorités ferment les couvents et
dispersent la plupart des communautés. Dès le XIXe siècle, l’imagerie
contre-révolutionnaire présente les religieuses comme des victimes de la
Révolution, des martyres souffrant et mourant pour leur foi. Les
39 religieuses condamnées à mort à Orange et les 17 carmélites
compiégnoises guillotinées en 1794 (Bernanos, Dialogue des Carmélites,
1948) ne reflètent pourtant pas le sort de la majorité des religieuses. Ne
distribuant pas les sacrements, elles n’ont pas une importance majeure
dans le conflit religieux et sont beaucoup moins exposées et poursuivies
que les prêtres : selon les historiens, de 120 à 200 auraient été exécutées
(sur un total d’environ 55 000 en 1789) parce que, attachées à l’Église et
à la royauté, elles refusent la République. On connaît mal le devenir de
ces femmes, contraintes de quitter leur couvent et de mener une vie
séculière, et peu étudiées par les historiens. Une bonne partie d’entre
elles refuse la Révolution, ouvrant avant 1792 les portes de leur chapelle
aux prêtres réfractaires, puis continuant à vivre discrètement ensemble
après leur dispersion. Les plus engagées enseignent secrètement le
catéchisme, assistent au culte clandestin, aident les réfractaires, cachent
chez elles des objets liturgiques. Mais une proportion non négligeable
s’adapte bon gré mal gré à la vie laïque, exerce un métier, parfois se
marie – R. Graham estime ces dernières à environ 700. Dès 1799, les
communautés commencent à se reformer clandestinement, tolérées par
les autorités.
D’après G. Murphy, la moitié des 1 100 religieuses du diocèse de
Poitiers (1790) adopte pendant la Révolution une attitude de refus passif,
celles œuvrant activement contre la Révolution formant une minorité.
Une centaine est emprisonnée pour attitude contre-révolutionnaire ou
comme parentes d’émigré et une meurt sur l’échafaud ; à l’inverse, elles
sont 98 à prêter serment de haine à la royauté. 5 % quittent
volontairement leur couvent au printemps 1790. Lors de la dispersion
forcée en 1792, la plupart louent une chambre en ville, tandis qu’un quart
est recueilli par leur famille et qu’une petite minorité se regroupe sous le
même toit. Si quelques-unes, pauvres et isolées, sont réduites à la
mendicité et même à la prostitution, plusieurs arrivent à vivre de leur
travail : elles ouvrent une école, une boutique, travaillent dans les
hôpitaux ou comme domestiques. Quatre-vingt-une se marient, ce qui
représente 22 % des religieuses âgées de moins de 50 ans en 1792 et
encore en vie en 1800 – et presque la moitié de celles alors âgées de 30 à
40 ans ; une cinquantaine mettra des enfants au monde. Lorsque les
couvents rouvriront après la Révolution, un tiers de l’ensemble des
survivantes en reprendra le chemin.
Religion et Révolution
Le dimorphisme selon le sexe repéré à partir de 1750-1760 a des
conséquences importantes : plus que pour les hommes, la question
religieuse est une des principales raisons poussant des femmes à rejeter la
Révolution. Dans le Midi comme en Bretagne, elles sont bien souvent à
la tête des foules s’opposant à l’inventaire des biens des couvents en
1790-1791 : à La Roche-Bernard (Morbihan), « une multitude de femmes
et quelques hommes dont une partie armée de pierres » somme les
autorités de « foutre le camp ». À Avignon, bourgeoises, ouvrières du
textile, lavandières – qui avaient pour certaines soutenu les patriotes en
1790 – sont dans la foule qui lynche en 1791 le révolutionnaire Lescuyer
à la suite d’un « miracle » ; d’après M. Lapied, elles représentent 22 %
des victimes du Massacre de la Glacière perpétué ensuite par les
révolutionnaires contre les coupables emprisonnés.
Après le vote de la Constitution civile du clergé (juillet 1790) et sa
condamnation par le pape (mars 1791), un peu partout des femmes se
distinguent par leur hostilité au nouveau clergé constitutionnel et leur
soutien aux prêtres réfractaires, refusant de suivre la messe du nouveau
curé, le dénigrant dans le village, lui rendant la vie impossible. En l’an II,
ces fanatiques marquent leur attachement au dimanche plutôt qu’au
décadi républicain, élèvent leurs enfants dans la religion traditionnelle,
conservent des images pieuses, s’opposent à la descente des cloches,
cachent des réfractaires et forment souvent la majorité de l’assistance au
culte clandestin. Certaines ont une attitude véritablement contre-
révolutionnaire et sont accusées d’avoir participé à des assemblées,
distribué des libelles, tenu des propos incendiaires, fait circuler de
fausses rumeurs – l’on retrouve ici le rôle de la parole féminine dans la
communauté.
Cette importance du religieux dans les prises de position de
nombreuses femmes ne doit pas faire oublier qu’il en fut de même pour
une part – certes plus faible – de la population masculine. Dimorphisme
ne signifie pas radicale coupure : les femmes ne sont pas seules à
défendre la religion traditionnelle, et leur place au premier plan de
certaines émeutes tient aussi à leur rôle traditionnel dans la foule et la
communauté. La question religieuse n’est d’ailleurs pas la seule à en
détourner de la Révolution. Certaines pleurent le roi guillotiné et
conservent pieusement une image de lui à côté d’un chapelet. Des
marchandes regrettent le départ des nobles qui, disent-elles, les faisaient
vivre. Des domestiques d’émigrés sont arrêtées pour leur soutien actif à
leurs maîtres. D’autres refusent la République de l’an II, parce qu’elles
sont politiquement favorables aux Girondins ou parce qu’elles ne veulent
pas de l’égalité sociale et du « règne de la canaille et de la crapule » (les
sans-culottes). À la campagne, des veuves peu fortunées, pourtant
longtemps favorables à la Révolution, tiennent contre elle des propos
hostiles car leur fils est réquisitionné comme soldat et que, seules, elles
ne peuvent cultiver leur terre. Dans les périodes de pénurie ou de cherté
alimentaire, des consommatrices murmurent contre le temps présent : si
certaines assurent se retenir pour ne pas « envoyer foutre le nouveau
régime », d’autres le rendent responsable de leurs maux.
À Paris aussi le dimorphisme est flagrant et des femmes sont au
premier rang des défenseurs du catholicisme. Mais plusieurs concilient
engagement politique et sentiments religieux. Dans les tribunes des
sociétés populaires, des femmes – et non des hommes – prient le Bon
Dieu pour qu’il punisse les contre-révolutionnaires ou protège
Robespierre. En l’an II, une habituée des Cordeliers garde chez elle des
statuettes de la Vierge qui, explique-t-elle, lui rappellent son seul Dieu,
celui de la Liberté. La prophétesse Catherine Théot attire autour d’elle un
public populaire, composé aux trois quarts de femmes, heureuses de
l’entendre assurer que Dieu a voulu la Révolution et que le pauvre
triomphera. Et, de même que les femmes étaient avant 1789 plus
pratiquantes que les hommes, elles sont plus nombreuses à suivre les
cultes clandestins. De même, dans les églises rebaptisées temples de la
Raison où on célèbre l’Être Suprême les témoins voient « peu d’hommes
et beaucoup de femmes ».
Des patriotes bretons combinent aussi foi et Révolution, rendant un
véritable culte à des « saintes » républicaines, objets de dévotions
populaires : dans la forêt de Teillay, près de Rennes, on va déposer des
ex-voto et prier sur la tombe de « sainte Pataude », une jeune fille
martyrisée en 1795 par les Blancs (les royalistes)5.
Guerre civile
Dans les régions soulevées, des femmes soutiennent les insurgés
armés. En Vendée, quelques-unes siègent en mars 1793 dans les comités
formés par les révoltés, preuve de leur implication dans le soulèvement :
mais, très vite, dès que le mouvement s’organise, elles en disparaissent.
L’armée catholique et royale compte un petit nombre de combattantes,
d’origine noble (les Amazones de Charette) ou plus souvent populaire,
comme Renée Bordereau, dite Brave l’Angevin, qui aurait tué une
vingtaine de Bleus (les révolutionnaires) et dont la tête est mise à prix.
Plus nombreuses sont celles qui, chassées par l’avancée des républicains,
suivent sans se battre l’armée avec leurs enfants. Restées dans leur ferme,
des paysannes espionnent pour les Blancs, surveillent les routes,
transportent des armes, cachent les blessés. D’autres font la même chose
pour les Bleus. Chaque camp accuse les femmes de l’autre bord de
participer aux massacres. Malgré l’ordre de la Convention d’épargner
femmes et enfants et de veiller à leur sûreté « avec tous les égards dus à
l’humanité », lors de la répression menée par l’armée républicaine de
nombreuses femmes, qu’elles soient patriotes ou « vendéennes », sont
violées par les soldats.
Défendre la République
Convaincus que la Révolution est menacée par ses ennemis, obnubilés
par la peur du complot aristocratique, les révolutionnaires considèrent
qu’il est de leur devoir d’informer les autorités de tout ce qui leur paraît
suspect. Or, on l’a vu, les femmes exercent dans la communauté une
fonction de surveillance et nombreuses sont celles à signaler au
commissaire, sans se cacher, des faits ou des conduites qu’elles jugent
inquiétants et qui sont peut-être signe d’une conspiration contre la
République. Nourricières, elles dénoncent les marchands qui vendent au-
dessus du maximum des prix imposé par la loi. Exclues de la garde
nationale et des jurys des tribunaux, elles ne peuvent s’assurer comme les
hommes que les ennemis sont arrêtés et punis : aussi assistent-elles aux
exécutions faites au nom du Peuple Souverain. Des hommes leur
reprochent alors leur férocité, stigmatisant ainsi ce qui ne correspond pas
à l’image de la femme douce et faible, et rejetant sur l’autre sexe la
sauvagerie7.
Par le don, une femme s’affirme citoyenne et participe à la défense de
la Révolution sans transgresser son rôle. Ne « voulant céder en rien en
patriotisme à leur mari », elles sont nombreuses à envoyer à l’Assemblée
quelques livres économisées sur les frais du ménage ou avec lesquelles
elles espéraient remplacer un habit trop usé mais qu’elles préfèrent
donner à la Nation. Des ouvrières indigentes se distinguent par les
collectes faites dans leurs ateliers. Les clubs de femmes en organisent
aussi, complétées par le travail des membres pendant les séances : ceux
de Besançon ou Nancy envoient par exemple à l’armée des centaines de
chemises, paires de souliers, guêtres, vestes, sacs, gants, sans compter
quelques fusils et des caisses entières de charpie, compresses et
bandages.
