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MONDES DU TOURISME SUR LE PORTAIL SCIENTIFIQUE REVUES.ORG
26 CAMILLE CHOWAH
34 FRÉDÉRIC DELAIVE
44 BÉATRICE CABEDOCE
50 SUSAN BARTON
56 PHILIPPE VALETTE
64 ET DOMINIQUE ANDRIEU
80 IRENE J. KLAVER
86 INÈS MÉLIANI
MARTA BENAGES-ALBERT,
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SOMMAIRE
PAGE 15
DOSSIER
USAGES RÉCRÉATIFS
DES ESPACES FLUVIAUX
Des enjeux à l’échelle
des métropoles
Les enjeux actuels de la conquête des espaces fluviaux sont
complexes et multiples (patrimoniaux, identitaires, écologiques,
sociaux…) et se jouent à l’échelle des métropoles. L’action en
faveur du tourisme permet de fédérer les points de vue et de
donner une résonance au foisonnement d’initiatives locales.
Sorbonne).
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MISE EN EXPÉRIENCE DU TERRITOIRE
Feuilleton de
territoires
JÉRÔME FIHEY
© robodread
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JÉRÔME FIHEY
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MISE EN EXPÉRIENCE DU TERRITOIRE
n livre dont les lettres s’effacent ampleur immense avec la multiplication des
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JÉRÔME FIHEY
permettent de jouer avec la frontière entre fic- de territoire, il est indispensable que quelqu’un
tion et réalité puisqu’ils s’adressent simultané- assure ce rôle de show runner. Celui-ci s’as-
ment à un grand nombre, tout en faisant par- sure que le projet réponde aux objectifs sui-
tie du quotidien de chacun via le poste de radio vants : créer l’immersion entre fiction et réa-
ou de télévision et maintenant l’ordinateur ou lité ; provoquer l’engagement des publics ; gérer
le smartphone. une temporalité spécifique ; rayonner au-delà
Le 30 octobre 1938, Orson Welles adapte du territoire.
La Guerre des mondes, de son presque homo- Le show runner propose un voyage narratif
nyme H. G. Wells, en pièce radiophonique. Il à son audience, passagers passifs ou membres
pousse le réalisme tellement loin que beaucoup de l’équipage en fonction du degré de partici-
d’auditeurs paniquent, croyant réellement à pation voulu par chacun. En fonction du type
une invasion extraterrestre sur le sol améri- d’audience (familles, adolescents, seniors, etc.),
cain. Depuis, et grâce aux nouvelles technolo- il imagine plusieurs histoires au sein d’un même
gies, les expériences d’immersion se sont mul- univers transmédia cohérent. Chaque média
tipliées. Et les lecteurs de Tolkien le savent bien, est un véhicule pour l’exploration du territoire
nul besoin de nouvelles technologies pour avoir narratif.
une impression intense d’immersion dans un Le spectateur se déplace dans l’espace puis-
monde narratif dense comme celui de la Terre qu’il “marche” son histoire sur un territoire
du Milieu ! donné, mais il peut aussi voyager dans le temps
EXPLORATION IMMERSIVE. Alors comment pour découvrir, via les outils à sa disposition
créer l’inverse : faire pénétrer l’univers narratif (parcours géolocalisés sur mobile, réalité aug-
dans le quotidien ou la réalité du spectateur et mentée, son spatialisé, etc.), ce territoire à dif-
ainsi brouiller la frontière entre fiction et réa- férentes époques.
lité ? Dans ce type de projet, le territoire (com- Ce voyage peut être un événement grand
mune, lieu patrimonial ou muséal, parc d’at- public très fédérateur, mais peut aussi aboutir
tractions, etc.) devient, on l’a dit, un média à à des œuvres pérennes. Il peut être populaire,
part entière. On travaille donc à partir de son participatif et ainsi redonner de la valeur aux
“audience” habituelle (habitants, touristes, territoires. Cette valeur n’est pas seulement
visiteurs), plus ou moins importante, et de son quantifiable en nombre de visiteurs ou en
audience potentielle via une expérience sur retombées économiques. Elle englobe aussi la
mesure et une campagne de communication fierté, l’attractivité, l’image, ou encore la qua-
adaptée. Ce qui importe, c’est la promesse lité de vie.
d’une exploration inédite et immersive d’un PREMIER ÉPISODE. Dans une série télévisée, le
territoire réel ou imaginaire. On n’oppose pas premier épisode pilote doit séduire les specta-
le réel et l’imaginaire, mais on les fait se ren- teurs pour leur donner envie de voir la suite :
contrer autour d’un même projet, s’enrichir poser les bases de l’univers narratif, présenter
l’un l’autre. Et peu importe alors de quoi ce les personnages, susciter le mystère, etc.
voyage est fait : aventure, conte pour enfants, Contes de l’Estuaire. En 2013, pour le projet
fantastique, policier, documentaire, science-fic- Contes de l’Estuaire, nous avons commencé
tion, anticipation, espionnage, historique, etc. en présentant deux personnages au public :
Les séries télévisées reposent sur le travail Emily-Jane Salvat, incarnée par une des média-
d’une équipe très large menée par le show run- trices du projet et dotée d’un compte Twitter,
ner (celui qui dirige un show), qui assure la et Guillaume Flahaut, vieil écrivain inventé
coordination de la production, pilote l’équipe avec la complicité des éditions l’Atalante à
des scénariste et réalisateurs, s’occupe de la Nantes (la biographie et la bibliographie de cet
direction artistique… bref, est le garant de l’in- écrivain de fiction sont encore sur le site de la
tégrité du projet. Dans le cadre d’une fiction maison d’édition). Début septembre, alors que
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MISE EN EXPÉRIENCE DU TERRITOIRE
son nouveau livre est présenté en avant-pre- d’une croisière sur l’Erdre), une fiction mobile
mière à Nantes, l’écrivain disparaît mystérieu- géolocalisée et, enfin, une soirée de clôture pré-
sement tandis que les premiers lecteurs décou- sentant le conte au cinéma et la lecture “per-
vrent avec stupeur que les pages de son livre formée”. À part les contenus disponibles sur
s’effacent. La “performance” est relayée sur le net, tout le reste était accessible gratuitement,
les réseaux sociaux et par la presse locale. mais sur réservation.
Murmures du marais. En mai 2016, le Centre Le public s’est approprié le projet de façon
international de la mer (sis à la Corderie royale différente. Certains ont picoré le projet, entendu
à Rochefort) nous demande d’imaginer une his- un ou deux contes seulement (les histoires
toire permettant de mettre en valeur les carac- étaient indépendantes les unes des autres) et
téristiques patrimoniales propres à l’estuaire de ignoraient même parfois le projet global.
la Charente. Le public découvre alors des fouilles D’autres ont participé à toutes les présenta-
archéologiques inédites et une première zone tions de contes pendant le week-end, mais n’ont
de forage sonore, mise en place à la suite du pas forcément appréhendé l’histoire de
recueil de plusieurs témoignages d’anciens qui Guillaume Flahaut et de son livre qui s’efface.
parlent de leurs souvenirs autour de la vase et Enfin, certains ont suivi le projet via les réseaux
des marais. L’un d’eux, Ambroise Dumas, sociaux et la presse pendant toute sa durée,
raconte qu’enfant il parlait au “peuple de la soit presque deux mois.
vase”. On se rend compte que la vase, hermé- Il faut donc penser la circulation des publics
tique, a emprisonné, au fil des ans, des bulles dans la narration afin de permettre à tous de
de sons, comme autant de témoignages de l’his- vivre une expérience entière et satisfaisante :
toire de la Charente. Le pilote des Murmures ceux qui arrivent au début, au milieu ou à la fin,
du marais prend la forme d’une installation ceux qui ont peu de temps à y consacrer, ceux
théâtrale lors d’un grand événement local. qui sont accros… Personne ne doit être laissé
Le Botaniste. En 2016 toujours, le 15 juin, de côté. La clé est la médiation : un résumé
un groupe d’enfants nantais, en visite dans une doit être disponible en permanence sur le net ou
serre tropicale, découvre un document caché via une brochure, et surtout une médiation
dans un vieux pot. Le document, daté de 1840, active et intelligente doit être mise en œuvre
parle de botanique et est signé d’un certain sur le terrain.
Alcide Lachance. L’événement est relayé sur Comme pour les séries télévisées, un feuille-
les réseaux sociaux ; il l’ouvre l’aventure du ton de territoire peut également être pensé en
Botaniste. saisons. Un même univers narratif est ainsi
TEMPORALITÉ. Chaque histoire a sa propre exploré sur plusieurs années. Des touristes reve-
temporalité, adaptée aux publics ciblés, et mêle nant trois années de suite dans la même région
différents niveaux de narration et donc d’im- pourraient ainsi retrouver les mêmes person-
mersion. L’histoire peut se vivre sur une seule nages, des rebondissements dans une énigme…
journée, les épisodes étant par exemple maté- C’est l’objectif que nous poursuivons avec
rialisés par différents lieux dans une ville. Elle Murmures du marais. Ce projet va s’ancrer
peut aussi se déployer sur une semaine, voire petit à petit dans le territoire, de manière
sur un ou deux mois. presque empirique, et prendre différentes
Pour les Contes de l’Estuaire, le cœur du pro- formes. De nouveaux événements présenteront
jet s’est déroulé de façon événementielle sur des zones de forage sonore dans d’autres lieux,
trois jours au cours desquels sept contes fan- créant petit à petit un parcours complet.
tastiques ont été présentés dans sept médias Pour Le Botaniste, l’histoire s’est déployée
différents dans différents lieux de la ville : une en trois phases : une phase de teasing, suivie
web fiction, un film en direct, un roman-photo, sur les réseaux sociaux, qui a démarré avec la
une fiction radio (présentée notamment lors découverte de la lettre d’Alcide Lachance et de
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JÉRÔME FIHEY
différents indices ; une phase d’ateliers créatifs Tous les publics doivent vivre une
pendant une semaine ; une dernière phase sur
une journée pendant laquelle le public a pu expérience entière : ceux qui arrivent
suivre la destinée d’un jardinier parasité par
une étrange plante. au début, au milieu ou à la fin du feuille-
MÉDIATION. L’un des leviers de l’immersion
est que les médiateurs du projet, même s’ils ne ton ; ceux qui ont peu de temps à y
sont pas acteurs, racontent eux aussi l’histoire,
voire jouent des rôles (à l’instar d’Emily-Jane consacrer ; ceux qui sont accros…
Salvat dans les Contes de l’Estuaire). Bref, ils
doivent faire croire à ce qui se passe sous les
yeux des spectateurs. On ne dit pas au public personnes avec lesquels il est en contact, est
à quel moment il entre dans l’histoire et à quel primordial, mais impliquer également toutes
moment il en sort. Ce passage, ce voyage, doit les autres forces vives est très payant ! Ces forces
se faire progressivement. vives, ce sont les partenaires du projet, les col-
Pour le pilote des Murmures du marais, le lectivités, les musées, les commerçants et, bien
Centre international de la mer a choisi de se sûr, les médias. Si l’on s’assure que tout le
greffer à un événement déjà existant, “Cigognes monde raconte la même histoire, alors celle-ci
en fête”, qui, dans la commune de Champagne, s’incarnera vraiment.
accueille tous les ans, sur deux soirs, de Pour Le Botaniste, tout a donc commencé
10 000 à 15 000 visiteurs. Dans tout le village, par la découverte par des enfants d’un docu-
plusieurs formes théâtrales et artistiques sont ment du XIXe siècle, une page de carnet arra-
proposées, souvent des spectacles classiques chée. La semaine suivante, nous avons donné
avec un début et une fin. Dans l’objectif de rendez-vous aux enfants au muséum d’Histoire
brouiller la frontière entre fiction et réalité, naturelle, où le directeur en personne leur a lu
nous avons opté pour une scénographie réa- une longue lettre d’Alcide Lachance, par
liste : la zone de forage sonore était protégée laquelle le botaniste québécois présentait à ses
par de la rubalise, le ruban utilisé par la police confrères nantais un projet de jardin idéal.
pour baliser les scènes de crime. Avant l’entrée L’enquête sur Alcide Lachance a pris corps
dans cette zone, le public pouvait écouter les simultanément à Nantes et à Québec. Il a donc
témoignages audio réalisés (les “vrais” et celui fallu s’entendre pour suivre la même trame nar-
d’Ambroise Dumas). rative et dévoiler au bon moment les différents
Des médiateurs expliquaient la situation et rebondissements de l’intrigue. Par exemple, un
invitaient le public à pénétrer en petits groupes cryptogramme trouvé à Nantes au début de
dans l’installation théâtrale où deux acteurs l’histoire a été déchiffré juste avant la fin de
nourrissaient l’univers narratif avant que le l’aventure à Québec, puis retransmis à Nantes
public n’accède à un arbre d’où pendaient des comme un avertissement. Le partenariat mis
casques permettant enfin d’entendre les “mur- en œuvre était donc international.
mures du marais” : des sons emprisonnés dans Pour les Contes de l’Estuaire, notre écrivain
la vase et ramenés à la surface par une étrange fictif a pris corps via le site des éditions
machine. Même si des centaines de spectateurs l’Atalante et leur librairie, avec la présentation
se sont succédé sur les deux soirs, l’expérience de plusieurs exemplaires du livre. Au total,
était toujours vécue en petites jauges de douze 38 structures ont été partenaires du projet.
personnes, renforçant ainsi l’immersion. Dans les deux cas, ce sont donc des struc-
PARTENARIATS. Pour qu’une histoire tures “respectables” qui ont rendu le projet
“prenne” sur un territoire et que le public réel – il n’y a pas que les enfants qui ont pensé
embarque, le rôle des médiateurs, premières que ce pouvait être vrai…
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MISE EN EXPÉRIENCE DU TERRITOIRE
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ELSA BAUMBERGER
LE RESTAURANT
DE MUSÉE
ABAT SES CARTES
Longtemps négligé, voire totalement oublié,
le restaurant devient un espace de qualité
au sein des nouveaux musées. Esthétique
recherchée (déco design, branchée ou raf-
finée…), carte élaborée par de grands chefs,
la recette est souvent la même et vise à
renforcer l’attractivité du lieu tout en pro-
longeant l’expérience de visite.
ELSA BAUMBERGER
Étudiante en master 2 Gestion des sites et valorisation touristique
(Irest, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne)
< elsa.baumberger@gmail.com >
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RESTAURANTS DE MUSÉE
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ELSA BAUMBERGER
senté et le cadre agréable. Pour être rentable, ou de moyens, d’autres y verront un moyen
car c’est là l’ambition première du restaurant, agréable de profiter de la ville, de la découvrir
il doit être ouvert indépendamment du musée, d’en haut.
à des horaires plus étendus, ou accessible par Il existe d’autres cadres pour le musée que
une porte dérobée qui permet au client d’y le point de vue. On trouve parmi eux la ter-
entrer sans passer par la visite des expositions. rasse, le jardin (musée de la Vie romantique,
Le restaurant du musée est un espace à part musée Rodin, Petit-Palais), ou encore l’espace
entière. patrimonial. C’est le cas du musée Jacquemart-
TABLE AVEC VUE. S’il peut être considéré André où l’on peut déguster, avant, pendant,
comme indépendant – ce qu’il est économi- après (ou même sans) la visite des pâtisseries
quement – le restaurant s’inscrit néanmoins créées par les plus grands pâtissiers parisiens
dans l’institution muséale et, de ce fait, se doit dans l’authentique salle à manger des anciens
de respecter l’esprit du musée, souvent avec propriétaires du lieu. L’entreprise
un cadre au design élaboré. Culturespaces, gestionnaire du musée, propose
Il est nécessaire d’être attractif, de proposer ici une French Experience complète, “entre
une expérience à part entière, complémentaire les Champs-Elysées et les grands magasins”.
de celle de la visite des salles d’exposition. Il C’est ici l’argument touristique qui est mis en
s’agit aussi de permettre au visiteur de pro- avant et, plus que le musée lui-même, le res-
longer sa visite tout en lui donnant un senti- taurant déploie tout son faste pour corres-
ment d’appropriation des lieux. En mangeant, pondre au fantasme (américain ?) de la vie
il se sent davantage chez lui au musée, tout en parisienne.
ayant le sentiment de vivre un moment hors D’autres musées prennent quant à eux le
de l’ordinaire. En proposant un restaurant parti d’un restaurant indépendant, à l’écart
attractif, le musée évite la fuite du public vers des flux de visiteurs. C’est le cas de la Brasserie
les établissements des alentours et concentre des Confluences, du Café Bras au musée
les dépenses dans son enceinte. Soulages ou encore du restaurant Les Ombres
Le restaurant de musée se définit donc en du musée du Quai Branly. Ces espaces à l’écart
premier lieu par un cadre. C’est un aspect for- se veulent des prolongements, voire des com-
tement valorisé dans la communication des pléments esthétiques et culturels de l’institu-
institutions culturelles qui font de la vue l’un de tion elle-même.
leurs meilleurs arguments. Souvent placés au THÉÂTRE DU GOÛT. Le restaurant est un
dernier étage du musée, en fin de parcours, le théâtre, où tout semble vrai mais où tout n’est
restaurant offre une “vue imprenable” sur la que mise en scène. Dans son espace de créa-
ville. C’est le cas du restaurant du musée des tion, le (grand) cuisinier est un créateur qui, à
Instruments de musique, à Bruxelles, ou encore la manière des artistes contemporains, use de
du restaurant Le Georges au Centre Pompidou. techniques traditionnelles pour créer quelque
Regarder la vue est une chose, prendre le temps chose de nouveau, voire invente de nouvelles
de la contempler autour d’un repas ou d’un techniques de création (on pense à la cuisine
café gourmand en est une autre. Le restaurant moléculaire). Bien que son œuvre soit repro-
propose de prolonger l’expérience muséale ductible à l’envi et vouée à la destruction, beau-
dans son acception temporelle : on “prend le coup sont prêts à voir dans ces associations de
temps” de vivre pleinement le musée et, ce fai- saveurs savamment dressées dans une vaisselle
sant, on “consomme”, dans tous les sens du design le travail d’un véritable artiste. On se
terme. Le restaurant se place dans une déplacerait donc autant pour découvrir le lumi-
démarche de découverte ; il propose de prendre neux noir de Soulages que la fraîche cuisine
de la hauteur sur la ville. Si beaucoup admi- aveyronnaise de Michel et Sébastien Bras. La
reront la vue sans consommer, faute de temps cuisine des Bras a d’ailleurs ouvert ses portes
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RESTAURANTS DE MUSÉE
deux mois avant celles du musée, marquant certains établissements pour le service du soir,
ainsi sa prise d’indépendance par rapport aux quand le restaurant se détache pleinement du
espaces d’exposition, dont elle semble être bien musée alors fermé.
plus qu’un “aromate(3)”. Ces prix sont bas si on les compare avec
Prolongement émotionnel de la visite ou ceux des autres restaurants de ces grands chefs.
espace créatif à part entière, le restaurant prend Gérard Passédat, qui propose un menu à par-
dans le musée une place qui dépasse celle d’es- tir de 58 euros dans son restaurant installé sur
paces de repos et de détente. Il n’est plus sim- la terrasse du Mucem, à Marseille, concocte
plement le moyen de rendre la visite plus au Petit Nice, à deux pas de là, des repas oscil-
agréable et de gonfler les recettes annexes, il lant entre 300 et 500 euros. De la même
s’intègre dans les lieux en tant qu’objet attrac- manière, dans son restaurant à Laguiole,
tif au même titre (ou presque) que les collec- Michel Bras dispense son savoir-faire à un prix
tions. Peut-on vraiment dire que l’on a visité allant de 140 à 250 euros, alors qu’au musée
le musée Soulages sans avoir goûté la cuisine Soulages le public peut apprécier son tour de
des Bras dans le décor épuré d’une salle à main pour la modique somme de 32 euros
l’image du peintre ? Au-delà d’un simple pro- pour un menu le midi. Beaucoup de ces res-
longement, l’espace de dégustation prend ici taurants de musée sont distingués dans le guide
des allures de musée : un espace qui se veut Michelin par un Bib Gourmand, désignant une
hors du temps, à même de transporter les “cuisine soignée à prix modérés”. Malgré
esprits dans les sphères supérieures… du goût. tout, le mouvement a ses limites. Et le désir de
DÉMOCRATISATION CULTURELLE. Le musée est Gilles Stassart, chef du restaurant Le
un espace qui se veut démocratique. La Transversal au Mac/Val jusqu’en 2008, de faire
consommation de prestations annexes (le res- du restaurant un service du musée à part
taurant du musée, les achats à la boutique, à la entière, au même titre que le service aux publics
librairie) fait partie intégrante de la constitution ou le service communication, l’a mené à sa
de souvenirs pour le visiteur. perte.
La gastronomie, c’est maintenant entendu, ■ ■
est constitutive d’un patrimoine et fait partie Car il ne faut pas s’y tromper, les restaurants
intégrante de la culture française. Quelle est de musée, même quand ils sont dirigés par des
alors la différence entre un château, un musée, chefs renommés, ne sont pas des “grandes
un parc naturel et un restaurant gastrono- tables”, plutôt des restaurants “à thème” à la
mique ? Le prix, bien sûr ! Car la culture gas- déco soignée et à la cuisine créative. Des
tronomique française dans sa plus grande tra- adresses “sympas” pour un public d’abord
dition a un coût élevé, voire prohibitif. Une touristique. ■
culture très select en somme, à laquelle seuls
les plus fortunés peuvent avoir accès. Comment
dès lors musée et restaurant gastronomique (*) Cet article est la synthèse de travaux réalisés dans le cadre
peuvent-ils être conciliables ? d’un mémoire de master 2 Gestion des sites et valorisation
Si l’on exclut les cafés de musée ou les café- touristique (Irest, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne).
térias proposant une nourriture industrielle (1) Théophile THORÉ, “Préface”, Salons de W. Bürger. 1861 à
sans charme à manger sur le pouce, il est inté- 1868, t. I, éd. Renouard, 1870.
ressant de se pencher sur la carte de ces res- (2) Véronique CHARLÉTY, “Réflexions sur la fonction médiatrice
taurants de musée qui se veulent plus chics et du musée”, dans Sylvie THIÉBLEMONT-DOLLET (dir.), Art, médiation
élaborés. À première vue, les prix sont élevés et interculturalité, coll. “Interculturalités”, Presses universitaires
quoique accessibles à qui souhaite s’autoriser de Nancy, 2008.
une petite folie. Les menus oscillent entre 40 et (3) Emmanuelle LAMBERT, “Les médiations gustatives ou l’art de
70 euros, avec une légère augmentation dans la mise en bouche”, Culture et Musées, volume 13, n°1, 2009.
