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Document d’appui

Apprentissage continué de la lecture-écriture


et langues de scolarisation en contexte
plurilingue
Mars 2021

GTE 5 :
Enseigner la lecture-écriture, les langues d’enseignement
Équipe de rédaction
BIANCO Maryse, Maître de Conférences HDR émérite en Sciences de l’Education à l’Université Grenoble Alpes,
Docteure en Psychologie cognitive.

FANTOGNON Comlan, Enseignant-chercheur en Didactique des langues au CUEF - Centre Universitaire d’Etudes
Françaises – Grenoble.

GOMBERT Jean Émile, Professeur émérite des universités. Président honoraire de l’université Rennes 2. Spécial-
iste en psychologie cognitive des apprentissages.

NICOT-GUILLOREL Muriel (Coord.), Inspectrice de l’Education nationale et experte technique internationale


(retraitée). Docteure en sciences du langage, associée au Laboratoire PREFics, EA 7469, Université de Rennes 2.

VIGNER Gérard, Inspecteur d’académie - inspecteur pédagogique régional de Lettres (retraité). Docteur en linguis-
tique. Spécialiste du français langue seconde et du français langue étrangère.

En collaboration avec Mohamed MILED, membre du conseil scientifique d’APPRENDRE - référent du GTE 5, Profes-
seur émérite à l’université de Carthage. Spécialiste de la didactique du français langue seconde et du bilinguisme
scolaire.

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Présentation
Ce document d’appui regroupe les références théoriques du module de formation complet. Chaque chapitre
correspond à un bloc de formation avec la bibliographie de référence.

Les responsables de la formation pays sont invités à prendre connaissance de l’ensemble de ce document d’appui
avant de sélectionner les blocs de formation qu’ils souhaitent utiliser pour construire un parcours de formation le plus
adapté aux besoins identifiés dans leur pays dans le domaine des langues et de la lecture-écriture.

Les responsables de la formation pays pourront aussi, s’ils le jugent pertinent, diffuser ce document à l’ensemble des
formés, à l’issue de la formation.

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Table des matières
Chapitre 1 - Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation : 9
résultats en lecture-écriture

1.1. Quelques repères sur les systèmes d’enseignement dans les Etats d’Afrique subsaharienne 10

1.2. Quelques repères sur les acquis des élèves en lecture-écriture à partir des évaluations à 11
grande échelle

1.2.1. Différents types d’évaluation 11

1.2.2. Tendances générales sur les acquis en lecture-écriture au début de la scolarité 13

1.2.2.1. Les évaluations PASEC 14

1.2.2.2. Les évaluations EGRA 21

Chapitre 2 - L’acculturation à l’écrit au début de l’enseignement fondamental 27

2.1. Les fonctions de l’écrit 28

2.2. L’importance de lectures fréquentes partagées avec l’adulte 29

2.3. Favoriser le plurilinguisme, en prenant en compte les langues maternelles dans 30


l’apprentissage de l’écrit en L2

Chapitre 3 - Apprendre à lire : l’identification des mots écrits 34

3.1. Capacités visuelles et connaissance des lettres 35

3.2. Habiletés phonologiques 36

3.3. Découverte du principe alphabétique et enseignement explicite des correspondances 38


graphèmes-phonèmes

3.4. Planification de l’enseignement du code et déchiffrabilité des textes 39

3.4.1. Tempo et progression pour l’étude des CGP 39

3.4.2. Déchiffrabilité des textes 40

3.5. L’automatisation de l’identification des mots 40

3.5.1. Les deux voies de la lecture 40

3.5.2. Apprentissage explicite et apprentissage implicite : l’importance de la répétition 41

3.6. La fluence de la lecture à haute voix 42

Annexe 1 - Proposition de progression pour l’étude des CGP 46

Annexe 2 – Quelques points de comparaison L1– L2 52

5
Chapitre 4 - Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques 55

4.1. Du geste graphique à la fluidité d’écriture 56

4.2. L’apprentissage de l’orthographe et les productions d’écrits 58

4.2.1. La copie 58

4.2.2. La dictée 59

4.2.3. La production de textes 60

Chapitre 5 - Compréhension en lecture, langage et enseignement 66

5.1. La compréhension, une activité cognitive complexe 67

5.1.1. Les connaissances 67

5.1.1.1. Les connaissances langagières 68

5.1.1.1.1. Les connaissances lexicales 68

5.1.1.1.2. Les traitements syntaxiques et lexico-sémantiques 68

Point sur l’acquisition de la syntaxe dans un contexte plurilingue 69

5.1.1.1.3. L’organisation textuelle 71

5.1.1.2. Les connaissances « sur le monde » 72

5.1.2. Les habiletés de compréhension des textes (ou discours continu) 72

5.1.3. Les capacités cognitives générales 73

5.2. Enseigner la compréhension 74

5.3. Principes de l’enseignement explicite ou direct 75

5.4. Le rôle et la place de l’oral dans l’enseignement de la compréhension 75

5.5. Quelques activités et principes pour enseigner la compréhension en lecture 76

5.6. Compréhension écrite et plurilinguisme 77

Chapitre 6 – Lire et écrire dans toutes les disciplines 82

6.1. La diversité graphique des supports à lire à l’école 83

6.1.1. Les textes de lecture 83

6.1.2. Les textes scientifiques et textes documentaires 84

6.1.2.1. La page du document 84

6.1.2.2. Les constituants de la page : l’image 84

6.1.2.3. Les constituants de la page : les titres 85

6.1.2.4. La diversité des signes graphiques 86

6
6.2. Lire dans les disciplines non linguistiques 86

6.3. Ecrire dans les disciplines non linguistiques 87

6.4. Lire-écrire en français dans les disciplines dites non linguistiques (DdNL) 89

6.4.1. Des discours disciplinaires spécifiques 89

6.4.2. Bifocalisation et place des L1 dans les DdNL 90

6.4.3. L’intérêt du travail interdisciplinaire 90

6.4.4. Lire-écrire dans les DdNL, liens avec quelques chapitres antérieurs 90

6.4.4.1. Etude de la langue 90

6.4.4.2. Compréhension en lecture, langage et enseignement 91

Conclusion 93

Décoder et encoder, comprendre et produire, des échelles temporelles différentes au début 93


du fondamental

La nécessité de poursuivre l’apprentissage de la lecture-écriture tout au long de 93


l’enseignement fondamental

7
8
Chapitre 1
Variété des systèmes
d’enseignement et des
types d’évaluation :
résultats en lecture-
écriture

9
1.1. Quelques repères des écrits de presse, des publicités et morphologiques (dérivationnelles et
autres écrits fonctionnels auxquels flexionnelles) fréquentes qui ne se
sur les systèmes d’en- s’ajoutent des récits oraux littéraires prononcent pas (marques de genre,
seignement dans les transcrits comme c’est le cas par de nombre, accords verbaux, etc.).
exemple du bamanankan ;
Etats d’Afrique sub- Malgré les efforts indéniables réa-
saharienne Madagascar, avec une langue mal- lisés pour la généralisation de l’en-
gache à forte tradition écrite, avec seignement de base dans le cadre
La plupart, sinon la totalité des pays un corpus littéraire et des usages so- de l’Education Pour Tous (Jomtien,
du monde, offrent des contextes ciaux écrits pléniers, permet d’ajou- 1990), l’amélioration de l’efficacité
multilingues 1 caractérisés par la ter un quatrième cas. de l’enseignement de l’écrit reste
coexistence de plusieurs langues aujourd’hui un défi majeur à relever
en usage dans leur espace territo- De nombreuses langues africaines pour les pays d’Afrique sub-saha-
rial. La richesse de cette diversité sont à classer dans les deux pre- rienne (cf. section 2.2., à venir). L’ob-
linguistique se trouve tout particu- mières catégories et présentent alors jectif de développement durable N°4
lièrement sur le continent africain, des caractéristiques peu favorables (ODD4- Forum mondial sur l’éduca-
comme l’indique Wolff (2011, p.67) : à l’entrée dans la culture de l’écrit. tion, Incheon 2015) relatif à l’éduca-
« Le continent africain abrite près d’un En effet, peu d’écrits dans l’environ- tion se fixe d’ici 2030 d’assurer l’accès
tiers des langues vivantes du monde, nement, un manque de types de de tous les enfants à une éducation
soit environ 1 200 à 2 000 sur un total textes variés, une insuffisance de de qualité, sur un pied d’égalité,
de 5 000 à 7 000 langues toujours publications, un déficit de vocabu- et de promouvoir les possibilités
parlées sur notre planète ». laire spécialisé dans les domaines d’apprentissage tout au long de la
scientifiques (au sens large) peuvent vie. Pour atteindre cet objectif, les
Majoritairement orales, la plupart de pénaliser l’entrée dans la « culture différentes politiques linguistiques
ces langues sont aujourd’hui écrites de l’écrit » (cf. section 2. Evaluation des États d’Afrique sub-saharienne,
avec un alphabet d’emprunt (latin EGRA, Sénégal 2008). mises en œuvre ou à venir, doivent
ou arabe), le plus souvent l’alpha- tenir compte des contextes multilin-
bet latin2 dans les pays de l’Afrique Une autre caractéristique majeure gues de leur pays, notamment par
subsaharienne et de l’océan Indien. des pays africains est la place cen- le biais d’approches pédagogiques
Les langues écrites africaines se trale occupée par les langues euro- bi-plurilingues, et par une priorité
caractérisent fréquemment par une péennes, héritées de la colonisation donnée à la formation des ensei-
orthographe transparente, reposant et ayant souvent le statut de langues gnants. Dans ce contexte, la pluralité
sur une correspondance régulière officielles, instaurant une situation linguistique de l’environnement de
(biunivoque) entre phonèmes et de diglossie (Fergusson, 1960 ; Fi- l’enseignement en Afrique, loin d’être
graphèmes. Cependant, les corpus shman, 1971) dans les fonctions et un obstacle, pourrait constituer un
écrits disponibles en langues afri- usages des langues (Chaudenson, facteur de réussite scolaire et de dé-
caines restent encore très variables. 1990). La plupart des pays franco- veloppement social et économique
La typologie de Maurer (2010) dans phones de l’Afrique saharienne et du continent.
le domaine de la littératie en langues de l’océan Indien ont en commun
africaines distingue : d’avoir hérité, en même temps que De nombreux pays se sont actuel-
du français langue officielle, le fran- lement engagés à mettre en place,
Les langues qui sont seulement çais comme langue de scolarisa- de manière plus ou moins expéri-
transcrites, à une date récente, mais tion et langue d’enseignement et mentale, à des échelles diverses,
dans lesquelles il existe encore très ce, pour beaucoup, dès le début de des systèmes d’enseignement de
peu de corpus écrit ; la scolarité. Difficile à apprendre, bi-plurilinguisme, le plus souvent
le français écrit, tout comme l’an- transitionnels dans lesquels l’élève
Les langues récemment transcrites glais, est une langue à orthographe fait ses premiers apprentissages
et dont quelques usages sociaux profonde reposant sur un système dans une des langues nationales
écrits sont représentés ; graphophonologique parfois com- du pays qui, au bout de quelques
plexe avec l’existence possible de années, laisse place au français qui
Les langues dont les usages so- plusieurs graphèmes pour un même devient langue d’enseignement en
ciaux écrits sont relativement larges : phonème et la présence de marques complément ou en remplacement

1
Nous utilisons la distinction faite (Coste, 2010) en sociolinguistique et en didactique des langues entre le multilinguisme des territoires et le
plurilinguisme des individus (compétence plurilingue des sujets) associée à la notion d’éducation plurilingue et interculturelle.

2
L’alphabet latin auquel ont recours beaucoup de langues n’est pas le seul, et certaines traditions d’écriture en langue africaines passent par
d’autres graphies. L’ajami, qui consiste à utiliser l’écriture arabe pour une langue autre que l’arabe, est une pratique courante par exemple
pour le haoussa (parlé au Nigeria, au Niger et dans d’autres pays d’Afrique de l’Ouest). Ailleurs, on constate l’usage, parfois d’une grande
vitalité à l’échelle d’une région, d’une graphie originale comme l’écriture N’ko pour les langues mandingues en Guinée et au Mali.

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


10
résultats en lecture-écriture
de la langue africaine. Dans aucun le cas, d’apporter les modifications décisions concernant l’affectation
de ces pays, il n’est, jusqu’alors, en- nécessaires à leur programme d’en- des ressources et sensibiliser les
visagé que le français soit évacué du seignement et de mettre en œuvre familles et les communautés aux
système scolaire. des remédiations auprès des élèves questions d’éducation. Ces évalua-
Ces situations d’enseignement com- en échec. Les tests sommatifs menés tions sont souvent pratiquées sur
plexes et la faiblesse des résultats en fin de module, du trimestre ou de une cohorte comprenant tous les
scolaires actuels posent le problème l’année permettent de déterminer élèves d’un niveau d’études don-
de l’enseignement de la lecture, de si les élèves ont acquis les connais- né (test fondé sur le nombre) ou
l’écriture et de « l’entrée dans la sances et compétences requises et sur un groupe représentatif choisi
culture de l’écrit » quel que soit le apportent ainsi des informations sur statistiquement (test sur un échan-
modèle scolaire qui prévaut : les sys- l’efficacité d’un programme d’ensei- tillon). En conséquence, comme le
tèmes dans lesquels l’apprentissage gnement. montre le graphique proposé par
de la lecture-écriture se fait direc- Wagner (2015), l’usage des outils
tement en français et ceux bi-pluri- Les examens scolaires servent à d’évaluation a connu une très forte
lingues dans lesquels les premiers attester qu’un élève a acquis les progression dans la planification de
apprentissages de l’écrit se font en connaissances et compétences lui l’éducation, notamment dans les
langues nationales. permettant d’accéder au niveau pays les moins avancés.
d’enseignement suivant. L’évolution
1.2. Quelques repères des résultats aux examens sert aussi Cependant, comme le souligne le
d’indicateur pour mesurer l’évolu- rapport TALENT (2020, p. 35), les
sur les acquis des élèves tion de la qualité de l’enseignement directeurs d’école et encadreurs
en lecture-écriture à dans un pays. de proximité dans ces pays ne sont
pas encore suffisamment informés
partir des évaluations En dehors des examens scolaires, de des résultats obtenus par les élèves
à grande échelle nombreux pays, depuis la conférence alors qu’ils sont censés impulser
de Jomtien (1990), réalisent aussi des les changements pédagogiques
1.2.1. Différents types d’évalua- évaluations nationales pour obtenir attendus pour améliorer les perfor-
tion des informations complémentaires mances scolaires. La communica-

Les évaluations de l’apprentissage


sont un élément clé de la gouver-
nance et de la gestion des sys-
tèmes éducatifs nationaux. Elles
rassemblent des informations sur
ce que les apprenants savent et ce
qu’ils peuvent faire avec ce qu’ils
ont appris, ainsi que des informa-
tions critiques sur les processus et
les contextes qui peuvent entraver
les progrès. Différents types d’éva-
luation peuvent être utilisés pour
certifier ou valider l’apprentissage,
aider les apprenants à apprendre,
améliorer l’enseignement, planifier
l’allocation des ressources, élabo-
rer des politiques éducatives. On
distingue : sur les acquis des élèves à différents tion sur les résultats des évaluations
degrés de la scolarité (par ex. les éva- nationales et la promotion de la
Les tests, examens et évalua- luations du SNERS3 au Sénégal). Ces culture de l’évaluation restent donc
tions nationales résultats peuvent être utilisés pour encore à conforter auprès de l’en-
infléchir les programmes scolaires, semble des acteurs des systèmes
Les tests en classe, qui peuvent être former les enseignants, réorganiser éducatifs.
diagnostiques, formatifs ou som- l’accès à l’école, ainsi que pour agir
matifs, permettent aux enseignants sur de nombreux autres aspects
de s’assurer du bon déroulement du système éducatif national. Ils
de l’apprentissage et, si ce n’est pas peuvent aussi servir à prendre des

3
Système national d’évaluation des rendements scolaires.

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


11
résultats en lecture-écriture
Les évaluations (multi)natio-
nales et transnationales à grande
échelle

Les évaluations (multi)nationales, ré-


gionales et internationales à grande
échelle permettent d’évaluer les
résultats obtenus par un système
éducatif grâce à des instruments
qui apportent des éléments sur les
niveaux de réussite des élèves dans
des domaines d’apprentissage spé-
cifiques. Les évaluations (multi)natio-
nales sont utilisées pour réaliser des
analyses du système au sein des pays
pour l’évaluation des compétences
fondamentales (assessments of foun-
dational skills) en lecture-écriture
et mathématiques. Les évaluations
régionales et internationales (éva-
luations transnationales) se basent
généralement sur un échantillon sta-
tistiquement représentatif d’élèves
et peuvent permettre parfois une
évaluation comparative entre les
pays, les données n’étant compa-
rables qu’entre pays ayant participé à
la même évaluation. On recense une
quinzaine d’évaluations de ce type
utilisées en Afrique subsaharienne,
mises en œuvre à différents niveaux
de la scolarité (UNESCO, 2017, p.5
et 9) :

Source : TALENT, 2020, p. 11

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


12
résultats en lecture-écriture
Le partenariat mondial de l’Educa- Afin d’obtenir des données plus har- l’école, l’évaluation des compétences
tion (global partnership for educa- monisées et faciliter ainsi le suivi de transversales, les données contex-
tion - GPE) encourage la mise en la qualité de l’éducation, le GPE parti- tuelles ainsi que la préparation et
place de systèmes d’évaluation de cipe aussi à la concertation mondiale l’utilisation d’évaluations à grande
l’apprentissage solides afin d’amé- sur les cibles et indicateurs de l’ODD4 échelle. (GPE, 2020, p.35).
liorer la qualité des connaissances concernant les apprentissages et les
dans ses 87 pays membres. Dans ce compétences, notamment par son 1.2.2. Tendances générales sur
cadre, l’initiative Évaluation au ser- appui à l’Alliance mondiale pour le les acquis en lecture-écriture au
vice des apprentissages (Assessment suivi de la qualité des apprentissages début de la scolarité
for Learning, A4L) vise à renforcer (Global Alliance to Monitor Learning,
les systèmes nationaux d’évaluation GAML), pilotée par l’Institut de statis- Selon les données du GPE 2019, l’am-
de l’apprentissage et à promouvoir tique de l’UNESCO. En octobre 2019, pleur de la crise des apprentissages
une mesure plus globale de l’ap- le PME a lancé l’Analyse des systèmes varie d’un pays à l’autre. Dans les 9
prentissage aux niveaux mondial et nationaux d’évaluation des acquis pays des 30 pays en développement
régional. scolaires, un outil destiné à aider les partenaires du GPE qui disposent de
pays à mener une analyse complète données, plus de la moitié des élèves
L’indicateur 15 du cadre de résultats de leurs systèmes d’évaluation des n’atteignent pas le niveau minimal de
du GPE examine la proportion de acquis scolaires. L’outil, d’abord ex- compétence en lecture et en mathé-
pays partenaires dotés de systèmes périmenté en Éthiopie, au Vietnam matiques au sortir du primaire. « Par-
d’évaluation de l’apprentissage res- et en Mauritanie, est maintenant à la mi ces PDP, des pays comme le Tchad,
pectant des normes de qualité dans le disposition de tous les pays intéres- le Mali et le Niger enregistrent moins de
cycle de l’éducation de base. Comme sés. L’initiative Évaluation au service 20 % d’élèves qui atteignent le niveau
l’indique le graphique ci-dessous, des apprentissages permet aussi minimal de compétence à la fois en
les données 2018 (GPE 2019, p.27- l’organisation d’ateliers régionaux de lecture et en mathématiques au sortir
28) montrent que la proportion de développement des capacités grâce, du primaire. Cependant, dans d’autres
pays en développement partenaires d’une part, au Réseau sur le suivi de pays en développement partenaires,
satisfaisant aux normes de qualité la qualité de l’éducation en Asie-Pa- plus de 80 % des élèves atteignent
(ligne verte) a progressé de 8% de- cifique, coordonné par le bureau de le niveau minimal de compétence en
puis 2015, la progression est encore l’UNESCO à Bangkok, et, d’autre part, mathématiques ou en lecture au sortir
plus forte dans les pays fragiles et/ aux réseaux des éducateurs pour la du primaire (en Albanie, en Tanzanie et
ou touchés par les conflits, avec une transformation de l’enseignement au Viet Nam par exemple). Le Recueil
hausse de 11% (ligne orange). et de l’apprentissage (TALENT4), di- de données de l’ODD 4 de l’Institut de
statistique de l’UNESCO (ISU) montre
que, tandis que la qualité des appren-
tissages s’améliore dans certains des
pays en développement partenaires
les plus performants, elle recule dans
d’autres moins performants, signe
que les difficultés auxquelles certains
pays en développement partenaires
sont confrontés en matière de qualité
des apprentissages sont particulière-
ment préoccupantes. Ce phénomène
souligne par ailleurs le potentiel que
peut avoir le partage de connaissances
parmi les pays en développement par-
tenaires concernant les bonnes pra-
Cependant, le GPE constate que rigés par le bureau de l’UNESCO à tiques pour l’amélioration de la qualité
nombreux pays en développement Dakar. Ces ateliers, qui ciblent les des apprentissages. » (Partenariat
ont encore besoin de soutien pour responsables des évaluations de mondial pour l’éducation, 2019, p.22)
mener les évaluations à grande la qualité des apprentissages dans
échelle de façon pérenne et non les ministères compétents des pays Les disparités en matière de qualité
sous formes d’exercices ponctuels. partenaires du PME dans les deux des apprentissages apparaissent
régions, privilégient certains aspects fortement marquées entre élèves
de l’évaluation de la qualité des ap- urbains et élèves ruraux, et selon
prentissages comme l’évaluation à la situation socio-économique des

4 Le groupe de pilotage du réseau TALENT est composé de l’ADEA-NALA, de l’ANCEFA, de la CONFEMEN (et son programme PASEC), de
l’Internationale de l’Education, de l’UNESCO (et de ses instituts : IIPE et son bureau pour l’Afrique appelé plus communément Pôle de Dakar,
ISU et IICBA), du HCR et de l’UNICEF.

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


13
résultats en lecture-écriture
ménages. « Le Cameroun, le Niger et
la République du Congo font partie des
pays dans lesquels les disparités en
matière de situation socio-économique
et de zone de résidence sont les plus
fortes. Au Niger, en moyenne, moins
de 8 % de tous les élèves qui sortent
du primaire atteignent le niveau mi-
nimal de compétence en lecture. Les
enfants issus des 20 % des ménages
les plus pauvres ne sont que 2 % à
atteindre ce niveau. » (Ibid. Op. cit.).
Les résultats entre filles et garçons
varient d’un pays à l’autre, même si
la moyenne globale dans les pays
étudiés indique une certaine pari-
té. En lecture, les filles réussissent
mieux que les garçons dans 10 des
18 pays pour lesquels le GPE dispose
de données. Le graphique ci-dessous
(Ibid. Op. cit., p 24) synthétise ces
grandes tendances :

Un lien fort est également constaté de l’écrit, les évaluations régionales Les tests sont administrés indi-
entre les résultats en lecture et les PASEC et celles nationales de type viduellement aux élèves, dans la
résultats en mathématiques : ap- EGRA apportent des données com- langue officielle d’enseignement.
paraissant dès les petites classes, plémentaires. Lorsque celle-ci est autre que le
il se renforce au sortir du primaire français (ex : kirundi au Burundi,
(corrélation de .70). Les disparités 1.2.2.1. Les évaluations PASEC anglais pour le Cameroun anglo-
commencent donc dès les petites phone), les tests ont été traduits en
classes et semblent persister pen- Le PASEC 2014 a été réalisé dans s’assurant de maintenir le même ni-
dant toute la scolarité primaire. 10 pays francophones de l’Afrique veau de difficulté entre les versions.
« Autrement dit, les pays dans lesquels subsaharienne, sur des échantillons Dans la majorité des pays, la langue
les disparités sont très fortes dans les d’élèves de 2ème et 6ème année d’enseignement est rarement la
petites classes sont rarement capables du primaire. Nous nous limitons langue maternelle des élèves. C’est
de rattraper le terrain perdu les années ici à relever certaines tendances le cas du Bénin, du Burkina Faso, du
suivantes.» (Ibid. Op. cit., p. 24). Ce qui concernant les acquis en lecture au Cameroun francophone, du Congo,
pose clairement la problématique de début de la scolarité (2ème année de la Côte d’Ivoire, du Niger, du Sé-
l’apprentissage de la lecture-écriture du primaire). négal, du Tchad et du Togo, pour
en début de scolarité. Concernant le français, et du Cameroun anglo-
l’apprentissage phone pour l’anglais. Au Burundi, le

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


14
résultats en lecture-écriture
kirundi langue d’enseignement au n’arrivent pas à lire les mots
début de la scolarité est pratiqué familiers : tu, un, de, le, une, elle,
par de nombreux élèves.Trois do- du, son.
maines sont évalués : « la compré-
hension orale », « la familiarisation L’étude PASEC 2014 s’intéresse éga-
avec l’écrit et la lecture-décodage », lement à l’influence du contexte
et « la compréhension de l’écrit ». familial et scolaire sur les résultats
en lecture. L’alphabétisation d’un
Les résultats moyens (toutes compé- ou des deux parents ainsi que la
tences confondues) obtenus en 2014 présence de livres à la maison ont un
montrent dans les 10 pays enquêtés effet positif sur les performances des
que plus de 70% des élèves n’ont élèves, ainsi que le fait d’avoir béné-
pas atteint le seuil « suffisant » de ficié d’un enseignement préscolaire.
compétences en langue après deux En revanche, des écarts sont relevés
ans de scolarité primaire, comme en défaveur des élèves participant
l’illustre le tableau ci-dessous (PA- aux travaux agricoles et, dans une
SEC2014, p. 34). moindre mesure, de ceux participant

Source : Rapport PASEC2014, p. 34

Le Burundi fait exception avec près à des travaux de petit commerce.


de huit élèves sur dix atteignant en
moyenne le seuil « suffisant » en Les élèves des milieux ruraux ob-
langue (kirundi). Dans le détail des tiennent de moins bons résultats
compétences évaluées, tous pays que ceux de milieux urbains. Ces élé-
confondus, on relève notamment ments confirment la relation étroite
que près de 40% des élèves après entre le niveau socioéconomique
2 ans d’école primaire ne sont pas des familles et la réussite scolaire,
en mesure de lire plus de 5 mots en relevée supra.
une minute. Plus de 25% des élèves

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


15
résultats en lecture-écriture
L’étude PASEC 2019, outre les 10 pas le seuil suffisant de compétence
pays de 2014, a évalué 4 nouveaux en langue, en particulier en Guinée
pays : le Gabon, la Guinée, Mada- (76,7%), au Togo (75,6%), en Côte
gascar et la République Démocra- d’Ivoire (66,9%), au Tchad (66 %),
tique du Congo. En moyenne dans au Burkina Faso (65,8%), au Bénin
l’ensemble des 14 pays, plus de 55% (62,4%) et au Cameroun (60,6 %).
des élèves de début de scolarité n’at- Dans l’ensemble de ces dix pays, au
teignent pas le seuil « suffisant » de moins un quart des élèves se situent
l’échelle des compétences en langue. au niveau 1 de l’échelle de compé-
Ces élèves éprouvent des difficultés tences et en deçà et sont donc en
relativement importantes dans le situation de grande difficulté de maî-
déchiffrage de l’écrit et la compré- trise de la langue d’enseignement à
hension des mots, des phrases et des la fin de la 2ème année du primaire.
textes courts, ainsi que des messages
oraux.

Source : Rapport PASEC2019, p. 50

Toutefois, dans quatre pays, la ma-


jorité des élèves se situe au-dessus
du seuil « suffisant » de compétence
en langue : au Burundi (78,9%), au
Gabon (66,1 %), au Congo (63,3%) et
à Madagascar (55,3%).

En revanche, dix pays présentent


une distribution dans laquelle une
part importante des élèves n’atteint

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


16
résultats en lecture-écriture
On remarque cependant une nette Les progrès constatés en début de
progression des résultats entre scolarité dans ces dix pays s’avèrent
2014 et 2019 dans les 10 pays ayant cependant moins importants en fin
participé aux deux évaluations PA- de scolarité, avec une augmentation
SEC, comme l’indique le graphique globale de l’ordre de 20 points (PA-
ci-dessous, ce qui permet de pen- SEC 2019, p. 225).
ser que les politiques éducatives
mises en œuvre pendant la période
concernant l’apprentissage de la lec-
ture-écriture commencent à porter
leurs fruits.

Source : Rapport PASEC2019, p. 221

Cependant, le rapport PASEC 2019 (p.


222) indique que ces gains doivent
être tempérés par un accroisse-
ment des écarts-types traduisant
des écarts de performance plus
importants entre élèves faibles et
élèves performants. Ainsi, au Bénin,
l’écart-type en langue s’élevait en
2014 à 67,4 et en 2019 à 105,6 ; soit
une augmentation de 38,2 points.
L’amélioration plafonne à quelques
25 points pour les élèves les moins
performants alors qu’elle s’élève
à près de 130 points pour les plus
performants. Cette tendance se re-
trouve dans bon nombre de pays, ce
qui pose la question de l’équité dans
l’efficacité des systèmes éducatifs.

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


17
résultats en lecture-écriture
Le graphique ci-dessous montre cupantes dans la plupart des sys- part des filles est relativement stable
qu’en fin de cycle primaire, en tèmes éducatifs, ce qui interroge entre le début et la fin de scolarité,
moyenne sur les 14 pays en 2019, leur efficacité, le redoublement ne on note toutefois une baisse de la
encore plus de la moitié des élèves permettant pas aux redoublants proportion de filles entre le début et
n’atteignent pas le seuil « suffisant » de rattraper leurs retards sur les la fin de scolarité pour 8 des 14 pays
de compétences en lecture. On re- non redoublants. Le PASEC 2019 et une augmentation de cette pro-
lève des disparités importantes entre invite donc les pays à instaurer un portion dans 5 pays (Burkina Faso,
les pays : certains d’entre eux se meilleur système de suivi des élèves Burundi, Gabon, Madagascar, Togo).
caractérisent par de très faibles per- en difficulté dans les écoles sur le Cette évolution met en évidence une
formances des élèves en lecture-écri- continuum scolaire, afin d’éviter le déperdition scolaire plus marquée
ture en fin de primaire. recours au redoublement. chez les filles dans plus de la moitié
des pays évalués. La persistance de
la problématique de la parité dans
certains systèmes éducatifs de la
région est probablement liée à des
facteurs socioculturels qui dépassent
le système scolaire et qui renvoient
à des inégalités au sein des familles,
des communautés et de la société
dans son ensemble (PASEC 2019,
p. 104).

