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EXPOSE JUDITH BUTLER Gender Trouble, préfaces de 1990 et de 1999 (30/45 min)

INTRODUCTION

Aujourd’hui je vais vous présenter les deux préfaces de l’ouvrage Trouble dans le genre de
Judith Butler. Ces deux préfaces, l’une écrite lors de la sortie du livre en 1990, et l’autre lors de la
seconde édition, en 1999, nous permettrons de voir l’évolution du travail de la chercheuse américaine.
Au vu de la complexité/ importance de l’ouvrage : mon exposé n’aura pas la prétention d’être
exhaustif

Je vais commencer par vous présenter Judith Butler, autrice si connue dans le champ des études de
genre. Née en 1956, elle obtient son Ph.D en philosophie à l’université Yale en 1984, sa thèse donnera
plus tard lieu à un ouvrage Sujets du désir: réflexion hégéliennes au XXème siècle en France. Son
intérêt pour la France, que l’on constate dans Trouble dans le genre, par le choix des références
qu’elle emploie afin de répondre aux problématiques de genre, a débuté très tôt dans sa carrière.
Parmi les sujets qu’elle étudie, le genre prend une place prépondérante, due au retentissement de son
œuvre. Toutefois, elle travaille sur le sujet en général, soumis à un pouvoir qui le produit, à la guerre,
au deuil, à la figure du prisonnier extra-juridique, les réfugiés, la question sionniste... Son champ
d’étude est très large.

Afin de mieux comprendre les tenants et aboutissants des propos développés dans les préfaces de
Trouble dans le genre, je voudrais vous présenter l’ouvrage en amont.
Judith Butler critique et fait discuter ensemble les travaux de Michel Foucault, Simone de Beauvoir,
Monique Wittig, Luce Irigaray, Julia Kristeva, Jacques Derrida, Sigmund Freud, Jacques Lacan. Ce
corpus d’auteurs et autrices forment le courant de la French Theory, créé et étudié dans les universités
américaines entre les années 1960 et 1980.
Je passe rapidement sur le contexte de pensée de 1990 puisque je vais m’y pencher davantage dans le
développement.
Dans son ouvrage, Butler invite à penser le féminisme et la subversion de l’identité, comme indiqué
dans le sous-titre de l’ouvrage.