Les donatrices regrettent souvent de ne pouvoir servir la République
les armes à la main. Ce que font les huit dizaines de soldates recensées
par les historiens8. Adolescentes à peine sorties de l’enfance, parfois sans
attaches familiales, espérant trouver un refuge dans l’armée et y combler
leur désir d’aventure tout en défendant la Révolution, ou femmes parties
avec un parent, la plupart n’ont pas encore atteint vingt ans. Prénommées
Rose ou Marianne, Reine ou Liberté, surnommées Sans-Souci ou Va-de-
bon-Cœur, elles ont caché leur sexe lors de leur enrôlement et servent
comme gendarmes, canonniers, grenadiers, fusiliers ou chasseurs.
Partageant le sort des troupes, présentes à tous les sièges et à toutes les
batailles, elles sont considérées comme de valeureux soldats par leurs
compagnons d’armes, qui peuvent les élire officiers ou sous-officiers. Et
cela même après leur renvoi officiel de l’armée en avril 1793. Car, même
si le service à l’armée n’est pas intimement lié au droit de vote comme
celui dans la garde nationale9, le port des armes est un attribut masculin :
aussi le décret du 30 avril 1793, pris contre la cohorte de femmes
(épouses, maîtresses, prostituées) qui suit les soldats et gêne les
opérations, précise-t-il que les combattantes « seront exclues du service
militaire » ; seules pourront demeurer à l’armée les blanchisseuses et les
vivandières. La plupart continuent pourtant à se battre comme si de rien
n’était. Lorsqu’elles quittent l’armée et se présentent devant une
assemblée, on les couvre d’applaudissements tout en présentant leur
geste comme un miracle de la Liberté, capable de transformer une faible
femme en homme : « Je ne la range même pas parmi les femmes, mais je
déclare que cette jeune fille est un mâle puisqu’elle a, comme les plus
intrépides guerriers, affronté la mort dans toutes les occasions
périlleuses » assure le député Collot d’Herbois à propos d’une
adolescente (15 ans) aux faits d’armes particulièrement impressionnants.
Ces combattantes sont une minorité, comme le sont aussi les
militantes. Même favorables à la Révolution, la majorité des femmes
suivent les événements de plus loin. Pour beaucoup, la vie est dure : leur
mari à l’armée, elles sont frappées par le chômage qui croît dans
plusieurs professions, obligées lors des crises de subsistances d’attendre
dès l’aube à la porte du boucher ou du boulanger sans pourtant être
assurée d’obtenir quelque chose – hors un coup de poing ou de coude
d’un(e) voisin(e) de queue. Malgré tout, elles placent leurs espoirs dans
la Révolution, qui a rendu sa dignité au peuple auquel elles
appartiennent, et la défendent dans les discussions publiques, en assistant
aux fêtes révolutionnaires, en arborant fièrement fichu ou jupon rayés
aux trois couleurs nationales, et en se mobilisant en période de crise et
lors des insurrections.
Crises et insurrections
Des femmes sont présentes dans toutes les manifestations ou journées
insurrectionnelles qui, en particulier à Paris, rythment l’histoire de la
Révolution. Le 14 juillet 1789 ou le 10 août 1792, quelques-unes
combattent au côté des hommes, d’autres les encouragent de la voix. Les
manifestations du 17 juillet 1791 ou du printemps 1792 mêlent
indistinctement hommes et femmes. Mais lors de plusieurs épisodes, elles
deviennent pour les témoins un groupe particulier, « les femmes », qui
pour un temps occupe le devant de la scène. C’est le cas en octobre 1789,
au printemps 1793 quand la sans-culotterie féminine appelle à
l’insurrection contre les Girondins, et surtout en 1795.
Mariage et divorce
Fondement de la société, le mariage est l’objet d’une nouvelle
législation. « La loi ne considère le mariage que comme contrat civil »,
assure la constitution de 1791 : juridiquement, il n’est plus un sacrement
indissoluble mais un acte civil relevant d’institutions laïques. Tout contrat
pouvant se rompre, cette définition ouvre la porte au divorce : réclamé
par de nombreuses pétitions, il est autorisé par la loi du 20 septembre
1792. Très libérale, celle-ci ne voit plus le mariage comme une affaire
familiale, mais comme l’union de deux partenaires libres et égaux,
cherchant ensemble le bonheur : libres de disposer chacun de sa propre
personne et de mettre fin à une alliance malheureuse ; égaux dans la
mesure où les motifs de divorce sont strictement les mêmes pour les deux
sexes. Simple acte d’état-civil, le divorce est théoriquement gratuit et
accessible à tous. Il peut être demandé par consentement mutuel ou par
un des deux conjoints invoquant soit une incompatibilité d’humeur et de
caractère, soit un motif déterminé.
Dans la majorité des cas, après avoir déposé la demande de divorce,
les époux passent devant un tribunal de famille (formé de parents, amis
ou représentants juridiques choisis par les deux parties) qui tente de les
réconcilier ou enquête sur le bien-fondé du motif. Si celui-ci est jugé
valable, le tribunal donne son accord et le divorce est prononcé par
l’officier d’état-civil. Rendus « à leur entière indépendance », les époux
divorcés peuvent se remarier avec qui ils veulent. Leurs biens sont
partagés et une pension alimentaire est versée à l’époux divorcé non
remarié « qui se trouvera dans le besoin », dans la mesure où les revenus
de l’ex-conjoint le permettent. Les enfants seront confiés à la mère au
moins jusqu’à 7 ans, sauf si les parents décident d’un autre arrangement ;
quel que soit celui qui a la garde, ils sont tous deux obligés de contribuer
aux frais d’éducation et d’entretien en proportion de leurs revenus.
Phénomène limité sans être marginal, le divorce révolutionnaire concerne
peu les campagnes et touche surtout les grandes villes, Paris en tête. Il est
plus fréquent en 1792-1795 car, sous le Directoire, les tribunaux de
famille sont supprimés et la procédure rendue plus longue et difficile. La
majorité des divorcés appartient au monde de l’atelier et de la boutique
(80 % à Lyon, 50 % à Rennes), suivi par la bourgeoisie négociante et
intellectuelle ; les catégories les plus riches et les plus pauvres sont en
général sous-représentées.
Partout, les femmes sont à l’origine des deux tiers ou plus des
demandes individuelles : 71 % à Paris et Rouen, 65 % à Lyon, 80 % à
Rennes, 63 % à Montpellier, 66 % à Saint-Étienne. Modèle idéal pour les
Législateurs, le consentement mutuel est pourtant peu utilisé en 1792-
1795 (9 % des divorces à Paris, 12 % à Lyon, 4 % à Rennes), mais sa part
augmente nettement (38 % à Rennes) sous le Directoire. En 1792-1795,
l’abandon et l’absence sont les motifs les plus invoqués : 66 % à Lyon et
Paris, 43 % à Rennes ; légalisant une situation existant parfois depuis de
longues années, ces divorces rappellent le poids des femmes
abandonnées dans les grandes villes du XVIIIe siècle. Viennent ensuite
l’incompatibilité d’humeur (16 % à Paris, 14 % à Lyon, 20 % à Rennes),
puis les sévices et injures graves (9,6 % à Paris, 12,4 % à Lyon, 13 % à
Rennes). Ce dernier motif est en fait sous-estimé car l’enquête révèle
souvent qu’incompatibilité d’humeur est une façon pudique de désigner
la violence conjugale, ou que celle-ci a précédé l’abandon ou la
séparation de fait. Sous le Directoire, la proportion de demandes pour
abandon et absence diminue nettement, au profit du consentement mutuel
et surtout de l’incompatibilité d’humeur, qui devient la principale cause
de divorce à Lyon (66 %) ou Rennes (61 %). Après avoir surtout servi à
officialiser l’échec patent de « vieux » mariages, la loi serait utilisée par
de plus jeunes mariés se rendant compte que leur union, sans être encore
un désastre, ne leur apporte pas le bonheur espéré, et qui décident
ensemble, ou sans évoquer un motif précis, d’y mettre un terme pour se
donner une nouvelle chance. Dans le contexte de réaction et de retour aux
valeurs traditionnelles, le divorce est critiqué dès 1795 : l’intérêt familial
revient en force et il n’est plus question de liberté et de bonheur des
époux dans l’égalité, mais d’un mal nécessaire devant être strictement
limité aux cas les plus graves. Le code civil de 1804 rend le divorce très
difficile, limite les possibilités de remariage, supprime l’incompatibilité
d’humeur, ne prévoit que trois motifs (sévices et injures graves, peine
infamante, adultère) et réintroduit l’inégalité, l’adultère d’une femme
pesant d’un poids bien plus lourd que celle de son mari. Supprimé en
1816, le divorce ne sera rétabli qu’en 1884, le consentement mutuel en
1975 et l’incompatibilité d’humeur au XXIe siècle.