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USAGES
RÉCRÉATIFS
DES ESPACES
FLUVIAUX
Des enjeux à l’échelle
des métropoles
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
© jy cessay
© CDT du Val-de-Marne • Créteil
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n Europe, l’histoire des usages récréatifs de
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Un colloque européen
pour des enjeux métropolitains
Les espaces fluviaux des métropoles européennes
Perspectives de (re)conquête à des fins récréatives
20 MARIA GRAVARI-BARBAS ET SÉBASTIEN JACQUOT
De la conquête populaire
au renouvellement urbain
Les rivières urbaines. Des espaces marqués par l’histoire
des loisirs de masse
34 FRÉDÉRIC DELAIVE
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Enjeux culturels et touristiques
d’une réappropriation civique
Le concept de rivière-sphère au service de la reconquête
de l’espace fluvial, à Amsterdam et ailleurs
80 IRENE J. KLAVER
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Un colloque européen pour des enjeux métropolitains
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MARIA GRAVARI-BARBAS ET SÉBASTIEN JACQUOT
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Un colloque européen pour des enjeux métropolitains
tiques de loisirs métropolitaines dès le milieu du Marne ou de la Seine, les guinguettes et les
XIXe siècle. Ainsi, en 1902, le Touring Club de sports fluviaux n’ont pas résisté aux évolutions
France évoque la banlieue “des oisifs, des chas- qu’a expérimentées la métropole parisienne.
seurs, des châtelains, des villégiateurs, des RECONQUÊTE EN COURS. Aujourd’hui, les
promeneurs, des peintres, des automobilistes, rivières sont marquées par une reconquête qui
des cyclistes, [qui] se prolonge bien plus loin, témoigne de leur nouveau rôle dans les métro-
en descendant le fleuve, en le remontant, et poles contemporaines. Ces modalités de recon-
tout au long de la Marne et de l’Oise, sur les quête prennent diverses directions.
territoires de Seine-et-Oise et de Seine-et- Des activités sportives et récréatives sur l’eau
Marne”. Ces pratiques traduisent aussi une ou au bord de l’eau (le long des anciens che-
dynamique complexe de diffusion, de circula- mins de halage réhabilités, par exemple) se
tion et de différenciation de pratiques récréa- développent ou font leur réapparition : croi-
tives, sportives et ludiques – et par conséquent sière, canotage, aviron, kayak, pêche, prome-
une nouvelle géographie des loisirs métropo- nade à pied ou à vélo. La baignade ressurgit
litains. Comme l’évoque Alain Rustenholz(7), la même, là où la réglementation et la qualité de
Seine, à Argenteuil ou à Asnières, ou la Marne, l’eau le permettent (cf., par exemple, les actions
à Charenton ou à Nogent, concernent des menées dans le Grand Paris par le Laboratoire
classes sociales différenciées et témoignent, des baignades urbaines expérimentales et par
selon les sites, de l’appropriation des rivières le syndicat Marne vive). La création d’activi-
par la bourgeoisie ou de l’accès aux loisirs des tés festives et artistiques permet aussi d’indi-
classes populaires. quer de nouveaux usages (cf. le Festival de
Peintres, écrivains, poètes, photographes et l’Oh!, sur la Seine, ou le Teddington River
réalisateurs de cinéma accompagnent ces Festival, sur la Tamise). La nostalgie pour les
appropriations des rivières par ces différentes périodes de loisirs en bord d’eau se traduit
populations. Ils contribuent à créer de nou- aussi par des réinvestissements mémoriels et
veaux imaginaires qui nourrissent encore patrimoniaux (recréation de certains lieux,
aujourd’hui la nostalgie pour ces loisirs que telles les guinguettes réapparues en bord de
l’on interprète, peut-être trop rapidement, Loire, ou politique de documentation et d’édi-
comme des lieux de sociabilités mélangées, tion).
comme les lieux où aurait été inventé, au Les questions écologiques et patrimoniales
XIXe siècle, un nouvel art de vivre urbain(8). cristallisent la volonté de préserver un paysage
Ainsi, au XIXe siècle, ces dynamiques parti- culturel, mais aussi des ressources naturelles
cipent de l’invention d’espaces et d’usages le en milieu urbain, comme le montre l’intérêt
long des rivières urbaines. Le milieu du XXe siècle renouvelé pour les enjeux liés à la qualité de
constitue ensuite une période de transforma- l’eau ou à la préservation environnementale
tion de ces espaces, du fait de l’extension des berges. Ces espaces sont désormais perçus
urbaine, du déclin des formes de loisirs exis- comme jouant le rôle clé de corridors écolo-
tant le long des rivières, de la normalisation giques. Les voies d’eau traversant les métro-
des usages et, dans certains cas, de l’adapta- poles deviennent des enjeux en matière de pay-
tion des cours d’eau aux usages industriels et sages et de qualité de vie(9).
portuaires. Les mutations des formes de loisirs Ces différentes dimensions font évidemment
et l’étirement des distances contribuent égale- système : le renouveau de certaines pratiques
ment à la disparition de ces paysages ludiques ludiques est conditionné par l’enjeu environ-
en bord d’eau. nemental, à la fois comme condition de pos-
Dans certaines métropoles, les paysages rive- sibilité (lien entre qualité de l’eau et baignade
rains se transforment entièrement et devien- urbaine) et comme limitation, au nom de la
nent intensément urbanisés. Le long de la préservation de certains espaces fragiles.
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MARIA GRAVARI-BARBAS ET SÉBASTIEN JACQUOT
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Un colloque européen pour des enjeux métropolitains
© valoocollection
Bords de Marne
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MARIA GRAVARI-BARBAS ET SÉBASTIEN JACQUOT
L
es textes réunis dans ce dossier ont été présentés au colloque international coorganisé par l’Irest (Institut de recherche
Val-de-Marne (CDT 94), qui s’est tenu à la Sorbonne les 1er et 2 juillet 2016. Ce colloque, dont le titre était “Rivières
et métropoles européennes. Invention, développement et perspectives d’un espace de (re)conquête : tourisme, loisirs,
patrimoine(s)”, prenait appui sur l’expérience locale. En effet, plusieurs dynamiques touchant le Grand Paris laissent penser que
la Seine et ses affluents occupent une place renégociée dans les dynamiques touristiques et culturelles métropolitaines :
– à l’échelle de la métropole parisienne, le contrat de destination “Paris, la ville augmentée(1)”. Dans le cadre de ce contrat, qui vise
à valoriser de nouveaux espaces et usages, la Marne et la Seine apparaissent comme des axes privilégiés d’un tissage territorial
nouveau. Différentes composantes du territoire métropolitain prennent une coloration nouvelle, introduisant dans une destina-
tion à l’image très minérale la question de la nature en ville(2), mais aussi intégrant désormais les banlieues anciennement indus-
trielles à l’horizon touristique, ainsi que les rivières et canaux qui les traversent ;
– au-delà de la région parisienne, le contrat de destination “Impressionnisme”. Signé entre les régions Île-de-France et Normandie,
il s’appuie sur les territoires de la vallée de la Seine sur les bords iconiques du fleuve ;
– encore au-delà, le projet de création d’un itinéraire culturel européen sur le thème des “rivières métropolitaines”. Impulsé par
le CDT 94, il témoigne du rôle structurant que les rivières et leurs bords jouent désormais dans les dynamiques métropolitaines
Les textes réunis ici examinent les aménagements, transformations ou réappropriations des bords de fleuves et rivières, et leurs
liens avec des revendications pour de nouveaux usages des bords d’eau en ville, aussi bien au centre qu’en périphérie.
(1) Ce contrat de destination a été signé en 2015 pour une période de trois ans et regroupe l’OTCP de Paris, les comités départementaux du tourisme des Hauts-
de-Seine, de Seine-Saint-Denis et du Val-de-Marne, la RATP, le Welcome City Lab, Atout France et l’Irest.
(2) La “nature en ville” est l’une des cinq thématiques retenues par les partenaires du contrat de destination “Paris, la ville augmentée”.
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Un colloque européen pour des enjeux métropolitains
CAMILLE CHOWAH
Chargée de mission culture à Val-de-Marne tourisme et loisirs (comité départemental du tourisme du Val-de-Marne)
< cchowah@tourisme-valdemarne.com >
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CAMILLE CHOWAH
lors que le tourisme urbain ren- en 1970, les clubs nautiques sont encore
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Un colloque européen pour des enjeux métropolitains
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CAMILLE CHOWAH
Or, les acteurs du tourisme qui intervien- pratique de sports nautiques ou encore, à
nent au bord des rivières métropolitaines ne terme, retour à la baignade en rivière (elle est
sont pas les mêmes que ceux des centres tou- aujourd’hui interdite dans la plupart des
ristiques. Souvent, le tourisme n’est pas leur grandes villes d’Europe).
activité principale et les touristes ne sont pas Le tourisme durable a aussi pour objectif
leur public ou clientèle principale. Collectivités, de contribuer au développement économique
offices de tourisme, musées, associations ou du territoire. Comme évoqué plus haut, le
entreprises proposant des activités de loisirs développement de la fréquentation touristique
s’adressent avant tout aux habitants. Ce sont le long des rivières métropolitaines pourrait
de petites structures qui n’ont pas toujours les contribuer à la professionnalisation des acteurs
compétences nécessaires à l’accueil de tou- et à l’émergence d’une réelle économie du tou-
ristes et à la promotion de leur offre à une risme, avec création d’emplois à la clé. Si l’offre
autre échelle que locale. d’activités est aujourd’hui proposée essentiel-
Le développement touristique des rivières lement par des acteurs publics ou associatifs,
métropolitaines peut donc prendre appui sur quelques entreprises, conscientes du potentiel
une fréquentation locale ou régionale corres- existant, commencent à s’implanter. Sur les
pondant aux attentes d’un tourisme de proxi- bords de Marne comme ailleurs, les établis-
mité. Il existe néanmoins un potentiel de déve- sements “festifs”, telles les guinguettes, ont
loppement qui permettrait d’attirer un public aussi un potentiel de développement impor-
national voire international. Dans cette tant, qui nécessite d’adapter ce concept tra-
optique, l’accessibilité, l’aménagement et la ditionnel aux attentes d’un nouveau public.
formation des acteurs à l’accueil touristique De même, la saturation des centres touris-
constituent des enjeux essentiels. tiques des métropoles favorise le développe-
TOURISME DURABLE. En traversant les villes, ment d’hébergements et de services en péri-
fleuves et rivières constituent parfois de véri- phérie. Les rivières métropolitaines, en
tables corridors verts dans un environnement proposant un environnement préservé à proxi-
très minéral. Certains espaces ont conservé mité des centres-villes, ont une carte à jouer
un caractère naturel grâce aux aménagements pour l’accueil d’établissements novateurs, des
réalisés sur les rives. Espaces de respiration hébergements sur l’eau par exemple.
dans la ville, ils permettent de pratiquer un Enfin, un tourisme durable doit être déve-
tourisme durable qui s’appuie sur trois piliers : loppé avec les populations locales. Les berges
écologie, économie et social. des rivières ont toujours été des lieux de vie, de
À côté des parcs, les berges des fleuves et pratiques sportives et culturelles, de convi-
rivières constituent des espaces où la nature vialité, avec leurs traditions et un rapport à
a pu garder sa place en ville. Alors que les l’eau et à la nature bien particulier. Le déve-
rives étaient bétonnées et canalisées durant le loppement touristique pourrait donc s’ap-
XX e siècle, la tendance est aujourd’hui à la puyer sur ce “patrimoine humain” et propo-
“renaturation”, qui rend à la faune et à la ser aux visiteurs une expérience authentique
flore une place au bord de l’eau. Des disposi- basée sur des pratiques de loisir, la découverte
tifs de protection de la biodiversité, de res- de savoir-faire et de traditions, mais aussi la
tauration de la qualité de l’eau et de sensibi- rencontre avec les habitants.
lisation des habitants et usagers aux Outre ces trois piliers du tourisme durable,
problématiques environnementales sont le développement du slow tourism apparaît
déployés dans de nombreuses villes. Ils per- aussi comme une chance. Ce nouveau concept
mettent l’émergence ou le développement invite le voyageur à prendre le temps de décou-
d’une offre spécifique qui pourrait séduire les vrir une destination, à apprécier les paysages,
touristes écoresponsables : déplacements doux, en privilégiant notamment des destinations
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Un colloque européen pour des enjeux métropolitains
proches et des moyens de transport moins pol- enfants, chacun peut trouver son bonheur. De
luants. C’est donc un état d’esprit plus qu’une même, cette diversité permet d’atténuer la sai-
façon de voyager. Alors que la visite des capi- sonnalité de l’activité. Si les sports nautiques
tales européennes s’apparente souvent à la sont plutôt pratiqués aux beaux jours, visites
course aux musées, aux monuments et évé- culturelles et découvertes des savoir-faire sont
nements en tous genres, les rivières métropo- possibles toute l’année. Enfin, le tourisme flu-
litaines proposent aux visiteurs de ralentir leur vestre peut aussi se pratiquer de façon itiné-
route en utilisant des moyens de déplacement rante. Que ce soit en bateau, mais aussi à pied,
doux et en s’immergeant, au propre comme à vélo ou en canoë-kayak, il offre de multiples
au figuré, dans une culture marquée par la possibilités aux adeptes de ce mode de voyage.
relation à la nature et à la convivialité. Tourisme de banlieue, tourisme durable,
TOURISME FLUVESTRE. Enfin et surtout, c’est tourisme fluvestre, tourisme itinérant… le
un tourisme “fluvestre” qui pourrait être pro- développement touristique des rivières métro-
posé par les rivières métropolitaines. Le tou- politaines combine de nombreux potentiels
risme fluvestre est la synergie entre le tourisme mais se heurte à de nombreuses contraintes. La
fluvial et le tourisme terrestre pratiqué sur les création d’un réseau européen sur ce sujet
berges. Il comprend donc les promenades en devrait permettre de mutualiser les expériences
bateau, les croisières fluviales, la plaisance, et les solutions, de faire émerger des projets
les activités nautiques et les activités prati- concrets et de communiquer ensemble sur
quées le long de la voie d’eau, comme la ran- cette identité partagée par de nombreux ter-
donnée à pied ou à vélo, la pêche, les visites ritoires en Europe. ■
destinées à la découverte du patrimoine…
Historiquement, la plupart des métropoles
européennes ont vu se développer les usages
récréatifs liés à l’eau. Ces activités étaient
caractérisées par leur dimension populaire et
par la mixité sociale qu’elles permettaient. En
effet, se promener, se baigner étaient des acti-
vités gratuites pratiquées par toutes les caté-
gories de la population. Les bords de rivières
constituaient donc historiquement des lieux
de détente, de convivialité et de rencontre pour
tous. Si la foule de promeneurs qui débarquait
chaque dimanche à la belle saison au début
du XX e siècle a disparu, les berges restent
aujourd’hui des lieux de ressourcement, et de
nouveaux usages s’y développent, comme la
pratique du stand-up paddle ou de la marche
nordique.
Le développement d’un tourisme fluvestre
combine des activités culturelles et patrimo-
niales, sportives, récréatives et festives. Il per-
met de proposer des produits touristiques NOTE
diversifiés afin d’attirer différents types de visi- (1) Nogent, eldorado du dimanche est un court-métrage
teurs. Du jeune sportif écolo aux seniors en documentaire français filmé à Nogent-sur-Marne sur les bords
quête d’un programme tout compris en pas- de Marne. Sorti en 1929, c’est le premier film réalisé par Marcel
sant par les familles accompagnées de jeunes Carné.
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CAMILLE CHOWAH
L
e futur réseau européen Riverside Cities Network, dont le projet est porté par le comité départemental du tourisme du
Val-de-Marne, a vocation à regrouper les territoires souhaitant conquérir ou reconquérir des usages récréatifs au bord
de rivières ou fleuves en milieu urbain. Les partenaires peuvent être des organismes publics, des collectivités territo-
riales, des offices de tourisme, mais aussi des musées, des associations ou des entreprises touristiques avec des préoccupations
fortes de développement local. Pourquoi ce réseau ? Le développement de coopérations européennes peut apporter beaucoup à
chacun. D’abord, se regrouper permet de communiquer sur des valeurs et une identité communes, mais aussi de mettre en évi-
dence les spécificités de chacun. Cette approche plus globale constitue un angle de vision nouveau qui peut permettre de renou-
veler l’intérêt pour le territoire. Pour ce qui est des bords de Marne, un des objectifs du projet est de dépasser l’image “folklo-
rique” des bords de Marne de la Belle Époque avec ses bals dans les guinguettes, ses joyeux canotiers et ses pique-niques arrosés.
Le territoire que le CDT du Val-de-Marne souhaite valoriser aujourd’hui est bien ancré dans la métropole du Grand Paris et sa
modernité. Il se caractérise par une grande mixité sociale et par un foisonnement de projets culturels, artistiques, écologiques,
etc. Ensuite, le réseau pourrait permettre de développer des projets communs. Il peut s’agir d’outils destinés à la formation des pro-
fessionnels, à la commercialisation des activités (plate-forme de vente en ligne), à la valorisation du patrimoine (visioguides ou
réalité augmentée) ou, bien sûr, à la communication. D’autres idées ont déjà émergé, comme la création d’un événement européen,
la collecte de témoignages d’habitants et d’usagers… Une autre dimension importante pour le réseau serait de développer les
échanges d’expériences entre les professionnels des territoires membres (à distance ou via des voyages d’études permettant
aux acteurs locaux de découvrir l’activité et les projets de leurs collègues dans d’autres pays d’Europe et ainsi de développer leurs
compétences…). Le réseau européen Riverside Cities Network est un projet à long terme qui en est pour le moment au stade
de la recherche de partenaires européens. Une de ses ambitions est d’obtenir la certification “Itinéraire culturel du Conseil de
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Un colloque européen pour des enjeux métropolitains
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CAMILLE CHOWAH
L
e projet d’itinéraire culturel européen porté par le CDT du Val-de-Marne a pour thématique la conquête des loisirs au
bord des rivières métropolitaines. Cette thématique, partie des bords de Marne, fait écho dans nombre de territoires euro-
péens. Cet itinéraire est l’un des projets phares du futur réseau Riverside Cities Network.
Lancé en 1987, le programme des Itinéraires culturels européens traduit les idéaux du Conseil de l’Europe en favorisant une
meilleure compréhension de la diversité culturelle de l’Europe et de son histoire. Un itinéraire culturel est un réseau de biens et de
sites développant un projet de coopération culturelle, éducative, patrimoniale et touristique. Il peut avoir différents formats : être
physiquement inscrit comme un itinéraire de randonnée, ou être thématique et fondé sur un personnage célèbre, un concept ou
un phénomène culturel à vocation transnationale. Ce thème est la clé de voûte de l’Itinéraire, il doit rassembler au moins trois
pays européens et être représentatif de l’identité et des valeurs européennes défendues par le Conseil de l’Europe.
Alors que le droit aux loisirs progressait en Europe au début du XXe siècle, c’est au bord des rivières que les populations ouvrières
des capitales européennes ont goûté leurs premiers dimanches chômés ou congés payés. Ce phénomène culturel européen se concré-
tise par l’émergence d’une société de loisirs avec ses codes et ses pratiques. Si ces territoires ne sont plus aujourd’hui des lieux
de villégiature et de vacances du fait du développement des transports et de la hausse du niveau de vie, ils restent attachés à
cette idée d’un accès pour tous aux loisirs et veulent préserver des espaces dédiés à ces usages dans un contexte métropolitain
de plus en plus dense. C’est pour mieux comprendre et évaluer la portée de cette thématique de la conquête des loisirs au bord
des rivières métropolitaines que le comité départemental du tourisme du Val-de-Marne a souhaité organiser avec l’Irest (univer-
sité Paris 1-Panthéon Sorbonne), un colloque international. Celui-ci, dont le thème était “Rivières et métropoles européennes.
Invention, développement et perspectives d’un espace de (re)conquête : tourisme, loisirs, patrimoine(s)” s’est tenu début juillet
2016 à Paris. Cet événement était est en quelque sorte l’acte de naissance de cet itinéraire culturel européen en constitution. ■
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
FRÉDÉRIC DELAIVE
Chercheur, membre associé du CERHIO, université Rennes 2, UMR 6258 du CNRS
< fdelaive@numericable.fr >
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FRÉDÉRIC DELAIVE
usqu’au début du XXe siècle, les ginel qui, parallèlement, subit les évolutions
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
Connu dans toute l’Europe, le Rowing est d’autres perspectives. Ces espaces, qui fonc-
associé, dans la représentation qu’on s’en fait, tionnaient comme des lieux de substitution(5),
à Asnières, car les Parisiens le rejoignaient par sont délaissés à cette époque.
la gare de cette commune. Pourtant, il était Les premiers loisirs de masse se sont déve-
situé à Courbevoie. Cette confusion, qui se loppés le long des rivières suburbaines. Leur
retrouve ailleurs (on pense à Bougival et à essor est lié à l’apparition du canotage : le temps
Croissy au sujet de la Grenouillère, ou à d’un dimanche, les canotiers utilisent un bateau
Nogent au sujet d’Eldorado du dimanche, film pour se promener, mais aussi pour se déplacer
de Marcel Carné en partie tourné à Joinville- d’une guinguette à une autre ou pour aller
le-Pont), est révélatrice d’un des mécanismes déjeuner sur l’herbe. Les cabaretiers devien-
constitutifs des espaces riverains de loisirs : les nent de véritables entrepreneurs pour les nour-
citadins y viennent pour se promener, nager rir, les distraire (avec jeux de plein air, musique
ou naviguer sans se préoccuper des limites et danse) ou les héberger (chambres à louer).
administratives. Ces territoires, dépendants Des bateaux sont à construire, à vendre et à
d’une métropole, sont façonnés par un regard louer. La première ligne ferroviaire construite au
extérieur. Cette perte des repères spatiaux et départ de Paris en 1837 (de Paris à Saint-
ces projections sont aussi l’un des effets de la Germain-en-Laye), puis les autres lignes ren-
promenade en bateau : même si c’est pendant forcent cette industrie. Asnières, Argenteuil,
un court laps de temps, un dépaysement Chatou, Bougival..., Nogent, Joinville, Saint-
s’opère à partir de l’embarquement – on part Maur... deviennent des “stations” de canotage
vers un ailleurs et l’on croit aborder à des qui accueillent des milliers de Parisiens. Ces
rivages inconnus en découvrant une île mas- communes se disputent cette manne en orga-
quée par un méandre. Le retour au ponton nisant, parfois le même jour, des fêtes nautiques.
clôt cette évasion. Le débarquement est un En province, ce processus est identique et, dès
retour à la réalité ; au temps social. la fin du XIXe siècle, des lignes de tramway sont
ILLUSION MARITIME. Autre mécanisme, l’illu- aménagées : celle d’Orléans permet de rejoindre
sion maritime : avant que les Parisiens n’aient les restaurants et locations de barques des bords
les moyens et le temps de rejoindre le littoral du Loiret à Olivet. Il en est de même à Tours
normand (le chemin de fer pour Le Havre pour rallier les établissements des bords du
n’ouvre qu’en 1847), on imagine la mer à Paris Cher à Saint-Avertin ou encore à Rennes pour
et dans ses environs. Ces projections apparais- ceux de la Vilaine à Cesson. Même quand les
sent dès le XVIe siècle avec l’affirmation du pou- biefs n’offrent pas toutes les facilités pour navi-
voir royal. Il est vrai aussi qu’avant la canali- guer, comme sur le Lez à Montpellier, les res-
sation de la Seine par barrages éclusés (les taurants proposent à leur clientèle des tours en
travaux commencent en 1838) ses nombreuses barque. Songeons qu’avant l’apparition de l’au-
îles et l’étiage estival renforcent cette illusion. De tomobile il existe peu de véhicules qui permet-
leur côté, les communes imitent le littoral grâce tent aux couples de se retrouver en tête à tête
à des infrastructures (jetées, cabines de bains...) sans témoin. Ces eldorados fonctionnent à plein
et des régates. Cette “maritimisation” culmine jusqu’à la fin des années 1950 ; ils disparais-
avec l’apparition des plages fluviales, comme sent en moins de dix ans.
