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Rush, Be Bop Deluxe : où se niche l’intégrité ?

La mort de Neil Peart, le batteur de Rush, a suscité un émoi considérable chez les fans du trio canadien,
au succès phénoménal. Un groupe dont les qualités valent mieux que le rejet dont il peut faire l’objet.
Autre groupe inclassable à découvrir : Be Bop Deluxe, le groupe glam prog seventies de Bill Nelson.
Le 7 janvier dernier disparaissait Neil Peart. Qui ça ?, vous demandez-vous, à moins que vous ne
fassiez partie des centaines de milliers d’inconditionnels de Rush, le trio de heavy progressif canadien
dont Peart était le batteur et le parolier. Car s’il y a des morts obscures qui dévastent un petit cercle
d’initiés et des disparus à la notoriété telle qu’elle met en émoi un pays, voire la planète entière, il
existe des artistes adulés par leurs très nombreux fans mais totalement ignorés du reste de l’humanité.
C’est dire si Rush méritait amplement son titre de « plus gros groupe culte au monde ». Et dont le
discret Neil Peart serait l’emblème, un batteur extraordinaire, aussi virtuose qu’inventif au sein d’un
groupe qui enflammait les plus grandes salles de leur rock unique, humain mais ultra technique, au
style évolutif mais inimitable. Inécoutable, ajouteront aussitôt ses détracteurs, qui voyaient dans Rush
un concentré musical de tout ce qu’ils peuvent abhorrer : un chanteur à voix de crécelle (le bassiste
Geddy Lee), des textes ésotériques, entre science-fiction et fables historiques, une fusion de métal
sophistiqué et de progressif high-tech, des constructions atypiques, des solos de guitare à effets
vertigineux (Alex Lifeson), un son aigu, métallique, parfois synthétique, assez éprouvant. En gros, à
mi-chemin entre un Queen sans le charisme, l’éclectisme et l’attrait pop et un King Crimson tape-à-
l’œil.
Et pourtant, Rush vaut tellement mieux que le dédain ou l’ignorance dont il fait l’objet. S’il a démarré
au début des seventies, comme tant d’autres, en apprenti Led Zeppelin, il a su dès l’arrivée de Peart, en
1974, pour leur deuxième album, creuser un sillon propre, ambitieux et emphatique qui n’est jamais
venu chercher une adhésion consensuelle en chassant sur les terres de la concision pop (comme par
exemple Genesis, ou même Yes avec Owner of a Lonely Heart). On n’est pas près d’entendre
quelqu’un tenter de reprendre Tom Sawyer, leur plus gros tube – pourtant tout en gimmicks sonores et
ruptures insensées – dans un karaoké ou à The Voice. Même lors de son recours appuyé aux synthés,
dans les années 80, Rush est toujours demeuré un « acquired taste » (ne peut être apprécié qu’au terme
d’une exposition prolongée).

Les Rush, ou une histoire d’amour musicale à trois

Surtout, les trois membres de Rush, soudés pendant plus de quarante ans par leur bon esprit commun,
incarnent une sorte d’idéal rock. Une histoire partagée par trois amis dévoués à leur amour de la
musique, à inventer leur style propre, en se tenant à l’écart de tous les excès mégalos et clichés des
rock stars de leur envergure.

Peut-être est-ce pour cela que j’ai toujours éprouvé une étrange attirance à distance pour Rush, un
groupe que j’avais envie d’aimer pour sa singularité, que j’écoute parfois, sans réussir, au-delà des
addictifs Tom Sawyer ou The Spirit of Radio, à être vraiment certain d’y arriver. Rien à voir avec le «
guilty pleasure » (plaisir coupable) de s’infuser Mr Roboto de Styx, Carry on Wayward Son de Kansas
ou même Wheel in the Sky de Journey. Mais plutôt une sorte de « pleasurable torture » (délicieuse
torture). C’est sûrement une drôle de manière de rendre hommage à Neil Peart, vitime d’un cancer du
cerveau, dont la disparition, le récit de la vie et les nombreux témoignages qu’il a suscités en ligne
m’ont touché. Un intello rêveur qui a souffert (en 1998, il perdit en quelques mois sa fille et sa femme),
musicien aventureux et hors pair, parolier sincère et généreux. Un chouette type, comme semblent être
ses deux acolytes. Dont je vais continuer à tenter d’apprécier plus encore la musique.

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