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Exposé frs : « Énonciation poétique, énonciation lyrique », Dominique Rabaté

Le chapitre que je vais vous présenter s'intitule « Énonciation poétique, énonciation lyrique ». Il a
été rédigé par Dominique Rabaté et fait partie du recueil Figures du sujet lyrique que Dominique
Rabaté a lui-même dirigé et qui a été publié en 1996.

Dans ce chapitre, Dominique Rabaté souhaite établir une définition du lyrique et du poétique.

L'un des premiers problèmes qui se posent à cette tentative de définition c'est qu'il n'est plus
possible depuis au moins un siècle de trouver la définition de la poésie dans sa forme au sens strict.
Pour tenter de définir lyrique et poétique, Dominique Rabaté va donc s'intéresser dans un premier
temps à la question du sujet. En effet, le lyrique et le poétique se définissent tous deux par une
modalité spécifique d'inscription qui est le sujet. Nous pouvons tous nous accorder au fait qu'il n'y a
pas de lyrisme sans énonciation subjective.

Mon exposé suivra le plan établi par Dominique Rabaté dans le chapitre. Nous nous intéresserons
tout d'abord à la question de l'ambiguïté du sujet au sein de la poésie lyrique puis nous verrons
en quoi cette ambivalence est causée par le traitement que l'énonciation lyrique impose au cadre
figuratif de l'énonciation. Nous verrons enfin quelles sont les caractéristiques de cette «
expérience lyrique » à laquelle s'intéresse Dominique Rabaté.

I) Le sujet en question

À première vue, la poésie lyrique peut-être définie comme quelque chose qui se réfère à un «
Je-Origine réel ». Le sujet lyrique prendrait racine dans la réalité, chez l'auteur. Cette définition
avancée par la critique allemande Kate Hamburger s'inscrit dans la définition du lyrisme comme le
genre littéraire qui accueille les sentiments du poète.

Or, une première difficulté apparaît alors : Le « je » de l'énonciation est aussi produit par l'énoncé
qui en porte trace. Il est à la fois la source et le but de l'énonciation.

Cette ambiguïté du sujet lyrique met en évidence son instabilité. Le sujet lyrique est en réalité à
entendre comme une quête d'identité. Ce n'est pas un donné qui s'exprime selon un certain
langage. La définition du lyrisme ne repose pas dans les stratégies privilégiées de l'énonciation
lyrique que sont par exemple le cri ou la posture exclamative. Le lyrisme ne se définit pas non plus
par l'effusion subjective ou encore par la fonction émotive ou subjective comme le soutient
Jakobson.

Ce qui est au cœur du problème de la définition du lyrisme c'est bel et bien le sujet. Comme nous
l'avons vu, il n'y a pas d'unité-unicité du sujet : le « sujet lyrique » n'est pas le centre-source d'une
parole qui l'exprime, mais plutôt l'horizon désiré d'énoncés subjectifs. Cette ambiguïté est due au
statut problématique de l'énonciation textuelle, autrement dit, le « je » de l'énonciation est dans un
rapport mouvant avec le « je » de l'énoncé.

Il faut donc en finir avec la présentation trop simple du lyrisme romantique comme effusion
immédiate. En effet, au XIXe siècle, le lyrisme était défini comme l'effusion de sentiments,
l'expression des mouvements de l'âme. Cependant, dans sa singularité, le sujet lyrique rejoint
l'autre, c'est-à-dire le lecteur. Dans la préface des Contemplations, Victor Hugo s'exclame par
exemple : « Ah, insensé qui croit que je ne suis pas toi. » Ceci peut être vu comme un geste
romantique visant à conjurer l'inquiétude de sa quête d'identité. Ce que dit le sujet lyrique est
universel.
Le deuxième geste effectué pour tenter de conjurer cette quête d'identité viendra mettre fin au
Romantisme. Il consiste à héroïser la figure du Poète qui prend alors une majuscule. Une ironisation
de cette posture sera visible chez Musset et affirmée chez Baudelaire qui fait du poète un rôle parmi
d'autres.

Nous voyons donc que la médiation par la figure du poète est cruciale pour le débat sur l'identité du
sujet lyrique : Est-ce un sujet réel ou bien un personnage poétique ?
L'écrivain Dominique Combe réunit avec justesse les deux points de vue, je cite : « Chaque fois
qu'il dit « JE », le poète assure cette tradition, en sorte que, s'élevant à une certaine universalité, il
désigne, outre sa personne propre, celle du Poète archétypique, devenu le personnage d'une fiction
allégorique de la création poétique. »

Mais les interrogations subsistent encore : Qu'en est-il du sujet lyrique dont l'identité problématique
se constitue par les traces de l'énonciation ?
Son statut reste encore incertain. La thèse de Dominique Rabaté est la suivante : L'énonciation
lyrique comme totalisation de postures énonciatives mouvantes est le lieu d'inscription d'un type
d'expériences qui trouvent à se configurer alors qu'elles débordent tout sujet, d'expériences qui
arrivent bien encore à une subjectivité qui n'est plus un sujet au sens où le poète exercerait sur elle
sa maîtrise.

TRANS → Le statut du « je » lyrique est donc ambivalent. Il semble à la fois renvoyer à « une voix
familière, à un sujet précis, et en même temps il a une transparence, une porosité particulière ». Il se
situe ainsi entre individuel et universel. Le traitement que l'énonciation lyrique impose au cadre
figuratif de l'énonciation en est la cause, et c'est ce à quoi nous allons maintenant nous intéresser.