« La citoyenne Gavot, femme libre, vient solennellement rendre hommage à la loi sainte du
divorce. Hier, gémissant sous l’emprise d’un mari despote, la liberté n’était qu’un vain titre
pour elle. Aujourd’hui rendue à la dignité de femme indépendante, elle adore cette loi
bienfaisante qui rompt les nœuds mal assortis, qui rend les cœurs à eux-mêmes, à la nature,
enfin à la divine liberté. J’offre à ma patrie […] l’anneau d’alliance qui fut jusqu’aujourd’hui
le symbole de mon esclavage. Recevez, Législateurs, cet anneau d’alliance ou plutôt ces
chaînes qui m’ont causé des jours amers. Le jour est plus pur, je goûte la liberté sans
contrainte.10 »
Enseignement
Dès 1789 de nombreuses brochures demandent une meilleure
éducation pour les filles et présentent des projets en ce sens. Les
révolutionnaires accordent une place primordiale à l’instruction,
considérée comme le plus sûr garant de la liberté et comme une
« propriété commune », un « droit commun » (Talleyrand), garanti en
1793 par la Déclaration des droits. Triomphe l’idée d’une instruction
nationale, du ressort de l’État, souhaitée par les Lumières et rendue
nécessaire par la nationalisation des biens du clergé et la suppression des
congrégations. Plusieurs plans d’instruction publique sont donc élaborés
par les députés, qui reconnaissent tous que l’instruction primaire est
nécessaire aux deux sexes. Le principe d’égalité n’en est pas pour autant
affirmé. Ainsi dans son projet (septembre 1791) Talleyrand lie-t-il
éducation et droits politiques : puisqu’elles seront exclues du vote, des
emplois publics et de toute participation au gouvernement, puisque la
nature leur a réservé des fonctions privées, pourquoi donner aux filles la
même formation qu’aux garçons ? Il ne faut pas les laisser « aspirer à des
avantages que la Constitution leur refuse », s’enivrer « de chimériques
espérances » ou faire d’elles des « rivaux » de leurs compagnons. Pour
elles, la meilleure éducation est familiale. Mais, prévoit Talleyrand, elles
pourront fréquenter l’école primaire jusqu’à 8 ans, puis des « maisons
d’éducation publique » destinées à remplacer les classes conventuelles :
les pauvres y apprendront « des métiers convenables à leur sexe » et les
pensionnaires y seront préparées « aux vertus de la vie domestique et aux
talents utiles dans le gouvernement d’une famille ».
Bien différent est le projet de Condorcet (avril 1792). Persuadé de
l’identité intellectuelle des deux sexes et favorable à leur égalité
politique, il envisage un enseignement gratuit et commun dans les écoles
primaires (6-10 ans) et secondaires (10-13 ans ; mathématiques, histoire,
géographie, dessin, langues). Les degrés suivants concernent plus les
garçons, même si la formation médicale des sages-femmes est prévue. Le
rapport devait être complété par une présentation plus précise de
l’éducation des femmes : Condorcet n’en aura pas l’occasion mais même
ainsi son projet est le seul à envisager que, pendant sept ans, filles et
garçons suivent les mêmes cours.
Dans son radical Plan d’éducation nationale (1793), Le Pelletier
projette d’élever ensemble tous les enfants : pour les soustraire à
l’influence de leur famille et pour limiter les inégalités sociales et
culturelles, à l’âge de 5 ans ils devront obligatoirement être envoyés dans
des pensionnats républicains où ils resteront jusqu’à 12 ans pour les
garçons et 11 ans pour les filles – au développement plus précoce –,
grandissant dans les mêmes conditions. La « sainte loi de l’égalité »
admet pourtant les différences et si la mixité est réelle, l’enseignement
n’est pas commun : au sein du même établissement, filles et garçons
seront regroupés dans des classes séparées, dirigées par un instituteur ou
une institutrice. Le temps des petits républicains sera partagé entre
l’étude, le travail des mains et la gymnastique, mais le programme
envisagé est plus ou moins différent selon le sexe. Si, nouveauté inouïe,
les filles feront de la gymnastique comme les garçons, en revanche seuls
ces derniers « seront formés en outre au maniement des armes ». Tous
apprendront à lire, écrire et compter ; leur mémoire sera cultivée – « et
développée » pour les garçons – par le récit « des traits les plus frappants
de l’histoire des peuples libres et de celle de la Révolution française »
pour les uns, « de quelques traits de l’histoire propres à développer les
vertus de leur sexe » pour leurs sœurs. Ceux-là seront familiarisés avec la
Constitution, la morale universelle, l’économie rurale et domestique
tandis que celles-ci se contenteront de notions de morale et d’économie
domestique et rurale. C’est l’apprentissage professionnel qui est le plus
différent : les garçons seront employés à des travaux de terrassement, à la
culture de la terre et à l’artisanat ; les filles apprendront à filer, coudre et
blanchir. Il s’agit bien de former une nouvelle « race » de républicain(e)s,
sans remettre en cause la différence des fonctions sociales et politiques
entre les sexes.
À côté de ces plans d’ensemble, dont aucun, pour des raisons
différentes, n’a été réalisé, le Comité d’Instruction publique a élaboré des
lois plus ponctuelles pour réorganiser l’enseignement. En juin 1793,
Lakanal propose la création d’écoles primaires divisées en deux sections,
une pour les garçons et l’autre pour les filles – car elles ont droit à une
éducation soignée, qui les éloignera de plus du fanatisme. En décembre
1793, l’instruction primaire est rendue gratuite et obligatoire (3 ans) pour
les enfants des deux sexes. Après Thermidor, les députés se soucient
moins de l’instruction primaire du peuple que de l’enseignement
secondaire et supérieur (réservé aux garçons) des élites. La formation
d’instituteurs des deux sexes est remplacée par celle de professeurs
(masculins) du second degré (École normale supérieure). L’obligation
puis la gratuité sont supprimées : les familles privilégiant l’éducation des
garçons, ces mesures défavorisent nettement les filles. Lors du débat de
novembre 1795, elles sont oubliées par la loi Daunou et Lakanal doit
intervenir pour rappeler que, même payante, l’école primaire est destinée
à recevoir, séparément, garçons et filles.
Pour conclure, soulignons avec E. G. Sliedziewski que la Révolution a
permis « l’avènement de la femme civile ». Si l’on retient aujourd’hui
plus volontiers l’exclusion politique, libérer les femmes, du moins dans
le droit, de leur sujétion familiale a été vécu à l’époque comme un pas
hardi vers l’émancipation : « Rengorge-toi bien, la Mère Duchêne, tu en
as sujet, foutre […] nous sommes bien grandies depuis la Révolution
[…]. Comme la liberté nous a donné des ailes ! Nous avons aujourd’hui
le vol de l’aigle » écrivait la Mère Duchêne dans ses Lettres bougrement
patriotiques. A contrario, les théoriciens contre-révolutionnaires voient
dans ces mesures la porte ouverte à la subversion sociale : « On dit que
les femmes avaient été trop longtemps sous le joug des maris. Il est
inutile de m’étendre sur les suites funestes que peut avoir une loi [sur le
divorce] qui ôte la moitié de notre espèce de dessous la protection de
l’autre moitié » écrit Burke11. Dans ce domaine comme dans d’autres, le
code civil napoléonien marque un retour à l’ordre : l’infériorité féminine
est légalisée (Y. Ripa), la femme redevient une mineure juridique devant
légalement obéissance au mari, le divorce est vidé de son sens
révolutionnaire. De toutes les avancées dont elles avaient bénéficié sous
la Révolution, seule demeure l’égalité successorale – et encore est-elle
écornée par la faculté rendue aux parents d’avantager un des enfants par
donation ou testament.
Des revendications
Déjà, en 1788-1789, plusieurs brochures remarquent que les États
« prétendus généraux » ne sont pas représentatifs de la Nation car les
femmes n’y siègent pas. En juillet 1790, Condorcet publie dans le
Journal de la Société de 1789 un article « Sur l’admission des femmes au
droit de cité ». En philosophe théoricien, il se place sur le terrain du droit
et des principes, déclarés par les révolutionnaires le 26 août 1789.
Comme Poullain de la Barre, il rappelle le poids de « l’habitude » qui a
permis aux députés de priver « tranquillement la moitié du genre humain
du droit de concourir à la formation des lois ». Êtres humains, les
femmes naissent avec les mêmes droits naturels que les hommes : les leur
dénier en société c’est « violer le principe de l’égalité des droits », et par-
là même détruire les droits de tous, qui ne peuvent qu’être réciproques.
« Or, les droits des hommes résultent uniquement de ce qu’ils sont des êtres sensibles,
susceptibles d’acquérir des idées morales, et de raisonner sur ces idées. Ainsi les femmes
ayant ces mêmes qualités ont nécessairement des droits égaux. Ou aucun individu de l’espèce
humaine n’a de véritables droits, ou tous ont les mêmes ; et celui qui vote contre le droit d’un
autre, quels que soient sa religion, sa couleur ou son sexe, a dès lors abjuré les siens. »
« Est-il permis de garder le silence quand, après avoir décrété les droits de l’homme, on a
entendu ceux qui ont concouru à cette œuvre, dire, avec ostentation, que les droits des
femmes n’y étaient pas compris ; que les femmes n’étaient rien, et ne pouvaient être autre
chose que les bêtes de somme de l’humanité ? […] Il ne s’agit pas d’alléger les maux, il s’agit
de restituer des biens ; ce n’est pas la pitié qu’elles demandent, c’est un droit qu’elles ont à
réclamer, un droit inhérent à leur être » écrit une femme, indignée de voir son sexe « privé de
ses droits naturels », languir dans un état de servitude12.
Préambule
Les mères, les filles, les sœurs, représentantes de la nation, demandent d’être constituées en
assemblée nationale. Considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de la
femme, sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernemens,
ont résolu d’exposer dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et
sacrés de la femme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres
du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs, afin que les actes du
pouvoir des femmes et ceux du pouvoir des hommes, pouvant être à chaque instant
comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés, afin que les
réclamations des citoyennes, fondées désormais sur des principes simples et incontestables,
tournent toujours au maintien de la constitution, des bonnes mœurs, et au bonheur de tous.
En conséquence, le sexe supérieur en beauté comme en courage, dans les souffrances
maternelles, reconnaît et déclare, en présence et sous les auspices de l’Être suprême, les
Droits suivans de la Femme et de la Citoyenne :
I. La Femme naît libre et demeure égale à l’homme en droits. Les distinctions sociales ne
peuvent être fondées que sur l’utilité commune.
II. Le but de toute association politique est la conservation des droits naturels et
imprescriptibles de la Femme et de l’Homme : ces droits sont la liberté, la propriété, la
sûreté, et surtout la résistance à l’oppression.
III. Le principe de toute souveraineté réside essentiellement dans la Nation, qui n’est que la
réunion de la Femme et de l’Homme : nul corps, nul individu, ne peut exercer l’autorité qui
n’en émane expressément.
IV. La liberté et la justice consistent à rendre tout ce qui appartient à autrui ; ainsi l’exercice
des droits naturels de la femme n’a de bornes que la tyrannie perpétuelle que l’homme lui
oppose ; ces bornes doivent être réformées par les loix de la nature et de la raison. […]
VI. La loi doit être l’expression de la volonté générale ; toutes les Citoyennes et Citoyens
doivent concourir personnellement, ou par leurs représentans, à sa formation ; elle doit être
la même pour tous : toutes les citoyennes et tous les citoyens, étant égaux à ses yeux,
doivent être également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leurs
capacités, & sans autres distinctions que celles de leurs vertus et de leurs talens. […]
X. Nul ne doit être inquiété pour ses opinions même fondamentales, la femme a le droit de
monter sur l’échafaud ; elle doit avoir également celui de monter à la Tribune ; pourvu que
ses manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la Loi.
