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Ouvrages du même auteur: RENÉ GUÉNON

Introduction générale à l'étude des doctrines hindou(''


Orient et Occident LES
Autorité spirituelle et pouvoir temporel
Le Symbolisme de la Croix ~ '1\L\TS MULTIPLES
DE L'ÊTRE

Cinquième édition

" L'ANNEAU D'OR"

Tous droits de reproduction, traduction et adaptation


réservés pour tous pays.

©Éd itions Véga, 2009 Éditions VÉGA


ISB N : 978-2-85829-564-7
19, rue Saint-Séverin
75005 PARIS
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info@guytredani el.fr
AVANT-PROPOS

N notre précédente étude sur Le Symbolisme


,/,1/,1, Croix, nous avons exposé, d'après les don-
ut' tH! fournies par les différentes doctrines tra-
uulltllles, une représentation géométrique de l'être
1 •·utièrement basée sur la théorie métaphysique
lnl multiples. Le présent volume en sera à cet
••' •·o.nme un complément, car les indications
uouH avons données ne suffisent peut-être pas
u·• ,., !)sortir toute la portée de cette théorie, que
,,loil. considérer comme tout à fait fondamentale;
'" nvons dû, en effet, nous borner alors à ce qui
1 n pportait le plus directement au but nettement
' 1 "' que nous nous proposions. C'est pourquoi,
1 1 """maintenant de côté la représentation symbo-
1'l"' 'l''e nous avons décrite, ou du moins ne la
l'l" lunt en quelque sorte qu'incidemment quand
1 1111 ra lieu de nous y référer, nous consacrerons
ul '' n•ment ce nouveau travail à un plus ample
''' ,., \opvement de la théorie dont il s'agit, soit, et
'""' ,\'abord, dans son principe même, soit dans cer-
' ' ' " " H de ses applications, en ce qui concerne plus
'""'it:~llièrement l'être envisagé sous son aspect
\lllllllllll.
l':n ce qui concerne ce dernier point, il n'est peut-
1,.. pas inutile de rappeler dès maintenant que le
7
AVANT-PROPOS
6 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE
. toutes les précautions et les
fait de nous arrêter aux considérations de cet ordrt! uns peme l'' , 'table imperfection de ce
n'implique nullement que l'état humain occupe uH l ''mpose
1
Inevi . d, at à ce qu ''l 1
d Ol't
rang privilégié ùans l'ensemble de l'Existence uni - ' i manif~stemen~ ma a e(; une disproportion
verselle, ou qu'il soit métaphysiquement distingué, ' n pareil cas\ ~~ y dire autant pour
par rapport aux autres états, par la possession d'une t l'on peut d ailleurs ll
en , ll
lle qu e e so1 ,
't y
prérogative quelconque. En réalité, cet état humain présent~tion fo:::t=~i:Se proprement sy~-
n'est qu'un état de manifestation comine tous les _,nr•• ême es r~pre rablement moins étrm-
11, pourtant mcompa rdinaire et par
autres, et parmi une indéfinité d'autres ; il se situe, 0
bornées que le langage • t' n des véri-
dans la hiérarchie des degrés de l'Existence, à la place , la commumca 10
qui lui est assignée par sa nature même, c'est-à-dire "'nt plus aptes' a, l'em loi qui en est fait
n il endantes, d ou . p ment possédant un
par le caractère limitatif des conditions qui le défi-
1 •ment. dans to.u~ ~nt~el!:: et traditionnel (1).
nissent, et eette place ne lui confère ni supériorité ni
rt vraiment << Initia q , d,., fait re mar-
infériorité absolue. Si nous devons parfois envisager . nous 1 avons eJa .
particulièrement cet état, c'est donc uniquement IOI.lfqum, com~e . vient pour ne pomt
parce que, étant celui dans lequel nous nous trou- maintes reprises, Il con 'tio~ partielle, res-
vons en fait, il acquiert par là pour nous, mais pour 1 1 vérit.é p~r .une e~~~;~er toujours la pa~t

nous seulement, une importance spéciale ; ce n'est c u systematisee'. dde. d e qui ne saurait
. bl 'est-a- Ire e c .
là qu'un point de vue tout relatif et contingent, celui ' 111 pnma e, c f t qui métaphysi-
dans aucune orme, e ' l nous
des individus que nous sommes dans notre présent
1 cnt est en rea 1
' r té ce qui importe le p us,
• l
mode de manifestation. C'est pourquoi, notamment, ' A d ·re tout l'essen t1e .
quand nous parlons d'états supérieurs et d'états infé- ems meme . 1, t touJ· ours en ce qui con-
, t s 1 on veu , . l' 1
rieurs, c'est toujours par rapport à l'état humain pris ll\tenan '. 1, . d l'état humain, re Ier e
pour terme de comparaison que nous devons opérer lu cons~de~a~wn e oint de vue métaphy-
1 1, de vue mdividuel a~ p l faire s'il s'agit d~
cette répartition hiérarchique, puisqu'il n'en est
point d'autre qui nous soit directement saisissable 1 ·omme on doit tOUJOUrS e .l ment de savon ·
'' , et non pas seu e ,A
en tant qu'individus; et il ne faut pas oublier qu e ''" Il e sacree n, . ceci . la réalisation de l etre
toute expression, étant l'enveloppement dans une ofl\ne n, nous duo~s , a~tir de n'importe quel
forme, s'effectue nécessairement en mode indivi - 1 p ut s'accomphr a P 'nt de départ, en
. base et comme pm d
duel, si bien que, lorsque nous voulons parler d e t Jll'lS comme . de tous les mo es
Ame de l' éqmva en ce 1
quoi que ce soit, même des vérités d'ordre pure- ll llll me 1 f 't que
. . ent à ce propos, que e ai .
ment métaphysique, nous ne pouvons le faire qu'en ' N•JIIS ferons remarq~er mc•de~~am~is appel à aucun symbollsme
descendant à un tout autre ordre, essentiellement v~e ph~lO:o!~i~:rn~e f~~r!ctère exclusiv;m;n~e~s~:o~~~e~
\!ulnt (IO
aullll'llll, •\ lu• seu . t de vue spècial et du mo e e .
relatif et limité, pour les traduire dans le langage 1 lui! oxtérieur de ce pom
qui est celui des individualités humaines. On corn- 11 '''lrl't Mpond.
8 LES ÉTATS MULTIPLES DE .L'ÊTRE 9
·AV ANT·PROPOS

d'existence contingents au regard de l'Absolu ; elle modes. En effet, la quantité, et à plus forte raison
p~mt donc s'accomplir à partir de l'état humain aussi n mbre qui n'en est qu'un des modes, à savoir
hien que de tout autre, et même, comme nous 1 c uuntité discontinue, est seulement une des con-
l'avons déjà dit ailleurs, à partir de toute moda1ité 1 t.ions déterminantes de certains états, parmi les-
de cet état, ce qui revient à dire qu'elle est notam- lU 1 le nôtre ; elle ne saurait donc être transportée
meD;t P?ssible. pour l'homme corporel et terrestre, d'outres états, et encore moins être appliquée à
quOI qu en pmssent penser les Occidentaux induits l' 118 mble des états, qui échappe évidemment à une
en erreur, quant à l'importance qu'il convi~nt d'at- Il détermination. C'est pourquoi, quand nous par-
tribuer à la« corporéité »,par l'extraordinaire insuffi- I m à cet égard d'une multitude indéfinie, nous de-
sance de leurs conceptions concernant la constitu. > s toujours avoir bien soin de remarquer que
tion de l'être humain (1). Puisque cet état est celui l' ndéfinité dont il s'agit dépasse tout nombre, et
où nous nous trouvons actuellement, c'est de là Ullsi tout ce à quoi la quantité est plus ou moins
que nous devons effectivement partir si nous nous ir ct ement applicable, comme l'indéfinité spatiale
proposons d 'at~eindre à l~ réalisation métaphysique, u temporelle, qui ne relève également que des con-
a quelque degre que ce soit, et c'est là la raison essen- i ions propres à notre monde (1 ).
tie~l~ pour laquelle ce cas doit être envisagé plus ne autre remarque s'impose encore, au sujet de
speciale~e~t ~ar nous ; ayant d'ailleurs développé l' mploi que nous faisons du mot « être »lui-même,
ces consideratiOns précédemment, nous n'y insis- 1Î, en toute rigueur, ne peut plus s'appliquer dans
terons. PB;_S davantage, d'autant plus que notre 110 sens propre quand il s'agit de certains états de
expose meme permettra de les mieux comprendre 11 n-manifestation dont nous aurons à parler, et qui
encore (2 ). IIC t au delà du degré de l'Etre pur. Nous sommes
. D'autre part, pour écarter toute confusion pos- u pendant obligé, en raison de la constitution même
sible, nous devons rappeler dès maintenant que, elu langage humain, de conserver ce terme mê~e
!or~q~e nous parlons ~es états multiples de l'être, 1 n pareil cas, à défaut d'un autre plus adéquat, mais
1l s ag~t, non pas ~·~ne simple multiplicité numérique, r ne lui attribuant plus alors qu'une valeur pure-
ou meme plus generalement quantitative mais bien Ill nt analogique et symbolique, sans quoi il nous
d'une multiplicité d 'ordre «transcendant;!» ou véri- 111 ait tout à fait impossible de parler d'une façon
tablement universel, applicable à tous les domaines quelconque de ce dont il s'agit ; et c'est là un exemple
constituant les différents « mondes » ou degrés de a net de ces insuffisances d'expression auxquelles
l'Existence, considérés séparément ou dans leur nous faisions allusion tout à l'heure. C'est ainsi que
ensemble, donc en dehors et au delà du domaine nous pourrons, comme nous l'avons déjà fait ailleurs,
spécial du nombre et même de la quantité sous tous ontinuer à parler de l'être total comme étant en
(') Voir L'Homme et son devenir selon le VMdnta ch. xx1v .
(') Voir Le Symbolisme de la Croix, ch. xxv1 à ~xvm . (' ) Voir ibid., p. 124.
11
AV ANT-PROPOS
10 LES ÉTATS .MULTIPLES DE L'ÊTRE
111111 lien effectif, ne tarde pas à perdre tout
même temps manifesté dans
non-manifesté dans d' ce~tams
·
de ses états et t I'C traditionnel, car les éléments de cet ordre
implique aucunement a~:res etats, sans . que cela uh i tent encore sont comparables à un corps
devions nous arrêter à? ' p~du'r c~s dermers, nou s l' IH'Ît aurait abandonné, et, par suite, impuis-
respond au de , ~ consi eratwn de ce qui cor- cl rmais à constituer quelque chose de plus
l'.Ëtre (1 ). gre qui est proprement celui de 1 1111 Horte de formalisme vide; c'est là, très exacte-
nt 1 qui est arrivé au monde occidental mo-
s'arrêter à l'Ètre et' de n ~ropos, ~ue le fait de
Nous rappellerons à ce
"' (1) . lques explications étant données, nous pen-
: qu
comme s'il était en e rien envisager au delà,
le plus universel deq:oe~;u:s~ortele Prin~ipe suprême, pouvoir entrer da.ns notre sujet même sans nous
tiques de certaines ' . un des. traits caractéris- th r davantage à des préliminaires dont toutes
tiquité et du con~eptwn~ occidentales de l'an- clin idérations que nous avons déjà exposées par
.
mcontestabl moyen age ' qm ' t ou t en contenant 1 urHnous permettent de nous dispenser en grande
ement une part de m, t h . ic. Il ne nous est pas possible, en effet, de revenir
se retrouve plus dan l e ap ysique qui ne
demeurent grandements. es conceptions modernes, liniment sur ce qui a été dit dans nos précédents
· mcomplètes sous l'll g s, ce qui ne serait que temps perdu ; et, si
et aussi en ce qu'elles se , ce rapport,
ries établies pour elle - pAresentent comme des théo- Fuit certaines répétitions sont inévitables, nous
, l' . s memes et non en d' 11 nous efforcer de les réduire à ce qui est strie-
rea
d' Isatwn effective co rrespon 'd ante Ce vue ' t une, ne nt indispensable à la compréhension de ce que
Ire, assurément, qu'il n' . . . ,n es pas a 11 :nous proposons d'exposer présentement, quitte
en Occident . en ce, . y ait nen eu d autre alors
. ' :Ia, nous parlons s l d c nvoyer le lecteur, chaque fois qu'il en sera besoin,
qm est généralement eu ement e ce
en faisant de louabl coffnnu, et dont certains, tout lUc ou telle partie de nos autres travaux, où il
es e orts po · · 1111111'ra trouver des indications complémentaires ou
négation moderne ont t d • u; reagir contre la
et la portée faute' de en adnee a s exagérer la valeur 1 plus amples développements sur les questions que
' . se ren re compte ,. 1 , . lUlU sommes amené à envisager de nouveau. Ce
encore là que de poi t d · qu I ne s agit
extérieurs, et que d~: l e v.u~/o~me toute assez 1ui fait la difficulté principale de l'exposé, c'est que
c'est le cas une so' rte d es CIVIIsatwns où, comme t.c nt s ces questions sont liées en effet plus ou moins
' e coupure ' t · hl' lroitement les unes aux autres, et qu'il importe de
deux ordres d' · s es eta Ie entre
.Jamais s'op enseignement
l' , . se superposant sans montrer cette liaison aussi souvent que cela est pos-
. P 0 ser, « exoterisme » appelle l' . , IIÎhlo, mais que, d'autre part, il n'importe pas moins
nsme » comme son corn lé , . « esote-
cet << ésotérisme » est . p Jment necessaire. Lorsque cl' viter toute apparence de << systématisation »,
meconnu la civi·l· t' ', c' at-à-dire de limitation incompatible avec la nature
Pus rattach · d' ' · ISa IOn, n etant
1 ee Irectement aux principes super1eurs , .
(') Voir Orient et Occident et La Crise du Monde moderne.
(1) Voir ibid., pp. z2_23.
12 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

même de la doctrine méta h · . .


traire ouvr' , · P ysique, qm dOit au con -
' Ir, a qm est capable de la corn re d
de l « assentir », des possibilités d p .n re ct
seulement indéfin' . e conceptiOn non
aucun abus de l Ies, mais, ,nous pouv:ons le dire sam;
la V, 't, l angage, reellement mfinies commo CHAPITRE PREMIER
eri e tota e elle-même.
L'INFINI ET LA POSSIBILITÉ

)"'Ill bien comprendre la doctrine de la multi-


pli ·ité des états de l'être, il est nécessaire de
n·rnonter, avant toute autre considération,
II H1fll 'l'• la notion la plus primordiale de toutes, celle.
lt l' lulini métaphysique, envisagé dans ses rapports
l'l ' lu Possibilité universelle. L'Infini est, suivant
lu 1~11i fication étymologique du terme qui le dési-
111', •·• ~ qui n'a pas de limites ; et, pour garder à
1 1 t l'l'rrle son sens propre, il faut en réserver rigoureu-

I'IIII'IIL l'emploi à la désignation de ce qui n'a abso-


luartPut aucune limite, à l'exclusion de tout ce qui
' 1 t-~ c·ule ment soustrait à certaines limitations parti-
lllli•'.r·ns, tout en demeurant soumis à d'autres limi-
t ul ions en vertu de sa nature même, à laquelle ces
tlt•a·r•i res sont essentiellement inhérentes, comme le
uul., au point de vue logique qui ne fait en somme
'l'" ' tr·aduire à sa façon le point de vue qu'on peut
uppdcr «ontologique», des éléments intervenant dans
lu d(:finition même de ce dont il s'agit. Ce dernier cas
t il t uotamment, comme nous avons eu déjà l'occasion
dt· l'indiquer à diverses reprises, celui du nombre, de
I'PHpace, du temps, même dans les conceptions les
l'luH générales et les plus étendues qu'il soit possible
dn s'en former, et qui dépassent de beaucoup les
15
L'INFINI ET LA POSSIBILITÉ
14 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

u'à ce qu'elles échappent à nos ordinair~s


notions qu'on en a ordinairement (1 ) ; tout cela 11 11 lles ne sont aucunement suppri·
peut jamais être, en réalité, que du domaine dt' mesure, e · d 1 nature
là . il est bien évident, en raison e a t
l'indéfini. C'est cet indéfini auquel certains, lorsqu 'JI le << plus » ne peu
est d'ordre quantitatif comme dans les exempl n 1 ln ' relatiOn . l
causa e, que . d fi .
• • » ni l'lnfim u m.
que nous venons de rappeler, donnent abusivem ' JII. t.1r du << moins ' '1 ' 't comme
le nom d' «infini mathématique », comme si l'n(l• 1) ut en être autre~ent lor:q~ei c:r~;~~s ordres
jonction d'une épithète ou d'une qualification dét c•·· t us que nous e~visageo~ ' manifestement
minante au -mot « infini » n'impliquait pas par ell ( • bilités particulières, qm sont d d possibi-
même une contradiction pure et simple (2 ). En fait ,
rnr la coexistence d'autres or res e qui fait
vertu de leur nature propre,
cet indéfini, procédant du fini dont il n'est qu'urH one en 'b'l' t, déterminées et non
nt là telles possi I I es ' . t'
extension ou un développement, et étant par suite . 'l' , aucune restriC IOn.
toujo~rs réductible au fini, n'a aucune communc a les possibi Ites sans . d'une indé-
mesure avec le véritable Infini, pas plus que l'indi· n était pas a~n~~' ~ette ~oeXI~~:ceas comprises
vidualité, humaine ou autre, même avec l'intégralit l' utres possibilites, qm ne sd' 'lpl s pareille·
. d t chacune est at eur
des prolongements indéfinis dont elle est susceptible, llcs-1a, et on · d ·fini serait
. d' d • eloppement m e '
n'en saurait avoir avec l'être total (3 ). Cette form a· uscel!t~~le. ~n ~vd're une absurdité au sens
tion de l'indéfini à partir du fini, dont on a un exem· 'l)OSSibihte, c est-a- I . "tre
t (1) L'Infini au contraue, pour e
ple très net dans la production de la série des no m- de ce mo . d ~tre aucune restriction,
bres, n'est possible en effet qu'à la condition que Jo tel ne peut a me d' · · t
' '1 st absolument incon ttiOnne e
fini contienne déjà en puissance cet indéfini, et, quand uppos~a'!ut~u~e détermination, quell~ qu'..elle
bien même les limites en seraient reculées jusqu'à cc ' , limitation, par la me~e
que nous les perdions de vue en quelque sorte, c'est-à- st forcement une d h d'elle à savoir
. l chose en e ors '
le laisse que que . . 'gaiement possibles.
(') Il faut avoir bien soin de remar(luer que nous disons • générales " 1 autres détermmat10ns e d'
et non pas « universelles •, car il ne s'agit ici que des conditions spécialcH :s . . d'ailleurs le caractère une
de certains états d'existence, et rien de plus ; cela seul doit suffire 1\
faire comprendre qu'il ne saurait être question d'infinité en pareil cas,
ces conditions étant évidemment limitées comme les états mêmes aux-
UnutatiOn presente
ble négation :. poser une :e l'mite c'est nier, pour
cet~e limite exclut ;
IÎ "!est en!er~e, t~~t:: lfmite est proprement la
quels elles s'appliquent et qu'elles concourent à définir.
(') S'il nous arrive parfois de dire « Infini métaphysique •, préci- mte, la nega;IOn. u , t-, -dire logiquement et
~ément pour marquer d'une façon plus explicite qu'il ne s'agit aucune-
ment du prétendu «infini m::.thématique • ou d'autres • contrefaçons de
tion d'une n~gatiOn, ces a ffir~ation, de telle
l'Infini •, s'il est permis d'ainsi parler, une telle expression ne tom be Il mathématiquement, une a l
nullement sous l'objection que nous formulons ici, parce que l'ordre
métaphysique est réellement illimité, de sorte qu'il n'y a là aucune . t mathématique, est ce qm· ~~
· plique
.
détermination, mais au contraire l'affirmation de ce qui dépasse toute 1'1 'absurde au sens log•que e r·m ossible car c'est 1 absence
détermination, tandis que qui dit • mathématique » re~treint par là b diction; iJ se confoD:d do~c av:~t ;us;i bien qu'ontologiquement,
même la conception à un domaine spécial et borné, celui d-e la quantité. llllll~ro.diction interne qm, log•quem
(•) Voir Le Symbolisme de la Croix, ch. xxvi et xxx. luit ln possibilité.
L'INFINI ET LA POSSIBILITÉ
17
16 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

sorte que la négation de toute limite équivaut en réa- 11


o. négation qui serait contradictoire (~). En
lité à l'affirmation totale et absolue. Ce qui n'a pas i l'on envisage le « Tout », au sens um':er~el
de limites, c'est ce dont on ne peut rien nier, donc t1 olu il est évident qu'il ne peut être hmlté
ce qui contient tout, ce hors de quoi il n'y a rien ; u un~ façon, car il ne pourrait l'être. que p~r
et cette idée de l'Infini, qui est ainsi la plus affirma- lqu chose qui lui serait cxt~rieur, et, s'Il y .avmt
tive de toutes, puisqu'elle comprend ou enveloppe htue chose qui lui fût extérieur, ce ~~ serait pas
toutes les affirmations particulières, quelles qu'elles 'l' ut ». Il importe de remarquer, d ailleurs, que
puissent être, ne s'exprime par un terme de forme Tout » en ce sens, ne doit aucunement être
négative qu'en raison même de son indétermination h ilé à ~n tout particulier et dét~rmin~, c'es~-à­
absolue. Dans le langage, en effet, toute affirmation un ensemble composé de parties qm seraient
directe est forcément une affirmation particulière et lui dans un rapport défini ; il est à p~oprement
déterminée, l'affirmation de quelque chose, tandis le r « sans parties », puisque, ces parties devant
que l'affirmation totale et absolue n'est aucune affir- écessairement relatives et finies, elles ne pour:
mation particulière à l'exclusion des autres, puis- nt avoir avec lui aucune comm~ne ~esu~e, .m
qu'elle les implique toutes également; et il est facil e onséquent aucun rapport, ~e qm revient. a due
de saisir dès maintenant le rapport très étroit que ' 11 8 n'existent pas pour lm (2 ) ; et ceci suffit
ceci présente avec la Possibilité universelle, qui com- n ntrer qu'on ne doit chercher à s'en former au-
prend de la même façon toutes les possibilités parti- conception particulière (3 )·
culières (1 ).
1 ponùamment de toute condition particulière, de la ~écessit~ ?~te
L'idée de l'Infini, telle que nous venons de la poser Jlh)' lque •, ou nécessité de fait, qui est simplement l.•mposs1bil1té
ici (2), au point de vue purement métaphysique, "' 1 8 choses ou les êtres de ne pas se conformer aux lo1s du monde
1 Ils appartiennent, et qui, par conséquent, est subordon.née ~ux
n'est aucunement discutable ni contestable, car elle
ne peut renfermer en soi aucune contradiction, par là 11 ~ 1111
1lttons par lesquelles ce monde est défini et ne vaut qu'à l'mténeur
(Jomaine spécial.
1
') • rtains philosophes, ayant argumenté très justement contre le
même qu'il n'y a en elle rien de négatif ; elle est de · r·n · mathématique • et ayant montré toutes les contra-
lill d u • m 1 1
plus nécessaire, au sens logique de ce mot (3 ), car ' . .
1 lluM qu'implique cette idée (contradictions qm d•~para•.ss.en .a•
ur~
·
' dès qu'on se rend compte que ce n'est là q~e de 1 ~n~~hm), ~r01e.n.
t
t d' 1

( ) Sur l'emploi des termes de forme négative, mais dont la signifi-


1 yul r )rouvé par là même, et en même temps, 1 •mposslbillté de 1 Infm1
cation réelle es t essentiellement a ffirmative, voir Introduction générale tll()\lysique . tout ce qu' ils prouvent en réalité, par celte co~fus10n,
à l' élude des doctrines hindoues, pp. 140-144, et L'Homme et son devenir • L qu'ils ign'orent complètement c~ don~. il s'agit dans c~ d~rmer cas.
selon le Vêdânta, ch. xvi. (•) En d'autres termes, le fini, meme s il est susceplible, d e:ct~~sio~
(') Nous ne disons pas de la définir, car il serait évidemment contra- 1 tl rlnle est toujours rigoureusement nul au regard de 1 Inf1m , pal
dictoire de prétendre donner une définition de l'Infini ; et nous avons 11 nu'cune chose ou aucun être ne peut être considéré comme une
111 , · r'uo de l'Infini ., ce qui est une des conceptions erronées ~ppartenant
montré ailleurs que le point de vue métaphysique lui-même, en raison
de son caractère universel et illimité, n' est pas davantage susceptible n1 wopre au «panthéisme ., car l'emploi même du mot • parlie • suppose
d'être défini (Introduction générale à l' élude des doctrines hindoues l' •IIMt nee d'un rapport défini avec le tout. .
z• partie, ch. v) . ' •) .e qu'il faut éviter surtout, c'est de concevoir 1~ To~~ umversel
( ) Il faut distinguer cette nécessité logique, qui est l'impossibilité
3 rnçon d'une somme arithmétique, obten~e. par 1 ad~1t10n de se.s
\rLI
11 prises une à une et successivement. D ailleurs, meme quand il
qu'une chose ne soit pas ou qu'elle soit autrement qu 'elle est, et cela 8
19
, ET L 4• POSSIBILITÉ
L INFINI
18 LES ÉTATS MULTIPLES DE - L'ÊTRE
, . ement de sorte
limiteraient reclproq~ . '· fini (1) .
Ce que nous venons de dire du Tout univerRt l, . , d'eux ne serait In '
dans son indétermination la plus absolue, s'y appl uhte, a~cun la Possibilité universelle
que encore quand on l'envisage sous le point de Vllt Il n n.o~s ~I~on~lj~:t entendre par là q~'ell~
de la Possibilité ; et, à vrai dire, ce n'est pas 1 01.1 ühmitee, 1 l'I fini même envisage
une détermination, ou du moins c'est le minimli TII o.utre chose que l n 1sure où il,est permis
t rtain aspect, dans a m~e l'Infini. Puisque
de détermination qui soit requis pour no1.1s le rend rr
qu'il y a des aspects · "l ne sau·
actuellement concevable, et surtout exprimable 1
t véritablement « sans "[_lartie~:'p\us d'une
quelque degré. Comme nous avons eu l'occasion d1 . r être questiOn n .
l'indiquer ailleurs (1 ), une limitation de la Possibilit t ute rigueu ' . , Uement et << dis·
té d'aspects existant ree . ' vrai dire
totale est, au sens propre du mot, une impossibilit , lui. c'est nous qui, a ,.1'
nt » en ' t parce qu I
puisque, devant comprendre la Possibilité pour lu l'Infini sous tel ou te aspec '1 t même
limiter, elle ne pourrait y être comprise, et ce qu i "bl d faire autrement, e '
est en dehors du possible ne saurait être autre qu'im- l st pas possi. , e't e"t pas essent"1ellement limi-
possible ; mais une impossibilité, n'étant rien qu'um conceptiOn n e ai s sommes dans un
négation pure et simple, un véritable néant, ne p eut 1 me elle l'est tant. {~er::~ent se limiter pour

évidemment limiter quoi que ce soit, d'où il résult ividuel, elle devr.ai '~l lui faut pour cela se
immédiatement que la Possibilité universelle est exprimable, P~'lsqu ~ , Seulement, ce qui
d'une forme determmee.. bien d'où vient
nécessairement illimitée. Il faut bien prendre garde, comprenwns .
d'ailleurs, que ceci n'est naturellement applicable -......, '"- c'est que nou S . fi de ne l'attribuer
et à quoi elle ti~nt, a m lutôt à celle des
qu'à la Possibilité universelle et totale, qui n'est · perfectiOn ou P .
ainsi que ce que nous pouvons appeler un aspect do notre p~op~e. Im térieurs dont nous dispo·
l'Infini, dont elle n'est distincte en aucune façon ments mterieurs et ex 'êtres individuels, ne
ni dans aucune mesure; il ne peut rien y avoir qui ctuellement en tant qu t ls qu'une existence
. ment comme e
soit en dehors del'lnfini, puisque cela serait une limi- dant e ff ectiVe d as transporter cette
tation, et qu'alors il ne serait plus l'Infini. La con-
1ni et conditionnée, et e n~ p te et transitoire
. ent cont1ngen
ception d'une« pluralité d'infinis »est une absurdité, rfectwn, pu~~m x uelles elle se réfère e.t
une les conditiOns au q . "ll" mité de la Possi·
1 t elle résulte, dans l~ domame 1 1
s'agit d'un tout particulier, il y a deux cas à distinguer : un tout véri-
table est logiquement antérieur à ses parties et en est indépendant ; Ht universelle ~lle-memde. . , re remarque : si l'on
un tout conçu comme logiquement postérieur à ses parties, dont il ore une erme "bTt'
n'est que la somme, ne constitue en réalité que ce que les philosophes Aioutons e~c de l'Infini et de la Possl 1 1 e,
scolastiques appelaient un ens rationis, dont l'existence, en tant que 1 corrélatiVement . deux termes une
• tout •, est subordonnée à la condition d'être effectivement pensé comme n'est pas pour étabhr entre ces
tel ; le premier a en lui-même un principe d'unité réelle, supérieur à
la multiplicité de ses parties, tandis que le second n'a d'autre unité
que celle que nous lui attribuons par la pensée.
(' ) Voir ibid., P· 203.
(') Le Symbolisme de la Croi:J;, p. 126.
20 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

distinction qui ne saurait exister réellement ; c'1 1


que l'Infini est alors envisagé plus spécialement sou
son aspect actif, tandis que la Possibilité est so n
aspect passif (1) ; mais, qu'il soit regardé par nou CHAPITRE Il
comme actif ou comme passif, c'est toujours l'Infin i,
qui ne saurait être affecté par ces points de VII I
contingents, et les déterminations, quel que soit l1 SSIBLES ET COMPOSSIBLES
principe par lequel on les effectue, n'existent ici qui
par rapport à notre conception. C'est donc là, ou
somme, la même chose que ce que nous avons app ·l~ . .. , . ll avons-nous dit, est
l oss1b1hte umverse e, .. u'illimi-
llimitée, et. ne peut pas ~tre a:~:::e~t, c'est
ailleurs, suivant la terminologie de la doctrine ex·
trême-orientale, la « perfection active » ( Khien) o·t • voulOlr la concevOlr . ..
C , , pas la concevou
la « perfection passive » ( Khouen), la Perfection 1 réalité, se condamner a ne , hi-
au sens absolu, étant identique à l'Infini entendu dans l C'est ce qui fait que tous les syst~mes pent
toute son indétermination ; et, comme nous l'avons l ,. de l'Occident moderne so~t egal~m ,
dit alors, c'est l'analogue, mais à un autre degré et '~:~: du point de vue métaphysique, c est-a~
à un point de vue bien plus universel, de ce que sont, , la récisément en tant que sys
dans l'Ê:tre, l' « essence » et la « substance » (2 ). 11 umversel, et ce p, d,., fait remarquer
1 insi que nous lavons ela
doit être bien compris, dès maintenant, que l'Etrc ' 1 à diverses reprises ; ils ne ~ont en
n'enferme pas toute la Possibilité, et que, par con - ( mme tels, que des conceptions r~st;emte~l~~
séquent, il ne peut aucunement être identifié à ui euvent, par quelques-uns e eurs .
l'Infini; c'est pourquoi nous disons que le point de - •lnnt'l"' q . P . leur dans un domame
t.14 , avOlr une certame va f
vue auquel nous nous plaçons ici est beaucoup plus •f · qm• d ev1ennen
. t dangereuses et ausses
universel que celui où nous n'avons à envisager que 1 ' m;~~ses dans leur ensemble, elles P!'étenden:
l'Etre ; ceci est seulement indiqué pour éviter toute Cl'l ' . d lus et veulent se faire passel
confusion, car nous aurons, dans la suite, l'occasion "' lque chose . e ~ la réalité totale. Sans doute~
de nous en expliquer plus amplement. ar une expressi~n. e ' . er s écialement, Sl
t toujours légltime d e~visag pd ossibilités
. , propos certams ordres e p
(') C'est Brahma et sa Shakti dans la doctrine hindoue (voir L'Homme 1c luge a ' ' t l' en somme, ce
et son devenir selon le V ~dânta, pp. 72 et 107-109). l'c clusion des autres, et c es . a, quelconque ;
fait n.écess~irement c~:S: ~~~rcr:er que ce soit
( 1 ) Voir Le Symbolisme de la Croix, pp. 166-167.

