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Les entretiens d’HABEO

Gestion d’une situation de maltraitance


en établissement - 2 décembre 2010

HABEO
Hôpital Paul Brousse
12/14 avenue Paul Vaillant Couturier
94800 Villejuif

www.habeo.org
HABEO - alors dénommé afbah - a organisé le 2 décembre 2010 une matinée sur le thème «
gestion d’une situation de maltraitance en établissement ». Cette matinée a réuni des profes-
sionnels de direction et d’encadrement d’établissements, autour de 6 intervenants :

• Marie-Christine Beaulieu – Directrice régionale APF – Normandie


• Michel Bilis - Directeur d’hôpital (AP-HP)
• Anne Garrec - Direction Générale de la Cohésion Sociale (DGCS), chef de projet
• maltraitance
• Marianne Hartmann – Formatrice en soins relationnels
• Docteur Marie-France Maugourd - Gériatre, chef de service (AP-HP) ; Présidente de la
Fédération des Réseaux Gérontologiques d’Ile-de-France
• Catherine Mouaci - Directrice qualité et vie sociale Domusvi ; membre du groupe de tra-
vail de l’ANESM sur l’autoévaluation

Ce document présente des extraits des interventions et des échanges avec la salle.

Anne Garrec
Le cadre de la politique nationale
Depuis les années 2000, le Mi- pagner les établissements ont été et sur le site de l’ANESM
nistère a développé ses travaux créés dans le cadre du Comité Na- http://www.anesm.sante.gouv.fr/
relatifs à la maltraitance des per- tional de Vigilance, dans la suite spip7a7a.html?page=article&id_
sonnes âgées et ds adultes han- de la loi du 2 janvier 2002. Des article=128
dicapés, pour arriver en 2007 à plans nationaux de contrôles des
la formalisation d’un plan, le plan structures ont été mis en place
de développement de la bien- • Développer la bientraitance au
traitance et de renforcement de quotidien dans les établissements.
la lutte contre la maltraitance de L’ANESM a été créée. L’agence ac-
Philippe Bas. compagne le développement de la
bientraitance grâce à la diffusion
Ce plan était orienté autour de 3 de ses recommandations.
axes :
• Faciliter les signalements. Un Les textes de base sont dispo-
numéro d’appel national unique a nibles sur le site du Ministère
été mis en place, le 3977. http://www.travail-solidarite.
• Prévenir et détecter les situa- g o u v. f r / e s p a c e s , 7 7 0 / h a n d i -
tions à risque dans les structures. cap,775/dossiers,806/mal-
Des outils pratiques pour accom- traitance,1327/
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Michel Bilis
Rôle des responsables hiérarchiques et de l’encadrement

