LE 

MONDE
DES VINS
SUPPLÉMENT
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L’ÉPOQUE – SUPPLÉMENT  L’ART ET LA MANIÈRE DE S’OFFRIR LES SERVICES D’UNE STAR
DIMANCHE 12 - LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021 · 77E ANNÉE · NO 23928 · 3,00 € · FRANCE MÉTROPOLITAINE · WWW.LEMONDE.FR FONDATEUR : HUBERT BEUVE-MÉRY · DIRECTEUR : JÉRÔME FENOGLIO

Comment Valérie Pécresse va mener sa campagne
▶ La candidate des Républi­ ▶ Depuis la primaire, elle ▶ L’organigramme de son ▶ Le succès de Mme Pécresse ▶ Alors que la crise
cains (LR) à la présidentielle ne cesse d’afficher sa équipe se dessine, avec le à la primaire de LR contra­ sanitaire menace la te­
devait s’exprimer, samedi volonté de rassembler le souci de veiller aux équili­ rie la stratégie politique nue de grands meetings,
11 décembre, à Paris, devant plus largement possible bres internes et d’éviter les de l’ex­premier ministre les différents candidats
les parlementaires et les sans trahir le projet qui lui erreurs commises en 2017 Edouard Philippe et tentent de s’adapter
cadres du mouvement a permis d’être désignée par François Fillon de son parti, Horizons PAG ES 7 E T 12- 13

BORIS JOHNSON DANS LA TOURMENTE Covid­19
Le profil
Economie
L’OMC, tremplin 
très particulier  de la Chine dans 
▶ Le premier ministre de la cinquième  le commerce 
britannique est au cœur
d’une série d’affaires vague mondial
et de scandales
La dynamique actuelle de Le quatrième volet
▶ Les critiques visent l’épidémie en France com­ de notre série d’articles
bine un taux d’incidence sur l’économie chinoise,
notamment une fête de élevé et un nombre limité vingt ans après l’adhésion
Noël, organisée en 2020 de patients en situation de ce pays, alors très
à Downing Street, au critique. Le pic devrait être pauvre, à l’Organisation
mépris des mesures atteint en janvier mondiale du commerce
sanitaires PAGE 8 PAGE S 18- 19

▶ L’hypothèse de son
remplacement circule
au sein même du Parti
conservateur GÉOPOLITIQUE En Syrie, la leçon 
PAGE 2 d’humanité des casques blancs
dans le chaos de la guerre me­
née par le régime de Bachar Al­As­
sad contre son propre peuple, les
3 000 secouristes de la Défense ci­
vile syrienne, un organisme dont
Le Monde retrace l’histoire, conti­
nuent de porter secours aux victi­
mes dans les régions où ils peu­
vent encore intervenir.
Ces bénévoles non armés, dont
Boris Johnson, lors d’une conférence de presse, au 10 Downing Street, le 8 décembre. ADRIAN DENNIS/AFP la devise est « Qui sauve une vie
sauve l’humanité », ont perdu au
moins 292 des leurs depuis 2013.
Plusieurs centaines d’autres ont
été blessés. Les casques blancs,
comme ils sont surnommés, ont
également été marqués par le sui­
cide présumé de leur figure tuté­
laire, James Le Mesurier, un Bri­
tannique de 48 ans, mort en Tur­
quie en 2019.
PAGE S 26 À 28

Guadeloupe  Société
La mobilisation
Le déclin sans fin de Pointe­à­Pitre #balancetonbar
prend de l’ampleur
en France
PAGE 15

Guerre d’Algérie LE MONDE DES VINS

La France accélère DES VENTES
l’ouverture de ses RECORD POUR
archives judiciaires
PAGE 16
LES MAISONS
DE CHAMPAGNE
Rencontre SUPPLÉMENT

Des Antilles
à Paris, la vie
grenadine de

Près de la place de la Victoire, à Pointe­à­Pitre, le 4 décembre.

Laurent Voulzy
PAGE 35
ÉDITO RIAL
1
JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »

la ville antillaise, en proie à vivre en périphérie, dans l’espoir Culture DÉMOCRATIE : 

de graves difficultés sociales et à
un déficit abyssal, voit sa situa­
d’échapper à la délinquance et au
trafic de drogue. Malgré son éner­
Le peintre russe LE SOMMET DE JOE 
tion se dégrader d’année en an­ gie, le maire écologiste, Harry Du­ Ilya Répine exposé BIDEN A DÉÇU
née. Sa population (14 000 habi­ rimel, n’a pas les moyens finan­
tants) a diminué de moitié depuis ciers de redresser la barre.
au Petit Palais P AG E 39
1967. Les plus aisés choisissent de PAGE 24 PAGE 31
Algérie 220 DA, Allemagne 3,80 €, Andorre 3,80 €, Autriche 3,80 €, Belgique 3,30 €, Canada 5,80 $ Can, Chypre 3,20 €, Danemark 36 KRD, Espagne 3,60 €, Gabon 2 400 F CFA, Grande-Bretagne 3,20 £, Grèce 3,50 €, Guadeloupe-Martinique 3,30 €,
Hongrie 1 460 HUF, Italie 3,50 €, Luxembourg 3,30 €, Malte 3,20 €, Maroc 23 DH, Pays-Bas 4,00 €, Portugal cont. 3,50 €, La Réunion 3,30 €, Sénégal 2 400 F CFA, Suisse 4,50 CHF, TOM Avion 500 XPF, Tunisie 4,50 DT, Afrique CFA autres 2 400 F CFA
 INTERNATIONAL
0123
2| DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021

La fête de trop de Boris Johnson
Cerné par les affaires, « Ma mère
le premier ministre était mourante
à l’hôpital
britannique est au cœur et, pendant
d’un nouveau scandale. ce temps,
Dans son camp, son le gouvernement
faisait la fête »
départ n’est plus tabou AFZAL KHAN
député travailliste

londres ­ correspondante autre pour le reste de la popula­

tion, a un fort impact dans l’électo­

E
st­ce le début de la fin rat. » Ces derniers jours, de nom­
pour Boris Johnson ? La breux Britanniques ont dit leur in­
question n’est plus seule­ dignation sur les réseaux sociaux.
ment posée par les oppo­ « Ma mère était mourante à l’hôpi­
sants politiques du premier mi­ tal, et pendant ce temps, le gouver­
nistre britannique, mais elle est nement faisait la fête », a témoigné
désormais formulée dans son le député travailliste Afzal Khan.
propre camp conservateur. « Il y a La semaine qui s’annonce pour­
une puanteur de fin de régime rait être pire encore pour le pre­
émanant de Downing Street qu’il mier ministre. Mardi 14 décem­
n’est désormais plus possible bre, les mesures qu’il vient de dé­
d’ignorer », écrit ainsi Allister cider pour freiner la propagation
Heath, un des rédacteurs en chef du variant Omicron (1 265 cas re­
du Daily Telegraph, dans les co­ censés vendredi) feront l’objet
lonnes du quotidien de la droite d’un examen au Parlement. Des
britannique, jeudi 9 décembre. dizaines d’élus tories pourraient
Cerné par les affaires, le dirigeant voter contre ce texte introduisant
sur qui les scandales glissaient jus­ le passeport vaccinal en Angle­
qu’alors sans trop de dommages terre. Depuis le début de la pandé­
est désormais pressé de s’expli­ mie, l’aile droite du parti s’y op­
quer. Et les rumeurs galopent sur pose. La loi devrait toutefois pas­
une éventuelle compétition in­ ser grâce au soutien des travaillis­
terne pour le remplacer : « Oui, ces Le premier tes, mais une forte défection dans
conversations ont bien lieu, les ministre les rangs conservateurs serait un
députés m’en parlent », affirmait britannique défi à l’autorité de M. Johnson.
Lord Gavin Barwell, vendredi, au Boris
micro de la BBC Radio 4. Les élus Johnson, en Véritable péril
sont « frustrés » par les affaires conférence Plus risqué encore : l’élection par­
impliquant Downing Street, ajou­ de presse tielle dans le nord du Shropshire
tait cet influent tory, et les révéla­ sur le variant (Midlands), jeudi 16 décembre, où
tions de presse, quasi quotidien­ Omicron, le il s’agit de remplacer Owen Pater­
nes, sur l’étendue supposée des 8 décembre, son, cet élu dont M. Johnson a
scandales « sont incroyablement à Londres. tenté de minimiser les activités de
dommageables » pour le parti. ADRIAN DENNIS/AP lobbying, mais qui a fini par dé­
« Les concurrents commencent missionner. La circonscription est
à tourner autour d’un premier aux mains des tories depuis qua­
ministre en danger », titre encore rante ans, mais les démocrates li­
le quotidien The Independent, in­ béraux croient en leurs chances de
sistant sur les ambitions du chan­ succès. Alors que les sondages dé­
celier de l’Echiquier, Rishi Sunak, favorables à Boris Johnson s’accu­
ou de la ministre des affaires mulent (le Labour est passé au­
étrangères, Liz Truss, considérés dessus des tories, à 40 % d’inten­
comme des prétendants crédibles tions de vote au niveau national,
à la direction du Parti conserva­ contre 34 % aux conservateurs, se­
teur, et qui se sont gardés, ces der­ lon un sondage du Daily Mirror,
niers jours, de voler au secours mercredi), l’élection sera le pre­
de leur dirigeant. « J’étais trop oc­ mier test en « grandeur réelle » de
cupée à négocier des accords com­ l’impact des affaires sur l’électorat.
merciaux pour participer à des Les prochaines élections géné­
fêtes de Noël l’an dernier », s’est rales n’ayant pas lieu avant deux
contentée de déclarer Mme Truss à ans, et les tories disposant d’une
la radio, vendredi. pour avoir empoché de conforta­ Cette position devient plus dure cure aucun répit médiatique : on son a menti, assurant n’avoir rien majorité historique de 79 sièges
bles revenus de lobbying. Puis, dé­ à tenir après la divulgation, apprend alors que Jack Doyle, son su de la donation avant début aux Communes, le véritable péril
Un Noël à Downing Street but décembre, le Daily Mirror a ra­ mardi 7 décembre, d’une vidéo directeur de la communication, a 2021, alors que des SMS du pre­ pour M. Johnson viendra de son
Cela fait six semaines que les mé­ conté qu’une fête de Noël avait eu montrant Allegra Stratton, une assisté à la fête du 18 décem­ mier ministre datant de fin 2020 propre parti, les conservateurs
dias nationaux consacrent leurs lieu à Downing Street rassem­ des porte­parole de M. Johnson, bre 2020, et que le Parti conserva­ semblent prouver le contraire. n’hésitant pas à se débarrasser de
gros titres à de potentiels scanda­ blant « des dizaines de personnes », plaisantant, fin 2020, à propos teur est condamné par la com­ Pour Tim Bale, politologue à la leurs dirigeants quand ils ne sont
les impliquant M. Johnson et le le 18 décembre 2020, alors que les des supposées fêtes à Downing mission électorale à une amende Queen Mary University de Lon­ plus considérés comme capables
rythme des révélations s’est accé­ rassemblements de deux person­ Street. « Le premier ministre prend de presque 18 millions de livres dres, l’affaire la plus dangereuse de leur faire gagner les élections.
léré ces derniers jours. Le mois de nes de foyers différents étaient in­ les Britanniques pour des imbéci­ (21 millions d’euros) pour avoir pour M. Johnson est celle des fê­ C’est le sort qu’a connu Theresa
novembre a été dominé par les terdits, en raison du Covid­19. les », condamne Keir Starmer, le omis de déclarer que les frais de tes. « Il y a tant de Britanniques qui May en 2019, ce fut aussi celui de
soupçons de corruption au sein La BBC ou le Times tour à tour chef de file des travaillistes. rénovation de l’appartement du ont suivi les règles l’an dernier et Margaret Thatcher en 1990. Il suf­
des tories, après une tentative corroborent le scoop, l’existence Mme Stratton démissionne. dirigeant, au 10 Downing Street, ont dû sacrifier leur Noël avec leur fit que 15 % des députés tories en­
malheureuse du premier minis­ d’autres fêtes est avancée, mais le La venue au monde, jeudi, du ont été avancés par un donateur famille. La critique [avancée par les voient des lettres de défiance (soit
tre d’épargner à un député ami, porte­parole de Downing Street deuxième enfant de M. Johnson des tories. L’enquête ayant mené travaillistes] qu’il y a une règle cinquante­quatre élus) pour
Owen Paterson, une sanction continue à nier leur existence. et de sa femme, Carrie, ne lui pro­ à l’amende suggère que M. John­ pour les conservateurs, et une qu’un vote de confiance soit dé­
clenché dans le parti.
Malgré sa réputation de « Teflon
Licences de pêche : la France va-t-elle oser le contentieux ? Man » – n’a­t­il pas survécu à une
éviction du Times quand il était
jeune journaliste, puis à de multi­
après des mois de tension, d’esca­ temps de la réflexion au cours du week­ de l’élection présidentielle. « J’ai terrible­ la Commission, le dossier est avant tout ples polémiques et infidélités
lade rhétorique et de menace de blocus, end pour savoir quelle réponse adopter. ment envie d’avoir un gouvernement symbolique. Sa porte­parole note ainsi : conjugales ? –, M. Johnson est
le dossier de la pêche entre Paris et Lon­ Plusieurs scénarios étaient envisagés, du [britannique] qui souhaite travailler sim­ « 95 % des licences demandées ont ob­ réellement en danger, estime Tim
dres est­il sur le point de déborder ? Ven­ plus sombre au plus optimiste. Si Lon­ plement de bonne foi avec nous », a dé­ tenu une réponse positive. » De plus, le Bale. Mais la contestation de son
dredi 10 décembre, la date butoir, auto­ dres devait camper sur sa position dure, claré le chef de l’Etat jeudi. l’épreuve de force entre Londres et Paris, leadership pourrait prendre des
imposée par la France, est passée. la France pourrait demander à la Com­ qui portait initialement sur près de mois, même si les sondages néga­
Le gouvernement avait demandé aux mission européenne « d’annoncer qu’un Ambivalences 200 bateaux, n’en concerne plus que tifs s’accumulent début 2022. »
Britanniques de résoudre le problème contentieux est engagé », pour reprendre Pour M. Macron, ardent promoteur de 104, selon le ministère de la mer. Guer­ « Le Parti conservateur n’a pas
de la centaine de licences de pêche en les termes du secrétaire d’Etat aux affai­ l’intégration européenne, il y va de la cré­ nesey a récemment attribué quarante­ d’idéologie, il a été créé pour gagner
suspens. Ces derniers ne se sont pas exé­ res européennes, Clément Beaune. En re­ dibilité des institutions communautai­ trois licences, et Jersey en a donné neuf. des élections. Si Boris est encore
cutés. Ils refusent de reconnaître cette vanche, un « geste fort » – de l’ordre d’une res, mises au défi par le départ du Royau­ Le désaccord vient des ambivalences considéré comme un handicap au
date de vendredi, qui n’a, effectivement, soixantaine de licences accordées aux me­Uni de l’Union européenne. « Le vi­ laissées dans l’accord du Brexit. Les ba­ début de l’année prochaine, je se­
aucune valeur légale. « On ne va pas don­ pêcheurs français, ainsi qu’un assouplis­ sage du Brexit, ce sera celui du pêcheur », a teaux capables de prouver qu’ils allaient rais surpris qu’il tienne. D’autant
ner des licences parce qu’on essaie de sement des critères imposés par les Bri­ coutume de répéter Clément Beaune. dans les eaux britanniques entre 2012 et qu’il n’est pas un homme de ré­
nous intimider, c’est une question de tanniques – serait de nature à dégonfler Sur le fond, la marge de manœuvre de 2016 peuvent bénéficier d’une licence. seaux, il a peu de supporteurs au
principe », rétorque un haut responsable la crise, estime­t­on à Paris. la France risque cependant d’être limi­ Mais les preuves qu’il faut apporter n’ont sein des tories, contrairement à
britannique. Celui­ci en veut à Paris La position française doit être arrêtée tée. Le gouvernement ne peut pas s’en­ pas été définies clairement. Pour les plus John Major ou à Margaret That­
d’avoir menacé de couper l’électricité de entre Clément Beaune et le premier mi­ gager seul dans un contentieux légal. Of­ petits navires, de moins de douze mètres, cher : les évincer avait été difficile »,
l’île de Jersey, un geste estimé complète­ nistre, Jean Castex, qui se situe, à en ficiellement, les dossiers de pêche sont qui n’ont pas de données GPS, elles sont confie au Monde Jonathan Powell,
ment disproportionné – et dont le gou­ croire un bon connaisseur du dossier, déposés par la Commission européenne, parfois difficiles à fournir. Ces discus­ ex­chef de cabinet de Tony Blair
vernement français ne parle plus. « sur une ligne de fermeté » avec le et c’est donc à elle d’engager d’éventuel­ sions, qui auraient pu rester techniques, jusqu’en 2007. Vendredi, Downing
Et maintenant ? Paris va­t­il se lancer Royaume­Uni. Mais Emmanuel Macron les mesures de rétorsion, pas à Paris. sont devenues un symbole politique.  Street a annoncé renoncer à toute
dans la voie d’un contentieux officiel ? regarde également de près ce sujet à Or, Bruxelles n’a aucune envie de se éric albert (londres, fête de Noël cette année. 
Le gouvernement devait se laisser le haute valeur symbolique, à quatre mois lancer dans l’escalade sur ce sujet. Vu de correspondance) et olivier faye cécile ducourtieux
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4 | international
La justice britannique
n’exclut plus l’extradition
de Julian Assange
Les Etats­Unis, qui accusent le fondateur
de WikiLeaks d’« espionnage », le réclament
L a Haute Cour de justice de
Londres a ouvert un peu
plus la voie à une extradi­
tion de Julian Assange vers les
Etats­Unis. Dans un jugement en
appel rendu vendredi 10 décem­
bre, elle a annulé la décision prise
en début d’année dans laquelle un
magistrat de première instance re­
fusait l’extradition du fondateur
de WikiLeaks. Cette décision était
notamment motivée par la santé
mentale fragile de Julian Assange,
et le risque de suicide que faisait
peser sur lui un départ contraint
vers les Etats­Unis. En appel, le tri­
bunal a cependant été convaincu
par les garanties apportées par le
gouvernement américain.
Ce dernier avait notamment as­
suré que, s’il devait être extradé,
Julian Assange ne serait pas sou­
mis à des « mesures administrati­
ves spéciales » – des conditions de
détention particulièrement sévè­
res –, qu’il ne serait pas détenu
dans la prison de très haute sé­
curité de Florence, au Colorado,
qu’il recevrait des soins psycholo­
giques adaptés à son état et que,
s’il devait être condamné, il pour­
rait demander à purger sa peine
en Australie, son pays natal.
Dans leur jugement, les juges de
la Haute Cour expliquent que ces
garanties permettaient, selon
eux, de réellement limiter les ris­
ques. Or, la question de la santé
mentale de l’Australien est le seul
point sur lequel l’équipe d’Assange
avait eu gain de cause jusqu’ici.
« Grave erreur judiciaire »
La fiancée de Julian Assange, avec
qui il a eu deux enfants alors qu’il
était cloîtré dans l’ambassade
équatorienne de Londres, a dé­
noncé une « grave erreur judi­
ciaire » et une décision « dange­
reuse ». « Une cour britannique en­
voie le journalisme d’investigation
dans l’obscurité et poursuit la tor­
ture d’Assange. Le combat conti­
nue », a pour sa part réagi le
Le luxe en
Nouvelle-Aquitaine ?
Pour tout savoir,
c’est gratuit !
Dimanche 12 décembre
10.30 sur France 3 Nouvelle-Aquitaine
19.00 sur NoA
rédacteur en chef de WikiLeaks,
Kristinn Hrafnsson.
« C’est une immense déception,
car, si elle avait été positive, cette
décision aurait pu mettre un
terme au calvaire de Julian As­
sange. Il ne faut pas perdre de vue
que c’est un dossier essentielle­
ment politique », a affirmé auprès
du Monde son avocat français,
Antoine Vey, qui espère que son
client pourra être mis en liberté
sous caution. Plusieurs ONG ont
également sévèrement critiqué
la décision britannique. « Une pa­
rodie de justice », a tancé Nils
Muižnieks, directeur Europe
d’Amnesty International.
Les Etats­Unis réclament Julian
Assange essentiellement pour
des faits d’espionnage correspon­
dant à la publication, à l’automne
2010 et en partenariat avec de
nombreux médias, dont Le
Monde, de documents secrets is­
sus de l’armée et de la diplomatie
américaines. La décision améri­
caine d’inculper l’Australien et de
réclamer au Royaume­Uni son
extradition n’est intervenue
qu’en mai 2019, après que le fon­
dateur de Wikileaks a été expulsé
de l’ambassade équatorienne
dans laquelle il s’était cloîtré pour
échapper à une extradition vers la
Suède, où il était visé par des ac­
cusations de viol et d’agression
sexuelle. Après sept ans passés
dans l’ambassade d’Equateur,
l’Australien est, depuis 2019, em­
prisonné dans la prison de haute
sécurité de Belmarsh, à Londres.
Malgré ce dernier revers infligé
par la justice britannique, la gué­
rilla judiciaire n’est cependant
pas terminée. Ses avocats ont
d’ores et déjà annoncé leur vo­
lonté de porter la décision de ce
10 décembre devant la Cour su­
prême. Et ils ont commencé à
plancher sur des recours devant
la Cour européenne des droits de
l’homme. 
martin untersinger
Deux avions militaires français en mission au­dessus de la mer Noire sont approchés par un chasseur Soukhoï SU­27 russe,
alors qu’ils se ravitaillent en vol, le 9 décembre. RUSSIAN DEFENCE MINISTRY/VIA REUTERS
Paris s’interroge sur la stratégie
de Vladimir Poutine en Ukraine
La récente reprise des vols de bombardiers russes nourrit les craintes
P
lus d’un mois après le
début de la nouvelle va­
gue de tensions liées au
conflit gelé du Donbass,
territoire séparatiste dans l’est de
l’Ukraine, le brouillard demeure
épais sur les risques d’escalade
sur le terrain. Depuis les premiè­
res accusations, fin octobre, de
déploiement de troupes russes
aux frontières de l’Ukraine, ve­
nues de confidences américaines
au Washington Post, Moscou en­
tretient le doute sur ses inten­
tions, tandis que Kiev, soutenu
par les Etats­Unis, se défend de
toute dramatisation.
Seule certitude : une périlleuse
bataille de « communication
stratégique » est engagée. Plu­
sieurs sources françaises de haut
niveau, qui avaient jusque­là
gardé le silence, ont confié, ces
derniers jours, leurs inquiétudes
sur l’évolution de la situation.
L’accompagnement en vol par
des chasseurs russes Soukhoï
SU­27 de plusieurs avions fran­
çais et américains, mercredi 8 et
jeudi 9 décembre, engagés dans
une mission de renseignement
au­dessus de la mer Noire, n’est
pas totalement étranger à cette
libération de la parole. Alors que
le ministère russe de la défense a
évoqué, mercredi, une « intercep­
tion » de ces appareils, sous­en­
tendant qu’ils avaient dû faire
demi­tour, l’état­major des ar­
mées a démenti le jour même, en
expliquant que ses avions
avaient juste été approchés par
les SU­27 afin d’être filmés – les
images ont été diffusées sur les
réseaux sociaux – mais que la
mission avait pu être menée à
bien. Et ce, en partie grâce à un
capteur Astac [analyseur de si­
gnaux tactiques] visible sur les
images, qui permet d’observer
l’Ukraine en restant au­dessus de
la mer Noire.
« Volatilité » de la situation
« Un jeu de communication » rela­
tivement rodé, assure une source
militaire. Des missions comme
celles­ci, l’armée de l’air française
en effectue quatre à cinq par an
sans difficulté. A l’inverse, depuis
le début de l’année, douze avions
russes volant un peu trop près
des côtes hexagonales ont été
interceptés par des chasseurs
français, a dévoilé, jeudi, l’état­
major des armées. Des péripéties
qui témoignent d’une réelle
fébrilité dans la région. Au point
Zone contrôlée par les
séparatistes prorusses
BIÉLORUSSIE
RUSSIE
Kiev
UKRAINE
MOLDAVIE DONBASS
ROUMANIE
CRIMÉE
Annexée par la Russie Mer Noire
en mars 2014
200 km TURQUIE
qu’interrogé par Le Monde, un of­
ficiel français estime la situation
« très sérieuse ».
A l’occasion d’un point presse
conjoint vendredi, la ministre des
armées, Florence Parly, son collè­
gue des affaires étrangères, Jean­
Yves Le Drian, et le secrétaire gé­
néral de l’OTAN, Jens Stoltenberg,
en visite à Paris, se sont montrés
soucieux. « Il est clair pour nous, je
l’ai déjà dit à plusieurs reprises,
que toute atteinte à l’intégrité de
l’Ukraine entraînerait (…) iné­
vitablement des conséquences
stratégiques massives », a rappelé
M. Le Drian. La France est censée
être l’un des principaux pays né­
gociateur du conflit au côté de
l’Allemagne dans un « format
Normandie » qui réunit de­
puis 2014 l’Ukraine et la Russie,
mais qui est aujourd’hui bloqué.
Tout l’enjeu pour Paris, dans ce
contexte où les Etats­Unis jouent
leur propre partition sans qu’il y
ait de « proposition de négocier en
dehors du “format Normandie” »,
comme le confiait vendredi une
source élyséenne, est de parvenir
à décrypter au mieux « de façon
autonome », selon la formule
consacrée, la situation ukrai­
nienne afin de faire baisser la ten­
sion. Le tout en évitant de fournir
le moindre prétexte à un « malen­
tendu stratégique ».
Un jeu particulièrement délicat
face à un Kremlin qui déroule sa
désormais habituelle stratégie
de « guerre nouvelle », version
russe de la « guerre hybride » oc­
cidentale. « L’important, à ce sta­
de, c’est de déterminer les bons in­
dicateurs qui permettraient de dé­
tecter des velléités d’offensive »,
résume un observateur français
de premier plan.
Alors que le chiffre de 100 000
soldats russes déployés à la fron­
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
tière ukrainienne (l’équivalent de
la moitié de l’armée française) est
souvent brandi côté occidental,
notamment américain, pour il­
lustrer l’ampleur de la menace
russe, cette dernière semble
moins venir du nombre d’hom­
mes que des moyens militaires
prépositionnés, et surtout de la
« volatilité » de la situation, selon
la même source élyséenne. Et ce,
même si le nombre de troupes dé­
ployées a augmenté ces dernières
semaines (entre 2 000 et 6 000
hommes, selon les estimations).
Discerner les intentions du
Kremlin serait en partie compli­
qué par la multiplication des
entraînements russes non loin
du territoire ukrainien ces der­
niers temps. Même si beaucoup
de ces manœuvres sont « visi­
bles » par les Occidentaux – no­
tamment par observation satel­
lite –, comment bien interpréter
tel ou tel déplacement de maté­
riel ? « Ce n’est pas compliqué
dans ces circonstances de passer
d’une posture normale à une pos­
ture offensive », analyse encore le
même observateur.
Certains signaux sont en outre
venus alerter. La « grammaire de
dissuasion » russe a ses codes, et
Paris comme Berlin et Washing­
ton en partagent aujourd’hui glo­
balement la même analyse. Ces
dernières semaines, par exemple,
les vols de bombardiers stratégi­
ques russes, ces appareils qui peu­
vent voler loin et longtemps pour
tirer des missiles, voire des armes
nucléaires, sur des cibles comme
des villes ou des sites industriels,
ont repris. En 2014, peu avant l’an­
nexion de la Crimée, le même
phénomène s’était produit.
Le 9 décembre, des sources
ukrainiennes, rapportées par le
journal américain Military Times,
ont aussi indiqué avoir repéré des
armes à forte charge symbolique :
des systèmes de missiles Iskan­
« Dans un cas
comme celui-ci,
avec la Russie,
il y a toujours
l’ombre portée
du nucléaire »
ISABELLE FACON
spécialiste de la Fondation
pour la recherche stratégique
0123
der. Ces missiles de courte ou
moyenne portée très récents
auraient été laissés en Biélorus­
sie, en septembre, lors du dernier
exercice militaire « Zapad ». Or
leur spécificité est de pouvoir em­
porter aussi bien des têtes
conventionnelles que nucléaires.
« Dans un cas comme celui­ci,
avec la Russie, il y a toujours l’om­
bre portée du nucléaire. Ce que les
Russes instrumentalisent à des­
sein. Car, dans ce qu’on croit savoir
de la doctrine de Moscou sur les
scénarios d’escalade liés à un con­
flit conventionnel avec l’OTAN, ils
ne s’interdisent aucune option »,
explique Isabelle Facon, spécia­
liste de la Fondation pour la re­
cherche stratégique.
Tensions exacerbées
Alors que la Russie justifie sa pos­
ture générale par le besoin d’as­
surer sa sécurité face à l’in­
fluence grandissante de l’OTAN,
les moyens militaires officiels
otaniens n’ont pas vraiment évo­
lué ces dernières semaines.
Depuis de longs mois, l’OTAN
communique, certes abondam­
ment, sur son intention d’être en
capacité de projeter plus vite des
forces à l’Est ou sur ses exercices,
notamment dans les pays baltes.
Mais le renforcement de sa dé­
fense antimissile, par exemple,
avec des radars déployés en Rou­
manie ou en Turquie, remonte
à 2017. Un site de stockage de mu­
nitions, de chars, de blindés et
d’artillerie doit aussi voir le jour
à la mi­2022 en Pologne, mais il
est acté depuis plusieurs années.
Ce qui exacerbe les tensions en­
tre les Etats­Unis et la Russie ré­
side plus dans l’aide sécuritaire
et militaire que Washington
fournit de façon assumée à Kiev
(plus de 330 millions d’euros
en 2021, hors ventes d’armes).
Mais à ce stade, le président amé­
ricain, Joe Biden, ne paraît pas
vouloir reculer. Il se contente de
donner des signes de réassu­
rance aux membres de l’Alliance
à coups de déclarations diploma­
tiques tout en garantissant à
Moscou un non­recours « à la
force ». Un jeu compliqué à lire, là
encore, pour Paris, confie une
source au cœur de l’appareil
d’Etat. « Par le passé, que ce soit en
Crimée, en Libye, ou ailleurs, à
chaque fois que Poutine a vu une
opportunité pour ses intérêts, il l’a
saisie », conclut une autre. 
élise vincent
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021 international | 5