ce qm ne l est pas, . d, sse


ute la Possibilité et de nier tou~ ce .qud~ . ~palle
a propre compréhensiOn m lVI ue '
mesure de S
23
P OSSIBLES ET COMPOSSIBLES
22 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

l ue chose de beaucoup plus gén~r~~ ~t


plus ou moins étroitement bornée (1 ). C'est pourtuul CJU q' nsemble de toutes les possibilites
là, à un degré ou à un autre, le caractère essenlÎ11l nclu , le . d't" s communes et for-
ertames con I wn , fi . des
de cette forme systématique qui paraît inhéreul.n là même un certain ordre de mi, un .
à toute la philosophie occidentale moderne ; et c' Hl . dans l'Existence universelle ; mais,
une des raisons pour lesquelles la pensée philoso
phique, au sens ordinaire du mot, n'a et ne pou 1 \ :~:~:il faut _q~'il s'a;is::id~~nd~~~::~:
lU]. ours détermme, san q d d' bord
avoir rien de commun avec les doctrines d 'ordt·n . · our pren re a ·
liquerait plus. Amsi, P
purement métaphysique (2 ). d'ordre particulier et e~t~ê.Ill;ement si:~
Parmi les philosophes qui, en raison de cette t eH • , nd » est une impossihihte, parce q
dance systématique et véritablement « antimétaphy· 1( eur~:sr~eux possibles << carré ».et. << rond .»
sique », se sont efforcés de limiter d'une façon 011 -~~~~" ..même figure implique contr~diCt~on ; mais
d'une autre la Possibilité universelle, certains, c 'hl n'en sont pas moms egalement
comme Leibnitz (qui est pourtant un de ceux don L p ossi es Ame titre car l'existence d'une
les vues sont les moins étroites sous bien des rap · l s, et ~u ~eh , " d~~ment pas l'existence
rrée n empe~ e evi A
ports), ont voulu faire usage à cet égard de la dis- , Até d'elle et dans le meme espace,
tinction des « possibles » et des « compossibles » ; n c, a co l s ue de t-oute autre
mais il n'est que trop évident que cette distinction, ligure. r?nde, non p u v~ble (1 ). Cela paraît
dans la mesure où elle est valablement applicabl , goom~t~Iquement con,~~ soit utile d'y insister
ne peut aucunement servir à cette fin illusoire. En rop evid~nt potuerl qe:;mple en raison de sa
ge . ma1s un ' d
effet, les compossibles ne sont pas autre chose qu k • é ' A a l'avantage d'aider à compren re,
des possibles compatibles entre eux, c'est-à-dire dont Lt ~erne, . a orte à des cas apparem-
la_réunion dans un même ensemble complexe n 'intro- no.logie, ce qm se r PP e celui dont nous allons
vlus complexes, comm
duit à l'intérieur de celui-ci aucune contradiction ;
par suite, la « compossibilité »est toujours essentielle- tna~nte~~:~· oh. et ou d'un être particulier' on
ment relative à l'ensemble dont il s'agit. Il est bien 1 uu heu l s appeler un monde,
entendu, d'ailleurs, que cet ensemble peut être, soit id re ce que nous pouvon de' "a' donné à ce mot,
e nous avons l .
celui des caractères qui constituent toutes les attri- 1 nt l e sens qu . f mé par un certain
• -dire tout le domame or
butions d'un objet particulier, ou d'un être indivi-
.. le d'ordre plus étendu, les diverses
(') 1)0 même, pour prendre un exe~~ nnes ne peuvent évidem~ent
(') Il est à remarquer en effet que tout système philosophique se mAtrles euclidienne et no~-eu~ ' ~a ne saurait empêcher les ci:tffé-
présente comme étant essentiellement l'œuvre d'un individu, contrai- 11 uer à un même espace ' mats c rres ondent de coextster
rement à ce qui a lieu pour les doctrines traditionnelles, au regard des- Il qtnodalités d 'espace a';lx_q_uelles e:;~: c~ù c~acune d 'elles doit _se
quelles les individualités ne comptent pour rien. • l'Intégralité de 1~ posstbtllté s~~~s allons expliquer sur l'identtté
( 1 ) Voir Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, 2• partie, Il• r Il sa façon, smvant ce que
ch . vm .; L 'H omme et son devenir selon le Vêdânta, ch. 1•• ; Le Sym bo- Uve du possible et du réel.
lisme de la Croix, ch. 1•r et xv.
25
l' 881BLES ET COMPOSSIBLES

24 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE


. · • st nullement
r'té axiomatique, qui n e . uoi
ensemble de compossibles qui se réalisent du11 1 If l'on demandait cependant po~rq .
, ' . se manifester, c est-a-
manifestation, ces compossibles devront êtro 11111 l ilité ne dolt I;>as 'bTtés de mani-
les possibles qui satisfont à certaines condition f4, li• . 1 a à la füls des poss1 1 1 . 'l
101\ y 'bTt' de non-manifestatlOn, 1
quelles caractériseront et définiront précisémoul 1 t, d s poss1 l l els d maine de la manifes·
monde dont il s'agit, constituant un des d egl't 1l l l' pondre que eA o '1'1 est un ensemble
l'Existence universelle. Les autres possibles, qu i 11 . 't' ar là meme qu
nt \1m1 e P d't' és (d'ailleurs en
sont pas déterminés par les mêmes condition M, ou d'états con 1 lOnn p 'bTté
qui, par suite, ne peuvent pas faire partie du m tH ' définie) ne saurait épuiser la ossidi ll .
m ' 'll . dehors e Ul
monde, n'en sont évidemment pas moins réalisu hl dans sa totalité ; 1 • a1sse. e.n, t ce qui
pour cela, mais, bien entendu, chacun selon le mod • . . ' ' t à -due precisemen '
, und1t10nne,. c es - l Quant à se de-
qui convient à sa nature. En d'autres termes , loul t Importe 1e P us. .
possible a son existence propre comme tel (1 ), ct l" - ·•v•••uu._ ...,..,. A.• 'telle possibilité ne dült pas ~e
l' urquo1 ll tre cela reviendrait
possibles dont la nature implique une réalisatio u, _.,..... ussi bien que te eau . ' lle est ce qu'elle
au sens où on l'entend ordinairement, c'est-à-flit•t nt à se demander pour~usotl de one exactement
une existence dans un mode quelconque de manif1 r qu•es tune· autre. ·' c e i tel être est
tation (2 ), ne peuvent pas perdre ce caractère l (UI , l'on se demandait pourquo . é
lU A e qui serait assur •
leur est essentiellement inhérent et devenir irréa Il c t non un autre etre, c u'il faut
sables par le fait que d'autres possibles sont actu el!~ . d· rvue de sens. Ce q
11 1 questiOn epou d , t qu'une possibilité
ment réalisés. On peut encore dire que toute possi hi • t 'gar c es ·
unpren d re, a ce e ' t lle aucune supério·
lité qui est une possibilité de manifestation d it '( t' n'a comme e ' ll
Il esta lOn . . '. , de non-manifestation ; e e
nécessairement se manifester par là même, et qu , • .une possibihte d h ·x >> ou de
111
inversement, toute possibilité qui ne doit pas fl ll ' b' t d'une sorte e « c Ol
1)!\8 l o le l ment d'une autre
manifester est une possibilité de non-manifestation ; l'{ nee >> (1)' elle est seu e
sous cette forme, il semble bien que ce ne soit lt\
qu'une affaire de simple définition, et pourtan t . . ob. ecter' au sujet des co~-
nuuntenant on veut l . de Lei'bnitz, « ll
l'affirmation précédente ne comportait rien d'autrn · l' xpress10n
' 1" ' que, sUlvan\ e . de deux choses l'une :
'lu'un mon~e », I arriVe tautologie, ou elle
(') JI doit être bien entendu que nous ne prenons pas ici le mot « exis- l affirmatlOn est une pure
tence • dans son sens rigoureux et conforme à sa dérivation étymolo·
gique, sens qui ne s'applique strictement qu'à l'être conditionné ot . ent in·ustifiable, et elle ne p~ut
contingent, c'est-à-dire en somme à la manifestation; nous n'employonij 1) lit\ telle idée est ~étaphysu:!-u~~e vue :moral • dans un do~a1~e
ce mot, comme nous le faisons aussi parfois pour celui d' • être • lu i- ltlr ue d'une intruswn du p~m. u meilleur ., auquel Le1b~1 ~
même, ainsi que nous l'avons dit dès le début, que d'une façon purement
analogique et symbolique, parce qu'il nous aide dans une certaine
it n'Il tique faire; aussi le • p~mc1~e r~ment antimètaphysique, ams1
1 IIJllll en cette occasion, est-11 pr p c'demment ailleurs (Le Symbo·
mesure à faire comprendre ce dont il s'agit, bien que, en réalité, il lui 11118 l'avons déjà fait remarquer m 1
soit extrêmement inadéquat (voir Le Symbolisme de la Croix, ch. 1•• et u) . • 11 la Croix, P· 35).
(') C'est alors l' • existence » au sens propre et rigoureux du mot.
POSSIBLES ET COMPOSSIBLES
27
26 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

ntre les possibles, c'est là une conception


~·.a ~uc~n sens. En effet, si par« monde» on entent) assurément rien de métaphysique, et cet
1c1 l. ~~~~ers total,. ou ~ême, en se bornant au ransposition de ce qui n' est qu'une simple
poss1b1htes de mamfestat10n, le domaine entier d 1 - n.n n111.: biologique (en connexion avec les mode~­
toutes ces possibilités, c'est-à-dire l'Existence uni · ( r' cs « évolutionnistes ») est même tout à fait
verselle, la chose qu'on énonce est trop évidente 1
iKible.
~ncore que la ~aço~ ~ont ~n l'exprime soit peut-êtrn l tinction du possible et du réel, sur laquelle
1mpr?pre; ma1s, s1 1 on n entend par ce mot qu'un philosophes ont tant insisté, n'a donc aucune
certam ens~m?le de compossibles, comme on le fuil, m taphysique : tout possible est réel à 1 sa
le .plus ordmairem~nt, et comme nous venons de le t suivant le mode que comporte sa nature ( ) ;
fai.re nous-même, il est aussi absurde de dire que s Il 1
, il y aurait des possibles qui ne seraient
existence empêche la coexistence d'autres mond t. dire qu'un possible n'est rien est une contra-
qu'ille s~rait, pou,r r~prendre notre précédent exem• pure et simple ; c'est l'impos,sible, et l:~~p~s­
p:e, de dire que 1 exis~ence d'une figure rond ~ cm nl, qui est, c~mme. nous l a;o?.s .deJa dit,
p ~ che la coexistence d une figure carrée, ou triangu nt . Nier qu'Il y ait des possibihtes de non-
laire, ou de toute autre sorte. Tout ce qu'on peut dÏl'l -.. ,ar.. •••\tion c'est vouloir limiter la Possibilité
c ' est que, comme l es caracteres
' d'un obj et détermiu ' Il · d'autre part, nier que, parmi les possi-
excluent de cet objet la présence d'autres caractère cl ~anifestation, il y en ait de différents
a;~c lesquels ils seraient en contradiction, les c li • t 1 et vouloir la limiter plus étroitement en-
d1t10ns par lesquelles se définit un monde détermiu1 1

ex.clue~t de ce monde les possibles dont la nature nL d'o.ller plus loin, nous ferons rema~quer
n'Imphque pas une réalisation soumise à ces mêmt 1 li u de considérer l'ensemble des conditiOns
c.on.ditions ; ces possibles sont ainsi en dehors th t.c t•min nt un monde, comme nous l'avons fait
hmltes du monde con~i~~r~, ma~s ils .ne sont pas pou•• 1 c tflli précède, on pourrait aussi, au mêm.e
cela exclus de la Possibilite, pmsqu'Il s'agit d e pOHH i clc u ", considérer isolément une de ces condi-
bles par hypothèse, ni même, dans des cas plu 1 ltll1' x mple, parmi les conditions du monde
restreints, de l'Existence au sens propre du t rm~ 1 l'c spnce, envisagé comme le contenant des
c ' est-~-
' d'Ire entendue comme comprenant tout l1 1
~om?me de la manife~ta~ion universelle. Il y a duu 11111 f\0 118 voulons dire par là, c'est qu'il n'y a pas lieu, méta-

l Un~vers des m.o des. d exis~ence multiples, et chtHfUt -...,~u•'"'"" l,, (l'oovlaager le réel comme constituant un ordre ~i!férent
111 1111- lbl ; mals il faut bien se rendre co~pte, d ~1lleurs,
possibl~ a celm qm convient à sa propre natu •·•
1
11111 • rlJol • et par lui-même assez vague, smon éqmv~q~e,
lllltln" (luna J' u age qui en est fait dans ~e langage ordma1r?
q~ant a parler,, c?rnme on l'a fait parfois, ct )ll'é ci 11 r lu plu port des philosophes ; nous ,n avons été .a~en~ a
sement en se r eferant à la conception de L i ln1it v, . . . .,,.. ~ .. , 1 1 QIJ por o qu' Il était nécessaire d écarter la d1sbnct~on
liU l'li ~IIJI 1, d u ré 1 ; nous arriverons cependant, par la smte,
(tout en s'écartant sans doute de sa p nsé duu tlllt tnlli un 1 tLifl uUon b nu oup plus précise.
assez large mesure ), d 'une orte d « lutt pour l' c iM •
POSSIBLES ET COMPOSSIBLES
29
28 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

n va de soi, d'ailleurs, qu'il faut que les


p~ssi?i!ités spatia.les ,(1 ). Il est bien évident que, pu 1• 1 1,1R conditions ainsi réunies soient compatibles
de?mt~on meme,,Il ~y a que les possibilités spatial llt , t leur compatibilité entraîne évidemment
qm. pm,ss~nt se reahser dans l'espace, mais il est non lt possibles qu'elles comprennent respective-
moms ev~dent que cela n'empêche pas les possibilité "' ette restriction que les possibles qui sont
non-spatiales ?e se ré~liser .également (et ici, 1 11 l'ensemble des conditions considérées
· nous. born~nt a la considératiOn des possibilités dt t 111 onstituer qu'une partie de ceux qui sont
mamfestatwn, « se réaliser » doit être pris comm n ,. 1lnns chacune des mêmes conditions envisa-
syno~~me de « se manifester »), en dehors de cotl.t 1 m nt des autres, ·d'où il résulte que ces
conditiOn ~articulière d'existence qu'est l'espa 1 , dans leur intégralité, comporteront, outre
Pourtant, SI l'espace était infini comme certains lt1 t.Ît' ommune, des prolongements en d'IVers
prétendent, il n'y aurait de place dans l'Univ ,.
JIJII l't nant encore au même degré ,de l'E~is­
pour au~une possibilité non-spatiale, et, logiquemout 1 Ul rselle. Ces prolongements, d extensiOn
la ~en~ee elle-même, pour prendre l'exemple le plu I)Orrespondent, dans l'ordre général et
?rdmaire .et 1~ p~us. connu de tous, ne pourrait alot'M 1 e que sont, pour un être particulier,
etre admise a l existence qu'à la condition d' 1,1'1 d cs états, par exemple d'un état indi-
co~çue comme étendue, conception dont la psycl1o ' 1111 i ré intégralement, au delà d'une cer- ·
log~e « profane » elle-même reconnaît la fausset é sn 11
mlnlil définie de ce même état, telle que la
aucune hésitation; mais, bien loin d'être infin i 11 •:ot·porelle dans notre individualité hu-
l' espa?e n ' est qu ' un d es modes possibles
. de la mnui t·
festatwn, qui elle-même n'est nullement infi11 Ît11 1 (')'
même dans l'intégralité de son extension avec l'itl\1
. ' des modes qu'elle comporte, et dont ' ' x:• ;cf. L'Homme et son devenir selon le Vêdânta,
fimite. chn u1111
h . X lii Ct XIV.
e~t lu~-mêm~ indéfini (2 ). Des remarques similnir• r •J~
s ap~h.querai~n~ de ~ê~e à n'importe quelle aull't
conditiOn speciale d existence ; et ce qui e L v r•u
pour chacune de ces conditions prise à parL l't 11 1
encore pour l'ensemble de plusieurs d 'entr ,\llt•ll
dont la réunion ou la combinaison d ét crmÎ11 1 111:
(') Il est impo~t~nt de noter que la condition spntiolo no ij llrrl l. (lill
à elle seu~e, à dé~tmr un ~orps comme t.el ; tout co,.ps os t " "' · HH•dn11111, 11
é~e~~u, ~ est~à~dtre soumts à J'espace (d'où ,. suite noto rrun o11l "" rll 1
stb~hté mdé~tme, entraînant l'a bsurdité de ln on o p~lon n~oml • l '/•
mats, ~ontratrem~nt à ce qu'ont pré tendu scnl't M t tl'uulnl 11111 1
stans dune physique • m écani ste •, l' L ndu 11 · on ~ UI.uu 1111111!1111111
oute la nutul'e ou l'ossonco dos 'O I'pa.
(") Voir Le ymbollsmc rio la roiw, h.
CHAPITRE III

I.'Ï!TRE ET LE NON-î:TRE

N, ,., •. qui précède, nous avons indiqué la dis-


,, .. ,., iolt des possibilités de manifestation et
ri• poHsibilités de non-manifestation, les unes
11111 11 ' <)tant également comprises, et au même
d, .. , la Possibilité totale. Cette distinction
''' • 1\ nous avant toute autre distinction plus
'"'" ,.,,, <:omme celle des différents modes de la
ft 1u 1ion universelle, c'est-à-dire des différents
,j, J•Ot-~Hihilités qu'elle comporte, réparties selon
1111d111o n H spéciales auxquelles elles sont res-
' 1111111 HOnmises, et constituant la multitude

''''' dt ·~ mondes ou des degrés de l'Existence.


le 111' o'·, Hi l'on définit l'Être, au sens universel,
'"' J, JII'ÎrH:ipe de la manifestation, et en même
•"'"IIH' eomprenant, par là même, l'ensemble
1 ''' " IP H possibilités de manifestation, nous
d111' Cf"~' J' .IJ:tre n'est pas infini, puisqu'il ne
J, l''' nv(l<: la Possibilité totale ; et cela d'au-
1 pl11 «Jill ' l' fi:t,.e, en tant que principe de la mani-
''""• « OIIIJII'I'II<l hien en effet toutes les possibi-
1 lllltlttf• ·M intion , rnais seulement en tant qu'elles
tu ""' ' '' '"' · J(n dl:lt<H'S de l'Être, il y a donc tout
11 , « ' • •t~ l · u - d i n l.oulm; le::; possibilités de non-
' 1, lul1ou 1 av•·• · l1 •!i JHIHH ihilitéH de manifestation
32 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE L'ÊTRE ET LE NON-ÊTRE 33
elles-mêmes en tant qu'elles sont à l'état non- mani ln totalité des possibilités, et on peut dire que
festé ; et l'Etre lui-même s'y trouve inclus, car, llil c•t le Non-Être sont ses deux aspects : l'Être,
pouvant. appart~nir à la manifestation, puisqu 'il t'li 11 L qu'elle manifeste les possibilités (ou plus
est le prmcipe, Il est lui-même non-manifesté. Po11 1' 111 nt certaines d'entre elles) ; le Non-Être, en
désigner ce qui est ainsi en dehors et au delà " '' 1111' ·lie ne les manifeste pas. L'Être contient
l'Etre, nous sommes obligé, à défaut de tout au 1.1'1' tuut le manifesté; le Non-Être contient tout le
te.rme.' de l'appeler le Non-Etre ; et cette expressi1 11l llllnifesté, y compris l'Être lui-même ; mais la
negative, qm, pour nous , n'est à aucun degré sy no llilit6 universelle comprend à la fois l'Etre et
nyme de « néant >> comme elle paraît l'être dan s lt• · l!:tre. Ajoutons que le non-manifesté com-
l~ngage de ?ert~ins philosophes, outre qu'el1c o10 ''' que nous pouvons appeler le non-manifesta-
directement ms pirée de la terminologie de la do ct1·i1111 '• L·à-dire les possibilités de non-manifestation,
métaphysique extrême-orientale est suffisamrrw11 1 rnnnifestable, c'est-à-dire les possibilités de
justifiée par la nécessité d'employ~rune dénominalÎtllt 1 ntion en tant qu'elles ne se manifestent
quelconque pour pouvoir en parler, jointe à la rem1 11 lu manifestation ne comprenant évidemment
que, déj.à faite par nous plus haut, que les idées l11 l'cil •mble de ces mêmes possibilités en tant
plus umverselles, étant les plus indéterminées 11 1 HO manifestent (1 ).
.
peuvent s ' exprimer, dans la mesure où elles Ho ' nl t'l qui concerne les rapports de l'Etre et du
exprimables, que par des termes qui sont en dl't~l •.lt•t•, il est essentiel de remarquer que l'état
de forme négative, ainsi que nous l'avons vu eu 1•1 ,.,.;r, Htation est toujours transitoire et condi-
qui concerne l'Infini. On peut dire aussi que le N 011 ', ol. que, même pour les possibilités qui corn-
Etre, dans le sens que nous venons d'indiqu c l', ,, 1 Ill ln manifestation, l'état de non-manifestation
pl~s que 1:~tre, ou, si l'on veut, qu'il est sup '· l'it'lfl ul uiHwlument permanent et inconditionné (2 ).
a l Être, SI l on entend par là que ce qu'il compl't'llll 11111 11' propos que rien de ce qui est manifesté
est au delà de l'extension de l'Etre, et qu'il co nl.it •lll c 111 1 HO perdre >J, suivant une expression assez
en principe l'Etre lui-même. Seulement, dè• s l111 111111nnt ·mployée, autrement que par le pas-
qu'o~ ~ppose le Non-Être à l'Être, ou même (J11 1 0II cllltt H Jo non-manifesté; et, bien entendu, ce
les distmgue simplement, c'est qu e ni l'un ni l'Hil l li 1 111 m< (qui, lorsqu'il s'agit de la manifesta-
n'est infini, puisque, à ce point d e vue, ils sc Jimil t•lfl ud iv icluc Il , est proprement la «transformation >>
l'un l'autre en quelque façon; l'infinité n'appn•·IÎ Pit l 11 t' tyniOiogique de ce mot, c'est-à-dire le pas-
qu'à l'ensemble de l'Etre et du Non -lhr , pui ""' ' 11 d t~ l ù <1 lu forme) ne constitue une « perte »
cet ensemble est identique à la Possibilit6 un iv1 1 1 l ,' /lu ftl1116 01 ROll devenir selon le Vt!ddnta, ch. xvi.
seJle. Il tlltll, l.m Ill n outondu que, quand nous disons • transitoire •,
Nous pouvons cn e l'() .xpri nwr J, H o}ll)t'II'H tl t c•t< lll tt ,. nli N '"' " , '' v uo ox luslvoment, ni même principalement, la
lt llil'lll'n ll n, •nr Il • l no s'applique qu'à un mode spécial
façon: lu Possi))jJit · HJJi t'fe tlll 1:onti1 111. 11 ~01 11Î11 IUHiil(tl•(u( 1111 .
34 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE L'ÊTRE ET LE NON-ÊTRE 35

qu~ du point de vue spécial de la manifestaliuu, ine de l'Etre, contrairement à ce qui a lieu
pmsque, dans l'état de non-manifestation, t oul l possibilités de manifestation ; mais, comme
choses, au contraire, subsistent éternellem enl 1111 l'uvons dit plus haut, cela n'implique aucune
principe, indépendamment de toutes les conditiou té des unes sur les autres, puisque les unes
particulières et limitatives qui caractérisent t ·1 oll uutres ont seulement des modes de réalité
tel mo.de ?e ~'existence manifestée. Seulement, po11 at et conformes à leurs natures respectives ;
pouvo1~ dire J_us~ement que << Iien ne se perd », rn Ill li tinction même de l'Etre et du Non-Etre
avec la restnctwn concernant le non-manifest~ 1 mme toute, purement contingente, puisqu'elle
faut envisager tout l'ensemble de la manifestu t.iou t lre faite que du point de vue de la manifes-
universelle, et non pas simplement tel ou tel do "' 1 ClllÎ est lui-même essentiellement contingent.
état~ à _l'exclusion des autres, car, en raison d 1 lt '1 ill urs, ne diminue en rien l'importance que
~ontmmté ~e tous ces états entre eux, il peut 1.011 i tinction a pour nous, étant donné que, dans
JOurs y avOir un passage de l'un à l'autre, sans (fil • t1 t actuel, il ne nous est pas possible de nous
ce passage continuel, qui n'est qu'un changemt 111 ff otivement à un point de vue autre que
de mode (impliquant un changement corresp ondu ul 1 qui est le nôtre en tant que nous appartenons
dans les conditions d ' existence), nous fasse au 1111 1 a mes, comme êtres conditionnés et indivi-
ment sortir du domaine de la manifestation (1). 1 IHI domaine de la manifestation, et que nous
Quant aux possibilités de non-manifestation 1 Il 1 von dépasser qu'en nous affranchissant entiè-
. '
appartiennent essentiellement au Non-Etre, ct, 11111 l1 pnr la réalisation métaphysique, des condi-
leur nature même, elles ne peuvent pas entrer duu llmi lutives de l'existence individuelle.
(') Sur la continuité des états de l'être, voir Le Symbolisme de l a ( .'t'Il l> 1111 :xemple d'une possibilité de non-manifes-
ch: x:' et xxx. ~ Ce qui vient d'être dit doit montrer que les prôtuo11111Ï 1 nous pouvons citer le vide, car une telle
prm?•pes de la « conservation de la matière » et de la « consorvullm1
de l énergie •, 9uelle que soit la forme sous laquelle on les ox po•l111 1t 'St concevable, au moins négativement,
ne sont e.n ré~hté que de simples lois physiques tout à fait r lulh tlir par l'exclusion de certaines détermina-
et app,roXII?atlves, et qui, à l'intérieur .même du domaine spéciol lliiiJIIII
elles .s ~pphquent~ ne peuvent être vraies que sous certaines co nol llllolll I J, vide implique l'exclusion, non seulement
restrictives, conditiOns qui subsisteraient encore mutatis mulam/1, 1 1 ultt ibut corporel ou matériel, non seulement
l'on voulait . étendre de telles lois, en en transp~sant convcnolJlnoll; 111
l~s .termes, à .tout le domaine de la manifestation. Les physici n n ~ •11111 , d'UllC façon plus générale, de toute qualité
d mlleurs. o~hgés de reconnaître qu'il ne s'agit en quelque so l'l,o1 1111 lit 1 mais encore de tout ce qui se rapporte à un
de • .c as-limites •, en ce sens que de telles lois ne seraient rigo urouHtl ll il'lll
applicables qu'à ce qu'ils appellent des « systèm es clos » c'oHt li 1111 1f1111 ·onque de la manifestation. C'est donc
? quel~ue ch_ose qui, en. fait, n 'existe pas et ne peut pas' oxi HLtll', ''''' 1 '1 r; de prét endre qu'il peut y avoir du vide
11 es.t Imp?ssible de réaliser et même de concevoir, à l'in t6rlow• 11 11 lu
mamfestatwn, un ensemble qui soit complètement isolé de tout lu "''• " omprend la manifestation universelle,
sans ~ommunication ni échange d'aucune sorte avec ce qu i ost 011 tlt•IHIJ 1 6t at que ce soit (1 ), puisque le vide
de lu1 ; . une t~lle solution de continuilé serait une vérltab l lo lUlU 1111111
la m~ mfes tatwn , cet ensemble étan t pa r rapport nu r sl co n l li ll •'Il ' t 1 1 u qu o prô lenclcnt notamment les a tomistes (voir L'Homme
n'é tait pas.
11,11_11/t• Nc/1) 11 le V~dd nl a, pp . 11 2-113) .
36 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE L'ÊTRE ET LE NON-ÊTRE 37

appartient essentiellement au domaine de la nou· n donner qu'une expression toute négative :