Même si les filles restent défavori-


sées dans certains pays en termes
d’accès à l’école au niveau global,
sur le plan de la performance, au-
cune différence significative liée au
genre n’est constatée en début de
scolarité pour l’apprentissage de la
lecture-écriture. En fin de scolarité,
la différence moyenne des scores
(tous pays confondus) liée au genre
apparaît même significative en lec-
ture-écriture en faveur des filles,
mais elle se trouve en faveur des
garçons en mathématiques.

Sur le plan de la gestion des écoles,


les données du PASEC 2019 montrent
que la formation continue des direc-
teurs semble ne pas avoir bénéficié à
tous les élèves, en particulier à ceux
présentant des difficultés d’appren-
tissage. Les mesures de renforce-
Source : Rapport PASEC2019, p. 73 ment des capacités des directeurs
peinent ainsi à atteindre les objectifs
Par ailleurs, les données du PASEC Des efforts restent également à qui leur sont assignés. Une attention
2019 corroborent les informations poursuivre pour accroître le taux de particulière devrait être accordée au
du PASEC 2014 concernant l’in- scolarisation des filles dans plusieurs pilotage de la qualité des apprentis-
fluence du contexte familial et de pays participant au PASEC 2019. Le sages, dans la formation continue
l’environnement scolaire sur les ré- pourcentage des filles au primaire est des directeurs. Une réflexion devrait
sultats en lecture-écriture (cf. supra) en effet inférieur à celui des garçons également être engagée sur cet as-
et invitent les pays à renforcer les pour l’ensemble des pays à la fois en pect pendant la formation initiale des
politiques en matière de répartition début de scolarité (48,4%) et en fin directeurs d’écoles avant leur entrée
des ressources éducatives selon les de scolarité (49,1%). Toutefois, dans en exercice.
besoins des différentes localités, des certains pays comme le Cameroun, le
écoles et des groupes spécifiques. Congo et le Sénégal, le pourcentage Les systèmes éducatifs sont par
de filles est légèrement supérieur à ailleurs caractérisés par une offre
De plus, il s’avère que les proportions celui des garçons en début de sco- éducative majoritairement publique.
de redoublements restent préoc- larité. Même si dans l’ensemble la Cependant, la qualité de l’enseigne-

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


18
résultats en lecture-écriture
ment dans le privé apparaît meilleure l’écrit chez la plupart des enseignants
que celle des écoles publiques. Dans enquêtés.
les efforts à mener pour garantir
une qualité de l’éducation pour tous Cependant, comme le montre le
(ODD 4.1), un accent particulier de- graphique à venir, des disparités
vrait être mis sur les établissements apparaissent selon les pays. Dans la
à caractère public. moitié des pays (7 sur 14), 70% des
enseignants atteignent le niveau 3
Le PASEC 2019 intègre une innova- de l’échelle des compétences en
tion avec une collecte de données compréhension de l’écrit. Les pour-
auprès des enseignants pour mesu- centages les plus faibles (moins de
rer leurs performances en lien avec 20%) d’enseignants en niveau 3 sont
la maîtrise des contenus enseignés. observés à Madagascar (11,2%), en
La dimension « connaissances et RDC (16,3%) et au Tchad (18,5%).
compétences des enseignants » est
appréhendée travers le modèle de Ces constatations révèlent la néces-
Shulman (1986, 1987) qui distingue sité de mettre en œuvre des actions
d’une part les connaissances et com- de formations spécifiques et diffé-
pétences disciplinaires, et d’autre renciées auprès des enseignants,
part les connaissances et compé- en priorité pour ceux de niveau 1
tences didactiques. et en-dessous, de manière adaptée
dans chaque pays.
En compréhension de l’écrit, l’éva-
luation des connaissances et compé-
tences disciplinaires vise à détermi-
ner dans quelle mesure l’enseignant
accède au sens de ce qu’il lit et a une
connaissance suffisante des struc-
tures de la langue pour l’enseigner
comme discipline scolaire et l’utiliser
comme médium d’enseignement.
L’évaluation est centrée sur trois
compétences mobilisées dans la
compréhension d’un texte :

Source : Rapport PASEC 2019, p. 178


Sur l’ensemble des pays, un peu plus
de la moitié des enseignants enquê-
tés se situent au niveau 3 de l’échelle
de compétences, un peu moins du
tiers se situent au niveau 2, 15% se
situent au niveau 1 et seulement
moins de 2% ne manifestent aucune
des connaissances et compétences
évaluées. Ces résultats révèlent
un niveau de maîtrise relativement
satisfaisant de connaissances et
compétences en compréhension de

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


19
résultats en lecture-écriture
Source : Rapport PASEC 2019, p. 179
L’évaluation des connaissances et des compétences en didactique de la compréhension
de l’écrit est axée sur deux aspects : 1) identifier les objectifs pédagogiques, 2) identifier
les sources d’erreurs des élèves. Il s’agit de repérer si les enseignants sont suffisamment
outillés pour enseigner des stratégies de compréhension d’un texte et s’ils comprennent
les processus en jeu dans la compréhension de l’écrit pour soutenir les élèves.

Source : Rapport PASEC 2019, p. 1805

En comparaison des résultats obtenus en compréhension de l’écrit, les compétences en


didactique de l’écrit apparaissent beaucoup moins solides chez les enseignants (taux de
réussite aux items variant de 43% à 52%, la moitié des pays ayant un score inférieur à
50%). Ces constats plaident pour un renforcement des actions de formation initiale et/ou
continue qui, au-delà de la maîtrise des contenus, doivent accorder une place importante
à la didactique de la lecture-écriture, dans la perspective d’un apprentissage continué de
l’apprendre à lire-écrire tout au long de l’enseignement fondamental.

5 Se reporter au rapport PASEC 2019 pour une analyse plus fine des items d’évaluation.

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


20
résultats en lecture-écriture
1.2.2.2. Les évaluations EGRA quelles que soient les méthodes incidence à la fois quantitative et
d’apprentissage utilisées ; qualitative sur l’apprentissage de la
Depuis 2007, sous l’impulsion de lecture et de l’écriture (USAID, 2009,
l’USAID, de l’ONG RTI International et 2 le fait que cet apprentissage s’ef- p. 31), EGRA tient compte des carac-
de la Banque Mondiale, les évalua- fectue par étapes successives ; téristiques linguistiques des items
tions nationales EGRA (évaluation afin d’ajuster au mieux le niveau de
des compétences fondamentales en 3 le niveau de transparence de difficulté des épreuves à la langue
lecture), réalisées dans de nombreux l’orthographe dont dépend la pro- dans laquelle s’effectue l’apprentis-
pays à faible revenu, apportent des gression entre ces étapes. sage. EGRA ne vise pas à comparer
informations complémentaires en les résultats entre langues, surtout
particulier sur l’utilisation des lan- quand elles ont des niveaux de trans-
gues nationales pour l’apprentissage parence orthographique différents
de la lecture-écriture en début de (transparente vs opaque), sachant
scolarité. que l’apprentissage s’effectue à un
rythme plus lent dans les langues à
orthographe opaque (Sprenger-Cha-
rolles & Colé, 2006). Néanmoins, «
si la population d’un pays ayant une
langue écrite avec une orthographe
transparente et que l’automaticité est
acquise deux années primaires plus
tard que dans les pays avec des lan-
gues à orthographe de transparence
similaire, cela devrait être un sujet
d’analyse et de discussion. (...) (USAID,
2009, p.16).

Source : TALENT, 2020, p. 33

Le cadre conceptuel à la base d’EGRA EGRA se focalise sur les compétences


s’appuie sur la littérature internatio- nécessaires aux lecteurs débutants :
nale, et plus particulièrement sur des la connaissance des lettres (et des
synthèses émanant du « National graphèmes composés de plusieurs
Reading Panel » des USA (NRP, Na- lettres) et de leurs relations avec
tional Institute of Child Health and les phonèmes, la conscience pho-
Human Development, 2000) et, pour némique, les capacités de décodage
le français, de l’INSERM (Institut Na- (des syllabes, des mots ou pseu-
tional de la Santé et de la Recherche do-mots), les automatismes dans
Médicale). Ces synthèses ont mis en les procédures d’identification des
évidence 3 facteurs déterminants mots écrits (la fluence), les capacités
pour l’apprentissage de la lecture : de compréhension écrite des sujets
en contrôlant leurs niveaux de com-
1 l’existence de prédicteurs pré- préhension orale et de vocabulaire.
coces de cet apprentissage, qui per-
mettent une évaluation des débuts Comme les particularités de l’or-
de l’apprentissage de la lecture, thographe d’une langue ont une

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


21
résultats en lecture-écriture
Les résultats du Burundi au test EGRA
2011 sont corroborés par la perfor- Table : Proportion of non-readers by Country and maternal lan-
mance des élèves dans l’apprentis- guage
sage du kirundi, constatée lors du
PASEC 2014, et ce comparativement Country Language Grade Proportion of non-readers
à la proportion de non-lecteurs trou-
vée dans d’autres pays d’Afrique
qui utilisent les langues nationales Burundi 22.8% 2 20.4%
dans l’enseignement (Mali, Ouganda,
Kenya). Le rapport d’analyse (Varly,
Mazunya, 2011, p. 36) indique que Liberia 4.4% 2 30.7%
ces résultats satisfaisants au Burun-
di, s’expliquent principalement par le
fait que 90% des élèves de l’échan- Uganda 22.8% 2 35.8%
tillon parle le kirundi à la maison,
tandis que dans les autres pays uti-
lisateurs d’EGRA, plusieurs langues Tanzania 4.4% 2 37.9%
sont parlées, et donc pour beaucoup
d‘élèves la langue nationale utilisée
à l’école n’est pas leur langue mater- Mali* 22.8% 2 64.2%
nelle. En effet, des variations dans
l’apprentissage de la lecture-écriture
Ghana 4.4% 2 64.6%
en L1 sont repérées pour d’autres
pays en utilisant le baromètre EGRA
(Varly, Mazunya, 2012, p.6) : Zambia 22.8% 2 88.2%

Nigeria** 4.4% 2 88.3%

Average 4.4% 49%

Source: http://www.earlygradereadingbarometer.org/files/EarlyGrade-
ReadingBarometer.pdf

*Segou region, ** Kano region

Au Sénégal, un test EGRA (Spren- Le déficit chez les élèves, pour les
ger-Charolles, 2008) a été réalisé deux langues, semble se situer au
simultanément auprès d’élèves niveau de la conscience phonolo-
ayant appris à lire soit en wolof gique nécessaire pour comprendre
soit en français. Il en ressort que le fonctionnement du code alpha-
l’automatisation de la reconnais- bétique.
sance des mots écrits, et donc en
particulier du déchiffrage, n’est Cependant, dans d’autres tâches
pas assurée pour la majorité des impliquant le traitement de l’oral,
élèves, que ce soit en wolof ou les scores des enfants ayant appris
en français. L’utilisation du wolof à lire en wolof surpassent ceux
langue première ne garantit donc des enfants ayant appris à lire en
pas, en elle-même, la réussite de français alors que la tendance in-
l’apprentissage de la lecture et verse est relevée pour les tâches
ce, malgré la transparence de son impliquant le traitement de l’écrit,
orthographe qui pouvait laisser en particulier en orthographe (pro-
présager une rapidité d’apprentis- duction écrite). « Le fait que les
sage plus grande qu’en français en enfants ayant appris à lire en wolof
raison de la régularité des corres- aient des résultats inférieurs dans
pondances graphèmes-phonèmes. des tâches impliquant le langage écrit

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


22
résultats en lecture-écriture
peut provenir de ce que le wolof écrit
est moins développé que le français
écrit. La faible exposition à la langue
écrite wolof pourrait ainsi limiter son
apprentissage pour certains élèves,
ce qui soulève la question de l’envi-
ronnement lettré existant en wolof. »
(Sprenger-Charolles, 2008, p.21)

Les évaluations EGRA, qui s’effec-


tuent au niveau individuel, se situent
dans le champ des « évaluations
orales » (orientation prise aussi par
le PASEC depuis 2014) ce qui permet
également d’évaluer les aptitudes
linguistiques des enfants à l’oral,
notamment dans leur langue ma-
ternelle. L’institut de statistique de
l’UNESCO – ISU (2016 p. 27) souligne
que, malgré les efforts déployés par
certains pays afin d’assurer l’instruc-
tion des enfants dans leur langue
première ou maternelle, de nom-
breux enfants dans les pays à faible
revenu apprennent à lire dans une
deuxième, voire troisième langue.
En effet, la langue nationale d’en-
seignement n’est pas forcément la
langue maternelle de l’élève, et en-
core moins souvent lorsqu’il s’agit
de la langue européenne officielle.
De plus, même « lorsque les enfants
reçoivent un enseignement dans leur
langue maternelle, ils arrivent sou-
vent à l’école avec des compétences
linguistiques à l’oral [dans leur langue
maternelle] très limitées (Hart et Risley,
2003). » (Op cit, p. 27).

Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


23
résultats en lecture-écriture
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Chapitre 1 : Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation :


25
résultats en lecture-écriture
26
Chapitre 2
L’acculturation à
l’écrit au début de
l’enseignement
fondamental

27
2.1. Les fonctions de Plus d’un tiers des enfants ne l’école, les loisirs, l’église, les lieux
savent pas pourquoi les adultes uti- de travail), déterminantes dans les
l’écrit lisent l’écrit autour d’eux, un tiers des pratiques d’acculturation à l’écrit, et
élèves relient l’utilisation de l’écrit au d’autre part, l’impact des technolo-
Beaucoup d’élèves des pays de travail et à la promotion sociale, une gies numériques de communication
L’Afrique subsaharienne et de l’océan minorité seulement y voit un usage et d’information sur la production et
Indien, en particulier en milieu ru- fonctionnel autre que le besoin pro- la réception de textes qui impliquent
ral, vivent dans des contextes assez fessionnel. l’usage interactif de moyens sémio-
éloignés du monde de l’écrit. Pour- tiques de nature différente (des
tant, les représentations que se font Les représentations des élèves images statiques ou dynamiques,
les élèves sur la lecture-écriture à évoluent peu au fil de l’année. Visi- des sons, etc.) (Aeby, Leopoldoff,
l’entrée à l’école influencent leur blement, la scolarisation influence Sales Cordeiro, Schneuwly, Théve-
réussite ultérieure de l’apprentissage peu les représentations des élèves naz, Toulou, 2015). Dans cette pers-
de l’écrit (Chauveau & Rovogas-Chau- en lecture malgré le temps consacré pective, l’idée que les peuples à tra-
veau,1994 ; Chauveau 2001). Ni- à l’écrit à l’école. dition orale n’ont pas de rapport avec
cot-Guillorel (2002), à partir d’un le monde de la représentation écrite
panel d’enfants interrogés dans le Ces résultats obtenus en Côte d’Ivoire est erronée, mais il n’en demeure pas
nord de la Côte d’Ivoire6, pour savoir donnent une certaine indication de moins que « les rapports à l’écrit sont
s’ils aimaient lire, à quoi cela leur ser- ce que peuvent être les représen- teintés d’enjeux hérités, qui continuent,
vait, qu’est-ce que ça leur apportait, tations sur le lire-écrire d’élèves de pour ces groupes, d’influencer l’accès à
etc. relève que : milieux ruraux peu alphabétisés la littératie et les modes de construction
lorsqu’ils arrivent à l’école. du savoir. » (Moore, 2006 : 139). Enfin,
Les représentations fonctionnelles rappelons que le rapport au « texte »
de l’écrit (illustrations concrètes de Ces représentations sont une compo- existe dans toutes les sociétés, orales
l’utilité de lire) restent très minori- sante de ce à quoi renvoie le concept ou écrites, et renvoie à une certaine
taires quels que soient le système de littératie, notion qui cherche à dé- manière de dire, de raconter, de
scolaire et les langues de scolari- signer les divers contextes d’usages conserver en mémoire (ex : l’histoire
sation. des textes et d’autres formes de ancestrale). L’ensemble de ces as-
représentations des savoirs. Cette pects laisse entrevoir la complexité
Les représentations institution- notion dépasse donc la simple mise des rapports aux langues et à l’écri-
nelles (ex. je lis pour passer [dans la en place de compétences lectorales ture que peuvent entretenir des
classe supérieure]) sont plus nom- ou scripturales pour prendre en locuteurs que l’on considère géné-
breuses dans le système classique, compte l’ensemble des outils cultu- ralement de tradition orale.
en raison probablement des pra- rels, symboliques et les manières de
tiques d’évaluation régulières (com- pensée qui permettent de construire Cependant, comme ils vivent dans
positions bimestrielles). le sens et la réalité pour un individu. un monde où l’écrit est peu utili-
« Ce cadre socioculturel permet de sé dans le quotidien, la compré-
L’absence de représentation (ex. à s’éloigner de la dichotomie tradition- hension de la nature de l’écrit se
quoi ça te sert de lire ? A rien !), bien nelle, qui sépare littératie et illettrisme, résume pour beaucoup d’élèves
que plus massive dans le système pour englober une double perspective, à celle développée par l’école. On
expérimental dioula ou sénoufo, est qui prend en charge à la fois les aspects voit ici l’importance des pratiques
importante dans les deux systèmes individuels et sociaux de l’appropria- et des méthodes pédagogiques qui
de scolarisation. Elle apparaît encore tion du code écrit. La question posée contribuent à l’élaboration de ces
plus forte chez les enfants d’agricul- par l’accès à l’écrit pour des groupes représentations, l’école étant dans
teurs. linguistiques à tradition orale permet la plupart des cas le principal lieu
une autre prise de distance par rapport d’accès à la culture écrite, et donc
Les deux tiers des enfants ignorent à cette dichotomie. » d’acculturation à l’écrit. Pour que
l’utilité des écrits de leur environne- (Moore, 2006 : 138). les enfants construisent au plus tôt
ment, les écritures s’apparentent à une représentation fonctionnelle
des éléments décoratifs, un quart Aujourd’hui, on parle volontiers de de l’apprentissage qu’ils vont entre-
en ont une représentation erronée littératies au pluriel afin de souli- prendre, les enseignants devraient
ou incomplète, une infime minorité gner d’une part, les caractéristiques donc chercher à familiariser les
en ont une représentation fonction- spécifiques des divers contextes élèves aux différentes fonctions et
nelle. socioculturels (notamment la famille, à la diversité de l’écrit. Gérard Vigner

6Enfants de CP scolarisés dans des écoles expérimentales utilisant le dioula ou le sénoufo, et dans des écoles classiques en français langue
officielle.

28 Chapitre 2 : L’acculturation à l’écrit au début de l’enseignement fondamental


(2001) propose, pour apporter du plus fréquent des milieux populaires. » faites à haute voix par l’adulte favo-
sens aux premiers apprentissages de (Bernardin, 2001, p. 27). rise également le développement de
l’école, de « donner à cette approche l’aptitude à comprendre les textes
de l’écrit une forme qui ne débouche L’entrée à l’école implique donc des dans leur diversité. De plus, il ap-
pas d’emblée sur un travail de conver- changements importants dans le paraît que les enfants bénéficiant
sion graphème-phonème, mais sur système langagier de communica- ainsi d’un vocabulaire plus étendu,
une approche plus globale des formes tion des enfants. Le monde collectif construit par le biais d’interactions
de l’écrit, de l’image de l’écriture, des de l’école, avec ses règles et ses langagières en lien avec des sup-
lieux d’écriture, s’interroger sur les usages, peut sembler étranger à plus ports variés, ont plus de facilité dans
usages de l’écrit (écrits sociaux, écrits d’un titre. S’exprimer dans le milieu l’écoute et le travail sur les phonèmes
ludiques), les écrits de la ville, les écrits éducatif de l’école, c’est apprendre composant les mots et progressent
sur les objets, bref s’initier au monde de à gérer de multiples manières de plus rapidement que leurs cama-
l’écrit. » (Vigner, 2001 : 45). Or, dans parler selon la situation, le but visé, rades. Cela implique donc de laisser
beaucoup de pays africains, l’entrée les attentes de l’interlocuteur. Le ni- une place aux textes et aux livres lus
à l’école primaire ne prévoit pas de veau de langage attendu par l’école, à haute voix par l’enseignant dans
véritable période de familiarisation parce qu’il est décontextualisé, a des une langue comprise par les élèves,
sur les usages sociaux de l’écrit, et caractéristiques qui s’apparentent à et cela dès les premiers apprentis-
l’enseignement préscolaire, qui favo- l’écrit et qui le différencient du pre- sages. « Conter des histoires ou en
rise cette imprégnation, n’est pas en- mier langage (langue en situation) faire une lecture magistrale, mais aussi
core suffisamment développé. Il se que tout enfant acquiert au contact lire à haute voix des documentaires
trouve donc que les élèves sont bien de sa communauté linguistique pour ou d’autres genres de textes en lan-
souvent confrontés dès les premiers les échanges utiles de la vie quoti- gues nationales, puis en français sont
jours de l’école primaire à l’écriture dienne. Rappelons néanmoins que des activités à privilégier. Ces activités
sur ardoise et aux manuels scolaires les évaluations des compétences existent, elles sont à généraliser, car
et ce, quels que soient leurs acquis orales relèvent des différences inte- elles favorisent les connaissances lexi-
linguistiques avant leur arrivée à rindividuelles significatives dans le cales, syntaxiques et des textes formant
l’école. « Or, si l’abord direct des ap- bagage langagier des élèves à leur une culture de l’écrit. » (Aeby, Leo-
prentissages systématiques se justifie entrée à l’école, même en langues poldoff, Sales Cordeiro, Schneuwly,
dans des pays où la totalité des enfants maternelles. Thévenaz, Toulou, 2015, p.232)
sont acculturés très tôt à l’écrit, il n’en
va pas de même lorsque cette culture 2.2. L’importance de Dans cette perspective, la lecture
est découverte au sein de l’école pri- de petits albums par l’adulte peut
maire. » (Nicot-Guillorel, 2009, p.187) lectures fréquentes aussi inviter les élèves à raconter
partagées avec l’adulte eux-mêmes l’histoire entendue, en
De plus, on n’utilise pas à l’école le passant progressivement d’interac-
langage habituel de la vie de tous les Dans une perspective d’entrée dans tions collectives à des conduites lan-
jours, relié à la pratique et l’action. la culture de l’écrit, la mise en contact gagières individuelles, étayées par
C’est généralement un tout un autre de l’enfant avec toutes les sortes de l’enseignant, puis progressivement
rapport au langage et au monde que textes, et avec des livres, apparaît autonomes (Cèbe & Goigoux, 2017).
l’école tente d’inculquer aux élèves à donc fondamentale. L’enfant avant Le développement des compétences
travers de multiples pratiques lan- de pouvoir / savoir lire seul peut narratives des jeunes élèves a en
gagières orales et écrites nouvelles déjà tirer profit des lectures à haute effet un lien très fort avec les com-
qui peuvent sembler étranges aux voix de l’enseignant ou de tout autre pétences ultérieures de compréhen-
enfants qui arrivent à l’école élémen- adulte avec qui il partage un moment sion écrite et de production écrite.
taire, sans y être préparés. Bernardin de lecture dans une langue qu’il La prise en compte de l’accultura-
(2001) souligne que « l’étude de la connaît. tion à l’écrit dans les pratiques di-
langue - systématisée à l’école – exige dactiques (Goigoux, 2016) favorise
de l’élève une capacité à tenir celle-ci Dans ces dispositifs de lecture à donc l’émergence de la compétence
à distance, à sortir d’un rapport prag- haute voix partagée avec l’adulte, écrite chez les élèves, dans toutes
matique au langage, de « suspendre » la fonction communicative de l’écrit ses dimensions. Elle participe ainsi à
l’attention au contenu langagier pour apparaît aux élèves (on lit pour se la réduction des inégalités scolaires,
être en mesure de se centrer sur la divertir, on lit pour s’informer, on lit son effet apparaissant particulière-
forme (code grapho-phonétique, or- pour savoir comment agir dans telle ment significatif sur les élèves les
thographe, choix lexicaux, marques ou telle situation). C’est cette fonc- plus fragiles à leur arrivée à l’école.
grammaticales, structure du texte, tion communicative qui entretient et
etc.)… pour mieux revenir au contenu suscite leur intérêt pour le langage
(…) Passer de la pratique du langage écrit comme un objet de sens, leur
à la conscience de la langue ne va donne envie de lire, d’écrire, de poser
pas de soi et constitue une des butées des questions. Le partage de lecture
majeures pouvant expliquer l’échec

Chapitre 2 : L’acculturation à l’écrit au début de l’enseignement fondamental 29


2.3. Favoriser le pluri- richit. La compétence partielle est une L’apprentissage de la littératie est
compétence fonctionnelle par rapport plus difficile quand :
linguisme, en prenant à un objectif délimité. La compétence
en compte les langues partielle peut concerner des activités 1 la langue d’enseignement est
langagières (par exemple de réception éloignée de la langue parlée dans
maternelles dans l’ap- : mettre l’accent sur le développement les familles qu’elles soient mono-
prentissage de l’écrit d’une capacité de compréhension lingues ou bilingues. Ici, le poids de
en L2 orale, ou écrite) ; elle peut concerner l’origine sociale est prépondérant ;
un domaine particulier et des tâches plus la langue parlée à la maison
Cette acculturation à l’écrit est d’au- spécifiques ». Ainsi pour Galligani et s’éloigne de celle de l’école, autre-
tant plus importante dans les sys- Bruley (2014, p. 40), il préférable de ment dit, moins le registre formel
tèmes d’enseignement où la langue parler non pas d’interlangue mais attendu à l’école est utilisé dans les
d’enseignement n’est pas la langue de « (…) de compétence partielle et familles, plus difficile est l’apprentis-
parlée par l’élève, langue qui doit être plurilingue pour rendre compte des res- sage de la littératie, en langue ma-
prise en considération à cette étape sources langagières développées par ternelle comme en langue seconde.
initiale de la scolarisation. un apprenant dans différentes langues
composant son répertoire verbal – quel 2 la langue parlée dans la famille

Senghor(1962,2008)nousinvitaitdéjà que soit le degré de maîtrise dans ces n’est pas la langue d’enseigne-
en 1937 à accepter que « l’homme langues (…) ». ment. On observe que le niveau
nouveau doit être bilingue » c’est- de langage et de compréhension
à-dire qu’il doit être en capacité de Dans cette perspective, les lectures orale dans la langue d’enseignement
vivre et de penser dans plus d’une de petits albums peuvent être réa- explique 30% des différences de
langue. Par exemple, en fonction lisées dans les langues premières compréhension en lecture ; ce poids
de sa langue maternelle, l’Africain parlées par les élèves puis dans la augmente avec l’âge et la difficulté
devra être capable de penser égale- langue d’enseignement, ce qui per- des textes à lire. La maîtrise de la
ment en français et en bambara, en met non seulement aux enfants de L1 est également importante, les
français et en serrer, en lingala et en comprendre la fonction de l’écrit enfants qui maîtrisent mieux leur L1
français. Il s’agit alors pour l’appren- mais aussi de prendre conscience apprennent plus facilement une L2.
ti-lecteur-locuteur de se décentrer que des langues différentes véhi-
d’une langue à l’autre, de penser de culent les mêmes significations. Ces En effet, au-delà de la compréhen-
langue à langue. Il va sans dire que lectures peuvent s’accompagner sion de la fonction de l’écrit et de
l’espace plurilingue francophone d’activités orales permettant d’attirer l’apprentissage du code écrit, l’accès
n’est pas naturellement un espace l’attention sur les similitudes et les à la littératie suppose aussi que les
de réciprocité et de d’équivalence différences entre les langues mater- élèves accèdent à la compréhension
entre langues. Dès lors, apprendre nelles et la langue d’enseignement ; de ce qu’ils lisent.
à lire en contexte francophone du cette logique de comparaison des
sud, c’est aussi apprendre à devenir langues permet de susciter chez les La compréhension en lecture sup-
un apprenti bi-plurilingue. enfants une attitude réflexive sur pose :
la langue à chacun de ces niveaux des connaissances lan-
Paradoxalement, lorsque l’appren- d’organisation et de renforcer par là gagières – spécifiques à chaque
ti-lecteur-plurilingue se présente même, leur compétence linguistique. langue ;
pour la première fois en classe, à la
maternelle ou en première année De fait, une méta-analyse de re- des habiletés générales non
de l’élémentaire, pour parodier les cherches comparant l’évolution et spécifiques aux langues, per-
propos de Bachelard (1972), il « n’est les performances en littératie selon mettant d’utiliser ces connais-
pas jeune, il est même très vieux, il a qu’on apprend à lire et à écrire dans sances pour accéder à la co-
l’âge des pratiques langagières et est sa langue maternelle ou dans une hérence des idées exprimées
riche de son répertoire langagier. » autre langue montre que l’on ap- (comprendre les mots et inférer
Cela renvoie à la compétence par- prend mieux à lire et à écrire dans leur sens quand ils ne sont pas
tielle et plurilingue que Coste, Moore une autre langue si on maîtrise bien ou mal connus ; comprendre
et Zarate (1997) définissent comme sa langue maternelle et si on ap- les phrases c’est-à-dire com-
« la maîtrise limitée, imparfaite à un prend la lecture en lien avec celle-ci prendre les relations entre les
moment donné, dans une langue ou (Melby-Lervag & Lervag ; 2014). mots pour extraire l’idée énon-
une autre, comme partie d’une com- cée ; comprendre les textes au-
pétence plurilingue plurielle qu’elle en- De cette synthèse ressortent notam- trement dit les relations entre les
ment deux points essentiels. idées exprimées d’une phrase à

7 « Quand il se présente à la culture scientifique, l’esprit n’est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l’âge de ses préjugés. »

30 Chapitre 2 : L’acculturation à l’écrit au début de l’enseignement fondamental


l’autre). Le développement de Un traitement bilingue des appren-
ces habiletés est intimement tissages s’impose donc dans tous
lié à la maîtrise du langage mais les cas et doit se concevoir non
ces habiletés étant générales comme la juxtaposition de deux
elles sont transférables d’une domaines distincts de compétence,
langue à l’autre. mais comme un ensemble cohérent
fondé sur un transfert de compé-
Prenant en compte, d’une part, que tences entre les deux langues, l’idée
les habiletés cognitives ne sont pas étant que l’on n’apprend pas une L2
spécifiques à une langue (Cummins, à partir de rien, mais à partir de sa
1979), d’autre part, qu’on apprend compétence initiale, telle qu’elle est
mieux à lire et écrire en s’appuyant déjà construite sous la forme de ce
sur sa langue maternelle puis en la que l’on appelle le plus souvent la
mettant en relation avec la langue grammaire intériorisée.
d’enseignement, de nombreux pays
se sont engagés de manière expé-
rimentale dans des programmes
d’enseignement de la lecture-écri-
ture en langue maternelle avant de
proposer cet apprentissage dans la
langue d’enseignement.