Voici une situation de maltraitance rédige un compte-rendu et j’effec- des soins, et après plusieurs se-
à laquelle j’ai été confrontée, et tue des recherches. J’ai commencé maines, nous avons fini par avoir
les quelques enseignements que par prendre rendez-vous avec le des témoignages complémen-
j’ai pu en tirer. chef du service concerné. Celui-ci taires.
Chef d’établissement successi- évoque cette situation avec beau-
vement dans 6 hôpitaux, j’ai été coup de détachement, comme si Ces témoignages ont été d’autant
confronté à des situations de mal- ce n’était pas son service, et je plus difficiles à obtenir que l’hôpi-
traitance, à des degrés divers, qui sens qu’il ne va pas s’impliquer. tal était relativement isolé géo-
ne se cantonnent pas aux services J’ai rencontré ensuite le cadre in- graphiquement, et que les profes-
de gériatrie. firmier qui se tient dans une atti- sionnels se côtoyaient donc dans
tude de déni total : aucune l’hôpital et dans leur vie privée.
Je présenterai un exemple de si- inquiétude, aucune préoc-
tuation : cupation de savoir si les De manière assez classique,
En 1995, un agent d’un service de faits peuvent être authen- ce sont des personnes ex-
gériatrie me demande un rendez- tiques. térieures (stagiaires, étu-
vous. Il travaille dans ce service diants en IFSI) qui ont
depuis de nombreuses années. J’ai consulté les dossiers des deux témoigné et confirmé le té-
Difficilement, il me dit qu’il est personnes citées. Dans celui de la moignage originel.
témoin quasi-quotidiennement de femme, des documents montrent
« mauvais gestes » (on ne parlait qu’elle avait commis des actes Ces témoignages ont permis de
pas à l’époque de maltraitance), répréhensibles quelques temps dresser un tableau de la situation
de « mauvaises paroles » de la auparavant sur des patients et : deux personnes qui créent une
part de deux aides soignants, un qu’elle avait été retirée des ser- espèce « d’ambiance » où l’on
homme et une femme, qu’il cite, vices de soins où elle avait, en- est familier, où l’on plaisante, soi
vis-à-vis de personnes âgées. suite, été réaffectée. Le dossier disant, avec les patients – dans
de l’homme était au contraire ex- ce cas les patients sont hospita-
Les mauvais gestes mentionnées cellent. Il était bien apprécié, bien lisés en long séjour, sans aucune
sont des bousculades, des expres- noté. présence de proches, en état de
sions verbales inadaptées, des confusion mentale – ces « plai-
moqueries, des expressions dé- J’ai convoqué séparément cha- santeries » revêtaient la forme
gradantes à connotation sexuelle, cune des deux personnes. Toutes de : tutoiements, rudoiements,
et des comportements comme deux ont nié les faits et on criti- blagues grivoises, moqueries,
mettre soudain la douche à tem- qué l’agent hospitalier qui m’avait courses en fauteuil roulants etc.
pérature très froide etc. alerté – je ne sais pas par quelle
voie son nom a été connu- en Au fur et à mesure, des personnes
Tout en me faisant part de critiquant ses absences, son com- encore présentes dans l’hôpital, et
ces faits, l’agent insiste sur portement etc. qui avaient travaillé dans ce ser-
le fait qu’il a peur et ne sou- vice, ont témoigné également.
haite pas être nommé. Avec la directrice des soins infir- Ceci a suscité un réel clivage
miers, nous avons décidé de re- puisqu’une partie du service a
Ayant reçu ce témoignage, j’en garder de plus près l’organisation soutenu les deux person-
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nels, surtout l’homme qui béné- Les faits ont montré que la no- Enfin, le rappel à loi est ab-
ficiait du soutien d’une partie de tion de maltraitance n’était solument nécessaire sinon
l’encadrement infirmier et dont on pas bien claire. Pour une par- on perd le sens des réali-
niait les actes. tie du personnel, les faits repro- tés et on banalise beaucoup
chés étaient sinon acceptables, de choses. Quand il y a un acte
J’ai cependant estimé avoir assez du moins acceptés, puisque glo- déviant, il ne doit pas rester sans
d’éléments probants et une procé- balement la personne était une conséquence. Ce n’est pas «
dure disciplinaire a été engagée. personne solidaire avec un esprit La » solution, mais cela doit
Les deux personnes ont compa- de groupe. Il y avait une cer- faire partie du traitement.
ru devant le conseil de discipline taine inconscience de là où Pour cette raison on peut considé-
et ont fait l’objet d’une sanction commence l’inacceptable. rer que le passage en conseil de
(exclusion des fonctions pendant De plus, la situation a révélé un discipline, a d’une certaine façon,
6 mois). Ce fut la fin, administra- défaut d’organisation des soins, une vertu thérapeutique.
tive, de cette affaire. le manque de formation, de sen-
sibilisation sur le risque de mal-
Je tire quelques enseignements traitance face à des personnes
de cette situation : dans un état de dépendance.