manifestation; il n'est pas possible de donner à c1 marque, tout à fait générale pour tout ce qui
terme une autre acception intelligible. Nous devou H pporte au Non-Etre, justifie encore l'emploi
à ce sujet, nous borner à cette simple indication, cu 1: tiOH faisons de ce terme (1 ).
nous ne pouvons pas traiter ici la question du vid 11 onsidérations semblables pourraient donc
avec tous les développements qu'elle comporterait. iquer à toute autre possibilité de non-manifes-
• ', • 1
et qm s ecarteraient trop de notre sujet ; comH H ; nous pourrions prendre un autre exemple,
c'est surtout à propos de l'espace qu'elle condu it 1111 J silence, mais l'application serait trop facile
parfois à de graves confusions (1), les considération t'r pour qu'il soit utile d'y insister. Nous nous
qui s'y rapportent trouveront mieux leur place dan l'ons donc, à ce propos, à faire observer ceci :
l'étude que nous nous proposons de consacrer sp(• 1111 Je Non-:E:tre, ou le non-manifesté, comprend
ciale~ent aux con?itions de l'existence corporelle (V) 1 v11J ppe l'Être, ou le principe de la manifesta-
Au pomt de vue ou nous nous plaçons présentement , ' Ir silence comporte en lui-même le principe
nous devonP simplement ajouter que le vide, qunllr Jill l'Ole; en d'autres termes, de même que l'Unité
que soit la façon dont on l'envisage, n'est paR 1,. t 1) n'est que le Zéro métaphysique (le Non-
Non-E:tre, mais seulement ce que nous pouvons appr• ) ullirmé, la parole n'est que le silence exprimé ;
ler un de ses aspects, c'est-à -dire une des possibil i tl"' ir v rsement, le Zéro métaphysique, tout en
qu'il renferme et qui sont autres que les possibilit.l• t l' nité non-affirmée, est aussi quelque chose
comprises dans l'.Ëtre, donc en dehors de celui-ci l'lu ( t même infiniment plus), et de même le
.
même envisagé dans sa totalité, ce qui montre hinu
'
11 qui en est un aspect au sens que nous venons
encore que l'Être n'est pas infini. D'ailleurs, qua111 l 1111'1'i or, n'est pas simplement la parole non-expri-
nous disons qu'une telle possibilité constitue ''" ' 11nr il faut y laisser subsister en outre ce qui
aspect du Non-Être, il faut faire attention qu 'o ll ,. 111 pt·imable, c'est-à-dire non susceptible de ma-
ne peut être conçue en mode distinctif ce modt l rrl,ion (car qui dit expression dit manifestation,
s'appliquant exclusivement à la manifes~atio n · 1 1 111 1111 manifestation formelle), donc de détermi-
ceci explique pourquoi, même si nous pouvonR ,:o u t u11 1 n mode distinctif (2 ). Le rapport ainsi établi
cevoir effectivement cette possibilité qu'est le vi dr•,
ou toute autre du même ordre, nous ne pü11VOII '1 1 r, 'l'rro-tc-Jcing,, ch. xiv.
1'1 1o'11• t l'l nox prlmable (et non pas l'incompréhensible comme on
ull VIII K''"' mont) qui es t désigné primitivement par le mot « mys-
(') La conception d ' un « espace vide • est con lmdicloiro, cu qui , '• 1111', 11 11 1(1'0 , ~.ua r 'tlp:o·• dérive de p.uu•, qui signifie « se taire •.
~otons-le en passant, collstltue une preuve suffi sa nte de Jo rou ill.(\ 1Jo
1t ~ llt11111! u '· A ltt même racine verbale mu (d'où le latin mu!us,
1 élément éthéré (Âicâsha), contrairement. à lu lh.éorio des U o udllli i N it•~ lttU 1 •) Mil l'ni.Ln ·ho ou~ s i l e mot ~. u6o;, « mythe •, qui, avant d'être
et à celle des « philosophes physici ens • ll' I'C s qui n'octmoltul ul, IJIII 1 111 Mllll HO IIK juaqu'ù ne plus désigner qu'un récit fantaisiste, signi-
quatre éléments corporels.
11 1 IJIII , n'6l1111l pua RUSC ptiblc de s'expl'imer direc tement, ne pou~
(') Sur ~e vide el sos rapports ove l' t ondue, voh· nu ~~~ L e 'IJi!llioi i Ntllft Il Il qtw Huggin•() pur un o ropréso nlation symbolique, que celle-c1
de la Crotx, ch. 1v .
Il •l '!illltiiii'Mv rllol 11 rlgu1· .
38 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

entre le silence (non-manifesté) et la parole (mani·


festée) montre comment il est possible de concevoit•
des possibilités de non-manifestation qui correspon ·
dent, par transposition analogique, à certaines possi-
bilités de manifestation (1 ), sans prétendre d'ailleurH CHAPITRE IV
en aucune façon, ici encore, introduire dans le Non
Etre une distinction effective qui ne saurait s'
trouver, puisque l'existence en mode distinctif (q ui FONDEMENT DE LA THÉORIE
est l'existence au sens propre du mot) est essentieJh • DES ÉTATS MULTIPLES
ment inhérente aux conditions de la manifestati011
(mode distinctif n'étant d'ailleurs pas ici, dans to u
les cas, forcément synonyme de mode individuel, f e qui précède contient, dans tm~te. son un~ver­
d ernier impliquant spécialement la distinction f l' nli té , le fondement de la theone des etats .
meJle) (2 ). mul tiples : si l'on envisage un être quel.conq?e
"" t otalité, il devra comporter, au moms vir-
(') On pourrait envisager de la même façon les ténèbres, dans un 11111 lllt nt , des états de manifestation et des états
supérieur, comme ce qui est au delà de la manifestation lu m iw ""''•
tandis que, dans leur sens inférieur et plus habituel, elles sont Hilll cm•munifestation, car ce n'est que dans ce sens
plement, dans le manifesté, l'absence ou la privation de la lu ml ~t' tl 1 1 11 p ut parler vraiment de « totalité » ; autre-
c'est-à-dire quelque chose de purement négatif; la couleur nolr·11 11
1 on n'est en présence que de quelque chose
d'ailleurs, dans le symbolisme, des usages se rapportant effect.i vour t•HI
à cette double signification. '1111plot ct de fragmentaue, . qm. ne peut pas
(") On pourra remarquer que les deux possibilités de non- rn o t~ ll u•
tation que nous avons envisagées ici correspondent à l' « Ab!me • (lluftl t ) 1 t,uc t' v éritablement l'être total (1 ). La non-
et au • Silence • (~<p) de certaines écoles du Gnosti cisme alexunddtl , ' ft Lu Lion avons-nous dit plus haut, possède
lesquels sont en effet des aspects du Non-~tre.
l1 1 u ,. tère ' de p ermanence absolue ; c,est done
lt tJIII ln manifest ation, dans sa condition tran-
IΕ·c t ut e sa réalité; et l'on voit par là que
, I,J'I, 1 in d'être le « néant», serait exacteme~t
lt ou n lt' h , si t outefois le « néant » pouvait
l' 11 11 1 on l,l'!ll l' , ce qui lui supposerait encore un
11 de ,.( dt « p sitivit é », alors qu'il n'est que

1 tt ltiiHI IIIIII M ! 1uv onH lntllqu û ll débu t, si l' on veu t parler d~ l'être
llhtlll ill•ur , fiH UiqucJ Of\ tormo no soit plus p 1·opre~ ent. applicable,
ftiiiHrl~tr 1 11 1111 11 ll fi i! IOM' It p ii!III OIIL • 1111 t r •, rn uto d tlVO rr un autre
jtltl rtr l qu ut. 1 '1"1•1'11 d1 Hii081 lo n .
FONDEMENT DE LA THÉORIE
4i
40 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

à travers toutes ces modifications.


la <<négativité» absolue, c'est-à-dire la pure 1mpo • tats de non-manifestation sont du domaine
sibilité (1 ). Nun·Etre, et les états de manifestation sont du
Cela étant, il en résulte que ce sont essentiellt in de l'l!tre, envisagé dans son intégralité ; on
ment les états de non-manifestation qui assurent 1\ dir aussi que ces derniers correspondent aux
l'être la permanence et l'identité ; et, en dehors dt nts degrés de l'Existence, ces degrés n'étaD:t
ces état.s, c'es~-à~dire si l'on ne prend l'être que du n utr chose que les différents modes, en multi-
la mamf~stat~on, sans le rapporter à son principt indéfinie, de la manifestation universelle.
non-mamfeste, cette permanence et cette identil.{ tub]ir ici une distinction nette -entre l'Etre et
ne peuvent être qu'illusoires, puisque le domaine dt Ml.1 nee, nous devons, ainsi que nous l'avons déjà
la manifestation est proprement le domaine du trun I'OllSidérer l'Etre comme étant proprement le
sitoire et du multiple, comportant des modificatiou ÎJIII même de la manifestation ; l'Existence uni-
c?~tinuelles et ,indéfinies. Dès lors, . on compren d t'Il R ra alors la manifestation intégrale de l'en-
aise~ent ce qu Il faut penser, au point de vue mél.ll cl s possibilités que comporte l':E:.tre, ~t qui
physique, de la prétendue unité du « moi » c'esl·Ù cl'c illeurs toutes les possibilités de mamfesta-
dire de l'être individuel, qui est si indispens~ble à lu ' 1t eci implique le développement effectif de
P,sychologie .o~cidentale e~ « profane >> : d'une pu r·l , fiO IIIIibilités en mode c.ondition~é. Ain~i, l'lhre
c est une umte fragmentaire, puisqu'elle ne se réf J't lnpp l'Existence, et Il est metaphysiqueme~t
~u·~ une portion. de _l'être, à un de ses états wi «Jill celle-ci, puisqu'il en est le principe ; l'E~Is:
Is,olement, et arbitrairement, parmi une indéfini 1•' n' t donc pas identique à l'Etre, car celm-CI
d autres (et encore cet état est-Il fort loin d '.· l.t•t• JI nd à un moindre degré de ~é~er~inati~n! e1t,
1 1111 rqucnt, à un plus haut degr~ dumversah~e ( ).
envisagé ordinairement dans son intégralité) · 11 1
' ' i
d autre part, cette unité, en ne considérant mê•tll ' , u qu • l'Existence soit essentiellement umque,
que !'état ~pécial auquel elle se rapporte, est cncot•r tin l' rce que l'Etre en soi-même est un, elle n'en
aussi relative que possible, puisque cet état sc co r11 pl't cHl pas moins la multiplicité indéfinie des
pose lui-même d'une indéfinité de modificatio fl l'i l1 th la manifestation, car elle les comprend
di;erses, et elle a d'autant moins de réalité qu '1111 "1 tn nt par là même qu'ils sont également
fait abstraction du pl'incipe transcendant (le « ·oi H ltlt , tte possibilité impliquant que chacun
ou la personnalité) qui pourrait seul lui en dount" tlt:i~ tr réalisé selon les conditions qui lui
vraiment, en maintenant l'identité de l'être, en mod,
•t Nu u I'IIJIJ)Oiona oncore qu' • exister •, dans l'acception étymo-
(') Le « néant • ne s'oppose donc pas à l' ~ lre co nlrulrem nt 11 ' ' " 11 1lo1 l'Il 111 0 l (du latin ex-slal'e), c'est proprem_ent être. dépendant
qu'on dit d'ordinai;e ; c'est à la Possibilité qu'il s'oppo8ornll, s'il pou vull llllllltltlllll ; ' at do nc, on somme, ne pas av.o•r en so1-meme so~
entrer à . la !açon dun t~r~e .rée~ dans une opposition qu olco nq uo ; '" "'•• l' l"" lllll pn (lU sn ntlson suffisante, ce qui est b•.en le cas ~e .la mam-
c~~me 11 n ~n est pas ams1, 11 n y a ri en qui puisse s'opposer 11 lu 1'•• •~ 1 lnll, uh1MI till nous l'expliquerons par la smte en déf1mssant la
b1h~é, c.e qm. se comprend sans peine, dès lors quo lu PoB~I l>lll lo "" '' 111 Un n t\11 (11111111 f1•Ç n plus préclso .
réallté 1dentlquo à l'lntini.
42 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE FONDEMENT DE LA THÉORIE 43

sont propres. Comme nous l'avons dit ailleurs, en ' n est qu'une modalité, et cette modalité est
parlant de cette « unicité de l'EJÇ:istence » (en arabo t rminée, non pas précisément par une condition
W ahdatul-wujûd) suivant les données de l'ésotérism e iale d'existence, mais par un ensemble de con-
islamique (1 ), il résulte de là que l'Existence, dans tions qui en délimitent les possibilités, ces candi-
son « unicité » même, comporte une indéfinité do ons étant celles dont la .réunion définit le monde
degrés, correspondant à tous les modes de la mani - 1111ible ou corporel (1 ). Comme noUs l'avons déjà
festation universelle (laquelle est au fond ]a mêm e uliqué (2 ), chacune de ces conditions, considérée iso-
chose que l'Existence elle-même) ; et cette mult;i - nt des autres, peut s'étendre au delà .du domaine
plicité indéfinie des degrés de l'Existence imp1iqu o tte modalité, et, soit par sa propre extension,
corrélativement, pour un être quelconque envisag6 par sa combinaison avec des conditions diffé-
dans le domaine entier de cette Existence, une mul - t s, constituer alors les domaines d'autres moda-
tiplicité pareillement indéfinie d'états de manifes· 1 faisant partie de la même individualité intégrale.
1
tation possibles, dont chacun doit se réaliser dans 11 tre part, chaque modalité doit être regardée
un degré déterminé de l'Existence universelle. UJl rn susceptible de se développer dans le parcours
état d'un être est donc le développement d'une poR• n rtain cycle de manifestation, et, pour la moda-
sibilité particulière comprise dans un tel degré, •( ClOrporelle, en particulier, les modifications secon-
degré étant défini par les conditions auxquelles OH I. l't H que comporte ce développement seront tom; les
soumise la possibilité dont il s'agit, en tant qu ' •li t mc nts de son existence (envisagée sous.J'aspect de
est envisagée comme se réalisant dans le domaine dt cuac ssion temporelle), ou, ce qui revient au même,
la manifestation (2). 1 actes et tous les gestes, quels qu'ils soient,
Ainsi, chaque état de manifestation d'un être cot·· 1
llc 1\Ccomplira au cours de cette existence e~).
respond à un degré de l'Existence, et cet état cotn • Il c ti L presque superflu d'insister sur le peu de
porte en outre des modalités diverses, suivan t ln ''' C[u'occupe le <<moi» individuel dans la totalité
différentes combinaisons de conditions dont est su t• l' 1,1' ('), puisque, même dans toute l'extension
ceptible un même mode général de manifestatiou
l " •t quo la doctrine hindoue désigne comme le domaine de la
enfin, chaque modalité comprend elle-même tlll t 1 •luUnu grossière; on lui donne aussi quelquefois le nom de • monde
série indéfinie de modifications secondaires et (! 1 uw •1 utui Rcelle expression est équivoque, et, si elle peut se justifier
mentaires. Par exemple, si nous considérons l' l,r'll •••11 rnoù m o d u mot • physique •, qui ne s'applique plus en effet
'' llt li on •orne les seules qualités ser.sibles, nous pensons qu 'il
dans · cet état particulier qu'est l'individualit hu 1111 II M 1{111'<1 r toujours il ce mot son sens ancien et étymologique
11 1 , 1 uutur •) ; lot•squ'on l'entend ainsi, la manifestation subtile
maine, la partie corporelle de cette indiviùunli 11 (lU J•lhlti H • physique • que la manifestation grossière, car la • na-
'• • '• • l'l •<llr proprement Jo domaine du « devenir •, est en réalité
{ 1 ) Le Symbolisme de la Croix, pp. 20-21 . hjll Ill ruonlt ti lUlion univ erselle tout entière.
{') Cette restriction est nécessaire puree qu , dons SMl OHHIUHHI 11 11 11 '1 1 1/ltllltl llll//l do la Crola;, p. 102.
manifestée, cetle même possibllltô no pout vi(! minout l,ro "' """ '~• ., lili tl 1 ' " i 1}7.
il do telles cond itions. 11 Il( /IJ/fl ,, Il . XXVII ·
44 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

qu'il peut acquérir quand on l'envisage danH 1111


intégralité (et non pas seulement dans une modnl11
particulière comme la modalité corporelle), il "'
constitue qu'un état comme les autres, et parmi 1111
indéfinité d'autres, et cela alors même que l'on CHAPITRE V
borne à considérer les états de manifestation · 111 11
en outre, ceux-ci ne sont eux-mêmes, au poi111 el
' RAPPORTS DE L'UNITÉ
vue métaphysique, que ce qu'il y a de moins ÏlliJI'" ET DE LA MULTIPLICITÉ
tant dans l'être total, pour les raisons que ntlll
avons données plus haut (1 ). Parmi les étal el
manifestation, il en est certains, autres que J'iutl1
vidualité humaine, qui peuvent être égalemeJll ,1, ,. N ln Non-Être, il ne peut pas être question
états individuels (c'est-à-dire formels), tandi s 'l" d' nu e multiplicité d'états, puisque c'est essen-
d'autres sont des états non-individuels (ou itd"' 1i1·11Pment le domaine de l'indifférencié et
mels), la nature de chacun étant déterminée (ni11 t 1, ,J,. l'inconditionné : l'inconditionné ne peut
que sa place dans l'ensemble hiérarchiquement 111 111• Htmmis aux déterminations de l'un et du
nis~ de l'être) par les conditions qui lui sont p t·o p 1, , 1t 1pl• ·, t•L l'indifférencié ne peut pas existe~ en
puisqu'il s'agit toujours d'états conditionnés, p:~t l1 11l• di 1i nelif. Si cependant nous parlons des etats
même qu'ils sont manifestés. Quant aux ét.nl d "''" ,""ni fcstation, ce n'est pas pour établir dans
non-manifestation, il est évident que, n'étant l'' l", 11111 une s~rte d~ s?'~étr.ie ,avec les ét~ts ~e
, 1,·· 111 t.ion qm serait lllJUStifiee et tout a fait
soumis à la forme, non plus qu'à aucune aut.n· , 1111 11

dition d'un mode quelconque d'existence ma 11 i fp l• , 11 1, ,, llr1 · mais ' c'est que nous sommes f oree' d' Y
ils sont essentiellement extra-individuels ; notJs l"'" ""'''''~'~' ', ~ n quelque façon de la distinction, faute
vons dire qu'ils constituent ce qu'il y a de VI'OÎJtt• "' 'l""' nott s ne pourrions pas en parler du tout;
universel en chaque être, donc ce par quoi Lon 1 ' l1• J, "'' ni , nous devons bien nous rendre . compte
'
,, Il• · distinction n'existe pas en s01, que c.est
se rattache, en tout ce qu'il est, à son princip• "" Il• 1
physique et transcendant, rattachement sanH 1, 'l"' 1 111
'l"; lui donnons son existence toute .relatiVe,
, ' , . 1, qu 'ainsi que nous pouvons envis_ager ce
il n'aurait qu'une existence toute con Lin gt:nll , 1 11

purement illusoire au fond. Il ••~~" nvons appelé des aspects du Non-Etre, en


(') On pourrait donc dire que le • moi •, avec Lo us los pt·ni<>llt" '"' "'
1111 d 'nilltlii'S ressortir tout ce qu'une telle expres-
do.nt il est. susceptible, a incomparabl em ent moins rl'intpcn·l.ll nrn 'l'" " d' iulpt·oprc cL d'inadéquat. Dans le ~on-Ètr~,
lUJ en attribuent les psychologues cL les philoeopllOA oeel d onl 111t ~ "'"Il',
nes, tout en ayant des possibilitl"s ind6finlrn enl. plu H 61nndn " 'il' 11
1 ' " I"' H dn mu'lliplicité, ct, en toute rigueur, Il
1
ne le croient et qu'ils ne peuvent rn ll rn o Jo HtiPPOHH t' (volt· 1 ' " "'"' 11 11 111
, non plu R d'unité, car le Non-Être. es,t le
et son devenir selon le V~dtinla, pp . 1:)-14, oL IIIIHHI c:n q11n 11o11 M '"'""
plus loin des possibilités do lu co uH<·iouco lrullvlcl""lln) . 1
11 ', t plt yHiqno, nnqncl nous sommes obhge de
1111 11
L'UNITÉ ET LA MULTIPLICITÉ
47
46 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

contient en principe toutes les autres


donner un nom pour en parler, et qui est logiqn t ou affirmations distinctives (corres-
ment antérieur à l'unité ; c'est pourquoi la doot•·i11 • t à toutes les possibilités de manifestation),
hindoue parle seulement à cet égard de « Jl lll l r vient à dire que l'unité, dès lors qu'elle est
dualité » ( adwaita), ce qui, d'ailleurs, doit e11 111111• contient en principe la multiplicité, ou
être rapporté à ce que nous avôns dit plus haut. 111 1
c Rt elle-même le principe immédiat de cette
l'emploi des termes de forme négative.
Il est essentiel de remarquer, à ce propos, qu o l• li<ité (1 ).
'<st souvent demandé, et assez vainement,
Zéro métaphysique n'a pas plus de rapports avtl 1. nt la multiplicité pouvait sortir de l'unité,
zéro mathématique, qui n' est que le signe dt 1 '1 p rcevoir que la question, ainsi posée, ne
qu~on.p.eut ap~eler un néant de quantité, qu< l' lu aucune solution, pour la simple raison
fi?I veritable n en a avec le simple indéfi ni, c' t 1 1 t mal posée et, sous cette forme, ne corres-
dire la quantité indéfiniment croissante ou indr 1 11 uu une réalité ; en effet, la multiplicité ne
II_lent d écroissante (1 ) ; et cette absen ce de rappotl , <l l'unité, pas plus que l'unité ne sort du
s1 l'on peut s'exprimer ainsi, est exactemen t du 1 t physique, ou que quelque chose ne sort
même ordre dans l'un et l'autre cas ave· tu Il 11. universel, ou que quelque possibilité ne
pourtant , que le Zéro m ét aph'ysiqu e 11 1• 1
1
'
reserve, t.t·ouver en dehors de l'Infini ou de la Possi-
qu'un asp ~ct de l' In fini ; du m oins , il nous est 1>' ,.,, , to t.nl (2 ). La multiplicité est comprise dans
de. le .cons,Idé~e: comme t el en tant qu 'il contit ll l , 11 JH'Îmordiale, et elle ne cesse pas d'y être
prmc_Ipe l umte, et par suite t out le reste. EH ' l1 11 1 p O.l' le fait de son développem ent en mode
l'unité primordiale n 'est pas autre chose q uo J, '/,, .. ; 1r ; c tte multiplicité est celle des p ossibi-
affirmé , ou, en d 'autres t ermes, l'Etre univen11 1 'l''
est cet te unité, n 'est que le Non-Etre affi rmé ll t111 r·nllJHllOns encore, car on ne saurait trop y insister, que l'unit~
la m esure où est p ossible u ne telle affirrnatio~1 , q11 1. lt 1 os t J' unité métaph ysique ou • transcendant ale •, qm
l' 11:~r univ ersel comme un attribut « coextensif • à celui-ci,
est déjà une p remière détermination, car eli t 11 ' 1 ttluy nr• 1 J11ngage des logiciens (bien que la notion d: «ext ension •
tl 1 t' llHI IJ r hension • qui lui est corrélative ne s01ent plus pro-
que la plus u niverselle de toutes les a Hirln HIIIIII JI rllt•n iJJos au delà des • catégories • ou des genres les plus
d é.fini~s, d onc conditionnées ; et cette pre m i 1' 1 d ,. , , , , 1 1 L 11-tll r quand on passe d u général à l'uni:'ersel), et qui,
lh ol ffl\ 1' 8~ nliellement de l'unité mathématique ou numé-
mmatwn , p réalable à toute manifes t ation < l 1 111111 •• ,: pJllltjll ll tÜ qu'o u seul domaine quantitatif; et il en est d?
pa rticularisation (y compris la poltHÎAnl iou , 1 t ltt ""'l ~l pll lt6, suivan t la remarque que nous avons. déJa
t llltll t ~~ ~ ù pl usieurs reprises. Il y a seulement analogte, et
«. e~sence » et « substance >> q ui est la JH't milt'l d11, , ullt nt m m ahn ililude , ent re les notions métaphysiques
hte et , comme telle, le point d d }Hil' l. dt pnr•IH" t 1. los noti ons mathémati ques correspondantes; la
1 til t• 11111111 t (lOR uulres pur des termes communs n 'ex prime
(' ) Ces deux cas de l' ind6finim n t roi Hl\ll l, tt <1 11 l'lu tl t1111111 ,,, 1lo 11 tin plu H l (toll c l.to an alogie.
décro1ssant sont co qui COl'I'OB pon!l n r ' nll l.{• (1 t'Il qu 11 l' II M "''"Il"'
t•ul 11 •1 '"'"''!'"'' rHIII K punRnn A 1p1' on doit, au tan t que possible,
Hl tl 1111 lcll'llll J,I\ J (jll <:OIUI tl' a emanation », qu i évoque
prem?nt _appcl6 los a, doux Inti ni " (vo l!· l.t .'Îflltl llll /1 ~ 111 ~ tl /11 1 1 1
p. 203) ; •1 co nv l n t d luRist or· Hill' lt fnl l. ' l" ' l ' un ut J'u ul1 n "' tlllll , 1 1111 plltlt'll tlll n ltllll n fii ii Ht ll , elit tl'un • ijo•·ll • hors du Principe.
a ucun m nt BOr tlr• (l u th) IIIJIIrHl qun oll.lluiH,
L'UNITÉ ET LA MULTIPLICITÉ 49
48 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

lités de manifestation, elle ne peut pas être conçuo L'Etre, n'étant que la première affirmatit n, la
autrement que comme telle, car c'est la manifesta · lnl·rnination la plus primordiale, n'est pas le prin-
tion qui implique l'existence distinctive ; et d'au tr·1 l'' suprême de toutes choses ; il n'est, nous le
part, puisqu'il s'agit de possibilités, il faut bil\11 l" t.ons, que le principe de la manifestation, et on
qu'elles existent de la façon qui est impliquée pn1• 111 po.r là combien le point de vue métaphysique
leur nature. Ainsi, le principe de la manifestation l'< slreint par ceux qui prétendent le réduire
universelle, tout en étant un, et en étant mên11 t•luHivement à la seule « ontologie >> ; faire ainsi
l'unité en soi, contient nécessairement la multipli · l'Il ·tion du Non-Être, c'est même proprement
cité ; et celle-ci, dans tous ses développements ind é tout ce qui est le plus vraiment et le plus
ll'ltH nt métaphysique. Cela étant dit en passant,
finis, et s'accomplissant indéfiniment selon une inJr
finité de directions (1 ), procède tout entière de l'unit,,, I'Onclurons ainsi en ce qui concerne le point
111111. venons de traiter: l'Être est un en soi-même
primordiale, dans laquelle elle demeure touj our· '
Jill l' 1mite, l'Existen ce universelle, qui est la mani-
comprise, et qui ne peut être aucunement afl'cel.tlil
ou modifiée par l'existence en elle de cette mu Il i n 1ion intégrale de ses possibilités, est unique dans
plicité, car elle ne saurait évidemment cesser d'êl.l'l ' IIHII nce et sa nature intime ; mais ni l'unité de
elle-même par un efl'et de sa propre nature, Pl 1l't 11 i l' « unicité n de 1' Existence n'excluent la
c'est précisément en tant qu'elle est l'unité qu'nll11 llipli1;ité des modes de la manifestation, d'où
implique essentiellement les possibilités multi1d n 1 ,· fi11ÏI.é des degrés de l'Existence, dans l'ordre
dont il s'agit. C'est donc dans l'unité même qu< lu t·ul ol cosmique, et celle des états de l'être, dans
multiplicité existe, et, comme elle n'affecte pu lt•t d<is existences particulières (1 ). Donc, la con-
f ion des états multiples n'est aucunement en
l'unité, c'est qu'elle n'a qu'une existence toute t ' Oll
tingente par rapport à celle-ci; nous pouvons rni' nlt' 11rdintion avec l'unité de l'Être, non plus qu'avec
IIIIII'ÎI.f> >> de l'Existence qui est fondée sur cette
dire que cette existence, tant qu'on ne la rappt~t ' lt
pas à l'unité comme nous venons de le fai1·1', 1 1 , ptti Hquc ni l'une ni l'autre ne sont affectées
purement illusoire ; c'est l'unité seule qui, étan 1. 1111 uni qu o ce soit par la multiplicité ; et il résulte
principe, lui donne toute la réalité dont elle cs l. 11 tflll d nns tout le domaine de l'Être, la consta-
11 dt ln multiplicité, loin de contredire l'affirma-
ceptible; et l'unité elle-même, à son tour, n'est po 1111
principe absolu et se suffisant à soi-même, mai ~ t•' t• 1 "' l' unité ou de s'y opposer en quelque façon,
1111 t li s ul fondement valable qui puisse lui
du Zéro métaphysique qu'elle tire sa propre réulill
l1111111' 1 tunt logiquement que métaphysiquement.
( 1 ) Il va de soi que ce mot de « directions "• cmpruntô ù 111 l ' lill ill
ration des possibilit és spatiales, doit être entend u ici sylll il o llqu• llll lllt l 11111 111 di HO nR pu s « individuelles •, car dans ce dont il s' agit ici
car, a u sens liltéml, il n e s'appliquerait qu ':\ une inCirno purt.l11 d !IH l" ' 1 "'\"' ~ll'll l 111 nL les é ta ts de manifestation informelle, qui sont
bilités de rnanifes talion; le sens fJU O nou s lui donuon A pl'{IMIIIIi tl lllllll 11111 \ll dlll j •
es t en confo rmité av ec tout c quo nou ~ avo ns oxposé c.lunMI.e ."f/llt lw ll•m
de la Crvi.c.
CHAPITRE VI

NSIDÉRATIONS ANALOGIQUES
1 ÉES DE L'ÉTUDE DE L'ÉTAT
DE Rf:VE

""" quitterons maintenant le point de vue


p11rnmcnt métaphysique auquel nous nous
ornmcs placé, dans le chapitre précédent,
1 uvitiugcr la question des rapports de l'unité et

ruultipli ité, car nous pourrons peut-être mieux


Il t ru j 1'1 COmprendre la nature de CeS rapports
'l"' lf!II<'H onsidérations analogiques, données ici
111 d', x• rnp1c, ou plutôt d'« illustration», si l'on
1 11111 i pu der (1 ), et qui montreront dans quel
1 1 d III H CJUClle mesure On peut dire que l'exis-

1 d. lu multiplicité est illusoire au regard de


11 , 1oui. c·n ayant, bien entendu , autant de
lt '1" ,"" comporte sa nature. Nous emprunte-
••nn Hidérations, d'un caractère plus particu-
l't't,,.J, ~ d l'état de rêve, qui est une des
1 Ill• " do nrunifc ~tation de l'être humain, corres-
11111 u lu p11r· ti1 ~ subtile (c'est-à-dire non-corpo-
11 •· Il• 1 Il n'y n pn H d ' tllCornpl o poss ibl e, au sens strict de ce mot,
1111 ' '"'' •11 " " ln • vill'il.loH rn<o lnploysiquos, puisque celles-ci sont
Il • 1•1 11 1 tlll lll 'n lll. "" HOIIl ol uHc:n plllJI OH d' a ucune particularisation,
r•••· loo otl "" ''"'"' " 1111 1. forr (o iiHlnt d 'o•·clo·o P•H·Li culier, à un degré
" "'"
52 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE ANALOGIES TIRÉES DE L'ÉTAT DE RÊVE 53

relie) de son individualité, et dans lequel ccl , 1' f lh'l, doit être regardé comme un mode de réali-
produit un monde qui procède tout entier df' '"' "" pour des possibilités qui, tout en appartenant
même, et dont les objets consistent exclusiv''"" '' tlun111ine de l'individualité humaine, ne sont pas
dans des conceptions mentales (par opposition ''' 'l'' il,les , pour une raison ou pour une autre, de
perceptions sensorielles de l'état de veille), e'• 1 1 t ult•H'I' en mode corporel; telles sont, par exemple,
dire dans des combinaisons d'idées revêtu• ·~ o1 ''"'IIH'S d'êtres appartenant au même monde,
form es subtiles, ces formes dépendant d'aiti, 11 u ttii'CS que l'homme, formes que celui-ci pos-
substantiellement de la forme subtile de l'ind,, "111 ''tudlement en lui-même en raison de la posi-
lui-même, dont les objets idéaux du rêve 1w " ttlt·ale qu'il occupe dans ce monde (1 ). Ces
en somme qu'autant de modifications accid<·nlodlt "'' peuvent évidemment être réalisées par
et secondaires (1 ). 1 httrnain que dans l'état subtil, et le rêve est
L'homme, dans l'état d e rêve, se situe don .. d' , "' ' 11 1,. plus ordinaire, on pourrait dire le plus
un monde qui est tout entier imagin é par ltt i tttl, d1· Lous ceux par lesquels il lui est possible
dont tous les éléments sont par conséquent 1j,.,. tl '"''"' i fiN à d'autres êtres, sans cesser aucune-
lui-même, de sa propre individualité plus ou "'~'' 1 l'""'' c~ ela d'être lui-même, ainsi que l'indique
étendue (dans ses modalités extra-corporelles), 1'11111"' 1• l11oïste: <<Jadis, raconte Tchoang-tseu, une
autant de << formes illusoires » ( mâyâi'i-rûpn) (' 1 1 1 J' ftt s un papillon, voltigeant content de son
cela alors même qu'il n'en possède pas actuoll• "" 11 l'"i jo m'éveillai, étant Tchoang-tcheou. Qui
la conscience claire et distincte. Quel qu(' , nil 1 , 1 11 d·alité ? Un papillon qui rêve qu'il est
point de départ intérieur ou extérieur, pouvnnt 1 11 "' 1 1··l11·ou, ou Tchoang-tcheou qui s'imagine
fort différent suivant les cas, qui donne au ,.,~," " 1 '"' p11pillon? Dans mon cas, y a-t-il deux indi-
certaine direction, les événements qui s'y d!'·t'""''" '' ' 1 i' Y a -t-il eu transformation réelle d'un
ne peuvent résulter que d'une combinnison d 1 tltt 1 " 111t autre ? Ni l'un ni l'autre ; il y a eu
ments contenus, au moins potentiellem<·nt ,., '"'" """' i li• ·•ll.ions irréelles de l'être unique, de la
susceptibles d'un certain genre de réalisn 1ion, 1l ' 11 ttn•v•••'fW II ·, dans laquelle tous les êtres dans
la compréhension intégrale de l'indiv id 11 ; ,. 1, ''"' 'lnl.s sont un» ( ).
2

