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Lucile CADET
Université Paris-Est Créteil & ÉSPÉ
Laboratoire CIRCERFT- ESCOL - Paris 8 & UPEC
Depuis son apparition dans les programmes officiels de 1972, l’oral a connu
un traitement très variable selon la représentation que l’on construisait
de cet « objet verbal non identifié », selon J.-F. Halté (2005). Avant
cette apparition officielle, rappelons que l’oral se manifestait avant tout
comme mode de production toujours en lien avec l’écrit, puisque les
élèves devaient apprendre à parler comme un livre (héritage de l’elocutio
avec surtout des textes récités). Par ailleurs, si l’oral représentait une des
modalités d’évaluation des connaissances, il n’était nullement envisagé
comme objet lui-même d’enseignement (aucune préparation « à l’oral »1
n’était pratiquée). L’émergence de l’idée de langue de communication s’est
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2. Pour J. Peytard, il existe un ordre oral « dans lequel est situé tout message réalisé par
articulation et susceptible d’audition » et un ordre scriptural « dans lequel est situé tout
message réalisé par la graphie et susceptible de lecture » (1970 : 37).
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histoire) et oralité qui concerne une production orale dont l’origine est un
texte écrit (raconter une histoire) (Pégaz Paquet 2011, 2013).
Ces programmes font de la communication une « discipline » de l’école © Armand Colin | Téléchargé le 13/02/2022 sur www.cairn.info (IP: 196.89.53.248)
primaire, et définissent aussi la langue orale comme un instrument que
l’on peut entrainer à travers les exposés ou bien les débats réglés issus
de la pédagogie Freinet4 . Enfin, l’expression orale convoquée dans ces
programmes officiels vise aussi l’enseignement des connaissances par des
moments d’entrainement à des exercices systématiques. Ainsi, dans les
prescriptions officielles qui ont suivi cette réforme, nous avons pu voir
l’influence de la didactique des langues étrangères et des exercices structuraux
qui s’imposent alors (de 1977 à 1985), avec des situations d’entrainement
dans lesquelles l’oral se focalise essentiellement sur un entrainement discursif.
Ce dernier a cependant du mal à se concrétiser dans les pratiques de classes
pour au moins deux raisons. La première tient au manque de formation
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linguistique des enseignants pour qui cette démarche n’a pas beaucoup de
sens et qui sont sollicités sur la maitrise de la lecture et celle de la production
écrite. La seconde tient au manque d’intérêt de la part des apprenants
pour de tels exercices répétitifs et décontextualisés, et qui s’opposent à leur
environnement didactique fondé sur la « centration sur l’apprenant »5 .
Dans l’approche qui prévalait dans les programmes de 1977 (voir la
circulaire sur l’école maternelle), nous trouvons : « Le langage ne s’enseigne
pas, on le sait, mais se construit par un effort personnel et permanent de
l’enfant, qui discrimine dans les "modèles" adultes les mots nécessaires à
l’expression de ses désirs ou manifestant ses options » (p. 14). Nous voyons
ici une restriction s’opérer, voire une contradiction avec les prises de position
précédentes : la langue orale ne s’enseigne pas dans des situations scolaires.
Cette remise en cause souligne le fait que, pour l’oral, il s’agit plus d’un
apprentissage par acquisition qui est généralement considérée comme un
processus naturel, spontané et personnel. Mais, paradoxalement, elle rappelle
que cet apprentissage se fait au travers de modèles proposés par l’adulte,
notamment à l’école.
Il va falloir alors chercher à construire l’oral de façon à en faire un objet
enseignable, en tenant compte de ces données et en sachant que les activités
systématiques de langage sont très peu productives si elles ne sont pas étayées
et motivées.
