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ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE

Le calypso grivois à Trinidad (Caraïbes)

Bertrand MASQUELIER

La scène musicale du carnaval de Trinidad1 s’est diversifiée


tout au long du XXe siècle. En premier lieu il s’est agi de la
transformation, au fil du temps, des formes de calypso (ou
kaiso) : un genre de chanson apparu sur la scène carnavalesque
dès la fin du XIXe siècle. Une seconde diversification s’est
opérée grâce à une innovation technique ; l’invention, dans les
années 1930-1940, d’un nouvel instrument de percussion, le
steel drum : un ensemble d’instruments de percussion d’acier
rassemblés en orchestres (steel bands) de tailles plus ou moins
importantes. Les frontières musicales entre calypso et les
compositions instrumentales (pan music) des steel bands sont
poreuses. Outre l’inclusion dans leur répertoire de morceaux
adaptés des grandes compositions classiques, les steel bands
jouent en partie les mélodies des calypsos les plus populaires.
En retour, de nombreuses chansons (calypsos) célèbrent les
performances des orchestres de percussion (steel bands), la
beauté des sonorités qu’ils émettent et qui se mêlent parfois à
celles des instruments (cordes, cuivre, vent, etc.) des orchestres
qui les accompagnent2.

1
Trinidad fut découverte par Christophe Colomb lors de son troisième
voyage. Faiblement peuplée depuis sa découverte, l’île a vu sa population
croître de façon significative à partir de 1783, grâce à l’arrivée, à l’invitation
du roi d’Espagne, de planteurs catholiques français et créoles euro-antillais,
et de leurs esclaves d’origine africaine. L’île passera aux mains des
britanniques en 1797 ; elle sera administrée directement de Londres, avec le
statut de Crown Colony, jusque dans les années 1920, sous l’autorité de
gouverneurs successifs. Avec Tobago Trinidad accède à l’indépendance, en
1962.
2
Pour une perspective d’ensemble sur les transformations musicales du
calypso au XXeme siècle voir Guilbault (2007), et Rohlehr (1990) pour une
Dire et sous-entendre. Parler, chanter, écrire : les ruses de la parole
Micheline LEBARBIER (textes réunis par)
2016, Paris, Karthala
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Le genre (musical et textuel) du calypso rassemble plusieurs


styles de chansons. L’ensemble partage quelques principes
communs de composition et différents styles se côtoient au sein
d’une même période, comme ils se succèdent au fil du temps et
de leurs transformations. Pour l’étude qui nous concerne ici,
nous ne traiterons que du calypso grivois. Ce style est identifié à
Trinidad par l’expression saucy calypso, qui emprunte un
adjectif au lexique de l’anglais pour signifier l’effronterie de
cette forme, ou par le simple substantif smut pour marquer sa
grivoiserie ou son indécence. Mais l’expression préférée des
Trinidadiens est celle de double-entendre : cette dernière est
empruntée au lexique du créole francophone qui était parlé
majoritairement dans les campagnes de l’île tout au long du
XIXe siècle (Masquelier, 2011).
L’expression double-entendre est particulièrement bien
choisie ; elle pointe le double sémantique qui, selon les
Trinidadiens, survient au plan rhétorique : le calypso grivois se
présente en effet comme un récit anodin (chanté) qui se double
d’un sens érotique. Toutefois le processus sémiotique du
double-entendre est complexe ; les composantes sont sonores,
grammaticales, sémantiques, pragmatiques ou communi-
cationnelles. Sans exclure le potentiel de signifiance des
constructions sonores et de la forme musicale de l’ensemble en
situation de performance, la modalité du double-entendre opère
en particulier sur deux plans : celui de la construction
sémantique du texte (l’ensemble des unités – constructions
phrastiques des lignes, succession des strophes, refrains, etc. –
qui composent la chanson), et celui de la logique pragmatique
qui survient dans l’échange entre chanteur et auditoire. C’est
l’écart entre signification littérale de ce qui est énoncé et sens
communiqué, tel qu’il est entendu, « en double », « grivois » ou
« érotique », qui mérite notre attention dans les pages qui
suivent. D’autant que comprendre un calypso grivois ne pose
guère de problèmes à un Trinidadien passé maître dans les
manières de parler locales.
Les Trinidadiens sont particulièrement épris de mots d’esprit,
notamment lorsqu’ils écoutent des calypsos, et ils n’hésitent pas

histoire sociale de ce genre dans la période coloniale et une analyse en


termes de littérature orale (2004).
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 99

à les partager à l’occasion. L’enjeu est ainsi de décrire la


logique de compréhension mise en pratique par tout auditoire à
l’occasion d’une performance scénique, comme elle peut jouer
entre interlocuteurs lorsqu’ils sont amenés, pour une raison ou
une autre, dans une conversation ou un débat par exemple, à
mentionner quelques-unes des lignes d’une chanson grivoise.
Nous nous proposons d’explorer ces premières remarques à
partir de quelques exemples de calypsos grivois, non sans
oublier la situation-type d’interlocution que leur énonciation
implique et génère. Le paramètre de l’interlocution trouve
expression et forme aussi bien dans le système de la langue que
dans les usages langagiers qui associent discours et situations
d’énonciation, comme dans les stratégies discursives qui
configurent les interactions. Faire référence au contexte de
situation de l’interlocution c’est prendre acte des pratiques
réelles des sujets parlants.
Depuis 2003 mes recherches ethnographiques à Trinidad,
portent sur des situations dont l’analyse croise plusieurs points
de vue : ceux de l’histoire, et de l’anthropologie (sociale)
politique et linguistique. Je ne dresse aucune frontière entre les
différents courants de l’anthropologie, considérant que les
situations d’interlocution sont, dans cette perspective, un
excellent lieu de rencontre pour en étudier les intersections. Par
ailleurs, toujours dans ce cadre de travail, les situations
d’interlocution, par exemple celles des performances de
chansons associées au carnaval, constituent une matière qui
relève des problématiques de l’ethnographie pragmatique.

Going to the tents3

La situation linguistique à Trinidad reflète non seulement les


conséquences de l’histoire coloniale de l’île, mais aussi celles
des politiques du peuplement qui la sous-tendent. Pour suppléer
à la perte de main-d’œuvre dans les plantations à partir de
l’abolition de l’esclavage en 1834, qui devient définitive en

3
Cette expression idiomatique est trinidadienne. Elle décrit « l’activité à
laquelle les Trinidadiens s’adonnent lorsqu’ils se rendent dans les lieux où
sont présentés les calypsos de la saison. » (Masquelier, 2011 : 111)
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1840, les britanniques organisent la venue, depuis l’Inde, d’une


main-d’œuvre agricole (indentured labor), et ce, jusqu'à la
Première Guerre mondiale. Si le plurilinguisme caractérise
Trinidad au XIXe comme au début du XXe, ce dernier siècle est
marqué par une dynamique sociopolitique qui favorise l’anglais
et permet de l’imposer, non sans que se maintienne une
diversification entre anglais standard et des styles de parler qui
varient selon les classes, et les contextes urbains et ruraux. La
diversité des pratiques religieuses – celles du christianisme
(catholique et protestant), de l’hindouisme, de l’islam, comme
des cultes syncrétiques afro-caribéens – ajoute un niveau
distinct de complexité.
Chanter un calypso, comme en écouter un, est une activité
qui s’inscrit, à Trinidad, dans un contexte dont les composantes
renvoient à l’histoire, à l’arrière-plan socioculturel, aux cadres
institutionnels, à la situation sociolinguistique de l’île. Ces
composantes sont observables et descriptibles ; elles font l’objet
d’ailleurs de discours qui véhiculent pour une part la
représentation que les Trinidadiens se font du calypso et des
« pratiques » qui lui sont associées. Ainsi, selon V. Naipaul :
« Le calypso est une forme purement locale. Il n’y a pas de
chanson composée hors de Trinidad qui soit un calypso. Le
calypso parle d’incidents locaux, d’attitudes locales, et cela
dans un langage local. Le calypso pur, le meilleur calypso, est
incompréhensible à l’étranger. L’esprit et les bons mots sont
fondamentaux ; sans eux une chanson, qu’elle que soit la
qualité de la musique et de l’interprétation, ne peut être appelée
calypso. » (Naipaul, 1994 [1962] : 80)
Écrites originellement en 1962, ces lignes de Naipaul gardent
leur pertinence. Les Trinidadiens se plaisent à distinguer les
chansons locales, destinées aux performances locales, des
compositions, reprises ou inspirées des premières parfois, mises
au goût de publics autres. Il importe en effet selon eux de
distinguer les lieux de production et de performance : de
différencier Trinidad des lieux de destination de l’émigration
caribéenne vers l’Amérique du Nord (New York, Toronto) ou
l’Europe (Londres) ; et de rappeler la différence entre une
production qui resterait authentique, soumise aux attentes d’un
public local, de celle qui ne le serait que moins. Dans les années
1950 l’expression Manhattan calypso désignait ainsi certaines
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compositions, celles d’Harry Belafonte notamment. Aujourd’hui


pour souligner le caractère classique ou patrimonial (vintage) de
certaines formes de calypso, ils ont recours à un terme d’origine
africaine : kaiso ; ce terme serait d’origine hausa ; énoncé
comme un cri lors d’un rassemblement, il vocaliserait (selon les
hypothèses proposées) l’approbation, l’adhésion d’un auditoire
au spectacle dont il serait le témoin. Lorsque dans les
conversations le mot kaiso se substitue aujourd’hui au terme de
calypso, il désigne un genre textuel dont la forme est modelée
sur celle des chansons des années 1950 et 1960. Il implique de
même un certain style musical, une manière de parler-chanter
« à l’ancienne ». Ce mot sert enfin à rappeler la généalogie
africaine de cette forme d’art verbal et musical ; dans la
perspective de cette construction idéologique, il importe
d’affirmer que le rapport aux pratiques culturelles du continent
d’origine n’a pas été rompu par la traite transatlantique des
esclaves.
Les Trinidadiens dénomment ainsi calypsonian ou kaisonian
le chanteur de la forme « locale » du calypso/kaiso et singer of
calypso celui qui n’en est qu’un interprète. Cette catégorisation
complète les précédentes. Elle distingue deux situations types,
emblématiques à leurs yeux : celle du chanteur (calypsonian ou
kaisonian) qui fait corps avec les chansons de son répertoire
dont il est en principe l’auteur. En outre, dans ce rôle, il se fait,
selon l’une des formules locales, le porte-parole de la
communauté, et des publics auxquels il s’adresse pour parler de
leurs circonstances de vie. En contraste, il y a l’artiste-interprète
(singer of calypso), celui qui s’approprie les compositions
vernaculaires ou qui s’en inspire. Les versions transnationales
du calypso ont rencontré d’importants succès commerciaux :
dès les années 1940, notamment avec les Andrews Sisters4, puis
dans les années 1950, avec les calypsos chantés par Harry
Belafonte. Quelques-uns des textes de calypsos et leurs