éléments, qui sont des modifications cl<· l'inti• ,d 1 lt"d'' id11 qui rêve prend en même temps, dans
sont en multitude ind éfinie, la varié!{· d•· 1~·Il·· d, l ' t ' n~ vn, une part active aux événements
binaisons possibles est également inddini .. . d.',oul• •nl. p:n l'e ffet de sa faculté imagina-
' 1 ;, ""'" s' il y joue un rôle déterminé dans
( ) Voir L'Homme el son dcllenit· sl'ion /1'
1
1 Mtln/u, dt lidtt, " tr·n l'or·porcllc de son être qui corres-
(') Le mot « imagi né » doit r tro t•r•lnuiloo ki """' •1111 '1 t 1 tl 1111 ll ;ouH•nl. :'1 l'état de sa conscience claire-
exact, pui~quo c'c~t hil'H d'mil' follllnllllll ol ' tlllll~'' " lfll 'l l '"'"'' ''1ll
ment dans ln rllvn. '11/1111•,/1~,~~· llr IH l :roi.r, pp . 28·21l el Hl7-I98.
(') \'oio· 1.' ""'''"Il' 1'1 """ 111'"""" ~o~ 11111 /•• 1 ' ''""'" · l' 1111
54 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE ANALOGIES TIRÉES DE L'ÉTAT DE RÊVE 55

ment manifestée, ou à ce -qu'on pourrait appele,. 1 ment les mêmes modifications peuvent
zone centrale de cette conscience, il n'en faut l' réalis~r, mais, la conscience ne reliant plus
moins admettre que, simultanément, tous les ltcl ll l nt cette réalisation à la conception dont
rôles y sont également « agis » par lui, soit d 111 un effet, l'individu est porté à attribuer aux
d'autres modalités, soit tout au moins dans dlll t nts une réalité extérieure à lui-même, et,
rentes modifications secondaires de la mê me Jlltlll m sure où il la leur attribue effectivement, il
lité, appartenant aussi à sa conscience individ 111 Il mi à une illusion dont la cause est en lui,
sinon dans son état actuel, restreint, d e munirt• ltt 'l'ti consiste à séparer la m~lt~plic.ité d,e .ces
tion en tant que conseience, du moins damt l'1111 nt11 de ce qui en est le prmc1pe 1mmed1at,
queleonque de ses possibilités de manifestation , l• ( de sa propre unité indi;iduelle (1 ~· • • ,
quelles, dans leur ensemble, embrassent un oh 1111 1 un exemple très net d une m~ltiphCI~e
indéfiniment plus étendu. Tous ces rôles opp111 tlnns une unité sans que celle-ci en sOit
sent naturellement comme secondaires par rH'JII"''' 1 1 ll ore que l'unité dont il s'agit ne soit
celui qui est le principal pour l'individu , c' Al. 11 tl mit, toute relative, celle d~un individu, elle
à celui où sa .conscience actuelle est dir< 1 1• 11 1'"" moins, par rapport à cette multiplicit~,
intéressée, et, puisque tous les éléments du 1 tlll logue à celui de l'u.nité v~ritabl~ et pri-
n'existent que -par lui, on peut dire qu'il s 111 1 Jllll' l' pport à la mamfestatwn umverselle.
réels qu'autant qu'ils participent à sa propc't 1 uou aurions pu prendre un autre exemple,
1 • '
tenee : c'est lui-même qui les réalise comllH 1111ltt tllli idérer de cette façon la perceptiOn a
de modifications de lui-même, et sans co A c 1 l" il11 (2) ; mais le cas que nous avons choisi
cela d'être lui-même indépendamment d tHM 1111 h l'nvantage de ne donner prise à aucune
fications qui n'affectent en rien cc qui coct 1 1 1 Il raison d es conditions qui sont par-
l'essence propre de son individualité. l>t 1d 11 " 11\0nde du rêve, dans lequel l'homme
l'individu est conscient qu'il rêve, 'm'!L· I'I cl i11 1011 t a les choses extérieures, ou suppo-
tous les événements qui se déroul nt dnn 11 1
n'ont véritablement que la réalité qu ' il h 1111' cl tiH rl nt•quos peuvent s'appliquer également au cas ~e
lui-même, il n'en sera aucunement ufroel( nlo1 111 thw• hill'" 1 l'o r-r ur ne consist e pas, comme on le d1t
lltllrUIH' un réo11t6 à l'objet perçu, car il serait évidem-
qu'il y sera acteur en même t rops <J"' l"" lnl tln llht' t voir qu lque chose q ui n' existerait en au~un~
et précisément parce qu'il n HA t ' '" p 1111 Il hll 11 ~I'IIJll r un mode de réa lité autre que celm qm
111111 1 n'nNt 1111 Homme un o confusion entre l'ordre de la
spectateur pour devenir act ur, ln < O tH npl lnt 1Uitll ltl 111, 1olu l û Io monlfoslal ion corporelle.
réalisation n' étant plus s6po.r6 s fHHJ I' 11 1 "' • fltll lt- 1111r t!pl.lon ommo • l'expression de la multi-
,j
individuelle parv nu à un cl 'l' dt tlt v~t llll'l' ' 1 1 • (11111ll11ï'un Il! 11110 oa;prcsslo ), ·e qui est jusle, mais
tl 1111111 JriM riiMOI'V 8 tjliO HOU R I\VOil8 Cléjù indi q uées sur
suffisant pour mbl'llAAOr Hy nl.h ~l. iqucHtlc 111 lt "" 1 ul tl'ul,t,l'lllllllr ft lu • üullston o lndlvlùu 11 • (cf. Le
l s modifi ti ns u t111 ll1 de l' inclivitlttultl ' 1 "''''• l'li • :14 · !1ft) ,
56 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE ANALOGIES TIRÉES DE L'ÉTAT DE RÊVE 57

sées extérieures (1 ), qui constituent le monde s• " Jnués dans le rêve par ses modalités ou modifi-
sible. Ce qui fait la réalité de ce monde du ,.,.,, ''"" multiples, et par lesquelles il n'est pas davan-
c'est uniquement la conscience individuelle envisnl'' ' rd1'1•eté dans sa nature intime, il n'y a aucune
dans tout son développement, dans toutes les poH ' '"' d•· prétendre réduire toutes ces a:ttri~mtions à
bilités de manifestation qu'elle comprend; et, d' ,tl "" plusieurs d'entre elles, ou du moms 1l ne peut
leurs, cette même conscience, ainsi envisagée d "' ,, ,,oir· qu'une, qui n'est autre que cette tendance
son ensemble, comprend ce monde du rêve au m'"" ,,,,,.tli•tuc que nous avons déjà dénoncée comme
titre que tous les autres éléments de la manifl' 1 1 ''"l"' 1 ibl c avec l'universalité de la métaphy-
tion individuelle, appartenant à l'une quelconq"'' d. "' t :•·s attributions, quelles qu'elles soient, sont
modalités qui sont contenues dans l'extension i"'' tl• "" '"' des aspects différents de ce principe
grale de la possibilité individuelle. 'l'''' q11i fait la réalité de toute la manife.stati?~
Maintenant, il importe de remarquer que, si l'•tt ,, 'l"'il est l'Être lui-même, et leur .d1ver~1te
veut considérer analogiquement la manif('sl n''" 1 '' q•H~ du point de vue de la man~fes~atwn
universelle, on peut seulement dire que, comrr11 1 ,,, ••ni·•·, non du point de vue de son prmc1pe o~
conscience individuelle fait la réalité de cc ''''"' 1 1 l' 11 ,. .-n soi, qui est l'unité primordiale et vén-
spécial qui est constitué par toutes ses mod "'' llt 1 .1 1:, ~~st vrai même pour la distinction la plus
possibles, il y a aussi quelque chose qui fait ln "" .d •1 1 , , lit• qu'on puisse faire dans l'l?.tre, celle de

de l'Univers manifesté, mais sans qu'il soit :tiH ' ' ' " , , 111 l' » ct de la (( substance ll, qui sont comme

ment légitime de faire de ce ((quelque chosl' » l'1' •1" 1!. ,, pf1II'S de toute la manifestation; << a for-
valent d'une faculté individuelle ou d'une l'ondlll•lll ' " l'i·d -i1 ainsi pour des aspects beaucoup plus
spécialisée d'existence, ce qui serait une rollt'lïll""' 1 , 11l1o •·s, donc plus contingents et d'importance
éminemment anthropomorphique et antiuli·lnl'l' lldrd,~· ('):quelque valeur qu'ils ~ui~sent pre.ndre
sique. C'est alors quelque chose qui n'est, p:11 1 ,,, , 11 d,· l'individu, lorsque celm-c1 les envisage
séquent, ni la conscience ni la pensée, mais duni 1 '"' .. ,inl. d1~ vue spécial, ce ne sont là, à propre-
1
conscience et la pensée ne sont au contrair·1· 'l"' .1 ' l' .,1,.,., qu•• de simples (( accidents ll dans
modes particuliers de manifestation ; et, s'il y 1
indéfinité de tels modes possibles, qui P""v'''''
regardés comme autant d'attributions, dj,.,.,.,, " lod "" nii11Kion ie;i, notamment, à la distinction de l' «esprit»
""til• 11 "• lt•llo• quo la pose, depuis Descartes, toute la philoso-
indirectes, de l':Ëtre universel, a nalog11 I'K d"" ", 111· 11 1 tl•, 'l''' 1•11 oKI. nrrivéc ù vouloir absorber toute réahté,
certaine mesure à cc que sont po11r· l'indi,·id•• 1 1 1· "' 11 '"""''Htill e •Llo distinction, soit dans l'un ou l'autre
1 tl• , , """ · ,,,,.,,,H, 111H.lCHHIIS desquels elle est incapable de

(') Par celte rcslriclion , nouH n '<• nlondllrl ~ lllll'llrtllllltllll ul•, 1 l•lt lu/ 1utiul'll1111 (J~rdrHit• li I'Nrulr des cloclrines hindoues, pp. 137-
riorité des objets sonsilJicH, qui l'HL 111111 l ' llrt Ht'·quo•o~t • o• "" 111111 l"' 11 1
nous voulons soulornonl. indiqlllll' IJ"" rttllr H 11n lu ''Il '" i'" 1111o 1
ici Jo quc~lion 1lu dtiKr(, <111 rllulolb qot'll yu lll'u d'ut If''"'' ,, ,, 1lo
riOJ•i 1(\,
CHAPITRE VII

LES POSSIBILITÉS
l LA CONSCIENCE INDIVIDUELLE

1 que nous venons de dire au sujet de l'état


dc rêve nous amène à parler quelque peu,
d'une façon générale, des possibilités que
111pmtc l'être humain dans les limites de son indi-
tluulilc' , ct, plus particulièrement, des possibilités
11 1 .'·tnt individuel envisagé sous l'aspect de la

tl 1 11•nnc , qui constitue une de ses caractéristiques


,. "''"'tl. nien entendu, ce n'est pas au point de
1• y•·l10logique que nous entendons nous placer
1 IJIIIIIfJII' l <:c point de vue puisse se définir préci-
1 111 p111' la conscience considérée comme un
• 1 "" inhl~ ren t à certaines catégories de phéno-
'' •1111 1-11 pr·oduisent dans l'être humain, ou, si
tl Jll1° r, ,.., lill O façon de parler plus imagée, comme
• •11ll• 1111111. » de ces mêmes phénomènes (1 ). Le
1l1nlu1 111 •, d 'nill urs, n'a pas à se préoccuper de
l1111 he t' ,.,. qu1 poul être au fond la nature de cette
1 • "' •', JIII H plu H que le géomètre ne recherche
111 • 1 lu 1111111m do l'oRpaee, qu'il prend comme
••'1'1""1 " " '''"'''"11111i. lo t'flnto nu , pris <lans son sens littéral,
11 ~l' l '"" •pu l ltd, "' "l" IPI I l "" t111 lt lnl onl.o r~dn quo d' un e façon
1 ""' l'"' 'l"' ,.., tloul. 1 M'Ill{ 1. ''" ' HHII H t',I.(,,Hino ot no sc situe
1• 1 1 l""'
60 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE LA CONSCIENCE INDIVIDUELLE 61

une donnée incontestable, et qu'il considère sirnl'h faculté mentale individuelle (manas)
ment comme le contenant de toutes les formes qu d •'•·lit~ est inhérente sous sa forme déterminée
étudie. En d'autres termes, la psychologie n':. urume ahankâra) (1), et, par suite, dans d'autres
s'occuper que de ce que nous pouvons appeln 1, tnl , la même participation de l'être à l'Intelli-
cc conscience phénoménique >>, c'est-à-dire la ('(Ill 11•·•· universelle peut se traduire en un tout autre
science considérée exclusivement dans ses rappo• 1 '""'· La conscience, dont nous ne prétendons d'ail-
avec les phénomènes, et sans se demander si elle• , 1 Ill pas donner ici une définition complète, ce qui
ou n'est pas l'expression de quelque chose d'un :11111 ''"' 1wns doute assez peu utile (2 ), est donc quelque
ordre, qui, par définition même, ne relève plu!' d 1 lu ,. de· spécial, soit à l'état humain, soit à d'autres
domaine psychologique (1 ). t 11 individuels plus ou moins analogues à celui-là ;
Pour nous, la conscience est tout autre chose· 'l" 1 · uiLe, elle n'est aucunement un principe un~­
pour le psychologue : elle ne constitue pas uu ,., 1 ' t•l, c~t, si elle constitue cependant une partie
d'être particulier, et elle n'est d'ailleurs pas ](' 1 • "' tt~"''"' Le et un élément nécessaire de l'Existence
caractère distinctif de l'état individuel hu mn," tl •·rsPlle, ce n'est qu'exactement au même titre
même dans l'étude de cet état, ou plus préci s<'·"" 111 1 loH1Ies les conditions propres à n'importe quels
de ses modalités extra-corporelles, il ne nouH , 1 1 d'être, sans qu'elle possède à cet égard le
donc pas possible d'admettre que tout se rarnc'· 11• 11111d ,.,. privilège, non plus que les états auxquels

un point de vue plus ou moins similaire à celui d, 1 l• ,. rt'·lî:re n'en possèdent eux-mêmes par rapport
psychologie. La conscience serait plutôt unn t'o'"'' 11111r·Ps états (3 ).
tion de l'existence dans certains états, mais ru111 l''' lt.l 1rd\ ces restrictions essentielles, la conscience,
strictement dans le sens où nous parlons, par ex "'"'"' 11 1'/· lat individuel humain, n'en est pas moins,
des conditions de l'existence corporelle; on ]JOIIII " ' 1111111' t\t:l état lui-même, susceptible d'une exten-
dire, d'une façon plus exacte, quoique pou' '" 1111 i11dt'·!inic; et, même chez l'homme ordinaire,
paraître quelque peu étrange à première vu <' , qu ', Il 1 '' dire chez celui qui n'a pas développé spécia-
est une <<raison d'être >>pour les états donL il s': ,~" 111111 :·ws modalités extra-corporelles, elle s'étend
car elle est manifestement ce par quoi l'êtl'l' i""' 1, 1" '''"'"nt beaucoup plus loin qu'on ne le sup-
viduel participe de l'Intelligence universelle (llttrlrlh 1 , """"unément. On admet assez généralement,

de la doctrine hindoue) (2 ) ; mais, natur·c·llc•"" "' 1 1 , l':t i, que la conscience actuellement claire et

''"'" ,. n'est pas toute la conscience, qu'elle n'en


1
{ ) Il résulte de là que la psychologie, quoi que corlaiuK pui , "'
prétendre, a exactement le même caractère de relalivilo' ""' ' " '"" ''ri Il "''"' 'lt V llf.
quelle autre science spéciale et contingcnlc, cl qu'clio n'a l"' ~ ""' ""' Il orret, ([UC 1 pour des ChOSeS dont ChaCU~ .a par lUi~mê_me
1\IIIVII, 1\ll
de rapports avec la métaphysique; il ne fnul cl'nifli'III'H l'" ~ ""''" "''''"" . .. rriHilllllliCnl claire comme ·c'est le cas ICI, la déftmtwn
qu'elle n'est qu'une science lou tc modeo·nc cl " pmfatH' . , ~ ~"' " Il•" , 1 1 111 , ""l"'" pl11~ "omplcxe ~t plus obscure que la chose elle-même.
quelques connaissances LraclilionneJics <[HO <:Cl Hoi 1.. 1 '" , •·llo\ nqulvnlonce do tous les états au point de vue de l'être
( 2 ) Voir L'Homme et son !lt•vmir sl'lo11 /1• l' o'dlln/a o·lt. v11 . 1 "'' 1 ,. .'ium lw li.ww tltl la f:roi.c, ch. xxvn.
63
LA CONSCIENCE INDIVIDUELLE

62 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE


bizarre d'une « pluralité dé consciences »,
est qu'une portion plus ou moins considérahl t', . ont été jusqu'à entendre dans l~ sens
que ce qu'elle laisse en dehors d'elle peut la dopu polypsychisme » littéral. Il est 'vr~l ~ue
de beaucoup en étendue et en complexité ; m n 1 , du moi», telle qu'on l'envisage d ?rd.ma~re,
les psychologues reconnaissent volontiers l' exi Hl tlll nt illusoire ; mais, s'il en est .a~nsl,. c est
d'une « subconscien ce », si m ême ils en abu s •Jtl. l' e la pluralité et la complexite existent
fois comme d'un moyen d'explication trop ''"" mê~é de la conscience? qui s: prolonge .en
mode, en y faisant rentrer indistinctem ent toul ulités dont certaines peuvent e~re for~ lom-
qu'ils n e savent où classer parmi les p h énont •tt fort obscures, comme celles qm co~stltue~t
qu'ils étudient, ils ont toujours oublié d' cuvi 11 ' peut appeler la <<conscience orga~uque » ( )•
corrélativem ent une « superconscience » (1), 'H'""' m aussi la plupart de celles qm se mam-
si la cons cience n e pouvait pas se prolongr t• 1111 dnns l'état de rêve. .
bien p ar en haut que par en bas, si tant est fJ" '' 1 1 utre côté, l'extension indéfime ~e la c~n-

not ions relatives de « haut » et d e « b as » aÏ! 111 , r nd complètement inutiles certames theo-
un sens quelconque, et il est vraisemblable q11 '• Il Il cs qui ont vu le jour à notre ép~q~e, et
d oivent en avoir un, du moins, pour le poin L d!l 11 ,S 'bT t · métaphysique suffit d ailleurs
r 1mpossi I I e ler
spécial des psychologues. Notons d ' aillcut'H 'l' l' pleinement. Nous n'entendons J?as pa~.
« subconscience » et « superconscien ce >> n e fl ottl 't t ici des hypothèses plus ou m~ms << rem-
r éalit é, l'une et l'autre, que de simples p rolon wn111 ul onnist es » et de t?utes celles qm l~r ~o~~
de la conscience, qui n e n ou s font n ullem •tll. ct tl hl s comme imphquant une sembla e Im
de son domaine intégral, et qui, par conséq u! 111 , 111 Ile la. ' Possibilité universelle, et sur lesq~elles
peuvent en aucune façon êt re assimilés à l ' 1< Îtlt lllt . 'a' l'occasion de nous exphquer
vons eu d eJ . (2)
scient », c'est-à-dire à ce qui est en dchorH d11 1 1 s développements nécessaues ; nous
Ill l'hypothèse
conscience , mais doivent au contraire êtro (',(11111'1 plu s p articulièrement en v~e du
dans la not ion complète de la conscience individu, lh tonniste >>, qui, du reste? a ~a.u:~tenant P~f
Dans ces condit ion s, la conscience inùividtllll 11111 d la considération Immeritee do~t. e e a
p eut suffir e à rendre compte de tout ce qui, 1111 pttlnl nil t u n certain temps (a). Pour preCiser ce
de vue m ental, se p a sse da ns le domain d, l ' t~td
Ill 1 '1/omme cl son devenir selon le V êddnta, P : 182d. l Croix
v idu alit é, sans qu 'il y ait lieu de faire apJH l ~~ l'Il • . h . cf Le Symbolisme e a
rr , , Hplrllc, 2• partie, c · V I • •

1 1• . , dü pour une bonne part


(1)Certains psychologues ont cependant employ6 co loo·nH tlt • 111 ~~~~~ " li olle lhéone ru~ d ~~.11eurs ais ui- tiennent direc-
conscience •, mais ils n'entendent par l ù ri en d'nul•· il"'
ltt 1111 11 tl '' ljtll n'ont rien. de •. ~clenbf~que ;• 1: mê~es raisons. il est
normale claire et distincte, par opposilion ù ltl • sub ·o u Hn i<HH'II • 1 tiHI· •nu t rnot re nnlt lra,dli.JOnnel. 'l~o~te sérieux n'y croira plus,
ces conditions, ce n'es t là qu ' un néologisme porfoltomt nL lnltlllt tjll11 1 ulors m me qu aducunl~~~~~uels scolaires et les ouvrages
contraire, ce que nous entendons ici par • supor 'l llt HC:It n tHl • t•• l til -•••nrn lnn"t mps ncore 11ns
blement symétrique do ln • subcons ·L 11 • po.r •·uppot• 1\ ln l' lill 11t 11 IM!I IItlfl ,
ordinaire, ct alors ce lerm n Cu lt pluM<Jou hl < lltplo l li Vtt fillt ' llol 11111
64 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE
65
LA CONSCIENCE INDIVIDUELLE

point sans nous y étendre outre mesure, nous ft l'lill


s'oppose à la réalité d'une telle « descen-
remarquer que la prétendue loi du « parallélismt tl
»; au contraire, l'être qui, comme individu,
l'o.nt~génie et de la phylogénie », qui est un d '
rticnt à une espèce déterminée, n'en est pas
prmcipaux pos~?-lats du « transformisme », suppu 1,
, en même temps, indépendant de cette espèce
avant t.ou~, qu Il y a réellement une « phylogéuÎt•
llûS états extra-individuels, et peut même, sans
ou .« fihat10n de l'espèce », ce qui n'est pas u n f11 1,
uussi loin, avoir des liens établis avec d'autres
ni~Is une hypothèse toute gratuite ; le seul fai L qu
1 s par de simples prolongements de l'indivi-
pmss~ être constaté, c'est la réalisation de certni 111•
t . Par exemple, comme nous l'avons dit plus
formes organiques par l'individu au cours do 011
, l'homme qui revêt une certaine forme en rêve
~évêloppement embryonnaire, et, dès lors qu 'il ••t\ , '
lU\' là même de cette forme une modalité secon-
hse ces formes de cette façon, il n'a pas besoi 11 tl
de sa propre individualité, et, par suite, il la
les avoir réalisées déjà dans de soi-disant « exist " ''''
effectivement suivant le seul mode où cette
successives», et il n'est pas davantage nécessair qu
tion lui soit possible. Il y a aussi, à ce même
l'espèce à laquelle il appartient les ait réalisées pou r· lu
de vue, d'autres prolongements individuels
?an~ un ~éveloppement auquel, en tant qu'individu ,
nt d'un ordre assez différent, et qui présentent
Il n ~uralt. pu prendre aucune part. D'ailleurs, 1,
ractère plutôt organique ; mais ceci nous
considératiOns embryologiques étant mises à pmi 1
l~ conception des états multiples nous permet d't•ll tnerait trop loin, et nous nous bornons à l'in-
r en passant (1 ). D'ailleurs, pour ce qui est
VIsager tous ces états comme existant simultnu
réfutation plus ·complète et plus détaillée des
ment dans un même être, et non pas commt w•
s « transformistes », elle ·doit être rapportée
pouvant être parcourus que successivement au ·o111
t à l'étude de la nature de l'espèce et de ses
d'une « descendance » qui passerait, non seulcnw nl
lions d'existence, étude que nous ne saurions
d'un être à un autre, mais même d'une espèce à 1111
l'intention d'aborder présentement ; niais cë
a~t~e (1 ). L'unité de l'espèce est, en un sens, plu
Kt essentiel de remarquer, c'est que la simul-
veritable et plus essentielle que celle de l'individ u (M),
des états multiples suffit à prouver l'inutilité
llt s hypothèses, qui sont parfaitement insoute-
(') Il d~it ê~re bien ,entendu que l'im~ossibilité du changemon l, '' '••
pèc~ ne s applique qu aux espèces véritables, qui ne coïncidonL l' dès qu'~n les envisage du point de vue méta-
t?~Jo~rs forcément avec ce qui est désigné comme tel dans Ic11 1•h• que, et dont le défaut de principe entraîne
sifiCations des zoologistes et des botanistes, ceux-ci pouvant pronoll
tort pour des espèces distinctes ce qui n'est en réalité que races 011 1 irement la fausseté de fait.
riétés d'une même espèce. insistons plus particulièrement sur la simul-
(~) Cette ~ffir~ation peut paraitre assez paradoxale au premi er 11ltit ol
mais el~e se Justi~Ie suff.Isamment quand on considère le cas d es v6g~ l 1111
et celui ~e certams ammaux dits inférieurs, tels que les polypes '' ' 1 n• Individus sont vraiment distincts les uns des autres, tandis
vers, où Il est à peu près impossiQie de reconnattre si l'on se trou vt• 111 llrnltes de l'espèce, au contraire, apparaissent toujours assez
présence d'un ou de plusieurs individus et de déterminer dans qu ••ll
f, /.'Erreur spirite, pp. 249-252.
66 LES ÉTATS MULTIPLES DE L' ÊTJH:

tan.éité <;~es .é~ats d'être, car, même p our '''


cati?ts dmdivi~uelles, qui se réalisent e11 111111 1
c~~si. ans l ordre de la manifestatioH ,
n. etaient pas. conçues comme simultan 6( 1 Il
CHAPITRE VIII
~l;pe, .leur existence ne pourrait être qu< Jllll
I usOire. Nous avons eu déjà l'occasion tl ' '
su~samment là-dessus (I), et nous avons nlnl LE MENTAL,
;re ~u~ l' « éco';ll~ment des formes » dau H lt• 11 :tMENT CARACTÉRISTIQUE
este, a la. conditiOn de lui conserver son l'Ill
L'INDIVIDU ALITÉ HUMAINE
t?ut relatif . et contingent, est pleinem n 1, 1
tihble avec la « permanente actualité » tl 1, 1
c oses dans le non-manifesté.
avons dit que la conscience, entendue
ns son sens le plus général, n'est pas quel-
(1) L'Homme et ·son devenir selon le Vêdânta, pp. 120· 1' Il,
u chose qui puisse être regardé comme
ment propre à l'être humain comme tel,
usceptible de le caractériser à l'exclusion
1 s autres ; et il y a en effet, même dans le
de la manifestation corporelle (qui ne
t qu'une portion restreinte du degré de
où se situe l'être humain), et de cette
la manifestation corporelle qui nous envi-
plus immédiatement et qui constitue l'exis-
restre, une multitude d'êtres qui n'appar-
t pas à l'espèce humaine, mais qui présen-
p ndant avec elle assez de similitude, sous
11 rapports, pour qu'il ne soit pas permis de
oser dépourvus de la conscience, même prise
dans son sens psychologique ordinaire.
à un degré ou à un autre, le cas de toutes
•~~· ""'Ml animales, qui témoignent d'ailleurs mani-
nt de la possession de la conscience ; il a
ut l'aveuglement que peut causer l'esprit de
68 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE LE MENTAL 69
système pour donner naissance à une théorie ou• sera manifestée ; et il ne faudrait pas voir
contraire à toute évidence que l' est la théorie cor i le « mental » autre chose que ce qu'il est vrai-
sienne des « animaux-machines ». Peut-être m 111 c'est-à-dire, pour employer le langage des
faut-il aller plus loin encore, et, pour les a u l,l't _,...,.,.~ .. ;~. une « différ~ncé spécifique » pure et simple,
règnes organiques, sinon pour tous les êtrcH tl 11 que sa possessiOn puisse entraîner par elle-
monde corporel, envisager la possibilité d' a ul1'1 rn , pour l'homme, aucune supériorité effective
formes de la conscience, qui apparaît comm · Il 1 s autres êtres. En effet, il n e saurait être ques-
plus spécialement à la condition vitale ; m ai.R t'''' de supériorité ou d'infériorité, pour un être
n'importe pas présentement pour ce que nou s 111 111 gé par rapport à d'autres, que dans ce qu'il
proposons d'établir. commun avec ceux-ci et qui implique une dif-
Cependant, il est assurément une fo rme d t 1
conscience, parmi toutes celles qu'elle p eut r '
. ' non de nature, mais seulement de d egrés
18 CJUe le « m ental » est précisément ce qu'il y a
'
qui est proprement humaine, et cette forme cl l1l' 1 pécial dans l'homme, ce qui n e lui est pas com-
minée (ahankâra ou « conscience du moi ») est 1' 1•11 a~e.c les êtres non-humains, donc ce à l'égard
qui est inhérente à la faculté que nous a ppclou lt UOl Il ne peut en aucune façon être comparé à
« mental », c'est-à-dire précisément à ce << 1•11 • i. L'être humain pourra donc sans doute dans
interne » qui est d-ésigné en sanscrit sous le JWIII 1l
.
rtame m esure, être regardé comme supérieur
'
manas, et qui est véritablement la caractéri HIi'l ll férieur à d'autres êtres à tel ou t el autre point
de l'individualité humaine (1 ). Cette fa cult t , t (su~ériorité ou infériorité d'ailleurs toujours
quelque chose de tout à fait spécial, qui, 00 11 1111 s, bien entendu) ; mais la considération du
nous l'avons expliqué amplement en d 'autre H tHil », dès lors qu'on la fait entrer comme
sions, doit être soigneusement distingué d t l' 11 r nee » dans la définition de l'être humain ne
tellect pur, celui-ci devant au contrair e, en t'l ' 111 jamais fournir aucun point de compa~ai-
de son universalité, être regardé comm e ,. iHI I 11
dans tous les êtres et dans tous les état s, qu lit 'l" r exprimer encore la même chose en d'autres
puissent être les modalités à travers lesqu oll(l "" nous pouvons reprendre simplement la défi-
(') Voir L'Homme et son devenir selon le VMdnta, ch. v11t , 1
o.ristotélicienne et scolastique de l'homme
employons le terme de • mental •, préférablement à tout u n l!'tl1 l'~ « animal raisonnable » : si on le définit ainsi
que sa racine est la même que celle du sanscrit manas, qu i Nt l'tltull
dans le latin mens, l'anglais mind, etc. ; d'ailleurs, les nombr " 1 •1•1•
l'cm regarde en même temps la raison, ou mieu~
ehei:nents linguistiques que l'on peut fa ire aisémen t nu sujol tlol t 1 i nalité », comme étant proprement ce que les
racine man ou men et des diverses significations des mot.s q u ' ttll t• ' " " 8 du moyen âge appelaient une differentia
montrent bien qu'il s'agit là d'un élément qui est regardé u tto ltlt •
tiellement caractéristique de l'être hu main, puisque su 11 ~ 1 11HII , il est évident que la présence de celle-ci
sert souvent aussi à nommer celui-ci, ce qui Implique quo Cll l lt u onstituer rien de plus qu'un simple carac~
suffisamment défini par la présence de l'élément on qu llou (11t 1 •/
pp. 23-24). cil tinctif. En effet, cette différence ne s'ap-
70 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ËTRE LE MENTAL 71