résumé global =
L'objectif du livre est d'opposer à certains féminismes une critique du vocabulaire militant et de la
présomption d'hétérosexualité. Il s'articule autour d'un trouble dans le genre pour définir un féminisme
qui se situe totalement en dehors de l'identité féminine. Sa volonté est militante, elle veut renoncer à la
femme sujet comme pierre angulaire du féminisme. Judith Butler démontre que le “sexe social” est
séparé de toute matérialité biologique. Elle révèle ainsi les incohérences et discontinuités de la
relation sexe-genre-désir. Elle décrit le genre comme un attribut flottant qui ne peut se perpétuer que
par la répétition. En un mot: le genre est performatif, il est dit et incarné à travers le langage. Elle
attaque ainsi le système du langage qui est un lieu de pouvoir. Son ouvrage se situe dans le courant
post-structuraliste puisque le sujet y est le produit des systèmes juridiques (et, comme je le disais, du
système de langage). La vérité du genre apparaît comme un produit du langage, de la morale et de la
société dans laquelle elle se situe. Cette vérité est donc changeante et pas toujours évidente : il faut se
qualifier de femme, s'affirmer en tant que femme, mettre en place des automatismes qui se jouent
encore et encore => c’est là que Butler crée le concept de performativité du genre.
Pour ce faire, elle organise sa pensée en 3 parties.
Dans le chapitre 1, intitulé Sujets de sexe/genre/désir, Butler critique la façon du féminisme
d’avancer l'hypothèse d'une identité, d'un sujet qui doit être représenté dans la sphère politique : les
femmes. Butler dénonce l'utilisation d'une catégorie de domination pour déconstruire et rompre ce
système. L'auteure démontre avec succès la complexité de cette catégorie en décrivant ses relations et
interactions avec la classe sociale, la race, la sexualité, la capacité physique... Elle s'appuie sur un
panel de définitions de ce qu'est qu’”une femme”, de De Beauvoir à Iriguay. Le volume propose une
distinction entre sexe et genre et son lien avec le pouvoir.
Dans le chapitre 2, Prohibition, psychanalyse et production de la matrice hétérosexuelle,
Butler démontre en quoi le tabou de l'inceste est un mythe producteur en utilisant les œuvres de
Claude Levi-Strauss, Joan Riviere et Sigmung Freud. Elle trouve dans la psychanalyse et
l'anthropologie des explications et des origines de la présomption d'hétérosexualité. En effet, le tabou
de l'inceste crée l'hétérosexualité et en fait la norme tout en rendant l’homosexualité subversive.
La dernière partie du livre, Actes corporels subversifs, se concentre sur le corps. Butler
apporte une critique des travaux de Julia Kristeva, Michel Foucault et Monique Wittig pour une
nouvelle perspective sur la sexualité : la société est basée sur une approche binaire mais il y a une
multiplicité de sexualités entre les deux.
Butler utilise la figure de la drag pour révéler le non-naturel du genre : la drag réalise une
contrefaçon du genre, montrant les mécanismes culturels en place. Elle propose en parallèle des
pratiques parodiques fondées sur une théorie performative des actes de genre, afin de semer le trouble
dans les catégories de corps, sexe, genre et sexualité et de sortir du cadre binaire. Cet exemple conduit
ensuite à un malentendu : certains lecteurs ont pensé que Butler préconisait que tout le monde se
déguise en drag pour déconstruire le genre.

Mon intention initiale était de procéder par des allers-retours entre les 2 intros, par
thématiques, qui sont caractéristiques de l’évolution de la pensée de Butler, et des gender studies, en
10 ans. Après réflexion, l’introduction initiale ayant pour but de décrire les objectifs de l’ouvrage, je
vais vous la résumer avant de constater avec vous l’évolution de sa pensée qu’elle décrit dans sa
seconde intro de 1999 en l’approfondissant notamment par sa production entre 1990 et 1999.

Intro de 1990:
Judith Butler remarque un trouble dans le genre, dans le fait “d’être une femme”, qui part de sa lecture
de Simone de Beauvoir, qui analyse la femme comme l’Autre, et qui se confirme par son expérience
personnelle.. Elle décrit les relations de pouvoir entre ces deux catégories, qu’elle voit comme des
jeux de rôle qui tiennent de la performance. Elle interroge sur le fait d’être du sexe féminin: est-ce un
fait naturel ou une performance culturelle? On voit se poser en creux la question de la production
discursive du genre, par des actes de paroles, et produisent le corps.
En utilisant la méthode “généalogique” de Foucault elle cherche à comprendre les enjeux politiques
qu’il y a à désigner ces catégories d’identités comme cause plutôt que de les montrer comme ce
qu’elles sont vraiment, c’est-à-dire les effets de discours, d’institutions, de pratiques. L’objectif est de
déstabiliser le phallogocentrisme et l’hétérosexualité obligatoire.
Parce que Butler est une penseuse mais aussi une militante, elle s’interroge sur la manière de faire de
la politique dite “féministe” sans ces catégories ? Si l’identité n’est plus une base commune, à quoi
ressemblerait le féminisme ?
Elle présente ensuite le plan de l’ouvrage, que je vous ai présenté précédemment.
Dans la dernière partie de l’introduction de 1990, elle dit l’impossibilité de citer toutes ses sources qui
ont construit le langage même du texte. Elle énonce son objectif : la convergence politique entre
féminisme, approches gaies et lesbienne sur la question du genre et théorie post structuraliste. La
marginalité doit créer des réseaux afin de ne pas se laisser dominer par le monde académique.