4
Les Andrews Sisters, euro-américaines, blanches, originaires du centre des
États-Unis, sont les interprètes de Rum and coca cola. Enregistrée en 1944
par Decca, la chanson des Andrews Sisters est dérivée, de fait plagiée, d’un
calypso composé en 1943 par un Trinidadien du nom de Lord Invador. La
composition originale porte sur la prostitution générée par la présence des
troupes américaines en garnison à Trinidad durant la Seconde Guerre
mondiale.
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mélodies réarrangées ont été régulièrement interprétés par des


interprètes nord-américains (par ex. Robert Mitchum), ou
européens (Sacha Distel, Arielle Dombasle), parfois en
traduction.
La fin des fêtes de Noël et du nouvel An ouvre la saison des
activités hebdomadaires (préparation des défilés des asso-
ciations carnavalesques, répétition des orchestres, concerts,
fêtes) qui mènent aux célébrations du carnaval du Mardi gras et
du week-end qui le précède avec les dernières compétitions
musicales. Les lieux de représentations (venues) où sont
présentées les nouvelles chansons des chanteurs de calypso sont
ainsi ouverts au public dès le mois de janvier. La pleine
expérience d’un calypso consiste à l’entendre à l’occasion de sa
présentation sur scène devant un auditoire. L’expression
vernaculaire going to the tents décrit les attentes de cette
démarche. Selon la description d’Earl Lovelace, écrivain
trinidadien :
“Calypso tents shall be opened… and we shall go to the
tents to laugh, to be amused, to be scandalized and to take part
in someone’s ridicule and to listen to current topics (hopefully)
aired with that nice bit of humour.” (Earl Lovelace, 2003 : 22)5
Les chansons, la musique qui les accompagne, génèrent un
foyer partagé d’attention. L’auditoire, sur les lieux de la
représentation, est là pour apprécier les performances des
chanteurs, pour le plaisir, et rire en réponse à ce qui est chanté
(to laugh, to be amused). Au plus profond de lui chaque
membre de l’auditoire cherche à vivre de plain-pied
l’événement, à y participer, émotionnellement, intellectuel-
lement, sans retenue, quitte à se scandaliser à l’écoute de ce qui

5
Traduction libre : « Quand les lieux de spectacle de calypsos ouvrent […]
nous nous y rendons pour rire, nous divertir, nous offusquer, participer aux
moqueries énoncées à l’encontre d’autrui, et pour entendre parler des sujets
du moment, présentés si possible avec un brin humour ». Dans la suite de cet
essai les textes des chansons ne sont pas traduits ; ils sont longuement
commentés, souvent ligne par ligne. Ce choix est linguistique. La
compréhension de ce que ces chansons énoncent, qui serait facilitée sans
doute par le détour d’une traduction, en est retardée. Mais il semble
important pour l’analyse, et dans l’esprit de notre argumentation, de
confronter le lecteur à quelque chose de la matérialité de l’anglais
vernaculaire trinidadien, du moins dans la variété et le style choisis par les
chanteurs pour s’exprimer.
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s’énonce sur scène (to be scandalized and to take part in… and
to listen to).
Toutefois, l’événement de la performance ne se limite pas au
seul chronotope (l’unité espace-temps) d’une représentation.
Les performances de calypsos s’inscrivent dans le contexte plus
large de l’espace public, à l’échelle de l’ensemble de la « cité »
que forme Trinidad (et Tobago). Ceux qui composent l’auditoire
d’une performance occupent la position du tiers (Masquelier,
2011). Ils sont les actants, parmi d’autres, d’un trope communi-
cationnel6, un contexte d’échanges auquel tout un chacun est
invité à participer, pour se scandaliser, commenter, rapporter.
Les relais sont constitués par les conversations que les gens
tiennent ici et là, sur la place du marché ou dans les bars à rhum,
mais aussi par la radio et la presse écrite.
Les chansons de calypso se présentent sous la forme de brefs
récits. Certains prennent le tour du commentaire politique sur
les événements locaux, parfois internationaux. D’autres plus
légers ne font que divertir. Mais tous les calypsos s’inscrivent
dans le même cadre de référence. On peut tirer des leçons de
leurs descriptions de la conduite humaine. Ils énoncent,
directement ou indirectement, avec ironie, sarcasme et humour,
une opinion (à caractère moral) sur les comportements humains,
les événements.
Toutes les variétés de chansons sont habituellement
présentées au programme qui est proposé au public par les
organisateurs d’un « spectacle » de chansons ou par les
directeurs des salles. L’auditoire est invité à écouter plusieurs
chanteurs. Ils se succèdent sur scène tour à tour, parfois rivaux,
pour présenter leurs chansons : sérieuses pour certaines, d’autres
poignantes, ou comiques. Les chanteurs sont longtemps apparus
sur scène sous la bannière d’une équipe et plusieurs de ces
équipes ont joué un rôle notoire dans l’histoire du calypso au
cours du XXe siècle.
Les enregistrements des productions annuelles de calypso
sont généralement centrés sur le répertoire de chaque chanteur ;
ils ne présentent que rarement la diversité d’un programme type

6
L’expression est de Kerbrat-Orecchioni, 1994.
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de spectacle7. L’une de ces exceptions est le disque intitulé


Calypso Kings and Pink Gin. Publié en 1957 par Emory Cook,
ce disque restitue partiellement le programme des chanteurs du
Young Brigade, dont faisaient partie, dans ces années-là, Lord
Melody, Mighty Sparrow, King Solomon, Chang-Kai-Sheik,
King, Fighter, Lord Cypher8. Les enregistrements, publics,
effectués dans la salle où se produisait le groupe, en janvier
1957, et dans les semaines qui précèdent le carnaval de mars
1957, restituent la diversité des compositions de chaque
chanteur et du programme qui était ainsi proposé au public. Les
styles enregistrés par Cook se succèdent et se mêlent : un duel
d’insultes (entre Sparrow et Melody), des calypsos politiques à
propos des élections nationales de septembre 1956 (Sparrow,
Cypher), des chansons caustiques sur les infidélités conjugales
(Sparrow), la déloyauté des enfants (Chang-Kai-Sheik), ou
comiques sur le stigmate de la laideur (Melody).
Certaines compositions de calypso confrontent, dans le
contexte même du texte de la chanson, les topiques les plus
contradictoires : celles du commentaire politique, d’une part ; il
est généralement chargé de gravité en raison de la critique
portée à la puissance politique, il appelle bien souvent à la
résistance face aux excès du pouvoir. D’autre part, celles des
situations figurées dans le récit grivois invitent, quant à elles, au
rire le plus franc et libéré. Habituellement, l’une et l’autre de ces
orientations thématiques véhiculées par des calypsos distincts
alimentent les conversations des rencontres de circonstances et
sollicitent entre interlocuteurs un jugement moral passager et
spontané. Dès lors qu’elles se côtoient dans le même calypso,
leur tension fait surgir la profondeur de l’humour.

7
Ce n’est que dans les dernières décennies du XXe siècle que les chanteurs
auront été en mesure d’enregistrer avec régularité leurs compositions
annuelles et de les commercialiser ainsi plus facilement.
8
Jusque dans les années 1970-1980 tous les chanteurs de calypso (c'est-à-
dire calypsonians selon la terminologie locale) portaient un nom de scène ou
un sobriquet (dans la terminologie trinidadienne). Ce même nom identifiait
l’un des personnages représenté dans le récit des chansons (voir Masquelier,
2011). L’une des ruptures dans l’histoire musicale du calypso intervient dans
les années 1980 avec l’abandon du sobriquet par quelques chanteurs. David
Rudder est l’un de ceux qui est à l’origine de ce schisme, comme l’un des
inventeurs de nouveaux styles de calypso dans le dernier quart du XX e siècle.
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 105

C’est ce que révèle l’un des calypsos de Black Stalin, Wait


Dorothy wait. Le nom de Dorothy désigne le personnage
féminin, fictif, d’une rencontre frivole avec le personnage
(représenté) du chanteur, une rencontre marquée par
l’expérience du plaisir. Ce calypso, dont nous ne citons qu’un
court extrait, est organisé autour du dialogue que le chanteur,
compositeur de la chanson, tient avec lui-même, dans le
moment où il s’adresse à son auditoire (lignes 1-11). Les neuf
premières lignes correspondent à une première strophe. Elle
introduit le dilemme auquel le chanteur est confronté : hier,
l’attente de son auditoire, en l’occurrence ses fans, pour un
calypso d’un style nouveau, le soca (lignes 1 et 2) dont le mode
musical de Wait Dorothy Wait est d’ailleurs un exemple ;
aujourd’hui la requête des fans est pour un calypso érotique
(ligne 4). Elle ne peut qu’être la source d’une certaine perplexité
pour toute personne connaissant le compositeur. Black Stalin est
reconnu par les Trinidadiens pour ses positions politiques9 :
pour ses contestations virulentes des puissants, la critique des
injustices qu’ils perpétuent dans leur exercice du pouvoir ou
dans leur manière d’exercer le pouvoir. Il est le défenseur de la
cause de la classe populaire afro-caribéenne, celle des plus
démunis, des plus pauvres. C’est d’ailleurs cette image
« politique » et « morale » que Black Stalin entend exprimer,
bien que l’attente de son public, pour décevante qu’elle soit,
vaut bien l’effort d’une composition grivoise (lignes 5 et 6).
C’est sans compter avec l’esprit de résistance du compositeur
qui ne peut oublier les maux politiques du moment. Il en dresse
la liste tout au long de la chanson et les rappelle à son auditoire :
les discriminations raciales dans le sud des États-Unis, les
tensions ethniques en Angleterre, l’apartheid en Afrique du sud,
les échecs des politiques dans les Caraïbes, la famine en
Ethiopie, l’assassinat politique en Inde. Que les revenus du
pétrole croissent ou baissent (lignes 11-12), les gens sont
abandonnés dans la pauvreté et leurs bidonvilles : une référence
en quelques mots aux fluctuations des revenus pétroliers de
Trinidad, leur croissance dans la seconde moitié des années

9
Voir l’étude consacrée à ce chanteur par Louis Régis (2007).
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1970, puis leur effondrement au début des années 1980.


L’augmentation de la pauvreté dans l’un et l’autre cas.