plique que dans le seul genre animal, pour COI'HI 1 nt dire alors que ce sont les mêmes facultés, de
riser l'espèce humain~ en la distinguant esse11ti uJ" qu'il ne s'agirait que d'une assimilation pure-
ment de toutes les.autres espèces de ce même gt 111 verbale), mais des facultés qui appartiennent
mais elle ne s'applique pas aux êtres n'apparl/111111 individus 'C D tant que tels, et qui n'auraient plus
pas à ce genre, de sorte que de tels êtres (comn11 1 ne raison d'être si on voulait les considérer en
anges par exemple) _ne peuvent en aucun CU H 1 d'un certain état individuel et des conditions
dits « raisonnables », et cette distinction marq 1! 1 1 ' qui définissent l'existence dans cet état.
lement que leur nature est différente de Cl l111 1 n ce sens que la raison, par exemple, est pro-
l'homme, sans impliquer assurément pour eux till l' til t une faculté individuelle humaine, car, s'il
infériorité par rapport à celui-ci (1). D'autr pull 1 ro.i qu'elle est au fond, dans son essence, corn-
est bien entendu que la définition que nous 1 11111 à tous les hommes (sans quoi elle ne pourrait
de rappeler ne s'applique à l'homme qu'1 11 1 1 mment servir à définir la nature humaine), et
qu'être individuel, car c'est seulement com11111 JI( ne diffère d'un individu à un autre que dans
qu'il peut être regardé comme appartenant n11 1 11 1 pplication et dans ses modalités secondaires,
1
animal (2 ) ; et c'est bien comme êtr~ individ111 1 IJ 11 1 n appartient pas moins aux hommes en tant
l'homme est en effet caractérisé par la roi Holl 1 1 clividus, et seulement en tant qu'individus,
mieux par le « mental », en faisant rentrer d1111 ' Ile est justement caractéristique de l'indivi-
terme plus étendu la raison proprement dit1 , qu t humaine ; et il faut bien prendre garde que
est un des aspects, et sans doute le principtd, '• l, que par une transposition purement analo-
Quand nous disons, en parlant du « rn n 1.111 1 Ctu'on peut légitimement envisager en quelque
de la raison, ou, ce qui revient encore à pou pl 11 correspondance dans l'universel. Donc, et
même, de la pensée sous son mode humujn , ' 111 ~ insistons pour écarter toute confusion pos-
sont des facultés individuelles, il va de soi q 11 ' J (t onfusion que les conceptions « rationalistes »
entendre par là, non pas des facultés qui 111 ' 111id nt moderne rendent même des plus faciles),
propres à un individu à l'exclusion des uull' 1 pt• nd le mot « raison » à la fois en un sens
qui seraient essentiellement et radical HH 111 tl t en un sens individuel, on doit toujours
rentes chez chaque individu (ce qui scrn1L d'u JI oiu de remarquer que ce double emploi d'un
la même chose au fond, car on ne pourruit, JH• tc rm (qu'il serait du reste, en toute rigueur,
hic d'éviter) n'est que l'indication d'une
(') Nous verrons plus loin que les états • ungéllqu K • "nul 1'"'1'' 1 nul gie, exprimant la réfraction d'un prin-
les états supra-individuels de la manlfestutlon, ' Ht 4 ttlllt ' 11 Ill v l'S 1 (qui n'est autre que Buddhi) dans
appartiennent a u domaine de lu manlfoslaUon ln!or'llll 111
(•) Nous rappelons que l'ospèco ost ae nU llom ~~~ dt l'tntl ' 1111utnl humain (1 ). Ce n'est qu'en vertu de
manifeetation lndlvlduollo, qu' llo st Hlrl tom ut lrnaullntulo 11
tain dogr6 défini do l' • xiH l no unlvOI'HO IIO, ot llllll 1 jill t' 1 1111 1 1'11rdro rosmlque, la réfraction correspondante du même
l'tllrll no lui st Il qu <tnnH ~ on 6tot 1ura• ~ puu clnut 1n ''''' 1 """ IIX pr oH ~ Ion dans le Manu de la tradition hindoue (voir
0
72 LES ÉTATS MULTIPLES DE L ÊTRE
LE MENTAL 73
cette analogie, qui n'est à aucun degré une identifi · ucune existence particulière, mais sont au con-
cation, que l'on peut en un certain sens, et sous lu raire présupposés logiquement comme des prémisses,
réserve précédente, appeler aussi « raison » ce qui , u moins implicites, de toute affirmation vraie
dans l'universel, correspond, par une transpositi o11 'ordre contingent. On peut même dire que, en rai-
convenable, à la raison humaine, ou, en d'autr t1 IOn de leur universalité, ces principes, qui dominent
termes, ce dont celle-ci est l'expression, comme tru· toute logique possible, ont en même temps, ou
duction et manifestation, en mode individualisé (1 ) . lu tôt avant tout, une portée qui s'étend bien
D'ailleurs, les principes fondamentaux de la con · u delà du domaine de la lGgique, car celle-ci, tout
naissance, même si on les regarde comme l'expro ~ · u moins dans son acception habituelle et philoso-
sion d'une sorte de « raison universelle », entend111 hique (1), n'est et ne peut être qu'une application,
au sens du Logos platonicien et alexandrin, n 'ou lus ou moins consciente d'ailleurs, des principes
dépassent pas moins pour cela, au delà d e t ou l.t niversels aux conditions particulières de l'entende-
mesure assignable, le domaine particulier de la r ni nt humain individualisé (2 ).
son individuelle, qui est exclusivement une facu) l, es quelques précisions, bien que s'écartant un
de connaissance distinctive et discursive (2 ) , c t t'• u du sujet principal de notre étude, nous ont paru
laquelle ils s'imposent comme des données d 'ordt•t essaires pour bien faire comprendre dans quel
transcendant conditionnant nécessairement tou l.t ns nous disons que le « mental » est une faculté ou
activité mentale. Cela est évident, du reste, d ès C(ll ll n propriété de l'individu comme tel, et que cette
l'on remarque que ces principes ne présuppos1 ni priété représente l'élément essentiellement carac-
ristique de l'état humain. C'est à dessein, d'ail-
Inlroduc!ion générale à l'élude des doctrines hindoues, 3• parUe, ·h . ur , que, quand il nous arrive de parler de « facul-
et L'Homme et son devenir selon le Védân!a, pp. 58-59).
))1 nous laissons à ce terme une acception assez
(') Suivant les philosophes scolastiques, une transposition de co Kt 11111
doit être effectuée toutes les fois qu'on passe des attributs des êtros • r • ugu et indéterminée ; il est ainsi susceptible d'une
aux attributs divins, de telle sorte que ce n'est qu'analogiquement qll t
les mêmes termes peuvent être appliqués aux uns et aux a utres, t Mhll Jlplication plus générale, dans des cas où il n'y
plement pour indiquer qu'il y a en Dieu le principe de toutes les q uulll 1 11 o.it aucun avantage à le remplacer par quelque
qui se trouvent dans l'homme ou dans tout autre être, ~ ~ a co utll tluu ,
bien entendu, qu'il s'agisse de qualités réellement posll!Vos, ot 111111 ut.r terme plus spécial parce que plus nettement
de celles qui, n'étant que la conséquence d'une privation ou d' un llu tl fini.
tation, n'ont qu'une existence purement négative, quelles q u HUit•lll
d'ailleurs les apparences, et sont par conséquent dépourv ues do Jll'ln nl pt qui est de la distinction essentielle du
(') Connaissance discursive, s'opposant à connaissance intulll vr,, 1Ml d'avec l'intellect pur, nous rappellerons
au fond synonyme de connaissance indirecte et média te ; ce n' oRt fl tll ll
qu'une connaissance toute relative, et en quelque sorte por r flnt 11 11 (• ) Nous faisons cette restriction parce que la logique, dans des civi-
par participation; en raison de son caractère d'ex tériorité, CJII I llol•• l LlonH orientales comme celles de l'Inde et de la Chine, présente un
subsister la dualité du suj et et de l'objet, elle ne snuroit trou ver 11 " ' ' clbro différent, qui en fait un • point de vue 1 (darshana) de la doo-
même la garantie de sa vérité, mais do it la recevoir d prlrt ' IJII M ljll l n tolnlo et une véritable • science traditionnelle 1 (voir Introduction.
la dépassent et qui sont de l'ordre de lu connnlssonco lnlull.lvt , u't•• l ~ralf! () l' ~lude des doctrines hindoues, 3• partie, ch. 1x).
à-dire purement Intellectuelle. (') ·r. Le S tJmbolisme de la Croix, ch. xvu.
74 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

seulement ceci: l'intellect, dans le passage de l'uni-


versel à l'individuel, produit la conscience, mais
celle-ci, étant de l'ordre individuel, n'est aucunement
identique au principe intellectuel lui-même, bien
qu'elle en procède immédiatement comme résultanto
de l'intersection de ce principe avec le domaine spécial CHAPITRE IX
de certaines conditions d'existence, par lesquelles est
définie l'individualité considérée (1 ). D'autre parL, LA HIÉRARCHIE
c'est à la faculté mentale, unie directement à la con - DES FACULTÉS INDIVIDUELLES
science, ,q u'appartient en propre la pensée indiv j.
duelle, qui est d'ordre formel (et, suivant ce qui
vient d'être dit, nous y comprenons la raison au sH i
bien que la mémoire et l'imagination), et qui n'c Al, A distinction profonde de l'intellect et du
nullement inhérente à l'intellect transcendant ( But!· mental consiste essentiellement, comme nous
dhi), dont les attributions sont essentiellement infw venons de le dire, en ce que le premier est
melles (2 ). Ceci montre clairement à quel point otu 'ordre universel, tandis que le second est d'ordre
faculté mentale est en réalité quelque chose de t't l pur ment individuel ; par suite, ils ne peuvent pas
1
treint et . de spécialisé, tout en étant cepenJ nul 1 ppliquer au même domaine ni aux mêmes objets,
susceptible de développer des possibilités indéfini o t il y a lieu, à cet égard, de distinguer de même
elle est donc à la fois beaucoup moins et beau ·011 p l'itlé informelle de la pensée formelle, qui n'en est
plus que ne le voudraient les conceptions par I.I'OJI Ut l'expression mentale, c'est-à -dire la traduction
simplifiées, voire même « simplistes », qui ont ·out· 11 mode individuel. L'activité de l'être, dans ces
parmi les psychologues occidentaux (8 ). 1 Il ordres différents que sont l'intellectuel et le
1 t ulo], peut, tout en s'exerçant simultanément
t•iv< \' à se dissocier au point de les rendre complè~
( 1 ) Cette intersection est, suivant ce que nous avons expo ~ ll nlllt1111 ,
celle du • Rayon Céleste • avec son plan de réflexion (ibid., ·h. 1 1 uunt indép endants 1'-un de l'autre quant à leurs
( 1) Voir L'Homme et son devenir selon le Veddnta, ch. vu ot VIII , ui( stations respectives ; mais nous ne pouvons
( 1 ) C'est ce que nous avons déjà indiqué plus hau t nu suj ol tlnM pu••l
bilités du • moi • et de sa place dans l'être lola!.
lt ign ler ceci en passant et sans y insister, car
ut, d v loppement sur ce sujet nous entraînerait
vit11bl m nt à sortir du point de vue strictement
m·iqtH auqu l nous entendons nous borner pré-
'"'' 1111 n L.
U'uult'l pu ·t, lo principe psychique qui caractérise
1
1 tl itlu nlit humain st d'une double nature :
76 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE LA HIÉRARCHIE DES FACULTÉS 77

outre l'élément mental proprement dit, il comprend viser plus ou moins, par une dissociation poussée
également l'élément sentimental ou émotif, qui, év i- lus ou moins loin, ne leur ajoute évidemment
demment, relève aussi du domaine de la conscienec ucune potentialité nouvelle, tandis que, comme
individuelle, mais qui est encore plus éloigné dt ous l'avons déjà dit, les états de l'être sont vérita-
l'intellect, et en même temps plus étroitement dépcn• lement en multitude indéfinie, et cela par leur
dant des conditions organiques, donc plus proche J u ture même, qui est (pour les états manifestés) de
monde corporel ou sènsible. Cette nouvelle distin o• rrespondre à tous les degrés de l'Existence uni-
tion, bien ql1' établie à l'intérieur de ce qui est pro • reelle. On pourrait dire que, dans l'ordre indivi-
prement individuel, et par conséquent moins fo nda · ucl, la distinction ne s'opère que par division, et
mentale que la précédente, est pourtant encore b eau• , dans l'ordre extra-individuel, elle s'opère au
coup plus profonde qu'on ne pourrait le croire 1'1 nt raire par multiplication ; ici comme dans tous
première vue; et beaucoup d'erreurs ou de mépri1:1 1 cas, l'analogie s'applique donc en sens inverse (1 ).
de la philosophie occidentale., particulièrement sou Nous n'avons nullement l'intention d'entrer ici
sa forme psychologique (1 ), proviennent de ce quc 1 s l'étude spéciale et détaillée des différentes
malgré les apparences, elle ne l'ignore guère moin ult és individuelles et de leurs fonctions ou attri-
au fond que celle de l'intellect et du m ental, ou qu 1 utions respectives ; cette étude aurait forcément un
tout au moins elle en méconnaît la portée r éelle. 1), ruct ère plutôt psychologique, du moins tant que
plus, la distinction, et nous pourrions même dir ln u nous en tiendrions à la théorie de ces facultés,
séparation de ces facultés, montre qu'il y a 1111 1 u'il suffit d'ailleurs de nommer pour que leurs 0

véritable multiplicité d'états, ou plus précisémenl. do hj t propres soient assez clairement définis par là
modalités, dans l'individu lui-même , quoique cclui -1i, 1 rn , à la condition, bien entendu, de rester dans
dans son ensemble, ne constitue qu'un seul éta L dt• ·néralités, qui seules nous importent actuelle-
l'être total; l'analogie de la partie et du to u l 11 lill . Comme les analyses plus ou moins subtiles ne
retrouve ici comme partout ailleurs (2 ). On pt 111 mt pas du ressort de la métaphysique, et que du
donc parler d'une hiérarchie des facult és indi i 11 1,, Iles sont ordinairement d'autant plus vaines
duelles, aussi bien que d'une hiérarchie des ét u LH dt u 1tll l s sont plus subtiles, nous les abandonnons 0

l'être total ; seulement, les facultés d e l'in div iclu • o]ontiers aux philosophes qui font profession
elles sont indéfinies dans leur extension pOAH ihl t•1 'y ·omplaire ; d 'un autre côté, notre intention
sont en nombre défini, et le simple fait d e les 1:1 1111d • rt nt n 'est pas de t raiter complètement la ques-
1111 tl la constitution d e l'être humain, que nous
(') Nous employons cette expression à dessein, parce qu IJI\1'111111• 1
au lieu de ne donner à la psychologie que sa place légltlrn e du rlnln no 1111 déjà exposée dans un autre ouvrage (2 ), ce
spécialisée, prétend ent en faire le poin t de départ et lo foud omt\td il 11 llflll6 disp nse de plus amples développements
toute une pseudo-mét aphysiq ue, qui, bien entendu, es t s o n ~ 111111111
valeur. (') Vnl r l/Jltl., pp . 27-28 ot 20fl-208.
(•) Voir Le Symbolisme de la Croia;, pp . 25-26 ot 34·36 (' ) 1.'1/ ommn el 80 11 l!evwlr selo11 le VRddnla.
1
78 LES ÉTATS MULTIPLES DE L ÊTRE LA HIÉRARCHIE DES FACULTÉS 79

sur ces points d'importance secondaire par rappol'l l'Existence universelle, et par conséquent dans la
au sujet qui nous occupè maintenant. to.lité des états de l'être ; mais, tandis que les
En somme, si nous avons jugé à propos de ùit'" tres distinctions étaient négligées et oubliées,
quelques mots de la hiérarchie des facultés indi Il -là prenait une importance exagérée en raison
duelles, c'est seulement parce qu'elle permet dt 1 dualisme « esprit-matière >) dont la conception
rendre mieux compte de ce que peuvent êtn1 lt' prévalu, pour des causes diverses, dans les ten-
états multiples, en en donnant en quelque sort 11111 n es philosophiques de tout l'Occident moderne (1 ).
image réduite, comprise dans les limites de la po
bilité individuelle humaine. Cette image ne peu 1. l1" 1) Voir Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues, pp. 137-
exacte selon sa mesure, que si l'on tient compt< "'' L L'Homme et son devenir selon le VMdnta, pp. 59-61. - Comme
'
réserves que nous avons formulées en ce qUJ t' flll
. l'ovons déjà indiqué, c'est à Descartes qu'il faut faire remonter
pnlement l'origine et la responsabilité de ce dualisme, quoiqu'il
cerne l'application de l'analogie ; d'autre part, 011111 1 II UMSI reconnaître que ses conceptions ont dü leur succès à ce qu'elles
1111t en somme que l'expression systématisée de tendances préexis-
elle sera d'autant meilleure qu'elle sera moinH t'l' elles-là mêmes qui sont proprement caractéristiques de l'esprit
treinte, il convient d'y faire entrer, conj ointln•t ul (cf . La Crise du Monde moderne, pp. 124-128).
avec la notion générale de la hiérarchie des fu<·•lllt ,
la considération des divers prolongements do l'i nti
vidualité dont nous avons eu l'occasion d Jill! 1,
précédemment. D'ailleurs, ces prolongement 1 'l"
sont de différents ordres, peuvent rentrer égnlt "'' 111
dans les subdivisions de la hiérarchie gén t'Il l• 1
y en a même qui, étant en quelque sorte Ùt 1111111
organique comme nous l'avons dit, so 't'O.L uuJ. ''
simplement à l'ordre corporel, mais à lu •oucltl 111
de voir jusque dans celui-ci quelque ch SI d 11 l'
chique à un certain degré, cette mani{ atul,iou 1 111
porelle étant comme enveloppée t pén Lr~ '' lou 1
la fois par la manifestation subtil , n ltl(('H Il•• 1 Il
a son principe immédiat. Il n'y a po.s Jitu , 1 IH ''
de séparer l'ordre corporel d R o.utt R OI'dt•t " i11 tl
duels (c'est-à-dire des o.utr s r oda lilr H UJIJIIII'I 1 11 '
au même état individu L nvisug dnu l' iutl t d
de son xt nsi n) bu:w co up pln H profuuclt ""ut '1
coux-ei J doivt 111. 1.1'1 H(! pur· tul,r't 1 ux, J"'' 'l'
1
li HÏI,IJI llV'I 1 1 li X 1 1111 Ill Jill IIÏVI 1111 d1111 1 1 Il 1 1111
CHAPITRE X

LES CONFINS DE L'INDÉFINI

TEN que nous ayons parlé d'une hiérarchie des


facultés individuelles, il importe de ne jamais
perdre de vue qu'elles sont toutes comprises
1111 l'extension d'un seul et même état de l'être
ulul,' c'est-à-dire dans un plan horizontal de la
1 I'~'~''H t'ntation géométrique de l'être, telle que nous
1
11\'0IIH exposée dans notre précédente étude, tandis
lie • Ill hiérarchie des différents états est marquée par
Ill' t uperposition suivant la direction de l'axe ver-
cul d1· la même représentation. La première de ces
leu ltic~ rnr chies n'occupe donc, à proprement parler,
Il• ''"' place dans la seconde, puisque son ensemble
n"d 11 i t. à un seul point (le point de rencontre de
,. vc•t·t.ic:al avec le plan correspondant à l'état
1 11 t~lc'· rc'l) ; en d'autres termes, la différence des
udultll\H individuelles, ne se référant qu'au sens de
utnplc •tll' l>, es t rigoureusement nulle suivant celui
l' "clxtdt.nt.i on l> ( 1 ).
Il Ill ruut. pns oublier, d'autre part, que l' ({ am-
" 111 '' • dun H l'épanouissement intégral de l'être, est
1 llnic utt HH i hien qu e l' «exaltation n; et c'est là
ljlll " " " " p• mwL d 0 padcr de l'indéfinité des pos-

111 lu · l,.p llrlc •u l loll ol ll c·c\K toc·m oK ocnprunlés à l 'ésotérisme isla-


fil 1 " '' 1 ~ ,.,,,,,111 11/N r/111 tin lu ( ;rl/1 ,1' 1 pp . :ll -32.
82 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE LES CONFINS DE L'INDÉFINI 83

sibilités de chaque état, mais, bien entendu,. snrHI du centre commun, et qui constitue ainsi
que cette indéfinité doive aucunement être . 1~ li t' unité essentielle et fondamentale, mais non
prétée comme supposant une absence de h m_•l.< il , tuellement réalisée par rapport à leur voie d'exté-
Nous nous sommes déjà suffisamment expl tqua orisation graduelle, contingente et multiforme,
là-dessus en établissant la distinction de l'Infiui • 1 l'indéfinité de la manifestation.
de l'indéfini, mais nous pouvons faire intervenit· Îl1 Nous parlons ici d'extériorisation en nous plaçant
une figuration géométrique don~ nous n'avon s l'" point de vue de la manifestation elle-même ; mais
encore parlé : dans un plan horizontal quelconqu n, ne doit pas oublier que toute extériorisation est,
les confins de l'indéfini sont marqués par le cor<1, ~ . ..... .,_telle, essentiellement illusoire, puisque, comme
limite auquel certains mathématiciens ont d on né lt l'avons dit plus haut, la multiplicité, qui est
dénomination, d'ailleurs absurde, de « droit dt e dans' l'unité sans que celle-ci en soit affec-
l'infini» (1), et ce cercle n'est fermé .en aucun d< ne peut jamais en sortir réellement, ce qui
points, étant un grand _cercle ~sectiOn p~r u ~t 1d11 11 tiquerait une « altération » (au sens étymolo-
diamétral) du sphéroïde mdéfim dont le depl01 HIC 111 1 ) en contradiction avec l'immutabilité princi-
comprend l'intégralité de l'étendue, représe1_1t oul lu c (1 ). Les points de vue partiels, en multitude
totalité de l'être (2 ). Si maintenant nous constd r·o11 , é mie, que sont toutes les modalités d'un être
dans leur plan, les modifications individuelles p t t~• l 1 n" chacun de ses états, ne sont donc en somme
d'un cycle quelconque extérieur au. c~ntre . ( .•, 1 1 d s aspects fragmentaires du point de vue cen-
dire sans identification avec celm-c1 smv uul. 1t (fragmentation d'ailleurs tout illusoire aussi,
rayon centripète) et se p~opageant indéfi_ni~ 111, 1 11 IIη i étant essentiellement indivisible en réalité
mode vibratoire, leur arnvée au cercle-hmrt1 ( Il là même que l'unité est sans parties), et leur
vant le rayon centrifuge) correspond à leur 11 111 iu t.égration » dans l'unité de ce point de vue
mum de dispersion, mais, en même temps, est ~~ ~~~~~ t.l't'l ct principiel n'est proprement qu'une « inté-
sairement le point d'arrêt de leur mouvem •rll. Pl 11 ion ll au sens mathématique de ce terme :· elle
trifuge. Ce mouvement, indéfini en tous s enR~ t'l l'' II IU:'O.Ît exprimer que les éléments aient pu, à un
sente la multiplicité des points de vue pal'LII l ;~, 1 n· quelconque, être vraiment détachés de leur
dehors de l'unité du point de vue centrnl, dw 1 IIH 1 ou être considérés ainsi autrement que par
cependant ils procèdent tous comme 1 :; l'li till irnpl abstraction. Il est vrai que cette abstrac-
n' st pas toujours effectuée consciemment,
(1) cette dénomination vient de c~ qu'un cercle dont 1 l'li 1111 Il"" qu' Ue est une conséquence nécessaire de la
indéfiniment a pour limite une droite; et, en géométrl nn nlylltjll
l'équation du cercle-limite dont il s'agit, et qui st Jo Il 11 tlt ! 11111 1 1l'lel.ion d s facultés individuelles sous telle ou
points du plan indéfinim ent éloignés d u contre (origine (J o~ lllll'llo lll 1 1
se réduit effectivement à un e équa tion d u proml r aogr t o11 11111 1 Il
d'une droite. Il l' ln 11111t1n Uo n do l' • hltérlour • et de l' • extérieur • et les limites
(') Voir L e S ymbolisme de la Crolœ, ch. X' • 1 11111 li oll Kt vulo bl , vo ir ibid. , pp. 205-206.
84 LES ÉTATS :MULTIPLES DE L'ÊTRE LES CONFINS DE L'INDÉFINI 85

telle de leurs modalités spéciales, modalité s ul• ns les limites du présent exposé ; sur cette ques-
actuellement réalisée par l'être qui se place à 1'1111 on encore, nous renverrons donc, comme nous
ou à l'autre de ces points de vue partiels dont ]1 1Ml vons déjà dû le faire à diverses reprises, à l'étude
ici question. e nous nous proposons de consacrer entièrement
Ces quelques remarques peuvent aider à fni1' ce sujet des conditions de l'existence corporelle.
comprendre comment il faut envisager les con fin t~ d•
l'indéfini, et comment le.u r réalisation est un fa r.L1 111
important de l'unifi·c ation effective de l'être (1 ) . Il
convient d'ailleurs de reconnaître que leur con<~ JI
tion, même simplement théorique, ne va pas lW 11
quelque difficulté, et il doit normalement en 1,.,
ainsi, puisque l'indéfini est précisément ce dont h
limites sont reculées jusqu'à ce que nous les p r·di1111
de vue, c' est-à-dire jusqu'à ce qu'elles échupp1•t1l
aux prises de nos facultés, du moins dans l'ex î'lllt•l
ordinaire de celles-ci ; mais, ces facultés étant t lit•
mêmes susceptibles d'une extension indéfiui• , ''
n'est pas en vertu de leur nature même que l'ind 1 11
les dépasse, mais seulement en vertu d'une limiLul ln11
de fait due au degré de développement prést hl 1l
la plupart des êtres humains, de sorte qu 'il n'
cette conception aucune impossibilité, et qu t d' 1 1
leurs elle ne nous fait pas sortir de l'ordre d< ptt
sibilités individuelles. Quoi q}l'il en soit, pour upp111
ter à cet égard de plus grandes précisions, il 1111
drait considérer plus particulièrem ent, à titl' d '• '''"
ple, les conditions spéciales d'un certain étol. cl '• !i
tence, ou, pour parler plus rigoureusemcnl., tl ' 1111
certaine modalité définie, t elle qu e celle qui · 11 1 lu
l'existence corporelle, ce que nous ne pouvou fu 1

(') Ceci doit être rapproché de co que nous ovons dit olll u u•·~, IJIII
dans la plénitude de l'expansion que s'obllonl lo po•·tnlt h11111" 11 1
de même q ue, inversement, l'extrême dlsUncUon n' Rl rôu!l 111 111 'l" 1l•
l'extrême universolilé (ibid., p. 163).
CHAPITRE XI

PRINCIPES DE DISTINCTION
ENTRE LES ÉTATS D't:TRE

usQu'xCI, en ce qui concerne plus spécialement

1 l'être humain, nous avons considéré surtout


l'extension de la possibilité individuelle, qui
••'ulc constitue d'ailleurs l'état proprement humain;
tunis l'être qui possède cet état possède aussi, au
111oins virtuellement, tous les autres états, sans les-
uni s il ne saurait être question de l'être total. Si
lou envisage tous ces états dans leurs rapports
vne l'état individuel humain, on peut les classer
11 H préhumains » et << posthumains », mais sans que
l'• tnploi de ces termes doive aucunement suggérer
l'ut.'m d'une succession temporelle ; il ne peut ici
lt·c qu estion d' <<avant » et d' <<après » que d'une
lt ·ou toute symbolique (1 ), et il ne s'agit que d'un
11 clt'4 de conséquence purement logique, ou plutôt

