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LE MONDE

histoire - art - archéologie


DE LA BIBLE

ARABES
CHRÉTIENS
L’histoire
méconnue

NUMÉRO 222 SEPT/OCT/NOV 2017

ROME EXPOSITION PORTFOLIO


L’ARC CHRÉTIENS MUSÉE
DE TITUS D’ORIENT À MAURICE DENIS
RETROUVE L’INSTITUT DU SAINT-GERMAIN
SES COULEURS MONDE ARABE EN-LAYE
www.mondedelabible.com
… 2000 ans d’Histoire
Ier siècle À Antioche, les disciples du Christ
reçoivent pour la première fois le nom de chrétiens.
Mer Noire C a 325 Le concile de Nicée affirme que le Christ est
u c
a s de même nature que le Père.
e
GÉORGIE Tbilissi 381 Le concile de Constantinople réaffirme le credo
13 de Nicée et condamne les hérésies professées par
les Ariens, les Eunomiens, les Anoméens…
e C h 431 Le concile d’Éphèse affirme que la Sainte
a î n 2 ARMÉNIE
e Vierge est Mère de Dieu ; ce que refuse l’Église
e P o n t i q u Etchmiadzine
Érevan assyrienne. (1)
Ankara 451 Le concile de Chalcédoine « confesse un seul
et même Christ, Fils, Seigneur, l’unique engendré,
reconnu en deux natures, sans confusion, sans
Lac changement, sans division, sans séparation, la
de Van
différence des natures n’étant nullement supprimée
r us
à cause de l’union, la propriété de l’une et de l’autre
au
Tigre
T nature étant bien plutôt sauvegardée et concourant
ts
M o n Tarse à une seule personne » ; ce que refusent les Églises
Antioche AS d’Arménie (2), d’Égypte (5) et de Syrie (4).
SYRIE 637 Prise de Jérusalem par les Arabes.
Alep M
14 Eu 867 Le patriarche Photios de Constantinople
Nicosie
phr
ate
É dénonce l’adjonction par les latins du Filioque
S
12 SYRIE dans le Credo : « Nous croyons en l’Esprit Saint…
CHYPRE Bkerké O
3 LIBAN qui procède du Père et du Fils… »
Antelya
Palmyre P 1054 Schisme entre les Églises occidentale et
Beyrouth 4 7 14 O 1 13
15 16 Damas Bagdad orientale. de (6) à (11)
N

1099-1291 Croisades.
T
A A

Nazareth Lac de Tibériade


IRAK 1182 Union officielle à Rome de l’Église maronite. (12)
A

ISRAËL Babylone 1204 Sac de Constantinople par les croisés latins.


M

Amman 1453 Les Turcs prennent Constantinople.


A N

Jérusalem
9 18 Qumrân 1553 Établissement de l’Église chaldéenne par scission
E

Mer Morte de l’Église assyrienne (définitive en 1830). (13)


Bethléem
C

1662 Établissement de l’Église syrienne-catholique


E
(définitive en 1783). (16)
JORDANIE 1724 Établissement de l’Église melkite. (14)
1740 Établissement de l’Église arménienne-
catholique. (15)
Mont Sinaï 1824 Établissement du Patriarcat copte-catholique
en deux étapes. Création officielle par le pape
Léon XIII en 1895. (17)
Golfe
d’Aqaba 1847 Rétablissement du Patriarcat latin de
Jérusalem. (18)
P É N I N S U L E 1915-1916 Génocide des Arméniens.
1919-1922 Guerre gréco-turque.
A R A B I Q U E
E 1948 Création de l’État d’Israël.
Louxor 1975-1990 Guerre du Liban, à forte dimension
confessionnelle.
2003-2011 Guerre d’Irak.
Médine 2011 Début de la guerre civile en Syrie.
2014 Prise de Mossoul (Irak) et de la plaine
de Ninive par Daech.
2017 9 juillet, libération officielle de Mossoul
proclamée par l’État irakien, au bout d’une
campagne amorcée en octobre 2016.
M

(Source d’après La-Croix.com, Les chrétiens


er

La Mecque
d’Orient, deux mille ans d’histoire)
Ro
ug
e
Édito

© Stéphane Ouzounoff

Benoît
Richesses à partager
de Sagazan Disons-le. Nous sommes heureux de vous présenter un numéro
Rédacteur en chef particulièrement riche à nos yeux. Riche, il l’est tout d’abord par le su jet de
benoit.desagazan@
bayard-presse.com couverture. Dans « Secrets de fabrication » (lire p. 22-23), j’explique pourquoi
ce dossier sur les Arabes chrétiens se place sous le feu d’une double
actualité. L’une dramatique que tout le monde a en tête, l’autre plus aimable
qui, du 26 septembre au 14 janvier 2018 à l’Institut du monde arabe à Paris,
donnera à voir ce que le christianisme proche-oriental a su produire de plus
beau pour exprimer et transmettre sa foi.
Ce numéro est aussi exceptionnellement riche des partenariats qui mêlent
Le Monde de la Bible à trois festivals. En premier lieu dans la baie du
Mont-Saint-Michel avec le festival de musique sacrée Via Aeterna, du 21 au
24 septembre (lire p. 126-130) ; puis, comme chaque année, aux Rendez-
vous de l’Histoire à Blois, du 4 au 8 octobre (lire p. 16-19) ; enfin au festival du
théâtre biblique à Clermont-Ferrand, du 13 au 21 octobre (lire p. 132-134).
Ce numéro pose aussi un jalon de plus vers la célébration du
40e anniversaire de la revue. Ce jalon est présenté dans nos pages livres.
En effet, après Sous les pierres, la Bible (avril 2017), qui réunissait
des articles d’Estelle Villeneuve parus dans la revue, voici Jésus, une
encyclopédie contemporaine, publié par Bayard éditions le 13 septembre,
et à laquelle Le Monde de la Bible et ses auteurs ont fortement contribué
(lire p. 138-139). Le fruit de 40 ans de diffusion de la recherche historique
et exégétique sur Jésus.
Ce numéro est enfin riche des rubriques qui font aussi son originalité comme
la Bible des peintres, réalisée avec talent par Régis Burnet et qui passe au
scanner La Vision après le sermon de Paul Gauguin. Artiste qui n’est pas
sans lien avec Maurice Denis, très présent dans le portfolio qui est l’occasion
d’une belle collaboration avec le musée départemental qui porte son nom
à Saint-Germain-en-Laye (lire p. 112-125). Que de richesses à partager.

3
Sommaire des rubriques

7 à 14 La situation
précaire des
16 à 19 Eurêka ! Les
manuscrits
ACTUALITÉ chrétiens LES RENDEZ-VOUS DE de la mer
d’Orient Morte
L’HISTOIRE DE BLOIS

Dossier

20 à 70
DOSSIER
Sommaire 21
En couverture :
Vierge Glycophilousa (Vierge au doux baiser)
Icône arabe, École de Jérusalem, XIXe siècle,
LE MONDE
histoire - art - archéologie
tempera sur bois, 52,3 x 41 cm. DE LA BIBLE
Liban, collection Émile Hannouche.
© François-Xavier Émery/Adverbum.fr

ARABES
CHRÉTIENS

ARABES
L’histoire
méconnue
L’histoire méconnue
CHRÉTIENS NUMÉRO 222

ROME EXPOSITION
SEPT/OCT/NOV 2017

PORTFOLIO
des Arabes chrétiens
L’ARC CHRÉTIENS MUSÉE
DE TITUS D’ORIENT À MAURICE DENIS

L’histoire méconnue
RETROUVE L’INSTITUT DU SAINT-GERMAIN
SES COULEURS MONDE ARABE EN-LAYE
www.mondedelabible.com

1606052586.indd 1 BAYARD 14:40:17 Juillet 20, 2017 _1KYI1_MBIN0222P001.pdf 20/07/2017 14:39

EN PARTENARIAT AVEC…
EN PARTENARIAT AVEC…
Le 22 octobre 2017 de 8 h 00 à 8 h 30 Le 24 septembre 2017 à 20 h 40
Sur France Culture, en lien avec notre dossier, Le dossier du Monde de la Bible sur
Dossier

retrouvez Raphaëlle Ziadé dans « Chrétiens « Les Arabes chrétiens d’Orient. L’histoire
d’Orient », une émission présentée par Sébastien de Courtois. méconnue » fera l’objet d’une émission « La foi prise au mot » sur KTO,
À réécouter sur franceculture.fr/emissions/chretiens-dorient présentée par Régis Burnet.
ou sur www.mondedelabible.com À revoir sur www.ktotv.com et sur www.mondedelabible.com

20 l Le Monde de la Bible l 222

1873870525.indd 20 BAYARD 16:51:53 Juillet 20, 2017 _1L0QV_MBIN0222P020.pdf 20/07/2017 16:51


1160754847.indd 21 BAYARD 16:52:02 Juillet 20, 2017 _1L0QX_MBIN0222P021.pdf 20/07/2017 16:51

Culture Bible / Sommaire

EXPOSITIONS LA BIBLE
3 1
p. 94 à 105 4 DES PEINTRES
p. 106 à 111
La Vision après le sermon,
Musiques ! Échos par Paul Gauguin.
de l’Antiquité, Une œuvre complexe décryptée

92 à 143
au Louvre-Lens par Régis Burnet, professeur à l’université
p. 94-97 catholique de Louvain.
Reliquaires en papier roulé
(XVIIe-XVIIIe siècles),
au musée du Hiéron,
à Paray-le-Monial
p. 98
2
Heures italiennes,
dans les Hauts-de-France
p. 100-103

PORTFOLIO FESTIVALS

CULTURE BIBLE p. 112 à 125


Le musée départemental Maurice Denis
à Saint-Germain-en-Laye
p. 126 à 134
Via Aeterna, festival
de musique, au
Mont-Saint-Michel
et sa baie
p. 126-130

Sommaire 92
Festival de théâtre biblique, à Clermont-Ferrand
p. 132-134

EN PARTENARIAT AVEC…
Culture Bible

LES LIVRES
Le mardi 12 septembre 2017 de 17 h 00 à 18 h 00 Le mardi 24 octobre 2017 de 17 h 00 à 18 h 00 p. 136 à 143
Christophe Henning, animateur de l’émission hebdomadaire « Grand Angle » Christophe Henning, animateur de l’émission hebdomadaire
sur RCF, consacrera son émission à « visiter une église », à l’occasion « Grand Angle » sur RCF, consacrera son émission à « Maurice Entretien avec Dominique Charpin auteur de La vie méconnue des temples mésopotamiens (coéd.
des journées du patrimoine. En lien avec la mise en ligne du livre numérique Denis et la foi dans l’art ». En lien avec le portfolio de ce numéro. Collège de France/Les Belles Lettres). Événement de la rentrée, parution de Jésus. Une encyclopédie
contemporaine (éd. Bayard). Suivi de recensions, avec mention de nos avis de niveau de lecture, d’une
Les églises, des origines aux guerres de Religion. (p. 146). À réécouter sur podcast.rcf.fr ou sur mondedelabible.com
vingtaine d’ouvrages récemment publiés : essais, beaux-livres, livres de poche…

92 ● Le Monde de la Bible ● 222

461105012.indd 92 BAYARD 14:31:46 Juillet 20, 2017 _1KY8X_MBIN0222P092.pdf 20/07/2017 14:30 93


1778803642.indd BAYARD 14:31:49 Juillet 20, 2017 _1KY8Z_MBIN0222P093.pdf 20/07/2017 14:31

94 à 105 106 à 111


EXPOSITIONS LA BIBLE DES PEINTRES

4 ● Le Monde de la Bible ● 222


Archéologie SOMMAIRE
➤ 74 à 75
Un monastère d’époque
sassanide
par Fanny Arlandis
➤ 76 à 79
Les couleurs d’un triomphe
par Estelle Villeneuve
➤ 80 à 81
Faire parler les maisons d’Ur
par Estelle Villeneuve
➤ 82 à 84
Brèves par Estelle Villeneuve
➤ 85 à 87
Correspondances

72 à 91
par Marie-Armelle Beaulieu,
Nour Farra-Haddad,
Jérémy André
➤ 88 à 91
Les grandes découvertes :
FOCUS La stèle d’Héliodore
par Estelle Villeneuve
Italie Rome

COULEURS DE CATACOMBES
Les catacombes chrétiennes de sainte Domitille, au sud-est de

ARCHÉOLOGIE
Rome, sont les plus longues et sans doute les mieux conservées. Il
n’empêche, depuis leur redécouverte par l’Italien Antonio Bosio à la fin
du XVIe siècle, les parois avaient noirci et un bon nettoyage s’imposait.
La Commission pontificale d’archéologie sacrée vient de dévoiler le
beau travail réalisé dans le cubiculum des boulangers, une chambre
funéraire qui aurait appartenu à un haut fonctionnaire chargé de la
pesée du blé (mensor). Grâce au procédé laser non invasif, les peintures

Sommaire 73
du IVe siècle qui ornent les niches ont retrouvé éclat et lisibilité. Sur celle
de gauche (ici), le Christ est représenté jeune et imberbe, avec le geste
Solaro/AFP

et dans la posture conventionnelle de l’enseignant. Il siège en effet


AndreasXoxoxox

sur une estrade et des rouleaux sont posés sur une tablette devant lui.
Parmi les disciples qui l’entourent, attentifs, on reconnaît tout de suite
©©Xoxoxo

les bons élèves, Pierre et Paul, assis au premier rang. E.V.

Archéologie
72 l Le Monde de la Bible l 222
218

1296553630.indd 72 BAYARD 13:19:08 Juillet 19, 2017 _1KS1K_MBIN0222P072.pdf 19/07/2017 13:181142306924.indd 73 BAYARD 13:19:11 Juillet 19, 2017 _1KS1M_MBIN0222P073.pdf 19/07/2017 13:18

74 à 81 82 à 84 85 à 87 88 à 91
ACTUALITÉ DE BRÈVES CORRESPONDANCES LES GRANDES
L’ARCHÉOLOGIE DÉCOUVERTES

Portfolio

112 à 126

Sommaire des rubriques


Le Prieuré vu du jardin © Musée départemental Maurice Denis
Le Prieuré vu du jardin © Musée départemental Maurice Denis

PORTFOLIO
La chapelle du Prieuré © D. R.

Le musée départemental Au musée


Situé sur le versant ensoleillé de la colline de Saint-Germain-en-Laye,
dans les Yvelines, le musée départemental Maurice Denis est installé dans
la demeure du peintre, appelée le « Prieuré » par son propriétaire, mais
Maurice Denis départemental qui à l’origine était un ancien hôpital du XVIIe siècle. Depuis 2002, il porte
le label « musée de France ».
Marie-Aline Charier, sa directrice, et Fabienne Stahl, docteur en histoire

EN PARTENARIAT AVEC…
Maurice Denis de l’art spécialiste de Maurice Denis, nous confient l’histoire de ce site
exceptionnel et de ses collections regroupant des œuvres de l’artiste
et de ses amis nabis et symbolistes. Une dizaine d’œuvres sont ensuite

à Saint-Germain-en-Laye présentées et expliquées, témoins du travail de l’artiste et de la richesse


des collections d’un musée qui mérite d’être davantage connu.

➤ Musée départemental Maurice Denis Les notices de ce portfoLio ont été rédigées par chantaL ducher et fabienne stahL
2 bis, rue Maurice Denis
78100 Saint-Germain-en-Laye
Tél. : 01 39 07 87 87
www.musee-mauricedenis.fr

112 ● Le Monde de la Bible ● 222 113

1060487513.indd 112 BAYARD 14:08:37 Juillet 18, 2017 _1KOFI_MBIN0222P112.pdf 18/07/2017 14:07
451123659.indd 113 BAYARD 14:09:18 Juillet 18, 2017 _1KOFK_MBIN0222P113.pdf 18/07/2017 14:07

126 à 130 132 à 134 134 à 142


FESTIVAL DE MUSIQUE FESTIVAL DE THÉÂTRE LIVRES
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Les découvertes de la mer Morte
Jean-Baptiste Humbert et Estelle Villeneuve nous guident dans les
méandres de l’affaire Qumrân et retracent l’histoire mouvementée
de l’une des plus grandes découvertes archéologiques du XXe siècle.

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Actualité

Fragile
espoir
L
es chrétiens du Proche et du Moyen-Orient sont en danger. Dans une
région bouleversée par la violence, ils constituent, sauf au Liban et en
Égypte, de petites minorités sans défense. Leurs voisins musulmans
lorgnent parfois sur leurs biens et se laissent prendre par des discours de
haine. Les djihadistes de Daech et d’Al-Qaïda les prennent régulièrement pour
cibles. Les États sont trop déliquescents ou trop manipulateurs pour
les protéger vraiment.
Entamé souvent depuis des décennies, l’exode des chrétiens d’Orient
se poursuit donc et s’accélère. Il fait notamment craindre l’extinction en
Mésopotamie de cette présence enracinée dès les premiers siècles de notre
ère – et plusieurs centaines d’années avant l’apparition de l’islam.
Des hommes et des femmes résistent pourtant. Ils refusent de désespérer.
Ils croient que les tempêtes qui dévastent les esprits et les cœurs de leurs
compatriotes finiront par s’apaiser. L’avenir des chrétiens d’Orient dépend
pour beaucoup du désir de paix de leurs voisins, d’un goût partagé pour
la différence. Dans cette perspective, ils doivent à la fois cultiver leurs
singularités et entretenir une nécessaire porosité avec les sociétés qui les
environnent, pour être reconnus dans leur altérité. Leur mémoire historique et
la foi qui les animent les destinent, peut-être, à être le levain dans la pâte d’un
Moyen-Orient un jour renaissant.

Par Jean-ChristoPhe Ploquin rédaCteur en Chef, la Croix


Actualité

En partenariat avec

...
Actualité

La situation précaire
des chrétiens d’Orient
Depuis plusieurs décennies, les chrétiens d’Orient subissent les conflits du
Proche et du Moyen-Orient et sont la cible des djihadistes de Daech et d’Al-
Qaïda. Voici un état des lieux des communautés en Égypte, Irak, Syrie et Liban.

L
Par Mélinée le Priol, es communautés chrétiennes du aux hautes fonctions dans l’administra-
Claire Lesegretain, Proche et du Moyen-Orient ne cessent tion ou l’armée –, dans une société qui leur
Agnès Rotivel et de diminuer depuis une cinquantaine refuse une égalité de traitement.
Marie Verdier d’années. Fragilisées par la réislamisation « Le phénomène migratoire se poursuit,
des sociétés, elles ont subi de plein fouet les mais la religion et les attaques ne sont pas le
différents conflits qui ont déchiré le Liban, la seul facteur. La dégradation des conditions
Turquie, l’Irak et la Syrie. La dissémination économiques y contribue, comme pour les
des réseaux djihadistes d’Al-Qaïda et de musulmans, poursuit Tewfik Aclimandos. La
Daech les expose à des attentats ciblés y menace de Daech, qui ne se cantonne plus
compris en Égypte. Pourtant, des respon- au Sinaï mais gagne la vallée du Nil, risque
sables religieux et communautaires et des d’aggraver le phénomène. » Plusieurs atten-
familles résistent à la tentation de l’exil. tats meurtriers en 2017 ont secoué cette
communauté, qui a reçu la visite de soutien
En Égypte, une égalité refusée du pape François en avril dernier.
Les statistiques font état de 10 % de
coptes parmi les 92 millions d’Égyptiens. En Irak, plus guère d’espoir
Regroupés pour l’essentiel dans une Église À l’été 2014, face à l’avancée de Daech,
autocéphale actuellement dirigée par le 125 000 chrétiens de la plaine de Ninive
pape Tawadros, ils sont les héritiers d’une avaient dû fuir pour se réfugier dans la
civilisation qui préexistait à la conquête mu- région autonome du Kurdistan, au nord-est
sulmane, au VIIe siècle. du pays. Amère revanche : trois ans plus
Leur nombre est sans doute surévalué, juge tard, l’armée a chassé Daech de Mossoul
l’historien Tewfik Aclimandos, enseignant et des villes chrétiennes voisines comme
à l’université du Caire. « Même à l’époque Karakoch et Bartella. Mais les destructions
de la tutelle britannique, la minorité copte et les pillages empêchent beaucoup de fa-
n’atteignait pas cette proportion. Une four- milles d’y retourner pour vivre.
chette de 5,5 % à 7 % de coptes semble Aujourd’hui, on estime le nombre de chré-
plus réaliste, soit 5 à 6,5 millions de per- tiens en Irak à moins de 300 000, soit à
sonnes, indique-t-il. Cela fait tout de même peine 1 % de la population et quatre fois
beaucoup de monde ! » moins qu’en 2003. Ils se répartissent entre
En 2011, les coptes ont participé au soulè- Bagdad, Kirkouk et le Kurdistan irakien.
vement contre le président Hosni Moubarak La grande majorité relève de l’Église chal-
mais ils ont également rejeté son successeur déenne (catholique).
Mohamed Morsi, issu des Frères musul- Les jeunes, notamment, sont confrontés à
mans et renversé par l’armée deux ans plus un avenir incertain. Toutefois, quelques-uns
tard. Ils réclament plus de droits – l’accès ont profité d’un certain boom économique

8 l Le Monde de la Bible l 222


GÉORGIE
ARMÉNIE
AZERBAÏDJAN
TURQUIE

IRAN
CHYPRE SYRIE
IRAK
LIBAN
ISRAËL
CISJORDANIE

au Kurdistan, avec l’exploitation de pétrole, JORDANIE


l’ouverture d’hôtels, de centres commer-
ciaux et de bars. L’aide d’ONG et d’Églises
européennes permet aussi de créer des
écoles. Il y a même le projet d’ouvrir à Erbil
une université catholique anglophone.
ARABIE SAOUDITE
En Syrie, un avenir incertain ÉGYPTE
La Syrie comptait environ un million de
chrétiens avant le début de la guerre civile
en 2011, soit 4,6 % de la population, selon
les estimations du démographe Youssef
© Cartographie J-P Crivellari, 2013

Courbage. Ils ne seraient plus que la moi-


tié. La plupart sont de confession grecque-
orthodoxe et grecque-catholique.
Ayant plus de liens familiaux à l’étranger Au Liban, un vrai pouvoir politique
que leurs concitoyens musulmans, beau- Les chrétiens conservent une grande in-
coup sont partis vers le Liban, l’Europe ou fluence au Liban. « Le pays a été créé par
le Canada. Avant même d’être frappée par les chrétiens maronites qui voulaient un État
les exactions des islamistes, cette mino- national », rappelle Antoine Fleyfel, professeur
rité était affectée par une forte émigration de philosophie et de théologie à l’université
et un faible taux de natalité. Ces commu- catholique de Lille. Malgré la guerre civile qui
nautés sont présentes dans la plupart a duré de 1975 à 1990, ils y disposent en-
des villes syriennes et il existe même, non core aujourd’hui d’un pouvoir politique – no-
loin de Homs, une « vallée des chrétiens » tamment la présidence de la République – et
(Wadi al-Nasara) où ils sont nombreux à d’un poids démographique – environ 40 %
s’être réfugiés, fuyant les zones contrôlées de la population totale. Leur nombre et leur
par Daech. proximité avec l’Occident leur donnent en
« Comme tous les Syriens, les chrétiens outre une grande influence culturelle.
subissent la guerre et l’instabilité », explique On compte actuellement 1,5 million de chré-
Zakaria Taha, maître de conférences à l’uni- tiens, dont un million de catholiques, principa-
versité de Grenoble. Leur hiérarchie s’est lement maronites, mais aussi grecs-melkites,
souvent montrée favorable au régime de syriaques, arméniens. Certes, ils sont inquiets
Bachar Al-Assad. Mais pour la plupart, la de la situation régionale. « Mais les conditions
tendance est au repli sur la famille et, sou- sont réunies pour que leur présence au Liban
vent, au départ. dure », assure Antoine Fleyfel. ●

9
Actualité

Entretien avec Louis Raphaël Sako


© G. Poli/CIRIC

Patriarche de Babylone des chaldéens

« Les Irakiens doivent reconnaître


le pluralisme comme une chance »
Louis Raphaël Sako a lancé au printemps 2017 un appel à la communauté
internationale pour aider les chrétiens d’Irak à se réinstaller dans les
villages dévastés par Daech. Il plaide aussi pour la création d’un État « civil »
promouvant la citoyenneté et s’écartant d’un modèle communautariste.

Propos recueillis Conquise au printemps 2014 par Daech, contestée entre sunnites, chiites et kurdes.
par Anne-Bénédicte la plaine de Ninive, au nord de l’Irak, a été Estimant qu’ils ont fait beaucoup de sacri-
Hoffner libérée fin 2016, avant le déclenchement de fices, les Kurdes veulent rester dans les
(pour La Croix) la bataille de Mossoul. Les chrétiens ont- villages qu’ils ont libérés. Idem pour les
ils pu retrouver leurs maisons ? chiites… Deux jours après la libération, je
Louis Raphaël Sako : Il y a neuf villes ou suis allé rencontrer les généraux irakiens
villages chrétiens dans la plaine de Ninive. pour leur dire que les chrétiens appar-
Les plus au nord, habités surtout par des tiennent à cette terre, qu’elle est en quelque
chaldéens, ont été libérés par les peshmer- sorte leur « terre promise ».
gas kurdes. Dans deux villages – Bashiqa
et Teleskof – situés dans une zone assez Quelle proportion des déplacés et réfugiés
sûre, environ 250 familles sont revenues est susceptible de regagner leurs villages ?
rapidement et ont commencé à recons- L. R. Sako : Parmi les chaldéens, j’estime à
truire. À Batnaya, au nord de Mossoul, 80 % 80 % la part des déplacés en Irak qui sou-
des maisons étaient détruites mais 300 haiteraient rentrer chez eux. Les obstacles
étaient intactes : les familles désireuses d’y restent encore nombreux : les destructions,
retourner se sont fait enregistrer. Tout près, mais aussi la désorganisation politique.
à Baqofah, une quarantaine de familles ont Nous, évêques, nous n’obligeons personne
pu regagner leurs maisons sans trop de à rester, mais nous craignons, si les familles
problèmes. D’autres attendaient la fin de ne rentrent pas, que les équilibres démogra-
l’année scolaire pour le faire. phiques dans la région soient bouleversés.
Les problèmes sont surtout au sud de
la plaine de Ninive, et donc dans des vil- Comment aider à la reconstruction ?
lages syriens-catholiques. Cette zone reste L. R. Sako : L’urgence est d’abord de démi-

10 l Le Monde de la Bible l 222


La ville de Bashiqa,
dans la province
de Ninive, en Irak
Conquise par Daech
en 2014, puis libérée
fin 2016, des familles
chrétiennes sont
revenues dans la ville
et ont commencé
à reconstruire.
© Safin Hamed/AFP

ner les champs et les villages, de déblayer Comment sortir l’Irak de l’enfermement
les routes. Nous avons besoin que des communautaire ?
organismes comme L’Œuvre d’Orient et L. R. Sako : Le chemin sera long ! Moi-même
d’autres nous aident à financer la restaura- je le sens : les deux maisons qui apparte-
tion des habitations. Il faut reconstruire tous naient à ma famille à Mossoul ont été pillées
les villages détruits par Daech, pas seule- par nos voisins. Psychologiquement, c’est
ment les villages chrétiens ! Le soutien spiri- difficile. Aujourd’hui, nous sommes tous
tuel et humain est important aussi : il aide les contaminés par l’esprit « bédouin » : au lieu
Irakiens à persévérer et à espérer. de nous sentir Irakiens, nous nous replions
Sur le plan politique, la communauté inter- sur nos communautés « ethniques » où cha-
nationale doit soutenir la reconstruction du cun veut être le chef. Nos communautés
pays sur la base de la citoyenneté : il ne faut elles-mêmes sont divisées : les musulmans
plus de lois sectaires qui font des chrétiens entre sunnites et chiites, les chrétiens entre
des citoyens de deuxième catégorie, des assyriens, arméniens, chaldéens… Cette
kouffars (NDLR : mécréants) ou des dhim- mentalité doit changer.
mis (NDLR : protégés). Nous ne l’accepte- Nous sentons d’ailleurs que les musulmans
rons pas. Il faut un État « civil », c’est-à-dire eux-mêmes sont fatigués de ces guerres
un État séparé de la religion. Certains poli- absurdes qui ont fait des milliers de morts,
ticiens commencent à tenir ce langage à la d’innombrables ruines et plus de quatre
télévision. J’ai aussi pu l’entendre à l’univer- millions de déplacés ou réfugiés. Certains
sité Al-Azhar du Caire. chrétiens, en particulier ceux qui ont quitté
Je le répète souvent aux hommes politiques le pays, ne sont pas réalistes : ils veulent
que je rencontre à Bagdad : sans un État une province, une région autonome,
civil, l’islam n’a pas d’avenir, il n’y aura pas des casques bleus pour les protéger…
de progrès possible. Les musulmans ne C’est impossible !
peuvent pas continuer à vivre comme au Bien sûr, des observateurs envoyés par
désert au VIIe siècle : ils doivent accepter l’Union européenne dans les villages pré-
que le monde a changé, qu’il n’y a plus des viendraient le risque d’attaques et rassure-
« majorités » et des « minorités », que nous raient les chrétiens. Au-delà, la seule voie
ne sommes plus un danger pour eux. Ils possible est de recréer des amitiés avec nos
doivent reconnaître le pluralisme et la diver- voisins. Nous ne devons pas rester indiffé-
sité comme une chance. rents aux souffrances les uns des autres. l

11
Actualité

Entretien avec Christian Lochon


© W. Alix/CIRIC

Enseignant à l’université Paris 2 et chargé de mission à L’Œuvre d’Orient

« Les coptes sont constamment


attaqués en Égypte »
Une centaine de chrétiens coptes ont été tués lors d’attaques ou d’attentats
entre décembre 2016 et mai 2017 en Égypte. Enseignant à l’université
Paris 2 et chargé de mission à L’Œuvre d’Orient, Christian Lochon met en
perspective le statut des coptes dans la société égyptienne.

Propos recueillis Comment expliquer la recrudescence des Quelle est la situation dans la vallée du Nil,
par Samuel Lieven violences dirigées contre les chrétiens en Haute et Moyenne Égypte ?
d’Égypte en 2017 ? C. L. : Dans les zones reculées du sud de
Christian Lochon : Dans la péninsule du l’Égypte, un autre facteur que la religion
Sinaï, elles sont le fait d’Arabes bédouins, entre également en ligne de compte. Car
depuis longtemps considérés comme des n’oublions pas que les 85 millions d’Égyp-
citoyens de seconde zone en Égypte, et qui tiens vivent sur seulement 5 % du territoire :
ont fait allégeance à Daech. Comme sou- la pression est telle sur les terres agricoles
vent lorsque les coptes sont visés, l’élément que les paysans coptes sont chassés de
religieux n’explique pas tout. Avec l’effon- leurs villages et contraints de se réfugier
drement du tourisme, la situation écono- en ville. Des églises et des écoles chré-
mique est devenue tellement terrible que les tiennes sont constamment attaquées dans
bédouins cherchent à mettre la main sur les cette région, même si la plupart des médias
seuls biens restants, en particulier les hôtels gardent le silence. Par crainte d’une insur-
qui appartiennent à des chrétiens. rection islamiste, le gouvernement ne bouge
En période faste, ce sont eux qui condui- pas. Les actes dirigés contre les chrétiens
saient les bus ou servaient de guide aux font rarement l’objet d’enquêtes et les au-
touristes. Aujourd’hui, ils sont prêts à tout teurs ne sont pas jugés. Il existe aussi des
pour survivre, quitte à chasser et massa- connivences entre la police et les islamistes.
crer leurs voisins coptes en se réclamant
de Daech. Quant à l’armée égyptienne, Les coptes ont-ils toujours été pris à partie
elle ne parvient pas à contrôler la situation dans la société égyptienne ?
et cherche même l’appui d’Israël pour en C. L. : Au cours de la première moitié du
venir à bout. XXe siècle, chrétiens et musulmans se ...
12 l Le Monde de la Bible l 222
Attentat à l’église
Saint-Georges à
Tanta, en Égypte
Le 9 avril 2017, deux
attentats à la bombe
près d’une église de
Tanta et de la cathédrale
d’Alexandrie font au
moins quarante-quatre
morts, le dimanche
des Rameaux.
© Ibrahim Ezzat/NurPhoto

13
Actualité

... sont alliés contre la puissance colo- Morsi, issu des Frères musulmans, a pure-
niale britannique et ont par la suite gouverné ment et simplement voulu rétablir la cha-
ensemble. La mise à l’écart des coptes du ria. Cela aurait signifié pour les chrétiens le
pouvoir politique remonte à la présidence retour à la dhimmitude, ce statut inférieur ré-
de Nasser (1956-1970). Un régime discri- servé aux minorités sous l’Empire ottoman.
minatoire se met alors en place, qui leur
interdit l’accès à de nombreux postes dans Leur sort ne s’est guère amélioré depuis le
l’armée ou l’administration. Leur situation se départ des Frères musulmans…
gâte encore sous la présidence d’Anouar C. L. : Après avoir chassé les islamistes du
el Sadate, qui a laissé les chrétiens devenir pouvoir en 2013, le président Sissi a com-
les boucs émissaires de mouvements insur- mencé par afficher sa proximité avec les
rectionnels islamistes. Les actes de persé- coptes. On l’a ainsi vu, en 2015, assister au
cution se multiplient : attentats, attaques Noël copte auprès du nouveau patriarche
contre des églises, massacres de com- Tawadros, lequel tente par ailleurs de sortir
munautés villageoises… Les coptes com- l’Église copte de son archaïsme. Mais une
mencent alors à migrer vers l’Europe et les partie du gouvernement a aujourd’hui peur
pays du Golfe. Cela n’empêche pas les liens de soutenir les chrétiens. Officiellement hors
au plus haut niveau entre le gouvernement d’état de nuire, les Frères musulmans sont
et les élites économiques coptes, notam- toujours puissamment ancrés dans la popu-
ment sous Hosni Moubarak (1981-2011). lation. On peut estimer qu’une petite moitié
Parvenu au pouvoir en 2012, Mohamed des Égyptiens les soutient encore. l

UNE VIOLENCE RÉCURRENTE


ET QUI S’INTENSIFIE
4 mai 1992. Treize chrétiens et un mu- 14-15 août 2013. Après le renversement du
sulman meurent dans des affrontements président islamiste Mohamed Morsi par le
à Manchiet Nasser, village de Haute maréchal Sissi, des musulmans détruisent
Égypte, à la suite d’un conflit portant sur plus de cent édifices chrétiens dans la val-
l’achat d’une maison. lée du Nil. Le patriarche copte Tawadros
3 janvier 2000. Vingt chrétiens sont tués s’était affiché auprès du maréchal Sissi.
dans le village d’Al-Kocheh en Haute- 11 décembre 2016. Vingt-cinq chrétiens
Égypte, les plus violents affrontements sont tués lors d’un attentat dans une
entre musulmans et chrétiens dans le église du Caire.
pays depuis 20 ans. 9 avril 2017. Deux attentats à la bombe
1er janvier 2011. Vingt et un chrétiens près d’une église de Tanta et de la cathé-
sont tués lorsqu’une voiture piégée ex- drale d’Alexandrie font au moins quarante-
plose en face d’une église d’Alexandrie. quatre morts, le dimanche des Rameaux.
9-10 octobre 2011. Une manifestation 26 mai 2017. Des hommes armés tirent
contre l’incendie d’une église est répri- sur deux bus transportant des coptes
mée par l’armée. Au moins vingt-quatre dans le gouvernorat de Minyah en
coptes meurent. Moyenne Égypte, faisant vingt-huit morts.

14 l Le Monde de la Bible l 222


LA SEMAINE
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Événement / Rendez-vous de l’Histoire / Blois

Eurêka !
Les manuscrits
de la mer Morte
D
epuis Archimède (vers 287-212 av. J.-C.), célèbre mathématicien et inventeur de
Syracuse, notre histoire serait-elle construite par les découvertes, les inventions,
les innovations ? « Eurêka » tel est le titre des 20e Rendez-vous de l’Histoire à Blois.
« C’est d’abord autour de questions, explique Antonella Romano, directrice d’études à
l’EHESS et membre du Conseil scientifique des Rendez-vous de l’histoire 2017, que
les Rencontres de Blois se dérouleront : Qu’est-ce qu’inventer en histoire ? La révolution
scientifique est-elle un mythe ? Une découverte est-elle nécessairement occidentale ?
Est-ce que l’on découvre l’inconscient ? Les révolutions industrielles ont-elles existé ? »
Selon l’historienne, ces Rencontres « aborderont ensuite certains des grands thèmes
qui se trouvent au cœur de notre histoire comme de notre actualité : la connaissance
de la terre, les relations entre sciences et religions, les formes de mises en scène de
la science, les défis que pose le climat à l’histoire, mais aussi ceux que pose le corps
ou l’exploration du cerveau à la science. Elles dresseront enfin un état des problèmes :
la question des rejets, des refus, des risques traverse les Rencontres autour du binôme
science et guerre, ou de celui innovation et tradition, et plus généralement autour de
la réflexion sur toutes les formes historiques de domination associées à la technique
ou à la science. »
Comme tous les ans, Le Monde de la Bible est heureux de s’associer à l’événement
qui rassemble à chaque édition 40 000 visiteurs férus d’histoire. Et c’est en bien en écho
avec le thème du festival que notre revue propose lors de sa table ronde de revisiter
la découverte des manuscrits de la mer morte à Qumrân, 70 ans après.

16 l Le Monde de la Bible l 222


UNE TABLE RONDE
PROPOSÉE PAR
LE MONDE DE LA BIBLE*
Eurêka à Qumrân ! Quoi de neuf sur les
manuscrits de la mer Morte, 70 ans après ?
70 ans après leur découverte à Qumrân, les
fameux manuscrits de la mer Morte ont-ils tout
dit ? Quels secrets conservent-ils ? Comment
de nouveaux manuscrits peuvent-ils encore
apparaître ? Lesquels sont vrais ; lesquels
sont faux ? Quels outils technologiques sont
employés pour les faire parler ? Qui sont les
esséniens ? Que dit l’archéologie du site de
Qumrân ? Les manuscrits ont-ils modifié notre

Rendez-vous de l’Histoire / Blois


manière de lire et de comprendre la Bible ?
Pour débattre et répondre à ces questions
nous avons convié deux éminents spécialistes
du sujet : Michael Langlois, docteur ès
sciences historiques et philologiques de
l’EPHE–Sorbonne, maître de conférences
HDR à l’université de Strasbourg ; et Estelle
Villeneuve, archéologue au Proche-Orient,
formée à l’université Sorbonne-Panthéon et
à l’École biblique et archéologique française
de Jérusalem, chercheur-associé à l’UMR
« Archéologie et Science de l’Antiquité » de la
Maison de l’archéologie René-Ginouvès de
LE MONDE DE LA BIBLE AUX Nanterre. Tous deux ont beaucoup publié sur
20E RENDEZ-VOUS DE L’HISTOIRE DE BLOIS le sujet et ont participé à l’exposition « Qumrân,
➤ Le samedi 7 octobre de 14 h à 15 h 30 les secrets des manuscrits de la mer Morte »,
Université François Rabelais, amphi 3 présentée à la Bibliothèque nationale de
place de la République France en 2010.
41000 Blois (Entrée libre) *Le débat sera animé par Benoît de Sagazan,
www.rdv-histoire.com rédacteur en chef du Monde de la Bible.
Rendez-vous de l’Histoire / Blois

Quoi de neuf à Qumrân ?


Qumrân, associé aux manuscrits de la mer Morte, marque l’imaginaire.
Il y a 70 ans, au printemps 1947, des bédouins découvraient dans des
grottes proches des rives de la mer Morte des manuscrits qui allaient
profondément bouleverser notre façon de lire et de comprendre la Bible.

S
Par Benoît de Sagazan oixante-dix ans après, il ne s’agit pas Pourquoi ? Parce que la grande diversité
seulement de rappeler l’anniversaire des textes recueillis réinterroge les trans-
d’une découverte, si importante soit- missions et les réécritures de la Bible hé-
elle. L’enjeu est avant tout de faire le point sur braïque. Selon David Hamidovic, de l’uni-
un dossier qui connaît plus de nouveautés versité de Lausanne, ce constat révèle aussi
qu’il ne semble a priori. La recherche tant ar- le statut de la parole de Dieu (Révélation)
chéologique que littéraire progresse. De nou- face à la diversité d’un même passage
velles hypothèses prennent corps tandis que dans une même communauté à la même
d’anciennes sont abandonnées. Certaines époque. Le message, qui ne change pas au
s’affinent et sont toujours discutées. De nou- gré des versions, prend le pas sur le texte
veaux documents, issus prétendument ou littéral qui connaît moult variations. Cette
pas de ces fameuses grottes, surgissent en- variété enseigne qu’avant le Ier siècle ap.
core aujourd’hui au gré des cessions et des J.-C. les scribes participaient activement à
acquisitions de collectionneurs privés. la transmission des textes, en les ajustant.
Ces réécritures ne sapent pas l’autorité des
Une découverte au textes plus anciens qui sont précieusement
retentissement mondial conservés, elles ne les remplacent donc
C’est précisément ce que nous avons sou- pas, mais elles témoignent de la vitalité du
haité réaliser au printemps 2017 dans le texte ancien pour une génération, en lais-
dossier de notre numéro 220, élaboré en sant la possibilité à la suivante de retrouver
partenariat avec l’université de Lausanne. La le texte source, de se le réapproprier et de
LE MONDE
histoire - art - archéologie table ronde que Le Monde de la Bible pro- le réécrire selon ses besoins.
DE LA BIBLE
pose aux Rendez-vous de l’Histoire à Blois Les rouleaux de Qumrân ne peuvent plus
est une invitation à le lire ou à le relire. être considérés comme la simple biblio-
QUMRÂN Qu’y apprend-on ? D’abord qu’il y avait un thèque de juifs marginaux. Ils sont bien re-
Les manuscrits
de la mer Morte
70 ans après
avant 1947 et qu’il y a désormais un après. présentatifs des pratiques, des croyances et
Avant la découverte des onze grottes, tout de la pluralité du monde juif de cette époque.
DOSSIER RÉALISÉ
AVEC

ce qui avait survécu de la Palestine du Certains néanmoins concernent précisé-


temps de Jésus, en hébreu et en araméen, ment la vie d’une communauté religieuse ins-
NUMÉRO 220 MARS / AVRIL / MAI 2017

PAYSAGES ARCHÉOLOGIE PORTFOLIO


MYSTIQUES LES ÉCURIES MUSÉE
AU MUSÉE ROYALES DU HIÉRON

se résumait à des pièces de monnaie, des tallée à Qumrân (Règle de la communauté).