S1, Black Stalin, 1984 : Wait, Dorothy, Wait10


(1) 1983 mih fans beg for a favour11
(2) Ah decide to please them so ah write a soca
(3) Last year they come back with a different story
(4) They say they want something smutty about Jane or
Dorothy
(5) Now on your fans you know your future depends
(6) So ah sit down to write this smut only to please them
(7) But as ah take up mih pen and mih piece of paper
(8) And ah write out the first verse,
(9) listen what I remember
(10) That oil money come and oil money go
(11) And poor people remain on the pavement and ghetto
(12) But when I see Mr Divider start to divide the bread
equally
(13) Yes ah going and finish the whole dam’ calypso ’bout
Dorothy
(14) How I jam she, in the party
(15) How she jam me in the party
(16) And we back back in the party
(17) And we roll back in the party

10
J’identifie chaque texte de chanson, ou l’extrait qui en est donné, comme
correspondant au récit d’une situation (S) numérotée selon l’ordre de son
apparition (par ex., S1) ; à cette formule s’ajoutent le nom de scène du
chanteur, la date de « publication » de la composition, et son titre.
11
Différentes variétés de l’anglais parlé à Trinidad sont représentées dans les
compositions de calypso. Les exemples cités dans ce texte illustrent les
formes (au plan du lexique et des constructions grammaticales) du créole
anglophone populaire. Dans cette variété le pronom my (my fans, ligne 1 par
exemple) est prononcé me (me fans). La transcription, plus ou moins codifiée
par l’usage en cours à Trinidad, est à son tour variable : par exemple, me, mi
ou mih. Il y a bien d’autres écarts avec l’anglais « standard » parlé à Trinidad
influencé par les variétés de l’anglais américain et britannique. Plusieurs
variétés de l’anglais sont ainsi parlées à Trinidad (Winer, 2007) ; mais la
situation linguistique est bien plus complexe qu’il n’y paraît, car il faudrait
encore distinguer, au sein de chaque grand ensemble, des styles de parole
distincts (ways of speaking) qui définissent des pratiques interlocutives
étroitement liées aux situations sociales et aux réseaux de relations (speech
networks) qui les accueillent.
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(18) But once my people keep suffering for an equal share


of the cake
(19) Wait Dorothy, wait Dorothy, wait.
(20) […]
Face à l’urgence politique, tant qu’il n’y aura pas plus de
justice (ligne 12), le compositeur remet à plus tard (ligne 13)
l’écriture de la chanson grivoise dont il chante toutefois les
premières lignes (lignes 14-17). Ces quelques lignes sont
enchâssées dans l’ensemble du refrain qui est répété entre
chaque strophe (lignes 14-19). Les expressions choisies sont
ordinaires, empruntées aux manières du parler courant pour dire
le plaisir que procure la fête (jam, party), la danse (back back,
roll back), la réciprocité de la rencontre plaisante, sans doute
sexuelle (I jam she, she jam me). Le champ sémantique de jam
ouvre en effet la possibilité d’entendre ces formules (I jam
she/she jam me) comme le récit d’une rencontre sexuelle, sur
fond du contexte de la scène que le compositeur dessine avec
parcimonie, en quelques mots brefs (lignes 14-17), et quelques
références à « Dorothy » insérée dans les strophes qui précèdent
et prolongent chaque refrain.

Figures de discours : la rhétorique de l’implicite

Comment représenter la sexualité et la faire figurer dans un


récit ? Deux sources de contraintes sont susceptibles de
compter. L’une est la censure extérieure ; elle émane des règles
qu’énoncent certaines autorités morales de la société civile, ou
de lois qu’impose le pouvoir politique. D’autres contraintes,
d’un type bien différent, sont celles inhérentes au genre de
discours dans lequel est configurée la forme textuelle.
C’est ainsi que tout un ensemble de mesures répressives ont
ponctué les premières décennies du XXe siècle à Trinidad. Elles
visent en particulier les activités festives et musicales de la
classe populaire. De 1934 à 1951, le pouvoir colonial britan-
nique, conforté par la bourgeoisie locale et parfois à sa
demande, a imposé une censure sur les compositions de calypso.
Chaque chanteur, avant même de faire entendre ses chansons,
devait faire viser leur contenu par une commission ad hoc. Dans
cette même période, les lieux de performance du calypso étaient
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surveillés par des policiers en uniforme12. Rien ne prouve


toutefois que cette censure d’État ait été très efficace13, ni
qu’elle ait contribué à changer le style des paroles du calypso. Il
faut noter, par exemple, que c’est dans cette période que le
calypso politique a vu le jour. Pour le reste, le calypso, en tant
que genre de discours, privilégie le recours à l’indirection
rhétorique et favorise souvent, selon le cas, une certaine ironie.
Dire des choses sérieuses en chantant, c’est pouvoir aussi les
dire en faisant le choix de s’en tenir à bonne distance
(Masquelier, 2011).
Au-delà des censures (officielles, sociétales et politiques) ou
des normes propres à un genre de discours qui exercent leurs
contraintes sur la composition d’un calypso, la question est de
savoir comment mettre en fiction la rencontre des corps, ce qui
nous en est familier, et éviter le réalisme de la description
pornographique. Cet enjeu ne se pose pas au seul compositeur
d’un calypso. Il concerne aussi le romancier. Selon David
Lodge (1992), dans le roman proposé à la lecture, c’est
l’incomplétude du texte écrit qui ouvre le champ à l’implicite14.
Autrement dit, la description de situations de rencontres entre
les protagonistes fictifs d’un récit doit permettre d’évoquer la
sexualité, sans l’expliciter, selon le contexte de la situation
représentée. Paradoxalement, ce point de vue accorde toute son
importance à ce qui est littéralement dit, du moins à ce qui est
explicitement énoncé, bien que de manière vague ou
incomplète, et vers lequel l’attention du lecteur s’oriente.
Charge à lui de déceler son envers, c'est-à-dire le non-dit, par-
delà ce qui est littéralement dit, quitte à mobiliser dans le champ

12
Les règles de censure étaient détaillées dans le Theatre and Dance Hall
Ordinance : une ordonnance législative votée en 1934, amendée en 1951.
Raymond Quevedo, alias Atilla the Hun (sic), l’un des grands chanteurs des
années 1930, élu comme membre du conseil législatif en 1950, réussit
quelque peu à obtenir, en 1951, un assouplissement des règles en vigueur, et
dont l’application, dans les pires moments, obligeait les chanteurs à obtenir
jour après jour l’autorisation de chanter leur répertoire (Quevedo, 1983).
13
Le pouvoir colonial a encouragé malgré lui un certain esprit de résistance.
Contre l’interdiction de jouer du tambour traditionnel à membrane tendue,
c’est dans cette même période (années 1930) qu’a été inventé ce nouvel
instrument de percussion qu’est le steel-drum (Stuempfle, 1995).
14
Implication (en anglais) est l’expression de Lodge (1992).
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 109

de sa propre expérience et son bagage de connaissances


collatérales, ce savoir d’arrière-plan qui lui permet de spécifier,
d’expliciter, sauf erreur, ce qu’il lit.
Cette perspective sur l’implicite dans la fiction, et la part
qu’il joue chez certains auteurs pour suggérer la sexualité de
scènes fictives, révèle moins un usage particulier du langage
qu’une situation plus générale. En effet, l’incomplétude de ce
qui est littéralement dit n’entre pas en scène seulement lorsqu’il
s’agit de parler de sexe, de plaisir, ou de rapports amoureux.
L’incomplétude du dire, tout comme le travail d’inférence qui
est nécessaire pour déceler l’implicite de ce qui est dit,
concernent l’usage rhétorique du langage en général. C’est là
reconnaître que le vague résulte le plus souvent de l’emploi
recherché des figures du discours, quand il ne se manifeste pas
par défaut comme une propriété inhérente à l’ensemble de nos
productions langagières habituelles. Ce constat permet de
reconnaître le rôle manifeste que jouent les figures du discours
(figures de styles) dans l’économie du dire. Ainsi, pour en
revenir au calypso, les explications populaires, à Trinidad, sur
les mérites des compositions de calypso, que ces compositions
soient ou non grivoises, privilégient l’attention à la qualité de
leurs constructions rhétoriques. Cet intérêt pour la rhétorique
affleure régulièrement dans les échanges entre Trinidadiens,
notamment lorsqu’il s’agit de débattre publiquement des critères
qui permettent de reconnaître un bon calypso. Dans le contexte
des compétitions organisées dans la période carnavalesque, qui
voit les chanteurs de calypso rivaliser entre eux, l’habilité
rhétorique des propos chantés est l’un des critères retenus pour
juger la qualité des chansons et couronner les meilleures. Ceci
vaut pour tous les styles de composition, quelles que soient les
catégories de chanson (Masquelier, 2011).
La presse trinidadienne est le lieu où se tiennent certaines de
ces conversations. Je prendrai pour exemple deux essais
éditoriaux sur le double-entendre publiés le 24 et le 27 janvier
2003 dans le quotidien The Express. Les commentaires sont
signés de Keith Smith, l’un des éditorialistes du journal, et sont
intitulés masterfully funny, et double trouble. Dans le second de
ces essais, daté du 27 janvier, Keith Smith insère une longue
lettre que lui a adressée Hollis Liverpool ; ce dernier, connu
110 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

comme chanteur de calypso sous le sobriquet de Chalkdust, est


considéré comme l’une des grandes figures du calypso politique
contemporain. Le long commentaire de Liverpool vient en
réponse aux remarques de Keith Smith qui, dans son premier
éditorial, s’étonnait que d’excellentes chansons, pourtant
identifiables pour leurs subtils sous-entendus, ne soient pas
honorées par les jurys des compétitions de calypso. Liverpool
écrit :
“Glad to see you showing the critics the beauty of calypso.
Glad to see you showing the judges the beauty of good smut
and humour. […] The thing is Keith, unless you are hip to
figures of speech then you can’t see the beauty of good calypso,
and most of the judges don’t know the difference between
irony, metaphor, simile, antithesis and onomatopoeia.”15 (The
Express, January 27, 2003)
Liverpool déplore l’ignorance des jurys en matière de figure
de style ; la clé d’un bon double entendre réside dans ses figures
rhétoriques : irony, metaphor, simile, antithesis and
onomatopoeia. L’argumentation de Liverpool vaut pour le
calypso en tant que genre de discours ; l’habilité rhétorique est
nécessaire dans tous les cas, en particulier parce qu’elle
alimente l’indirection des propos de tout calypso, une stratégie
discursive qui correspond à l’un des critères de l’esthétique
verbale de ce genre de chanson, comme elle répond à l’attente
du public (Masquelier, 2011). Pour illustrer son argumentation
sur le double entendre grivois, dans le commentaire longuement
cité par Keith Smith, Liverpool fait référence à deux calypsos
qui méritent quelque attention.
Le premier est de Mighty Sparrow. Liverpool introduit ce
calypso par le rappel d’une expérience menée auprès
d’étudiants16, aux États-Unis. Il leur était demandé d’attribuer