XI. La libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux
de la femme, puisque cette liberté assure la légitimité des pères envers les enfans. Toute
citoyenne peut donc dire librement, je suis la mère d’un enfant qui vous appartient, sans
qu’un préjugé barbare la force à dissimuler la vérité ; sauf à répondre à l’abus de cette
liberté dans les cas déterminés par la Loi. […]
XIII. Pour l’entretien de la force publique, & pour les dépenses d’administration, les
contributions de la femme et de l’homme sont égales ; elle a part à toutes les corvées, à
toutes les tâches pénibles ; elle doit donc avoir de même part à la distribution des places,
des emplois, des charges, des dignités et de l’industrie. […]
XV. La masse des femmes, coalisée pour la contribution à celle des hommes, a le droit de
demander compte, à tout agent public, de son administration.
XVI. Toute société, dans laquelle la garantie des droits n’est pas assurée, ni la séparation
des pouvoirs déterminée, n’a point de constitution ; la constitution est nulle, si la majorité
des individus qui composent la Nation, n’a pas coopéré à sa rédaction. […]
Postambule
Femme, réveille-toi ; le tocsin de la raison se fait entendre dans tout l’univers ; reconnois
tes droits. […] L’homme esclave a multiplié ses forces, a eu besoin de recourir aux tiennes
pour briser ses fers. Devenu libre, il est devenu injuste envers sa compagne. O femmes !
Femmes, quand cesserez-vous d’être aveugles ? […] Craignez-vous que nos Législateurs
Français […] ne vous répètent : femmes, qu’y a-t-il de commun entre vous et nous ? Tout,
auriez-vous à répondre. […] Quelles que soient les barrières que l’on vous oppose, il est en
votre pouvoir de les affranchir ; vous n’avez qu’à le vouloir. […]
« Citoyens Législateurs, vous avez donné aux hommes une Constitution, ils jouissent
maintenant de tous les droits des hommes libres, mais les femmes sont bien loin d’être à cette
hauteur. Elles ne sont point comptées dans le système politique. Nous vous demandons des
assemblées primaires, et comme la Constitution repose sur les Droits de l’Homme, nous en
réclamons aujourd’hui l’entier exercice15. »
Le refus
Les adversaires de l’égalité ne peuvent évidemment pas se placer sur le
même terrain sans renier ouvertement leurs propres idéaux d’universalité.
Ils ne disent pas que les femmes n’ont pas de droits, mais que, en dépit de
principes « inapplicables à cette question » (Talleyrand), elles n’ont pas
capacité à les exercer. Certains assurent que, si les femmes sont bien
membres du Souverain, elles sont, comme les enfants, représentées par le
chef de famille (Marat en 1789). Mais c’est surtout par la différence des
sexes que le refus est justifié. Alors que les auteurs féministes insistent
sur la commune humanité des hommes et des femmes, leurs adversaires
brandissent les arguments développés avant la Révolution sur la nature
des femmes, leur éducation, leur place dans la sphère publique ou
littéraire. Représentatif de l’opinion majoritaire, Amar a en octobre 1793
quasi les mêmes mots pour légitimer l’exclusion que Talleyrand en 1791,
des mots repris à Rousseau ou Roussel.
L’homme, assure Amar, « est fort, robuste, né avec une grande énergie,
de l’audace et du courage », « presque exclusivement destiné à […] tout
ce qui exige de la force, de l’intelligence, de la capacité, […] seul propre
aux méditations profondes et sérieuses. » À l’inverse, les femmes sont
caractérisées par la faiblesse, physique, morale et intellectuelle : en
général « peu capables de méditations hautes et de conceptions
sérieuses », dénuées de connaissances étendues, de dévouement illimité,
d’impassibilité et d’abnégation, elles n’ont pas « la force morale et
physique qu’exige l’exercice » des droits politiques. En répartissant ainsi
les qualités entre les deux sexes, la nature les a appelés à des fonctions
différentes, dont découle l’ordre social :
« Les fonctions privées auxquelles sont destinées les femmes par la nature même tiennent à
l’ordre général de la société ; cet ordre social résulte de la différence qu’il y a entre l’homme
et la femme. Chaque sexe est appelé à un genre d’occupation qui lui est propre ; son action
est circonscrite dans ce cercle qu’il ne peut franchir car la nature, qui a posé ces limites à
l’homme, commande impérieusement et ne reçoit aucune loi. »
La douceur, la modestie, la retenue féminines sont incompatibles avec
la chaleur des discussions politiques : les mœurs interdisent à une femme
d’affronter les hommes en public, « et sans les mœurs point de
République ». Elle ne doit donc « pas sortir de sa famille pour s’immiscer
dans les affaires du gouvernement ». À ces arguments largement
développés, Amar en ajoute un autre, politique : « Les femmes, dont
l’éducation morale est presque nulle, sont moins éclairées dans les
principes […] (et) plus exposées à l’erreur et à la séduction. » Enfin, leur
exaltation naturelle « serait funeste dans les affaires publiques ». Amar ne
rejette pourtant pas complètement les femmes de la cité, où elles sont
incluses par leurs fonctions familiales : il est bon qu’elles suivent en
spectatrices les délibérations des assemblées pour pouvoir instruire leurs
enfants « dans le culte politique de la liberté » ; elles peuvent parler
politique dans « des discussions familières et paisibles » avec leur mari,
qui « rapportera dans la société les idées utiles » émises par sa femme.
On le voit, rien de bien nouveau. Amar est l’écho d’une opinion
moyenne, mais d’autres vont plus loin. Et affirment crûment qu’il serait
humiliant de voir les femmes à égalité avec eux. Ou que la bonne
citoyenne est celle qui reste hors cité et s’occupe exclusivement de sa
famille : alors que le bon citoyen doit se préoccuper de la res publica
(chose publique), celle qui prétend faire de même est, disent certains
révolutionnaires, une femme-homme qui « sort des bornes de son sexe »,
« confond les sexes avec indécence ». Les femmes révolutionnaires,
tonne Chaumette à la Commune de Paris sont des femmes-hommes qui
« sans vergogne, endossent la tunique virile et font le dégoûtant échange
des charmes que leur donna la nature contre une pipe et une culotte ».
Cette peur de la confusion des sexes se conjugue avec celle de la femme
destructrice. « Monstres » féminins, Catherine de Médicis, Marie-
Antoinette, Charlotte Corday (ou Théroigne de Méricourt pour les
royalistes) sont souvent évoquées pour illustrer désordres et désastres
provoqués par l’intrusion des femmes en politique. Vieille connaissance,
la femme agent de Satan réapparaît sous les traits de la femme agent de la
Contre-Révolution, porteuse d’une « pomme de discorde » : les clubs de
femmes, disent certains, sont soutenus par les aristocrates de façon à
fomenter une guerre des sexes, rompre l’unité de la République,
désorganiser la société et mener tout droit à l’anarchie et à l’échec de la
Révolution.
« Il est passé ce temps où la femme avilie, dégradée par ce culte faux et frivole qu’on lui
rendait, et avec lequel on prétendait l’honorer n’était tout au plus regardée que comme un être
du second ordre, uniquement destinée à donner quelques couronnes de fleurs à son mari, à
faire l’ornement de la société comme les roses font celui de nos jardins. Ah ! citoyens,
oseriez-vous prétendre au nom de républicains, si vous pensiez encore que la beauté est la
première qualité d’une femme, qu’elle est parfaite si elle joint à cet avantage celui de charmer
vos oreilles par la mélodie de sa voix, ou de vous ravir d’admiration, lorsqu’elle exécute avec
grâce, au son d’une musique efféminée, quelques pas élégants qu’elle a étudiés ? Non, non,
citoyens, laissons aux cours des despotes et aux villes corrompues […] cette fausse manière
d’apprécier la moitié du genre humain. […] Voyons avec mépris, ou plutôt avec compassion,
ces femmes frivoles, ces êtres éphémères qui ne savent et ne veulent que briller.[…] Plus
d’idées frivoles pour nous ; indifférentes désormais sur la couleur d’un ruban, sur la finesse
d’une gaze, sur la forme ou le prix de nos boucles d’oreilles, nos vertus seront toute notre
parure et nos enfants nos bijoux. »
Conclusion
La société du Directoire balaye ces aspirations. Dans des robes
transparentes et largement décolletées, les femmes brillent de tous leurs
bijoux : rubis et émeraudes scintillent sur la poitrine découverte ou les
doigts de pied des Merveilleuses. Notre-Dame de Thermidor
(Mme Tallien), Joséphine de Beauharnais et actrices en vue animent les
fêtes et les bals où s’étourdit une jeunesse dorée qui ne songe qu’à
s’amuser et dépenser, à oublier la Terreur et la mort qui l’a frôlée. Elles
savent aussi animer la réaction, comme en témoigne le surnom de
Mme Tallien. Les salons, les cercles intellectuels retrouvent une nouvelle
vigueur : on discute morale et politique, on réfléchit sur la Révolution et
la société future chez Mme Récamier, Sophie de Condorcet ou Germaine
de Staël, dont les écrits sont remarqués.
Et toutes celles que nous avons rencontrées dans les tribunes des clubs,
la rue, les cabarets, que deviennent-elles ? Pauline Léon a épousé
l’Enragé Leclerc, Claire Lacombe est remontée sur les planches et
l’historien perd leurs traces. L’insurrection de Prairial an III représente à
la fois l’apogée d’un mouvement féminin révolutionnaire de masse et la
fin de l’intervention des femmes – et des hommes – du peuple dans la
Révolution. « Les hommes regardent, les femmes se taisent », « respect
des hommes, silence des femmes », « elles sont devenues muettes sur les
événements politiques », « se contentent de verser des larmes sans
murmurer », notent les policiers dans les jours qui suivent, rappelant la
prégnance des voix féminines avant et pendant l’insurrection. Tous leurs
efforts sont désormais tendus vers la survie, dans un contexte de misère
populaire et de disette. La prostitution se généralise. La crise s’atténuant,
les femmes du peuple ne renouent pas avec la vie politique : ses formes
ont changé et ne leur permettent plus guère d’y participer. Certes, on
entend encore des blanchisseuses assurer : « Nous sommes souverains »,
mais les assemblées ou les clubs néo-jacobins n’ont plus de tribunes
ouvertes au public. Certes, des femmes distribuent journaux et pamphlets
babouvistes, mais elles sont considérées comme des « agents
subalternes » de la Conspiration de Babeuf.