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Marie France Maugourd
Cohésion avant tout
Cet été, à mon retour de va- cins de l’unité bien avant ces faits, respecter l’intimité, la pudeur,
cances, j’ai été mise en présence qu’il y avait eu des entretiens de frapper avant d’entrer dans une
d’une situation déjà gérée par les recadrage pour l’une d’elle, mais chambre…), et nous avons remis
cadres infirmiers : une dame, ré- ni l’un ni l’autre ne m’en avait in- en place des réunions sur l’ani-
gulièrement agressive et récrimi- formée, ce qui était, je pense, une mation, réunions qui auparavant
nante vis-à-vis du personnel, est erreur. avaient intéressé peu de monde
venue se plaindre que deux aides dans la durée.…
soignants travaillant l’après midi Lors de la transmission
traitaient mal son mari, citant des d’équipe, j’ai commencé Avec la direction, nous avons
faits peu précis. par dire tout que notre décidé pour un des agents, de
rôle n’était pas de juger compléter la mise à pieds par un
Le cadre infirmier avait ces deux personnes, mais avertissement du directeur. Nous
réussi à faire la lumière sur de comprendre pourquoi n’avons pas envisagé le conseil
plusieurs incidents et obte- cela avait pu exister, avait de discipline, car les accusations
nir des témoignages écrits duré et pourquoi personne reposaient sur des allégations de
de leurs collègues (ce qui n’avait rétien dit. collègues, sans preuve précise
montre l’évolution des mentalités J’ai alors appris qu’une infirmière possible.
liée aux campagne d’information, avait écrit à son cadre pour quitter
par rapport au cas mentionné par l’étage concerné, mais en disant Nous avons ressenti un
Michel Bilis, même si certains se simplement que l’ambiance de cet grand sentiment de frustra-
sont rétractés après) et avait ré- étage ne lui convenait pluss, sans tion de ne pas avoir pu aller
digé un rapport. être plus explicite dans son pro- plus loin dans la démarche,
pos. bien conscients d’une part que
Une mise à pieds avait été décidée l’agent s’en tirait à bon compte
et appliquée. Les maltraitances Nous avons donc travaillé mais que le résultat du conseil
allaient très loin, car un témoi- en équipe pour éviter ce de discipline était trop aléatoire.
gnage parlait même d’agressions type de comportements, en L’autre agent a été déplacé et
verbales répétées, et d’attitudes commençant par une ana- changé de service, placé sous
insultantes, par exemple : ap- lyse de la situation. la surveillance spécifique d’un
proche d’une protection pleine Un facteur mis en avant par cadre, avec mise à l’épreuve et
d’excréments du visage d’un pa- l’équipe a été la terreur qui était entretiens réguliers.
tient en lui disant « voilà ce que inspirée aux jeunes arrivants par
t’as encore fait ». une des deux personnes : « c’est Pour l’équipe, il y a eu un
pas l’infirmière qui dirige ici, c’est regain positif avec une
Dès que j’ai été informée, en tant moi, et si t’as quelque chose à amélioration du comporte-
que chef de service, je suis allée dire, je te crève tes pneus ». ment général vis-à-vis des
tout de suite voir l’équipe lors de patients, une plus grande at-
la transmission de l’après-midi. J’ai ensuite redonné les tention car il y avait une grande
L’atmosphère était tendue de règles de comportement culpabilité de n’avoir rien dit.
cette mise à pieds. J’ai appris que vis-à-vis des patients, qui La psychologue du service les a
les deux personnes avaient déjà semblaient évidentes à tous (ne fait travailler en groupe sur
été remarquées par les 2 méde- pas tutoyer, respecter la dignité, ce qu’est la mailtraitance,
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le devoir d’avertir les cadres et le
sentiment de culpabilité. Marianne
Hartmann, qui intervient depuis 4
ans dans l’hôpital, a été prévenue
qu’elle aurait à recevoir en forma-
tion un certain nombre des agents
ayant été concernés par cette si-
tuation.

En conclusion, je dirais que la


prévention par l’informa-
tion sur les attitudes mal-
traitantes (souvent méconnues
des équipes : « maltraitance par
inadvertance ») et la cohésion
des équipes qui évitent alors
des attitudes déviantes sont pour
moi la base de la gestion de
situations de maltraitance.
J’ai également parfaitement
conscience que la punition
ne sert à rien, et que si la
plupart des équipes sont
améliorables au plan du
comportement, il restera
toujours des agents ayant
une personnalité perverse
qu’il faut réussir à répartir judi-
cieusement entre les différentes
équipes et à « cadrer » ou faire
cadrer par leurs collègues pour
éviter qu’elles ne puissent être
maltraitantes car il est très diffi-
cile de les exclure de la fonction
publique hospitalière.

C’est la cohésion des


équipes qui est le meilleur
garde-fou contre la mal-
traitance.