15
Traduction libre : « Heureux [Keith] de vous voir démontrer auprès des
critiques ce qui fait la beauté du calypso. Heureux de vous voir démontrer
aux jurys [des compétitions de calypso] ce qui fait la beauté d’une bonne
grivoiserie et de l’humour […]. Mais Keith, à moins d’être à la page en
matière de figures de discours personne ne peut apprécier la beauté d’un bon
calypso, et la plupart des juges ne connaissent pas la différence entre ironie,
métaphore, comparaison, antithèse et onomatopée ».
16
Titulaire d’un doctorat en anthropologie sociale, Hollis Liverpool est un
ancien universitaire.
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 111

un titre au texte de la chanson retranscrit au tableau noir : mais


sans grand succès ; les intitulés proposés (Napoléon, French
revolution) révélaient en effet que ces étudiants n’avaient pas
entendu, c’est-à-dire appréhendé, le sous-entendu du texte, par
ailleurs indicible. Liverpool écrit17 :
“I put this next one Keith on my blackboard in Michigan
and I asked the students to give me a title for it. The titles, they
gave, ranged from Napoleon to the French revolution. No one
had a clue what Sparrow was speaking. Here is the Bird […] as
he sings on #$% (well Keith, you know).”18 (The Express,
January 27, 2003)

S2, The Mighty Sparrow, 1969 : 60 million Frenchmen


(1) You say that you love me
(2) And give your heart
(3) Ah must love your whole body
(4) Why not give each part
(5) When love is true
(6) There’s one thing you must do
(7) The French people know the trick
(8) So they have everybody hip
(9) They say is Napoleon who start this ting
(10) Every other Frenchman only copying
(11) People use to only say how it couldn’t be
(12) Now this thing is rampant
(13) Here in this country
(14) Long time when you catch a man
(15) Committing this crime
(16) First thing he will say, oh gosh, boy, first time

17
Les versions des chansons citées en S2 et S3 correspondent aux textes
proposés par Hollis Liverpool pour illustrer son argumentaire envoyé à Keith
Smith et publié comme tel dans l’éditorial intitulé double trouble de ce
dernier le 27 janvier 2003.
18
Traduction libre : «J’ai mis au tableau le texte de ce calypso [par le
Mighty Sparrow], c’était à [l’université] Michigan, et j’ai demandé aux
étudiants de lui donner un titre. Les intitulés qu’ils m’ont donnés parlaient de
Napoléon et de révolution française. Aucun d’entre eux n’avait la moindre
idée de ce que Sparrow énonçait. Ci-joint “the Bird” […] quand il chante le
#$% (mais bon, Keith, tu sais [de quoi il s’agit]) ». Il faut noter que les
signes diacritiques #$%, choisis par Liverpool dans son commentaire,
signifient l’indicible et l’informulable pour des raisons de bienséance. Nous
reviendrons sur ce point par la suite.
112 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

(17) Nowadays he singing you a brand new song


(18) 60 millions Frenchmen could not be wrong.
(19) [...]
Dans le calypso de Sparrow, intitulé 60 million Frenchmen,
la construction de la composition permet en effet au chanteur de
contrarier son auditoire en vantant les mérites d’un art
amoureux dont il ne donne aucune description explicite ;
constatant que Français et Trinidadiens en sont des adeptes,
quand bien même ils (du moins ces derniers) ne s’en vanteraient
pas.
La pratique sexuelle à laquelle le calypso fait référence, une
pratique, inventée par Napoléon, importée depuis la France,
selon la version humoristique qu’en donne Sparrow, mais
largement établie à Trinidad selon le chanteur, n’est identifiable
que par le biais de ses euphémisations, au-delà de la proposition
que l’amour n’est pas seulement affaire de cœur, mais de corps,
de l’ensemble du corps. Le seul indice manifeste de ce que
pourrait être précisément cette pratique est communiqué par
l’expression so they have everybody hip ; le verbe hip se
substitue, selon les habitudes langagières de Trinidad, à lick
(ligne 8), un autre verbe, qui dans sa signification première se
traduit par « lécher ». Dans sa lettre adressée à Keith Smith,
pour contextualiser ce à quoi Sparrow fait référence dans son
calypso Liverpool a recours aux signes diacritiques suivants :
#$% (voir note 18). Ils sont accompagnés d’un commentaire
métalinguistique mis entre-parenthèses (Well Keith, you know),
une manière de signaler par écrit un non-dit qui ne saurait être
explicité, sinon peut-être en catimini, sous la forme d’une
paraphrase murmurée et confidentielle. Mais que révéler ? Ce
qui n’est pas dit explicitement et qui semble être gardé sous le
sceau du secret est connu de tous, du moins à Trinidad. En ces
circonstances, il suffit à un locuteur de pointer au bénéfice de
son interlocuteur ce qui ne peut manquer de se présenter à son
esprit : manière de préserver, voire de confirmer, une forme de
collusion et de complicité entre gens d’une même communauté.

Le second exemple (S3) proposé par Liverpool est un


calypso intitulé Bomber’s sister, chanté et composé par le
Mighty Bomber.
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 113

S3, The Mighty Bomber, 1960 : Bomber’s Sister


(1) Mi sister came home one evening
(2) Walking lame and groaning in pain
(3) Ah say perhaps she slip
(4) Because ah know she like to skip
(5) She must be fall down and get a sprain
(6) Ah asking mi sister : girl what happen ?
(7) She grinding like hell
(8) But saying nutten
(9) She clothes tear down
(10) And she top lip swell
(11) And the girl blowing short like hell
(12) You know Mamie did send she
(13) To buy some flour
(14) But she run away to play with Roy
(15) Ah don’t know what happen
(16) But she climb a tower
(17) And she decide to spread some joy
(18) She say she get prick
(19) With a lime bud prickle
(20) As if she thought ah wouldn’t know
(21) But the hole in she lip
(22) Ah mean the way that is rip
(23) It take a cactus to chook she so
(24) […]
Ici, le chanteur raconte, sur un ton enjoué, les escapades de
sa sœur : une jeune femme qui ne veut suivre les conseils de
personne, pas même de son grand frère. C’est grâce à quelques
indices que l’auditeur (ou lecteur du texte) peut comprendre
qu’à l’occasion de chacune de ses sorties, par exemple pour
aller acheter de la farine à la demande de sa mère (ligne 12-13),
la jeune femme se laisse aller au plaisir de rencontres avec
différents garçons – dont Roy (ligne 14). De retour chez elle, la
jeune femme ne peut dissimuler les marques laissées par ces
aventures mouvementées ou violentes, selon le compte rendu
qui en est donné. Le narrateur rappelle un instant que sa sœur
aime sauter à la corde (ligne 4). Mais ceci ne peut tout expliquer
(lignes 3-5) : vêtements déchirés, état de fatigue, gémissements
de douleur, l’enflure des lèvres, trahissent des aventures bien
plus périlleuses (lignes 2 et 9-11). Aux questions de son frère
elle ne répond rien (lignes 6-8). Tous ces indices ouvrent
toutefois la voie aux formulations métaphoriques (lignes
114 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

soulignées 16-23) de la sœur et du frère. Ce dernier ne peut être


trompé (lignes 15 et 20) sur l’activité véritable de sa sœur.
Figure du grand frère, le chanteur rapporte son hypothèse sur les
« aventures sexuelles » de sa sœur au vu des indices qu’il
détient : les épines (prickle) du citronnier et du cactus opèrent
comme indices de contextualisation d’images (iconiques)
phalliques (lignes 16-17, 21-23). La différence d’échelle
explique la déchirure des lèvres (lignes 18-23), sa béance. Les
verbes (prick, chook) véhiculent l’idée de mouvement et de
pénétration. Le sens communiqué sollicite la complicité de
l’auditeur/lecteur. Il faut noter que l’humour de ce calypso
repose pour partie sur le traitement des mots énoncés par la
jeune femme, lorsqu’elle rend compte de ses aventures qui sont
rapportées par Bomber19, le locuteur (énonciateur) du récit
(lignes 18-19). Cette construction permet à l’énonciateur du
récit, mais interprète des descriptions initiales de la jeune
femme, de les corriger et de surenchérir. Les épines du
citronnier, telles qu’en parle la jeune femme (lignes 18-19),
deviennent ainsi celles d’un cactus du point de vue de son frère
(ligne 20) qui énonce alors (lignes 21-23) avec ses propres mots
ce qu’il croit être une plus juste description de la situation (ligne
20).

Double-entendre : performance musicale, signification et


non-dit

Mais l’agilité rhétorique suffit-elle à rendre compte d’un


calypso ? Il ne faut pas s’y tromper. L’explicitation de ce qui se
passe dans la performance scénique d’un calypso, une
performance orientée vers un auditoire, nécessite un autre
modèle d’explication que celui qui consiste à identifier les
constructions stylistiques de la chanson, et auquel invite sans
doute la transcription d’un texte, un artefact commode et
nécessaire. La transcription n’est qu’une trace matérielle ; elle
tente de saisir quelques traits saillants d’une alliance complexe
de sons et de sens actualisée dans le moment de sa performance.