Pourtant, le retour à l’ordre n’est pas le retour au même ordre. Des
femmes ont donné vie au mot citoyenne. En s’exprimant dans la sphère
publique, en formant des clubs, en participant aux événements, bref en
pénétrant dans l’espace politique ouvert par la Révolution, où on ne les
attendait pas et que plusieurs voulaient leur interdire. En faisant acte de
citoyennes et, pour quelques-unes, en demandant la citoyenneté. Que
faire des femmes, que faire des sœurs dans une société qui se rêvait
formée de frères égaux (L. Hunt) ? En déclarant en 1789 le principe
théorique de l’égalité des droits, les révolutionnaires ne songeaient guère
à elles – ni d’ailleurs aux hommes pauvres, non instruits, « de couleur ».
Mais la question de l’égalité politique a bien été posée et liée à l’idée
démocratique. Au sortir de la Révolution, l’appellation citoyenne sent la
canaille et dans la bonne société sert pour les domestiques ; il est banni
des actes officiels en 1800. Mais dans les dictionnaires, le citoyen,
habitant d’une cité ou membre du Peuple Souverain, se décline désormais
aussi au féminin.
Conclusion générale
Introduction
1 F. Cosandey, dans Le Genre face aux mutations (2003).
Chapitre 1
1 Delumeau 1978 ; Muchembled 2000.
2 E. Nicholson, « “Victoire aux femmes”. L’anarchie morale dans les farces conjugales :
femmes d’esprit et maris ridicules », in Viennot Wilson-Chevalier 1999.
3 Davis 1979 (« La chevauchée des femmes »).
4 Cité dans Berriot-Salvadore 1990 : 32.
5 D. Haase-Dubosc, « Les femmes, le droit et la jurisprudence dans la première moitié du
e
XVII siècle », in Viennot Wilson-Chevalier 1999.
6 Ou même d’un titre, qui reviendra ensuite à son mari, car la succession en ligne directe
l’emporte sur la collatérale « quel que soit le sexe de l’héritier » : Steinberg 2012 et Nassiet
2000.
7 Farge et Foucault 1982.
Chapitre 2
1 L’année commençant alors à Pâques : 1556 selon le calendrier de l’époque.
2 F. Roudaut, « Ayaouic : sexe et violence à Carhaix en 1676 », Église, Éducation, Lumières…
Histoires culturelles de la France. En l’honneur de J. Queniart, Rennes, 1999.
3 Cf. en particulier : Lebrun 1975 ; Flandrin 1975,1976.
4 Ordonnance de Blois de mai 1579, ordonnance de janvier 1629, déclaration de novembre
1639, édit de mars 1687.
5 Cités dans Farge, Foucault 1982.
6 Cf. notamment les portraits des « grandes dames de la Réforme », dans Berriot-Salvodore
1990 : 119-156.
7 A.N., F7 4654 d. Cotte.
8 Lottin 1975 : 156.
9 Queniard 1993 : 140.
10 Flandrin 1976 : 161.
11 Cité par Dulong 1984 : 73.
12 E. Berriot-Salvadore 1990 : 140 sq.
13 Ibid.
14 Solé 2000. Sur cette question cf. Flandrin 1976.
15 Cité dans Fouquet, Knibielher 1980. De cette affirmation, fondée sur des conceptions
erronées mais courantes, les médecins tirent deux conclusions importantes socialement : les
pères ne devraient pas forcer les filles à se marier contre leur gré ; on ne doit pas croire les filles
assurant que leur grossesse illégitime est le fruit d’un viol (Berriot-Salvadore 1993).
16 Flandrin 1976.
17 Beaumont-Maillet 1984.
18 Cité par D. Nolde, « Violence et pouvoir dans le mariage. Le rapport conjugal à travers les
procès pour meurtre de conjoint devant le Parlement de Paris, 1580-1620 », in Viennot Wilson-
Chevalier 1999.
19 A.P.P., A 248. Cf. Godineau 1988 : 44 et Farge 1979.
20 Godineau 1988 et Lottin 1975.
21 Rousset, Traité nouveau de l’hysterotomotokie, 1581, cité par Berriot-Salvadore 1991.
22 Farge 1986 : 66-68, 1994 : 47-63.
23 A.N., F15 3603.
24 24 % à Carhaix en 1603 ; 19 % en 1680 pour les villes du bailliage de Dijon et 30 % à Dijon
en 1750 ; 22 % en 1735 et 18,6 % en 1789 à Grenoble ; 19 % à Châtellerault en 1788, etc.
25 Godineau 1988 : 55-63.
26 17,6 % à Dijon en 1750, 12,7 % et 12,8 % à Châtellerault et Amboise en 1788, 16,5 % à
Mettray au nord de Tours en 1764, mais seulement 5 % dans le bailliage de Semur-en-Auxois en
1789.
Chapitre 3
1 Cf. par exemple J. Collins 2015.
2 Cf. chapitre 7.
3 J.B. Collins et B. Maillard pensent même que le veuf aurait plus de difficulté à survivre que la
veuve
4 Sheridan, 2009.
5 Ibid. et Delsalle, 2007.
6 AN, F30 130, Froment. La blonde était une dentelle de soie très appréciée au XVIIIe siècle.
7 Cf. en particulier les travaux de E. Berriot-Salvador (1990), J.B. Collins, N. Davis (1980),
A. Farge (1986), D. Godineau (1988), D. Hafter, S. Juratic, N. Pellegrin (1994). Sur
l’historiographie américaine, Cf. C. Crowston (1998).
8 J. Papon, Recueil d’arrests notables des cours souveraines, Lyon, 1568, in Berriot-Salvadore
1990 : 211.
9 Corporations féminines : lingères en neuf, lingères en vieux, bonnetières, couturières.
Corporations mixtes : filassiers, rubanières-dentelières-frangères, plumassiers-chasubliers,
grainetiers, épinglières-boutonniers.
10 Corporations féminines : couturières, lingères, bouquetières, filassières, sages-femmes (et
marchandes de modes à partir de 1776). Corporations mixtes : grainetiers et peintres (Saint-
Luc).
11 Darnton 1985 ; Farge 1986.
12 Parent-Charon 1999 ; Simonin 1999 ; Davis 1980.
13 A.N., F7 4774 d. Lottin.
14 C’est le cas en 1786-1788 de 85 % des Lyonnaises d’adoption qui font un contrat de mariage
(M. Garden), ou, d’après S. Juratic, de 67 % des épouses, 70 % des veuves et 87 % des filles
entrées à l’Hôtel-Dieu parisien en 1791 (respectivement 74 %, 87 % et 90 % dans la tranche
d’âge 25-44 ans). Les archives judiciaires rennaises donnent des pourcentages proches.
L’absence de telles études sur les siècles antérieurs ne permet malheureusement pas de saisir le
phénomène dans la continuité.
15 Bien que la main-d’œuvre féminine soit très importante dans ces métiers (les 2/3 des 6 000
ouvriers en éventails parisiens sont en 1789 des femmes), les maîtres sont très majoritairement
des hommes.
16 À la fin de la période, elles représentent 80 % de la domesticité parisienne ou lyonnaise.
17 Roche 1981.
18 A.N., W547, F7 477545 (Godineau 1988). Cf. ch. 9.
19 Davis 1980.
20 Benabou l981.
21 Cité par Duhet 1971.
22 Godineau 1988. Guicheteau 2007.
23 A.N., F74735, Guérin.
24 A.N., F15 3581 Godineau 1988.
25 Claude Haton, Mémoires (1553-1582), éd. F. Bourquelet, Paris, 1875, II, 611-612.
26 A.D. Ille-et-Vilaine, C 1287.
27 Cf. en particulier les travaux de R. Muchembled.
28 N. Castan, « Criminelle », in Duby Perrot 1991.
29 A. Farge, in Dauphin Farge 1997.
30 Haase-Dubosc 1999.
31 L’esentiel de l’information provient de Vigarello 1998.
32 Solé 2000. Les victimes semblent être socialement vulnérables, traitées de ribaudes par les
assaillants qui présentent leur acte comme une sorte de punition sans gravité.
Chapitre 4
1 Les analyses et citations suivantes sont empruntées à cet auteur (Cosandey 2000).
2 Du nom d’une loi des anciens Francs saliens, exhumée au XIVe après avoir été oubliée, et qui,
sans aucune allusion à l’exclusion des femmes du pouvoir (droit public), leur interdisait
simplement d’hériter d’une terre salienne (droit privé).
3 Cosandey 2000 : 190.
4 Jouanna 1998 : 772. Crouzet 2005, Wanegfellen 2005.
5 Catherine Marie de Lorraine (1552-1596), fille d’Anne d’Este et de François de Guise, veuve
de Louis de Bourbon, duc de Montpensier.
6 Anne d’Este (1532-1607), fille de Renée de France et du duc de Ferrare, veuve de François II
de Lorraine, duc de Guise, puis de Jacques de Savoie, duc de Nemours.
7 Catherine de Clèves (1548-1633), fille de Marguerite de Bourbon et de François de Clèves duc
de Nevers, veuve de Antoine de Croy puis de Henri de Lorraine, duc de Guise. Sur elles :
Viennot 1991.
8 Marie de Luxembourg (1562-1625), « la belle Nantaise », héritière du duché de Penthièvre,
femme de Philippe-Emmanuel de Lorraine, duc de Mercœur, frère de la reine Louise et
gouverneur de Bretagne depuis 1582.
9 Anne-Geneviève de Bourbon-Condé (1619-1679) : princesse du sang, fille de Charlotte-
Marguerite de Montmorency et de Henri II de Bourbon prince de Condé, femme d’Henri
d’Orléans, pair de France et duc de Longueville, gouverneur de Normandie.