En Transnistrie, un scrutin à l’ombre de «Sheriff»

Un puissant conglomérat contrôle l’élection présidentielle prévue dans cette région séparatiste de Moldavie

tiraspol ­ envoyé spécial reste injoignable pour les journa­ Pour M. Dirun, le président sor­ Selon la presse russe, le conglo­ Manole, directeur exécutif de Pro­
listes. « Le pouvoir sait qu’il est im­ tant, Vadim Krasnoselsky, « est une mérat a payé 7 millions de dollars
« Nous avons mo­Lex, une ONG de défense des

C’
est un pli sur la carte
de l’Europe. Un re­
coin oublié qui a re­
fusé l’effondrement
de l’empire soviétique en 1991 et sa
dissolution dans l’Etat moldave
tout juste indépendant.
Dimanche 12 décembre, va s’y te­
nir l’élection présidentielle la
moins suivie du continent. La Ré­
publique de Transnistrie, une
bande de territoire moldave lon­
geant la frontière ukrainienne, où
vivent 475 000 personnes, va réé­
lire en un tour le président sortant
de cette région séparatiste, Vadim
Krasnoselsky, 51 ans. Le processus
électoral finalisera la mutation
d’un régime néosoviétique tourné
vers Moscou en un Etat­corpora­
tion unique en Europe.
« Je n’irai pas voter dimanche,
c’est certain, s’exclame Viktor,
41 ans, dirigeant de société à Tiras­
pol, capitale de la « PMR », acro­
nyme local de la République trans­
nistrienne de Moldavie. Il n’y a
qu’un seul candidat, le président
[sortant]. L’autre [Sergueï Pynzar],
personne ne le connaît. Comment
a­t­il pu réunir les 20 000 signatu­
res nécessaires pour se présenter ?
C’est une farce ! » Viktor refuse que
son nom de famille soit publié :
« La police peut venir fermer ma so­
ciété du jour au lendemain sous
n’importe quel prétexte. »
L’unique rival du président ne
s’est en effet pas distingué par ses
efforts pour imiter un affronte­
ment de campagne. Sergueï Pyn­
zar n’a pas publié son programme
politique. Il n’a organisé aucune
rencontre avec les électeurs et
populaire et a, par conséquent, éli­
miné toute véritable concurrence »,
déclare au Monde Anatoli Dirun,
44 ans, candidat à l’élection prési­
dentielle écarté pour avoir préten­
dument rassemblé de fausses si­
gnatures de soutien. La commis­
sion électorale n’a pourtant ap­
porté aucune preuve de
falsification. Afin de prévenir
toute fausse note au moment des
résultats, cette même commis­
sion a ôté aux électeurs la possibi­
lité de cocher, sur le bulletin de
vote, la case « contre tous », qui
existait jusqu’ici.
Paradis fiscal personnel
« Au cours des cinq dernières an­
nées, le système politique a été
transformé. Nous avons aujour­
d’hui une oligarchie à la place d’un
gouvernement, explique­t­il. La
corporation Sheriff a grignoté l’Etat
de la PMR à travers le parti
Obnovlenie [Renouvellement] ».
Ce dernier contrôle le Parlement et
est financé par la société Sheriff,
ou plutôt un conglomérat tenta­
culaire. Sheriff contrôle les médias
et possède toutes les entreprises
rentables de la région séparatiste :
l’unique opérateur Télécom de
PMR, les secteurs du BTP et du
textile, des hôtels, des banques,
les activités vins & spiritueux et,
au­delà, une large partie du sec­
teur de l’élevage. Fleuron du
groupe : le FC Sheriff, un club de
football qui domine le champion­
nat moldave et qui a fait sensation,
fin septembre, en remportant un
match contre le Real Madrid en
Ligue des champions.
émanation de Sheriff et ne fait que
servir les intérêts de la corpora­
tion ». Partisan d’une ligne très
prorusse et hostile à tout rappro­
chement avec Chisinau, capitale
de la Moldavie, il a longtemps di­
rigé une filiale du groupe Sheriff,
comme plusieurs autres membres
du gouvernement.
L’omniprésence du groupe saute
aux yeux. Le nom Sheriff apparaît
à tous les coins de rue, ornant l’en­
seigne des stations­service, des su­
permarchés. Sheriff est aussi le
« nom de guerre » de Viktor Gou­
chan, 58 ans, le véritable maître de
la Transnistrie. Homme très dis­
cret issu des services soviétiques
de sécurité, il a utilisé la PMR, avec
son associé Ilya Kazmaly, 59 ans,
comme un paradis fiscal person­
nel pendant plusieurs décennies.
Sheriff possède ainsi le monopole
de l’importation de tabac et de
boissons alcoolisées, tout en étant
exonéré des droits de douane.
(6,2 millions d’euros) d’impôts en­
tre 2006 et 2011, alors qu’il aurait
dû s’acquitter de près de 1 milliard
de dollars. Aujourd’hui, la moitié
des revenus du budget de la PMR
provient des impôts payés par Vik­
tor Gouchan, et un habitant sur
cinq travaille pour lui.
« Ancien du KGB »
« Dans ce pays, tout le pouvoir se
trouve entre les mains des structu­
res de sécurité, à tous les niveaux »,
estime Pavel Martynov, adminis­
trateur dans un hôtel de Tiraspol,
qui a longtemps travaillé au sein
du conglomérat Sheriff. « Le pré­
sident est un ancien des services,
le patron de Sheriff est aussi un
ancien du KGB. D’un côté c’est bien,
car la délinquance est très faible.
Mais ces gens­là sont inca­
pables d’administrer un pays »,
ronchonne ce quinquagénaire.
M. Martynov ira toutefois voter
pour le président sortant, car « il
aujourd’hui
une oligarchie
à la place d’un
gouvernement »
ANATOLI DIRUN
candidat écarté pour fraude
électorale présumée
faut soutenir l’Etat si on ne veut pas
que la Moldavie nous mette la
main dessus ».
L’imminence d’un assaut mol­
dave paraît pourtant bien irréelle.
La Transnistrie est protégée par
trois armées, les forces russes de
maintien de la paix, le groupe opé­
rationnel des forces Russes en
Moldavie et l’armée de la PMR.
Nulle autre présence militaire
n’est visible à proximité. « On parle
de 1 500 soldats russes en Transnis­
trie mais, en réalité, personne ne
sait combien ils sont, observe Ion
droits humains basée à Chisinau.
Leurs forces comptent aussi un
nombre inconnu de soldats locaux
possédant des passeports russes.
C’est facile pour l’armée russe de re­
cruter des jeunes, c’est la promesse
de revenus stables dans une région
économiquement sinistrée. »
A Chisinau, la présidente proeu­
ropéenne Maia Sandu, élue
en 2020, a réclamé le départ de
l’armée russe de Transnistrie dès
son entrée en fonction, en ex­
cluant tout contact direct avec le
dirigeant de la PMR. Le message
est très mal passé à Moscou, qui a
menacé à deux reprises, ces der­
nières semaines, de couper le gaz à
la Moldavie si celle­ci ne réglait pas
sa dette gazière s’élevant à 7 mil­
liards de dollars, en large partie
contractée par la PMR. Lesté par
un Etat­corporation, ce petit pays
voit ses options plus réduites que
jamais pour faire face à la Russie. 
paul tavignot

Bosnie : le séparatisme
serbe avance d’un pas
Le Parlement de Banja Luka a adopté des lois
destinées à faire sécession de Sarajevo

L a République serbe a mis

ses menaces à exécution en
faisant adopter par son
Parlement, vendredi 10 décembre,
des lois la séparant de l’Etat cen­
tral de Bosnie­Herzégovine. Com­
me annoncé par l’élu serbe à la
présidence tripartite de Bosnie,
Milorad Dodik, ces lois, applica­
bles dans un délai de six mois,
concernent la défense (armée et
services de renseignement), la jus­
tice et la fiscalité. Si elles étaient
appliquées en juin 2022, cela mè­
nerait de facto le camp nationa­
liste bosno­serbe à faire sécession
de Sarajevo. La dernière fois qu’un
tel plan serbe a été mis en œuvre,
il y a trente ans, ce fut la guerre.
Pour Milorad Dodik, la période
de six mois qui s’ouvre « montrera
si la Bosnie­Herzégovine peut sur­
vivre ». Lui « pense qu’elle ne le peut
pas », a­t­il rappelé devant les dé­
putés. L’homme fort de Banja
Luka réclame le retrait des 142 lois
adoptées depuis l’accord de paix
de Dayton de 1995 pour renforcer
l’Etat central au détriment des
deux entités qui forment le pays
– la République serbe et la Fédéra­
tion croato­bosniaque –, et ne re­
connaît plus l’autorité du haut re­
présentant international en Bos­
nie, Christian Schmidt.
« Attaque contre la paix »
L’échec de M. Dodik vendredi au
Parlement de Banja Luka, le chef­
lieu de la République serbe, fut de
ne pas avoir convaincu les forces
d’opposition bosno­serbes de le
suivre. Le chef de l’opposition,
Mirko Sarovic, a estimé que « la
voie choisie par M. Dodik est
dangereuse », et que « celui qui croit
pouvoir faire cela sans la guerre se
trompe ». Ironie de la vie politique,
M. Sarovic dirige aujourd’hui le
Parti démocratique serbe (SDS),
créé par Radovan Karadzic, le chef
politique bosno­serbe des années
de guerre, donc le parti qui fit sé­
cession en 1992 et déclencha, sur
ordre de Belgrade, la guerre de Bos­
nie. Les décisions ont cette fois été
votées par les seuls députés du
Parti des sociaux­démocrates in­
dépendants (SNSD) de M. Dodik.
Les deux autres coprésidents de
Bosnie ont réagi à la menace.
Sefik Dzaferovic, élu bosniaque
musulman nationaliste, a estimé
que « l’attaque contre l’Etat et
contre l’ordre constitutionnel est
une attaque contre la paix ». Zeljko
Komsic, élu croate non nationa­
liste, qui représente une ligne
pour une Bosnie unitaire, a ap­
pelé la Cour constitutionnelle à
« poursuivre les responsables » de
cette menace séparatiste.
Le fait que Milorad Dodik mette
ses menaces à exécution est un
échec pour l’artisan de l’accord de
Dayton, les Etats­Unis, ainsi que
pour l’Union européenne (UE),
qui a pris le relais des forces de
l’OTAN pour garantir la paix en
Bosnie. Tandis que M. Dodik est
fortement soutenu d’un côté par
la Serbie et la Russie, et de l’autre
côté par les forces nationalistes
bosno­croates et par la Croatie,
l’UE ne semble pas avoir le poids
politique nécessaire pour stopper
le processus séparatiste. Elle­
même est divisée, certains diri­
geants européens nationalistes,
tels ceux de Hongrie ou de Slové­
nie, soutenant aussi M. Dodik.
Maintenir la paix en ex­Yougosla­
vie sera donc, jusqu’en juin 2022,
un des défis majeurs de la prési­
dence française de l’UE. 
rémy ourdan