Présenter plan :
I - Un ouvrage s’inscrivant dans un champ de pensée
A) la French Theory
B) Un ouvrage fondateur de la queer theory
C) Féminisme américain
II - L’évolution de la pensée de Butler
A) Une théorie psychique de la performativité
B) La matérialité du corps
C) Une vision de l’hétéronormativité
III- Liens avec ma recherche

I - Un ouvrage s'inscrivant dans un champ de pensée

A) La French Theory

Cela peut paraître étrange que ces auteurs et autrices français.es soit étudié·es aux Etats-Unis, de
surcroît iels sont rarement étudié·es ensemble en France. Cet assemblage de psychanalystes,
philosophes, linguistes parait assez hétéroclyte, voire artificiel pour nous français.es. Les
universitaires américains les ont pourtant étudiés ensemble, alors même qu’iels n’étaient pas lu·es en
France. Notons tout de même les similitudes les rassemblant, étudiées par François Cusset dans son
ouvrage French Theory, Foucault, Derrida, Deleuze & Cie et les mutations de la vie intellectuelle aux
Etats-Unis, publié en 2003:
- Tout d’abord, la critique du sujet, de la représentation.
- Ensuite la relecture de Freud, Nietzsche et Heidegger.
- Enfin la critique de la critique elle-même, c’est à dire de la tradition philosophique allemande
portée notamment par Kant, Leibinz, Hegel, Heidegger

En 1992, dans son article “Contingent Foundations: Feminism and the Question of "Postmodernism"”
publié dans Feminists theorize the political, écrit notamment par Joan Scott, Butler approfondit son
analyse du “postmodernism” c’est-à-dire du mvt intellectuel de Derrida, Foucault, Baudrillard : ll
consiste en une critique des grandes idéologies modernistes, une opposition aux certitudes
épistémiques pour voir la réalité comme relative. Cette pensée est caractérisée par un rejet de la
"validité universelle" des oppositions binaires, de l'identité stable, de la hiérarchie et de la
catégorisation. Butler dans son écrit le désigne comme un mouvement à la recherche d’un sujet
stable, et donc qui vise à la “foreclosure” le domaine du politique. Elle dit dans cet article “Je ne peux
plus dire “je” car il n’y a pas de réalité, seulement des représentations.”.
Elle décrit aussi, en 1992, les divergence entre lacanien, post structuraliste, Kriteva, Foucault et
Derrida ainsi que leurs descendants intellectuels… En bref, elle parle de son corpus comme d’un
ensemble disparate, et son étude approfondie des textes montre qu’elle même ne fait pas d’erreur de
les voir comme un tout, un bloc monolotique; toutefois cela permet de comprendre mieux son choix.
Elle préfère le terme post structuralisme pour parler de ses travaux.
Le travail portant sur cette “drôle de construction américaine”, des mots de Judith Butler elle-même
dans sa préface de 1999, d’auteurs et autrices français.es, n’est pourtant traduit qu’en 2005,
c’est-à-dire plus de 15 ans après la première édition. Cette réticence est expliquée par Éric Fassin par
un refus français des politiques minoritaires qui pourraient rappeler celles des Etats-Unis et qui irait
contre une “tradition française”. Toutefois il est finalement traduit, notamment car Judith Butler
permet de s’émanciper des concepts d’universalisme et de politiques d’identités. Ce partage est remis
en cause par une logique minoritaire qui, à partir des marges, interroge la norme.

Elle prend donc pour sources le poststructuralisme français pour le reformuler dans une perspective
féministe. Son travail est, selon elle, un travail de “traduction culturelle”, car elle est héritière de la
tradition sociologique et anthropologique anglo-américaine des études de genre (en France, discours
sur la différence sexuelle de l’analyse structuraliste). Ces théories poststructuralistes sont reprises par
Butler et d’autres et migrent vers les gender and sexuality studies et les postcolonial and race studies.
Il y a débat sur le travail de Butler, relève-t-il des cultural studies ou de la théorie critique ?