10 Viennot 1991, 1997 ; Steinberg 2001.
11 De Vernon, L’Amazone chrétienne, 1678.
12 Steinberg 2001 : 219.
13 La Gallerie des Femmes fortes, 1647 (in Steinberg 2001).
14 Berriot-Salvadore 1990 : 530-534.
Chapitre 5
1 Le moyen de parvenir à la congnoissance de Dieu, Lyon, 1557 (Davis 1979).
2 F. de Raemond, L’histoire de la naissance, progrez et decadence de l’hérésie de ce siècle,
1605, (Davis 1979).
3 M. Dentière, Défense pour les femmes in Epistre tres utile faicte et composée par une femme
Chrestienne de Tornay, Envoyée à la Royne de Navarre seur du Roy de France…, Anvers
(Genève), 1539.
4 Récit de La Baume, conseiller au présidial de Nîmes et contemporain des faits, cité par Joutard
1976.
5 P. Rolland, Dictionnaire des Camisards, Montpellier, 1994.
6 À la différence des vœux simples prononcés par les tertiaires qui ne sont pas cloîtrées, les
vœux solennels sont définitifs et ont pour conséquence sociale la mort civile, signifiée en
particulier par le renoncement à l’héritage familial en échange d’une dot substantielle versée au
couvent.
7 Brejon de Lavergnée, 2011.
8 Cités par Timmermans 1993 : 402-403.
9 Croix Quéniart 1997 : 207.
10 Guilloré, Les Secrets de la vie spirituelle qui en découvrent les illusions, 1673 (Timmermans
1993 : 557).
11 Cité par Timmermans 1993 : 671. Les autres citations sont également empruntées à cet
ouvrage.
12 Convertie vers 1658, elle décide de faire pénitence à la mort de son mari (1663), s’impose
des humiliations de la chair et de l’esprit, et fait construire un château près de Port-Royal,
qu’elle protège jusqu’à sa mort en 1679.
13 Zacharie de Lisieux, Relation du pays de Jansénie, 1660.
14 7 saintes : Jeanne de Chantal (canonisée en 1767), Germaine Cousin (1867), Marguerite-
Marie Alacoque (1920), Louise de Marillac (1934), Jeanne de Lestonnac (1949), Marguerite
Bourgeoys (1982), Jeanne Delanoue (1982). 4 bienheureuses : Mme Acarie (1791), Alix Le
Clerc (1947), Catherine Tekakwitha (1980), Marie Guyart de l’Incarnation veuve Martin (1980).
15 Artois, Flandre, Hainaut et Franche-Comté espagnoles ; duchés indépendants de Montbéliard
et de Lorraine.
Chapitre 6
1 Règlemens […] pour l’instruction des pauvres filles de la paroisse Saint-Roch, Paris, 1688
(Sonnet 1992 : 112).
2 Maison de la Providence d’Auxerre, 1678, cité par Julia 1976.
3 Regulæ des ursulines d’Avignon, v. 1623, cité par Sarre 1997.
4 Crowston 2005.
5 La romancière Hélisenne de Crenne à propos de Marguerite de Navarre.
6 « Lettre de Gargantua à son fils », Horribles et épouvantables faits et prouesses du très
renommé Pantagruel, Lyon, 1532.
7 Berriot-Salvadore 1990 : 361-368.
8 Timmermans 1993 : 97. L’essentiel de cette partie s’appuie sur ce remarquable travail, auxquel
sont empruntées les citations.
9 N. Faret, L’honneste homme ou l’art de plaire à la Cour, 1630.
10 G. Gilbert, Panégyrique des dames, Paris, 1650.
11 Morvan de Bellegarde, Modèles de conversations pour les personnes polies, 1697.
12 Vaugelas, Remarques sur la langue française, 1647.
13 J. Goulu, Lettres de Phylarque à Ariste, 1627. Somaize, Dictionnaire des Précieuses, 1660 ;
Villiers, Entretien sur les tragédies, 1675.
14 Abbé de Pure, La Précieuse ou le mystère des ruelles, 1656-1658. Somaize, Les Véritables
précieuses, 1660.
15 Qui répondra à la Carte de Tendre par une Carte du Pays de Braquerie, qui fait des femmes
des places fortes à conquérir par la force.
16 Maître 1999 : 331. Quelques femmes sont cependant élues à titre honorifique par d’autres
académies, étrangères (les célèbres Ricovrati de Padoue) ou provinciales (Mme Deshoulières à
Arles en 1689).
17 La Fine Philosophie accommodée à l’intelligence des dames (Bary, 1660), L’Éloquence du
temps enseignée à une dame de qualité (Leven de Templery, 1699), Les Questions d’une
princesse (Pontier, 1685) et autres nombreuses Lettres à une dame sont des ouvrages de
vulgarisation s’adressant en fait à l’ensemble du public mondain.
18 Ou un peu plus tard par Lesclache (1635-1669) qui veut mettre la philosophie traditionnelle à
la « portée des dames », par Richesource qui assure (1655-1667) des cours de littérature,
histoire, poésie.
19 Des causes et de la corruption du goût, 1715. Fille de l’érudit professeur Lefèvre, mariée
d’abord avec un imprimeur puis avec un élève de son père, la bourgeoise Anne Dacier (1654-
1720) est proche du modèle dépassé de la docte fille de l’humaniste, et défend d’ailleurs avec
force les Anciens contre les Modernes.
20 Artamène ou le grand Cyrus, 1649-1653.
21 Louis Le Caron, Claire ou de la prudence du droit, 1554. Claude de Taillemont, Discours des
champs…, 1553.
22 P. Du Bosc, L’Honnête femme, 1632-1636 ; La Femme héroïque, 1645. Grenaille, L’Honnête
Fille, 1639-1640 ; La Bibliothèque des dames, 1640 ; L’Honnête mariage, 1640. F. Dinet,
Théâtre françois des seigneurs et dames illustres, 1642. P. Le Moyne, La Gallerie des femmes
fortes, 1647.
23 Poullain s’élève contre les médecins voyant en la femme un homme physiquement imparfait,
ou assurant qu’elle participe moins que ce dernier à la reproduction (ch. 1) : cette affirmation,
écrit-il, ne se fonde sur aucune observation.
24 Magné 1964.
25 Plus près de nous, S. de Beauvoir s’en est fortement inspirée dans Le Deuxième Sexe.
Chapitre 7
1 Dans Les Bijoux indiscrets (1748), c’est littéralement par leur sexe que Diderot fait parler les
femmes.
2 Plusieurs sont publiés et analysés dans Farge 1982.
3 Farge 1986.
4 Tableau de Paris, ch. 812, 856, 869, 964, 751, 577, 32, 830, 719.
5 Dans les Lettres persanes (1721), la révolte de Roxane incarne la lutte pour la liberté
6 Tableau de Paris, ch. 745.
7 Tableau de Paris, ch. 869, 107, 830, 745. C. Pieau, Les Modes vestimentaires selon
L.S. Mercier, Maîtrise, Université Rennes 2, 1999.
8 G. Vigarello, Le Propre et le sale. L’hygiène du corps depuis le Moyen-Âge, Paris, 1985.
9 Rapports de police cités dans Farge 1992.
10 Maire 1998. Sauf mention particulière, analyses et exemples sont empruntés à cet ouvrage.
11 M. Cottret, Jansénismes et Lumières, Paris, 1998.
Chapitre 8
1 A.N.,W 115.
2 Becchi Julia 1999 : 50.
3 10 % à Nantes, Lyon ou Grenoble, 12,5 % à Lille, 17 % à Bordeaux, 18 % à Rennes (dans 4
paroisses regroupant 70 % de la population), 20 % à Perpignan, 25 % à Toulouse.
4 Citée dans Godineau 1988.
5 Lilti 2005.
6 Boucher, Portrait de Mme de Pompadour. Fragonard, Jeune fille lisant. Chardin, Les
Amusements de la vie privée. Grimoux, La Liseuse, etc. Cf. R. Chartier, « Les pratiques de
l’écrit », in Histoire de la vie privée, t. 3.
7 Farge 1986.
8 2 % en 1784 et 4 % en 1820 d’après C. Hesse ; 3 % selon les calculs de R. Darnton à partir de
la France littéraire (1755-1784) et des rapports de l’inspecteur d’Hémery sur les écrivains de
carrière (1748-1751).
9 Ces positions extrémistes et provocatrices seront développées en 1801 par S. Maréchal dans
son Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes (Fraisse 1989).
10 Marie-Thérèse Reboul (admise en 1757 comme peintre de miniatures), Anne-Dorothée
Leicenska (1767, peintre de genre), Anne Vallayer-Coster (1770, peintre de genre), Suzanne
Giroust-Roslin, (1770, peintre de pastels), Adélaïde Labille-Guiard (1783, peintre de portraits),
Élisabeth Vigée-Lebrun (1783, peintre de portraits). Sur elles : Bonnet 2002.
11 Roche 1989 ; Pellegrin 1989.
Chapitre 9
1 Cahier des doléances et réclamations des femmes, par Mme B***B***, Pays de Caux.
2 Le journal rédigé par Louise de Kéralio et son mari Robert ne s’adresse pas particulièrement
aux femmes.
3 Hesse 2001, Letzer et Adelson 2001 : cf. ch. 8.
4 A.N., F7* 2476 et F7* 2509. Sauf mention, les citations sont extraites de Godineau 1988.
5 M. Lagrée, J. Roche, Tombes de mémoire. La dévotion populaire aux victimes de la Révolution
dans l’Ouest, Rennes, 1993.
6 K.F. Reinhardt, Le néologiste français ou vocabulaire portatif des mots les plus nouveaux de
la langue française, Paris, 1796.
7 Farge 1986.
8 Godineau 1988. Steinberg 2001.
9 Les hommes exclus du suffrage peuvent être soldats mais non gardes nationaux.
10 A.N., C 278 d. 739. Godineau 1988.
11 1re Lettre sur la paix régicide, 1796, cité par E.G. Sliedziewski, « Le tournant », in Duby
Perrot 1991, t. IV.
12 Mme de Cambis, Du sort actuel des femmes, 1791.
13 Godineau 1988b.
14 Les Autorités constituées du Département de Paris, & les Commissaires des Sections, Aux
Républicaines Révolutionnaires, Paris, 1793. Discours prononcé à la Société des Citoyennes
Républicaines Révolutionnaires…, Paris, 1793.