6 | international
Le Nicaragua rompt avec Taïwan au profit de Pékin
En se rapprochant de la Chine, le régime sandiniste espère bénéficier d’une protection, notamment à l’ONU
shanghaï, mexico ­
correspondance
N
ouveau coup dur pour
Taïwan : l’île a perdu
l’un de ses rares sou­
tiens diplomatiques
vendredi 10 décembre, quand le
Nicaragua a annoncé reconnaître
Pékin, et non plus Taipei. « La Ré­
publique populaire de Chine est le
seul gouvernement légitime qui re­
présente l’ensemble de la Chine, et
Taïwan est une partie inaliénable
du territoire chinois », a déclaré le
ministre des affaires extérieures
nicaraguayen, Denis Moncada,
dans la soirée de jeudi (au Nicara­
gua). Le gouvernement du prési­
dent Daniel Ortega « rompt à par­
tir d’aujourd’hui les relations di­
plomatiques avec Taïwan et cesse
tout type de contact ou relation of­
ficiels », a­t­il ajouté. Ces dernières
années, la Chine a accentué la
pression pour isoler Taïwan, île
indépendante dont Pékin reven­
dique la souveraineté. Après
l’abandon du Nicaragua, Taïwan
n’est plus reconnu officiellement
que par 13 Etats et le Vatican.
Peu après l’annonce de Mana­
gua, la presse d’Etat chinoise a pu­
blié des images du fils du prési­
dent nicaraguayen, Laureano Or­
tega Murillo, en compagnie de Ma
Zhaoxu, vice­ministre des affaires
étrangères, lors d’une rencontre à
Tianjin, ville portuaire située près
de Pékin. La présidente de Taïwan,
Tsai Ing­wen, dont la dernière ve­
nue au Nicaragua remonte à 2017,
a fait part de sa déception sur Twit­
ter : « Aujourd’hui, le Nicaragua a
mis fin à ses relations diplomati­
ques avec Taïwan. Je voudrais souli­
gner que, quel soit le niveau de pres­
sion externe, rien ne viendra ébran­
ler notre engagement pour la li­
berté, les droits humains et l’Etat de
droit, et le partenariat avec la com­
munauté internationale diploma­
tique comme force pour le bien. »
Les autorités taïwanaises étaient
toutefois peu regardantes sur la
situation des droits humains au
B ULGA R I E
Accord de coalition
Après huit mois de crise
politique inédite, un gouver­
nement de coalition va diri­
ger la Bulgarie avec, à sa tête,
un entrepreneur de 41 ans,
Kiril Petkov, cofondateur
de « Continuons le change­
ment ». Ce nouveau parti,
qui a émergé lors des
législatives de novembre,
a en effet annoncé, vendredi
10 décembre, être parvenu
à une alliance avec trois
autres formations parlemen­
taires. – (AFP.)
DE CAUSE À
EFFETS. Chaque
mardi
© Radio France/Ch. Abramowitz
Le magazine de
l’environnement
Disponible sur
franceculture.fr
et l’application
Radio France
En partenariat
avec
Laureano
Ortega
Murillo, fils
du président
du Nicaragua,
et Ma Zhaoxu,
vice­ministre
chinois
des affaires
étrangères,
à Tianjin, le
10 décembre.
YUE YUEWEI/XINHUA
VIA AP
Nicaragua. Le 7 novembre, la réé­
lection de Daniel Ortega, avec 75 %
des voix, à un quatrième mandat
consécutif, a provoqué une vo­
lée de critiques internationales.
Washington et Bruxelles ont an­
noncé une future vague de sanc­
tions contre le régime du couple
présidentiel. L’ex­guérillero sandi­
niste et son épouse, Rosario
Murillo, sa vice­présidente, ont
remporté un scrutin sans concur­
rent, après l’arrestation de sept
candidats de l’opposition.
« Isolé sur le plan international,
Ortega cherche le soutien politique
et économique de Pékin mais aussi
de Moscou, explique le politolo­
gue Oscar René Vargas. En s’alliant
à deux grandes puissances contre
Washington, il espère bénéficier
B U RK I N A FA SO
Un nouveau premier
ministre désigné
L’ancien secrétaire exécutif
de l’organisme onusien de
surveillance de l’interdiction
des essais nucléaires (Otice),
Lassina Zerbo, a été nommé
par décret présidentiel, ven­
dredi 10 décembre au soir,
premier ministre du Burkina
Faso. Sa désignation inter­
vient quarante­huit heures
après la démission du gou­
vernement de ce pays en
proie à des attaques djihadis­
tes récurrentes. – (AFP.)
21H-22H
Aurélie
Luneau
L’esprit
d’ouver-
ture.
d’une protection, notamment au
sein des Nations unies. » Le tout
alors que Managua a annoncé sa
sortie, d’ici à novembre 2023, de
l’Organisation des Etats améri­
cains, qui menace d’exclure le Ni­
caragua de ses rangs au nom de sa
charte démocratique.
Seconde rupture
De son côté, la Chine marque un
point dans son bras de fer avec les
Etats­Unis au sujet de Taïwan. La
tenue, jeudi et vendredi, du som­
met des démocraties par les Etats­
Unis, qui y ont convié Taïwan, a
mis Pékin dans une colère noire.
Les Etats­Unis ont critiqué le revi­
rement de Managua. Cette rup­
ture « prive le peuple du Nicaragua
d’un partenaire loyal pour sa crois­
Le Cambodge sanctionné par les Etats­Unis
pour sa proximité avec la Chine
Washington reproche à Phnom Penh d’avoir ouvert sa base navale de Ream à Pékin
phnom penh ­ envoyé spécial
L es Etats­Unis ont décidé
d’accroître leur pression
sur le Cambodge en impo­
sant, jeudi 9 décembre, un em­
bargo sur les ventes d’armes au
motif que les développements
récents dans ce pays étaient « con­
traires aux intérêts de sécurité na­
tionale et de politique étrangère
des Etats­Unis ». Sa relation avec la
Chine est explicitement visée,
ainsi que la multiplication des
poursuites judiciaires, ces deux
dernières années, à l’encontre de
représentants de la société civile
et de membres de l’opposition.
« Nous exhortons le gouverne­
ment cambodgien à faire des pro­
grès significatifs dans la lutte
contre la corruption et les viola­
tions des droits de l’homme, et à
œuvrer pour réduire l’influence de
l’armée de la [République popu­
laire de Chine] au Cambodge, qui
menace la sécurité régionale et
mondiale », a déclaré la secrétaire
d’Etat au commerce, Gina Rai­
mondo, dans un communiqué.
Les investissements chinois mas­
sifs dans les provinces côtières
cambodgiennes, en bordure du
golfe de Thaïlande, sous la forme
de projets touristiques ou d’in­
frastructures et de concessions de
cinquante ou quatre­vingt­dix­
neuf ans, sont une source de
sance démocratique et économi­
que », a déploré le département
d’Etat américain. Ces cinq derniè­
res années, Pékin a débauché trois
des alliés de Taipei dans la région :
le Salvador, Panama et la Républi­
que dominicaine. Le Honduras, le
Guatemala et le Belize sont les der­
niers soutiens de l’île en Amérique
centrale. Mais la présidente hon­
durienne récemment élue, Xio­
mara Castro (gauche), qui prendra
ses fonctions le 27 janvier 2022,
s’est elle aussi engagée, pendant sa
campagne, à rompre les relations
avec l’île et à nouer des liens avec
Pékin. Pour autant, Taipei a ren­
forcé ses liens non officiels avec de
nombreuses démocraties.
Au Nicaragua, l’étau se resserre
autour de M. Ortega, alors que le
préoccupation pour Washington,
qui soupçonne Pékin de vouloir
se munir de points d’appui straté­
gique virtuels pour des forces
armées en cas de conflit.
Les reproches des Américains
portent aussi sur le manque de
transparence des Cambodgiens
quand aux travaux menés par des
sociétés chinoises à l’intérieur de
la base navale cambodgienne de
Ream, où deux structures offer­
tes par les Américains au début
des années 2010 ont été démon­
tées en 2020 sans que ceux­ci en
soient informés.
Répression de l’opposition
Le sujet avait conduit la secrétaire
d’Etat adjointe, Wendy Sherman,
à demander des clarifications aux
autorités cambodgiennes, en
juin, et à solliciter une visite sur le
terrain par l’attaché militaire
américain à Phnom Penh. Invité
sur la base, ce dernier avait mis
fin à la visite quand il avait cons­
taté que ses hôtes ne lui mon­
traient pas tout. « Le Cambodge
est mis sous pression, il se sent cri­
tiqué de manière injuste pour
quelque chose de normal, qui
concerne notre souveraineté, ex­
pliquait au Monde, au sujet de cet
incident, le 8 octobre, Kin Phea,
directeur général de l’Institut des
relations internationales de l’Aca­
démie royale du Cambodge.
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
président américain, Joe Biden, a
dénoncé, le 7 novembre, une élec­
tion « ni libre ni équitable et certai­
nement pas démocratique ». Dans
la foulée, M. Biden a signé l’entrée
en vigueur d’une loi remettant en
cause la participation du Nicara­
gua à l’accord de libre­échange
entre les Etats­Unis, la Républi­
que dominicaine et l’Amérique
centrale (Cafta), alors que plus de
la moitié des exportations nicara­
guayennes sont destinées au
marché américain. La loi prévoit
de nouvelles sanctions contre les
hauts fonctionnaires du régime.
C’est la seconde fois que le ré­
gime Ortega­Murillo rompt ses re­
lations avec Taïwan. Lors de son
premier mandat, en 1985, M. Or­
tega était revenu sous le giron de
Croyez­vous que les Américains
nous montrent tout si l’on visite
une de leurs bases, ou la CIA
[l’Agence centrale de renseigne­
ment], ou le Pentagone ? »
En novembre, le département
du Trésor avait annoncé des
sanctions contre deux hauts
responsables militaires cambod­
giens pour avoir gonflé en 2020
et en 2021 les coûts d’un projet
de construction dans la base na­
vale de Ream et utilisé les fonds à
leur propre avantage.
La persistance de la répression à
l’encontre de la société civile est
un autre sujet d’irritation pour les
Etats­Unis, depuis la dissolution
du premier parti d’opposition, le
Parti du sauvetage national du
Cambodge (PSNC), en 2017, juste
avant les législatives de 2018, et
l’inculpation de plus d’une cen­
taine de cadres du parti et de mili­
tants de la société civile en 2019 et
2020 pour des délits de sédition
et de trahison. « [Le premier mi­
nistre cambodgien] Hun Sen uti­
lise tout simplement la loi comme
un instrument politique de pou­
voir », souligne l’intellectuel Lao
Mong Hay. Hun Sen est au pou­
voir depuis trente­six ans.
Quarante­trois accusés, dont la
militante cambodgienne Theary
Seng, 50 ans, qui a la double natio­
nalité cambodgienne et améri­
caine, ont été convoqués pour
0123
Ces cinq
dernières
années, la Chine
a débauché
trois des alliés
de Taipei
dans la région
Pékin, avant que sa défaite à la pré­
sidentielle de 1990 porte au pou­
voir son opposante, Violeta Bar­
rios de Chamorro (1990­1997), qui
avait renoué avec Taipei. Depuis,
Taiwan était devenu le premier do­
nateur bilatéral du Nicaragua, avec
27,9 millions de dollars (24,65 mil­
lions de dolllars) en 2020, selon la
Banque centrale nicaraguayenne.
Sans compter une balance com­
merciale bénéficiaire pour Mana­
gua, avec 66,3 millions de dollars
d’exportations nicaraguayennes
vers Taïwan. Taipei finançait jus­
qu’à présent 27 projets dans les
secteurs agroalimentaire et touris­
tique d’une valeur de 50 millions
de dollars, selon le gouvernement
nicaraguayen.
« Le soutien économique de la
Chine et de la Russie ne compensera
pas les pertes des aides internatio­
nales ou d’une possible sortie du Ni­
caragua du Cafta », assure M. Var­
gas. Pour l’heure, aucun gros con­
trat n’a été passé avec la Chine
alors que la crise politique, depuis
plus de trois ans, a affecté l’écono­
mie d’un pays où 26 % des Nicara­
guayens ne mangent pas à leur
faim, d’après la Banque mondiale.
Le pari de Managua est donc très
risqué, à l’image de la concession
accordée, en 2013, par le régime au
ténébreux homme d’affaires chi­
nois Wang Jing, pour construire
un gigantesque canal interocéani­
que (50 milliards de dollars annon­
cés à l’époque), resté depuis dans
les limbes, sans explication. 
simon leplâtre et
frédéric saliba
une audience à la cour de justice
de Phnom Penh, le 7 décembre, en
vue de leur procès. Mme Seng, une
survivante des Khmers rouges,
qui, comme ses coaccusés, a été
laissée en liberté, est arrivée dans
une tenue de danse tradition­
nelle, les cheveux rasés, expli­
quant être prête à « jouer un rôle »
dans la « farce » qui allait se jouer.
« Le régime a cru que je quitterais
le Cambodge quand il m’a atta­
quée avec ces accusations sans
aucun fondement, mais je ne par­
tirai pas, j’ai consacré presque
toute ma vie d’adulte à sensibiliser
les gens au Cambodge sur les ques­
tions des droits de l’homme, cela
reviendrait pour moi à renier tout
ce que j’ai fait », nous expliquait­
elle, jeudi 9 décembre, à son
domicile, dans un village de la pé­
riphérie de Phnom Penh. La date
de son procès a été fixée au 28 dé­
cembre, une date choisie, selon
elle, pour réduire l’impact média­
tique aux Etats­Unis.
Le porte­parole du gouverne­
ment cambodgien, Phay Siphan,
a critiqué, jeudi, la logique des
sanctions : « Les Etats­Unis expor­
tent et vendent des armes et des
équipements militaires modernes
au Vietnam, un pays commu­
niste. Comment est­ce possible ?
Le Vietnam est­il un pays démo­
cratique ? » 
brice pedroletti
 FRANCE
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Covid : la campagne présidentielle bousculée
Les équipes des candidats s’interrogent sur le maintien de grands événements et sur le recours au passe sanitaire
A
près les élections
municipales, au prin­
temps 2020, et celles
des régionales et
départementales, en juin, le
Covid­19 bouleverse d’ores et déjà
la campagne de l’élection prési­
dentielle. La cinquième vague
contraint les équipes des candi­
dats à s’adapter dans l’organisa­
tion des événements et meetings,
qui peuvent rassembler plusieurs
milliers de personnes, souvent
dans des lieux clos.
Pourtant au parti Les Répu­
blicains (LR), ils avaient vu les
choses en grand, on imaginait
un grand meeting porte de
Versailles, samedi 11 décembre,
pour introniser le vainqueur du
congrès, le candidat du parti à la
présidentielle de 2022. Mais en
raison des « conditions sanitaires
évidentes », pour son premier
grand raout, Valérie Pécresse,
désignée par les militants, le 4 dé­
cembre, pour porter les couleurs
de LR dans la course à la magis­
trature suprême, s’exprimera fi­
nalement devant les cadres du
parti réunis à la Mutualité, à
Paris. Moins d’un millier de per­
sonnes. Fini, les grands rendez­
vous de 5 000 personnes ou plus.
Chez LR, on souhaite jouer la
carte de la responsabilité. Car,
comme dans d’autres partis poli­
tiques, la droite a conscience que,
pendant cette campagne, il
faudra composer avec un invité
encombrant : le virus.
Responsabilité individuelle
Du côté d’Europe Ecologie­Les
Verts, on tient compte de cette
nouvelle donne sanitaire dans
l’organisation de la campagne
de Yannick Jadot. Au lieu d’un
grand rassemblement, le can­
didat écologiste tiendra samedi
une réunion publique dans
un gymnase de Laon (Aisne) avec
« une demi­jauge d’environ
400 personnes », explique Sabrina
Sebaihi, porte­parole de M. Jadot,
chargée des questions sanitaires.
« Quand on avait imaginé l’événe­
ment, fin octobre, nous étions aux
prémices de la cinquième vague,
explique­t­elle. Partant de ce
principe­là, nous avons choisi
d’instaurer une demi­jauge afin
d’être extrêmement vigilants. »
Si le « temps convivial prévu à
l’extérieur » peut encore être
annulé, l’équipe du candidat
écologiste mise quoi qu’il arrive
sur l’application stricte des ges­
tes barrières : masque, distance
sociale et mise à disposition de
gel hydroalcoolique. En revanche,
elle fait savoir qu’elle n’exigera
pas le passe sanitaire, puisque les
partis politiques ne peuvent pas
le réclamer.
En effet, dans un avis rendu le
9 novembre, après avoir été saisi
sur le projet de loi de vigilance
sanitaire, le Conseil constitution­
nel a fait savoir que « la présenta­
tion du passe sanitaire ne peut être
exigée pour l’accès aux bureaux de
vote ou à des réunions et activités
politiques ». La loi du 31 mai 2021
relative à la gestion de sortie de
crise sanitaire prévoit également
que « nul ne peut exiger d’une
personne la présentation » du
passe sanitaire en dehors des
établissements dans lequel il est
obligatoire – la peine encourue
est d’un an d’emprisonnement et
45 000 euros d’amende.
Des mesures censées préserver
la vie démocratique mais qui
sont « une aberration » pour la
professeure Constance Delau­
gerre, du service de virologie
de l’hôpital Saint­Louis. Cette
dernière a coordonné en mai un
concert test, dans la salle pari­
sienne de l’Accor Arena, pour
lequel les 4 500 participants
devaient présenter un test négatif
préalable, se laver les mains avec
du gel hydroalcoolique, porter
correctement un masque, tandis
|7
que la ventilation de la salle était la campagne, par Eric Zemmour à un nouvel enjeu démocratique, durant lesquels elle arrive à tirer
optimisée. Cette étude a montré Villepinte (Seine­Saint­Denis), qui après plusieurs élections mar­
Pour le porte- son épingle du jeu.
« un taux d’infection similaire a réuni plus de 11 000 personnes. quées par une forte abstention. parole de Pour l’insoumis Eric Coquerel,
chez les personnes participant à L’équipe du candidat d’extrême Mme Sebaihi reconnaît que cette « l’épidémie, qui est en train de
un concert [et] des personnes n’y droite estime pour sa part avoir question sanitaire pose pour
Zemmour, il ne s’installer dans le temps », doit
participant pas », démontrant respecté les règles. « A l’entrée, il y cette campagne présidentielle faudrait pas « que pousser l’exécutif à « réfléchir à
l’efficacité des gestes barrières et avait des bénévoles qui distri­ « une vraie question démocratique des mesures qui n’empêchent pas
du passe sanitaire. buaient du gel hydroalcoolique, il et un défi », celui de « réussir à
le sujet sanitaire l’accès à des activités démocrati­
Qu’un tel dispositif ne soit pas y avait un masque posé sur chaque toucher et impliquer les citoyennes soit utilisé ques, surtout à l’approche d’une
demandé pour des meetings poli­ chaise et nous avons installé de et citoyens ». élection ». Un enjeu essentiel,
tiques, où les personnes ont aussi grands panneaux rappelant que
à dessein « surtout pour des mouvements
l’occasion de crier et de chanter, son port est obligatoire », explique Campagne à distance politique » politiques comme La France
« n’est pas admissible », pour la Antoine Diers, le porte­parole de Pour les équipes de campagne insoumise, qui misent beaucoup
professeure Delaugerre. « On est M. Zemmour. Pour lui, il ne aussi, la pandémie complique les sur la participation citoyenne et
en pleine épidémie. Si ces meetings faudrait pas « que le sujet sanitaire choses. « Sur le terrain, le Covid va bin Reda, commencent aussi à an­ militante ». Bien que des inno­
ne suivent pas les mêmes recom­ soit utilisé à dessein politique », tous nous compliquer la tâche », nuler des événements avec des vations technologiques, comme
mandations que pour les concerts, attaquant notamment l’annula­ reconnaît Robin Reda, député de militants et du public. A droite, on les meetings numériques, aient
ils vont participer amplement à la tion par LR de son meeting : « Ils l’Essonne et proche de Valérie Pé­ fait d’ailleurs remarquer qu’une fait leur apparition lors des der­
circulation du virus, alors que le l’ont annulé car ils auraient fait un cresse. Le préfet d’Ile­de­France, potentielle campagne à distance nières élections locales, M. Co­
premier ministre nous demande meeting trois, quatre, cinq fois Marc Guillaume, aurait d’ailleurs pourrait finalement servir les querel pense que « tout cela ne
en même temps de faire un effort », plus petit que le nôtre. Les images déjà commencé à expliquer aux intérêts de LR. Valérie Pécresse, de pourra jamais remplacer la mobi­
regrette­t­elle. auraient été cruelles pour eux. » uns et aux autres qu’il fallait faire l’avis de beaucoup, n’est pas lisation physique ». 
A l’issue du conseil des minis­ Mais alors que ces réunions attention, notamment aux réu­ encore particulièrement à l’aise simon auffret,
tres mercredi, le porte­parole du représentent un passage obligé nions qui doivent être organisées lors des grandes réunions. Elle sarah belouezzane,
gouvernement, Gabriel Attal, a dans les campagnes électorales, la pour les vœux de la nouvelle an­ l’est, en revanche, beaucoup plus jérémie lamothe
émis une nuance : « Le passe sani­ résurgence de l’épidémie va poser née. Nombre d’élus, rapporte Ro­ à la télévision ou lors des débats et marie pouzadoux
taire ne peut pas être exigé, mais il
peut être utilisé » lors des mee­
tings. Fin novembre, les partis de
la majorité avaient par exemple
demandé la présentation d’un
passe sanitaire pour que leurs
militants et élus puissent assister
au meeting de lancement d’En­
semble citoyens !, à la maison de
la Mutualité à Paris, qui avait ras­
semblé plus de 1 500 personnes.
L’équipe de la candidate socialiste
Anne Hidalgo a aussi annoncé
que le passe sanitaire serait de­
mandé, sans être exigé, pour accé­
der à son meeting prévu diman­
che à Perpignan, comptant sur la
responsabilité individuelle de ses
militants. L’événement sera plus
restreint que prévu initialement,
avec seulement 800 à 1 000 per­
sonnes attendues dans la grande
salle du Parc des expositions.
En revanche, la candidate du
Rassemblement national, Marine
Le Pen, a fait savoir mercredi qu’il
n’était « pas question » de deman­
der ce document lors de son
prochain meeting. « Le passe
permet à une personne vaccinée et
porteuse du virus du Covid d’entrer
dans une réunion, dans un espace
clos, alors que quelqu’un qui n’est
pas vacciné et n’est pas porteur ne
peut pas, ce n’est pas cohérent »,
a­t­elle ajouté. Un argument
partagé par La France insoumise,
explique le député de Seine­Saint­
Denis Eric Coquerel, qui privilé­
gie « l’extrême vigilance sur les
gestes barrières », comme lors
du meeting tenu dimanche à
Paris par Jean­Luc Mélenchon,
ayant rassemblé 3 000 personnes
à la Défense.
« Vraie question démocratique »
Si l’obligation d’instaurer un
passe sanitaire pour ces rassem­
blements n’est pas à l’ordre du
jour, Gabriel Attal a appelé
mercredi les prétendants à l’Ely­
sée à la « responsabilité » en
matière de respect des gestes
barrières lors des réunions politi­
ques. « Je constate que dans certai­
nes réunions politiques qui se sont
tenues ce week­end, on n’a pas vu
beaucoup de port du masque,
voire pas du tout », a­t­il déclaré à
la presse, en sortie du conseil des
ministres. Dans son viseur
notamment : le plus important
meeting organisé jusqu’ici dans
Le Conseil
constitutionnel a
fait savoir que « la
présentation du
passe sanitaire ne
peut être exigée
pour l’accès
à des réunions
et activités
politiques »
 0123
8 | france DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021

Une cinquième vague épidémique très singulière

La dynamique actuelle combine un taux d’incidence élevé et un nombre limité de patients en soins critiques

L’
épidémie de Covid­19
flambe à nouveau en Plus de 40 000 nouveaux cas par jour, une hausse de la mortalité déjà perceptible Les hospitalisations repartent à la hausse
France, comme dans Nombre de cas de Covid-19 rapportés à la date des tests Nombre de personnes hospitalisées
une grande partie de cas moyenne glissante sur 7 jours moyenne hebdomadaire
l’Europe. Lors d’une conférence ... dont celles en soins critiques
de presse conjointe, lundi 6 dé­
cembre, le premier ministre et le
60 000 40 000
ministre de la santé ont alerté
sur cette situation périlleuse et
33 466 hospitalisations
sur une possible congestion des
45 043 cas 16 novembre 2020 13 363 hospitalisations
hôpitaux, déjà éprouvés par près
6 décembre dont 2 461 en soins
de deux ans de crise sanitaire. 40 000 critiques
Toutefois, ont martelé Jean
Castex et Olivier Véran, la vacci­
nation d’une grande partie de la Cas de Covid-19
population (plus de 88 % des 20 000
Français de plus de 12 ans ont
reçu au moins deux doses de vac­
cin) change nettement la donne
par rapport aux précédentes va­
gues qui ont frappé le pays. 0 0
« Cette situation nous appelle à
la lucidité et à la vigilance, sans Mars Janvier Déc. Mars Janvier Déc.
Mai Juil. Sept. Nov. Mars Mai Juil. Sept. Nov.
céder pour autant à je ne sais quel 2020 2021 2021 2020 2021 2021
affolement, car, si le nombre de
cas est à nouveau très élevé, la
Une vague comparable à la deuxième en nombre de cas,
situation n’est pas la même qu’il y 0
a un an. (…) Sans la vaccination, nettement en deçà du point de vue des hospitalisations
nos hôpitaux seraient déjà à des 200 La comparaison dans le temps de ces deux vagues a été calibrée
niveaux de saturation équiva­ de manière à ce que la distance entre les deux courbes (en nombre de cas)
lents à ce que nous avions lors de soit la plus faible. L’origine temporelle arbitraire de la vague actuelle (J0)
la première vague », a résumé le
120 morts a été fixée au 23 octobre 2021, correspondant au 14 septembre 2020
6 décembre pour la deuxième vague.
chef du gouvernement.
Qu’en est­il réellement ? Peut­on 600
vraiment comparer cette vague à le 5 décembre 2021
Morts dues au Covid-19 40 000 42 923 cas contre 45 146
celles qui ont déferlé sur la France
au même stade de la 2e vague
en mars et en octobre 2020, puis
2e vague
en mars et en août 2021 ? Cette 1 000 20 000
comparaison a­t­elle d’ailleurs un
sens tant les paramètres (saisons, 5e vague
respect des gestes barrières, va­
riants, restrictions en vigueur, J-10 J0 J+10 J+20 J+30 J+40 J+50
etc.) évoluent au gré du temps ? 1 400

Nombre de morts dues au Covid-19 dans les hôpitaux et en Ehpad 20 000

Un nombre de cas quotidien le 5 décembre 2021
morts moyenne glissante sur 7 jours
à un très haut niveau Avec 10 775 hospitalisations
45 043 nouvelles contaminations 30 000 contre 15 852 pendant la 2e vague
au 6 décembre – en moyenne par
Infographie : Les Décodeurs Source : Santé publique France
jour sur les sept jours précédents
–, cette cinquième vague a d’ores
et déjà dépassé les pics des deux
précédentes vagues épidémiques Pour Daniel Lévy­Bruhl, respon­ Pasteur, elles pourraient être nées que de personnes non vacci­ ser à l’hôpital, en somme », expli­
(autour de 24 000 cas à la mi­août sable de l’unité infections respira­
« La vaccination 3 000 dans deux semaines. nées admises en soins critiques, il que Mircea Sofonea, qui ajoute :
et de 35 000 au début d’avril) ; elle toires et vaccination de Santé pu­ a permis de Pour Daniel Lévy­Bruhl, « en y aurait environ 500 admissions « La durée de la période pendant
se rapproche du pic de novem­ blique France, « le variant Delta a matière d’incidence, c’est une va­ quotidiennes, contre 100 enregis­ laquelle le taux de reproduction est
bre 2020, où l’on comptait changé la donne de manière géné­
contrôler les gue importante. En matière trées en moyenne sur la période supérieur à 1 est un bon prédicteur
47 000 cas quotidiens au début rale, mais plus spécifiquement en effets du variant d’hospitalisation, c’est, à ce stade, considérée, du 15 au 21 novembre. de la tension hospitalière à venir.
du deuxième confinement. ce qui concerne la part des enfants. une vague beaucoup moins im­ Comment les admissions en Quand il s’agit d’un jour ou deux,
Ce niveau élevé de circulation La vaccination a, en effet, permis
Delta chez les portante que celle à laquelle on soins critiques évolueront­elles ? l’impact sur l’hôpital n’est pas
du virus se traduit par un taux de contrôler les effets de ce variant adultes, mais pas aurait pu s’attendre en se basant « Le vaccin protège à 85 % contre le conséquent. Si, en revanche, ce
d’incidence de 445 cas pour chez les adultes, mais pas chez les sur les données d’incidence ». risque d’hospitalisation, ce qui nombre est consolidé sur une se­
100 000 habitants au niveau na­ enfants, trop jeunes pour être vac­
chez les enfants » Il précise : « Il y a une dissocia­ laisse toujours un faible risque maine, on peut commencer à pré­
tional au 4 décembre (contre cinés. On ne peut donc plus parler DANIEL LÉVY-BRUHL tion entre la dynamique épidémi­ d’aller à l’hôpital en cas d’infec­ venir les hôpitaux que les admissi­
502 cas pour 100 000 habitants au de la faible contribution des en­ responsable chez Santé que liée aux nouvelles infections tion. Appliqué au pays entier et ons vont fortement augmenter. »
début de novembre 2020). fants à la circulation virale ». publique France et la dynamique épidémique liée avec les non­vaccinés, cela repré­ C’est précisément ce qui se joue
Comparer les vagues est un En effet, l’incidence est deux aux nouvelles hospitalisations, et sente encore beaucoup de monde. en ce moment, selon l’épidémio­
exercice difficile, notamment fois plus forte chez les enfants de c’est bien entendu la vaccination Il y a donc un risque de saturation logiste. Si la troisième dose est es­
parce qu’elles n’ont pas été cau­ 6 à 10 ans (978 cas pour 100 000 qui en est à l’origine. Quand on re­ des services hospitaliers en pé­ sentielle pour faire baisser le Re
sées par les mêmes variants, au 4 décembre – en moyenne par réduit. Alors que plus de garde les courbes, on voit qu’on est riode de vague épidémique. D’où et aura des effets à moyen terme,
n’ont pas lieu aux mêmes sai­ jour sur les sept jours précédents) 7 000 personnes étaient en réani­ au­delà du pic de ce qu’on a appelé la recommandation de la troi­ tout comme de nouvelles mesu­
sons, etc. L’épidémiologiste que dans l’ensemble de la popula­ mation, le nombre de cas détectés la quatrième vague, au­delà du sième dose et – surtout – de conti­ res « non pharmaceutiques », sa
Mircea Sofonea, chercheur au tion (444 contaminations pour était particulièrement bas, les pic de ce qu’on a appelé la troi­ nuer à mobiliser les personnes non généralisation arrive probable­
sein du laboratoire maladies in­ 100 000 habitants), bien que le tests étant essentiellement prati­ sième vague et très proches du pic vaccinées. Car les non­vaccinés se­ ment trop tard pour éviter une
fectieuses et vecteurs de l’uni­ taux de dépistage de cette classe qués sur les cas graves. de la deuxième vague (à ront infectés ! La question n’est pas saturation des services hospita­
versité de Montpellier, avance d’âge soit trois fois plus élevé que Aujourd’hui, plus de l’automne 2020), avec des capaci­ “si”, mais “quand et sous quelle liers au moment des fêtes, dans à
comme causes de cette cin­ pour l’ensemble de la population 700 000 tests sont pratiqués tés de tests déjà importantes à forme” », résume Judith Mueller, peine deux semaines.
quième vague « le relâchement (18 810, contre 6 936, pour quotidiennement. Comme on l’époque. En revanche, l’image médecin épidémiologiste, pro­ En se basant sur les projections
des gestes barrières, la saison hi­ 100 000 habitants). dépiste à grande échelle, y com­ n’est pas du tout la même quand fesseure à l’Ecole des hautes étu­ de l’Institut Pasteur, le pic d’hos­
vernale et les journées plus cour­ pris chez des personnes peu on regarde la courbe des hospitali­ des en santé publique. pitalisation devrait être atteint
tes qui poussent les gens à rester Un dépistage important Le nom­ symptomatiques ou asympto­ sations : on se retrouve à peu près en janvier 2022. « Ce pic peut va­
à l’intérieur ou encore l’effica­ bre de cas détectés dépend direc­ matiques, il est donc logique que au même niveau que la quatrième Le R effectif très haut n’incite rier et dépend bien sûr de nom­
cité vaccinale en baisse au cours tement de la politique de tests en le nombre de cas soit très élevé, vague, qui était une petite vague pas à l’optimisme Pour anticiper breux éléments (si les gens vien­
du temps ». Surtout, le variant vigueur. « Plus on va tester, plus on tout comme le taux d’incidence. cet été, et très au­dessous de ce la dynamique de l’épidémie, un nent faire leur troisième dose dès
Delta, nettement plus conta­ va générer du positif et mesurer Le taux de positivité (nombre de qu’on a observé lors des deuxième outil utilisé par les épidémiologis­ cinq mois ou attendent sept mois,
gieux que les souches qui l’ont des asymptomatiques », résume cas rapporté au nombre de tests) et troisième vagues. » tes est le R effectif (abrégé « Re », comment le télétravail est vrai­
précédé, est désormais respon­ M. Lévy­Bruhl. Au début de la subit, logiquement, une inflexion Si l’on superpose les courbes taux de reproduction effectif du ment suivi, l’effet vacances…).
sable de la quasi­totalité des in­ pandémie, par exemple, au prin­ à la baisse : il n’atteint pas les ni­ d’incidence et d’hospitalisation virus). On estime qu’un individu Mais la vraie question, selon moi,
fections en France. temps 2020, le dépistage était très veaux des vagues précédentes. Il y de l’actuelle vague à celles de la porteur du virus contaminait à est : comment vont les hôpitaux ?
a aujourd’hui 6,4 % de tests posi­ Èvague qui a frappé le pays à son tour, en moyenne, à la fin de C’est une quatrième vague d’am­
tifs, contre près de 16 % en novem­ l’automne 2020, on constate qu’à novembre, 1,35 personne. « Cet in­ pleur qui s’annonce pour eux –
La HAS repousse l’antiviral de Merck bre 2020 et plus de 9 % en avril. Il
était de 4 % cet été, au moment où
incidence égale le nombre d’hos­
pitalisations est moindre.
dicateur a une validité de deux se­
maines, il permet de “prévoir” avec
celle de l’été ayant été assez mi­
neure –, alors que leurs effectifs
La Haute Autorité de santé a annoncé, vendredi 10 décembre, qu’elle le passe sanitaire est entré en vi­ dix jours d’avance ce qui va se pas­ sont réduits, et la fatigue très
n’autorisait pas la distribution en France du Molnupiravir, le traite- gueur et où le nombre de tests Ce qu’a changé la vaccination grande », redoute Mme Mueller.
ment antiviral de Merck contre le Covid-19, contrairement à la avait atteint son maximum. « Si on n’avait pas la vaccination Pour faire face à cette pression
recommandation rendue le 19 novembre par l’Agence européenne aujourd’hui, avec le niveau d’inci­ grandissante, les plans blancs ont
des médicaments. L’avis prend aussi à contre-pied le gouvernement, Des hospitalisations conte­ dence auquel nous sommes, nous La généralisation été déclenchés dans les hôpitaux
qui avait déjà commandé 50 000 doses de Molnupiravir. La HAS nues… pour le moment A l’heure ne ferions pas face », note Daniel de nombreuses régions de France,
considère notamment que le manque d’efficacité du traitement actuelle, le nombre d’hospitalisa­ Lévy­Bruhl. En effet, parmi les
de la troisième alors que le variant Omicron se ré­
(30 % de réduction des risques de progression vers la forme grave du tions, notamment en soins criti­ personnes hospitalisées, celles dose arrive pand avec son lot d’incertitudes,
Covid-19) « risquerait d’induire une perte de chance pour les patients, ques, reste à un niveau contenu qui ne sont pas vaccinées sont tant sur son possible échappe­
qui ne se verraient pas traités par un autre traitement plus efficace ». par rapport aux vagues précéden­ 11 fois plus nombreuses en soins
probablement ment aux vaccins que sur la viru­
Elle cite nommément le Ronapreve, un anticorps monoclonal qui tes. On note pourtant une pro­ critiques que celles qui ont reçu trop tard lence qui demeure incertaine.
affiche 80 % d’efficacité, et dont elle réclame au passage un « accès gression constante du nombre de au moins deux doses, selon les « Les cas observés pour le moment
facilité » pour les patients à risque de forme grave. Dans ce même patients en soins critiques. Un données compilées par la direc­
pour éviter ne s’avèrent pas plus sévères »,
avis, la HAS donne son feu vert à l’utilisation en prophylaxie pour peu plus de 2 400 personnes sont tion de la recherche, des études, une saturation observe Mme Mueller. 
des patients à très haut risque de forme sévère d’un autre anticorps aujourd’hui soignées dans des de l’évaluation et des statistiques. raphaëlle aubert, iris derœux,
monoclonal, Evusheld, du laboratoire AstraZeneca. La Direction gé- unités de soins critiques : selon Autrement dit, s’il y avait la même
des services romain imbach, jonathan
nérale de la santé a annoncé qu’elle « prenait acte » de ces décisions. les modélisations de l’Institut proportion de personnes vacci­ hospitaliers parienté et manon romain
COMMUNIQUÉ Dimanche 12 - Lundi 13 décembre 2021 ❶
P. 1 • TRIBUNE du Président de la Société française d'Hématologie • COLLABORER Cancers hématologiques : des partenariats pour dynamiser la recherche • P. 2 • ACCOMPAGNER Le patient au cœur de l’innovation en
hématologie • INFORMER Faire résonner la cause de la drépanocytose • TRIBUNE Va-t-on enfin prendre la drépanocytose au sérieux ? • P. 3 • TRANSFORMER La science pour la vie • ESPOIR Anticorps bispécifiques en
onco-hématologie • INNOVER Changer la trajectoire des cancers du sang.