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Avec ces textes officiels, on voit s’opérer une sorte de retour vers les
pratiques des années 1990 (« oral pour la maternelle »), voire une inversion
des tendances : au lieu d’étendre les pratiques de l’oral à l’école élémentaire,
les programmes ministériels sont plutôt orientés vers une entrée plus
insistante de l’écrit dès la maternelle, suggérant au passage que sa maitrise
est conditionnée par la maitrise d’un lexique plus étendu. L’idée dominante
est un apprentissage par imprégnation d’une langue « littéraire » dans la
perspective d’une préparation à la lecture, et qui ne laisse plus de place à
une expression spontanée. Pour intéressante que soit cette perspective, il est
surprenant qu’elle soit cantonnée à une courte période de la scolarité des
élèves alors qu’à six ans, ceux-ci sont bien loin de maitriser les outils de la
langue et du discours, et que c’est précisément l’âge auquel ils commencent
à être eux-mêmes producteurs d’écrits. Enfin, dans le second point intitulé :
« garantir à tous les élèves les moyens de la maitrise du socle commun »,
nous trouvons :
La maitrise de la langue française est prioritaire, parce qu’elle conditionne
les acquisitions dans les autres domaines. [...] En particulier, les mécanismes
de mémorisation, l’acquisition au cycle 2 des automatismes tels que prévus
par les programmes, font l’objet d’une vigilance extrême de la part des
enseignants et des inspecteurs. (p. 3)
Cet objectif appelle une remarque, car la démarche préconisée à l’école
élémentaire insiste sur la mémorisation et sur la mise en place d’automatismes
pour améliorer les compétences des apprenants. Cela présente des similitudes
avec la didactique du français langue étrangère (FLE) et notamment les
méthodes audiovisuelles avec ses exercices structuraux. Si elle apporte, dans
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Enfin, cette entrée par l’oral est renforcée avec l’enseignement généralisé
de la langue étrangère dès le CP, et aussi pour la maternelle, avec l’éveil à la
diversité linguistique11 abordé dès la Moyenne section ; ce qui est tout à fait
inédit dans les programmes. De façon générale, on constate une attention
nouvelle et toute particulière aux langues en présence dans la classe, dans
la société, à l’échelle régionale et internationale (les langues régionales, les
langues étrangères et – pour la première fois dans les programmes – la
langue des signes française ou LSF). Ainsi, la façon dont on aborde par
exemple l’acquisition de la langue 1 suggère bien que les élèves, à leur
entrée en maternelle, ne sont pas tous ni monolingues ni francophones ;
on rappelle également que les processus sous-jacents à l’acquisition sont les
mêmes ; ce qui permet de lutter contre certaines idées reçues et de résoudre
la question des capacités cognitives et intellectuelles qui se posent parfois à
propos des enfants qui ne parlent pas le français à leur entrée en maternelle :
« L’enfant, quelle que soit sa langue maternelle, dès sa toute petite enfance et
au cours d’un long processus, acquiert spontanément le langage grâce à ses
interactions avec les adultes de son entourage » (Programme d’enseignement
de l’école maternelle, 2015 : 4). De même, la découverte d’autres langues
suggère une volonté de multiplier les possibilités de communiquer avec
autrui.
Parmi les cinq domaines de formation qui composent aujourd’hui le
Socle commun de connaissances, de compétences et de culture, le premier,
« les langages pour penser et communiquer [...] vise l’apprentissage de la
langue française, des langues étrangères et, le cas échéant, régionales, des
langages scientifiques, des langages informatiques et des médias ainsi que
des langages des arts et du corps », et invite, sans doute pour la première
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11. À partir de la Moyenne section, les élèves vont découvrir l’existence de langues, parfois
très différentes de celles qu’ils connaissent. Dans des situations ludiques (jeux, comptines...)
ou auxquelles ils peuvent donner du sens (DVD d’histoires connues, par exemple), ils
prennent conscience que la communication peut passer par d’autres langues que le français :
par exemple les langues régionales, les langues étrangères et la langue des signes française. Les
ambitions sont modestes, mais les essais que les enfants sont amenés à faire, notamment pour
répéter certains éléments, doivent être conduits avec une certaine rigueur (Bulletin officiel
n°2 du 26 mars 2015.
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Conclusion
Nous nous sommes intéressées ici à ce que recouvre enseigner de/à l’oral
au travers des injonctions officielles et l’on constate, à travers elles, comment
l’évolution de cet objet accompagne les attentes institutionnelles et les
nouvelles pratiques pédagogiques initiées notamment avec la création des
cycles et l’introduction de notions telles que celle de compétence.
Déjà, en 1999, le rapport d’A. Boissinot, qui établissait un état des lieux de
la place de l’oral de l’école au collège, insistait sur la nécessité de considérer
qu’il existe un continuum oral-écrit dans lequel il est difficile de séparer,
pour un individu, la part due à l’oral et celle due à l’écrit. Pourtant il relevait
que cette vision peinait à prendre forme à l’école élémentaire.
Peut-être est-ce plus surprenant, les séquences où l’on travaille l’oral pour
lui-même, les séquences « d’oral à apprendre » se fondent également très
largement sur l’écrit dont ils prolongent ou contrôlent l’apprentissage.
Rares sont les situations où l’oral fait réellement l’objet d’un apprentissage
spécifique : les productions relèvent alors de tel ou tel genre qui impose des
contraintes linguistiques déterminées. (Rapport Boissinot, 1999 : 33)
C’est pourquoi il serait sans doute utile de revenir sur quelques expériences
– ce qui n’était pas notre objectif ici – qui ont mis en lumière « l’incidence
des échanges oraux sur les processus de compréhension et de production
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12. Rapport du Haut conseil de l’éducation, 2007, qui fait état du défaut de prise en
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