Certains de ces programmes ont


donné lieu à une évaluation en
observant notamment le transfert
des compétences d’une langue à
l’autre. Le programme Keynian (« The
Primary Math and Reading Program
(PRIMR)”) a donné lieu à une telle
évaluation (Kim et Piper ; 2019). En
ce qui concerne la lecture, ce pro-
gramme comprenait un enseigne-
ment des correspondances grapho-
phonologiques en kiswahili puis en
anglais (les premières semaines en
kiswahili puis dans les deux langues
simultanément mais pendant des
sessions distinctes à raison de le-
çons de 30 minutes par jour dans
chaque langue). Un travail sur la
lecture de textes de différents types
(narrations, documentaires, etc.) et
l’apprentissage de stratégies de com-
préhension en L1 comme en L2. Les
résultats de l’évaluation montrent
que pour les enfants qui ont été ex-
posés à l’apprentissage de la littéra-
tie, un double transfert s’opère entre
les langues, en décodage, comme en
compréhension ; ce transfert semble
plus pérenne pour les enfants ayant
participé au programme d’enseigne-
ment multilingue sans toutefois que
l’efficacité du programme en termes
de performance n’ait pu encore être
évaluée.

Chapitre 2 : L’acculturation à l’écrit au début de l’enseignement fondamental 31


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32 Chapitre 2 : L’acculturation à l’écrit au début de l’enseignement fondamental


33
Chapitre 3
Apprendre à lire :
l’identification des mots
écrits

34
Les résultats de la recherche scien- 3.1. Capacités visuelles Apprendre à lire provoque donc le
tifique indiquent que le niveau de recyclage d’une région du cerveau
compréhension en lecture dépend, et connaissance des de l’enfant (Dehaene, 2011). Cette
d’une part, du niveau de compré- lettres région fait partie des aires visuelles
hension de la langue orale et, d’autre qui servent initialement à recon-
part, de la précision et de la rapidité Les travaux en neurosciences, grâce naître les objets et les visages. Avec
de lecture des mots isolés (Spren- à l’imagerie cérébrale, montrent l’apprentissage de la lecture, cette
ger-Charolles, 2008). qu’apprendre à lire s’accompagne du zone va répondre de plus en plus ef-
développement d’une nouvelle voie ficacement au traitement des lettres
Il s’agit d’une relation multiplicative : d’entrée dans les circuits du langage, et de leurs combinaisons afin d’éta-
la compréhension de l’écrit est par le biais de la vision. L’apprentis- blir une connexion efficace entre la
le produit de la reconnaissance sage de la lecture provoque, dans le vision des lettres et le codage des
des mots écrits et de la compré- cerveau des personnes alphabéti- sons du langage.
hension orale de ces mots dans sées, le développement d’une région
les phrases et les textes qu’ils visuelle qui se spécialise dans la Mouvements des yeux
composent. reconnaissance efficace des lettres
Le traitement de la lecture com-
mence dans l’œil. Seul le centre de la
rétine, appelé fovéa, possède une ré-
solution suffisamment élevée (en rai-
son de ses cellules photoréceptrices
que sont les cônes) pour discriminer
le détail des lettres. Cette partie de
la rétine correspond à environ 15
degrés seulement du champ visuel.
Cette étroitesse de traitement de la
fovéa, capteur sensible de la recon-
naissance des lettres, est la raison
pour laquelle les yeux bougent sans
Source : Bianco, Fayol (2018, p.11) cesse au cours de la lecture pour
scanner le texte à lire. De ce fait,
Les deux termes du produit de cette et des chaînes de lettres (cf. modèle contrairement à la sensation que le
équation multiplicative sont indis- du recyclage neuronal, Dehaene, lecteur en a, le texte n’est pas par-
pensables à une lecture efficace. 2007, 2011). Cette « aire de la forme couru de façon continue. Les yeux
De ce fait, comme l’indique Morais visuelle des mots » se spécialise se déplacent par petits mouvements
(1994), l’échec en compréhension progressivement pour mettre en discrets, par saccades.
peut résulter de l’une des deux relation les signes visuels perçus et
sources : leur prononciation. Elle identifie les
lettres, quelles que soient leur taille
une mauvaise reconnais- et leur police, et envoie ces infor-
sance des mots écrits ; mations aux aires du langage parlé.

une mauvaise compréhen-


sion du langage oral.

Ce chapitre s’intéresse au premier


terme de cette équation, l’apprentis-
sage de la reconnaissance des mots
écrits au moment de l’entrée dans
la lecture, et en présente les compo-
santes majeures. Il est à rappeler
que les évaluations à grande échelle
(EGRA, PASEC, etc.) se basent en
grande partie sur ces composantes
pour évaluer les habiletés des élèves
en lecture en début de scolarité.

Source : Bianco, Fayol (2018, p.6)

Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits 35


On estime chez le lecteur expert rapide, qui prétendent faire atteindre (haut/bas, droite/gauche, au-dessus/
qu’une saccade oculaire, qui cor- des taux de 1000 mots par minute ou en-dessous, avant/après, etc.) inter-
respond au déplacement du regard plus encore, sont donc à considérer venant pour gérer tout support écrit.
entre 2 fixations, permet d’identifier avec le plus grand scepticisme. » (De-
10 à 12 lettres : c’est ce qu’on appelle haene, 2017, p. 41) Selon de nombreux auteurs, la
l’empan de perception visuel des connaissance du nom convention-
lettres. Cette fenêtre de perception La longueur des saccades varie aus- nel des lettres de l’alphabet (« a »,
est asymétrique. Chez les lecteurs du si selon la difficulté du texte à lire. « bé », « cé », « dé », etc.) avant l’ap-
français, la perception des lettres au En outre, 10% à 20% des saccades prentissage de la lecture est un très
cours d’une saccade est biaisée vers se font vers l’arrière, en retour sur bon prédicteur de la réussite de cet
la droite : 3 ou 4 lettres à gauche du le texte déjà lu : on parle alors de apprentissage. La connaissance des
centre et 7 ou 8 lettres à droite. saccades de régression (Golder & lettres de l’alphabet peut être déve-
« Cette asymétrie provient de la di- Gaonac’h, 2004). Ces saccades de loppée facilement par des comptines
rection de lecture. Chez le lecteur de régression apparaissent à raison, (ex. alphabet chanté), mais il est à
l’arabe ou de l’hébreu, l’asymétrie de en moyenne, d’une fois par ligne, noter que l’intérêt n’est pas de réciter
l’empan visuel s’inverse. Dans d’autres même chez les bons lecteurs en lec- les lettres dans l’ordre de l’alphabet
langues telle que le chinois, où la den- ture ordinaire et facile. Ces saccades mais de parvenir à identifier chaque
sité des caractères est plus élevée, les de régression ont pour objectif de lettre visuellement et à les nommer
saccades sont plus courtes et l’empan résoudre une difficulté d’intégration isolément, ce qui aide à la prise de
est réduit d’autant. Chaque lecteur des informations, dont le lecteur n’a conscience de la nature segmentale
adapte son exploration visuelle en parfois pas conscience. des mots écrits (Gombert & al., 2002).
fonction de la langue qu’il pratique. »
(Dehaene, 2007, p.41). Connaissance des lettres Toutefois, cette connaissance du
nom des lettres peut gêner l’enfant
Les contraintes que l’œil impose à La vision étant la voie d’entrée des quand il commence à apprendre à
la lecture sont donc considérables. mots écrits, il est donc indispen- lire. En effet, f suivi de a se lit « fa » et
Sa structure impose de parcourir les sable que le système visuel de l’en- non « efa ». C’est pourquoi il est re-
phrases de façon saccadée, en dépla- fant parvienne à bien distinguer commandé au cours des premières
çant les points de fixation tous les les lettres, sans les transposer et séances d’apprentissage du code de
deux ou trois dixièmes de seconde. sans confondre les lettres en miroir distinguer clairement le nom des
Ces contraintes sont inamovibles comme p et q. Un entraînement lettres du son qu’elles font : le son
et limitent ainsi notre vitesse de des capacités visuo-attentionnelles que fait la lettre f dans un mot est
lecture. Cependant, l’entraînement est donc nécessaire dès l’arrivée à « fff » et non « ef ».
permet d’optimiser le rendement l’école. Dans ce domaine, reconnaître
des saccades visuelles. Ainsi, on et tracer les lettres du doigt s’avèrent 3.2. Habiletés phonolo-
estime (Brysbaert, 2019) que les être des activités pédagogiques par-
lecteurs experts sont capables de ticulièrement utiles. De même, sou- giques
lire silencieusement les textes avec tenir la linéarité de la lecture en
une moyenne de 240 à 260 mots pointant ce qui est lu à l’oral par La parole dispose d’une structure
par minute, c’est le niveau optimal l’adulte, permet à l’enfant de dépla- segmentale où les mots peuvent
de lecture linéaire. En revanche, sur cer son regard avec efficacité vers être décomposés en unités sonores
écran, lorsqu’on supprime la nécessi- chacune des lettres ou chacun des infra-lexicales (c’est à dire, plus pe-
té de bouger les yeux en présentant mots à lire dans le sens de la lecture tites que le mot) : les syllabes, elles-
les mots sur ordinateur, l’un après (gauche-droite en français). mêmes décomposables en attaque/
l’autre, au point précis où se fixe le rime (ex : pl/us) et en phonèmes
regard, les performances augmen- Ce travail de discrimination visuelle (p-l-u-s). Les unités sonores qui com-
tent considérablement (plus de 1000 se fait aisément dans les pays où les posent une langue et leur mode
mots par minute en moyenne selon élèves sont familiarisés à la mani- d’organisation (les suites de sons
Dehaene, 2017), ce qui confirme que pulation de l’écrit dès le plus jeune possibles ou impossibles : en français
ce sont bien les saccades oculaires âge. Mais, il s’avère moins naturel par exemple, la suite de sons /fvt/
qui limitent la vitesse de lecture et dans les pays africains où les élèves n’existe pas) forment un code. Les
ce qui laisse présager une évolution ont eu peu de contact avec l’écrit habiletés phonologiques désignent
en terme de vitesse de lecture dans avant l’entrée à l’école fondamentale, la capacité à identifier, mémoriser
un monde où les écrans remplacent la scolarisation dans le préscolaire et retrouver ces unités sonores in-
progressivement le papier. « Quoi dans ces pays étant encore insuffi- fra-lexicales. Leur développement
qu’il en soit, tant que le texte est présen- sante. Un travail spécifique centré s’organise sur un continuum qui va
té en pages et en lignes, c’est bien son sur les lettres de l’alphabet est de la sensibilité phonologique du
acquisition par le regard qui ralentit donc nécessaire à l’arrivée à l’école petit enfant qui apprend à parler sa
la lecture et constitue une limite in- tout en menant un travail de consoli- langue maternelle et qui différencie
contournable. Les méthodes de lecture dation des repères spatio-temporels deux mots oraux qui se ressemblent,

36 Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits


à la conscience phonologique per- vanche, « flasque » est composé de phonème est, pour certains élèves,
mettant une analyse explicite de la deux syllabes écrites flas-que. Ce particulièrement difficile. De nom-
composition sonore des mots. phénomène entraîne la nécessité de breuses recherches ont montré que
bien faire distinguer la segmentation la prise de conscience du phonème
La sensibilité phonologique est ac- syllabique écrite et la segmentation se développe la plupart du temps en
quise de manière implicite et permet syllabique orale. interaction avec l’acquisition de la
de distinguer deux mots phonolo- lecture. L’apprentissage de la lecture
giquement proches, par exemple, Les enfants apprennent assez ai- oblige l’apprenti-lecteur à considérer
château et chapeau. La conscience sément à repérer les syllabes qui la langue comme un objet d’étude
phonologique proprement dite, est composent un mot en les scandant, pour découvrir son fonctionnement
définie comme la capacité de per- par exemple (cham / pi / gnon). Ils et non plus seulement comme un
cevoir, de segmenter et de mani- prennent également facilement outil de communication.
puler intentionnellement les unités conscience des rimes et recon-
sonores composant les mots (les naissent très tôt que « loup, roue, Des recherches tout aussi nom-
syllabes, les rimes et les phonèmes). chou » sonnent pareil. La découverte breuses ont montré que le déve-
En effet, les jeunes enfants peuvent de la syllabe et de sa structure (ca- loppement de la conscience pho-
distinguer à l’oral la différence entre pacité métasyllabique) peut émerger nologique joue un rôle majeur dans
château et chapeau, ou entre roue assez tôt (vers 3 ou 4 ans) pour peu l’apprentissage de la lecture (Fayol
et rond, mais ne savent pas extraire que les enfants y soient incités. & al., 1992 ; Gombert, 1990) : le ni-
explicitement les unités sonores qui En contexte plurilingue, le travail veau de conscience phonologique
produisent cette différence. Au cours de repérage des syllabes qui com- des élèves d’école maternelle prédit
du développement et avant l’entrée posent les mots peut s’opérer de fortement et de manière stable leur
à l’école, les enfants apprennent manière ludique à l’oral à partir d’un acquisition du principe alphabétique,
d’abord et assez facilement à repérer stock d’images dont la dénomination en lecture comme en écriture, au
les syllabes et les rimes. C’est parti- pourra être effectuée dans les diffé- début de l’apprentissage de la lec-
culièrement vrai en français qui est rentes langues en présence dans la ture. Les enfants les plus habiles
une langue à rythme syllabique. La classe. A partir de ces constellations dans la segmentation des unités
syllabe est organisée autour d’une de mots, des jeux de segmentation sonores de l’oral apprennent plus
voyelle (le noyau vocalique) enca- soutenus par des gestes (frappés facilement à lire (Castles & Coltheart,
drée, précédée ou suivie par une de main, sauts, etc.) puis associés à 2004 ; Ehri, Nunes, Willows, Schus-
ou plusieurs consonnes. La syllabe des repères visuels (ex : ◡◡) pour ter, Yaghoub-Zadeh & Shanahan,
est elle-même analysable en ses en montrer la linéarisation peuvent 2001). De plus, les entraînements
composants attaque et rime (dé- faciliter la mise en évidence d’une à la conscience phonologique, et
coupage intra-syllabique). L’attaque règle de systématisation : toutes les surtout à la conscience phonémique,
correspond à la consonne ou au langues que nous parlons dans la améliorent non seulement cette ca-
groupe consonantique précédant la classe peuvent se découper en syl- pacité, mais aussi les performances
voyelle. La rime est la partie termi- labes (bonjour, salam, ani sogoma, en lecture et en écriture au cours
nale de la syllabe, constituée de la salut, akory, kassoumaï, etc.). préparatoire (Foorman, Francis,
voyelle (le pic ou noyau vocalique) Fletcher, Schatschneider & Metha,
et éventuellement de consonnes (la La prise de conscience du phonème 1998 ; Torgesen, Alexander, Wagner,
coda). Par exemple, la syllabe « truc et sa manipulation intentionnelle Rashotte, Voeller & Conway, 2001).
» se compose de l’attaque « tr » et de (appelée conscience phonémique)
la rime « uc », elle-même composée est beaucoup plus difficile. En effet, Il est donc important de travailler
de la voyelle « u » et de la coda « c ». le phonème est la plus petite unité à l’oral la prise de conscience de la
distinctive de la chaîne parlée, c’est- structure segmentale de la langue
On notera que les syllabes orales à-dire la plus petite unité de son grâce à des activités ciblées sur les
ne correspondent pas toujours aux produisant un changement de sens différentes unités sonores, en par-
syllabes écrites parce que les syl- des unités lexicales dans une langue tant des plus facilement perceptibles,
labes, la plupart du temps, ne sont donnée. Par exemple « boule » - les mots et leur décomposition dans
pas prononcées en insistant sur les « poule » : /bul/-/pul/. Il s’agit d’une les unités phonologiques les plus
« e » muets, notamment à la fin des unité abstraite et non d’un simple simples (syllabes, rimes) pour aller
mots. A l’écrit, toutes les lettres font son. Par exemple le phonème /r/ ne progressivement vers le phonème,
partie de la syllabe. Par exemple, à correspond pas au même son selon en lien avec l’apprentissage de la
l’oral, /partir/ est composé de deux sa place dans le mot : « rouge », lecture.
syllabes chacune constituée de trois « cour ». C’est le fait qu’il correspond
phonèmes : par/tir ; « flasque » est au même graphème « r » qui en fait
constitué d’une seule syllabe consti- un seul et même phonème. Il n’est
tuée de cinq phonèmes /flask/. A donc pas suffisant de bien percevoir
l’écrit, « partir », comme à l’oral, est les sons pour correctement identifier
composé de deux syllabes. En re- les phonèmes. L’identification du

Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits 37


De nombreux exercices peuvent la structure segmentale des langues dans ses aspects linguistiques et à
être proposés. Ils visent tous à faire et faciliter la compréhension du lien décontextualiser les mots pour les
que l’élève se concentre sur la com- entre écriture et phonologie (à titre analyser dans leur aspect « matériel »
position de l’enveloppe sonore de illustratif, voir l’annexe 2). en faisant abstraction de leur aspect
la langue et non sur sa dimension sémantique.
sémantique. Leur degré de difficul-
té varie selon l’unité ciblée (syllabe, En français, les graphèmes, qui sont
rime, phonème) et le processus im- la transcription écrite des phonèmes,
pliqué (synthèse ou segmentation, se réalisent à partir des 26 lettres
suppression, ajout ou inversion). de l’alphabet. Ils sont en nombre
Quelques exemples sont donnés beaucoup plus nombreux que les 37
dans le tableau ci-dessous. phonèmes de la langue car certains
phonèmes peuvent s’écrire de plu-
sieurs façons. Ainsi le phonème /ɛ̃/
- Taper dans ses mains les syllabes du mot « chaton » peut s’écrire in, ain, ein, un, um, ym,
- Combien y a-t-il de syllabes dans « chaton » etc. C’est ce qui explique en partie les
La syllabe difficultés orthographiques du fran-
- Dire « chaton » sans « ton »
- Dire « cha -ton » à l’envers. çais en production écrite et en fait
une langue à orthographe opaque
Trouver la règle que l’enseignant a choisie pour (ou encore profonde) dans le sens de
ranger dans une même boîte les cartes qui repré- l’écriture, alors que le français peut
sentent champignon-cochon-mouton-pantalon-pa- être considéré comme relativement
La rime transparent dans le sens de la lecture
pillon-avion.
Trouver dans un ensemble de mots/images ceux (le graphème « eau » se prononce
qui se termines comme « chaussette » toujours /o/ malgré la multiplicité
des graphèmes possibles pour ce
phonème).
Dire tous les sons qu’on entend dans « chaton »
Mettre ensemble tous les sons /j//u//r/ pour trouver Les langues africaines écrites à partir
Le phonème le mot de l’alphabet latin reposent elles,
Dire /jur/ sans /r/ tout comme l’espagnol8 par exemple,
Quel mot fait /ju/ + /r/ sur une orthographe transparente :
à un phonème correspond un seul
Dans un contexte d’enseignement 3.3. Découverte du prin- graphème, et inversement (relation
plurilingue et notamment lorsque la bi-univoque). Cette transparence
langue d’enseignement n’est pas en- cipe alphabétique et en- des correspondances graphème-
core la langue parlée par les élèves, seignement explicite phonème (CGP) a un impact direct
des difficultés particulières peuvent sur la vitesse d’apprentissage de la
être dues à la composition phoné-
des correspondances lecture (Seymour et al., 2003 ; Zie-
mique des langues. En effet, le fran- graphèmes-phonèmes gler, 2018). Quand les langues sont
çais compte 37 phonèmes. D’autres transparentes, l’apprentissage de
langues en compte plus, d’autres Les langues écrites ayant recours à la lecture est plus rapide. La langue
moins. Par exemple, on compte un alphabet reposent sur le principe française en raison de ses irrégulari-
seize sons voyelles (sans prendre alphabétique, principe qui désigne tés (beaucoup moins cependant que
en compte les 3 semi-voyelles) en le fait que les phonèmes sont repré- l’anglais) demande donc un effort
français et seulement trois en arabe. sentés par des graphèmes. d’apprentissage plus prolongé.
Les élèves peuvent avoir des diffi-
cultés de discrimination de certains La découverte du principe alpha- La découverte des correspondances
phonèmes du français parce qu’ils bétique ne va pas de soi pour les graphème-phonème nécessite un
n’existent pas dans leur(s) langue(s) élèves. Il leur faut discerner de fa- apprentissage systématique et
maternelle(s). Un travail de sensibi- çon consciente que la langue écrite explicite. C’est le cœur même du
lisation aux différences phonétiques transcrit du son avec les lettres et décodage : comprendre que l’on peut
des langues en présence dans la qu’il existe des correspondances passer de l’exploration spatiale du
classe peut être utile, notamment régulières entre la chaîne sonore et mot écrit, de la gauche vers la droite
au niveau articulatoire, pour attirer la chaîne écrite. Cela leur demande en français, à la séquence temporelle
et renforcer l’attention des élèves sur une capacité à objectiver la langue des phonèmes du mot parlé, et en

8Quoique l’orthographe de l’espagnol n’est que presque transparente, en effet 29 graphèmes (26 lettres, plus «ñ» et les deux digrammes
«ch» et «ll») notent les 25 phonèmes de la langue. Le français, quant à lui, dispose de 130 graphèmes (dont la majorité sont composés de
plusieurs lettres, pour noter ses 37 phonèmes).

38 Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits


connaître toutes les conventions. cette influence atteint son maximum la facilité de prononciation
pour un tempo de 14 ou 15 CGP et la des consonnes isolées
Pour cela, l’élève doit accéder à la valeur palier se situe à 11 ou 12 en
maîtrise de la combinatoire, c’est-à- fonction du niveau initial des élèves. la complexité de la structure
dire qu’il doit comprendre comment [...] Les tempos les plus lents, inférieures syllabique
les graphèmes et les phonèmes s’as- à 8, freinent les apprentissages des
socient, se combinent entre eux, élèves, en code bien sûr, mais aussi l’inséparabilité des graphèmes
pour former des syllabes, puis des en écriture ». Le choix d’un tempo complexes
mots. Dès lors que l’enfant a compris d’apprentissage rapide des CGP,
ce mécanisme d’association des CGP, situé entre 12 à 14 CGP lors des les lettres muettes
il peut l’appliquer pour décoder des neuf premières semaines, appa-
nouveaux mots. La compréhension raît bénéfique car il accroît la clarté la fréquence des mots dans
de la combinatoire lui permet donc cognitive des élèves, leur motivation la langue française
rapidement de décoder des syllabes : à découvrir le fonctionnement du
la li lu lo - al il ul ol – la pa sa ra… code alphabétique et leur capacité le rôle des morphèmes
pour accéder progressivement à un d’auto-apprentissage (Riou, 2017).
déchiffrage / décodage autonome Cette enquête montre donc qu’il est Au sein de cette progression, il serait
de mots : Lili- papa – Ali – sol - para- possible et utile d’apprendre rapi- bien sûr nécessaire de prévoir des
sol, puis de phrases simples. dement de nombreuses correspon- temps de révision en tenant compte
« Ce mécanisme est puissant, puisqu’il dances graphème-phonème, et que du calendrier des vacances scolaires
permet à l’enfant de décoder des mots plus on concentre cet apprentissage qui module le nombre de semaines
qu’il a déjà entendus, mais jamais lus dans le premier trimestre du CP, plus de travail par périodes scolaires.
auparavant, et cela de façon auto- l’entrée dans la lecture est efficace.
nome. Ce processus « d’auto-appren- Dans les pays d’Afrique subsaha-
tissage » permet l’automatisation de la Outre le tempo d’apprentissage des rienne et de l’océan Indien, son uti-
lecture. » (Ziegler, 2018). CGP, il est aussi nécessaire de dé- lisation nécessiterait naturellement
terminer l’ordre de progression de déterminer une programmation
Cette approche nécessite donc de des CGP à étudier afin de planifier temporelle.
proposer rapidement un nombre leur ordre d’étude. A titre illustra-
significatif de correspondances tif, la progression9 mise en annexe Dans les systèmes d’enseignement
choisies parmi les plus fréquentes de ce chapitre, proposée pour l’ap- qui démarrent l’apprentissage du
et stables de la langue ciblée afin prentissage de la lecture-écriture lire-écrire directement en fran-
que les élèves puissent très vite en- en français par Sprenger-Charolles, çais langue de scolarisation, cet
clencher ce mécanisme. privilégie l’apprentissage des corres- apprentissage des correspondances
pondances graphèmes-phonèmes, graphèmes-phonèmes ne peut se
3.4. Planification de en partant des graphèmes vers dispenser en amont, comme nous
les phonèmes et en allant des l’avons vu précédemment, d’une
l’enseignement du code plus simples au plus complexes. période de familiarisation au français
et déchiffrabilité des Ainsi par exemple, le graphème oral et à la culture de l’écrit, sans
« o » est étudié dès le début de négliger les activités nécessaires au
textes l’apprentissage, le « eau » apparaît développement psychomoteur du
au tard. Cette étude progressive geste graphique chez les élèves.
3.4.1. Tempo et progression pour des différents graphèmes codant
l’étude des CGP un même phonème facilite leur L’analyse de cette progression pro-
mémorisation. Cette progression posée pour le français pourrait éga-
Menée sur un échantillon très im- prend en compte les difficultés de la lement permettre, dans les sys-
portant de classes, l’enquête Lire et langue française et ses particularités tèmes d’enseignement bilingues
Ecrire dirigée en France par Goigoux notables mais aussi ses caractères transitionnels, de repérer les CGP
(2016) indique que la vitesse d’ensei- réguliers, en s’appuyant sur : préalablement acquises en langue(s)
gnement des CGP au cours des neuf nationale(s) afin de repérer celles
premières semaines d’apprentissage la régularité des relations restant à découvrir pour lire-écrire en
influence significativement les per- graphèmes-phonèmes français et/ou les variations grapho-
formances des élèves dans l’acqui- phonémiques existant entre L1 et L2
sition du déchiffrage. « L’élévation la fréquence des graphèmes sur lesquelles il convient de porter
du tempo influence significativement et des phonèmes l’attention. A titre illustratif, l’exemple
et positivement les performances des porté en annexe 2 propose quelques
élèves en code et en écriture. En code,

9Source : Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse (2019). Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP - édition 2019, Paris – MENJ,
téléchargeable sur : https://eduscol.education.fr/1486/apprentissages-au-cp-et-au-ce1

Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits 39


éléments comparatifs sur des varia- tomatique nommé Anagraph9, facile après les autres, donc de manière
tions entre L1 et L2. d’accès, qui permet aux enseignants sérielle.
de mesurer la part déchiffrable des
L’analyse précise de ces éléments textes qu’ils utilisent lors des leçons Pour passer à une lecture plus ra-
permettrait de faciliter le passage de de lecture. Cette application peut pide, il est nécessaire que l’identifi-
la lecture de L1 à L2, sachant que le également s’avérer très utile pour la cation des mots s’automatise, afin
lien phonème-graphème acquis dans rédaction et/ou l’édition de manuels de libérer davantage de disponibilité
une langue se généralise pour les de lecture. cognitive pour traiter l’information
autres langues alphabétiques. (Kanta, décodée et comprendre ainsi plus fa-
Blanco & Rey, 2006 ; Nicot-Guillorel, Il est à l’heure actuelle difficile de cilement ce qui est lu. Cette automa-
2012). Par ailleurs, comme l’approche quantifier précisément le taux de tisation s’effectue sur plusieurs
graphémique est souvent celle rete- déchiffrabilité optimal pour favoriser années. Elle permet de passer
nue pour le décodage dans les langues la lecture autonome des lecteurs d’une lecture lente et sérielle à
nationales (avec l’usage fréquent de débutants. Dans les premières le- une lecture rapide qui repose sur
méthodes syllabiques, à l’image des çons, où l’enfant doit comprendre un mode de traitement parallèle
supports FHI 360), l’utilisation du le principe de la lecture, il est sans et simultané des différents consti-
tableau proposé (cf. annexe) pourrait doute préférable de ne proposer tuants du mot (lettres, paires de
contribuer à apporter une certaine que des syllabes, des mots ou des lettres ou bigrammes, syllabes,
congruence didactique dans les ma- petites phrases totalement déco- morphèmes, mot) (Dehaene, 2007).
nières d’appréhender le code en pri- dables puis de poursuivre avec des Une fois l’identification des mots
vilégiant l’entrée par les graphèmes. textes suffisamment décodables automatisée, pour chaque mot lu
(contenant entre 70 et 85 % de mots « chacun des traits, chacune des lettres
3.4.2. Déchiffrabilité des textes intégralement décodables) qui favo- sont analysés (…), des millions de neu-
risent l’utilisation des procédures de rones y sont consacrés, et cette analyse
Pour s’investir pleinement dans décodage par les élèves, ainsi que se produit simultanément en chaque
le décodage, l’élève a également l’exactitude et la fluidité de lecture endroit du mot. » (Dehaene, 2011,
besoin de développer rapidement des lecteurs débutants. p. 49-50).
un fort sentiment de compétence.
L’utilisation de textes suffisamment Les éléments de planification appa- Avec l’automatisation, d’autres fac-
décodables s’avère être un puissant rus dans cette section apparaissent teurs influencent l’identification des
moteur de motivation. aujourd’hui déterminants pour la mots. Ainsi, les mots fréquents sont-
réussite de l’apprentissage initial ils reconnus plus facilement que les
L’étude Lire et écrire (Goigoux, 2016) de la lecture. Ils gagneraient à être mots rares. Une seconde voie, la voie
a mesuré le « rendement effectif » davantage pris en compte dans les lexicale appelée aussi voie directe,
des textes donnés à lire aux élèves rénovations curriculaires entreprises se développe ainsi en parallèle de
de CP, à savoir « le pourcentage de actuellement par de nombreux la voie phonologique, en se basant
graphèmes déchiffrables des textes pays d’Afrique subsaharienne ou sur le traitement orthographique
supports à l’enseignement de la lec- de l’océan Indien. des mots. Elle permet au lecteur de
ture utilisés en dixième semaine », au passer directement de la perception
regard des CGP étudiées dans les 3.5. L’automatisation de la chaîne des lettres au sens du
semaines 1 à 10. mot sans nécessité de décodage,
de l’identification des donc sans passer par la forme orale
Il en ressort que la part de déchif- mots du mot. Cette reconnaissance or-
frabilité des textes a une influence thographique repose en particulier
forte sur les performances des 3.5.1. Les deux voies de la lecture sur l’extraction automatique des
élèves en décodage. « Lorsque la morphèmes (les unités de sens qui
part déchiffrable des textes est suf- Une fois le mécanisme du « déco- forment le mot, ex : chat-on-s) qui
fisante, elle accroît le sentiment de dage » enclenché, l’apprenti lecteur jouent un rôle essentiel dans l’accès
compétence et la clarté cognitive des arrive à convertir un mot écrit en un au sens. La morphologie des langues
élèves, favorise la mémorisation des mot oral et, s’il sait parler la langue, à lire influence donc aussi fortement
correspondances graphophonémiques à en saisir le sens. Mais à cette étape l’apprentissage de la lecture (pour le
et génère un mécanisme d’auto- ap- initiale, d’utilisation exclusive de la français voir notamment Marec-Bre-
prentissage, autrement dit elle induit voie phonologique, la lecture reste ton, Gombert et Colé, 2005).
davantage de progrès. » (Riou & Fonta- lente et laborieuse, reposant sur un
nieu, 2016, p. 59). Ces auteurs ont par traitement des correspondances
ailleurs conçu un outil d’analyse au- graphèmes-phonèmes les unes La première voie doit être enseignée