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Spécial Hématologie

L’INNOVATION MÈNE LES

TRIBUNE
PATIENTS VERS LA GUÉRISON
Nouveaux traitements, partenariats, plateformes de recherche, essais cliniques, études en vie
Thierry Facon réelle, programmes à destination des malades…Autant d’éléments qui portent aujourd’hui une
Président de la Société
française d'Hématologie seule et même valeur au bénéfice des patients atteints de cancers hématologiques : l’espoir !
LE MYÉLOME En 2018,le nombre de nouveaux cas
d’hémopathies malignes en France
Dans cette course, laboratoires et
associations pensent « patient »
MULTIPLE, métropolitaine était estimé à 45 000, et avancent ensemble pour créer,
ILLUSTRATION soit près de 12 % de l’ensemble des mettre en place et faire vivre pro-
DES PROGRÈS DE nouveaux cas de cancer(1). Il reste grammes, outils et services permet-
L’IMMUNOTHÉRAPIE donc du chemin à parcourir, mais la
recherche avance vite !
tant d’informer et d’accompagner
les malades et leur entourage.Certes,
Depuis ces quinze dernières années, Les laboratoires pharmaceutiques il reste à optimiser l’accès précoce

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la recherche sur les hémopathies consolident leur alliance avec les et généralisé aux traitements inno-
malignes est prolifique et l’immu- chercheurs académiques pour mul- vants sur l’ensemble du territoire,
nothérapie a vraiment changé la tiplier les voies de recherche. Le dé- la maîtrise des effets secondaires des
prise en charge des cancers du sang veloppement des nouvelles classes nouvelles thérapeutiques, l’informa-
en particulier et du cancer en géné- de molécules récemment décou- tion des patients et du grand public
ral. Le myélome multiple est un bon vertes – cellules CAR-T, anticorps sur certaines maladies hémato-
modèle des progrès indiscutables bispécifiques, anticorps conjugués à logiques comme la drépanocytose…
de l’immunothérapie, mais aussi une toxine – s’accélère et ces molé- Illustration 3D de globules blancs attaquant une cellule cancéreuse. Mais aujourd’hui plus que jamais,
des nombreuses questions qui per- cules sont rapidement testées en giques suit la course des innova- plus en plus nombreuses, reflet de la recherche en onco-hématologie
sistent ; quantification du bénéfice association, pour décupler leur effi- tions, et des incursions sont faites la volonté des chercheurs d’appré- touche à son but ultime : guérir !
thérapeutique, dans les essais thé- cacité.Les innovations remontent les dans des pathologies hématolo- hender, au plus près de la réalité du Sandrine Guinot-Mosetti
rapeutiques et au-delà en vie réelle, lignes de traitements pour cibler la giques plus rares. La survie à cinq terrain, l’efficacité des traitements, 1) Registres des cancers du réseau
capacité à guérir certaines popula- maladie à des stades moins avancés. ans des patients atteints de certaines la prise en charge des pathologies, Francim. Estimations nationales
de l’incidence et de la mortalité
tions de patients,durée fixe ou conti- La compréhension des mécanismes hémopathies continue de s’améliorer. le vécu des malades et les détermi- par cancer en France métropolitaine
nue de certains traitements,possibi- régissant les cancers hématolo- Les études en vie réelle sont de nants de leur qualité de vie. entre 1990 et 2018. Juillet 2019.
lité de séquencer diverses immuno-

CANCERS HÉMATOLOGIQUES : DES

thérapies,mécanismes de résistance,
aspects médico-économiques… Collaborer
Le myélome multiple reste une ma-
ladie globalement incurable, mais
on dispose aujourd’hui des premiers
PARTENARIATS POUR DYNAMISER LA RECHERCHE
médicaments d’immunothérapie
pour traiter la maladie dès son dia- rapies ciblant les mutations tumo- çaises ont estimé le besoin médical plusieurs voies de recherche en pa-
gnostic, les anticorps monoclonaux rales, les mécanismes de réparation suffisamment urgent pour la rendre rallèle et de manière coordonnée,
anti-CD38. Leur adjonction à des de l’ADN, l’immuno-oncologie et, disponible rapidement en France.Par avec l’espoir de guérir complète-
standards de traitement connus a enfin, les anticorps conjugués, qui ailleurs, notre laboratoire intensifie ment certaines formes d’hémopa-
permis d’allonger significativement ont produit de nombreuses innova- sa recherche en hématologie: nous thie malignes.
la survie des patients, avec un bon tions récentes déjà disponibles pour allons présenter 25 abstracts portant
profil de tolérance. Les stratégies les malades, ainsi qu’un large pipe- sur une dizaine de formes de cancer En marge de la recherche,
© AstraZeneca / DR

de cellules CAR-T ne sont qu’au tout line en cours de développement. La du sang au congrès de l’American quelles sont vos actions
début de leur histoire. Déjà promet- lutte contre chaque type de tumeur Society of Hematology de décembre. envers les patients atteints
teuses chez les patients en rechute, se trouve aujourd’hui à un stade diffé- de cancers hématologiques ?
leur place dans la stratégie théra- rent, qui se mesure par un critère as- Quels sont les partenariats lancés Nous avons élargi notre programme
peutique se modifiera à coup sûr. La sez standardisé en médecine : le taux par AstraZeneca en hématologie ? « Vivre avec », qui informe et sou-
recherche préempte également le
Depuis un an, de survie à cinq ans.Certains cancers, Nous avons initié des collabora- tient les patients et leur entourage,
champ des anticorps bispécifiques. AstraZeneca fait le pari comme le cancer du pancréas,ont en- tions avec deux acteurs majeurs à la LLC. Un site Internet spécifique
Ils établissent un lien entre une de doper sa recherche core un taux de survie à cinq ans très de la recherche sur la leucémie et a été créé en mobilisant patients,
cellule immunitaire et la cellule bas, alors que dans certains cancers le lymphome, la French Leukemia aidants et professionnels de santé
cancéreuse, permettant sa destruc-
en onco-hématologie, hématologiques ce taux a fortement Innovative Organization (FILO) et au travers d’articles, de vidéos et
tion. Entre cinq et dix anticorps bi- pour le bénéfice des été amélioré par les thérapies ciblées, l’Institut Carnot CALYM. Avec le de brochures émaillés de conseils
spécifiques sont en développement patients, comme qui détruisent spécifiquement les FILO, nous soutenons la mise en et de témoignages personnels. A
rapide dans le myélome, considé- cellules tumorales présentant une place d’une cohorte de 1 000 patients, l’occasion de Septembre rouge, mois
rant différentes cibles tumorales,
l’explique anomalie moléculaire. Aujourd’hui, dont l’analyse va nous permettre de sensibilisation aux cancers du
et ils produisent des résultats très le Dr Dana Vigier, 85 % des patients atteints de leucé- d’appréhender la prise en charge de sang, nous avons poursuivi la cam-
encourageants sur des patients au Directrice France de mie lymphoïde chronique (LLC) sont la LLC en vie réelle dans notre sys- pagne de sensibilisation « Parce que
stade avancé.Sur un plan épidémio- en vie à cinq ans(1). tème de soins français.Notre objectif le cancer n’attend pas » avec l’asso-
logique, le myélome, qui touche des
la division Oncologie Les enjeux de la recherche dans ces est, à terme, de contribuer à optimi- ciation de patients Laurette Fugain,
patients âgés de 70 ans en moyenne, au sein du laboratoire. cancers hématologiques ne sont pas ser le parcours des patients. en diffusant sur les réseaux sociaux
est un très bon modèle onco- les mêmes que dans des cancers en- Un accord tripartite avec l’Institut des messages sur le don de vie, les
gériatrique,et il permettra d’étudier Quelle place tient l’hématologie core à très mauvais pronostic. Dans Carnot CALYM et Inserm Transfert symptômes, et l’importance de bien
l’adaptabilité de ces innovations à dans la recherche AstraZeneca ? la LLC, l’objectif est de traiter des pa- va nous permettre de travailler à dé- suivre son traitement. Parce que
des patients âgés et fragiles. Notre engagement dans les cancers tients âgés de 70 ans en moyenne avec livrer au plus vite des solutions thé- le cancer n’attend pas, cette mobi-
Ainsi, à travers la recherche sur le hématologiques, plus récent que des médicaments qu’ils vont bien rapeutiques innovantes aux patients lisation doit se poursuivre dans
myélome multiple, peut-on action- celui dans les tumeurs solides, suit tolérer en marge de leurs autres pa- atteints de lymphome. Cet accord un contexte sanitaire qui fragilise
ner diverses modalités d’immuno- le même objectif : guérir le cancer, thologies et traitements,de façon à ce constitue une plateforme facilitant encore plus les malades, notam-
thérapies, dont certaines font déjà ou plutôt guérir les cancers. En effet, qu’ils puissent les prendre aussi long- l’alliance entre AstraZeneca et dif- ment ceux souffrant d’hémopathies
partie du quotidien hospitalier et il y a de multiples formes de cancer, temps que possible : le défi est devenu férentes équipes de recherche pu- malignes, car ils répondent mal aux
d’autres sont encore dans le do- et la maladie elle-même est extrê- celui de la tolérance des médicaments blique, pour présenter de nouveaux vaccins. Il est d’autant plus impor-
maine de la recherche, pour espé- mement complexe. C’est pour cela au long cours. Dans sa recherche en candidats médicaments et mettre tant d’assurer leur protection et
rer, à l’horizon 2025, guérir certains qu’AstraZeneca a développé quatre, hématologie, AstraZeneca s’est ainsi au point des applications cliniques AstraZeneca recherche activement
patients atteints de cette maladie et bientôt six, plateformes mécanis- focalisé avec succès sur cet enjeu, en permettant de les tester rapidement. des solutions. S. G.-M.
et en tirer les enseignements pour tiques pour attaquer et bloquer le mettant au point une molécule dont En misant sur ces partenariats, 1) Cancer.net Leukemia.Chronic
d’autres hémopathies malignes. cancer à plusieurs niveaux : les thé- les autorités réglementaires fran- AstraZeneca fait le pari d’explorer Lymphocytic.CLL: Statistics.

Daté des 12 et 13 décembre 2021, Grand Angle est édité par CommÉdition • Directeur général Éric Lista • CommÉdition, agence de communication éditoriale • www.commedition.com • Rédaction Sandrine Guinot-Mosetti •
Secrétariat de rédaction Iris Mondrian • Création & maquette Aline Joly (andie.j) • LA RÉDACTION DU QUOTIDIEN LE MONDE N’A PAS PARTICIPÉ À LA RÉDACTION DE CE COMMUNIQUÉ. NE PEUT ÊTRE VENDU SÉPARÉMENT.
❷ Dimanche 12 - Lundi 13 décembre 2021
Communiqué spécial Hématologie

Accompagner LE PATIENT AU CŒUR DE L’INNOVATION

Quels sont l’engagement
et la vision de Janssen
en hématologie ?
Nous avons l’ambition d’un monde
dans lequel on pourrait prévenir,
contrôler et guérir les cancers du
sang. Notre stratégie consiste à
développer des solutions innovantes
pour une prise en charge de la mala-
die dès ses phases les plus précoces,
tout en préservant la qualité de vie
du patient. Janssen est un pionnier
dans le domaine de l’onco-hémato-
logie et s’implique dans des patho-
logies spécifiques telles que la leucé-
mie lymphoïde chronique (LLC) et le
myélome multiple (MM),en collabo-
ration avec la communauté scienti-
EN HÉMATOLOGIE
légère,une maladie qui s’attaque aux cliniquesinterventionnellesetobser- basée sur l’intelligence artificielle
organes et les détruit. vationnelles. Cette collaboration nommée VIK, que nous avons dé-
s’orchestre autour d’un partage des veloppée avec la start-up Wefight,
Comment se traduit en rôles et des responsabilités dans la déclinée pour la LLC et le MM, en
pratique l’implication que création, la mise en place et le suivi co-construction avec l’association
vous venez de décrire ? de ces études, ce qui permet ainsi à de patients l’AF3M, et qui permet
Notre motivation quotidienne un plus grand nombre de patients au patient de dialoguer de manière
s’exprime en deux mots : innova- d’accéder plus tôt à ces traitements fluide vingt-quatre heures sur
tion et collaboration. En matière innovants.Par ailleurs,la collecte de vingt-quatre et sept jours sur sept
d’innovation, nous travaillons sur données en vie réelle est une infor- avec un assistant virtuel capable
plusieurs voies thérapeutiques et mation de valeur pour comprendre de comprendre ses questions et d’y
mécanismes d’action pour aboutir le vécu des patients atteints de ces répondre.VIK Myélome Multiple est
à la découverte de nouveaux médi- pathologies et leur proposer des un succès, car 81 % des utilisateurs
caments pouvant stopper la mala- solutions pouvant améliorer leur de VIK y ont trouvé du réconfort et
die, prolonger la vie des patients et parcours avec la maladie. 92 % en sont satisfaits(1).
pourquoi pas, dans un futur proche, Notre portefeuille et le nombre de L’autre solution que nous propo-
les guérir. Nous explorons ainsi produits que nous avons en déve- sons se présente sous la forme d'un
divers types de molécules telles loppement illustrent la dynamique site Internet destiné aux patients,

fique, les professionnels de santé et
les associations de patients. Nous
travaillons depuis plus de dix ans
sur ces pathologies, dans la conti-
nuité avec, pour fil rouge, l’objectif
de trouver des solutions pérennes
améliorant le pronostic et la qualité
de vie des patients.
DERRIÈRE LE MOT RARE,
IL Y A DES PATIENTS.
Nous pensons également qu’un
laboratoire pharmaceutique doit
s’engager dans les maladies rares,
car derrière le mot rare, il n’y a pas
seulement la maladie mais aussi
des patients. Janssen investit ainsi
que les cellules CAR-T, les anticorps
monoclonaux, les anticorps bispé-
cifiques et les thérapies ciblées, car,
malgré les progrès incroyables réa-
lisés cette dernière décennie, des
patients échappent encore à tous les
traitements connus et rechutent.
L’enjeu réside maintenant dans la
connaissance et la compréhension
des profils moléculaires et des mé-
canismes de résistance des cancers.
L’autre mot-clé est la collaboration,
et Janssen travaille avec les groupes
coopérateurs comme la French
Innovative Leukemia Organization
(Filo) ou l’Intergroupe francophone
du Myélome (IFM) au développe-
© Janssen / DR
d’innovation de notre laboratoire,
Quelle place le patient
occupe-t-il dans la stratégie
Pionnier dans de Janssen en hématologie ?
la recherche sur L’accompagnement du patient, du
les cancers du sang, diagnostic jusqu’au-delà de son trai-
tement,est pour nous une valeur cen-
Janssen poursuit trale. Il s’illustre, par exemple, dans
sa stratégie au service la recherche de nouveaux modes
des patients. d’administration de nos médica-
ments, dans le but de faciliter la vie
Décryptage avec le du patient. Nous avons également
Dr Mariana Fernandez, élaboré et mis en place deux solutions
Directrice médicale digitales qui viennent compléter la
relation médecin-patient et peuvent
en hématologie bénéficier à la fois au patient et à son
Mon Suivi LLC. Ce site permet au
patient de préparer sa prochaine
consultation avec l’hématologue à
travers 15 questions abordant son
état de santé, ses symptômes, son
traitement et l’impact de la maladie
sur son quotidien.Une synthèse per-
met au patient et à l’hématologue
de visualiser les sujets prioritaires à
aborder lors de la consultation.Cette
initiative fait partie de la sélection
officielle au prix Galien 2021.
S. G.-M.
1) Evaluation du soutien et des
connaissances apportés par le
chatbot Vik Myélome Multiple dans
la gestion de la maladie - SFH, 2021.

du temps et des ressources dans la ment de nouveaux domaines de re- chez Janssen France. entourage. Information communiquée par
le laboratoire Janssen - CP-279816 11/2021
recherche contre l’amylose à chaîne cherche et à la mise en place d’études La première est une application

Informer FAIRE RÉSONNER LA CAUSE DE LA DRÉPANOCYTOSE

Écoutons la voix des patients. Entretien avec Christelle Blons-Panagoulias,
Directrice de la franchise Hématologie chez Novartis.
Qu’est-ce que la drépanocytose ? sont les symptômes en apparence. associations de patients, profes- médecins à expliquer la maladie
Première maladie génétique en Pourtant, notre pays affiche la plus sionnels de santé, parlementaires aux patients et aider les patients à
France, la drépanocytose touche forte prévalence en Europe(2). C'est et élus locaux – dans le but d’élabo- mieux la comprendre.
entre 20 000 et 30 000 patients(1) pourquoi nous nous devons d’agir. rer un carnet de propositions qui

principalement concentrés en
région parisienne et dans les ter-
ritoires d’outre-mer. La drépano-
cytose, qui affecte les globules
rouges, peut réduire l'espérance
de vie d’environ trente ans par
rapport à celle de la population
générale(2). Elle se révèle extrê-
mement invalidante pour les pa-
tients, qui, selon les témoignages,
souffrent de crises douloureuses,
d’une intensité équivalente à celle
d’une fracture ouverte. Aujourd’hui,
la drépanocytose est très peu visible
dans l’espace public, tout comme le
Comment Novartis
s’implique-t-il dans ce combat ?
En tant qu’acteur de santé,notre rôle
est de nous engager aux côtés des
médecins et des associations de pa-
tients, au travers d’actions concrètes,
pour donner une visibilité publique
à cette maladie. Via le site Internet
drepanocytose-ils-osent.fr nous
avons mis en place une campagne de
sensibilisation pour porter la voix
des patients au travers de témoi-
gnages forts. Nous avons organisé
des tables rondes régionales – avec
doivent permettre de relever trois
défis essentiels pour les patients :
améliorer la prévention et la sensi-
bilisation, structurer le parcours de
soins pluridisciplinaire du patient et
assurer une prise en charge homo-
gène sur le territoire national. Nous
participons aux projets de collecte
des données en vie réelle en France
et à l’étranger, notamment par un
registre européen, pour mieux
appréhender la maladie, ses traite-
ments,et la façon dont elle est vécue
par les patients. Enfin, nous avons
créé des documents pour aider les
Quelle est selon vous la priorité
pour les patients aujourd’hui ?
La priorité est d’amplifier la connais-
sance de la pathologie auprès du
grand public et des pouvoirs publics,
d’harmoniser la prise en charge sur le
territoire et de permettre des condi-
tions d’accès aux traitements qui ne
créent pas de perte de chances pour
les patients éligibles, en particulier
dans les régions où la prévalence est
la plus forte (dans les territoires ultra-
marins par exemple). Les patients,
leurs associations et les profession-
nels de santé s’impliquent quoti-
© Novartis / DR
Christelle Blons-Panagoulias
diennement pour rendre visible
cette maladie. Pour les aider à faire
bouger les lignes,il est urgent de les
écouter et d’agir ensemble. S. G.-M
1) https://doi.org/10.1371/
journal.pone.0253986
2) https://doi.org/10.1038/nrdp.2018.10.
Informations communiquées en
collaboration avec le laboratoire Novartis,
décembre 2021, 174831

Tribune
Pr Frédéric Galactéros, Responsable de l’Unité des maladies génétiques du globule rouge
à l'hôpital Henri Mondor à Créteil et Coordinateur du Centre national de référence de la drépanocytose

