Les stratégies
Le délicat passage
au digital du
petit commerce
Le gouvernement et les grandes plates-formes du numérique
multiplient les annonces incitant à la numérisation
des petits commerçants, contraints de fermer un mois
durant le reconfinement. Dans les faits, le processus
s’avère cependant coûteux en temps et en argent.
Trois petits commerçants témoignent.
D
epuis l’annonce du
deuxième confine-
ment, fin octobre, le
gouvernement érige
la nécessité de digitaliser les
petits commerces en grande
cause nationale. L’État a même
annoncé à cet effet un plan de
numérisation doté d’une enve-
loppe globale de 120 millions
d’euros. Le programme prévoit
notamment une subvention de
500 € pour toute structure dési-
rant effectuer sa transition
numérique, au travers de la
vente en ligne, le click & collect
ou encore le drive.
L’exécutif, dont l’ambition est
de démarcher 60 000 petites
entreprises d’ici à la fin de l’an-
née 2020, souhaite d’ailleurs
entrer dans une logique de la-
bellisation des prestataires
œuvrant à la numérisation, dont
N° 2630 | 3 décembre 2020
Google. Au lendemain du re-
confinement, l’ensemble des
grandes plates-formes du numé-
rique ont aussi multiplié les
annonces pour vanter leurs
solutions aidant les petits com-
merces à se mettre à la vente
en ligne. Parmi elles, Amazon,
Cdiscount, Rakuten, eBay ou
encore Facebook.
20
motclé
Dans les faits, se mettre à la
vente en ligne n’est pas aussi
simple. Pour les grandes en-
seignes, un processus de digi-
talisation peut prendre plusieurs
mois. Alors que dire pour une
structure bien plus modeste ?
1/3
Une PME sur trois
Un référencement
chronophage
« Cela ne peut pas se faire du jour
disposait d’un site
web en novembre au lendemain. Quand j’ai créé
2020 mon premier site, cela m’a pris
six mois de travail avant de réa-
60  000 liser ma première vente », ex-
plique Nicolas Lemichel, gérant
entreprises
contactées d’ici à de la boutique Les jouets de Léo,
décembre 2020 par dans le Jura. Il s’est mis à la
les services de l’État vente en ligne depuis quatre ans
pour se digitaliser et possède une connaissance
pointue des plates-formes, ayant
120 M € déjà travaillé avec eBay, la Fnac
alloués par l’État et Cdiscount, avec qui il collabore
pour digitaliser les toujours. Lors du deuxième confi-
petites entreprises
nement, il a souscrit à l’offre de
Source : ministère de click & collect de Rakuten qui
l’Économie, des Finances
et de la Relance représente, pour l’heure, 10 %
de ses ventes en ligne.
Son enseigne est devenue omni-
canale, avec 50 % de son chiffre
d’affaires issus de l’e-commerce.
Le commerçant a honoré une
quarantaine de ventes par jour
sur internet en novembre.
motclé
La démarche demeure néan-
moins chronophage, ne serait-ce
qu’en matière de référencement
des produits. « Créer des pages
sur un site web prend un temps
infini. Il faut disposer de l’outil
pour qu’une référence remonte,
intégrer l’image de l’article, sa
description et attribuer la caté-
gorie à la famille de produits »,
souligne le commerçant. D’après
lui, la gestion d’un stock numé-
rique est aussi fastidieuse que
celle d’un commerce physique
et nécessite de mobiliser une
personne à temps plein. Il in-
dique référencer 30 produits en
une heure, quand sa boutique
contient 3 600 références.
Un constat partagé par Isabelle
Nevière, qui a repris une librai-
rie-galerie dans les Alpes-Mari-
times à la mi-juillet. Elle s’est
mise à la vente en ligne en rejoi-
gnant eBay lors du reconfine-
ment : « Je mets quarante-cinq
minutes à décrire chaque produit.
C’est très long. Pour le moment
j’ai 10 articles en vente pour
aucun achat, malgré quelques
consultations », témoigne-t-elle,
estimant avoir besoin de plus
de recul pour juger de la perti-
nence du modèle.