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Marie Christine Beaulieu
Trop jolie pour avoir tous ses droits
Je suis directrice régionale Nor- qu’elle sorte que sur des heures Au bout de 48 heures, la jeune
mandie sur les structures APF correctes (10h-12h et 14h17h) fille alerte tout le monde, équipe
d’accueil et d’intervention à domi- qui semblaient les heures les plus et résidents, car le fauteuil ne
cile, pour les adultes et les en- sécurisées pour elle. fonctionne toujours pas et elle
fants. Devant son refus, l’équipe a fini commence à suspecter qu’il n’est
L’APF est une association gestion- par accepter 9h-12h et 14h-19h... pas vraiment en panne. L’équipe
naire et militante : nous sommes Mais cette jeune fille continue lui a bien sûr proposé un fauteuil
chargés de tenter de mettre en à n’en faire qu’à sa tête et, qui manuel, mais cela suppose un ac-
œuvre, dans les établissements plus est, elle séduit – même des compagnant, ce qu’elle a refusé…
et services que nous dirigeons, ce jeunes hommes qui ne sont pas
que nous revendiquons, pour être en situation de handicap. Tout le Deuxième exemple, le tutoiement.
en cohérence. monde s’inquiète sur les risques Dans nos structures, le tu-
de relations sexuelles, de gros- toiement est systématique.
Un problème quotidien est sesse… Notez bien que ces Nous avons souvent un public qui
celui du libre droit de cir- inquiétudes naissent d’une grandit en IEM, passe ensuite en
culer car les équipes ont véritable volonté de protec- foyer de vie, donc qui peut pas-
toujours envie de protéger tion. ser toute sa vie en collectivité. Le
les personnes en fauteuil tutoiement est pour nous depuis
de la mise en danger per- L’équipe décide un jour de « des années, parait-il, une marque
manente dans laquelle elles mettre les parents dans le coup d’intérêt, voire d’affection, voire
pourraient se mettre. » et demande à son père d’inter- de reconnaissance et de respect.
Nous avons rencontré le cas d’une dire à sa fille de sortir le soir. Mais D’ailleurs, nous allons jusqu’au
jeune fille de 23 ans, hébergé en rien n’y fait et l’équipe découvre surnom, puisqu’on peut grandir
structure d’accueil, jolie comme qu’elle fréquente un jeune homme dans une structure pour enfants.
un cœur, en fauteuil électrique. qu’elle désigne comme un éven- On passe de « Bouli » à « Loulou
Son gros problème, du point de tuel « fiancé ». », et d’une structure à l’autre, à
vue des professionnels qui sou- Un soir, alors qu’un rendez-vous 60 ans, on est toujours « Bouli »
haitent la protéger de l’extérieur est prévu, l’équipe décide ou « Loulou ». Quand à Mon-
dangereux, c’est justement qu’elle donc de faire croire que la sieur ou Madame, il y a des
est jolie comme un cœur… batterie du fauteuil ne fonc- personnes à qui ce titre n’a
Et elle revendique une vie affec- tionne pas. Le fauteuil élec- jamais été accordé.
tive : elle veut sortir dans la rue, trique est mis en panne. La jeune
rencontrer des jeunes hommes, fille est très triste, mais l’équipe Notez bien, encore, que ce
en situation de handicap ou lui garantit que dans les 48 heures tutoiement part de bons
non… elle va plus loin que la re- le fauteuil sera réparé. Pendant sentiments, c’est pour bien
vendication de la vie affective, ces 48 heures, l’équipe explique faire, dans une volonté de
puisqu’elle revendique même une qu’il ne faut peut-être pas ren- respect.
vie sexuelle. contrer ce jeune homme, qu’il est J’ai donc juste une question : Moi,
peut-être dangereux, que ca ma on ne me tutoie jamais…. Ce vou-
Pendant très longtemps, les peut-être mal se passer, qu’elle va voiement qu’on m’accorde serait
équipes ont essayé de mettre un souffrir etc.. finalement une absence de
cadre, en expliquant qu’il ne fallait respect ?
7
Catherine Mouaci
La sanction n’est pas la seule réponse