10 Voir la plateforme ANAGRAPH sur : http://anagraph.ens-lyon.fr/app.php

40 Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits


explicitement. Plus vite on enseigne, nous lisons. » (Dehaene, 2007, p.161). de l’enseignement de la lecture pour
de façon explicite et systématique, l’élève est une considérable augmen-
chacune des correspondances 3.5.2. Apprentissage explicite et tation de la manipulation d’écrits. De
graphème-phonème, plus vite l’en- apprentissage implicite : l’impor- ce fait, l’enseignement de la lecture a
fant saura décoder les mots écrits. La tance de la répétition pour effet indirect de provoquer des
seconde voie, en revanche, se met en apprentissages implicites. En effet, le
place naturellement et se renforce à Dans chacune de leurs dimensions, moteur de l’apprentissage implicite
mesure que l’enfant lit, par auto-ap- les habiletés de lecture combinent est de nature fréquentielle. Plus
prentissage. Toutefois, la construc- des connaissances conscientes tri- souvent l’attention est portée à l’écrit
tion de la voie lexicale, notamment butaires en grande partie de l’ensei- et plus souvent le lecteur est impli-
chez les élèves les plus faibles, né- gnement, et des savoirs implicites qué dans l’activité, plus il fera d’ap-
cessite qu’on attire explicitement installés grâce à la pratique de la prentissages implicites. En d’autres
leur attention sur la composition manipulation de l’écrit, notamment termes, plus l’élève lit, mieux il lira.
orthographique des mots, en leur de la lecture. La pratique de la langue écrite est
proposant de mémoriser de manière donc à encourager dans l’ensemble
précise l’orthographe de certains L’élève apprend à lire sous l’effet de des domaines disciplinaires afin de
mots (cf. les échelles de fréquence) l’enseignement qui lui est prodigué, multiplier les temps de confrontation
et de discriminer rapidement parmi c’est la part explicite de l’apprentis- à son usage lu - écrit - oralisé.
un ensemble, le mot correspondant sage qui rend compte de l’installation
son orthographe exacte (ex : maison/ des connaissances et des compé- Il est donc nécessaire d’assurer les
meison /maizon). tences que l’élève a mémorisées et conditions et l’envie de la fréquente
qu’il peut utiliser consciemment. manipulation de l’écrit, en lecture et
Par ailleurs, au cours de ce pro- C’est l’apprentissage par instruction, en écriture, pour que les apprentis-
cessus développemental l’expertise totalement indispensable pour faire sages implicites puissent installer les
du regard s’aiguise, comme illustré comprendre et maîtriser les méca- automatismes. Sans enseignement,
ci-dessous (Dehaene, 2011, p.51) : nismes et les stratégies. l’élève demeurera non-lecteur. Sans
La plupart des modèles en psycho- Toutefois, l’élève apprend également pratique, il n’installera pas les auto-
matismes et demeurera au mieux
un décrypteur de l’écrit, au pire il
oubliera les procédures apprises et
risquera alors de se trouver plus tard
en situation d’illettrisme. Parce que
c’est une condition de la répétition
autonome de la lecture, susciter
le plaisir de lire chez l’élève est né-
cessaire à la réussite de l’enseigne-
ment de la lecture. Une corrélation
significative est par ailleurs établie
entre les performances en lecture
et le plaisir de lire (CNESCO, 2018). A
Chez le lecteur débutant, la lecture est lente et sérielle : chaque mot, noter que la répétition nécessaire à
chaque syllabe, voire chaque lettre doivent être fixés du regard, et l’automatisation n’est pas seulement
l’œil revient parfois en arrière. une reprise mécanique d’exercices
identiques. La répétition est une
Chez le lecteur expert s’installe une véritable expertise du regard : rencontre répétée provoquant l’ac-
l’œil progresse rapidement, saute certains petits mots et s’oriente tivation de la compétence recher-
directement vers le centre des mots importants. chée au travers de tâches à buts
diversifiés. C’est cette variation dans
logie de la lecture s’accordent au- par apprentissage implicite, c’est-à- la répétition qui provoque la moti-
jourd’hui à penser que la lecture dire que lorsqu’il manipule de l’écrit, vation pour apprendre. Ainsi donc,
experte et fluide résulte d’une coor- en lecture ou en écriture, il va pro- la prise de conscience des règles de
dination étroite de ces deux voies gressivement, et sans s’en rendre fonctionnement de la langue mais
de lecture. Ceci est confirmé par compte, acquérir des connaissances aussi le sentiment de contrôle qui
l’imagerie mentale en neurosciences, sur les caractéristiques de l’écrit qui se développe progressivement chez
la voie phonologique et la voie vont lui permettre de développer l’enfant deviennent des sources de
lexicale sont activées simultané- plus d’habiletés que celles qui se- motivation très puissantes pour ap-
ment et fonctionnent en parallèle, raient permises par la seule mobilisa- prendre à lire.
« ces deux voies de lecture coexistent tion de ce qui lui a été enseigné. Dès
et se font la course, selon les mots que son amorce, une des conséquences

Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits 41


3.6. La fluence de la lec- apprentis lecteurs aient développé Enfin, le troisième type de support
une conscience phonémique et des consiste à présenter un texte à lire
ture à haute voix connaissances des correspondances à haute voix (Depp, évaluations na-
graphème/phonème fluentes et tionales CP, 2018).
La fluence est définie par la capacité au-delà, des connaissances des pho-
à lire à haute voix, sans erreur et nogrammes (groupes de lettres se
rapidement (au rythme de la parole) prononçant toujours de la même
un énoncé. La fluence est tradition- manière (« ion » par exemple) et
nellement estimée par le nombre l’intégration des règles de pronon-
de mots correctement lus en une ciations contextuelles de certains
minute (NMCLM). graphèmes (les deux « g » de langage
par exemple).
Une lecture fluente (ou fluide) dé-
pend du bon développement des Le deuxième type de support consiste
mécanismes de la lecture (déchif- en une liste de mots, présentés sous
frage et identification des mots) et la même forme (Depp, évaluations Cette épreuve évalue non seulement
de leur automatisation. Elle garantit, nationales CP, 2018) l’automatisation du décodage et de
au moins dans les premières années la reconnaissance des mots mais
d’apprentissage, l’accès au sens des également la capacité des lecteurs
textes. à utiliser leurs connaissances sur
le langage (au niveau syntaxique et
La fluence est cependant une ha- sémantique) pour aider à l’identifica-
bileté complexe qui évolue avec le tion mais aussi à la compréhension
développement de l’expertise de au fur et à mesure de la lecture.
lecture et l’âge des élèves. Pour com- Cette fluidité de lecture en contexte,
prendre cette complexité, le plus quand elle est suffisante, signe la
simple est de l’illustrer par différents bonne maîtrise de tous les aspects
tests construits pour l’évaluer. Les de la lecture.
plus répandus consistent toujours
à faire lire les individus à haute voix Une dernière dimension de la fluence
pendant une minute mais trois sup- en contexte, non évaluée par le NM-
ports différents peuvent être utilisés, CLM est la prosodie, autrement dit le
chacun d’eux évaluant un aspect spé- phrasé et l’expression de la lecture.
cifique de la fluence (et de la lecture). De sorte que la fluidité de lecture en
  contexte est une lecture non seule-
Le premier type de support consiste ment rapide – au rythme de la parole-
en une liste de pseudo-mots présen- mais aussi expressive.
tés sous cette forme (Depp, évalua-
tions nationales CP, 2018). Ce support permet d’évaluer non La fluence évolue tout au long des
seulement la voie phonologique de années d’école élémentaire et les
la lecture mais aussi la construction tendances observées peuvent être
de la voie directe ou lexicale qui résumées comme suit :
permet la reconnaissance immé-
diate des mots : en effet, la lecture A la fin de la première année d’ap-
lexicale suppose, outre un décodage prentissage (le cours préparatoire)
fluent, la construction des représen- la lecture de mots et de textes sont
tations orthographiques des mots largement équivalentes (on ob-
qui seules permettent d’identifier serve que le NMCLM est équivalent
sans erreurs les mots irréguliers à l’épreuve de lecture de mots et de
(loup ; sept ; femme) mais aussi d’ac- texte). Il est en moyenne de 35 mots
céder sans les confondre aux sens en France, avec une variation d’une
des homonymes comme, « signe » dizaine de mots en fonction des
Cette épreuve évalue le décodage et « cygne » par exemple. mots ou textes donnés à lire (CSEN
proprement dit c’est-à-dire le de- ; 2019). Mais très vite, à partir de la
gré d’automatisation des habiletés fin de la deuxième année, la fluence
grapho-phonémiques qui fondent de lecture de texte se distingue de la
la voie phonologique de la lecture. fluence de mots et de pseudo-mots.
Les capacités estimées par cette Parce que la lecture de texte intègre
épreuve sont déjà complexes car à partir de ce moment d’autres ca-
un décodage fluent suppose que les pacités langagières (par exemple, les

42 Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits


lecteurs experts prononcent sans (La grand-mère sort de la maison. - La
hésiter le mot « notions » de deux grand-mère sort de la maison et prend
manières différentes dans la phrase son vélo. -La grand-mère sort de la
« à l’école, nous notions les notions ») maison, prend son vélo pour aller faire
et parce que les textes contiennent des courses.).
de nombreux mots brefs et très fa-
miliers, le NMCLM devient supérieur La lecture expressive quant à elle,
lors de la lecture de texte qu’il ne l’est peut-être travaillée en apprenant aux
lors de la lecture d’une liste de mots élèves à connaître et à faire attention
qui lui-même est supérieur à celui de à la ponctuation, à lire à haute voix
la lecture de pseudo-mots. des phrases puis des textes en res-
pectant les groupes syntaxiques et
Le graphique ci-dessous donne un en exprimant telle ou telle émotion
aperçu de l’évolution des trois types (dire une phrase avec tristesse, joie,
de fluence pour un échantillon d’en- peur...).
viron 500 élèves français (d’après
Bressoux, Bianco, Bosse, Lima et
Fayol, 2020) :

Le développement de la fluence est Pour parvenir à une lecture fluide, la


un aspect important de l’appren- lecture à haute voix est fondamen-
tissage de la lecture parce qu’elle tale. D’une part, elle permet à l’élève
représente une capacité qui lie les d’entendre ce qu’il lit et d’avoir ainsi
strictes habiletés de décodage à la une rétroaction sur la qualité de sa
compréhension des textes. lecture. Du côté de l’enseignant,
écouter un élève lire à haute voix
Pour la développer, il est important lui permet de se rendre compte du
de faire lire les élèves à haute voix, niveau de lecture de celui-ci, de re-
de manière fréquente et répétée, et pérer ses erreurs et difficultés pour
de les faire s’entraîner sur des sup- lui prodiguer des aides et corrections
ports variés. adaptées.

Pour les élèves en difficultés, de Enfin, l’enseignant peut aussi s’en-


nombreux exercices peuvent être en- gager dans des lectures devant ses
visagés, par exemple, en s’entraînant élèves afin de leur montrer ce qu’est
régulièrement à lire des syllabes et une lecture expressive aboutie et
des mots de plus en plus longs, ou leur donner à percevoir l’objectif
en apprenant à dire des virelangues qu’ils doivent atteindre pour devenir
qui permettent d’insister sur une des lecteurs compétents.
bonne articulation (Un chasseur sa-
chant chasser doit savoir chasser sans
son chien - Tu t’entêtes à tout tenter, tu
t’uses et tu te tues à tant t’entêter) ou
s’entraîner à lire des phrases de plus
en plus longues à partir d’expansions

Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits 43


Références

Bianco M., Fayol M. (Coord.) & al. (2018). Pédagogies Gombert JE., Colé P., Valdois S., Goigoux R., Mousty
et manuels pour l’apprentissage de la lecture : comment P., Fayol M. (2002). Enseigner la lecture au cycle 2, Paris,
choisir ?, Groupe de travail Pédagogies et manuels Nathan/VUEF
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44 Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits


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Chapitre 3 : Apprendre à lire : l’identification des mots écrits 45


Annexe 1 - Proposition de progression pour l’étude des CGP

Systèmes d’enseignement démarrant Systèmes d’enseignement démarrant l’appren-


l’apprentissage du lire-écrire en français tissage du lire-écrire en langue(s) nationale(s)

Graphèmes précé-
demment étudiés Progression des
Correspondance
en LN avant l’ap- graphèmes restant
graphème-phomène ou Exemples de mots12
prentissage de la à étudier pour lire-
règle d’écriture11
lecture-écriture en écrire en français
français (à cocher)

a ami

é été

i image

o olive

u une

Consonnes liquides (l,r)


ou fricatives 1 (f,j)

l + a,é,i,o,u lune

r + a,é,i,o,u rire

f + a,é,i,o,u fini

j + a,é,i,o,u jeu

Structures syllabiques
niveau 1
Combinaison Consonne-
Mots et mots inventés :
Voyelle (CV) et Voyelle-
li-il, ro-or
Consonne (VC)

Voyelles orales niveau


2 - deux lettres pour un
phonème

(ouvrir) Mots inventés :


l,r,f,j + ou
lou, rou, jou, vou

l,r,f,j + e prononcé ‘eu’ (le), (je)

l,r,f,j + eu (jeu), (feu)

Structures syllabiques
niveau 2

rur, rul, jor, jol, jeul, jeur,


Combinaison Consonne-
laf…
Voyelle-Consonne (CVC)
Mots : four, jour, leur…

Combinaison Consonne-
fla, fra, flé, flu, fri, fli, freu…
Consonne-Voyelle (CCV)

Source : Ministère de l’éducation nationale et de la jeunesse (2019). Pour enseigner la lecture et l’écriture au CP - édition 2019, Paris –
11
MENJ, https://eduscol.education.fr/1486/apprentissages-au-cp-et-au-ce1

Cette progression a été réalisée pour le français langue maternelle, avec des exemples de mots donnés à titre illustratif. Il conviendrait
12
naturellement d’adapter cette liste à l’environnement culturel des élèves des pays d’Afrique subsaharienne et de l’Océan indien.

46 Annexe 1 - Proposition de progression pour l’étude des CGP


Systèmes d’enseignement démarrant Systèmes d’enseignement démarrant l’appren-
l’apprentissage du lire-écrire en français tissage du lire-écrire en langue(s) nationale(s)

Graphèmes précé-
demment étudiés Progression des
Correspondance
en LN avant l’ap- graphèmes restant
graphème-phomène ou Exemples de mots 12
prentissage de la à étudier pour lire-
règle d’écriture11
lecture-écriture en écrire en français
français (à cocher)

Lettres muettes niveau 1


(fin de mots)

e muet fée, folie, joue, roue…

s muet jus, lilas, alors…

t muet lit, rat, fort…

x muet deux, doux, faux, mieux…

d muet lourd, foulard…

Consonnes fricatives 2

v + a,o,é,u,i,e,eu,ou (vélo)

ch + a,o,é,u,i,e,eu,ou (chat)

Consonnes occlusives 1

p + a,o,é,u,i,e,eu,ou (papa)

t + a,o,é,u,i,e,eu,ou (table)

b + a,o,é,u,i,e,eu,ou (bébé)

d + a,o,é,u,i,e,eu,ou (dur)

Cas particulier 1

(b/d ; p/q) ba-da, bi-di, bo-do, bu-du,


+ a,o,é,u,i,e,eu,ou bou-dou…

Consonnes nasales

m + a,o,é,u,i,e,eu,ou
(graphème en début de mal, mouche, mur…
mot)

n + a,o,é,u,i,e,eu,ou
(graphème en début de narine, nous, nu, notre…
mot)

gn + a,o,é,u,i,e,eu,ou
(graphème en début de ligne, vigne, trépigne…
syllabe)

Consonnes fricatives 3

z + a,o,é,u,i,e,eu,ou zéro, lézard…

graphème ‘s’ en début de


mot : sol, sourd…
s prononcé ‘ss’
graphème ‘ss’ entre deux
ss
voyelles : chasseur
s prononcé ‘z’
graphème ‘s’ entre deux
voyelles : rose

Annexe 1 - Proposition de progression pour l’étude des CGP 47


Systèmes d’enseignement démarrant Systèmes d’enseignement démarrant l’appren-
l’apprentissage du lire-écrire en français tissage du lire-écrire en langue(s) nationale(s)

Graphèmes précé-
demment étudiés Progression des
Correspondance
en LN avant l’ap- graphèmes restant
graphème-phomène ou Exemples de mots 12
prentissage de la à étudier pour lire-
règle d’écriture11
lecture-écriture en écrire en français
français (à cocher)

Cas particulier 2

Graphème ‘es’ les, mes, tes, des, ses et ces

Consonnes occlusives 2

c prononcé ‘k’ ‘c’ devant ‘a’, ‘o/ou’, ‘u’ ou


consonne : car, cou, clou,
k prononcé ‘k’ école…
kilo, ski…
q prononcé ‘k’ qui, que, chaque, équipe..

g prononcé ‘g’ g devant ‘a’, ‘o/ou’, ‘u’ ou


gu prononcé ‘g’ consonne

Voyelles nasales 1

un un, chacun, lundi…

an
am prononcé ‘an’
blanche, cantine, tante…
graphème ‘m’ devant m, p, b
ant prononcé ‘an’
; : ampoule
en prononcé ‘an’

en partant et tous les parti-


cipes présent
em prononcé ‘an’ endive, vendre, prendre…
graphème ‘m’ devant m,p,b :
ent prononcé ‘an’ décembre
souvent et adverbes en
‘ment’

ongle, oncle…
on prononcé ‘on’
graphème ‘m’ devant m,p,b :
om prononcé ‘on’
ombre, bombe…

fin, brin
in prononcé ‘in’
graphème ‘m’ devant m,p,b :
im prononcé ‘in’
imprime, grimpe…

Semi-consonnes 1

oi oie, moi, toi, roi, boite, fois…

oin loin, foin, moins, coin…

U de ‘lui’ lui, nuit, fuir, luire, bruit…

Voyelles orales 3

y prononcé ‘y’ Il y a, pyjama…

48 Annexe 1 - Proposition de progression pour l’étude des CGP


Systèmes d’enseignement démarrant Systèmes d’enseignement démarrant l’appren-
l’apprentissage du lire-écrire en français tissage du lire-écrire en langue(s) nationale(s)

Graphèmes précé-
demment étudiés Progression des
Correspondance
en LN avant l’ap- graphèmes restant
graphème-phomène ou Exemples de mots 12
prentissage de la à étudier pour lire-
règle d’écriture11
lecture-écriture en écrire en français
français (à cocher)

Voyelles orales 4 : les


différents ‘a’

à à, là-bas…

â âne, bâton…

Voyelles orales 5 : les


différents ‘o’

au auto, autre…

eau eau, peau, chapeau…

Voyelles orales 6 : oeu,


eu, ent

oeu oeuf, bœuf, sœur, cœur…


oei oeil, oeillet…

eu prononcé ‘u’ singleton fréquent : j’ai eu

Pluriel des verbes du pre-


-ent : terminaison muette
mier groupe

è élève, père, frère…


ê tête, fête, guêpe…
ë Noël

elle, nouvelle, belle, tresse,


ell, ess, err, ett (‘e’ suivi par
pressé, terre, verre galette,
une double consonne)
chaussette…
merci, perte…
er (‘e’ suivi par 2 consonnes)
geste, reste, rectangle,
es, ec
insecte…

ai air, aide, faire, chaise…


ei peine, neige, la tour Eiffel…

chanter, jouer, nez, chez,


er final, ez final, et final assez, jouet, paquet, bou-
quet…

Lettre muette 2 - le ‘h’

‘h’ en début de mot


‘h’ après une autre heure, habit…
consonne ‘th’ thé, théâtre
‘h’ muet milieu de mot entre brouhaha…
2 voyelles

Consonnes fricatives 4 - le
graphème ‘ph’
Photo, pharmacie, dau-
ph prononcé ‘f’
phin…
Consonnes fricatives 4 - le
graphème ‘ph’
‘c’ devant e/é et i/y
c prononcé ‘ss’
garçon
ç prononcé ‘ss’
‘s’ en début de syllabe :
s prononcé ‘ss’
ourson
s prononcé ‘ss’
‘s’ en fin de syllabe : veston
sc prononcé ‘ss’
scie, science
sç prononcé ‘ss’
‘c’ devant e/é et i/y

Annexe 1 - Proposition de progression pour l’étude des CGP 49


Systèmes d’enseignement démarrant Systèmes d’enseignement démarrant l’appren-
l’apprentissage du lire-écrire en français tissage du lire-écrire en langue(s) nationale(s)

Graphèmes précé-
demment étudiés Progression des
Correspondance
en LN avant l’ap- graphèmes restant
graphème-phomène ou Exemples de mots 12
prentissage de la à étudier pour lire-
règle d’écriture11
lecture-écriture en écrire en français
français (à cocher)

g prononcé ‘j’ g devant e/é et i/y : girafe


ge prononcé ‘j’ pigeon

Semi-consonnes 2 - le
yod ‘i’
ciel, miel, pied…
i=yod
triage
Cas particuliers 3 - le
graphème ‘x’
x prononcé ‘gz’ examen, exemple…
x prononcé ‘ks’ taxi, axe…

Voyelles nasales 2

pain, bain, faim, daim, plein,


ain, aim, ein, yn, ym pronon-
ceinture, synthèse, symbole,
cé ‘in’
sympathique

um prononcé ‘un’ parfum


um prononcé ‘om’ maximum, album…

graphème ‘en’ après ‘i’ ou ‘é’


(sauf si suivi par ‘nn’)
en prononcé ‘in’
mien, sien, bien, coréen,
européen…

Consonnes fricatives 6 -
un autre graphème ‘t’ se
prononçant /s/

graphème t suivi ‘i’ : atten-


t prononcé ‘ss’
tion
Semi-consonnes 3 - ‘y’ et
‘il(l)’ pour le yod

y=yod yoga

graphème ‘y’ entre 2


ay, oy, ey, uy voyelles : payer, noyer,
asseyez, appuyé…

il ail, portail, travail…

Cas particuliers 5 : les


consonnes doubles

bb, dd, ff, pp, rr, tt, ss

devant ‘a’ ‘o’/’ou’, ‘u’ ou


cc prononcé ‘k’
consonne : accord
cc prononcé ‘ks’
devant e/é et i/y : accent
devant ‘a’ ‘o’/’ou’, ‘u’ ou
gg prononcé ‘g’
consonne : aggraver
gg prononcé ‘gj’
devant e/é et i/y : suggérer

mm pomme, somme

emmener
emm femme et adverbes en
‘-emment’

nn bonnet, bonne…
enn ennui, enneigé, tienne

50 Annexe 1 - Proposition de progression pour l’étude des CGP


Systèmes d’enseignement démarrant Systèmes d’enseignement démarrant l’appren-
l’apprentissage du lire-écrire en français tissage du lire-écrire en langue(s) nationale(s)

Graphèmes précé-
demment étudiés Progression des
Correspondance
en LN avant l’ap- graphèmes restant
graphème-phomène ou Exemples de mots12
prentissage de la à étudier pour lire-
règle d’écriture11
lecture-écriture en écrire en français
français (à cocher)

graphème ‘ll’ après voyelle


il sans ‘i’ : allée
ill graphème ‘ill’ précédé par
consonne : mille, ville

Semi-consonne 4 (yod) - ‘ll’

graphème ‘ill’ précédé par


ill=yod
voyelle : abeille
illi
million
ill
fille, cheville, vanille
Voyelles orales 8 - voyelles
orales avec diacritiques
(sauf é,è,ê,ë et à â)
où où
ô hôpital
ï héroïque
ïn coïncidence
Consonnes occlusives 3 -
le graphème ‘th’

th prononcé ‘t’ thé

Semi-consonne 5 - /w/
(plus le graphème ‘w’ =
/v/)
ou prononcé ‘w’ alouette
w Kiwi
w prononcé ‘v’ wagon

Cas particuliers 5 - finales


en ‘er’ et ‘et’ ; plus ‘t’,’l’,’c’
non muet en finale

er final prononcé mer, amer

et final prononcé net


t,l,c final brut, naturel, bec

Lettres muettes 3 (fin de


mots ou de syllabes)
plomb, tabac, clef, point,
b,c,f,g,l,r muet
outil, monsieur

p et m muet compte, automne

Cas particuliers 6 - corres-


pondances graphèmes-
phonèmes rares dans des
mots fréquents
on prononcé ‘eu’ monsieur
ai prononcé ‘eu’ faisan
ay prononcé ‘ey’ paysan

cu,ck, cqu, q,ch prononcé ‘k’

x prononcé ‘ss’ dix


x prononcé ‘z’ deuxième
c prononcé ‘g’ second

sh et sch prononcé ‘ch’ short, schéma

b prononcé ‘p’ absence

Annexe 1 - Proposition de progression pour l’étude des CGP 51


Annexe 2 - Quelques points de comparaison L1– L2

Voyelles, semi-voyelles et consonnes : comparaison français – yoruba

Source : Sprenger-Charolles, L. (2017), Principes sous-tendant l’apprentissage de la lecture-écriture contexte monolingue & bilingue.
CNRS, Projet ELAN -OIF, Annexe A.

Variations consonantiques Langues à tons

En ce qui concerne les consonnes dans les langues La plupart des langues en Afrique sont des langues
du monde on en note environ 20, toutefois, certaines à tons. Par exemple, dans la langue shona parlée au
langues en disposent de près de 34. Les consonnes Mozambique, Zambie ou le Botswana, le ton haut est
les plus fréquentes sont les fricatives et les occlusives : très souligné. Dans les langues gbe, on peut avoir une
/f/, /s/… et /p/, /t/. A noter que ces consonnes peuvent fonction lexicale « Nà» {la Reine} et « Ná » {donner} ou
être voisées ou non voisées en fonction des vibrations une fonction grammaticale « Ye kó wá » {ils sont déjà
des cordes vocales lors de la prononciation. Quelques venus} « Ye kò wá » {Ils ne se réjouissent pas}
exemples ici à titre d’illustration /g/ voisée, /k/ non voisée
ou /v/ voisée comparée à /f/ non voisée. En français, nous
avons 6 occlusives, /p/ de « papa », /t/ de « ta », /k/ de Ton bas à
« car », /b/ de « bar », /d/ de « dur » et /g/ de « grand », 6
Ton haut zígígí
fricatives /f/ de « feu », /s/ de « seul », /ʃ/ de « chat », /v/
de « vent », /z/ de « zéro » ou « ruse » et /ʒ/ de « jeu », 3 Ton modulé bas-haut v
nasales /m/ de « ma », /n/ de « nord » et /ñ/ de « cygne » Ton modulé haut-bas ^
et 2 liquides /l/ de « lire » et /r/ de « rire ». Les tableaux
Ton moyen -
comparatifs avec les langues africaines peuvent signaler
des différences : par exemple le yoruba comporte 7 Ton supra haut í
occlusives et 3 fricatives.

52 Annexe 2 - Quelques points de comparaison L1– L2


Dans les pratiques pédagogiques d’enseignement de la
lecture-écriture et pour l’évaluation, il est donc néces-
saire de prendre en compte les différences entre les L1
des apprentis lecteurs et le français, en particulier les
différences qui ont un effet significatif sur la lecture au
niveau de l’écrit pour ce qui est du marquage ou non,
et à l’oral, les accents lexicaux ou les tons. Les apprentis
lecteurs qui apprennent tardivement une L2, peuvent
avoir des problèmes de reconnaissance, et surtout de
production, au niveau des phonèmes de cette L2, lesquels
phonèmes ne se retrouvent pas dans leurs L1, c’est le
cas du son /R/ chez les locuteurs des langues gbe ou
encore l’absence de voyelles nasales chez les locuteurs
peulh, et la présence du /d/ rétroflexe chez les yoruba
et langues gbe.

Annexe 2 - Quelques points de comparaison L1– L2 53


54
Chapitre 4
Apprendre à lire :
associer l’écriture en
variant les pratiques

55
L’apprentissage de la lecture ne peut se dissocier de celui de l’écriture : ces deux activités sont en étroite interre-
lation. En effet, la pratique de l’écriture contribue au développement de la réflexion sur l’écrit (Ferreiro, 2000) et
aux apprentissages des mécanismes de la lecture (Écalle & Magnan, 2002). En outre, une relation étroite existe
entre les processus impliqués dans l’apprentissage de la lecture-écriture et ceux impliqués dans l’apprentissage
de l’orthographe (Ehri, 2015), processus mobilisés également dans la production de textes (Fayol, 2013 ; Morin,
Bara, Alamargot, 2017). Dans les pratiques de classe, il s’avère que la précocité, la régularité, la quantité et la
variété des pratiques d’écriture influencent de manière positive l’apprentissage de la lecture et la production
écrite (Goigoux, 2016).