celles de L’Isle-Adam, de Médan, de Gournay, PAYSAGE DE BANLIEUE. Dans la région pari-
de Trilport... Ce modèle se décline en province sienne, le paysage constitutif de l’activité rive-
comme à Saint-Quentin sur les bords de la raine de loisirs était déjà altéré par les rejets de
Somme, à Liverdun sur ceux de la Moselle ou Paris. Dès la fin du XIXe siècle, la Seine subit des
encore à Lusignan sur la Vonne. Ces plages ces- pollutions. À Asnières, le charme est brisé par
sent de fonctionner dans les années 1960, un champ d’épandage parisien. À partir de
lorsque l’augmentation du niveau de vie ouvre 1899, le grand collecteur de Clichy déverse les
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FRÉDÉRIC DELAIVE
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
comme le bal Convert ou le casino Tanton, 1998 dans une petite commune des bords de la
ont disparu. Tamise, à 60 kilomètres de Londres, avec le
AMPLEUR DES DESTRUCTIONS. La pression River & Rowing Museum considéré par le
foncière ou la croissance industrielle ne suffi- Times comme l’un des cinquante musées les
sent pas à expliquer l’ampleur des destructions. plus attractifs de la planète(6). Même si, dans
Il faudrait mesurer les effets du passage de la ce cas précis, il faudrait interroger la capacité
villégiature de fin de semaine à la résidence d’effacement du passé ou de création d’une
principale, de la campagne où l’on allait en tradition de part et d’autre de la Manche, l’ab-
week-end à la banlieue d’où l’on part pour le sence en France de structure scientifique pour
travail ou les vacances. Il faudrait analyser les étudier et observer dans toutes leurs dimen-
changements dans la sociologie des riverains sions les “rivières urbaines” questionne.
qui ont investi ces lieux, à l’origine pour pra- MÉCANISMES DE DISQUALIFICATION. Le cas
tiquer la rivière, et dans celle de ceux qui, des petits bateaux, qui naviguaient par mil-
aujourd’hui, peuvent s’installer au bord de liers le dimanche sur les eaux intérieures avant
l’eau. Il faudrait enfin se pencher sur l’incons- 1960, est éclairant : qui les étudie, les restaure,
cient de ces communes où certains canotiers les conserve ou les expose ? Qui dit leur valeur
venaient pour s’enivrer et s’encanailler avec au pays du Belem et de l’Hermione ? Depuis le
des demi-mondaines. La destruction ne fut- XIXe siècle, le musée national de la Marine, le
elle pas l’un des moyens d’enfouir ce scandale, “musée de toutes les marines”, est le dépositaire
décrit dans les œuvres de Zola et Maupassant ? historique des plus anciennes collections
Mais, du fait de l’imbrication des territoires concernant la “plaisance”, terme générique
riverains, il est difficile d’effacer le passé et ses recouvrant des pratiques aussi différentes que
logiques : si le paysage historique de Nogent les loisirs et sports nautiques, le yachting et le
en aval de l’Île-de-Beauté a complètement dis- nautisme. Bien que ce musée renferme de très
paru, sur la rive d’en face, située à Joinville, belles embarcations dans ses réserves, on com-
on continue à guincher Chez Gégène, l’une des prend que la culture entourant les canotiers et
rares guinguettes historiques à avoir survécu leurs yoles soit délicate à appréhender. Le
sur les bords de la Marne. Et pour s’y rendre, musée national du Sport, aujourd’hui à Nice,
en l’absence de pont, l’accès le plus facile se qui possède des bateaux d’aviron ou de canoë-
situe... à Nogent, là où était le passeur. La kayak vainqueurs aux JO, serait susceptible
recréation récente d’un passage entre les deux de s’en occuper. Mais au regard de l’écho
rives de ces deux communes dit la volonté de médiatique des sports actuels, ces bateaux
redonner du sens à ce passé partagé. s’avèrent plus difficiles à exposer qu’un bal-
Les communes des bords de Seine se sont lon ou une raquette. Et pas seulement en rai-
longtemps disputées pour s’approprier le lieu son des mètres carrés nécessaires. Il semble
de naissance de l’impressionnisme ou, sur donc qu’il y ait peu de place dans les collec-
celles des bords de Marne, celui de la guin- tions publiques françaises pour les yoles, les
guette. Dans le domaine culturel, ces querelles skiffs ou les périssoires...
cachent des combats pour la répartition des Les mécanismes de disqualification de ces
subventions et pour obtenir la reconnaissance objets et sujets ou de reconnaissance de leur
de l’État qui atteste la valeur des projets – via- qualité culturelle, scientifique et académique
tique des mécénats privés. L’échec du projet de interrogent. Les travaux de Françoise Péron
création d’une Maison de la Marne, à Joinville sur le patrimoine marin en Bretagne(7) éclai-
en 1991, puis à Nogent en 2004, pourrait être rent l’un des aspects de cette question : on y
un cas d’école, surtout quand on découvre constate que, indépendamment du fait régio-
qu’un programme semblable de valorisation naliste, ce sont les bateaux de travail du peuple
du “patrimoine culturel et naturel” a réussi en de la mer qui sont mis à l’honneur. La recon-
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FRÉDÉRIC DELAIVE
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
rivière, ses crues, ses usages...), sur une édu- terrasses surplombantes, sont à certaines heures
cation corporelle par la natation et par l’ap- le domaine des joggeurs, des cyclistes et des
prentissage de toutes les formes de navigation résidents qui promènent leurs chiens. Un lieu
visant à l’autonomie. Bien avant le vélocipède, de passage, un “tuyau”, avec beaucoup
l’affirmation d’une pratique sportive féminine d’arbres qui masquent parfois la rivière. Dans
est passée par la mise au point de yoles en aca- quelques instants peut-être, un automobiliste
jou, fines et légères, symboles aux États-Unis francilien se garera puis gonflera sur l’allume-
du canotage et mais musée en France. cigare de son véhicule son paddle acheté dans
PAYSAGE VIDE. À contempler la Marne un supermarché. Après sa promenade, il repar-
aujourd’hui (cf. illustration 3), on découvre tira sans s’être soucié des réglementations régis-
un paysage architecturé vide. Pourtant, depuis sant cet espace. Peut-être que ce soir, alors que
William Gilpin, les paysagistes savent qu’un la baignade est interdite, quelques individus
petit bateau anime et met en valeur une œuvre. plongeront dans cette eau, qui a rarement été
On songe aussi aux hygiénistes des Lumières et aussi propre et, comme nous sommes en août,
l’on mesure leur réussite en comparant ce cli- peut-être que personne ne s’en rendra compte.
ché avec une carte postale ancienne du même Aujourd’hui, hors vacances scolaires, des
espace, mais vu de la rive opposée (cf. illus- dizaines de bateaux d’aviron ou de canoë-
tration 4). En y découvrant ces promeneurs kayak circulent sur ce bief, la semaine et le
sur l’eau, ces barques et canots amarrés, ces week-end. Les centaines de scolaires des éta-
pêcheurs et ces établissements flottants, on blissements du Val-de-Marne et les sociétaires
constate que toute une économie animait les des clubs nautiques (public encadré par des
berges en 1900. Pourtant, nous sommes en professionnels) disent le fonctionnement pen-
semaine. La foule des Parisiens, arrivant le dulaire, mais aussi l’ampleur des pertes ou des
dimanche par le train, n’est pas encore là. évolutions dans la pratique ludique des rivières.
Le bateau-lavoir de Champigny, qui appar- Les sports nautiques sont des activités très
tient à la famille Bordier, domine le bief. La réglementées, soumises à autorisation et sus-
lessive n’est pas sa seule activité. Il possède un ceptibles d’êtres contrôlées par les services de
bain, à l’arrière-plan, des barques à louer et VNF (Voies navigables de France) ou par la
un restaurant réputé au-dessus du lavoir au police fluviale. Ces législations, souvent
moment où ceux de la capitale disparaissent : anciennes, se comprennent parce que ces
l’administration le tolère parce que les Bordier espaces étaient disputés : entre professionnels
assurent avec le lavoir et le bain un service riverains, entre mariniers, canotiers et pêcheurs,
public indispensable dans ce quartier. La loca- entre rameurs, pagayeurs, adeptes de la voile
tion de barques est un service d’une autre ou du moteur, ou encore entre compétiteurs
nature. Pour quelques centimes, elle permet à et amateurs... Ces guerres entre activités nau-
M. ou Mme Tout-le-monde de s’évader, de tiques conduisent, à partir des années 1960, à
s’exercer, de rêver, d’aimer, de rire... Cette acti- une répartition de l’espace réservé à la pra-
vité saisonnière n’a jamais été rentable autre- tique du motonautisme, de la rame, de la
ment qu’intégrée à un subtil assemblage d’ac- voile... Sans poser la question du modèle éco-
tivités complémentaires. Difficile d’imaginer nomique apparaissent ici quelques-uns des
qu’il suffise d’installer des plots de pénichettes enjeux pour la recréation d’une simple loca-
pour obtenir aujourd’hui un équilibre finan- tion de barque.
cier comparable et un service écosystémique Enfin, même s’il y a du soleil, la belle saison
équivalent. du XXIe siècle ne fonctionne plus comme en
Sur la photo du XXIe siècle (cf. illustration 3), 1900 : on aperçoit sur la photo (cf. illustra-
les apparences sont trompeuses. Les rives, avec tion 3) l’aval de l’île du Martin-Pêcheur et sa
leurs berges hautes et basses s’ouvrant sur des guinguette qui s’animent le soir en fin de
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FRÉDÉRIC DELAIVE
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De la conquête populaire au renouvellement urbain
ILLUSTRATION 1
La Seine à Asnières en direction de Courbevoie, vue vers l’amont et l’île de la Grande Jatte
(juillet 2016)
ILLUSTRATION 2
Les préparatifs de la Régate 1900 organisée à Cenon-sur-Vienne, les 25 et 26 juin 2016
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FRÉDÉRIC DELAIVE
ILLUSTRATION 3
La rive droite de la Marne à Saint-Maur vue de Champigny (août 2014)
ILLUSTRATION 4
La rive gauche de la Marne à Champigny, vue de Saint-Maur (carte postale de 1905)
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De la conquête populaire au renouvellement urbain
LES PLAGES
DES BORDS DE L’OISE
L’ILLUSION DU MARITIME
L’aménagement des plages de l’Oise, à partir du milieu
BÉATRICE CABEDOCE
Chargée de recherche, direction de l’action culturelle, conseil départemental du Val d’Oise
< beatrice.cabedoce@valdoise.fr >
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BÉATRICE CABEDOCE
u milieu du XIXe siècle, dans le ne pas être vus de la rive en tenue si légère. En
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
protégé du trafic fluvial et proche de la gare de galas et soirées dansantes se succèdent, attirant
Parmain. En 1910, il fait ensabler la berge et le Tout-Paris (Vlaminck, Mary Marquet,
aménager des bassins et des cabines. La rivière Mistinguett, Cécile Sorel, Maurice Chevalier…).
et ses abords font l’objet d’une véritable mise Dans l’après-guerre, M. Muller, le proprié-
en scène qui joue sur les effets d’échelle. En réfé- taire de la plage, fait construire hors sol un bas-
rence aux stations balnéaires de la Manche, sin ultra-moderne de 25 mètres de long, équipé
Henri Supplice opte pour le style anglo-nor- d’un tout nouveau système de filtration de l’eau.
mand. Les péniches, bateaux à roues et à vapeur, Il est inauguré le 27 août 1949 par Johnny
voiliers, canots, barques qui voguent non loin Weissmuller – plus connu aujourd’hui pour son
composent un décor maritime à ce “joujou de interprétation de Tarzan au cinéma que pour
plage”. Évoquant la “colonie parisienne” qui les médailles olympiques de natation qu’il obtint
vient mener, l’été, “la vie traditionnelle des plages en 1924 et 1928. L’Isle-Adam est désormais fré-
aux portes de la capitale”, un journaliste de la quenté par des plongeurs et nageurs de haut
revue L’Illustration conclut : “Qu’était-il besoin niveau (la championne Mady Moreau, notam-
d’aller chercher la douceur d’une onde fraîche ment). En 1952 s’y déroulent les pré-olympiades
et les plaisirs de la vie au bord de la mer.”(1) des jeux d’Helsinki (1954).
Au début des années 1920, Louis Eugène du BEAUMONT-SUR-OISE, UNE PLAGE SANS PRÉ-
Pinet, architecte de la ville, réaménage la plage TENTION. Plus en amont, sur la rive droite de
ensablée durant le premier conflit mondial et l’Oise et à proximité du bourg de Beaumont,
complète les infrastructures. Avec son bar-res- les jeunes plongent d’une péniche abandonnée,
taurant-dancing (le Normandy), son kiosque à amarrée près du pont, au mépris de toutes règles
musique, ses bassins, cascades, jardins fleuris, de sécurité. Le président du club sportif local
tennis, et ses cabines de plage – conçues, dit- réussit à faire aménager le site avec le concours
on, par le même architecte que celles de financier des communes voisines et d’entreprises
Deauville –, le site s’étend sur trois hectares, locales, notamment la Compagnie des chemins
devenant la plus grande des plages fluviales. de fer du Nord, consciente de l’importance des
Afin de retenir la bourgeoisie parisienne qui fré- plages fluviales pour le développement du tou-
quente habituellement les stations balnéaires risme.
de la côte normande, Henri Supplice et Louis Inauguré en 1927, ce “stade nautique”, d’un
Eugène du Pinet misent sur le dépaysement et peu plus de 200 mètres de long, est géré par le
l’illusion des bords de mer. Illusion confirmée Caneton Club. Loin de prétendre attirer le Tout-
par L’Almanach illustré du Petit Parisien qui, en Paris comme à l’Isle-Adam, l’association spor-
1921, présente à ses lecteurs un décor d’opé- tive locale privilégie l’hygiène du corps et l’ap-
rette : “La mer n’est pas aussi éloignée qu’on prentissage de la natation “pour une clientèle
le suppose. Le hasard nous l’a fait rencontrer, familiale, dans une ville dépourvue de bains-
pendant une promenade, aux portes de la capi- douches”. Les 200 cabines et la salle de désha-
tale et durant un moment, tant cette scène était billage, ainsi que le café-restaurant, sont conçues
surprenante, nous nous sommes demandés si dans un style architectural contemporain. Un
nous ne faisions pas un rêve. Mais non […] nous haut-parleur géant diffuse de la musique. Là
étions sur une véritable plage, avec des flots, aussi la saison est rythmée de fêtes et de com-
des cabines, des parasols, des tentes, du sable, des pétitions qui, si elles sont plus familiales qu’à
cailloux, des coquillages ! […] un capitaine du l’Isle-Adam, n’en sont pas moins très fréquen-
port.” tées ; on y élit notamment une “reine des
L’Isle-Adam est classée station de tourisme canards”.
en 1921. Plus de 500 personnes y séjournent à BORAN, AQUAPLANE ET BASSIN À VAGUES. Plus
la belle saison. Calqués sur les mondanités des au nord, à Boran-sur-Oise, petit village rural
plus élégantes stations de la côte normande, situé à 35 kilomètres de Paris mais à proximité
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BÉATRICE CABEDOCE
de Chantilly et d’un vaste lotissement résiden- prennent le “train des plages”, direct depuis
tiel, la municipalité inaugure sa plage en 1933 : Paris (gare du Nord), Beauvais ou Creil, ou
bassin d’eau filtré long de 80 mètres, camping, empruntent un autocar depuis la porte de la
solarium, ensemble de 230 cabines, parking Villette ou la porte Maillot. Ils peuvent déjeu-
d’un hectare, espaces de restauration… Par son ner sur l’herbe, barboter dans la rivière, pêcher
ampleur et sa modernité, la plage de Lys- ou canoter, car la plage est au bout des champs !
Chantilly préfigure les parcs de loisirs actuels. Sur les coteaux fleurissent des villas à l’archi-
Comble de modernisme, un bassin à vagues tecture éclectique et, le long des berges, des caba-
artificielles, provoquées par un mécanisme à nons, des chalets et des hangars à bateau. À
battant, donne l’illusion des flots ! Parmain, en face de l’Isle-Adam, la “station d’été
L’architecte Émile Tiercinier – qui réalise par du Val d’Oise”, un lotissement de villégiature
la suite la plage de Meaux-Trilport sur la Marne réalisé en 1931 par un constructeur parisien
– a choisi un style contemporain, avec perce- s’ordonne autour d’un luxueux hôtel-restaurant
ments en hublots et béton décoré de stries en dont l’architecture pastiche le style anglo-nor-
façade, pour le bâtiment d’entrée, les cabines mand. Chaque commune traversée par la rivière
et le café-restaurant. Sur le vaste plan d’eau, on jouit d’une baignade au moins, dénommée
s’exerce au motonautisme et à l’aquaplane – “plage” dès qu’on y trouve un peu de sable. Des
ancêtre du ski nautique qui se pratique sur une hameaux, des guinguettes, des sentes repren-
planche en bois. La clientèle fortunée arrive en nent l’appellation, valorisante, de “plage”.
automobile, voire en hydravion, pour assister À Pontoise, les écoles de natation possèdent
aux compétitions et admirer des feux d’artifice pontons, bassins et cabines en différents points
réputés. De mai à septembre, la plage impulse de la rivière. À Auvers-sur-Oise, au Valhermeil,
le commerce local et procure de petits emplois un bar flottant, avec hublots, bastingage et haut-
aux habitants du village : “Ma mère travaillait parleur, diffuse de la musique. Pierre, le maître-
aux cabines et aux tiroirs. Les tiroirs, c’était nageur, surveille la baignade ; son beau-père est
moins cher : les gens allaient se déshabiller dans aux cabines ; son épouse tient la caisse, vend
une cabine puis mettaient leurs habits dans un l’huile solaire et loue des maillots de bain. La
tiroir. Il y avait des fêtes de nuit, des illumina- barque de Pierre sert de canot de sauvetage et lui
tions. Tous les feux d’artifice de la région ont permet de faire traverser les Parisiens qui le
été copiés sur Boran. C’était spectaculaire. Et hèlent depuis la gare de Pont-Petit sur l’autre
de la musique. Il venait beaucoup de Parisiens, rive : “Le dimanche quand il faisait beau, il y
des artistes aussi : Harry Baur, Fernandel… Il y avait beaucoup de monde, de toute la région,
avait des trains spéciaux Paris-Boran, trois trains et des gens qui venaient de Paris.”
le dimanche pendant deux mois et demi. Le L’été est ponctué de compétitions et de fêtes
dernier partait à minuit. Les épiciers de Boran qui font appel à l’imaginaire maritime. À
avaient tous un petit stand en face de la plage.” Pontoise, une course de bateaux de pêche fait
Dans un article de la revue L’Illustration jaillir “des paquets d’eau donnant l’impression
consacré aux plages fluviales(2), l’auteur s’étonne de la haute mer”. En 1933, Julien Guillaume,
de voir “presque autant d’anatomies rôties à ancien mécanicien de la Marine nationale, y
Beaumont, Boran et l’Isle-Adam que sur la Côte présente un sous-marin miniature de son inven-
d’Azur”, tandis que le dessinateur José Simont tion. Joutes à la lance, courses aux canards ou
met en évidence la foule des estivants et des sur animaux en caoutchouc, batailles de polo-
locaux venus prendre “un bain de mer dans la chons sur l’eau, nageurs comiques, démons-
rivière”. trations d’hommes-grenouilles, concours de
PARTIES DE CAMPAGNE AU BORD DE L’EAU. De bateaux fleuris, rallyes croisières en canoë, défilé
mai à octobre, les estivants profitent de billets de maillots de bains et déshabillés de plage ryth-
combinant le transport et l’entrée à la plage. Ils ment la saison. Les fêtes de nuit vénitiennes et
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
les feux d’artifice s’achèvent avant que les der- toute l’année, et les bases de loisirs. Celle de
niers trains ne remmènent les Parisiens et les Cergy-Pontoise est aménagée sur d’anciennes
banlieusards vers l’agglomération. sablières dès les débuts de la ville nouvelle. À
DÉSAFFECTION DES PLAGES FLUVIALES ET NOU- proximité, Port-Cergy, réalisé par les architectes
VELLES PRATIQUES. Mais les rives de l’Oise ne François et Bernard Spoerry, concepteurs de la
peuvent tenir longtemps la comparaison avec marina de Port-Grimaud (Var), procure tou-
le bord de mer ! Au fur et à mesure que le tra- jours en Val-d’Oise l’illusion des bords de mer.
fic fluvial se motorise et s’intensifie, que les Les clubs nautiques de Saint-Ouen-l’Aumône,
berges se lotissent et que les préoccupations de Parmain, de Butry, de Beaumont et de Boran
sanitaires émergent, la pollution de la rivière sont toujours actifs.
devient un problème récurrent. En 1936 déjà, L’Isle-Adam a conservé sa plage – la plus
la presse locale s’inquiète des baigneurs “que grande d’Île-de-France –, rachetée par la com-
la mort menace à chaque gorgée d’eau qu’ils mune en 1981. Des films, dont l’action est cen-
avalent”. Cette même année, à Boran et à l’Isle- sée se dérouler en bord de mer, y sont réguliè-
Adam, de grands travaux permettent d’isoler rement tournés – notamment deux films de
les bassins de la rivière et d’en renouveler l’eau Claude Lelouch : Partir, revenir (1984) et Les
fréquemment. Ailleurs, on barbote dans une Misérables du XXe siècle (1994). Le projet d’une
rivière de moins en moins limpide. C’est le cas marina constituée d’un port de 120 anneaux
notamment à Beaumont : “Il y avait beaucoup et d’un ensemble immobilier, à l’étude depuis
de trafic, des péniches motorisées qui dégazaient, plusieurs années, devrait voir le jour prochai-
et de grandes plaques de gasoil sur l’eau. Quand nement. Quant aux “plages urbaines” qui fleu-
les péniches passaient, ça faisait des vagues, on rissent chaque été en Val-d’Oise dans des com-
y avait droit dans le bassin ! Il y avait aussi munes parfois éloignées de tout cours d’eau,
beaucoup d’usines, ici et du côté de Creil.” elles ambitionnent de procurer aux jeunes, non
En 1954, un rapport préfectoral signale “la plus l’illusion des bords de mer, mais celle de
forte pollution de l’Oise, surtout à partir de moments heureux au bord de l’eau, à quelques
Pontoise”. Un arrêté interdit la baignade en encablures de la cité. ■
dehors des lieux autorisés. En 1955, consé-
quence des crues de l’hiver, l’eau est polluée ; NOTES
les baignades de Pontoise et de Cergy ne peuvent (1) Numéro du 3 août 1912.
ouvrir. En 1959, des arrêtés municipaux inter- (2) Numéro du 1er septembre 1934.
disent de se baigner à Auvers-sur-Oise et aux
alentours. SOURCES ET BIBLIOGRAPHIE
La pollution, la crainte de la poliomyélite – Archives départementales du Val d’Oise ; Archives communales
(endémique depuis l’après-guerre et se propa- de Auvers-sur-Oise, Boran, l’Isle-Adam, Pontoise.
geant par une eau contaminée), des étés plu- – Solange CONTOUR, René BOTTO, Michel THIBAULT et Henri DEGOURNAY,
vieux, mais aussi la concurrence des stations La Plage de l’Isle-Adam. Un siècle déjà !, éditions Les Amis de
balnéaires de la Manche, accessibles désormais l’Isle-Adam, 2011.
en automobile, ont raison des petites plages flu- – Frédéric DELAIVE, Canotage et canotiers de la Seine : genèse du
viales. Le phénomène est général : en 1962, il premier loisir moderne à Paris et dans ses environs (1800-1860),
n’existe plus que 15 baignades dans tout le thèse d’histoire contemporaine, université Paris I, 2003.
département de Seine-et-Oise ; on en dénom- – Fabrice MILLEREAU, Beaumont-sur-Oise, images de rue : 150 ans
brait 65 en 1949 ! d’histoire beaumontoise, éditions des Étannets, 2000.
La fermeture des plages fluviales s’accom- – Jean-Didier URBAIN, Sur la plage. Mœurs et coutumes balnéaires,
pagne du transfert des pratiques nautiques vers XIXe-XXe siècles, Payot, 1994.
de nouveaux types d’infrastructures, telles les – Extraits d’entretiens effectués par l’auteur auprès de particuliers
piscines, plus sûres, qui drainent les baigneurs entre 1998 et 2014.