Je travaille depuis plus de 5 ans - Une check list à vérifier, sur les en fauteuil roulant à remettre ses
sur ce sujet au sein du groupe et contrôles à effectuer en matière pieds sur les repose-pieds du fau-
chaque cas rencontré a amené de prévention des risques dont teuil.
d’autres questions, tant il est dif- l’utilisation d’une grille de recru- La personne âgée l’écarte bruta-
ficile d’avoir de vraies réponses à tement, la vérification de l’extrait lement en lui tirant les cheveux.
des problèmes aussi complexes. du casier judiciaire… Un autre membre de l’équipe in-
tervient pour aider la salariée en
Nous avons mis en place beau- Heureusement les cas de mal- difficulté et pour séparer ces deux
coup de choses : traitances avérés sont très rares. personnes.
Finalement, à chaque situa- Moins d’une demi-heure après,
- Une cellule d’analyse de la mal- tion de maltraitance ren- alors qu’elle passait derrière la
traitance. Elle regroupe, au siège, contrée, on se rend compte personne âgée lors du repas,
le directeur des ressources hu- qu’il y aurait encore matière l’aide soignante malmenée lui a
maines, le directeur médical du à s’améliorer, par exemple en donné un coup de poing derrière
groupe, un référent maltraitance, matière de d’organisation, de for- la nuque. Pour ces gestes extrê-
le responsable communication, mation, d’isolement de certains mement rares, nous avons des
les Directeurs Généraux Adjoints. salariés la nuit. procédures claires.
Cette cellule a pour but d’aider
les directeurs d’établissement, à Au-delà de l’acte de la personne Très rapidement, une salariée
analyser les faits et les actions à maltraitante, famille ou salarié, témoin du geste est allée voir le
mener en prenant de la distance qu’elle s’en rende compte directeur. Celui-ci a prévenu le
pour régler une situation. ou non, il y a souvent un directeur de région pour alerter la
ou des problèmes associés cellule d’analyse maltraitance.
- Des procédures. Ces procédures : problème d’environne- Une fois les faits clairement éta-
simples et clairement diffusées ment, d’accompagnement blis et les circonstances relevées,
permettent à n’importe quel sala- ou d’organisation du tra- le reste des actions s’est déclen-
rié de connaitre le numéro natio- vail. ché comme il est prévu dans notre
nal 3977 ; d’inciter tout salarié à organisation : prise en charge
solliciter rapidement le Directeur, A chaque cas identifié, les ré- psychologique de la personne,
ou s’il préfère le psychologue ou ponses sont rapides et adaptées information de la famille, infor-
un interlocuteur externe à la rési- à la gravité des situations. Cepen- mation de l’encadrement, accom-
dence qui est le référent de lutte dant, si un acte avéré de mal- pagnement psychologique des
contre la maltraitance du groupe traitance est inadmissible et mé- résidents et personnels témoins,
que je suis. Un numéro de télé- rite d’être lourdement sanctionné, fiche d’évènement indésirable,
phone portable est pour cela dis- ce que nous nous appliquons à signalement à l’Agence Régionale
ponible. faire, il peut arriver qu’une de Santé et au procureur de la
sanction ne soit pas direc- République.
Le but est de permettre à tement applicable.
chacun de choisir à qui il La salariée a été immédiatement
veut parler pour rapidement En effet voici un cas concret ren- sanctionnée et écarté de l’établis-
alerter ou partager le problème contré récemment. Une aide soi- sement. Cependant même
rencontré. gnante aide une personne âgée si elle n’exerce plus
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dans cette résidence, elle
remet en cause sa sanction
et ne semble pas avoir pris
conscience de la gravité de
son geste. En effet nous avons
reçu la semaine dernière un cour-
rier du tribunal des prudhommes,
nous informant que cette salariée
attaque notre décision...