Les stratégies
Les jouets de Léo
La crise anticipée par l’omnicanal
Nicolas Lemichel est rompu avec Rakuten depuis l’annonce du
à l’e-commerce. Le gérant de la deuxième confinement. Il possède
boutique Les jouets de Léo, qui donc un avis éclairé sur la question
emploie trois salariés dans le Jura, de la digitalisation : « Quand j’ai créé
a lancé son activité en ligne depuis mon premier site, cela m’a pris six mois
quatre ans pour un investissement de travail avant de réaliser ma première
total de 6 000 €. D’abord via son vente. » Il estime tirer 50 % de son
portail, puis sur les places de marché chiffre d’affaires de la vente en ligne,
d’eBay, la Fnac et Cdiscount. et honore une quarantaine de
Collaborant toujours avec le site commandes par jour. Une manne
appartenant au groupe Casino, il non négligeable pour compenser
effectue désormais du click & collect la fermeture de son magasin.
Chine et Bouquine
©Creditphoto
Des premiers pas difficiles
Isabelle Nevière aurait pu espérer un lancement
d’activité plus serein. En juillet 2020, cette
Rems Game enseignante reprend Chine et Bouquine, une librairie
anglo-française située à Vence (06). Un démarrage
Des débuts prometteurs forcément chamboulé par l’annonce du deuxième
mais des doutes à lever confinement. Disposant d’un petit peu de trésorerie,
Rémy Lopez gère depuis huit ans elle ne pensait pas dégager de bénéfices dans
Rems Game, une boutique de jeux l’immédiat. La néocommerçante essaie
vidéo de 100 m2, située à Chambly de mettre à profit cette période
pour se lancer dans la vente
(60), comptant 5 000 références en
magasin. Il développe son activité en ligne en ligne depuis novembre.
avec son site web, puis sur la marketplace de
Rakuten depuis six ans sur certaines catégories
(1 000 références de DVD et figurines). Lors du deuxième
En click & collect, via sa page
Facebook, mais aussi sur
eBay. «Pour le moment j’ai
confinement, il a rejoint Cdiscount où il propose 30 à 40 références 10 articles en vente pour
zéro achat, malgré quelques
de jeux vidéo. Il y réalise 25 % de CA. « Pour le moment, le bilan
est positif mais il subsiste des interrogations sur la teneur des consultations » témoigne-t-
elle, estimant avoir besoin
commissions », explique-t-il en regrettant aussi un décalage
de plus de recul.
d’une vingtaine de jours des paiements, compliquant la trésorerie.
Si elle est coûteuse en temps, par mois et par plate-forme. abonnement mensuel et les com-
la numérisation d’un petit com- Autant dire que l’aide indivi- missions doivent être divisées
merce l’est aussi en argent. duelle promise de 500 € apparaît par deux. Ils déduisent tout de
D’après Nicolas Lemichel, son bien dérisoire. Sans compter les même 20 %, ça fait un petit peu
investissement se chiffre à coûts cachés, comme les com- peur », confesse-t-il. Le com-
6 000 € en quatre ans. À com- missions allant de 16 à 20 % merçant pointe aussi un délai
mencer par la création d’un site, suivant les plates-formes. de vingt à trente jours pour le
N° 2630 | 3 décembre 2020
nécessaire pour intégrer les paiement de la vente effectuée
grandes plates-formes : « Un Prélèvements complexes en ligne. Il s’estime malgré tout
webmaster va coûter 2 000 €. Rémy Lopez, qui gère une bou- satisfait du dispositif : « Nous
Ensuite, un module sur une mar- tique de jeux vidéo dans l’Oise, avons réalisé 4 000 € de ventes
ketplace coûte de 50 à 300 € », a rejoint, début novembre, le sur les dix premiers jours. Cela
explique-t-il, indiquant que le dispositif d’urgence mis en place n’apportera jamais la recette
plus onéreux reste celui d’Ama- par Cdiscount. Il trouve encore d’un magasin, mais c’est déjà
zon. À cela, il faut ajouter un ésotériques les mécanismes de bien de générer 10 à 20 %. » De
abonnement mensuel d’une prélèvement : « Théoriquement, quoi freiner temporairement
quarantaine d’euros hors taxe on n’est pas censé payer un l’hémorragie. ❘❙❚ Mickaël Deneux
21