Dans ces intros elle mentionne les 2 grandes sources de son ouvrage, certes il y a la French Theory,
mais aussi la théorie fémiste, que nous mentionnerons tout à l’heure.

B) Un ouvrage fondateur de la Queer theory

En 1999 Butler est surprise de la teneur que prend l’ouvrage, notamment parce qu’il est considéré
comme l’un des textes fondateurs de la théorie queer. Elle rappelle ses intentions premières, “ouvrir le
champ des possibles sans dicter ce qu’il fallait réaliser”, ce qui semble être accompli.
Il faut rappeler d’où vient l’expression théorie queer. Teresa de Lauretis utilise pour la première fois
ce terme dans une conférence en 1990 à l’Université de Californie puis à l’écrit dans un numéro de la
revue Différence, une revue féministe/ postféministe et culturaliste américaine en 1991. Elle reprend
en réalité le terme utilisé par des groupes activistes de New York, qu’elle entend dès la fin des années
1980, pour l’importer dans le milieu académique. Son objectif est de contrer les effets
d’invisibilisation que génère l’expression gay and lesbian en matière d’oppression de classe et de
race. Il est intéressant de voir que les études de genre naissent à la croisée des champs universitaires et
militants, pour Butler comme pour Di Lauretis.

La théorie queer se developpe dans les années 1990 à la suite des travaux de Foucault et Derrida,
notamment avec Butler et Sedgwick. Au niveau politique ce mouvement de pensée s’accompagne de
nouvelles formes de lutte pour les droits civiques.

C) Le Féminisme américain

En 1999 Butler cherche à remettre sur le devant de la scène le fait que l’ouvrage n’est pas seulement
inspiré par les traditions universitaires, dont elle ne veut pas faire l’apologie, mais surtout d’une vie
extra-universitaire de militantisme et de la rencontre de la sexualité par ses marges culturelles. Elle
évoque notamment des rencontres de personnes de tout “genres” (au sens de genre) dans des bars, des
marches, des réunions… L’un des objectifs annoncés est rempli puisque le livre circule à travers
Queer Nation, un mvt qui s’inspire des modes d’action de Act Up.
Alors même que son travail naît dans les cercles féministes à la fois militants et académiques,
l’intention de Butler est de faire naître une opposition à certaines formes de féminisme.
Elle s’oppose donc à certains féminismes, tout d’abord par un examen critique du vocabulaire de base
du mvt de pensée. Que critique-t-elle ?
- la forte présomption d’hétérosexualité dans la théorie littéraire féministe
- idéalisation de certaines expressions du genre qui sont responsables de hiérarchies et
d’exclusion
- la façon de penser les genres de vie forcloses (répudier, dénier) par des présupposés répandus
et violents
Sa volonté, en critiquant le vocabulaire, est de “réinventer” le militantisme féministe, notamment par
la création d’un nouveau vocabulaire ne véhiculant pas les aspects du féminisme que Butler rejette.

Dans le même temps, son travail trouve ses sources dans le travail de féministes comme
- Gayle Rubin (aborde le genre, sexualité, parenté par une relecture de Marx,
Lévi-Strauss, Freud et Lacan)
- Esther Newton (anthropologie du drag) : ce qui a permis à Butler d’avoir une base
pour penser le concept de performativité du genre.
- Monique Wittig : Dans Le Corps lesbien publié en 1973, Wittig utilise le pt de vue
lesbien pour échapper au système hétérosexuel et le renverser. Traduit en 1975 aux
EU, on peut imaginer que Butler l’ait lu.