D’ORSAY DE MEGIDDO PARAY-LE-MONIAL
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ossuaires, et quelques inscriptions. Dès lors, L’hypothèse la plus retenue est celle d’essé-
BAYARD 17:50:04 Janvier 26, 2017 _0DAVF_MBIN0220P001.pdf

« Qumrân. Les manuscrits


de la mer Morte, 70 ans le millier de manuscrits, récoltés, analysés niens, dont quelques textes témoigneraient
après », Le Monde de et édités, allait révolutionner notre façon de de la séparation de ce groupe d’avec celui
la Bible n° 220, lire la Bible et de comprendre le milieu juif au des pharisiens (Document de Damas).
mars-avril-mai 2017. tournant de notre ère. Séparation due, selon John J. Collins (Yale

18 l Le Monde de la Bible l 222


Divnity School de New Haven), à des ques-
tions d’interprétations de la Loi, notamment
en matière de pureté et de différence de
calendrier, qui menèrent à la formation de la
communauté par le Maître.
S’il n’est plus contesté que la bibliothèque
ait un lien direct avec la communauté, com-
posée de scribes, l’archéologie soulève la
question d’autres activités successives ou
simultanées sur le site. L’archéologue Jean-
Baptiste Humbert (École biblique et archéo-
logique française de Jérusalem) émet l’hypo-
thèse de l’accueil d’un pèlerinage au moment
de la Pâque, fréquenté par des pèlerins juifs
venus de l’autre rive de la mer Morte.

L’aventure de la recherche
Depuis les années 1950, plusieurs théories
sur les textes et l’occupation du site se sont
succédé. Tout n’a pas été dit. D’autant plus
que de nouveaux manuscrits surgissent au
gré des acquisitions par des collectionneurs
privés. Documents qu’il faut authentifier, puis
examiner. Aussi surprenant que cela puisse
apparaître, à l’aide du logiciel Photoshop
sur ordinateur, les chercheurs parviennent à
reconstituer un texte lacunaire. Tout comme,
en pratiquant une analyse minéralogique
des fragments, ils sont également en me-
sure d’en déterminer le lieu d’origine, à la
grotte près.
De nouvelles hypothèses verront encore le
jour car, 70 ans après leur découverte, les
manuscrits de Qumrân contiennent toujours
de nombreuses questions irrésolues. Mais
le plus important, n’est-il pas là, comme le
souligne George J. Brooke, de l’université
de Manchester (Royaume-Uni) : « Les dé- Jarre
couvertes littéraires de Qumrân ont complè- de Qumrân
tement changé la compréhension moderne Ier siècle ap. J.-C.
de la rédaction et de la transmission des Paris, musée Bible
textes, des manières d’écrire et de lire, de la et Terre sainte.
construction d’une vision du monde. » ● © MdB

19
Dossier

En couverture :
Vierge Glycophilousa (Vierge au doux baiser)
Icône arabe, École de Jérusalem, XIXe siècle,
LE MONDE
histoire - art - archéologie
tempera sur bois, 52,3 x 41 cm. DE LA BIBLE
Liban, collection Émile Hannouche.
© François-Xavier Émery/Adverbum.fr

ARABES
CHRÉTIENS

ARABES
L’histoire
méconnue

CHRÉTIENS NUMÉRO 222

ROME
L’ARC
DE TITUS
EXPOSITION
CHRÉTIENS
D’ORIENT À
SEPT/OCT/NOV 2017

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MAURICE DENIS

L’histoire méconnue
RETROUVE L’INSTITUT DU SAINT-GERMAIN
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EN PARTENARIAT AVEC…

Le 22 octobre 2017 de 8 h 00 à 8 h 30 Le 24 septembre 2017 à 20 h 40


Sur France Culture, en lien avec notre dossier, Le dossier du Monde de la Bible sur
retrouvez Raphaëlle Ziadé dans « Chrétiens « Les Arabes chrétiens d’Orient. L’histoire
d’Orient », une émission présentée par Sébastien de Courtois. méconnue » fera l’objet d’une émission « La foi prise au mot » sur KTO,
À réécouter sur franceculture.fr/emissions/chretiens-dorient présentée par Régis Burnet.
ou sur www.mondedelabible.com À revoir sur www.ktotv.com et sur www.mondedelabible.com

20 l Le Monde de la Bible l 222


Dossier
Dossier / Secrets de fabrication

Sous les feux


d’une double actualité
P
Par Benoît de Sagazan our tout vous dire, nous discutions pense également, poursuit-il, à la période des
depuis longtemps d’un sujet sur ces Omeyyades et du califat des Abbassides. À
méconnus que sont les Arabes chré- cette époque les relations entre chrétiens et
tiens. Le dossier aurait dû paraître en 2016 si musulmans ont produit un dynamisme intel-
nous n’avions pas eu connaissance du projet lectuel et culturel extraordinaire tant à Damas
de l’Institut du monde arabe d’organiser une qu’à Bagdad. Je peux citer l’influence impor-
exposition sur le sujet à l’automne 2017. tante de saint Jean Damascène (676-749)
Comme tout le monde, nous avions perçu à Damas et de nombreux savants chrétiens
l’actualité dramatique des chrétiens d’Orient. à Bagdad […]. Je citerais encore le rôle des
J’ai encore parfaitement en mémoire le bel ateliers syriaques dans la transcription par
entretien que le dominicain irakien Éphrem écrit du Coran et de sa diffusion… Ce sont
Azar avait accordé au Monde de la Bible ces traducteurs syriaques qui ont permis la
pour introduire le dossier « Coexister » transmission de la philosophie grecque à
LE MONDE
histoire - art - archéologie
(MdB n° 217). À la question « En quoi l’élé- l’Occident, via la langue arabe et l’Andalousie.
DE LA BIBLE ment chrétien est-il indispensable au Proche- […] N’oublions pas aux XIXe et XXe siècles,
Orient ?, voici ce qu’il répondait : « L’apport l’influence déterminante des intellectuels
des chrétiens y est considérable. D’abord chrétiens dans la formation des doctrines du
parce que le christianisme est né dans cette nationalisme arabe laïc qui ont révolutionné la
juifs, chrétiens, musulmans

COEXISTER
EN PARTENARIAT AVEC…
? région dès les temps apostoliques, quand la
tradition fait remonter à saint Thomas la fon-
gouvernance politique dans plusieurs pays
de la région jusqu’à une époque récente. »
dation de l’Église perse, au cours de sa mis-
NUMÉRO 217 JUIN / JUILLET / AOÛT 2016
2015

LE MUSÉE ARCHÉOLOGIE PEINTURES


DISPARU NATIONALE À GOTHIQUES

Une histoire bimillénaire


D’ALEXANDRE SAINT-GERMAIN- RÉVÉLÉES
LENOIR
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EN-LAYE À POITIERS

sion vers l’Inde. Je pense aussi aux Églises


« Juifs, chrétiens, d’Antioche et d’Édesse, avec saint Éphrem Un dossier sur les Arabes chrétiens dont
Couv217.indd 1 BAYARD 16:38:14 Avril 20, 2016 _3IZHO_MBIN0217P001.pdf 20/04/2016 16:30

musulmans. Coexister ? »,
(306-373) et d’autres Pères de l’Église, aux l’histoire reste méconnue des Occidentaux
Le Monde de la Bible 217,
juin-juillet-août 2016. Églises nestoriennes et monophysites qui était donc sur notre table de travail. Raphaëlle
ont forgé aussi le christianisme universel. Je Ziadé, responsable des collections byzantines
du Petit Palais et membre de notre comité
éditorial et scientifique, occupait naturellement
le tout premier rôle dans la constitution de ce

UN DOSSIER SUR LES ARABES dossier en 2015. Et quand nous avons appris
que l’Institut du monde arabe lui confiait juste-

CHRÉTIENS DONT L’HISTOIRE RESTE ment le soin d’organiser une grande exposi-
tion sur l’histoire bimillénaire de ces chrétiens,

MÉCONNUE DES OCCIDENTAUX ÉTAIT nous avons pensé plus judicieux de caler
notre dossier sur l’événement culturel.

DONC SUR NOTRE TABLE DE TRAVAIL. Nous vous présentons donc un dossier placé
sous le feu d’une double actualité : l’une dra-
matique qui secoue cruellement la Syrie, l’Irak

22 l Le Monde de la Bible l 222


SOMMAIRE
➤ 24 à 31
Chrétiens d’Orient 2000 ans d’histoire
entretien avec Raphaëlle Ziadé
➤ 32 à 37
Les bibles d’Orient socle culturel depuis
les origines
par Alain J. Desreumaux
et l’Égypte, l’autre plus aimable qui donnera à ➤ 38 à 45
voir ce que les chrétiens de cette région ont su Naissance d’un monde d’images originales
produire de plus beau pour exprimer leur foi. par Raphaëlle Ziadé
C’est un petit groupe de travail – composé ➤ 46 à 51
de Raphaëlle Ziadé, Estelle Villeneuve, ar- Quelles langues parlent-ils ?
chéologue bien connue des lecteurs de la par Muriel Debié
revue, François Zabbal, historien et rédac-
➤ 52 à 57
teur en chef de la revue Qantara, éditée par
Quand l’islam installe son Empire
l’Institut du monde arabe, et moi-même – qui
par Antoine Borrut
a constitué ce dossier. Désireux de coller à
l’esprit de l’exposition, nous avons oscillé ➤ 58 à 61
entre les origines fondatrices du christia- Heurs et malheurs du nationalisme arabe
nisme proche-oriental et des signes de sa vi- par François Zabbal
talité actuelle, au-delà des conflits régionaux. ➤ 62 à 66
Un christianisme qui surprend et déroute La théologie arabe face à l’islam
aussi parfois par la complexité de la mo- par Antoine Fleyfel
saïque et sa myriade d’Églises locales aux
➤ 67 à 70
langues et rites divers (lire carte dans le rabat
Saints, rituels et lieux de culte partagés
de la couverture).
par Nour Farra-Haddad
Cette difficulté à comprendre la mosaïque
chrétienne au Proche-Orient, nous l’avons
soumise à Raphaëlle Ziadé. L’entretien a l’arabe… L’arabe parlons-en ! Comment
en outre le double avantage de souligner les chrétiens de la région ont-ils accueilli les
les temps forts de l’exposition et de nous envahisseurs musulmans ? Antoine Borrut
raconter à sa manière 2000 ans d’histoire du répond à la question. De même que François
christianisme dans la région. Cette mosaïque Zabbal aide à comprendre pourquoi et com-
s’illustre aussi dans les bibles locales, qui ment, aux XIXe et XXe siècles, les chrétiens ont
comptent parmi les plus anciennes connues pris conscience de leur « nationalité arabe ».
au monde et produites localement. Nous Enfin, à la recherche de leur vitalité actuelle,
avons demandé à Alain Desreumaux de nous nous avons demandé à Antoine Fleyfel quels
les présenter. La région a également fabriqué sont les apports nouveaux explorés par les
des images chrétiennes dès le IIIe siècle. théologiens arabes contemporains. Plus
Raphaëlle Ziadé nous en explique l’impor- proche d’une réalité quotidienne, mission
Dossier

tance, la richesse et l’originalité. Nous vou- a été confiée à Nour Farra-Hadad de révé-
lions aussi en savoir davantage sur la ou les ler les traits principaux d’une piété populaire
langues utilisées par les chrétiens d’Orient. au Liban, notamment dans ses sanctuaires
Muriel Debié nous guide à travers leur mul- partagés, malgré les tensions vives et la
tiplicité : l’araméen, le syriaque, le copte, guerre qui gronde. l
Histoire des Arabes chrétiens

Chrétiens d’Orient
2000 ans d’histoire
Du 26 septembre au 14 janvier, l’Institut du monde arabe, à Paris, présente
une exposition inédite sur l’histoire des chrétiens d’Orient, des origines à nos
jours. Raphaëlle Ziadé, commissaire scientifique de l’événement, et membre
du conseil éditorial du Monde de la Bible, répond à nos questions.

Propos recueillis Le Monde de la Bible : Pourquoi une expo-


par Benoît sition sur les chrétiens d’Orient ?
De Sagazan Raphaëlle Ziadé : Des expositions ont pu
aborder par le passé tel ou tel aspect du
christianisme dans le monde arabe, comme
l’histoire des coptes par exemple. Mais
celle-ci, présentée par l’Institut du monde
arabe, est la première à proposer une
Le Christ marchant vision large et synthétique des chrétiens du
sur les eaux Proche-Orient depuis leurs origines.
Fresque de Doura
Europos (Syrie), milieu du MdB : Comment rendre compte synthéti-
IIIe siècle. Yale University quement de cette mosaïque chrétienne,
Art Gallery. assez complexe ?
© Yale University Art Gallery R. Z. : Les fondements de l’exposition re-
posent sur deux idées. La première est le
lien primordial à établir avec les communau-
tés qui vivent encore sur place, malgré des
conditions parfois insoutenables. Ce lien doit
être maintenu, y compris dans une exposi-
tion historique et artistique. Nous racontons
chronologiquement leur histoire depuis les
origines jusqu’à aujourd’hui. Ce qui permet
de poser la question politique : quel est l’ave-
nir des chrétiens au Proche-Orient ?
La seconde idée est que, de l’Euphrate au
CHRÉTIENS D’ORIENT
Nil, cette présence chrétienne émaille visi-
2000 ANS D’HISTOIRE
blement la région par ses clochers, ses mo-
➤ Du 26 septembre 2017 au 14 janvier 2018 nastères. On y croise ses habitants chrétiens
à l’Institut du monde arabe qui vivent au milieu d’autres populations, et
1, rue des Fossés-Saint-Bernard, place Mohammed V comme elles, selon un art de vivre commun
75005 Paris – www.imarabe.org à tous quand il n’est pas perturbé par ...
24 ● Le Monde de la Bible ● 222
Évangéliaire de Raboula
Syrie, VIe siècle, manuscrit enluminé sur papier, 292 folios. Florence, Biblioteca Medicea Laurenziana.
© Biblioteca Medicea Laurenziana

25
Histoire des Arabes chrétiens

ecclesiae, ou maison d’église, de Doura


Europos en Syrie, prêts de l’université de
Yale (USA). Datées du milieu du IIIe siècle,
ces fresques représentent deux scènes
évangéliques, le Christ marchant sur les
eaux (p. 24) et la guérison du paralytique
(p. 39). On ne sait pas d’où surgissent ces
images chrétiennes, les plus anciennes
connues au Proche-Orient, mais on sup-
pose une inspiration puisée dans des bibles
illustrées dont on aurait perdu la trace.
Parmi les plus anciennes bibles chrétiennes,
syriennes ou égyptiennes, nous présentons
des documents du VIe siècle : un double
feuillet de l’évangile grec de Sinope (p. 40),
d’origine syrienne, teinté de pourpre avec
des écritures en or et des miniatures très
fines, et les Évangiles de Raboula, manus-
crit syriaque où sont conservées de nom-
breuses miniatures. De la même époque,
est ce reliquaire, véritable boîte à souvenirs
qu’un pèlerin a rapporté de Terre sainte
(voir p 42). La crucifixion, peinte sur son
couvercle parmi quatre autres scènes de la
Plat représentant un ... les soubresauts de l’Histoire. Le chris- vie du Christ, rappelle celle de l’Évangile de
saint cavalier (saint tianisme au Proche-Orient apparaît comme Raboula avec un Christ habillé sur la croix.
Julien ou Mar Elian (?), un fait de civilisation à part entière. C’est de
protecteur de la ville l’ampleur, de la richesse, de la diversité et de MdB : L’Église, devenant officielle au
d’Emèse, actuelle Homs). la permanence de cette culture dont nous IVe siècle, favorise-t-elle en Orient la créa-
Syrie, VIIe siècle. Londres, rendons compte, avant même de rentrer tion d’images originales ?
collection George Antaki. dans la fabrication de la mosaïque d’Églises R. Z. : Dès la Paix de l’Église, instituée en
© G. AntakiAxia Art qui constituent le christianisme oriental. 313, le Proche-Orient commence à se cou-
Nous insistons ainsi sur tout ce que ces vrir d’églises. C’est l’occasion d’une florai-
Églises ont de commun et d’original. son d’images dans le décor des églises,
mais aussi sur les icônes et le mobilier
MdB : Comment débute le parcours histo- liturgique. Nous présentons des exemples
rique et artistique que vous proposez ? de mosaïques, de tentures liturgiques, de
R. Z. : Le point de départ est géographique. chancels, d’éléments d’architecture, mais
Nous dessinons d’abord le périmètre de également des œuvres provenant de tré-
ce monde chrétien en montrant une œuvre sors d’églises. On perçoit l’existence d’ate-
antique de chaque pays : Irak, Syrie, Liban, liers féconds, à Antioche et à Alexandrie,
Jordanie, Palestine, Égypte. L’ancienneté qui essaiment dans la région une produc-
des œuvres souligne l’expansion rapide tion d’objets liturgiques de qualité dont des
du christianisme, au cœur de cette région pièces d’orfèvrerie exceptionnelles.
il y a 2000 ans. Ensuite, nous donnons à Les collections des musées et les fouilles ar-
Voir carte voir la mise en place d’un monde d’images chéologiques donnent une idée de ce qu’a
et chronologie paléochrétiennes dans la région (lire aussi pu être la richesse des églises du Proche-
des chrétiens d’Orient p. 38-45). Sont exposés des objets excep- Orient dans l’Antiquité tardive. Cette région
sur l’intérieur tionnels, jamais vus en Europe. Notamment a même servi de conservatoire à des images
du rabat de gauche. deux fragments de la fresque de la domus saintes comme les icônes, détruites dans

26 ● Le Monde de la Bible ● 222


l’Empire byzantin au moment de la crise Flabellum (éventail)
iconoclaste des VIIIe-IXe siècles. Ainsi la chro- syriaque
nologie des images chrétiennes ne connaît Deir al-Surian
pas de rupture en Égypte là où beaucoup de (monastère des Syriens),
documents manquent pour l’histoire de l’art Égypte, XIIIe siècle,
byzantin à la même époque. bronze martelé et ciselé.
Nous insistons également sur le mona- Morlanwelz (Belgique),
chisme, invention régionale : d’Antoine et Musée royal
de Pacôme le Grand, fondateurs des pre- de Mariemont.
miers monastères chrétiens dans le désert © Musée royal de
égyptien au début du IVe siècle, à Syméon le Mariemont/M. Lechien
Stylite qui, au Ve siècle en Syrie, vit en ermite
au sommet d’une colonne.

MdB : Mais n’est-ce pas aussi l’époque des


conciles et des schismes qui fabriquent les
premières pièces de la mosaïque ?
R. Z. : Effectivement, les chronologies expo-
sées dans les salles posent de tels repères.
Les conciles d’Éphèse et de Chalcédoine
créent les premières séparations. Le concile
d’Éphèse (431) donne naissance à une
Église autonome en Mésopotamie. Puis,
le concile de Chalcédoine (451) produit les
mêmes effets avec les Églises de Syrie ...
27
Histoire des Arabes chrétiens

... (syriaque), d’Arménie et d’Égypte


(copte). Mais derrière des différents théolo-
giques, ces Églises expriment d’abord une
défiance envers l’empereur de Byzance.
L’époque ottomane voit à nouveau des di-
visions apparaître quand des branches se
créent dans chacune des Églises orientales
pour se rattacher à Rome. Chaque Église
se dédouble alors en une branche qui reste
orthodoxe et l’autre qui devient catholique,
faits qui morcellent davantage la mosaïque.

MdB : Ces séparations suscitent-elles des


cultures différentes ?
R. Z. : Les marqueurs identitaires d’une
Église orientale portent davantage sur la
question linguistique, théologique et litur-
gique qu’artistique. Dans le domaine de l’art,
on constate à la fois la présence d’œuvres
qui se rattachent à des courants distincts
comme le courant grec, le courant copte
ou le courant syriaque, mais également des
œuvres qui intègrent plusieurs influences.
La période médiévale apparaît comme une
époque de grande circulation des œuvres
et des artistes.
Nous présentons ainsi des objets syriaques
et byzantins qui ont appartenu au monastère
de Deir al-Surian (monastère des Syriens),
fondé par des moines syriaques du nord de
l’Irak sur la terre égyptienne qui donna nais-
sance au monachisme. Il s’agit d’une paire
d’éventails (p. 27) liturgiques du XIIIe siècle,
typiques du nord de la Mésopotamie, et une
double icône byzantine du XIVe siècle. Nous
montrons aussi des dessins de fresques de
ce monastère, qui relèvent de l’art copte.
Soit trois types d’art différents qui coha-
bitent dans une même communauté. Cette
réalité tout orientale n’exprime pas une
identité par un style mais elle rassemble
un monde d’images de sources artistiques
diverses, se côtoyant naturellement. Ce
constat est vérifié à plusieurs époques et à
plusieurs endroits.
Cette pluralité s’observe également dans
les manuscrits. Grecs, coptes, syriaques, et
plus tard arabes, tous trouvent place dans

28 l Le Monde de la Bible l 222


Évangile arabe
Manuscrit illustré par Ne’meh al-Musawwir (attri.).
Syrie, 1675, école d’Alep. Beyrouth, collection
Antoine Maamari. © Coll. Antoine Maamari

une même bibliothèque. Nous exposons


aussi des objets à usage chrétien qui ne se
distinguent des productions islamiques de
l’époque que par la scène chrétienne figurée.

MdB : Précisément, l’arrivée de l’islam au


VIIe siècle change-t-elle la donne ?
R. Z. : Nous montrons comment le christia-
nisme continue à se développer sous l’is-
lam. L’arabisation linguistique s’impose et
beaucoup d’éditions de textes deviennent
bilingues : syriaque et arabe, copte et
arabe… La langue liturgique des Églises
est conservée à côté de l’arabe qui devient
la langue courante. À partir de la conquête
arabe et quels que soient les différents pou-
voirs qui se succèdent, la particularité des
chrétiens d’Orient est de vivre dans un envi-
ronnement à dominante musulmane. Nous
donnons des exemples à travers le temps
de la capacité d’adaptation qui a été la leur,
et parfois même de la floraison intellectuelle
et artistique qu’ils ont pu connaître dans des
époques favorables.

MdB : Les croisades et la fondation de


royaumes francs ont-elles influé sur la
culture des chrétiens d’Orient ?
R. Z. : Les États latins en Orient ouvrent aux
XIIe et XIIIe siècles une stabilité qui a permis
une intense activité artistique dans la région.
C’est l’époque de l’art croisé, présent dans
le décor d’églises de la côte et dans des
icônes produites par des ateliers croisés,
comme ceux de Saint-Jean-d’Acre. C’est
aussi le moment où un art syro-libanais se
développe dans le comté de Tripoli. De nom-
breuses fresques médiévales sont désormais
bien connues dans cette région grâce à des
campagnes de fouilles et de restauration
relativement récentes. En revanche, à partir
des invasions mongoles du XIIIe siècle, ...

29
Histoire des Arabes chrétiens

thèmes comme l’Immaculée conception,


le rosaire, la Sainte famille sont directement
destinés aux Églises orientales nouvellement
rattachées à Rome… Des écoles d’icônes se
développent au Liban, en Syrie, à Jérusalem,
au Caire. À Alep, rayonne particulièrement
la dynastie de peintres fondée par Yûsuf
al-Musawwir au XVIIe siècle et qui perdure
sur quatre générations (p. 28-29).

MdB : Que dire des siècles suivant ?


R. Z. : Les XIXe et XXe siècles voient le déli-
tement de l’Empire ottoman. Des intellec-
tuels chrétiens participent activement à la
construction de la notion d’arabité portée
par le courant de la Nahda, la Renaissance
arabe. De même leur rôle sera important
dans la construction des nationalismes. Dès
lors, l’avenir des chrétiens se trouve lié au
destin de chaque pays. Mais cette période
marque aussi des temps d’épreuves pour
les chrétiens : massacres de 1860 dans la
montagne libanaise et en Syrie, génocide
des Arméniens et des Assyro-Chaldéens…
La création de l’Œuvre d’Orient en 1856 est
un exemple de la préoccupation qui s’at-
Maquette tache à ces populations depuis l’Europe.
du Saint-Sépulcre ... la région connaît une période moins
Jérusalem ou Bethléem, fertile en termes artistiques. Durant quatre MdB : C’est la première fois que nous dé-
XVIIIe siècle, bois, ivoire, siècles, l’art des chrétiens subit une stagna- couvrons en Occident autant d’œuvres
nacre. Jérusalem, tion. La production reprend sous l’Empire appartenant aux Églises du Proche-Orient.
Custodie Franciscaine. ottoman, aux XVIIe et XVIIIe siècles. Comment cela est devenu possible ?
© Custodie Franciscaine R. Z. : Autrefois, les communautés cachaient
MdB : Comment se manifeste cette renais- leurs trésors par crainte des pillages et de
sance ? l’indélicatesse de certains Occidentaux.
R. Z. : Le statut de dhimmis des chré- Aujourd’hui, elles ont pour la plupart entamé
tiens n’est pas modifié avec l’arrivée des par elles-mêmes des opérations de pro-
Ottomans, eux-mêmes musulmans. En tection de leur patrimoine (conservation,
revanche, cet Empire leur offre un espace restauration, numérisation) qui favorise les
vaste et ouvert favorisant la circulation échanges. Au regard de la fragilité de leur
des personnes, des biens, des idées. Les avenir et fières aussi de leur patrimoine, cer-
échanges avec l’Occident sont intenses. Les taines sont allées jusqu’à accepter de faire
chrétiens, en demande de bibles arabes, re- connaître ces précieux témoignages aux
çoivent avec intérêt l’Evangelium arabicum, Occidentaux à l’occasion de l’exposition. On
édité par les jésuites à Rome en 1591. Les constate néanmoins que l’icône possède
gravures qui l’illustrent rencontrent un succès une place à part en raison de son caractère
important. Plus généralement, ce sont toutes cultuel. Certaines communautés ont accep-
les gravures diffusées par l’imprimerie qui in- té d’en prêter, d’autres non, ce qui est nor-
fluent sur le renouvellement de l’iconographie mal quand on s’adresse à des croyants pour
traditionnelle. L’introduction de nouveaux qui ces images sont investies par la foi. ●

30 ● Le Monde de la Bible ● 222


Ibrahim al-Toual, de la tribu chrétienne des ‘Azeizat, à Madaba (Jordanie)
Jérusalem, 1905. Jérusalem, École biblique et archéologique française.
© Ébaf

31
Histoire des Arabes chrétiens

Les bibles d’Orient


socle culturel depuis les origines
Depuis 2000 ans, les très nombreuses traductions de la Bible reflètent la
richesse et la diversité des langues parlées et écrites par les chrétiens.
Voici l’histoire des bibles d’Orient à travers les siècles…

O
Par Alain J. n dit que la Bible est l’ouvrage litté- IIe siècle ap. J.-C. selon les livres), celle de
Desreumaux raire le plus diffusé dans l’histoire. Théodotion (vers 30-50), d’Aquila (vers 130)
CNRS, « Orient & Quoi qu’il en soit précisément, la et de Symmaque (vers 165) ; les livres du
Méditerranée » quantité de traductions de la Bible reflète la Nouveau Testament sont traduits du grec,
richesse et la diversité des langues parlées leur langue de rédaction. Ces traductions
et écrites par les chrétiens depuis 2000 ans. ont été souvent révisées et mises à jour, en
Ce phénomène, en effet, correspond à une s’appuyant sur des versions plus anciennes
réalité essentielle du christianisme : la Bible ou d’autres langues et en établissant de vé-
est au fondement de son héritage qu’il revi- ritables « éditions » faisant autorité et visant
site, médite, relit et réinterprète en la tradui- l’exactitude textuelle.
sant dans chacune de ses communautés Selon les Églises, le contenu des bibles
linguistiques pour leurs besoins théologiques a varié jusqu’à aujourd’hui. Le Nouveau
et liturgiques. Et la Bible a joué un si grand Testament de la Peshitta, la « Vulgate sy-
rôle dans nombre de régions, que c’est en riaque », ne comporte pas 2 Pierre, 2 et
la traduisant que certaines communautés y 3 Jean, Jude ni Apocalypse qui ne sont
ont fondé l’organisation de leur langue, et intégrés que plus tard. La Bible copte du
forgé sa grammaire et son vocabulaire. Bon temps d’Athanase (328-373) ne comprend
nombre de langues peuvent ainsi être consi- pas Sagesse, Siracide, Esther, Judith, Tobie
dérées comme « langues bibliques » dans la qui sont considérés seulement comme des
Septante formation de leur première littérature. livres bienfaisants (avec la Didascalie des
C’est la première Ainsi la Bible chrétienne, l’Ancien Testament apôtres et le Pasteur d’Hermas) ; ils sont
traduction de l’Ancien et le Nouveau qui le réinterprète, s’est lue intégrés dans la Bible copte au Moyen
Testament de l’hébreu dans la langue vivante de chaque commu- Âge et retirés par Cyrille V au XIXe siècle
en grec. Selon la nauté et retraduite et révisée au cours des ainsi que 1, 2 et 3 Maccabées. Chez les
légende, 70 (septante) siècles en fonction de l’évolution des lan- Arméniens, l’Ancien Testament comprend
savants juifs travaillant gues vivantes. aussi l’Histoire de Joseph et Aséneth et
indépendamment Les livres bibliques des juifs et des chrétiens le Testament des douze patriarches, et le
auraient réalisé se trouvent dans des milliers de manuscrits. Nouveau Testament contient la Lettre des
miraculeusement des Les bibles chrétiennes sont d’abord des Corinthiens à Paul et la 3e Lettre de Paul
traductions identiques ! traductions dans les langues vivantes : les aux Corinthiens. La Bible éthiopienne a in-
En fait, la Septante livres de l’Ancien Testament sont traduits de clus l’Apocalypse d’Hénoch et le Livre des
est le fruit d’un travail l’hébreu ou des versions grecques que les Jubilés dans son Ancien Testament auquel
échelonné sur plusieurs juifs de langue grecque ont établies, celle manque 1 et 2 Maccabées introduits plus
siècles. dite des Septante (faites du IIIe siècle av. au tard traduits du latin. ...
32 l Le Monde de la Bible l 222
Le prophète Osée
Ce manuscrit est une belle Bible de la Peshitta de l’Ancien et du Nouveau Testament destinée à la lecture publique. Les illustrations sont en
tête de chacun des livres (ici, le prophète Osée). Manuscrit syriaque, VIe siècle, Ms 341, folio 174. Paris, Bibliothèque nationale de France.
© BNF

33
Histoire des Arabes chrétiens

Miaphysite ... Les bibles grecques comme la Vulgate araméenne melkite, utilisée
Les Églises syriaque Les chrétiens de langue grecque lisent l’Ancien jusqu’au XIIIe siècle. Ces textes se trouvent
et copte orthodoxes, Testament selon la Septante transmis dans de dans des manuscrits, principalement au Sinaï ;
qui s’attachent célèbres manuscrits des IVe, Ve et VIe siècles, quelques-uns sont des évangiles, et la plupart
à la christologie « les onciaux », représentant de grandes édi- sont des lectionnaires pour la messe : la litur-
antérieure au concile tions selon les usages des grandes Églises : gie restait en grec, mais les lectures bibliques
de Chalcédoine (451), Alexandrie, Antioche, Jérusalem… puis de se faisaient en araméen, langue du peuple.
se sont développées nombreux manuscrits en « minuscules », du
selon une théologie Xe au XVe siècle. L’Ancien Testament de Les bibles syriaques
miaphysite selon la l’Église grecque orthodoxe comprend donc Les bibles syriaques sont exemplaires du
formule de l’« Unique tous les livres du Pentateuque, les livres his- rôle du christianisme et de la Bible dans la
nature incarnée du toriques, les livres poétiques et les livres pro- formation d’une culture. Le royaume arabe
Verbe de Dieu » pour phétiques de la Bible hébraïque traduits en d’Édesse (aujourd’hui Urfa en Turquie de
concevoir l’union de la grec, mais aussi les livres dits « deutérocano- l’est), hellénisé et romanisé, a vu une utilisa-
divinité et de l’humanité niques », présents en grec dans la Septante, tion écrite de son dialecte araméen oriental,
en Jésus-Christ. par exemple, dans le codex Alexandrinus : dans les inscriptions religieuses, funéraires
Baruch, Lamentations et Lettre de Jérémie et les documents juridiques. La christianisa-
inclus dans le Livre de Jérémie, supplément tion ancienne du royaume est attestée dès le
à Daniel et à Esther, Tobie, Judith, 1, 2 et IIe siècle et des inscriptions funéraires chré-
3 Maccabées, Psaumes de Salomon. tiennes apparaissent dès le IIIe siècle. C’est
Quant au Nouveau Testament, le texte cou- dans cette langue que l’Ancien Testament
rant, dès le IIe siècle, est représenté par une hébreu est traduit, sans doute en milieu juif,
diversité de témoins manuscrits. Puis, à la fin pour former la Peshitta, qui a été ensuite révi-
du IIIe siècle furent mises au point des recen- sée sur la Septante par Jacques d’Édesse
sions : celle de Pamphile en Palestine, dont en 705 ap. J.-C. : les monastères syriaques
les traces sont conservées dans quelques accomplissent un énorme travail d’études,
manuscrits ; la recension alexandrine ; la de traductions et de révisions. La Syro-
recension antiochienne dont fut issu le texte hexaplaire est la traduction savante de la
« byzantin » qui finit par dominer. Septante d’Origène (5e colonne) contenant
des notes critiques d’après l’hébreu, effec-
Les bibles christo-palestiniennes tuée par l’évêque miaphysite Paul de Tella à
Dans les provinces byzantines de Palestine Alexandrie en 616-617.
et d’Arabie (aujourd’hui Israël, Palestine, Le Nouveau Testament syriaque a d’abord
Jordanie et bordure sud de la Syrie) ainsi été le Diatessaron, harmonie évangélique en
qu’en Égypte, les tribus de langues arabes un seul livre, faite par Tatien, disciple de Justin,
et araméennes évangélisées par le patriar- à la fin du IIe siècle. Son usage s’est conservé
cat chalcédonien melkite de Jérusalem ont longtemps parmi les chrétiens syriaques ; au
été pourvues de traductions araméennes Xe siècle il a été traduit en arabe.
palestiniennes de la Bible – dans la langue Puis les quatre évangiles « séparés » ont été
qui n’est pas le syriaque, mais l’araméen traduits du grec au Ve siècle et imposés par
occidental parlé en Palestine du temps de l’évêque Rabboula d’Édesse. En 507-508,
Jésus. Ces traductions ont presque totale- la traduction du Nouveau Testament est
ment été faites sur la Septante pour l’Ancien revue sur l’ordre de Philoxène de Mabboug,
Testament ; il en reste quelques manuscrits à l’usage de l’Église miaphysite, mais il n’en
fragmentaires. Le Nouveau Testament ara- reste que sa révision sur le grec en 676 par
Voir carte méen est traduit du grec, souvent mot à mot ; Thomas de Harkel. Toutefois, c’est la « Vulgate
et chronologie il y eut deux versions : une version ancienne syriaque », la Peshitta, qui demeure jusqu’à
des chrétiens d’Orient vers le Ve-VIe siècle, faite sur les textes grecs aujourd’hui la Bible de toutes les Églises sy-
sur l’intérieur utilisés à Jérusalem et une version byzantine riaques orientales (nestorienne, d’Orient) et
du rabat de gauche. un peu plus récente que l’on peut considérer occidentales (syriaque orthodoxe, syriaque

34 l Le Monde de la Bible l 222


Lectionnaire
Arménien
Manuscrit arménien,
XIVe siècle. Ms 337,
Paris, Bibliothèque
nationale de France.
© BNF

catholique, maronite). Elle a été imprimée types de texte. Un témoin très important pour
sous sa forme « orientale » à Urmia en 1852 le texte arménien de la Bible – et pour toute
et à Mossoul en 1887-1891 et sous sa forme la tradition liturgique ancienne d’ailleurs – est
occidentale, d’après le manuscrit de Milan le Lectionnaire arménien de Jérusalem traduit
du VIe-VIIe siècle par Samuel Lee en 1823. Le sur un modèle grec vers 430. Les manus-
Nouveau Testament selon le manuscrit de la crits arméniens du Nouveau Testament sont
Peshitta de Mardin, avec des notes critiques très nombreux ; le plus ancien, aujourd’hui
d’après les autres versions, a été édité en conservé à Moscou, est daté de 887.
2007 par le monastère Mor Gabriel du Tur Les éditions modernes de la Bible armé-
Abdin et la Société biblique turque. nienne sont celles de Zohrapian, imprimée à
Venise en 1805 sur un manuscrit de 1319,
Les bibles arméniennes et celle de Garagachian, imprimée à Istanbul
Christianisée au début du IVe siècle, l’Arménie en 1895.
se dote d’une écriture, le grabar, mise au point
par Mesrob Machtots (vers 360-439) et la Les bibles géorgiennes
Bible est le premier texte traduit en arménien. Comme pour l’arménien, les livres bibliques
Les chercheurs actuels considèrent qu’elle le de l’Ancien Testament ont été traduits de
fut à partir du grec et que les révisions des l’hébreu en grec, puis du grec en géorgien
traductions des différents livres bibliques ont et ont connu de nombreuses révisions. Des
été très nombreuses aboutissant à différents éditions critiques sont actuellement en ...
35
Histoire des Arabes chrétiens

... cours d’édition ; il apparaît déjà que la liturgie et d’une importante littérature sa-
chaque livre a connu plusieurs recensions. vante – se trouve dans quelques manuscrits
Les versions géorgiennes sont classées anciens des Xe-XIe siècles et de nombreux
chronologiquement par des formes de la manuscrits du XIVe au XVIIIe siècle. Il existe
langue bien caractérisées. Des manuscrits maintenant une traduction de la Bible en
de lectionnaires du Nouveau Testament éthiopien moderne, l’amharique.
sont connus par des fragments datant des
Ve-VIIe siècles. Le célèbre manuscrit d’Adysh Les bibles arabes
écrit en Géorgie du sud-ouest, contenant On ne connaît pas de Bible dans l’Arabie
les quatre évangiles, date de 897. Les tra- pré-islamique ; les chrétiens arabophones
ducteurs géorgiens installés en des lieux recevaient l’Écriture vraisemblablement de
de culture grecque ont été très actifs, en façon orale de la part de clergé connaissant
Palestine à Mar-Saba (au Ve siècle), au Sinaï le syriaque, le grec, l’araméen christo-pales-
à Sainte-Catherine, au mont Athos au mo- tinien. Les premières traductions de livres
nastère de l’Iviron (fin Xe siècle), en Bythinie bibliques en arabe sont des Psaumes de la
au mont Olympe (Xe siècle). Des bibles com- Septante. Puis, depuis la fin du VIIIe siècle,
plètes existaient à la fin du IXe siècle. De nou- des lectionnaires des évangiles apparaissent
velles traductions du Nouveau Testament aux environs de Jérusalem, traduits à partir
ont été faites, par Euthyme l’Hagiorite (mort du grec et de l’araméen christo-palestinien
en 1028) et Georges l’Hagiorite (mort en et, comme ces derniers, pour les besoins
1065), en les révisant sur le texte « byzantin ». des populations locales. Le plus ancien ma-
nuscrit arabe des quatre évangiles date de
Les bibles coptes l’an 897 et se trouve aujourd’hui à Sainte-
Le christianisme copte est très ancien – dès Catherine du Sinaï, probablement d’origine
le IIIe siècle – et jusqu’au VIIe siècle, des livres palestinienne. Des traductions arabes des
de l’Ancien et du Nouveau Testament ont été livres de Job – celui-là à partir de la Syro-
traduits dans divers dialectes littéraires ; il en hexaplaire –, Daniel, Jérémie et Ézéchiel se
reste des fragments de six versions dialec- trouvent aussi dans un manuscrit palestinien
tales, en fayoumique, en sahidique, en ach- du IXe siècle.
mimique (à Thèbes), en subachmimique (à La première traduction en arabe de la Bible
Lycopolis), en oxyrhynchique, en bohaïrique aurait été faite à partir de la Septante par
(dans le Delta). La version sahidique, faite Ibn Ishaq au IXe siècle, mais elle est per-
d’après la Septante des melkites, est utilisée due. En revanche, les chrétiens ont utilisé
par les coptes orthodoxes dès le Ve siècle. la traduction arabe du Pentateuque faite
À partir du XIe siècle, c’est la version bohaï- sur l’hébreu par le juif Saadia Ga’on (fin IXe-
rique qui est celle de l’Église copte et, bien début Xe siècle). À partir du Xe siècle, plu-
que sa langue ne soit plus vivante depuis le sieurs traductions arabes sont faites de la
XVIe siècle, elle est toujours en usage dans Peshitta syriaque, par les syro-orthodoxes,
la liturgie. les syro-orientaux et les melkites. Mais une
traduction complète de toute la Bible n’est
Les bibles éthiopiennes pas connue avant le XVIe siècle. Les versions
C’est en ge’ez, l’ancienne langue du arabes de la Bible sont importantes pour le
royaume d’Axoum en Éthiopie, sur les pla- témoignage qu’elles transmettent sur la ver-
teaux du nord, que l’Ancien Testament a sion syriaque.
À lire aussi été traduit du grec et a connu des révisions En tout cas, les traductions de la Bible en
Dictionnaire à partir de versions arabe, grecque et de arabe, les citations, les commentaires ont
encyclopédique de la l’hébreu. Le Nouveau Testament, traduit du joué un grand rôle dans l’histoire des com-
Bible dirigé par le Centre
grec, a été révisé sur le Nouveau Testament munautés chrétiennes en monde arabo-
informatique et Bible de
Maredsous, Turnhout, copte et arabe. La Bible en ge’ez – langue musulman et notamment dans les relations
éd. Brepols, 2002. morte depuis le Xe siècle qui reste celle de entre chrétiens et musulmans. l

36 l Le Monde de la Bible l 222


Christ en lettre ornée
Manuscrit liturgique (Euchologion) copte et arabe du XIVe siècle, provenant du wadi Natrun (Égypte).
Ms copte 83, 59 v. Paris, Bibliothèque nationale de France.
© BNF

37
Histoire des Arabes chrétiens

Naissance
d’un monde d’images originales
Fresques, mosaïques, manuscrits enluminés, reliquaires, icônes, tissus…
De l’Euphrate au Nil, entre Byzance et Islam, voici l’histoire de la naissance
de l’imagerie chrétienne orientale.