(') c:r. 1}1/ornme el son devenir selon le Védânta, pp. 177-179. - Ce


IWIItloto iiHm o lcmporel est d'ailleurs d'un emploi constant dans la théorie
•• • yi'I,H, quo celle-ci soit appliquée à l'ensemble des êtres ou à chacun
~~~· 1111 purli culier; les cycles cosmiques ne sont pas autre chose que
~l ut H ou <logrés de l' Existence universelle, ou leurs modalité5 secon-
"'"' '1'""1(1 il s'agit de cycles subordonnés et plus restreints, qui pré-
"'" "' ol 'ulllours des phases correspo ndantes à celles des cycles plus
l1111o ltt il tHI H luHI(ItOis ils s'inlègrenl, en vertu de cette analogie de la
rll 11 ul olu loul donl no us avons déjà parlé.
88 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE DISTINCTION ENTRE LES ÉTATS 89

à la fois logique et ontologique, dans les div(l l' vons donné dès le début les raisons qui justifient
cycles du développement de l'être, puisque, mét11 ne telle distinction ; mais, à vrai dire, ce n'est là
physiquement, c'est-à-dire au point d~ vue prin<1 n'un point de vue très particulier, et le fait qu'il
piel, tous ces cycles sont essentiellement simult an~ il 1 l t présentement le nôtre ne doit pas nous faire
et qu'ils ne peuvent devenir successifs qu'accid1111 llusion à cet égard ; aussi, dans tous les cas où il
tellement en quelque sorte, en ayant égard à nm• ' st pas indispensable de se placer à ce point de
taines conditions spéciales de manifestation. Nou 11 ue, il vaut mieux recourir à un principe de dis-
insistons une fois de plus sur ce point, que la coudl • ction qui soit d'un ordre plus général et qui pré-
tion temporelle, si généralisée qu'on en suppost lu nte un caractère plus fondamental, sans oublier
conception, n'est applicable qu'à certains cycl eii 1111 mais, d'ailleurs, que toute-distinction est forcément
à certains états particuliers, comme l'état humniu , lque chose de contingent. La distinction la plus
ou même à certaines modalités de ces états, comnlr incipielle de toutes, si l'on peut dire, et celle qui
la modalité corporelle (certains des prolongemnuh susceptible de l'application la plus universelle,
de l'individualité humaine pouvant échapp l' 1111 t celle des états de manifestation et des états de
temps, sans sortir pour cela de l'ordre des p n·manifestation, que noùs avons effectivement
bilités individuelles), et qu'elle ne peut à 01111111 avant toute autre, dès le commencement de la
titre intervenir dans la totalisation de l'être (1) . Il .. nte étude, parce qu'elle est d'une importance
en est d'ailleurs exactement de même de la condit.1ttll )IÎto.le pour tout l'ensemble de la théorie des états
spatiale, ou de n'importe quelle autre des condit.iou ultiples. Cependant, il peut se faire qu'il y ait lieu
auxquelles nous sommes actuellement soumÎ H 1 11 ' 1 visager parfois une autre distinction d'une por-
tant qu'êtres individuels, aussi bien que d < 11 llr• plus restreinte, comme celle que .l'on pourra
auxquelles sont de même soumis tous les n111111 ~th lir, par exemple, en se référant, non plus à la
états de manifestation compris dans l'intég r·n li l.t' rlct 1 nif station universelle dans son intégralité, mais
domaine de l'Existence universelle. npl ment à l'une quelconque des conditions géné-
Il est assurément légitime d'établir, comm1 111 111 lr ou spéciales d'existence qui nous sont connues:
venons de l'indiquer, une distinction dans l' J He utlrlr• a clivisera alors les états de l'être en deux caté-
des états de l'être en les rapportant à l' état h111111 11 1 •·i• , suivant qu'ils seront ou ne seront pas soumis
qu'on les dise logiquement antérieurs ou p Hl( f'Îr lit 1 1 < oudition dont il s'agit, et; dans tous les cas, les
ou encore supérieurs ou inférieurs à celui- ·i, < 11011!1 d non-manifestation, étant inconditionnés,
r r nt nécessairement dans la seconde de ces
(') Cela est vrai, non se ulement du temps, mai s mOmo ri ln • '' '"' 6(0I'i s, c Ile dont la détermination est purement
envisagée, suivant certaines conceptions, commo ·ompr• 111111! , """
le temps, tous les autres modes poesib les de Ruoceijs lon, ' "l-1\ Il ru ltt!!l t.ivt . Ici, nous aurons donc, d'une part, les états
les conditions qui, dans d'outres élols d'oxl alonc , p uvo nt 'il'''''~ l •lllllh
analogiq uement ù c qu' sl le temps dnns l'ôlnl hu111 uh • (voir /,; "'"
out ornpt'Ïs à l'intérieur d'un certain domaine
bol/Mme de l a Croiw, p. 2 11). d' o.ill urs plus ou moins étendu, et,
90 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE DISTINCTION ENTRE LES ÉTATS 91

d'autre part, tout le reste, c'est-à-dire tous les états ligne ou une surface, quelle qu'elle soit, est toujours
qui sont en dehors de ce même domaine; il y a , réductible à une courbe ou à une surface fermée (1 ),
par suite, une certaine asymétrie et comme une dis- de sorte qu'on peut dire qu'elle partage le plan ou
proportion entre ces deux catégories, dont la pre· l'étendue en deux régions, qui peuvent alors être
mière seule est délimitée en réalité, et cela quel qu.< l'une et l'autre indéfinies en extension, et dont
soit l'élément caractéristique qui sert à les d étcr· cependant une seule, comme précédemment, est
miner (1 ) . Pour avoir de ceci une représenta ti ou onditionnée par une détermination positive résul-
géométrique, on peut, étant donnée une courb• tant des propriétés de la courbe ou de la surface
quelconque tracée dans un plan, considérer cettt onsidérée.
courbe comme partageant le plan tout entier Il Dans le cas où l'on établit une distinction en rap-
deux régions : l'une située à l'intérieur de la courb< 1 JIOrtant l'ensemble des états à l'un quelconque
qui l'enveloppe et la délimite, et l'autre s'éten da nt, d' entre eux, que ce soit l'état humain ou tout autre,
à tout ce qui est à l'extérieur de la même courb 1 1 principe déterminant est d'un ordre différent de
la première de ces deux régions est définie, tandi lui que nous venons d'indiquer, car il ne peut
que la se.c onde est indéfinie. Les . mêmes consid61'1i • lus se ramener purement et simplement à l'affirma-
tions s'appliquent à une surface fermée dans l'étt 11 ion et à la négation d'une certaine condition (2 ).
due à trois dimensions, que nous avons prise pout• .éométriquement, il faut alors considérer l'étendue
symboliser la totalité de l'être ; mais il import d t~ mme partagée en deux par le plan qui représente
remarquer que, dans ce cas encore, une d es r égion l' tat pris pour base ou pour terme de comparai-
est strictement définie (quoique comprenant d'ni 1 n ; ce qui est situé de part et d'autre de ce plan
leurs toujours une indéfinité de points) dès lors IJ'''' 11orrespond respectivement aux deux catégories qu'on
la surface est fermée, tandis que, dans la divi sio11 Mt ainsi amené à envisager, et qui présentent alors
des états de l'être, la catégorie qui est suscepti ld, ur sorte de symétrie ou d'équivalence qu'elles
d'une détermination positive, donc d'une délimi1,11 1
vaient pas dans le cas précédent. Cette distinc-
tion effe ctive, n'en comporte pas moins, si restr ·iul•• 1 n est celle que nous avons exposée ailleurs, sous
qu'on puisse la supposer par rapport à l'ens ·rnhl t•, r rme la plus générale, à propos de la théorie
des possibilités de développement indéfini. P otl r hind ou e des trois gunas (3 ) : le plan qui sert de base
obvier à cette imperfection de la r epr ésentn1.io11
géométrique, il suffit de lever la r estrict ion qu o wru (' ) 'es t ainsi, par exemple, que la droite est réductible à une circon-
nous sommes imposée en considérant u ne S ll 1' f llt 11 u u ot le plan à une sphère, comme limites de l'une et de l'autre
u rut leurs rayons sont supposés croître indéfiniment.
fermée, à l'exclusion d 'une sur face non f rm6 : t 11 ('l ll 8t d'ailleurs bien entendu que c'est la négation d'une condition,
allant jusqu'aux confin s de l'indéfini, en fT L, ""' ' ll ·fll r d' un e détermina tion ou d'une limitation, qui a un caractère
Jlli 1Uvl t6 nu poin t de v ue de la réalité absolue, ainsi que nous l'avons
1•llqu6 Il propos de l'emploi des t ermes de forme négative.
(' ) Cf . L'Homme el so n deve nir selon le Vllddnla, p. 43 (') 1. ~ ymbollsmc de la Croiœ, ch. v.
DISTINCTION ENTRE LES ÉTATS 93
D2 LES ÉTATS ~IULTIPLES DE L'ÊTRE

rdre, puisque, en raison même de cette imperfection


est indéterminé en principe, et il peut être celui l]lli névitable par la nature des choses comme nous
représente un état conditionné quelconque, de so.•t• vons eu souvent l'occasion de le faire remarquer,
que ce n'est que secondairement qu'on le détermiîu ne seule représentation est généralement insuffi-
comme représentant l'état humain, lorsqu'on v 111 nte pour rendre intégralement (ou du moins sans
se placer au point de vue de ce~ état spécial. . utre réserve que celle de l'inexprimable) une con-
D'autre part, il peut y avOir avantage, partH 11 ption de l'ordre de celle dont il s'agit ici.
lièrement pour faciliter les applications correct R tJ, Bien que, d'une façon ou d'une autre, on divise
l'analogie, à étendre cette dernière représentatiou a états d'être en deux catégories, il va de soi qu'il
tous les cas, même à ceux auxquels elle ne scrn l1l1 'y a là aucune trace d'un dualisme quelconque, car
pas convenir directement d'après les considérati01111 tte division se fait au moyen d'un principe unique,
précédentes. Pour obtenir ce résultat, il n' y n 1 1 qu'une certaine condition d'existence, et il n'y
demment qu'à figurer comme un plan d e bn Rt ''' insi en réalité qu'une seule détermination, qui est
par quoi on détermine la distinction qu'on étn l•lll , visagée à la fois positivement et négativement.
quel qu'en soit le principe : la partie de l'ét ndut 'uilleurs, pour rejeter tout soupçon de dualisme, si
qui est située au-dessous de ce plan pourra rt pr•• justifié qu'il soit, il suffit de faire observer que
senter ce qui est soumis à la détermination '"" t s ces distinctions, loin d'être irréductibles,
dérée, et celle qui est située au-dessus représ<ul '''" ist ent que du point de vue tout relatif où elles
alors ce qui n'est pas soumis à cette même d61,11'1111 t. tablies, et que même elles n'acquièrent cette
nation. Le seul inconvénient d'une telle repr Hl 111 11 Ml uce contingente, la seule dont elles soient sus-
tion est que les deux régions de l'étendue whl 1111 l pLibles, que dans la mesure où nous la leur don-
y être également indéfinies, et de la même fn •ou 1 nous-mêmes par notre conception. Le point de
mais on peut détruire cette symétrie en rogu •·dhld d la manifestation tout entière, bien qu'évi-
leur plan de séparation comme la limite d'un Hph ·r m nt plus universel que les autres, est encore
dont le centre est indéfiniment éloigné Rli ÎVII II I 1t r lntif comme eux, puisque la manifestation
direction descendante, ce qui nous ramène 111 1 m m est purement contingente ; ceci s'applique
au premier mode de r eprésentation , ?al' c m mo à la distinction que nous avons consi-
qu'un cas particulier de cette .r~du ct10n ~ 11 111 11111 oomme la plus fondamentale et la plus proche
face fermée à laquelle nous falSlons alluArou 111111 l'ordr· principicl, celle des états de manifestation
l'heure. En somme, il suffit de pr nd1·o tmlc 1
111 uts do non· manifestation, comme nous avons
l'apparence de symét rie, en par il 'f\R, u'c1 1, ' 11 llr 111'11 u soin d e l'indiquer déjà en parlant de
qu'à une certaine im perf ct ion d u sy tnholc ''" 1pl11 \ rc cL rl u N n-Etre.
et, d'ailleurs, on p eut touj our p nfiBI r d ' u11 1 "l''
sentation à un autrn l l'HCl' t' n y l.ro u vt 111 111 ' ''"'
modit6 phrRgl'UJlÙ u qu lqu1 t nn t.n 1 d ' " " 111111
CHAPITRE XII

LES DEUX CHAOS

les distinctions qui, suivant ce que nous

1
)ARMI
avons exposé dans le chapitre précédent, se
fondent sur la considération d'une condition
1l'• xistence, une des plus importantes, et nous pour-
IUIIH sans doute même dire la plus importante de
uu l.clR , est celle des états formels et des états infor-
ln• l , parce qu'elle n'est pas autre chose, métaphy-
quc ment, qu'un des aspects de la distinction de
'111dividuel et de l'universel, ce dernier étant regardé
111111111) comprenant à la fois la non-manifestation et
1 tnHnifestation informelle, ainsi que nous l'avons
pltqué ailleurs (1 ). En effet, la forme est une con-
ltoll particulière de certains modes de la manifes-
twu, d c'est à ce titre qu'elle est, notamment,
111• dt•H eonditions de l'existence dans l'état humain;
'"'~• "" même temps, elle est proprement, d'une
IJIIII J.<(mérale, le mode de limitation qui caractérise
111 ln•u;n individuelle, qui peut lui servir en quel-
• IW t' l.t Je définition. Il doit être bien entendu,
tll• · t~rH, qu o c ·tto forme n'est pas nécessairement
1• ••uiu6o comme spatiale et temporelle, ainsi qu'elle

1 "''""" " ,., no11 <lcul'lllr selon le Veddnla, pp. 41-42.


LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE LES DEUX CHAOS
96

l'est dans le cas spécial de la modalité humain• ''" » (1 ) ; les Eaux, d'une façon générale et au
porelle ; elle ne peut aucunement l'êt~e , dt!ll 1 • le plus étendu, représentent la Possibilité,
états non-humains qui ne sont pas soumis a l 1 Mp 11 ue comme la « perfection passive >> ( 2 ), ou le
et au temps, mai~ à de tout autres condition!! cipe plastique universel, qui, dans l'Etre, se
Ainsi la forme est une condition commune, no11 1 · comme la « substance >> (aspect potentiel
à tou~ les modes de la manifestation, mais du 11111 111 l' Btre) ; dans ce dernier cas, il ne s'agit plus que
à tous ses modes individuels, qui se diff6r·t "'' Il 1 totalité des possibilités de manifestation, les
entre eux par l'adj oncti?n de telles ?u ~ell !f 111111 de non-manifestation étant au delà de
conditions plus particulières ; ce qm fait ln 1111111 ( 8 ). La « surface des Eaux >>, ou leur plan de
propre de l'individu comme tel, c'est qu'il est 1•1 1 r tion, que nous avons décrit ailleurs comme le
d'une forme, et tout ce qui est de son ùorll ll Il de réflexion du « Rayon Géleste >> ( 4 ), marque
comme la pensée individuelle dans l' hoUlllll'r 1 l'état dans lequel s'opère le passage de l'indi-
également formel (2 ). La distinction que non H vr 11 11 à l'universel, et le symbole bien connu de la
de rappeler est donc, au fond, celle des 6tu 1, 111lt sur les Eaux >> figure l'affranchissement de
vi duels et des états non-individuels (ou su p 11 11 1 me , ou la libération de la êondition indivi-
viduels), les premiers comprenant dans leur tIl '111ltÎ (5). L'être qui est parvenu à l'état correspon-
toutes les possibilités formelles, et les sec Hd JI ur lui à la « surface des Eaux », mais sans
les possibilités informelles. encore au-dessus de celle-ci, se trouve comme
L'ensemble des possibilités formelles 'l ~ 1 lu rul u entre deux chaos, dans lesquels tout n'est
possibilités informelles sont ce. que 1 s tl1l. 1 11 11 l que confusion et obscurité ( tamas), jusqu'au
doctrines traditionnelles symbolisent respc1Il r 111
• pnrnlion des E a ux, au point de v ue cosmogonique, se trouve
par les « Eaux inférieures >> et les « hn11 '1 rwtnmment a u début de la Genèse (1, 6-7).
111 /, Symbolisme de la Croix , pp. 166-167.
(')Voir ibid., p. 190, et a ussi L e ~ymbolisme del~ c:ol , \'' Il
f / ,'/lomme el son devenir selon le V ilddnla, pp. 71-72.
forme, géométriquem ent parlant, c est. le contour . o~ ~ 1 " l '/'~' '' ' IJmiJQllilme de la Croix , ch. x xiv. - C'est aussi, dans le symbo ·
la Limite • (Matgioi, L a Vo ie M élaphystque, p. 85) . n punr,•ul 1 ·1 huluu, 1 plun suivant lequel le Brahmdnda ou • Œuf du Monde n,
comme un ensemble de tendances en direction, pur· unniO I{In 1• ''' 1 rluqu ol réside Hiranyagarbha, se divise en deux moitiés;
tion tangentielle d 'une co urbe; il vu su nM dit· quo i•nl li 11111 till Monde • est d'ailleurs souvent représenté comme flottant
th ~ Eoux primordiales (voir L'Homme el son de venir selon
à base géométrique, est t ransposable dons l'orur fllllllll tlllt 1 ''
a ussi qu'on peut faire int er venir ces consld6rnl.lonij '" 1\11 '\'' ' ' '' Jill · 71 et 143-144).
les éléments non ind ividualisés (m fliS non pn R Hill"''' Inti yltlu 1 1 'l/lllfn 1 qui esl un des noms de Vishnu dans la tradit ion hin-
« monde intermédiaire •, auxquels lo lr·oultlou u ~··Outlt 11111111 .. 1 1 ulllt lltll'l rn lement • Celui q ui marche sur les Eaux •; il y a
la dénomina tion générique d' • influ on os Ot·ront ij •, 111, h1111 l'" IJII'III hnm ut ovoc lu trndiUon évangélique q ui s'impo se de lui-
d'individ ualisa tion temporaire t ru gl llv , n tl tormlnt 111111 11 tilt lurrlll 111011l, !1\ co mme partou t ailleurs, la signification sym-
par l'entrée en rapport avec un cou~cl ru !11111111111•1 (1 1 1 11 l'lll'ln lill une oUointe nu caractère his torique qu'a dans le ·
spirite, pp. 11 9-123). il fui OtïHir16r6, rait qui, d u rest e, est d'auta nt moins con-
1 ~ ~~ ,. ull NuUon, orrespondnn t t\ l' ob tention d'un certain
(•) C'est so ns rJ.outo llo • Ho ro co •• qu' li fnul, ""'" '''' ' '
Arl s tole, qu , l' hlttïiiTI (on lnlll qu ' hullvltlu) llt l' u• l 111
'1 lullun orr.wt.lv , Kt h o ucoup moins rare qu'o n ne le suppose
llnug08 ' • o' t•IH\I r IIII H fltl'llll Mo
98 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

moment où se produit l'illumination qui en d6t,lt'


mine l'organisation harmonique dans le passag d•
la puissance à l'acte, et par laquelle s'opère, com1111
par le Fiat Lux cosmogonique, la hiérarchisation (JII
fera sortir l'ordre du chaos (1). CHAPITRE XIII
Cette considération des deux chaos, corre p ou
dant au formel et à l'informel, est indispemHIhl LES HIÉRARCHIES SPIRITUELLES
pour la compréhension d'un grand nombre do fi l{n
rations symboliques et traditionnelles (2 ) ; c' est p Olit
quoi nous avons tenu à la mentionner spécial 111 1111 1
ici. Du reste, bien que nous ayons déjà traité 1 1 li t A hiérarchisation des états multiples dans la
question dans notre précédente étude, elle se rn l.l lt réalisation effective de l'être total permet
chait trop directement à notre présent suj et Jl fl llt seule de comprendre comment il faut envi-
qu'il nous fût possible de ne pas la rappeler au mol u ger, au point de vue métaphysique pur, ce qu'on
ppelle assez généralement les « hiérarchies spiri-
brièvement.
lles ». Sous ce nom, on entend d'ordinaire des hié-
1' hies d'êtres différents de l'homme et différents
(1) Voir Le Symbolisme de la Croix, pp . 175-1 76 et 194- l!Jr, .
(') Cf. notamment le symb olisme extrême-oriental du D r ngc111, 1"' trc eux, comme si chaque degré était occupé par .
reopondant d 'une certaine faç on à la co nceptio n théologique o ·clc l111ol Hl " tres spéciaux, limités respectivem ent aux états
du Verbe comme le • lieu des possibles » (v oir L'Homme el RO ll il 11HII
selon le V~dânta , p. 168).
a·rcspondants ; mais la conception des états mul-
pl s nous dispense manifestement de nous placer
t'l p o~nt de vue, qui peut être très légitime pour la
olog1e ou pour d'autres sciences ou spéculations
i ulières, mais qui n'a rien .de métaphysique. Au
, peu nous importe en elle-même l'existence des
•xtra -humains et supra-humains, qui peuvent
r ment être d'une indéfinité de sortes, quelles
tl ient d' ailleurs les appellations par lesquelles
1 s d ésigne ; si nous avons toute raison pour
1111 Ur cett e existence, ne serait-ce que parce que
v yons au ssi des êtres non-humains dans le
l1 qui nous entou re et qu'il doit par conséquent
oir dnns les autres états des êtres qui ne passent
put· lu manif station humaine (n'y aura it-il que
100 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE LES HIÉRARCHIES SPIRITUELLES 101

ceux qui sont représentés dans celui-ci par ces indi dont il s'agit sont incomparablement plus différents
vidualités non-humaines), nous n'avons cependant de l'état humain qu'aucun philosophe de l'Occident
aucun motif pour nous en occuper spécialement, non moderne n'a jamais pu le concevoir, même de loin;
plus que des êtres infra-humains, qui existent bit ri mais, malgré cela, ces mêmes états, quels que puis-
également et qu'on pourrait envisager de la rn nw sent être d'ailleurs les êtres qui les occupent actuel-
façon. Personne ne songe à faire de la classification lement, peuvent être également réalisés par tous les
détaillée des êtres non-humains du monde t errcR t 1'1 autres êtres, y compris celui qui est en même temps
l'objet d'une étude métaphysique ou soi-disant t lit un être humain dans un autre état de manifestation,
on ne voit pas pourquoi il en serait autrement p r 1 l ans quoi, comme nous l'avons déjà dit, il ne pour-
Je simple fait qu'il s'agit d'êtres existant dans d'nu rait être question de la totalité d'aucun être, cette
tres mondes, c'est-à-dire occupant d'autres éttrt , otalité devant, pour être effective, comprendre
qui, si supérieurs qu'ils puissent être par rappot•L 1111 écessairement tous les. états, tant de manifestation
nôtre, n'en font pas moins partie, au même titr•r , (formelle et informelle) que de non-manifestation,
du domaine de la manifestation universelle. ul hacun selon le mode dans lequel l'être considéré est
ment, il est facile de comprendre que les philo ph • pable de le réaliser. Nous avons noté ailleurs que
qui ont voulu borner l'être à un seul état, con Hid resque tout ce qui est dit théologiquement des anges
rant l'homme, dans son individualité plus ou mo 11 ut être dit métaphysiquement des états supérieurs
étendue, comme constituant un tout complet n lu l'être (1 ), de même que, dans le symbolisme astro-
même, s'ils ont cependant été amenés à pt 11 rU 1 gique du moyen âge, les << cieux », c'est-à-dire les
vaguement, pour une raison· quelconque, qu 'i l iftérentes sphères planétaires et stellaires; repré-
d'autres degrés dans l'Existence universelle, 11 11111 ntent ces mêmes états, et aussi les degrés initia-
pu faire de ces degrés que les domaines d' êtr1 H tpt ues auxquels correspond leur réalisation (2 ) ; et,
nous soient totalement étrangers, sauf en ., qu ' 1 mme les « cieux » et les « enfers », les DêYas et les
peut y avoir de commun à tous les êtres ; 1 t 1 uras, dans la tradition hindoue, représentent res-
même temps, la tendance anthropomorphiqtH lt' tivement les états supérieurs et inférieurs par
souvent portés d'autre part à exagérer lu 011111 11 port à l'état humain (3 ). Bien entendu, tout ceci
nauté de nature, en prêtant à ces êtres d s fu t 1111 elut aucun des modes de réalisation qui peuvent
non pas simplement analogues, mais similnit·•" ''' propres à d'autres êtres, de la même façon qu'il
même identiques à celles qui appartienllt 111 1 1
propre à l'homme individuel (1 ). En réalit , 1, t tl oo qui est la caractéristique exclusive de l'individualité humaine,
peuvent avoir qu'un mode d'intelligence purement intuitif.
Homme et son devenir selon le VMdnta, p. 108. - Le traité De
(') Si les états • angéliques »sont les états supra-lndlvlùuniH•1111 • do saint Thomas d'Aquin est particulièrement caractéristique
stituent la manifestation informelle, on ne peut ottrlbu t' •Ill * 1111 ~IJ!Ird .
aucune des facultés qui sont d'ordre proprement lndlvlduol ; pnr ''~ "'Il ( ) l.'81olérisme de Dante, pp. 10 et 58-61.
comme nous l'avons dit plus haut, on no pout los ijUJIIJOMC\ tl 111 • ( )l.1 umbollsme de la Croix, pp. 182-183.
102 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE LES HIÉRARCHIES SPUUTUELLES 103

en est qui sont propres à l'être humain (en tant q11t n'a plus rien à obtenir ultérieurement ; mais, si le
son état individuel est pris pour point de départ 1 1. but à atteindre est le même pour tous les êtres, il
pour base de la réalisation) ; mais ces modes t{lt est bien entendu que chacun l'atteint suivant sa
nous sont étrangers ne nous importent pas plus qu• « voie personnelle », donc par des modalités suscep-
ne nous importent toutes les formes que n ou s 11 tibles de variations indéfinies. On comprend par
serons jamais appelés à réaliser (comme les fonn11 uite qu'il y ait, au cours de cette réalisation, des
animales, végétales et minérales du monde corp ort 1), étapes multiples et diverses, qui peuvent être d'ail-
parce qu'elles sont réalisées aussi par d'autres "'L''' ) urs parcourues successivement ou simultanément
dans l'ordre de la manifestation universelle, doul uivant les cas, et qui, se référant encore à des états
l'indéfinité exclut toute répétition (1 ) . déterminés, ne doivent aucunement être confondues
Il résulte de ce que nous venons de dire qu , pu 1 vec la libération totale qui en est la fin ou l'abou-
«hiérarchies spirituelles », nous ne pouvons entoll d•·• tissement suprême (1 ) : ce sont là autant de degrés
proprement rien d'autre que l'ensemble des éta'LH d u'on peut envisager dans les << hiérarchies spiri-
l'être qui sont supérieurs à l'individualité humniu, , uelles », quelle que soit du reste la classification
et plus spécialement des états informels ou S11]11'11 lus ou moins générale qu'on établira, s'il y a lieu,
individuels, états que nous devons d'ailleurs regn•·d• • ns l'indéfinité de leurs modalités possibles, et qui
comme réalisables pour l'être à partir de J'l' tnt pendra naturellement du point de vue auquel on
humain, et cela même au cours de son exi stllll ll tendra se placer plus particulièrement (2 ).
corporelle et terrestre. En effet, cette r éali sati 11 1 1 l y a ici une remàrque essentielle à faire : les
essentiellement impliquée dans la totalisatÎ OH d• grés dont nous parlons, représentant des états qui
l'être, donc dans la « Délivrance » ( M olcslm 1111 nt encore contingents et conditionnés, n'importent
Mukti), par laquelle l'être est affranchi des li 1 th métaphysiquement par eux-mêmes, mais seule-
toute condition spéciale d'existence, et qui, n' 111111 ut en vue du but unique auquel · ils tendent tous,
pas susceptible de différents degrés, est aussi ' ' 11111 ~i ément en tant qu'on les regarde comme des
piète et aussi parfaite lorsqu'elle est obtenu 01111111 r s, et dont ils constituent seulement comme une
« libération dans la vie » ( jî(Jan-mukti) qu <(11 111111 p ration. Il n'y a d'ailleurs aucune commune
<< libération hors de la forme » ( (Jidêha-mulcti) , 11 11 Kil t' ent re un état particulier quelconque, si
que nous avons eu l'occasion de l'exposer o.illl "''" qu'il puisse être, et l'état total et incondi-
Aussi ne peut-il y avoir au cun degré pirit.11 11 qu
soit supérieur à celui du Yogî , car · lui-ti , 1'111111 (') (:f , 1/ild., Ch. XXII et XX III ,
( 1) Ce H • hl rnrchies spirituelles •, en tant que ies divers états qu'elles
parvenu à cette << Délivrance », qui st 1H 111 111 llltlnr•tont so nt r6alisés par l'obtention d'autant de degrés initiatiquus
t emps l' <<Union » (Yoga) ou l' «Id n'lit Sn pt' rl.lfl!, OIT Mpondent ù ce que l'ésotérisme islamique appelle les
1 I(U rltlR d l'lniUallon • ( Tartlbut-taçawwuf); nous signalerons
('l cr. ibid., pp. 121H27. 111 ltH il fJ nt, sur ' eujot, In trnit6 de Mohyiddin ibn Arabi qui porte
(•) L'Homme et son devenir Rcloll le VMdnlo, h. tv. l•o\ruull L 0 Ut.ro.
7
104 LES ÉTATS MULTIPLES DE L ÊTRE LES HIÉRARCHIES SPIRITUELLES 105

tionné ; et il ne faut jamais perdre de vue que, Hli même, loin de pouvoir être contenu dans aucun
regard de l'Infini, la manifestation tout entière étunt d'eux. On pourrait dire que, en pareil cas, ce seront
rigoureusement nulle, les différences entre les .étui là simplement des aspects divers qui constitueront
qui en font partie doivent évidemment l'être au 1, en quelque sorte autant de « fonctions » de cet être,
quelque considérables qu'elles soient en elles-m •mt • t ans que celui-ci soit aucunement affecté par leurs
et tant qu'on envisage seulement les divers 6· ni conditions, qui n'existent plus pour lui qu'en mode
conditionnés qu'elles séparent les ~ms des au~r A. 1 illusoire, puisque, en tant qu'il est vraiment << soi »,
le passage à certains états supérieurs constitue 1 11 l on état est essentiellement inconditionné. C'est
quelque façon, relativement à l'état pris pour ]JO 111 insi que l'apparence formelle, voire même corpo-
de départ, une sorte d'achemineme~t vers la << De 1 lle, peut subsister pour l'être qui est <<délivré dans
vrance », il doit cependant être bien entendu_qu 1 vie» (jîPan-mukta), et qui, «pendant sa résidence
celle-ci, lorsqu'elle sera réalisée, impliquera tOUJIIIII ans le corps, n'est pas affecté par ses propriétés,
une discontinuité par rapport à l'état dans leqUt 1 • mme le firmament n'est pas affecté par ce qui
trouvera actuellement l'être qui l'obtiendra, 1. tpll•, otte dans son sein » (1 ) ; et il demeure de même
quel que soit cet état, cette di~continuité n' 11 Iii t' non-affecté » par toutes les autres contingences,
ni plus ni moins profonde, pmsque, dans .t " l1• u 1 que soit l'état, individuel ou supra-individuel,
cas, il n'y a, entre l'état de l'être « non-déhv1· ,; 1 ' t-à-dire formel ou informel, auquel elles se réfèrent