VA-T-ON ENFIN PRENDRE LA DRÉPANOCYTOSE

© Hamid Azmoundr / DR

La drépanocytose est la maladie génétique
la plus fréquente en France, avec une sur-
représentation aux Antilles, en Guyane, à
Mayotte,en régions IDF et PACA,où elle touche
de 25 000 à 35 000 personnes(1), majoritaire-
ment d’origine africaine ou méditerranéenne.
Sur les 300 000 enfants testés en 2019(1), on a
détecté presque 600 nouveau-nés atteints(2) de
la maladie et 11 000 bébés transmetteurs(1).
La drépanocytose s’exprime chez les enfants
ayant reçu la mutation pathogène des deux pa-
rents transmetteurs,mais a priori non malades.
Maladie génétique de l’hémoglobine qui
entraîne des anomalies des globules rouges,
AU SÉRIEUX ?
elle provoque des troubles circulatoires et
des atteintes rénales, cardiaques, hépatiques,
osseuses…Les personnes atteintes de drépano-
cytose ont une santé précaire et connaissent
des crises extrêmement douloureuses qui
peuvent mettre en jeu leur pronostic vital et
les conduisent fréquemment aux urgences,où
leur prise en charge est trop souvent tardive.
Nous sommes face à un véritable hiatus, car,
si cette maladie est facile à dépister et à trai-
ter précocement, le manque de formation des
professionnels de santé entraîne une réponse
inadaptée à sa prise en charge et un fardeau
psycho-social et financier pour notre société.
Il faut optimiser l’accueil et la gestion des
patients aux urgences, et la filière maladies
rares travaille à former les multiples sites
concernés en France.
Il faut informer et éduquer parents, crèches
et médecine scolaire,etc.,à connaître et à évi-
ter toutes les circonstances qui provoquent
les crises. Les psychologues ont également
un rôle à jouer pour répondre aux questions
graves que la drépanocytose génère.
Le dépistage à la naissance doit être amélioré,
car il reste ciblé sur les origines des parents,
qui souvent n'ont jamais fait le test alors qu’il
est fiable, codifié et peu cher et qu’il fait for-
tement chuter la mortalité. Pourquoi n’est-il
pas systématique ?
Les associations de patients ont le sentiment
que la drépanocytose est une maladie négli-
gée. Quand va-t-on enfin prendre la drépano-
cytose pour ce qu’elle est, une maladie grave
et extrêmement invalidante ? Il faut qu’infor-
mation et que formation, dépistage et prise
en charge soient à la hauteur de la gravité et
de la fréquence de cette maladie.
Ce n’est plus seulement une question de méde-
cine,c’est une question humaine !
1) Rapport d’activité du Programme
national du dépistage néonatal 2019.Centre
national de coordination du dépistage.
2) Brousse V.et al. Dépistage néonatal de la
drépanocytose en France (Newborn Screening for
Sickle Cell Disease in France).Med.Sci (Paris).
2021 May;37 (5) :482-490.
 Dimanche 12 - Lundi 13 décembre 2021 ❸
Communiqué spécial Hématologie

Transformer LA SCIENCE POUR LA VIE

Innover pour transformer la prise en charge des cancers du sang, un objectif pour Bristol Myers Squibb.
Le point avec Agathe Lepage, Directrice des affaires médicales hématologie.
Quelle place tient l’onco-
hématologie dans la mission
de Bristol Myers Squibb ?
Avec le récent rachat de Celgene,
Bristol Myers Squibb est aujourd’hui
une entreprise qui allie le meilleur
de la biotechnologie et de l'indus-
trie pharmaceutique. Nous sommes
déterminés à transformer la vie des
patients grâce à la science, en fai-
sant évoluer les standards de traite-
ments pour améliorer la survie des
patients et la qualité de vie.
L’hématologie tient une place pré-
pondérante dans cette mission.Nous
intervenons sur un éventail de pa-
thologies très large avec, historique-
ment,les immunomodulateurs dans
le myélome multiple et, aujourd’hui
et demain,de nouveaux traitements
dans le lymphome,les leucémies,les
syndromes myélodysplasiques, la
bêta-thalassémie et la myélofibrose.
Notre expertise scientifique appro-
fondie et nos technologies de pointe
nous permettent d’aller de plus en
plus vers une médecine personna-
lisée, comme en témoigne la mise à
disposition en accès précoce pour les
patients en France du premier CAR-T
dans le myélome. Notre portefeuille
dans le myélome multiple est l’un
des plus complets, avec des dévelop-
pements en cours qui couvrent pra-
tiquement tous les modes d’actions.
Nous venons également d'obtenir
une autorisation de mise sur le mar-
ché pour un traitement dans la leu- ché pour des traitements innovants. teurs d'une étude pivot de phase III CAR-T, dont l’administration unique
cémie aiguë myéloïde,avec des gains Autre point crucial : assurer aux sur une de nos thérapies CAR-T, évite les séjours répétés à l’hôpital.
de survie non négligeables pour les patients en impasse thérapeutique qui pourraient changer la pratique Nous mettrons aussi prochainement
patients. un accès précoce à nos innovations. clinique dans la prise en charge sur le marché un traitement destiné
Tout d’abord, grâce à la recherche d’un type de lymphome. Nous par- à réduire le besoin en transfusions
Quelles sont la stratégie clinique, avec 7 000 patients fran- tagerons également des données de patients souffrant de syndromes
et la dynamique de recherche çais inclus dans nos essais en cours ; de suivi à long terme de l’étude de myélodysplasiques et anémiés, les
de Bristol Myers Squibb puis par le biais de l’accès précoce et phase III QUAZAR en maintenance préservant ainsi de fréquents allers-
en onco-hématologie ? retours à l’hôpital.Ensuite,au-delà de
En 2020, le groupe a investi près d'un favoriser l’accès précoce à nos inno-
quart de son chiffre d'affaires en R&D, « En 2020, le groupe vations, nous sommes engagés pour
avec plus de 30 molécules en cours a investi près d'un quart accompagner au mieux les patients
de développement en onco-hémato- dans leur parcours avec le cancer.Par
logie, sur un portefeuille d’environ de son chiffre d'affaires exemple, le programme HéMaVie™,
50 molécules au total. Pionniers de
© Bristol Myers Squibb / DR
en R&D , avec plus de que nous soutenons et qui est porté
l’immunothérapie dans le cancer, 30 molécules en cours par l’Association française des ma-
nous allons plus loin dans cette ap- de développement en lades du myélome multiple (AF3M),
proche avec les cellules CAR-T, une met notamment à disposition des
nouvelle classe de médicaments onco-hématologie… » malades traités pour un myélome
innovants et individualisés destinée Agathe Lepage un accompagnement téléphonique
aux traitements de certains cancers par une infirmière,relais des équipes
du sang, chez des patients en situa- compassionnel.Ainsi, ce sont 30 000 dans la leucémie aiguë myéloïde,qui soignantes dans leur prise en
tion d’impasse thérapeutique. Nous patients français qui ont pu bénéfi- devraient confirmer notamment le charge. Le programme HumagineTM,
sommes la seule entreprise à propo- cier d’un de nos traitements en accès bénéfice de ce traitement en termes codéveloppé avec des associations
ser un traitement CAR-T disponible précoce depuis la mise en place de ce de survie pour les patients. de patients et des professionnels de
dans le myélome,et nous en avons un dispositif et, en 2021, la France est le santé,s’intéresse à l’expérience vécue
second qui est en cours d'évaluation premier pays en Europe à avoir mis Quelles sont vos priorités par des patients souffrant de patho-
dans le lymphome. Nos recherches à disposition notre CAR-T pour des à l'égard des patients ? logies chroniques (psoriasis, myé-
sur les CAR-T se poursuivent afin patients atteints de myélome à un Nous cherchons des traitements de lome multiple, sclérose en plaques),
d’en faire bénéficier les patients à des stade avancé avec un fort besoin de rupture qui vont significativement afin d’identifier les leviers d'amélio-
stades plus précoces de la maladie. nouvelles options thérapeutiques. changer la vie des patients et leur per- ration de leur prise en charge.
Notre expertise s’appuie sur notre Enfin, pour preuve de notre dyna- mettre de gagner des semaines, des Bien au-delà des traitements, notre
R&D interne, mais aussi sur des mique, nous présenterons 80 com- mois, des années de vie en plus. Nous passion pour l'innovation s’illustre
acquisitions stratégiques et des par- munications au prochain congrès de voulons également aller au-delà, en au bénéfice global des patients.
tenariats académiques externes pour l’American Society of Hematology mettant au point des traitements in- S. G.-M.
multiplier les chances d’aboutir à (ASH) en décembre. Nous dévoilerons novants qui assurent une bonne qua-
466-FR-2100065 – NP – Décembre 2021
des autorisations de mise sur le mar- en particulier des résultats promet- lité de vie aux patients.C’est le cas des

Espoir ANTICORPS BISPÉCIFIQUES Innover CHANGER LA TRAJECTOIRE

EN ONCO-HÉMATOLOGIE
Un nouveau traitement rend la guérison du myélome
multiple envisageable. Explications du Pr Philippe Moreau,
hématologue au CHU de Nantes.
Qu’est-ce que le myélome multiple ?
C’est une maladie orpheline grave, qui
compte de 5 000 à 6 000 nouveaux cas(1)
chaque année. Elle était considérée comme
incurable jusqu’à ce que de nouvelles classes
de molécules fassent évoluer le pronostic
des patients. En dix ans, la survie a nette-
ment augmenté et l’avancée des recherches
permet d’envisager de guérir cette maladie à
l’horizon 2025-2030.
Quels sont ces progrès thérapeutiques ?
Ils résident dans le développement de l’im-
munothérapie, avec tout d’abord des anti-
corps simples ciblant des protéines présentes
DES CANCERS DU SANG
Pfizer fait de l’innovation en onco-hématologie une priorité,
de la recherche médicale à la mise à disposition de nouveaux
traitements pour les patients.Entretien avec le Dr Jérôme Krulik,
Directeur médical Oncologie de Pfizer France.
Quels sont la nature et le mécanisme
d’action des anticorps bispécifiques ? Quel est l’engagement de Pfizer dans Pour répondre à ces besoins, Pfizer développe
Ils sont fabriqués par génie génétique et la lutte contre les cancers du sang ? actuellement un médicament avec un nouveau
ciblent plusieurs protéines différentes expri- Pfizer, acteur majeur en oncologie, a tout mécanisme d’action dans le myélome mul-
mées par la cellule myélomateuse. Leur par- naturellement investi le champ de l’onco- tiple,un anticorps bispécifique qui permettrait
ticularité est de posséder deux bras, dont l’un hématologie il y a quinze ans, d’abord avec l’interaction entre la cellule malade et une
va se fixer sur la cellule tumorale et l’autre de la chimiothérapie dans les leucémies, puis cellule immunitaire et qui entraînerait la des-
sur un lymphocyte T, pour le rediriger vers avec des thérapies ciblées dans les hémo- truction de la cellule maligne. Nous sommes
cette même cellule tumorale afin de la tuer. pathies malignes, mais aussi avec la mise à également impliqués dans la recherche dans
Ce double mécanisme d’action dope leur effi- disposition de médicaments biosimilaires. les hémopathies malignes via l’acquisition de
cacité par rapport aux thérapies existantes. Plus récemment, nous avons développé des la biotech Trillium Therapeutics.
anticorps conjugués ciblant la cellule leucé-
Pourquoi s’engager dans cette voie mique maligne pour y délivrer des doses de Quelle est votre approche du patient
de recherche et quel en est le bénéfice chimiothérapie plus importantes. Il faut sou- en onco-hématologie ?
pour les patients ? ligner qu'un certain nombre de ces dévelop- La proximité avec les associations de patients
Malgré les récents pements se sont faits dans en hématologie est essen-
« En dix ans, progrès, il subsiste le cadre de collaborations tielle pour proposer des ini-
la survie a un besoin médical académiques. tiatives innovantes afin de
nettement pour les patients répondre aux attentes des
augmenté et « échappant » à tous Quel est, selon vous, patients. Notre site Internet
l’avancée des les traitements et l’avenir en onco- Pactonco.fr fournit au pa-
recherches
© Grégory Brandel-Pfizer France / DR

qui sont à un stade hématologie et comment tient et à son entourage

permet très avancé,avec une Pfizer s’y inscrit-il ? des informations sur et
d’envisager espérance de vie ré- En 2018, les cancers du autour du cancer, pour les
de guérir cette duite. Des résultats sang représentaient 12 % des accompagner tout au long
maladie
à l’horizon spectaculaires sur 382 000 nouveaux cas de de la maladie. Notre site
2025-2030. » l’anticorps bispéci- cancer en France(1), Des can- Lavieautour.fr, créé en colla-
Pr Philippe Moreau fique le plus avancé cers en augmentation,où les boration avec l’Association
© DR

à la surface de la cellule tumorale pour l’éli-
miner. Ces anticorps peuvent être armés
d’une toxine tueuse de cellule tumorale ; ils
sont alors dits « conjugués » et sont commer-
cialisés depuis mi-2020.
Des traitements à base de cellules CAR-T
sont également développés, et une dizaine
de patients français par mois peut en béné-
ficier dans le cadre d’un accès précoce com-
passionnel. Les recherches les plus récentes
concernent les anticorps bispécifiques, dont
on pourrait espérer une commercialisation
en 2022.
dans son développe-
ment seront présentés ces jours-ci au congrès
de l’American Society of Hematology, laissant
espérer jusqu’à deux ans de gain de survie chez
des malades en fin de vie. On peut penser que
les anticorps bispécifiques seront également
efficaces chez des patients à des phases plus
précoces, jusqu’à devenir un traitement de pre-
mière ligne qui pourrait,d’ici à dix ans,rempla-
cer la chimiothérapie conventionnelle. S. G.-M.
1) Estimations nationales de l’incidence et de la
mortalité par cancer en France métropolitaine
entre 1990 et 2018. Etude à partir des registres
des cancers du réseau Francim, juillet 2019.
besoins sont importants et Dr Jérôme Krulik francophone des soins onco-
pour lesquels la recherche demeure active(2). logiques de support (Afsos), permet au patient
Les axes d’avenir sont multiples,à commencer de géolocaliser les associations proposant des
par la recherche sur le myélome multiple, qui soins de support à proximité de son domicile.
représentait en 2018 plus de 5 000 nouveaux Parce qu’il faut traiter non pas un cancer,
cas en France(1).Si de nombreux progrès théra- mais un patient qui a un cancer ! S. G.-M.
peutiques ont été réalisés, il reste des besoins 1) Estimations nationales de l’incidence et de la
médicaux non couverts pour les patients ré- mortalité par cancer en France métropolitaine
fractaires aux classes de médicaments exis- entre 1990 et 2018 – Etude à partir des registres
des cancers du réseau Francim – Juillet 2019.
tantes. Il faut également continuer à amélio- 2) Santé publique France : Incidence et mortalité
rer la tolérance des traitements et l’accompa- des cancers : quelles évolutions depuis 1990 ?
gnement du parcours de soins pour préserver (santepubliquefrance.fr).Accédé le 17-11-2021.
la qualité de vie des patients au cours de leur Informations communiquées en collaboration
prise en charge. avec le laboratoire Pfizer PP-ONC-FRA-1651