Contrairement aux difficultés


parfois évoquées dans le secteur
public d’obtenir des témoignages
et des sanctions, les salariés du
secteur privés hésitent de moins
en moins lorsqu’ils ont un doute
sur une situation anormale, à la
signaler et à faire des attestions
sur ce qu’ils ont vu. Cela s’ex-
plique peut-être par une mise en
œuvre plus aisée des sanctions et
par le fait que les salariés n’auront
pas à craindre de côtoyer durable-
ment un collègue dont ils auraient
dénoncé un comportement ina-
dapté.

Cependant, même si les sanc-


tions justes sont correctement
appliquées, nous touchons là des
limites : Cette personne, demain,
travaillera ailleurs… la victime,
la famille, l’équipe restent néan-
moins marquées, et le problème
n’est peut-être pas réglé.

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Marianne Hartmann
Mal communication et mal traitance

Lorsque je raconte des anecdotes sant, elle n’agresse pas pour Cette évolution est telle qu’au-
sur ce que je vois en Flandres, en rien. Il faut donc comprendre que jourd’hui, les gens formés ont
Suisse, en France, ce qui ras- la personne âgée subit des pertes, créé un ‘club’ ouvert aux autres,
sure les agents, c’est de se qu’il y a des émotions qui se tra- pour parler des outils possibles.
rendre compte qu’ils sont duisent dans des paroles ou des Ils ne disent pas « je sais »,
exposés à la même souf- gestes. mais ils confrontent leurs
france, à la même probléma- Elle défend ce qui lui reste, et si on expériences pour penser
tique, qu’il n’y a pas que dans leur la met en situation d’échec, elle se autrement leurs attitudes,
établissement que la situation est défend. Ce n’est pas la personne pour mieux répondre aux mani-
dramatique, ce qu’on a tendance qui est coupable, c’est la maladie. festations émotionnelles.
à penser lorsque l’on est isolé. Elle ne fait pas exprès, elle est
désorientée.
Je vais parler de la maltraitance
ordinaire, celle qui se pro- Quand les équipes com-
duit parce qu’ « on ne sait prennent cela, elles peuvent
pas comment faire autre- s’exprimer, car autrement
ment ». elles gardent leurs senti-
ments pour elles, ne sa-
Ces situations amènent souvent chant pas comment en par-
des réflexions comme, à domicile : ler.
« elle le fait exprès pour m’embê-
ter » ou, dans le monde hospita- Lors de ma première formation
lier « il est agressif, il est méchant à Champcueil, j’ai eu 16 agents
», ce qui fait qu’il est alors normal qui avaient l’impression d’être
d’aborder la personne automati- en vacances … j’ai fini la forma-
quement à plusieurs, par exemple tion avec 8 salariés. J’ai eu des
lors de la toilette. maladies très comiques, qui ne se
passaient que le matin, lors de la
Or, je me rends compte formation…
que c’est lorsqu’il y a « mal
communication », qu’il y a Pourtant, les 8 rescapés ont tel-
une « mal traitance » qui lement parlé de ce qu’ils ont ap-
invite à une maltraitance pris, l’ont tellement mis à profit
ordinaire. au quotidien, que j’ai eu de plus
Je propose souvent des outils en plus de formations, et les per-
de communication très simples, sonnes restent, parce que ça leur
basés d’abord sur la compré- sert. Les cadres formés peuvent
hension d’un mécanisme : une vraiment donner un soutien à leur
personne âgée désorientée équipe.
défend une valeur en agres-