II - L’évolution de la pensée de Butler

De quel courant fait partie Butler ? Elle ouvre le débat dans son introduction de 1999, se situant entre
les culturals studies et la théorie critique. Dans une communication personnelle, elle dit se situer de la
“tradition critique associée à l’école de Francfort et des ses points de convergence avec le
poststructuralisme. Les poststructuralistes pures et dures ont tendance à écarter le thématique au profit
du formel. J’ai le grand plaisir de vous annoncer que je souhaite traiter de thèmes”.
Mais cette pensée a évolué et son introduction de 1999 qui revient sur Gender Trouble, 9 ans après en
est l’exemple probant.

A) Une théorie psychique de la performativité

La théorie de la performativité du genre est inspirée par Derrida et de la lecture qu’il fait de la
nouvelle de Kafka Devant la Loi. Il analyse que celui qui attend la loi, en l’attendant, lui confère une
certaine force. Le fait d’attendre le dévoilement confère l’autorité: l’attente fait advenir son objet.
Butler applique donc cela au genre.
Ainsi, la performativité du genre tourne autour de cette métalepse (substitution d’une figure rhétorique
par une autre), comme le fait Derrida. Le genre est le résultat d'actes de répétitions, d’un rituel, d’un
processus de naturalisation qui prend corps. Butler réalisa après avoir écrit le livre que cette
dimension rituelle rejoint la notion d’habitus de Bourdieu.
Voilà donc la théorie initiale, celle présentée en 1990 dans Gender Trouble. Toutefois, des révisions de
la théorie de la performativité sont faites suite aux critiques. Elle cite notamment 15 auteurs et autrices
ayant fait une critique pertinente de son concept de performativité. L’une d’elle est faite par
Jacqueline Rose, qui pousse Butler à repenser sa théorie. En effet, en disant que le genre est
performatif, le genre comme une essence intérieure est fabriqué à travers une série d’actes. Donc ce
que nous pensons interne est en fait produit par des actes corporels. Cette affirmation semble retirer à
la psyché tout ce qui lui serait “intérieur”. Alors que la psyché intérieure est mobilisée au début de
l’ouvrage pour parler de la mélancolie du genre, elle est oubliée quand on parle de performativité du
genre. Butler répond à cette critique dans La Vie psychique du pouvoir en 1997. Débat vis-à-vis de la
psychanalyse : Butler tient sa position de considérer que l’intériorité du monde psychique va de soi.
Pour elle, les caractéristiques du monde sont transformées dans un processus d'intériorisation en
attributs internes de soi. Ce processus d’intériorisation étant le fait d’une psyché, la psyché n’est donc
pas niée. Il est nécessaire de se confronter aux questions psychanalytiques en développant une théorie
psychique de la performativité à approfondir. Butler développe justement la réflexion dans le domaine
de la psychanalyse, puisqu’elle participe à la nouvelle revue Studies in Gender and Sexuality avec des
thérapeutes. Le but est d’ouvrir un dialogue entre clinique et recherche universitaire.

B) La matérialité du corps

Les critiques fusent à la sortie de l’ouvrage : “et la matérialité du corps, Judy ??” En effet, dans
Gender trouble aucune réponse n’est apportée à la question de savoir si la matérialité du corps est
entièrement construite. L’approche peut être vue comme “volontariste”, impliquant qu’on puisse
performer le genre et donc en changer “comme de chemise”. Elle en réponds notamment dans
l’introduction de 1999.
La question posée à Butler implique que la matérialité des corps est première, indépassable. Elle
rappelle que le corps doit faire sens, il ne peut se penser seul mais comme engagé dans le monde, dans
des interactions et des relations sociales. Le corps est pris et compris dans l’espace physique et social.
Par cette question c’est un rappel à la norme qui s’opère : la matérialité des corps permet
l’intelligibilité pour soi, pour devenir et être reconnu comme sujet.