19
Comme je l’ai déjà indiqué, Bomber est aussi le nom de scène du
chanteur.
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 115

La composante musicale, indissociable d’un calypso, invite à


une interrogation plus précise : qu’est-ce qu’entendre des mots
mis en musique ?
L’appréciation de l’auditoire lors d’une performance de
calypso se manifeste dans l’émotion, le rire, et les
applaudissements. Elle est simultanément intellectuelle (cogni-
tive). Les exégèses de l’auditoire, composées sur le champ,
partagées avec ceux qui sont aux alentours, ne manquent pas.
Les mots d’esprit, comme les messages plus sérieux des
chanteurs sont entendus, appréciés, savourés, dans le moment de
leur énonciation, et commentés par la suite pour leur qualité,
leur subtilité dans l’expression. C’est un large éventail de
dispositions, cognitives et émotionnelles, qui est ainsi sollicité
au fil du déroulement d’une soirée de spectacle20. Toutefois
l’échange, tel qu’il s’inscrit dans le moment de la performance
en face à face, n’est qu’une partie d’un processus interactionnel
d’ensemble, qui mobilise une pluralité de modalités communi-
cationnelles dont celles qui émanent du corps et du jeu musical.
Bien que non-conceptuelle (contrairement aux mots de la
chanson), la musique contribue à mettre en place un accord
indispensable entre ceux qui occupent toutes les positions de
cette situation : chanteur, auditoire, musiciens se « mettent au
diapason ». La relation entre les participants d’une même
rencontre repose ainsi sur la co-temporalité de l’expérience d’un
accord, une relation de syntonie, a mutual tuning-in relationship
pour faire référence ici à l’analyse de Schütz (2007) consacrée à
la relation intersubjective que génère l’action de « faire de la
musique ensemble ».
Ecouter un calypso, en situation de performance scénique, est
une expérience susceptible d’engager la totalité de l’être de
chacun des participants. Dans ce contexte, si le sous-entendu
sexuel ou érotique est présent, l’appréhension du sens véhiculé
par les mots se réalise dans le moment de l’événement de son
énonciation chantée et de la performance musicale conjointe21.
À ce jeu le chanteur, les musiciens, et l’auditoire participent de

20
Pour deux analyses de calypsos en situation de performance scénique voir
Masquelier (2012a, 2012b).
21
A quelques exceptions près, il est rare de rencontrer un spectateur
trinidadien qui n’a pas saisi sur-le-champ l’implicite d’une chanson.
116 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

la construction du sens de la performance, et des mots qui y sont


énoncés.
Comme le montrent les exemples cités auparavant, le calypso
est organisé en une série de strophes, au nombre de trois ou
quatre pour les chansons les plus courtes, entre lesquelles
s’insère un refrain, dont le texte peut varier quelque peu au fil
du déroulement de la chanson. La régularité de la répétition du
refrain, la relative stabilité de son texte, comme l’alternance
entre strophe et refrain introduisent un effet de rythme, et de
dialogue (interne au texte). Le refrain clôture toujours la
chanson. Les compositions tirent parti des tournures du langage
ordinaire, de la variété de ses expressions idiomatiques, de ses
multiples styles. Elles font parfois écho aux proverbes connus
des locuteurs natifs. Ainsi, dans l’esprit de l’exercice proposé
par Liverpool à ses étudiants à propos du calypso grivois de
Sparrow, nous pourrions emprunter l’expression proverbiale
“new broom sweep clean”22 pour renommer le calypso de Lord
Kitchener intitulé Handy man, où il est question d’un homme à
tout faire (handy man), de son balai (broom), et de son
employeuse (lady, madam). Ce calypso met en scène une figure
du chanteur, et l’une de ses admiratrices (a calypso lady fan).
Nous citons tout d’abord, la première des strophes (lignes 1-8),
puis quatre lignes de la seconde (13-16), et le refrain (9-12)
inséré entre les deux strophes.

22
Traduction libre : « un nouveau balai balaie bien ». Ce proverbe est cité,
dans sa forme créole anglophone de Trinidad, par Cassie, l’un des
personnages fictifs de Crown Jewel, roman de Ralph de Boissière (1952).
L’intrigue a pour arrière-plan les grèves des ouvriers des sites pétroliers de
Trinidad, tout particulièrement celles de 1937. La fin des années 1930 à
Trinidad est marquée par l’émergence d’un mouvement syndical fort qui en
vient à contester vigoureusement l’ordre colonial britannique. Ralph de
Boissière est aussi l’auteur de Rum and Coca Cola, un roman (1956) qui
dépeint les conséquences sociales et culturelles de la présence militaire
américaine à Trinidad durant la Seconde Guerre mondiale.
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 117

S4, I, Lord Kitchener, 1968 : Handy Man23


(1) A calypso lady fan employ me as a handy man
(2) A calypso lady fan employ me as a handy man
(3) She say Kitch
(4) I hope you could turn round good
(5) And serve me as you really should
(6) I say Madam
(7) Is it serve you say
(8) Well you get your bet with me night and day
(9) Because I’m a handy man in the morning
(10) Handy man in the night
(11) Madam I’m a handy man anytime I see work
(12) Handy man round the clock
(13) One night about twelve o’clock
(14) Just so I decide to do some work
(15) So I run and get the broom
(16) And I cleaning out de madam room
(17) […]
Pour constater que ces seize premières lignes du calypso,
comme celle du proverbe cité, sont anodines à ce stade.
Toutefois elles offrent la possibilité d’être entendues autrement,
et le basculement vers le double-entendre est en effet opéré à
partir de la ligne 17, comme nous le montrerons plus loin. De
même, si notre proverbe trinidadien devait nommer ce calypso,
son sens situé prend une valeur « grivoise » compte tenu de la
situation (représentée) que brosse la chanson dans son
ensemble. L’identification du potentiel « métaphorique », qui se
dévoile dans ces premières lignes (lignes 1-16) et se confirme
dans la suite de la chanson, constitue une étape dans la
description. Elle ne peut toutefois clôturer l’enquête. Pour
rendre compte de l’énonciation d’un double-entendre destinée à
un auditoire, nous devons inclure la perspective rhétorique
(centrée sur la sémantique du texte énoncé) dans une approche
pragmatique. Ce décentrement problématise la construction
interlocutive du sens communiqué. Il oblige à un détour par
quelques réflexions sur le modèle pragmatique.

23
Pour les besoins de mon argumentation, je ne cite ici qu’un premier
ensemble (noté S4 I) de seize lignes. Le second ensemble (noté S4, II), cité
plus loin dans notre discussion, complète ce calypso.
118 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

Une première manière de traduire ce tournant pragmatique


est de traiter le double-entendre d’une énonciation (ici, entendue
comme grivoise) comme un sens véhiculé par un acte de
langage composé de ses trois moments actionnels : acte
locutoire (le fait de dire), acte illocutoire (l’acte accompli par le
fait de dire), et acte perlocutoire (l’effet sur l’allocutaire). C’est
ce modèle qui inspire l’intitulé de ce texte, afin de souligner que
la chanson de calypso accomplit un acte de langage : un acte
locutoire qui est véhiculé par la mise en texte de la chanson en
situation de performance ; et ce qu’elle dit de fait sous la forme
d’un récit, qui véhicule un sens en référence à ce dont il parle.
Cet acte n’est pas sans effet perlocutoire, comme nous l’avons
déjà évoqué, puisqu’il informe, émeut, scandalise ou provoque
le rire dans l’auditoire. Mais comment passer du dit d’un dire à
ses effets, qui, dans le cas du calypso grivois, viennent
confirmer que ce qui est explicitement dit en clair est toutefois
chargé d’une autre valeur de sens ?
L’objet de ce texte n’est pas de discuter de la validité des
taxinomies des actes de langage. Les distinctions établies par
Austin (1962) nous servent à mettre un peu d’ordre dans la
discussion. Il faut pourtant savoir que la modélisation de l’acte
illocutoire (l’acte accompli par l’acte de dire) a été l’objet de
plusieurs critiques, dont celle d’Alain Berrendonner (1981) qui
tente de dévoiler les apories de la démarche d’Austin. Pour
l’anthropologie linguistique, la difficulté que soulève la théorie
des actes de langage (notamment de l’acte illocutoire) tient à la
différence entre les niveaux de l’analyse : entre celui du
discours, partie intégrante d’une pratique communicationnelle et
une unité de rang supérieur dans la perspective des
anthropologues linguistes, et celui où, selon les philosophes du
langage, opèrent les actes illocutoires, une problématique
soulevée par Levinson (1983) et Hymes (1990). Le modèle des
actes de langage porte en effet sur la force (valeur) illocutoire
(Austin) de l’acte locutoire (l’action effectuée) ou, dans la
terminologie de Searle, sur le « but illocutoire » (illocutionary
point) d’un acte d’illocution : or les exemples d’énoncés étudiés
dans les analyses d’actes de langage ont pour forme la phrase.
Dans la théorie de Searle, l’étude de la force illocutoire
s’applique d’ailleurs non pas tant à la phrase qu’au contenu
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 119

propositionnel qu’elle véhicule. Pour leur part, en étudiant le


discours en situation les anthropologues linguistes sont attentifs
aux tâches communicationnelles accomplies, comme à
l’organisation sociale des séquences d’action. Peut-on pour
autant se dispenser, en pragmatique, du concept d’acte de
langage ?

Pragmatique de l’écoute

Dans le contexte de ses performances scéniques, le chanteur


de calypso peut improviser et enchâsser différents actes de
langages ponctuels : par exemple, énoncer un commentaire sur
le déroulement de l’événement scénique, voire une excuse pour
une piètre présentation (Masquelier, 2012b). On peut montrer
qu’un calypso « politique » vise à admonester les puissants
(Masquelier, 2012a). Dans ce dernier cas la chanson, en
certaines circonstances, véhicule une réprobation adressée à un
allocutaire identifié.
La détermination de la valeur illocutoire d’un calypso grivois
se distingue sans nul doute de celle d’un calypso politique. Ce
qui est « littéralement » dit en chanson ne peut être entendu
comme une simple transmission d’information. Comme nous
l’avons déjà souligné, la chanson se présente sous la forme d’un
petit drame, d’un récit dont l’intérêt et la valeur aux yeux des
auditeurs sont construits dans le moment, l’ici et maintenant, de
l’écoute. L’acte locutoire (dit grivois) est bien chargé d’une
valeur illocutoire, dès lors qu’il est entendu selon le cas, comme
« grivois », dès lors que ce qui est visé par le récit énoncé dans
le chant est reconnu pour le véhicule d’une autre scène. Que
vise alors celui qui chante ? Sinon à faire reconnaître non pas
tant ce qui est littéralement dit, que ce qui est signifié « en
double », une scène « grivoise ».
C’est dans cette mesure qu’il faut tenir compte de l’intention
du chanteur, non pas dans un sens psychologique, mais pour
signifier que l’énonciation d’un dit met en jeu une
représentation dont la compréhension est ouverte. Dans cette
perspective, John Searle introduit une distinction nécessaire,
classique en pragmatique, entre sentence meaning (le sens des
mots ou de la phrase) et utterance meaning (le sens en situation
120 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