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Echanges avec la salle

« Il ne faut pas oublier un établissement où ils se sentent je parle de défaut de soin et de

la maltraitance géné- bien, où le personnel se sent bien, relations inadaptées du soignant

rée par les résidents, les familles viennent, mais c’est envers le soigné – on se trouve

les familles, les voisins, extrêmement difficile à faire. Il dans un triangle soignant-soi-

les autres résidents, ce faut se demander comment gné-proche, au sein d’un établis-

qui vient de l’extérieur. les familles peuvent être sement. Qu’est ce qui, dans ce

Il peut y avoir des cas heureuses : chez nous par cadre, favorise le risque de voir

lourds » exemple, il n’y a pas d’horaires survenir des situations de mal-


de visite. Tant qu’on n’au- traitance ?
ra pas compris le besoin
Marie France Mau- d’alliance, il y aura un pro- Il peut, certes y avoir l’atti-
gourd blème. tude que le patient a, par-
fois, vis-à-vis du soignant.
Pour moi on ne peut pas appe- Très clairement, il y a des patients
ler cela maltraitance. Dans le racistes, qui ont des expres-
service, nous avons des Marianne Hart-
sions inacceptables vis-à-vis, par
familles extrêmement diffi- mann exemple, de personnels antillais ;
ciles, parce qu’elles sont en
grande souffrance (gériatrie, Il faut mettre les faits sur table il y a l’inquiétude, la culpa-
soins palliatifs). et écouter l’émotion de chacun bilité des proches : quand ils
Il faut bien poser le cadre, mais sans donner de solutions ou de sont là, il faut qu’ils montrent
aussi écoute leur douleur, et conseils, de « y’a qu’à ». La re- qu’ils sont là. C’est une situa-
généralement, lorsqu’on les connaissance des difficultés vé- tion que nous, profession-
écoute vraiment, elles cues par les familles est souvent nels de santé, devons sa-
s’apaisent. Il faut éviter de dire leur besoin fondamental. voir gérer, et maîtriser. Cela
que les équipes sont maltraitées. doit nous amener à préparer les
Il y a en fait trop de gens Chacun est individuelle- personnels pour les mettre en
insuffisamment formés qui ment responsable de ses situation de pouvoir faire face à
ne savent pas répondre à actes, mais cela ne peut des situations d’agressivité qu’ils
l’agressivité des familles et s’inscrire que dans une peuvent subir.
entrent dans un cercle vicieux. équipe qui est dans une
même démarche, sinon on Mais fondamentalement,
D’ailleurs, ce n’est pas vrai non est isolé et on se casse la nous devons voir ce qui,
plus que les familles abandonnent gueule à tous les coups. dans nos organisations,
les vieux. Elles souffrent. Si peut être à la source, de
vous ne voyez pas les fa-
Michel Bilis manière inconsciente gé-
milles dans vos établisse- néralement, de situations
ments - je fais de la provo- Le terme de maltraitance ne doit de maltraitance dites insti-
cation exprès - c’est qu’ils pas être galvaudé. tutionnelles, mais qui sont
sont si horribles qu’elles ne aussi portées par des pro-
viennent pas. Dans les lieux où il y a le plus fessionnels.
Si vous mettez les résidents dans de risques qu’elle se produise –
11
Je prends l’exemple de la répar- agressif. de circuler.
tition du travail entre les équipes
du matin, d’après midi, de nuit. Enfin, 20 % de la population Nous avons donc créé du débat,
Dans certaines organisations, « utilise quotidiennement un en rappelant aux résidents qu’ils
les changes » sont organisés à mode de communication peuvent aller où ils veulent,
telle heure par l’équipe de nuit, aggressif jugé comme nor- comme ils veulent, quand ils
pour que cette tâche n’incombe mal … veulent. En rappelant aux sala-
pas à l’équipe du matin, qui a « Ce sont des candidats désignés riés, en revanche, que nous avons
autre chose à faire »… aux comportements violents au une obligation, celle d’organiser
On en arrive alors à réveiller tous sein d’un établissement, et on ce droit de manière conjointe. On
les patients à 5h du matin...On aura beaucoup plus de mal à mo- rentre dans les projets individuali-
peut citer aussi les petits déjeu- difier leur comportement. sés de la loi de 2002.
ners mixés, au motif que la per- Nous avons aussi travaillé sur ce
sonne ne peut pas mâcher. « Nous avons des ou- que signifie être un majeur ou un
tils de la loi de 2002 : mineur, sur les droits du mineur,
Tout cela n’est pas fait mé- quel était le projet de l’autorité parentale, la tutelle.
chamment, délibérément, vie individualisé pour
c’est un dysfonctionnement cette belle jeune fille ? Cette situation a permis de voir
institutionnel parce qu’on » comment, à travers un exemple
n’a pas travaillé et réfléchi quotidien, par le dialogue, en as-
sur le sujet comme il fau- Marie Christine sociant les personnes, nous pou-
drait. vons avancer.
Beaulieu Elle nous a aussi rappelé, à
Bernard Duportet Droits des usagers nous professionnels, qu’il