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BÉATRICE CABEDOCE
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De la conquête populaire au renouvellement urbain
LEICESTER ET SA RIVIÈRE,
LA SOAR
UNE LONGUE HISTOIRE
ET UN PROGRAMME AMBITIEUX DE
RECONQUÊTE DE L’ESPACE FLUVIAL
SUSAN BARTON
Docteure en histoire, chercheure associée, De Montfort University (Leicester)
Conseillère municipale, Leicester City Council
< subarton@btinternet.com >
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SUSAN BARTON
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De la conquête populaire au renouvellement urbain
permet de maintenir le lien entre la rivière et s’élève à 91 000 livres et le projet est terminé en
les loisirs. La terre excavée pour approfondir et 1890(6). Ces travaux ont permis d’élargir et
élargir la rivière est utilisée pour élever le d’approfondir le canal, de retirer deux écluses
niveau du terrain environnant et réduire le et d’en placer de nouvelles, créant ainsi une
risque d’inondation ; des aménagements pay- étendue d’eau que l’on baptisera “Mile
sagers permettent la création de jardins à la Straight”. De nouveaux ponts sont construits
française, d’espaces verts, d’un lac navigable et des boulevards placés de chaque côté, mais,
et d’étangs à carpes et sauvagines sur la grande au lieu de devenir d’élégantes promenades,
île située entre la rivière et le canal. Et la rivière ceux-ci sont bientôt remplis de nouvelles usines.
devient un lieu de pratique de la nage et du Grâce à cette nouvelle voie navigable, les ter-
water-polo(5). rains aux alentours du canal sont mieux drai-
Les compétitions internationales de natation nés et les risques d’inondation écartés, per-
d’Abbey Park sont des événements populaires, mettant ainsi la construction de nouvelles rues
faisant de Leicester un centre sportif impor- de maisons mitoyennes. S’ensuit une augmen-
tant qui contribue au développement de la nata- tation significative de la population qui, en
tion. Johnny Jarvis, champion de natation natif 1901, s’élève à 211 579 habitants.
de la région, s’entraîne dans la Soar et dans le La Soar et le canal sont alors vitaux pour le
canal à Leicester. Il gagne deux médailles d’or travail, le transport et les loisirs des habitants
(1 000 mètres et 4 000 mètres) aux Jeux olym- de Leicester. En été, la natation dans la rivière
piques de Paris en 1900 – les épreuves se dérou- est une activité de loisirs masculine depuis des
lent dans la Seine. La natation n’est pas le seul générations. Les baigneurs sont nus et, lorsque
sport pratiqué à Abbey Park. Un club d’avi- la navigation devient un passe-temps mixte, la
ron est créé en 1882, dont les membres pro- baignade dans la rivière devient source de
viennent de la classe moyenne grandissante conflit pour les sensibilités victoriennes – il faut
employée dans le textile, la chaussure et autres protéger les jeunes femmes de la vue de corps
industries légères tout aussi prospères de la d’hommes nus. C’est pourquoi des mesures
ville – c’est là un exemple type de la vie asso- sont prises pour sanctionner l’outrage aux
ciative victorienne. mœurs tandis que des zones de baignade sont
NOUVELLES USINES. À d’autres endroits de créées : l’une à Abbey Park ; l’autre à Bede
Leicester, les problèmes d’inondation ne sont House, au confluent de la Soar et de Mile
toujours pas résolus. Une loi votée en 1881 Straight, réservée à la population masculine(7).
permet à la Leicester Navigation Company POLLUTION. Le canal accueille un site indus-
d’élargir et d’approfondir le canal artificiel triel et une centrale électrique, car le charbon
pour réduire les risques d’inondation. Les tra- peut être acheminé directement sur les lieux de
vaux d’ingénierie débutent en 1887. La voie production. Sur les quais du canal et de la
navigable existante est si vitale à l’économie rivière, les usines textiles, les usines de chaus-
de la ville que la Leicester Navigation n’a le sures, les centrales de production de gaz et
droit de fermer le canal qu’une semaine par d’électricité déversent de l’eau chaude dans les
an – en cas de non-respect de cette clause, il lui cours d’eau. Au cours du XXe siècle, la rivière et
faut payer à la société responsable du canal le canal sont de plus en plus pollués par les
une pénalité de 75 livres par semaine supplé- effluents des usines et les nouvelles technolo-
mentaire de fermeture. Il reste peu d’archives gies de la production électrique. La pollution,
illustrant le travail effectué, mais quelques pho- les crises sanitaires et les lois locales mettent
tos montrent un mur ou un barrage dressé le un terme à la baignade dans la rivière à la fin
long d’une rive du canal pour retenir l’eau pen- du XXe siècle, tandis que le transport routier
dant que les travaux d’excavation sont menés remplace les péniches… Les lieux de baignade
sur l’autre rive. Le coût total de ces travaux et les stations de bateau ferment ; la pêche au
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SUSAN BARTON
coup devient, à la place de la baignade, l’acti- RÉHABILITATION. Le site fait aujourd’hui l’ob-
vité la plus populaire sur la rivière et sur le jet d’un ambitieux programme de réhabilita-
canal(8). tion : le Waterside Project. Celui-ci a été lancé
Après les plans de prévention des risques par le Leicester City Council, en partenariat
d’inondation des années 1880 et 1890, avec le gouvernement et la Leicester and
Leicester peut s’étendre rapidement vers l’ouest. Leicestershire Enterprise Partnership, et est
La démographie continue à augmenter de détaillé dans le document Leicester Waterside
manière soutenue au cours du XXe siècle pour Supplementary Planning, adopté par la muni-
atteindre 279 921 habitants en 2001 ; elle pour- cipalité en août 2015. Voici ce que dit le maire
suit sa croissance durant la première décennie de Leicester, Sir Peter Soulsby, de cette initiative :
du XXIe siècle : la ville compte 329 600 habi- “Mon objectif pour la zone riveraine est d’at-
tants en 2011. Depuis, la démographie conti- tirer de nouveaux investissements pour créer
nue de croître du fait d’une migration vers l’in- un quartier vibrant et dynamique avec de nou-
térieur des terres et d’un taux de natalité élevé. veaux logements et de nouveaux espaces de
Comme d’autres villes d’Angleterre, Leicester bureau afin d’offrir de nouvelles opportunités
fait face à un grand besoin de logements et est pour les habitants de la ville.” Ce projet s’ins-
confrontée aux problèmes liés à la désindus- crit dans la stratégie générale “Connecting
trialisation. Leicester”, qui met en place des objectifs pour
DÉSINDUSTRIALISATION. Le Royaume-Uni la ville tout entière et a récemment permis le
renonce progressivement aux centrales ther- renouveau du centre-ville.
miques, si bien que les sites de production La zone retenue pour le programme de réha-
d’électricité et de gaz le long de la rivière sont bilitation compte plusieurs éléments de patri-
abandonnés. La désindustrialisation des années moine, essentiellement des bâtiments indus-
1980 et 1990 se traduit par une dégradation triels des XIXe et XXe siècles. En limite de la zone
accrue des quais de la rivière et du canal. Depuis et dans la zone, on trouve également des struc-
les années 1980, les industries principales de tures médiévales et romaines. Historic England
Leicester (textile, chaussure et industrie manu- (ex-English Heritage), l’organisme public en
facturière) ont presque disparu. Ce déclin charge de la conservation du patrimoine, a
industriel entraîne la dégradation de la zone désigné certains de ces sites comme ayant une
du canal et de la rivière. La ville tourne le dos importance en tant que patrimoine national.
à son cours d’eau, laissant les usines victo- D’autres sont classés localement comme signi-
riennes s’abîmer ; les centrales électriques sont ficatifs pour l’histoire de la ville.
détruites. Avec le déclin et les dégradations de Le Waterside Project perçoit l’importance
la fin du XXe siècle et du début du XXIe siècle, on du passé industriel et accorde de la valeur à ces
voit apparaître sur ces sites des activités limi- éléments patrimoniaux, dont beaucoup sont
nales, telles des entreprises de démontage-recy- encore enfouis. Avant que les projets de
clage d’automobiles, des vendeurs de fer- construction ne débutent, les archéologues
raille… Leur présence ajoute à la désolation exhument actuellement le passé antique et
de la zone. Malgré tout, il existe quelques pro- médiéval de la zone – ce qui améliore la
jets d’implantation d’équipements sur la par- connaissance actuelle de l’histoire de Leicester.
tie de la berge proche de la ville : le stade de Le projet consiste à créer sur ce site un quar-
l’équipe de football Leicester City FC, le futu- tier urbain dynamique, avec des logements de
riste Centre spatial national et le nouveau site qualité (design et qualité environnementale)
d’accueil de l’équipe de basketball de Leicester offrant un espace de vie original adapté au
(les Riders). Malheureusement, ces projets ont développement des entreprises. Ce quartier
été pénalisés par l’environnement délabré et reconnectera Leicester à ses berges, ouvrant
peu engageant. ainsi des possibilités de loisirs, de liaisons vertes
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De la conquête populaire au renouvellement urbain
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SUSAN BARTON
© Calibre
construite dans les règles de l’art, la majeure
partie de la structure géorgienne a survécu à
l’incendie. Et pour un coût de 6,5 millions de
livres (financés pour partie par une subvention
de l’Union européenne), l’usine, sa chaufferie
© Tadeusz Ibrom
ainsi qu’un bâtiment annexe seront restaurés
pratiquement dans leur état d’origine, avec
quelques extensions modernes. Le site héberge
aujourd’hui un centre d’affaires qui accueille
une quinzaine de petites et moyennes entre-
prises. Cet équipement donne un élan au déve- luantes. Ces activités devront être relocalisées
loppement local et montre aux développeurs, pour que le programme de réhabilitation soit
aux investisseurs et aux habitants que, après un succès. Malgré les progrès effectués, il reste
tant d’années de laisser-faire, il se passe enfin beaucoup à faire. Néanmoins on peut penser
quelque chose. que, d’ici à dix ou quinze ans, cette zone
BAIGNADE. Un autre exemple de la dyna- accueillera une communauté dynamique. Elle
mique en marche concerne l’île de la Soar, ne sera plus alors cachée ni ignorée. La réha-
entourée d’un côté par la rivière et de l’autre bilitation des berges, pas seulement pour le
par le canal, et reliée aux berges par des pas- logement ou le travail, mais aussi pour les loi-
serelles. Il y avait là autrefois un pont levant sirs (découverte du patrimoine, promenade,
qui reliait le canal au réseau ferroviaire. Il s’agis- baignade, nautisme…) permettra à Leicester
sait de la ligne Swannington-Leicester, ouverte de ne plus tourner le dos à sa rivière et de l’ad-
en juillet 1832, qui permettait d’acheminer du mirer à nouveau. ■
charbon à la ville. L’île a abrité aussi un mou-
lin à farine, aujourd’hui remplacé par une usine NOTES
de béton. Un concours organisé par le Royal (1) PWC, Good Growth for Cities Index, 2015.
Institute of British Architects a attiré plus de https://www.pwc.com/gx/en/psrc/assets/good-growth-for-cities-
80 architectes du monde entier(9), dont cinq 2015.pdf
furent sélectionnés pour fournir un projet (2) Richard BUCKLEY, Matthew MORRIS et Michael CODD, Visions of
détaillé. Une exposition a été organisée pour Ancient Leicester: Reconstructing Life in the Roman and Medieval
permettre aux architectes de présenter leurs Town from the Archaeology of the Highcross Leicester
idées et plans. Le public a été invité à voter Excavations, University of Leicester Archaeology Services, 2011.
pour le projet de son choix. Il est intéressant (3) Philip A. STEVENS, The Leicester and Melton Mowbray
de noter que la baignade dans la rivière reste Navigations, Alan Sutton Publishing, 1992.
une aspiration de la population, car les projets (4) Malcolm ELLIOTT, Victorian Leicester, Phillimore, 1979.
intégrant une zone de baignade ont été ceux (5) Idem.
qui ont été le plus demandés par le public. (6) Roger HUTCHINSON, The Mile Straight, the Fate of the Soar in the
■ ■ Centre of Leicester, Trading for Change, 2008.
Les berges de la Soar sont, encore aujour- (7) Idem.
d’hui, enlaidies par des dépôts de ferraille et (8) Idem.
par des activités liminales bruyantes et pol- (9) http://www.ribacompetitions.com/soarisland/
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
L’ESPACE FLUVIAL DE
LA GARONNE, À TOULOUSE
UN TERRITOIRE EN RECONQUÊTE
Grenade-sur-Garonne).
PHILIPPE VALETTE
Maître de conférences, Université Toulouse - Jean-Jaurès, laboratoire Geode - UMR 5602 (CNRS)
< philippe.valette@univ-tlse2.fr >
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PHILIPPE VALETTE
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
Ailleurs, le centre ancien a fait l’objet d’un cartes postales gardent le souvenir des scènes
projet d’embellissement à la fin XVIIIe siècle. de pêche ; celle-ci était pratiquée partout à l’in-
Ce projet visait “l’utile et le beau”. Les quais, térieur de la ville. Mais l’eau du fleuve per-
les murs et les digues sont construits en brique mettait aussi la baignade. Entre la fin du
rose pour se protéger des effets des inonda- XIXe siècle et la première moitié du XXe siècle,
tions (crues, inondations, érosion). Mais ils des écoles de natation (prairies des Filtres) ou
sont aussi construits en forme de balcons sur des bains (quai de Tounis et de la Daurade)
le fleuve, de sorte qu’ils deviennent un lieu pri- sont mis en place sur les berges. Jusque dans les
vilégié de promenade pour les Toulousains années 1970, les loisirs nautiques (avirons,
(cf. illustration 1). Ces paysages fluviaux bateaux, ski nautique) s’y développent et les
urbains sont devenus un paysage identitaire régates attirent de nombreux curieux sur les
de la ville, à tel point que les berges de la berges du fleuve.
Garonne font partie des lieux les plus photo- Dans les années 1950 à 1980, comme sou-
graphiés sur Instagram(4). vent à proximité des fleuves en ville, les berges
Au début du XXe siècle, la ville ne cesse de résonnent creux. Elles sont progressivement
croître et les activités de loisirs migrent au sud abandonnées au profit d’autres usages plus
de la ville dans le complexe des îles du Ramier. utilitaristes (aménagement de digues, voies sur
Ce phénomène est lié à l’acquisition foncière berges…). À Toulouse, elles se remplissent de
par la mairie des terrains de l’ancienne pou- voitures et chaque ancien port devient un par-
drerie. Les activités industrielles ont toujours king. Entre 1952 et 1966, le Parc toulousain,
été localisées sur les îles et ont été repoussées si populaire et déjà amputé par la création du
progressivement plus au sud au cours du parc d’hygiène et des sports, disparaît du pay-
temps. L’urbanisation galopante a désormais sage au profit de la construction du parc des
rattrapé ces sites industriels. Cette imbrication expositions. Pendant cette période, les
entre complexes industriels et ville a connu Toulousains tournent le dos au fleuve.
son “apogée” lors de l’explosion d’AZF en Néanmoins, un regain d’intérêt apparaît au
2001. En 1904, les terrains libérés par la pou- début des années 1990 ; une reconquête des
drerie permettent la mise en place du Parc tou- loisirs en bords de Garonne est amorcée.
lousain d’une superficie de 50 hectares (cf. illus- RECONQUÊTE DES LOISIRS. En 1992, la muni-
tration 2). Ce lieu, très populaire, est agrémenté cipalité a pour objectif de faire évoluer le regard
d’espaces de promenade, de théâtres de plein sur la Garonne. Cela se traduit par la valori-
air, de kiosques à musique, d’un café-restau- sation de plusieurs sites, mais aussi par la mul-
rant. De nombreuses fêtes et bals y sont orga- tiplication des pratiques de loisirs sur le fleuve(6).
nisés. Ces pratiques peuvent être éphémères, tem-
À partir des années 1930, le Parc toulousain poraires ou récurrentes. Depuis les années
évolue et permet de nouvelles pratiques spor- 1990, elles sont nombreuses et nous pouvons
tives. En 1928, plusieurs sports investissent les en citer plusieurs.
lieux, comme les activités nautiques, la pelote Entre 1980 et 2003, Garona permettait
basque et le tennis(5). Un peu plus tard, en 1931, chaque année à de multiples embarcations de
le Parc est réinvesti par la municipalité comme descendre le fleuve entre Venerque (Ariège),
parc d’hygiène et des sports (piscine classée Muret (Garonne) et Toulouse. Cette journée
monument historique en 1993 et stadium festive, haute en couleur et en embarcations
municipal). Les îles du Ramier gardent encore de toute sorte, se terminait à la prairie des
la trace de tous ces aménagements dans leurs Filtres.
paysages. En 1995, le festival Rio Loco est créé. Depuis
L’eau de la Garonne a aussi été le support plus de vingt ans, de multiples concerts sont
de multiples activités de loisirs. Les anciennes donnés fin juin et début juillet en bord de
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PHILIPPE VALETTE
Garonne (prairie des Filtres). Rio Loco est un années la prairie des Filtres. Elle offre la pos-
festival populaire et familial où il est possible sibilité de pratiquer de multiples activités spor-
de chanter, de danser, de faire la fête (cf. illus- tives : danse, arts martiaux, badminton, golf,
tration 3). “Cet événement nous transporte tennis de table, rugby, volley, tennis, parcours
allègrement au-delà des rives de la Garonne aventure, trampoline, canoë… (cf. illustra-
et nous invite à explorer des contrées cultu- tion 4). Toulouse Plages laisse aussi une grande
relles enrichissantes et divertissantes” (Jean- place aux activités de détente : taï-chi-chuan,
Luc Moudenc, maire de Toulouse, 2016). À yoga, qi gong, relaxation, lecture (livres, revues,
sa création, le festival Rio Loco invite un fleuve journaux…). Une grande roue est mise en place
du monde ; désormais, il invite différents pays. au niveau du port Viguerie, dans le quartier
L’édition 2016 a invité les mondes celtes. Le Saint-Cyprien.
festival est l’occasion d’associer musiques, spec- Chaque année depuis 2013, la Garona Cup
tacles pour le jeune public, arts visuels et est organisée sur le fleuve à proximité des quais
cinéma de plein air. de la Daurade. Il s’agit d’une course d’aviron
Outre des manifestations festives, les berges entre des équipes représentant des universités,
de la Garonne sont le support d’événements des grandes écoles et des organismes de
artistiques. Le festival photo MAP (Mise au recherche de Toulouse Midi-Pyrénées.
Point) existe depuis 2009. Il s’agit d’un ren- Ainsi, depuis plus de vingt-cinq ans, la
dez-vous annuel d’exposition de photogra- Garonne à Toulouse est le support d’activités
phies dans différents lieux de Toulouse, dont les de loisirs. La reconquête ludique du fleuve s’est
quais de la Garonne. Les installations sur les doublée d’une valorisation de certains lieux
quais sont d’accès libre et gratuit ; elles embel- emblématiques à l’intérieur des paysages flu-
lissent les quais le temps du festival. Tous les viaux urbains. Cette mise en valeur s’est dérou-
dimanches, sur les quais de la Daurade, “La lée en deux temps. De 1990 aux années 2010,
Garonne expose” présente des artistes ama- c’est d’abord le centre ancien qui a été valo-
teurs. Cette initiative existe depuis 2001. Enfin, risé. À partir des années 2010, le fleuve a été
certaines expositions temporaires peuvent valorisé à l’échelle de l’agglomération, de la
magnifier les paysages fluviaux urbains. C’est confluence avec l’Ariège jusqu’à Grenade-sur-
le cas, par exemple, du Fly’s Eye Dome, de Garonne(7).
Buckminster Fuller, dans le cadre du Festival C’est donc en 1992, sous l’un des mandats
international d’art de Toulouse. Cette œuvre de Dominique Baudis, que la Garonne dans le
a été installée sur l’esplanade de l’ancien port centre ancien est valorisée. La première décision
de Saint-Cyprien (port Viguerie), en 2013. forte est d’enlever les parkings à voitures des
Depuis plusieurs décennies, les berges de la différents ports de la ville(8). Puis, progressive-
Garonne et le fleuve lui-même sont le support ment, plusieurs lieux sont réhabilités et valo-
d’activités sportives et de détente. Durant la risés : l’ancien château d’eau devient le pôle
période estivale, il est possible de naviguer sur photographique de Toulouse ; les anciens abat-
le fleuve en canoë-kayak, en aviron ou en toirs sont transformés en musée d’art moderne
paddle, voire de faire du ski nautique. Enfin, et contemporain, le Bazacle (ancien moulin)
les digues, qu’elles soient en béton ou en brique, devient un lieu d’exposition ; l’ancienne manu-
sont le support d’une activité d’escalade, facture des tabacs accueille une université…
notamment en amont du pont Saint-Michel. L’objectif de l’action menée vise aussi à per-
Depuis 2003, la municipalité organise durant mettre le cheminement sur les berges : en 2007,
la période estivale Toulouse Plages. Cette mani- une passerelle est mise en place entre Les
festation, un temps déplacée au niveau de l’île Abattoirs et le port Viguerie. Les digues en
du Ramier à cause des nuisances provoquées béton deviennent un support de promenade,
par l’affluence, a retrouvé depuis plusieurs avec vue sur le fleuve. Les anciens bras du
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
Bazacle et de la Garonnette sont valorisés (cou- sagère(11). Cette dernière peut être définie comme
lée verte, aménagements paysagers). le fait que le site est apprécié et tenu pour
Depuis les années 2010 s’opère un change- agréable, ce qui n’est pas quantifiable de façon
ment d’échelle dans la reconquête des paysages pécuniaire mais peut conditionner les déplace-
fluviaux urbains(9). L’espace de reconquête ments des individus vers les lieux de leurs pré-
ludique s’étire en amont et en aval du centre férences. Chaque individu a des attentes diffé-
ancien(10). Dorénavant, il s’agit de valoriser les rentes par rapport aux aménités paysagères,
berges de la Garonne de la confluence avec puisque l’aspect agréable ou appréciable peut
l’Ariège jusqu’à Grenade-sur-Garonne. Le varier d’un individu à un autre.