4.1. Du geste graphique nel soutenu. Pour arriver à écrire letés motrices préalablement ins-
une seule lettre, l’élève débutant tallées au cours du développement
à la fluidité d’écriture scripteur doit maîtriser à la fois les physiologique de l’enfant. La com-
dimensions motrice et perceptive posante motrice du geste d’écriture
Plusieurs études récentes attirent de cette activité. La dimension mo- peut se préparer utilement par des
l’attention sur le fait que le geste trice renvoie aux articulations qui activités de dessin ou de graphisme
graphique est une des contraintes af- entrent en jeu lors de l’écriture (le (tracés de formes, de motifs, jeux sur
fectant l’activité de production écrite. poignet et les doigts qui contrôlent les lignes, etc.).
Lorsque la vitesse d’exécution et le la formation des lettres, l’épaule et
tracé des lettres ne sont pas opti- le coude qui contrôlent les mouve- Le geste d’écriture en lui-même né-
maux, les capacités orthographiques ments latéraux), ainsi qu’au contrôle cessite la coordination d’un mouve-
et rédactionnelles sont entravées. du mouvement (accélération, frei- ment de translation et de mouve-
(Lavoie, Morin, Labrecque, 2015). nage, direction du tracé, pression ments de rotation, grâce à l’appui
On constate qu’habituellement, un sur le crayon, etc.). La dimension de l’avant-bras. Il met en jeu une
certain niveau d’automatisation du perceptive renvoie au processus spécialisation des segments du bras,
geste graphique est atteint vers l’âge de programmation motrice (par de l’épaule, de l’avant-bras, du poi-
de dix ans, mais que les compétences exemple, associer le phonème au gnet, de la main et des doigts. Le
graphomotrices continuent de se graphème approprié). En d’autres contrôle kinesthésique et le contrôle
développer jusqu’à l’adolescence. termes, avant d’en arriver à laisser visuel assurent le guidage de la trace
L’automatisation graphomotrice ne une trace sur le papier, le scripteur écrite. Un travail particulier est donc
se met donc en place que très len- doit construire une représentation indispensable pour soutenir cette
tement ; ce qui contredit les repré- mentale suffisamment précise de la conduite motrice spécifique. On re-
sentations de certains enseignants lettre à écrire et du geste à produire. tiendra :
qui pensent que le développement
de cette habileté ne concerne que Pour l’enfant qui commence l’ap- l’organisation matérielle et
le tout début de l’école primaire (La- prentissage de l’écriture et qui n’a pas temporelle qui porte sur les
brecque, Morin & Montésinos-Gelet, automatisé le tracé des différents conditions dans lesquelles l’ap-
2013). Des difficultés dans l’acquisi- graphèmes, des allographes (par prentissage se déroule. Elle in-
tion d’une écriture fluide et lisible exemple la conversion script-cur- clut de nombreux paramètres
peuvent avoir des conséquences sif) et encore moins l’orthographe et en particulier l’espace dont
négatives sur l’ensemble du dévelop- des mots, écrire un mot représente dispose l’élève, le support sur le-
pement de la compétence à écrire et une tâche complexe. Au fur et à quel il va s’exercer, l’outil dont il
à produire des textes. La qualité de la mesure que les performances gra- va se servir, la luminosité dont il
production de textes chez les élèves phiques des élèves s’améliorent, le va disposer, le modèle qu’on va
semble ainsi aujourd’hui attribuable nombre d’erreurs en dictée dimi- lui demander de reproduire, le
en partie à l’automatisation de la pro- nue (Fayol et Miret, 2005). Il existe temps qu’il aura pour réaliser la
duction des lettres, c’est-à-dire à la donc une corrélation positive entre tâche… Cette organisation doit
capacité de les produire lisiblement, les performances graphiques et les permettre à l’élève de guider au
avec aisance et rapidité. performances orthographiques. La mieux la main qui écrit en lui
maîtrise du geste d’écriture néces- permettant de garder sur elle
Si, pour le scripteur expert, le geste site donc un apprentissage explicite un contrôle visuel du début à
graphomoteur demande peu - ou puis une pratique suffisante pour la fin de la tâche. Une attention
pas - d’effort cognitif conscient, il en être automatisée, ce qui libère de particulière doit être accordée
va tout autrement de l’apprenti scrip- l’espace attentionnel chez l’élève qui à l’espace de travail des élèves
teur. En effet, en début d’apprentis- peut ainsi mieux prêter attention à gauchers (EDUSCOL, 2018) ;
sage, le geste graphique mobilisé l’orthographe.
dans l’action d’écrire résulte d’un la description du geste à réa-
mouvement volontaire dont tout Le geste d’écriture liser : l’élève doit savoir où son
le déroulement doit être consciem- action motrice doit commencer
ment contrôlé par l’apprenant, ce Le geste d’écriture est une conduite et se terminer et quelles opéra-
qui lui demande un effort attention- motrice fine qui suppose des habi- tions intermédiaires sont néces-

56 Chapitre 4 : Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques


saires pour réaliser la tâche qui le toucher (cf. les lettres rugueuses la troisième année.
lui est proposée ; de Montessori) et apprend le geste
d’écriture par le tracé même des La difficulté de la cursive réside es-
la variabilité des supports et lettres. Cela réduit par exemple sentiellement dans l’attachement
des outils d’écriture pour s’en- les confusions de lettres comme b des lettres et non pas dans la réali-
traîner au tracé attendu : écrire et d, fréquentes au démarrage de sation de leur forme graphique, qui
sur du sable avec un bâton, l’apprentissage, et facilite la mise semble être du même niveau de
sur un tableau avec de la craie, en mémoire des correspondances complexité en script et en cursive. Si,
reproduire le tracé en l’air avec graphème-phonème. Les activités sur le plan moteur, on peut envisager
le doigt puis le réaliser sur le d’écriture doivent donc être prati- que le script soit plus simple à maî-
cahier à lignes, etc. ; quées quotidiennement, en asso- triser, il n’en va pas de même sur le
ciation très étroite avec les activités plan perceptif puisque le nombre de
l’appréciation du résultat : de lecture. lettres en miroir et la simplification
l’enseignant encourage les réa- de la forme des lettres rendent leur
lisations, souligne les erreurs et Tracer les lettres nécessite de stocker différenciation et leur identification
guide l’élève dans la révision de et de récupérer une représentation plus difficiles. Une recherche de Bara
sa production, en lui rappelant de la lettre en mémoire, d’accéder & Morin (2009) a testé l’hypothèse
les observations collectives pré- au programme moteur qui lui cor- selon laquelle la déviation entre les
alables réalisées sur les tracés ; respond, de définir les paramètres allographes13 présents dans les livres
de ce programme (forme, taille et (script) et ceux enseignés à l’école
la répétition : elle est néces- vitesse), de l’exécuter et d’agencer les en écriture (cursive) conduirait à
saire pour réduire progressi- symboles dans l’espace graphique. une surcharge cognitive qui nuirait
vement l’écart entre le produit D’un point de vue perceptif, l’ap- au traitement efficace des carac-
et l’attendu et automatiser les prentissage de l’écriture nécessite tères écrits. Les résultats de cette re-
gestes requis. de reconnaître et de distinguer les cherche n’ont pas permis de mettre
lettres, et d’être capable de faire la en évidence des difficultés en lecture
Au-delà de cette composante mo- correspondance entre la forme gra- liées à l’apprentissage de l’écriture
trice instrumentale, d’autres dimen- phique et les sons des lettres pour cursive. Les apprenants semblent
sions majeures sont impliquées dans encoder les syllabes et composer capables d’associer des caractères
l’écriture, en particulier les dimen- les mots. De ce fait, la production différents en lecture et en écriture
sions cognitives et sémantiques. manuscrite des lettres permet une et l’apprentissage de la cursive ne
Dans cette perspective, l’écriture a meilleure mémorisation des mots nuirait pas au transfert entre lecture
une visée sémiotique : on écrit pour écrits et contribue à leur meilleure et écriture.
produire du sens. C’est certes une reconnaissance en lecture, la mé-
activité qui nécessite une bonne moire sensorimotrice venant assister Même si le script semble offrir des
coordination motrice, mais elle a la mémoire visuelle. avantages à court terme en raison de
avant tout une finalité langagière. sa relative simplicité motrice (mou-
Les différents styles d’écri- vements moins complexes, proches
En début d’apprentissage, l’écriture ture : le script ou la cursive ? du dessin), il semble que les lettres
stimule la réflexion de l’élève sur détachées sont plus lentes et plus
les aspects phonographiques de Le style d’écriture qui doit être en- énergivores à produire que les lettres
la langue et l’amène à un véritable seigné en primaire fait encore l’objet attachées en raison des multiples
traitement cognitif lorsqu’il s’es- d’une controverse à travers les dif- levers de crayon, ce qui peut retarder
saie à écrire de manière autonome férents pays (Bara, Morin, Montési- l’automatisation du geste d’écrire.
(cf. les conceptions de l’écrit chez nos-Gelet, Lavo, 2011). Alors qu’au Par ailleurs, une mauvaise gestion
l’enfant, Ferreiro, 2000). De ce fait, Mexique seul le script est enseigné, des espaces entre les lettres et les
l’apprentissage de la lecture et de en France, en Belgique et en Suisse mots peut rendre parfois plus dif-
l’écriture sont en étroite interaction c’est la cursive qui est présentée aux ficile la lecture du texte produit en
et agissent comme des stimulateurs enfants, et ce dès la fin de l’école ma- script et les lettres miroirs y sont éga-
réciproques (Frith, 1985). ternelle. Au Québec et dans les autres lement relevées plus fréquemment.
provinces du Canada, comme dans A court et à long terme, l’écriture
Diverses recherches démontrent la plupart des États aux États-Unis, cursive semble avoir des avantages
que l’apprentissage de la lecture le script est généralement enseigné non-négligeables dans la fluidité de
s’améliore lorsque l’enfant pratique en première année de primaire et la l’écriture, ce qui se répercute comme
l’exploration active des lettres par cursive à partir de la deuxième ou de indiqué précédemment sur la qualité

13 A et a sont des allographes du même graphème.

Chapitre 4 : Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques 57


de l’orthographe et de la production 4.2. L’apprentissage collective : on ne copie bien qu’un
de textes. texte que l’on comprend. Pour pou-
de l’orthographe et les voir copier des mots entiers, il faut les
La première année d’apprentissage productions d’écrits avoir transformés en images men-
de l’écriture, il convient toutefois tales, les « voir dans sa tête ». Pour
d’éviter l’apprentissage simultané 4.2.1. La copie cela, l’enseignant doit favoriser une
des deux types de calligraphie afin de observation collective, verbalisée, de
faciliter l’automatisation des patrons La copie est un moment privilégié ce qu’il y a à écrire puis habituer les
moteurs des lettres dans un seul type d’attention à la bonne tenue du élèves à se faire une représentation
d’écriture (avant éventuellement crayon et à la posture du corps et de mentale des mots à copier afin de
d’utiliser l’autre). Pour soutenir cet la main qui jouent un rôle important les produire le plus fluidement et
apprentissage, un affichage perma- dans la qualité de la graphie et la rapidement possible sans trop de
nent dans la classe peut être utile vitesse d’exécution. Le propre de la retours au modèle. Pour préparer
pour rappeler le processus de forma- copie est de susciter la concentration les élèves à la copie, l’enseignant
tion des lettres de l’alphabet, éven- des élèves sur les mots dans leur peut utilement segmenter les unités
tuellement intégré dans un lignage construction graphémique, sylla- à copier et mettre en relief certaines
Seyès. En écriture cursive, outre les bique et morphologique pour pou- particularités afin de faciliter leur
informations verbales et kinesthé- voir les reproduire, ce qui a un effet mise en mémoire : segmenter un
siques apportées par l’enseignant assuré sur la mémorisation de leur mot en syllabes, attirer l’attention
en amont des tracés, des repères orthographe. En début d’apprentis- sur les particularités lexicales (lettres
visuels sur certaines « liaisons entre sage, cette mémorisation est facilitée muettes, consonnes doubles, ac-
les lettres » peuvent être fournis. lorsque l’élève prononce à haute cents), segmenter une phrase en
voix ce qu’il copie. La copie exige de groupe de sens, mettre en relief la
Fluidité d’écriture l’élève attention et concentration sur ponctuation, les majuscules, etc. Il
l’ordre des lettres et des segments peut demander aux élèves de verba-
Quoi qu’il en soit du type d’écriture à recopier. Elle lui demande de ré- liser leurs stratégies de copie. La vé-
choisi, l’objectif du travail sur les aliser une représentation mentale rification du texte copié fait ensuite
habiletés graphomotrices est d’aider du modèle à reproduire, exerce sa l’objet d’une relecture autonome de
les élèves à développer une écriture capacité de stockage en mémoire. l’élève avec une vérification fine du
lisible et fluide qui doit être produite Par la relecture, elle développe ses modèle source, puis un contrôle de
rapidement avec peu de ressources capacités d’autoévaluation et d’amé- la production par l’adulte.
attentionnelles. Or, les enseignants lioration de l’écrit.
semblent souvent se soucier davan-
tage de la lisibilité des tracés que de La maîtrise de la copie requiert des
la vitesse d’écriture. stratégies qui doivent être expliquées
Si la connaissance de l’écriture des par les enseignants. L’élève doit en
lettres isolées est nécessaire à une effet apprendre à mémoriser des
bonne appropriation de la forme, il unités graphiques de plus en plus
importe aussi de faire écrire rapide- complexes (syllabes, mots, groupes
ment des mots et, dès que possible, de sens) pour reproduire sans erreur
de courtes phrases pour que les un texte. Ce développement néces-
élèves acquièrent une liaison fluide site d’organiser, très régulièrement,
entre les lettres afin que l’écriture des phases de verbalisation avec
fasse sens au fur et à mesure qu’ils les élèves afin qu’ils fassent évoluer
écrivent. La limitation progressive leurs stratégies et leurs prises d’in-
du délai de réalisation de la tâche formation pour copier. Au fur et à
d’écriture peut être une stratégie mesure de l’apprentissage, l’atten-
efficace pour développer la fluidité tion doit porter non seulement sur le
d’écriture. Présentée sous forme lu- fonctionnement de la langue écrite,
dique, la stratégie du « regarder - ca- mais aussi sur les particularités lexi-
cher- écrire -comparer » par exemple cales de certains mots et sur les
peut permettre d’accroître l’usage de accords entre les mots. L’objectif est
la mémoire pour dépasser le « lettre d’arriver, au terme de la deuxième
à lettre » dans la réalisation écrite et année environ, à copier sans effort
contribuer à augmenter sa vitesse de et sans erreur une dizaine de lignes
production. en respectant la ponctuation et la
mise en page d’un texte.

La séance de copie doit être pré-


cédée d’une lecture individuelle ou

58 Chapitre 4 : Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques


Quelques exemples pour développer les stratégies de copie
Jeux de kim : l’enseignant demande aux élèves d’observer et de lire une série de lettres, de syllabes ou de mots écrits ou affichés au
tableau. Puis il efface ou retourne, un, deux ou trois éléments de la série et demande aux élèves de les écrire.

La copie flash : l’enseignant écrit au tableau un mot. Les élèves le lisent. Il leur demande ensuite de bien regarder le mot puis de l’épe-
ler mentalement. L’enseignant efface le mot et les élèves l’écrivent.

La copie différée : Le modèle est mis au verso d’une feuille ou à distance de la vue des élèves. L’essentiel est qu’au moment de la
copie, l’élève n’a plus le modèle sous les yeux, mais il peut le consulter si besoin. L’objectif est d’arriver à une copie sans erreur avec le
moins de retour au modèle possible.

La copie au verso surveillée : C’est une variante de la copie différée, en binôme. Un élève observe son camarade qui copie et note le
nombre de fois où son camarade a retourné sa feuille pour voir le modèle mis au verso. L’observateur (qui a un modèle identique sous
les yeux) surveille également l’orthographe de son camarade et l’aide à ne faire aucune erreur de copie. La vérification finale s’effectue
à partir du modèle. Puis, on inverse les rôles avec un autre support.

4.2.2. La dictée Les erreurs en dictée sont à considé- encore comme support d’évaluation
rer comme un matériau constitutif de des acquis.
Au début de l’apprentissage de la l’apprentissage. Il convient de relever
lecture, la dictée, comme la copie, les erreurs avec l’objectif d’apprendre
s’appuie sur des syllabes et des mots de celles-ci pour amener les élèves à
composés des graphèmes étudiés. s’autocorriger. Le feed-back doit être
Les activités de dictée et de copie immédiat.
doivent être quotidiennes pour pro-
duire des effets sur le long terme. La dictée peut être utilisée comme
Elles se complètent et doivent être un support d’entraînement, comme
enseignées avec rigueur. une situation d’apprentissage ou

Exemples pour l’entraînement


Dictée ritualisée de syllabes et de mots : l’encodage de syllabes ou de mots déchiffrables et compris à l’oral doit être travaillé tous
les jours et corrigé collectivement afin de suivre les élèves et de remédier aux difficultés éventuelles. Cela peut s’effectuer sur ardoise
ou sur cahier, ce dernier présentant l’avantage de garder la trace des progrès réalisés.

L’autodictée est une dictée que l’on effectue après avoir laissé le temps aux élèves d’apprendre et de mémoriser les mots14 ou phrases
dictées.

La dictée sans faute : la phrase est étudiée en classe la veille de la dictée. Elle est également écrite au verso de la feuille ou sur un
support éloigné et l’élève peut s’y référer s’il a un doute.

La phrase du jour consiste en une phrase dictée et déclinée sur une semaine (phrase courte pouvant comporter un mot difficile) et
dont un élément change chaque jour. Cela permet de traiter un problème particulier de manière ritualisée pour engendrer des auto-
matismes.
Exemples comme situation d’apprentissage

La dictée à l’adulte : le texte est écrit par l’enseignant sous la dictée des élèves, en suivant la linéarité des propos énoncés. Elle permet
aux élèves de prendre une posture de scripteur énonciateur, de comprendre la fonction communicative de l’écrit, tout en étant déchar-
gé de la réalisation matérielle de l’écrit. La production par l’élève de phrases et de petites histoires, tout en maîtrisant l’orthographe,
est porteur de plaisir et facilite la compréhension du passage de l’oral à l’écrit (ce qui se dit peut s’écrire mais on n’écrit pas comme on
parle : on fait attention à ce que l’on dit et à la manière de le dire, etc.).

La dictée à choix multiples fait travailler les mots stockés en mémoire. Il s’agit par exemple de donner différentes formes d’un mot et
de demander laquelle convient dans la phrase et pourquoi.
Les ……… vont à l’école. (élève, élèves, élèvent)

La dictée négociée permet un engagement actif de l’élève qui doit mobiliser ses connaissances et justifier ses choix en s’appuyant sur
des règles. Par exemple, l’enseignant dicte une ou deux phrases. Les élèves, par groupes, confrontent leurs écrits et se mettent d’ac-
cord après négociation sur la réécriture d’une seule production. Ils peuvent s’appuyer sur les outils de la classe (cahiers, livres, affiches
au mur…).

La dictée dialoguée permet de réfléchir sur les particularités lexicales ou grammaticales. Le professeur lit un texte, le dicte et le relit.
Les élèves sont invités à faire part de leurs doutes orthographiques.

La dictée guidée consiste à annoncer aux élèves le type de difficulté sur lequel ils devront porter leur attention (accord en genre,
accord des verbes, temps…). La relecture est également guidée.

14En français, voir les listes de fréquences lexicales pour l’étude des mots proposées sur : https://eduscol.education.fr/186/liste-de-
frequence-lexicale

Chapitre 4 : Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques 59


4.2.3. La production de textes

Dans le cadre d’une progression rai-


sonnée, les situations de production
d’écrits doivent être conduites dès
le début de l’apprentissage parallè-
lement aux situations de copie et de
dictée. Il s’agit de rendre l’élève pro-
ducteur d’un message. Ces activités
peuvent prendre appui sur la vie de la
classe ou sur des activités de décou-
verte du monde. Les recherches ont
montré que plus les élèves rédigent,
plus ils progressent. La production
de textes courts favorise l’acquisition Source : intervention d’Alamargot
des automatismes et des démarches Conférence de consensus Ecrire et Rédiger, CNESCO, 2018
qui seront ultérieurement mobilisés
dans l’élaboration des textes longs. phase terminale, au moment de la Comme indiqué précédemment, le
Plusieurs types d’écrits peuvent être mise au propre de l’écrit produit. français est une langue alphabétique
utilisés : à « orthographe » profonde, c’est-à-
L’ensemble des activités écrites dire une langue dans laquelle la rela-
Les écrits fictionnels qui permettent présentées dans ce chapitre contri- tion entre phonèmes et graphèmes
d’imaginer le début ou la suite d’une buent toutes à l’étude de la langue est souvent irrégulière.
histoire étudiée en classe, ou à partir (lexique, orthographe, grammaire).
d’une illustration-déclencheur ou Elles peuvent par ailleurs s’accompa- Le français est de plus une langue à
des images séquentielles. Il peut aus- gner de « moments décrochés » plus morphologie redondante, au sens où
si s’agir d’un récit collectif sous forme spécifiques pour renforcer l’étude de la catégorie du nombre ou du genre
d’album en mobilisant des connais- certains points de langue, en particu- par exemple se propage par accord
sances, des structures découvertes lier l’orthographe du français langue sur l’ensemble des constituants du
lors de lectures, en transposant une seconde, comme présenté ci-après. groupe, de même dans la propaga-
histoire (personnages, lieux) ; tion par accord de la personne du
4.2.4. L’orthographe du français verbe avec sa terminaison, cette
Les écrits fonctionnels permettent dernière pouvant varier selon les
de communiquer et de correspondre L’orthographe du français est à la fois temps et les modes. Par exemple,
(affichages, lettre, légende sous des une notation des sons de la langue, dans ce segment « les rares arbres
images) ; l’élève apprend de la sorte, progres- qui restaient » les marques du plu-
sivement, à établir un lien entre son riel sont reprises sur l’ensemble des
Les écrits spontanés comme expérience orale de la langue et sa mots du groupe article, adjectif, nom,
moyen d’expression (phrase du jour, notation écrite, mais l’orthographe verbe de la relative et l’élève peut de
la dictée à l’adulte, en lien avec la vie est aussi très étroitement associée la sorte les constituer en un groupe
personnelle des élèves…). dans son usage aux propriétés syn- fonctionnel. L’orthographe du fran-
taxiques de la langue et à la compo- çais est ainsi étroitement tributaire
Proposer une réflexion sur ce qui sition des mots, notamment dans de la syntaxe dans l’organisation du
est attendu comme texte, planifier leur dimension morphologique qui groupe nominal et du groupe verbal,
et réviser conduisent les élèves à n’est pas systématiquement audible comme dans celle de la phrase de
mieux contrôler la réalisation de à l’oral. Elle est ainsi un outil, parmi façon plus générale.
leur production. Lors de la première d’autres, qui contribue au traite-
phase de la production d’un écrit, ment des mots en lecture et qui Enfin, le français est une langue qui
l’enseignant doit se placer en lecteur permet de repérer leur agencement note, souvent, l’origine étymolo-
plutôt qu’en évaluateur du travail en unités plus grandes, l’usage des gique du nom et le situe de la sorte
de l’élève. Dans un souci d’enrichis- blancs, de la ponctuation, des va- dans un espace de sens particulier,
sement, il peut aider les élèves à riations graphiques, du découpage le « chant » et le « champ », la « voix »
réfléchir sur leur texte sous forme en paragraphe permettant à l’élève et la « voie », ce que l’on appelle les
d’un dialogue focalisé sur le contenu de construire la signification des homophones, mais dont la différen-
et son organisation, sa mise en mots phrases et du texte. Nous voulons ciation situe le mot dans un autre
et non sur des aspects formels. Une donc ici insister sur l’importance espace sémantique.
évaluation de l’orthographe semble des prises d’indices orthographiques
prématurée à ce premier moment dans le traitement de l’écrit. Toutes ces raisons font de l’ortho-
de la production d’écrits. La révision graphe un objet particulièrement
orthographique s’effectue plutôt en

60 Chapitre 4 : Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques


complexe qui joue un rôle important Il est à noter que le fait de ne pas
sur l’évolution des performances connaître le sens du mot à écrire (ex :
de l’élève en lecture et surtout en dictée non préparée, prise de notes)
écriture. augmente encore ces difficultés.

Ce que nous savons aujourd’hui des Pour accompagner l’acquisition de


façons d’apprendre et des caractéris- l’orthographe lexicale en français,
tiques de l’orthographe du français l’école doit donc soutenir la mémo-
invite à distinguer apprentissage de risation des mots à orthographier
l’orthographe lexicale et apprentis- par les élèves.
sage de l’orthographe grammaticale.
Quelques repères pour favoriser la mémorisation des mots à orthographier
4.2.4.1. L’orthographe lexicale
La sélection des mots : il convient de commencer par faire apprendre les mots ou ex-
pressions utiles dans les différentes disciplines : ceux et celles dont les élèves ont besoin
En français, peu de mots s’écrivent pour écrire leurs textes ou copier un résumé lié aux apprentissages scolaires. En effet, la
« comme ils se prononcent » : on mémorisation s’effectue mieux lorsque les élèves perçoivent l’enjeu immédiat de leurs
ne peut pas les deviner (passiant ? efforts (par exemple, leur rapidité à copier s’accroît lorsqu’ils ont mémorisé l’orthographe
des mots). Ensuite, la progression des mots à apprendre pourra s’établir en prenant appui
patient ?). Certes le scripteur peut sur des listes de fréquence et/ou de difficulté en fonction de l’âge des élèves. Quelques
s’appuyer sur ses connaissances outils possibles :
phonèmes-graphèmes, sur certaines
régularités morphologiques, mais il Liste des 1 462 mots les plus fréquents de la langue écrite française :
https://cache.media.eduscol.education.fr/file/ecole/20/6/liste-mots-par-fre-
lui faut apprendre quels graphèmes quence_115206.pdf
particuliers composent chaque mot.
Comme le soulignent Brissaud et L’Echelle Dubois-Buysse qui classe 3724 termes en fonction de leur difficulté
Cogis (2011 p.12), plusieurs facteurs orthographique en 43 échelons de mots de difficulté équivalente :
https://www.logicieleducatif.fr/francais/lecture/dubois-buyse.php
compliquent la mémorisation des
mots en français : Pothier B. & Pothier P. (2003). ÉOLE - Échelle d’acquisition en Orthograghe LExi-
cale, Retz
La fréquence du mot : un mot ra-
Manipuler les mots à apprendre : une fois sélectionnés, les mots sont donnés à classer
rement rencontré est généralement aux élèves. Il est en effet prouvé que l’on retient mieux ce que l’on manipule. Les élèves
plus difficile à écrire parce que la mé- peuvent donc être invités à rechercher des indices pertinents pour organiser des catégo-
morisation orthographique repose ries de mots.
sur la fréquence des rencontres ;
Les similarités morphologiques seront utilement mises en évidence pour établir ces clas-
sements ou/des listes (Africain, Américain, etc.)
La fréquence des graphèmes-
phonèmes : un graphème rare com- Soutenir la mémorisation des mots en effectuant des jeux : observer le mot, relever
plique la difficulté du mot à écrire, ses particularités, puis effacer le mot avant de le recopier, recopier des mots qui sont
écrits au verso de la feuille, etc.
même s’il s’agit d’un mot relative-
ment fréquent (ex : toboggan) ; Amener les élèves à réviser l’orthographe des mots étudiés, en particulier celle de ceux
qu’ils ont du mal à mémoriser. Tâche à éventuellement effectuer en duo, un écrivain et un
Le nombre de graphèmes po- correcteur, les rôles étant ensuite permutés.
tentiels : certains phonèmes se
transcrivent par un seul graphème
(ex : mouton), pour d’autres le choix
est large (ex : reine, rainette) ;

Les lettres muettes : de nom-


breux mots en français se terminent
par une lettre muette, sans qu’il
soit toujours facile de se rappeler
laquelle (souris, tapis, marchand).
Paradoxalement, des mots qui
s’écrivent comme ils se prononcent
(ex : fourmi) ne sont pas forcément
les plus faciles à écrire (fourmis ?) et
du coup, on n’est plus vraiment sûr...

La distinction des mots homo-


phones (ex : paire, père, pair, perd),
lequel choisir ?

Chapitre 4 : Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques 61


4.2.4.2. L’orthographe grammaticale Les règles de composition de mots Sur le versant de l’écriture, le temps
doivent ainsi progressivement être passé à apprendre et la répétition
Connaître l’orthographe lexicale ne acquises. Dans ces conditions, l’or- de l’activité semblent être les res-
suffit pas en français, puisque cer- thographe joue un rôle important sources principales de l’apprentis-
tains mots varient (cf. les chaînes dans l’identification des mots, dans sage de l’orthographe grammaticale.
d’accord) et d’autres pas (ex : prépo- leur nature, comme dans leur fonc- La recherche en psycholinguistique,
sitions, adverbes, etc.). Or, les varia- tion. Repérer les préfixes et/ou les ainsi que différentes évaluations
tions ne sont pas toujours audibles suffixes permet de rattacher le mot nationales, montrent que les élèves
dans le langage oral (ex : un chien, à un radical connu et à en inférer le n’intègrent pas le pluriel du nom,
deux chiens). sens, par exemple « déforestation » de l’adjectif et du verbe à la même
ou encore « les bois et les forêts vitesse. En français langue mater-
Leurs langues maternelles présen- repoussaient ». nelle, on constate par exemple que
tant des contraintes syntaxiques sou- le pluriel du nom est correct chez
vent très éloignées de celles du fran- Le français est une langue à syn- presque la totalité des élèves en fin
çais (ordre des mots dans la groupe taxe positionnelle dans laquelle de scolarité primaire, mais que le plu-
et des groupes dans la phrase, sys- l’ordre des mots définit pour partie riel du verbe ne l’est à cette époque
tème flexionnel des verbes, valeurs la fonction, en tenant compte de ce que chez moins d’un élève sur deux.
d’usage des temps et des modes, qui se trouve à gauche du verbe – le De ce fait, il est désormais reconnu
pour ne citer ici que quelques points), système d’accord joue ici à plein- et que l’apprentissage de l’orthographe
les élèves ne peuvent entrer dans ce qui se trouve à droite, complé- doit se poursuivre au moins jusqu’à
l’orthographe du français sans dis- ments divers, dont le lien est moins la fin de la scolarité au collège et
poser, au moins implicitement dans évident, pour lesquels il n’y a pas qu’il nécessite, tout au long de l’en-
les premiers moments de l’apprentis- d’accord morphologique. Le posi- seignement fondamental, de très
sage, de repères en langue qui leur tionnement à gauche définit dans nombreux rappels et entraînements.
permettront de donner sens à ce la plus grande partie des cas, mais il
nouveau système orthographique. existe des cas d’inversion du sujet, Face à la complexité de cet appren-
la fonction sujet. L’élève peut de la tissage, la progression doit être pru-
Ainsi, dans une langue isolante sorte identifier le sujet de l’action, demment dosée et, pour que des
comme le bambara, c’est-à-dire une puis l’action proprement dite et l’ob- progrès soient sensibles, il convient
langue dans laquelle la forme des jet de cette action : « Des volontaires de faire étudier aux élèves des no-
mots est peu modifiée, ce sont des ratissent les plages. Ils ont chacun tions qui sont à leur portée (cf. zone
mots fonctionnels qui sont notam- un grand sac, un râteau, des bottes proximale de développement, Vy-
ment chargés d’en préciser les pro- et des gants. Ils marchent dans gotsky). Selon Brissaud et Cogis (2011
priétés grammaticales. Certains as- l’eau. Ils ramassent des détritus : p.17), pour l’orthographe grammati-
pects du bambara, comme l’absence des bouteilles, des cannettes, des cale, les progressions devraient tenir
de genre grammatical, les particula- filets et même une vieille table. » compte de leurs possibilités de com-
rités d’accord (pluriel marqué par un On observera le rôle joué par les préhension des notions syntaxiques
suffixe mais signalé après l’adjectif signes de ponctuation, les « deux et morphologiques correspondant
quand le nom est modifié par un points » ouvrant une énumération, aux structures qu’ils utilisent dans
adjectif, verbe qui ne s’accorde pas les « virgules » ponctuant les élé- leurs écrits. Cette progression doit
avec le sujet15), etc. peuvent dérouter ments de cette énumération. associer des temps d’enseignements
l’élève lorsqu’il se trouve confronté grammaticaux, mettre en évidence
au système français, très différent, L’écrit constitue de la sorte un sys- des critères de décision (comment
et présentant une grande complexi- tème propre16, certains parlent de savoir qu’il s’agit d’un verbe, d’un
té flexionnelle. Il devra y accorder matière graphique, qui, au-delà participe présent, d’un adverbe ?)
une attention toute particulière en du traitement de la relation pho- et proposer des entraînements pro-
lecture pour accéder à la compré- nie-graphie, notamment en lecture, pices à la mise en place de procé-
hension. Ainsi l’élève devra être ca- réclame qu’une attention particulière dures d’accord automatisables. « La
pable de décomposer le verbe en sa soit accordée aux indices orthogra- progression conceptuelle doit identifier
racine et ses marques flexionnelles phiques qui aideront les élèves à la hiérarchie des difficultés à aborder
qui intègrent à la fois la personne, le avancer dans le texte et à utiliser les et à dominer, alors que la progression
temps et le mode. marques de flexions pour associer pratique doit assurer la réalisation des
entre eux les mots et accéder au sens accords dans des situations de plus en
des phrases. plus coûteuses en ce qui concerne la
mémoire et l’attention : de l’exercice

15 Voir Fiche-langue Valentin Vydrine (Inalco), Le bambara, LGIDF


Sans vouloir constituer l’écrit en système radicalement autonome, constatons cependant que le découpage en paragraphes, les blancs, la
16
ponctuation, les majuscules, la présence d’une graphie qui ne dispose pas de correspondants à l’oral, définissent un univers d’écriture qui
doit faire l’objet d’un apprentissage propre.