L
Par Raphaëlle Ziadé e Moyen-Orient est parsemé de l’Eu- La Genèse de Cotton a probablement été
Responsable phrate au Nil d’églises et de monas- peinte en Égypte à la fin du Ve siècle. Alors
du département byzantin tères, qui marquent de leur empreinte que ce manuscrit a brûlé dans un incen-
du Petit Palais, Paris le paysage, habités le plus souvent de die en 1732, les copies aquarellées, qui
communautés qui continuent à en animer en avaient été faites avant le désastre, et
les lieux, en dépit des vicissitudes d’une quelques fragments calcinés donnent une
actualité parfois meurtrière. Ce patrimoine idée de la richesse de ses miniatures. Un
s’accompagne de nombreuses œuvres nouveau souci de stylisation et d’abstrac-
d’art qui, dès l’Antiquité, ont vu le jour sur tion annonçant les canons de l’art byzantin
ce sol, entre Byzance et Islam, contribuant à se mêle à une tradition illusionniste héri-
la naissance du premier art chrétien. tée de la peinture gréco-romaine. La plus
poétique de ces miniatures est sans doute
Les prémices de l’art chrétien celle montrant la création des plantes par le
Les trois premiers siècles du christianisme Christ Logos au troisième jour, temporalité
ont la réputation d’avoir été réticents indiquée par la présence de trois allégories
aux images figurées, dans la lignée d’un féminines ailées.
judaïsme marqué par le deuxième com- La Syrie a quant à elle donné plusieurs bibles
mandement du Décalogue. La découverte illustrées au VIe siècle. La Genèse de la biblio-
de l’église d’une maison privée à Doura thèque nationale de Vienne, l’Évangile de
Europos et d’une synagogue voisine, Sinope (p. 40), de la Bibliothèque nationale de
toutes deux datées du milieu du IIIe siècle et France, les Évangiles de Rossano, de la ca-
entièrement peintes de fresques, a consi- thédrale du même nom en Italie, ont conser-
dérablement ébranlé cette idée. Comment vé le texte grec de la Bible peint en or ou en
de tels cycles narratifs avaient-ils pu voir le argent sur parchemin teinté de pourpre, orné
jour aux confins de la Syrie, sur les bords de miniatures d’un grand raffinement.
de l’Euphrate, à une date aussi ancienne ? Les Évangiles de Raboula (p. 25) forment
Pour le byzantiniste Kurt Weiztman, les l’une des bibles illustrées les plus anciennes
artistes de Doura avaient eu sous la main et les plus fameuses de la tradition syriaque.
des manuscrits illustrés de la Bible, où ils Ce manuscrit daté de 586 porte le nom du
Colophon puisèrent leur source. prêtre du monastère Saint-Jean de Zagba
Notice à la fin d’un Si nous ne possédons pas dans les faits mentionné, tout comme la date, dans
manuscrit indiquant d’exemplaires de cette époque, il est cer- le colophon. Ce lieu, que l’on plaçait en
le nom du copiste, tain que la région a donné des manuscrits Mésopotamie du nord, est aujourd’hui
de l’auteur, la date. bibliques enluminés parmi les plus anciens. situé entre Antioche et Apamée. Les ...
38 l Le Monde de la Bible l 222
Christ guérissant le paral ytique
Fresque de Doura Europos (Syrie), milieu du IIIe siècle. Yale University Art Gallery.
© Yale University Art Gallery

39
Histoire des Arabes chrétiens

... miniatures sont rassemblées au dé-


but du recueil. On estime à l’heure actuelle
qu’elles proviennent d’un autre manuscrit
et qu’elles ont été assemblées à l’époque
médiévale aux évangiles proprement dits.
La scène de la crucifixion, longtemps consi-
dérée comme la plus ancienne de ce genre,
relève d’un type oriental. Elle est riche en dé-
tails narratifs et inclut des éléments topogra-
phiques comme les montagnes de Gareb et
Agra derrière le Golgotha, laissant penser à
un modèle originaire de Jérusalem, qui est
également représenté sur des ampoules de
pèlerinage ou encore sur le reliquaire (p. 42)
du musée de la Bibliothèque apostolique
du Vatican, daté du VIe siècle. Cet objet
était un souvenir de pèlerinage, rempli de
terre et de cailloux provenant de cinq sites
de la Terre sainte, ceux de la Nativité, du
Baptême du Christ, de la Crucifixion, de la
Résurrection et de l’Ascension, représentés
sur le couvercle en bois. Ce genre de boîte
a sans doute permis la propagation de ces
iconographies des lieux saints dans tout
le monde chrétien.

Production de souvenirs de
pèlerinage à l’effigie de saints Évangile de Sinope
À partir de la Paix de l’Église (313), de ma- « Le festin d’Hérode et
gnifiques monuments et sanctuaires furent la mort de saint Jean
en effet construits pour commémorer les Baptiste », VIe siècle,
lieux des événements de l’histoire sainte. contexte de pèlerinage, mais serait davan- ms grec 1286, fol. 10.
Les églises construites par Constantin et sa tage un ex-voto qu’un souvenir, comme le Paris, Bibliothèque
famille sur les lieux saints de Palestine furent suggère l’inscription en grec qu’elle porte : nationale de France.
parmi les plus importants, mais aussi ceux « J’ai offert [ceci] pour rendre grâce à Dieu et © DeAgostini/Leemage
des apôtres Pierre et Paul à Rome, saint à toi, saint Syméon. » Les nombreux objets
Menas en Égypte ou encore Saint Syméon produits à l’effigie de ce saint ont permis
le Stylite en Syrie. Le désir des pèlerins de une large diffusion de sa popularité dans le
rapporter des souvenirs entraîne la fabrica- monde méditerranéen. Théodoret rapporte,
tion d’objets aux effigies des saints, comme dans son Histoire ecclésiastique, que des
les ampoules à eulogies en métal ou en terre marchands à Rome avaient son portrait au-
cuite, que l’on remplissait d’huile ayant été dessus de leur boutique.
en contact avec les reliques, mais aussi des
objets en reliefs en argent ou en marbre, des Floraison d’images dans le
boîtes peintes comme celle du Vatican déjà mobilier et le décor d’églises
mentionnée, des bols et des médaillons. Au-delà du phénomène des lieux saints, ce
La plaque en argent, conservée au Louvre, sont toutes les églises, dont le territoire se
représentant saint Syméon sur sa colonne couvre à partir du IVe siècle, qui donnent lieu
(p. 41) autour de laquelle s’enroule un ser- à une prolifération d’images dans le mobilier
pent a sans doute été exécutée dans ce comme dans le décor. L’archéologie ...
40 ● Le Monde de la Bible ● 222
Plaque de saint Syméon le Stylite
Plaque portant une inscription grecque dédicatoire à saint Syméon le Stylite, fin VIe siècle ap J.-C. argent, 26,9 x 25,5 cm.
Provient du trésor de l’église de Ma’aret en Noman, en Syrie. Paris, musée du Louvre. © Youngtae/Leemage

41
Histoire des Arabes chrétiens

... de la fin du XIX siècle et du début du


e
d’illustres saints de ce temps, comme saint
XX siècle a livré des trésors liturgiques don-
e
Menas. L’origine syrienne de telles œuvres
nant une idée de la richesse de cette pro- est parfois discutée, des traits stylistiques
duction. On y trouve nombre d’encensoirs, communs se retrouvant à Constantinople
calices, lampes, cuillères liturgiques, pa- ou en Italie, fortement soumise à l’influence
tènes et plats en argent, ornés de scènes de byzantine. Ces questions d’attributions ne
l’Ancien et du Nouveau Testament et d’ins- sauraient occulter en tout cas la floraison
criptions en grec, syriaque ou copte. Sans d’arts que connaît le Proche-Orient dans
que l’on sache exactement le lieu de leur l’Antiquité tardive.
fabrication, ils suggèrent l’existence d’une
industrie de l’orfèvrerie de luxe qui existait Icônes et tissus coptes
à Antioche, Constantinople et Alexandrie. L’Égypte copte permet d’étendre la vision
Mais au vu du nombre d’œuvres retrou- de la production artistique de cette époque
vées sur place, comme à Hama, Attarouthi, à deux autres types d’œuvres non moins
Homs (l’ancienne Émèse) ou Antioche, c’est importants pour l’iconographie chrétienne
bien la Syrie qui semble avoir été le centre orientale : les icônes et les tissus. Le cli- Boîte-reliquaire
de cette production aux Ve-VIe siècles. La mat y a préservé ces œuvres fragiles, qui VIe siècle, Palestine.
sculpture sur ivoire a donné nombre de échappèrent de surcroît au sort des images Vatican, musée de l’Art
chefs-d’œuvre de la même époque, que ce saintes détruites lors de la crise iconoclaste sacré de la Bibliothèque
soit des plaques d’ivoires ou des pyxides, aux VIIIe-IXe siècles dans les territoires de apostolique.
ornées également de scènes de l’Ancien l’Empire byzantin, sur ordre du pouvoir © Governatorato SCV-
et du Nouveau Testament, ou encore impérial. On doit ainsi à l’Égypte la ... Direzione Musei Vaticani/
avec la collaboration de
l’agence La Collection

42 l Le Monde de la Bible l 222


Femme (haut)
et prêtre (bas)
Mosaïque, vers 560-
570. Mont Nébo, Khirbat
al-Mukhayyat (Jordanie),
église Saint-Jean-
Baptiste.
© Interfoto/La Collection

43
Histoire des Arabes chrétiens

... préservation des premières peintures La chaire dite de saint Marc (voir ci-contre),
sur bois chrétiennes, qu’elles soient spé- conservée aujourd’hui au Trésor de Saint-
cifiquement coptes, comme celles retrou- Marc de Venise et exposé dans le chœur,
vées au monastère de Baouit, ou qu’elles en offre un exemple original. Datée du
aient été exécutées à Constantinople et VIe siècle, elle fut longtemps considérée
envoyées en Égypte, comme c’est le cas d’origine alexandrine, comme les reliques
des icônes anciennes conservées au mo- de l’apôtre volées par les Vénitiens. Le style
nastère Sainte-Catherine du Sinaï fondé par des reliefs présents de tous côtés renvoie
l’empereur Justinien au VIe siècle. Les tissus plus probablement à une origine syrienne
de l’Antiquité tardive, légués par l’Égypte, à l’influence orientale fortement marquée.
ont également leur monde d’images spé- L’intérieur du dossier représente l’Agneau au
cifiques et variées, de la célèbre scène pied d’un arbre aux branches exubérantes,
du sacrifice d’Abraham conservé par le surmonté de la croix glorieuse soutenue
musée des tissus de Lyon, aux rideaux li- par deux anges. Les quatre évangélistes
turgiques qui ornaient les églises, scandés sont figurés sur les autres pans de la chaire
de croix ansées et d’anges voletant, dont par leur symbole respectif placé au milieu
l’une des plus belles paires se trouve au de trois paires d’ailes, sur un fond semé
British Museum. d’étoiles proéminentes. D’assez petite taille,
ce trône, qui possède des cavités, a pu ser-
Les symboles chrétiens vir de reliquaire plus que de siège épiscopal.
envahissent les églises Dans tous les cas, il évoquait dans l’église
Le décor de ces églises envahit également l’importance de la fonction du siège comme
la pierre. Les chancels, barrières basses symbole de royauté ou de sainteté.
qui séparent le chœur de la nef, reçoivent Il faut imaginer encore les mosaïques
des ornements sculptés où la croix entre- qui ornaient tous ces lieux saints, dont
lacée de motifs végétaux évoquant la vie la Jordanie a gardé parmi les plus beaux
tient une place de choix. Les chapiteaux exemples, que ce soit à Madaba, au mont
reçoivent des symboles chrétiens comme Nébo (p. 43), à Jerash ou encore à Um
celui conservé par les franciscains de Er-Rasas. Géographies sacrées, symboles
Terre sainte, orné d’une croix entre deux chrétiens où la faune et la flore tiennent une
colombes, chapiteau longtemps exposé grande place, représentations d’autels, de
au mémorial de Moïse au mont Nébo et saints et de donateurs, inscriptions dédi-
aujourd’hui transféré à Jérusalem dans catoires y livrent là encore tout un monde
l’attente de l’ouverture du nouveau musée d’images et d’informations à même de faire
archéologique du couvent de la Flagellation. revivre la beauté de ces décors d’églises
Les autels ont pu également être sculptés, des premiers siècles du christianisme
comme le montre un fragment retrouvé au en Orient, églises qui étaient parfois éga-
centre-ville de Beyrouth représentant le lement entièrement ornées de fresques
sacrifice d’Abraham, conservé au musée comme l’ont montré les fouilles entreprises
national. Les chaires des prélats sont égale- dans les monastères égyptiens, tel Saint-
ment le lieu de décorations savantes. Parfois Apollo à Baouit. l
ornées de plaques d’ivoire comme la chaire
offerte en 630 par l’Empereur Héraclius
au patriarche de Grado, d’origine syro-pa-
Voir carte lestinienne, elles pouvaient également être
et chronologie faites d’un bloc de pierre creusé et sculpté,
des chrétiens d’Orient comme les trônes votifs, parfois surmontés
sur l’intérieur d’un dieu ou d’une déesse, présents dans
du rabat de gauche. les temples de l’époque hellénistique.

44 l Le Monde de la Bible l 222


Trône-reliquaire
de « saint Marc »
VIe siècle, albâtre,
109,8 cm.
Venise, Trésor de la
basilique Saint-Marc.
© DeAgostini/Leemage

45
Histoire des Arabes chrétiens

Quelles langues
parlent-ils ?
Si en Europe le latin a longtemps été la seule langue écrite, dans le Proche-
Orient ont cohabité des langues et des écritures aux statuts très différents.
Quelles ont été les évolutions linguistiques et culturelles dans cette région ?

T
Par Muriel Debié rois langues de culture majeures se su- de communication. Elle devient la langue
Directrice d’études à perposent et se succèdent au Proche- commune, la koinè, la nouvelle lingua franca,
l’École pratique des Orient au cours du premier millénaire remplaçant dans ce rôle l’araméen.
hautes études (EPHE) de l’ère chrétienne : le grec, le syriaque et D’autre part, la fin de l’Empire achéménide
l’arabe, qui articulent des identités politiques, perse, vaincu par Alexandre le Grand, en-
religieuses, sociales et culturelles. Le Proche- traîne une émergence des araméens locaux.
Orient ancien se caractérise par toute une Avec la fin de l’usage de l’araméen dit « d’Em-
mosaïque de langues et d’écritures aux sta- pire », une forme standardisée employée
tuts très différents qui cohabitent. dans les chancelleries impériales, des formes
Les facteurs à la fois politiques et religieux locales d’araméen sont mises par écrit avec
expliquent l’apparition, parfois la dispari- des alphabets distincts dans les différentes
tion, de certaines langues et écritures. La cités-États : araméen de Palmyre, araméen
christianisation va ainsi entraîner l’émer- de Hatra, araméen du royaume de Nabatène
gence du syriaque, une forme d’araméen en Arabie. Appelé aussi syriaque, l’araméen
de Mésopotamie du nord, la mise par écrit édessénien se répand avec la christianisation
de langues qui étaient jusque-là uniquement et devient la langue religieuse des chrétiens
orales, comme le copte, l’arménien, le géor- parlant les différentes formes d’araméen. À
gien ou le christo-palestinien par exemple la période romaine s’ajoute le latin, mais qui
et sans doute aussi l’arabe. Inversement, reste au Proche-Orient essentiellement la
le passage sous domination romaine du langue de l’armée et du droit.
Proche-Orient a entraîné la disparition pro-
gressive de certaines langues comme les Les langues de Jésus
formes d’araméen que sont le hatréen, le Quelle langue Jésus parlait-il ? Les réponses
nabatéen ou le palmyrénien… ont évolué dans les décennies récentes, suite
Dans les trois siècles qui séparent les aux découvertes de documents en araméen
conquêtes d’Alexandre le Grand (332 av. et en hébreu trouvés à Qumrân et ailleurs,
J.-C.) de la période romaine, au tournant de dans le désert de Judée. Le consensus est
l’ère chrétienne, se jouent des changements que les formes d’araméen juif et samaritain de
linguistiques et culturels durables. Palestine étaient la langue utilisée majoritaire-
Voir carte On assiste d’une part à une hellénisation ment, quelles que soient la région et la classe
et chronologie croissante du Proche-Orient où le grec est sociale des locuteurs. La tendance actuelle
des chrétiens d’Orient à la fois la langue officielle des monarchies est de considérer que l’hébreu était toujours
sur l’intérieur hellénistiques, la langue de culture des élites parlé et n’était pas seulement une forme sa-
du rabat de gauche. locales, la langue du commerce et la langue vante écrite. Le grec était l’autre langue ...
46 l Le Monde de la Bible l 222
Mosaïque avec Prométhée
Inscriptions en araméen-syriaque, vers IIIe siècle av. J.-C. Urfa (ancienne Édesse), musée archéologique.
© D. R.

47
Histoire des Arabes chrétiens

Gentils ... majeure, comme le montre la rédaction apostolique de l’Orient, de langue syriaque,
En hébreu Goyim, les du Nouveau Testament. Il était connu surtout prend son indépendance pour des raisons
Nations, c’est-à-dire dans les villes de la côte, dans les milieux à la fois politiques et théologiques. Souvent
les non-juifs. sociaux élevés qui étaient éduqués et dans oubliée du paysage des Églises d’Orient
l’administration, mais était employé aussi (ce sont aujourd’hui l’Église assyrienne et
Concile d’Éphèse comme langue de communication, entre juifs l’Église chaldéenne, rattachée à Rome), elle
(431) et entre juifs et gentils. essaima sur le pourtour du golfe Persique
Troisième concile Il semble donc ne faire aucun doute que (appelé en syriaque le Bet Qatraye), jusqu’en
œcuménique, qui veut Jésus parlait l’araméen juif de Galilée, comme Inde (qui aurait été évangélisée par l’apôtre
résoudre la querelle les mots araméens transcrits en grec dans Thomas), au Tibet (qui eut un « pape » de tra-
christologique. Il aboutit les évangiles le montrent et non le syriaque. Il dition syriaque au VIIe siècle), en Chine (dès le
à la condamnation lisait sans doute l’hébreu de la Torah et parlait VIIe siècle) et jusqu’en Mongolie, des siècles
et à la déposition de probablement aussi l’hébreu de son temps. avant l’arrivée des premiers missionnaires
Nestorius, patriarche Les travaux actuels tendent à dire qu’il parlait latins. L’évangélisation se fit en syriaque,
de Constantinople, qui également le grec comme une grande partie langue de la liturgie. Des écoles rattachées
insistait sur la dualité de la population de Palestine et comme sem- aux églises et aux monastères répandirent
des personnes, humaine bleraient le suggérer ses échanges avec la la langue dans les milieux chrétiens locaux
et divine, dans le Christ. Syro-phénicienne ou Pilate par exemple rap- qui parlaient par ailleurs des langues locales
portés dans les évangiles. Peut-être même (moyen-perse, arabe, sogdien, chinois…).
Concile de savait-il le lire et l’écrire. Dans le patriarcat de Jérusalem qui reconnut
Chalcédoine (451) officiellement le concile de Chalcédoine
Quatrième concile Les langues de l’Église de 451, les chrétiens de langue araméenne
œcuménique. Pour Le grec est la langue du Nouveau Testament, développèrent une écriture formée sur le
mettre fin à la crise les Écritures par excellence du christianisme, syriaque pour écrire l’araméen local, appelé
christologique, il et celle des premiers convertis, juifs ou gen- araméen christo-palestinien dans lequel
reprend la définition tils. Le mot « chrétien », christianos, on l’ou- furent traduits des textes grecs. Si le grec
dogmatique de Léon Ier, blie parfois, est un mot grec utilisé pour la devint progressivement la langue de l’or-
évêque de Rome, et première fois à Antioche (Syrie ancienne). La thodoxie byzantine, les autres Églises par
proclame l’« union des première prédication, les lettres de Paul, de opposition définirent aussi leur identité par
deux natures sans Jacques ou de Jude sont envoyées en grec l’usage des langues locales, dans la liturgie,
confusion ni division en aux nouvelles communautés. Le grec est les commentaires, la littérature… Ce sont
la personne du Christ ». la langue de l’Église en formation, la langue les coptes-orthodoxes, les syriaques-or-
du droit canonique et des conciles œcumé- thodoxes, les arméniens-orthodoxes et les
niques (un autre mot grec pour dire univer- éthiopiens-orthodoxes.
sels) avec le latin à partir du IVe siècle et de Sont traduits en syriaque à partir du Ve siècle
la reconnaissance officielle du christianisme non seulement les Pères de l’Église grecque
par l’Empire romain. La liturgie (y compris à mais également les ouvrages de philosophie,
Rome) et les chants sont en grec. Les pre- d’astronomie, de médecine et des ouvrages
miers commentaires et l’exégèse chrétienne profanes. Ils sont étudiés et commentés
sont écrits en grec. Si le christianisme se ré- en même temps que fleurit une littérature
pand en grec et en latin vers l’ouest et le sud syriaque originale, où la poésie est une forme
de la Méditerranée, il se propage en syriaque majeure d’écriture, en partie héritée de tra-
vers l’est, par-delà les frontières de l’Empire ditions mésopotamiennes plus anciennes.
perse (parthe puis sassanide) et plus mar- Traduite à son tour en arménien, géorgien,
ginalement en grec, par l’intermédiaire des éthiopien, parfois en grec, et plus tard en
populations déportées de l’Empire romain arabe, cette littérature est la troisième plus
dans l’Empire perse lors des très nombreux importante littérature chrétienne ancienne
épisodes de guerre entre le IIIe et le Ve siècle. avec le grec et le latin et fut active jusqu’au
Avec les querelles christologiques du concile XIVe siècle où elle fut remplacée par l’arabe
d’Éphèse de 431, l’Église de Perse ou Église comme langue de culture.

48 l Le Monde de la Bible l 222


LES PRINCIPAUX SYSTÈMES D’ÉCRITURES ALPHABÉTIQUES
Écritures proto-sémitiques
- 1300 Fin IIe millénaire av. J.-C.
- 1600
Alphabet consonnantique Inscriptions alphabétiques linéaires
Ecriture proto-sinaïtique cunéiforme d’Ougarit de la côte (proto-phénicien)

- 1000 : écritures - 1000 : - 1000 phénicien - Xe-VIIIe siècle araméen


nord-arabiques écritures - 960
(thamoudéen, sud-arabiques - IXe siècle grecques paléo-hébraïque - 830
dédanite, moabite,
haséen, - 700 écritures écritures palmyrénien
étrusque ammonite
safaïtique) indiennes d’Asie
- VIe siècle centrale
punique - 535
- Ve-IVe siècle hébreu carré
libyco-berbère latin
tifinagh
himyarite,
sabéen, minéen - 100 nabatéen
Début De l’ère chrétienne Début De l’ère chrétienne
IIe siècle
syriaque

IVe siècle 407 IVe siècle IVe-Ve siècle Ve siècle


éthiopien Début V siècle arménien
e
copte arabe samaritain
(ge’ez, amharique) géorgien

malais persan turc


IXe siècle IXe siècle
glagolitique cyrillique
ourdou

Les chrétiens l’Empire perse, en Arabie ou dans le Sinaï) ou


et la langue arabe le patronage sous lequel ils se plaçaient, leur
Une autre langue presque invisible jusqu’au langue liturgique et ecclésiastique était le grec
VIIe siècle est employée dans la région, c’est ou le syriaque.
l’arabe. Des groupes nomadisaient tout le Au service des souverains romano-byzantin
long des zones désertiques allant de la Syrie et perse, ils assuraient la défense des fron-
du nord ancienne à l’Arabie du sud. Leur tières et prirent une importance croissante à
langue vernaculaire était l’arabe, écrit parfois, partir du Ve siècle. Contrairement à l’image
mais en lettres nabatéennes ou en lettres construite plus tard par la tradition arabo-
grecques, jusque vers 500, tant que n’exis- musulmane, ces tribus n’étaient pas totale-
tait pas une écriture spécifique pour noter la ment illettrées et plongées dans la jâhiliyya,
langue. Des membres de ces groupes, que l’obscurantisme et le polythéisme, qui aurait
l’on voit par exemple au pied de la colonne marqué la période pré-islamique, avant les
de saint Syméon le Stylite, au Ve siècle, se lumières du Coran. Les innombrables graf-
convertirent au christianisme. Selon le lieu fitis trouvés en Arabie montrent la présence
où ils se trouvaient (en Syrie ancienne, dans de l’écrit (dans les langues sud et ...
49
Histoire des Arabes chrétiens

Maronite ... nord-arabiques) partout sur les pierres vernaculaires du Proche-Orient, puis la
Les maronites du désert, les lamelles de palmiers ou les os langue officielle du pouvoir arabo-musulman,
constituent la plus de chameau. Des membres de ces tribus et enfin une langue de culture. Les chré-
importante communauté connaissaient ces langues officielles, le grec tiens s’arabisent peu à peu, à des rythmes
chrétienne du Liban où dans l’Empire romain et le moyen-perse dans différents selon les Églises. Les divisions
siège le patriarcat de l’Empire sassanide. Pour ceux qui étaient à l’œuvre depuis le Ve siècle aboutirent en
l’Église maronite, une chrétiens, des lettres étaient échangées en effet à la constitution d’Églises séparées
des Églises catholiques syriaque entre la Syrie du nord et l’Arabie du qui finirent de se définir les unes par rapport
orientales. Elle a été sud (dans la ville d’al-Hira, la « capitale » des aux autres dans les débuts de l’islam. Dès
fondée par saint Maron, Nasrides ou à Najran) au VIe siècle. le VIIIe siècle, les chalcédoniens rattachés à
au Ve siècle, en Syrie. Les dernières prospections dans l’actuelle l’Église byzantine (appelés « melkites », lit-
Arabie Saoudite ont mis au jour les plus téralement, en syriaque, les partisans de
anciens exemples d’écriture arabe datée l’empereur), les coptes, les membres de
connus à ce jour, qui font remonter à 500 la l’Église de l’Est, les maronites, se mirent à
première attestation de l’écriture arabe, dans écrire en arabe. C’est seulement à partir du
des milieux chrétiens, ces inscriptions étant XIIIe siècle que l’Église syriaque-orthodoxe,
accompagnées de croix. La tradition arabo- dont l’identité repose largement sur l’usage
islamique postérieure mentionne aussi les du syriaque, s’arabisa vraiment. Dans les dif-
chrétiens comme ayant introduit l’écriture férentes Églises, la liturgie se fit de manière
arabe au VIIe siècle. croissante en arabe, des traductions gréco-
D’après ces rares témoignages (mais les arabes, syro-arabes et copto-arabes se mul-
Ci-dessous : dernières découvertes invitent à être très pru- tiplièrent à partir du VIIIe siècle ainsi que les
Dessin de l’inscription dents), cette écriture semble n’avoir guère écrits en moyen-arabe.
bilingue (trilingue) été utilisée, sans doute parce que sans Les chrétiens jouèrent un rôle majeur dans
de Zebed usage officiel administratif ou religieux (nous la transmission de la culture grecque et des
Inscription, datée de ne connaissons pas de traduction de la Bible cultures en langues vernaculaires vers l’arabe
512, en grec-syriaque, en arabe antérieure à la période islamique). dans ses variantes régionales. L’arabe rem-
accompagnée d’un L’écriture arabe ne prend véritablement son place désormais au second millénaire de
court texte en arabe, essor qu’avec les débuts de l’islam (622 l’ère chrétienne le grec et les différentes
qui commémore marque le début du calendrier musulman) formes d’araméen comme langue officielle,
la construction du où elle sert à mettre par écrit le Coran d’une langue de prestige et langue de culture. Il est
martyrium de saint Serge part et à rédiger les documents sur papyri qui aussi au Proche-Orient la langue religieuse
à Zebed, au sud-est règlent l’occupation des zones nouvellement des chrétiens des différentes églises orien-
d’Alep, en Syrie. contrôlées par les Arabes d’autre part. tales et, partout dans le monde, des musul-
© D. R. L’arabe devient peu à peu une des langues mans qui lisent le Coran. l

50 l Le Monde de la Bible l 222


Manuscrit syriaque
XIIe siècle, Édesse. Ms 54, fol. 12. Paris, Bibliothèque nationale de France.
© BnF

51
Histoire des Arabes chrétiens

Quand l’islam
installe son Empire
Au VIIe siècle, une nouvelle entité arabe musulmane émerge et avec elle la
création d’un immense Empire. L’imposition de ce pouvoir précipite de nouvelles
constructions identitaires qui imprègnent durablement les trois monothéismes.

L
Par Antoine Borrut a prédication de Muhammad dans Plus largement, les identités religieuses
Université du Maryland l’Arabie du début du VIIe siècle fait émer- s’avèrent délicates à saisir. L’idée d’un chris-
et Institute for Advanced ger un embryon d’État capable, pour la tianisme singulier à opposer à un judaïsme
Study première fois, d’organiser une politique d’ex- et à un islam uniques ne résiste pas à une
pansion qui se traduit, en un peu plus d’un analyse attentive. Il faut au contraire faire la
siècle (vers 634-750), par la création d’un place à la multiplicité des christianismes en
immense Empire allant des Pyrénées à l’Inde compétition, et aux différentes formes du ju-
et la Chine. Cette nouvelle entité politique qui daïsme qui s’épanouissent alors. La période
triomphe alors est généralement dépeinte formative de l’islam est, on l’oublie trop sou-
comme ethniquement arabe et de confes- vent, aussi décisive pour la construction des
sion musulmane. Les réactions des popula- identités chrétienne et juive.
tions conquises sont interprétées de manière
contrastée : certains chercheurs ont véhiculé Musulmans ou croyants ?
Melkites l’idée d’une oppression systématique quand La conception d’un islam clairement iden-
Chrétiens des d’autres ont voulu voir au contraire un accueil tifié dès son émergence et distinct des
Églises d’Antioche bienveillant des nouveaux détenteurs du pou- monothéismes que l’on voudrait rivaux a
et d’Alexandrie qui voir. Cette dernière interprétation découle du été rejetée par Fred Donner, de l’université
ont accepté les fait que nombre de chrétiens d’Orient étaient de Chicago. En effet, les documents les
conclusions du concile considérés comme hérétiques dans l’Empire plus anciens (Coran, inscriptions et papyri)
de Chalcédoine, en 451, byzantin et virent leur position s’améliorer préfèrent la plupart du temps le terme de
sont appelés « melkites » avec l’émergence d’un nouveau pouvoir mu- croyants (mû’minûn) à celui de musulmans
(c’est-à-dire partisans sulman qui ne distinguait plus entre « bons » (muslimûn). L’un des documents fondateurs
de l’empereur Malik) et « mauvais » chrétiens (melkites et non- de la « communauté des croyants » (umma),
par les autres. Elles ont melkites). De même, la persécution des juifs souvent désigné sous le nom trompeur de
rejoint la communion sous domination byzantine fit place à une « constitution de Médine » et rédigée sans
orthodoxe et ne portent nette amélioration sous domination califale : doute au lendemain de l’hégire (622), intègre
plus ce qualificatif. l’accès des juifs à Jérusalem et au mont du ainsi plusieurs tribus juives dans la com-
Seule l’Église melkite Temple fut restauré par le calife Umar Ier (634- munauté originelle qui s’organise autour du
catholique, créée en 644), qui gagna ainsi son surnom d’al-fârûq, Prophète. C’est une communauté fondée
1724, l’a conservé. « le rédempteur ». pour la guerre, où les croyants unissent leurs
forces pour lutter contre les mécréants et
pour se prémunir en particulier contre l’hos-
tilité des Mecquois qui rejettent alors le mes-
sage de Muhammad. ...
52 l Le Monde de la Bible l 222
Jérusalem depuis le mont des Oliviers (détail)
Gustave Bauernfeind, 1902, huile sur toile, 132, x 200 cm. Collection particulière.
© Christie’s Images/Bridgeman Images.com

53
Histoire des Arabes chrétiens

Le dôme du Rocher, à Jérusalem,


a été construit sur ordre du calife omeyyade
‘Abd al-Malik en 691-692. Les inscriptions
coraniques choisies pour orner l’intérieur de
l’édifice insistent sur l’unicité divine et rejettent
la notion chrétienne de la Trinité.
© R. Glinsky/Panther Media/Age Fotostock

... Une identité proprement musulmane


n’émerge que progressivement au long du
VIIe siècle, et s’inscrit pour la première fois
dans le paysage culturel avec l’érection du
dôme du Rocher à Jérusalem en 692, à l’ins-
tigation du calife omeyyade ‘Abd al-Malik
(règne 685-705). Les inscriptions coraniques
choisies pour orner l’intérieur de l’édifice tra-
duisent ainsi un rejet du christianisme ou plus
exactement de la Trinité, ce qui suggère que
tous les chrétiens n’étaient pas considérés
de manière égale. Cette tendance est confir-
mée par l’épigraphie : les témoignages lapi-
daires des premières professions de foi mu-
sulmanes (shahâda) se bornent à proclamer
l’unicité divine (« Il n’y a de Dieu qu’Allah ») et
ne mettent pas encore l’accent sur le rôle du
Prophète. Ce n’est que par la suite que la
formule se fixe dans son acception courante :
« Il n’y a de Dieu qu’Allah ; Muhammad est le
messager d’Allah ! »
Toutefois, si l’idée d’une construction pro-
gressive d’une identité musulmane ne pose
pas problème (le principe est admis pour
les autres religions, même si dans le cas de
l’islam le processus semble particulièrement
rapide), la thèse d’un islam primitif « œcumé-
nique » ouvert aux « croyants » monothéistes
et non aux seuls « musulmans » continue de
faire débat. poser problème. Certains préfèrent la ter-
minologie d’expansion, en particulier parce
Des conquêtes successives que les « conquêtes » sont bien souvent invi-
À la lumière de ces incertitudes sur les sibles sur le plan archéologique.
constructions identitaires tant ethniques que L’expansion musulmane est pourtant sou-
religieuses, on comprend mieux l’hésitation vent réduite à un jihad qui vise à convertir
des chercheurs à qualifier les conquêtes de ou à persécuter. Une fois soumises, les
« musulmanes » ou « arabes ». Et plus encore, populations monothéistes non-musulmanes
l’idée même de « conquête » ne va pas sans passent dans la catégorie des « gens du

54 l Le Monde de la Bible l 222


Livre » (ahl al-kitâb) et bénéficient du sta- puis omeyyades (661-750), mais nous n’en
tut légal de dhimmis (qui garantit un pacte savons presque rien. Il faut en effet attendre le
de protection, ou dhimma, en échange du IXe siècle pour voir émerger une idéologie du Omeyyade
payement d’un impôt spécifique, la jizya, ou jihad théorisée par les savants musulmans. Dynastie de califes
capitation). Il est ainsi tentant de considérer La première mention de la dhimma connue à arabes qui a régné sur
qu’une idéologie du jihad sous-tend le grand ce jour date de la fin des années 680 (sur un l’Empire musulman,
mouvement de conquêtes qui s’esquisse papyrus de Nessana, en Palestine), mais ne de 661 à 750, depuis
du temps du Prophète et s’accélère ensuite dit rien de la définition d’une identité juridique sa capitale Damas
sous les califes dits « orthodoxes » (632-661) en cours de maturation. L’idée que ... (aujourd’hui en Syrie).

55
Histoire des Arabes chrétiens

Zoroastrisme ... l’on pourrait réduire le phénomène poser des difficultés, mais il présente l’avan-
Religion officielle à une triade jihad, conversion ou dhimma tage de mettre en évidence le fait que l’État
préislamique de l’Empire s’avère ainsi largement inopérante. omeyyade s’appuie profondément sur la
sassanide. Cette religion, En outre l’impact de la conquête Perse sas- conquête. L’hypothèse d’un « Jihad State »
qui combine des éléments sanide (602-628), qui précède immédiate- omeyyade ne suffit pas à expliquer l’en-
dualistes et monothéistes, ment l’expansion islamique, a été sous-es- semble des difficultés finales de la première
aurait été fondée par le timé. Les populations du Proche-Orient sont dynastie de l’islam, mais souligne l’impact du
prophète Zarathoustra vers ainsi ballottées entre dominations byzantine, ralentissement puis de l’arrêt des conquêtes
le VIIe siècle av. J.-C. perse, reconquête d’Héraclius et arrivée de au milieu du VIIIe siècle.
l’islam, le tout en quelques décennies seule-
Abbasside ment. Jérusalem tombe ainsi aux mains des Les non-musulmans
Dynastie califale qui Sassanides en 614 avant d’être reprise par dans le califat
renverse en 750 les califes Byzance en 628, puis d’être conquise par les L’articulation d’une théorie du jihad et d’un
omeyyades de Damas. armées du califat vers 638. Les autochtones statut légal des non-musulmans connaît
Descendants d’al-Abbâs, sont ainsi habitués à changer de mains et alors des étapes importantes. Ces évolu-
oncle de Muhammad, ils ne témoignent sans doute que d’une faible tions se traduisent par l’émergence de la
sont renversés en 1258 lors loyauté résiduelle vis-à-vis de leurs maîtres figure du cadi en charge d’appliquer l’ortho-
de la prise de Bagdad par successifs et parfois éphémères. doxie politico-religieuse du califat omeyyade.
les Mongols. L’idée de la radicale nouveauté des Le processus s’accompagne de la mise
conquêtes arabes pose ainsi question. Si sous coupe réglée de l’Empire en vue d’im-
Himyar le message est incontestablement nouveau poser une taxation régulière de régions qui
Royaume qui germe dans (bien que pas toujours perçu comme tel échappaient encore largement à l’orbite
le Yémen actuel à compter par certains théologiens chrétiens, comme califale, à l’image de la Haute-Mésopotamie.
de la fin du IIIe siècle, avant Jean Damascène [mort vers 749] qui voit Les témoignages sigillographiques montrent
d’amorcer une conquête dans l’islam une simple hérésie chrétienne), alors que les non-musulmans portent un
de l’Arabie déserte pour une grande partie du problème vient de la sceau (de plomb ou parfois de cuivre) autour
englober l’essentiel de difficulté persistante à situer l’islam naissant du cou (ou du poignet) qui atteste de leur
la péninsule au Ve siècle. dans le contexte historique approprié. paiement de l’impôt et d’une pratique dis-
Une approche féconde consiste à appré- criminatoire. Il s’agit là d’une mesure qui fut
hender l’Antiquité tardive comme l’âge du sans doute exceptionnelle et non systéma-
triomphe des monothéismes, dont l’islam tique, eu égard au faible nombre de sceaux
À lire aussi est en quelque sorte le point culminant, préservés, qui perpétuait des usages préis-
Les débuts de l’Islam. après l’essor du zoroastrisme qui devient lamiques attestés en Irak et en Iran et réser-
Jalons pour une nouvelle religion d’État dans l’Empire sassanide dans vées aux esclaves et aux captifs ; le procédé
histoire, F. Micheau,
les années 220, d’un « monothéisme judaï- semble complètement disparaître à compter
éd. Téraèdre, 2012.
sant » adopté par Himyar en Arabie dès la du Xe siècle. En parallèle, le statut légal des
Non-Muslims in the Early
Islamic Empire: From fin du IIIe siècle, et du christianisme qui s’im- dhimmis se précise et se donne à lire à la
Surrender to Coexistence, pose en Éthiopie à compter du IVe siècle, en fois comme un élément de protection et de
M. Levy-Rubin, Cambridge même temps qu’il est officiellement reconnu coercition. Face à cette nouvelle réalité d’un
University Press, 2011.
dans l’Empire romain. pouvoir désormais clairement défini comme
Muhammad and the
Si l’on se place du point de vue de l’État isla- musulman, les non-musulmans adoptent de
Believers: At the Origins
of Islam, F. M. Donner, mique naissant, il est tout aussi délicat de nouvelles stratégies, mettant par exemple
Belknap Press, 2010. déterminer le rôle concret que jouent les mé- en compétition les systèmes judiciaires mu-
Le jihad. Origines, canismes d’expansion dans la construction sulman, juif, et chrétien.
interprétations, combats, califale. Il a été proposé de distinguer deux Il est souvent difficile à première vue de
M. Bonner, éd. Téraèdre, phases principales des conquêtes : une réconcilier pareilles pratiques avec les nom-
2004.
première phase « charismatique », sous les breux témoignages qui révèlent les multiples
Les fondations de l’Islam :
entre écriture et histoire, califes « orthodoxes », puis une phase « ins- formes de coexistence et de coopération
A.-L. de Prémare, titutionnelle » sous la dynastie omeyyade. entre élites musulmane, chrétienne, juive,
éd. du Seuil, 2002. Ce découpage commode n’est pas sans ou zoroastrienne. C’est en réalité que ces

56 l Le Monde de la Bible l 222


Des travaux novateurs en histoire sociale
suggèrent que cette situation n’est pas ré-
servée à l’élite culturelle. Ainsi, la documenta-
tion tant arabe que copte ou syriaque met en
lumière l’existence de nombreuses familles
mixtes, où les conjoints sont de confessions
différentes. Et si la politique d’arabisation
initiée par le calife ‘Abd al-Malik au tournant
des VIIe et VIIIe siècles porte rapidement ses
fruits, le multilinguisme reste la norme dans
un Empire à vocation universelle.