10 juin 2012, La Dépêche du Midi titre : Pour évaluer si la Garonne est une aménité
“Découvrez le projet de Grand Parc Garonne, paysagère, nous avons mené une enquête in
le futur Central Park toulousain.” Ce projet, situ(12). La première question posée était : “Citez
porté par Toulouse Métropole, est entré depuis trois mots qui vous viennent à l’esprit lorsque
quelques années dans une phase opération- vous pensez à la Garonne à Toulouse.” Les
nelle. Plusieurs objectifs lui ont été assignés : deux mots qui ressortent du résultat sont
– développer les cheminements piétons et “nature” et “beau”. Les personnes ayant
cyclistes ; répondu à l’enquête recherchent donc dans la
– valoriser le patrimoine naturel ; Garonne une image de nature (en contradic-
– renforcer les usages liés à l’eau (navigation, tion avec l’artificialité des paysages urbains
sports nautiques) ; toulousains), associée à un paysage qualifié de
– développer de nouveaux espaces de culture “beau” (cf. illustration 5). Dans une moindre
et de convivialité (observatoire, guinguette). mesure, les mots “fleuve”, “paysage”, “pro-
Parmi les éléments réalisés ou en cours de menade”, “détente”, “calme”, “soleil”, “eau”
réalisation nous pouvons citer : les chemine- correspondent à des aspects appréciables,
ments doux le long de la Garonne, qui per- agréables, que les questionnés recherchent à
mettent de relier les espaces verts entre eux proximité du fleuve. Ces aspects peuvent être
(Quinze Sols, Blagnac, prairie de Filtres, parc complétés par des termes comme “agréable”,
du confluent ; les anciens ports du centre “tranquille”, “reposant”, “balade” ou “pai-
ancien, comme le port Saint-Pierre ou celui de sible”. Plusieurs pratiques de loisirs sont citées :
la Daurade ; la guinguette temporaire sur le “promenade”, “sport”, “fête”, “flâner”. Tous
quai de Tounis. ces mots utilisés pour qualifier la Garonne mon-
Ce projet est donc ambitieux et vise à don- trent le fleuve comme une aménité paysagère.
ner un nouveau souffle à la valorisation des Néanmoins, quelques termes cités sont négatifs.
berges du fleuve. Parmi les opérations ou Nous pouvons noter : “sale”, “pollution” et
réflexions programmées d’ici à 2020, nous “inondation” – ce dernier terme étant assez
pouvons noter celle de recréer le Parc toulou- peu évoqué, alors que l’origine des paysages
sain sur l’île du Ramier (promenade, fêtes, fluviaux toulousains est liée à ces phénomènes.
sport, détente) ou celle de réhabiliter le port Dans le cadre de cette enquête, une série de
Viguerie. Toutes ces initiatives devraient per- huit photographies ont été montrées aux per-
mettre de nouveaux usages, de nouvelles pra- sonnes enquêtées. Elles devaient répondre à la
tiques ludiques. Dans le même temps, et depuis question suivante (en attribuant une note de
les années 1990, les protections contre les inon- 0 à 10) : “Aimez-vous les paysages représentés
dations sont renforcées. sur les photographies ci-dessous ?”
AMÉNITÉ PAYSAGÈRE. Le processus de trans- Les photographies qui représentent un espace
formation en cours, qui renforce la vocation vert et les paysages identitaires de la ville (quais
d’espace de loisirs de la Garonne, permet de de brique rose) obtiennent les meilleures notes,
considérer le fleuve comme une aménité pay- respectivement 8,4/10 et 7,8/10. À un niveau
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PHILIPPE VALETTE
moindre, la photographie représentant les loi- si les bords de la Garonne connaissent une
sirs en bord de Garonne obtient 7,5/10, talon- métamorphose, il reste à animer le plan d’eau.
née de près par une image sur laquelle la ripi- La question de la navigation du fleuve se pose
sylve (forêt au bord du fleuve) est très présente déjà et se posera dans les années à venir. ■
(7,4/10). À travers ces quatre clichés, c’est tout
l’espace de loisirs en reconquête lié à la Garonne
qui est représenté – c’est lui qui obtient les
meilleures notes. Les clichés les moins bien
notés représentent l’ancien patrimoine industriel NOTES
(moulin, note de 6,7/10), les digues en béton (1) Philippe VALETTE et Jean-Michel CAROZZA, “Toulouse face à la
(6,2/10), un parking à voitures sur les berges Garonne : emprise de l’urbanisation dans la plaine inondable et
(4,2/10) et l’inondation (3,9/10). géohistoire des aménagements fluviaux” Geographicalia, 2013.
Enfin, l’enquête permettait d’évaluer les pra- (2) Cette citation est issue d’un reportage de 1975 intitulé “Voies
tiques des usagers (cf. illustration 6). 33,0 % sur berges à Toulouse”, conservé par l’Ina (Institut national de
des personnes enquêtées se déplacent à proxi- l'audiovisuel).
mité du fleuve pour marcher et se promener, http://www.ina.fr/video/I07275950
auxquelles il faut associer les 28,6 % d’usa- (3) SMEPAG (SYNDICAT MIXTE D’ÉTUDE ET DE PROGRAMMATION POUR
gers qui profitent de ces espaces pour flâner et L’AMÉNAGEMENT DE LA GARONNE), Schéma de protection contre les
contempler les paysages. L’activité sportive pro- eaux de la Garonne, Tome 1, Monographie des crues de la
prement dite (course à pied, vélo) représente Garonne (du pont du Roy au Bec d’Ambès), 1989.
11,3 %. Les activités ludiques (fêtes, rendez- (4) https://www.busbud.com/blog/fr/lieux-plus-instagrammes-
vous culturels…) apparaissent pour 6 %. france/
L’activité individuelle de la lecture, difficile- (5) Annie NOÉ-DUFOUR, Les Quartiers de Toulouse. L'île du Ramier,
ment appréciable et quantifiable comme usage, Coll. “Itinéraires du patrimoine”, n°176, Accord, 1998.
représente 5,4 %. Enfin, les berges de la (6) CUIET (CENTRE URBAIN D’INITIATION À L’ENVIRONNEMENT DE TOULOUSE),
Garonne sont aussi un espace de transit qui La Vie au bord du fleuve, 1993.
permet de relier un lieu à un autre (11,3 %). (7) – Philippe VALETTE, “La Garonne à Toulouse, du centre ancien
Ces différents résultats montrent que, pour aux communes périurbaines : observation des paysages,
les usagers, la Garonne est un espace voué aux évolution et intentionnalités”, dans “Diversité des paysages
loisirs. Cet espace en reconquête peut égale- fluviaux”, Norois, n° 237, 2015.
ment être considéré comme une aménité pay- – Rémi PAPILLAULT, Enrico CHAPEL et Anne PÉRÉ, Toulouse territoires
sagère. Garonne. Habiter en bord du fleuve, Presses universitaires du
■ ■ Mirail, 2012.
Les loisirs en bords de Garonne à Toulouse (8) Philippe VALETTE, Les Paysages fluviaux de la Garonne : les
existent depuis bien longtemps et les nom- métamorphoses d’un fleuve, thèse de doctorat de géographie,
breuses digues édifiées pour se protéger des Université Toulouse 2, 2002.
inondations sont depuis toujours des lieux pri- (9) – Philippe VALETTE, op. cit. [note 7), 2015.
vilégiés de promenade ou de flânerie. – Rémi PAPILLAULT, Enrico CHAPEL et Anne PÉRÉ, op. cit. [note 7),
Aujourd’hui, les loisirs y sont multiples, à 2012.
l’image du vaste mouvement impulsé dans les (10) COMMUNAUTÉ URBAINE DU GRAND TOULOUSE, Grand parc Garonne.
villes fluviales partout en Europe et dans le Plan guide à horizon 2030, 2012.
monde. Le projet actuel de Grand Parc (11) Philippe VALETTE, op. cit. [note 7], 2015.
Garonne est ambitieux et devrait accentuer la (12) Passation de 100 questionnaires sur les bords du fleuve à
place du fleuve dans l’agglomération. Si le Toulouse (travaux réalisés dans le cadre du master GEP par des
regard sur la Garonne a changé à partir des étudiants en 1re année : Paul Busserole, Hélène Chapelle, Laure
années 1990, les loisirs sur les bords de la Coussout, Laurie Lamigeon, Martin Lemaire, Pierre Marceteau,
Garonne restent un espace en reconquête. Et, Gaëlle Mercier, Quentin Merley, Ghislain Poirson et Léna Torset.
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
© Yvann K
ILLUSTRATION 1
Les quais de la Daurade à Toulouse, vaste espace de détente
ILLUSTRATION 3
Le festival Rio Loco
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PHILIPPE VALETTE
Lecture (5,4 %)
ILLUSTRATION 6
Les pratiques en bord de Garonne, à Toulouse
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De la conquête populaire au renouvellement urbain
SYLVIE SERVAIN Maître de conférences HDR, INSA Centre Val de Loire < sylvie.servain@insa-cvl.fr >
ANNE RIVIÈRE-HONEGGER Directrice de recherche CNRS, UMR 5600 EVS < anne.honegger@ens-lyon.fr >
DOMINIQUE ANDRIEU Ingénieur cartographe, MSH Val de Loire < dominique.andrieu@univ-tours.fr >
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SYLVIE SERVAIN, ANNE RIVIÈRE-HONEGGER ET DOMINIQUE ANDRIEU
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LÉGENDE
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SYLVIE SERVAIN, ANNE RIVIÈRE-HONEGGER ET DOMINIQUE ANDRIEU
Plusieurs gestionnaires sont en charge de ce de loisirs de plein air, du tourisme fluvial urbain
linéaire : Voies navigables de France (VNF), la ou l’amélioration du cadre de vie, sujets tou-
Compagnie nationale du Rhône, EDF et la jours d’actualité(8). Aujourd’hui, le Scot 2030
métropole de Lyon. Le cadre de vie et sa dimen- (schéma de cohérence territoriale en vigueur)
sion paysagère(7), les loisirs de proximité (pro- prône une politique globale pour les fleuves,
menade, sport…) et l’organisation d’événe- qui se décline en trois axes : la préservation de
ments y sont privilégiés. La mise en valeur des la valeur écologique, la mise en valeur des
sites sur la Saône est renforcée par une com- espaces en eau et le développement de l’usage
mande publique adressée à des artistes de de la voie navigable.
renom pour la réalisation d’œuvres ou d’amé- La métropole nantaise, de taille plus modeste
nagement singuliers au fil du fleuve. Par ailleurs, (24 communes, 600 000 habitants) est locali-
un parcours le long du Rhône accueille les sée dans le fond de l’estuaire de la Loire.
déplacements doux (vélos, fauteuils roulants, Comme Lyon, Nantes est marquée par des
rollers et promeneurs) en tant que tronçon de confluences (Sèvres nantaise, Erdre) et une his-
la Viarhôna, projet interrégional inscrit dans toire liée à l’eau. Pendant longtemps, la Venise
le Plan Rhône (2007-2013) et mis en œuvre de l’Ouest a présenté le visage d’une ville sillon-
avec les collectivités territoriales, qui doit in née par l’eau, centrée sur un port de commerce
fine permettre de joindre le lac Léman à la mer maritime comprenant des chantiers de
en pédalant. La dimension touristique du fleuve construction navale.
se retrouve dans l’accueil de paquebots de croi- Au début du XXe siècle, les travaux de com-
sière en centre-ville. Ces hôtels clubs flottants blement de bras de la Loire et de l’Erdre ont
sont de plus en plus nombreux sur le bassin été réalisés afin de rattacher des îles et des îlots
Rhône-Saône : leur nombre est passé de 10 à 24 aux berges et de développer des circulations
en dix ans selon VNF. À l’horizon 2020, une ferroviaires et routières. Cela a fortement modi-
trentaine de paquebots accosteront avec 130 fié le paysage et mis l’eau en retrait de la ville,
000 croisiéristes attendus et 1 500 escales pré- entraînant une méconnaissance du risque
vues dans le schéma directeur des paquebots d’inondation(9). Dans les années 2000, l’at-
de croisière fluviale. Aujourd’hui, 80 % de la tractivité et le dynamisme démographique de la
clientèle de ces paquebots est internationale, métropole ont favorisé la construction ou la
soit 70 000 touristes étrangers (Amérique du rénovation de quartiers tout en promouvant
Nord et Europe du Nord). Des aménagements la dimension environnementale de la métro-
importants sont réalisés par VNF afin de pro- pole et son cadre de vie – Nantes a été récom-
mouvoir le secteur touristique : bateaux pro- pensée du Prix de la capitale verte européenne,
menade et bateaux de croisière. en 2013. La trame verte et la biodiversité sont
Si l’expression “trame bleue” n’est pas utilisée centrales car la métropole compte de nom-
spécifiquement, l’importance du rôle joué par breux parcs et jardins (une centaine pour la
les cours d’eau dans la structuration du terri- seule ville de Nantes).
toire urbain a été mise en avant dès les années Le projet le plus important est celui de l’Île de
1980 par la création de la commission “Lyon Nantes (350 hectares) (cf. illustration 2),
ville fluviale” de la communauté urbaine de démarré en 2000 à la suite de l’arrêt des acti-
Lyon (Courly), puis par la mise en place, dix vités du chantier naval. Ce projet phare, qui
ans plus tard, du “Plan bleu” (1991). Bien que est actuellement dans sa seconde phase (2010-
n’ayant pas de valeur juridique, celui-ci a défini 2030), associe des logements, des lieux de loi-
des orientations d’aménagement reprises, par sirs et de culture (Les Machines de l’île, par
exemple, dans le schéma directeur de l’agglo- exemple) et des activités économiques. Des ins-
mération lyonnaise (réalisé en 1990, approuvé tallations artistiques et des manifestations cul-
en 1992), comme le développement des espaces turelles en lien avec le fleuve sont organisées,
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
PRÉCISIONS MÉTHODOLOGIQUES
analyse des sites sélectionnés combine plusieurs approches de façon à appréhender la complexité des situations. Tout d’abord, une
L’ entrée géographique et cartographique a été choisie afin d’identifier les caractéristiques telles que la structuration du tissu urbain
et du réseau hydrographique ou les types de paysage. Ce qui a permis tout à la fois de spatialiser et de caractériser le territoire consi-
déré. Puis l’analyse de documents de planification urbaine, produits par les collectivités locales (intercommunalités et communes princi-
palement) à partir de mots-clés, a permis de caractériser le projet urbain et la place de l’eau. Cette étape a permis de repérer les projets
menés ou en cours. Elle a débouché sur une analyse plus détaillée d’une sélection de ces projets, et leur comparaison. Enfin, des visites
sur le terrain et des rencontres avec les gestionnaires de ces espaces et de ces dispositifs ont complété la démarche de recherche. ■
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SYLVIE SERVAIN, ANNE RIVIÈRE-HONEGGER ET DOMINIQUE ANDRIEU
dont “Estuaire Nantes - Saint-Nazaire, le pay- puyant sur la Trame verte et bleue a notam-
sage, l’art et le fleuve” (2007-2009 et 2012). ment entraîné la création d’un service
Les aménagements de la Loire à vélo (vélo- Environnement et Écologie urbaine au sein de
route de 800 kilomètres) qui traverse l’île et l’eurométropole. Elle a permis la création, en
les cheminements sur les berges associés à des 2010, du parc naturel urbain Ill-Bruche (300
espaces verts ont permis le développement d’ac- hectares). Ce parc, situé à proximité du centre-
tivités de loisirs à proximité de la Loire et de ville, mène des actions de sensibilisation et de
ses affluents, la Sèvre nantaise et l’Erdre. Une protection de la biodiversité. Il est équipé
navette fluviale, Navibus-Loire, a été mise en d’aménagements de loisirs, dont des circuits
place en 2005 afin de traverser la Loire et de de randonnée qui bénéficient tant aux locaux
rejoindre Trentemoult, un ancien village de qu’aux visiteurs et touristes.
pêcheurs en rive sud. Enfin, il est possible de Si l’activité touristique de Strasbourg reste
descendre l’estuaire en bateau jusqu’à Saint- centrée sur la Petite France, que l’on peut
Nazaire ou de faire une croisière sur l’Erdre. découvrir par des visites à pied ou en bateau,
Tous ces éléments constituent une offre tou- il faut souligner que le développement des croi-
ristique originale associant patrimoine indus- sières sur le Rhin a favorisé l’accueil de nom-
triel et urbain, tourisme sportif et de nature breux touristes étrangers.
(Loire à vélo, sentiers de grande randonnée n° DES PROJETS S’APPUYANT SUR LES FLEUVES.
3 et Pays Sèvre et Maine) et itinérance en Six projets ont été identifiés à la fois comme
bateau. moteurs des projets urbains et liés aux fleuves
L’Eurométropole de Strasbourg (28 com- de ces trois métropoles (cf. tableau). Nous
munes, 480 000 habitants), à la frontière alle- avons retenu des projets associés aux cours
mande, est également marquée par des d’eau relevant du renouvellement urbain ou
confluences (dont celle du Rhin et de l’Ill) et de l’aménagement des berges (projet fortement
par la présence de canaux. L’eau y est omni- centré sur le réseau hydrographique en ce qui
présente, que ce soit dans le cœur historique concerne le parc naturel urbain Ill-Bruche).
de Strasbourg (la Grande Île est inscrite sur la Dans certains cas, comme l’Île de Nantes et les
liste du Patrimoine mondial de l’Unesco) qu’en Deux-Rives, ces deux dimensions (renouvelle-
périphérie. ment urbain et aménagement des berges) sont
Les activités portuaires, encore importantes associées.
aujourd’hui, ont contribué au développement Ces projets s’inscrivent dans la temporalité
et à la structuration de la ville. Elles ont peu à des dispositifs législatifs nationaux consacrés
peu migré à l’est vers la vallée du Rhin, libé- à l’eau et à l’environnement depuis les années
rant des terrains. Le projet urbain des Deux- 1990. La mise en perspective des projets avec
Rives, lancé dans les années 1990, regroupe le contexte national (cf. tableau) montre que
des projets ayant différentes vocations (cf. illus- ces nouveaux quartiers liés au fleuve ont été
tration 3). Il concerne 250 hectares de friches lancés entre les années 1990 et 2000, avant les
portuaires et s’appuie sur le Rhin et sur les Grenelle de l’environnement et la définition de
canaux et les bassins (bassin de la Citadelle). la Trame verte et bleue (décret n° 2012-1492 du
Des logements y sont associés à des équipe- 27 décembre 2012 - art. 1).
ments culturels (Cité de la musique et de la L’analyse des projets et l’identification de
danse, médiathèque) et à des activités écono- leurs principales caractéristiques (cf. tableau)
miques et commerciales. Plusieurs parcs urbains nous permettent de dégager des points com-
ont été créés, reliés par des voies de circulation muns.
douce. Tout d’abord une logique de multifonction-
La mise en place, dans le Scot adopté en nalité (activité économique, services, loisirs et
2006, d’une politique environnementale s’ap- habitat) est mise en œuvre en s’appuyant sur
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
ces quatre piliers : il s’agit d’un projet urbain tation, repos) et activités sportives se rencon-
contemporain qui mobilise des installations trent au bord de l’eau, répondant indéniable-
artistiques tout en développant des aménage- ment à un nouveau phénomène d’attraction
ments intégrant l’ensemble des usages fluviaux fluviale. Que les aménagements soient pérennes
et terrestres récréatifs et à destination des tou- ou saisonniers (guinguettes et plages), ils visent
ristes et en laissant une place, parfois limitée, à tous à favoriser la fréquentation du fleuve.
la biodiversité (cf. illustration 4). ■ ■
Le vocabulaire utilisé est proche et mobilise Cette première analyse nous a permis de
des figures imposées, par exemple la grue indus- mieux saisir les enjeux contemporains liant
trielle, totem emblématique d’une activité indus- ville et fleuve dans les projets urbains. Elle fait
trielle, ou l’utilisation de l’eau liée aux végé- écho aux résultats de travaux, menés dans
taux dans une mise en scène de zones humides d’autres contextes, sur les rapports entre la ville
(cf. illustration 5). et le cours d’eau(11) dans leurs dimensions éco-
De grandes signatures sont intervenues à logiques(12), en lien avec les risques d’inonda-
l’échelle des quartiers, d’un parc ou d’un équi- tion ou les paysages(13).
pement : le paysagiste Michel Corajoud pour Parmi les thèmes en filigrane qu’il convien-
la Cité internationale et le parc de Gerland au drait d’approfondir, retenons ceux-ci : l’apport
bord du Rhône ; l’atelier de l’architecte du fleuve dans le développement du tourisme
Alexandre Chemetoff pour l’Île de Nantes urbain ; les rapports entre nature et artifice ;
(phase 2000-2010). le contraste entre usages et pratiques sur les
La question de l’association de l’appropria- berges et sur l’eau ou encore l’évolution des
tion des lieux par les habitants et du dévelop- représentations et des perceptions de l’eau et
pement des activités touristiques est intéres- des milieux aquatiques en ville(14). ■
sante à considérer. Les projets sont tous inscrits
dans l’amélioration du cadre de vie et le déve-
loppement des activités de loisirs, certaines NOTES
étant liées à l’eau (croisières fluviales, loisirs (1) Les zones ateliers forment un réseau inter-organismes de
sportifs) ou utilisant les aménités paysagères recherches interdisciplinaires sur l’environnement et les
du fleuve. Ces métropoles, engagées dans des anthroposystèmes en relation avec les questions sociétales
démarches de tourisme urbain, conçoivent leurs d’intérêt national.
projets à destination des habitants et des tou- (2) http://www.trameverteetbleue.fr/presentation-tvb/qu-est-ce-
ristes en s’adaptant au site : des aménagements que-trame-verte-bleue/definitions-trame-verte-
destinés aux croisières dans les vallées du Rhône bleue?language%25253Den=fr&language%253Den=fr
et du Rhin, des véloroutes (Viarhôna et Loire (3) L’étude a bénéficié d’un financement du CNRS (zones ateliers)
à vélo), des musées innovants tant dans la et de l’Alliance nationale de recherche pour l’environnement.
forme architecturale que dans le contenu (4) Manon BORDERIE, Quand les sciences rencontrent
(musée des Confluences, les Machines de l’île). l’aménagement. Les trames bleues, mémoire de stage master 2
Nos travaux ont montré que le paysage est sur- Environnement, territoire et paysage, Université François-Rabelais
tout mobilisé comme décor ou comme élément (Tours), 2015.
dans la mise en œuvre d’un marketing territo- (5) Manon BORDERIE, Anne HONEGGER, Dominique ANDRIEU et Sylvie
rial(10), contribuant ainsi à la construction d’une SERVAIN, “Quand les sciences rencontrent l’aménagement autour
image attractive du lieu. de la question spécifique de la mise en œuvre des Trames bleues
Le constat est, pour ces trois métropoles, que à Lyon, Strasbourg et Nantes”, Troisième colloque biennal des
les sites ainsi repensés ont d’emblée été inves- zones ateliers du CNRS, 14-16 octobre 2015.
tis et plébiscités par un public nombreux, inter- (6) Manon STUM, La Trame bleue et sa prise en compte dans les
générationnel et divers par ses attentes. Activités aménagements urbains, mémoire de projet de fin d’étude, École
de détente (promenade, contemplation, médi- polytechnique de l’université de Tours, 2016.