62 Chapitre 4 : Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques


de complètement de mots à la pro-
duction orthographique correcte au
cours de la rédaction de textes, en pas-
sant par la production sous dictée de
mots, puis de phrases. » (Op cit, p.95).
Cette appropriation progressive des
connaissances orthographiques doit
en outre passer par une diversité
des modes de travail pour découvrir,
approfondir, clarifier et automatiser
les règles orthographiques.

Un enseignement explicite dans le-


quel les marques sont présentées,
les règles énoncées et les accords
pratiqués dans des situations variées
semble avoir un effet rapide, positif
et stable sur des périodes d’entraî-
nement de quelques semaines. Pour
autant en production, lorsque les
élèves doivent eux-mêmes rédiger,
les erreurs apparaissent souvent
beaucoup plus nombreuses, en par-
ticulier au niveau des accords. Ce
sont le plus souvent des omissions
(ex : ils mange), qui d’ailleurs peuvent
encore survenir chez les adultes. La
remémoration des marques s’avère
en effet coûteuse en attention, au
moment où cette attention est mobi-
lisée principalement par le processus
rédactionnel et l’écriture elle-même.
De ce fait, il convient d’interpréter les
erreurs commises à l’écrit comme
des traces d’une appropriation pro-
gressive de la norme orthographique
par les élèves. L’enseignant doit
s’attacher à mener une évaluation
formative des réalisations rendant
visibles les progrès accomplis au
fur et à mesure des productions et
fixant des objectifs limités et acces-
sibles en termes d’auto-correction
par les élèves. Cela étant, il convient
de systématiquement corriger les
productions mal orthographiées
pour éviter une mémorisation des
formes erronées.

Chapitre 4 : Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques 63


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64 Chapitre 4 : Apprendre à lire : associer l’écriture en variant les pratiques


65
Chapitre 5
Compréhension en
lecture, langage et
enseignement

66
Toute personne qui a appris à lire Les capacités d’identification
dans un système alphabétique peut des mots
déchiffrer/décoder les trois mots
de cette expression écrite en danois L’activation et la sélection
« held og lykke ». Nous pouvons des connaissances stockées en
en former une prononciation, sans mémoire
garantie cependant qu’elle corres-
ponde à des mots danois et sans Des habiletés propres au trai-
savoir ce qu’ils signifient si nous tement des discours continus
ignorons tout de cette langue. Nous
avons décodé mais ne savons pas L’efficience cognitive générale
ce que nous avons lu. Pour que la des individus
compréhension puisse s’exercer,
les mots identifiés doivent activer, Connaissances et mécanismes impliqués dans la compréhension des textes.
dans la mémoire du lecteur, des
significations qui seront plus ou
moins denses et précises en fonc-
tion de la familiarité de ce dernier
avec la langue et le thème du texte.
En d’autres termes, le sens ne dé-
coule pas systématiquement de
l’identification des mots.

Savoir identifier les mots est donc


une condition nécessaire mais non
suffisante comme l’a établi le modèle
simple de la lecture faisant de la
compréhension en lecture un produit
de l’identification des mots et de la
bonne intégration des processus de
la compréhension à l’oral.

Dans l’enseignement, les deux activi- L’identification des mots est un les marqueurs de cette organisation
tés, apprendre à lire et à apprendre à préalable à l’exercice de la compré- au niveau microstructural (de la
comprendre, sont complémentaires hension qui ne peut évidemment ponctuation à l’organisation des
et s’enseignent à travers des activités démarrer qu’à partir du moment paragraphes) mais aussi, à un ni-
différentes. où les mots, entendus ou imprimés, veau macrostructural qui concerne
sont identifiés. Les mécanismes de les propriétés argumentatives par-
5.1. La compréhension, reconnaissance des mots doivent ticulières aux types de textes. Les
être construits et suffisamment textes traitent enfin de thèmes par-
une activité cognitive automatisés pour permettre une ticuliers qui font écho, à des degrés
complexe reconnaissance fluide (cf. chapitre divers, aux connaissances propres
précédent). du lecteur (ses connaissances sur
La figure ci-dessous résume le le monde). Celles-ci l’aident à com-
consensus actuel quant aux connais- 5.1.1. Les connaissances prendre certaines informations lais-
sances et mécanismes engagés dans sées implicites dans les énoncés et
cette activité (d’après Bianco, 2017). Comme l’illustre l’exemple intro- à ancrer les contenus exprimés à
La compréhension approfondie d’un ductif, la compréhension démarre ses connaissances, autrement dit à
texte sollicite, dans un temps bref lorsque les mots reconnus activent apprendre à partir des lectures.
et souvent simultanément, quatre les significations correspondantes
grandes catégories d’habiletés : dans la mémoire lexicale ; celles-
ci doivent ensuite être liées entre
elles à l’intérieur de la phrase par le
recours aux connaissances relatives
à l’organisation morpho-syntaxique
des énoncés. Les textes ont en outre
une organisation linguistique origi-
nale non réductible à la somme des
phrases qui les composent. Les lec-
teurs doivent apprendre à identifier

Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement 67


5.1.1.1. Les connaissances lan- et de la qualité des représentations monter un défaut de connaissance.
gagières lexicales (Perfetti, 2007), autrement Ces stratégies sont pour l’essentiel
dit la précision de la connaissance. destinées à analyser explicitement
5.1.1.1.1. Les connaissances lexicales la structure formelle d’un mot ainsi
L’acquisition du vocabulaire relève que les indices contextuels permet-
Le vocabulaire est essentiel à la d’apprentissages multiples. Les en- tant d’en inférer la signification. Les
compréhension parce qu’il assure fants apprennent les mots de leur recherches ont montré que cet en-
le lien entre l’identification des langue maternelle de manière im- seignement de stratégies a des effets
mots et la compréhension. La mé- plicite sous l’effet des interactions bénéfiques sur la compréhension
connaissance de quelques mots peut verbales et grâce à l’attention portée et qu’il profite avant tout aux plus
rendre la compréhension difficile, à la situation d’interaction partagée faibles lecteurs (Elleman, 2009).
voire impossible. On estime que 90% avec l’adulte. Cet apprentissage im-
des mots doivent être connus pour plicite se poursuit tout au long de 5.1.1.1.2. Les traitements syn-
qu’un lecteur comprennent sans la vie. Les enfants devenus lecteurs taxiques et lexico-sémantiques
difficulté un texte et qu’il puisse, le rencontrent grâce à leurs lectures de
cas échéant, inférer le sens de ceux nombreux mots qui n’appartiennent La phrase exprime une idée cohé-
qu’il ne connaît pas, par exemple pas à leur vocabulaire mais qu’ils rente que la simple addition de la
celui du mot « pyrale » dans la phrase apprennent implicitement, pour peu signification de chacun des mots qui
ci-dessous : qu’ils les rencontrent de manière la compose ne permet pas d’extraire.
suffisamment fréquente dans des Pour cela, il faut affecter des rôles
La pyrale adulte se nourrit du contextes variés (on parle aussi d’au- (agent qui fait l’action, patient qui
nectar des fleurs. to-apprentissage). La probabilité de la subit, etc…) aux différents consti-
cet apprentissage incident du voca- tuants. Cette attribution repose
Les mots « adulte » et « nourrit » per- bulaire par la lecture est cependant sur des indices variés : syntaxiques
mettent de penser (d’inférer) qu’une relativement faible (de 5 à 15% des (ordre des mots, segmentation des
pyrale est un animal, même si nous mots inconnus rencontrés) et elle dé- groupes nominaux), morphosyn-
ne savons pas précisément à quoi il pend de l’âge et du niveau de lecture : taxiques (marques de genre, de
ressemble. En effet, la connaissance ce sont les enfants les plus âgés et nombre, flexions verbales…) et lexi-
des mots n’est pas uniforme. Dans les meilleurs lecteurs qui apprennent co-sémantiques (l’agent est souvent
le lexique de chaque individu co- plus de mots nouveaux en lisant un être animé). L’interprétation d’une
habitent des mots plus ou moins (Swanborn & de Glopper, 1999). phrase résulte donc de la capacité
précisément connus. La connais- à intégrer la contribution de ces
sance d’un mot s’échelonne sur un Le vocabulaire s’apprend aussi de différents indices dans une représen-
continuum qu’on peut segmenter manière explicite lorsqu’il est ensei- tation d’ensemble. Lors de l’acqui-
ainsi : la méconnaissance complète, gné directement. Quel que soit le sition du langage, les compétences
la connaissance de l’existence du mot mode d’apprentissage, implicite ou syntaxiques et morphosyntaxiques
(savoir qu’il fait partie de la langue explicite, l’utilisation répétée dans émergent au cours de la seconde
sans en connaître la signification), des contextes variés garantit la mé- année de vie mais leur acquisition
la connaissance approximative de morisation à long terme des mots. se poursuit tout au long de l’enfance
sa forme et de sa/ses significations et ne parvient à un mode de fonc-
(savoir qu’une pyrale est un nom fé- Deux approches peuvent être en- tionnement achevé qu’au milieu de
minin et que c’est un animal) et enfin visagées pour l’enseigner à l’école : l’adolescence. En français langue ma-
la connaissance précise (savoir qu’un ternelle et à l’oral, les structures syn-
pyrale est un nom féminin, que c’est Un enseignement direct à tra- taxiques les plus complexes (formes
un insecte de la famille des papillons vers des leçons de vocabulaire. relatives et passives en particulier)
dont la chenille attaque les vignes…). restent longtemps difficiles à com-
La précision de la connaissance d’un Un enseignement de stratégies prendre par les enfants. Par exemple,
mot est désignée aujourd’hui par les pour comprendre les mots non ou entre la deuxième et la quatrième an-
termes « profondeur » ou « qualité » mal connus quand ils sont rencon- née, la compréhension des relatives
de la représentation lexicale. Une trés dans les textes. s’améliore mais les relatives en « qui »
représentation lexicale de qualité (Le chien qui poursuit le chat est
contient à la fois la forme du mot Ces deux formes d’enseignement noir.) sont comprises plus tôt que les
(sa phonologie, sa morphologie, son sont complémentaires. La première a relatives en « que » (Le chien que pour-
orthographe), sa (ou ses) significa- pour objectif d’augmenter l’étendue suit le chat est noir.). Les contraintes
tions(s) ainsi que la(es) catégorie(s) et la profondeur du vocabulaire. La sémantiques et pragmatiques ont
grammaticale(s) auxquelles il appar- seconde cherche à développer une également un poids important et
tient. La relation entre la compréhen- vigilance aux mots rencontrés dans rendent la compréhension d’une
sion et le vocabulaire dépend donc à les textes et à doter les élèves de même structure syntaxique plus
la fois de son étendue (la quantité de raisonnements, autrement dit de ou moins difficile; par exemple, la
mots connus, même partiellement) stratégies, leur permettant de sur- plausibilité des relations évoquées

68 Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement


par rapport à la situation décrite troactions sont envisageables entre 1 Les aspects notionnels, autrement
rend la compréhension d’une phrase la L2 et la L1 - appelle la mise en dit les notions de base qui sont en
passive telle que « Le gâteau est pré- place d’un outil de comparaison dont arrière-plan des systèmes gramma-
paré par le pâtissier. » plus facile et la fonction sera de permettre aux ticaux, en L1 et en L2, les formes
plus précoce que celle de la phrase élèves de confronter sur des valeurs de grammaticalisation d’une même
« Le garçon est poussé par la fille. », de sens partagées, les solutions, syn- notion variant selon les langues.
dans laquelle les deux personnages taxiques, morphologiques, adoptées Comment, par exemple, on caracté-
peuvent occuper indifféremment les dans chacune des langues. rise en wolof, en lingala, en soninké
fonctions sémantiques d’agent et de ou en français.
patient (Fayol et al. , 2000). En effet, s’en tenir à une approche
comparée portant sur des éléments 2 Les aspects proprement linguis-
Dans le cas d’un enseignement bi- de détail de chacun des systèmes tiques, c’est-à-dire les particularités
lingue, l’élève entreprend ce par- linguistiques conduirait à établir syntaxiques et morphologiques des
cours en L1 selon les progressions des listes considérables de points langues en contraste.
convenues en lecture, parcours dans grammaticaux dont la cohérence
lequel la nature et l’ordre des mots générale échapperait très rapide-
va jouer un rôle de plus en plus ment à l’élève. Le passage à la L2,
important tel que l’illustre l’exemple le français en l’occurrence pour les
ci-dessous en langue boulou17 (sud situations qui nous intéressent, ne
du Cameroun) : saurait prendre la forme de leçons

Cette dimension de l’apprentis- de grammaire comparée, même


sage sera reprise en L2 selon une envisagées dans leur forme réduite.
approche comparative qui pour- Pour assurer un transfert efficace,
ra s’appuyer sur la perception de c’est-à-dire un transfert qui ne
notions/fonctions communes aux confronte pas l’élève à une multi-
deux langues, à partir de saynètes, plicité de solutions grammaticales
de petits récits, d’images, la compa- intervenant au hasard des leçons,
raison permettant de repérer des qu’il s’agisse d’un travail oral ou
zones de proximité et d’écart (par d’activités de lecture, il convient de
exemple dans l’ordre des mots, dans s’appuyer sur un dispositif qui va
la morphologie), avec les formes permettre, tout d’abord au maître,
particulières de grammaticalisation de mieux situer l’effort à conduire et
dans chacune des deux langues. de permettre à l’élève d’engager ce
que certains linguistes appellent un
Point sur l’acquisition de la syntaxe mouvement de pensée qui permet
dans un contexte plurilingue d’aller du sens à la forme, dans une
logique qui initialement est celle déjà
Dans un contexte bilingue, une at- présente dans l’usage de la L1 et de
tention particulière sera portée aux découvrir les solutions proposées
erreurs pouvant provenir d’interfé- (offertes) par la L218.
rences entre la L1 des apprentis lec-
teurs et le français L2 aux différents Les propriétés de la langue, en vue
niveaux du langage intervenant dans d’en favoriser l’acquisition, peuvent
l’apprentissage de la lecture-écriture. ainsi être envisagées sous deux pers-
Tout transfert de compétence, dans pectives complémentaires (Vigner,
un sens comme dans l’autre - des ré- 2004, 2017) :

17Extrait de L’Histoire de l’âne en boulou (en traduction au mot à mot et en traduction française https://sfl2.prod.lamp.cnrs.fr/jeux-lgidf/
histoire_ane/boulou.html
18L’objectif n’est pas d’approcher les différentes valeurs prises par une forme dans différents contextes, mais de regrouper les formes de
base en usage autour d’une notion donnée pour dans une deuxième étape s’en approprier les contraintes syntaxiques et morphologiques
d’usage. Sur lien grammaire-sens, voir J. Courtillon (1976) , P. Charaudeau (1992) G.D. de Salins (1996)

Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement 69


Aspects notionnels
Le passage de la L1 à la L2 pourra s’opérer à partir du tableau suivant :
L1 (1) Notion/fonction L2 (2)
c’est un/une
Présenter (montrer, identifier, définir, il existe
constater) il y a
c’est X qui
défini : le chat a mangé.
indéfini : un chat est rentré dans la
maison.
Déterminer/actualiser générique : le chat est un félin.
dépendance/possession
totalité/partie
quantification
adjectif qualificatif (degré de qualité),
Caractériser (caractérisation directe, carac- (comparaison)
térisation développée) complément de nom
proposition relative
situer par rapport à une date/ un mo-
ment/selon une répétition
Situer une action / un processus dans le
antériorité : avant
temps
simultanéité : pendant
postériorité : après
ici, là
à droite, à gauche…
Situer une action, un processus dans au-dessus, au-dessous, au milieu, de-
l’espace vant, derrière ….
préposition/locution de lieu
verbes de déplacement…
époque, présent, passé, futur
déroulement : accomplissement /
accompli
La vision de l’action, la représentation d’un ancrage temporel
événement dans le temps étapes du déroulement
l’éventuel
la condition
l’irréel
Faire/agir verbes en faire et voix passive
la cause
Expliquer/raisonner la conséquence
le but

L1 (1) Le choix des formes dépendra de la langue prise comme point de départ. L2 (2) Les réalisations grammaticales attendues pourront
être si nécessaire précisées selon les niveaux dans l’école primaire, jusqu’au début du collège.

70 Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement


Aspects linguistiques

Il ne saurait être question ici de mettre en contraste les L1 et la L2 (le français), compte tenu de la diversité de forme des L1. En re-
vanche, il est possible de signaler un certain nombre de points (ceux qui correspondent aux formes entre lesquelles une différence
pourra être source de difficulté (sans recherche ici, au moins dans l’immédiat, d’exhaustivité) et qui appellera un traitement pédago-
gique approprié19, comme un usage organisé, dans les activités orales ou dans l’élaboration/sélection de textes à lire.

le genre : masculin, féminin, classe nominale, et propagation du genre ou non aux éléments d’accompagnement du nom.
Non-concordance des genres selon les langues.

le nombre : singulier, pluriel, mais aussi duel, avec ou non sans accord (le marqueur de pluriel n’apparaît qu’une fois).

les déterminants : positionnement, langues sans articles (noms nus) ou avec articles à usage restreint (sans déterminants définis
par exemple).

les adjectifs épithètes : positionnement, les correspondances, adjectif (fr.) – verbe d’état (wolof)

degré, comparaison : très grandes variations des formes d’une langue à l’autre.

complément du nom : position dans le groupe nominal, avec ou sans marquage.

proposition relative : absence ou présence de la relative, reprise ou non de l’antécédent dans la relative, formes du relatif, va-
riable ou invariable. Position de la relative

verbes : pronominaux ou non, marques de temps, de mode et d’aspect, certaines langues l’intègrent au verbe, d’autres non et
peuvent utiliser des marqueurs externes : accord ou non, accord en genre et en nombre, selon.

ordre des constituants dans la phrase de base : SVC, SCV ou VCS

les pronoms : pronoms personnels, possessifs. Formes différentes ou non pour les pronoms personnels -avec ou sans marque
du genre grammatical-, place des pronoms sujets par rapport aux verbes, place et forme des pronoms objets. Les possessifs, place,
accord ou non.

les modes : pas d’équivalents du subjonctif dans certaines langues, différences d’usage du subjonctif selon les langues.

être et avoir : absence d’équivalents dans toutes les langues.

négation : selon les langues, négation discontinue ou usage d’un seul marqueur de négation.

interrogation totale : usage de l’intonation, usage d’un marqueur spécialisé.

interrogation partielle : position de l’expression interrogative, en tête ou dans sa position ordinaire dans la phrase.

l’exclamation : les marqueurs d’intensité, l’ordre des mots, marqueurs grammaticaux.

l’injonction : parfois formes différentes à l’affirmatif et en forme négative.

5.1.1.1.3. L’organisation textuelle leurs buts et intentions fondent l’or- narrations, ils contiennent moins de
ganisation temporelle et causale mots familiers mais leur syntaxe est
Les textes ont enfin une organisa- des événements de l’histoire. Par plus simple et les marques de cohé-
tion linguistique originale qui sont comparaison, les textes documen- sion référentielle (présence de pro-
marquées à l’écrit par de nombreux taires sont destinés à informer. Les noms, expressions répétées…) plus
indicateurs : la ponctuation, la struc- idées sont organisées logiquement fréquentes. En fonction des textes
ture des paragraphes, les titres, les et combinent souvent différentes proposés, les différentes habiletés
intertitres, les sommaires, sont autant structures typiques de l’exposition, langagières sont donc sollicitées à des
de marques qui concourent, quand telles que la description, l’énumé- degrés divers et un même individu
elles sont connues, à la compréhen- ration, la comparaison, l’exposition atteindra des niveaux de compré-
sion de la cohérence du texte. Au-delà de chaînes causales ou de raisonne- hension différents en fonction des
de ces organisateurs généraux, les ment visant à résoudre un problème textes qu’il doit traiter.
différents types de textes ont des pro- (Bianco, 2017 ; Fayol et al., 2000).
priétés argumentatives particulières. Les documentaires se distinguent
Par exemple, la structure narrative est aussi par leur composition lexicale
organisée autour des personnages ; et morphosyntaxique. Comparés aux

19Sur les comparaisons entre langues africaines et français, on pourra se reporter aux travaux des différents groupes ayant travaillé dans le
cadre du programme ELAN sur l’élaboration de bi-grammaires https://www.yumpu.com/fr/document/view/16521993/bi-grammaire-fulfulde-
francais-initiative-elan-afrique. On consultera encore les fiches-langues du groupe de travail L.G.(ID).F, Langues et grammaire en (Ile-de) France,
celles consacrées aux langues africaines https://lgidf.cnrs.fr/fiches-langues.

Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement 71


5.1.1.2. Les connaissances « sur le sation permet à la fois de percevoir Par exemple, dans l’extrait suivant :
monde » la continuité et la progression du /
des thème(s) abordé(s). Les déter- Leuk le lièvre aperçoit l’homme et
On sait depuis longtemps que nos minants et les pronoms, et plus gé- l’observe de loin. Cet animal doit être
connaissances culturelles – nos néralement les expressions anapho- très dangereux car il commande à des
connaissances sur le monde - sont riques, ont une fonction référentielle animaux plus gros que lui.
un paramètre important de la et assurent la continuité thématique
compréhension (Bianco, 2015). De dans l’enchaînement des énoncés. Les pronoms l’, il et lui ainsi que
nombreuses recherches ont mon- Les connecteurs et les marques de l’expression définie cet animal (on
tré depuis 40 ans que ces connais- ponctuation signent quant à eux la parle de reprises anaphoriques) dé-
sances facilitent la compréhension progression thématique (Fayol et signent tous le même personnage :
et peuvent pallier un faible niveau al. 2000). En somme, les marques l’homme. Pour percevoir ces deux
de lecture. Ainsi, des bons lecteurs de cohésion représentent des ins- phrases comme un discours continu
ayant peu de connaissances sur le tructions indiquant au lecteur que formant un tout, il faut savoir inter-
thème traité dans un texte, ne le des relations sont à établir entre les préter ces 4 termes qui garantissent
comprennent pas mieux que des énoncés ; elles peuvent donc faciliter leur cohésion.
faibles lecteurs ayant de bonnes la compréhension - et notamment la
connaissances de ce dernier. Dans réalisation des inférences - à condi- Les inférences de connaissances
un contexte d’enseignement où tion que leur fonctionnement et leur (parfois appelées inférences prag-
les textes proposés abordent des signification soient maîtrisés. matiques ou encore élaborations)
thèmes ou des notions éloignés sont sollicitées lorsque la relation
de la culture propre des élèves, ce La cohérence globale concerne la à établir fait appel à des informa-
paramètre revêt une importance compréhension de l’organisation tions externes, celles dont l’individu
particulière. Il peut être nécessaire du discours dans son ensemble : dispose par rapport à la situation
de travailler particulièrement les no- les thèmes et sous-thèmes déve- évoquée dans l’énoncé ; Par exemple,
tions abordées et les confronter aux loppés, leur organisation logique et dans la phrase suivante :
connaissances actuelles des élèves, leur relation aux connaissances du
afin qu’ils prennent conscience des lecteur et aux conditions de l’énon- Léo pleure encore quand sa maman lui
différences éventuelles mais aussi ciation. Construire un modèle de la met un pansement sur le genou.
des apports de connaissances nou- situation demande au lecteur d’ana-
velles que contiennent les textes. Il lyser ces deux niveaux de cohérence Notre connaissance de la situation
n’en reste pas moins que, dans un qui sont interdépendants dans l’ac- évoquée permet de comprendre
premier temps d’apprentissage, il tivité de compréhension. sans difficulté la raison probable
faut être attentif à proposer des des pleurs de Léo et de l’action de sa
textes se référant à la culture parta- Deux types d’habiletés sont essen- mère. Nos connaissances connectent
gée par les élèves. tielles à l’élaboration de cette re- les deux événements, comme le sym-
présentation : les capacités d’au- bolise le graphique ci-après.
5.1.2. Les habiletés de compré- to-évaluation et de régulation et
hension des textes (ou discours les capacités inférentielles.
continu)
Les inférences permettent de sai-
Des habiletés particulières à la com- sir les relations, souvent implicites,
préhension des textes permettent entre les informations énoncées.
de construire la cohérence des idées On distingue traditionnellement les
exprimées et de s’en faire une re- inférences selon qu’elles relient des
présentation d’ensemble (cette re- informations présentes dans le texte,
présentation est le « modèle de la les inférences fondées sur le texte,
situation »). La cohérence des idées de celles qui font appel aux connais-
doit être saisie aux niveaux local et sances de l’individu, les inférences de
global. connaissances. Il s’agit des formes
de raisonnements construits à partir
La cohérence locale renvoie au des connaissances langagières et
concept de cohésion, c’est-à-dire culturelles et des capacités cognitives
aux relations qu’entretiennent les des individus.
informations énoncées d’une phrase
à l’autre. La cohésion est une pro- Les inférences fondées sur le texte
priété du texte et donne une mesure s’appuient souvent sur des unités lin-
de son organisation sémantique guistiques (les pronoms, les connec-
interne (Riegel et al 1994 ; Graesser teurs) qui signalent la nécessité d’éta-
& McNamara, 2011). Cette organi- blir une relation entre les énoncés.

72 Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement


5.1.3. Les capacités cognitives gé-
Léo s’est blessé. nérales

Les capacités limitées de notre


espace attentionnel ne nous per-
Léo pleure. Maman met un pansement. mettent pas d’analyser en une seule
fois l’ensemble des informations
dès lors que l’énoncé comprend
Saisir la cohérence des idées sup- laquelle « l’anesthésiste » se voit plus d’une phrase. L’extraction de la
pose aussi d’exercer un regard cri- attribuer le genre masculin, ce qui signification se fait donc petit à pe-
tique sur sa propre compréhension, peut s’expliquer à la fois par le genre tit, au cours de cycles successifs. La
autrement dit, d’exercer une veille grammatical du terme en français mémoire de travail doit maintenir
continue qui assure que les inter- et par un stéréotype social, intégré actives les informations qui viennent
prétations correspondent bien à ce à sa signification et activé en même d’être lues pour les connecter avec
que dit le texte. Il faut pour cela sa- temps que le mot lui-même. La lec- celles qui seront lues dans l’énoncé
voir autoévaluer et réguler ce que ture du pronom « elle » au début de suivant. La mémoire de travail joue
l’on comprend au fur et à mesure la deuxième phrase provoque une donc un rôle important pour assurer
de la lecture ou de l’audition d’un réaction d’éveil qui se traduit chez la mise en relations des informations.
texte. Cet aspect de la compréhen- le bon lecteur par un ralentissement Par ailleurs, contrôler sa compré-
sion est une activité stratégique ou du rythme de lecture indiquant qu’il hension et utiliser des stratégies
métacognitive. Elle comprend deux exerce une veille attentive sur ce sollicitent les capacités de planifica-
aspects distincts : l’autoévaluation qu’il comprend ou ne comprend pas tion et de flexibilité (les fonctions
qui permet de détecter un éven- au fur et à mesure de sa lecture. Ce exécutives) comme les capacités de
tuel défaut de compréhension et contrôle lui permet d’initier des régu- raisonnement de l’individu.
une activité de régulation destinée à lations au moyen de raisonnements
surmonter la difficulté décelée. Ces plus ou moins complexes. Dans
régulations, comme les inférences, l’exemple ci-dessus, le constat d’une
sont des formes de raisonnement, contradiction entre la représentation
c’est-à-dire des règles mentales (ou élaborée lors de la lecture de la pre-
procédures), mobilisables de ma- mière phrase et le pronom féminin
nière délibérée et sous le contrôle de la deuxième phrase, conduit le
de l’attention chaque fois qu’une lecteur à modifier son interprétation
difficulté est repérée. Deux exemples initiale en remplaçant le personnage
permettent d’illustrer ces activités masculin par un personnage féminin
d’auto-évaluation et de régulation : pour représenter l’anesthésiste.