Judith Butler met alors en évidence la construction sexuelle de la matérialité dans Bodies that matter
: on the discursive limits of “sex” en 1993. Dans sa réflexion, elle dévoile que la matérialité du corps
est un effet productif du pouvoir, et non pas une réalité sur lequel des significations sont apposées.
Ainsi, le pouvoir produit des corps contingents (situés dans l’espace et le temps) mais en nous faisant
croire que cette matérialisation est la seule possible. Dans l’intro de son ouvrage elle dit « Non
seulement ils [les corps] tendaient à faire signe vers un monde au-delà d'eux-mêmes mais ce
mouvement au- delà de leurs propres frontières, ce mouvement de la frontière elle-même, paraissait
tout à fait central à ce qu'ils « étaient » » (Butler, 2009 : p. 11).
Le sexe est un présupposé nécessaire du genre, mais ce rapport au réel du sexe ne se fait que par la
médiation des schèmes culturels. Comme on l’a dit, le sexe, comme le genre, est une catégorie
normative, une norme contingente (culturelle et historique) qui régit la matérialité du corps.
Le mot “matter” dans le titre original du livre fait référence à “compter” mais également à la matière.
Or, cette matière a une histoire.
La norme est construite sur l’exclusion de corps qui sont vus comme abjects, informes... illégitimes en
somme.
Judith Butler reprend le concept foucaldien de “contrainte productive” pour étudier la façon dont les
corps, informés par des normes culturelles, peuvent défaire ces normes. On peut voir cela comme une
extension de la théorie de la performativité exposée dans Gender trouble. En effet, elle voit les corps
comme le lieu d’une puissance d’agir transformatrice.

C) Une vision de l’hétéronormativité


Dans son livre, Butler pense le lesbiannisme en tant que sexualité en marge. En effet, elle veut poser
des questions sur les pratiques qui ne sont pas dans la norme et son pouvoir à déstabiliser la norme. La
référence à Gayle Rubin est très forte ici, elle reprend son constat : On est femme si l’on fonctionne
comme une femme dans le cadre hétérosexuel dominant.
De par son expérience personnelle et ses observations du milieu lesbien américain de son époque,
Butler décrit une angoisse et des troubles liés au fait d’être lesbienne. Pour elle, c’est une situation de
crise ontologique au niveau de la sexualité comme du langage : entre 1990 et 1999 les pratiques
transgenres, de la transexualité, de l’homoparentalité augmentent… Les termes butch et fem viennent
aussi interroger: est ce un moyen de se redonner une identité genrée ?
En étudiant le travail des juristes MacKinnon et Franke, elle pense les modèles de genre et de
sexualité, qui sont à tort liés pour MacKinnon. Butler sous-entend même une certaine homophobie de
sa part. Franke, elle, distingue les discriminations liées au genre de celles liées à la sexualité. Elle
prend notamment l’exemple de l’embauche. Parfois, gaie ou lesbienne peuvent ne pas être embauchée
car elles ne paraissent pas conformeaux normes acceptables de genre.