Entre mémoire et oubli


L’histoire de l’islam naissant telle qu’elle
nous est parvenue est avant tout une his-
toire remémorée, recomposée surtout à
compter du IXe siècle pour ce qui est des
sources narratives arabo-musulmanes.
Dans cette histoire tiraillée entre mémoire et
oubli, on donne au passé un sens nouveau
et l’on compose une « histoire islamique du
salut ». Le passé préislamique est réduit à
l’ignorance ou à la barbarie (jâhiliyya), les
conquêtes à un récit triomphant d’expansion
portée par un souffle divin, et l’islam apparaît
d’emblée comme une religion dominante
qui impose sa supériorité mais qui reflète en
Icône de saint Jean réalité bien souvent les avancées dogma-
Damascène et tiques, théologiques ou juridiques des IXe et
sainte Barbe usages sont des reflets d’Empire. Le califat ne Xe siècles. Cette réécriture a pour fonction
École de Mikhâïl fait pas exception à la règle : c’est un Empire d’asseoir la légitimité califale, mais aussi de
Polychronis, milieu profondément cosmopolite, multiculturel, conférer une place aux nouveaux convertis
du XIXe siècle, tempera multi-ethnique et multi-religieux. L’image qui musulmans non-Arabes. La vision du passé
sur bois, 44,6 x 34,7 cm. se dessine est celle d’une cour califale (tant qui s’impose alors crée un sens nouveau,
Beyrouth, Archevêché omeyyade qu’abbasside) où cohabitent les une périodisation rigide, et des catégories
grec-orthodoxe. savants de diverses origines ethniques et reli- qui s’imposent comme normatives. L’enjeu
© François-Xavier Émery/ gieuses et qui travaillent pour l’administration aujourd’hui est avant tout de repenser
Adverbum.fr centrale et locale. Jean Damascène occupe nos classifications.
ainsi une place décisive dans la gestion cou- Cette réinterprétation nécessaire doit toute-
rante du califat omeyyade, au même titre que fois se garder d’un double écueil : il est tout
les secrétaires « nestoriens » qui fleurissent aussi illusoire de réduire l’histoire des inte-
ensuite à Bagdad à la cour abbasside. ractions entre les multiples communautés
Astrologues, médecins, et autres savants des débuts de l’islam à un idéal de tolérance
sont indifféremment de confessions juive, zo- et de convivencia, comme cela a parfois été
roastrienne, sabéenne ou bouddhiste, quand fait pour l’Espagne musulmane, que de les
ils ne sont pas chrétiens ou musulmans. Cet travestir en une nécessaire intolérance et
état de fait est sans doute inévitable dans un en un « choc des civilisations » à la Samuel
Empire dont l’immense majorité de sujets Huntington qui culminerait lors des croi-
demeure non-musulmans jusqu’à la période sades et se perpétuerait désormais sous le
des croisades. joug du soi-disant État islamique. l

57
Histoire des Arabes chrétiens

Heurs et malheurs
du nationalisme arabe
Quel fut le rôle des chrétiens dans la formation de l’arabisme et du
panarabisme ? Comment sont-ils devenus Arabes ? Retour sur l’histoire
mouvementée du nationalisme arabe du XIXe siècle à aujourd’hui…

E
Par François Zabbal n 1899, un hymne circule à Beyrouth bien plus que des spéculations linguistiques
Responsable culturel et à Damas. En voici les deux premiers pour fabriquer de l’identité. Profondément
à l’Institut du monde vers : « Réveillez-vous, ô Arabes, et traumatisés par les luttes qui ont ensanglanté
arabe, Paris, et rédacteur prenez garde / Les eaux montent et votre la montagne libanaise en 1860, nos lettrés
en chef de Qantara embarcation s’enfonce ! » Son auteur, Ibrahim ont cherché une issue au sectarisme meur-
al-Yaziji (1847-1906), est un chrétien. C’est trier de leur société : l’unité et l’égalité de tous.
son père Nassif (1800-1871) qui a quitté en Une unité fondée sur la langue et la culture, en
1840 la province autonome du Mont-Liban attendant la géographie et l’histoire. Car l’idée
pour s’installer à Beyrouth, alors en pleine d’arabité n’est rien moins qu’évidente au sein
expansion. Il s’était mis au service des mis- d’un empire où domine le musulman sunnite
sionnaires protestants américains qui avaient hanéfite qui tient l’Arabe pour un sauvage
entrepris une nouvelle traduction de la Bible sans foi ni loi. La réhabilitation spectaculaire
en arabe. Ibrahim, lui, travaillera plus tard de ce dernier n’aurait pu aboutir à une valori-
pour les jésuites soucieux d’avoir leur propre sation ethnique, voire raciale, de l’arabité sans
Bible arabe, laquelle sortira de leurs fameuses l’exacerbation de l’antagonisme turco-arabe.
presses de Beyrouth en 1880. La décennie qui précède la Première Guerre
Écrivain prolifique, auteur d’une encyclo- mondiale est cruciale dans la fabrication de
pédie, le maronite Boutros al-Boustani l’identité moderne arabe, aussi bien que
(1819-1883) a fait aussi partie de l’équipe turque, kurde ou arménienne. Le panisla-
Bible en arabe protestante de traducteurs. Mais avec les misme, qui a tant séduit le sultan Abdul-
Achevée en 1865 dictionnaires qu’il compose avec son fils, il Hamid II (1842-1918), a été le dernier râle
par Cornelius Van Dyke entreprend d’ouvrir l’arabe à la modernité d’un empire moribond, amputé, réduit à
qui avait pris la relève non sans forger un lexique aux connotations l’Anatolie et aux provinces arabes. Les
d’Eli Smith, elle est séculières : watan ou patrie par exemple, Jeunes Turcs, qui prennent le pouvoir en
disponible sur remplacera oumma, ou nation islamique. 1908, optent pour le panturquisme au risque
www.arabicbiblre.com. De la langue à la nation (à la race ?), le che- de s’aliéner les élites arabophones d’Alep,
min était tout tracé en ce siècle d’idéologies de Damas ou de Médine, et de provoquer
Hanéfisme ethnolinguistiques (voir « À lire », M. Olender) la rupture. C’est chose faite au Congrès
Une des quatre écoles où les intellectuels turcs veulent aussi réno- arabe de Paris en 1913, et plus encore
juridico-théologiques ver leur langue en la libérant du carcan de avec la Révolte arabe du chérif Hussein de
reconnues par l’arabe et de son alphabet rétrograde ! La Mecque conseillé par Lawrence d’Ara-
le sunnisme. Elle a un Deux missionnaires protestants qui contri- bie. Le divorce qui intervient alors entre
rang officiel chez les buent au renouveau culturel arabe : l’Histoire Turcs et Arabes est pour une bonne part
Turcs ottomans. est parfois bien facétieuse ! Néanmoins, il faut fondateur des deux identités, l’arabité ...
58 l Le Monde de la Bible l 222
Les événements d’Arabie : « Les fils du chérif de La Mecque ont chassé les Turcs des villes saintes de l’islam »
dans Le Petit journal, le 16 juillet 1916.
Collection particulière.
© Lee/Leemage

59
Histoire des Arabes chrétiens

... trouvant plus tard son énergie dans Géographie variable


l’anticolonialisme et l’antisionisme. En réalité, il existe plus d’un nationalisme
définissant une nation arabe à géogra-
Redéfinir l’Arabe phie variable. Pour l’un de ses inventeurs,
À la différence de l’arabisme, courant poli- Najib Azouri, auteur du Réveil de la nation
tique et idéologique plus ou moins structuré arabe (1904), elle comprend la péninsule
et incarné dans des partis, l’arabité (al-‘urûba) Arabique, la Mésopotamie et le Levant, mais
est un sentiment d’appartenance diffus qui pas l’Égypte. Pour d’autres, seulement le
se surimpose à des identités clanique, com- Croissant fertile. Le territoire, on le voit, n’est
munautaire ou régionale. L’appel d’Ibrahim pas le principe fondateur, mais la langue qui
al-Yaziji cité plus haut était déjà l’indice d’un cèle l’esprit de la nation. D’inspiration alle-
premier renversement : l’Arabe n’était plus le mande, cette vision est portée par les diri-
bédouin sauvage, pillard et voleur ; il était celui geants nationalistes qui s’installent aux com-
qui tiendra tête aux Turcs avant de résister mandes en 1920. Plus tard, au lendemain
aux colonialistes. Pour parfaire son image, de la Seconde Guerre mondiale, ceux-ci de-
il fallait revisiter son histoire et ressusciter sa vront administrer l’État-nation encore nubile
culture après mille ans de despotisme turco- tout en prenant en compte un nationalisme
persan. S’y employèrent les nouveaux lettrés de plus en plus intrusif, le panarabisme.
chrétiens, mais pas seulement. L’anti-impérialisme et l’antisionisme devien-
Beyrouth ne fut pas l’unique centre du re- dront pendant la Guerre froide les princi-
nouveau culturel arabe, ce renouveau pom- pales sources de légitimité. Dans les années
peusement appelé Nahda, Renaissance. 1960, tardivement venu dans l’arabisme,
Le Caire l’avait précédée avec, en particulier, Gamal Abdel Nasser en usera avec habileté
le programme de traductions et de publica- – et brutalité – au service de ses desseins
tions mené par cheikh Tahtâwî (qui a laissé hégémoniques.
un très beau récit, voir ci-contre), l’imam C’est dans l’entre-deux-guerres que naissent
du premier groupe d’étudiants envoyés en les partis politiques arabes, dont la structure,
France par le vice-roi d’Égypte Muhammad importée de l’Occident, offrait de nouvelles
Ali. Les persécutions policières du sultan manières d’accaparer et de redistribuer
Abdul-Hamid II poussent beaucoup de let- richesse et pouvoir. Les premiers préten-
trés syriens et libanais à émigrer au Caire dants à l’héritage ottoman étaient assuré-
où se poursuivront désormais des débats ment les élites citadines sunnites, tenues
contradictoires sur le renouveau et l’avenir, désormais de définir les relations entre
sous la protection vigilante des Britanniques le centre et les communautés ethniques
installés en Égypte depuis 1882. La réforme (Kurdes) et confessionnelles (chrétiens, juifs,
de l’islam y tient une place singulière. chiites, druzes…). Le nationalisme arabe
On a longtemps débattu sur la part des chré- devenait ainsi, pour le meilleur et pour le
tiens dans la naissance de l’arabisme. Des pire, l’instrument d’unification permettant de
À lire aussi historiens musulmans ont cru pouvoir réfu- recoller les morceaux épars de l’Empire otto-
L’Or de Paris, Tahtâwî, ter les thèses qui leur étaient favorables (par man qu’avaient assemblés en entités géo-
traduit par A. Louca, exemple Zeine N. Zeine, voir ci-contre). Quoi graphiques des puissances coloniales peu
éd. Sindbad/Actes Sud,
2012. qu’il en soit, force est de constater qu’un récit soucieuses des peuples. Mais unification ne
Les Langues du paradis. historique s’est imposé avec une succession signifie pas égalité des droits !
Aryens et sémites, un d’ouvrages devenus autant de jalons dans la Le nationalisme sera donc monolithique, au-
couple providentiel, conscience historique des Arabes. Leur por- toritaire et… violent. Les chrétiens y jouèrent
M. Olender, tée idéologique n’échappera à personne : dis- un rôle certain, choisissant rarement de
éd. du Seuil, 1994.
siper le doute sur l’engagement sincère des fonder des partis confessionnels chrétiens
Arab-Turkish Relations
and the Emergence of chrétiens dans la nation arabe. Pourquoi ? à l’instar des Phalanges libanaises. Il n’y
Arab Nationalism, Parce que pèse sur eux le soupçon de conni- eut pas non plus de parti colonial, même si
Z. N. Zeine, Praeger, 1981. vence avec l’Occident impérialiste. des franges de la population chrétienne

60 l Le Monde de la Bible l 222


Révolte arabe contre
les forces ottomanes
catholique soutenaient clairement les auto- selon lequel le malheur des coptes vient du pendant la Première
rités coloniales françaises. Toutefois, c’est président Sadate. En ménageant les Frères Guerre mondiale
contre celles-ci que musulmans et chrétiens musulmans, il aurait fait des coptes la cible Menée par Hussein,
libanais se soulevèrent ensemble en 1943. privilégiée des groupes islamistes en les chérif de La Mecque,
Les chrétiens des pays arabes égrènent les désignant à la vindicte populaire. Mais un sur les conseils de
exemples de leur participation aux luttes retour sur les mesures discriminatoires qui T. E. Lawrence d’Arabie.
nationales comme autant de gages de leur leur étaient réservées au cours du XXe siècle Photographie de juin
appartenance arabe. Jusque récemment, révèle une aggravation de la situation des 1917, entrée des Arabes
ils mettaient en avant le nom des dirigeants coptes, depuis les années 1940. La période à Aqaba.
chrétiens, dont Michel Aflaq, co-fondateur nassérienne où l’unité nationale fut la plus © Costa/Leemage
du parti Baas qui a dominé la vie politique en acclamée cache mal une politique d’islami-
Syrie et en Irak depuis un demi-siècle. Mais le sation de l’éducation et de l’État. Les écoles
tiers-mondisme arabe ne se laissait pas aisé- militaires et de police leur étaient interdites et
ment convaincre : un musulman riche était l’accès à la fonction publique rendu difficile :
toujours membre de la bourgeoisie nationale, en 1910, elle comptait 45 % de coptes, mais
un chrétien riche membre de la bourgeoisie seulement 1,5 % en 2002.
compradore… qu’il fallait éliminer ! Aujourd’hui que les idéologies nationalistes
L’Égypte présente un cas singulier. Il s’y est se sont effondrées, la vérité nue des identités
développé un récit, également partagé par confessionnelles et communautaires s’impose
les intellectuels musulmans et chrétiens, et, à ce jeu, les chrétiens sont perdants. l

61
Histoire des Arabes chrétiens

La théologie arabe
face à l’islam
Deux théologiens contemporains libanais réhabilitent l’islam à partir de
leurs relectures des textes bibliques ou patristiques. De la « théologie
contextuelle arabe » pour un possible dialogue…

À
Par Antoine Fleyfel l’instar de bien des contextes des majoritaire. Ainsi, l’islamologie et le dialogue
Professeur de philosophie tiers-mondes, comme l’Amérique du interreligieux constituent un domaine de
et de théologie à Sud, l’Afrique ou l’Inde, le Proche- prédilection pour la théologie arabe.
l’université catholique Orient arabe témoigne, depuis les années Le deuxième concerne la réforme des Églises,
de Lille 1970, de la naissance de réflexions théolo- l’œcuménisme et le renouveau du discours
giques originales dites communément « théo- théologique. L’engagement des communau-
logie contextuelle ». Celles-ci tiennent compte tés chrétiennes sur cette voie est variable.
dans leur élaboration des données directes Le troisième concerne la théologie politique.
du contexte, comme la politique, la culture, Le conflit israélo-palestinien y joue un rôle
la tradition ou l’économie. Il n’est pas ques- central. Néanmoins, des questions majeures
tion d’exposer à cet endroit la « théologie comme le confessionnalisme, la citoyenneté
contextuelle arabe » dans ses détails, l’exer- ou le fondamentalisme religieux (islamique,
cice nécessitant de longs développements. juif et chrétien messianique) trouvent toute
Néanmoins, cet article a comme ambition de leur place au sein d’une telle entreprise.
donner une idée générale de cette théologie, Cet article exposera brièvement les islamo-
et d’exposer un aspect majeur de sa réflexion, logies de deux théologiens libanais qui réha-
portant sur l’islam, à travers deux théologiens bilitèrent l’islam à partir de leurs relectures
puisant leurs éléments de structure, l’un dans des textes bibliques ou patristiques. Sans
la Bible et l’autre dans la patristique. être la solution aux problèmes actuels, cette
réhabilitation est un passage obligé, car
La théologie contextuelle arabe sans elle, c’est-à-dire à partir d’une théolo-
La théologie contextuelle arabe possède gie exclusive, aucun dialogue n’est possible.
plusieurs modèles. Les plus notoires et les Historiquement, la théologie arabe a consi-
plus développés sont la théologie palesti- déré l’islam comme la religion de l’erreur, et
nienne de la libération et la théologie contex- Muhammad comme un faux prophète.
tuelle libanaise. Néanmoins, malgré certaines
particularités propres aux différents pays à Ismaël et l’histoire du salut
partir desquels la réflexion prend source, le Michel Hayek (1928-2005), prêtre et théo-
Proche-Orient arabe offre à la théologie trois logien maronite, était un disciple de Louis
champs majeurs d’investigation. Massignon de qui il hérita la sensibilité à la
Le premier touche à la question interreli- figure d’Abraham, considéré comme source
gieuse. Il y est essentiellement question de des trois monothéismes, le judaïsme, le chris-
dialogue et de vivre-ensemble, particuliè- tianisme et l’islam. Cependant, ce fut la figure
rement avec l’islam, démographiquement d’Ismaël, associée à l’essence même ...
62 l Le Monde de la Bible l 222
Le sacrifice d’Ismaël, fils d’Abraham
Alors qu’Abraham s’apprête à sacrifier Ismaël sur ordre de son Dieu, l’archange Gabriel le sauve en le remplaçant par un agneau.
Peinture murale, 1997, Al-Minya, Égypte. © Abbas/Magnum Photos

Le sacrifice d’Ismaël, fils d’Abraham


Image égyptienne populaire, XIXe siècle. Collection Léonard de Selva.
© Selva/Leemage

63
Histoire des Arabes chrétiens

Scripturaires ... de l’islam, qui lui permit de réhabiliter du Christ. Rompant avec la tradition qui es-
Terme désignant les l’islam dans l’histoire du salut. quive la figure d’Ismaël et qui l’exclut de la
juifs et les chrétiens Dans ses analyses de la vie de Muhammad, et famille abrahamique, le théologien maronite
dans le vocabulaire en parlant de ses controverses avec les juifs et parle de l’aîné d’Abraham en tant que « pre-
musulman. les chrétiens, Hayek évoque un moment clef, mier bouc émissaire, […] la préfigure du Christ
celui où « Muhammad prit conscience de sa se rendant ‘‘chez les morts’’, ‘‘descendant aux
Hégire relation filiale à Abraham par Ismaël. L’orphelin enfers’’, […] rejeté, s’enfonçant dans le désert
Migration de Mahomet découvrit son père en découvrant les rapports comme le Christ de l’Entombement devenu
et de ses compagnons de cette équation à trois termes : Abraham- otage du Prince du Shéol » (Les Arabes ou le
de La Mecque à Médine. Ismaël-les Arabes. » (Les Arabes ou le bap- baptême des larmes). Cela permit de parler,
Elle marque le début tême des larmes, voir « À lire »). Cela provo- pour la première fois, dans le cadre de l’histoire
de l’ère musulmane qua un changement majeur dans la vision du du salut, de la « substitution rédemptrice », qui
(16 juillet 622). fondateur de la religion arabe : rejeté lui-même « se développera au long de l’histoire, progres-
par les scripturaires, le Prophète s’identifia à sant d’Ismaël à Ésaü, à Juda, à David, au Petit
Ismaël qui incarne l’exclusion des promesses Reste, au ‘‘Serviteur Souffrant’’, pour s’arrêter
auxquelles il a en principe droit en tant que fils enfin sur le Christ qui mourra, ‘‘hors de la ci-
aîné d’Abraham. La figure d’Ismaël fut au fur té’’, tel Ismaël hors de la Terre promise, sous
et à mesure substituée à celle d’Isaac, désor- le regard de sa mère nouvelle Hagar. Comme
mais objet lui-même du sacrifice. Ismaël, jeté sous le ‘‘micocoulier’’ où il endure
Le théologien maronite trouve chez l’Ismaël les affres de la mort, Jésus est étendu sur
biblique les caractéristiques principales de l’Arbre de la Croix ; l’un comme l’autre étouffe
l’identification mahométane. Par opposition au et crie sa ‘‘soif’’ ; l’un est abandonné de son
« fils spirituel, élu et libre » qu’est Isaac, Ismaël Père Abraham, l’autre est ‘‘abandonné’’
est « le fils de la chair, l’esclave et l’exclu » (Le de son Père céleste. Ici et là c’est la remise
mystère d’Ismaël, voir « À lire »). En revanche, de soi totale au décret impitoyable de Dieu.
Dieu ne l’abandonne pas, mais « en prend Cependant, de même que Yahvé a entendu
un soin tout particulier […]. Il le bénit de cette les cris du petit Ismaël et l’a sauvé de la mort,
bénédiction première accordée à Noé et à ses de même il a entendu la plainte de Jésus sur
fils après avoir été accordée à Adam et à tous la Croix et n’a pas permis ‘‘qu’il connaisse la
les êtres humains. Par elle il le rendra fécond corruption’’ de la mort. » (Les Arabes ou le
[…]. Ismaël se multipliera et remplira la terre ; il baptême des larmes). Hayek ne restitue pas
sera, ainsi que l’islam actuel l’a confirmé, ‘‘une seulement l’islam à la source de l’histoire du
grande nation’’ » (Le mystère d’Ismaël). salut abrahamique, mais aussi à la pleine réa-
La branche oubliée de l’histoire sainte, à lisation de cette histoire, à sa destinée escha-
travers Ismaël, se révèle comme la branche tologique, à la parousie du Christ. Par cela,
première, celle qui est la plus rapprochée du c’est une théologie inclusive qui est à l’œuvre.
Patriarche et la plus fidèle à la forme la plus Elle considère que l’islam n’est pas destiné à
archaïque de la foi abrahamique. L’exclusion être confiné infiniment au moment du début
de l’islam effectuée par les juifs et les chré- ou à l’hégire dans le désert. Au contraire, un
tiens lui fit découvrir son statut particulier autre destin attend Ismaël, inscrit déjà dans sa
de fils d’Ismaël, lequel permit à Muhammad vie, dans son exclusion, dans son exil, le des-
de prétendre à la restauration du mono- tin de trouver le sens de son malheur en l’acte
théisme le plus pur, de la religion innée qu’il salvifique du Christ.
ne fit que rappeler. Quant à la condition d’es- Les analyses typologiques de Hayek
clavage vécue par Ismaël, elle est complète- s’étendent à la figure d’Hagar qui préfigure à
Voir carte ment maintenue dans l’islam qui ne conçoit son sens Marie, la mère de Jésus, qui a elle
et chronologie la relation avec Dieu qu’à partir du rapport aussi été la « servante du Seigneur ». Cette
des chrétiens d’Orient d’un maître à son esclave. typologie prend tout son sens lorsqu’on la
sur l’intérieur Hayek était étonné que les Pères de l’Église mesure à partir de la révérence que reçoit
du rabat de gauche. n’eussent pas vu en Ismaël une « préfigure » Marie dans l’islam. ...
64 l Le Monde de la Bible l 222
Le philosophe et martyr Justin (IIe siècle)
Icône, XIXe siècle.
© WHA/Photoshot/Aurimages

65
Histoire des Arabes chrétiens

... Le Logos dans l’islam n’y a rien de bien dans ce monde qui ne soit
Georges Khodr (né en 1923), théologien pas de quelque façon suscité par le Christ.
grec orthodoxe antiochien et évêque du Mais le Seigneur agit où bon Lui semble, et
Mont-Liban, ne fut pas convaincu par l’abra- vous n’êtes pas en mesure de limiter son
hamisme. Professant comme Hayek une action. Il a promis de vous combler de ses
théologie inclusive, il croit que le chemin de la grâces, mais Il n’a pas dit qu’Il faisait de vous
réhabilitation de l’islam dans la vérité de Dieu les seuls dépositaires. » (L’appel de l’Esprit).
passe par la théologie patristique, plus préci- Une telle réflexion pousse le chrétien à cher-
sément par la célèbre notion du Logos sper- cher le Christ partout, dans les religions et en
matikos (« semences du Verbe ») de Justin. dehors d’elle, car la création est tout entière
La présence du Logos dépasse les frontières le domaine du Christ.
de la Bible, de l’Église et du christianisme C’est à partir de ces présupposés théolo-
même ; ses semences, les logoi spermatikoi, giques que Khodr aborde l’islam. Le théo-
sont « répandues dans la création » (L’appel logien orthodoxe cherchant le Christ partout
de l’Esprit). Toute recherche de la vérité de est convaincu que la figure du Maître peut
Dieu se fait à partir du Logos, et puisqu’il s’est être partiellement trouvée dans le Coran.
Kérygme incarné en Jésus-Christ, c’est à partir de lui Toutefois, cette présence a ses limites et ne
Du grec kèrygma, qu’il faudrait chercher Dieu dans les religions. peut être plénière que dans les donnés de
« proclamation, Dans cette perspective, l’apport d’Abraham la foi chrétienne qui professe la Trinité, les
prédication ». Désigne devient secondaire puisque celui-ci n’est plus deux natures du Christ et l’inspiration divine
plus particulièrement la pierre d’achoppement de toute réflexion contenue dans un canon scripturaire allant
la proclamation du autour du monothéisme. de la Genèse à l’Apocalypse. Aucune autre
message chrétien Le théologien orthodoxe souligne le fait semence du Verbe ne peut ajouter quoi que
et de la Résurrection que sa compréhension théologique des ce soit à ces vérités, puisqu’en Jésus-Christ
de Jésus. semences du Verbe ne relativise en rien la tout a été donné, la révélation de Dieu est
connaissance qu’en a le christianisme. La achevée. L’islam et le Coran ne complètent
révélation de Dieu étant parfaite en Christ, et ne clôturent pas l’inspiration et la révéla-
aucune autre révélation ou semence ne peut tion. Au-delà de l’Apocalypse, il n’y a rien à
y ajouter quoi que ce soit. Cependant, le fait ajouter en matière de révélation divine (cette
que le Christ soit l’incarnation du Verbe n’ex- affirmation peut être une réponse à la foi mu-
clut pas son action au sein de la création, sulmane qui considère le Coran comme la
avant et après l’incarnation. Moyennant cette continuité des Écritures et leur achèvement).
logique, le judaïsme, l’islam et toute autre reli-
À lire aussi gion sont partiellement porteurs du message Le dialogue comme voie d’avenir
La théologie contextuelle divin. Toutefois, la norme de toute recherche Pour les théologiens contextuels arabes, le
arabe, modèle libanais,
A. Fleyfel,
de Dieu dans les religions ne leur est pas dialogue est une voie d’avenir pour la pré-
éd. L’Harmattan, 2011. intrinsèque. C’est le Christ qui est la norme sence chrétienne en Orient. Les événements
L’appel de l’Esprit, de recherche car, en dehors de lui, il n’y a récents montrent sa nécessité au niveau
G. Khodr, éd. du Cerf, pas de vérité. Raison pour laquelle Georges mondial, dans le cadre de contextes de plus
2001. Khodr, dans sa lecture des religions – et sur- en plus pluriels. Il est important de souligner
Les Arabes ou le baptême tout de l’islam –, cherche à « réveiller le Christ que ces réflexions théologiques, tout en
des larmes, M. Hayek,
qui sommeille dans la nuit des religions » profitant des acquis conceptuels de la mo-
éd. Gallimard, 1972.
(« Christianisme dans un monde pluraliste : dernité, s’ancrent dans les sources les plus
« Christianisme dans
un monde pluraliste : l’Économie du Saint-Esprit »), puisqu’il est fondamentales de la foi chrétienne, à savoir
l’Économie du Saint- convaincu que les semences du Verbe s’y la Bible et la tradition patristique. Cependant,
Esprit », G. Khodr, trouvent, comme partout dans le cosmos. Le c’est leur herméneutique qui est à l’honneur,
in Irénikon, no 2, 1971,
Christ paraît ainsi comme le centre de toute une herméneutique qui tient compte des exi-
p. 202.
vérité et action au sein de la création : « Tout gences nouvelles du kérygme et des défis
Le mystère d’Ismaël,
M. Hayek, éd. Mame, vient du Sauveur que vous adorez : toute vé- du témoignage dans un monde ravagé par
1964. rité, toute pureté, toute grandeur, tout idéal. Il l’exclusion et la haine religieuse. l

66 l Le Monde de la Bible l 222


Saints, rituels
et lieux de culte partagés
Au Liban, ainsi que dans de nombreux pays orientaux, le culte des saints
draine, aujourd’hui comme hier, l’essentiel des dévotions aussi bien
chrétiennes que musulmanes et nourrit un dialogue interreligieux naturel.

L
Par Nour Farra- es milliers d’oratoires, de chapelles, de Orient et particulièrement au Liban ; aussi
Haddad monastères, de mosquées, de maqâm bien dans la religion chrétienne que dans la
anthropologue du et de mazâr témoignent d’une géo- religion musulmane. La dévotion mariale par-
religieux, Université graphie sacrée en Orient qui ne cesse de se tagée au Liban dépasse celle vouée à tous
Saint-Joseph de développer et d’évoluer, même durant les les autres saints. Bien que les deux commu-
Beyrouth, AUST, UL moments difficiles de conflits régionaux. nautés vénèrent la Sainte Vierge, la quasi-
En marge des pèlerinages, qui s’inscrivent totalité des lieux de culte qui lui sont dédiés
dans le cadre de calendriers liturgiques, des sont chrétiens – il en existe environ un mil-
Maqâm fidèles de toutes confessions se livrent à des lier au Liban. Cependant un petit oratoire de
Littéralement « lieu ou visites pieuses, les ziyârât, orientées vers culte musulman dédié à la Vierge a été iden-
on se tient debout ». divers sanctuaires et adoptent des pratiques tifié dans la Bekaa nord-ouest au Liban et la
Sanctuaire, cénotaphe. dévotionnelles presque identiques. Ces pèle- réputation du maqâm chiite de Nabi Omran,
Lieu de sépulture ou rinages, à la recherche de la baraka se sont où serait enterré le père de la Vierge (Qlailé,
du passage d’un saint répandus, exprimant la piété des fidèles et leur dans le sud du Liban) attire des fidèles de
ou d’un prophète. besoin de mettre leur existence et leurs pro- toutes confessions (lire p. 86).
blèmes quotidiens en rapport avec Dieu, en Une deuxième sous-catégorie regroupe les
Mazâr dehors des formes de l’orthodoxie chrétienne prophètes bibliques vénérés à la fois par les
Oratoire, lieu de ziyârât, et musulmane, qui peuvent les condamner. juifs, les chrétiens et les musulmans. C’est
de visitation. Deux grandes catégories de saints partagés le prophète Élie, Nabi Ayla ou Nabi Yassine
avec des sous-catégories peuvent être pré- (saint Élie dans le Coran). Au Liban, on
Ziyârât sentées : d’une part les saints « reconnus » et compte environ 265 sanctuaires chrétiens
Visites pieuses à des vénérés par les deux communautés, d’autre qui lui sont dédiés ainsi qu’une dizaine de
lieux de culte porteur part les saints qui appartiennent à une seule lieux de culte musulmans.
de bénédictions. tradition mais qui sont vénérés par les fidèles Les saints « reconnus » et vénérés par les
des deux communautés. deux communautés, mais sous des noms
Baraka Dans la première grande catégorie, la Sainte différents, sont plus spécifiquement des
Influence spirituelle, Vierge occupe indiscutablement une place saints chrétiens dont les correspondances
marque visible unique. Fille de Sion pour les juifs, mère de se retrouvent dans la tradition islamique.
de la sainteté, les Jésus, fils de Dieu, pour les chrétiens, mère Saint Georges (Mar Jiryes), al-Khodr est un
bénédictions et les du prophète Issa pour les musulmans – dont de ces saints. Saint populaire de renommée
grâces envoyées par le nom est cité 34 fois dans le Coran – et universelle, il compte parmi les saints les
Dieu. Cette influence figure admirable devant laquelle viennent se plus vénérés en Orient et au Liban par les
recueillir les fidèles de diverses religions. Une chrétiens, les musulmans et les druzes. Il
...
peut émaner d’un lieu,
d’un saint ou d’un objet. dévotion très importante lui est réservée en détient, après la Sainte Vierge, le plus

67
Histoire des Arabes chrétiens

Druzes ... important nombre de lieux de culte au et musulmans suivent les mêmes chemins
La doctrine développée Liban, avec environ 350 sanctuaires chré- vers des sanctuaires ruraux ou urbains et se
par les druzes est un tiens et une vingtaine de sites musulmans. livrent pratiquement aux mêmes démarches
dérivé de l’ismaélisme, Saint Pierre (Mar Boutros), Sham’oun, cultuelles. Très rares sont les pratiques dé-
une branche du chiisme Sem’an, est un autre exemple de saint ap- votionnelles réservées à une seule de ces
(courant minoritaire de partenant à cette catégorie. Une vingtaine de communautés. Répandre du parfum (‘Itr) ou
l’islam). Officiellement lieux de culte chrétiens au Liban sont dédiés offrir du sel sont par exemple des pratiques
nommée Din al-Tawhid à cet apôtre martyr ainsi que quelques sanc- typiquement musulmanes alors que s’habil-
(« religion de l’unité tuaires musulmans comme le maqâm de ler aux couleurs des saints est un rituel exclu-
divine »), elle constitue Sam’oun El Safa dans le village de Sham’a sivement chrétien.
une synthèse de divers où la tradition populaire locale chiite rapporte Toute la démarche votive s’articule autour
courants religieux qu’il serait enterré. de la baraka, le pèlerin va chercher à méri-
et intellectuels. Elle Des croyants de toutes les confessions ter la baraka du saint et du lieu, il va aussi
contient à la fois des consacrent une dévotion particulière à cer- vouloir s’en imprégner et se l’approprier
éléments issus du tains saints exclusivement chrétiens ou mu- et enfin s’assurer que le saint n’oubliera pas
mysticisme musulman sulmans. La dévotion réservée aux saints les grâces demandées. Les premiers rituels
et de la pensée chrétiens libanais maronites – saint Charbel, visent donc à mériter ces grâces et ces
coranique, mais sainte Rafqa et saint Hardini – a pris une telle bénédictions.
également des éléments ampleur qu’ils semblent être devenus les La marche vers le lieu de culte est la première
issus des religions intercesseurs et les défenseurs de toutes les étape du pèlerinage. La distance parcourue
perse et hindouiste. communautés libanaises et des symboles na- à pied, le niveau de difficulté du circuit (sen-
La religion druze tionaux. L’adoration et la ferveur que les foules tier, route, escalier…) et les modalités de dé-
est donc ésotérique. innombrables leur manifestaient n’ont pas placement (pieds nus, à genoux, en chaise
Les druzes sont attendu les canonisations officielles en 1977, roulante, sur béquille…) jouent un rôle dans
principalement répartis 2001 et 2004. Ils sont considérés comme des la démarche votive.
au Liban, en Syrie saints guérisseurs « généralistes », accomplis- Pour les pèlerins, laisser quelque chose au
et en Israël. sant des miracles et remédiant à toutes sortes saint est important mais ramener du lieu de
de situations. Leurs lieux de culte sont les culte la baraka, les grâces, est aussi primor-
plus fréquentés au Liban et on vient de loin dial. Par cet échange, ils cherchent à entre-
pour les implorer. Les saints guérisseurs, ou tenir leur relation avec le saint. Ces éléments
thaumaturges, auxquels sont attribués des cultuels (terre, eau, morceau de tissu, feuilles
pouvoirs et des vertus spécifiques, sont très d’arbres ou de plantes, morceaux d’écorce
nombreux dans toutes les communautés. ou de racine…) rapportés chez soi peuvent
Un même saint peut réunir plusieurs spécia- servir à des rituels à domicile comme les
lisations et caractéristiques, vertus thérapeu- onctions, les ablutions, les absorptions ou
tiques, patrons de métiers, protecteurs… Il même les fabrications d’amulettes.
existe un ensemble de saints que l’on peut
qualifier de saints guérisseurs « spécialisés », Du partage de la baraka
chez les chrétiens comme chez les musul- au dialogue naturel
mans. Il y a parmi eux les « ophtalmologues » En ces lieux de culte se vit une convivia-
comme Mar Nohra (saint Lucius), El Imam lité interconfessionnelle propice au maintien
El Ouzai spécialiste des rhumatismes, ou d’un dialogue naturel même en marge de
encore Nabi Barri à Haytlé (Akkar) un saint tout genre d’extrémisme et de fanatisme.
musulman spécialiste des verrues. Au Liban, mais aussi dans d’autres pays
orientaux comme la Syrie ou la Jordanie,
Des pratiques dévotionnelles les pèlerins se côtoient et échangent dans
Chaque sanctuaire propose aux fidèles une une atmosphère cordiale et pacifique, sans
série d’initiatives priantes, de rites, pour la artifice, souvent loin des tensions de la réa-
plupart partagés entre les fidèles de diffé- lité socio-politique, même s’il n’est pas dit
rentes communautés religieuses. Chrétiens que ce dialogue se maintient toujours dans

68 l Le Monde de la Bible l 222


Le sanctuaire Notre-Dame-du-Liban, à Harissa
Le sanctuaire dédié à la Vierge Marie, construit au début du XXe siècle dans le village de Harissa
(situé à 20 kilomètres au nord de Beyrouth), est un le lieu de pèlerinage le plus fréquenté au Liban.
© The New York Times/REA

69
Histoire des Arabes chrétiens

La dalle oratoire
de saint Georges
(Blatet Mar Jiryes) ... la vie quotidienne, en dehors des musulmans, dans le cadre de leurs visites
à Abou Qamha pèlerinages. Malgré les blessures de la votives, ne vont pas chercher à cacher leur
Lieu présumé des traces guerre, les chrétiens d’Orient veulent en- appartenance religieuse, à prier différem-
du cheval de saint core croire au vivre-ensemble, al ‘aych al ment. Chaque pèlerin participe à la religion de
Georges dans un petit mouchtarak, qui s’inscrit dans le cadre du l’autre sans rien céder de sa propre identité.
village (situe à 107 km « dialogue de vie ». Dans une région où la religion est struc-
au sud-est de Beyrouth) Le pèlerinage est un cheminement vers un turante des identités individuelles et col-
au pied du mont lieu sacré qui aboutit à une « rencontre » lectives, la mémoire de la guerre et de ses
Hermon que chrétiens, avec le saint. Même si ce n’est pas l’objectif blessures, les difficultés et les obstacles du
musulmans et druzes initial de la démarche, c’est aussi une « ren- vivre-ensemble ne sont pas minimisés, avec
visitent. contre » avec « l’autre » : pour le chrétien avec une société civile fortement imprégnée de
© Nour Farra-Haddad le musulman et pour le musulman avec le segmentations communautaires, un espace
chrétien. Les fidèles répètent souvent le leit- de partage naturel existe encore. Cette fré-
motiv Allah Wahad (« Il n’y a qu’un Dieu ») quentation mixte des lieux de culte ne se
ou encore Kol al Qodisin fiyon al barakeh limite sans doute pas à un partage banal de
(« Tous les saints sont porteurs de grâces »). l’espace sacré mais à un véritable échange,
À travers les sanctuaires les saints opèrent vecteur d’un lien social.
des miracles avec les chrétiens et les musul- La différence (ou plutôt « la pluralité » ?)
Al ‘aych al mans sans distinction. n’est pas toujours séparatrice et source de
mouchtarak Les pratiques interreligieuses ne nécessitent conflits, elle peut contribuer à la construction
Le vivre-ensemble, pas une participation réelle à l’univers reli- d’une civilité interconfessionnelle reposant
la coexistence gieux de l’« autre », mais une participation à sur le respect de la religion de l’autre por-
pluriconfessionnelle. un univers « partagé ». Les chrétiens et les teuse d’espoir pour la paix en Orient. l

70 l Le Monde de la Bible l 222


Offrons un AVENIR
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Archéologie

FOCUS
Italie Rome

COULEURS DE CATACOMBES
Les catacombes chrétiennes de sainte Domitille, au sud-est de
Rome, sont les plus longues et sans doute les mieux conservées. Il
n’empêche, depuis leur redécouverte par l’Italien Antonio Bosio à la fin
du XVIe siècle, les parois avaient noirci et un bon nettoyage s’imposait.
La Commission pontificale d’archéologie sacrée vient de dévoiler le
beau travail réalisé dans le cubiculum des boulangers, une chambre
funéraire qui aurait appartenu à un haut fonctionnaire chargé de la
pesée du blé (mensor). Grâce au procédé laser non invasif, les peintures
du IVe siècle qui ornent les niches ont retrouvé éclat et lisibilité. Sur celle
de gauche (ici), le Christ est représenté jeune et imberbe, avec le geste
Solaro/AFP

et dans la posture conventionnelle de l’enseignant. Il siège en effet


AndreasXoxoxox

sur une estrade et des rouleaux sont posés sur une tablette devant lui.
Parmi les disciples qui l’entourent, attentifs, on reconnaît tout de suite
©©Xoxoxo

les bons élèves, Pierre et Paul, assis au premier rang. E.V.

72 l Le Monde de la Bible l 222


218
SOMMAIRE
➤ 74 à 75
Un monastère d’époque
sassanide
par Fanny Arlandis
➤ 76 à 79
Les couleurs d’un triomphe
par Estelle Villeneuve
➤ 80 à 81
Faire parler les maisons d’Ur
par Estelle Villeneuve
➤ 82 à 84
Brèves par Estelle Villeneuve
➤ 85 à 87
Correspondances
par Marie-Armelle Beaulieu,
Nour Farra-Haddad,
Jérémy André
➤ 88 à 91
Les grandes découvertes :
La stèle d’Héliodore
par Estelle Villeneuve

Archéologie
Archéologie / Koweït / Qusur

Un monastère
d’époque sassanide
Au centre de l’île de Faïlaka, au large de Koweït, le site de Qusur excite les
passions depuis les années 1970. La datation, l’organisation, et la nature
de ce lieu chrétien, tout divise les archéologues. La récente découverte d’un
réfectoire permet enfin d’établir avec certitude la fonction monastique du site.