1 dans la phrase : Max achète une Ce dernier exemple illustre aussi


souris pour son ordinateur ; que l’élaboration de la cohérence est
un processus continu et qu’elle im-
le mot souris étant polysémique, il plique souvent de « mettre à jour »,
faut connaître les deux sens du mot autrement dit d’affiner ou de trans-
et sélectionner le sens adapté au former des représentations initiales
contexte de la phrase pour la com- élaborées lors de la saisie des pre-
prendre correctement. Par ailleurs, mières informations. Ces activités
si un lecteur ne connaît que l’une délibérées et réfléchies sont d’au-
des significations du mot souris (par tant plus sollicitées que les textes
ex. « c’est le nom d’un animal »), il à comprendre traitent de thèmes
doit se rendre compte que le mot peu connus ou que leur structure
est employé dans un sens qu’il ne linguistique est complexe.
connaît pas et il doit tenter d’inférer
un sens probable en s’appuyant sur Ce comportement stratégique
le contexte par exemple. émerge très tôt (dès 3 ans) mais se
développe de manière graduelle et
2 dans cet énoncé, « A l’hôpital, continue au cours de la scolarité. Son
l’anesthésiste s’apprête à endormir un acquisition est donc un apprentis-
patient. Elle le rassure. » sage de long terme, parfois difficile,
qui nécessite souvent un enseigne-
Du fait de certains stéréotypes, la lec- ment explicite.
ture de la première phrase conduit
souvent à une représentation dans

Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement 73


5.2. Enseigner la compré- sion en fin d’école primaire bénéfi-
cient davantage de programmes de
hension remédiation dispensés entièrement
oralement que de programmes dis-
Depuis plus de trente ans, les re- pensés à l’écrit ou mixant oral et écrit
cherches ont établi que les méca- (Clarke et al. 2010).
nismes de la compréhension d’un
texte sont les mêmes à l’oral et à Il est important tout d’abord de pro-
l’écrit, chez les adultes comme chez poser aux élèves un environnement
les enfants, au moins lorsque les suffisamment riche leur permettant
textes à comprendre sont relative- de multiples contacts avec les textes
ment simples. En apprenant à parler écrits afin qu’ils puissent s’initier
leur langue, les enfants développent au langage propre aux textes et au
très tôt ces mécanismes ; on ob- formalisme de l’écrit (CNDP, 2011).
serve que dès trois ans, les enfants En effet, les textes écrits ne sont
peuvent comprendre et utiliser à pas les discours oraux : ils utilisent
bon escient certaines reprises pro- un vocabulaire et une syntaxe plus
nominales (Chien & Wexler, 1990; complexes et doivent être compris
Arnold, Brown-Schmidt & Tueswell, avec peu d’appui sur des indices
2007 ) ; ils sont également capables contextuels (tels que les échanges de
de réaliser des inférences (Kendeou regard, les mimiques, les postures,
et al., 2008) et de comprendre cer- les gestes, etc. que s’échangent les
taines métaphores (Pouscoulous & interlocuteurs à l’oral). La lecture
Tomasello, 2020) pour peu que les demande donc un traitement plus
énoncés soient compatibles avec exhaustif du langage. Ce traitement
leurs connaissances langagières peut être préparé à l’oral par le biais
et renvoient à des situations fami- de textes écrits oralisés par l’ensei-
lières. Ces mécanismes, d’abord gnant. Le travail sur le texte peut
sommaires, deviennent de plus en ainsi se mener indépendamment de
plus élaborés et peuvent être mis la charge cognitive que représente
en œuvre sur des textes plus diffi- l’identification des mots écrits par le
ciles, à mesure que l’enfant grandit, lecteur débutant ou par tout lecteur
développe son langage et apprend peu habile. Leur lire et raconter des
à maîtriser le langage formel de histoires est un vecteur reconnu du
l’écrit, beaucoup plus complexe que développement du langage oral chez
le langage de la conversation quoti- les très jeunes enfants (Dickinson &
dienne qui domine dans les premiers al., 2003 ; Sénéchal, 2017). Ce contact
échanges verbaux. Autrement dit, les avec les textes écrits oralisés est
mécanismes de la compréhension probablement encore plus essentiel
émergent très tôt mais leur acquisi- dans un contexte d’enseignement
tion est un processus au long cours multilingue où la langue d’enseigne-
qui se poursuit jusqu’à l’adolescence ment n’est pas la langue maternelle
et parfois même, jusqu’à l’âge adulte. parlée par les enfants.
Les recherches ont aussi établi de Par ailleurs, les recherches relatives
manière très consensuelle que les à l’efficacité de l’enseignement ont
capacités de compréhension orale établi de manière consistante que
expliquent une part importante de certaines pratiques (ou attitudes)
la compréhension en lecture et in- pédagogiques étaient plus efficaces
sistent depuis plusieurs années sur que d’autres. Autrement dit, les en-
l’importance d’enseigner la compré- seignants qui utilisent plus souvent
hension à l’école. Cet enseignement ces pratiques font généralement plus
doit être conduit en parallèle de l’ap- progresser leurs élèves que ceux qui
prentissage du décodage à travers les utilisent moins souvent. Cet en-
des activités particulières, proposées semble de pratiques a été dénommé
à l’oral dans un premier temps et « enseignement direct » ou « ensei-
intégrant progressivement les sup- gnement explicite » en fonction des
ports écrits en fonction des capacités auteurs ou des champs de recherche.
de lecture des enfants. En effet, les
élèves en difficulté de compréhen-

74 Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement


5.3. Principes de l’en- 5.4. Le rôle et la place significative les performances de
compréhension en lecture dès le
seignement explicite ou de l’oral dans l’enseigne- début de l’apprentissage de la lec-
direct ment de la compréhen- ture mais aussi plusieurs années
après. Par ailleurs, les recherches
sion effectuées depuis plus de vingt ans
De très nombreuses recherches
et méta-analyses ont montré que ont montré que comprendre à l’oral
l’enseignement direct favorise les Plusieurs raisons à la fois théoriques sollicite les mêmes mécanismes
apprentissages dans toutes les dis- et pédagogiques conduisent à insis- que la compréhension en lecture,
ciplines (français, mathématiques, ter sur la modalité orale dans l’en- chez les adultes comme chez les
sciences), notamment pour les seignement de la compréhension. enfants. On peut donc s’appuyer
élèves jeunes et/ou en difficultés sur cette modalité pour développer
(Bissonnette, 2010 ; Hattie, 2009 Sur le plan théorique, nous avons vu la maîtrise de la langue et travailler
; 2014). L’enseignement direct se la place fondamentale des connais- la compréhension à l’oral, indépen-
caractérise par un ensemble d’atti- sances langagières dans l’explication damment du niveau de décodage.
tudes pédagogiques, reposant sur de l’activité de compréhension des
6 caractéristiques décrites dans le textes. On sait qu’à niveau de déco- Enfin, on constate que certains
tableau ci-dessous. dage comparable, les capacités de élèves se trouvent en difficulté pour
langage oral prédisent de manière comprendre ce qu’ils lisent alors
même qu’ils ont appris à décoder
et identifier les mots sans difficulté
Les principes de l’enseignement direct (d’après Bianco, 2015)
majeure. Ces difficultés sont liées à
1 Révision journalière : la leçon commence par une révision de 5 à 8 minutes des des difficultés dans la maîtrise des
notions apprises précédemment. Elle permet à l’enseignant de : - s’assurer que les différents aspects du langage oral
élèves maîtrisent les habiletés et notions (les connaissances) nécessaires à la leçon du (lexical, syntaxique et discursif). Le
jour ; - de réexpliquer et de ré-entraîner les habiletés, celles notamment qui doivent
être automatisées.
faible développement langagier de
ces élèves ne relève pas pour une
2 Présentation du nouveau matériel : nouvelles notions, objectifs de la leçon majorité d’entre eux d’un trouble du
Les enseignants efficaces passent plus de temps que leurs collègues moins ef- langage. Ces élèves ont appris leur
ficaces à : - présenter et expliquer les nouvelles notions ; - donner de nombreux
exemples ; - poser des questions pour s’assurer de la bonne compréhension des
langue maternelle et savent soute-
élèves ; - ré-expliquer. nir une conversation quotidienne.
Leur moindre maîtrise du langage
Ils segmentent la présentation des notions nouvelles en étapes ; ils analysent provient le plus souvent d’un contact
les notions complexes afin de les décomposer en un ensemble de sous-notions
que les élèves peuvent plus facilement appréhender sans être submergés par un
moins assidu avec le langage formel
ensemble de paramètres dépassant leurs capacités cognitives. utilisé dans les textes scolaires et elle
est très fortement liée à l’origine so-
3 Pratique guidée : les enseignants les plus efficaces guident et supervisent la mise ciale. Au-delà de la communauté des
en œuvre initiale des nouvelles notions par les élèves. L’élément majeur de ce guidage
consiste à susciter la discussion entre le maître et les élèves, et entre les élèves. L’en-
mécanismes d’interprétation des
seignant pose de nombreuses questions ; il incite les élèves à auto-expliquer com- textes, cette dernière observation
ment ils s’y prennent pour répondre aux questions. Plus ce temps de guidage est conduit à souligner quelques spéci-
important, meilleures sont les réussites des élèves. ficités du langage de l’écrit que les
4 Feed-back et corrections : les enseignants les plus efficaces corrigent immédia-
élèves doivent maîtriser suffisam-
tement les erreurs faites par les élèves et fournissent un étayage en réexpliquant, ment pour comprendre. Le texte, et
en fournissant des indices pour parvenir à la réponse attendue et en simplifiant les plus largement l’écrit, se distingue
questions lorsque c’est nécessaire. Ils utilisent aussi la pensée à haute voix (ou auto-ex- du langage de la conversation quo-
plication) pour donner à voir les arguments qui conduisent à la réponse (« c’est cette
réponse parce que… »).
tidienne sur plusieurs points qui
rendent sa maîtrise plus difficile et
5 Travail individuel (ou pratique indépendante) : ce temps d’exercice fournit l’occa- complexe. Le langage des textes
sion à l’élève de s’entraîner à utiliser la notion apprise afin de l’intégrer à ces connais- est plus formel et élaboré tant sur
sances et de pouvoir l’utiliser de manière suffisamment fluide.
le plan du vocabulaire utilisé que
6 Révisions systématiques, hebdomadaires et mensuelles : ces révisions systéma- sur celui de la syntaxe. Les thèmes
tiques et à intervalles réguliers permettent de réactiver ce qui a été appris, de ré-entraî- abordés sont aussi moins familiers.
ner afin d’augmenter l’intégration des connaissances et l’automatisation de celles qui Les modes d’interlocution sont éga-
doivent l’être.
lement différents, puisqu’en règle
générale on est seul face à un texte
alors que la conversation implique
la présence simultanée d’au moins
deux interlocuteurs. Les ressources
présentes dans l’interlocution orale
(la prosodie, l’adaptation des énon-

Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement 75


cés aux réactions des partenaires, la stratégies sont des modes de explorer le sommaire, le résu-
présence d’un contexte partagé) ne raisonnement que le bon lec- mé, les titres et intertitres, etc.
sont pas disponibles pour la compré- teur peut utiliser consciemment
hension des textes écrits. pour surmonter ses défauts de activer les connaissances an-
compréhension quand ils sur- térieures (sur le sujet, la struc-
Sur le plan pédagogique, l’activité viennent. On sait aussi que les ture du texte, les stratégies)
de compréhension n’est pas direc- moins bons lecteurs ne sont pas
tement perceptible. Un observa- des lecteurs stratèges ; non seu- Pendant la lecture, construire une
teur qui regarde une personne lire lementils ont des difficultés à représentation (le modèle de situa-
ou écouter un texte ne perçoit pas repérer précisément ce qui leur tion)
quels processus sont mobilisés par pose problème dans un texte
la personne pour comprendre. Lors- (ils ont tendance à répondre expliquer le vocabulaire et en
qu’une question est posée, l’obser- systématiquement « oui », à la vérifier l’acquisition
vateur perçoit la réponse donnée question « As-tu compris ? »
mais jamais le raisonnement suivi mais échouent à répondre à expliciter le type de texte, sa
pour y parvenir. Or, pour devenir une question précise portant construction, sa fonction
un lecteur autonome, capable d’éva- sur ce qui a été lu) mais même
luer et réguler sa compréhension, lorsqu’ils repèrent leurs diffi- sélectionner les informations
il est nécessaire de connaître les cultés, ils ne disposent souvent importantes
stratégies - les raisonnements - qui pas des raisonnements à utiliser
permettent de surmonter les diffi- pour les résoudre (Oakhill & identifier les liens référentiels
cultés rencontrées et/ou les erreurs Cain, 2003). et logiques
d’interprétation. L’expression orale
permet à l’enseignement d’expliciter Pour enseigner ces stratégies de inciter à faire des inférences
les raisonnements adéquats, de les compréhension, l’enseignement di-
montrer (il met un haut-parleur sur rect est également favorable. Cet aider au lien entre l’informa-
sa pensée), de repérer dans les ex- enseignement, encore appelé « en- tion nouvelle et les connais-
plications des élèves s’ils ont ou non seignement explicite de stratégies sances préalables des élèves
compris ce qui est enseigné et d’ap- pour comprendre », est particulière-
porter les corrections nécessaires ; ment efficace pour aider les élèves Dans la réalisation de toutes ces
elle permet à l’élève d’apprendre à les plus faibles. De nombreuses re- tâches, quelques attitudes péda-
utiliser, à faire siens, les raisonne- cherches ont établi ces résultats, gogiques permettent d’engager les
ments ou stratégies présentés par le chez les très jeunes enfants comme élèves dans l’activité et de mettre en
professeur, sur des supports variés. chez les plus âgés (Bianco et al., œuvre une pratique guidée :
2012 ; 2004 ; Connor et al., 2006 ;
5.5. Quelques activités Edmonds, Vaughn, Wexler et al., 2009, organiser et diriger des dis-
Rosenshine, 2009). cussions auxquelles chaque
et principes pour ensei- élève est incité à participer
gner la compréhension Les tâches ci-dessous illustrent
quelques aspects de l’enseignement revenir sur le texte (relecture)
en lecture de la compréhension qui peuvent pour conforter la compréhen-
être abordées par une pédagogie ex- sion
Un bon lecteur est un lecteur fluide plicite dans laquelle l’enseignant en-
et stratège (Bianco, 2016) : gage les élèves à réaliser ces tâches souligner, prendre des notes
d’abord avec son aide puis de façon
fluide parce qu’il décode avec de plus en plus autonome (CNESCO, Après la lecture :
aisance et dispose de connais- 2016). Ces activités permettent aux
sances langagières suffisantes élèves de prendre conscience des relire, critiquer
pour comprendre au fur et à mécanismes essentiels de la compré-
mesure de sa lecture ; hension en lecture et de développer évaluer sa compréhension
les compétences de planification, de
stratège parce qu’il exerce une contrôle et de régulation. Elles se dis- résumer, dégager les idées
veille attentive et continue sur tinguent en fonction du moment où principales
sa lecture, de sorte qu’il détecte elles interviennent dans l’acte de lire :
rapidement les problèmes qui organiser et diriger des dis-
peuvent se poser à lui. Non Avant la lecture : cussions entre les élèves à pro-
seulement, il détecte les dé- pos de ces activités.
fauts de compréhension mais s’accorder sur les buts de la
il dispose de stratégies pour lecture Au-delà de cet enseignement expli-
remédier à ses difficultés. Ces cite de stratégies, nous pouvons dire

76 Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement


aujourd’hui qu’un certain nombre de toire. Les textes documentaires quant à une caméra, etc
gestes pédagogiques sont favorables à eux sont destinés à informer : les
à l’amélioration de la compréhension idées y sont organisées logiquement Comprendre et s’exprimer oralement
et qu’ils sont utilisables pour ensei- et répondent rarement à une struc- et à l’écrit ont partie liée. Les élèves
gner toutes les habiletés et stratégies ture unique. Ils combinent souvent peuvent rédiger individuellement ou
de compréhension (Bianco, 2019 ; différentes structures typiques de en groupe un résumé après en avoir
conférence de consensus, 2016) : l’exposition, telles que la description, défini les grandes lignes oralement
l’énumération, la comparaison, l’ex- avec le groupe.
utiliser des supports variés : position de chaînes causales ou de
des énoncés courts pour prendre raisonnements visant à résoudre un travailler en groupes de niveau
conscience et travailler une habi- problème. Les textes documentaires homogène : cela est particulièrement
leté précise sont particulièrement se caractérisent aussi par leur compo- important pour initier des discus-
adaptés pour les plus jeunes élèves sition lexicale et morphosyntaxique. sions avec les élèves fragiles, afin
et ceux ayant un faible niveau de Comparés aux narrations, les docu- que les interactions ne soient pas
langage ; des textes longs et authen- mentaires contiennent moins de mots dominées par les plus compétents.
tiques pour permettre l’exercice in- familiers mais leur syntaxe est plus
tégré de l’ensemble des habiletés et simple et les marques de cohésion 5.6. Compréhension
la construction de la lecture experte. plus fréquentes (McNamara, Graes-
ser et Louwerse ; 2012). écrite et plurilinguisme
diversifier les exploitations : du
questionnaire de lecture à l’auto-ex- Identifier les différents textes ainsi Si les habiletés de compréhension
plication pendant la lecture en pas- que leur fonction (information, mode décrites dans ce chapitre, sont des
sant par des activités de synthèse, d’emploi, plaisir, aide-mémoire, etc.), habiletés générales, communes à
d’argumentation, de questionne- sans les hiérarchiser mais en les l’oral et à l’écrit et, dans une large
ment… Au-delà de la recherche situant dans une finalité différente, mesure, indépendantes de la langue
d’informations explicites dans le peut valoriser des pratiques de lec- parlée par les individus, le trans-
texte, le questionnaire doit com- ture souvent minimisées ou passées fert d’une langue à l’autre dans un
porter des questions qui portent sous silence. Cette prise en considé- contexte d’enseignement plurilingue
sur la compréhension inférentielle, ration tend à réduire les inégalités ne paraît pas aller de soi. Dans ce
l’interprétation, les motivations des liées à l’environnement socio-cultu- contexte en effet, la compréhension
personnages, le propos du texte, etc. rel, et à encourager toutes les pra- en lecture ne semble pas strictement
Des activités de synthèse, telles que tiques de lecture dont on sait que le identique en L1 et en L2 et semble
la recherche des idées principales, caractère précoce et continue parti- plus difficile à mobiliser en L2 chez
le résumé oral ou écrit permettent cipe au développement global de la les apprentis lecteurs. Les sources
d’approfondir la compréhension et compétence à lire et comprendre. de difficulté pour mettre en œuvre
d’élaborer les modèles de situation. les traitements de haut niveau né-
utiliser les discussions orales et cessaires à la compréhension écrite
enseigner à comprendre les textes articuler lecture, parole et écriture en L2 apparaissent relever de trois
dans toutes les matières, les obsta- pour travailler le guidage de la com- ordres, sur lesquels il est possible
cles étant aussi liés aux particularités préhension et l’enseignement de de mieux cibler l’intervention péda-
des textes qu’on y donne à lire. stratégies. gogique :

Les textes peuvent être distingués L’oralisation est une voie obligée Une compétence linguistique
en termes de fonction et de struc- pour montrer les raisonnements de trop limitée a un effet sur le
ture. Identifier ces caractéristiques la compréhension inaccessibles à la processus de traitement de
du texte favorise non seulement perception directe ; elle est aussi la l’information et sur la mise en
une meilleure compréhension de voie de leur appropriation par les œuvre de stratégies de lecture
chaque texte, mais permettra ensuite élèves. Les élèves doivent pouvoir adaptées. Il convient alors de
d’utiliser ces acquis en situation de parler entre eux, par petits groupes, s’interroger sur le bagage oral
production écrite. Par exemple, une du contenu et du sens d’un texte lu nécessaire avant d’entamer la
narration n’est pas organisée et ne chez eux ou en classe. Ils doivent lecture d’un texte.
contient pas les mêmes catégories pouvoir verbaliser entre pairs pour
d’informations qu’un texte docu- faire un résumé, reformuler à l’oral, Outre cet aspect, les situa-
mentaire qui se distingue lui-même répondre à des questions de l’en- tions d’apprentissage de la lec-
d’une argumentation scientifique. seignant, faire une recherche spé- ture en L2 doivent viser l’auto-
La structure narrative est organisée cifique. Oraliser un texte cela peut matisation des procédures de
autour des personnages, de leurs être, aussi, le jouer (théâtre pour les bas niveau et il serait faux de
buts et intentions ; ceux-ci fondent plus grands, expression corporelle croire que la seule exposition à
l’organisation temporelle et causale pour les petits). C’est aussi raconter : la langue, traitée en situations
des évènements ou épisodes de l’his- raconter à l’enseignant, à un groupe, de communication authentique,

Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement 77


puisse conduire de manière na- de confiance en soi serait attri-
turelle à leur automatisation. buable à une compétence lin-
Ceci suppose donc un travail guistique trop limitée, et aussi, à
avec exercices systématiques la méconnaissance de certaines
sur tous les aspects spécifiques stratégies de compréhension.
de la langue française que l’on Il est également avancé qu’un
ne retrouve pas en langue environnement bienveillant,
première (lettres spécifiques, contribuant à la réduction des
phonologie, correspondances barrières affectives, peut appor-
graphème-phonème, segmen- ter une réponse satisfaisante
tation des mots, syntaxe, etc.). pour résoudre, en partie, cette
insécurité.
Le lecteur en L2 a d’autre
part des difficultés à mettre en
œuvre des stratégies de lecture
qui pourraient l’aider à surmon-
ter ses difficultés. Même un
bon lecteur de L1 ne transfère
pas automatiquement en L2
ses stratégies. « Au contraire, il
tend spontanément à régresser
lorsqu’il lit dans sa langue se-
conde, en faisant appel au déchif-
frage (souvent subvocalisé) ainsi
qu’à la traduction, aux fins de
vérification, comme principales
stratégies de compréhension. »
(Cornaire, Germain, 1999, p. 50).
C’est pourquoi il conviendrait
d’enseigner des stratégies de
lecture plus efficaces. Ces stra-
tégies pourraient alors exercer
un effet compensatoire sur la
composante linguistique, en-
core trop faible. Les suggestions
proposées pour les stratégies
de compréhension en lecture
L1 restent valables ici.

La lecture en L2 est par ail-


leurs souvent accompagnée
d’inquiétude. « En observant le
comportement du lecteur jeune
adulte en langue seconde, on a
souvent remarqué cette inquié-
tude, cette nervosité qui se ma-
nifestent au contact des textes
étrangers et la tâche devient un
obstacle presque infranchissable :
on bute sur le premier mot qu’on
ne comprend pas et le sujet se
révèle ici comme paralysé par
l’obstacle. Dans ce cas particulier,
le recours à des stratégies d’antici-
pation, d’esquive, de mise de côté
de l’inconnu pour y revenir plus
tard, aurait été particulièrement
utile et aurait certainement aidé
à franchir l’obstacle. » (Cornaire,
Germain, 1999 : 51). Ce manque

78 Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement


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80 Chapitre 5 : Compréhension en lecture, langage et enseignement


81
Chapitre 6
Lire et écrire dans
toutes les disciplines

82
Le savoir-lire ne prend sens que si les élèves sont capables de le mobiliser dans l’acquisition de nouveaux savoirs
tels que l’école les diffuse. Réciproquement, le fait d’avoir à s’informer par le moyen de l’écrit dans toutes les
disciplines ne peut que renforcer et donner sens à cette compétence en cours d’installation. La structuration
écrite des disciplines est l’un des aspects essentiels de la culture scolaire, qui repose en particulier sur la lecture
des consignes et des manuels20.

6.1. La diversité gra-


phique des supports à
lire à l’école
6.1.1. Les textes de lecture

L’apprentissage scolaire du savoir-lire


en effet, dans ses formes les plus ré-
pandues, prend appui sur des textes
qui traitent plutôt de sujets de la vie
quotidienne, tels qu’un enfant peut
les vivre, ou encore sur de petits ré-
cits, des contes, à dominantes essen-
tiellement fictionnelles. Ces textes
de lecture « ordinaires » favorisent
une focalisation sur la succession
de ses éléments d’organisation :
groupes fonctionnels, propositions
(principale et subordonnée), phrase.
Le texte est organisé en paragraphes
qui guident les étapes de la lecture.
Le regard doit aller de gauche à droite
et de haut en bas (selon les conven-
tions d’écriture alphabétique les plus
largement partagées, hormis les
systèmes d’écriture sémitique -arabe
et hébreux, notamment, mais aussi
d’autres utilisées en Éthiopie, en Éry-
thrée, à Djibouti et en Somalie, - qui
adoptent un sens opposé, de droite Source : Soleils du Monde – Français CP2, Hatier international (Cameroun)
à gauche).
perser l’attention visuelle de l’élève. ou encadrés. Chacun d’entre eux est
Le matériel graphique est donc précédé d’un sous-titre, peut com-
constitué pour l’essentiel de mots 6.1.2. Les textes scientifiques et porter des images (dessins, photo-
(mais des images peuvent accompa- textes documentaires graphies, schémas) qui elles-mêmes
gner le texte, pour ancrer, orienter sont accompagnées d’une légende
le sens), selon des variations gra- Dans l’espace graphique de la qui en précise le sens exact. Des
phiques en nombre limité (nature page, qu’il s’agisse d’un manuel de encadrés peuvent servir à présen-
de la police, taille des caractères, sciences, d’un album documentaire, ter une information particulière, un
en gras ou non, souligné ou non, d’une page de journal scientifique développement qui ne prend pas for-
signes de ponctuation), variations qui pour enfants ou d’une affiche, les cément place dans le déroulement
fonctionnement comme un appel à éléments d’information sont orga- du texte. Un résumé, signalé comme
l’attention du lecteur et hiérarchisent nisés selon une logique particulière. tel, récapitule l’essentiel des informa-
de la sorte l’information portée par le En effet, le texte scientifique ou do- tions présentées dans le document
mot, le groupe de mots ou la phrase. cumentaire est fait pour être vu qui doivent être retenues par l’élève.
Fait pour être lu, le texte veille par autant que pour être lu. Le texte
l’usage d’un graphisme relativement lui-même est organisé en nombreux
homogène et discret, à ne pas dis- paragraphes et sous-paragraphes

20Dans le chapitre Variété des systèmes d’enseignement et des types d’évaluation, on indique qu’un « lien fort est constaté entre les résultats
en lecture et les résultats en mathématiques ».

Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines 83


6.1.2.1. La page du document
L’organisation de la page du do-
cument autorise ainsi plusieurs
parcours de lecture, l’essentiel
étant que l’élève sache repérer
les indices essentiels et puisse les
mettre en relation entre eux. Ainsi
dans la fiche Mali les encadrés
ne sont pas numérotés, et si l’on
peut bien constater l’existence
d’un ordre qui va de haut en bas
et de gauche à droite, cet ordre ne
constitue pas une contrainte. On
peut lire le titre, puis regarder les
deux photographies, puis s’inté-
resser à la carte, avant d’entamer
la lecture des textes figurant dans
les encadrés.

6.1.2.2. Les constituants de la page : l’image


L’image, comme vecteur d’informa-
tion joue un rôle particulièrement
important. Elle peut occuper la
moitié de la page, voire plus, et
être dans un rapport de redon-
dance avec le texte. Texte et image
véhiculent la même information,
chacun avec son codage propre.
Les constituants de l’image cor-
respondent aux termes de lexique
qui figurent dans le texte : œufs en
groupe, flotter, surface de l’eau,
accrochés aux tiges plates aqua-
tiques. Le rôle du maître est de
permettre, à partir de l’image, d’en
nommer les constituants, pour
ensuite lire le texte et en élucider
plus aisément le sens. L’ordre des
ensembles texte/image, de haut en
bas, définit ici un ordre de lecture.

Source : http://haddock.eklablog.com/la-metamorphose-des-te-
tards-a45905865

84 Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines


Selon les documents, la part de
l’image et celle du texte peuvent en-
trer dans des rapports variés. Ainsi
dans ces deux affiches portant sur le
lavage des mains. Dans l’affiche de
gauche, le dessin occupe un espace
beaucoup plus important que dans
l’affiche de droite.

De plus, il conviendrait de distinguer sion du texte. Les mots-clés du titre dans le texte et/ou orientent une ac-
la nature même de l’image, dessin au vont faire l’objet d’une démultiplica- tivité à venir. Un bref commentaire
trait ou photographie, en couleur ou tion lexicale correspondant aux dif- pourra dans certains cas se révéler
non, etc. ainsi que des éléments sé- férents paragraphes du texte. Ainsi nécessaire. Parmi les formes les plus
miographiques particuliers (flèches, dans l’image « 6 étapes lavages » se fréquemment attestées, majoritai-
traits, etc.) qui peuvent faire l’objet traduit en mouillez frottez (x3) rincez rement des phrases non verbales /
d’une verbalisation. séchez. Le terme main se démultiplie nominales, on peut relever :
en paumes doigts pouces ongles.
6.1.2.3. Les constituants de la page : Les images redoublent le sens et Le nom nu, c’est-à-dire sans
les titres permettent de lever, éventuellement, être précédé d’article, ainsi Mali
les incertitudes portant sur le sens dans la fiche de géographie.
L’énoncé-titre, si modeste qu’en exact de certains mots, propositions Mais ce type d’occurrence est
soit la forme, annonce le contenu ou phrases. relativement rare et comme ici,
d’information du paragraphe cor- s’applique souvent à des termes
respondant et constitue une sorte L’énoncé-titre prend place dans un de géographie ou à des noms
d’horizon d’attente qui suscite une certain nombre de schémas qui, ou prénoms de personnages.
mise en éveil de l’attention. Il permet si limitée qu’en soit l’organisation
d’activer chez le lecteur la base de (encore que), prédéfinissent déjà un Le nom précédé d’un article
connaissance utile à la compréhen- traitement de l’information présente défini, comme intitulé de fiches

Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines 85


descriptives d’un animal par
exemple : La tortue, la girafe,
l’article définissant l’objet/être
comme faisant partie d’une
classe au sens le plus général
du terme.

Le groupe nominal incluant


un adjectif qualificatif, ainsi la
petite guenon, qui spécifie l’hé-
roïne du récit qui suit, et qui
n’est plus approchée comme
élément indifférencié d’une
classe d’êtres vivants.

