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Mais on peut dire qu’il est toujours la technique la plus facile.

Il évite
l’effort, parce qu’il réussit à remplacer la réalité par des images. Il ne fait
rien ou presque rien, mais fait tout croire, d’autant plus facilement qu’il met au
service de l’imagination individuelle des forces et des idées collectives [4].
L’art des magiciens suggère des moyens, amplifie les vertus des choses, anticipe
les effets, et par là satisfait pleinement aux désirs, aux attentes qu’ont nourris
en commun des générations entières. Aux gestes mal coordonnés et impuissants, par
lesquels s’exprime le besoin des individus, la magie donne une forme et, parce
qu’elle en fait ainsi des rites, elle les rend efficaces.

Il faut dire que ces gestes sont des ébauches de techniques. La magie est à la fois
un opus operatum au point de vue magique et un opus inoperans au point de vue
technique [5]. La magie, étant la technique la plus enfantine, est peut-être la
technique ancienne. En effet, l’histoire des techniques nous apprend qu’il y a,
entre elles et la magie, un lien généalogique. C’est même en vertu de son caractère
mystique qu’elle a collaboré à leur formation [6]. Elle leur a fourni un abri, sous
lequel elles ont pu se développer, quand elle a donné son autorité certaine et
prêté son efficacité réelle aux essais pratiques, mais timides, des magiciens
techniciens, essais que l’insuccès eût étouffés sans elle. Certaines techniques
d’objet complexe et d’action incertaine, de méthodes délicates, comme la pharmacie,
la médecine, la chirurgie, la métallurgie, l’émaillerie (ces deux dernières sont
les héritières de l’alchimie) n’auraient pas pu vivre, si la magie ne leur avait
donné son appui, et, pour les faire durer, ne les avait, en somme, à peu près
absorbées. Nous sommes en droit de dire que la médecine, la pharmacie, l’alchimie,
l’astrologie, se sont développées dans la magie autour d’un noyau de découvertes
purement techniques, aussi réduit que possible. Nous nous hasardons à supposer que
d’autres techniques plus anciennes, plus simples peut-être, plus tôt dégagées de la
magie, se sont également confondues avec elle au début de l’humanité. M. Howitt
nous apprend, à propos des Woivorung, que le clan local qui fournit les bardes
magiciens est aussi propriétaire de la carrière de silex où les tribus à la ronde
viennent s’approvisionner d’instruments. Ce fait peut être fortuit ; il nous semble
cependant projeter quelque jour sur la façon dont se sont produites l’invention et
la fabrication des premiers instruments. Pour nous, les techniques sont comme des
germes qui ont fructifié sur le terrain de la magie ; mais elles ont dépossédé
celle-ci. Elles se sont progressivement dépouillées de tout ce qu’elles lui avaient
emprunté de mystique ; les procédés qui en subsistent ont, de plus en plus, changé
de valeur ; on leur attribuait autrefois une vertu mystique, ils n’ont plus qu’une
action mécanique ; c’est ainsi que l’on voit de nos jours le massage médical sortir
des passes du rebouteux [7].

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