E
Par Fanny Arlandis n 1989, une équipe dirigée par Jean- particulièrement complexe. La plupart des
François Salles découvre, au cœur ruines apparaissent partiellement en surface
de Qusur, sur l’île de Faïlaka au dans un environnement sableux qui com-
Koweït, un modeste bâtiment rectangulaire. plique la lecture stratigraphique des phases
L’archéologue est formel : la composition du de construction. La difficulté ne s’arrête
IRAN lieu (un narthex et trois nefs séparées par pas là. Les sources syriaques évoquent
un mur central donnant sur deux chapelles une présence chrétienne régionale dès le
IRAK
quadrangulaires) ressemble en tout point IVe siècle, mais sa mention disparaît ensuite
aux autres églises fouillées dans le Golfe, au VIIe siècle. Or, les céramiques retrouvées
comme les îles de Sir Bani Yas aux Émirats sur le site contredisent ce constat et ne té-
arabes unis ou Kharg en Iran. Cela ne fait moignent, elles, que d’une occupation plus
KOWEÏT Qusur plus aucun doute, le site est chrétien. La dé- tardive du site, du VIIe siècle à son abandon
couverte de plusieurs croix en stuc d’environ autour du IXe siècle. Un mystère que les
un mètre confirme ses suppositions. Mais la archéologues n’ont pas encore résolu.
guerre du Golfe, en 1990, force les archéo-
logues à interrompre leurs recherches sur Une preuve de la fonction
ARABIE SAOUDITE cette île d’à peine 14 km de long. Lors des monastique du lieu
sept mois de combats, le musée de Koweït Si Jean-François Salles avait établi très tôt
est saccagé, les croix de Qusur partielle- la nature chrétienne du lieu, sa fonction de-
ment détruites dans un incendie. En 2007, meurait un mystère. Et ce, jusqu’à ce que
Jean-François Salles reprend les fouilles l’équipe de la mission archéologique fran-
après dix-huit ans d’absence et découvre co-koweïtienne de Faïlaka (MAFKF), diri-
une seconde église un peu plus à l’est. Plus gée par Julie Bonnéric, découvre en 2013
petite que la première et constituée d’une un long bâtiment (26 x 15 m) au sud-ouest
seule nef, il semblerait qu’elle ait été utilisée de l’église monumentale. Trois années de
pour le service communal des moines tan- fouilles ont permis à cette équipe d’affirmer
dis que l’église monumentale servait pour qu’il s’agit d’un réfectoire, élément essentiel
les pèlerinages ou les festivals. Ces deux de la vie monastique car il est le lieu où sont
églises étaient-elles contemporaines ? Cela pris les repas, seuls moments de la journée
est fort probable mais leur datation demeure où les moines se rassemblent et lisent les

74 ● Le Monde de la Bible ● 222


Pièce voisine
du réfectoire sur
le site de Qusur.
Photographie
prise en
novembre 2016.
© Fanny Arlandis

textes saints ensemble. « Probablement


construit à la fin de la période sassanide
(VIe et VIIe siècles), cet édifice partage des
points communs avec l’église orientale
la plus grande, constate l’archéologue,
notamment son caractère monumental,
la qualité de son plâtre, la fermeture par
des portes intérieures et l’ouverture par
les extérieures. Il est très proche du réfec-
toire de Kharg, en Iran, car il est constitué
d’un portique encadrant une pièce unique
et centrale, ouverte par huit portes en bois
et dotée de banquettes installées contre le
mur. » Plus de quarante ans après les pre-
mières fouilles, Julie Bonnéric semble donc
enfin détenir la preuve de la nature monas-
tique du site. Mais les énigmes à résoudre
demeurent nombreuses : où se trouve le
mur d’enceinte ? Les cellules des moines ?
Ne s’agissait-il que d’un monastère ou
était-il entouré d’un village ? Qusur renferme
encore d’innombrables secrets. l

Croix en stuc découverte en 1989


(état actuel après l’incendie du musée)
exposée à Dar al-Athar al-Islamiyya.
© Mission archéologique franco-koweïtienne de Faïlaka

75
Archéologie / Italie / Rome

Les couleurs
d’un triomphe
À Rome, l’arc célébrant le triomphe de Titus en Judée retrouve des couleurs
grâce à l’imagerie numérique. À partir de traces de pigments détectées sur
le relief de la procession du butin du Temple de Jérusalem, des chercheurs
américains ont tenté de restituer sa pol ychromie originelle.

L
Par Estelle Villeneuve ’arc de triomphe de Titus à Rome d’imagerie modernes, est capable de res-
est un concentré de symboles. Dans tituer l’aspect originel des monuments. On
l’esprit des Romains, il était l’emblème oublie souvent que si la Renaissance a pro-
d’une victoire obtenue de haute lutte contre mu l’idéal de la beauté dans les teintes na-
l’interminable insurrection de la Judée de 66 turelles des œuvres d’art que les siècles lui
à 74 ap. J.-C. Sous l’arche, deux tableaux avaient transmises, les anciens eux aimaient
en relief commémorent d’ailleurs l’événe- les couleurs éclatantes. Le XIXe siècle en
ment : l’entrée triomphale du vainqueur sur avait eu l’intuition en exhumant ici et là des
son char et la procession du butin arraché marbres sculptés rehaussés de peintures, à
au Temple de Yahvé à Jérusalem, dont la l’acropole d’Athènes ou au temple d’Égine
fameuse ménorah d’or ! Dans la mémoire en Grèce, ou encore dans la nécropole de
des Judéens, en revanche, l’arc de Titus Sidon au Liban.
resterait à jamais le témoin d’une perte cru- Il a fallu le développement des micros-
ciale, celle précisément de l’unique lieu de copes à lumière polarisée, la spectrométrie
culte de leur dieu national, et de tout son de fluorescence des rayons X, la spec-
mobilier sacré. Dans l’Antiquité, rappelons- troscopie infrarouge et autres photogra-
le, un dieu à qui l’on ne sacrifiait plus était un phies à l’ultraviolet, capables de dénicher
dieu condamné. Mais Yahvé n’était pas de des traces de pigments jusque dans les
ceux-là et deux mille ans plus tard, le temps moindres recoins, pour mesurer l’ampleur
a renversé les signes. Celui de l’humiliation du coloriage antique. « Ce sont les cher-
judéenne est devenu celui de la fierté juive : cheurs de notre génération qui ont vécu
l’Empire romain n’est plus, mais le judaïsme, la transition du noir et blanc au technico-
lui, a bel et bien survécu. lor qui ont redécouvert les vrais couleurs
du monde antique ! », résume avec humour
Coloriage antique Steven Fine dans le dernier numéro de
À ce mémorial paradoxal, le professeur de la revue américaine Biblical Archaeology
la Yeshiva University de New York Steven Review. C’est d’ailleurs lors d’un colloque,
Ménorah Fine et son équipe viennent de décerner traitant de la polychromie antique en 2009,
Chandelier à sept une nouvelle palme… toute en couleurs. que notre historien du judaïsme a pensé à
branches. C’est que la science, grâce aux techniques l’arc de Titus. ...
76 l Le Monde de la Bible l 222
Essai de restitution de la pol ychromie originale d’un panneau de l’arc de Titus.
© Institute for the Visualization of History

Le panneau en relief de l’arc de triomphe de Titus, à Rome, dans son état actuel. Il représente la procession du butin arraché
au Temple de Jérusalem en 70 ap. J.-C. par les soldats romains. © Institute for the Visualization of History

77
Archéologie / Italie / Rome

L’HISTORIEN JUIF FLAVIUS


JOSÈPHE, SANS DOUTE TÉMOIN
DU TRIOMPHE, NE SE TROMPAIT
PAS LORSQU’IL DÉCRIVAIT LE
CHANDELIER COMME ÉTANT EN OR.

... Savants échafaudages


Pas si farfelue, l’idée a rapidement trouvé
le chemin de Rome. Dès 2012 des écha- La ménorah du Temple de Jérusalem
faudages se dressaient sous l’arc, là où, à transportée par les soldats romains. © Steven Fine
l’abri des intempéries, les reliefs avaient le
maximum de chance de livrer des traces.
La première opération consista à scanner le (UV-VIS), capable de mesurer les longueurs
grand relief du butin avec des capteurs de d’onde émises en retour. Il leur a suffi de
Flavius Josèphe haute définition afin de réaliser un relevé tri- comparer ces résultats avec des bases de
(37-100 ap. J.-C.) dimensionnel d’une précision millimétrique. données chromatiques constituées à partir
Ancien général judéen, Résultat : des détails aussi infimes que les d’autres monuments antiques pour chanter
devenu conseiller de baies des couronnes de lauriers ceignant victoire : sur le socle et les branches de la
Titus, il a laissé un récit les fronts des soldats se révélèrent avec une ménorah se trouvaient des traces d’ocre
de la guerre des Juifs étonnante acuité. Deux experts allemands jaune. L’historien juif Flavius Josèphe,
contre les Romains. en polychromie antique passèrent ensuite sans doute témoin du triomphe, ne se
On lui doit aussi une la ménorah sous les faisceaux lumineux trompait pas lorsqu’il décrivait le chandelier
histoire du judaïsme. d’un spectrophotomètre ultraviolet-visible comme étant en or.
Pour l’instant, seul le chandelier a été
« spectrométré ». En attendant l’autorisation
VU PAR FLAVIUS JOSÈPHE de poursuivre, Steven Fine et ses collabora-
teurs avancent « virtuellement ». S’appuyant
Les dépouilles étaient portées sans ordre, mais on distinguait dans sur des études analogues, glanant des
tout le butin les objets enlevés au Temple de Jérusalem : une table parallèles à Rome, Pompéi, Herculanum,
d’or, du poids de plusieurs talents, et un chandelier d’or du même ainsi que dans la littérature antique, ils ont
travail, mais d’un modèle différent de celui qui est communément tenté de restituer la polychromie générale
en usage, car la colonne s’élevait du milieu du pied où elle était du panneau et combler certaines lacunes.
fixée et il s’en détachait des tiges délicates dont l’agencement rap- Pour les textes des enseignes, par exemple,
pelait l’aspect d’un trident. Chacune était, à son extrémité, ciselée ils se sont inspirés du passage de Flavius
en forme de flambeau ; il y avait sept de ces flambeaux, marquant Josèphe (lire l’encadré). Certes, le résultat
le respect des juifs pour l’hebdomade. On portait ensuite, comme est hypothétique et l’image virtuelle sans
dernière pièce du butin, une copie de la loi des juifs. Enfin mar- doute un peu kitsch, mais l’effet dépasse
chaient un grand nombre de gens tenant élevées des statues de la la surprise. Au-delà des conventions esthé-
Victoire toutes d’ivoire et d’or Vespasien fermait la marche, suivi de tiques, c’est la représentation d’un événe-
Titus, en compagnie de Domitien à cheval, magnifiquement vêtu ; le ment éminemment affectif qu’il bouscule.
coursier qu’il présentait au public attirait tous les regards. La couleur des sentiments sur une histoire
(Flavius Josèphe, Guerre des Juifs, Livre VII, 148-152) en noir et blanc… l

78 l Le Monde de la Bible l 222


La firme italienne Unocal srl Tecnology and Innovation réalise un scan en 3D du relief
de la procession triomphale des objets du Temple de Jérusalem.
© Steven Fine

L’arc de Titus a été érigé par son successeur Domitien à Rome en 81 pour commémorer la victoire de Titus
sur les Judéens en 74 ap. J.-C. © Steven Fine

79
Archéologie / Irak / Ur

Faire parler
les maisons d’Ur
À Ur, ancienne cité du pays de Sumer où les fouilles reprennent après une
longue interruption, des archives privées font revivre les habitants au temps
de l’annexion babylonienne (1763-1738 av. J.-C.).

L
Par Estelle Villeneuve e retour des archéologues à Ur (pro- Bonne pêche
noncez Our), en Basse-Mésopotamie, Dans l’une d’elles vivait un général de l’ar-
depuis 2015 fait partie des bonnes mée babylonienne, un certain Abisum qui
nouvelles qui nous arrivent du Moyen-Orient. fut en poste dans les dernières années du
La ville, citée dans la Bible comme berceau roi Hammourabi (règne 1792-1750) et sous
d’Abraham, n’avait plus fait l’objet de fouilles son fils Samsu-iluna (règne 1750-1712). Il re-
depuis les années 1930, quand l’archéologue présentait l’armée « d’occupation », dirait-on
britannique Leonard Woolley avait mis au jour aujourd’hui. Les Babyloniens avaient en effet
la fameuse ziggourat et les tombes royales annexé le royaume de Larsa auquel appar-
du milieu du IIIe millénaire. L’autre bonne nou- tenait Ur en 1763, avant de s’en retirer en
Bagdad velle, c’est que le site a échappé aux dépré- 1738. C’est d’ailleurs après la débâcle, pen-
IRAK
dations et au pillage massif qu’ont subis tant sent les archéologues, que la maison a été
d’autres sites irakiens, complète l’assyrio- pillée et ses archives éparpillées au sol. En
Ur logue et professeur au Collège de France attendant, Abisum, assisté de deux colonels,
Dominique Charpin. La seconde campagne commandait Ur et la zone très poissonneuse
de fouilles à laquelle il a participé en tant des marais. Sa comptabilité de poissons est
qu’épigraphiste a eu lieu au printemps 2017, peut-être une des meilleures pêches… de
sous la houlette d’Elizabeth Stone de la Stony Dominique Charpin. Une tablette enregistre
Brook University de New York et d’Adelheid en effet une dépense « pour le repas du roi,
Otto de l’université de Munich et en collabo- l’année où Samsu-iluna fit faire un trône en
ration avec le responsable local des antiqui- offrande à Nanna […] ». Dans le calendrier
tés, A. Al-Hamdani. Avec des résultats déjà babylonien, cette année est connue comme
exceptionnels : trois chantiers ouverts, deux la cinquième de ce roi, mais ce que les his-
Ziggourat maisons privées d’époque babylonienne toriens ignoraient, c’est que Samsu-iluna
Tour mésopotamienne (XVIIIe siècle av. J.-C.), 120 documents écrits était venu en personne faire ses dévotions
faite de superposition et la promesse d’atteindre bientôt les niveaux au dieu de la lune qu’il avait adopté comme
de terrasses de la fin du IIIe millénaire. Dans une communi- dieu personnel. « Même après avoir annexé
de dimensions cation à l’Académie des Inscriptions et Belles- l’antique Sumer, les rois de Babylone avaient
décroissantes et portant Lettres en juin dernier, Dominique Charpin a le plus grand respect pour ce berceau de
un sanctuaire au fait revivre l’âme de ces maisons grâce aux leur civilisation », souligne l’assyriologue. En
sommet. archives retrouvées sur place. dehors de ses responsabilités militaires, telle

80 ● Le Monde de la Bible ● 222


Vue d’ensemble de
la maison d’Abisum
à la fin de la campagne
de 2017.
© Paul Zimansky

l’affectation des soldats, Abisum menait la vie


des notables : il louait des terres cultivables,
prêtait de l’argent… Et il épongeait aussi les
dettes de ses subordonnés, offrant à l’épi-
graphiste l’occasion de retomber sur une
vieille connaissance. Le créancier n’était autre
qu’un prêtre purificateur du temple du dieu
de la lune, dont il avait déchiffré le nom sur
une empreinte de sceau en 1987 !

Les poubelles de Sin-nada


À quelques centaines de mètres plus au sud
demeurait le prêtre Sin-nada. Ce n’est plus
lui qui occupait la maison au moment où
Abisum était en poste : mais en refaisant le sol
du bâtiment, les locataires suivants y avaient
enfoui ses « fonds de poubelle » : empreintes
de sceaux, étiquettes de paniers de tablettes,
enveloppes de lettres, exercices d’écoliers…
Autant de documents qui ont permis de cer-
ner le personnage. Sin-nada était donc inten-
dant du temple de la déesse Ningal, la divine Elizabeth Stone espère atteindre au plus vite Une des tablettes
épouse de Nanna ; il était également scribe les niveaux de la fin du IIIe millénaire, quand Ur documentant les activités
et enseignait le métier chez lui à des élèves régnait sur toute la Mésopotamie. Quelques du général babylonien
de tous niveaux, du débutant dans les cunéi- tablettes prometteuses ont été découvertes à Abisum.
formes à l’élève confirmé capable de recopier 4 m sous la surface… dans les derniers jours © Dominique Charpin
les grands classiques sumériens. de la fouille ! Il faudra donc attendre la pro-
Et le troisième chantier ? Ici, ce n’est pas tant chaine campagne, à l’automne 2018, pour
la demeure du XVIIIe siècle et ses tablettes que les habitants de la grande époque d’Ur
qui enthousiasment les archéologues. Dans viennent unir leurs voix à celles du général
ce quartier déjà très fouillé par L. Woolley, Abisum et du scribe Sin-nada. ●

81
Archéologie / Brèves

Ci-dessus : restitution des jeux d’eau (© Y. Schmidov). Ci-contre : triclinum ouest.


(© A. Onn/IAA)

Jérusalem

Une salle à manger pour les VIP d’Hérode


À 25 m de l’entrée du Temple d’Hérode et 15 m sous nymphée d’un gymnase royal dont les auteurs anciens
le sol actuel de la rue Silsilah, qui reprend le tracé du laissaient soupçonner la présence dans les parages
decumanus antique, se trouvent les vestiges d’une ins- (lire MdB 207). Dans un article récent, les archéologues
tallation aussi somptueuse que singulière. Repéré au J. Patrich et S. Weksler-Bdolah ont trouvé la solution : il
XIXe siècle, son extension maximale n’est connue que s’agit de salles de banquet agrémentées de jeux d’eau,
depuis les travaux menés par l’Autorité des Antiquités pour recevoir les hôtes de marque visitant le Temple.
d’Israël entre 2007 et 2012 : formé de deux grandes Outre la comparaison avec les triclinia des palais ou des
salles séparées par des fontaines murales et leur citerne- abords de temples dans le monde gréco-romain et en
arrière, exceptionnel par la qualité de la construction et Orient, un détail paraît déterminant : des encoches tail-
le soin du décor, l’ensemble est typique de l’architecture lées dans les moulures du haut podium bas des murs
hérodienne au Ier siècle av. J.-C. Mais à quoi servait-il ? marquent l’emplacement de klinai, c’est-à-dire des lits
Dans un premier temps, les fouilleurs avaient pensé au de banquet sur lesquels s’étendaient les convives.

France Murviel-lès-Montpellier

Pèlerinage de santé
À Murviel-lès-Montpellier (Hérault), une fouille préventive
en vue de l’aménagement d’un lotissement a été réali-
sée par l’Inrap dans la pente de l’oppidum gallo-romain
du Castellas dominant le village. Les archéologues y ont
dégagé les vestiges d’un sanctuaire du Ier siècle av. J.-C.
Le temple proprement dit était composé d’une salle
pour la statue du dieu (cella) et son vestibule (pronaos)
pavé de mosaïques géométriques. Des éléments d’un
autel sacrificiel ont été exhumés ainsi que des petits La mosaïque du pronaos dans le temple. © P. Druelle/Inrap
édicules maçonnés évoquant des pratiques d’offrandes
individuelles. La présence adjacente de bâtiments à
portiques associés à une source aménagée évoque le
cadre d’un pèlerinage à un dieu guérisseur. @ Retrouvez d’autres actualités archéologiques sur
www.mondedelabible.com

82 l Le Monde de la Bible l 222


Arabie Saoudite Hai‘t Paléographie hébraïque

Nabonide chez les Arabes Un codex millénaire


La main d’un scribe juif du Xe siècle, Samuel
Nabonide, dernier roi de Babylone (556-539 av. J.-C.), ben Jacob, a été identifiée par un chercheur
est connu des sources babyloniennes pour s’être établi de Cambridge sur un codex conservé de
dix ans dans le nord de l’Arabie, au grand dam du clergé la Bibliothèque nationale de Russie. Auteur
du dieu national Marduk dont il désertait le culte. Si les vers 1010 du fameux Codex de Leningrad,
raisons de cet exil restent mystérieuses, quelques ins- le plus ancien manuscrit complet de la
criptions trouvées récemment dans le Hedjaz en livrent Torah, Samuel suit la massore, un système
pour la première fois des échos directs. Dans l’oasis d’annotation établissant la lecture correcte
de Ha‘it, c’est un bloc gravé en relief qui a été repéré du texte consonantique, élaborée à Tibériade
en 2012 et tout juste publié dans la revue Zeitschrift au Xe siècle. Pour K. Phillips, qui expose sa
für Orient-Archäologie. Nabonide s’y profile à gauche découverte dans le Tyndale Bulletin, l’étude de
dans la silhouette typique des rois babyloniens, bâton ce nouveau manuscrit complet des Prophètes
à la main, vêtu d’un manteau à franges et coiffé de la (Josué-Rois) permettra de saisir la première
tiare. À droite, une longue inscription, hélas très usée, diffusion de la vocalisation massorétique.
encadre une vignette contenant des symboles divins.
On y reconnaît, sur le rang du bas, le croissant, le disque Israël Paléozoologie
solaire et l’étoile de la triade de Babylone et, en haut,
à cheval dans une cassure, un signe inconnu. La par- Cochons grecs
tie de texte sous les symboles débute par la titulature Une étude portant sur l’ADN d’ossements
attendue de Nabonide et exprime sa ferveur envers Sin, de cochons et de sangliers trouvés dans
le dieu de la lune qu’il vénérait comme maître de tous les niveaux du Bronze ancien et du Fer
les dieux. Mais ce sont les lignes à droite des symboles (4500-900 av. J.-C.), en Grèce et en Israël,
qui paraissent les plus inhabituelles. Selon le déchiffreur constate la présence de gènes communs
H. Schaudig, elles pourraient faire référence aux divini- avec les espèces grecques au plus tard
tés locales, dont le ou les symboles figureraient avec la vers 900 av. J.-C. Pour les auteurs d’un
triade babylonienne, voire à la divinité dans le temple article de la revue Nature, ces croisements
duquel Nabonide aurait dressé son inscription. D’où l’on génétiques résulteraient d’importations lors
retient le respect de Nabonide à l’égard des dieux de des migrations des « peuples de la Mer » à la
cette Arabie dont il prenait alors le contrôle. fin du Bronze moyen, vers 1150 av. J.-C.

Territoires palestiniens Jéricho

Coque à khôl
Dans une maison du début du IIIe millénaire
av. J.-C. à Tell es-Sultan, l’ancienne Jéricho,
la mission italo-palestinienne a trouvé
cinq coquilles en nacre. Deux d’entre elles
contenaient une substance noirâtre identifiée,
par les laboratoires de l’université de la
Sapienza à Rome, comme de l’oxyde de
manganèse, une poudre utilisée, entre autres,
comme cosmétique et antiseptique oculaire.
Détail du roi D’après les fouilleurs, ces « boîtes à khôl »
Nabonide, étaient selon toute vraisemblance importées
VIe siècle av. J.-C. d’Égypte – cette espèce de coquillages ne vit
(47 cm env.) que dans le Nil – et le minerai du Sinaï dont
© DAI-Orient/ les Égyptiens de la IIe dynastie (2950-2800
A. Hausleiter av. J.-C.) exploitaient les mines.

83
Archéologie / Brèves

Église nord-est et son martyrion


© Hippos-Sussita project
Israël Hippos-Sussita

Sainte terrestre
À Hippos-Sussita, une cité antique étirée sur un éperon
élevé au sud-est du lac de Galilée, les archéologues ont
mis au jour les traces d’un culte de saints. Dans le marty-
rion, la chapelle située au bout de l’aile sud d’une église,
généralement dédiée au culte des martyrs, ils ont trouvé
un sarcophage plaqué de marbre et décoré de croix. « Il
était percé d’un trou au sommet, a expliqué au journal
Haaretz le codirecteur du chantier M. Schuler, de l’univer- trouvaient des ossements féminins. En revanche, les an-
sité Concordia, Minnesota. Ce trou servait à verser des of- thropologues ont levé un coin du voile sur les réalités bien
frandes liquides ou à introduire un bâton afin de toucher les terrestres de la sainteté : la vénérable était âgée de 55 ans
reliques et bénéficier ainsi de leur sainteté. » On ne connaî- et souffrait d’ostéoporose. Quant à son charisme, il semble
tra sans doute jamais l’identité du saint vénéré ici par les avoir été tenace, puisque l’accès à la chapelle est resté
pèlerins, ou plutôt de la sainte car dans le sarcophage se ouvert bien après la condamnation de l’église au VIe siècle.

Israël Gezer

La main de Méneptah
Lors de sa dernière campagne de fouilles à Gezer, dans
la plaine à l’ouest des monts de Judée, une mission
israélo-américaine a mis au jour un bâtiment incendié
à la fin du Bronze récent (XIIIe siècle av. J.-C.), piégeant
deux adultes et un enfant. Déjà atteinte à plusieurs re-
prises sur le site, cette couche de destruction a été attri-
buée aux armées égyptiennes de Méneptah. Gezer est
en effet citée par le pharaon sur une stèle célébrant ses
victoires au pays de Canaan (v. 1210). Cette stèle, trou-
vée à Thèbes, sur la rive ouest du Nil en Haute-Égypte,
Jardinière dans la cour d’une tombe privée, XVe siècle av. J.-C. est la plus ancienne attestation du nom d’Israël.
© Jose Galan, mission espagnole de Dra Abou el-Naga

Égypte Dra Abou el-Naga

Des fleurs pour les morts


Fleurir les tombes des défunts n’est pas l’apanage
de la Toussaint. Dans la cour d’une tombe privée de
la XVIIIe dynastie à Dra Abou el-Naga (vers 1500-1450
av. J.-C.), sur la rive ouest du Nil face à Louxor (Haute-
Égypte), des archéologues espagnols ont mis au jour
une jardinière de 3 m sur 2, subdivisée en cases de
30 cm. Dans un angle se trouvaient encore les racines Corps d’une victime de l’incendie, fin XIIIe siècle av. J.-C.
et le tronc d’un arbuste et des offrandes de dattes © Tandy Institute for Archaeology
et autres fruits secs dans un bol. Le thème du jardin,
fréquent sur les peintures funéraires de cette époque,
participait donc au rituel symbolique de la mort. @ Retrouvez d’autres actualités archéologiques sur
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84 l Le Monde de la Bible l 222


Archéologie / Correspondances

MONT NÉBO
Un nouveau complexe mémorial
pour Moïse
© D.R.

Marie-Armelle
Beaulieu
D
avide Bianchi vient de vivre une belle conduite, tout ce qui avait été découvert
année. Il conclut presque simulta- par leurs prédécesseurs a été restauré et
nément deux travaux d’envergure. mis en valeur, notamment ces stupéfiants
Journaliste,
Sa thèse de doctorat en archéologie chré- parterres de mosaïques.
correspondante
à Jérusalem tienne et médiévale soutenue avec brio à Mais Alliata et Bianchi ne se sont pas
Milan, et l’achèvement des fouilles archéo- contentés de terminer un projet. Ils l’ont re-
logiques et l’inauguration du nouveau com- visité et ont conduit leur propre campagne
plexe du mémorial de Moïse sur le mont de fouille, couronnée de succès puisque
Nébo en Jordanie. ce sont eux qui ont mis au jour, au centre
Des travaux d’autant plus faciles à conduire de la nef une tombe. Datée du Ve ap. J.-C.,
simultanément qu’ils se rejoignaient, puisque sa facture utilisant des éléments des IIe et
la thèse de Davide Bianchi portait sur l’étude IIIe siècles et sa place dans la basilique ont
de la vie monastique au mont Nébo à la char- incité les archéologues à reconsidérer toute
nière des périodes byzantine et préislamique. l’histoire du site. « Les nouvelles hypothèses
Davide était donc aux premières loges feront l’objet d’une prochaine publication »,
Eugenio Alliata
quand, en novembre 2016, devant un par- a confié Davide Bianchi. En fait de tombe,
et Davide terre d’officiels, les portes de l’église-mu- Bianchi préfère parler de cénotaphe. Ces
Bianchi ont sée, ou du musée-église, se sont ouvertes hypothèses permettront de comprendre
relevé un défi pour la premières fois après près de dix ans l’évolution du lieu entre 450 et 750 ap.
de taille : de fermeture. J.-C. « Malheureusement, ajoute Bianchi, à
ce stade de l’étude, il n’y a aucune preuve
permettre au site
Petite histoire du mont Nébo stratigraphique liée au temps de la pèlerine
de con juguer C’est le français Félicien de Saulcy qui le Égérie » (384 ap. J.-C.).
les impératifs premier explora le site dont les religieux fran-
muséaux et ciscains firent l’acquisition en 1932. Après La perle du désert
ceux de une première campagne de fouilles entre En attendant, pour le visiteur, si la façade
1933 et 1937, il fallut attendre les années 60 de la basilique est un peu froide, son chevet
la liturgie.
pour que le Nébo fasse l’objet de nouvelles est une réussite, et plus encore l’aména-
recherches archéologiques conduites par gement intérieur. Le bois est au service de
le père Virgilio Corbo ofm. C’est lui qui fit la pierre. Une passerelle d’acier permet de
recouvrir la basilique d’un abri. Quand il prit surplomber les mosaïques et d’en contem-
la suite, Michele Piccirillo, archéologue, fran- pler les motifs colorés. Toute la nef, au milieu
ciscain et esthète, voulut offrir, à ce que ses de laquelle on peut voir le cénotaphe sous
travaux avaient révélé pour être un joyau de une dalle de verre, est une salle de musée,
l’art byzantin, une église qui lui rendit hom- tandis que le chœur a été aménagé pour
mage. Sa mort prématurée conduisit le père accueillir la prière des pèlerins.
Eugenio Alliata, qui l’accompagnait dans les Dans son écrin de désert, le lieu présumé
fouilles depuis 40 ans, à se saisir du flam- de la tombe de Moïse est plus que jamais
beau, secondé de Davide Bianchi. une perle. l
Ensemble ils ont relevé un défi de taille :
permettre au site de conjuguer les impéra-
tifs muséaux et ceux de la liturgie. Sous leur

85
Archéologie / Correspondances

LE MAQÂM
de Nabi Omran à Qlailé,
un lieu saint partagé
© D.R.

Nour Farra
Haddad
A
u sud du Liban, la Bible n’est jamais rite de l’incubation, c’est-à-dire qu’ils passent
très loin du patrimoine religieux. Et la nuit dans le sanctuaire pour s’imprégner
pour cause, non seulement le pays de la baraka des lieux afin d’optimiser leurs
correspondante
à Beyrouth est mentionné près d’une centaine de fois chances d’être exaucés. Parmi les pèlerins
dans les Écritures canoniques, mais la région se mêlent aussi des chrétiens, qui viennent
de Tyr et Sidon y est aussi le lieu de la pré- demander l’intercession du père de la Vierge,
dication et de miracles de Jésus lui-même. attirés par la légende biblique autant que par
Témoin de cette appartenance revendiquée à l’histoire du village lui-même. Qlailé aurait en
la Terre sainte, le maqâm de Nabi Omran, un effet été fondé en 1720 par un chrétien venu
petit sanctuaire abritant la tombe présumée de la montagne du Kesrouane au nord de
du père de la Vierge Marie, tricote une histoire Beyrouth. Ces chrétiens renouent aussi avec
et une dévotion partagées par les chrétiens et une présence qui remonte à l’époque byzan-
les musulmans de la région. tine et dont témoigne le site archéologique
jouxtant le maqâm. Dans la toponymie locale,
Les familles de Jésus et de Moïse celui-ci est appelé le deir (monastère en arabe).
Le maqâm de Le sanctuaire se trouve dans le village de Remarqué par les voyageurs et les orienta-
Nabi Omran Qlailé, à 10 km au sud-est de Tyr. Géré par listes, tel Ernest Renan dès le XIXe siècle, il a
à Qlailé fait la communauté chiite, il est composé d’une été fouillé brièvement par la Direction générale
l’objet d’un culte petite mosquée moderne affublée d’un mina- des Antiquités, après les bombardements
ret en béton et d’un vieux bâtiment surmonté israéliens de 1996 qui ont révélé l’existence
très populaire.
d’une coupole, qui remonterait à la période d’une crypte. Les archéologues ont alors mis
Les pèlerins médiévale. La tombe elle-même trône à l’inté- au jour les vestiges d’une église à abside aux
touchent rieur de ce dernier, recouverte d’une bannière sols couverts de mosaïques.
la tombe, de velours brodée de versets coraniques. Le père de la Vierge Marie a-t-il vraiment vé-
l’embrassent, Le nabi, en arabe le prophète, supposé être cu ici ? Ses os sont-ils réellement conservés
enterré ici est Omran. Dans la sourate III du dans la tombe ? Certains hommes de religion
se recueillent,
Coran, il est le père de Marie, l’époux d’Anne l’affirment, soutenus par quelques historiens.
font des vœux. et le descendant de David et Salomon, celui Pour les chrétiens, l’enjeu sous-jacent n’est
que la tradition chrétienne nomme Joachim pas anodin. Si, comme le relatent les évan-
(Protévangile de Jacques IV). Dans la Bible giles, le Christ s’est rendu dans la région de
hébraïque en revanche, Omran est le père Tyr et Sidon et si, comme le veut la tradition,
de Moïse, d’Aaron et de Myriam. Derrière la son grand-père vivait à Qlailé, alors on pour-
« famille al-Omran », le Coran met donc en rait envisager qu’il y lui ait rendu visite. Aux
perspective les familles de Jésus et de Moïse, yeux des historiens, cependant, un empile-
sorte de « sainte famille » élargie où Jésus ap- ment d’hypothèses ne fait pas nécessaire-
paraît comme le nouveau Moïse. ment une thèse historique. En revanche, d’un
Le maqâm de Nabi Omran à Qlailé fait l’objet point de vue anthropologique, un lieu saint
d’un culte très populaire. Les pèlerins touchent n’est-il pas d’abord un point d’ancrage pour
la tombe, l’embrassent, se recueillent, font une mémoire religieuse commune ? En ce
des vœux. Ils accrochent aussi des morceaux sens, le maqâm de Nabi Omran est bien un
de tissu pour que le saint n’oublie pas leur authentique lieu saint porteur de baraka, de
Lire aussi p. 67-70. demande. Certains fidèles pratiquent aussi le bénédictions et de grâces. l

86 l Le Monde de la Bible l 222


IRAK
La ruée après Daech
© D.R.

Jérémy André

L
’Irak pourrait-elle enfin connaître la paix ? lammasus, dynamité les temples et les portes
C’est le pari que font aujourd’hui les ar- des palais, et même rasé au bulldozer la zig-
Journaliste,
correspondant chéologues. Depuis le début de l’année gourat ! Pour panser ce site meurtri, le British
à Erbil 2017, les grandes institutions occidentales Museum constituera avec le Conseil irakien
se pressent pour investir des fonds et lancer des antiquités, l’UNESCO et le Smithsonian
de vastes projets. Après Daech, l’Irak revient une véritable « dream team ». L’institution amé-
de loin. Le British Museum, comme en 2003 ricaine a pour sa part annoncé en mars 2017
déjà, a mené la contre-attaque. Le musée mettre 400 000 dollars sur la table pour docu-
de sa majesté a lancé dès janvier 2016 un menter, mais surtout pour stabiliser ces ves-
programme d’urgence. L’ancien envahis- tiges. Il faudra être patient : au début de l’été,
seur a appris de ses erreurs passées. Fini, le site était toujours à l’abandon, contrôlé par
explique dans le Guardian l’archéologue l’armée et des milices chiites. À Khorsabad,
Mary Shepperson, une des formatrices, « les la situation est plus compliquée encore : la
Après Daech, archéologues occidentaux qui débarquent successeur de Nimroud est à cheval entre
l’Irak revient de en sauveurs ». Destiné à des Irakiens, le pro- région autonome kurde et territoires du gou-
loin. Le British gramme consiste en des sessions de for- vernement central ! La France, qui souhaite y
Museum, mation de six mois : trois mois théoriques investir un million d’euros, aura à surmonter
comme en à Londres, et trois mois de pratique sur cette « frontière », alors même que le Kurdistan
les sites de Tello, au sud, et de Darband-i tient le 25 septembre un référendum d’indé-
2003 déjà, Rania, au nord, dans la région du Kurdistan. pendance. De même, à Mossoul, le site de
a mené la Les élèves ont droit d’abord à un rattrapage la mosquée du prophète Jonas excite toutes
contre-attaque. technologique : prospection géophysique, les convoitises. Daech l’a réduite en poussière
Le musée de magnétomètre, radar à pénétration du sol, à l’explosif en 2014. Sous les ruines, les ter-
sa majesté tachéomètres… L’entraînement comprend roristes ont creusé des tunnels pour piller les
aussi des techniques pour détecter et désa- artefacts du palais d’Asserhaddon, un coffre
a lancé dès morcer les mines antipersonnel, Irak oblige. au trésor qui n’avait jamais été fouillé en pro-
janvier 2016 Les Britanniques espèrent ainsi former cin- fondeur. Depuis Saddam Hussein, le bureau
un programme quante archéologues irakiens d’ici 2020. Avec des Fondations sunnites du ministère des
d’urgence. 3,62 millions d’euros investis par le « Fonds de Religions y régnait sans partage, empêchant
protection de la culture » du British Council, toute étude scientifique. Aujourd’hui, son
le grand mécène public du Royaume-Uni et concurrent chiite rêve de mettre la main dessus
du Commonwealth, le projet s’inscrit dans la pour en faire sa grande mosquée de Mossoul.
durée, mais porte déjà ses fruits. Les spécialistes espèrent eux reprendre la
main sur le sous-sol, pour sauver ce qui peut
Des batailles politiques à venir… encore l’être : « La mosquée devrait retourner
En novembre 2016, l’armée irakienne repre- à sa surface d’avant les années 1980, avant
nait le contrôle de Nimroud, la capitale assy- qu’elle soit étendue par Hussein, et le Conseil
rienne du IXe siècle av. J.-C. Une équipe de des antiquités devrait reprendre le contrôle du
dix participants du programme a lancé une reste », plaide Faisal Jeber, géologue et fon-
évaluation des destructions pour le Conseil dateur d’une Association de sauvegarde du
des antiquités et du patrimoine irakien. Les patrimoine de Mossoul. De nouvelles batailles,
dégâts, ici, sont tragiques. Daech a brisé les politiques cette fois, s’engagent. l

87
Archéologie / Grandes découvertes

Il était une fois…


La stèle d’Héliodore
Pourquoi les Maccabées se sont-ils soulevés contre la domination
grecque au IIe siècle av. J.-C. ? Des motifs et des faits, on ne connaissait
que la version des révoltés, jusqu’à ce que la voix des autorités elles-
mêmes se fasse entendre entre les lignes d’un édit gravé sur une stèle.
Celui, précisément qui avait mis le feu aux poudres.

P
Par Estelle Villeneuve our les archéologues, le marché des ficiaient en retour d’avantages juridiques et
antiquités est un vrai drame. La de- fiscaux, ainsi que de l’autonomie religieuse.
mande suscite l’offre ; l’offre se nour-
rit du pillage ; le pillage, illégal, cache ses Des directives incomplètes
sources et la provenance des objets déjà Destinée à l’affichage public, la lettre offi-
déconnectés de leur contexte archéolo- cielle du souverain à Héliodore venait lever
SYRIE
gique est perdue. Lorsqu’en mai 2007 ap- un coin du voile. Désormais, lui écrivait-il en
paraît sur le marché un grand fragment de substance, se déclarant soucieux du bon-
stèle en calcaire, les archéologues enragent heur et de la sécurité de ses sujets, il veil-
Maresha plus que jamais. C’est que le texte inscrit en lerait au bon fonctionnement des sacrifices
belles lettres grecques n’est pas n’importe dans la province récemment conquise.
ISRAËL
lequel. C’est un édit, jusque-là inconnu, du Comme il le faisait déjà, précisait-il, dans le
roi séleucide Séleucos IV (187-175 av. reste de l’Empire. En termes polis, il s’agis-
JORDANIE
J.-C.) qui inclut le début d’une lettre adres- sait tout bonnement de la mise sous tutelle
ÉGYPTE sée à son premier ministre Héliodore. des sanctuaires, avec à la clé d’importantes
Or les deux personnages sont bien connus ponctions fiscales. Pour gérer ces affaires,
des lecteurs du deuxième livre des continuait Séleucos dans sa lettre, il nom-
Maccabées (lire p. 90). Ils sont au cœur d’un mait un certain Olympiodore… Hélas, l’ins-
épisode décisif pour l’histoire juive, c’est-à- cription s’interrompait là, laissant les histo-
dire une tentative de pillage du Temple de riens émoustillés et sur leur faim ! D’un côté,
Séleucide Jérusalem, présentée comme le premier ils avaient appris que le revirement politique
Dynastie hellénistique acte d’un conflit qui aboutirait quelques an- de Séleucos ne visait pas seulement la
fondée au Proche-Orient nées plus tard à la révolte des Maccabées Judée – comme s’en plaignait l’auteur bi-
par le général Séleucos (lire p. 90) et l’indépendance de la Judée. Or blique –, mais l’ensemble de la région ; de
Ier, après la mort l’incident cadrait mal avec les bonnes rela- l’autre, le contenu des réformes et le rôle
d’Alexandre le Grand en tions qu’entretenaient alors les successeurs exact d’Olympiodore leur échappaient.
323 av. J.-C. Elle règne d’Alexandre le Grand avec les Judéens. Ces Celui-ci était-il un simple pion dans l’échi-
sur la Judée de 200 à derniers les avaient en effet aidés à conqué- quier bureaucratique du royaume séleu-
152 av. J.-C. rir la Syrie-Phénicie en 200 av. J.-C. et béné- cide ? Sa mission avait-elle aussi une ...
88 ● Le Monde de la Bible ● 222
LE TEXTE INSCRIT
EN BELLES LETTRES
GRECQUES N’EST PAS
N’IMPORTE LEQUEL.
C’EST UN ÉDIT
DU ROI SÉLEUCIDE
SÉLEUCOS IV
JUSQUE-LÀ INCONNU.