12 | france
ÉLECTION  PRÉSIDENTIELLE  2022
Valérie Pécresse
cherche sa ligne
et sa stratégie
La candidate du parti Les Républicains veut
faire le contraire de Fillon en 2017 et rassembler
très largement autour d’elle, sans trahir le
projet qui l’a conduite à la victoire au congrès
C’
est parti. Une semaine
après sa désignation
par les militants du parti
Les Républicains (LR), le
4 décembre, Valérie
Pécresse devait s’expri­
mer samedi 11 décembre devant les cadres et
les parlementaires du mouvement, réunis
à la Mutualité, à Paris.
La candidate, qui a dû renoncer à tenir un
grand meeting devant 5 000 personnes, à
cause du Covid­19, a maintenu ce premier
discours devant une assistance réduite et
partisane, afin de mettre la formation « sous
tension » et lancer officiellement sa campa­
gne. « Le parti doit [en] être le pivot », affirme
le directeur de sa communication, Geoffroy
Didier, qui promet un discours de « mobi­
lisation » pour « lancer la machine ».
C’est à cela que Valérie Pécresse s’emploie
depuis son investiture : mettre sa campagne
en ordre de marche et définir sa stratégie. La
candidate a été à la rencontre de ses quatre
rivaux défaits, qu’elle souhaite associer au
plus près. Xavier Bertrand, qu’elle a rejoint
vendredi dans les Hauts­de­France, Eric
Ciotti, Michel Barnier et Philippe Juvin, de­
vraient avoir un rôle de conseil politique
auprès d’elle, l’instance restant à définir. Elle
les retrouvera tous les quatre, mardi 14 dé­
cembre, autour d’un déjeuner, auquel seront
associés le président (LR) du Sénat, Gérard
Larcher, et celui du parti, Christian Jacob.
Le comité stratégique de LR, qui rassemble
tous les mardis une vingtaine de ténors au
siège du mouvement, sera également étroi­
tement associé à la campagne. « Même Ségo­
lène Royal a reconnu le panache des hommes
de notre famille politique qui ont tous accepté
de se ranger derrière ma candidature », ce qui
n’avait pas été le cas de la candidate socialiste
en 2007, a lancé Valérie Pécresse le 7 décem­
bre devant les parlementaires LR.
De son côté, son directeur de campagne,
Patrick Stefanini, est plongé dans la constitu­
tion de l’organigramme, tout en cherchant
activement un QG. L’ancien préfet a proposé
aux directeurs de campagne des perdants du
congrès de LR de rejoindre l’équipe, censée
être « le miroir du rassemblement autour de la
candidate », explique­t­il au Monde. La séna­
trice Alexandra Borchio­Fontimp, bras droit
d’Eric Ciotti au cours des dernières semaines,
est ainsi pressentie pour devenir directrice
déléguée de la campagne. Un geste en direc­
tion du député des Alpes­Maritimes, à qui
Pécresse a promis une « place singulière ».
Patrick Stefanini, qui jouit d’une réputa­
tion flatteuse de « faiseur de roi » depuis la
campagne victorieuse de Jacques Chirac
en 1995, s’emploie également à constituer
une équipe – paritaire – de porte­parole, en
piochant dans les viviers des perdants du
congrès. Prudent et méticuleux, il prend son
temps pour caler le dispositif, qu’il ne devrait
pas dévoiler avant la semaine prochaine.
L’ancien directeur de campagne de François
Fillon ne veut pas commettre les mêmes er­
reurs qu’en 2017 : dans la foulée de la victoire
à la primaire, l’ancien premier ministre et
son bras droit avaient mis en place une
véritable armée mexicaine, mais ce proces­
sus de rassemblement forcé avait fait de
nombreux déçus, l’amertume se diffusant
ensuite comme un poison lent, minant
d’emblée la campagne. « Je veux une équipe
où tout le monde trouvera sa place pour une
campagne enthousiaste », a glissé Valérie Pé­
cresse à l’ordonnateur de la sienne.
L’ex­coordinateur du projet de Xavier Ber­
trand, Vincent Chriqui, polytechnicien et
énarque, est assuré d’intégrer le pôle chargé
du projet, aux côtés de Frédéric Lemoine, an­
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
cien secrétaire général adjoint de l’Elysée sous
Chirac. La plume historique de François
Fillon, Igor Mitrofanoff, qui s’est mis au ser­
vice de la présidente de la région Ile­de­
France, devrait à terme conserver ce rôle pen­
dant la campagne. Quant à l’eurodéputé Geof­
froy Didier, vice­président du conseil régional
d’Ile­de­France, il chapeautera la communica­
tion de la candidate. « Ils font de la place à tout
le monde, observe le communicant d’Eric
Ciotti, Antoine de Chemellier. Ça se passe
beaucoup mieux qu’il y a cinq ans. »
Pécresse est aidée par les sondages, bénéfi­
ciant de cet « effet primaire » qui avait égale­
ment servi François Fillon en 2016. Plusieurs
études consécutives la placent en situation de
se qualifier au second tour de la présidentielle
face à Emmanuel Macron. Si les équipes de
l’intéressée accueillent ces sondages avec
prudence – crédité de 17 % des intentions de
vote après sa victoire face à Manuel Valls,
Benoît Hamon avait réalisé le pire score du
Parti socialiste en 2017 avec 6 % des voix –, ils
jugent que cette « dynamique » donne de
l’oxygène à la candidate, qui s’évite ainsi les ti­
raillements dans son camp. « Ça la protège, ça
lui donne le temps de démarrer sa campagne »,
observe le patron des députés LR, Damien
Abad. « Ça va bloquer les ralliements à Ma­
cron », veut croire de son côté Eric Ciotti.
« UNE LIGNE DE DROITE ASSUMÉE »
Cantonnée depuis des mois dans une ba­
taille partisane, Valérie Pécresse – qui restera
à la tête de la région Ile­de­France pendant la
campagne – doit faire sa mue de candidate à
la présidentielle, et quitter les habits d’élue
francilienne. « On verra qu’elle est une candi­
date qui connaît la France de manière intime »,
avance la présidente du conseil national de Délicate, l’équation de la candidate est faite lien) et la gauche (en s’adressant à la jeunesse
LR, Annie Genevard, tandis que d’autres s’in­ AVEC SON  d’injonctions contradictoires : tenter de sé­ et à la génération climat, mais aussi à l’électo­
quiètent d’une image « trop versaillaise ». POSITIONNEMENT  duire les électeurs ayant quitté LR pour rat populaire), au service d’une vision, retrou­
Contrairement à François Fillon qui, à La République en marche, sans pour autant ver la fierté française. »
peine investi, avait disparu quinze jours sans LIBÉRAL ET SES  perdre les soutiens d’Eric Ciotti, potentielle­ La « vision » est précisément l’un de ses
prévenir – il était parti skier dans les Alpes –, ment tentés par Eric Zemmour. « Il faut tenir points faibles, un certain nombre d’élus LR re­
Valérie Pécresse entend occuper le terrain. PROMESSES DE  l’aile droite », reconnaît Patrick Stefanini. grettant en privé le « manque de souffle » d’un
Elle sera à Calais (Pas­de­Calais) lundi, pour Valérie Pécresse a reçu cette semaine le dé­ projet jugé solide mais très classique, voire
un déplacement consacré à l’immigration et
DROITE CLASSIQUE,  puté du Loir­et­Cher Guillaume Peltier, qui a même daté. C’est l’un des angles d’attaque
à la pêche, et vendredi en Alsace. La veille, VALÉRIE PÉCRESSE  perdu son titre de vice­président de LR après des macronistes, le ministre de l’économie,
elle pourrait se rendre à Provins (Seine­et­ un tweet louangeur sur Eric Zemmour. « Je Bruno Le Maire, estimant qu’il s’agissait d’un
Marne) et à Troyes, sur les terres des chira­ EST PLUS PROCHE  porterai un projet de droite courageuse et je « projet pour le XXe siècle ». « Il faut faire mon­
quiens Christian Jacob et François Baroin, suis la seule à pouvoir battre Macron, lui a­t­ ter la mayonnaise », préconise le député (LR)
afin de rappeler son lien à l’ancien président DE FRANÇOIS FILLON  elle lancé. A toi de choisir… ! » La candidate du Bas­Rhin Patrick Hetzel, qui était chargé
de la République, qu’elle a servi à l’Elysée EN 2017 QUE DE  s’est également entretenue, jeudi à Lyon, avec du projet de Michel Barnier. Elle doit montrer
pendant la cohabitation. Elle tient aussi à l’ex­patron du parti Laurent Wauquiez dont qu’elle sait innover », et surprendre. « Si vous
s’inscrire dans les pas de François Fillon en NICOLAS SARKOZY  elle avait critiqué les orientations droitières, ne bougez pas, soit vous n’intéressez pas, soit
se rendant avant Noël en Arménie, au chevet au lendemain des européennes de 2019. vous êtes une cible », concède Stefanini, rappe­
des chrétiens d’Orient, un combat qu’avait DIX ANS PLUS TÔT lant que François Fillon était resté enfermé
endossé l’ancien premier ministre pour sé­ INNOVER ET SURPRENDRE dans son programme de la primaire, de peur
duire l’électorat catholique conservateur. C’est surtout avec Eric Ciotti qu’elle devra trai­ de passer pour un homme sans convictions.
Elue par les adhérents de LR sur un pro­ ter. Fort de son score (40 %) obtenu au con­ En attendant, Valérie Pécresse entend jouer
gramme libéral sur le plan économique et grès, le très droitier député des Alpes­Mariti­ à fond de sa féminité, persuadée qu’il s’agit
autoritaire sur le plan régalien, la candidate mes veut éviter tout recentrage et se poser en d’un atout majeur dans cette équation prési­
entend garder cette ligne pendant sa campa­ garant d’une ligne fondée sur l’autorité, la li­ dentielle. « Les Français ont acheté la rupture
gne. « Une ligne de droite assumée », résume berté et l’identité. « Le danger, c’est que le avec Sarkozy, la normalité avec Hollande, la
l’un de ses lieutenants, selon lequel elle s’ins­ consensus anesthésie, affadisse la force de son jeunesse et le renouvellement avec Macron »,
pirera de la campagne de Sarkozy en 2007. programme qui était très proche du mien », in­ résume le député (LR) de l’Essonne Robin
Mais, il y a quinze ans, ce dernier avait su sé­ siste Eric Ciotti, qui rappelle l’attachement du Reda, selon lequel la « carte femme » est un
duire les classes populaires en s’adressant à cœur de l’électorat LR à une grande fermeté élément de « modernité ». L’antimacronisme
« la France qui souffre ». Sillonnant les terres sur la sécurité et l’immigration, sur la réforme sera un puissant carburant, juge en outre la
ouvrières, fragilisées par le chômage et la de l’Etat et aux baisses d’impôt. « Valérie ne candidate LR, qui se pose en « unique alterna­
mondialisation, il s’en prenait régulièrement doit rien changer, l’élection se gagnera à droite, tive à Macron » afin de tenter d’activer un
aux « dérives de la finance », fustigeait les « pa­ abonde le patron des sénateurs LR de Vendée, « vote utile » en sa faveur, dès le premier tour.
trons voyous » et vantait la « valeur travail ». Bruno Retailleau. Si l’idée lui venait de se re­ Vendredi, la présidente de la région Ile­de­
Avec son positionnement libéral (revendi­ centrer, elle perdrait le premier tour. » France s’est vue remettre des mains de l’am­
qué) et probusiness et ses promesses de Si les stratèges de la candidate jurent bassadeur du Japon la décoration de l’ordre
droite classique – coupes claires dans la fonc­ qu’elle n’infléchira pas sa ligne, ils souli­ du Soleil­Levant, première décoration créée
tion publique, redresser les comptes de la na­ gnent la nécessité d’aller chercher d’autres par le gouvernement de l’archipel. Jadis ré­
tion et reculer l’âge de départ à la retraite à électeurs, notamment du centre, sur des su­ servée aux hommes, cette haute distinction
65 ans –, Valérie Pécresse, qui se compare à jets ciblés comme l’écologie, le social, l’édu­ avait une version pour les femmes, la « Cou­
Margaret Thatcher, est plus proche du posi­ cation ou la famille. « Il faut marcher sur deux ronne précieuse ». Les proches de Valérie Pé­
tionnement de François Fillon en 2017 que jambes, résume son directeur de campagne. cresse veulent y voir un symbole. 
de celui de Nicolas Sarkozy dix ans plus tôt. La droite (avec un discours ferme sur le réga­ solenn de royer
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DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Valérie Pécresse, candidate du parti
Les Républicains à la présidentielle,
en visite dans l’entreprise Exotec,
à Croix (Nord), le 10 décembre.
AGNÈS DHERBEYS/MYOP POUR « LE MONDE »
Les plans d’Edouard Philippe mis à mal par le congrès à droite
Les cadres du parti Horizons espèrent que Valérie Pécresse peinera à conserver la ligne modérée que leur parti prétend incarner
I l se voyait déjà en sauveur de
la droite. Mais, depuis la vic­
toire de Valérie Pécresse à la
primaire du parti Les Républi­
cains (LR), la droite a­t­elle encore
besoin d’un sauveur ? Sur le pa­
pier, la tactique d’Edouard Phi­
lippe semblait presque parfaite.
Souvenons­nous du 9 octobre.
Ce jour­là, au Havre, la ville dont
il est le maire, l’ancien premier
ministre triomphe, faisant le
« V » de la victoire tel un Jacques
Chirac fondant le RPR. L’édile an­
nonce alors la création de son
nouveau parti, Horizons, qui
promet de rétablir l’ordre « dans
la rue et dans les comptes pu­
blics ». Voilà, murmure­t­on dans
une assistance nourrie de déçus
de LR, l’homme que la droite at­
tendait. Une droite républicaine
ferme et libérale, émancipée de
ses tentations extrêmes et « ma­
cron­compatible ».
Avant même d’avoir le résultat
de la primaire, les « philippistes »
se frottent les mains. Entre
Xavier Bertrand, le favori, et Eric
Ciotti, « ami » du nationaliste Eric
Zemmour, chantre de l’union de
la droite et de l’extrême droite,
la défaite de la chiraquienne Va­
lérie Pécresse semble annoncée.
Dans le camp d’Edouard Phi­
lippe, beaucoup apprécient cette
proeuropéenne et Horizons lui
tend les bras, à elle et à ses trou­
pes. « Je dis bienvenue à ceux de
la droite et du centre qui veulent
dépasser les vieux appareils »,
anticipe ainsi Edouard Philippe,
le 23 novembre, dans un entre­
tien au Figaro.
Mais rien ne s’est passé comme
prévu. La présidente de la ré­
gion Ile­de­France, que certains
avaient un peu vite caricaturée
en « Valérie Détresse », a triom­
phé à la primaire LR et, avec elle,
une nouvelle dynamique s’est
créée. Depuis, la gêne a envahi les
rangs des « horizontaux ».
Philippe garde le silence
Certains élus qui semblaient
prêts à rejoindre Edouard Phi­
lippe hésitent. Ainsi de Jean Rot­
tner, président du conseil régio­
nal du Grand­Est, ou de Stéphane
Beaudet, maire d’Evry­Courcou­
ronnes, ou encore Gaël Perdriau,
à la tête de la ville de Saint­
Etienne, pourtant démis de ses
fonctions de vice­président de
LR. « Il ne m’est jamais venu à l’es­
prit de quitter mon parti, dans le­
quel je milite depuis trente ans ;
cela me fait mal au cœur de voir
ce qu’il est en train de devenir. Les
convictions qui sont les miennes,
Valérie Pécresse les partageait
avant de s’aligner sur la ligne
Ciotti. J’attends maintenant
qu’elle clarifie sa position », expli­
que­t­il dans Le Point daté du
10 décembre. En résumé, si la
colère est toujours là, la candi­
date à la présidentielle offre l’es­
poir de l’apaiser.
« Le projet qu’avait Edouard Phi­
lippe est compromis. Valérie
bouscule leur stratégie. Elle est la
plus à même de retenir ceux qui
envisageaient de se réfugier chez
Emmanuel Macron via Edouard
Philippe », pense Eric Pauget, dé­
puté (LR) des Alpes­Maritimes et
fervent « pécressiste ». Comme
pour signifier au maire du Havre
que la place qu’il pensait occuper
est désormais prise, la prési­
dente de la région Ile­de­France
revendique même pour pro­
jet de rétablir l’ordre « dans les
comptes et dans la rue ». Le
même que celui du Normand
qu’elle a récemment rangé parmi
les « supplétifs [du chef de l’Etat]
qui ont servi leurs ambitions plu­
tôt que leurs convictions ».
Pour l’heure, Edouard Philippe
garde le silence. Et à en croire son
entourage, cette réserve ne signi­
fie pas l’abattement. L’irruption
de Valérie Pécresse dans l’échi­
quier de la campagne présiden­
tielle est qualifiée de « bise » plu­
Sur les terres de Xavier Bertrand,
la candidate LR au chevet du social
Valérie Pécresse s’est rendue chez son ex­rival vendredi pour rassurer
sur l’unité du parti et sur l’attention qu’elle portera à l’industrie
D ans les allées de l’usine
Exotec, un fabricant de
robots pour centres lo­
gistiques, à Croix (Nord), une
voix retentit à rythme régulier :
« Xavier ? Où est Xavier ? »
Pour son premier déplacement,
vendredi 10 décembre, dans la ré­
gion de son rival vaincu, Valérie
Pécresse, la candidate du parti
Les Républicains (LR) à la prési­
dentielle, tient à montrer sa
proximité avec Xavier Bertrand.
Dans les allées aux murs blancs,
les deux ne se quittent d’ailleurs
pas d’une semelle. Au jeune fon­
dateur de l’entreprise qui lui ex­
plique le fonctionnement de son
usine, la présidente de la région
Ile­de­France demande, sourire
aux lèvres : « Pourquoi avez­vous
choisi le Nord ? Parce qu’il y a un
bon président de région ? »
Vendredi, Mme Pécresse est ve­
nue bien sûr afficher l’unité de sa
famille politique, laquelle s’est
mise en ordre de bataille derrière
elle pour l’instant. A droite, on ne
saurait assez le répéter, les que­
relles qui ont fait la joie des ad­
versaires en 2017 sont désormais
derrière le parti.
« Il n’y a qu’une seule ligne »
Ses premiers déplacements, Va­
lérie Pécresse les a d’ailleurs
consacrés à des visites aux can­
didats malheureux, voués à
constituer la « fameuse équipe de
France » qu’elle doit diriger. Eric
Ciotti dans les Alpes­Martimes
lundi, l’hôpital Lariboisière à Pa­
ris avec Philippe Juvin mardi et la
Savoie avec Michel Barnier jeudi.
Mais ce n’est pas tout. Vendredi,
la championne de la droite pour
le scrutin présidentiel de 2022 est
aussi venue parler de « réindus­
trialisation ». L’usine de l’entre­
tôt que de tempête. « Il y a trois
mois, j’entendais dire que les LR
étaient morts. Calmons­nous.
Valérie a un “boost” dans les son­
dages après sa victoire à la pri­
maire comme l’aurait eu n’im­
porte quel candidat victorieux.
Mais la campagne est encore
longue et Valérie Pécresse n’a pas,
devant elle, un chemin de roses »,
souligne l’eurodéputé Gilles
Boyer, proche d’Edouard Phi­
lippe. « Chez certains élus, il y a
plus d’hésitations à venir chez
Horizons, c’est sûr. Mais le parti
n’a pas été créé pour servir de ra­
masse­miettes après la primaire
LR. Attendons de voir quel sera
leur programme », abonde un
membre d’Horizons.
« LR N’EST PAS  fut parmi les premiers à rejoin­
DÉBARRASSÉ DE SES  qui s’ouvre pour la droite modé­
TENTATIONS EXTRÊMES.  rée face au tandem Ciotti­Pé­
VALÉRIE PÉCRESSE  dem. Et avoir le numéro deux de
EST EMBARRASSÉE  au second tour doit en interpeller
PAR LE SCORE DE CIOTTI »
ALAIN CHRÉTIEN
maire de Vesoul
et membre d’Horizons
prise de robotique Exotec, aux
produits à haute valeur techno­
logique ajoutée, est un symbole
du « made in France » ; elle ex­
porte aux quatre coins de la pla­
nète. C’est aussi l’image d’une ré­
gion sinistrée économiquement
mais qui tente de se relever.
Après le fort accent mis sur la
sécurité lors du déplacement de
lundi avec Eric Ciotti, Valérie Pé­
cresse rappelle donc vendredi
que les questions économiques,
l’industrie et le social sont aussi
au cœur de son projet. En s’affi­
chant aussi complice avec Xavier
Bertrand, elle cherche à montrer
qu’elle marche sur ses deux jam­
bes, comme le veut l’expression
consacrée à droite : la régalienne
et l’économique et sociale.
« L’objectif de ma visite était de
montrer que l’industrie tradition­
nelle a un avenir », a­t­elle expli­
qué à l’issue de sa déambulation.
Et d’ajouter : « Je pense que le
progrès technologique n’est pas
antagoniste du progrès social. »
Mme Pécresse, qui salue l’associa­
tion des salariés d’Exotec au
capital de l’entreprise, a indiqué,
vendredi, vouloir porter dans
son projet « une société où il y a
une vraie réconciliation entre le
capital et le travail ».
Une heure plus tard, dans une
petite salle de la ville de La Made­
leine, en banlieue de Lille, les
deux ex­ministres intervenaient
tour à tour pour galvaniser la cen­
taine de militants venus les écou­
ter. Evoquant sa défaite dans la
course interne à l’investiture, Xa­
vier Bertrand s’est dit « triste »
pour celles et ceux des Français
qu’il a rencontrés et dont il es­
time s’être inspiré pour son pro­
jet. « Comment je peux les aider
maintenant ? En continuant à por­
Pour les partisans d’Edouard
Philippe, le problème de LR reste
entier. Le bon score obtenu par
Eric Ciotti obligera, selon eux, Va­
lérie Pécresse à composer avec
les extrémistes du parti et à inté­
grer, dans son programme, une
partie de leurs idées. Le député
des Alpes­Maritimes n’a­t­il pas
déjà affirmé au Figaro le 9 dé­
cembre qu’il n’y avait « pas l’om­
bre d’une feuille de papier » en­
tre Valérie Pécresse et lui ? « Il
faut que la droite soit forte, qu’elle
ne s’excuse pas d’être elle­même »,
martèle­t­il.
« On n’est pas pressé »
« LR n’est pas débarrassé de ses
tentations extrêmes. Valérie Pé­
cresse est embarrassée par le
score de Ciotti », veut croire Alain
Chrétien, maire de Vesoul, qui
dre Horizons. « Il y a un moment
cresse, car il s’agit bien d’un tan­
LR qui appelle à voter Zemmour
certains », insiste­t­il. Déjà,
certains, à l’image de la députée
des Yvelines Aurore Bergé,
présidente déléguée de La Répu­
blique en marche (LRM, parti
france | 13
ter ces idées et ce projet au service
de Valérie Pécresse », a­t­il indiqué.
Pour autant, a­t­il insisté, « il n’y a
qu’une seule ligne, celle qui a rem­
porté le congrès ». Une réponse su­
bliminale aux proches d’Eric
Ciotti qui n’ont cessé, au lende­
main de ce congrès, de clamer que
la victoire se ferait à droite.
« Projet courageux »
A l’inverse, dans l’entourage de
Xavier Bertrand et au­delà, nom­
breux sont ceux qui plaident
pour une campagne où le social
aurait une plus grande place.
L’idée : parler à la France des clas­
ses moyennes, des « gilets jau­
nes » et des territoires, ceux qui
pourraient se sentir oubliés par
une candidate à l’image encore
très francilienne.
Les 200 000 fonctionnaires en
moins prévus dans son pro­
gramme en font transpirer plus
d’un au sein du parti Les Républi­
cains, qui ont peur qu’en pleine
pandémie le message ne soit pas
bien compris par les Français.
« Son bras régalien est très armé.
Le défi, c’est d’imprimer sur la frac­
ture sociale », prévient ainsi le
député du Lot Aurélien Pradié,
numéro trois de LR.
L’eurodéputé Geoffroy Didier
estime pour sa part que « la force
du projet de Valérie Pécresse est
qu’il est certes courageux mais
complet ». Et de rappeler la pro­
position d’augmenter de 10 % les
salaires et la garantie d’une re­
traite minimale équivalente au
smic. « Elle veut rendre aux Fran­
çais leur dignité », précise­t­il. Les
macronistes, eux, ont déjà com­
mencé à attaquer Valérie Pécresse
sur cette thématique : la campa­
gne ne fait que commencer. 
sarah belouezzane
présidentiel), souligne que l’an­
cienne ministre de Nicolas
Sarkozy a été « d’une folle ambi­
guïté » durant la primaire, lors­
qu’il s’est agi de commenter la
théorie xénophobe du « grand
remplacement ».
Le temps jouera pour eux, pen­
sent les cadres d’Horizons. « On
n’est pas pressé », assure Gilles
Boyer, rappelant qu’Horizons n’a
pas été créé pour 2022. Selon les
troupes d’Edouard Philippe, la
blessure au sein de LR est trop
profonde pour pouvoir se refer­
mer aussi vite. Et l’hémorragie
chez LR ne cessera pas. Renaud
Muselier, président de la région
Provence­Alpes­Côte d’Azur a en­
core claqué la porte du parti le
24 novembre pour cause de
« droitisation », et des acteurs de
poids comme Christian Estrosi,
le maire de Nice proche de Nico­
las Sarkozy, ou Hubert Falco,
l’édile de Toulon, sont déjà aux
côtés d’Edouard Philippe. Pour
les soutiens du Havrais, il fait
peu de doute que Valérie Pé­
cresse aura du mal à tenir l’équi­
libre qui lui permettrait de rassu­
rer la droite modérée tout en
confortant la droite dure. Et, à
trop faire le grand écart, on ris­
que le claquage. 
claire gatinois