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SYLVIE SERVAIN, ANNE RIVIÈRE-HONEGGER ET DOMINIQUE ANDRIEU
TABLEAU
PRINCIPALES CARACTÉRISTIQUES DES PROJETS
Confluence
Rénovation urbaine de terrains industriels (15 hectares, 2 Zac, rénovation d’un quartier)
Logements, activités économiques, loisirs, musée de la Confluence
MÉTROPOLE LYONNAISE
Rives de Rhône
Aménagement des berges et des accès (15 kilomètres)
Suppression des parkings
Création de parcours pour piétons et vélos, d’espaces de détente et de loisirs
Rives de Saône
Aménagement des berges et des accès (15 kilomètres)
Suppression des parkings
Prise en compte de la diversité paysagère et installations artistiques pour chaque séquence
de la Saône
EUROMÉTROPOLE DE STRASBOURG MÉTROPOLE NANTAISE
Île de Nantes
Renouvellement urbain des friches industrielles (350 hectares, Zac, écoquartier)
Logements, activités économiques et culturelles
Installations artistiques
Création de jardins associés au fleuve et aménagement des berges
Les Deux-Rives
Axe Strasbourg-Kehl
Rénovation urbaine (250 hectares, Zac)
Labellisation “écoquartier” (Zac Danube)
Logements, activités économiques et loisirs
Création de plusieurs jardins avec une dimension aquatique (épuration de l’eau, biodiver-
sité)
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
ILLUSTRATION 4
Les quatre piliers de la multifonctionnalité dans la métropole de Lyon
(de haut en bas) le musée des Confluences – le “Mikado”, installation artis-
tique sur les rives de la Saône – la forêt alluviale des berges (rives de
Rhône) – l’aménagement des berges (rives de Rhône)
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SYLVIE SERVAIN, ANNE RIVIÈRE-HONEGGER ET DOMINIQUE ANDRIEU
© Jonathan Stutz
© nool
ILLUSTRATION 5
Les figures imposées des projets
– le totem de la grue (quartier Danube, à Strasbourg, et Île de Nantes)
– la création de zones humides et de plans d’eau (jardin du Heyritz, éco-
quartier Danube, à Strasbourg, et parc des berges de Saône, à Lyon)
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
KILDINE LEICHNIG
Docteure en géographie, Ater, université du Littoral Côte d’Opale, laboratoire TVES EA 4477
< kildine.leichnig2@gmail.com >
SYLVIE CLARIMONT
Professeur des universités, université de Pau et des Pays de l’Adour, laboratoire Passages - UMR 5319
< sylvie.clarimont@univ-pau.fr >
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KILDINE LEICHNIG ET SYLVIE CLARIMONT
N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6 • E S PA C E S 3 3 3 75
USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
Parc métropolitain de l’eau, dont l’entrée est internationale et sur le Parc métropolitain de
gratuite, il accueille 1,5 million de visiteurs par l’eau. Cette étude polémique conduit l’OT de
an environ, essentiellement des habitants qui Saragosse à changer son positionnement en la
viennent se promener dans les jardins bota- matière. Désormais, des photographies des édi-
niques et aquatiques(5), tandis que les équipe- fices emblématiques de l’Exposition ainsi que du
ments payants peinent à trouver leur équilibre Parc métropolitain de l’eau sont présentées sur
financier. le site internet de l’OT et dans les documents
Parmi les pavillons dont l’avenir reste incer- de promotion touristique (“Saragosse monu-
tain, on retrouve une majorité d’édifices emblé- mentale” et “Carte touristique et gastrono-
matiques de l’Exposition internationale : le mique” de la ville, notamment). Les berges flu-
pavillon d’Espagne, le pavillon d’Aragon, le viales sont présentées comme l’un des espaces
pavillon Pont et la Tour de l’eau. Cette tour est verts de la ville qu’il est possible de visiter. Enfin,
un immeuble de 76 mètres de haut, dont le plan le personnel d’accueil a suivi une formation au
est en forme de goutte d’eau ; pendant printemps 2013(6) afin de mieux renseigner les
Zaragoza 2008, elle proposait sur plus de visiteurs sur le périmètre de l’Exposition et son
10 000 m2 une exposition sur le thème de “l’eau histoire, musée à ciel ouvert consacré à l’ar-
pour la vie” et accueillait en son cœur une sculp- chitecture contemporaine.
ture de 21 mètres de haut, Splash. À l’heure Malheureusement, ces changements s’avè-
actuelle, aucun projet de reconversion de cet rent insuffisants : les visiteurs parcourent peu le
édifice n’a été mis en œuvre. De manière géné- périmètre de l’Exposition internationale et le
rale, la reconversion des édifices emblématiques Parc métropolitain de l’eau. En effet, pour se
de l’Exposition internationale reste en suspens, rendre sur le méandre de Las Ranillas hors sai-
malgré la mobilisation de l’association citoyenne son, il n’y a, encore aujourd’hui, qu’une ligne
Legado Expo Zaragoza qui se bat pour que les de bus circulaire qui ne passe pas par le centre-
monuments de l’exposition, qu’elle considère ville historique. Le bus touristique et l’embar-
comme des éléments de patrimoine, ne soient cation fluviale Ebrobus ne se rendent réguliè-
pas laissés à l’abandon. rement sur le périmètre de l’Exposition qu’en
Le stade d’eau vive fait partie des équipe- saison estivale. Notons que cet espace excen-
ments qui ont eu du mal à trouver une tré et mal desservi par les transports en com-
deuxième vie. Son exploitation étant jugée trop mun ne se situe qu’à quatre kilomètres à pied
coûteuse, il est resté quasi fermé pendant une de la basilique du Pilar, édifice emblématique
longue période (sauf sur réservation de de la ville, mais qu’aucune signalisation n’in-
groupes). Sa gestion a finalement été déléguée dique comment s’y rendre.
en 2015 à Loleta Sports, pour une durée de Concernant l’offre touristique ou de loisirs
vingt-cinq ans. en lien avec l’espace fluvial urbain, les possibi-
FAIBLE VALORISATION TOURISTIQUE. L’espace lités proposées par l’OT sont peu développées.
fluvial urbain reste globalement peu valorisé On recense seulement deux produits : le bus
par l’office de tourisme, qui ne propose que touristique de jour et le Bizitour (promenade
peu d’informations sur celui-ci (et seulement accompagnée à vélo). Le bus touristique de jour
quelques produits). De 2009 à 2012, le péri- a rallongé son parcours en 2013 afin de pas-
mètre de l’Exposition internationale était même ser par le Parc métropolitain de l’eau et par le
quasi absent de l’offre proposée. Un tournant périmètre de l’Expo. Son itinéraire, qui permet
s’opère en 2012 avec la parution d’une étude, de voir le méandre de Las Ranillas réaménagé,
réalisée par l’association Legado Expo, révé- oublie l’espace fluvial urbain – le Parc métro-
lant les carences de l’action de l’office de tou- politain de l’eau, le périmètre de l’Exposition
risme (OT) en matière d’information et de pro- internationale, les ponts et les édifices emblé-
motion sur le périmètre de l’Exposition matiques sont présentés comme le dernier front
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KILDINE LEICHNIG ET SYLVIE CLARIMONT
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
De la conquête populaire au renouvellement urbain
Situé au
nord-ouest
de la ville, le
périmètre de
l’Exposition
internationa-
le est le nou-
veau front
d’urbanisa-
tion de
Saragosse
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KILDINE LEICHNIG ET SYLVIE CLARIMONT
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
LE CONCEPT DE
RIVIÈRE-SPHÈRE AU SERVICE DE
LA RECONQUÊTE DE L’ESPACE FLUVIAL,
À AMSTERDAM ET AILLEURS
L’eau fait partie de l’identité d’Amsterdam : elle est fon-
IRENE J. KLAVER
Professeure de philosophie, University of North Texas
< klaver@unt.edu >
80 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
IRENE J. KLAVER
msterdam n’est pas, stricto sensu, investissent leurs capitaux dans une des plus
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
LE MANHATTAN D’AMSTERDAM. Pendant des ment néolibéral, l’espace urbain autour de l’eau
siècles, l’Ij joue un rôle infrastructurel essen- est devenu un atout de valeur, un foyer d’em-
tiel dans la ville, en tant que point d’entrée dans bourgeoisement. L’économie de marché
le monde du commerce. Vers la fin du XXe engendre une ville de l’élite plutôt qu’une ville
siècle, la rivière devient également un élément du peuple(5). Susan Fainstein, dans The Just
clé du développement urbain. Avec son large City(6), définit les trois conditions pour assurer
cours d’eau et une circulation extensive de une justice urbaine dans le monde occidental :
péniches, elle a l’allure d’un grand fleuve, tout “équité, démocratie et diversité”. Sur ces trois
en étant relativement proche du centre-ville. points, la question de l’eau pour tous à
L’immobilier décolle sur les berges de l’Ij et, Amsterdam a un caractère pressant. Qui peut
dans certains cercles, Amsterdam-Noord est utiliser les bords des cours d’eau ? quelle est la
surnommé le Manhattan d’Amsterdam. part de la population qui en jouit ? comment
Après des années de réunions associant élus, sont prises les décisions ?
partenaires privés et citoyens, sont créés sur Amsterdam est souvent louée pour sa poli-
les rives de l’Ij de nouveaux quartiers, avec des tique de construction fondée sur le consensus,
logements haut de gamme et des équipements pour la qualité de ses investissements publics et
publics : le musée du Film (Eye), une salle de pour “la force et la continuité de sa capacité
concert, le terminal de croisières, la biblio- de développement urbain(7)” – elle aurait ainsi
thèque municipale… De grandes manifesta- créé un “modèle d’une grande justice(8)”. Cela
tions y sont organisées, dont la plus célèbre, a peut-être été le cas pendant la majeure partie
Sail Amsterdam, est créée en 1975 pour célé- du XXe siècle, mais ce modèle est plus que mis
brer le 700e anniversaire d’Amsterdam. Tous à mal du fait de l’attractivité de l’eau. Une poli-
les cinq ans, pendant cinq jours, en août, Sail tique de logement plutôt équitable a été pro-
Amsterdam attire des millions de visiteurs. Il gressivement remplacée par le pouvoir d’un
s’agit d’un des plus grands festivals maritimes marché de l’immobilier féroce, avec des loyers
au monde, avec la participation des plus gros et des prix au mètre carré qui ont explosé – la
voiliers et de centaines de navires historiques, vie, le travail et les loisirs sur les berges sont
accueillis par 10 000 bateaux de taille plus de plus en plus inaccessibles aux classes
modeste. modestes et moyennes.
Ainsi, près d’un millénaire après sa fonda- Au début du XXIe siècle, Amsterdam suit le
tion, Amsterdam voit ses difficultés initiales se mouvement des villes qui font du marketing
transformer en atout ; le rapport Watervisie territorial pour rester compétitives sur le mar-
Amsterdam 2040 (“Vision de l’eau à ché mondial des destinations touristiques et
Amsterdam 2040”), publié par la Ville en 2015, des centres d’affaires. Le rapport Choisir
commence par cette phrase : “Amsterdam est Amsterdam de 2003 explique que “les dimen-
une ville d’eau.” Et dans l’avant-propos, Udo sions de la ville d’affaires, de la ville du savoir
Kock (chargé de l’Eau à la Ville d’Amsterdam) et de la ville résidentielle [doivent être] ren-
et Eric van der Burg (chargé de l’Urbanisme) forcées”. En 2004, le slogan “Iamsterdam”
rappellent que l’eau fait partie de l’identité est lancé(9). Une gouvernance commune du
d’Amsterdam, de son atmosphère ; ils souli- marketing territorial, associant les principaux
gnent que “l’eau à Amsterdam est pour tous !” acteurs économiques et institutionnels de la
L’eau pour tous. Il y a mille ans, l’eau ville, est mise en place. Début 2016, la ville
d’Amsterdam était effectivement à tous : cha- attire tant de touristes qu’elle décide de sus-
cun devait la gérer, la travailler, sinon la com- pendre son action marketing pendant quelque
battre. Aujourd’hui, la question se pose de temps. L’objectif de la politique touristique de
savoir si l’eau appartient encore à tout le la ville est désormais de “ralentir la crois-
monde. Dans un climat politique principale- sance(10)”.
82 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
IRENE J. KLAVER
Quid alors de l’avenir ? Notre manière sphère. Elles forment des réseaux étroits de
d’imaginer la ville en ce nouveau siècle est relations, la condition de possibilités. D’où la
essentielle, tout comme notre façon d’envisa- nécessité de parler de “rivière-sphère”, c’est-
ger la “citoyenneté urbaine(11)”. à-dire d’associer à la rivière la notion d’atmo-
IMMOBILIER FLORISSANT. La reconquête des sphère et de sphère.
rivières, associée à des plans de rénovation L’atmosphère, ce sont les dimensions sociales,
urbaine, conduit généralement, à Amsterdam politiques culturelles, esthétiques et émotion-
comme ailleurs, à la gentrification. Lorsque nelles qui lient la rivière et la ville. La notion
les vieilles berges dangereuses, abandonnées, d’atmosphère enrichit la conceptualisation de
négligées, polluées, sont transformées en rivière dans l’imaginaire culturel. Le concept
espaces de qualité, les quartiers existants, géné- de rivière-sphère résonne alors avec le concept
ralement pauvres, sont poussés “de côté” pour de Gernot Böhme : “Les atmosphères sont
faire de la place à une population de classe indéterminées avant tout dans leur statut onto-
moyenne à aisée(12). Il faut alors “savoir qui logique. Nous ne savons pas si nous devrions
prend les décisions concernant nos rivières leur attribuer les objets et les environnements
urbaines […] et finalement qui profite ou dont elles découlent ou les sujets qui les expé-
souffre de ces décisions(13)”. Les décideurs rimentent. Nous sommes également incertains
publics ont leur part de responsabilité dans ces en ce qui concerne leur identité. Elles semblent
changements. Au-delà du phénomène d’em- remplir l’espace avec une certaine tonalité de
bourgeoisement, le danger de cette transfor- sentiments, comme un brouillard (16).” Ce
mation est de créer un espace aseptisé et concept de rivière-sphère résonne aussi avec
contrôlé. les notions d’ambiance, l’ambiance cosmopo-
Amsterdam se dirige vers un nouvel avenir lite et ouverte des villes(17). Il explore la rivière
au rythme d’un marché de l’immobilier flo- comme lieu de connectivité et de complexité
rissant, rythme occasionnellement ponctué de pluriscalaire et multivectorielle.
résistance locale et politique. “La liberté de MÉANDRES. Le méandre est une composante
construire et reconstruire nos villes nous-mêmes fondamentale du modèle de rivière-sphère, car
est l’un de nos droits humains les plus pré- il fait référence à un système non déterministe
cieux, pourtant les plus négligés(14).” prototypique, tout en étant associé de fait à la
“Si la démocratie veut survivre à la mon- rivière, même s’il a presque disparu de l’ima-
dialisation, il est crucial d’imaginer un ordre ginaire culturel(18).
démocratique mondial avec la ville en son cœur. Depuis les débuts de la modernité, des
D’imaginer non pas des États, mais des villes méandres ont été créés pour faciliter la circu-
comme des éléments constitutifs d’une gou- lation fluviale, pour délimiter les propriétés,
vernance globale ayant une chance d’être pour organiser le développement urbain et
démocratique(15).” Et ce qu’on peut ajouter à pour réglementer la circulation commerciale
ces villes, ce sont les rivières. via des plannings précis. Le terme meandering
RIVIÈRE-SPHÈRE. Les rivières sont politiques (que l’on peut tenter de traduire par “errance
et ont longtemps été des lieux de contestation : sinueuse en forme de méandres”) a aujour-
le mot “rivière” est étymologiquement lié au d’hui une connotation négative, synonyme de
mot “rival”. Les rivières ne sont pas que des promenade sans but, de déambulation le long
lignes bleues tracées sur un plan. Elles sont d’un chemin tortueux, de balade autour d’un
plus que des bassins, des lignes de délimita- argument interminable.
tion ou des zones de drainage. Elles influen- Au cours de la seconde moitié du XXe siècle,
cent la géologie, l’air qui circule autour d’elles, les systèmes non linéaires ont été largement
la vie et les cultures aux alentours. Elles créent acceptés dans les sciences ; la théorie du chaos,
leur hydrosphère, leur biosphère et leur atmo- les modèles non linéaires et non déterministes –
N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6 • E S PA C E S 3 3 3 83
USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
le fait d’errer dans les méandres de la pensée – des rivières (Riverside Cities Network) s’ins-
ont permis de donner de la complexité à l’ima- crit de fait dans une approche de rivière-sphère ;
ginaire culturel. Les méandres permettent l’am- il contribue ainsi à un nouvel urbanisme ren-
biguïté et l’hybridité : c’est une nouvelle façon dant justice aux complexités d’un monde
de penser le progrès par le biais de la com- urbain globalisé. Il montre comment un monde
plexité. Symboliquement et métaphorique- en perpétuel mouvement est néanmoins accro-
ment, faire des méandres, c’est transmettre la ché à des ancres. Les rivières sont en place,
nature du non-linéaire. Le méandre donne de elles sont connectées, interconnectées et recon-
la place à la pensée en termes d’atmosphère, nectées. La façon dont elles fluctuent, avec qui,
pour ce qui ne peut être facilement mesuré, pour qui et avec quoi, voilà les questions éter-
pour ce qui relève du domaine immatériel qui nelles. Penser comme une rivière, se perdre
fonctionne de façon imprévisible et est régle- dans les méandres sont une manière d’appré-
menté par des structures de temps planifiées. Le hender la rivière-sphère dans son entièreté. Qui
méandre témoigne de la nécessité sociopoli- dit quoi à qui, où et quand, avec quelle inten-
tique de prendre le temps d’explorer le terrain, tion ? qui écoute, qui résiste ? Que nous dira
d’élucider des attributs, des relations, des pro- l’eau ?
blèmes et des solutions, comme porte d’entrée DROIT À LA RIVIÈRE. Le projet de David
vers de nouvelles constructions de l’imaginaire, Harvey sur le “droit à la ville(21)” s’applique
vers une capacité d’aspiration(19). au “droit à la rivière”. “La question du type de
THÉORIES DE LA COMPLEXITÉ. En voyant les ville que l’on souhaite ne peut être envisagée
rivières comme des sphères et en nous séparément du type de liens sociaux, de relation
appuyant sur la métaphore du meandering, à la nature, de style de vie, de technologies et
nous reconnaissons la nature complexe et de valeurs esthétiques que nous désirons. Le
mutable des constellations que sont les rivières. droit à la ville est bien plus qu’une liberté indi-
La probabilité et la complexité nous permettent viduelle à l’accès aux ressources urbaines : c’est
d’imaginer un modèle qui ne suive pas une un droit à nous changer nous-mêmes en chan-
ligne droite ou un calcul de certitudes “top- geant la ville. C’est un droit collectif et non un
down”. Les théories de la complexité sont per- droit individuel, puisque ce changement dépend
tinentes au XXIe siècle, à l’ère de la mondiali- nécessairement de l’exercice d’un pouvoir col-
sation et de l’urbanisation : “Avec beaucoup lectif pour reformer les processus d’urbanisa-
d’interdépendances convergentes, imbriquées tion.”
et irréversibles, la ‘mondialisation’ refait les Qui est ce “nous”, comment s’est-il consti-
‘sociétés’, mais elle ne le fait pas de façon tué, qui en fait partie, qui n’en fait pas partie ?
linéaire, fermée ou définitive. L’essor et l’élar- Amsterdam, avec sa longue tradition de col-
gissement des théories de la complexité font laboration, revitalise cet engagement autour
partie des processus mêmes du changement de ses eaux autour de modèles délibératifs, de
mondial, et contribuent à leur mise en place(20).” modèles de prise de décision démocratique.
Dans le cadre d’une approche de rivières- Mais les mécanismes du marché pourraient
sphères, les modèles géométriques de la nature être plus puissants. Dans une telle situation, il
et du développement urbain sont remplacés s’agit de créer une rivière-sphère dans laquelle
par des modèles de complexité, de flux ; non on ne se limite pas à la pensée linéaire, dans
seulement des flux d’eau, mais des flux de per- laquelle le méandre ait sa place et les droits du
sonnes, de capitaux, de lumière, de bagages, plus grand nombre de citoyens possible soient
de touristes, d’argent, d’échanges, d’expé- pris en compte.
riences. La quête et la conquête des berges permettent
Le projet de création du réseau européen de de chercher ensemble, dans le cadre d’une quête
métropoles pour le développement touristique avec les autres (c’est là le sens de con- dans le
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IRENE J. KLAVER
© S-F
“L’eau est pour tous !” ■
NOTES
(1) Fred FEDDES, A Millennium of Amsterdam: Spatial History of a vol. 1: Water and Urbanization, IB Tauris, 2014.
Marvelous City, Thoth Publishers, 2012. (13) Paul Stanton KIBEL, “Bankside urban: an introduction”, dans
(2) Idem. Paul Stanton KIBEL (dir.), Rivertown: Rethinking Urban Rivers, The
(3) David HARVEY, “The right to the city”, New Left Review, n° 53, MIT Press, 2007.
2008. (14) David HARVEY, op. cit. [note 3], 2008.
https://newleftreview.org/II/53/david-harvey-the-right-to-the-city (15) Benjamin BARBER, If Mayors Ruled the World: Dysfunctional
(4) Source : VILLE D’AMSTERDAM, Watervisie Amsterdam 2040 Nations, Rising Cities, Yale University Press, 2013.
(Concept), 2015. (16) Gernot BÖHME, “Atmosphere as the fundamental concept of a
https://www.amsterdam.nl/publish/pages/752403/concept_water new aesthetics”, Thesis Eleven, n° 36, 1993.
visie_amsterdam_2040.pdf (17) Ash AMIN, Doreen MASSEY et Nigel THRIFT, op. cit. [note 5],
(5) Ash AMIN, Doreen MASSEY et Nigel THRIFT, Cities for the Many, 2000.
Not the Few, Policy Press, 2000. (18) – Irene KLAVER, “Meander(ing) multiplicity”, dans Francesca DE
(6) Susan FAINSTEIN, The Just City, Cornell University Press, 2010. CHÂTEL, Gail HOLST-WARHAFt et Tammo STEENHUIS (dir.), Water
(7) Patsy HEALEY, Urban Complexity and Spatial Strategies: Towards Scarcity, Security and Democracy: A Mediterranean Mosaic,
a Relational Planning for Our Times, Routledge, 2007. Cornell University Press, 2014.
(8) Susan FAINSTEIN, op. cit. [note 6], 2010. – Irene KLAVER, “Re-rivering environmental imagination: meander
(9) VILLE D’AMSTERDAM, The Making of... The City Marketing of movement and Merleau-Ponty”, dans Bryan E. BANNON (dir.),
Amsterdam, 2004. Nature and Experience: Phenomenology and the Environment,
(10) Michiel COUZY, “Amsterdam gaat toerisme beteugelen door Rowman and Littlefield International Limited, 2016.
strengere toetsing nieuwe hotels”, Het Parool, 9 janvier 2016. (19) Arjun APPADURAI, “The capacity to aspire: culture and the terms
(11) Ash AMIN, Doreen MASSEY et Nigel THRIFT, op. cit. [note 5], of recognition”, dans Vijayendra RAO et Michael WALTON (dir.),
2000. Culture and Public Action, Stanford University Press, 2004.
(12) Irene J. KLAVER et J. Aaron FRITH, “A history of Los Angeles’s (20) John LAW et John URRY, “Enacting the social”, Economy and
water supply: towards reimagining the Los Angeles river”, dans Society, vol. 33, n° 3, 2004.
Terje TVEDT et Terje OESTIGAARD (dir.), A History of Water, série III, (21) David HARVEY, op. cit. [note 3], 2008.