15 Une Parisienne anonyme citée dans Godineau 1988 : 144.
16 Rapports de police des 21 et 22 septembre, A.N., F7 3688(3) : Godineau 1988.
17 Godineau, in Dauphin-Farge 2001.
Conclusion générale
1 S. Maréchal, Projet de loi portant défense d’apprendre à lire aux femmes, 1801 (Fraisse :
1989).
Bibliographie
Textes
M. ALBISTUR et D. ARMOGATHE (éd.), Le Grief des femmes, Paris, 1978,
t. 1.
E. BADINTER (éd.), A.L. Thomas, Diderot, Mme d’Épinay. Qu’est-ce
qu’une femme ?, Paris, 1989.
—, Paroles d’hommes (1790-1793), Paris, 1989.
P. DE BRANTÔME, Les Dames galantes, [vers 1580-vers 1600], Paris,
1996.
S. CHASSAGNE (éd.), Une Femme d’affaires au XVIIIe siècle. La
correspondance de Mme de Maraise, collaboratrice d’Oberkampf,
Toulouse, 1981.
Mme DE CHASTENAY, Mémoires, Paris, 1986.
F. COLLIN, E. PISIER, E. VARIKAS (éd.), Les Femmes de Platon à
Derrida, anthologie critique, Paris, 2000.
P.-M. DUHET (éd.), 1789. Cahiers de doléances des femmes, Paris,
1981, 1989.
Mme DE LA GUETTE, Mémoires, (éd. M. CUÉNIN), Paris, 1982.
Mme D’EPINAY, Les Contre-Confessions. Histoire de Mme de
Montbrillant, Paris, 1989.
A. EVAIN, P GETHNER, H. GOLDWYN (éd.), Théâtre de femmes de
l’Ancien Régime, 3 vol., Saint-Étienne, 2006-2011.
A. FARGE (éd.), Le Miroir des femmes, Paris, 1982.
Les Femmes dans la Révolution, Paris, 1982.
Mme DE FERRIÈRES, Mémoires de la Marquise de Ferrières, éd.
H. Mathurin, Bonnes, 1998.
G. FRAISSE (éd.), Opinions de femmes de la veille au lendemain de la
Révolution, Paris, 1989.
Journal d’une bourgeoise pendant la Révolution, (Mme JULLIEN, éd.
E. LOCKROY), Paris, 1881.
Lettres bougrement patriotiques de la Mère Duchêne, éd. O. ELYADA,
Paris, 1989.
Marguerite de Valois, Mémoires et autres écrits (1574-1614), éd.
E. VIENNOT, Paris, 1999.
J.-L. MÉNÉTRA, Journal de ma vie, éd. D. ROCHE, Paris, 1982, 1998.
L.S. MERCIER, Tableau de Paris, 1781-1788 ; éd. J.-C. Bonnet, Paris,
1994.
N. PELLEGRIN (éd.), Écrits féministes, de Christine de Pizan à Simone
de Beauvoir. Une anthologie, Paris, 2010.
F. POULLAIN DE LA BARRE, De l’égalité des sexes, 1673 ; Paris, 1984.
—, De l’éducation des Dames, 1674 ; éd. B. MAGNÉ, Toulouse, 1982.
M.-J. ROLAND, Mémoires, éd. P. DE ROUX Paris, 1966
R. TROUSSON (éd.), Romans de femmes du XVIIIe siècle, Paris, 1996.
I. ZINGUER (éd.), Misères et grandeur de la femme au XVIe siècle,
Genève-Paris, 1982.
Les éditions Mercure de France rééditent (coll. de poche « Le temps
retrouvé ») de nombreux Mémoires, Journaux, Lettres, que nous
n’avons pu tous signaler.
Religion
V. ALEMANY, M. et B. COTTRET (dir.), Saintes ou sorcières ? L’héroïsme
chrétien au féminin, Paris, 2006.
M. BERNOS, Femmes et gens d’Église dans la France classique, XVIIe-
XVIII siècle, Paris, 2003.
e
Instruction. Culture
J.-C. ARNOULD et S. STEINBERG (dir.), Les Femmes et l’écriture de
l’histoire, 1400-1800, Rouen, 2008.
M.-J. BONNET, « Femmes peintres à leur travail : de l’autoportrait
comme manifeste politique », RHMC, 49-3, 2002.
I. BROUARD-AREND (éd.), Lectrices d’Ancien Régime, Rennes, 2003.
—, « Qui peut définir la femme de lettres ? », in R. MARCHAL (éd.), Vie
des salons et activités littéraires de Marguerite de Valois à
Mme de Staël, Nancy, 2001.
— et M.-E. PLAGNOL-DIÉVAL (dir.), Femmes éducatrices au siècle des
Lumières, Rennes, 2007.
R. CHARTIER, « Les pratiques de l’écrit », in Ph. ARIÈS, G. DUBY,
Histoire de la vie privée, t. 3, 1986.
R. CHARTIER, M.-M. COMPÈRE, D. JULIA, L’Éducation en France du XVIIe
au XVIIIe siècle, Paris, 1976.
B. CRAVERI, Mme du Deffand et son monde, 1982, Paris, 1987.
—, L’Âge de la conversation, Paris, 2002.
A. CROIX et J. QUÉNIART, Histoire culturelle de la France, t. 2 De la
Renaissance à l’aube des Lumières, Paris, 1997.
O. FIDIÈRE, Les Femmes artistes à l’Académie royale de peinture et de
sculpture, Paris, 1885.
F. FURET et J. OZOUF, Lire et écrire. L’alphabétisation des Français de
Calvin à Jules Ferry, Paris, 1977.
N. R. GELBART, Feminine and Opposition Journalism in Old Regime
France : Le Journal des Dames, Berkeley, 1987.
—, « Les femmes journalistes et la presse », in G. DUBY, M. PERROT
(dir.), Histoire…, t. 3.
D. GOODMAN, The Republic of Letters. A Cultural History of the
French Enlightenment, Ithaca-Londres, 1994.
—, Becoming a Woman in the Age of Letters, Ithaca, 2009.
C. GOLDSTEIN, « Genre des mathématiques, genre des textes au
XVII siècle », in Le Genre face aux mutations, 2003.
e
Révolution
Annales historiques de la Révolution française, no 344 « La prise de
parole des femmes » (dir. C. FAURÉ), no 2006-2.
H. B. APPLEWHITE et D. G. LEVY (éd.), Women and Politics in the Age
of the Democratic Revolution, Ann Arbor, 1990.
Ch. BIET et I. THÉRY (dir.), La Famille, la loi, l’État de la Révolution au
Code civil, Paris, 1989.
O. BLANC, Marie-Olympe de Gouges : une humaniste à la fin du
XVIII siècle, 1981, Belaye, 2003.
e
M.-F. BRIVES (dir.), Les Femmes et la Révolution française, Toulouse,
1989-1990, 3 vol.
M. COSTARD, Le Divorce en Ille-et-Vilaine sous la Révolution et
l’Empire, Maîtrise, Rennes 2, 2000.
S. DESAN, The Family on Trial in Revolutionary France, Berkley,
2004.
D. DESSERTINE, Divorcer à Lyon sous la Révolution et l’Empire, Lyon,
1981.
P.-M. DUHET, Les Femmes et la Révolution, 1789-1794, Paris, 1971.
A. DUPRAT, Marie-Antoinette, une reine brisée, Paris, 2008.
G. FRAISSE, Muse de la Raison. Aix-en-Provence, 1989, Paris, 1995.
M. GARAUD et R. SZRAMKIEWICZ, La Révolution française et la famille,
Poitiers, 1978.
D. GODINEAU, Citoyennes Tricoteuses. Les femmes du peuple à Paris
pendant la Révolution, 1988, Paris, 2004.
—, « Autour du mot citoyenne », Mots no 16, 1988.
—, « Citoyennes révolutionnaires et Filles de la Liberté », in G. DUBY,
M. PERROT (dir.), Histoire…, t. 4, 1991.
—, « Le vote des femmes pendant la Révolution française », in
E. VIENNOT, La démocratie…, 1996.
—, « Citoyennes, boutefeux et furies de guillotine », in C. DAUPHIN et
A. FARGE, De la violence…, 1997.
—, « Beauté, respect et vertu : la séduction est-elle républicaine ?
(1770-1794) », in C. DAUPHIN et A. FARGE, Séduction…, 2001.
—, « Visages féminins de la Terreur », in M. BIARD et H. LEUWERS
(dir.), Visages de la Terreur, L’exception politique de l’an II, Paris,
2014.
— et alii, « Femmes, Genre, Révolution : regards croisés », AHRF,
2009-4.
R. GRAHAM, “The married nuns before Cardinal Caprara”, in
B. Plongeron (dir.), Pratiques religieuses dans l’Europe
révolutionnaire, Turnhout, 1998.
J. GUILHAUMOU et M. LAPIED, « L’action politique des femmes pendant
la Révolution française », in C. Fauré, Encyclopédie…
J. HEUER, The Family and The Nation. Gender and Citizenship in
Revolutionary France, 1789-1830, Cornell, 2005.
O. HUFTON, Women and the Limits of Citizenship in the French
Revolution, Toronto, 1992.
L. HUNT (dir.), Eroticism and the Body Politic, Baltimore, 1991 (“ The
Many Bodies of Marie-Antoinette : Political Pornography and the
Problem of the Feminine in the French Revolution ”).
—, Le Roman familial de la Révolution française, Berkeley, 1992,
Paris, 1995.
Y. KRUMENACKER (dir.), Religieux et religieuses pendant la Révolution,
1770-1820, Lyon, 1995.
J. B. LANDES, Women and the Public Sphere in the Age of the French
Revolution, Ithaca, 1988.
C. MARAND-FOUQUET, La Femme au temps de la Révolution, Paris,
1989.
J.-Cl. MARTIN, « Femmes et guerre civile, l’exemple de la Vendée,
1793-1796 », Clio, no 5, 1997.
—, La Révolte brisée. Femmes dans la Révolution française et
l’Empire, Paris, 2008.
G. MAZEAU, Le Bain de l’histoire. Charlotte Corday et l’attentat contre
Marat (1793-2009), Seyssel, 2009.
G. MURPHY, Les Religieuses dans la Révolution française, Paris, 2005.
N. PELLEGRIN, Les Vêtements de la Liberté, Aix-en-Provence, 1989.
D. OUTRAM, The Body and the French Revolution ; sex, class and
political culture, New Haven, 1989.