Édit royal du IIe siècle av. J.-C. destiné à


l’affichage public dans le temple de Maresha
Volée par des pillards en 2005, la partie supérieure
de la stèle est réapparue sur le marché des antiquités
en 2007, elle complétait trois fragments trouvés
dans les fouilles. Jérusalem, musée d’Israël.
© IAA Collection/Bridgeman Images

89
Archéologie / Grandes découvertes

Deuxième livre ... dimension religieuse ? « Difficile d’en pour le judaïsme monothéiste et ne pouvait
des Maccabées dire plus sans se perdre en élucubrations », que mener à la crise. D’ailleurs, en insistant
Les quatre livres placés écrivaient les éditeurs du fragment, Hannah sur la tenue des sacrifices dans la province,
sous le sceau des Cotton et Michael Wörrle, en 2007. Quant la stèle de Maresha anticipe ce qui déclen-
Maccabées ont trait à à l’origine de la stèle, elle restait chera l’insurrection juive de 167 av. J.-C., à
la révolte des Judéens inconnue, ayant été acquise par des parti- savoir l’instauration du culte de Zeux olym-
contre la domination culiers sur le marché des antiquités. pien dans le Temple de Jérusalem et l’obli-
grecque en Judée au gation pour les juifs de participer aux sacri-
IIe siècle av. J.-C. Écrits Le coup de théâtre de Maresha fices royaux. »
en grec, ils sont exclus La solution se trouvait à Maresha, la capitale Si le pillage du Temple par Héliodore est
de la Bible hébraïque et de l’Idumée antique au sud-est des monts l’écho direct du nouveau dispositif, il semble
diversement reçus dans de Judée. Dans le matériel archéologique clair aujourd’hui que l’auteur biblique l’a envi-
le Canon des Églises exhumé en 2005 et 2006, l’épigraphiste et sagé par le petit bout, fiscal, de la lorgnette.
chrétienne, orthodoxe, historien du judaïsme antique Dov Gera a en Les rivalités entre juifs n’auraient été en
catholique effet reconnu trois fragments appartenant définitive qu’une occasion habilement saisie
et protestante. à la même inscription, dont deux faisaient par Séleucos IV pour mettre en œuvre sa
directement suite à la lettre de Séleucos IV. réforme et faire main basse sur le trésor du
Révolte des Outre que ce complément assurait la prove- Temple. Dov Gera rappelle à juste titre qu’en
Maccabées nance de la stèle – un pillage avait effective- 177 ap. J.-C., soit un an après la publication
Soulèvement populaire ment été déploré sur la fouille en 2005 –, il de l’édit, tombait la dernière échéance d’une
mené par la famille nous en apprend un peu plus sur le fameux amende de guerre infligée par les Romains,
de Juda Maccabée Olympiodore. D’abord que celui-ci était un après la bataille de Magnésie du Sipyle
(167-164 av. J.-C.) contre ami d’enfance du roi et qu’il avait débuté en Asie Mineure (189 av. J.-C.). Il y avait
la domination grecque. Il sa carrière à la cour comme chambellan ; donc urgence à lever des fonds !
aboutira à l’indépendance ensuite qu’il fut sélectionné pour le poste En nous donnant l’accès direct à une dé-
de la Judée (152 av. de Syrie-Phénicie, eu égard à sa constante cision du souverain séleucide, la stèle de
J.-C.) et à la création d’un loyauté mais aussi à son engagement en Maresha permet de mesurer la réécriture
royaume sous la dynastie faveur de la politique religieuse du roi. Ce des événements opérée par les auteurs
des Asmonéens (140-37 bref curriculum vitae ne dit rien de pré- bibliques en fonction de leur expérience de
av. J.-C.). cis sur la mission confiée à Olympiodore, foi et de leur message théologique. Ainsi
mais il le projette à un niveau élevé de la de découverte en découverte, la Bible et
Bataille de hiérarchie provinciale. « Ses fonctions pour- l’archéologie se complètent-elles peu à peu
Magnésie raient même avoir compris la grande prê- pour restituer une des périodes cruciales du
du Sipyle trise, suppose Dov Gera en s’appuyant sur passé d’Israël. l
Par le traité d’Apamée des précédents attestés en Asie Mineure et
signé en 188 av. J.-C., à Chypre. En outre, sur le troisième frag-
les Romains imposent ment, Séleucos demande qu’une copie de
À lire aussi
aux Séleucides une la lettre soit gravée sur une stèle et expo-
« Seleukos IV to Heliodoros : A New Dossier of Royal
indemnité de 15 000 sée en bonne place dans les temples. Or, Correspondence from Israel » in Zeitschrift für
talents et la limitation il emploie des termes connus par ailleurs Papyrologie und Epigraphik 159, H. M. Cotton et
de leurs capacités sur des décrets relatifs à des nominations M. Wörrle, 2007, p. 191-205.
militaires. sacerdotales. » « Olympiodoros, Heliodoros and the Temples of Koilê,
Marie-Françoise Baslez, spécialiste du Syria and Phoinikê » in ZPE 169, D. Gera, 2007,
p. 125-152.
judaïsme hellénistique partage cette ap-
The Excavations of Maresha Subterranean Complex
proche : « Cette inscription témoigne de 57 : the Heliodorus Cave, I. Stern et al., Archaeopress,
la mise en place d’une sorte de ministère Oxford, 2014.
royal des Cultes, commente-t-elle, avec par D’autres grandes découvertes
conséquent l’entrée du clergé de Jérusalem archéologiques sont à lire dans :
dans une hiérarchie sacerdotale païenne. Sous les pierres, la Bible, Estelle Villeneuve, éd. Bayard,
Ceci était théologiquement inconcevable 2017. En collaboration avec Le Monde de la Bible.

90 l Le Monde de la Bible l 222


Plan du complexe
souterrain 57 de
Maresha d’où provenaient
les fragments de la stèle
d’Héliodore, enfouis dans
la grotte I (« Room 1 »).
© Avec l’aimable autorisation de
Ian Stern, Maresha Project

Tétradrachme en argent
de Séleucos IV (187-175 av. J.-C.).
© D. R.

La grotte I après son pillage en 2005.


© Avec l’aimable autorisation de Ian Stern, Maresha Project

91
Culture Bible / Sommaire

EXPOSITIONS
p. 94 à 105

Musiques ! Échos
de l’Antiquité,
au Louvre-Lens
p. 94-97
Reliquaires en papier roulé
(XVIIe-XVIIIe siècles),
au musée du Hiéron,
à Paray-le-Monial
p. 98
Heures italiennes,
dans les Hauts-de-France
p. 100-103

PORTFOLIO
p. 112 à 125
Le musée départemental Maurice Denis
à Saint-Germain-en-Laye

EN PARTENARIAT AVEC…

Le mardi 12 septembre 2017 de 17 h 00 à 18 h 00 Le mardi 24 octobre 2017 de 17 h 00 à 18 h 00


Christophe Henning, animateur de l’émission hebdomadaire « Grand Angle » Christophe Henning, animateur de l’émission hebdomadaire
sur RCF, consacrera son émission à « visiter une église », à l’occasion « Grand Angle » sur RCF, consacrera son émission à « Maurice
des journées du patrimoine. En lien avec la mise en ligne du livre numérique Denis et la foi dans l’art ». En lien avec le portfolio de ce numéro.
Les églises, des origines aux guerres de Religion. (p. 146). À réécouter sur podcast.rcf.fr ou sur mondedelabible.com

92 ● Le Monde de la Bible ● 222


LA BIBLE
3 1
4 DES PEINTRES
p. 106 à 111
La Vision après le sermon,
par Paul Gauguin.
Une œuvre complexe décryptée
par Régis Burnet, professeur à l’université
catholique de Louvain.

FESTIVALS
p. 126 à 134
Via Aeterna, festival
de musique, au
Mont-Saint-Michel
et sa baie
p. 126-130

Festival de théâtre biblique, à Clermont-Ferrand


p. 132-134 Culture Bible

LES LIVRES
p. 136 à 143
Entretien avec Dominique Charpin auteur de La vie méconnue des temples mésopotamiens (coéd.
Collège de France/Les Belles Lettres). Événement de la rentrée, parution de Jésus. Une encyclopédie
contemporaine (éd. Bayard). Suivi de recensions, avec mention de nos avis de niveau de lecture, d’une
vingtaine d’ouvrages récemment publiés : essais, beaux-livres, livres de poche…
Culture Bible / Exposition / Lens

Voir et écouter
la musique antique
Le musée du Louvre-Lens propose une exposition sur la musique antique
par le prisme de quatre aires géographiques majeures de l’Antiquité : l’Orient,
l’Égypte, la Grèce et Rome. Plongée musicale dans 3000 ans d’histoire…

P
Par Philippe- éplums, opéras, publicités ont façon-
Emmanuel Krautter né à notre insu une « image » de la
musique antique irréductible, et il est
difficile d’échapper à nos propres concep-
tions et représentations. Sans prétendre
défaire ces traits culturels, l’exposition du
Louvre-Lens propose une autre vision, plus
historique et archéologique de ce patrimoine
musical, nous invitant à penser la musique
antique sur 3000 ans d’histoire (2900 av.
J.-C. à 395 ap. J.-C.) de l’Iran à la Gaule, à
l’aide de différentes sources exceptionnelles
réunies pour l’occasion.

À la recherche
des musiques antiques
Si le parcours de l’exposition retient une scé-
nographie originale avec des salles succes-
sives en forme de tambour en écho au thème
retenu, comment retrouver cependant ces
musiques anciennes sans passer par le filtre
de celles qui nous sont familières ? L’Antiquité
ne connaît pas de mot qui désigne la musique
dans le sens où on l’entend aujourd’hui ; en
fait, il s’agit plutôt d’un ensemble de sons
omniprésents. Des rapprochements entre tel
ou tel son peuvent nous paraître aujourd’hui
Cratère en cloche lucanien à figures rouges : drame satyrique ? surprenants, précise Ariane Thomas, co-
Italie, vers 400 av. J.-C., argile. Paris, musée du Louvre. commissaire pour la partie orientale. Hélène
© RMN-Grand Palais (musée du Louvre)/Hervé Lewandowski. Guichard, co-commissaire pour le domaine
Service presse/Musée du Louvre-Lensiècle égyptien, avertit le visiteur : « C’est une réelle

94 ● Le Monde de la Bible ● 222


Harpe angulaire
Égypte, 664-332 av. J.-C., bois de pin maritime
pour le manche, de figuier sycomore pour la caisse
et de cèdre pour le cordier, peau, fibres végétales,
cordes modernes. Paris, musée du Louvre.
© Musée du Louvre, dist. RMN-GP/Hervé Lewandowski.
Service presse/Musée du Louvre-Lensiècle

problématique car nous sommes tentés de


plaquer des modèles sur ce que l’on peut
deviner de la musique égyptienne ancienne.
Nous n’avons malheureusement aucune
mélodie qui ne soit parvenue jusqu’à nous,
pas plus que de rythme, ce qui fait que l’on
ne peut guère qu’interpréter et extrapoler. »
Ainsi, si tout le monde se fait une idée de la
musique antique telle qu’évoquée au cinéma
ou à l’opéra, notamment pour l’Égypte avec
Aïda de Verdi, rien de tout cela ne repose sur
de solides bases. Aussi, la première section
de cette exposition venant souligner le para-
doxe de la musique antique s’intitule-t-elle :
« Les sonorités antiques, un monde à jamais
disparu ? ». L’Orient ancien offre l’avantage
de nous avoir légué des sources assez
complètes : « Nous avons mis en avant le fait
qu’au-delà de l’aspect mélodieux, c’était plu-
tôt l’aspect intentionnel qui comptait ; dans
cette optique, certains sons peuvent être
considérés comme de la musique, même s’il
est très difficile de savoir jusqu’où remonter
dans l’histoire lorsqu’il s’agit de faire un son
à des fins pratiques, que ce soit pour calmer
les dieux, consoler un nourrisson ou apai-
ser une âme » souligne Ariane Thomas. Les
fouilles archéologiques ont permis de décou-
vrir pour l’Orient ancien dès l’époque pré-
historique un grand nombre d’instruments
clairement identifiés que ce soient des ...
95
Culture Bible / Exposition / Lens

... flûtes taillées dans l’os, des grelots… la tête en bas au Louvre à la manière d’une
Les collections égyptiennes sont celles qui harpe moderne ! Bien d’autres instruments
présentent les instruments les mieux préser- antiques tels des luths, lyres, cithares ou
vés. Certains peuvent même encore sonner, encore des aulos ou syrinx, sont exposés
et l’exposition propose d’entendre avec ou représentés sur divers supports, ta-
curiosité ces restitutions de sons à partir de blettes, papyrus, sarcophages, poèmes ou
modélisations 3D. Ainsi, une harpe, trigone autres objets.
ou angulaire, l’une des mieux conservées
au monde, impressionnante par sa taille, Musique et sacré,
donne une idée de ce que pouvait être un deux notions confondues
instrument d’époque. Cet objet célèbre issu La musique antique est avant tout sacrée,
des collections de Champollion a servi de elle est l’oreille des dieux ! En Orient, des
modèle aux peintres orientalistes avec cette légendes montrent qu’elle est un don di-
anecdote selon laquelle ces derniers l’ont vin, tel le dieu des eaux qui donne la vie et
reproduite à l’envers, car elle était exposée invente la musique et le statut des musi-
ciens. Certains instruments sont considérés
comme divins en ce qu’ils communiquent
avec les divinités, comme « cette fameuse
stèle de la musique présentée, datant du
IIIe millénaire et qui évoque une cérémo-
nie avec son cortège de dignitaires et de
musiciens et une lyre ornée d’un taureau.
Des textes contemporains de cette stèle
évoquent cet instrument dont on a retrouvé
des exemplaires et dont un est visible avec
une tête de taureau authentique sur une lyre
reconstituée » indique Ariane Thomas. Un
exemple de correspondances entre la stèle,
l’instrument antique et les textes. En Égypte,
on fait aussi du bruit, mélodieux ou pas, pour
attirer la bienveillance des dieux. Que ce soit
pour la Grèce ou pour Rome, « la plupart des
éléments importants de la vie avaient trait au
domaine sacré » souligne Violaine Jeammet,
co-commissaire pour la partie Grèce et
Rome. « Pour le monde romain, nous avons
la chance d’avoir des fresques et des mo-
saïques ainsi que des reliefs de sarcophage
pour ces représentations musicales » ajoute-
t-elle, notamment le sarcophage de Iulia
Tyrania, datant de la fin du IIe siècle et du dé-
but du IIIe et trouvé à Arles. Qu’il s’agisse de

Trompette
Bactriane, Margiane (Asie centrale),
2200-1700 av. J.-C., argent.
Paris, musée du Louvre.
© Musée du Louvre, dist. RMN-GP/Thierry Ollivier.
Service presse/Musée du Louvre-Lensiècle

96 ● Le Monde de la Bible ● 222


la vie sacerdotale, politique ou quotidienne,
les étapes étaient réglées par des événe-
ments religieux eux-mêmes indissociables
de la musique. Les cérémonies publiques se
faisaient en musique tout en présentant un
caractère religieux. Il n’y a pas de musique
décorative et de divertissement. Il est donc
extrêmement difficile de distinguer fonction
religieuse et politique dans l’Antiquité et la
musique demeure sacrée.

Bible et musique
L’exposition aborde, enfin, la manière dont
les pratiques musicales et les instruments
ont pu se diffuser à la fois vers l’ouest, la
Grèce, l’Égypte, puis Rome mais aussi vers
l’Asie centrale et la Chine. Une part impor-
tante est consacrée à la place de la musique
dans la Bible avec un fort héritage venant des
traditions musicales du Proche-Orient. La
figure de David chantant les psaumes évoque
la manière dont les rois en Orient se vantaient
d’être des praticiens de la musique au ser-
vice des dieux. Certaines différences peuvent
être notées, et tel instrument est dans la Bible
plutôt joué par des hommes alors qu’à
l’inverse les déplorations en Orient sont la
plupart du temps faites par des pleureuses.
Mais « ces types de musiques comme les
lamentations et les psaumes peuvent se
rapprocher de certaines traditions que l’on
a retrouvées en Orient antique » relève pour
conclure Ariane Thomas. ●

Fragment de sarcophage attique :


jeunes filles au luth
Athènes, début du IIIe siècle,
marbre. Paris, musée du Louvre.
© Musée du Louvre, dist. RMN-GP/Hervé Lewandowski.
Service presse/Musée du Louvre-Lensiècle

MUSIQUES ! ÉCHOS DE L’ANTIQUITÉ


➤ Du 13 septembre 2017 au 15 janvier 2018
Louvre-Lens,
99, rue Paul Bert 62300 Lens
www.louvrelens.fr

97
Culture Bible / Exposition / Paray-le-Monial

Spiritualité
des papiers roulés
Bouquet, clarisses du Puy-en-Velay
Fin XVIIe siècle, os, papier, tissu, carton, verre, bois,
47 x 45 x 10 cm. Association Trésors de ferveur.
© Jean-Pierre Gobillot.

collection présentée au musée du Hiéron, à


Paray-le-Monial. La production reprit après
la Révolution mais moins talentueuse, selon
l’avis des collectionneurs. Le XVIIe siècle,
qui vit pleinement les recommandations
du concile de Trente, est créatif : la matière
des supports est variée tout comme les
motifs. S’inspirant de grands spirituels, tels
que saint Ignace préconisant de « chercher
et trouver Dieu en toutes choses », les reli-
gieuses expriment en papier roulé « tout ce
qui dilate le cœur et incite à la prière person-
nelle », comme le souligne Nicole Courtine,

S
Par Benoît de Sagazan ous le règne de Louis XIII (1610-1643) spécialiste du sujet. Roses du jardin, semis
et d’Anne d’Autriche apparaît un nou- de pâquerettes, jacinthes… tout dit les
veau type de reliquaires. Fabriqués splendeurs de Dieu.
par des religieuses cloîtrées, ces tableaux L’image centrale évoque généralement le
sous verre apparaissent comme un jeu de saint ou, selon une spiritualité très en vogue
papiers roulés, souvent à motifs floraux. dans les couvents, l’amour du Christ et la
Cette décoration particulière accompagne la contemplation de sa Passion. S’en suivent
relique d’un saint, un fragment d’os ou de alors des images renvoyant à la vénération
tissus lui ayant appartenu. des plaies de Jésus ou de son cœur blessé.
Ces tableaux reliquaires servaient de sup- La dévotion au Sacré-Cœur se développera
port à la piété domestique aux cours des particulièrement en France à la suite des
XVIIe et XVIIIe siècles, pour les objets de la visions de sœur Marguerite-Marie Alacoque,
visitandine à Paray-le-Monial au XVIIe siècle.
Depuis 1997, l’association Trésors de fer-
veur collecte ces objets de piété domes-
RELIQUAIRES EN PAPIER ROULÉ (XVIIE-XVIIIE SIÈCLES) tique afin de les étudier, les restaurer et
DES TRÉSORS DE FERVEUR les exposer. Ceux qui sont présentés au
➤ Jusqu’au 8 octobre 2017, musée du Hiéron musée du Hiéron figurent parmi les plus élo-
13, rue de la Paix, 71600 Paray-le-Monial quents, parfois les plus étonnants, souvent
Tél. : 03 85 81 79 72 – www.musee-hieron.fr les plus charmants. ●

98 ● Le Monde de la Bible ● 222


L‘Univers du Monde de la Bible
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Culture Bible / Exposition / Hauts-de-France

L’art italien
des Hauts-de-France
Depuis mars 2017, les Hauts-de-France vibrent au son de la maniera
transalpine. Dix-huit expositions, rassemblées sous le titre « Heures italiennes »,
invitent à découvrir l’art de la péninsule du XIVe siècle au XVIIIe siècle au
travers des collections de treize musées et de onze églises de la région.

I
Par Gabrielle nspiré par Henry James (1843-1916), l’évé- Considérée comme le fondement de toute
Lemonnier nement emprunte son titre à un recueil où collection digne de ce nom, la peinture ita-
l’auteur décrit les monuments et les artistes lienne orne dès l’Ancien Régime les murs des
de la péninsule avec autant de fascination châteaux des princes de Condé, Henri II de
que de pertinence. Né en 2013 alors que les Bourbon (1588-1646) et plus encore son fils,
musées de Picardie finalisaient l’inventaire de Louis II de Bourbon-Condé (1621-1686), dit
leurs tableaux italiens à l’instigation de l’Insti- le Grand Condé. Comme l’explique Nathalie
tut national d’histoire de l’art (INHA), le projet Volle, commissaire scientifique des expo-
« Heures italiennes » s’est étoffé avec la fusion sitions : « La Picardie est un territoire où l’art
en 2016 de la Picardie et du Nord-Pas-de- italien a toujours été tenu en grande consi-
Calais. Cette nouvelle envergure a donné dération et recherché des mécènes et des
naissance à quatre expositions magistrales, amateurs. » Au XIXe siècle, cette tradition se
qui se sont tenues au premier semestre 2017 poursuit : Henri d’Orléans, duc d’Aumale
à Amiens, Beauvais, Chantilly et Compiègne, (1822-1897), possédait près d’une cen-
assorties de quatorze expositions satellites, taine de tableaux de la péninsule, dont trois
tout aussi riches et pertinentes, pour cer- Raphaël, trois Fra Angelico et de nombreux
taines visibles jusqu’en 2018. Carrache de la collection Farnèse. À Chaalis,
Nélie Jacquemart-André (1841-1912) pou-
Une terre de collectionneurs vait s’enorgueillir de pièces uniques dont
Mettant en valeur le précieux patrimoine ita- deux rarissimes Giotto (Saint Étienne et Saint
lien conservé dans les Hauts-de-France, ces Jean) ; il en est de même à Amiens autour des
manifestations révèlent aussi le goût très pré- trois frères Lavalard, à Compiègne avec
coce des connaisseurs locaux pour cet art. Antoine Vivenel (1799-1862) ou à La Fère,
dans le sillon de la comtesse Gabrielle
d’Héricourt (1796-1875).
Par ailleurs, à titre de dépôt, des œuvres ma-
HEURES ITALIENNES
jeures du Louvre sont alors envoyées dans
➤ Jusqu’en décembre 2017 les musées de province, comme en 1872
dans plusieurs musées et établissements l’Adam et Ève épiés par Satan de Francesco
des Hauts-de-France www.heuresitaliennes.com Solimena ou en 1893, le Suzanne et ...
100 ● Le Monde de la Bible ● 222
Saint Jérôme lisant
Geminiano di Bongiovanni Benzoni, vers 1490, huile sur bois transposé sur toile, 64,5 x 49 cm. Fontaine-Chaalis, abbaye royale de Chaalis,
Musée Jacquemart-André. Amiens, musée de Picardie. © Studio Sébert-Institut de France, Abbaye Royale de Chaalis

101
Culture Bible / Exposition / Hauts-de-France

... les vieillards de Giovanni Martinelli. teur des antiquités et objets d’art dans l’Aisne.
« La dispersion des collections Campana en Outre ces découvertes majeures, « Heures
1863 et La Caze en 1869 complète cette italiennes » a conduit à d’importantes cam-
politique et enrichit le musée Vivenel d’une pagnes de restaurations et d’attribution des
Vierge à l’Enfant de l’entourage du Pérugin œuvres à une période, une école, voire à un
et le musée de Picardie d’un beau nocturne artiste. « L’une de nos plus belles surprises,
caravagesque, Saint Sébastien soigné par les qui ouvre la première section sur les carava-
saintes femmes de Francesco Rustici » sou- gesques à Beauvais, est une Madeleine trou-
ligne Nathalie Volle. vée dans les réserves du musée de Senlis.
C’est une belle interprétation, peut-être fran-
Révélations religieuses çaise, de l’original perdu de Caravage. […]
Parmi les quelque 230 toiles exposées, la Elle était jusqu’à présent impossible à iden-
peinture religieuse occupe une place de choix. tifier à cause des altérations et des épaisses
Les églises des Hauts-de-France regorgent couches de chanci qui la recouvrait avant sa
de trésors : provenant de l’Aisne, de l’Oise restauration » précise Nathalie Volle.
et de la Somme, une quinzaine de tableaux, Pour clôturer cette douce saison, le Louvre-
dispersés dans les différentes manifestations, Lens propose, dans l’espace du Pavillon de
sont de véritables chefs-d’œuvre méconnus. verre, un florilège d’œuvres picardes par le
« Si les églises de la Somme peuvent réser- biais de quatre thématiques : le caravagisme ;
ver bien des surprises, comme l’important les récits bibliques et mythologiques ; la tra-
retable Mort de sainte Julienne Falconieri de gédie du paysage ; les figures de la maniera
Francesco Perezzoli (1661-1722) de la cathé- (Sainte Famille et Charité). Séance de rattra-
drale d’Amiens ou l’intrigante Descente de page des expositions manquées ou pour-
Croix ombrienne du XVIe siècle à Fontaine-sur- suite d’un voyage qui l’a mené des primitifs
Somme, c’est dans le nord de l’Aisne et dans au rococo, le visiteur y découvrira la quintes-
le sud de l’Oise que ce patrimoine est le plus sence italienne des collections publiques des
abondant », insiste Florence Ferté, conserva- Hauts-de-France. l

MANIFESTATIONS DE SEPTEMBRE À DÉCEMBRE 2017


Beauvais Le naturalisme et le baroque au XVIIe siècle, jusqu’au 17 septembre,
au MUDO-Musée de l’Oise, 1 rue du Musée, 60000 Beauvais – www.mudo.oise.fr
Chaalis De Paris à Chaalis, les tableaux de Nélie Jacquemart, jusqu’au 17 septembre,
à l’abbaye royale de Chaalis, 60300 Fontaine-Chaalis – www.chaalis.fr
La Fère Secondes italiennes. La peinture italienne au musée Jeanne-d’Aboville, jusqu’au 24 septembre,
au musée Jeanne-d’Aboville, 5 rue du Général-de-Gaulle, 02800 La Fère – www.picardie-muses.fr/
musees/musee-jeanne-d-aboville-la-fere
Senlis L’art du multiple : copier Caravage, Madeleine en extase, du 9 septembre au 4 janvier 2018,
au musée d’art et d’archéologie, place Notre-Dame, 60300 Senlis – www.musees-senlis.fr
Amiens Dessins, estampes et enluminures italiennes de la bibliothèque et du musée de Picardie,
du 4 octobre au 6 janvier 2018, à la Bibliothèque Louis-Aragon, 50 rue de la République,
80000 Amiens – www.bibliotheques.amiens.fr
Lens Peintures italiennes des Hauts-de-France (XVIe-XVIIIe siècle). Dialogues et correspondances,
à partir du 18 octobre, au musée du Louvre-Lens, 99 rue Paul-Bert, 62300 Lens – www.louvre.lens.fr
Soissons La grande bouffe. La peinture comique autour du « repas Bachique » de Niccolò Frangipane,
du 28 octobre 2017 au 11 mars 2018, au musée Saint-Léger, 2 rue de la Congrégation,
02200 Soissons – www.picardie-muses.fr/musees/ancienne-abbaye-saint-leger

102 l Le Monde de la Bible l 222


Madone de Lorette
Raphaël, 1509, huile sur bois, 120 x 90 cm. Chantilly, musée Condé.
© RMN-Grand Palais (Domaine de Chantilly)/Harry Bréjat/SP

103
Culture Bible / Expositions / Agenda

À voir de septembre à février

EL GRECO. L’IMMACULÉE BOÎTES À TRÉSORS, retrouver l’Europe. Pendant que


CONCEPTION DE LA RELIQUAIRES DE LA Guimet collecte des informations
CHAPELLE OBALLE COLLECTION TERRISSE et des objets pour le musée des
Jusqu’au 1er octobre 2017 Jusqu’au 29 décembre 2017 religions qu’il prépare, Régamey
au musée Paul Valéry à Sète au musée d’art et d’archéologie dessine des esquisses…
Grâce au prêt exceptionnel d’Aurillac lire plus > guimet.fr
du musée de Santa Cruz de Exposition inédite de la collection
Tolède, où elle est conservée de l’abbé Terrisse, constituée de MUSIQUES ! ÉCHOS
depuis 1961, L’Immaculée reliquaires « à paperoles » ainsi DE L’ANTIQUITÉ
conception de la chapelle Oballe, que divers objets de piété et Du 13 septembre 2017
chef-d’œuvre de la dernière d’accessoires liturgiques. au 15 janvier 2018 au Louvre-Lens
période tolédane du Greco lire plus > aurillac.fr Première exposition consacrée
(1541-1614), est exposée pour à la musique dans les grandes
la première fois en France. Des HEURES ITALIENNES civilisations de la Méditerranée
conditions muséographiques et Jusqu’au 31 décembre 2017 antique, de Rome à la
scénographiques particulières dans les musées des Hauts-de-France Mésopotamie en passant par la
ont été réunies afin d’offrir aux Exploration inédite des collections Grèce et l’Égypte (lire p. 94-97).
visiteurs une occasion unique de publiques de peinture italienne lire plus > louvrelens.fr
voir et de comprendre l’œuvre. conservées dans les musées et
lire plus > museepaulvalery-sete.fr dans les églises des Hauts-de- CHRÉTIENS D’ORIENT.
France (lire p. 100-103). DEUX MILLE ANS D’HISTOIRE
RELIQUAIRES EN PAPIER lire plus > heuresitaliennes.com Du 26 septembre 2017 au 14 janvier
ROULÉ (XVIIE-XVIIIE SIÈCLES). 2018 à l’Institut du monde arabe à Paris
DES TRÉSORS DE FERVEUR HÉRITAGE INESPÉRÉ, L’exposition éclaire l’histoire
Jusqu’au 8 octobre 2017 UNE DÉCOUVERTE d’une communauté plurielle et
au Musée du Hiéron ARCHÉOLOGIQUE EN ALSACE son rôle majeur au Proche-Orient,
à Paray-le-Monial Jusqu’au 28 janvier 2018 aux plans tant politique et culturel
La plus belle collection française au musée d’art et d’histoire que social et religieux
de reliquaires (lire p. 98). du Judaïsme à Paris (lire p. 24-31).
lire plus > musee-hieron.fr La découverte en Alsace d’une lire plus > imarabe.org
genizah dans une synagogue
FAIRE LE MUR ? désaffectée, révèle les liens entre LE FABULEUX DESTIN
LE MONUMENT DE culture juive, son intégration DES TABLEAUX DES ABBÉS
LA RÉFORME A 100 ANS ! à la culture alsacienne et les DESJARDINS
Jusqu’au 29 octobre 2017 nombreux échanges qui en ont Du 13 octobre 2017 au 28 janvier 2018
à la Maison Tavel à Genève découlé (lire MdB n° 221). au musée des Beaux-Arts de Rennes
Souhaitant rappeler par un lire plus > mahj.org Cette exposition souligne en 2017
monument ce qu’elle doit à la le bicentenaire de l’arrivée au
Réforme, Genève lance en 1908 ENQUÊTES VAGABONDES, Canada de tableaux initialement
un concours international. Plus LE VOYAGE ILLUSTRÉ exécutés pour les églises de Paris
de 125 pièces rassemblées à D’ÉMILE GUIMET EN ASIE durant les XVIIe et XVIIIe siècles
la Maison Tavel retracent dans Du 18 octobre 2017 au 26 février 2018 par des peintres renommés, saisis
cette exposition la genèse et au musée national des arts asiatiques- lors de la Révolution française,
la construction du monument Guimet à Paris puis rassemblés par l’homme
international de la Réformation, Émile Guimet et le peintre Félix d’Église Philippe-Jean-Louis
plus communément appelé « Mur Régamey entament vers 1876 un Desjardins afin d’être expédiés à
des Réformateurs ». long périple qui va les conduire Québec pour être vendus dans les
lire plus > institutions.ville-geneve. au Japon, en Chine, en Asie du communautés religieuses.
ch/fr/mah Sud-Est… puis en Inde avant de lire plus > mba.rennes.fr

104 l Le Monde de la Bible l 222


L’ÉGYPTE PHOTOGRAPHIÉE
Jusqu’au 24 septembre
au musée des Beaux-Arts de Caen
Maxime Du Camp est
missionné par le ministère de
l’Instruction pour réaliser le relevé
photographique des monuments
antiques d’Égypte. Au cours de
l’hiver 1849-1850, il entreprend le
voyage avec Gustave Flaubert et
Jean-Charles Langlois.
Les quelque deux cents clichés
de Du Camp constituent
le premier livre de l’histoire
de la photographie.
lire plus > mba.caen.fr

EN LICES ! DIVINS
ORNEMENTS
Du 7 octobre 2017 au 7 janvier 2018
au palais du Tau à Reims
Le palais du Tau, ancien palais
de l’archevêque de Reims, Le Massacre des Innocents Nicolas Poussin, vers 1627-1628, huile sur toile,
conserve un exceptionnel 147 x 171 cm. Chantilly, musée Condé. © RMN - Grand Palais - Michel Urtado
ensemble de textiles constitué
de tapisseries, broderies et France Chantilly
vêtements provenant du trésor de
la cathédrale et qui participaient Le massacre des innocents
de la pompe des cérémonies et
temps liturgiques, y compris lors Le Massacre des Innocents, chef-d’œuvre réalisé par Nicolas Poussin
du sacre du roi de France. vers 1627-1628, jouit d’une grande postérité. Dans cette exposition, il est
lire plus > palais-du-tau.fr confronté à l’interprétation du thème par des maîtres du XVIIe au XXe siècle.
Poussin lui-même avait osé un traitement nouveau pour ce thème, puisé
FRANÇOIS IER dans l’évangile de Matthieu, qui illustre, peu après la naissance de Jésus,
ET LA FLANDRE l’exécution ordonnée par le roi Hérode de tous les enfants de moins de
Du 18 octobre 2017 au 15 janvier deux ans de la région de Bethléem. Lors de sa présentation, l’œuvre y avait
2018, Hall Napoléon du musée du fait sensation, notamment pas la démonstration puissante de la violence du
Louvre à Paris bourreau opposée à la douleur de la mère.
La Renaissance en France n’a Une cinquantaine d’œuvres révèle sa postérité aux cours des siècles sui-
pas été seulement influencée par vants : de Guido Reni, au XVIIe siècle, à Pablo Picasso, au XXe siècle, en
l’Italie. Les acquisitions réalisées passant par Léon Cogniet (XIXe siècle), Francis Bacon (XXe siècle) ou des
par François Ier aux Pays-Bas artistes contemporains, tels Henri Cueco ou Jean-Michel Alberola…
révèlent un art flamand florissant lire plus > domainedechantilly.com
qui a inspiré de nombreux
ateliers français d’enluminures, ➤ Du 11 septembre 2017 au 7 janvier 2018,
de peintures, de vitrail ou de salle du Jeu de Paume du domaine de Chantilly
sculptures, dont l’art religieux
a particulièrement profité.
lire plus > louvre.fr
@ Calendrier régulièrement actualisé sur
www.mondedelabible.com

105
Culture Bible / La Bible des peintres

La Vision
après le sermon
par Paul Gauguin
F
Par Régis Burnet ait rare dans l’iconographie, La Vision (1435, Louvre). Le chancelier, agenouillé
Professeur à l’université après le sermon ne représente pas sur un prie-Dieu devant un livre d’hymnes
de Louvain-La-Neuve un épisode biblique, mais l’impact à la Vierge, voit apparaître la Mère de Dieu
(Belgique) qu’il a sur les fidèles. En effet, au cours et l’Enfant Jésus qui le bénit.
d’un « pardon », l’un de ces pèlerinages
organisés en Bretagne, comme le sug- Une hallucination collective
gère le groupe des femmes agenouillées Dans le tableau de Gauguin l’effet est
en plein air, un sermon très vigoureux radicalement différent puisque le peintre
semble engendrer une vision collective. ne met pas en avant la piété d’un per-
Celle-ci prend place dans la nature, en un sonnage puissant, mais un groupe de
espace soigneusement clos par un arbre femmes que le XIXe siècle considérait
qui occupe une diagonale de l’œuvre. Au comme « crédules », « influençables » et,
fond coule une rivière qui est tout à la fois après les travaux de Jean-Martin Charcot
bretonne et biblique, puisqu’elle rappelle le à la Salpêtrière alors au sommet de sa
gué du Yabboq auprès duquel se déroule gloire, « hystériques ». Gauguin lui-même
de combat qui oppose Jacob à l’ange. confirme cette lecture en parlant d’une
Par ce dispositif, Gauguin renoue, peut- « hallucination » dans une lettre adressée
être sans le savoir, avec l’un des plus fa- à Vincent van Gogh évoquant le tableau.
meux tableaux de l’art flamand : La Vierge Par cette vision, Gauguin rompt avec
du chancelier Rolin de Jan van Eyck la volonté de représenter la nature des
impressionnistes, mais aussi avec l’ico-
nographie religieuse. Cette œuvre ouvre
la voie à une utilisation beaucoup plus dis-
À LIRE tanciée des motifs bibliques traditionnels
➤ Gauguin qui annonce le XXe siècle. ●
Françoise Cachin, éd. Taschen, 2017.
➤ Gauguin et l’École de Pont-Aven
André Cariou, éd. Hazan, 2015. La Vision après le sermon
➤ « The Origin of Paul Gauguin’s Vision after the Sermon : Paul Gauguin, 1888, huile sur toile, 73 x 92 cm.
Jacob Wrestling with the Angel (1888) » Édimbourg, National Gallery of Scotland.
Mathew Herban III, The Art Bulletin 59, 1977, p. 415-420. © Luisa Ricciarini/Leemage

106 ● Le Monde de la Bible ● 222


107
Culture Bible / La Bible des peintres

L’auteur
Après une vie
aventureuse
3 1
commencée à
Lima, au Pérou, et
4
poursuivie comme
marin puis agent de
change, Paul Gauguin
(1848-1903) décida
d’abandonner femme
et enfants pour
devenir peintre en
1882 et se rapprocha
de l’impressionnisme.
Quatre ans plus tard,
il se rend à Pont- 2
Aven, où il subit
l’influence d’Émile
Bernard (1868-
1941) et s’oriente
vers une manière
plus symbolique
aux formes 1… UN VIOLENT CORPS À CORPS
dépouillées nommée
« cloisonnisme » ou La lutte de Jacob et de l’ange est la pièce la plus traditionnelle de la composition
« synthétisme ». Fin puisqu’elle reprend le corps à corps des enluminures médiévales dans lesquels l’ange
1888, il est à Arles avait aussi les ailes déployées. Émile Bernard, vingt ans après la réalisation du tableau,
et collabore avec dans un article du Mercure de France, évoque quant à lui une influence des scènes de
van Gogh, mais la lutte japonaises présentes dans la Manga (le carnet de dessins) du japonais Hokusai
cohabitation devient (1760-1849). La lutte est violente et la prise de l’ange est vicieuse, puisqu’il saisit à la
vite houleuse. En fois le cou et la hanche du patriarche, ce qui laisse penser que l’on assiste à la dernière
1891, ruiné, il part passe du combat, celle qui blesse Jacob à vie.
pour Tahiti puis les
Marquises où son art
connaît une ultime
métamorphose : la
palette est toujours
plus colorée,
les formes plus
simples, les sujets,
majoritairement des
femmes, magnifient
l’exotisme de
la Polynésie.

108 ● Le Monde de la Bible ● 222


2… LE GROUPE AMBIGU DES SPECTATRICES
Les femmes venues écouter le sermon sont présentées à genoux, les mains jointes ou croisées sur leur robe. Elles portent
toutes le costume traditionnel et la petite coiffe (la koef vihan), un bonnet cylindrique, une sorte de toque cerclée d’un ruban,
directement posée sur les cheveux. Avec leur robe noire, leur tablier bleu et leur coiffe blanche, elles forment un groupe
sévère, qui tranche avec le pré, peint d’un rouge éclatant parfaitement arbitraire.
Le portrait de ces paysannes est un peu à charge, car plusieurs femmes sont présentées de profil ou carrément renfro-
gnées comme celle qui nous fait face. La femme du premier plan a un profil ingrat, osseux et sec. Celle qui se trouve
derrière, à gauche, semble plongée dans ses prières ; mais, avec ses lèvres pulpeuses et son petit sourire satisfait, on ne
sait pas si elle est abîmée dans une vision mystique ou si elle se réjouit de ce que lui évoque la vision.
Quel sens donner en effet à cette scène de deux hommes vigoureux engagés dans un assaut au corps à corps devant un
groupe de femmes jeunes ? Le folkloriste Anatole le Braz (1859-1926) raconte qu’au cours des pardons, les jeunes gens
s’affrontaient en un combat nommé « lutte bretonne » et que ce spectacle donnait des idées de mariage à plus d’une…
Le personnage de droite a toujours été une énigme. En effet, il ne semble pas porter de coiffe. Certains y ont vu le portrait
du curé de Pont-Aven, l’auteur du sermon qui fit une si vive impression sur ces dames ; d’autres un « donateur » qui ferait
pendant, comme dans les peintures du Moyen Âge, à la femme de profil à gauche.

Le contexte historique
Au cours de deux séjours à Pont-Aven en 1886 et 1888, tisme », du nom d’une exposition de 1889, car il voulait
qui était alors le haut lieu où se rencontraient les artistes, synthétiser des lignes épurées et des couleurs vives avec
Gauguin fréquente Émile Bernard et Louis Anquetin ; il un certain réalisme pourtant modifié par le sentiment de
invente avec eux le « cloisonnisme », une peinture ins- l’artiste sur un sujet. La Vision après le sermon ou Le
pirée de l’art des vitraux et des estampes japonaises Christ vert de Gauguin sont typiques de cette démarche,
qui, en précurseur de la bande dessinée, compose les que le peintre décrit dans une célèbre lettre écrite à cette
figures par grands aplats de couleur entourés de lignes époque : « ne copiez pas trop d’après nature, l’art est
sombres. Ce mouvement a été aussi nommé « synthé- une abstraction, tirez-la de la nature en rêvant devant ».

109
Culture Bible / La Bible des peintres

3… UNE VACHE BIEN MYSTÉRIEUSE


Que vient faire cette vache dans le tableau ? Plusieurs explications peuvent être
apportées. On peut tout d’abord imaginer que ce détail bucolique campe la scène
dans une campagne bretonne et donne une touche de couleur locale qui s’ajoute
aux coiffes des paysannes. On peut ensuite remarquer qu’elle réalise une sorte
de contrepoint à la vigueur du combat présenté sur la partie droite. Alors que le
groupe des femmes est massif et figé, on a l’impression que la vache est joyeuse
et qu’elle agite la tête et les pattes avec contentement comme si elle gambadait.
On peut y voir une touche d’humour du peintre : animal placide par excellence,
c’est la plus dynamique du groupe des spectatrices ! Enfin, il ne faut pas oublier
que les pardons sont aussi le moment de la bénédiction des troupeaux et des
récoltes, espérance d’une fertilité dont la vache nourricière est le symbole.