et des profession- fallait une certaine humi-


Il y a un soucis corpora- lité pour écouter les propo-
tiste dans nos institutions,
nels sitions des familles et des
comme à l’extérieur de usagers.
La jeune fille nous a autorisés à
celle-ci, qui fait qu’une at-
partir de cette situation, à travail-
taque individuelle est vécue Enfin, on m’a demandé de mettre
ler en équipe. Nous avons orga-
comme une attaque de la en place des formations pour les
nisé une réflexion commune, pour
profession à laquelle on appar- usagers, adultes et enfants et
rappeler aux salariés les
tient. Souvent cela va être un pour leur famille. Ces formations
droits fondamentaux des
obstacle supplémentaire, totale- ont permis d’expliquer ce qu’était
résidents, comme celui de
ment inconscient, à exprimer les la vulnérabilité (on est parti de la
la libre circulation. Nous
choses. loi, du droit commun).
avons aussi rappelé qui est
autorisé à un moment ré-
D’autre part, on ne peut ré- On a parlé du droit à la citoyen-
duire ce droit, et dans quel
soudre un problème de mal- neté, on a rappelé leurs droits, et
cadre.
traitance que si l’on parle leurs obligations (qu’ai-je le droit

des faits et qu’on ne parle de faire ou pas si on me donne


Nous avions des résidents qui
pas de jugement. une gifle ; pourquoi je n’ai pas le
pensaient que, par leur han-
Le jugement est seulement une droit de gifler quelqu’un) car en
dicap, ils n’avaient pas le
conséquence finale. Dire qu’untel reconnaissant la vulnérabi-
droit de circuler, que c’était
est méchant ou gentil est pervers. lité, on reconnait aussi
normal qu’on leur interdise
Il faut parler d’un comportement les droits des non vul- 12
nérables : les salariés ont 80 c.v. « Mr XXX a une forma- Et quand on voit la faible recon-
des droits eux aussi, une tion en mécanique, il souhaite naissance du métier, la grille de
salariée n’est pas obligée se reconvertir auprès des per- salaire basse pour un travail dif-
de se laisser insulter. sonnes fragilisées, prenez le ficile au quotidien, cela ne peut
en poste de nuit »... avoir que des effets négatifs sur
Les résidents ont découvert la qualité du travail.»
que ce n’était pas parce Nous sommes pris dans des mé-
qu’ils étaient tous en si- canismes ahurissant. Une respon-
Anne Garrec
tuation de handicap qu’ils sable formation en Ile de France
étaient tous vulnérables. me disait qu’elle était submergée Je ne suis pas en capacité de
Cette réflexion était aussi de demandes de formations sur parler sur la formation initiale,
valables pour les profes- la bientraitance et la maltraitance qui n’est pas dans mes compé-
sionnels présents car pour en provenance d’hôpitaux et de tences, je le reconnais. Mais nous
certains, être en fauteuil, grands groupes. Quand elle de- sommes tous d’accord sur le fait
c’est forcément être en si- mande quel contenu ils sou- que le niveau de formation et de
tuation de handicap, donc haitent plus précisément, la rémunération joue sur la qualité
c’est être forcément en réponse est à peu près : « peu de la prise en charge. A la DGCS,
situation de vulnérabilité, importe, ce qui compte c’est nous travaillons sur les proposi-
donc forcément, pour les l’intitulé ». tions de formation continue, pour
valides, ce sont des obliga- permettre d’améliorer les pra-
tions. On nous impose des règles, des tiques.
normes, des contraintes, et der-
Témoignage - la ques- rière, quand on creuse c’est une
tion de la formation plaisanterie.
Michel Bilis
Je suis directeur d’établissement. La maltraitance
«Quand la direction est maltrai-
tante vis-à-vis du personnel, le
Des familles me confient leurs
comme une infec-
proches. Parfois, certains soirs, je
personnel devient maltraitant vis- ne dors pas.» tion nosocomiale
à-vis des résidents. J’ai été mal-
traitant vis-à-vis du personnel, Pour s’en sortir, je le dis sous
par exemple par manque d’effec- Témoignage - la recon- forme provocatrice, il faut ba-
tif. Nous savons alors que nous naissance du métier naliser la maltraitance : en
mettons en place des pis aller qui parler régulièrement dans
vont générer de la maltraitance. «Je suis arrivée depuis deux ans les réunions de service et
Nous avons eu récemment la vi- dans le monde du handicap. Je ne pas rester dans la situa-
site des ARS. Lorsque j’ai parlé de me pose beaucoup de questions tion actuelle où quand il y a
ce fonctionnement générateur de sur la formation initiale des AMP un cas, cela devient un cas
maltraitance par manque de per- et des auxiliaires de vie, sur le de sensationnalisation mé-
sonnel, j’ai eu comme réponse « peu de questionnement sur leur diatique, avec un personnel
prenez des C.A.E. (contrat d’ac- accompagnement, sur la relation décrit comme monstrueux.
compagnement dans l’emploi) ». au corps. J’ai l’impression que
le personnel arrive dans ce Il ne faut pas hésiter à en parler
J’accompagne des personnes milieu avec un regard démuni, dans l’institution, entre soignants,
avec des déficiences mentales une absence de conscience au besoin aussi avec les patients,
profondes. J’ai essayé de tra- de l’importance des actes du les proches.
vailler avec l’ANPE. J’ai reçu quotidien. Nous pouvons faire une
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comparaison avec l’infection no- La maltraitance est un ter de nos responsabilités person-
socomiale. Aujourd’hui, celle-ci risque hospitalier potentiel, nelles sur le terrain : c’est aussi
est un risque important dans les comme l’infection, dans en mettant en place des choses
hôpitaux qui a été accepté. tous les services. sur le terrain qu’on fera évoluer le
Pourtant, au départ, quand on a contexte général.
commencé à dire qu’on contrac- Si l’on s’attèle à prévenir le risque,
tait des maladies dans les hôpi- on ne peut pas ne pas mettre en Il y a un travail d’organi-
taux, qu’on en sortait décédé ou évidence les difficultés des per- sation sur le terrain qui
dans une situation pathologique sonnels eux-mêmes, que ce soit implique tout le monde. Un
bien pire que lors de l’entrée, on les ratios ou le niveau de rémuné- directeur qui n’organise-
considérait que c’était scandaleux ration. Depuis les 35 heures, cer- rait pas une réflexion sur
–Et, donc, il ne fallait pas en parler tains travaillent 70 heures. le risque infectieux, avec
car cela mettait en cause l’image toutes les équipes, commet-
de l’hôpital, des soignants. Certains ont un double emploi trait une faute profession-
pour des raisons qui leur appar- nelle. Laisser le personnel
Aujourd’hui il est reconnu comme tiennent, et ce n’est pas pour livré à lui-même, ignorer
nécessaire et légitime d’en parler, s’amuser. Quand ils arrivent de les organisations généra-
et ce qui ne serait pas profession- nuit, après une première journée trices de maltraitances.
nel serait, précisément, de n’en de travail, ils ne sont pas dans de
pas parler, de ne pas traiter le bonnes conditions afin d’être dis- Montrer une exemplarité dans le
problème. ponibles pour le patient. comportement de la direction et
Les pouvoirs publics, les hospita- de l’encadrement, revêt un ni-
liers ont compris qu’il fallait des Il faut tout faire pour que le veau d’importance au moins égal.
moyens, qu’il fallait réfléchir, au contexte évolue positivement,
grand jour, à l’organisation hospi- c’est une responsabilité politique,
talière pour prévenir le risque. mais elle ne doit pas nous exemp-

Voir l’article dans Ouest


France sur cette rencontre :

http://www.ouest-france.
fr/actu/actuDet_-La-mal-
traitance-vue-par-des-pro-
fessionnels-_3636-1638043_
actu.Htm

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