d’énonciation et donné à entendre par le locuteur). Ainsi,


l’énonciation métaphorique est déterminée, selon Searle, non
pas tant par les constructions d’un texte, que par l’intention du
locuteur :
« Pour pouvoir désigner de manière concise la distinction
entre ce que le locuteur veut dire en énonçant un mot, une
phrase ou une expression, et ce qu’un mot, une phrase ou une
expression signifient, j’appellerai le premier le sens de
l’énonciation du locuteur (speaker’s utterance meaning), et le
second le sens du mot ou de la phrase (word, or sentence,
meaning). Le sens métaphorique est toujours le sens de
l’énonciation du locuteur. » (Italiques dans l’original et la
traduction ; Searle, 1982 : 122-123)
La position de Searle est (bien entendu) cohérente avec la
perspective de l’ensemble de son modèle sur l’action langagière
et la place qu’y tient l’intentionnalité. Les anthropologues,
qu’ils soient ou non linguistes, sont souvent méfiants vis-à-vis
de ce modèle qui s’inscrit franchement dans une tradition
logiciste. Il semble toutefois qu’un tel modèle suggère à
l’anthropologue (et à l’anthropologue linguiste) que ce qui est
signifié (visé) par un acte locutoire sollicite une entente entre
interlocuteurs pour entendre ce qui est énoncé, et qui ne peut
être découvert que par inférence. Le modèle pragmatique, en
mettant l’accent sur l’intentionnalité, redirige l’attention vers la
tâche cognitive qui incombe aux interlocuteurs d’un échange
langagier en matière d’intercompréhension ; un échange
toujours situé dans un contexte de présuppositions et un arrière-
plan fait d’expérience partagée, de connaissances collatérales ou
encyclopédiques. C’est ce point que d’une certaine manière
Liverpool confirme, dans le commentaire écrit adressé à
l’éditorialiste Keith Smith, lorsqu’il agrémente de cette formule
« #$% (Well …, you know) » sa référence au caractère
« grivois » du calypso de Sparrow 60 million Frenchmen (S3).
En situation de coprésence perceptive et physique, de face à
face, Liverpool aurait pu lancer un clin d’œil de collusion en
direction de son interlocuteur.
L’attention portée à la genèse de la compréhension de ce qui
est énoncé ne dispense pas de résoudre la question de la
contribution du sens dit littéral à l’interprétation pragmatique
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 121

qui en est faite. Et de découvrir qu’il n’y pas de sens littéral qui
correspondrait à un contexte zéro :
« Je voudrais […] mettre en question […] l’idée que, pour
toute phrase, le sens de la phrase peut être interprété comme le
sens qu’elle a quand elle est prise hors de tout contexte ».
Pour Searle
« notre compréhension du sens de ces phrases serait
impossible sans un ensemble d’assomptions d’arrière-plan
déterminant dans quels contextes chaque phrase trouve une
énonciation appropriée. » (Searle, 1979 : 167)
Cette problématique sur le rapport entre littéralité d’un dire et
sens énoncé peut s’éclairer à partir d’une distinction introduite
par Jean-Louis Siran dans quelques-uns de ses travaux sur
l’énonciation proverbiale en situation d’interlocution (Siran,
1987, 1993, 1994, 2000). Siran distingue entre signification (du
proverbe) et (son) sens, pour rendre compte du sens spécifique
que prend un proverbe énoncé dans l’ici et maintenant d’un
échange verbal entre des interlocuteurs participants d’une même
situation. Par exemple, la demande, énoncée par A adressée à B,
d’une cigarette ; la réponse de B à A, qu’il ne dispose que de
cigarettes de piètre qualité ; l’acceptation par A, adressée à B,
d’en accepter une, acceptation énoncée sous la forme d’un
proverbe qui dit « littéralement » : « Même si tu n’es que fléché
au doigt, c’est une blessure de guerre » (Siran 1994). Quelques
remarques24 : dans ce modèle, la signification du proverbe
correspond à la traduction qui est donnée de sa formule initiale
en langue vouté, du Cameroun, la scène se déroulant en effet
dans cette partie du monde. C’est une manière de souligner
qu’une telle signification (elle est en effet de l’ordre du code,
d’une mise en syntagme d’un ensemble de signes) ne peut rien
nous dire à moins de contextualiser le proverbe énoncé dans la
situation de son énonciation. Un processus dialectique qui noue
indissociablement ce qui est énoncé, à son énonciation en
situation. Le locuteur qui énonce ce proverbe fait bien un choix
pertinent, de circonstances, approprié avec la situation : sa
demande d’une cigarette et son acceptation d’une offre

24
Les travaux de Cécile Leguy (2000, 2001) sur l’énonciation proverbiale
chez les Bwa du Mali portent sur un très large échantillon de proverbes, et
confirment la pertinence de la distinction proposée par Siran.
122 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

qualifiée. Une cigarette qui n’est pas une des meilleures, n’en
est pas moins une cigarette. Une réalité que nomme l’analogie
d’échelle entre petite et grande blessure de guerre.
« C’est en ce sens que l’énoncé interprète la situation : en
invitant à rechercher dans la situation ce qui relève de sa mise
en forme, il prélève sur elle telle ou telle de ses composantes
qu’il réélabore du même coup selon le schème qu’il propose. »
(Siran, 1994 : 115)
Ce qui est énoncé dans l’énonciation proverbiale invite à
repérer par analogie quelques-unes des composantes de la
situation. Il faut en passer par le schème induit par ce qui est
énoncé pour établir ce rapport et rendre possible la saturation de
ce qui est énoncé : « L’énoncé interprète donc la situation et la
situation l’énoncé. » (Siran 1994 : 116)
Dans le langage courant des anthropologues, ce qui est
proposé ici correspond au leitmotiv qui affirme qu’il n’y a de
sens qu’en contexte. Mais le modèle de Siran nous en dit bien
davantage. Il montre que par l’énonciation d’un énoncé sa
signification prend une valeur de sens particulière, selon le
schème qui est véhiculé par l’énoncé et qui permet d’identifier
quelques-uns des traits pertinents de la situation spécifique
auxquels l’énoncé fait référence. La poursuite de l’échange
repose sur la compréhension de la situation qui est ainsi intitulée
par le proverbe. Le travail de l’énonciation proverbiale consiste
ainsi à mettre en relation l’énoncé d’un schème conceptuel et
certains des traits d’une situation extralinguistique : les
circonstances particulières, l’épisode ou l’événement, à propos
desquels le locuteur a jugé bon d’énoncer un proverbe plutôt
qu’un autre. Mais dès lors que l’on distingue (1) la signification
d’un texte du (2) sens de l’énoncé qui survient dans (3)
l’énonciation située, on voit bien que le texte s’efface, qu’il
n’est qu’un artefact, et que ce qui importe, c’est ce qui est
énoncé dans l’énonciation qui esquisse quelque chose de la
situation au sein d’un univers de discours. Pour la suite, nous
préférons souligner que ce qui est énoncé est contextualisé dans
l’énonciation. A charge de l’entendre, pour celui auquel ce qui
est communiqué est adressé. A la différence du proverbe – qui
en situation d’énonciation prélève, toujours semble-t-il, quelque
chose de la situation extralinguistique du moment – la chanson
de calypso contextualise, dans le récit ou le commentaire qu’elle
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 123

énonce, une situation représentée propre à l’univers de discours


qu’elle met en forme ; et ce, bien qu’elle puisse se référer aussi,
selon le cas, à des expériences ou des événements extérieurs qui
ont pu servir de prétexte à sa composition. Autrement dit, là où
le calypso politique commente un événement observé, le récit
qui se donne à entendre comme grivois en appelle à la mise en
œuvre de l’imagination de ses interlocuteurs en éveil.
Ainsi, pour revenir au calypso de Kitchener (S4), « Kitch »,
l’homme « à tout faire » (handy man), tout occupé, nuit et jour
(lignes 9-10 du refrain), à faire le ménage avec son balai, n’est
autre que la figure de l’amant qui séduit la femme qui l’a
embauché. L’activité ménagère véhicule la métaphore de
l’activité sexuelle que propose cet homme à tout moment. Le
balai est son sexe. Le dispositif pragmatique du double-entendre
repose en partie sur des conventions rhétoriques propres au
public trinidadien, et en particulier sur les polysémies des mots
(tool ; broom ; room), et les images qu’évoquent les
concaténations des mots dans la phrase et les expressions
verbales qui signifient action et mouvement (brush up ; brush
fast ; clean out de [Madam]room ; I don’t have to see to eat ; so
I brushing and brushing fast). Ce dispositif ouvre la possibilité
d’appréhender les scènes (de la vie quotidienne, domestique, et
familière), qui sont rapportées dans la chanson, comme signes
d’activité sexuelle. La tournure amusante du calypso est
construite autour du dialogue entre « Kitch » et son employeuse.
Il est marqué par l’alternance des propos rapportés : she say
Kitch / I say Madam. Une alternance qui organise chacune des
strophes et permet de mettre en scène, au fil du récit, le
volontarisme, l’effronterie de cet homme à tout faire (lignes 21-
22, 28-29), sa disponibilité, sa vantardise (son savoir-faire les
yeux fermés, ligne 41), comme l’étonnement de la femme
(lignes 18, 26), ses réticences (lignes 24-26) ou réserves (ligne
31), son abandon (lignes 42-43), et la maladresse de l’amant
(lignes 46-51).

S4, II, Lord Kitchener, 1968 : Handy Man


(13) One night about twelve o’clock
(14) Just so I decide to do some work
(15) So I run and get me broom
124 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

(16) And I cleaning out de madam room


(17) She say, Kitch
(18) What you doing to me
(19) I say Madam
(20) I only making meself handy
(21) I know you don’t like being interrupt
(22) But is a long time you room ain’t get a brush up
(23) She say Kitch
(24) I don’t think it right
(25) Tell me
(26) Why you like to work at night
(27) I say Madam,
(28) You see when the weather is cool
(29) It’s easier to use me tool
(30) She say but Kitch
(31) You can’t see to do it neat
(32) I say Madam,
(39 I don’t have to see to eat
(40) And for the time I using this broom
(41) I could shut me eye and clean out your room
(42) She continue she sleepin
(43) I continue me sweepin
(44) Ah hurry to finish me task
(45) So I brushing and I brushing fast
(46) She jump out of sleep
(47) Kitch I cannot rest
(48) I feel something crowling under me night dress
(49) I say Madam
(50) Don’t worry to fret
(51) The broom slip under the coverlet