L’histoire de la représentation
L’œuvre de Gauguin est unique dans l’histoire de la revient véritablement à la mode à la fin du XIXe siècle
représentation, car le combat de Jacob avec l’ange avec le chef-d’œuvre de Delacroix à Saint-Sulpice
n’est jamais composé avec des spectateurs. C’est (1849-1861), une gravure de Gustave Doré (1855) ou
habituellement une scène située dans un paysage une eau-forte de Léon Bonnat – qui fut le maître de
censé figurer le gué du Yabboq. Elle se retrouve sur les plusieurs des peintres de Pont-Aven – ainsi que chez
chapiteaux à Vézelay (XIe siècle), à Monreale en Sicile le peintre d’histoire Alexandre-Louis Leloir (1865). Il a
(XIIe siècle) ou dans les médaillons de l’ébrasement en effet des composantes psychologiques : Delacroix
du portail de Saint-Jean de Lyon (XIVe siècle). Le sujet voit dans la lutte avec l’ange celle de l’artiste avec
est plutôt rare jusqu’au XVIIe siècle, où Rembrandt sa création. Après Gauguin, il continuera de fasciner
réalise un fameux pastel montrant Jacob et l’ange Odilon Redon (1907) ou Maurice Denis (1893). En
engagés dans un corps à corps qui ressemble à une 1940, Jacob Epstein sculpte dans l’albâtre un Jacob
étreinte et où le Lorrain peint les deux lutteurs per- épuisé, entièrement nu, soutenu par un ange qui
dus au milieu d’une campagne verdoyante. Le thème semble l’embrasser.

110 l Le Monde de la Bible l 222


4… UNE COMPOSITION AUDACIEUSE INSPIRÉE DU JAPON
Depuis l’exposition universelle de 1867, qui vit venir une délégation du Japon à Paris, l’estampe japonaise (l’ukiyo-e) est à
la mode. Des peintres, comme Monet, en collectionnent et Théo van Gogh, le frère de Vincent, en vend. Gauguin s’inspire
très clairement de ces images en rompant radicalement avec la perspective occidentale. Il supprime toute profondeur
de champ en appliquant un vermillon pur uniforme imité du coloris des estampes. Sur la surface ainsi créée, il peut faire
cohabiter, selon l’exemple japonais, deux échelles de grandeur et deux espaces différents, séparés par l’oblique du tronc
d’un pommier. Le modèle est peut-être la célébrissime estampe d’Hiroshige (1797-1858), Pruniers en fleurs que repro-
duisit Vincent van Gogh, elle aussi barrée par un tronc d’arbre. Le traitement de la rivière, sur le bord supérieur droit du
tableau évoque également l’art des estampes. Non seulement elle sert à « fermer » l’image à la manière d’Hokusai, mais elle
présente des similitudes de traitement : l’eau n’y est pas peinte comme un flot continu, mais morcelée, en écailles.

LA SOURCE
Cette même nuit, il se leva, prit ses deux femmes, – « Jacob », répondit-il. Il reprit : « On ne t’appellera
ses deux servantes, ses onze enfants et passa le plus Jacob, mais Israël, car tu as été fort contre
gué du Yabboq. Il les prit et leur fit passer le torrent, Dieu et contre tous les hommes et tu l’as emporté ».
et il fit passer aussi tout ce qu’il possédait. Et Jacob fit cette demande : « Révèle-moi ton nom,
Jacob resta seul. Quelqu’un lutta avec lui jusqu’au je te prie », mais il répondit : « Et pourquoi me
lever de l’aurore. Voyant qu’il ne le maîtrisait pas, il demandes-tu mon nom ? » et, là même, il le bénit.
le frappa à l’emboîture de la hanche, et la hanche Jacob donna à cet endroit le nom de Penuel, car,
de Jacob se démit pendant qu’il luttait avec lui. dit-il, j’ai vu Dieu face à face et j’ai eu la vie sauve.
Il dit : « Lâche-moi, car l’aurore est levée », mais Au lever du soleil, il avait passé Penuel et il boitait
Jacob répondit : « Je ne te lâcherai pas, que tu ne de la hanche.
m’aies béni ». Il lui demanda : « Quel est ton nom ? » Genèse 32,23-32.

111
Portfolio

Au musée
départemental
Maurice Denis
à Saint-Germain-en-Laye
➤ Musée départemental Maurice Denis
2 bis, rue Maurice Denis
78100 Saint-Germain-en-Laye
Tél. : 01 39 07 87 87
www.musee-mauricedenis.fr

112 ● Le Monde de la Bible ● 222


Le Prieuré vu du jardin © Musée départemental Maurice Denis

La chapelle du Prieuré © D. R.

Situé sur le versant ensoleillé de la colline de Saint-Germain-en-Laye,


dans les Yvelines, le musée départemental Maurice Denis est installé dans
la demeure du peintre, appelée le « Prieuré » par son propriétaire, mais
qui à l’origine était un ancien hôpital du XVIIe siècle. Depuis 2002, il porte
le label « musée de France ».
Marie-Aline Charier, sa directrice, et Fabienne Stahl, docteur en histoire
de l’art spécialiste de Maurice Denis, nous confient l’histoire de ce site
exceptionnel et de ses collections regroupant des œuvres de l’artiste
et de ses amis nabis et symbolistes. Une dizaine d’œuvres sont ensuite
présentées et expliquées, témoins du travail de l’artiste et de la richesse
des collections d’un musée qui mérite d’être davantage connu.

Les notices de ce portfoLio ont été rédigées par chantaL ducher et fabienne stahL

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Portfolio / musée Maurice Denis

Maurice Denis et ses amis


nabis en son Prieuré
Dans cette imposante demeure de Maurice Denis (1870-1943), le visiteur
découvre une collection originale. Rencontre avec Marie-Aline Charier, directrice
du musée, et Fabienne Stahl, chargée de la valorisation des collections.

Propos recueillis Le Monde de la Bible : Quelle histoire abritent Bernadette, occupera les lieux et les trans-
par Benoît de Sagazan les murs épais de cette imposante bâtisse ? formera en 1947 en institut médico-péda-
Marie-Aline Charier : Il s’agit d’un bâtiment de gogique qui accueillera une cinquantaine
caractère, édifié à la fin du XVIIe siècle à flanc d’enfants « anormaux », comme cela se dit à
de colline et qui surplombe le vallon du ru de l’époque. L’institut, connu sous le nom « Les
Buzot. À l’origine, il fut construit à l’initiative de Grillons », a fonctionné jusqu’au début des
Madame de Montespan pour être un hôpi- années 1970. C’est à cette époque que les
tal général royal. Nous ne voyons aujourd’hui héritiers du peintre songent à une donation
que la moitié du projet de construction, la à l’État ou à une instance publique.
seconde partie n’ayant jamais été réalisée. M.-A. C. : Effectivement, la famille souhaite
Quand Maurice Denis acquiert le domaine en alors céder le bâtiment au département des
1914, celui-ci est plus ou moins abandonné. Yvelines contre la promesse d’y créer un
Fabienne Stahl : C’est Maurice Denis qui re- musée à la mémoire du peintre. Les héritiers
baptisa le domaine le « Prieuré ». Depuis son donneront également le fonds d’atelier de
enfance, l’artiste est fasciné par le bâtiment. l’artiste. D’importants travaux d’aménage-
Il le connaît bien car il a toujours vécu dans la ment sont réalisés par le département avant
ville, souvent près de l’ancien hôpital, malgré l’ouverture du musée en 1980.
sa naissance à Granville. En 1910, il obtient
du curé la permission de peindre dans une MdB : De quoi se composait le fonds d’ate-
salle annexe de la chapelle. En 1912, il a l’au- lier de Maurice Denis ?
torisation de construire un grand atelier dans F. S. : En réalité il y a eu deux donations
le parc, où il prépare le décor du plafond du simultanées. La première partie de la col-
théâtre des Champs-Élysées. Toute sa vie il lection vient de l’indivision, soit plus de
reste attaché à cette propriété. Même à la fin, 1 400 œuvres provenant de l’atelier. Cela
alors que l’argent manque pour l’entretenir comprenait des travaux préparatoires
et que ses enfants sont partis, il ne peut se pour les grands décors, des maquettes,
résoudre à la vendre. des cartons de vitraux, des esquisses…
Conjointement, les huit enfants de l’artiste
MdB : Comment le Prieuré est-il devenu un ont donné à leur tour des œuvres, les plus
musée ? historiques, en leur possession.
F. S. : Après la mort accidentelle de Maurice M.-A. C. : La collection a été enrichie de dons
Denis, en novembre 1943, une de ses filles, des familles des collectionneurs (Cochin,

114 l Le Monde de la Bible l 222


© Arnaud Eluère pour Le Monde de la Bible
Marie-Aline Charier (à droite).
Fabienne Stahl (à gauche) et

LES ACQUISITIONS ET LES DONS ONT DOTÉ


LE MUSÉE DE PRÈS DE 4 800 ŒUVRES.

Chausson, Lerolle…) et d’acquisitions. Nous MdB : Quels sont les défis du musée ?
continuons à recevoir des dons, comme très M.-A. C. : Ils sont nombreux. À commencer
récemment le portrait de Gabriel Thomas, par la création cette année d’une réserve
ou une partie du fonds d’atelier d’Henri de externalisée. Outre nous permettre une
Maistre, un élève des Ateliers d’art sacré conservation dans de meilleures conditions
fondés par Maurice Denis… Il faut savoir des œuvres non exposées, ces nouveaux
que le musée Maurice Denis est le premier locaux vont libérer l’atelier de Maurice Denis
concernant ces artistes de cette période in- situé dans le parc, ainsi que d’autres pièces
termédiaire entre le XIXe et XXe siècle à avoir du bâtiment principal. Restitué tel qu’il fut à
ouvert. Il est en quelque sorte le frère aîné du la mort de l’artiste, le grand atelier sera alors
musée d’Orsay. Jusqu’alors les nabis étaient rendu à la visite. Cela sera aussi pour nous
peu connus et mal considérés ; aujourd’hui l’occasion de repenser les espaces d’expo-
Gauguin, Bonnard, Denis ou Sérusier sont sition. Nous espérons ouvrir ce nouveau
des stars. Cet enrichissement fait d’acquisi- parcours de visite pour le 40e anniversaire
tions et de dons a doté le musée départemen- du musée en 2020.
tal d’une collection de près de 4 800 œuvres. F. S. : Cela nous donnera de l’oxygène,
car aujourd’hui nous ne pouvons montrer
MdB : Maurice Denis semble avoir beau- qu’une soixantaine de tableaux à la fois ;
coup produit… ce qui nous permettra davantage de rota-
F. S. : Effectivement, il a beaucoup œu- tion des œuvres et objets d’art que nous
vré dans tous les domaines. Nous avons conservons.
répertorié plus de 300 articles qu’il a rédi- M.-A. C. : Nous avons également d’autres
gés et qui concernent l’histoire de l’art, et projets qui concernent le jardin que nous vou-
plus d’une centaine de conférences. Il a drions ouvrir plus largement au public, et la
réalisé des grands décors peints, plus de chapelle qu’il faut restaurer, voire reconsolider
70 vitraux, de nombreuses illustrations et dans ses fondations. Enfin nous souhaitons
gravures pour l’édition, plus de 3 000 pein- tout à la fois préserver le calme et la sérénité
tures, sans compter les innombrables des- que nos visiteurs disent apprécier au musée
sins et estampes. Sa production est colos- et davantage le faire connaître, notamment
sale. C’est un artiste paradoxalement mieux aux Parisiens qui trouveraient là un site cultu-
connu à l’étranger qu’en France, particuliè- rel bien différent de ce qui leur est proposé
rement aux États-Unis ou au Japon. dans la capitale. l

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Portfolio / musée Maurice Denis

CHRIST AU TOMBEAU
Charles Filiger, 1892-1895, gouache avec rehauts d’argent sur carton, 19 x 35 cm, don Anna Filliger.
© D. R.

En dehors des créations de Maurice Denis, artiste éminemment chrétien, étonnamment peu d’œuvres des collections
du musée traitent de thèmes bibliques. Parmi les peintres symbolistes et nabis ayant traité des sujets religieux, il faut citer
essentiellement un proche de Paul Sérusier, Jan Verkade, dit le « nabi obéliscal », converti au catholicisme en 1892 puis
moine bénédictin au monastère de Beuron, en Allemagne, dont le musée possède plusieurs œuvres, parmi lesquelles un très
touchant Saint Sébastien.
Fidèle de Pont-Aven et du Pouldu, Charles Filiger vit son mysticisme au quotidien et veut pratiquer un art simple inspiré par les
primitifs et l’imagerie populaire. Son Christ au tombeau semble endormi et aucun signe de la Passion n’apparaît. Un sentiment
de souffrance et d’abandon émane pourtant de la scène, placée dans une pénombre qui contraste avec le lumineux paysage
aperçu par la fenêtre. Le vol des mouettes est le seul élément animé qui s’oppose à la tristesse ambiante.

116 l Le Monde de la Bible l 222


MYSTÈRE CATHOLIQUE
Maurice Denis, 1889, huile sur toile, 97 x 143 cm, don Anne-Marie Denis-Poncet.
© Catalogue raisonné Maurice Denis

Ce Mystère catholique, peint par Maurice Denis à l’âge de 18 ans, est une version moderne et toute personnelle du thème de
l’Annonciation, qu’il traitera à de très nombreuses reprises durant sa vie. L’artiste a exécuté six versions différentes du Mystère
catholique : celle-ci est la deuxième, la plus grande, aussi la plus synthétique, mais surtout la plus fidèle à l’esprit
de Fra Angelico, le maître en peinture du « nabi aux belles icônes ». Renouvelant l’iconographie d’un des plus célèbres sujets
de la peinture ancienne, l’artiste remplace la figure traditionnelle de l’ange par celle d’un diacre précédé d’enfants de chœur, et
situe la scène dans un décor qui lui est familier – ici la chambre de bonne où sa mère, modiste, travaille avec son apprentie qui
sert de modèle à la Vierge et dont Denis est secrètement épris. Les couleurs et les effets de lumière savamment traités viennent
accentuer le caractère surnaturel de la scène. L’épisode évangélique représenté évoque plus largement la célébration
de la messe et le dogme catholique dans son entier. Denis conservera cette toile chez lui toute sa vie.

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Portfolio / musée Maurice Denis

STELLA MATUTINA
Maurice Denis, 1892, mosaïque de marbre
(exécutée par L. Provost), 105 x 50 cm,
donation de la famille Denis.
© RMN-Grand Palais/Benoît Touchard

Maurice Denis explore tous les arts décoratifs,


de l’émail au papier peint en passant par la
mosaïque. Stella matutina (« Étoile du matin »)
– l’une des qualités attribuées à Marie dans
la prière des litanies de la Sainte Vierge –
est la première mosaïque qu’il réalise, bien
avant les commandes des années 1920
(église Saint-Paul de Genève, cathédrale de
Quimper). L’esthétique nabie s’exprime dans
cette mosaïque à travers le synthétisme
des formes, le symbolisme du geste et la
simplicité voulue de la technique. Par la taille,
le format et la disposition des tesselles, elle
se différencie nettement des techniques
utilisées dans les mosaïques gallo-romaines
ou vénitiennes.

118 l Le Monde de la Bible l 222


SAINTES FEMMES AU TOMBEAU (MATINÉE DE PÂQUES)
Maurice Denis, 1894, huile sur toile, 74 x 100 cm, don Dominique et Yvonne Denis.
© RMN-Grand Palais/Benoît Touchard

Maurice Denis réunit dans ce tableau deux épisodes évangéliques liés à la Résurrection du Christ, celui des saintes femmes
au tombeau et celui du Noli me tangere, au sein du paysage familier de la colline de Saint-Germain-en-Laye où réside l’artiste.
Caractéristique de l’œuvre de Denis, cette introduction du divin dans le cadre de sa vie quotidienne et chrétienne contribue à
créer des images d’une poésie et d’une pureté toutes particulières.
Au vêtement intemporel et au geste de salut des figures angéliques répond la délicate inclinaison des communiantes portant
des robes contemporaines. Le trait de lumière qui nimbe la tête des personnages et l’éclairage irréel qui irradie le paysage
accentuent la spiritualité de l’œuvre. Le miracle du printemps jaillit, tandis que la présence du Christ dans le jardin familial
rappelle le message divin.

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Portfolio / musée Maurice Denis

LA MADONE
Maurice Denis, quatrième panneau du décor de L’Éternel printemps, 1908, huile sur toile, 247 x 161 cm.
© Catalogue raisonné Maurice Denis

« Des murs, des murs à décorer », tel est le mot d’ordre qui se répand dans les ateliers à la fin du XIXe siècle. Désirant voir l’art
se fondre dans la vie du quotidien, les artistes nabis entendent couvrir les murs des demeures de décors et papiers peints. Plus
que tous les autres – Vuillard, Bonnard ou Ranson – Maurice Denis composera sa vie durant de vastes décors. Les collections du
musée conservent plusieurs ensembles décoratifs importants, à commencer par La Légende de saint Hubert (1897) ou la frise
de la chambre à coucher de l’artiste (1896-1922).
Présenté dans une salle restituant complètement le cadre d’origine, L’Éternel printemps est certainement le plus impressionniste
de ses décors. Les dix panneaux peints par Denis en 1908 pour la salle à manger de la maison de son ami et mécène Gabriel
Thomas évoquent le cycle de la vie d’une femme, d’abord jeune fille, ensuite fiancée, enfin épouse, puis mère. Dans une
atmosphère de douceur et de « rêve blanc », le profane et le religieux se mêlent si étroitement que le jardin terrestre idéalisé se
transforme en jardin d’Éden où la femme devient Madone tenant sur ses genoux l’Enfant Jésus. Pour l’artiste, profane et sacré,
sensuel et spirituel, amour humain et amour divin, printemps terrestre et printemps du Paradis, sont indissociablement liés.
Gabriel Thomas ne s’y est pas trompé, lisant ce décor comme une évocation du triomphe de la foi.

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VOCATION DES APÔTRES
Maurice Denis, 1906, huile sur toile, 81 x 116 cm, don Dominique et Yvonne Denis.
© Catalogue raisonné Maurice Denis

Comme souvent chez Denis, la vision d’une scène quotidienne dans un endroit familier donne lieu à une transposition dans un
registre sacré : ici celle de sa femme et de ses trois filles arpentant le port de Perros-Guirec, en Bretagne, où la famille passe
ses vacances au milieu des pêcheurs, suggère une Vocation des apôtres. Sur fond de lumière crépusculaire, dans un effet de
contre-jour, la haute silhouette du Christ au premier plan vient souligner sa souveraineté, face aux hommes qui s’apprêtent
à le suivre. Plus bas à l’arrière-plan, Jean-Baptiste prêche au bord de l’eau.
Le jeu de couleurs chaudes et froides, la touche presque pointilliste, alliés à une composition savamment construite, ont séduit le
collectionneur Gabriel Thomas, premier acquéreur de l’œuvre.

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Portfolio / musée Maurice Denis

MISE AU TOMBEAU
Maurice Denis, 1903, détrempe sur papier collé sur toile, 115 x 133 cm, donation de la famille Denis.
© RMN-Grand Palais/Benoît Touchard

Les collections du musée se composent à 90 % d’œuvres graphiques, essentiellement conservées en réserve, dont plus d’un
millier de dessins de Maurice Denis, pour beaucoup liés à des projets de décors et vitraux. Cette grande esquisse peinte à la
détrempe sur papier est un travail préparatoire pour un tableau aujourd’hui disparu, acquis par le comte Harry Kessler en 1903
et installé dans sa maison de Weimar en Allemagne. En pendant d’une Descente de Croix réalisée vers 1901, cette composition
répond au désir exprimé par l’artiste en 1898 de faire « de grands tableaux où le Christ serait la figure principale », qui traduisent
la méditation du chrétien devant les passages les plus difficiles des Évangiles.
La force spirituelle et esthétique de l’œuvre repose sur l’équilibre chromatique de la composition associant de grandes figures
noires à une vive lumière qui irradie de façon surnaturelle la scène entière. Cette clarté vient signifier, au-delà de la douleur,
l’espérance de la Résurrection.

122 l Le Monde de la Bible l 222


SACRÉ-CŒUR CRUCIFIÉ
Maurice Denis, 1916, huile sur toile, 98 x 107 cm, don de Diane Mare (née Ginestet-Puivert) et du comte de Ginestet-Puivert
© Catalogue raisonné Maurice Denis

La représentation du Christ crucifié n’est pas la figuration traditionnelle du Sacré-Cœur. Peignant Jésus et sa mère seuls,
Maurice Denis exprime la douleur, le courage, la tendresse et la communion des âmes. Il utilise des moyens plastiques pour
les signifier avec une grande force spirituelle : la noblesse des attitudes, l’inclinaison des têtes, celle de la mère appuyée sur
le cœur embrasé et rayonnant de son enfant, celle du fils reposant contre la tête maternelle.
Dans un paysage de désolation, qui à l’arrière-plan évoque la Grande Guerre, et malgré la souffrance, la paix est déjà sur les
deux visages.
Cette composition fameuse, présentée à l’exposition de la Triennale en 1916, a donné lieu à plusieurs variantes dans l’œuvre
de Denis, en vitrail, à fresque, et en tableaux de chevalet, dont une grande version peinte en 1930 aujourd’hui conservée au
musée du Hiéron à Paray-le-Monial.

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Portfolio / musée Maurice Denis

BETHSABÉE
Maurice Denis, vers 1914, huile sur toile, 190 x 231 cm, donation de la famille Denis.
© Catalogue raisonné Maurice Denis

Pour Maurice Denis, les sujets chrétiens sont des sources d’inspiration inégalables, « matière des chefs-d’œuvre ». S’il revisite
continuellement les épisodes évangéliques, l’Ancien Testament semble avoir moins inspiré l’artiste. Bethsabée au bain, comme
Suzanne et les vieillards, est un sujet classique de la tradition picturale, qui permet de représenter un nu féminin voluptueux.
Denis campe la figure nue, au caractère sculptural et monumental, au centre de sa composition, dont l’arrière-plan paysager
donne lieu à plusieurs variantes, ici les jardins de la villa Médicis à Rome, ailleurs ceux du Generalife de Grenade, ou plus
tard celui du Prieuré. L’attitude de la baigneuse, inspirée au départ par la danseuse Natacha Trouhanova qui pose pour le
décor du théâtre des Champs-Élysées, se retrouve à l’identique dans un médaillon peint par Denis représentant Lisbeth, sa
seconde épouse, sur la plage de Perros-Guirec. Cette présence du corps physique, constant dans l’œuvre de Denis, rappelle
l’importance de sa foi en l’Incarnation.

124 l Le Monde de la Bible l 222


LA VIERGE AU BAISER
Maurice Denis (en collaboration avec Marcel Poncet), 1920, vitrail, en place dans la chapelle du Prieuré, 260 x 165 cm.
© Fabienne Stahl

Les vitraux sont l’une des richesses des collections du musée. De nombreuses verrières sont incluses dans le parcours de visite,
sans oublier celles en place dans la chapelle du Prieuré, offrant au public un panorama de l’histoire du vitrail depuis l’Art nouveau
jusqu’aux années 1920. Cette verrière, située dans la chapelle face à la tribune, est une œuvre éclatante de lumière et de couleur.
Maurice Denis fut l’un des acteurs majeurs du renouveau du vitrail, spécialement dans l’entre-deux-guerres, travaillant en
collaboration avec de jeunes peintres verriers de talent, comme Marguerite Huré qui réalise les verrières de l’église du Raincy
construite par Auguste Perret ou le suisse Marcel Poncet qui exécute cette Vierge au baiser d’après un carton du maître.
Comme la femme de l’Apocalypse, Marie y foule à ses pieds le serpent, symbole du mal dont a triomphé l’Église, celui même
qui a causé le péché originel d’Adam et Ève ici chassés du Paradis par l’archange Gabriel, étonnamment vêtu d’un costume de
guerrier assyrien. Cette faute sera rachetée par le sacrifice du Christ – l’Enfant Jésus étant présenté en offrande par sa mère –
comme l’ange l’a annoncé à Marie lors de l’Annonciation rappelée dans le registre supérieur. Toutes ces figures prennent place
dans un magnifique jardin planté de lys, traversé par un chemin sinueux, le chemin de la vie cher au peintre, symbole de la
progression vers le salut.

125
Culture Bible / Musiques sacrées

La Passion du Christ
inspiration des compositeurs baroques
Le premier festival du Mont-Saint-Michel, Via Aeterna, dont un temps
fort sera la liturgie des Heures, proposera plusieurs œuvres inspirées de
la Passion du Christ. Elles constitueront à leur manière une invitation au
voyage dans l’Europe baroque.

L
Par Patrick Barbier a Contre-Réforme catholique a entraî- inspirées de la Passion du Christ. Elles
Historien de la musique, né dans son sillage la naissance d’un constitueront à leur manière une invitation
professeur à l’Université art et d’une musique que nous qua- au voyage dans l’Europe baroque, puisque
catholique de l’Ouest lifions aujourd’hui de « baroques », même chacune nous portera vers un lieu fon-
si ce terme ne s’est vraiment installé qu’au damental de la création musicale et ses
XIXe siècle. Dans une période tournée vers modes de fonctionnement. Avec le Miserere
le sacré, la pratique religieuse et l’encou- d’Allegri ou les Crucifixus de Monteverdi et
ragement des vocations, la Passion et la Lotti, tous trois interprétés par les Tallis Scho-
Résurrection du Christ, moments fonda- lars, s’ouvrent à nous deux des plus grands
teurs de la foi chrétienne, ont constitué une sanctuaires de la péninsule : la chapelle
source inépuisable d’inspiration pour les Sixtine à Rome et Saint-Marc à Venise.
compositeurs. La richesse de la création
musicale dans le monde catholique des Le Miserere à la chapelle
XVIIe et XVIIIe siècles ne doit cependant pas Sixtine
faire oublier la profondeur d’inspiration dont Le Miserere est devenu une page d’antho-
témoigne, à la même époque, l’univers logie. Écrit vers 1638-1639 par un ténor de
musical luthérien de Schütz, Buxtehude ou la chapelle pontificale, Gregorio Allegri, il a
Bach. été donné pendant trois siècles à chaque
Via Aeterna, le premier festival du Mont- semaine sainte, le mercredi et le vendredi.
Saint-Michel, dont un temps fort sera la Dans ce lieu qui n’autorisait aucun ins-
liturgie des Heures, pendant la journée du trument, pas même un orgue, il incarnait
dimanche, proposera plusieurs œuvres l’essence même du stile antico, cet ancien
style polyphonique a cappella, hérité de la
Renaissance. Le reste est connu : consi-
déré comme un joyau précieux, réservé
aux offices pontificaux, le Miserere devint
VIA AETERNA un trésor inaccessible qu’il était interdit de
➤ Du 21 au 24 septembre 2017 copier, de sortir du Vatican et encore moins
Au Mont-Saint-Michel et sa baie d’imprimer. Quelques copies, cependant,
www.via-aeterna.com furent offertes par des papes à des ...

126 ● Le Monde de la Bible ● 222


Le crucifix aux anges
Charles le Brun, vers 1660, huile sur toile, 174 x 128 cm. Paris, musée du Louvre. © DeAgostini/Leemage

127
Culture Bible / Musiques sacrées

... cours et des souverains étrangers. Passion du Christ, ils échappent à toute
Le jeune Mozart, âgé seulement de 14 ans, théâtralisation du sacré grâce à leur sobrié-
défia à sa manière l’interdit : alors qu’il sé- té et leur retenue.
journait à Rome avec son père, il le trans- Celui de Monteverdi appartient à l’important
crivit de mémoire en sortant de la Sixtine, recueil de quarante et une pièces paru en
après l’avoir écouté deux fois au cours de 1640 sous le nom de Selva Morale e Spiri-
la semaine sainte. Mendelssohn en fit de tuale. Les quatre voix y entrent l’une après
même en 1831. Même s’il est difficile de l’autre sur une longue descente chroma-
dire avec précision comment les chan- tique, déchirante et plaintive, bien faite pour
teurs du XVIIe siècle ornaient ce Miserere, susciter la compassion du fidèle. Même
avec la fantaisie d’improvisation qu’on leur chose pour celui de Lotti, daté de 1718.
connaissait, l’œuvre est devenue l’une des Ici également, pas d’effets puissants, pas
pièces favorites des ensembles vocaux de de style concertant entre plusieurs chœurs
musique baroque : elle continue de nous et groupes orchestraux, mais une humble
envoûter par sa sérénité quasi planante et la polyphonie à huit voix sans accompagne-
pureté angélique de ses notes flûtées. ment, chacune entrant à son tour, bien
distinctement, dans un magnifique effet
Les Crucifixus à Saint-Marc d’imploration croissante. Au fil du texte,
de Venise elles s’unissent parallèlement, par trois ou
Les deux Crucifixus, de Claudio Monte- quatre, toujours dans ce même souci de
verdi et d’Antonio Lotti, nous amènent vers sobriété et de douleur contenue. De cette
cet autre bastion de la production sacrée pièce si célèbre malgré sa brièveté, consi-
qu’était la basilique Saint-Marc de Venise, dérée comme l’un des chefs-d’œuvre de la
considérée alors comme la chapelle privée musique sacrée vénitienne, se dégage un
du doge, haut lieu de la Sérénissime Ré- profond recueillement, propice à la médita-
publique : on y pratiquait le rite « marcien », tion sur les souffrances et la mort du Christ.
plus adapté à la religion d’État, ce qui la
distinguait de la cathédrale San Pietro di Les Leçons de Ténèbres
Castello, située à l’autre bout de la ville, où françaises
résidait le patriarche. Avec les grandes églises parisiennes, la
Dès la fin du XVIe siècle, la basilique brillait chapelle royale de Versailles ou, dans le cas
de tous ses feux grâce à Andrea et Gio- présent, l’abbaye de Longchamp, c’est un
vanni Gabrieli, étonnants précurseurs de la autre type de tradition musicale, bien fran-
spatialisation des voix et des instruments, çaise cette fois, que l’on découvrira pendant
disséminés dans les différentes tribunes le festival : celle des Leçons de Ténèbres, si
que l’on voit encore aujourd’hui : ce dispo- chères aux semaines saintes de l’Ancien
sitif très théâtral, créant des effets inouïs de Régime (et fort bien évoquées dans une
réponses ou d’échos allait nettement in- admirable scène du film Tous les matins du
fluencer les grandioses musiques romaines monde). À l’origine, la tradition voulait que
du XVIIe siècle. Pendant toute l’époque l’on chantât cette récitation des Lamenta-
baroque, la musique sacrée se parta- tions du prophète Jérémie pendant les nuits
geait donc entre des œuvres d’apparat à du mercredi au jeudi saint, du jeudi au ven-
plusieurs ensembles, réservées aux dredi et du vendredi au samedi. À l’époque
grandes fêtes, et les anciennes polyphonies de Couperin, cet office des Ténèbres, pen-
a cappella, vouées aux cérémonies plus dant lequel on interprétait trois Leçons suc-
intimes. C’est dans cette seconde catégo- cessives, était souvent déplacé à la fin de
rie que se rangent les deux Crucifixus du l’après-midi qui précédait, pour éviter aux
festival : par l’évocation douloureuse de la ...
fidèles la fatigue d’une nuit de veille. Il

128 l Le Monde de la Bible l 222


129
Culture Bible / Musiques sacrées

... finissait après le coucher du soleil celles du mercredi nous restent : elles font
et, par tradition, exigeait qu’au cours de la aujourd’hui figure d’archétype du genre,
cérémonie, en signe de douleur et de deuil, même si elles sont souvent données en
on éteignît quatorze des quinze cierges dis- concert, à d’autres moments de l’année
posés sur un chandelier triangulaire. Le der- que la semaine sainte. Dans ce précieux
nier, placé tout au sommet, était ensuite dis- recueil, les deux premières Leçons sont
posé derrière l’autel, jusqu’à la fin de l’office. confiées à une seule voix, tandis que la troi-
Peu à peu, les fidèles se trouvaient plongés sième, à deux voix et d’une ampleur inéga-
dans une semi-obscurité, symbole de la lée, en demeure le chef-d’œuvre absolu. À
destruction de Jérusalem évoquée par le chaque nouveau verset, le ou les solistes
texte, mais aussi du lent enfoncement vers commencent par orner la lettre hébraïque
les ténèbres qu’avait connu le Christ. Ces initiale (Aleph, Beth, Jod…) grâce à d’en-
cérémonies, importantes à la cour comme voûtants mélismes. Puis le verset se pour-
dans toutes les grandes cathédrales et suit en latin, dans un style situé à mi-che-
églises du royaume, justifiaient l’expression min entre déclamation théâtrale et mélodie
très répandue d’« aller à ténèbres ». expressive. Comme le montrera l’ensemble
Ainsi se développa un vaste répertoire Les Ombres pendant le festival, ces Leçons
de Lamentations adaptées au mercredi, de Couperin demeurent un modèle inégalé
au jeudi et au vendredi saints. Des neuf d’intériorisation de la douleur et de la dé-
Leçons écrites par Couperin (trois par ploration, bien fait pour installer le croyant
après-midi) entre 1713 et 1717, seules dans un climat de ferveur apaisée. l

CONFÉRENCE
La passion du Christ : regards de compositeurs baroques
En partenariat avec Le Monde de la Bible, une conférence de Patrick Barbier (qui reprend
le thème de cet article), avec de nombreux extraits musicaux.

➤ Le samedi 23 septembre à 14 h 00
Bibliothèque de la mairie
Place Littré 50 300 Avranches
Entrée : 3 €
Pour acheter les billets : www.via-aeterna.com
Réservations : 02 33 59 19 74

Le festival du Mont-Saint-Michel et sa baie c’est aussi


4 jours Du jeudi 21 au dimanche 24 septembre, ces quatre jours vous permettront de vous
immerger dans la programmation du festival et d’en appréhender tous les aspects.
23 scènes De Granville à Avranches, de l’Abbaye de la Lucerne à Pontorson… plus de vingt
scènes accueilleront les concerts du festival et vous permettront de découvrir l’exceptionnel
patrimoine architectural du Mont-Saint-Michel et de sa baie.
300 artistes Pianistes, violoncellistes, ensembles de musique de chambre et chœurs…
une occasion unique de découvrir une pléiade d’artistes parmi les plus talentueux
de la scène musicale.

130 l Le Monde de la Bible l 222


Culture Bible / Théâtre

La Bible sur les planches


au festival de Clermont-Ferrand
Du 13 au 21 octobre 2017, la 9e édition du festival de théâtre biblique
de Clermont-Ferrand fera connaître à un public, tou jours plus nombreux,
la créativité de metteurs en scène et de comédiens dont les spectacles
s’inspirent des textes bibliques. Le Monde de la Bible soutient l’événement…

T
Par Benoît de Sagazan ous les deux ans, c’est la même ef-
fervescence. L’équipe de bénévoles
s’active autour de Guy Darmet pour
offrir la meilleure affiche dans les meilleures
conditions, tant pour le grand public que
pour des publics spécifiques. Depuis l’édi-
tion précédente, l’équipe de programmation
œcuménique, composée de dix personnes,
est partie à nouveau en quête de spec-
tacles. Le festival d’Avignon n’a plus depuis
longtemps de secrets pour elle. Le résul-
tat de leur quête est la présentation d’une
quinzaine de spectacles pouvant répondre
à la charte du festival imaginé au début
des années 2000, et qui tient, par l’expres-
sion théâtrale, à « montrer à l’homme du
XXIe siècle toute l’actualité de la Bible ».
Avec parfois des débats au sein du comi-
té pour savoir, comme lors de l’édition en
2015, si une comédie musicale remplit bien
les critères exigés.
Le premier festival de théâtre biblique s’est
tenu en 2001. Toute la programmation avait
9E FESTIVAL DE THÉÂTRE BIBLIQUE
été produite dans le nouveau centre diocé-
Événement soutenu par Le Monde de la Bible
sain de Clermont. « Lors de ce premier fes-
➤ Du 13 au 21 octobre 2017 tival, se souvient Guy Darmet, nous avons
à Clermont-Ferrand et sa région vécu un état de grâce. Avec 2 000 billets
Tél. : 04 73 98 27 77 vendus, nous avons eu envie d’éditer un
Programmation complète disponible sur second festival en 2003. Et, depuis, nous
www.festivaltheatrebiblique-clermont.com avons gardé le rythme. » Tous les deux ans

132 ● Le Monde de la Bible ● 222


Le spectacle,
Jésus, la bio
interdite, écrit et
le festival gagne en importance et élargit son orthodoxe) et juive de Clermont autour des interprété par Pierre-
territoire. Pour la seconde édition, la ville de repas. La plus savoureuse, et sans doute la Philippe Devaux.
Clermont-Ferrand a apporté son soutien et plus originale, sera la prestation de la co- © Philippe Duchêne
ouvert au festival de nouvelles scènes. Puis médienne Stéphanie Schwartzbrod (festival
lors des éditions suivantes, l’événement a d’Avignon 2014) de faire découvrir à son
conquis d’autres communes du Puy-de- public « les saveurs des fêtes juives, chré-
Dôme et de l’Allier. Le public, toujours plus tiennes et musulmanes » et dont « chaque
nombreux, est fidèle au rendez-vous. Ils plat raconte une histoire biblique ». En cette
étaient plus de 6 000 en 2015 à suivre le fes- année de commémoration du 500e anniver-
tival, dont 80 % avaient déjà participé à un saire de la Réforme, Emmanuelle Cordoliani,
festival antérieur. Sylvain Pluyaut et Florian Hille redonneront
Comme dans les éditions précédentes, il y Le Songe de Luther…
aura un in et un off. La programmation du La partie off du festival est tout aussi impor-
premier (voir notre sélection p. 134), forte tante aux yeux de son initiateur Guy Darmet,
d’une quinzaine de spectacles, est destinée qui fut en son temps directeur de l’enseigne-
au grand public et animera plusieurs scènes ment catholique dans le Puy-de-Dôme. Dès
de la région, dont de nouvelles : le théâtre ré- le départ, il parut important à l’équipe que
nové de Châtel-Guyon, le Corum Saint-Jean des spectacles, adaptés à différents publics,
à Clermont, la salle des Justes au Cendre… soient également proposés à des détenus,
des personnes âgées ou malades, des en-
Faire découvrir les Écritures fants et des adolescents. Une trentaine de
Parmi les têtes d’affiche, la comédienne spectacles, dont deux numéros de clowns
Brigitte Fossey revient pour la seconde fois « bibliques », seront ainsi proposés dans des
au festival, avec des musiciens et surtout établissements pénitenciers, hospitaliers et
avec une ardente envie de donner à goû- scolaires dans la région.
ter aux psaumes. La proposition la plus Pour Guy Darmet, l’enjeu est de taille : « Ne
œcuménique pourrait revenir à la Médita- s’agit-il pas de faire découvrir les Écritures
tion interreligieuse qui propose un thème à des personnes et à des jeunes qui n’ont
des Écritures médité par les communau- pas nécessairement une vision positive du
tés chrétiennes (catholique, réformée et religieux et du spirituel ? » l ...
133
Culture Bible / Théâtre

... QUELQUES SPECTACLES PRÉSENTÉS AU FESTIVAL


• Jésus, la bio interdite écrit et interprété par Pierre-Philippe Devaux. Une biographie « vivante » de Jésus racontée
par Jude, surnommé Thaddée, un des 12 apôtres, qui essaie d’écrire pour l’éternité et sur des tablettes d’argile l’essentiel de la
vie commune avec ce maître, lors des trois années de son magistère. Pierre-Philippe Devaux met en scène une bonne douzaine
d’histoires bibliques connues (la multiplication des pains, les noces de Cana, le bon Samaritain, la guérison d’un aveugle, la
résurrection de Lazare, la femme adultère…) et interprète près d’une vingtaine de personnages !

• Augustin passe aux aveux par Wakan Théâtre – Dominique Touzé, comédien et Guillaume Bongiraud,
violoncelliste – spectacle éligible aux « Molières 2017 », catégorie « seul en scène ». Incarné dans une musique légère et
sensuelle, Dieu dialogue avec le Père de l’Église. La traduction de l’écrivain Frédéric Boyer donne à rencontrer un saint Augustin
contemporain. Avec cette adaptation pour acteur et violoncelliste, le récit de l’itinéraire initiatique d’Augustin, jeune berbère brillant
intellectuel débauché, qui deviendra Père de l’Église et Docteur de la grâce, prend l’allure d’un thriller, mystique et brûlant, aux
multiples rebondissements.

• Il était deux foi(s) par la compagnie Allumeurs d’étoiles, avec Steeve Gernez et Samir Arab. Face à face animé
entre un chrétien et un musulman, renversant les vieux stéréotypes, avec humour et conviction. Ce spectacle est écrit et mis en
scène par les deux comédiens eux-mêmes, pour sensibiliser les jeunes et les moins jeunes au dialogue entre les religions.

• Sacré, sucré, salé par la compagnie L’oubli des cerisiers, avec Stéphanie Schwartzbrod – Cartoucherie de
Vincennes et Théâtre de l’aquarium (Paris 2016) – Festival d’Avignon 2014. C’est la fête, nous sommes invités au
banquet ! La comédienne aux talents de cuisinière nous fait découvrir et goûter les saveurs des fêtes juives, chrétiennes et
musulmanes. Chaque plat raconte une histoire biblique.

• Épître aux jeunes acteurs pour que soit rendue la parole à la Parole par la compagnie de la Joie
errante – Thomas Pouget et Delia Sépulcre Nativi – Festival d’Avignon 2016. Un poème dramatique, écrit par Olivier Py, qui
veut redonner toute sa dignité à la Parole vraie. Incarnant une tragédienne, le comédien lutte pour un retour de l’essence pure des
mots, propre à l’art théâtral. Face à lui, un interlocuteur lui oppose une parole contemporaine trop banalisée.

• Psaumes en harmonie par Brigitte Fossey, le Trio Volutes (Hélène Friberg-Chenot au violon, Raphaël Chenot
au violon et alto, Sylvie Cagnioncle au violoncelle). Célébrité du théâtre et du cinéma, Brigitte Fossey artiste reconnue, à
la carrière variée, prêtera sa voix et son talent à la déclamation de Psaumes. Le livre des Psaumes réunit une collection de
150 poèmes prévus pour être accompagnés de musique. Brigitte Fossey sera accompagnée par le Trio Volutes, ensemble de
musique de chambre réunissant des professeurs du Conservatoire régional de Clermont.

• Le Songe de Luther par Emmanuelle Cordoliani, Sylvain Pluyaut (orgue) et Florian Hille (chant) – Création du
festival Bach en Combrailles 2007, pour le 500e anniversaire de la Réforme. Au moment de se mettre au lit, Catherine
Von Bora, épouse de Luther, peut enfin questionner son pieux mari au sujet de sa doctrine… Spectacle de poésie et d’humour,
accompagné par la musique de Jean-Sébastien Bach.