M. OZOUF, Les Mots des femmes, Paris, 1995.
J. REVEL, « Marie-Antoinette », in F. FURET et M. OZOUF, Dictionnaire
critique de la Révolution française. Acteurs, Paris, 1992.
F. RONSIN, Le contrat sentimental. Débats sur le mariage, l’amour, le
divorce de l’Ancien Régime à la Restauration, Paris, 1990.
E. ROUDINESCO, Théroigne de Méricourt, Paris, 1992.
E. G. SLIEDZIEWSKI, « Le tournant », in G. DUBY, M. PERROT (dir.),
Histoire…, t. 4.
C. THOMAS, La Reine scélérate : Marie-Antoinette dans les pamphlets,
Paris, 1989.
A. VERJUS, Le Cens de la famille, Les femmes et le vote, 1789-1848,
Paris, 2002.
—, Le Bon mari. Une histoire politique des hommes et des femmes à
l’époque révolutionnaire, Paris, 2010.
N. VRAY, Les Femmes dans la tourmente, Rennes, 1989.
Index
Acarie, Barbe 1, 2, 3, 4, 5
Alembert, Jean Le Rond d’ 1, 2, 3, 4, 5, 6
Amar, Jean-Baptiste André 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Anne d’Autriche 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Anne de Bretagne 1, 2, 3
Arbois (marquise d’) 1
Argens, Jean-Baptiste Boyer d’ 1
Arnauld, Agnès 1
Arnauld, Antoine 1, 2, 3, 4
Arnauld d’Andilly, Angélique de Saint-Jean 1, 2, 3
Arnauld, Jacqueline (Mère Angélique) 1, 2, 3
Aubigné, Agrippa d’ 1, 2, 3, 4
Auchy, Mme d’ 1, 2
Audiguier du Mazet, Henry d’ 1
Bar, Catherine de 1
Barré, Nicolas 1, 2, 3
Beauharnais, Joséphine de 1
Beaumarchais, Pierre Caron de 1, 2
Becaudelle, Marie 1, 2, 3
Benedicti, Jean 1, 2, 3, 4, 5
Bernardin de Saint-Pierre, Jacques Henri 1
Bertin, Rose 1
Bérulle, Pierre de 1
Billon, François de 1, 2
Bodin, Jean 1, 2, 3, 4
Bonbonnoux 1
Bonneveaux, Mme de 1
Bordereau, Renée 1
Bossuet, Jacques-Bénigne 1, 2
Bostaquet, Isaac Dumont de 1
Boucher, François 1, 2
Boulogne (sœurs) 1
Bourgeoys, Marguerite (sainte) 1
Bourges, Clémence de 1
Brabançon, Marie de 1
Brantôme 1, 2, 3, 4
Brassac, Mme de 1
Buffon 1, 2, 3
Bussy-Rabutin, Roger de 1, 2, 3
Candeille, Julie 1
Castiglione, Baldassare 1, 2
Catherine de Bourbon 1
Catherine de Médicis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Ceseli, Constance de 1
Chardin, Jean-Baptiste 1
Charles IX 1, 2, 3
Charpentier, Marie 1
Charrière, Mme de 1
Chastenay, Victorine de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Châtelet, Émilie du 1, 2, 3
Châtillon, duchesse de 1, 2
Chéron, Jean 1
Chéron, Sophie 1
Chevreuse, Mme de 1, 2, 3, 4
Christine de Pisan 1
Claude de France 1, 2, 3
Coignard, Gabrielle de 1
Coligny (famille) 1, 2, 3, 4
Colombe, Anne Félicité 1
Condé (famille) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Condorcet, Nicolas de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Condorcet, Sophie de 1
Coquault, Oudard 1
Corday, Charlotte 1, 2, 3
Court, Antoine 1
Crenne, Hélisenne de 1, 2
Crespin, Jean 1, 2, 3, 4, 5
Dacier, Anne 1
Deffand, Mme du 1, 2
Delanoue, Jeanne, sainte 1
Démia, Charles 1, 2
Dentière, Marie 1, 2
Descartes, René 1, 2, 3, 4
Deshoulières, Mme 1
Diane de France 1
Diane de Poitiers 1
Diderot, Denis 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12
Didot, Firmin 1
Dorat, Jean 1
Du Barry, Mme 1
Du Bellay, Joachim 1
Du Bosc, Jacques 1
Duchemin, Catherine 1
Ducoudray, Mme 1
Dunoyer, Mme 1
Elliot, Jean 1, 2, 3, 4
Épinay, Louise d’ 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9
Érasme, Didier 1, 2, 3
Estienne, Nicole 1
Estrées, Gabrielle d’ 1, 2
Evrard, Constance 1
Fénelon 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11
Ferrières, Mme de 1, 2, 3, 4, 5
Fleury (abbé) 1
Flore, Jeanne 1, 2
Fontenelle 1, 2
François de Sales (saint) 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
François Ier 1
Genlis, Félicité de 1, 2
Geoffrin, Mme 1
Gouges, Olympe de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Gournay, Marie de 1, 2, 3
Gouyon, Charles 1
Graffigny, Françoise de 1, 2, 3, 4
Grenaille, François de 1
Grétry, Lucile 1
Greuze, Jean-Baptiste 1, 2
Grignan, Mme de 1
Grimm, Melchior 1, 2
Grosley, Pierre 1, 2
Grouchy, Sophie de 1
Guillet, Pernette du 1
Guise (famille de) 1, 2, 3, 4
Guyart Marie (de l’Incarnation), Veuve Martin 1
Guyomar, Pierre 1, 2
Guyon, Mme 1
Habert, Suzanne 1
Helvétius 1, 2, 3, 4, 5, 6
Henri II 1
Henri III 1
Henri IV 1
Holbach, baron d’ 1, 2, 3
Institoris, Henri 1, 2
Jansénius 1
Jeanne d’Albret 1, 2, 3, 4
Jeanne Frémyot, baronne de Chantal, sainte 1
Kéralio, Louise de 1, 2, 3, 4
Labé, Louise 1, 2, 3, 4
Labille-Guiard, Adélaide 1, 2, 3
La Borderie, Bertrand de 1
Laclos, Pierre Choderlos de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Lacombe, Claire 1, 2, 3, 4
Lafayette, Mme de 1, 2, 3, 4, 5, 6
La Guette, Mme de 1
Lambert, Mme de 1, 2, 3
La Mésangère, Mme de 1
Lanjuinais, Jean Denis 1
La Sablière, Mme de 1
La Trémoïlle (époux) 1
Lavoisier (époux) 1, 2
Le Caron, Louis 1
Le Clerc, Alix 1, 2, 3
Le Moyne, Pierre 1
Léon, Pauline 1, 2, 3, 4, 5, 6
Le Pelletier de Saint-Fargeau, Michel 1
Le Riche, Marguerite 1, 2, 3, 4, 5, 6
Lespinasse, Julie de 1
L’Estoile, Pierre de 1, 2, 3, 4
Lestonnac 1
Liébault, Olympe 1
Locke, John 1, 2, 3, 4, 5
Loges, Mmes des 1, 2
Longueville, duchesse de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13
Louis XII 1
Louis XIII 1
Louis XIV 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15, 16, 17, 18, 19
Louis XV 1
Louis XVI 1
Loynes, Antoinette de 1, 2
Nassau, Charlotte de 1
Necker, Mme
Nemours, duchesse de 1
Nettesheim, Henri Cornelius Agrippa de 1, 2
R
Rabelais, François 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Rambouillet, Mme de 1, 2, 3, 4, 5, 6
Randon de Malboissière, Geneviève 1, 2
Raynal, Guillaume-Thomas 1
Récamier, Juliette 1
Renaudot, Théophraste 1
Renée de France, duchesse de Ferrare 1, 2
Restif de la Bretonne, Nicolas 1
Retz, maréchale de 1
Riccoboni, Marie-Jeanne 1, 2
Robespierre, Maximilien 1, 2, 3, 4, 5
Roches, Mmes des 1, 2, 3, 4
Roland, Marie-Jeanne Phlipon, Mme 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12,
13
Romieu, Marie de 1
Romme, Gilbert 1, 2
Ronsard, Pierre de 1, 2
Rousseau, Jean-Jacques 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10, 11, 12, 13, 14, 15,
16, 17, 18, 19, 20, 21, 22, 23, 24, 25, 26, 27, 28, 29
Rousseau, Marie 1, 2
Roussel, Pierre 1
Sablé, marquise de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7
Saint-Balmont, Mme de 1, 2
Sainte-Beuve, Mme de 1, 2
Saint-Pierre (abbé de) 1
Sault, Chrétienne de 1, 2
Savoie, Louise de 1
Schurman, Anne-Marie de 1
Scudéry, Madeleine de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8, 9, 10
Serres, Olivier de 1, 2
Sévigné, Mme de 1, 2, 3, 4, 5, 6, 7, 8
Sieyès (abbé) 1, 2
Simon, Louis 1
Somaize, Antoine de 1
Sprenger, Jacques 1, 2
Staël, Germaine de 1, 2, 3
Stresor, Anne 1
Suchon, Gabrielle 1, 2
Talleyrand 1, 2, 3
Tallien, Mme 1
Tencin, Mme de 1
Théodon, Mme 1
Théot, Catherine 1
Théroigne de Méricourt, Anne Josèphe Terwagne, dite 1, 2, 3, 4, 5
Thomas, Antoine Léonard 1, 2
Tiraqueau 1
Tournon, Claudine de 1
Tromel, Marion (du Faouët) 1
Vallayer-Coster, Anne 1
Vaslet, Raymond 1
Vaugelas, Claude Favre de 1
Vigée-Lebrun, Élisabeth 1, 2
Vignot, Catherine, dite la Charbonnière 1
Villedieu, Marie-Catherine 1, 2
Villeroy, Mme de 1
Vincent de Paul (saint) 1, 2, 3, 4
Vincent, Isabeau 1
Vins, marquise de 1
Vivès, Jean Louis 1, 2, 3
Volland, Sophie 1
Voltaire 1, 2, 3, 4, 5, 6
Ward, Mary 1, 2
Williaume, Marie-Françoise 1
Wollstonecraft, Mary 1
Table des matières
Introduction
PREMIÈRE PARTIE
IMAGES DE « LA FEMME » E
T VIE QUOTIDIENNE DES FEMMES
Notes
Bibliographie
Index