14 | france
La loi « 3DS », texte­fleuve éminemment politique
Le Sénat espère avoir gain de cause, malgré les modifications apportées par les députés de la majorité
P
our l’un des rares textes
consacrés aux collectivi­
tés territoriales dans
cette mandature, la loi
« 3DS » – pour différenciation,
décentralisation, déconcentra­
tion et simplification – se définit
d’abord et avant tout par ce qu’elle
ne contient pas. Ni un « grand soir
de la décentralisation » ni un « big
bang territorial », ce projet de loi
qui continue de cheminer sous
les radars médiatiques, malgré
ses quelque 3 400 amendements
en cours d’examen à l’Assemblée
nationale et ses 250 articles atten­
dus à la fin de la navette parle­
mentaire, n’en est pas moins poli­
tiquement chargé de sens.
Sept mois après sa présentation
en conseil des ministres et quatre
mois et demi après son adoption
en première lecture au Sénat,
l’Assemblée nationale s’est empa­
rée depuis lundi 6 décembre de
ce dernier texte fleuve du quin­
quennat. « Simplifier l’action pu­
blique, lever les freins inutiles et fa­
ciliter le quotidien des maires et
des élus », c’est la promesse portée
dans ces nouvelles dispositions,
selon la ministre de la cohésion
des territoires, Jacqueline Gou­
rault, en préambule des débats au
Palais­Bourbon.
Gestion de l’eau par les inter­
communalités, redéfinition du
statut de la métropole d’Aix­Mar­
seille­Provence, prolongation de
la loi SRU sur le logement social,
gouvernance des agences régio­
nales de santé, aménagement
et gestion des routes nationales
non concédées, droit funéraire,
implantation des éoliennes et des
radars… A l’Assemblée, les opposi­
tions n’ont pas hésité à dénoncer
une fois de plus un projet de loi
« voiture­balai, fourre­tout, très
technique » qui ne correspondrait
qu’a minima aux attentes réelles
des collectivités territoriales en
matière de décentralisation et de
libertés accordées aux élus
locaux. « Vous récidivez. Une fois
encore, vous commettez un texte
brouillon, difficilement lisible,
composé de 200 articles, dont
certains modifient des lois qui ont
moins de quatre mois, comme la
loi climat et résilience », s’est
insurgée la présidente du groupe
La France insoumise, Mathilde
Panot, en défendant une énième
motion de rejet préalable.
« C’est une succession de mesures
qui ne sont pas d’ampleur révolu­
tionnaire, mais il s’agit de résoudre
des difficultés qui sont là depuis
longtemps et qui sont importantes
« La majorité
préfère
s’enferrer dans
la complexité
plutôt que de
prendre à bras-le-
corps les sujets
territoriaux »
MATHIEU DARNAUD
sénateur (Les Républicains)
de l’Ardèche
pour les élus et pour nous­mê­
mes », tempère la corapporteuse
du texte à l’Assemblée nationale,
Elodie Jacquier­Laforge (MoDem,
Isère). D’abord une réponse à la
crise des « gilets jaunes » après le
grand débat national au prin­
temps 2019 durant lequel Emma­
nuel Macron avait annoncé en
grande pompe sa volonté d’éta­
blir « une nouvelle démocratie,
une nouvelle organisation décen­
tralisée et une nouvelle adminis­
tration », le projet de loi « 3DS » est
avant tout destiné à satisfaire les
élus locaux, après deux ans de
concertation menée notamment
par Mme Gourault. « On n’a pas
touché aux équilibres de compé­
tences entre les différents territoi­
res parce que c’est aussi une
demande des élus locaux trauma­
tisés par les lois NOTRe et Maptam
[deux lois de 2014 et 2015 sur les
compétences des collectivités
locales] qu’il faut encore digérer et
corriger » explique le député La
République en marche (LRM) de
l’Eure Bruno Questel également
corapporteur de la majorité.
« Notre texte est démonté »
Les sénateurs ont bien reçu le
message. Au sein de la « Chambre
des territoires », le texte a quasi­
ment triplé de volume lors de son
examen en juillet, passant de 84 à
220 articles, signe de l’engoue­
ment pour ce véhicule législatif
malgré « une ambition réforma­
trice amoindrie » du millefeuille
territorial, selon les sénateurs.
Fait notable, Mme Gourault a sa­
lué l’« esprit de rigueur et de
responsabilité » du Sénat, installé
« dans un dialogue constructif
avec le gouvernement ».
A mi­parcours du débat qui doit
prendre fin le 17 décembre dans
l’hémicycle de l’Assemblée natio­
nale, avant le vote solennel du
texte par les députés le 4 janvier,
les sénateurs observent, « circons­
pects », les modifications appor­
tées par leurs collègues du Palais­
Bourbon depuis l’examen en
commission des lois. « Notre texte
est démonté », s’agace la sénatrice
centriste d’Ille­et­Vilaine Fran­
çoise Gatel, corapporteuse du
projet de loi, en dénonçant la
suppression d’une soixantaine
d’articles de fond intégrés par le
Sénat en première lecture.
Les sénateurs regrettent notam­
ment que les mesures de différen­
ciation, y compris au sein des
intercommunalités, et notam­
ment la possibilité de déléguer
des compétences de collectivités
à collectivités, aient été « ba­
layées ». « Nous regrettons ces
suppressions qui ont été faites sur
des articles qui renvoyaient aux
50 propositions du Sénat sur la loi
“3DS” », soutient le sénateur
Mathieu Darnaud (Les Républi­
cains, Ardèche). En témoigne le
débat houleux, mercredi 8 dé­
cembre, sur le transfert des
compétences sur la gestion de
l’eau et de l’assainissement
vers les intercommunalités. Le
Sénat souhaitait laisser le choix
aux « intercos » d’acquérir cette
compétence, tout comme les
oppositions à l’Assemblée, au
nom de la liberté des communes.
Dette de Corsica Ferries : l’Etat
octroie 50 millions à la Corse
La mesure a été votée dans le projet de loi de finances 2022
ajaccio ­ correspondant
L e gouvernement a éteint en
partie l’incendie que le
dossier maritime avait
embrasé depuis quatorze ans en
Corse. Le ministre des comptes
publics, Olivier Dussopt, a
défendu à l’Assemblée nationale,
vendredi 10 décembre, un amen­
dement, adopté, octroyant
50 millions d’euros à la Collecti­
vité de Corse (CDC). La somme
transitera via le plan de transfor­
mation et d’investissement pour
la Corse, mais sera entre les mains
du président de l’exécutif corse et
non du préfet.
Cette mesure soldant un passif
ancien intervient en première lec­
ture du projet de loi de finances
2022 pour contribuer à payer
l’amende de 86 millions d’euros
(94 millions avec les intérêts) que
doit payer la Collectivité de Corse
à la compagnie maritime Corsica
Ferries pour le versement d’aides
illégales entre 2007 et 2013 à feu la
Société nationale maritime Corse­
Méditerranée (SNCM). Cette déci­
sion avait été figée par le Conseil
d’Etat en septembre, après deux
condamnations par la juridiction
administrative. Par la voix du mi­
nistre des comptes publics, le gou­
vernement a indiqué sa volonté
d’aider la CDC à faire face aux con­
séquences du contentieux sans
graver dans le marbre la responsa­
bilité de l’Etat dans ce dossier.
Le président de l’exécutif de
Corse, l’autonomiste Gilles Si­
meoni, avait refusé à l’automne
d’inscrire au budget supplémen­
taire de la collectivité insulaire le
montant de la dette, estimant que
celle­ci n’est pas « celle de la Corse,
mais de l’Etat qui avait obligé alors
la Collectivité territoriale de Corse à
maintenir le service complémen­
taire pour défendre les intérêts de la
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Le grief est constant entre les
deux Chambres : l’accusation en
règle de détricotage des mesures
votées au Sénat par l’Assemblée
nationale, et vice­versa. Mais
cette fois­ci, les sénateurs ont l’air
surpris par la démarche de
leurs homologues de l’Assemblée
nationale. « La majorité préfère
s’enferrer dans la complexité
plutôt que de prendre à bras­le­
corps les sujets territoriaux »,
ajoute M. Darnaud.
Rapport de force
Une alerte lancée plus tôt par le
président Les Républicains du
Sénat, Gérard Larcher, à la sortie
du texte en commission des lois
de l’Assemblée nationale. Il a
exprimé « de réelles inquiétudes »
lors d’un discours au 90e congrès
de l’Assemblée des départements
de France à Bourg­en­Bresse, le
2 décembre. M. Larcher a cité quel­
ques points d’achoppement,
comme « le transfert de la méde­
cine scolaire » aux collectivités ou
la « question de l’autorité véritable
et pas seulement fonctionnelle des
présidents de département sur les
gestionnaires des collèges ». « Sur
tous ces points, je vous le dis, nous
ne pourrons accepter un tel recul »,
a­t­il averti.
Le Sénat attend désormais « des
gages très forts ». « Il faut que dès
cette semaine des signaux soient
envoyés par l’Assemblée et le
gouvernement sur ce qu’il est
possible d’envisager, sinon on ne
peut pas entrevoir une commis­
sion mixte paritaire [CMP] posi­
tive », prévient M. Darnaud. Les
SNCM, dont il était actionnaire, et
ceux du port de Marseille ». M. Si­
meoni revient de Paris avec une
victoire, d’autant qu’il avait
engagé un bras de fer avec le préfet
de Corse, Pascal Lelarge, qui lui a
adressé vendredi 10 décembre
une mise en demeure pour lui si­
gnifier le paiement. Cet acte admi­
nistratif indique que la somme de­
vra être réglée dans les deux mois
à la compagnie des bateaux jau­
nes. La CDC avait déjà provisionné
un peu moins de 20 millions
d’euros. Pour le reliquat, l’amende­
ment gouvernemental prévoit un
étalement de charge sur plusieurs
exercices budgétaires et rend
possible le recourt à l’emprunt.
« Un dialogue fructueux »
Cette manne de 50 millions
d’euros, qui correspond à 60 % du
montant de l’amende, est une
reconnaissance implicite de la
responsabilité de l’Etat dans la
gestion de ce dossier. La doctrine
gouvernementale était de ne pas
grever les finances de la CDC puis­
que la somme représentait un peu
moins du tiers de son budget d’in­
vestissement. Les négociations
entre M. Simeoni, le cabinet de la
ministre Jacqueline Gourault, Ma­
tignon et l’Elysée s’étaient ouver­
tes depuis le mois d’octobre. Alors
que le préfet de Corse dénonçait
Cette manne
est une
reconnaissance
implicite de
la responsabilité
de l’Etat dans
la gestion de
ce dossier
0123
relations ont beau être cordiales
entre les rapporteurs respectifs
des deux Chambres, les négocia­
tions autour du projet de loi en
CMP courant janvier s’annon­
cent ardues.
« On a quand même gardé une
grande partie du travail qui avait
été fourni par les sénateurs, défend
Mme Jacquier­Laforge. En com­
mission, on a voté 48 articles
conformes et on en a modifié plus
d’une centaine. » Une absence de
consensus à l’issue de la CMP
rendrait impossible l’adoption du
projet de loi « 3DS » avant la fin de
la session parlementaire, en
février. « C’est comme si on ne par­
lait pas la même langue, tranche
Mme Gatel. S’il n’y a pas de CMP
positive, ce ne sera pas une position
de principe du Sénat, car on aura
tout fait pour que ça marche. »
A quatre mois de l’élection pré­
sidentielle, la majorité voit venir
dans un désaccord avec le Sénat
un rapport de force bien éprouvé
au fil des navettes parlementaires
depuis 2017. « Les sénateurs consi­
dèrent, pour un certain nombre
d’entre eux, que les députés LRM ne
connaissent pas les réalités du
terrain local, c’est leur postulat
mais c’est aussi une posture politi­
cienne », conteste Bruno Questel,
qui souhaite, en CMP, remettre
sur le métier certains débats,
comme le droit de veto des
maires pour l’implantation des
éoliennes dans leurs communes.
L’occasion, peut­être, d’atténuer
le décalage entre le libellé de la loi
et son contenu. 
mariama darame
dans la presse locale « les palabres
et les gesticulations », Gilles Si­
meoni négociait depuis des mois
pour évacuer ce sujet qui polluait
la relation entre la Corse et Paris
en martelant publiquement que
la Corse ne devrait pas payer.
Sur son aile législative, son bi­
nôme, le député (Femu a Corsica)
de Haute­Corse Jean­Félix Acqua­
viva, a mobilisé un intense lob­
bying à Paris. Deux autres députés
d’origine corse, Bruno Questel (La
République en marche, Eure), et
François Pupponi (MoDem,
Val­d’Oise), ont plaidé la cause in­
sulaire. « Le gouvernement disait
regarder ce dossier avec bien­
veillance même si les choses se sont
débloquées il y a peu, a déclaré le
député François Pupponi. Il y a eu
un dialogue fructueux et l’on peut
espérer qu’il se poursuive. »
La Commission européenne a
ouvert une enquête approfondie
le 28 février 2020 en vue de déter­
miner si les contrats de délégation
de service public corse sont con­
formes au droit européen. Cette
procédure de révision pourrait
conduire au remboursement de
250 millions d’euros d’aides ver­
sées par la CDC et à la suppression
du système. A l’heure où la France
présidera l’Union européenne, le
gouvernement prévoit d’aller plai­
der à Bruxelles la défense et l’illus­
tration de la délégation de service
public maritime main dans la
main avec la CDC. L’exécutif désire
une réponse globale sur la ques­
tion corse, qui est suivie de près
par Emmanuel Macron, revenant
après cinq ans de rendez­vous
manqués dans l’île sur la nécessité
d’un retour aux territoires. « Il faut
solder le passif mais préparer le pré­
sent et l’avenir », a indiqué Gilles Si­
meoni, qui plaide pour « une solu­
tion allant vers l’autonomie ». 
paul ortoli
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
#balancetonbar ou le viol sous GHB
Plusieurs enquêtes ont été ouvertes en France, dont une à Paris, regroupant onze plaintes
U
n verre pris dans un
bar ou une boîte de
nuit, et puis plus rien.
Plus de souvenirs,
juste l’impression floue, le lende­
main, qu’il s’est passé quelque
chose. Un viol. Marie a eu de la
« chance ». Ce soir du 30 octobre,
au O’Sullivans, un bar du quartier
Pigalle à Paris, elle « s’est écroulée
au sol après avoir bu son verre »,
raconte l’amie qui l’accompa­
gnait. La jeune femme d’une ving­
taine d’années pense avoir été
droguée à son insu, ce que confir­
meront les analyses réalisées
quelques heures plus tard à l’hô­
pital : intoxication au GHB, la
drogue dite du violeur.
Le cas de Marie est loin d’être
isolé. Depuis la rentrée, les collec­
tifs féministes reçoivent de nom­
breux récits de ce type. Tous décri­
vent un scénario immuable. Une
sortie entre amies. Un verre ou
deux. Des bouffées de chaleur, des
vertiges, l’envie de vomir. Puis le
trou noir. Un réveil chez soi ou
chez un inconnu. Et ce sentiment
de honte mêlé de culpabilité.
Sur les réseaux sociaux, le mou­
vement #balancetonbar, lancé en
Belgique début novembre, a
rayonné à travers de nombreux
pays (#denunciatubar en Espa­
gne et en Colombie ou encore
#calloutyourbar au Royaume­
Uni). « Il n’y a pas un seul endroit
où les femmes sont en sécurité,
soutient Dounia Salimi, 26 ans,
cocréatrice des premières pages
Instagram en Belgique et en
France. Ma cousine a été droguée
dans un bar en Espagne, moi c’était
par un copain de promo à Paris,
mon amie à l’origine du mouve­
ment en Belgique soupçonne un
gérant de bar bruxellois. »
En France, des comptes Insta­
gram ont été lancés à Paris, Lille,
Toulouse, Nantes, Montpellier,
Grenoble, où affluent les témoi­
gnages sur des cas d’intoxication
et de violences sexuelles subies
dans des bars. Cette libération
de la parole a donné lieu à de
nouveaux mots­clés, comme
#metooghb et #doublepeineghb,
reprenant le nom de l’une des
substances les plus utilisées.
Plaintes dans plusieurs villes
Le 8 novembre, le parquet de Paris
a ouvert une enquête pour « ad­
ministration de substances nuisi­
bles », regroupant actuellement
onze plaintes, dont celle de Marie.
L’enquête, confiée au commissa­
riat du 18e arrondissement,
concerne des faits survenus « cou­
rant octobre, début novembre »,
dans des établissements de
Pigalle, rapporte au Monde le
parquet de Paris.
« Pour l’enquête, des analyses
toxicologiques sont en cours ou
vont être faites prochainement »,
précise encore le parquet.
Ces analyses, réalisées sur les
cheveux des plaignantes, doivent
être effectuées un mois après les
faits, pour des résultats rendus
deux mois après le prélèvement –
le GHB a une durée de vie courte,
il reste entre six et huit heures
dans le sang et dix à quinze heu­
res dans l’urine. Selon la loi contre
les violences sexuelles et sexistes,
votée en 2018, l’usage de drogue
lors d’un viol ou d’une agression
sexuelle constitue une circons­
tance aggravante. Par ailleurs,
administrer une substance nui­
sible à une personne dans le but
de l’agresser sexuellement est
en soi un délit, puni jusqu’à sept
années d’emprisonnement et
100 000 euros d’amende.
Dans d’autres villes, plusieurs
femmes ont également porté
plainte ces dernières semaines.
Les parquets de Tours, Grenoble
et Nancy ont ouvert des enquêtes
pour « administration de subs­
tances nuisibles ». A Strasbourg,
plusieurs collectifs féministes
travaillent de concert « afin de
monter un dossier de plaintes
au procureur », rapporte Aliénor
« Les femmes
n’identifient
pas à quel
moment elles ont
pu être droguées
et encore moins
par qui »
DOUNIA SALIMI
cocréatrice des pages
Instagram #balancetonbar
Fendeleur, vice­présidente de
Mad’EMoiselle, une association
de sensibilisation et de lutte
contre le harcèlement sexiste
dans les espaces publics.
Marie ne connaît pas l’identité
de son agresseur. « C’est quelque
chose qui revient systémati­
quement : les femmes n’identifient
pas à quel moment elles ont pu
être droguées et encore moins
par qui », explique Dounia Salimi,
précisant que plusieurs femmes
soupçonnent des serveurs d’avoir
eux­mêmes versé des substances
dans leur verre. « Ce que ces témoi­
gnages nous enseignent, c’est que
même une personne qui garde son
verre toute la soirée peut se faire
droguer », insiste Marylie Breuil,
militante au sein du collectif
#NousToutes.
« Incolore et inodore »
Le GHB, accessible en quelques
clics sur le dark Net, n’est pas la
seule drogue utilisée par les
agresseurs. Antihistaminiques,
somnifères, anxiolytiques consti­
tuent autant de psychoactifs dé­
tournés de leur usage. « Ces hom­
mes ont surtout recours au GBL,
une substance qui se transforme
en GHB une fois métabolisée par le
corps, mais qui n’est pas classifiée
parmi les stupéfiants », rapporte
Jean­Michel Delile, psychiatre,
addictologue et directeur du
comité d’étude et d’information
sur la drogue et les addictions à
Bordeaux. Seules les entreprises
sont autorisées à acheter ce pro­
duit, utilisé pour nettoyer les jan­
tes des voitures. « De nombreux
particuliers se procurent du GBL
sur des sites étrangers, moyennant
une cinquantaine d’euros le demi­
litre », rapporte M. Delile, égale­
ment président de la Fédération
addiction, selon qui cette drogue
reste privilégiée. « Contrairement
à d’autres psychoactifs, le GHB
agit très vite, il est liquide, incolore
et inodore », détaille­t­il.
Les milliers de récits livrés sur
les réseaux sociaux décrivent des
effets typiques de cette subs­
tance : « Mon corps était comme
une guimauve », « je n’arrivais pas
à parler », « j’avais la sensation
d’étouffer », « je voulais prendre
l’air », « je sentais de façon loin­
taine les mains sur moi », « ma cu­
lotte était trempée ». A ces sensa­
tions corporelles s’ajoute souvent
un sentiment d’« euphorie » ou
encore d’« inquiétude joyeuse ».
C’est au cours de ces moments
de vulnérabilité, dont les victimes
n’ont aucun souvenir, que les
agresseurs interviennent, « en se
positionnant comme des sau­
veurs », constate Dounia Salimi.
Si, dans la majorité des témoigna­
ges reçus, des amis ont été
présents pour ramener la victime
à bon port, l’autre moitié confie
des faits d’agressions sexuelles.
Comment savoir que l’on a été
agressé si l’on ne se souvient de
rien ? « Certaines retrouvent des
capotes près de leur lit au réveil.
D’autres ont du sperme dans le
fond de la culotte ou le sentent
dans leur bouche. L’une reconnais­
sait le parfum d’un homme sur
tous ses vêtements. Beaucoup
décrivent les bleus au niveau de
l’entrejambe et des fesses », énu­
mère Dounia Salimi, selon qui les
plus « chanceuses » ont quelques
« flash­back ». Pour celles qui s’en
souviennent, leur agression a
souvent lieu dans les toilettes du
bar, dans une ruelle peu fréquen­
tée ou dans un lit inconnu.
S’ensuivent plusieurs jours
d’éprouvants effets secondaires :
vomissements, extrême fatigue,
troubles digestifs, insomnie. « Le
plus violent avec cette drogue, c’est
d’être dans le flou, de ne pas se
souvenir de son agression »,
commente Louise, 22 ans, qui a
porté plainte après une soirée
dans un club parisien. « C’est un
vrai état de choc post­traumati­
que », insiste Eina (le prénom a été
changé), 38 ans, du collectif fémi­
niste Héroïnes 95, qui a lancé un
appel à témoins sur Instagram
pour apporter des éléments
supplémentaires à la plainte
déposée par son amie Marie,
après sa soirée au O’Sullivans.
Une soixantaine de femmes ont
alors dit : « Moi aussi. »
« Pas prioritaire »
Johanna était au O’Sullivans une
semaine avant Marie. Elle aussi
pense avoir été droguée dans cet
établissement. Elle a choisi de ne
pas porter plainte. « Je sais que je
ne serai pas prise au sérieux », con­
fie Johanna, 28 ans, qui avait pris
de la cocaïne ce soir­là. « Alors que
10 % à 15 % des victimes d’agres­
sions sexuelles ou de viols portent
plainte, ce chiffre baisse quand il
s’agit d’actes commis dans le milieu
de la nuit », souligne Marylie
Breuil, dénonçant « un mécanisme
de culpabilisation des victimes ».
Fin septembre, Lætitia Philip­
pon, la directrice de la police
nationale de Meurthe­et­Moselle
a d’ailleurs été accusée par les as­
sociations féministes d’alimenter
la culture du viol. Mme Philippon a
affirmé, alors qu’elle était invitée
à une discussion sur la sécurité
publique au conseil municipal à
Nancy, n’avoir « jamais vu dans
[sa] carrière une femme victime de
GHB qui buvait de la Badoit ou du
Coca ». « Il ne fallait pas sortir si
Antihistaminiques,
somnifères,
anxiolytiques
constituent autant
de psychoactifs
détournés de
leur usage
tard », « vous n’auriez pas dû boire
de l’alcool », « vous n’avez pas été
agressée », constituent autant de
phrases attribuées aux policiers
par les femmes qui témoignent.
Louise, dont les amies lui ont
rapporté qu’un homme l’avait
contrainte de l’embrasser lors
d’une soirée où elle a vécu un
black­out, raconte s’être fait écon­
duire par un fonctionnaire lors­
qu’elle a souhaité porter plainte le
lendemain. « Il m’a dit que je
n’étais pas prioritaire, car je n’avais
pas été agressée sexuellement. »
C’est finalement par l’inter­
médiaire d’un proche de sa fa­
mille, policier, qu’elle a déposé
plainte pour « violences volontai­
res sur personne vulnérable ».
« Sans son aide, je n’aurais pas eu le
courage de le faire. »
D’une même voix, les associa­
tions déplorent la minimisation
des violences subies, de la part
aussi bien de certains gérants
de bars que de policiers et de
soignants. « La drogue du violeur
circule depuis le début des années
1990, mais les pouvoirs publics
préfèrent miser sur le répressif
plutôt que faire de la prévention »,
commente Marion Delpech,
cofondatrice d’Act Right, associa­
tion développant un label de
qualité qui accompagne les
professionnels de la nuit pour
mettre en place des dispositifs de
prévention, par le biais de forma­
tions, d’ateliers et de création de
« safe zones ».
« Ces derniers mois, nous remar­
quons une augmentation des
signalements réalisés par des
proches de victimes », souligne
M. Delile, évoquant un constat « à
mettre en corrélation avec l’aug­
mentation de l’utilisation du GHB
à des fins récréatives depuis
plusieurs années ». Mais aucune
donnée n’existe pour quantifier
l’ampleur du phénomène. Sollici­
tés, les services du ministère de la
justice et de l’intérieur assurent
ne pas avoir de chiffres précis.
« Concernant les procédures pour
viols ou agressions sexuelles, nous
n’avons pas les détails sur les
circonstances et, concernant les
dossiers pour administration de
substance nuisible, ils revêtent une
dimension bien plus large que
la soumission chimique en milieu
festif », explique au Monde le
ministère de la justice.
Selon l’Agence nationale de
sécurité du médicament, la
Les associations
déplorent la
minimisation des
violences subies,
de la part aussi
bien de certains
gérants de bars
que de policiers
et de soignants
soumission chimique est définie
comme « l’administration à des
fins criminelles (viols, pédophilie)
ou délictuelles (violences volontai­
res, vols) de substances psychoacti­
ves à l’insu de la victime ou sous la
menace ». Ce terme concerne
donc une réalité plus large que
l’administration de substances
dans le but de commettre une
agression sexuelle en soirée.
Dans sa dernière étude, le réseau
français d’addictovigilance recen­
sait 574 cas en 2019, soit 112 de
plus qu’en 2017.
Augmentation des saisies
Les douanes, elles, font état d’une
augmentation exponentielle des
saisies ces dernières années.
D’après les chiffres communi­
qués au Monde par la Direction
nationale du renseignement et
des enquêtes douanières, plus de
9 kg de GHB ont été saisis cette
année, contre 0,53 kg en 2016.
Concernant le GBL, 17,6 kg ont été
interceptés par les douanes
depuis janvier, soit environ
15 000 doses. En 2016, ce chiffre
s’élevait à 1,2 kg. « Les volumes
interceptés ont, par ailleurs, ten­
dance à augmenter », précise un
responsable, selon qui les usagers
commandent « des fioles plus
grandes qu’auparavant », prove­
nant notamment des Pays­Bas ou
de Chine, premier producteur au
monde de produits chimiques.
Pour endiguer le phénomène,
les établissements ont pris des
mesures. Début novembre, alors
que les témoignages se multi­
pliaient, la chaîne O’Sullivans a
mis en place plusieurs dispositifs,
allant de l’affichage de messages
de prévention aux capuchons de
verres en libre­service, en passant
par la formation du personnel.
« La sécurité de nos clients est
notre priorité absolue », affirme le
france | 15
gérant du O’Sullivans de Pigalle,
qui préfère garder l’anonymat. Il
précise avoir embauché une
personne supplémentaire pour
« veiller à la sécurité des clients ».
Cité dans plusieurs plaintes, son
établissement est équipé de 45 ca­
méras, dont les images ont été re­
mises aux enquêteurs, assure­t­il.
Depuis début novembre, plu­
sieurs bars proposent des
protections à poser sur les verres
pour éviter que des drogues n’y
soient versées. L’Union des mé­
tiers et des industries de l’hôtelle­
rie de nuit (UMIH Nuit) comptait
déployer massivement ces pro­
tections dans les discothèques et
bars de nuit. Celles­ci sont
désormais fermées pour quatre
semaines à compter du 10 dé­
cembre pour raison sanitaire.
« Les patrons sont réceptifs au
problème de soumission chimi­
que », assure au Monde Thierry
Fontaine, président de l’UMIH
Nuit. Cette première mesure doit
s’accompagner, à terme, d’une
formation du personnel « pour
repérer les comportements sus­
pects et empêcher les agressions ».
S’il évoque « un nombre impor­
tant de victimes qu’il faut écou­
ter », le président de l’UMIH Nuit
estime que cette libération de la
parole donne aussi lieu à des té­
moignages « de “fausses victimes”
ayant simplement consommé
trop de drogue ou d’alcool dans un
but récréatif ». Selon lui, certains
établissements ont d’ores et déjà
sollicité des cabinets d’avocats
pour se défendre en cas d’accusa­
tions. Une fois encore, les associa­
tions déplorent une minimisa­
tion des faits. Plusieurs collectifs
féministes décrivent même des
pressions émanant directement
de gérants de bars pour retirer les
témoignages mis en ligne sur les
réseaux sociaux.
Pour Domitille Raveau, cofonda­
trice de Consentis. info, qui œuvre
à davantage de prévention et de
sensibilisation sur les violences
sexuelles et sexistes en milieu
festif, « la grande majorité des éta­
blissements a encore beaucoup de
chemin à faire sur ces questions ».
Pour Marylie Breuil, les actions
pour lutter contre ces agressions
doivent surtout se prendre en
amont : « Il faut de vraies politiques
de prévention, dès le plus jeune âge,
pour que cesse cette impunité face
aux viols des femmes. » 
cécile bouanchaud