celui de l'être « délivré », aucun rapport cornm 1 ns l'ordre de la manifestation, qui, au fond, n'est
en existe entre différents états conditionnés (1) . ti-même que la somme de toutes les contingences.
En ·raison même de l'équivalence de tous le 11
vis-à-vis de l'Absolu, dès lors que le but ftuul 1 ( 1) Almd-Bodha de Shankarâchârya (voir ibid., p. 239).
atteint dans l'un ou l'autre des degrés dont il 'n
l'être n'a aucunement besoin de les avoir t 11 l'
courus préalablement, et d'ailleur.s ~l ~ s P", •l
tous dès lors «par surcroît», pour amsi du· , p111 11 1
ce sont là des éléments intégrants de sa t t.uli 111 111
D'autre part, l'être qui possède ainsi tou ]t " 1 1
pourra toujours évidemment, s'il y a Ji u, l,t••
sagé plus particulièrement par r~pport o.. l'1111
conque de ces états et comme s 1l y •to 1 t. << 1t
effectivement, quoiqu'il soit v éritubl ffi( uL 1111 •l 1
de tous les états et qu'il les lt

(')Voir L'llommo ~~ BQrl d~v nlr solon 1 V~dd11111, Pl~' 1\lll'JIII


CHAPITRE XIV

RÉPONSE AUX OBJECTIONS


!RÉES DE LA PLURALITÉ DES ~TRES

I) ANS ce qui précède, il est un point qui pourrait


encore prêter à une objection, bien que, à
vrai dire, nous y ayons déjà répondu en
I""'I.Îc, au moins implicitement, par ce que nous
Vt•11ons d'exposer à propos des << hiérarchies spiri-
lunllt:s ». Cette objection est la suivante :étant donné
flu'il existe une indéfinité de modalités qui sont
nlit-~écs par des êtres différents, est-il vraiment
1 ~i ti rnc de parler de totalité pour chaque être ? On
l" 111. répondre à cela, tout d'abord, en faisant
• ttllll'<[u er que l'objection ainsi posée ne s'applique
· ~tl"rnmcnt qu'aux états manifestés, puisque, dans
1 111111 manifesté, il ne saurait être question d'aucune
p•' ,.,, de distinction réelle, de telle sorte que, au
1111111 dn vue de ces états de non-manifestation, ce
l"' uppnrticnt à un être appartient également à
11111!1, ' ' " tant qu'ils ont effectivement réalisé ces
lut ( )r, Hi J'on considère de ce même point de vue
11111 l 't~ n t-~c· mhl< de la manifestation, il ne constitue,
11 tu i 1111 de Hl t contingence, qu'un simple<< accident»
11 • 11 pt·o pr• du lltOI., <~t, par suite, l'importance de
til• ou IPIII I dt HOH rnoduliL6R, considérée en elle-
1 lill 1 1 U dj 1 Ïtti ' IIV1 1 IIIfltll. »,l'Hl. :dOt'H ri gOIIl'CUSCment
108 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE RÉPONSE AUX OBJECTIONS 109

nulle. De plus, comme le non-manifesté contient till Cependant, bien que ceci soit suffisant, nous trai-
~rincipe tout ce qvi fait la réalité profonde et css n terons encore maintenant un autre aspect de la
belle des choses qui existent sous un mode qut 1 question, dans lequel nous considérerons l'être comme
conque de la manifestation, ce sans quoi le moh ayant réalisé, non plus la totalité du « Soi » incon-
festé n'aurait qu'une existence purement illu soit•t ditionné, mais seulement l'intégralité d'un certain
on peut dire que l'être qui est parvenu effectivemt ,,1 ~tat. Dans ce cas, l'objection précédente doit prendre
à l'état de non-manifestation possède par là rn mt une nouvelle forme : comment est-il possible d'envi-
tout le reste, et qu'ille possède véritablement « JI''' sager cette intégralité pour un seul être, alors que
s~r.croît n, de la même façon que, comme nOUI:I ltt l'état dont il s'agit constitue un domaine qui lui est
disions au chapitre précédent, il possède tous ln commun avec une indéfinité d'autres êtres, en tant
états ou degrés intermédiaires, même sans les nvo lt que ceux-ci sont également soumis aux conditions
parcourus préalablement et distinctement. qui caractérisent et déterminent cet état ou ce mode
Cette réponse, dans laquelle nous n'envisag< ou" d'existence ? Ce n'est plus la même objection, mais
que. l'être qui est parvenu à la réalisation totale 1 1 " ' 11culement une objection analogue, toutes propor-
p 1~meme~t suffisante au point de vue puremt 111 tions gardées entre les deux cas, et la réponse doit
~etaph~sique, et elle est même la seule qui p\Ji rHtl tre aussi analogue : pour l'être qui est parvenu à
etre vraiment suffisante, car, si nous n'envisngion 110 placer effectivement au point de vue central de
pas l'être de cette façon, si nous nous placions rl r111 1 l'état considéré, ce qui est la seule façon possible
tout autre cas que celui-là, il n'y aurait plus lit u dt d'en réaliser l'intégralité, tous les autres points de
parler de totalité, de sorte que l'objection m ~ nu '' ' vue, plus ou moins particuliers, n'importent plus en
s'appliquerait plus. Ce qu'il faut dire en sornrn t 1 tun;t qu'ils sont pris distinctement, puisqu'il les a
aussi bien ici que quand il s'agit des ohj ection1:1 qtt us unifiés dans ce point de vue central ; c'est donc
peuvent être posées concernant l'existence dt 111 duns l'unité de cel11i-ci qu'ils existent dès lors pour
multiplicité, c'est que le manifesté, considér6 COIIItll t lui, et non plus en dehors de cette unité, puisque
tel, c.'~st-à-dir~ sous. l'aspect de la distinc·~ion C(ll i Ir l' xistence de la multiplicité hors de l'unité est pure-
. con~Itwnne, n est nen au regard du non-munift 1• , lU nt illusoire. L'être qui a réalisé l'intégralité d'un
car Il ne peut y avoir aucune commune mc urt 1 ul1'1 tnt s'est fait lui-même le centre de cet état, et,
l'un et l'autre ; ce qui est absolument r6 ] (Loul lt comme tel, on peut dire qu'il remplit cet état tout
reste .n'étant qu'illusoire, au sens d'un r •uliL qu nli or de sa propre irradiation (1 ) : il s'assimile tout
n'est que dérivée et comme « particip ))) 1 1 'ut4 1, 11 qui y est contenu, de façon à en faire comme autant
même pour les possibilités qui comport nt lu 111 11111 dt modalités secondaires de lui-même (2 ), à peu près
festation, l'état permanent t in onditioun 1 1111
lequel elles apparticnn ·nt, prin ·ipi ·ll •mcut, 1 '1. foud u (') r. L'llomme cl son devenir selon le Védânta, ch. xvn.
(') L Aymbolo do la • nourriture • (anna) est fréquemment employé
mentalement, à J' rdr d lu on-mnnift tuLitHt . 1lnn 1 8 UpMliR /wds pour désigner une telle assimilation.
110 LES ÉTATS MULTIPLES DE L ÊTR E
1
RÉPONSE AUX OBJECTIONS 111

comparables à ce que sont les modalités qui 1w 11 • JtOndant au degré d'existence dans lequel il est situé),
lisent dans l'état de rêve, suivant ce qui a (•1•' dtt 'elst cependant assimilé, dans une mesure plus ou
plus haut. Par conséquent, cet être n'est auCUIIPiul 111 moins complète, tout ce dont il a véritablement pris
affecté, dans son extension, par l'existence 'l'li 1. t'llllscience dans les limites de son extension actuelle ;
modalités, ou du moins certaines d'entre cllc•11, l" 11 1. les modalités accessoires qu'il s'est ainsi adjointes,
vent avoir par ailleurs en dehors de lui-mêrn1 (•' 11 1 qui sont évidemment susceptibles de s'accroître
expression « en dehors » n'ayant du reste pl11 1l c•tmstamment et indéfiniment, constituent une part
sens à son propre point de vue, mais seukmPIII '" Il·• H importante de ces prolongements de l'indivi-
point de vue des autres êtres, demeurés dauH l11 n11d cluulité auxquels nous avons déjà fait allusion à dif-
tiplicité non unifiée), en raison de l'existcnec d'""' 1 l'cmtes reprises.
tanée d'autres êtres dans le même état; ct, d' ""'
part, l'existence de ces mêmes modalitéH 1•11 l111
même n'affecte en rien son unité, mêmP 1•11 1 "
qu'il ne s'agit que de l'unité encore re]ativP Il'''
réalisée au centre d'un état particulier. Toni
état n'est constitué que par l'irradiation cl,
centre (1), et tout être qui se place efT cti l'lill 111
ce centre devient également , par là rnêr111•, '''""'
de l'intégralité de cet ét at ; c'est ainsi qut l' t11.ldl
renciation principielle du non-manifr.HI.c' Hl 11 Il '
dans le manifest é, et il doit être bien ('lltt•r~tltl 1 d 1 t 1
leurs, que ce refl et, étant dans le rnn.uifl' lt , 1 11 1
toujours par là même la relativité qui l'Hl iul11 ' ' 1
à toute existence conditionnée.
Cela étant établi, on comprendra H:HIH l" 1111
des considérations analogues puissent fl'np(lltqttl' 1
modalités comprises, à des t it r- s divt•r'H, dnn "
unité èncore plus relative, cornmn ~ ·c·ll1• d'un 1111 1
n'a réalisé un certain état que (HIJ'I.Îc•ll, ·nr•·lll , 1 1 "
intégralement. Un tel être, con1mo l'i ndiv11111 '"""
p ar exemple, sans être e u eorc Jl lli'V'' " " ,•, '"' 1 111
épanouissement danfl le HO II H d e l'tc 11 '"(l 'l'li'' 11
1
( ) Coci Il otû amph llllllll. n'X p ll q U(I ""'"' .... , ... '" " ' 1 olo lOI•
l ,c 1/lll/JOIIRIIIf ri~ i ll ( ;l'ld,r.
CHAPITRE XV

LA RÉALISATION DE L':tTRE
PAR LA CONNAISSANCE

ous venons de dire que l'être s'assimile plus


ou moins complètement tout ce dont il prend
conscience ; en effet, il n'y a de connaissance
t·iln hie, dans quelque domaine que ce soit, que
lie qui nous permet de pénétrer plus ou moins
1ufondément dans la nature intime des choses, et
dq~rés de la connaissance ne peuvent consister
Jic•iH(~ment qu'en ce que cette pénétration est plus
11 111oins profonde et aboutit à une assimilation
lu ou moins complète. En d'autres termes, il n'y
cl• connaissance véritable qu'autant qu'elle impli-
"' uu e identification du sujet avec l'objet, ou, si
11111 préfère considérer le rapport en sens inverse,
111•· HHHimilation de l'objet par le sujet (1 ), et dans la
Il• " ''~'~~ précise où elle implique effectivement une
1 llc• id•~nti fi cation ou une telle assimilation, dont les

l• n'·H de réalisation constituent, par conséquent,


1 dn~ré s de la connaissance elle-même (2 ). Nous
('1 Il dn ll. 1\l.c·o Ill on entendu que nous prenons ici les termes de • sujet •
1 ol' • nt.j•ll. • clnnH leut· sens le plus habituel, pour désigner respecti-
""11 cd • o•nlu l I[UI omwtl • el « ce qui est connu • (voir L'Homme et
'' ol~corrdr HI'IO II li: Velf{)n tn , p. 152).
('1 Nuu nvcuiH dl1jol Hignnlô en différentes occasions qu'Aristote avait
1 r •" pdno•lpu l' lthlnllrlt;nlio " psu· la connaissance, mais que cette
114 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE
LA RÉALISATION DE L'ÊTRE 115

devons donc maintenir, en dépit de toutes loH d propos la définition aristotélicienne de la connais-
eussions philosophiques, d'ailleurs plus ou 11111 11 lance, dans le domaine sensible,_comme «l'acte com-
oiseuses, auxquelles ce point a pu donner li o11 (1) 1 mun du sentant et du senti », qui implique effective-
que toute connaissance véritable et effect ivt ' 1 ment une telle réciprocité de relation (1 ). Ainsi, en
im:n;tédia~e, et qu'une connaissance médiate no p111l ce qui concerne ce domaine sensible ou corporel, les
avmr 9u une valeur purement symbolique ct 11 p11 organes des sens sont, pour l'être individuel, les
sentatiVe (2 ). Quant à la possibilité même d ln ''"Il « entrées » de la connaissance (2 ) ; mais, à un autre
naissance immédiate, la théorie tout entière d1 H 1 1 ri oint de vue, ils sont aussi des « sorties », précisément
multiples la rend suffisamment compréh HMild 1 n ce que toute connaissance implique un acte
d'ailleurs, vouloir la mettre en doute, c'cAI. fu 1 'identÎfication partant du sujet co;nnaissant pour
P.reuve d'une p~rfaite ignorance à l'égard d• H pt 11 Uer vers l'objet connu (ou plutôt à connaître), ce
c1pes -métaphysiques les plus élémentaires, _rui 'lill ui est, pour l'être individuel, comme l'émission
s~ns cette ..connaiss:'lnce immédiate, la m l.nplt 'une sorte de prolongement extérieur de lui-rnême.
sique elle-meme serait totalement impossibl ( ). 1 importe de remarquer, d'ailleurs, qu'un tel pro-
Nous avons parlé d'identification ou d'n H Î1ntlt ngement n'est extérieur que par rapport à l'indi-
tion, et nous pouvons employer ici ces dcu idualité envisagée dans sa notion la plus restreinte,
à peu près indifféremment, bien qu'ils ne s uisqu'il fait partie intégrante de l'individualité
tent pas exactement au même point de vu ndue ; l'être, en s'étendant ainsi par un dévelop-
même façon, on peut regarder la connaissanet nn 111111 ent de ses propres possibilités, n'a aucunement
al~ant à la fois du sujet à l'obj et dont il pr1ud 1111 sortir de lui-même, ce qui, en réalité, n'aurait
science (ou, plus généralement et pour n pu 111111 1 me aucun sens, car un être ne peut, sous aucune
limiter aux conditions de certains états, d nt, il 1 1 mdition, devenir autre que lui-même. Ceci répond
une modalité secondaire de lui-même) t <], I' 11I1J ir ctement, en même temps, à la principale objec-
au sujet qui se l'assimile, et nous rapp 11 I'Oil cm des philosophes occidentaux modernes contre
]l ssibilité de la connaissance immédiate ; on voit
affirmation, chez lui et chez ses continuateurs scolu R UI\"''~ - wll tl Lloment par là que ce qui a donné naissance à
être restée purement théorique, sans qu'ils en ol nt Jumn " t/1 11111 " '
conséquence en.ce qui concerne,la réaliso Uon môtop hy lqu• (vult ""l"'' t objection n'est rien d'autre qu'une incompré-
ment lnlroducllOn générale cl l élude des doctrlnca hl11dou~• l' lhf IIKtOn métaphysique pure et simple, en raison de
L'Homme el son devenir selon le V~ddnta, p. 252). '
(') Nous faisons allusion ici aux modern s • tMol'l o 1111 111 •·u1111 1 'l'' 11 ces philosophes ont méconnu les possibi-
sance •, sur la vanité desquelles nous nous sornm s 11<\jll pllljll Ill• "'
( lnlr~duclion gé,néra/e cl l'élude des doctrineR lll11CIOII N, If, ltltl) 1 Il• (') On p ut rema rquer a ussi que l'acte commun à deux êtres, suivant
y rev1endrons d ailleurs un peu plus loi n. 1 n ~ I(U
1
Al"istoto donne au mot «acte ., c'est ce par quoi leurs natures
(") Cette différence oaL celle d lu connnl asun o lntu iUvn ni 11! 1 nL, ûono s'ldentlfiont au moins partiellement.
naissance dl soursivo, dont nouA nvons dt'IJ~ porlo IINNIIIIl ~ 11 uv 11 1 ( ) VuiJ• J.'Jlommc ct son devenir selon le Véddnta, p. 133; le symbo·
qu'Il no soit poe n6cossuh· fl noua y ptturfl• r 11110 lulii !111 plll• J)ou () h H • do Vaislnndnara se rapporte à l'analogie de l'assi-
111 1111" •
1
( ) Voh· l/Jid., pp. 102· 1 4.
1 llun Olflll lvo uv o l'oK lmlloLion nutritive.
116 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE LA RÉALISATION DE L'ÊTRE 117

lités de l'être, même individuel, dans son extension deux faces inséparables d'une seule et même réa-
indéfinie. lité (1 ) ; il ne peut pas y avoir de métaphysique véri-
Tout ceci est vrai « a fortiori » si, sortant d M table pour quiconque ne comprend pas vraiment
limites de l'individualité, nous l'appliquons au que l'être se réalise par la connaissance, et qu'il ne
états supérieurs : la connaissance véritable de c 11 peut se réaliser que de cette façon. La doctrine
états implique leur possession effective, et, invcrH« métaphysique pure n'a pas à se préoccuper, si peu
ment, c'est par cette connaissance même que 1.1;11 1:' que ce soit, de toutes les « théories de la connais-
en prend possession, car ces deux actes sont In H( sance » qu'élabore si péniblement la philosophie
parables l'un de l'autre, et nous pourrions même ~lir•t; moderne; on peut même voir, dans ces essais de
qu'au fond ils ne sont qu'un. Nat~rellem~nt, ~e .' llf 1 substitution d'une « théorie de la connaissance » à
doit s'entendre que de la connaissance 1mmed111 U1 , la connaissance elle-même, un véritable aveu d'im-
qui, lorsqu'elle s'étend à' l~ ~ota~ité des ét~ts, 0111 puissance, quoique assurément inconscient, de la
porte en elle-même leur, reahs~twn, ~t. qm est, P''' part de cette philosophie, si complètement igno-
suite « le seul moyen d obtemr la Delivrance CO III rante de toute possibilité de réalisation effective.
' . .
piète et finale » (1 ). Quant à la connaissance qu1 Ni l En outre, la connaissance vraie, étant immédiate
restée purement théorique, il est évident qu: cJJ(. 111 comme nous l'avons dit, peut être plus ou moins
saurait nullement équivaloir à une telle réahsa Ltoll , complète, plus ou moins profonde, plus ou moins
et, n'étant pas u~e saisie immédia~e de son . old•,1, adéquate, mais ne peut pas être essentiellement
elle ne peut avOir, comme nous lavons déJÙ dt! , « relative » comme le voudrait cette même philoso-
qu'une valeur toute symbolique ; mais ell n ' c 11 phie, ou du moins elle ne l'est qu'autant que ses
constitue pas moins une préparation indispcmnhl 11 objets sont eux-mêmes relatifs. En d'autres termes,
l'acquisition de cette connaissance effective p 111 ln connaissance relative, métaphysiquement par-
laquelle, et par laquelle seule, s' opère la réa]i tinllnu lant, n'est pas autre chose que la connaissance du
de l'être total. r latif ou du contingent, c'est-à-dire celle qui s'ap-
Nous devons insister particulièrement, ch uqu• rn plique au manifesté ; mais la valeur de cette con-
que l'occasion s'en présente à nous, sur c tL< •·«'1td• naissance, à l'intérieur de son domaine propre,
sation de l'être par la connaissance , car ell < tH l 11ttl et aussi grande que le permet la nature de ce
à fait étrangère aux cenceptions occidcnLf\1<1'1 11111 domaine (2 ), et "ce n'est pas ainsi que l'entendent
dernes, qui ne vont pas au delà de lu omwi lill llt' f ux qui parlent de « relativité de la connaissance ».
théorique, ou plus exactement d'un fuiiJit l " " 1Il A part la considération des degrés d'une connais-
de celle-ci, et qui opposent artificicll lll nL ln 11 11111 (') Voir encore Introduction générale à l'élude des doctrines hindoues,
naître »à l' «être », comme si ce n' éloi n )'" 1. l11 ,.,•. l 6- 157.
(') oln s'ap plique même à la simple connaissance sensible, qui est
UNII, dons l'ordre lnf6ri cur el limité qui esl le sien, une connaissance
(') Atmd-Boàlla do SbanknrtlcMryn (voir ibid., Il • 2lH) , luun6dlolo, donc nécossuiromenl vraie.
118 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

sance plus ou moins complète et profonde, d egr(~ 1


qui ne changent rien à sa nature essentielle, la seul•
distinction que nous puissions faire légitimem nt ,
quant à la valeur de la connaissance, est ce!le q11 11
nous avons déjà indiquée entre la connmssa nt'' CHAPITRE XVI
immédiate et la connaissance médiate, c'est-à-d i''' 1
entre la connaissance effective et la connaissa n''' CONNAISSANCE ET CONSCIENCE
symbolique.

conséquence très importante de ce qui a

U
NE
été dit jusqu'ici, c'est que la connaissance,
entendue absolument et dans toute son uni-
versalité, n'a aucunement pour synonyme ou pour
équivalent la conscience, dont le domaine est seule-
ment coextensif à celui de certains états d'être
déterminés, de sorte que ce n'est que dans ces états,
à l'exclusion de tous les autres, que la connaissance
se réalise par le moyen de ce qu'on peut appeler
proprement une « prise de conscience ». La con-
:-;cience, telle que nous l'avons entendue précédem-
ment, même dans sa plus grande généralité et sans
ln restreindre à sa forme spécifiquement humaine,
n'est qu'un mode contingent et spécial de connais-
Hnnce sous certaines conditions, une propriété inhé-
nmte à l'être envisagé dans certains états de mani-
fi :K totion ; à plus forte raison ne saurait-il en être
'JIH!fi Lion à au cun d egré pour les états incondition-
n(\H1 c'est-à-dire pour tout ce qui dépasse l'Etre,
pui Hqu 'e11e n'est même pas applicable à tout l'Etre.
t\u •~o ntrn i rc, la connaissan ce , considérée en soi et
•nd t' pnrHl u rnrn ent des cond it ions afférentes à quelque
t'tnt, pu•·t.i C" uli ol' , no pt:u L HÙrnctLre aucune restric-
I Îon , " ' • p o u•· Î' ll't nd{·quutl 1\ ln Vé l·iLé totale, elle
120 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE CONNAISSANCE ET CONSCIENCE 121
doit être coextensive, non pas seulement à l'Être, On voit sans peine toutes les conséquences que l'on
mais à la Possibilité universelle elle-même, donc être peu~ tirer de cette dernière remarque, dont la portée
infinie comme celle-ci l'est nécessairement. Ceci est Immensément plus grande que celle d'une défi-
revient à dire que connaissance et vérité, ainsi nition simplement logique de la vérité, car il y a là
envisagées métaphysiquement, ne sont pas autre toute la différence de l'intellect universel et incon-
chose au fond que ce que nous avons appelé, d'uno ditionné (1 ) à l'entendement humain avec ses con-
expression d'ailleurs fort imparfaite, des « aspects ditions individuelles, et aussi, d'un autre côté toute
de l'Infini n; et c'est ce qu'affirme avec une parti - la différence qui sépare le point de vue de 1; réali-
culière netteté cette formule qui est une des énon - sation de celui d'une « théorie. de la connaissance n.
ciations fondamentales du Vêdânta: « Brahma es t Le_ mot« réel» lui-même, habituellement fort vague,
la Vérité, la Connaissance, l'Infini n ( Satyam J nd- voire ~ême équivoque, et qui l'est forcément pour
nam Anantam Brahma) (1 ). les philosophes qui maintiennent la prétendue dis-
Lorsque nous avons dit que le « connaître n 1 tinction du possible et du réel, prend par là une
l' « être n sont les deux faces d'une même réalité, il tout autre valeur métaphysique, en se trouvant
ne faut donc prendre le terme « être n que dan s s 11 rapporté à ce point de ":Ue de la réalisation (2 ), ou,
sens analogique et symbolique, puisque la c o nn a i ~ · pour parler d'une façon plus précise, en devenant
sance va plus loin que l'Être ; il en est ici corn nu • une expression de la permanence absolue dans
dans les cas où nous parlons de la réalisation d1 1 l'U~iversel, d~ tout ce dont un être atteint ia p-os-
l'être total, cette réalisation impliquant essenti JI , • sessiOn effective par la totale réalisation de soi-
ment la connaissance totale et absolue, et n ' étnul même (3 ).
nullement distincte de cette connaissance m Atnt , _L'intellect, en tant que principe universel, pour-
en tant qu'il s'agit, bien entendu, de la comHd H rait être conçu comme le contenant de la connais-
sance effective, et non pas d'une simple connni s~nce totale, mais à la condition de ne voir là qu'une
sance théorique et représentative. Et c'est ici 1• Jj, 11 Simple façon de parler, car, ici où nous sommes
de préciser un peu, d'autre part, la façon donL il
faut entendre l'identité métaphysique du pos ib li 1 1 en quelque . sorte une tr~nsposition, par-ee qu'il y a lieu de tenir compte
de ce~te différence capitale, que la doctrine scolastique se renferme
du réel : puisque tout possible est réalisé par lu 0 011 exclusivement dans I'~tre, tandis que ce que nous disons ici s'applique
également à tout ce qui est au delà de l'~tre.
naissance, cette identité, prise universellement , 1 1111 ( ) Ici, le terme • intellect 1 est aussi transposé au delà de l'~tre donc
1

stitue proprement la vérité en soi, car ccll - i P• 111 IJ. ~lus forte raison au delà de Buddlli, qui, quoique d'ordre universel
être conçue précisément comme l' ad équ ati n JI '" ' et mformel, appartient encore au domaine de la manifestation, et par
conséquent ne peut être dite inconditionnée.
faite de la connaissance à la Possibilité toto lc ( ) 1
( ) On remarquera d'ailleurs l'étroite parenté, qui n'a rien de fortuit,
entre les mots • réel 1 et • réalisation •.
Taillirlyaka Upanishad, 2• Volll, 1•• Anuvll ku, ahl ol o 1.
( 1) (' ) C'est cette même permanence qu'on exprime d'une autre façon
(')Cette formule s'accorde ovec Jo déflnlUon quo enl nt TllomuH !l'"''"'"
donne do la vérité comme adœ quollo rel el 1111 u-vlus ; mulil lll ln 11 11 11~ 1
dons le longnge théologique occidental, lorsqu'on dit que les possible~
t ont ô to ~o ll rn nt dans l'entend ement divin.
122 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE CONNAISSANCE ET CONSCIENCE 123
essentiellement dans la « non-dualité », le contenant . ~~ · co~naissance totale étant adéquate à la Possi-
et le contenu sont absolument identiques, l'un et bilite umverselle, il n'y a rien qui soit inconnais-
l'autre devant être également infinis, et une « plu- sable (1), ou, en d'autres termes, « il n'y a pas de
ralité d'infinis » étant, comme nous l'avons déj à choses inintelligibles, il y a seulement des choses
dit, une impossibilité. La Possibilité universelle, qui ?ctuellement incompréhensibles » (2 ), c'est-à-dire
comprend tout, ne peut être comprise par rien, si Inconcevables, non point en elles-mêmes et absolu-
ce n'est par elle-même, et elle se comprend elle- ment.' .mais seulement pour nous en tant qu'êtres
même « sans toutefois que cette compréhension conditionnés, c'est-à-dire limités dans notre mani-
existe d'une façon quelconque » (1 ) ; aussi ne p eut-on fe~tation actuelle, aux possibilités d'un état déter-
parler corrélativement de l'intellect et de la connais- m~né .. Nous posons ainsi ce qu'on peut appeler un
sance, au sens universel, que comme nous avons prmCipe d' «universelle intelligibilité», non pas
parlé plus haut de l'Infini et de la Possibilité, c'est- comme on l'entend d'ordinaire, mais en un sens
à-dire en y voyant une seule et même chose, qu purement métaphysique, donc au delà du domaine
nous envisageons simultanément sous un aspect logique, où ce principe, comme tous ceux qui sont
actif et sous un aspect passif, mais sans qu'il y aiL d' o~dre proprement universel (et qui seuls méritent
là aucune distinction réelle. Nous ne devons pas dis- vraiment d'être appelés principes), ne trouvera
tinguer, dans l'Universel, intellect et connaissanc<, qu'une appli~ation particulière et contingente. Bien
ni, par suite, intelligible et connaissable : la connaÎti- entendu, ceCI ne postule pour nous aucun « rationa-
sance véritable étant immédiate, l'intellect ne fui 1. l~sme », tout au contraire, puisque la raison, esseh-
rigoureusement qu'un avec son obj et; ce n 'est q 11c tiellement différente de l'intellect (sans la garantie
dans les modes conditionnés de la connaissan\lc 1 d.uquel elle ne saurait d'ailleurs être valable), n'est
modes toujours indirects et inadéquat s, qu'il y 11 rie~ d~ plus qu'~ne faculté spécifiquement humaine
lieu d'établir une distinction, cette connaissun tH et Individuelle ; Il y a donc nécessairement nous ne
relative s'opérant, non pas par l'intellect lui- mô me , disons pas de l' «irrationnel » (3 ), mais du' cc supra-
mais par une réfraction de l'intellect dans les 1.11 1~
d'être considérés, et, comme nous l'avons vu , o'n 1 (') Nous rejetons donc formellement et absolument tout • agnosti-
cisme •, à quelque degré que ce soit ; on pourrait d'ailleurs demander
une telle réfraction qui constit ue la conscicn · i ud i aux • positivistes •, ainsi qu'aux partisans de la fameuse théorie de
viduelle ; mais, directemen t ou indirectemcn L, i 1 y 11 l' ;. Inconnaissable • d' Herbert Spencer, ce qui les autorise à affirmer
qu 11 Y ~ des choses qui ne peuvent pas être connues, et cette question
toujours participation à l'intellect univer s '1 ùnn lt rlequeract ~ort de d~meurer sans réponse, d'autant plus que certains
mesure où il y a connaissance effective, soit sou eli t eomblent b1en, en tact, confondre purement et simplement • inconnu 1
(c'est-à-dire en_défi~itive ce q':'i leur est inconnu à eux-mêmes) et • incon-
mode quelconque, soit en dehors do t ou L m odr naissable • (vocr Orzent et Occzdent, p. 49, et La Crise du Monde moderne
spécial. p. 175). '
(') Matglol, La V oie M élapllysique, p. 86.
( 1 ) Risdlalul- A IIadi yall de Mohylddln Ibn Arobl ( ·t. J,')/(11111/în 1 11111 (' ) Co qui dépasse la ra ison, en effet, n'est pas pour cela contraire
deuenir selon le Veddnla, p. 163). 4 lu rulaon, co qui ost lo sens donné généralement au mot • irrationnel •.
124 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE
CONNAISSANCE ET CONSCIENCE 125
rationnel », et c'est là, en effet, un caractère foJHi u
mental de tout ce qui est véritablement d' onl•·n ment, la suprême <<raison d'être » de tou:es cho~es,
métaphysique : ce « supra-rationnel » ne cesse 1"'" la véritable << raison suffisante » métaphysique qm s.e
pour cela d'être intelligible en soi, même s'il n'1 1 détermine elle-même dans tous les o~dre~ de po~si­
pas actuellement compréhensible pour les fa cull. bilités, sans qu'aucune de ces détermmatw~s pmsse
limitées et- relatives de l'individualité humain (1) , l'affecter en quoi que ce soit. Cette conceptiOn d.e la
Ceci entraîne encore une autre observation doH'L il << raison suffisante », fort différente des conceptiOns
y a lieu de tenir compte pour ne commettre aucun1 philosophiques ou théologi~u~s où s'~nfer~~ la pen-
méprise : comme le mot « raison », le mot « •ou sée occidentale, résout d ailleurs 1mmed1at~me~t
science i> peut être parfois universalisé, par u 111 bien des questions devant lesque~les celle-ci ??It
transposition purement analogique, et nous l'av 111 s'avouer impuissante, et cela en operant la co~ciha­
fait nous-même ailleurs pour rendre la signification tion du point de vue de la ~é?essité et de. celm de l~
du terme sanscrit Chit (2 ) ; mais une telle tran1:1 )111 contingence ; nous sommes ICI, en effet, hien ~u dela
de l'opposition de la nécessi:té et d~ la. con tmgen~e
sition n'est possible que lorsqu'on se limite à l' E:i.T•n,