II) Pour la circonstance

En texte lyrique, ce qui semble prendre sens par le contexte du discours, et notamment tous les
indicateurs déictiques - c'est-à-dire les éléments d'une phrase qui permettent de la situer comme par
exemple le lieu et le moment – fonctionnent selon une modalité nouvelle. Dans le texte lyrique, il y
a un recours à la contextualisation très limité, il y a même parfois une tendance à la «
décontextualisation ». Les articles définis perdent par exemple leur valeur référentielle, on assiste à
une « dé-personnalisation des pronoms ». Dominique Rabaté souligne que ce processus relève en
général de l'énonciation poétique mais que c'est justement sur ce point que l'on peut tenter de mieux
cerner ce qui caractérise une modalité « poétique » d'une modalité « lyrique ». Une énonciation
lyrique semble en effet présenter plus de résistance à ce mode de figuralité.

En vérité, il n'y a de texte lyrique que de la circonstance. La réalité fournit au « je » lyrique son
occasion et sa matière.

Cependant, l'énonciation lyrique est elle aussi ambivalente. Elle détient une double temporalité. Elle
est articulée sur un présent transparent et pourtant liée à l'instant comme au lieu qui l'occasionnent.
Je reprends ici les mots de Dominique Rabaté qui exprime cette ambiguïté avec beaucoup de clarté :
« L'énonciation lyrique cherche dans le présent de son énonciation à jouer contre la mort, en
soustrayant l'instant à sa fugacité, en le redynamisant dans un dire qui l'arrache au passé perdu.
Mais la tension se redouble sans doute de ce que le même désir serait de dire ce moment comme pur
instant, passé indiscutable. Le circonstanciel joue donc dans deux directions opposées : il est à la
fois ce qu'il faut dépasser mais concurremment cette singularité absolue que la langue ne devrait pas
trahir. »

TRANS → On peut ainsi se demander comment caractériser cette expérience lyrique, qui se définit
par l'ambiguïté d'un sujet singulier mais en même temps universel et qui contient une multiplicité de
temporalités. Le concept semble difficile à définir, et c'est ce à quoi nous allons désormais nous
intéresser.

III) L'expérience lyrique

Dominique Rabaté définit dans cette troisième partie l'énonciation lyrique comme « la possibilité
d'articuler à la parole subjective quelque chose qui est pré-subjectif, une dimension a-subjective de
la subjectivité et qui serait aussi bien en deçà et au-delà du sujet ». En d'autres termes, le sujet
construit l'énonciation lyrique et en même temps c'est celle-ci le construit, le sujet n'est pas
préalable au texte, c'est le texte qui invente le sujet.

Cette double dimension peut ainsi se figurer comme naissance du sujet où à l'inverse comme sa
mort. On rappelle l'avertissement de Victor Hugo dans la préface des Contemplations : « Ce livre
doit être lu comme on lirait le livre d'un mort ». Pour Dominique Rabaté, l'émergence d'une voix
lyrique se confond avec cet effacement du sujet. La thématique de la mort est donc l'un des traits
constitutifs du lyrisme.

C'est aussi avec la disparition du sujet que se fait la distinction entre l'énonciation lyrique et
l'énonciation poétique. La prise de conscience de cette « disparition élocutoire » devient la nécessité
du deuil de la parole lyrique pour accéder à la poésie chez Mallarmé. Paul de Man souligne cette
idée dans son article « Lyric and Modernity » : « La mort signifie précisément pour Mallarmé la
discontinuité entre le moi personnel et la voix qui parle dans la poésie (…) ». Le poète est celui qui
fait le sacrifice de son moi personnel pour laisser place à la voix poétique. Ainsi l'énonciation
lyrique peut se concevoir comme un point de passage vers une énonciation qu'il faudra nommer
poétique.

Des jeux entre impersonnalité et investissement plus poussé du « je » ont lieu au sein de
l'énonciation lyrique. La complexité des déplacements énonciatifs est donc au cœur du lyrisme. Le
poème se libère de toutes les contraintes de l'énonciation située ou fixe, c'est un espace de liberté.

Dominique Rabaté finit alors par s'interroger sur la question de l'incertitude de l'appropriation de
l'énoncé, autrement dit de la place que prendrait le lecteur dans le texte. Il se pose tout d'abord la
question de l'identité de l'allocutaire lyrique c'est-à-dire de l'identité de celui à qui l'on parle au sein
de l'énonciation lyrique. Même si le texte lyrique désire une singularité, l'identité du locuteur
comme de l'allocutaire reste transparente, ainsi le texte lyrique s'adapte à toute circonstance
nouvelle.

Il conclut ensuite en définissant le lyrisme moderne comme ce qui se fait catharsis du sujet qui « se
manifeste dans son rapport malaisé avec ses voix », le poème devient « exorcisme » comme on peut
par exemple le voir avec Michaux.

Conclusion :

Pour conclure on peut définir l'énonciation lyrique par ses ambiguïtés, entre singularité et
transparence, individuel et universel, tension temporelle entre le moment de son élaboration et la
circonstance nouvelle dans laquelle le texte lyrique sera lu.

Dominique Rabaté finit par indiquer deux tendances, les tenants d'un retour au lyrisme allant dans
le sens d'une fusion de l'écart énonciatif, tandis que d'autres tentatives poétiques, anti-lyriques de
manière revendiquée, creusent cet écart. Ces dernières rompent le chant qui les portent, fracturent le
texte en « morceaux brisés ».

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