III - Liens avec mon sujet

Pour mon travail de mémoire je me sers beaucoup des théories de Judith Butler. En effet, mon travail
porte sur la représentation du corps dans la pratique artistique de l’autoportrait. J’axe mon analyse sur
le genre. Ainsi, la théorie de la performativité du genre de Butler a été un point de départ dans ma
réflexion. Dans mon corpus d'œuvres, les artistes se situent assez dans cette pratique, puisqu’ils.elles
sont dans la subversivité des normes de genre. Dans cette représentation principalement médiatisée
par l’image, soit photographiée soit dessinée, ce sont surtout les normes corporelles qui sont
renversées. (montrer qlq exemples sur diapo d’anglais). ORLAN, Urs Luthi ...
C’est pour cela que la question de la matérialité du corps m’a intéressée aujourd’hui, parmi toutes les
réflexions que Butler a eu au long de sa carrière scientifique.
En effet, je pars du parti pris que l’identité de genre genre le corps en lui attribuant des
caractéristiques à forte symbolique, qui va au-delà des différences biologiques des sexes. Ainsi, le
corps et l’identité de genre s’influent mutuellement.
Pour étudier le corps, je m’appuie certes sur Butler mais aussi sur Foucault et Le Breton.
Cet objet qui définit l’individu en tant que sujet, est au cœur d’un dilemme, abordé par Michel
Foucault dans une conférence en 1966. « Qu’y a-t-il de moins utopique, que le corps, que le corps
qu’on a – lourd, laid, captif. Rien n’est en effet moins utopique que le corps, lieu duquel il ne nous est
jamais donné de sortir, auquel l’intégralité de l’existence nous condamne »1. Le corps est à la fois le
point d’ancrage au monde et hors de contrôle de l’individu. David Le Breton renvoie cette pensée à
une partie du corps, souvent au cœur de l’autoportrait : le visage. « L'homme est son corps, il est son
visage. En même temps, il ne cesse de se sentir autre chose. Le dualisme qui oppose l'esprit au corps
est né de cette ambiguïté »2. Le Breton emploie le terme de « dualisme ». Dans l’histoire de la
philosophie, le concept de « dichotomie du corps et de l’esprit » est travaillé par de nombreux auteurs,
parmi lesquels on peut citer Descartes. Toutefois, David Le Breton, en tant que sociologue, s’est
débarrassé de ces questions métaphysiques pour définir l’individu entièrement, à la fois conscience et
corps. Il s’en justifie dans Anthropologie du corps et modernité et dans La Sociologie du corps. Pour

1
Le Corps utopique, Michel Foucault, conférence de 1966
2
Le Visage est un Autre, David Le Breton in Des visages, 1992, p 167 à 215
comprendre l’approche qu’on a du corps aujourd’hui en sciences sociales il faut remonter à l’époque
de Freud. Lacan nous explique qu’à cette époque, l’individu est vu comme un fruit, qui, une fois
enlevé la chair qui représente le langage comme construction sociale, révèle un noyau, le « vrai moi ».
Lacan oppose cette vision à la sienne, qu’il compare à un oignon. Une fois débarrassé de toutes les
couches d’identifications qui construisent l’individu il ne reste que le vide. L’individu est donc
entièrement construit socialement. Il se définit par des identités et non pas un « moi » véritable qu’il
faudrait libérer. Dans cette perspective, le « dualisme » mentionné par Le Breton peut être compris
comme un malaise de l’individu face à une de ces « couches » d’identités. L’individu subit une
aliénation puisqu’il perd la possession et la maîtrise de ce qu’il « est » au profit de la société ou plus
précisément des phénomènes qu’elle produit. L’individu expérience alors une inauthenticité de son
existence. Le concept d’aliénation permet ici une critique globalisante des formes sociales telles que
l’oppression du genre.

Si l’individu est parfois aliéné, il peut aussi se sentir à l’aise dans l’identité qu’il a. Quelles sont
les raisons qui expliquent un sentiment d’authenticité ou au contraire d’aliénation, de « se sentir autre
chose », pour reprendre les mots de Le Breton ? La psychanalyse décrit également ce malaise de
l’individu. Freud l’explique par l’écart entre les pulsions de l’individu et la civilisation3. En effet, les
pulsions se heurtent dans leur réalisation à un principe de réalité dû à la civilisation. Pour Freud, l’une
des seules portes de sortie face à l’anxiété que peut provoquer la civilisation est la création artistique.
Elle est même considérée comme la sublimation ultime. Ainsi l’autoportrait est une production qui
trouve son origine dans un malaise. Nous pourrons donc enquêter sur la nature de ce malaise, qu’on
peut déjà supposée comme ayant des liens avec l’identité de genre.

Ce malaise est l’occasion de poser la question d’être « soi ». C’est la question qui m’intéresse, et
qui recoupe beaucoup de réflexions de Butler dans Gender trouble notamment.