• Méditation interreligieuse : les écritures en partage. Un thème des Écritures médité par les communautés
chrétiennes (catholique, réformée et orthodoxe) et juive : les repas. Tout au long des Écritures, Dieu est providence pour son
peuple. Dès le commencement, le Seigneur donne à l’Homme les moyens de subsister et cette nourriture est un don précieux que
l’Homme ne doit pas garder jalousement pour lui mais qu’il se doit de partager dans la joie. Une méditation en plusieurs tableaux.

134 l Le Monde de la Bible l 222


Les GRANDES
DÉCOUVERTES
qui ont raconté la Bible

PUBLIÉ LE 12 AVRIL 2017


Prix : 26,90 €
Format : 175 x 215 mm - 260 pages
ESTELLE VILLENEUVE
est archéologue,
spécialiste du Proche-Orient
ancien et journaliste
au Monde de la Bible.
Culture Bible / Livres

« Repenser l’idée même


de religion en Mésopotamie »
Dans son ouvrage qui vient de paraître, Dominique Charpin, professeur
au Collège de France, nous entraîne à la (re)découverte des temples
mésopotamiens. Une occasion rare de pénétrer au cœur
de la civilisation proche-orientale ancienne.

Propos recueillis Le Monde de la Bible : Issu de votre pre- jouaient dans leur temps en combinant
par Jérôme Pace mière année d’enseignement au Collège toutes les approches possibles.
de France, le présent ouvrage entend
« retracer la vie méconnue » des temples MdB : Vous dites vouloir « montrer le rôle
mésopotamiens. Pourquoi cette volonté ? central que les temples mésopotamiens
Dominique Charpin : En réalité, le livre est le jouaient dans leur temps ». Dans quelle
fruit d’une enquête qui dépasse largement mesure leur étude permet-elle de mieux
mon enseignement au Collège de France : appréhender la culture proche-orientale
née il y a plusieurs années, elle est l’abou- ancienne ?
tissement de nombreux travaux et confé- D. Charpin : Je dirais que la réponse à cette
rences présentés à travers le monde. J’ai, question constitue le cœur même du livre.
tout au long de ma carrière, toujours eu le Il faut commencer par dire que les assyrio-
sentiment de la nécessité d’appréhender logues ont longtemps présenté les temples
différemment les études assyriologiques. mésopotamiens comme des entités refer-
Or, l’étude des temples mésopotamiens mées sur elles-mêmes, accessibles seule-
me fournissait une occasion privilégiée ment à quelques privilégiés. Littéralement
d’aborder un aspect essentiel de la civilisa- la « demeure » d’un dieu, dont le rôle variait
tion proche-orientale ancienne de manière en fonction de l’identité de son occupant,
globale, en combinant les informations des ils jouissaient en effet d’un statut particu-
textes avec les témoignages matériels des lier. Or, jusqu’à présent, les études assy-
fouilles. Ultraspécialisés, les assyriologues riologiques ont surtout mis l’accent sur
sont souvent enfermés dans leur propre les réalités du culte : les offrandes et leur
domaine d’expertise : archéologues, épi- calendrier, les soins donnés aux statues…
La vie méconnue des graphistes, spécialistes des archives, beau- négligeant de ce fait le rôle social des sanc-
temples mésopotamiens, coup ne voient pas toujours ce que d’autres tuaires. Un objectif de l’ouvrage est préci-
par Dominique Charpin,
coéd. Collège de France/
sources que les leurs pourraient leur appor- sément de combler ce vide : l’idée centrale
Les Belles Lettres, ter. Mon objectif fut ici de montrer le rôle que je développe est que les temples rem-
256 p. 17,90 e. central que les temples mésopotamiens plissaient en quelque sorte des fonctions

136 l Le Monde de la Bible l 222


Dominique Charpin,
professeur au Collège
de France. © D. R.

de service public (hôpitaux, prisons, tribu- est impossible d’isoler, dans le Proche-
naux…), qui sont dans nos sociétés assu- Orient ancien, une sphère particulière qui
rées par des organismes d’État. serait celle de la « religion ». Prenons, par
À première vue, ce constat, qui nous ren- exemple, un « champ » bien documenté
seigne sur une réalité matérielle, paraît ano- des études assyriologiques : celui de la
din : la vie des temples en Mésopotamie. santé. De nombreuses sources attestent
Toutefois, si nous changeons de perspec- notamment du rôle de la déesse Gula dans
tive, adoptons une vision plus globale, il la vie quotidienne : « médecin-chef », cette
nous dit aussi combien notre vision de la dernière apparaît non seulement comme
civilisation proche-orientale antique est une guérisseuse, mais également comme
biaisée par notre rapport contemporain « celle qui donne la vie ». Le chien étant
au monde. Car admettre la centralité des à l’époque considéré comme un animal
temples mésopotamiens revient à recon- aux pouvoirs curatifs, un grand nombre
naître également un système de pensée d’ex-voto en forme de chien remercient
différent du nôtre, où le « phénomène reli- ainsi la déesse. Dans une perspective si-
gieux » ne saurait constituer un « domaine » milaire, certaines inscriptions royales nous
défini, un « objet social » que l’on pour- disent que le roi a construit pour elle un
rait décrire précisément. Une autre voie chenil ; sur un plan archéologique, enfin,
doit ainsi être envisagée qui nous oblige nous avons retrouvé des cimetières de
à repenser l’idée même de « religion » en chiens dans l’enceinte de son temple.
Mésopotamie : présente en toute chose, Partant, nous arrivons à l’idée qu’il y avait
cette dernière marque de son empreinte la dans les sanctuaires de Gula, des centres
société dans son entier. de cure, des hôpitaux, le tout associé
à des herboristeries.
MdB : Autrement dit, une idée serait que la Nous voyons bien qu’il n’y a pas un « monde
« religion » mésopotamienne n’existe pas… médical » d’un côté et un « monde religieux »
D. Charpin : Exactement. Dans le sens, de l’autre, mais un « monde » unique : le
bien sûr, que tout étant « religieux », il nous « monde » mésopotamien. l

137
Culture Bible / Livres

Jésus in extenso
Les éditions Bayard et Le Monde de la Bible
réalisent une encyclopédie sur Jésus que
nous sommes fiers de présenter, à la veille
du 40e anniversaire de la revue.

O
Par Benoît de Sagazan utre John Lennon, au nom des L’interprétation, parlons-en. Il est intéres-
Beatles en 1966, qui oserait se sant d’observer que des recherches sur la
croire « plus célèbre que le Christ » ? notion même de mémoire et de transmis-
Sérieusement, nul autre personnage his- sion de la mémoire fleurissent aujourd’hui,
torique n’a marqué aussi sensiblement et suggérant à quel point la réalité exacte de
fortement autant de traditions religieuses et Jésus serait finalement inatteignable. Mais il
d’écoles de pensée, à autant d’époques, serait tout aussi faux de penser que nous ne
sur autant de continents, et ce au-delà de pourrions plus rien apprendre. Les études
sa propre génération. Jésus intéresse tout historiques, exégétiques et archéologiques
le monde et pas seulement ceux qui disent nous ont beaucoup appris au cours des
appartenir au christianisme. dernières décennies sur le Jésus juif, dans
Reconnaissons-le, nous portons chacun en la Judée et la Galilée du Ier siècle.
nous une image, précise ou non, de Jésus :
rebelle, révolutionnaire, provocateur, impie, Une fascination constante
inclassable, féministe, guérisseur, philo- Pour le lecteur du XXIe siècle, le personnage
sophe, non-violent, sage, prophète ou fils a beaucoup gagné en épaisseur humaine.
de Dieu… Chaque année, de nouveaux Observons également comment sa percep-
essais scientifiques ou littéraires tentent de tion et sa prise en compte semblent particu-
dévoiler un nouveau Jésus. Et le cinéma lièrement progresser dans les études juives,
n’est pas en reste. Il est vrai que la plupart tant en Israël qu’ailleurs. De même, nous
des ouvrages nous renseignent davantage constatons que les évangiles (re)bénéficient
sur l’auteur que sur le sujet. « Toutes recons- aujourd’hui d’un crédit comme source fiable
tructions du Jésus de l’histoire, comme l’a à part entière – ce qui n’empêche pas leur
récemment écrit Daniel Marguerat dans analyse critico-historique ou narrative –,
notre numéro 219 sur Jésus, sont impré- alors qu’à une époque précédente ils sem-
gnées de l’idéologie du chercheur. Toutes blaient devoir être définitivement rangés sur
correspondent à la vision que l’historien a les rayons d’une littérature légendaire ou
de la société. Et toutes se basent sur des propagandiste.
éléments historiques qui ne sont pas des Un tel phénomène mérite-t-il encore au-
faits nus, mais des témoignages, des faits jourd’hui une encyclopédie ? Certainement,
déjà interprétés. » et pour au moins deux raisons. Une pre-

138 l Le Monde de la Bible l 222


JEs
découvertes
histoire
art
sagesse

sus
unE EnCYCLOPEDIE COntEmPOraInE

Jésus. Une encyclopédie


contemporaine,
collectif, éd. Bayard, 500 p.,
200 illustrations, 100 photos,
45 e (parution le 13 septembre).

mière évidence est le constat que la per- et 2014), sa passion et sa résurrection


sonne de Jésus ne cesse de fasciner nos (1978 et 2000), ses pouvoirs de guérison
contemporains et, ceci, quelles que soient (2014), sa perception par les trois mono-
les origines et les options philosophiques théismes (2016) sans oublier « l’effet Jésus »
ou religieuses des auteurs et des lecteurs. sur la littérature et le cinéma (2006) ni citer
La seconde est qu’il est bon, à intervalle tous les dossiers sur les lieux qui portent
régulier, de prendre le temps de mettre sur sa mémoire et que l’archéologie revisite…
la table la somme des connaissances ac- Il était temps de recueillir ces fruits et d’en
quises et de les partager. présenter les plus savoureux, du moins les
La première raison conduit à une question : plus intéressants.
existe-t-il un Jésus universel, sur lequel tout
le monde s’accorderait ? La question posée L’Insaisissable
paraît importante à relever, car si ce sujet Le partage d’une telle moisson à une autre
n’a pas bénéficié très récemment de décou- interrogation : le sujet est-il désormais clos ?
verte fracassante, il continue d’être étudié, À l’évidence non. De même que des cher-
partagé, parfois disputé. Parfois aussi d’être cheurs interrogent aujourd’hui la mémoire
vulgarisé maladroitement ou approximative- telle qu’elle fut transmise, on sait encore
ment. Malgré tout, des études se précisent si peu sur les auteurs de cette mémoire.
et de nouvelles hypothèses se forment. Il Chaque génération à venir portera des
n’est pas inintéressant de mettre le doigt questions nouvelles et aura son mot à dire
sur ce qui divise autour de Jésus et sur ce sur Jésus. On croit le cerner et voilà qu’à
qui est partagé par des cultures différentes nouveau il nous échappe. Certains l’ont dit
mais aussi par des chercheurs en sciences « Insaisissable ». l
historiques, des juifs, des chrétiens, des
musulmans, des athées.
La seconde raison permet de prendre
un recul salutaire. Depuis sa création en
décembre 1977, la revue Le Monde de la
Bible s’est à maintes reprises interrogée sur
le Nazaréen. De « Que sait-on de Jésus ? »,
en 1998 et 2009, à sa naissance (1978

139
Culture Bible / Livres

Hébron dévoilé
LE CHOIX DU LIBRAIRE
P HÉBRON 1119. L’INVENTION DU TOMBEAU
DES PATRIARCHES par Hervé Barbé,
éd. Publications de la Sorbonne, 124 p., 20 e.

Hébron est habi-


tée par la mémoire
la plus profonde
de notre culture. Et
pourtant son his-
toire est trouée de
lacunes. La cité
PSelon saint Marc, antique se confond
par Sandro Veronesi,
éd. Grasset, 198 p., 17 e. avec le caveau des Patriarches qui

© D. R.
coifferait les tombeaux d’Abraham et
de ses fils, Isaac et Jacob, de leurs
Marc et sa machine épouses, sans oublier ceux d’Adam
et Ève. Attesté dès le IIIe siècle par
à convertir le récit du Pèlerin de Bordeaux,
l’analyse externe du bâtiment le

I ls sont rares ces grands bon-


heurs de lecture ! Ce livre, destiné
au grand public et qui a trouvé sa
lumière projeté avec une inten-
sité croissante sur le personnage
de Jésus qui, à mesure qu’on
rangerait parmi les constructions
d’Hérode le Grand (37-4 av. J. C.).
Mais que connaît-on de son his-
place au rayon littérature, m’a été avance, rend toujours plus mani- toire ? L’archéologue Hervé Barbé
signalé par ma collègue avec suf- feste sa puissance et oblige le vient enfin combler de nombreux
fisamment d’éloquence pour que lecteur… à garder le regard fixé trous de cette histoire lacunaire.
ma curiosité soit éveillée instanta- sur lui… » Comment ne pas être Dans sa préface, Vincent Lemire
nément. Tout était propice en effet touché par ces quelques lignes explique en partie l’ignorance dont
à ce que je jette plus qu’un coup qui en disent long sur l’intention et a souffert le tombeau par la pré-
d’œil ! La couverture, de toute la sincérité de Sandro Veronesi ? dominance de Jérusalem qui l’a
beauté, inspire tandis que le titre, Tous les amoureux de l’Évangile relégué dans l’ombre et le partage,
simple et direct, intrigue. Mais qui ne peuvent qu’être bousculés par conflictuel, qui l’a fait passer suc-
est Sandro Veronesi ? Un auteur une telle démarche et avoir l’envie cessivement de sanctuaire juif à
italien, un romancier qui s’était de suivre l’auteur. Cet évangile, église byzantine, puis mosquée, et
notamment distingué avec Chaos que Marc écrivait pour les citoyens enfin prieuré canonial sous les rois
calme qui avait rencontré un franc de Rome, est en fait une véritable francs. Mais le véritable mystère du
succès. La lecture des premières machine de conversion à leur en- bâtiment réside dans sa profondeur.
pages est d’emblée déterminante. contre ; et cet essai explique bien En 1119, un chanoine latin découvre
L’auteur nous propose un essai comment, pourquoi, en étant à l’existence d’une double grotte sous
enlevé et réjouissant sur l’évangile la fois jubilatoire, insolent parfois le caveau… C’est bien l’histoire de
de Marc ou, plutôt, un commen- mais respectueux, toujours. cette exploration du XIIe siècle à
taire suivi de cet évangile qui est le Mathilde Mahieux nos jours, souvent contrariée, avec
plus court et qui, pour l’auteur, est Responsable de la librairie ses vérités et ses mensonges, que
le plus moderne. Sandro Veronesi religieuse au sein de La Procure tente de nous restituer l’archéologue
n’est pas croyant, c’est là le trait à travers une enquête scientifique.
remarquable de ce texte qui est Benoît de Sagazan
porté par un enthousiasme pal-
pable à chaque page de l’auteur
P LECTURE AISÉE
pour son sujet. Cet évangile de La Procure Paris,
Marc est pour lui « l’invention 3 rue de Mézières 75006 Paris PP LECTURE EXIGEANTE
Tel : 01 45 48 20 25 www.laprocure.com
même de l’évangile, un rayon de PPP LECTURE EXPERTE

140 l Le Monde de la Bible l 222


Les musulmans La marque Et la Septante fut
face à la Bible des saints PPNAISSANCE DE LA BIBLE GRECQUE
PPQUAND LES MUSULMANS LISAIENT LA BIBLE PPP CULTE ET AUTELS DANS par Laurence Vianès, éd. Les Belles Lettres,
par Jean-Louis Désclais, éd. du Cerf, 338 p., 24 e. L’ARCHITECTURE DES ÉGLISES D’OCCIDENT 287 p., 25 e.
par Michel Lheure, éd. Picard, 222 p., 52 e.
Jean-Louis Désclais Où, quand, comment
est selon l’évêque Qui rentre dans et par qui les saintes
d’Oran, Mgr Jean- une église du Écritures juives,
Paul Vesco, « un érudit Moyen Âge et connues sous le nom
iconoclaste » qui « n’a du XIXe siècle est de Septante, ont-elles
de cesse d’utiliser saisi par les diffé- été traduites en grec ?
son savoir pour tra- rences de style et Ces questions han-
quer la vérité au-delà d’atmosphère… taient déjà ceux qui,
des apparences et de la trompeuse Spontanément, dès l’Antiquité et l’époque byzan-
simplicité des idées reçues ». Dans le visiteur l’expliquera par l’histoire de tine, s’interrogeaient sur l’autorité
ce recueil, les chapitres s’enchaînent l’architecture, le plan, les matériaux, des textes sacrés. Sur les origines
comme autant d’enquêtes à mener. les décors… Il n’aura pas tort du point de la Bible la plus lue de l’Antiquité,
L’auteur dévoile ce qui se cache de vue formel et devinera derrière ces tant par les juifs de la diaspora que
sous les écrits d’une tradition quand changements une évolution liée à la par les communautés chrétiennes
ils sont réinterprétés par une autre. fonction liturgique de l’espace. Mais hellénophones, circulaient ainsi une
Face aux textes présentés, comme cela ne lui dira rien du moteur même multitude de récits plus ou moins
autant de pièces à conviction, par- de l’évolution, c’est-à-dire le rapport légendaires et de traditions, dont la
fois contradictoires, le lecteur doit qu’entretiennent l’Église romaine et plupart sont ici traduits et commen-
de temps à autre s’accrocher. Mais les communautés religieuses et lo- tés à nouveau frais par l’helléniste
à chaque fin de chapitre, une fois cales en particulier, entre le sacrifice Laurence Vianès. On y trouve la
l’écheveau démêlé apparaissent une eucharistique et les cultes des saints. Lettre d’Aristée (IIe siècle av. J.-C.),
ou des vérités. On pourrait prendre Historien de l’art, spécialisé dans le Traité des poids et mesures d’Épi-
autant d’exemples parmi les neuf en- l’architecture des églises d’Occident, phane de Salamine (IVe siècle ap.
quêtes proposées, de la Genèse aux Michel Lheure met ici en parallèle, J.-C.) et divers témoignages an-
premiers récits de l’histoire du chris- de l’Antiquité tardive au XXIe siècle, tiques et médiévaux, du philosophe
tianisme. Comment sous un flot de les institutions ecclésiastiques et les juif Philon d’Alexandrie (Ier siècle ap.
commentaires sur l’oracle de Jacob croyances populaires avec les solu- J.-C.) au penseur arabe Ibn Khaldun
débouchent des divergences entre tions liturgiques et pratiques mises (XIVe siècle). En constituant ce recueil
chrétiens et musulmans concernant en œuvre dans l’espace construit. bien commode, accessible au public
la Loi de Moïse, mais surtout com- Espaces capitulaires, multiplication francophone, l’auteur dit avoir visé
bien ces polémiques sont « aussi des chapelles martyriales et funé- érudition et agrément. Elle a mis la
des moments révélateurs dans les- raires… retrouvent alors leur place et Septante en plein dans le mille.
quels chacun dit ce qu’il veut être leur sens. Estelle Villeneuve E. V.
et ce qu’il croit que l’autre est ». Ou
encore comment, un commentateur
musulman en arrive à placer dans la Rattraper la Bible perdue
bouche de Muhammad blessé cette
P LA BIBLE EXPLIQUÉE AUX JEUNES par Jean-Louis Schlegel, éd. du Seuil, 192 p., 9 e.
parole toute christique : « Pardonne à
mon peuple parce qu’ils ne savent 80 % des jeunes d’aujourd’hui n’auraient jamais ouvert une Bible…
pas », quand d’autres l’évoquent Quel dommage ! Pour combler ce vide et redonner goût, curiosité
dans le même épisode laissent en- et intérêt pour ce livre de vie, l’auteur imagine un dialogue avec
tendre le Prophète en appeler à la des lycéens et des collégiens où il répond à leurs questions avec
colère divine ? L’étude de Jean-Louis science et passion. Avec des mots à leur portée, dans leur environ-
Déclais est assurément séduisante nement culturel, il les initie au contenu des grands récits bibliques
et, à chaque chapitre, passionnante. et leur vision du monde, sans oublier l’histoire de leur composition
B. S. et de leur réception en tant que littérature sacrée. E. V.

141
Culture Bible / Livres

Le cri des chrétiens d’Orient Un pavé dans


PCHRÉTIENS D’ORIENT, PÉRIPLE AU CŒUR D’UN MONDE MENACÉ
la mare
par Vincent Gelot, éd. Albin Michel, 272 p., 49 €. PPPJÉSUS-CHRIST, SUBLIME FIGURE
DE PAPIER par Nanine Charbonnel, éd. Berg
Durant deux ans, Vincent Gelot a sillonné à bord de sa international, 500 p., 28 €.
4L les routes et les pistes du Proche-Orient à la rencontre
des communautés chrétiennes. Dans le secret de ses Il y a des questions qu’il
bagages, il emporte « le livre d’Orient », un codex de 300 faut avoir le courage de
pages vierges, relié par les bénédictines de l’abbaye de poser en toute sérénité
Maumont (Charente). C’est sur ce livre qu’il recueille les et par rigueur intellec-
voix des chrétiens croisés au cours de son périple. Le tuelle, quand bien même
parcours est impressionnant du Liban à Jérusalem en elles dérangent. Jésus a-
passant par la Turquie, l’Irak, la Géorgie, l’Arménie, l’Azer- t-il existé ? est de celles-
baïdjan, l’Iran, le Turkménistan, l’Ouzbékistan, la Kazakhstan, le Kirghizistan, le là. Face aux problèmes historiques
Tadjikistan, l’Afghanistan, les Émirats du Golfe et le Yémen, Djibouti, l’Éthiopie, que soulèvent les récits évangéliques,
le Soudan l’Égypte, la Jordanie et la Syrie… Qui imaginait même la présence de les historiens ont répondu en distin-
chrétiens dans certains des pays cités ? Les photos comme les témoignages guant un « Jésus de l’histoire » et « un
sont chaleureux. Souvent poignants. Que dire face aux images des chrétiens Jésus de la foi », celui-ci débordant
devant leurs églises à Qaraqosh, aujourd’hui en partie ruinée ! Comment ne celui-là. Pour la philosophe suisse
pas être profondément ému par le cri des Syriens ? Témoin de leur détresse, Nanine Charbonnel, cette dichotomie
Vincent Gelot est aussi celui de leur fierté, gardiens d’une foi et d’une fidélité qui n’est pas satisfaisante et freine l’avan-
peuvent encore être sauvées. B. S. cée de la recherche vers un champ
dont elle démontre avec succès
la fécondité : l’étude des Évangiles
TÉMOIGNAGES DE CHRÉTIENS D’IRAK

comme œuvres midrashiques, c’est-


à-dire comme interprétation des
Écritures selon la méthode dévelop-
pée par le judaïsme rabbinique. Le
Je te remercie
mon Dieu, car tu
m’as créé et placé
Christ serait ainsi une figure sym-
dans cet Orient
comme ton fils bolique élaborée dans le cadre de
Tu as bien fait Jésus-Christ.
La question
qui se pose de venir, car tu vas Fais que je puisse l’herméneutique juive du Ier siècle. Si
à nous est celle voir à quel point suivre ses traces
de notre avenir.
Qui protégera
les chrétiens sont en témoignant
maltraités ici. de sa lumière
la thèse de Nanine Charbonnel sape
et défendra notre
existence dans
Tu vas entendre
des histoires que
et que, à l’exemple
de son amour, le principe même de l’Incarnation à
ce pays ? Que tu croiras fictives, j’accepte le martyre.
ceux qui lisent mais qui sont Je t’aime mon Dieu la base de la théologie chrétienne, il
cette lettre nous bien réelles. Crimes, de toutes mes
viennent en aide
et prient
assassinats,
déplacements
forces, je t’aime
Orient de toute ne faudrait pas l’assimiler pour autant
mon âme.
pour nous.
Extrait du témoignage intitulé « Un peuple
persécuté depuis toujours », écrit par le moine
ou émigrations
forcées
par l’oppression et l’injustice, attaques dans les églises
Extrait du témoignage du père Joseph Ibrahim
Abdel Safer – moine antonin maronite délégué
à l’athéisme anticlérical dont le phi-
chaldéen Waheed Gabriele Tooma, depuis au monastère de Dera Saida.

losophe Michel Onfray s’est fait le


pour tuer les fidèles...
le réfectoire du monastère de Dera Saida.
Tout cela s’est passé et se passe aujourd’hui en Irak
et dans le reste de l’Orient.

Quelques jours après mon passage, mes hôtes


chaldéens émigrèrent définitivement en raison de la

champion. Sa démonstration magis-


situation économique et sécuritaire difficile.
Un déchirement pour cette famille, surtout pour
la grand-mère de 72 ans qui n’avait jamais quitté
son village natal de la plaine de Ninive. Au terme d’une nuit de travail, Ibrahim Shaba, un artiste syriaque de Bartela, réalise un magnifique
48 dessin dans lequel l’inscription en araméen « Christ notre Sauveur » se fond dans le visage du Christ. 49

trale est moins une dénonciation de


la foi qu’une invitation à retrouver le
sens profond qui animait les fonda-
Jésus gourmand teurs évangéliques du christianisme.
PJÉSUS DE NAZARETH par Daniel Bourgeois, coll. « Biographie gourmande », éd. Payot, 240 p., 16 €. Pour sauver le « Jésus de l’histoire »,
il faudra que les historiens affûtent
On a beaucoup écrit sur le Jésus historique, mais on s’est fina- leurs arguments. Ou que la théologie
lement peu intéressé à ce qu’un Galiléen dans la Palestine du accompagne l’évolution de la science
Ier siècle mangeait et buvait. Le théologien Daniel Bourgeois a dans une acception vivante de la tra-
voulu réparer ce manque. Voici une biographie savoureuse sur dition à ne pas confondre avec une
un sujet finalement très sérieux qui nous conduit de l’héritage « boîte de conserve », comme le disait
culinaire juif qui sépare le pur de l’impur et nous amène au der- avec humour le prédicateur jésuite
nier repas : « le banquet c’est moi ! » B. S. François Varillon. E. V.

142 ● Le Monde de la Bible ● 222


Tout sur la Écrits des juifs 35 itinéraires de
Vierge Marie d’Alexandrie pèlerinage
PPDICTIONNAIRE HISTORIQUE DE LA VIERGE P À LA CROISÉE DES CULTURES. LES PGUIDE DES CHEMINS DE PÈLERINAGE
MARIE sous la direction de Fabienne Henryot TRADITIONS JUDAÏQUES À LA MANIÈRE par Gaële de La Brosse, éd. Presses de
et Philippe Martin, éd. Perrin, 567 p., 27 e. GRECQUE traduits et commentés par Jean la Renaissance-Pèlerin, 320 p., 19,50 e.
Riaud, éd. du Cerf 480 p., 34 e.
Les hauts lieux du Si les chemins vers
culte de la Vierge La diaspora juive Saint-Jacques-de
Marie (Lourdes, d’Alexandrie, pré- Compostelle font
Fatima, Aparecida, sente dans la ville figure de star popu-
Guadalupe…) attire- sitôt fondée par laire parmi les sen-
raient la bagatelle de Alexandre vers 332 tiers de pèlerinage en
40 millions de visi- av. J.-C., connut Europe, il ne faudrait
teurs par an, toutes une belle prospérité pas oublier les autres,
catégories sociales, culturelles et économique, démo- parfois tout aussi anciens. C’est le
même religieuses confondues. Un graphique et intellectuelle. Le grec grand mérite de ce guide proposé
phénomène que ne semble nulle- était devenu quasiment la langue par Gaële de La Brosse, qui est à
ment freiner la sécularisation galo- maternelle de la diaspora, ce qui elle seule une incarnation vivante du
pante des sociétés, peut-être même posa la question de la transmission pèlerinage compostellan, que d’en
au contraire. Au fil de 150 notices du judaïsme aux nouvelles géné- présenter 34 autres. Histoire, sanc-
– autant que les perles égrenées rations qui ne comprenaient plus tuaires jalonnant le circuit, itinéraires,
dans la prière du chapelet ! –, une l’hébreu ou l’araméen. Parler grec logistique, adresses utiles… Chacun
quarantaine d’historiens, théolo- c’est une chose, cesser d’être juif est décrit de façon à donner envie de
giens, spécialistes de la littérature, en est une autre. La traduction de le suivre. À côté de Santiago, Rome,
sociologues et autres politologues la Bible en grec marque sans doute Jérusalem, le Mont-Saint-Michel, de
décryptent l’univers de la dévotion l’un de ces enjeux. Mais la Septante Saint-Gilles ou du Tro Breizh, plus
mariale, ses lieux, ses gestes, ses ne doit pas masquer toute l’érudition ou moins connus, bien d’autres sont
objets, ses prières, ses légendes, d’une intelligentsia juive à Alexandrie à découvrir et à arpenter le temps
ses représentations… S’en tenant à qui refuse de voir marginaliser ou d’une journée ou plus. Parmi ces der-
une position d’observation, volontai- inférioriser sa culture d’origine. On niers, connaissez-vous les chemins
rement à l’écart de toute approche doit donc à Jean Riaud les écrits de de saint Colomban ? L’itinéraire, qui
apologétique, cet ouvrage bénéfi- ces savants et intellectuels alexan- part de l’Irlande et traverse le Pays
ciera autant aux « mariolâtres » qu’à drins, de l’historien Démétrius au de Galle, propose de mettre ses pas
ceux qui jugent déplacés la piété Pseudo-Phocylide, en passant par dans ceux de ce moine irlandais qui
mariale et ses excès. Il permet en Aristobule, Aristée… Ainsi nous est au VIIe siècle évangélisa les cam-
outre de saisir le génie de cette dé- donné un accès facile à ces textes pagnes française, allemande, suisse
votion dans sa capacité à s’adapter qui parlent de judaïsme mais qui ont et italienne et y sema sa pérégrination
à toutes les formes de la religiosité. marqué des générations de chré- de fondations monastiques. À vos
Une plasticité dont l’Église se félicite tiens aux premiers siècles. B. S. chaussures ! B. S.
et se méfie, freine et encourage,
entre le souci de préserver la foi au
plus proche des textes sacrés et le Islam, qui es-tu ?
désir de prendre en compte les aspi- P INITIATION À L’ISLAM par Jacques Huntzinger, éd. du Cerf, 359 p., 24 e.
rations du peuple des croyants. Ce
dictionnaire éclairé apprendra donc Alors que l’islam constitue désormais la seconde religion de
tout sur la Vierge Marie, tout sauf les l’Occident, il reste entouré d’une ignorance profonde. Dans le
blancs irréductibles qui entourent climat de tension actuel, il est indispensable de sortir des clichés
ses origines : quelle jeune fille et et d’élargir sa culture générale à cette foi issue de la prédication
quelle jeune femme de Palestine elle monothéiste et de l’action politique du prophète Mahomet au
fut au tournant de notre ère. VIIe siècle. Ce livre offre des repères bienvenus sur son histoire et
E. V. ses institutions. E. V.

143
DIRECTION COMITÉ ÉDITORIAL ET SCIENTIFIQUE
Directeur de la publication : Pascal Ruffenach. P. Abadie (Institut catholique, Lyon), M.-F. Baslez (Université Paris IV),
Directeur : Jean-Marie Montel. F. Brossier (Institut catholique, Paris), R. Burnet (Université catholique
Le Monde de la Bible fait partie du secteur « Société, Famille, de Louvain), B. Lafont (CNRS, maison de l’archéologie, Nanterre),
Spiritualité » de Bayard. D. Marguerat (Université Lausanne), S. C. Mimouni (École pratique des
hautes études, Paris), J.-C. Ploquin (La Croix), M. Quesnel (Université
RÉDACTION catholique, Lyon), S. Ramond (Institut catholique, Paris), T. Römer
Rédacteur en chef : Benoît de Sagazan. (Collège de France), E. Villeneuve (maison de l’archéologie, Nanterre),
Directrice artistique : Sandrine Edery. R. Ziadé (département byzantin, musée du Petit Palais).
Secrétaire de rédaction unique : Hélène Roquejoffre.
Maquettiste : Laurent Sangpo. COMITÉ D’HONNEUR
Iconographe : Frédéric Mazuy. A. Barbet (dir. honoraire de recherche au CNRS), M. Berder (Institut
Assistante : Djamila Hellal. catholique, Paris), F. Bœspflug (Université de Strasbourg), J.-P. Caillet
Relation lecteurs : Geneviève Pasquier. (Université de Paris X), A. Caubet (INHA), J.-M. Dentzer (membre de
Pour joindre la rédaction : 01 74 31 69 55 l’Institut), F. Dunand (émérite Université de Strasbourg), J.-L. Huot
(Université de Paris I), P. Maraval (émérite Université Paris IV),
ADMINISTRATION A. Marchadour (honoraire Institut catholique, Toulouse), D. Ponnau
Directrice marketing et développement : Anne-Claire Marion. (École du Louvre), É. Puech (CNRS, Jérusalem), J.-P. Thalmann
Direction commerciale : Frédérique Brulé. (Université de Paris I), A. Vauchez (membre de l’Institut).
Direction communication et partenariats : Béatrice Destresse.
Responsable voyages, événements lecteurs : Corinne Miguel. Ce numéro comporte : Un encart broché Monde de la Bible autopromo MBI ; un encart
Direction marketing diffusion et audience : broché Monde de la Bible autopromo, posés sur la totalité de la diffusion. Un encart posé
Pèlerin offre abonnement et une enveloppe posés Monde de la Bible relance, posés sur
Guylaine Colineaux, directrice, Nathalie Baillet, chef de produits. une partie de la diffusion.
Direction des terrains catholiques : Pascale Maurin, directrice,
Stéphanie Chauveau, chef des ventes. Abonnements (4 revues + 6 livres numériques par an) Bayard – TSA 60007, 59714
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144 l Le Monde de la Bible l 222


Tous les papiers se recyclent,
alors trions-les tous.

Un peu de simplicité
dans un monde
complexe.

La presse écrite s’engage pour le recyclage


des papiers avec Ecofolio.
NOTRE PROCHAIN NUMÉRO
Jérusalem revisitée
40 ans après son premier numéro, publié en décembre 1977 et dont la couverture titrait
« Jérusalem, les pierres et les hommes », Le Monde de la Bible a choisi de célébrer son
anniversaire en revisitant la « cité trois fois sainte » dans un numéro exceptionnel.
Fidèle à son approche historique, exégétique, archéologique et artistique, ce dossier spécial
de 72 pages s’intéresse d’abord à l’évocation de la ville de Judée, souvent magnifiée,
sublimée, voire mythifiée, dans les textes les plus anciens de la littérature antique, hébraïque,
rabbinique, évangélique, augustinienne, coranique… Dans un cahier iconographique, sont
présentées et racontées les plus belles et les plus surprenantes représentations d’une
Jérusalem souvent rêvée. Enfin, dans une dernière partie, nos auteurs arpentent la ville, à
la recherche de la cité de David, sous Hérode celle de Jésus, puis celle des premiers temps
du christianisme. Le dossier explore aussi la cité omeyyade, franque, puis ottomane.
Pas moins de treize chercheurs, fins connaisseurs du sujet, ont apporté leur contribution
à ce dossier exceptionnel.
Les lecteurs du Monde de la Bible trouveront également leurs rubriques habituelles tant en
actualité archéologique que culturelle, à travers les grandes expositions du trimestre, sans NO 223 (déc. 2017-jan.-fév. 2018)
oublier la Bible des peintres et celle des pierres ainsi qu’un superbe portfolio réalisé avec le disponible le 1er décembre en
musée de l’Institut du monde arabe à Paris, qui fête, lui aussi, son trentième anniversaire. kiosques et en librairies.

NOS NOUVEAUX LIVRES NUMÉRIQUES


Découvrir autrement…
Au cours de l’été, Le Monde de la Bible met en ligne deux nouveaux livres numériques :
Les églises, des origines aux guerres de Religion et Les fous de Dieu du monde antique,
dans sa nouvelle collection Découvrir autrement…
Découvrir autrement… Les fous de Dieu du monde antique, écrit par Marie-Françoise Baslez,
professeur émérite d’Histoire des religions de l’Antiquité à l’université de Paris-Sorbonne, traite
des figures pour le moins « hors normes » dans l’histoire des religions. Sous l’intitulé « fous de
Dieu », nous amalgamons ces croyants de l’extrême : illuminés, fanatiques, auteurs de prophéties,
visionnaires, mystiques… Comment apparaissent-ils dans l’Antiquité ? Comment sont-ils perçus
dans les mondes grec, juif et chrétien ? Comment les distinguer ?
Dans Découvrir autrement… Les églises, des origines aux guerres de Religion, Benoît de
Sagazan, rédacteur en chef du Monde de la Bible, s’interroge sur l’apparition des édifices religieux
chrétiens et sur leur évolution depuis l’Antiquité jusqu’aux conflits qui ont secoué le XVIe siècle et
remettent en cause la fonction même des églises. Cet ouvrage retrace l’histoire des bâtiments cultuels
à travers leurs usages et leurs fonctions, les réformes et les événements… L’histoire retracée ici n’est
donc pas une simple histoire stylistique de l’architecture, ni même une histoire de l’art.
En lançant la collection « Découvrir autrement… », Le Monde de la Bible veut faciliter la découverte
de l’univers biblique et religieux dans les monothéismes. Le propos est volontairement divisé en
chapitres, puis subdivisé en items ou en questions, dont les réponses sont courtes et écrites dans
un langage accessible. L’ouvrage peut ainsi soit se lire en continu, soit se lire par centre d’intérêt, en
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Ces livres numériques, rappelons-le, sont consultables sur votre ordinateur, votre tablette numérique
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NUMÉRO 218 SEPTEMBRE / OCTOBRE / NOVEMBRE 2016

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et son évangile roi de Juda et d’Israël aux chrétiens

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Chrétiens d’Orient… ROUMANIE
Bucarest
Villes des quatre premiers conciles Danube
A Concile œcuménique de Nicée (325)
B Concile œcuménique de Constantinople (381)
C Concile œcuménique d’Éphèse (431) BULGARIE
D Concile œcuménique de Chalcédoine (451)
THRACE
B6
Siège des Églises pré-chalcédoniennes Constantinople
ou Églises des deux et trois conciles Chalcédoin
1 Église assyrienne, ancienne Église d’Orient D
(nestorienne), scission en 431 (Bagdad) Nicée
2 Catholicossat des Arméniens, ou Église arménienne A
apostolique, scission en 451 (Etchmiadzine) Mer LY D I E
3 Catholicossat des Arméniens de la grande maison Égée
de Cilicie, scission en 451 (Antelya) TURQUIE
4 Église syriaque orthodoxe, ou Église syrienne jacobite, C
Athènes Éphèse
scission en 451 (Damas)
5 Église copte, scission en 451 (Alexandrie)

Siège des Églises grecques orthodoxes


dites aussi Églises byzantines, Églises des 7 conciles
(schisme de 1054)
6 Patriarcat œcuménique de Constantinople Crète
(Constantinople/Istanbul) M e
7 Patriarcat d’Antioche et de tout l’Orient (Damas) r M é
8 Patriarcat d’Alexandrie et de l’Afrique (Alexandrie et d i t
Le Caire) e r r a
9 Patriarcat de Jérusalem (Jérusalem)
n é e
10 Catholicossat de Géorgie, Église autocéphale
depuis 484 (Tbilissi)
11 Église orthodoxe de Chypre (Nicosie)

Siège des Églises orientales catholiques 5 8 17


Alexandrie BASSE
Églises des 21 conciles (schisme de 1054) ÉG Y P T
12 Église maronite, ou Église antiochienne syriaque, 8 17
unie à Rome officiellement en 1182. Le Caire
Patriarcat d’Antioche (Bkerké)
13 Église chaldéenne catholique, scission de l’Église
d’Orient, unie à Rome en 1553.
Patriarcat de Séleucie-Ctésiphon (Bagdad)
14 Église grecque-catholique melkite, scission de
l’Église jacobite, unie à Rome en 1724.
Patriarcat d’Antioche (Damas)
15 Église arménienne catholique, scission de l’Église
Nil

des Arméniens de Cilicie, unie à Rome en 1740 HAUTE


(Beyrouth) ÉG Y P T

16 Église syriaque catholique, scission de l’Église jacobite,


se

unie à Rome en 1662 puis 1783.


rt

Patriarcat d’Antioche (Beyrouth)


17 Église copte-catholique, unie à Rome en 1895. ÉGYPTE
de

Patriarcat d’Alexandrie (Alexandrie et Le Caire)


18 Patriarcat latin de Jérusalem, restauré en 1847
Lib

(Jérusalem)
ye

Villes et sites antiques et médiévaux


Capitales contemporaines
0 250 500 km
© Cartographie J-P Crivellari, 2013
Sommaire du numéro 222

Actualité ________________________ La situation précaire des chrétiens d’Orient

Les Rendez-vous de l’Histoire __ Les manuscrits de la mer Morte

Dossier _________________________ Arabes chrétiens, l’histoire méconnue

Archéologie ____________________ Un monastère d’époque sassanide ;


Les couleurs de l’arc de Titus ;
Faire parler les maisons d’Ur ;
Il était une fois… La stèle d’Héliodore

Expositions _____________________ Musiques ! Échos de l’Antiquité, au musée


du Louvre-Lens ; Reliquaires en papier
roulé (XVIIe-XVIIIe siècles), au musée du Hiéron
à Paray-Le-Monial ; Heures italiennes,
dans les Hauts-de-France

La Bible des peintres __________ La Vision après le sermon de Paul Gauguin

Portfolio ________________________ Trésors du musée départemental Maurice Denis,


à Saint-Germain-en-Laye

Les festivals ____________________ Festival de musique au Mont-Saint-Michel ;


Festival de théâtre biblique à Clermont-Ferrand

Livres __________________________ Entretien avec Dominique Charpin auteur de


La vie méconnue des temples mésopotamiens ;
événement de la rentrée, parution de Jésus.
Une encyclopédie contemporaine…

M 04303 - 222 - F: 15,00 E - AL

3’:HIKONA=XVZUUU:?k@c@c@m@a";
Belgique, Luxembourg, Espagne, Grèce, Portugal 15 € ; Suisse 23,2 FS ;
Maroc 165 MAD ; DOM 15 € ; TOM 1800 XPF ; Canada $ 24,99.

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