Un groupe nominal compre-


nant une expansion spécifiant
les particularités du nom : le
peuplement du nord, par le
moyen d’un complément de 6.1.2.4. La diversité des signes gra- rier selon les traditions culturelles
nom. phiques des élèves. Les élèves apprendront
à nommer les nombres, entiers ou
Un nom suivi de deux points, Les signes graphiques en usage dans décimaux, à nommer les opérations,
les deux points introduisant un un texte documentaire sont nom- à comparer des valeurs numériques
élément nouveau, spécifiant le breux. Ils sont constitués de : dans un petit tableau statistique, à
terme de départ : La soustraction calculer avec des monnaies ou des
: calcul réfléchi. Lettres/mots poids, à désigner une figure géomé-
trique (l’importance du lexique de la
Un groupe prépositionnel, du Signes numériques géométrie n’est plus à souligner) et
têtard à la grenouille ou encore les éléments de mesure qui l’accom-
du cacao au chocolat, en rapport Tableaux pagnent.
ici avec une métamorphose ou
une transformation. Diagrammes 6.2. Lire dans les disci-
Un groupe nominal dévelop- Schémas divers plines non linguistiques
pé Lavage des mains efficace en
7 étapes ou Les 6 étapes pour un Cartes Que ce soit en L1 ou en L2, l’utilisation
bon lavage de mains, l’avancée des manuels dans les différentes
dans l’énoncé-titre permettant Dessins disciplines scolaires nécessitent des
à chaque introduction d’un nou- compétences de lecture étendues.
veau complément de nom, as- Ils participent, chacun à leur manière, Les élèves doivent s’approprier un
socié ou nom à un adjectif qua- à la mise en place de l‘information. univers de référence généralement
lificatif, de spécifier le domaine L’élève doit donc pouvoir évoluer nouveau, comprendre et relier entre
d’application du nom lavage ou dans cet univers de signes. Signes elles les informations verbales et/ou
les 6 étapes. linguistiques et signes formels sont numériques réparties sur une double
ainsi organisés en un ensemble dans page, établir des relations entre
Une phrase infinitive, annon- lequel leur place respective peut va- les blocs typographiques (schéma,
çant la compétence visée : Lire rier selon les disciplines. Ainsi le calcul image, texte, tableau), comprendre
l’heure, Résoudre des problèmes. fait un grand usage des signes nu- le fonctionnement du code rhéto-
mériques accompagnés de quelques rique propre à la discipline (ordre
Une lecture attentive de l’énon- éléments verbaux ; l’histoire, plus des informations, modes d’exposition
cé-titre dans ses différents consti- narrative, fait un usage majoritaire de des savoirs, etc.), s’approprier son
tuants s’impose car elle oriente le signes verbaux, c’est-à-dire de mots, vocabulaire spécifique et ses types de
questionnement des élèves dans la de phrases, accompagnés cepen- raisonnement, hiérarchiser les infor-
suite de leur lecture. dant d’images qui peuvent illustrer mations, etc. (Le Ferrec, 2008). Autant
l’épisode dont il est question dans de supports et d’outils qui nécessitent
le texte. des compétences et des pratiques de
lecture diversifiées reposant sur des
Les signes numériques, comme les univers sémiotiques différents qu’il
écritures opératoires, peuvent va- convient d’expliciter.

86 Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines


Source : Champions en Histoire-Géographie CE1, EDICEF

La lecture répond ainsi à différents Lire les consignes de travail. Les de leur parfaite compréhension par
objectifs et trouve ici une finalité pra- mathématiques font un usage abon- les élèves.
tique qui met l’effort de décodage et dant de consignes dans la succession
de compréhension en relation avec des opérations à engager à partir 6.3. Ecrire dans les disci-
une autre finalité que la maîtrise de d’écritures numériques ou sur l’ana-
la langue elle-même. On peut ainsi lyse de figures géométriques. Mais plines non linguistiques
distinguer : ces consignes peuvent aussi porter
sur des exercices de français (gram- L’écrit occupe une place essentielle
Lire pour s’informer. Des questions maire ou conjugaison par exemple). dans la maîtrise progressive de l’ou-
sont posées sur un domaine encore Reconnaître les verbes d’action, les til mathématique et dans l’acquisi-
mal connu. L’effort de lecture par la points d’application de cette action, tion de nouveaux savoirs tels que
recherche d’indices appropriés doit les conditions et limites d’interven- l’école les présente (structuration
apporter les réponses attendues. tion, mobilisent ici la maîtrise de la de l’espace et géographie, passage
langue dans des formes particulières du temps personnel au temps de
Lire pour comprendre. Un phé- d’exigence. l’histoire, la description et la compré-
nomène peut échapper à l’activité hension des phénomènes naturels,
de compréhension spontanée de La dimension énonciative dans les différents aspects du vivant, etc.).
l’élève, par exemple les formes parti- l’adresse au lecteur : je/tu/vous « je
culières revêtues par la reproduction cherche, je trouve », « je veux savoir », Ecrire c’est conserver trace des acti-
d’éléments du vivant ou dans leur « mouillez vos mains », « écris en chiffres vités entreprises en classe, noter des
croissance. La lecture permet ainsi l’heure indiquée », « reproduis cette éléments d’observations, compléter
de passer d’un état de savoirs em- droite graduée sur ton cahier », peut et légender des schémas, des croquis,
piriques à faible portée explicative revêtir des formes variées, parfois des cartes et à cet effet apprendre à
à une compréhension à plus large complexes, qui requièrent un ap- orthographier des mots nouveaux et
portée. prentissage spécifique, en s’assurant à mettre en relation ces mots dans

Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines 87


un schéma syntaxique propre aux à l’oral, pourra l’être de façon
formes du discours à visée scienti- collective, sous forme de dictée
fique. Les élèves apprendront aussi à à l’adulte, avant d’être recopié
combiner, dans un même texte, des dans les cahiers.
éléments personnels d’information
(sur les questions d’environnement Le brouillon (feuille de ca-
par exemple), et des données fi- hier ou ardoise) sur lequel les
gurant dans des documents écrits élèves pourront noter des sché-
(manuels, fiches variées, dépliants, mas, des éléments de calculs,
prospectus, etc.). quelques brèves notations,
brouillon qui témoigne d’une
L’objectif sera d’apprendre aux activité de recherche, de ré-
élèves à utiliser le mot juste, dans flexion.
des phrases, si minimes soient-elles,
bien construites. On apprendra de Le cahier sur lequel figureront
la sorte aux élèves à satisfaire à une l’ensemble des éléments de la
exigence de lisibilité. On écrit à la leçon, à la fois représentation
fois pour soi, pour conserver en des données sur lesquels l’élève
mémoire la trace des activités enga- a travaillé, et communication à
gées, ainsi que les résultats associés, des lecteurs autres pour rendre
on écrit aussi pour les autres afin compte du travail accompli.
de communiquer le résultat des
observations, des descriptions, des Une affiche (ou une fresque
mesures effectuées (activités de me- en histoire par exemple) éla-
surage, activités géométriques par borée collectivement, qui est
exemple). L’acquisition des savoirs l’expression d’un travail collectif,
scientifiques et les apprentissages comportant, schémas, dessins,
langagiers sont ainsi étroitement éléments statistiques, légendes,
associés. textes explicatifs.

Les élèves apprendront progressi- Un album, élaboré collecti-


vement, et sur des enjeux d’écriture vement, consacré à un thème
modestes, mais clairement différen- d’études, à partir de diffé-
ciés, à produire un discours objec- rentes enquêtes et sources de
tivé, à décrire, à expliquer, à argu- documentation, en vue d’être
menter sur des points d’explication communiqué à un public plus
qui peuvent être source de débats large, les familles, les autorités
(protection de l’environnement, cli- locales.
mat, etc.).
Une tablette numérique,
Les élèves apprendront ainsi à cor- quand le matériel est dispo-
riger une première formulation, à nible, et qui offre des res-
stabiliser les énoncés, à réécrire, sources d’écriture particulière-
pour répondre aux exigences d’une ment riche.
communication scientifique perti-
nente, être exact, dans la limite de Un dossier personnel que
l’espace des savoirs disponibles bien l’élève pourra se constituer en
évidemment, et suffisamment précis rassemblant des documents de
pour rende compte des particularités différentes origines, des notes
de l’objet étudié. prises à l’occasion de différents
moments d’observation.
Les supports d’écriture peuvent être :

Le tableau sur lequel le maître/


la maitresse écrit à la fois le titre
de la leçon, les étapes de la
leçon, les mots-clés, le résumé,
qui pourront être recopiés au
fur et à mesure ou en fin d’activi-
té. Ce travail d’écriture, élaboré

88 Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines


6.4. Lire-écrire en fran-
çais dans les disciplines
dites non linguistiques21
(DdNL)
6.4.1. Des discours disciplinaires
spécifiques

Dans la majorité des pays de l’Afrique


francophone subsaharienne, l’ensei-
gnement d’une partie ou de la totali-
té des matières scolaires non linguis- Au primaire par exemple, les énoncés des formes passives : « Une
tiques (mathématiques, sciences, de problèmes en mathématiques étude récente a été menée par… »
histoire, géographie, éducation phy- sont souvent présentés sous le mode en sciences ; « Un carré est for-
sique, etc.) a lieu, à un moment ou un d’une narration, marquée par une mé de 4 côtés… » en mathéma-
autre du cursus scolaire, en français succession d’événements chrono- tiques ; « L’Empire du Ghana
langue de scolarisation. De ce fait, logiquement organisés. L’élève doit était composé de… » en histoire,
l’enseignement des disciplines dites arriver à resituer l’énoncé narratif etc.
non linguistiques (désormais DdNL) dans l’univers mathématique pour
pose la question de l’articulation résoudre la tâche visée (ici la multi- des formes impersonnelles :
des objectifs de la discipline ensei- plication). « Pour calculer…, il faut… »
gnée avec les objectifs linguistiques
en mathématiques ; « Il fait
de maîtrise du français. Les élèves Ces discours spécifiques s’observent chaud… » en géographie, etc.
doivent s’approprier les matières dans les textes des leçons mais aus-
enseignées dans des discours spéci- si dans les manières d’écrire les des verbes pronominaux :
fiques en français, qu’ils apprennent consignes et les exercices. Chaque « le volcan se situe… » en
non seulement à les lire, mais aussi à discipline développe donc au sein sciences ; « la figure se divise
répondre aux activités demandées. de la culture scolaire une spécifici- en… » en mathématiques, etc.
té où les univers de référence, les
Chaque DdNL organise sa progres- pratiques langagières, les logiques La récurrence de certaines formes
sion selon un lexique et une or- d’organisation du savoir permettent grammaticales peut rendre difficile
ganisation grammaticale qui pro- la gestion de l’abstraction dans leur la compréhension en lecture (Spaëth,
duisent des discours disciplinaires diversité graphique et discursive. La 2008) :
spécifiques (observation, exposition, construction de la compétence de
explication, narration, description, lecture s’avère donc transversale, la phrase nominale et la no-
démonstration, argumentation, etc.). fondée sur l’interprétation et le sens. minalisation sont fréquentes et
indiquent souvent les objectifs
Au niveau discursif, s’agissant de de connaissance disciplinaire
l’usage des formes de la langue fran- à atteindre (par exemple, en
çaise, ces dernières ne diffèrent pas histoire « Les royaumes des
des formes en usage dans les textes grands lacs », en sciences « Les
lus dans les séances d’apprentis- pollutions atmosphériques »)
sage/perfectionnement de la lecture.
Toutefois, certaines constructions l’utilisation de l’expansion
peuvent avoir une probabilité d’ap- détachée du nom (exemple :
parition et d’usage plus grande que Andrianampoinimerina, seigneur
dans les textes de portée plus géné- au cœur d’Imerina) ou de mé-
rale. Ainsi, on observe une tendance taphores (exemples : le lit de
dans l’ensemble des disciplines sco- la rivière ; la terre, cette orange
laires à rendre l’énonciation neutre bleue dans l’espace...)
avec l’utilisation :

21Nous situant plus précisément dans la perspective bilingue, nous adoptons désormais la terminologie de Gajo (2009, p. 3) : « La verbalisation
se présente comme une condition centrale pour le processus d’enseignement / apprentissage. Même les disciplines qui possèdent un langage formel
propre, comme les mathématiques, recourent abondamment à la langue naturelle pour la mise en place et le contrôle des savoirs. (...). La scolarisation
se fonde alors sur une sorte de « tout linguistique », toutefois moins visible et / ou perceptible en L1 qu’en L2. Dans ce sens, il s’agirait de s’interroger
sur la pertinence de la désignation « discipline non linguistique », peu adéquate aux enjeux recherchés par l’enseignement bilingue. L’expression de
DNL comporte d’évidents avantages pratiques, mais résiste à une conceptualisation sérieuse. Nous proposerions donc de la troquer contre la notion
de discipline dite non linguistique (DdNL) »

Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines 89


la fréquence des groupes La structuration écrite des disciplines aux expériences du monde. Activer
prépositionnels (spatio-tempo- scolaires apparaît comme l’un des les connaissances acquises sur le
rels, logiques et argumentatifs), aspects centraux de la culture sco- sujet en L1 apparaît donc une étape
par exemple : en haut de la col- laire. Apprendre à lire les « textes du importante pour commencer à éla-
line, au fur et à mesure que... savoir » soutient en outre la mise en borer de nouveaux savoirs dans les
œuvre d’opérations cognitives fon- DdNL.
l’importance de la caractéri- damentales (opérations logiques, de
sation, avec le recours aux re- catégorisation, de conceptualisation, 6.4.3. L’intérêt du travail interdis-
latives avec dont et l’usage fré- de mise en relation) nécessaires à ciplinaire
quent de l’apposition (Abidjan, l’acquisition des compétences dis-
la plus grande ville économique, ciplinaires. L’enseignement des DdNL peut don-
n’est pas la capitale...) ner lieu à des travaux d’équipes et à
6.4.2. Bifocalisation et place des des projets pédagogiques fructueux
la fréquence des procédés L1 dans les DdNL pour favoriser simultanément les
anaphoriques (exemple : Mous- apprentissages disciplinaires et lin-
sa a des crayons. Il en donne 12 à L’utilisation du français de scolarisa- guistiques des élèves. Deux grandes
Bintou. Il a maintenant 7 crayons. tion dans les DdNL, place l’élève en options peuvent être retenues par
Combien en avait-il au départ ?), situation de bifocalisation (Bange, les enseignants des collèges : un
des reprises lexicales (exemple : 1992) : il doit à la fois gérer la compré- choix thématique (l’eau, la respira-
Le lion, cet animal féroce, consi- hension de la langue (orale et écrite) tion, etc.) ou un choix de compé-
déré comme le roi des animaux...) et celle du contenu notionnel. Les tences discursives (la description,
études de Noyau au Togo, portant l’explication, etc.), qui seront travail-
la formulation de la négation sur l’analyse de séquences de classe lées transversalement dans les cours
en mathématiques (ex : tous - dans diverses disciplines, mettent en DdNL et dans ceux de français. Il est
aucun, ni...ni, etc.) évidence que la gestion de la bifocali- attesté que cette interdisciplinarité
sation en classe (formes linguistiques et ce travail collaboratif entre ensei-
la fréquence du gérondif – contenus) s’effectue au détriment gnants au collège peut augmenter
dans l’enchaînement des tâches des contenus d’apprentissage et en considérablement les compétences
à réaliser (exemple : lis ces mots, faveur de l’inculcation de formes en français des élèves.
en t’aidant... ; complète le gra- linguistiques normées.
phique en commençant par...) « Les contenus d’apprentissage sont, Quand l’enseignant est polyvalent
dans le contexte scolaire africain, es- comme dans l’enseignement pri-
l’importance des connecteurs sentiellement des éléments textuels à maire, il peut aussi organiser ses en-
spatio-temporels, logiques et mémoriser, plutôt que des données seignements dans la transversalité
argumentatifs qui soutiennent d’observation reliables aux percep- des compétences mobilisées dans
la cohérence des énoncés. tions et expériences des enfants. Leur les différentes disciplines. L’impor-
forme idéale est celle d’un résumé de tant est de bien le signaler aux élèves
Au niveau lexical, une attention quelques lignes mettant l’accent sur des qui ont tendance à cloisonner les
portée à la morphologie, aux champs éléments descriptifs et des inventaires, disciplines, en mettant en évidence
lexicaux (énoncé-titre et sous-titres), non sur des actions ou des processus. » les liens opérés. Le travail sur les
à l’hyperonymie pourra soutenir (Noyau, 2007). Les observations me- consignes dans les différentes disci-
la compréhension du vocabulaire nées par Noyau et ses collaborateurs plines peut notamment contribuer à
spécifique des textes à lire dans la indiquent que les options pédago- cette construction.
discipline. Cependant, le vocabulaire giques en vigueur s’opposent sou-
dans les DdNL s’avère aussi souvent vent en bien des points à la construc- 6.4.4. Lire-écrire dans les DdNL,
transversal. Par exemple, des mots tion des connaissances, au profit liens avec quelques chapitres an-
comme « milieu » ou « sommet » ne d’une activité de dénomination sta- térieurs
désignent pas la même réalité en tique en langue normée centrée sur
mathématiques ou en géographie ; les objets et non sur les processus 6.4.4.1. Etude de la langue
de même, la consigne « décrire » auxquels ils donnent lieu.
n’engage pas le même type de des- Les L1 s’organisent, par exemple pour
cription en histoire et en sciences. Pour une meilleure appropriation ce qui est du genre et du nombre
Pour que les élèves s’approprient ces des contenus notionnels visés, ces selon des systèmes de marques qui
mots polysémiques, ils doivent donc recherches mettent en évidence, peuvent être très différents de la L2.
pouvoir en différencier les sens selon entre autres choses, une meilleure Il en est de même pour ce qui relève
les usages disciplinaires. activation des représentations de l’usage des déterminants. Le posi-
lors de la tâche écrite en français tionnement de l’adjectif épithète en
L2 lorsque les connaissances ont français ou la position du complé-
été activées, oralement, d’abord en ment de nom par rapport au nom
langue première, c’est-à-dire reliées posent des problèmes particuliers.

90 Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines


La distribution de l’information, se-
lon qu’elle est déjà connue ou nou-
velle, pourra donc varier selon les
langues.

Sur des segments de langue à portée


restreinte, les titres ne sont jamais
très longs, se posent ainsi de nom-
breux problèmes syntaxiques et
morphologiques auxquels il convient
d’accorder une certaine attention, la
moindre variation dans la L2 pou-
vant entraîner des erreurs de com-
préhension.

6.4.4.2. Compréhension en lecture,


langage et enseignement

La compréhension constitue dans


l’apprentissage/découverte des
DdNL une composante majeure de
la réussite de l’élève, compréhen-
sion qui ne saurait s’appuyer sur les
seuls mécanismes d’inférence ou
« d’expérience sociale » des usages
de la langue. Le vocabulaire ici est
un vocabulaire spécialisé qui rend
compte de l’expérience du monde
et de sa représentation fondée
sur les notions constitutives d’un
champ disciplinaire donné. « Le peu-
plement du Nord », par exemple,
appartient au vocabulaire de la géo-
graphie et ne saurait résulter de la
seule connaissance du monde de
l’élève. Un enseignement explicite
ou direct doit être envisagé, prenant
appui sur les images, les schémas
présents dans le texte ou le docu-
ment. Les propositions du chapitre
6,« Quelques activités et principes
pour enseigner la compréhension en
lecture », peuvent donc se révéler
également particulièrement utiles
pour la compréhension des textes
des DdNL.

Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines 91


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les sciences d’observation à travers les manuels et les
activités de classe », Tréma, 28 | 2007,
URL : http://trema.revues.org/282 (Pour une revue des
nombreux travaux réalisés en Afrique subsaharienne,
voir :
http://colette.noyau.free.fr )

Spaëth V. (2008). Le français « langue de scolarisation »


et les disciplines scolaires, dans Chiss J.-L. (Dir.), Immigra-
tion, Ecole et didactique du français, Didier, p.p. 64-100.

Vigner G. (2001). Enseigner le français comme langue


seconde. Clé International

92 Chapitre 6 : Lire et écrire dans toutes les disciplines


Conclusion
  sur les acquis en langue maternelle, doit s’articuler à la
Décoder et encoder, comprendre et découverte de l’écrit. L’accent à porter sur le décodage
et l’encodage ne peut s’effectuer que sur des mots en
produire, des échelles temporelles français connus à l’oral par les élèves.
différentes au début du fondamental
Quels que soient les systèmes de scolarisation, les textes
Le décodage et la compréhension ont des dynamiques lus par l’adulte (en langue maternelle et/ou en français) et
d’apprentissage très différentes : ceux lus par les élèves doivent être clairement distingués
tout au long de la première année.
Alors que l’apprentissage de la compréhension du
langage parlé commence de manière implicite dès la Les textes lus par les adultes, plus complexes,
première année de vie, et se poursuit à l’école et tout permettent, à l’oral, de travailler la compréhension
au long de la vie, à l’entrée à l’école, la phonologie, le des textes écrits et doivent trouver leur place dès
vocabulaire oral, la syntaxe et la sémantique de la langue le début de l’apprentissage.
doivent être travaillés de manière explicite.
Les textes lus par les élèves doivent être fa-
L’apprentissage du décodage de l’écrit constitue un cilement décodables. Leur déchiffrabilité doit
temps bien particulier : c’est l’apprentissage de la lecture être contrôlée en fonction des correspondances
à proprement parler, essentiellement pendant la ou les graphèmes-phonèmes préalablement étudiées. La
deux premières années du fondamental. L’expérience complexité des textes à lire par les enfants augmen-
montre qu’il est possible d’apprendre rapidement de tera en fonction de leur degré d’automatisation de
nombreuses correspondances graphème-phonème en l’identification des mots.
début d’apprentissage et que l’entrée dans la lecture en
est facilitée (Goigoux, 2016a ; Riou & Fontanieu, 2016). Dans l’élaboration d’une séquence, en particulier en
Un tempo rapide permet à l’élève de comprendre rapi- français, les textes lus en français par l’adulte peuvent
dement les mécanismes du code et lui donne les moyens être préparatoires à la lecture par les élèves de textes
d’identifier un nombre croissant de mots, ce qui le stimule déchiffrables. La phrase ou le petit texte à décoder par
pour s’essayer à lire. les élèves en français peut par exemple être une reprise
adaptée ou un extrait du texte lu oralement par l’adulte,
La compréhension est le but ultime de la lecture. Le ce qui en facilitera la compréhension.
décodage n’en est que l’instrument, mais un instrument
indispensable. Chaque enfant doit rapidement « faire ses Tout au long de l’apprentissage au primaire, la lecture,
gammes » et posséder la maîtrise de l’instrument (les l’écriture et la production d’écrits sont en étroite relation.
correspondances graphèmes-phonèmes) pour parvenir Les pratiques d’écriture doivent être quotidiennes, diver-
à interpréter la partition que constitue le texte. sifiées, et leurs objectifs clairement énoncés aux élèves.

Ainsi, l’enseignement du sens et celui du code, complé- La nécessité de poursuivre l’appren-


mentaires, doivent être strictement distingués au début
de l’apprentissage. tissage de la lecture-écriture tout au
long de l’enseignement fondamental
Dans les systèmes d’enseignement bi-plurilingue, surtout
durant la première moitié de l’année scolaire, un fort Si les apprentissages de base peuvent être considé-
accent est à mettre sur le décodage et l’encodage, alors rés comme acquis à la fin de l’école primaire, il serait
que tout au long de l’année, parallèlement au travail sur pour autant prématuré de considérer la tâche comme
le code, des temps doivent être dédiés au vocabulaire, achevée, de nombreux élèves ayant encore besoin de
à la compréhension orale et, plus tard, aux difficultés poursuivre certains de ces apprentissages et de stabili-
spécifiques que peut poser la compréhension écrite. ser une relation au langage écrit encore incertaine. Au
collège, l’activité de lecture doit être poursuivie, mais
Dans les systèmes d’enseignement utilisant le français sur des textes pour partie différents de ceux de l’école
langue d’enseignement dès le début du fondamental, primaire et qui font appel à des répertoires de com-
l’apprentissage du français oral, avec un appui possible pétences différemment mobilisés. Notons au passage

Conclusion 93
que les travaux se rapportant à la lecture au collège, vue, d’un jugement, associé à une argumentation. Les
notamment s’agissant des publics adolescents, sont continuités anaphoriques dans ces conditions passent
infiniment moins nombreux que ceux concernant les par des procédures de rappel lexical plus diversifiées,
publics de l’école primaire22. La recherche, en fait, s’est dans des fonctions distinctes, de l’anaphore lexicale
poursuivie non plus sur le lecteur et son activité mais à l’anaphore résomptive (qui résume ou synthétise le
sur les matériaux textuels proprement dits, dans leur contenu de ce qui vient d’être dit). A tout ceci s’ajoute,
organisation et leur fonctionnement propre : typologie bien plus dans le secondaire qu’à l’école primaire, le
des textes/discours ; cohérences textuelles ; aspects rôle joué par les inférences sur la prise en compte des
génériques (textes littéraires, documentaires, etc.). Or, informations implicites.
c’est dans cette interaction entre un apprenti-lecteur,
doté d’un certain nombre de compétences de base, et des textes qui, pour être compris, font appel aux
le texte, dans ses caractéristiques propres, que se joue connaissances du lecteur, sous forme de scripts, de
ce nouveau moment de l’apprentissage. plans, de scénarios, d’éléments de jugement24. Ceux
de l’école primaire s’appuient le plus souvent sur des
Listons brièvement ici les caractéristiques les plus visibles schémas proches de l’expérience de vie ordinaire de
des apprentissages de la lecture au collège : l’élève. Au collège, ces connaissances s’inscrivent dans
des univers qui s’éloignent de plus en plus du quotidien
des textes plus longs (dans des proportions à détermi- empiriquement perçu de l’élève, modélisés par la réfé-
ner), et qui requièrent de la part de l’élève à conserver en rence à des traditions culturelles savantes, à une symbo-
mémoire les éléments d’information recueillis au fur et à lique artistique, littéraire ou scientifique. Ces schémas,
mesure de l’avancée dans la lecture et de les inscrire dans avec leur part d’implicite, appellent de la part du lecteur
un schéma de compréhension plus vaste, à sélectionner une activité inférentielle importante, le traitement du
notamment les énoncés les plus importants. lexique ne constituant qu’une des composantes de cette
approche25.
des textes « authentiques », c’est-à-dire des textes
qui ne sont plus élaborés aux fins strictes d’apprentis- des textes encyclopédiques (DNL). Les élèves seront
sage, mais des textes le plus souvent adressés à des souvent conduits à lire des textes vecteurs de connais-
publics d’adultes, extraits souvent d’œuvres littéraires, de sances, pris dans des manuels, ou distribués sous
préférence issus des littératures africaines d’expression forme de photocopies. Ces textes, par rapport à ceux
française, choisis et découpés (nous sommes toujours en de l’enseignement primaire, ne traitent plus de phéno-
présence d’une lecture par extraits - manuels ou photoco- mènes appréhendés dans leur apparence perceptive,
pies - pour des raisons essentiellement matérielles, avec ou sous forme d’une schématisation élémentaire, mais
parfois dans la proximité du collège des bibliothèques, présentent des objets (au sens d’objet scientifique) bien
mais souvent peu nombreuses) selon des critères péda- plus conceptualisés et faisant de la sorte appel à un
gogiques à expliciter. vocabulaire de plus en plus spécifique au savoir mobilisé.
Des études menées en France montrent que les meilleurs
des textes au lexique plus riche, plus diversifié. élèves maîtrisent près de 3 fois plus de mots que les
La diversité des textes proposés, expériences/épisodes élèves les plus faibles, à la fin du collège (voir, ci-après)
de vie variés, sensibilisation à des problématiques plus
générale, expression de différents points de vue, font
contraste avec les ressources du répertoire lexical ordi-
naire/moyen des élèves.

des textes à construction plus complexe. D’une part


la dimension énonciative pourra y prendre une place
plus importante et implique que l’élève puisse repérer le
traitement de l’expérience de vie rapportée/le point de
vue singulier, dans une vision particulière. Les compo-
santes du récit pourront comprendre une dimension
narrative, descriptive, un système de discours rapporté
(style direct, indirect libre), l’expression d’un point de

22On peut citer cependant l’ouvrage coordonné par C. Golder et D. Gaonac’h, Enseigner à des adolescents. Manuel de psychologie, Hachette,
2001.

23L’ouvrage de P. Coirier, D. Gaonac’h, J.M. Passerault, Psycholinguistique textuelle. Approche cognitive de la compréhension et de la production
des textes, Armand Colin, 1996, aborde ces différentes questions. Linguistique textuelle et cognition s’y trouvent ici rassemblées.
24 Voir ¨P. Coirier et alii, op.cit. pp. 61-71.
Voir ainsi G. Vigner Le monde, les mots et l’école : éléments d’une didactique du vocabulaire à l’école élémentaire, p.191-209, n° 8, 1993,
25
dont certaines analyses et propositions peuvent être transposées au collège.

94 Conclusion
Extrait de Moïse Dero, Inventaire du vocabulaire et développement des connaissances, du Cours préparatoire à la
Sixième du collège, Thèse de doctorat, Rennes 2, 1998

Le graphique ci-dessus fait ainsi apparaître, dans le cas gement ou une articulation nouvelle des compétences
d’un public de francophones natifs, l’importance de préexistantes.
l’effort accompli en matière de mots acquis (en plus du II est donc essentiel, aussi bien au sein des cycles sco-
vocabulaire courant)26. On peut considérer que pour un laires qu’entre ces cycles, que les dispositifs didactiques
élève africain, l’effort sera de même proportion, même nouveaux s’inscrivent dans la continuité de ceux utilisés
si sur un plan strictement quantitatif, des différences aux niveaux précédents.
peuvent apparaître.
Cet apprentissage continu permettra à l’élève de déve-
La lecture au collège s’organise à partir de textes de plus lopper ses habiletés et de construire des stratégies de
en plus éloignés de la langue des familles et du quotidien lecteur expert pour sa réussite scolaire mais aussi pour
de la vie sociale des élèves et faisant appel de la part sa réussite personnelle et professionnelle.
du lecteur à des savoirs et des savoir-faire inédits qui Il est donc impératif que soient mis en place des disposi-
devront faire l’objet d’une approche pédagogique plus tifs de suivi afin que chaque enseignant ait connaissance
attentive de la part des professeurs. de ce qui a été fait l’année qui précède celle(s) sous sa
responsabilité. C’est une condition pour que les stratégies
L’apprentissage de la lecture-écriture est un processus pédagogiques s’inscrivent dans un processus continué.
continu qui s’effectue tout au long de la vie. Chaque
nouvelle compétence constitue une évolution, un prolon-

****

Nous espérons que les informations apportées dans ce document d’appui soutiendront la formation initiale
et continue des enseignants des pays membres du programme APPRENDRE. Nous invitons les responsables
nationaux ayant participé à cet atelier de formation à réfléchir aux stratégies à mettre en œuvre dans cette
direction. L’ensemble de la documentation fournie pendant cette session de formation (supports papier
et vidéo) leur reste accessible et communicable.

26 Voir aussi A. Lieury « Mémoire et apprentissage scolaire », Etudes de linguistique appliquée, 2003, n° 130.

Conclusion 95
Conception et réalisation Grégory Féron - 2021

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