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
LA RECONQUÊTE
DES BERGES DU RHÔNE À LYON
UN SUCCÈS ENCORE MAL MAÎTRISÉ
INÈS MÉLIANI
Docteur en géographie, chercheure associée, ENS de Lyon
< ines.meliani@ens-lyon.fr >
86 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
INÈS MÉLIANI
yon est probablement l’une des viron dix hectares et d’une configuration
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
aires de jeux, chemins de promenade, instal- sances à répétition. Dans nos enquêtes, les
lations sportives, jardin partagé, entrées, etc., usagers dénoncent, entre autres, les rassem-
puisque nous formulons l’hypothèse que les blements en soirée et tard dans la nuit, ainsi
conflits d’usage varient dans le temps (jour ; que la présence importante d’alcool, souvent
nuit ; saison), dans l’espace et selon la spéci- accompagnée de consommation de substances
ficité du lieu (présence ou absence d’aména- illicites.
gement, surfréquentation ou espace reculé, La notion d’historicité ou d’identité ratta-
éclairage, entretien du site). Le panel de per- chée au lieu est l’une des pistes qui permet-
sonnes interrogées est constitué de prome- tent d’éclairer les raisons de l’existence de
neurs, de joggeurs, de cyclistes, de skateurs, conflits d’usage. Les berges du Rhône étaient
d’usagers réguliers ou occasionnels, de com- en effet investies par les Lyonnais à l’occa-
merçants implantés dans les parcs, de res- sion de la fréquentation des guinguettes
ponsables de la sécurité des parcs, de rive- (cabanes rustiques où l’on trouvait toutes
rains (notamment les habitants des péniches sortes de fritures et vins locaux), déjà créa-
à quai). trices de nuisances sonores. Or, ces activités
Les principales situations saisies en matière nocturnes se sont largement amplifiées depuis
de conflits d’usage concernent d’abord les le réaménagement des berges en “parc urbain
relations entre les activités nocturnes du site au fil de l’eau”. En son centre, le théâtre du
et les usages résidentiels(4). En effet, les acti- Rhône, reconnaissable par sa physionomie
vités commerciales (restaurants), la résidence en forme de théâtre romain, aménagé telles
sur les péniches à quai et les discothèques les tribunes d’un stade, est propice aux ani-
sont les principales activités de ce site. Si bien mations de plein air, attirant de jour comme
que l’inscription et la prédominance de ces de nuit la majeure partie des usagers des
trois activités sur ce même territoire posent berges. Appelée “terrasses de la Guillotière”
certaines difficultés de gestion à la métropole en référence à son environnement immédiat,
de Lyon. Alors que le parc procure d’une cette portion d’espace est principalement tou-
manière générale calme et tranquillité aux chée par les nuisances sonores.
usagers, les habitants des péniches et des quais D’autres conflits d’usage concernent l’in-
hauts se plaignent du bruit. compatibilité des pratiques. Par leur confi-
La fréquentation des berges du Rhône guration linéaire, les berges du Rhône sont
demeure en effet globalement élevée tout au en effet largement plébiscitées par les cyclistes
long de l’année : 31,8 % des personnes inter- qui empruntent cette voie affectée aux dépla-
rogées déclarent fréquenter les berges du cements doux comme un axe de circulation –
Rhône lors de la pause-déjeuner, et près d’un de cette façon, ils évitent les dangers liés à la
quart des usagers les fréquentent en soirée (à vitesse des automobiles et l’attente aux feux
partir de 18 heures). Faisant partie de ces tricolores sur les quais hauts. Par ailleurs,
nouvelles centralités urbaines lyonnaises, les étant intégrées au projet interrégional d’en-
berges du Rhône sont de plus très accessibles, vergure européenne de raccordement de la
de jour comme de nuit (pas de grille de fer- Haute-Savoie à l’Hérault, les berges du Rhône
meture). constituent l’une des portions de la véloroute
CONFLITS D’USAGE. Des rassemblements fes- “du Léman à la mer”, qui permet ainsi la
tifs (organisés ou spontanés) autour de spec- découverte du Rhône et de ses abords. Si bien
tacles de musique provoquent, notamment que les berges du Rhône sont particulière-
en début de soirée, de nombreuses nuisances ment fréquentées par les cyclistes, augmen-
sonores. Ainsi, de nombreuses plaintes sont tant les risques de collision avec joggeurs et
déposées auprès des autorités compétentes promeneurs. C’est ici une proximité géogra-
(mairie, bailleurs…) pour signaler ces nui- phique subie (linéaire) qui semble être à l’ori-
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INÈS MÉLIANI
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Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
90 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
INÈS MÉLIANI
© Inès Méliani
© Inès Méliani
© Inès Méliani
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
CÉCILE RENARD-DELAUTRE
Architecte-urbaniste, docteur en géographie urbaine, chercheur associée EA EIREST
< cecile.renard.archi@gmail.com >
92 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
CÉCILE RENARD-DELAUTRE
N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6 • E S PA C E S 3 3 3 93
USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
tecture iconique, la mise en valeur du patri- accueilli la course en 1993. L’édition de 2005
moine (notamment industriel), l’accueil d’évé- est ambitieuse, car elle a clairement pour objec-
nements culturels nationaux, européens, inter- tif d’illustrer le net dépassement des formes
nationaux. À cette liste, il faut bien sûr ajouter traditionnelles de la maritimité et à s’ancrer
la reconquête des fronts d’eau urbains. Le dans le festivisme contemporain. Le tournant
fleuve est en effet l’élément géographique struc- culturel et le renouveau d’un rapport à la Tyne
turant auquel la plupart des projets redonnent sont donnés à voir au monde par le biais de la
le rôle de référent patrimonial local. médiatisation de l’événement. L’interface entre
Newcastle-upon-Tyne apparaît ainsi comme Newcastle, Gateshead et la Tyne se revendique
une parfaite illustration de l’application de la alors comme un nouveau territoire de la mon-
“recette”, avec l’intégration de tous ses ingré- dialisation – un territoire qui communique afin
dients. Le projet de Quayside, soit le réamé- de transformer les représentations locales.
nagement des quais pour en faire la nouvelle La nouvelle entité créée, Newcastle-
vitrine métropolitaine du Tyneside, est l’es- Gateshead, concourt au titre de Capitale euro-
sence de la mutation des abords de la Tyne. péenne de la culture 2008 – ce sera finalement
Ce projet a pour ambition de recentrer l’acti- Liverpool qui sera désignée.
vité économique et l’animation de Newcastle VITRINE MÉTROPOLITAINE MAIS SUCCÈS
et de Gateshead aux abords de la Tyne. En MITIGÉ. Les quais de Newcastle et de Gateshead
2005, Quayside représente alors “la possibi- s’affichent aujourd’hui comme une vitrine
lité d’un futur optimiste dans une ère pessi- métropolitaine, mais pas comme un site de
miste(8).” reconquête populaire. Dès l’origine, des cri-
Les trois étendards architecturaux de la ville tiques s’élèvent contre le projet et évoquent le
(le Millennium Bridge, le centre d’art contem- risque d’une “greffe” urbaine éloignée de
porain du Baltic et la salle de concert Sage l’identité et du sentiment d’appartenance
Gateshead) servent l’imagerie et la communi- locale(11). Quayside ne semble en effet pas une
cation de ce projet urbain, agissant comme les entière réussite : le projet laisse de côté la popu-
vaisseaux amiraux(9) de l’opération. lation modeste et passe ainsi à côté de son
Dans le même objectif de propulser objectif de renouveau social ; il engendre une
Newcastle sur la scène culturelle de la mon- “gentrification”(12).
dialisation, il est fait appel à l’artiste améri- Si la fréquentation, les usages et les pratiques
cain Spencer Tunick, connu mondialement sur les quais se sont renouvelés grâce aux amé-
pour ses compositions photographiques où nagements et embellissements, ils ne témoi-
figurent des centaines de volontaires, hommes gnent pas d’une appropriation exemplaire des
et femmes, posant nus (à New York en 1992, lieux par les habitants. Le tourisme culturel,
à Sydney en 2010, ou encore à Amsterdam et objectif phare du redressement de l’agglomé-
à Mexico en 2007). Spencer Tunick réalise une ration, semble avoir désormais glissé vers un
telle composition à Newcastle en 2005. tourisme moins ambitieux. L’office de tourisme
L’invitation de Spencer Tunick montre la (Newcastle Gateshead Initiative) qui avait
volonté d’afficher une dimension culturelle de ouvert dans le centre commerçant des hau-
portée mondiale : “a World Class Culture(10)”. teurs de Newcastle a été contraint de fermer
La même année, Newcastle accueille une en avril 2015.
étape de la Tall Ships’ Race, course interna- Si les nombreux bars, restaurants et night-
tionale de voiliers écoles. Elle fait ainsi la clubs de Newcastle attirent une très large popu-
démonstration de sa capacité à organiser un lation régionale pour les week-ends et les occa-
événement de grande envergure et de pro- sions festives spécifiques (Saint-Patrick, nouvel
mouvoir ses nouveaux équipements iconiques an, enterrements de vie de célibataires, matchs
récemment inaugurés. La ville avait déjà de foot de l’équipe de Newcastle, etc.), ces lieux
94 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
CÉCILE RENARD-DELAUTRE
de fête ne se situent pas spécifiquement aux (ré)ancrer dans leur territoire. Le patrimoine
abords du fleuve et se répartissent majoritai- endosse un rôle social de plus en plus prégnant,
rement dans le centre-ville de Newcastle. remplissant une fonction d’ancrage local et de
“On peut se demander s’il est possible de réappropriation. En France comme au
reconquérir des quais désertés et demeurés Royaume-Uni, les succès des Journées du patri-
longtemps inaccessibles et de réinventer une moine (Heritage Open Days) sont un témoi-
nouvelle ville en relation avec l’eau, en laissant gnage de cette mutation.
la rivière, le lac ou le bord de mer dans leur Dans le comté du Tyne and Wear, le nombre
état actuel de stérilité qu’aggrave leur statut de sites patrimoniaux qui sont ouverts au
‘d’espace libre’ ou, plus vaguement encore, public dans ce cadre ne cesse d’augmenter
‘d’espace naturel’. Traiter un plan d’eau comme depuis 2002 : 84 bâtiments et animations,
une place bleue, n’est-ce pas en dénaturer le 18 500 visites en 2002 ; 172 bâtiments et ani-
sens et en ruiner la vitalité ?”, s’interroge mations, 41 260 visites en 2014. C’est l’une
Claude Prelorenzo(13). des régions les plus dynamiques du pays.
Comme lui, on peut remarquer que l’ap- L’implication des bénévoles lors de Heritage
propriation du fleuve (de l’eau) n’a pas, elle Open Days est significative de la mobilisation
non plus, su être réinventée à Newcastle. Le notable de la population dans des initiatives
renouvellement d’une forme de maritimité de préservation et de mise en valeur du patri-
semble s’être concentré sur l’aménagement du moine.
front d’eau, misant seulement sur la force sym- Si les initiatives de patrimonialisation iso-
bolique de l’eau dans l’image urbaine et délais- lées sont difficilement quantifiables, elles sont
sant son usage. Si la Tall Ships’ Race a permis néanmoins au cœur de la préservation et de la
de faire revivre temporairement le fleuve et de mise en valeur du patrimoine industriel et flu-
raviver le souvenir des bateaux qui autrefois vial du Tyneside. En effet, elles sont largement
faisaient partie du paysage quotidien de la ville, tournées vers la valorisation de la Tyne comme
les transports et loisirs nautiques demeurent fleuve outil. Comme si après ces années de
rares sur la Tyne. Depuis les années 2000, mise en lumière du fleuve, de festivisme un peu
seules quelques courses d’aviron (rowing) inter- outrancier, on voulait se rappeler des douleurs,
universitaires ont été organisées et ont fait des difficultés des gens de mer, des mineurs et
revivre un loisir nautique développé sur la Tyne de la population qui a souffert pour dévelop-
dès les années 1820, ce type de courses ayant per l’industrie du Tyneside. Si la mémoire
connu son apogée entre 1844 et 1871. En 1852 ouvrière a toujours perduré, elle semble avoir
a été fondé le Tyne Amateur Rowing Club qui pris une nouvelle ampleur durant cette der-
existe encore aujourd’hui et compte quelque nière décennie.
200 membres. Cette mise en avant du Newcastle industriel
Une seule compagnie privée de bateaux pro- et de la Tyne fleuve outil est portée par des ini-
menades organise des circuits commentés sur tiatives tant institutionnelles (le Discovery
la Tyne, principalement de juin à septembre et Museum, par exemple) qu’émanant de la
encore pas tous les jours. Ses deux bateaux société civile. En effet, au-delà des efforts des
sont surtout proposés à la privatisation pour institutions pour mettre en valeur ce patri-
des événements particuliers. moine local, les habitants éprouvent la néces-
RECONQUÊTE POPULAIRE. Dans les années sité de coproduire eux-mêmes leur patrimoine.
2007-2008, la crise économique et l’accéléra- C’est le cas avec le projet The Net - Old Low
tion de la mondialisation font apparaître une Light House qui est l’un des meilleurs exemples
mutation sociétale qui engendre, entre autres, d’une initiative ascendante (bottom-up) à
le besoin pour les individus de retrouver du l’œuvre dans le Tyneside(14). Situé à North
sens et des valeurs, et notamment de se Shields, à l’embouchure, son objet principal
N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6 • E S PA C E S 3 3 3 95
USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
est de préserver le patrimoine maritime local, leur identité. Cette tendance se rencontre dans
notamment à travers l’héritage des pêcheurs. le Tyneside où elle s’apparente à une réappro-
L’objectif est de constituer une collection et de priation d’un patrimoine, lié au fleuve outil et
la mettre en visite dans les locaux réhabilités à à la mémoire ouvrière, qui semblait leur avoir
cet effet dans le bâtiment d’un ancien phare. échappé sous l’effet des politiques de marketing
Grâce aux dons et à l’implication de nombreux territorial. Les initiatives sont diverses. Elles
bénévoles, le lieu a pu ouvrir sa collection aux impliquent de nombreux bénévoles pour qui il
visiteurs à partir d’avril 2015. La démarche paraît essentiel de s’investir localement dans
de constitution de la collection est celle d’une la transmission d’un passé révolu, mais aussi de
coproduction du patrimoine par les commu- pratiques sur lesquelles des “témoins” peuvent
nautés locales et les gestionnaires du site. encore apporter un éclairage. Comme si le
■ ■ regret de ne pas avoir davantage pris garde à
Le Tyneside doit son essor à son fleuve grâce ce patrimoine auparavant se faisait sentir, on
auquel l’agglomération a connu une période assiste aujourd’hui à l’émergence de démarches
faste et dynamique. La Tyne était un axe de qui ont pour objectif de patrimonialiser le
transport majeur sur lequel les navires allaient contemporain. ■
et venaient. Les quais étaient soumis à la même
effervescence et se présentaient comme le centre
névralgique de la région. Après la rudesse de la
désindustrialisation, les acteurs locaux ont
tenté de redynamiser les abords de la Tyne et
de replacer le fleuve au centre de l’activité NOTES
urbaine. Dans les années 2000, le nouveau (1) – Maria GRAVARI-BARBAS, La Mer retrouvée : Baltimore et
positionnement ambitionné pour Newcastle- autres reconquêtes de fronts d’eau urbains, thèse de doctorat
Gateshead est alors celui d’un projet de ville de géographie, université Paris 4, 1991.
fondé sur le registre culturel et festif. – Rinio BRUTTOMESSO (dir.), Waterfronts. A new frontier for cities
Aujourd’hui, soit une quinzaine d’années on water, International Center Cities on Water, 1993.
après, il semble que la mutation n’ait pas pris – Hedley SMYTH, Marketing the City: the role of flagship
l’ampleur espérée. Subissant comme bien developments in urban regeneration, E&FN Spon, 1994.
d’autres territoires la crise de 2008, les déve- – Rachel RODRIGES-MALTA, “Une vitrine métropolitaine sur les
loppements culturels et touristiques ont fait quais. Villes portuaires au sud de l’Europe”, Les Annales de la
face à d’importantes coupes budgétaires qui recherche urbaine, n° 97, 2004.
ont bloqué la dynamique espérée. Le tourisme (2) Gerry MOONEY, “Cultural policy as urban transformation?
culturel, qui avait notamment été annoncé Critical reflections on Glasgow, European City of Culture 1990”,
comme un objectif, peine à trouver son public Local Economy, vol. 19, n° 4, 2004.
tandis que l’office de tourisme Newcastle- (3) Steven MILES, “‘Our Tyne’: Iconic regeneration and the
Gateshead a été contraint de fermer ses portes revitalisation of identity in Newcastle Gateshead”, Urban
en avril 2015. Le secteur touristique se trouve Studies, vol. 42, n° 5-6, mai 2005.
alors modifié et se satisfait d’une fréquenta- (4) Maria GRAVARI-BARBAS et Cécile RENARD-DELAUTRE (dir.),
tion régionale, moins qualitative, centrée sur Starchitecture(s). Figures d’architectes et espace urbain,
la fête (dont les célébrations liées au football). coll. “Gestion de la culture”, L’Harmattan, 2015.
La tendance générale montre une réappro- (5) David HARVEY, “From managerialism to entrepreneurialism:
priation des problématiques patrimoniales par the transformation in urban governance in late capitalism”,
la population. Dans de nombreux contextes, les Geografiska Annaler, vol. 71, n° 1, 1989.
citoyens se sentent concernés par l’idée de (6) Laurent DAVEZIES, “Développement local : le déménagement
recueillir, de protéger et de transmettre un patri- des Français. La dissociation des lieux de production et de
moine qui constitue une part importante de consommation”, Futuribles, n° 295, 2004.
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CÉCILE RENARD-DELAUTRE
(7) Greg RICHARDS, “Tourism development trajectories: from International Journal of Culture Policy, vol. 10, n° 1, 2004.
culture to creativity?”, Encontros científicos - Tourism & – Steven MILES, op. cit. [note 3], 2005.
management studies, n° 6, 2010. (12) Mark BAILONI, “Quelle place pour le patrimoine dans le
(8) Steven MILES, op. cit. [note 3], 2005. renouveau d’une région postindustrielle ? Le cas du Nord-Est
(9) Hedley SMYTH, op. cit. [note 1], 1994. anglais”, Revue géographique de l’Est, vol. 48, n° 1-2, 2008.
(10) “World class culture” était le slogan de la structure de (13) Claude PRELORENZO, “La ville portuaire, un nouveau regard”,
promotion touristique Newcastle-Gateshead, créée en 2000. Rives méditerranéennes, n° 39, 2011.
(11) – Chistopher BAILEY, Steven MILES et Peter STARK, “Culture- (14) Cécile RENARD-DELAUTRE, “Note de recherche. Patrimoine
led regeneration and the revitalisation of identities in fluvial, modernité et maritimité : un rapport en évolution. Le cas
Newcastle, Gateshead and the North East of England”, de Newcastle-upon-Tyne”, Norois, n° 237, 2015.
© davidevison
© hipproductions
Deux visions de l’espace fluvial de l’agglomération du Tyneside : le phare de South Shields, à l’embouchure de la Tyne ;
le Gateshead Millennium Bridge et le Sage Gateshead, à Newcastle
N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6 • E S PA C E S 3 3 3 97
USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
METTRE EN TOURISME
LES BERGES DE LA VLTAVA
POUR MIEUX GÉRER LES FLUX
TOURISTIQUES À PRAGUE
La mise en tourisme des berges de la Vltava pourrait
ALŽBETA KIRÁLOVÁ
University College of Business, Prague
< kiralova@vso-praha.eu >
98 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
ALŽBETA KIRÁLOVÁ
rague est la ville la plus visitée de marque de destination touristique plus forte
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
100 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
ALŽBETA KIRÁLOVÁ
TABLEAU 1
TABLEAU 2
Source : Analyse de l’auteur fondée sur les données de Prague City Tourism (2016).
INDICATEURS DE LA PRESSION TOURISTIQUE À PRAGUE
(*) Le taux de fonction touristique d’une zone (exprimé en lits pour 100 habitants) est égal au rapport entre le
nombre total de lits touristiques et la population de la zone. Il permet de relativiser l'importance de la
capacité d’accueil touristique par rapport à la population résidant habituellement dans la zone. Cet indicateur
exprime la capacité théorique, en termes d’accueil touristique, d’un territoire à augmenter sa population.
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
TABLEAU 3
L’importance mesure le poids des points forts ou faibles de l’espace fluvial. La note donnée à chaque facteur
indique s’il s’agit d’un point fort majeur (3) ou mineur (1). Le score est le résultat de l’importance multipliée
par la note ; il permet de prioriser les points forts et faibles.
102 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
ALŽBETA KIRÁLOVÁ
TABLEAU 4
L’importance des opportunités et des menaces montre l’impact des facteurs externes sur le développement touristique dans les espaces riverains. La probabilité
d’occurrence renseigne sur la probabilité que l’opportunité ou la menace ait un impact sur le développement touristique de l’espace fluvial. L’importance multipliée
par la probabilité donne un score qui permet à l’espace riverain de prioriser les opportunités et les menaces. Il faut être attentif aux facteurs qui obtiennent les
scores les plus élevés, tandis que les facteurs qui ont peu de chances de contribuer au développement touristique des bords de la Vltava peuvent être ignorés.
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
LE FESTIVAL DE L’OH!
UNE MANIFESTATION
FESTIVE, CULTURELLE ET ÉDUCATIVE
OLIVIER MEÏER
Directeur du Festival de l’Oh! (direction des services de l’environnement
et de l’assainissement du Val-de-Marne)
< olivier.meier@valdemarne.fr >
104 E S PA C E S 3 3 3 • N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6
OLIVIER MEÏER
N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6 • E S PA C E S 3 3 3 105
USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
périences, sur la connaissance des cultures de licence, écarte de facto une majorité de la popu-
l’eau à travers le monde. lation. Quant aux bords de la Seine, ils ont
Elle constitue tout à la fois un élément d’at- perdu en Val-de-Marne pratiquement toutes
tractivité pour une destination décentralisée et les infrastructures propres à la pratique nau-
une offre touristique de proximité pour une tique (à l’exception de celles de la ville d’Ablon).
population de banlieue qui se voit proposer Le Festival de l’Oh! est l’occasion de mobi-
deux journées de fête et de spectacle au bord de liser les clubs nautiques, principalement de
l’eau. La plupart des villes des bords de Marne, canoë-kayak, mais également de voile ou d’avi-
ou des bords de Seine selon les années, ainsi ron. La pratique nautique contribue à susciter
que de larges pans des tissus associatifs locaux, un attachement des jeunes et des adolescents
sont mobilisés pour l’occasion. à la qualité des rivières et une réflexion sur les
LIEN AVEC L’EAU. Ces objectifs sont conçus, usages de la rivière en ville.
du reste, sans hiérarchie. Le voyage sur l’eau Mobilité liée aux cours d’eau. La mobilité sur
est un moment de découverte et d’émancipation les territoires de l’eau, notamment le long des
en même temps. C’est le levier d’une construc- berges, est également encouragée au moyen de
tion identitaire pour le territoire, le creuset d’un randonnées pédestres et cyclistes, de prêts gra-
“être ensemble”, en même temps que l’outil tuits de vélos, de déambulations “performées”
de la sensibilisation. conçues avec des compagnies d’arts de la rue…
Il s’agit en effet de substituer à une écologie Tout le long des linéaires, des spectacles ou la
“inculquée” – souvent expression de coerci- visite d’ouvrages industriels en lien avec le
tion, vécue comme prescriptrice, donc intru- fleuve sont conçus pour inciter à la circulation,
sive, voire culpabilisatrice – une écologie du comme des moments de découverte ou de
sensible, construite par chaque individu à tra- reconnexion à la nature.
vers une expérience, personnelle ou collective, SPECTACLE VIVANT. Consubstantielle à l’at-
dans laquelle les enjeux de préservation et de trait du Festival, la programmation artistique
prévention, liés à ceux de la connaissance ou de est construite avec des compagnies d’arts de la
la compréhension, prennent sens, et où le vécu rue, particulièrement celles qui orientent leur
de chacun est valorisé. écriture en lien étroit avec le paysage et le milieu
La croisière promenade. Cette offre de loi- naturel. Résidences, installations, performances
sirs, très accessible, constitue la seule occasion et représentations y sont conçues le long de la
de faire du bateau dans cette partie de la ban- rivière, dans des friches à proximité ou en zone
lieue parisienne. Elle est un élément central de naturelle. La seule chose qui est demandée aux
l’attrait du Festival pour le public populaire et compagnies est de donner à voir le territoire
familial du Val-de-Marne. Une vingtaine de sous un angle nouveau, d’engager une trans-
bateaux à passagers sont ainsi affrétés durant formation sensible du paysage de sorte que le
ce week-end et une dizaine d’embarcadères rapport à l’environnement soit interrogé et les
éphémères sont construits. L’idée est que chaque perceptions ou modes de représentations décloi-
habitant du département, ou chaque visiteur sonnés.