comme c'était le cas alors pour la considération du entendues dans leur acceptiOn ordma~re ( ) ; mais 1
ternaire Sachchidânanda. Cependant, on doit hi1 11 quelques éclaircissements com~lémentaires ne seront
c~mprendre que, même avec cette restriction, lu peut-être pas inutiles pour faire compr~ndre p~:mr­
conscience ainsi transposée n'est plus aucuncnH rtl quoi la question n'a pas à se poser en metaphysique
entendue dans son sens propre, tel que nous l'o.vou pure.
précédemment défini, et tel que nous le lui conH1 ••
(') Disons d'ailleurs que la théologie, bien supérieure en cela à ~a phi-
vons d'une façon générale : dans ce sens, ell e H 11 11 losophie reconnaît du moins que cette opposition peut et dott .:t~e
nous le répétons, que le mode spécial d'une connni dé assé~ alors même que sa rés_olution ne lui ap~:mralt pas avec 1 Vl•
de~ce q~'elle présente lorsqu'on l'envisage du pomt de vue m~taphy-
sance contingente et relative, comme est relatif 1 1 . 11 faut ajouter que c'est surtout au point de vue théologtque,, et
contingent l'état d'être conditionné auquel elle app11•' :~~!ison de la conception religieuse de la • création •, que cette q~esbo~
des rapports de la n~cessité et de la contingence a revêtu tout d abor
tient essentiellement; et, si l'on peut dire qu '• ll11 l'importance qu'elle a gardée ensuite philosophiquement dans la pensée
est une « raison d'être » pour un tel état, n'o 1 occidentale.
qu'en tant qu'elle est une participation, par r l't'Ill
tion, à la nature de cet intellect universel t trnu
cendant qui est lui-même, finalement et rrum 111
(') Rappelons à ce propos qu'un • mystère •, môme nt nllu rluto l! •1
conception théologique, n'est nullement quoique choso 11 '1 !1 CIIIIIHI ~
sable ou d'inintelligible, mais bien, suivant le sens étyrnologlqul 1111 111111 ,
et comme nous l'avons dit plus haut, qu lqu lioso qui ~ t ln.; )Ill
mable, donc incommunicable, ce qui t tout dlrr r nt.
1
( ) L'Homme ct son devenir sclo11 lo Vddd nta, pp. 1 1· 1 .
CHAPITRE XVII

NÉCESSITÉ ET CONTINGENCE

T
OUTE possibilité de manifestation, avons-nous
dit plus haut, doit se manifester par là même
qu'elle est ce qu'elle est, c'est-à-dire une possi-
bilité de manifestation, de telle sorte que la manifes-
tation est nécessairement impliquée en principe par
la nature même de certaines possibilités. Ainsi, la
manifestation, qui est purement contingente en
tant que telle, n'en est pas moins nécessaire dans
son principe, de même que, transitoire en elle-même,
elle possède cependant une racine absolument per-
manente dans la Possibilité universelle ; et c'est là,
d'ailleurs, ce qui fait toute sa réalité. S'il en était
autrement, la manifestation ne saurait avoir qu'une
existence tout illusoire, et même on pourrait la
regarder comme rigoureusement inexistante, puis-
que, étant sans principe, elle ne garderait qu'un
caractère essentiellement « privatif », comme peut
l'être celui d'une négation ou d'une limitation con-
sidérée en elle-même ; et la manifestation, envisagée
de cette façon, ne serait en effet rien de plus que
l'ensemble de t outes les conditions limitatives pos-
sibles. Seulement , dès lors que ces conditions sont
possiblcH, oll os sont métaph ysiquement réelles, et
128 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE NÉCESSITÉ ET CONTINGENCE 129

cette réalité, qui n'était que négative lorsqu'on leR versel, elle ne saurait aucunement avoir. Pour mieux
concevait comme simples limitations, devient posi faire comprendre notre pensée à cet égard, nous
tive, en quelque sorte, lorsqu'on les envisage en pouvons prendre ici encore un symbole spatial, et
tant que possibilités. C'est donc parce que la mani· dire que la manifestation, dans son intégralité, est
festation est impliquée dans l'ordre des possibilit és véritablement nulle au regard de l'Infini, de même
qu'elle a sa réalité propre, sans que cette réalit (sauf les réserves qu'exige toujours l'imperfection de
puisse en aucune façon être indépendante de cet telles comparaisons) qu'un point situé dans l'espace
ordre universel, car c'est là, et là seulement, qu'elle u est égal à zéro par rapport à cet espace (1 ) ; cela ne
sa véritable «raison suffisante » : dire que la manifes· veut pas dire que ce point ne soit rien absolument
tation est nécessaire dans son principe, Ce n'est paR (d'autant plus qu'il existe nécessairement par là
autre chose, au fond, que de dire qu'elle est compris même que l'espace existe), mais il n'est rien sous le
dans la Possibilité universelle. rapport de l'étendue, il est rigoureusement un zéro
Il n'y a aucune difficulté à concevoir que la mani· d'étendue ; et la manifestation n'est rien de plus,
festation soit ainsi à la fois nécessaire et contin- par rapport au Tout universel, que ce qu'est ce
gente sous des points de vue différents, pourvu qu point par rapport à l'espace envisagé dans toute
l'on fasse bien attention à ce point fondamental, qu l'indéfinité de son extension, et encore avec cette
le principe ne peut être affecté par quelque dét r · différence que l'espace est quelque chose de limité
mination que ce soit, puisqu'il en est essentiellement par sa propre nature, tandis que le Tout universel
indépendant, comme la cause l'est de ses effet s, d est l'Infini.
sorte que la manifestation, nécessitée par son prin - Nous devons indiquer ici une autre difficulté,
cipe, ne saurait inversement le nécessiter en aucun < mais qui réside beaucoup plus dans l'expression que
façon. C'est donc l' « irréversibilité » ou l' « irréoi· dans la conception même : tout ce qui existe en mode
procité » de la relation que nous envisageons ici qui transitoire dans la manifestation doit être transposé
résout toute la difficulté ordinairement supposée u en mode permanent dans le non-manifesté; la mani-
cette question (1 ), difficulté qui n'existe en somm' festation elle-même acquiert ainsi la permanence qui
que parce qu'on perd de vue cette « irréciprocit6 >> ; fait toute sa réalité principielle, mais ce n'est plus
et, si on la perd de vue (à supposer qu'on l'ait jamo.i la manifestation en tant que telle, c'est l'ensemble
entrevue à quelque degré), c'est que, par le fu it. des possibilités de manifestation en tant qu'elles ne
qu'on se trouve actuellement placé dans la mani se manifestent pas, tout en impliquant pourtant la
festation, on est naturellement amen é à attribu r a manifestation dans leur nature même, sans quoi elles
celle-ci une importance que, du point de vue uni·
{ 1 ) Il s'agit icj, bien entendu, du point situé dans l'espace, et non du
(i) C'est cette même • irréciprocité • qui exclu t également tout • 1}1!0 point principiel dont l'espace lui-même n'est qu'une expansion ou un
t héisme • et tout • immanentisme •, ainsi quo nous l'avons 1.1 J ~ f11JI, développement. - Sur les rapports du point et de l'étendue, voir Le
remarquer ailleurs (L'Homme et son devenir selon le V~dd nta, pp. 2 4-:tfirl), S y mbolisme de la Croix, ch. x vi.
130 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE NÉCESSITÉ ET CONTINGENCE 131

seraient autres que ce qu'elles sont. La difficulté dt rait alors à sa raison suffisante elle-même. Tel est le
cette transposition ou de ce passage du manifesté nu cas de la manifestation, contingente comme telle,
non- manifesté, et l'obscurité apparente qui en résulto, parce que son principe ou sa raison suffisante se
sont celles que l'on rencontre également lorsqu'ou trouve dans le non-manifesté, en tant que celui-ci
veut exprimer, dans la mesure où ils sont expri · comprend ce que nous pouvons appeler le « manifes-
mables, les rapports du temps, ou plus généralemcul. table », c'est-à-dire les possibilités de manifestation
de la durée sous tous ses modes (c'est-à-dire dt comme possibilités pures (et non pas, cela va sans
toute condition d'existence successive), et de l'ét t'• dire, en tant qu'il comprend le « non-manifestable »
nité ; et c'est au fond la même question, envisag • ou les possibilités de non-manifestation). Principe et
sous deux aspects assez peu différents, et dont Jt raison suffisante sont donc au fond la même chose,
second est simplement plus particulier que le pr< · mais il est particulièrement important de considérer
mier, puisqu'il ne se réfère qu'à une condition déto•·· le principe sous cet aspect de raison suffisante lors-
minée parmi toutes celles que comporte le mani - qu'on veut comprendre dans son sens métaphy-
festé. Tout cela, nous le répétons, est parfaitemouL sique la notion de la contingence ; et il faut encore
concevable, mais il faut savoir y faire la part d préciser, pour éviter toute confusion, que la raison
l'inexprimable, comme d'ailleurs en tout ce qui suffisante est exclusivement la raison d'être dernière
appartient au domaine métaphysique ; pour ce qui d'une chose (dernière si l'on part de la considération
est des moyens de réalisation d 'une conceptiou de cette chose pour remonter vers le principe, mais,
effective, et non pas seulement théorique, s'étendant en réalité, première dans l'ordre d'enchaînement,
à l'inexprimable même, nous ne pouvons évidemm nr. tant logique qu'ontologique, allant du principe aux
en parler dans cette étude, les considérations de •t 1. conséquences), et non pas simplement sa raison
ordre ne rentrant pas dans le cadre que nous nou H d'être immédiate, car tout ce qui est sous un mode
sommes présentement assigné. quelconque, même contingent, doit avoir en soi-
Revenant à la contingence, nous pouvons, d 'u))l même sa raison d'être immédiate, entendue au sens
façon générale, en donner la définition suivante : 1. où nous disions précédemment que la conscience
contingent tout ce qui n'a pas en soi-même sa raisou constitue une raison d'être pour certains états de
suffisante ; et ainsi l'on voit bien que toute choHt l'existence manifestée.
contingente n'en est pas moins nécessaire, en ce s n Une conséquence fort importante de ceci, c'est
qu'elle est nécessitée par sa raison suffisante, ut• qu'on peut dire que tout être porte en lui-même sa
pour exister, elle doit en avoir une, mais qui n' Hl, destinée, soit d'une façon relative (destinée indivi·
pas en elle, du moins en tant qu'on l'envisage I:IO II H duelle), s'il s'agit seulement de l'être envisagé à
la condition spéciale où elle a précisément cc n r·n 1 • l'intérieur d'un certain état conditionné, soit d'une
tère de contingence, qu'elle n'aurait plus si on l' u· façon absolue, s'il s'agit de l'être dans sa totalité,
visageait dans son principe, puisqu' elle s'id ntilit • car « le mot « destinée » désigne la véritable raison
132 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

d'être des choses » (1 ). Seulement, l'être conditionn(:


ou relatif ne peut porter en lui qu'une destinée égn -
lement relative, exclusivement afférente à ses cond i·
tions spéciales d'existence ; si, considérant l'être d1
cette façon, on voulait parler de sa destinée der· CHAPITRE XVIII
nière ou absolue, celle-ci ne serait plus en lui, mai l'!
c'est qu'elle n'est pas vraiment la destinée d e c t, NOTION MÉTAPHYSIQUE
être contingent comme tel, puisqu'elle se réfère 11
réalité à l'être total. Cette remarque suffit p01H DE LA LIBERTÉ
montrer l'inanité de toutes les discussions qui SI
rapportent au « déterminisme » (2 ) : c'est encore 11)
une de ces questions, si nombreuses dans la phil • ouR prouver métaphysiquement la liberté, il
sophie occidentale moderne, qui n'existent que par ' 1
qu'elles sont mal posées ; il y a d'ailleurs bi n
des conceptions différentes du déterminisme, 1,
P suffit, sans s'embarrasser de tous les arguments
philosophiques ordinaires, d'établir qu'elle est
une possibilité, puisque le possible et le réel .sont
aussi bien des conceptions différentes de la libert , métaphysiquement identiques. Pour cela, nous pou-
dont la plupart n'ont rien de métaphysique; au sH i vons d'abord définir la liberté comme l'absence de
importe-t-il de préciser la véritable notion m étu· contrainte : définition négative da~s la forme, mais
physique de la liberté, et c'est par là que nous t r- qui, ici encore, est positive au fond, car c'est la con-
minerons la présente étude. trainte qui est une limitation, c'est-à-dire une néga-
tion véritable. Or, quant à la Possibilité universelle
(') Commentaire traditionnel de Tcheng-tseu sur le Y i-kin {J ( ·r. 1, envisagée au delà de l'Etre, c'est-à-dire comme le
Symbolisme de la Croix, ch. xxrr).
(') On pourrait en dire autant d'une bonne partie des di scu AH io u ~ Non-Etre, on ne peut pas parler d'unité, comme
relatives à la finalité ; c'est ainsi, notamment, que la distincti on uu ln nous l'avons dit plus haut, puisque le Non-Etre est
«finalité interne • et de la • finalité externe • ne peut paraitre pleintl llHIIil
vala~le ~~·autant qu'on admet la supposition antimétaphysiqu o qu ' 1111 le Zéro métaphysique, mais on peut du moins, en ·
être mdiVIduel est un être complet et constitue un • syslèmo ·luM , employant toujours la forme négative, parler de
puisque, autrement, ce qui est « externe • pour l'individu peut n'<111 1 1'1~
pas moins «interne » pour l'être véritable, si toutefois la distincti on ql• ll « non-dualité » ( adwaita) (1). Là où il n'y a pas de
suppose ce mot lui est encore applicable (voir L e Sym bolisme de la :m/111 , dualité, il n'y a nécessairement aucune contrainte.
pp. 204-206); et il est facile de se rendre compte que, au fond , fl nnlll
et destinée sont identiques. . et cela suffit à prouver que la liberté est une possi-
bilité, dès lors qu'elle résulte immédiatement de la
« non-dualité », qui est évidemment exempte de
toute contradiction.

(') Cf. L'H omme et son devenir selon le Vêdânla, p. 229,


:1.34 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE NOTION MÉTAPHYSIQUE DE LA LIBERTÉ :1.35

Maintenant, on peut ajouter que la liberté est, tiplicité des êtres, chacun d'eux, dans ses état~ d.e
non seulement une possibilité, au sens le plus u ni- manifestation, est limité par les autres, et cette hmi-
versel, mais aussi une possibilité d'être ou de mani- . tation peut se traduire par une restriction à la
festation ; il suffit ici, pour passer du Non-Etre à liberté ; mais dire qu'un être quelconque n'est libre
l'Etre, de passer de la « non-dualité >> à l'unité : à aucun degré, ce serait dire qu'il n'est pas lui-même,
l'Etre est << un » (l'Un étant le Zéro affirmé), ou qu'il est « les autres », ou qu'il n'a pas en lui-même
plutôt il est l'Unité métaphysique elle-même, pre- sa raison d'être, même immédiate, ce qui, au fond,
mière affirmation, mais aussi, par là même, premièr · reviendrait à dire qu'il n'est aucunement un être
détermination (1 ). Ce qui est un est manifestement véritable (1 ). D'autre part, puisque l'unité de l'~tre
exempt de toute contrainte, de sorte que l'absenc est . le principe de la liberté, dans les êtres partiCu-
de contrainte, c'est-à-dire la liberté, se retrouve dan fl liers aussi bien que dans l'Etre universel, un être
le domaine de l'Etre, où l'unité se présente CH sera libre dans la mesure où il participera de cette
quelque sorte comme une spécification de la « non- unité · en d'autres termes, il sera d'autant plus
dualité » principielle du Non-Etre ; en d'autr R libre ~u'il aura plus d'unité en lui-même, ou qu'il
termes, la liberté appartient aussi à l'Etre, ce qui sera plus « un » (2 ) ; mais, comme nous l'avons déjà
revient à dire qu'elle est une possibilité d'être ou dit, les êtres individuels ne le sont jamais que rela-
.
smvant ce que nous avons expliqué précédemment,
' ' tivement (3 ). D'ailleurs, il importe de remarquer, à
une possibilité de manifestation, puisque l'Etre cs l. cet égard, que ce n'est pas précisément la plus ou
a~ant tout le principe de la manifestation. De plu fl, moins grande complexité de la constitution d'un
d1re que cette possibilité est essentiellement inho- être qui le fait plus ou moins libre, mais bien plutôt
rente à l'Etre comme conséquence immédiate de sou le caractère de cette complexité, suivant qu'elle est
unité, c'est dire qu'elle se manifestera, à un d egr~ plus ou moins unifiée effectivement ; ceci résulte de
quelconque, dans tout ce qui procède de l'Etr( ,
( 1 ) On peut encore faire remarquer que, dès lors que la multiplic~té
c'est-à-dire dans tous les êtres particuliers, en ta11L procède de l'unité, dans laquelle elle est impliquée ou contenue en prm-
qu'ils appartiennent au domaine de la manifestation cipe, elle ne peut en aucune façon détruire l'unité, ni ce qui est une
universelle. Seulement, dès lors qu'il y a multi · conséquence de l'unité, comme la liberté.
(") Tout être, pour être véritablement tel, doit avoir une certaine
plicité, comme c'est le cas dans l'ordre des • i . unité dont il porte le principe en lui-même ; en ce sens,. Leibnitz a eu
tences particulières, il est évident qu'il ne peut plu t~ raison de dire : • Ce qui n'est pas vraiment un être n'est pas non plus
vraiment un ~tre •; mais cette adaptation de la formule scolastique
être question que de liberté relative ; et l'on p ul. « ens et unum convertuntur • perd chez lui sa portée métaphysique par
envisager, à cet égard, soit la multiplicité des •tr( ti l'attribution de l'unité absolue et complète aux • substances indi-
viduelles •·
particuliers eux-mêmes, soit celle d es éléments eO II • ( 8 ) C'est d'ailleurs en raison de cette relativité qu'on peut parler de

stitutifs de chacun d'eux. En ce qui concerne ]a mu l· degrés d'unité, et aussi, par suite, de degrés de liberté, car il n'y a de
degrés que dans le relatif, et ce qui est absolu n'est pas susceptible de
• plus • ou de • moins • ( • plus • et • moins • devant ici être pris analo-
(') Voir i bid., pp. 75-76. giquement, et non pas dans leur seule acception quantitative).
NOTION MÉTAPHYSIQUE DE LA LIBERTÉ 137
136 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

ce qui a été exposé précédemment sur les rapports physique du passage de la cause à l'effet, le rapport
de l'unité et de la multiplicité (1 ). causal devant d'ailleurs être transposé analogique·
La liberté, ainsi envisagée, est donc une possi- ment d'une façon convenable pour pouvoir s'appli-
bilité qui, à des degrés divers, est un attribut de quer à tous les ordres de possibilités. Ce rapport
~oùs les ,.êtres, q_uels qu'ils soient et dans quelque
causal n'étant pas et ne pouvant pas être un rapport
etat qu Ils se situent, et non pas seulement de de succession (1 ), l'effectuation doit être envisagée
l'homme ; la liberté humaine, seule en cause dans ici essentiellement sous l'aspect extra-temporel, et
toute~ ~es discussions philosophiqu.es, ne se présente
cela d'autant mieux que le point de vue temporel,
plus ICI que comme un simple cas particulier, c spécial à un état déterminé d'existence manifestée,
qu'elle est en réalité (2 ). Du reste, ce qui importe ] ou plus précisément encore à certaines modalités
plus métaphysiquement, ce n'est pas la liberté rela- de cet état, n'est en aucune façon susceptible d'uni-
tive des êtres manifestés, non plus que les domain s versalisation (2 ). La conséquence de ceci, c'est que
spéciaux et restreints où elle est susceptible d cet instant métaphysiqu'e, qui nous paraît insaisis-
s'exercer; c'est la liberté entendue au sens uni· sable, puisqu'il n'y a aucune solution de continuité
versel, et qui réside proprement dans l'instant méta· entre la cause et l'effet, est en réalité illimité, donc
dépasse l'lhre, comme nous l'avons établi en pre-
.(') Il faut disti~guer entre la complexité qui n'est que pure mulU· mier lieu, et est coextensif à la Possibilité totale elle-
phClté ~t celle qm est au contraire une expansion de l'unité (cf . A srdr même ; il constitue ce qu'on peut appeler figurati-
rabbdmyah dans l'ésotérisme islamique : L'Homme el son devenir ae/1111
le. VMdnta, p. 107, et Le Symbolisme de la Croix, p. 44) ; on pounnll, vement un « état de conscience universelle » (3 ), par-
dire que, par rapport aux possibilités de l'~tre, la première se r6t rt
à la • substance •, et la second.e à l' • essence •. -On pourrait envlAIII{f r ticipant de la « permanente actualité » inhérente à
de même. les rapport~ d'un être avec les autres (rapports qui, pour 111t la « cause initiale » elle-même (4 ).
être considéré dans 1 état où ils ont lieu, entrent comme éléments (liiiiN
la complexité de sa nature, puisqu'ils font partie de ses attributs co mroll Dans le Non-lhre, l'absence de contrainte ne peut
étant autant de modifications secondaires de lui-même) sous deu UHIHI!' IM résider que dans le «non-agir» (le wou-wei de la tra-
apparemment opposés, mais en réalité complémentaires, sulvnnt 1)1111
dans ces rapports, l'être dont il s'agit s'assimile les autres ou ost 1\R l1o1ll~ dition extrême-orientale) (5 ) ; dans l'Etre, ou plus
par eux, cette assimilation constituant la • compréhension • ou '' " ~
propre du mot. Le rapport qui existe entre deux êtres ost o la roiH 1111 (')Voir L'Homme et son devenir selon le Vêddnta. pp. 121-124.
m?dification de l'un et de l'autre; mais on pout dire qu o lo nu•o t l ~ lol t' (') La durée elle-même, entendue au sens le plus général, comme con-
mmante de cette modification réside dans celui des deux lr IJU I 11 1111 ditionnant toute existence en mode successif, c'est-à-dire comme com-
sur l'autre, ou qui se l'assimile lorsque le rapport ost pris HO UR 1 11111111 prenant toute condition qui correspond analogiquement au temps dans
de vu? précédent, qui est, non plus celui de l'action, mn lij •(lllll tl11 "' d'autres états, ne saurait davantage être universalisée, puisque, dans
connaissance en tant qu'elle implique id ontlflco llon outr( Hmi •l 11 11 ~ l'Universel, tout doit être envisagé en simultanéité.
termes. ( 1 ) On devra se reporter à ce que nous avons dit plus haut sur les
(') Peu importe que certains préfèrent app lor • sro ••lnt•I'I ILI\ • ,,,, qlt• réserves qu'il co nvient de faire lorsqu'on veut universaliser le sens du
nous appelons ici liberté, afin de rés rver HPÔ ·lnl 111011L ll O dm•ult1r 1111111 terme • conscience • par transposition analogique. - L'expression em-
à la liberté humai ne; cet emploi de doux t rm oH ulrr~r!m i,H 11 lt1 t.urt, til ploy6e ici est, au fond , à peu près équivalente à celle d' « aspect de
pouvoir fa cilement foire croire quo collo- 1 st 11'11110 tt ll ll'l unl.llrt1 hint l'Infini., qui no peut pas davantage être prise littéralement.
qu'il ne s'agit qu o d'un d trrér n '0 rlo llOKrll , ou quo toul, 1111 uwi;IN ••Il (') r. Mntglol, La Voi e M tlapllysique, pp. 73-74 .
cons titu e une aorto d • ou~ prlvllt'l 1 ' • \(Ill n' ML (HlH •u lllt utd •l (' ) 1.' • 1\ tlvlt(l 1\ù 1111 •· 1111 llo-mGmo (dana l'Indifférenciation prin-
m tnphyslqu mont,
138 LES ÉTATS MULTIPLES DE L' ÊTRE NOTION MÉTAPHYSIQUE DE LA LIBEl\TÉ 139

exactement dans la manifestation, la liberté s'ef- selle de manifestation, qui est l'Être même, de sorte
fectue dans l'activité différenciée, qui, dans l'état que l'Etre se détermine lui-même, non seulement
individuel humain, prend la forme de l'action au en soi (en tant qu'il est l'Etre, première de toutes
sens habituel de ce mot. D'ailleurs, dans le domaine les déterminations), mais aussi dans toutes ses moda-
de l'action, et même de toute la manifestation u ni- lités qui sont toutes les possibilités particulières de
verselle, la « liberté d'indifférence » est impossible,
'
manifestation. .
C'est seulement dans ces dermères,
parce qu'elle est proprement le mode de liberté qui considérées « distinctivement » et même sous l'as-
convient au no:p.-manifesté (et qui, à rigoureusement pect de la « séparativité », qu'il peut y avoir déter-
parler, n'est aucunement tin mode spécial) (1 ), c'est- mination pa:r « autre que soi-même »; autrement
à-dire qu'elle n'est pas la liberté en tant que possi- dit, les êtres particuliers peuvent à la fois se déter-
bilité d'être, ou encore la liberté qui appartient à miner (en tant que chacun d'eux possède une ce~­
l'Être (ou à Dieu conçu comme l' Etre, dans ses rap - taine unité, d'où une certaine liberté, comme parti-
ports avec le Monde entendu comme l'ensemble d cipant de l'Etre) et être déterminés par d'autres
la manifestation universelle), et, par suite, aux êtres êtres (en raison de la multiplicité des êtres partie~­
manifestés qui sont dans son domaine et participent liers, non ramenée à l'unité en tant qu'ils sont envi-
de sa nature et de ses attributs selon la mesure d sagés sous le point de vue des états d'existence
leurs propres possibilités respectives. La réalisatiou manifestée). L'Être universel ne peut être déter-
des possibilités de manifestation, qui constituent miné, mais il se détermine lui-même ; quant au
tous les êtres dans tous leurs états manifestés L Non-Être il ne peut ni être déterminé ni se déter-
'
miner, puisqu'il est au delà de toute déterminatiOn
.
avec toutes les modifications, actions ou autres, qui
appartiennent à ces états, cette réalisation , disons· et n'en admet aucune.
nous, ne peut donc reposer sur une pure indiffércn ·c On voit, par ce qui précède, que la liber~é abso.lue
(ou sur un décret arbitraire de la Volonté divin! , ne peut se réaliser que par la complète umversahsa-
suivant la théorie cartésienne bien connue, qui pr( · tion : elle sera « auto-détermination » en tant que
tend d'ailleurs appliquer cette conception de ]'in · coextensive à l'Être, et « indétermination » au delà
différence à la fois à Dieu et à l'homme ) (2 ), mai d ie de l'Etre. Tandis qu'une liberté relative appartient
est déterminée par l'ordre de la p ossibilit6 uni < t'• à tout être sous quelque condition que ce soit, cette
liberté absolue ne peut appartenir qu'à l'être affran-
cipielle du Non-Btre), est non-agissante et non-mnnltosl6o (voir / ,
Symbolisme de la Croix, ch . xxm ). chi des conditions d e l'existence manifestée, indivi-
(') Elle ne le devient que dans sa conception phllosop hlq uo M!lluull·n, duelle ou même supra-individuelle, et devenu abso-
qui est, non seulement erronée, mals vérltobl m nt UIJ8U1'<10, hr Il lument « un », au degré de l'Etre pur, ou « sans
suppose que quelque chose pourrait exister su ns nvotr 1111 11111 rul~t•H
d'être. dualité » si sa réalisation dépasse l'Être (1 ). C'est
( ) Nous n'Indiquons ln trodu Uon on l rmu~ tiJ{ItJinKifltH!H ""'' plllll'
1

tacllllor la cornporul n qu'on p ut tobllr f\V ·lt JI lut~ rtn vun 1111111
tuols 1\ ln ponsé oouhl ulnlo. (')Voir // TJ ommo cl son deve n i r selon l e Vedllnta, ch . xv i et xv 11.
140 LES ÉTATS MULTIPLES DE L'ÊTRE

alors, mais alors seulement, qu'on peut parler de


l'être « qui est à lui-même sa propre loi » (1 ), parce
que cet être est pleinement identique à sa raison
suffisante, qui est à la fois son origine principielle et TABLE DES MATIÈRES
sa destinée finale.

(') Sur cette expression qui appartient plus particulièrement à l'éso-


térisme islamique, et sur son équivalent sw~chchhdchârt dans la doc-
trine hindoue, voir Le Symbolisme de la Croix, p. 82. - Voir aussi ce AvANT-PROPOS ••••••••••••••••••••••••••••••.•••••••••••••• 5
qui a été dit ailleurs sur l'état du Yogi ou du jlvan-mukla (L'Homme et I••. -
L'Infini ella Possibilité .. . .. . ... •.. .. .... . . ..
son devenir selon le Vêddnla, ch. xxiv et xxvi). CHAPITRE 13
CHAPITRE II. - Possibles el compossibles . . . ....... . ..... . .... . 21
CHAPITRE III.- L'litre et le Non-litre ••.. . .......... . .. ... ... 31
CHAPITRE IV. - Fondement de la théorie des états multiples...... 39
CHAPITRE V.- Rapports de l'unité el de la multiplicité...... .. .. . 45
CHAPITRE VI.- Considérations analogiques tirées de l'élude de l'étal
de rêve........... .... . . ......... ..... . . ...... .. .......... 51
CHAPITRE Vn. - Les possibilités de la conscience individuelle. . . . . 59
CHAPITRE VIII.- Le mental, élément caractéristique de l'individua-
lité humaine .•.•............................... ~ . . . . . . . . . . 67
CHAPITRE IX. - La hiérarchie des facultés individuelles . . . . . . . . . . 75
CHAPITRE X. - Les confins de l'indéfini .. ...... , . . . . . . . . . . . . . . 81
CHAPITRE XI. - Principes de distinction entre les états c1'~re. . . . . 87
CHAPITRE XII. - Les deux chaos.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95
CHAPITRE XIII. - Les hiérarchies spirituelles. . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
CHAPITRE XIV. - Réponse aux objections tirées de la pluralité
des êtres ........... .. ..... .. .. : . . . . . . . . . . . . . . . . • . . . . . . . . 107
CHAPITRE XV. - La réalisation de l'être par la connaissance.. . . . 113
CHAPITRE XV 1. - Connaissance et conscience. • . . . . . . . . . . . . . . . . 119
CHAPITRE XVII. - Nécessité el contingence.... .. ... . . .. ....... 127
CHAPITRE XVIII. - Notion métaphysique de la liberté. . . . . . . . . . 133

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