Double-entendre grivois, le non-dit comme effet de sens

Dans une réflexion sur le « dire », Récanati (2004) souligne


que le non-dit d’un dire est entendu dès lors que les
interlocuteurs (locuteur et auditeur) partagent des intuitions qui
leur permettent de s’entendre pour comprendre pleinement
l’énoncé qui circule. Les constructions du double-entendre des
calypsos grivois de Trinidad ne seraient ainsi qu’une variante
d’un phénomène pragmatique courant dans les usages
langagiers ordinaires. Nous souhaitons introduire ici une
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 125

dernière piste de réflexion inspirée des travaux de Paul Grice


(1979).
L’approche de Grice est articulée autour de l’idée que la
communication langagière obéit à un principe de coopération
(« que votre contribution conversationnelle corresponde à ce qui
est exigé de vous … ») et à un ensemble de maximes, dont le
respect et la transgression gouvernent l’intercompréhension
conversationnelle. Ce modèle, comme on peut s’y attendre, met
l’accent sur le travail d’inférence qui opère en toute situation de
communication. Il distingue implicitation conventionnelle et
implicitation conversationnelle, et entre implicitation conver-
sationnelle particulière ou générale. Cette classification permet
de repérer deux modes d’inférence que suscite l’indirection que
manifestent habituellement les usages du langage, et de les
échelonner selon un continuum allant du plus conventionnel au
moins conventionnel. Au risque de simplifier, l’implicitation
conventionnelle est celle que permet « naturellement » les
données sémantiques et les présupposés qui leurs sont associés
dans un univers donné de discours. L’implicitation conver-
sationnelle est celle qui ne peut s’accomplir sans le recours à
des éléments de connaissance accessibles hors discours énoncé.
Les anthropologues linguistes ont généralement manifesté leurs
réserves vis-à-vis de ce modèle, sur lequel s’appuient d’ailleurs
les travaux de John Searle sur les actes de langage : en raison de
sa trop grande généralité, ou parce que ses présuppositions
cognitives semblent trop éloignées de la logique des pratiques
réelles. Notamment dans le cas de communautés où les usages
de la parole ne suivent pas en apparence les présupposés qui
nous sont les plus familiers. Ces réserves n’ont toutefois pas
interdit quelques explorations ethnographiques ponctuelles dans
le cadre de l’analyse conversationnelle (Bilmes : 1988)25. Il faut
rappeler que dans la sociolinguistique interactionnelle
(Gumperz, 1977), influencée par l’ethnographie de la parole et
de la communication mais aussi par le situationnisme
méthodologique, l’interactionnisme de Goffman et de l’ethno-
méthodologie, comme par la perspective pragmatique, il est

25
Voir les usages modérés des maximes pragmatiques de Paul Grice dans
certains des travaux ethnographiques sur les situations d’interlocution au
Lacito (Masquelier, 1988 ; Siran, 1994).
126 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

habituel de distinguer entre plusieurs types ou nivaux de


signification : referential meaning (le contenu propositionnel de
ce qui est dit, par exemple au travers de la sémantique d’une
« phrase ») ; conveyed meaning (la valeur illocutoire,
référentielle, et intentionnelle, de ce qui est énoncé en
situation) ; situated meaning (la détermination de l’effet de sens
de ce qui est communiqué en situation, selon les présuppositions
et les cadrages d’un épisode conversationnel). Dans cette
perspective ethnographique, le travail d’inférence qui incombe
aux interlocuteurs d’un échange langagier est étudié à partir du
rôle que jouent les indices de contextualisation. Ces indices ont
plusieurs formes. Ils sont grammaticaux, lexicaux, prosodiques,
discursifs, kinésiques, extralinguistiques. Ils permettent aux
participants à l’interaction de déterminer leur place (footing) et
de repérer les cadrages (frames) appropriés pour comprendre ce
qui est en jeu et agir (Gumperz, 1982).
Il nous reste à proposer que dans le cas des chansons de
calypso, et en particulier dans celui des chansons à double
entendre grivois, les compositions respectent une condition qui
garantisse l’accessibilité à ce qui est signifié. Une condition de
félicité qui, comme le suggère Goffman, préside à toute relation
entre les diverses personnes mutuellement en présence26 :
« Bref, chaque fois que nous entrons en contact avec autrui
[…] en lui parlant face à face, voire en vertu d’une simple
coprésence, nous nous trouvons avec une obligation cruciale :
rendre notre comportement compréhensible et pertinent compte
tenu des événements tels que l’autre va sûrement les percevoir.
Quoi qu’il en soit par ailleurs, nos actes doivent prendre en
compte l’esprit d’autrui, c'est-à-dire sa capacité à lire dans nos
mots et nos gestes les signes de nos sentiments, de nos pensées
et de nos intentions. » (Goffman, 1987 : 270)
La durée d’une strophe chantée d’un calypso est d’environ
vingt secondes. La longueur d’une chanson est variable, mais
elle comprend habituellement trois ou quatre strophes,
entrecoupées par les refrains et de brefs épisodes de musique

26
Dans ses écrits tardifs Goffman distingue entre deux types de contraintes
« communicationnelles » : les unes (dont certaines des maximes de Paul
Grice) relèvent de la communication comme système, les autres, rituelles,
relèvent des rapports entre personnes. La condition de félicité sous-tend toute
interaction.
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 127

instrumentale. Chanté sur scène le calypso peut donner lieu à


des improvisations spontanées qui prolongent ainsi la
performance du morceau. En définitive, l’histoire racontée est
composée pour être énoncée « en bref », trois ou quatre minutes,
au mieux sur quelques minutes supplémentaires. Ces contrain-
tes d’ensemble encouragent la parcimonie des paroles (à dire et
à chanter). L’économie de la composition se complexifie dès
lors qu’il faut tenir compte de l’obligation de respecter quelques
règles de versification et le cadre rythmique/mélodique du
chant : de telle sorte que chaque ligne d’une composition, du
refrain comme des strophes, n’autorise en définitive qu’un
nombre relativement limité de syllabes. Une contrainte dont
certains chanteurs s’affranchissent parfois avec plus ou moins
de bonheur selon leur talent. Une contrainte pressante qui est à
l’origine dans les années 1970-1980 des transformations dans la
structure du tempo musical des calypsos pour permettre d’y
loger des textes plus longs. L’enjeu pour le compositeur
(habituellement le chanteur sur scène) est bien de dire
beaucoup, avec habilité et saveur, en peu de mots, pour inciter
son interlocuteur, son auditoire, à prêter attention à ce qu’il
énonce en situation de performance (performance event). Le
corollaire est qu’il incombe aux membres de l’auditoire de
maximiser le contenu du chant qu’ils entendent. Il leur faut faire
le choix d’une inférence qui accorde pertinence à ce qui est dit,
manifester leur compréhension et l’intercompréhension entre
chanteur et auditoire comme participants d’un même univers de
discours.
Entendre comme grivois un calypso n’est pas semblable à un
jeu de devinette27. Bien au contraire, la compréhension d’un
double entendre grivois sollicite une logique interprétative
analogue à celle qui est requise pour comprendre un proverbe
dont le sens émerge dans l’instance particulière de son
énonciation. Toutefois, à la différence du proverbe qui oriente
l’attention vers quelques caractéristiques propres à une situation
pour une part extérieure au discours, la chanson grivoise ne fait

27
Les calypsos grivois ont souvent un caractère énigmatique en raison de
l’intrigue qui noue les relations entre les personnages représentés de la
chanson. Cependant, ils ne se présentent jamais à l’auditeur comme un
exercice de devinette.
128 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

référence à aucune réalité extérieure immédiate. Tous les


indices sont à déceler dans le chant énoncé. Autrement dit, le
calypso à double-entendre est à entendre pour le récit qu’il
énonce en toute littéralité. Le récit trouve sa raison d’être dans
son usage. Il fait signe à son auditoire, et invite à prêter
attention à d’autres images, celles-ci sexuelles ; voire à les
imaginer. L’économie du double-entendre repose sur ce
principe d’écoute : l’auditoire se doit d’assigner par défaut un
sens non-naturel (au sens de Grice) à ce qui est dit et ainsi
d’entendre de préférence comme grivoises et érotiques les
scènes littéralement composées28. Ce principe qui vaut pour
recevoir avec bonheur un calypso à double-entendre grivois
s’inscrit de plus dans un cadre (frame) cognitif et pratique
(Goffman, 1983, 1987) qu’il faut rappeler : le calypso est un
genre carnavalesque, ses compositions font leur miel du
travestissement, du burlesque, des scandales, des choses du
« bas » corporel (une expression de Bakhtine) ; enfin, l’auditoire
d’une performance est rassemblé pour rire, s’amuser, se
scandaliser.
L’art du double-entendre propre au calypso trouve un écho
dans certaines chansons de blues. Ces deux traditions musicales
(Mahabir, 1996) ont privilégié l’humour et l’esprit (wit). Blues
et jazz ont influencé les goûts musicaux des Trinidadiens,
notamment ceux de la classe moyenne des années 1920-1930.
Rien ne permet de penser que le calypso de Kitchener
(Handyman) aurait été influencé d’une quelconque façon par la
chanson d’Ethel Waters (My handyman) – enregistrée en août

28
Ce point mériterait une explication plus ample (que l’espace de cet essai
ne permet pas) d’autant que le cas empirique discuté ici conforte l’orientation
des pragmatiques néo-gricéennes. Celles-ci accordent leur attention au travail
d’interprétation des interlocuteurs en position d’allocutaires, et affaiblissent
l’importance généralement attribuée à la détermination du sens par la
médiation de la reconnaissance de l’intentionnalité du locuteur (Levinson,
2000). S’il y a bien une économie dans la production textuelle et musicale du
calypso, il y a aussi une économie de l’écoute et de la participation à son
audition. C’est cette dernière que nous tentons d’esquisser dans ces pages.
Un argument, explicitement radical, est celui de Donald Davidson qui
affirme que « les métaphores signifient ce que les mots, dans leur
interprétation la plus littérale, signifient, et rien de plus » (Davidson, 1993 :
350).
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 129

1928, avec James P. Johnson au piano29. Cette même chanson a


fait partie du répertoire d’une autre interprète noire américaine,
Alberta Hunter. Cette dernière, déjà octogénaire, en donnera une
interprétation sur scène dans les années 1980, de manière
émouvante, parlant-chantant, accompagnant sa performance de
clins d’œil soutenus. Le thème de « l’homme utile » est donc
commun aux deux chansons. Toutefois, les points de vue des
énonciateurs différent dans l’un et l’autre cas. Dans le calypso,
l’énonciateur est masculin ; c’est la figure du chanteur qui
raconte ses fanfaronnades. Dans le blues, l’énonciateur mis en
scène est la femme bénéficiaire des services de l’homme à tout
faire. Dans les deux chansons, les scènes décrites s’inspirent de
la vie domestique. Le dispositif sémantique/pragmatique leur est
aussi commun : rapporter littéralement un événement domes-
tique, faire entendre ce qui est dit comme un événement sexuel,
érotique. Dans le cas du blues d’Ethel Waters, le procédé
consiste à établir une liste d’actions attribuées à un agent,
personne de sexe masculin (lignes 5-8 ; 10-13 ; 17-18 ; 22-24,
28, 34) ; la liste nomme des gestes, des activités ordinaires qui
relèvent de divers domaines ; ceux de la cuisine (lignes 6-7 ; 11,
13 ; 22-23), de la couture (ligne 10), de la musique (ligne 8), de
l’entretien (lignes 12 ; 17-18 ; 23-24 ; 27-28) ; il y est question
de chaud et de froid (lignes 17-18 ; 35-36), de mouvements
(lignes 5-8), de transformation de matière (lignes 11 ; 13).
L’ensemble délivre son potentiel de sens si l’auditeur (lecteur)
de la chanson rapporte les descriptions littérales du savoir-faire
de l’homme de maison à une hypothèse en forme de métaphore :
« L’amour est un travail domestique ». Et la chanson n’est alors
qu’une manière d’en parler.