Je m’interroge donc sur les Comment se sentir soi si l’individu est seulement le produit de
constructions sociales et de l’intersubjectivité ? Par conséquent, comment l’artiste se représente-t-iel
en autoportrait si iel veut se libérer de l’identité de genre ? Ici, la représentation est faite par la
déconstruction de la dynamique d’oppression qu’est le genre. Cette tentative de libération des
constructions sociales débouche sur une nouvelle identité, construite également. Je déconstruirais
l’affranchissement des normes genrées en ce qu’il établit de nouveaux symboles et signes qui
constituent une construction sociale différente de celle du genre.

Les auteur·e·s nous montrent que le genre est une identité construite arbitrairement et assignée
par rapport à un sexe biologique. Certain·e·s artistes, en représentant leur corps en autoportrait,
essaient de s’affranchir de ces normes qui sont la face visible de la structure d’oppression. Toutefois,
je vais chercher à dépasser l’analyse faite par Butler pour penser les normes qui régissent les marges
elles-mêmes.

Quelle est la nature des structures sociales qui construisent l’individu lorsque celui-ci s’affranchit
du genre ? En effet, l’individu étant construit de fait, quels mécanismes remplacent ceux du genre
lorsque celui-ci est déconstruit ? Notre recherche vise ainsi à répondre à la question suivante : en quoi
la représentation du corps dans l’autoportrait met en lumière les structures post genre de la
société contemporaine par des images signifiantes ?

3
Malaise dans la civilisation, 1930, Sigmund Freud
CONCLUSION

La principale contribution de ce livre dans le domaine du genre est l'idée d'un genre
performatif. Il n'y a pas d'identité mais des performances accomplies successivement, donc sujet à
interprétation. On peut dire que la promesse faite par le titre "gender trouble" est remplie puisque
Judith Butler introduit un trouble dans le genre.

Bien que le document incite à la réflexion, le lecteur est souvent laissé pour compte par
l'utilisation d'un langage compliqué. La compréhension est rendue difficile par une syntaxe
inhabituelle, qui n'a pas de sens au vu du but recherché : faire de ce travail une base pour le
militantisme féministe. Comme les militant.es n'ont pas nécessairement la formation nécessaire pour
comprendre les concepts développés par Butler et toutes les références qu'elle utilise, un effort aurait
pu être fait afin de le rendre plus accessible au plus grand nombre.
Judith Butler utilise le concept d’agency, c’est-à-dire la capacité des acteurs sociaux à faire
des choix indépendants, confirmant son appartenance au courant structuraliste. Bien que cela puisse
être considéré comme un paradoxe, l'auteur l'explique de manière très précise et en fait une tension
bien exécutée entre la capacité d’agir et la détermination du sujet par les structures de domination.
L'approche interdisciplinaire de Butler s'inspire beaucoup de la psychanalyse. Alors que dans
la première partie du volume, elle étudie le sujet et le "moi", si important dans l'œuvre de Freud, elle
ne le développe pas plus loin dans le livre.

Le livre est considéré comme le premier des queer theory. Ce qu’on appelle la queer theory
s'est développée dans les années 1990, principalement avec les travaux de Foucault et Butler. Le
volume présente un programme destiné au militantisme féministe aux États-Unis et dans le monde en
général.

● Le livre a un impact en dehors :

- Association américaine de psychologie : revoit ses dogmes sur l’homosexualité grâce à


Gender trouble. Il est important de rappeler que la psychanalyse, auquelle fait bcp appel
Butler, considère pendant longtemps l’homosexualité comme une déviance.
- Parmi les arts : reprise de l’idée de performativité du genre. expo au Musée Whitney et à la
Otis school for the Arts (LA)
- Jurisprudence féministe: lutte contre la discrimination avec Vicki Schultz, Katherine Franke,
Mary Jo Frug

● Critique sur l’écriture// la transparence

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