festivalier, ait la possibilité de vivre une tra- La démarche n’est ni sociale ni animatoire,
versée, seul ou en famille. De la sorte, le lien elle demeure essentiellement artistique, mais
avec l’eau, avant d’être didactique, est d’abord elle recherche, chaque fois que le projet le per-
sensible. met, la participation active de personnes (habi-
L’accès à la pratique du nautisme. Si les acti- tants, passants, associations...) sollicitées pour
vités nautiques ont su conserver, sur les bords coconstruire, pour produire un matériau utile
de la Marne, une certaine vitalité, le mode d’or- (une parole, un objet…), donc accueillir un
ganisation de la pratique sportive encadrée, processus de création ou de transformation
soumise en France à l’acquittement d’une artistique. Les éléments du patrimoine, cultu-
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OLIVIER MEÏER
rels et matériels, servent souvent de point de De son côté, le département assure la visite
départ à la proposition. d’ouvrages d’assainissement, commentée par
Ce travail a peu de visibilité politique du fait des agents techniques et des ingénieurs du ser-
de son caractère local et diffus, mais il parti- vice public. Par ailleurs, il valorise des dimen-
cipe de l’émancipation des individus car il leur sions internationales en invitant les partenaires
permet de vivre une expérience humaine et de ses coopérations décentralisées. Enfin, il met
esthétique singulière, qui les concerne directe- en place des espaces d’apprentissage spéci-
ment, eux et leur environnement, dans lequel fiques : les Maisons de l’eau.
ils se voient respectés pour ce qu’ils sont, et Avec la dizaine de Maisons de l’eau éphé-
non pour ce qu’on attend d’eux. Dans un mères installées dans chaque escale du Festival,
contexte où les fractures sociales sont nom- les contenus environnementaux sont mis en
breuses, installées, profondes, où les institu- perspective et en débat, dans l’optique de tou-
tions sont souvent discréditées, les arts de la cher le public le plus large. Le contenu, conçu
rue ont des fonctions inclusives qu’ils sont par- pour l’occasion, se veut exigeant mais acces-
fois seuls à pouvoir assumer aujourd’hui, alors sible à tous : les crues et la vie du fleuve, le droit
même que les mutations de l’espace urbain sont à l’eau, les métiers de l’eau et de la rivière, l’eau
rapides. Les créations dans l’espace public pro- et les femmes, la baignade en rivière, ainsi que
voquent la rencontre, proposent de faire des rencontres-expositions avec les cultures de
ensemble, elles relèguent les sentiments de relé- l’eau de fleuves invités d’honneur : Gange,
gation, parce qu’elles les reconnaissent et les Niger, Danube…, ont constitué leurs théma-
considèrent, elles stigmatisent les stigmatisa- tiques successives.
tions et offrent d’inventer de nouvelles manières Les formes d’interaction expérimentées au
d’être ensemble. sein de cet espace singulier qu’est le Festival de
Sur la question plus particulière de l’appré- l’Oh! cherchent à éviter l’écueil d’espaces ins-
hension d’un patrimoine hydrographique titutionnels classiques, peu engageants, et à
devenu presque invisible, ou du questionne- affirmer une vocation de véritable lieu de débats
ment sur l’environnement, le Festival de l’Oh! citoyens ouvert à tous. Cette combinaison d’ac-
s’est donc tourné vers ces formes et ces artistes, tivités, de partenaires et de sites, embrassant
capables de bienveillance active. Pour sa capa- le territoire et les formes, concourt à la mobi-
cité à inclure des publics éloignés, fragilisés, lité des publics et des centres d’intérêt autour
peu ou pas habitués à fréquenter des lieux cul- des questions de l’eau au sens large.
turels, il a ainsi acquis une reconnaissance forte À ces actions déployées pendant les deux
en Île-de-France, où les arts de la rue sont sous- jours du Festival s’ajoutent des actions menées
représentés. Depuis 2001, il a accueilli en rési- tout au long de l’année : une action éducative
dence, ou pour de plus petites formes, plus de et citoyenne, destinée aux enfants inscrits en
250 compagnies pour des créations ou des collège, et une université populaire.
adaptations de spectacles. UNIVERSITÉ POPULAIRE. Une université de
PÉDAGOGIE ENVIRONNEMENTALE. Autre trait l’eau, rapidement devenue Université popu-
caractéristique du Festival del’Oh!, le fait qu’il laire de l’eau et du développement durable
accueille, au cœur d’un cadre essentiellement (Upedd), a vu le jour dans le sillage immédiat
festif et culturel, des dimensions environne- du festival de l’Oh! Complément citoyen à la
mentales assumées et visibles, largement portées démarche fédératrice du Festival, elle s’est sta-
par plusieurs catégories de contributeurs : les bilisée en tant que rendez-vous hebdomadaire
villes partenaires (dont le Festival constitue itinérant (Mardis de l’eau), mettant à la dis-
souvent la vitrine des politiques environne- position de tous et par des moyens variés des
mentales), les acteurs institutionnels de l’eau, contenus utiles à l’action citoyenne ou sim-
des laboratoires de recherche invités, etc. plement à la connaissance.
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Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
Elle s’assigne le rôle de contribuer à une Plus du tiers des collégiens du Val-de-Marne
nouvelle culture de l’eau en Val-de-Marne, profitent d’au moins une action d’éducation à
questionne les rapports symboliques, anthro- l’eau (le Val-de-Marne compte en moyenne
pologiques et historiques à l’eau, confronte 60 000 enfants scolarisés en collèges). Dans
nos représentations culturelles de l’eau à celles le cas des parcours accompagnés, les élèves
d’autres sociétés (dans des cycles autour de sont invités à faire émerger un questionne-
fleuves invités d’honneur du Festival, par ment, en partant de leurs propres connais-
exemple). Au fil du temps, cette ouverture a sances et expériences, et les médiateurs orien-
permis de rassembler une grande diversité de tent la classe vers les ressources disponibles
disciplines et d’univers culturels, et de les (lieux à visiter, professionnels à rencontrer,
rendre perméables entre eux. etc.).
En quinze ans, l’Upedd a accueilli près Le projet est donc évolutif. Il se construit
de 250 conférences, enregistré plus de en suivant le rythme et le cheminement de la
19 000 entrées dans quarante lieux culturels réflexion des élèves, dans le cadre d’un thème
du Val-de-Marne ou de Paris. La publication préalablement proposé. Des temps de confron-
de neuf ouvrages et de 86 auteurs en a résulté. tation et de restitution inter-collèges appor-
Une collection d’ouvrages(1) s’est même consti- tent aux élèves des outils de capitalisation des
tuée autour du rapport de l’autre à l’eau, qui connaissances engrangées en cours d’année.
constitue une importante ressource comparative Pédagogie active d’apprentissage par le
sur les notions de culture de l’eau. débat, cette action combine sorties de terrain
Parallèlement, des conférences-débats sont et accompagnement de classes par des média-
expérimentées in situ pendant les deux jours teurs. L’ouverture aux cultures du monde
du festival de l’Oh! ; elles constituent un temps s’avère un moyen efficace pour valoriser la
d’arrêt, de réflexion et d’échange sur les ques- diversité culturelle dont cette génération est
tions environnementales. Par ailleurs, une fois porteuse.
par an, des Journées scientifiques de l’envi- ■ ■
ronnement sont organisées en collaboration Ces trois axes d’intervention – deux jours
avec plusieurs laboratoires de l’université Paris- de fête, des universités scientifiques, une
Est Créteil, de l’université Paris-Diderot, de médiation en milieu scolaire – s’inscrivent
l’École des ponts Paris-Tech ; ces journées ras- dans la même dynamique événementielle et
semblent chercheurs, étudiants et profession- sont constitutifs du projet du Festival de
nels autour de sujets de recherche récents et l’Oh! Ils permettent d’appréhender les
de débats sociétaux liés à l’actualité de l’en- notions de nouvelle culture de l’eau, à partir
vironnement. d’objets cognitifs renouvelés et concrets,
PROJET ÉDUCATIF. L’action éducative et chaque édition annuelle s’organisant autour
citoyenne auprès des collégiens est menée tout d’un thème particulier ou autour d’un fleuve
au long de l’année, d’octobre à juin. Elle com- invité d’honneur.
porte deux portes d’entrée : Certaines années, grâce aux invités d’hon-
– un temps unique de sensibilisation sur les neur, la dimension interculturelle, particu-
enjeux de l’eau accessible à tous (une croisière lièrement adaptée pour un département de
pédagogique d’une demi-journée) ; banlieue comme le Val-de-Marne, a pu être
– un temps multiple, accompagné par un introduite autour du Gange, du Saint-
médiateur scientifique, réservé à des groupes Laurent, du Niger, de l’Èbre, du Danube, des
classes engagés autour de projets thématiques régions désertiques du Maghreb, etc. Cette
(la place de la nature en ville, l’impact du approche joue un rôle inclusif pour les habi-
modèle agricole, la réappropriation des cours tants issus de l’immigration, mais elle tend
d’eau en tant qu’espaces de vie, etc.). aussi un miroir à tous ; elle permet de prendre
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OLIVIER MEÏER
valeurs humaines, sociales et écologiques. Il larges et les plus divers, a multiplié les croisements entre diffé-
crée, auprès d’une population très diverse (en
termes de condition sociale, de génération, ou rentes catégories d’acteurs, a su recueillir la reconnaissance des
d’origine) une disponibilité forte pour les
enjeux de la durabilité de la planète. ■ milieux de la recherche et celle des réseaux militants. Très impli-
Fête et culture
Médiation scolaire
chés, c’est-à-dire plus d’un collégien sur trois par classe d’âge
Université populaire
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Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
LES FRANCILIENS ET
LA BAIGNADE EN EAU NATURELLE
UN DÉSIR OUBLIÉ,
QUI PEUT ÊTRE RÉVEILLÉ
MARTIN SEIDL
Chercheur, université Paris-Est, laboratoire Leesu
< martin.seidl@leesu.enpc.fr >
CATHERINE CARRÉ
Professeur des universités, université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, laboratoire Ladyss
< carre@univ-paris1.fr >
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MARTIN SEIDL ET CATHERINE CARRÉ
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Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
Joinville-le-Pont, la plage de sable de Gournay- nion concernant la qualité du plan d’eau, l’en-
sur-Marne ou les bains de Lagny-sur-Marne(6). vie de baignade qu’il suscite et leur volonté
Aujourd’hui il faut aller jusqu’à Meaux pour de (ré)introduire éventuellement la baignade
trouver une plage. localement.
Le bassin de la Villette, le plus grand plan FAIBLE ENGOUEMENT POUR LA BAIGNADE.
d’eau artificiel de Paris (5,6 ha), a été mis en Quand on considère la population interrogée,
eau en 1808. Il a été construit pour alimen- on s’aperçoit que le public présent aux bords
ter les fontaines publiques de Paris à partir du des plans d’eau ne correspond pas entière-
canal de l’Ourcq et faciliter le transport flu- ment à la moyenne francilienne(10), mais est
vial sur les canaux Saint-Martin et Saint-Denis. fortement influencé par la population rive-
Depuis la reconversion de la zone industrielle raine. Entre 40 et 50 % des interrogés décla-
du bassin et l’extension de l’événement Paris rent venir à pied avec un temps de parcours
Plages, ce bassin connaît une activité nautique de moins de dix minutes, sur un périmètre
estivale et a même accueilli, en 2016, des d’environ 800 mètres. Ce périmètre corres-
épreuves de natation(7). La maire de Paris pro- pond pour les bords de Marne et les environs
met que, dès 2017, les Parisiens devraient pou- du lac Daumesnil à un prix foncier parmi les
voir se baigner dans ce bassin(8). plus élevés de l’Est parisien(11). Le prix de l’im-
Le lac Daumesnil est un lac artificiel de mobilier reflète ainsi une population plus âgée,
12 hectares, situé au sud-ouest du bois de avec un niveau de formation au-dessus de la
Vincennes. Depuis 1866 ce lac fait partie du moyenne francilienne. Cela est particulière-
réseau hydraulique du bois de Vincennes, ali- ment vrai pour le lac de Daumesnil, mais ne se
menté aujourd’hui par pompage dans la Seine. vérifie pas aux abords du lac de Noisy-le-
Ses îles accueillent une cascade artificielle avec Grand. Comme les lieux le suggèrent, la majo-
une rotonde romantique due à l’architecte rité des personnes vient pour se détendre, et
Gabriel Davioud. Outre ses qualités paysa- cela au moins une fois par semaine.
gères, le lac est connu pour son canotage. Il Les enquêtes nous révèlent que les plans
fait partie, avec le bassin de la Villette, des d’eau possèdent souvent de multiples usages,
cinq projets de baignades estivales élaborés qui peuvent engendrer des conflits. La future
par la mairie de Paris dans le cadre du plan baignade, par exemple, ne sera pas du goût
“Nager à Paris”(9). des pêcheurs ni des promeneurs qui viennent
Le lac de Noisy-le-Grand, du parc des Mares chercher la tranquillité du lieu. Les prome-
Dimanches, est un bassin artificiel au sein du neurs interrogés perçoivent bien la multitude
quartier récent du Mont d’Est, construit pour des fonctions, bien que la fonction initiale du
la gestion des eaux pluviales de la zone. Conçu plan d’eau n’apparaisse pas toujours comme
comme un bassin paysager, il a pour princi- prépondérante. Pour la Villette, les activités
pale fonction la rétention des eaux de ruis- nautiques viennent en première place ; à
sellement avant leur rejet dans la Marne. À Noisy-le-Grand, c’est l’attrait paysager de la
l’opposé des autres plans d’eau cités ci-des- Marne, la fonction transport n’est même pas
sus, ce bassin ne possède aucun lien direct ou citée (cf. schéma 1).
indirect avec la baignade. Les plans d’eau, bien que très fréquentés,
Pour obtenir une vision large et un public suscitent très peu d’engouement pour la bai-
varié, il a été opté pour un questionnaire admi- gnade, que ce soit dans les endroits minéraux
nistré sur place, dans l’après-midi, les mer- comme les quais de la Marne ou dans les
credis et le week-end, en travaillant par quo- endroits plus bucoliques comme le bois de
tas fondés sur l’âge et le sexe. De septembre à Vincennes. Aucun plan d’eau ne recueille plus
novembre 2015, sur les cinq sites, entre 30 et de 18 % de baigneurs potentiels ! La raison
50 passants ont été questionnés sur leur opi- le plus souvent évoquée est le manque de qua-
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MARTIN SEIDL ET CATHERINE CARRÉ
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Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
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© Service photo du Val-de-Marne
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Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
RESTAURATION PARTICIPATIVE
DES ESPACES FLUVIAUX
ÉLÉMENTS DE MÉTHODE
Soumis à de lourdes pressions industrielles ou urba-
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Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
Pour accéder à l’expérience personnelle asso- existant entre la population et l’espace fluvial.
ciée au processus d’appropriation de ce cou- Elle est aussi un support facilitant les échanges
loir fluvial, nous proposons une méthode asso- entre les habitants, les techniciens et les admi-
ciant techniques qualitatives et techniques nistrations, échanges nécessaires à la mise en
quantitatives avec trois modes complémentaires œuvre du processus de restauration participa-
de collecte et d’analyse de l’information contex- tive du couloir fluvial.
tuelle concrète : l’analyse documentaire, les DYNAMIQUE PHYSIQUE. La révision du plan
entretiens approfondis et le système d’infor- d’urbanisme de ces quarante dernières années
mation géographique pour la participation a mis l’accent sur la progressive accumulation
publique (SIGPP). La variable temps s’avère des terrains à usage public autour du ruisseau
cruciale dans l’utilisation de chacune de ces de Caldes, qui a abouti à un système d’espaces
techniques décrites, en raison de son incidence libres et d’espaces aménagés (cf. carte 1). Ce
sur le développement d’attachement au lieu(7). processus additif, sans projet territorial préa-
La première technique consiste à étudier les lable, a répondu à différents scénarios de for-
documents graphiques et écrits du plan d’ur- mation fondés sur :
banisme local et régional, en s’attachant à l’ana- – le contexte de la maîtrise du foncier (crois-
lyse des descriptions fonctionnelles et mor- sances résidentielles ou croissances industrielles,
phologiques des espaces publics et des à grande échelle ou à petite échelle, terrains
équipements qui se concentrent autour de l’axe agricoles avec une valeur écologique spéciale…)
fluvial. Cette technique permet d’élaborer une et le type de maîtrise (acquisition ou protec-
cartographie normative évolutive qui présente tion…) ;
l’accumulation du terrain public avec une valeur – le type d’administration (municipale ou régio-
citoyenne tout le long du cours d’eau, d’une nale…) ayant dirigé l’opération. Globalement,
part, et les scénarios de formation des nou- la municipalité a agi sur des terrains fragmen-
veaux espaces à usage public, d’autre part. tés, issus de petites croissances industrielles et
Les entretiens approfondis fournissent des résidentielles, tandis que la région a favorisé la
informations sur les processus d’utilisation, maîtrise publique du terrain à grande échelle
d’identification et d’appropriation de l’envi- pour renforcer la valeur économique du cou-
ronnement fluvial par la population, en par- loir fluvial, comme axe industriel, tout en pro-
tant de la trajectoire personnelle de chaque indi- tégeant la matrice écologique métropolitaine ;
vidu(8). Cette technique permet d’analyser la – le type de vision (fragmentaire ou stratégique)
signification de l’espace fluvial pour les per- à laquelle obéit cette maîtrise. Au fur et à mesure
sonnes qui l’utilisent quotidiennement et d’ex- de la consolidation de l’action environnemen-
pliquer le processus d’appropriation de cet envi- tale en faveur du ruisseau et de l’accumulation
ronnement dans le temps, c’est-à-dire du point de foncier à usage public, les administrations,
de vue de la mémoire, des pratiques actuelles d’abord au niveau régional puis au niveau muni-
et des expectatives d’amélioration pour le futur. cipal, et les habitants eux-mêmes ont assumé
Enfin, le SIGPP permet d’élaborer une car- la valeur stratégique des cours d’eau.
tographie citoyenne destinée à reconnaître et DYNAMIQUE INTERPERSONNELLE. L’application
à surveiller le processus d’appropriation en lui- du modèle dual d’appropriation de l’espace(10)
même. Concrètement, en partant d’une plate- pour analyser l’information qualitative obte-
forme web publique, les habitants sont invités nue au travers des entretiens approfondis a per-
à indiquer des valeurs de paysages et de préfé- mis de distinguer trois phases dans le proces-
rences d’amélioration de l’environnement flu- sus d’attachement des habitants au ruisseau de
vial sur une carte(9). Cette cartographie offre Caldes (cf. schéma 1) : appréciation esthétique,
une visualisation géoréférencée d’informations attachement au lieu, puis engagement (11).
précieuse, car elle permet de visualiser le lien L’appréciation esthétique répond à un lien
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MARTA BENAGES-ALBERT, XAVIER GARCIA ET PERE VALL-CASAS
récent, superficiel, avec l’environnement flu- Les valeurs négatives les plus mentionnées
vial – ce lien favorise la fréquentation de l’en- faisaient référence aux endroits laids, souvent
droit et peut, au fil du temps, aboutir à un lien liés à l’impact des zones industrielles sur le pay-
personnel. L’attachement au lieu indique le sage ou au mauvais état du cours d’eau lui-
développement de liens émotionnels activés par même à des endroits précis où s’accumulent les
un double processus de fréquentation récur- déchets et où l’eau est visiblement polluée. Il
rente et d’identification personnelle avec l’es- s’agit de pathologies habituelles qui affectent
pace fluvial fondée sur des expériences per- les cours d’eau urbains et empêchent le contact
sonnelles et des souvenirs. Enfin, l’engagement avec la nature que la population souhaite tant.
naît lorsque l’attachement s’allie à la consoli- En ce sens, parmi les préférences en matière
dation de croyances pro-environnementales et d’amélioration recueillies auprès de la popula-
au désir d’implication direct du sujet en faveur tion, la majorité souligne le besoin de déve-
de l’amélioration du cours d’eau, au travers lopper des projets de restauration et d’actions
d’actions solidaires transmises au travers de de sensibilisation en faveur de l’utilisation res-
groupes locaux. ponsable de l’espace fluvial. De même, les
Ces trois phases, bien que ne se développant actions destinées à améliorer l’accès au cours
pas nécessairement de façon séquentielle, per- d’eau et à augmenter l’offre d’activités récréa-
mettent néanmoins de parler de processus d’ap- tives ont été mentionnées à de nombreuses
propriation incrémentale, prolongé dans le reprises, en particulier aux endroits qui possè-
temps – un processus sur lequel il est possible dent une grande valeur en termes de loisirs et de
d’agir. Si l’amélioration de la qualité environ- patrimoine(12).
nementale, de la sécurité et de l’accessibilité est ■ ■
utile pour activer les phases initiales d’appro- Au cours des quarante dernières années, le
priation de l’espace, elles doivent être combi- développement, plus ou moins planifié, d’amé-
nées avec des expériences individuelles et col- nagements à proximité des cours d’eau tels que
lectives sur un temps long pour donner lieu à des parcs urbains, des installations sportives,
des phases plus mûres et stables d’appropriation des potagers ou des sentiers a donné naissance
de l’espace fluvial. à des systèmes continus d’espaces publics et
DYNAMIQUE SOCIALE. Un essai pilote d’utili- d’équipements destinés aux loisirs. Ces sys-
sation de l’outil Web-SIGPP par la population, tèmes, encore en construction, sont au cœur
les techniciens et les responsables politiques a d’un changement de la perception sociale vis-à-
permis d’identifier, pour l’ensemble du couloir vis des cours d’eau, lesquels ont abandonné
fluvial, les valeurs positives et négatives du pay- progressivement la condition de barrière pol-
sage (cf. carte 2) et les préférences relatives à luée et dangereuse pour devenir des lieux de
l’amélioration de l’environnement. Les parti- loisirs et des points de rencontre essentiels pour
cipants ont indiqué jusqu’à trois fois plus de le bien-être des riverains. La consolidation de ces
valeurs positives que négatives. Ce résultat, systèmes est le fruit d’un long processus de prise
bien que normal et prévisible, met en évidence en compte, tant politique que sociale, du cours
la revalorisation sociale du cours d’eau. Plus d’eau comme ressource urbaine stratégique
précisément, les valeurs positives les plus men- pour sa valeur écologique, économique et
tionnées concernant les espaces utilisés pour sociale.
les loisirs sont le divertissement et l’esthétique. Le changement de perception, d’une part, et
La valeur patrimoniale a été elle aussi men- la concentration d’infrastructures de loisirs,
tionnée souvent, en référence aux éléments du d’autre part, ont relancé la fréquentation quo-
passé liés à la pratique agricole et à l’exploita- tidienne des rives et contribué à intensifier les
tion de l’eau, encore très présents dans la relations interpersonnelles entre la population
mémoire collective. et l’espace fluvial. La dimension temporelle de
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
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USAGES RÉCRÉATIFS DES ESPACES FLUVIAUX
Enjeux culturels et touristiques d’une réappropriation civique
Ruisseau de Caldes
Zone résidentielle
Zone industrielle
Équipements
Espace vert urbain public
Espace vert rural
CARTE 1
Le système d’espaces libres et d’équipements du couloir fluvial du ruisseau de Caldes
(Plan réalisé par les auteurs à partir de la base cartographique de l’Institut cartographique de
Catalogne et du plan local d’urbanisme)
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MARTA BENAGES-ALBERT, XAVIER GARCIA ET PERE VALL-CASAS
Accessibilité
Conditions spatiales Qualité scénique
PROPRIÉTÉS PHYSIQUES Sécurité
ET FONCTIONNELLES
SCHÉMA 1
Les phases du processus d’appropriation du ruisseau de Caldes
CARTE 2
Les communes du couloir fluvial du ruisseau de Caldes (à gauche) : plans d’intensité des valeurs
positives (au centre) et négative (à droite) (Plans réalisés par les auteurs à partir des bases
cartographiques et des orthophotoplans de l’Institut cartographique de Catalogne)
N O V E M B R E - D É C E M B R E 2 0 1 6 • E S PA C E S 3 3 3 123
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