S5, Ethel Waters, 1928 : My Handyman


(1) Whoever said a good man was hard to find
(2) Positively absolutely sure was blind
(3) I found the best that ever was
(4) Here’s just some of the things he does

29
Mes remerciements vont à Angela Wells-Lavoy pour sa connaissance du
monde musical afro-américain et caribéen (voir discographie), la découverte
du blues d’Ethel Waters, et les interprétations qu’en livre Alberta Hunter.
130 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

(5) He shakes my ashes


(6) Greases my griddle
(7) Churns my butter
(8) Strokes my fiddle
(9) My man is such a handy man
(10) He threads my needle
(11) Creams my wheat
(12) Heats my heater
(13) Chops my meat
(14) My man is such a handy man
(15) Don’t care if you believe or not
(16) He sure is good to have around
(17) Why when my furnace gets too hot
(18) He’s right there to turn my damper down
(19) For everything he’s got a scheme
(20) You ought to see his new starter that he uses on my
machine
(21) My man is such a handy man
(22) He flaps my flapjacks
(23) Cleans off the table
(24) He feeds the horses in my stable
(25) My man is such a handy man
(26) He’s god’s gift
(27) Sometimes he’s up long before dawn
(28) Busy trimming the rough edges of my lawns
(29) Oooh you can’t get away from it
(30) He’s such a handy man
(31) Never has a single thing to say
(32) While he’s working hard
(33) I wish that you could see the way
(34) He handles my front yard
(35) My ice don’t get a chance to melt away
(36) He sees that I get that old fresh piece everyday
(37) Lord that man sure is such a handy man
(38) Lord that man sure is such a handy man
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 131

Conclusion

L’ethnographie des situations d’interlocution, inspirée pour


une large part par l’analyse critique du modèle classique de la
communication langagière30, porte son attention non plus
exclusivement sur le locuteur (le format de production dans la
terminologie de Goffman31, ou l’énonciateur/locuteur selon les
modèles de l’analyse du discours), mais aussi sur les rôles
interlocutifs qui organisent le cadre de participation dans la
situation de communication.
La notion de situation d’interlocution est heuristique. Elle
invite à ce que l’on soit attentif à trois logiques32 :
— 1) celle qui sous-tend la mise en forme de l’échange dans
l’organisation du rapport entre chanteur et auditoire – où l’on
découvre que l’auditoire est dans un rôle actif ;
— 2) celle qui opère dans la texture de l’intertextualité ; elle
repose sur un contexte de citation, et la circulation de mots, ou
de fragments de discours33 – où l’on découvre que chanter-
entendre un calypso sollicite un art de faire, c'est-à-dire des
capacités et des potentialités complexes (cognitives, rhétoriques,
sociales) de la part des participants à une telle occasion ;
— 3) celle qui relève de la relation d’interlocution, organise
le rapport de soi à soi, et de soi à l’autre, et génère les
différentes figures expressives de cette relation – et où il ne faut

30
Nous faisons référence ici au modèle du code qui a longtemps dominé en
linguistique, et à la conception de la communication comme transfert
d’information.
31
Voir Goffman (1974, 1981, 1987).
32
Notre tripartition n’est en rien originale. Dès lors que le phénomène
interlocutif devient un objet d’attention, elle semble s’imposer, sous
différentes formulations, aussi bien en philosophie qu’en linguistique de
l’énonciation.
33
Le concept d’intertextualité est commode. Il s’inscrit comme on le sait
dans la filiation des travaux de Bakhtine sur le dialogisme. Dans le
vocabulaire de l’anthropologie linguistique, ce concept pointe désormais vers
un ensemble d’opérations : celle de la « mise en texte » (entextualisation) en
est une, mais elle est indissociablement liée aux opérations de
décontextualisation et recontextualisation du texte (decontextualisation,
recontextualisation) ; des opérations qui sous-tendent la « mise en texte »
d’une situation communicationnelle à une autre, ou bien, parfois, les
séquences d’une même situation.
132 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

pas donner à penser que la participation à une performance de


calypso est exclusivement conceptuelle.
Comme le commentaire d’Earl Lovelace34 le rapporte, la
participation de l’auditoire est une composante de la
performance scénique d’un calypso. L’analyse ne peut ignorer
cette composante de la situation dès lors qu’il faut rendre
compte de ce qui se déroule dans le moment de l’événement
locutoire et de la performance. L’étude du dispositif de l’adresse
révèle l’organisation complexe de l’acte énonciatif que
produisent le chanteur sur scène et les figures des énonciateurs
représentés dans la chanson (les figures du chanteur et des
différents personnages qui peuplent les scènes de la chanson et
parlent à leur tour, Masquelier, 2011). Cependant, il faut l’étude
de la dialectique du dit et du non-dit, telle qu’elle prend forme
par exemple dans l’énonciation grivoise du double-entendre
trinidadien, pour rendre visible la participation de l’auditoire et
son engagement dans le procès d’appréhension et de
compréhension de ce qui s’accomplit sur scène pour un
auditoire. La dialectique du dit et du non-dit est ainsi partie
prenante de l’espace interlocutif que constitue toute rencontre
sociale – ou de l’état de parole d’une situation d’interaction
(state of talk).
L’enquête sur le double-entendre qui est énoncé dans le
calypso (grivois) participe d’une recherche qui concerne
l’ensemble du langage et ses usages dans différents contextes
communicationnels : ceux de la fiction, et de l’énonciation
proverbiale en sont des exemples. Le champ de la pragmatique
fut longtemps marqué par l’exploration des actes de langage.
Elle invite à creuser toujours davantage la question de l’action.
Mais cette problématique dans son ensemble ouvre sur la
question du rapport entre signification (littérale) et sens, et plus
largement sur le rapport entre sémantique et pragmatique dans
la compréhension (ou l’interprétation) des usages de la parole.
Ici s’insère l’enjeu du non-dit. Comme le suggère cette étude sur
le double-entendre grivois, la dialectique signification/sens
éclaire le rapport entre dit et non-dit. C’est la raison pour
laquelle nous proposons de comprendre ce rapport à travers

34
Voir plus haut ce que Lovelace rapporte de l’expérience du going to the
tents.
ACTE LOCUTOIRE ET DOUBLE-ENTENDRE (TRINIDAD, CARAÏBES) 133

cette formule : le dit est au non-dit, ce que la signification est au


sens (plus précisement, le sens comme effet de sens).
« Le langage exprime autant par ce qui est entre les mots
que par les mots eux-mêmes, et par ce qu’il ne dit pas que par
ce qu’il dit, comme le peintre peint, autant que par ce qu’il
trace, par les blancs qu’il ménage, ou par les traits de pinceau
qu’il n’a pas posés. L’acte de peindre est à deux faces : il y a la
tache de couleur et de fusain que l’on met sur un point de la
toile ou du papier, et il y a l’effet de cette tache sur l’ensemble,
sans commune mesure avec elle, puisqu’elle n’est presque rien
et qu’elle suffit à changer un portrait ou un paysage. »
(Merleau-Ponty, 2010 : 1471)35

Lacito - UMR 7107, CNRS, Paris 3, Inalco ; Villejuif

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— 1993, Enquêtes sur la vérité et l’interprétation, Nîmes,
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35
Ce texte fait partie d’un ensemble de manuscrits intitulé La Prose du
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134 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

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Rounder CD 5038.
(Black Stalin: Dorothy Wait Dorothy)
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NY, BS 130 CD.
(Bomber’s sister)
Calypso Kings and Pink Gin, An on-the-scene recording in the
Young Brigade Calypso Tent, 1957, COOK 01185.
Ethel Waters Handy Man, lyrics by Ethel Waters. With James P.
Johnson, Piano, Columbia 14353 D, Special Editions.
Recorded August 21, 1928,
http://www.youtube.com/watch?v=hKuYs3adIo4
[Interpretation (My handy man), Live video of a 1981
concert, par Alberta Hunter, 1981]
http://www.youtube.com/watch?v=ZLoPKQZRjOQ
The Mighty Bomber with Cyril Diaz, (45 rpm) bandside 1 :
Bomber’s sister, Bandside 2 : Scavenger manrecord,
Cook Calypso recorded in Feb. 1960, Made in Trinidad,
CC 59578, Caribbean Music Co., Ltd
http://www.youtube.com/watch?v=Vduwtz89W6A
Saucy Calypsos, 2003, Volume one, Ice Records Ltd, CD
693802. [Lord Kitchener: Handyman] & [Mighty
Sparrow: 60 million Frenchmen
www.youtube.com/watch?v=6-eiQBwbStg]
138 DIRE ET SOUS-ENTENDRE

Résumé

Le calypso est un genre de chanson, associé depuis plus d’un


siècle aux fêtes du carnaval à Trinidad. Comme genre, il emprunte à
plusieurs traditions textuelles et musicales et se présente sous
différentes formes : commentaire social et politique, conte moral, ou
encore chanson grivoise. La présente étude propose une ethnographie
de cette pratique langagière, qui consiste à aller écouter du calypso, à
partir de l’expression going to the tents, manière dont les Trinidadiens
la catégorise. L’étude porte simultanément sur la façon dont ils
évaluent les chansons qu’ils entendent, et dont ils débattent parfois
par voie de presse.
D’une part, l’analyse rhétorique des compositions rend compte du
sous-entendu sémantique que proposent les tropes et figures des
chansons qui se présentent comme grivoises, derrière un texte en
apparence innocent. D’autre part, l’analyse pragmatique, repose sur la
description de la situation d’interlocution dans laquelle chanteur et
auditeurs sont engagés dans le moment de la performance scénique.
L’exploration d’un calypso comme acte de langage « grivois »
permet de formuler quelques hypothèses quant à la dynamique de
compréhension d’une chanson qui « se donne à entendre » comme
« grivoise ». Dans cette perspective, le non-dit serait un effet de sens
généré dans le moment de la performance et de l’expérience
interlocutive et musicale ; un effet de sens construit comme tel par
l’auditeur à l’écoute de ce que propose le chanteur, dès lors que
l’auditeur est capable d’inférer le sens « grivois » d’un texte qui
demeure littéralement anodin mais dont la valeur illocutoire est autre.

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