16 | france
La France ouvre ses archives
judiciaires sur la guerre d’Algérie
L’annonce de la ministre de la culture, Roselyne Bachelot, s’inscrit dans
la politique de réconciliation mémorielle lancée par le chef de l’Etat
O
n ne construit pas un
roman national sur
un mensonge. » La mi­
nistre de la culture, Ro­
selyne Bachelot, a annoncé, ven­
dredi 10 décembre, la prochaine
ouverture des archives sur « les
enquêtes judiciaires » de la guerre
d’Algérie (1954­1962) « avec quinze
ans d’avance », près de soixante
ans après la fin du conflit. Une
déclaration qui intervient deux
jours après la visite à Alger du chef
de la diplomatie française, Jean­
Yves Le Drian, pour tenter de dé­
samorcer une crise d’une rare gra­
vité entre les deux pays, en cours
depuis plusieurs mois.
« C’est la falsification qui amène
toutes les errances, tous les troubles
et toutes les haines. A partir du mo­
ment où les faits sont sur la table,
où ils sont reconnus, où ils sont
analysés, c’est à partir de ce mo­
ment­là qu’on peut construire une
autre histoire, une réconciliation »,
a déclaré la ministre sur BFM­TV.
Interrogée sur les conséquences
de cette décision, notamment sur
la possible confirmation à venir
d’actes de torture commis par
l’armée française en Algérie, « c’est
l’intérêt du pays que de le reconnaî­
tre », a ajouté Mme Bachelot.
Cette annonce s’inscrit dans la
politique de réconciliation mé­
morielle initiée par le chef
de l’Etat, Emmanuel Macron. Le
Au procès du 13­Novembre, le vain
interrogatoire des pères de deux terroristes
Les proches de deux kamikazes du Bataclan se sont succédé à la barre, vendredi
Q ue ce soit clair, vous
n’êtes accusé de rien, on
essaie juste de compren­
dre. » S’il a fallu rappeler
plusieurs fois cette évidence aux
témoins du jour, vendredi 10 dé­
cembre, c’est que ça n’était pas si
clair que ça. Après le frère d’Ab­
delhamid Abaaoud la veille, les
proches de deux kamikazes du
Bataclan se sont succédé à la
barre de la cour d’assises spécia­
lement composée de Paris :
Azdyne et Maya Amimour, père
et sœur de Samy Amimour, puis
Mohamed Mostefaï, père d’Is­
maël Omar Mostefaï.
La position de ces témoins par­
ticuliers est ambiguë : parents
d’un assassin, mais parents d’un
mort ; trop proches des terroris­
tes pour ne pas être suspects,
mais pas assez suspects pour
s’asseoir dans le box des accusés,
où certains, vu la teneur de leurs
questions, les auraient pourtant
bien vus. On se doute qu’ils en sa­
vent beaucoup ; on se doute
qu’ils ne peuvent pas tout dire.
« On essaie juste de compren­
dre », mais que peuvent­ils expli­
quer ? Les proches des victimes,
de nouveau nombreux à l’au­
dience, veulent des réponses. Les
proches des terroristes, qui vou­
draient être ailleurs, n’en ont pas
de satisfaisantes. Les premiers
réclament : dites­nous tout ! Les
seconds répondent : mais
qu’est­ce que vous voulez que je
vous dise ! Résultat : des interro­
gatoires frustrants pour les uns,
inconfortables pour les autres,
stériles pour tout le monde.
L’exercice s’était avéré tout
aussi vain avec la mère de Mo­
hammed et Abdelkader Merah
aux procès de ce dernier en 2017
et 2019, ou avec les épouses de
Saïd et Chérif Kouachi au procès
13 septembre 2018, il reconnais­
sait que la disparition du mathé­
maticien et militant communiste
Maurice Audin, en 1957 à Alger,
était le fait de l’armée française et
promettait à sa famille un large
accès aux archives.
Le 9 mars, poursuivant sa politi­
que de « petits pas », l’Elysée avait
annoncé que le chef de l’Etat avait
« pris la décision de permettre aux
services d’archives de procéder
aux déclassifications des docu­
ments couverts par le secret de
la défense nationale (…) jusqu’aux
dossiers de l’année 1970 in­
cluse ». Une décision qui s’inspi­
rait du rapport Stora sur la ques­
tion mémorielle entre l’Algérie et
la France préconisant une ouver­
ture et un partage des archives co­
loniales sensibles entre Algériens
et Français. Peu avant, Emmanuel
Macron avait reconnu, « au nom
de la France », la torture et l’assas­
sinat de l’avocat et dirigeant
nationaliste Ali Boumendjel par
l’armée française pendant la
guerre d’Algérie en 1957.
Nombreuses zones d’ombre
« A l’égard de l’Algérie, c’est un si­
gnal important que la France en­
voie, bien que cette politique mé­
morielle s’inscrive dans une dé­
marche franco­française d’établis­
sement des faits », a déclaré à l’AFP
le Franco­Algérien Karim Amel­
des attentats de janvier 2015,
en 2020.
On essaie de comprendre,
d’abord, comment Samy Ami­
mour, jeune homme timide, bon
élève, chauffeur de bus à la RATP,
a pu partir décapiter des gens en
Syrie puis revenir en France com­
mettre le massacre du Bataclan.
« Je n’arrive pas à expliquer, ré­
pond Azdyne Amimour, petit
homme dégarni et décontracté
de 74 ans. Cet enfant ne manquait
de rien, il avait tout. Je ne com­
prends pas. »
« Complètement lobotomisé »
Azdyne Amimour travaillait en
Belgique, revenait deux jours par
semaine au domicile familial de
Drancy (Seine­Saint­Denis), et il
avait bien vu son fils, le bac en
poche, se mettre à fréquenter
assidûment la mosquée et porter
le qamis. « Je n’étais pas très
inquiet, je me disais : s’il est sur la
bonne voie avec la religion, pour­
quoi pas. Je préférais ça plutôt que
dealer. » Il l’a aussi vu jeter à la
poubelle les bouteilles d’alcool
de la maison et regarder des
vidéos de Ben Laden, mais ne
s’est pas alarmé. « Je culpabilise
souvent. Est­ce que j’ai failli quel­
que part ? »
C’est ce qu’on pense sur les
bancs des parties civiles, qui le
submergent de questions aux­
quelles il répond sans répondre,
calmement, assis, presque ava­
chi, sur sa chaise : « On a l’im­
pression que vous constatez que
votre fils dérive mais que vous fer­
mez les yeux. » « Est­ce que vous
n’étiez pas dans le déni ? » « Pour­
quoi n’avez­vous pas coupé Inter­
net ? » « Pourquoi n’avez­vous pas
appelé le numéro vert ? » « Pour­
quoi n’avez­vous pas pris conseil
auprès de votre imam ? » « Si
Le rapport Stora
préconisait
une ouverture
et un partage des
archives coloniales
sensibles
entre Algériens
et Français
lal, délégué interministériel à la
Méditerranée. « Il y a une de­
mande très forte des historiens
s’agissant de la déclassification
des documents couverts par le se­
cret­défense. Et l’idée fondamen­
tale est de leur donner la possibi­
lité de faire leur travail », a ajouté
ce membre de la commission
« Mémoire et vérité » présidée par
l’historien Benjamin Stora.
Même requête, restée sans ré­
ponse, du côté des historiens al­
gériens qui en avril ont appelé
dans une lettre le chef d’Etat algé­
rien à ouvrir les archives nationa­
les sur cette période.
Cette déclaration de la ministre
de la culture permettra­t­elle
d’apaiser les relations entre Paris
et Alger ? En octobre, Emmanuel
Macron avait notamment déclen­
ché l’ire d’Alger en accusant, se­
lon des propos rapportés par
c’était à refaire, qu’est­ce que vous
changeriez ? » « L’idée n’est pas de
vous reprocher ce que vous avez
manqué dans l’éducation de votre
fils, mais de comprendre le phéno­
mène djihadiste », doit rappeler
un avocat de la partie civile.
Les questions partent dans
tous les sens, avant de tourner
– en rond – autour d’un voyage
supposé d’Azdyne Amimour en
Syrie à l’été 2014, à la recherche
de son fils parti là­bas un an plus
tôt, et qu’il aurait retrouvé « com­
plètement lobotomisé ». Certains
doutent de la réalité de ce
voyage héroïque mais inutile ;
d’autres pensent au contraire
qu’il est resté plus longtemps
qu’il ne le dit en Syrie, et le soup­
çonnent d’intentions inavoua­
bles ; personne ne comprend
qu’il n’ait pas prévenu la police
du départ de son fils : « Je me di­
sais : maintenant qu’il est là­bas,
qu’est­ce qu’ils vont faire ? Ça ne
m’a jamais effleuré l’esprit qu’il
pourrait revenir. »
« J’ai honte »
Azdyne Amimour n’est pas d’une
grande clarté dans ses réponses,
ses souvenirs s’emmêlent, les
débats s’enlisent, les parties civi­
les soupirent, le président s’aga­
ce des questions redondantes, et
met fin à trois heures d’in­
terrogatoire, au bout desquelles
le témoin se dirige vers Georges
Salines, père de Lola, victime du
Bataclan. Ensemble, les deux
hommes ont écrit un ouvrage : Il
nous reste les mots (Robert Laf­
font, 2020).
Mohamed Mostefaï, lui, n’a pas
écrit de livre avec le père d’une vic­
time. Il est une sorte de négatif
d’Azdyne Amimour, avec sa
grande silhouette qui reste de­
bout à la barre, son air sévère, sa
Le Monde, le système « politico­
militaire » algérien d’entretenir
une « rente mémorielle » autour
de la guerre d’indépendance et de
la France. L’Algérie avait alors rap­
pelé son ambassadeur à Paris et
interdit le survol de son territoire
aux avions militaires français ral­
liant le Sahel.
Si l’histoire de la guerre d’Algérie
est en grande partie connue, il
reste beaucoup de zones d’ombre.
« Des dizaines de milliers de person­
nes ont disparu durant la guerre
d’Algérie. De nombreuses familles
ne savent pas dans quelles condi­
tions leur proche a été exécuté
ou enterré », explique à Ouest­
France Pierre Mansat, président de
l’association Josette et Maurice
Audin, qui milite pour la recon­
naissance des crimes coloniaux.
Linda Amiri, maîtresse de con­
férences en histoire contempo­
raine à l’université de Guyane,
assure, toujours auprès du quo­
tidien régional, qu’il y a égale­
ment beaucoup à apprendre sur
« “les ratonnades” en Algérie qui
furent nombreuses » mais aussi
« les lieux d’enfermement divers
et variés, officieux et officiels » et
sur « la “Main rouge” », une orga­
nisation française secrète qui a
commis des attentats en Europe
et en Afrique du Nord dans les
années 1950. 
service société (avec afp)
longue barbe qui dépasse sous
son masque, et sa pratique d’un is­
lam rigoriste. Ses réponses som­
maires et sa mauvaise foi, combi­
nées à l’heure tardive de son pas­
sage, découragent tout le monde.
Son interrogatoire est expédié
en une grosse demi­heure, le
temps d’expliquer que son fils,
Ismaël Omar Mostefaï, qui tra­
vaillait comme boulanger, était
« un garçon charmant », qu’il « ne
[sait] pas ce qui lui a pris », que
lui­même n’a « rien vu », et que
« [s’il avait] vu, [il l’aurait] empê­
ché ». Avant de quitter la barre, il
tient à dire quelques mots :
« Franchement, je suis désolé et je
suis touché, parce que c’est un
acte barbare. Je demande pardon
aux victimes qui ont perdu leurs
proches. » C’est dit sans la moin­
dre émotion.
Un peu plus tôt, Maya Ami­
mour, 28 ans, sans éclairer la
cour sur le cheminement vers le
djihad de son grand frère, avait,
elle, eu des larmes qui sem­
blaient sincères : « Comment il a
pu faire ça ? Comment il a pu salir
notre nom ? Six ans après, je lui en
veux toujours, je me sens encore
honteuse d’avoir le même nom
que lui. J’ai honte vis­à­vis des vic­
times. Dire que je suis désolée est
un euphémisme. Il n’y a pas de
mots assez forts pour décrire ça. »
Alors qu’une avocate interro­
geait Maya Amimour sur l’éduca­
tion dispensée par sa mère, Mo­
hamed Abrini a bondi dans le
box des accusés, et hurlé : « Ces
gens­là, ils sont innocents, ils n’ont
pas à s’excuser ! Ils n’ont pas à avoir
honte de leur nom ! Vous accusez
des témoins ! » Peut­être pensait­il
déjà, en hurlant, à l’audience du
4 janvier 2022 : sa propre mère
sera entendue ce jour­là. 
henri seckel
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Perpétuité pour
les meurtriers de Rudy,
petite main de la drogue
L’adolescent de 15 ans avait été exécuté
au fusil de chasse, à Marseille, en 2016
marseille ­ correspondant
L’ image de Rudy, un adoles­
cent de 15 ans, à genoux
sur un sentier, les poi­
gnets ligotés, face au canon d’un
fusil de chasse, le bruit de deux
tirs (l’un dans le thorax, mortel
sur le coup, l’autre emportant la
boîte crânienne), avant que son
corps soit incendié, ont hanté la
cour d’assises des Bouches­du­
Rhône, à Aix­en­Provence, durant
une semaine. En dépit de leurs
protestations d’innocence, deux
membres du narcobanditisme
marseillais, Khadim Thiam,
28 ans, et Samir Zerouali, 26 ans,
ont été condamnés, vendredi
10 décembre, à la réclusion crimi­
nelle à perpétuité avec une me­
sure de sûreté de vingt­deux ans.
Dans l’histoire du narcobandi­
tisme marseillais et de sa cohorte
de règlements de compte sur fond
de guerre des territoires de la dro­
gue, « c’est la première fois où l’on
s’en prend directement de cette fa­
çon­là à un mineur », a observé
l’avocat général Christophe Raffin,
qui avait requis ces condamna­
tions. D’autres adolescents sont
morts sur des points de revente de
drogue, mais lors de fusillades.
Le procès de cette exécution de
novembre 2016 a été marqué par
la volonté des amis de Rudy de ne
pas laisser cet assassinat impuni.
Rudy mais aussi Walid, Hicham,
Rayan et Nathan formaient une
inséparable bande de copains de
la Belle­de­Mai, un quartier popu­
laire de Marseille. Ils se connais­
saient depuis la maternelle, ne se
quittaient jamais, pour jouer au
foot mais aussi sécher le collège et
aller gagner de l’argent en faisant
le guetteur ou le charbonneur
(vendeur) dans la cité Jean­Jaurès.
L’un d’eux avait débuté à l’âge de
11 ans comme « petit chouf ». Ils en
parlent sans détour sur les écrans
de la cour d’assises, alors qu’ils
sont entendus en visioconfé­
rence, la plupart étant détenus.
« Tu me fais pas peur »
Le 17 novembre 2016, à minuit, à
l’heure de la fermeture du plan
stups, Nourdine, qui avait « char­
bonné » toute la soirée avec Rudy,
avait, une fois leur paie perçue, vu
son ami s’éloigner avec Khadim
Thiam, alias « Jimmy », et Samir
Zerouali, qui conteste son surnom
de « ZZ » mais pas sa réputation de
voleur de sacoches de charbon­
neurs. Face aux jurés, Nourdine
explique qu’il a entendu Jimmy
dire à ZZ, désignant Rudy : « C’est
lui. » Et puis, plus de nouvelles. Le
Le procès de
cette exécution
a été marqué par
la volonté
des amis de Rudy
de ne pas laisser
cet assassinat
impuni
J USTIC E
Un élu breton mis en
examen pour viol
L’ancien maire UDI de Paim­
pol (Côtes­d’Armor) et élu
d’opposition Jean­Yves de
Chaisemartin a été mis en
examen et placé « sous con­
trôle judiciaire strict » pour
« viol aggravé », vendredi. Les
gendarmes sont saisis d’une
« enquête du chef de viol avec
administration d’une subs­
tance à la victime, à son insu,
pour altérer son discernement
0123
téléphone de l’adolescent ne ré­
pond plus. Dans la bande, l’inquié­
tude grandit. « Rudy, soit il était
avec nous, soit chez ses parents, ja­
mais tout seul », affirme Nathan,
14 ans à l’époque, actuellement in­
carcéré pour proxénétisme.
Du lendemain de la disparition
de son ami jusqu’à sa déposition,
jeudi, devant la cour d’assises,
Nourdine n’a jamais varié d’un
iota, accusant Khadim Thiam et
Samir Zerouali, les derniers avec
lesquels Rudy a été vu vivant.
« Malgré les risques », a noté le di­
recteur d’enquête, Nourdine a
brisé l’omerta. « Il s’est mis une ci­
ble dans le dos », estime même
l’avocat général, qui salue le cou­
rage de cet intérimaire âgé
aujourd’hui de 22 ans, « le seul à se
comporter en héros, simplement
en homme ». « C’est bien eux qui
ont tué un gamin de 15 ans, je veux
juste qu’ils assument », martèle
Nourdine à la barre des témoins,
sans trembler. Il apostrophe
même les accusés un à un : « Tu
me fais pas peur ! J’avais 17 ans, on
était innocents, des enfants. »
Ce qui fait rager Nourdine, c’est
que tous les acteurs du plan stups
ce soir­là ont vu ZZ, ce « fou » que
tout le monde connaissait pour
« planter des gens », mettre sa
main sur l’épaule de Rudy. « Ils
savaient tous ce qui allait se pas­
ser », affirme le témoin. Tous
avaient eu vent de la rumeur, to­
talement infondée, selon laquelle
Rudy aurait donné aux tueurs le
top départ sur un précédent rè­
glement de comptes, commis un
mois plus tôt sur le parking d’un
KFC, un double assassinat lié aux
rivalités entre les points de vente
de stupéfiants. Rudy et son ami
Hicham ne faisaient que passer
par là. Dans la voiture, l’une des
deux victimes était le « cousin »
de Khadim Thiam, fournissant à
celui­ci le mobile de la vengeance,
selon l’accusation.
Comme les magistrats depuis
l’arrestation des deux accusés en
mai 2018, les jurés ont fait reposer
leur verdict sur le seul témoignage
de Nourdine. Une base qu’ont
tenté de saper les avocats de la dé­
fense. « Ce dossier est plein de dou­
tes, on n’a pas d’éléments, pas de
certitudes. Qui a conduit Rudy ? Qui
l’a tué ? Qui a mis le feu ? », s’est in­
surgé Me Roch Lusinchi. « On ne
peut pas tout faire reposer sur un
seul témoin qui s’égare et donne le
la à tous les autres », a renchéri
Me Philippe Jacquemin.
« Ne me jugez pas par rapport à
ma réputation », a lancé Samir Ze­
rouali, n’ignorant pas combien
leur passé, leur ancrage dans la
violence et le narcobanditisme,
risquaient de peser lourd. Dix­sept
condamnations pour Khadim
Thiam, un total de trente ans de
prison récolté depuis 2019 pour
trafic de stupéfiants, violences, as­
sociation de malfaiteurs pour Sa­
mir Zerouali. « Une peine de plus
ou de moins, s’est­il défendu. Si
c’était moi, je le dirais, mais je ne
peux pas avouer pour faire plaisir. »
Tous les deux vont faire appel. 
luc leroux
ou le contrôle de ses actes »,
a indiqué le procureur de la
République de Saint­Brieuc,
Nicolas Heitz. – (AFP.)
Deux nouvelles plaintes
visant PPDA
Patrick Poivre d’Arvor est visé
par deux nouvelles plaintes,
pour viol et pour agression
sexuelle, a indiqué à l’AFP,
vendredi, l’avocate des deux
plaignantes Me Laure Hei­
nich. Les plaintes dénoncent
des faits prescrits. – (AFP.)
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021 sports | 17

Après les JO, les sports collectifs en mal de lumière

Le partenariat que vient de conclure la Ligue nationale de basket avec BeIN Sports suscite l’espoir

U
n rayon de lumière
dans un ciel encom­
bré. En annonçant,
vendredi 10 décem­
bre, la diffusion sur la chaîne de
télévision BeIN Sports, à compter
de la fin du mois, d’une rencontre
du championnat de France mas­
culin par semaine – ainsi que la
plupart des matchs des phases fi­
nales (playoffs) et tous les matchs
des finales –, la Ligue nationale de
basket (LNB) voit plusieurs mois
d’écran noir prendre fin.
Privé de diffuseur depuis le dé­
but de la saison, le basket français
souffrait d’un manque de visibi­
lité, que les sports de salle tricolo­
res, dans leur ensemble, connais­
sent trop bien. Rentré des Jeux
olympiques de Tokyo, cet été, lesté
d’une myriade de médailles, le
« BHV » français (pour basket, han­
dball, volley) a retrouvé un quoti­
dien beaucoup moins clinquant.
Au niveau de la pratique, les
trois disciplines peuvent se félici­
ter d’une recrudescence de nou­
veaux licenciés en amateur. Mais
les clubs professionnels, eux, se
trouvent bien en peine de boni­
fier, au niveau de leurs champion­
nats respectifs, la « formidable
campagne de com » – les mots
sont du président de la Fédération
française de handball, Philippe
Bana – qu’ont constitué l’or glané
par le handball (féminin et mas­
culin) et le volley (masculin), ainsi
que l’argent (hommes) et le
bronze (femmes) remportés par
le basket lors de l’été tokyoïte.
Avec le reflux de la pandémie à
la rentrée et la levée des restric­
tions, les spectateurs, pourtant, « Les chaînes de télévision sont fonds qataris diffuse trois affiches clubs pour optimiser le champion­
ont afflué dans les salles pour as­ extrêmement frileuses et considè­
« Les chaînes de de chaque journée de champion­ nat ? », interroge le patron de BeIN
sister aux matchs. « Il y a un indé­ rent que tout ce qui n’est pas foot télévision sont nat (Liqui Moly StarLigue). Sports. Trop souvent, les diffu­
niable effet JO, le public revient », est risqué », assène Yves Bouget, A la différence du basket, ou du seurs sont perçus comme des va­
constate David Tebib, président le président de la Ligue nationale
très frileuses volley – sans diffuseur depuis ches à lait, alors qu’ils doivent être
de l’Association nationale des li­ de volley. « A la télévision, en et considèrent 2019 –, ce partenariat pour le han­ envisagés comme de vrais parte­
gues de sport professionnel et France, il y a des produits dits dball masculin est stable : ce der­ naires. « C’est ce qu’on a réussi à
ex­président de la Ligue nationale “premium”, comme le foot, le
que tout ce qui nier est ainsi couvert depuis 2014 faire avec le handball. »
de handball. rugby, le tennis… et les équipes na­ n’est pas foot par BeIN Sports et, début novem­ Engagé depuis plusieurs années
tionales des sports collectifs », ap­ bre, l’accord a été prolongé jus­ dans un développement ver­
« On devait payer la production » puie Jean­Pierre Siutat, président
est risqué » qu’en 2026. « La première pierre tueux – tourneboulé, il est vrai,
Mais les compétitions du « BHV » de la Fédération française de bas­ YVES BOUGET du développement d’un sport par la pandémie –, le champion­
se déroulent dans un relatif ano­ ket­ball (FFBB), interrogé avant président de la Ligue comme le hand, ou d’autres, peut­ nat de France de basket masculin
nymat au plan national : même si l’annonce de la LNB. nationale de volley être, c’est la diffusion, insiste Flo­ tentait de sortir du cercle vicieux
ces trois sports sont estampillés Yves Bouget, qui a dirigé la Fédé­ rent Houzot, directeur des pro­ d’un manque d’exposition, ris­
« sports qui gagnent », à moins de ration française de volley et le grammes de BeIN Sports. Elle per­ quant, à long terme, de peser sur
trois ans des Jeux olympiques de Tours volley­ball, souligne un ment importants d’une compéti­ met de se structurer, d’aller cher­ les finances des clubs. « Au­delà
Paris, même s’ils sont reconnus autre aspect : « Les coûts induits tion », renchérit Jean­Pierre Siutat. cher des partenariats privés, des de la frustration de se dire “on a
pour leur capacité à façonner de sont de moins en moins supportés. Pour pallier l’absence de diffu­ partenariats locaux et de faire en augmenté la qualité de notre pro­
nouveaux champions à interval­ L’an passé, pour être diffusés sur sion générale – certaines rencon­ sorte que cette compétition puisse duit, mais on n’est pas plus expo­
les réguliers, ils peinent à bénéfi­ Sport en France [la chaîne du Co­ tres sont diffusées par Sport en fonctionner. » sés”, il y a un vrai risque de voir les
cier d’une diffusion télévisée mité national olympique et sportif France, ou localement par les an­ partenaires et les sponsors se dé­
large et régulière – à une excep­ français], on devait payer la pro­ tennes de France 3 –, les différen­ Cercle vicieux tourner » en l’absence d’une ex­
tion près, le handball – qui appor­ duction. » « Les diffuseurs rechi­ tes ligues ont mis en place leur pla­ Encore faut­il trouver chaussure à position médiatique nationale,
terait aux clubs hexagonaux une gnent à acheter des droits et à cou­ te­forme de diffusion gratuite en son pied. « Basket, hand, volley, on alertait encore, il y a peu, Philippe
autre dimension. vrir les frais de production relative­ ligne. Cette solution, sans être la est tous dans la même situation », Ausseur, qui préside la direction
panacée, permet aux fans d’avoir souffle Jean­Pierre Siutat. Et nationale du conseil et du
accès aux rencontres. « Cela peut d’ajouter, fataliste : « Quand on est contrôle de gestion des clubs pro­
Les licenciés affluent être contre­productif, dévaloriser le
produit si ce n’est pas fait propre­
sur une chaîne privée, les gens ne
sont pas contents parce qu’il faut
fessionnels du basket.
Pour le basket, l’annonce du par­
« La médaille d’or olympique a provoqué un vrai engouement ment, et décourager les chaînes », payer pour regarder. Et quand tenariat avec BeIN Sports vient
dans la pratique du volley », constate Yves Bouget, qui préside la avertit cependant un proche de la vous êtes sur une chaîne publique, soulager les clubs et la ligue, sans
Ligue nationale de volley. Par rapport à 2019, dernière saison direction d’un diffuseur français. c’est super, mais les gens ne nous régler tous les problèmes – le
avant la pandémie de Covid-19, la Fédération française de volley Avec une à deux rencontres regardent pas. » Diffusé en clair championnat de France féminin
enregistre une croissance de près de 20 % du nombre de licen- seulement diffusées chaque se­ l’an passé sur la chaîne L’Equipe demeure sans diffuseur. Pour
ciés. Habitué aux honneurs olympiques et au rebond d’inscrits maine, ainsi que les phases finales – une saison chamboulée par le les indissociables disciplines du
au lendemain des Jeux, le handball a reconstitué ses effectifs de la Pro A (Betclic Elite), l’accord Covid­19 –, le basket français n’a « BHV », il y a encore une voie à
prépandémie. « On a repris du poil de la bête, on a récupéré conclu par le basket masculin pas fidélisé son public. trouver afin de disposer d’une vi­
quasiment tous nos licenciés de 2019 », se réjouit, lui aussi, français avec BeIN Sports – qui re­ Pour Florent Houzot, cette si­ sibilité nationale « au jour le jour »
Jean-Pierre Siutat, le président de la Fédération française transmet déjà les ligues américai­ tuation doit mener les différents qui soit plus en phase avec l’expo­
de basket-ball, qui précise : « On était déjà au taquet en 2019, et nes masculine (NBA) et féminine championnats à « réfléchir à leur sition dont elles ont bénéficié du­
nos clubs n’ont plus les moyens d’accueillir, on refuse des gamins. » (WNBA) – se rapproche de celui produit ». « Quelle est la vision ? rant cet été olympique doré. 
Le volley dresse le même constat. « On est loin d’avoir pu absor- qui est déjà en vigueur pour le Quelles actions va­t­on mettre en walid kachour
ber la demande cette année », regrette Yves Bouget. handball masculin : la chaîne aux place, côté diffuseur comme côté et clément martel

Le plan social de la Fédération

française de football annulé
Neuf employées avaient saisi le tribunal administratif de Paris
Quelles études
après un Bac +3/4 ?
A la veille de la tenue, sa­
medi 11 décembre, à Paris,
de l’assemblée fédérale
de la Fédération française de foot­
ball (FFF), les dirigeants de l’ins­
Le mémoire avançait que la FFF « a
manifestement manqué à ses dis­
positions statutaires », dans la me­
sure où « ce n’est qu’après la signa­
ture de l’accord collectif portant sur
Contacté, l’avocat des requéran­
tes, Me Samuel Chevret, n’a pas
souhaité s’exprimer. La FFF indi­
que qu’elle « fera appel de la déci­
sion rendue par le tribunal admi­

LE SALON DES
tance auraient préféré se passer le PSE que le comité exécutif de la nistratif annulant le PSE pour un
d’une telle décision de justice. Se­ FFF a été simplement informé du motif de forme » et rappelle que la
lon une information de L’Equipe, projet en cours ». juridiction « n’a retenu aucun des

confirmée par Le Monde, le tribu­
nal administratif de Paris a an­
nulé, vendredi 10 décembre, la va­
lidation faite par l’administration
du travail du plan social lancé en
mai par la directrice générale de la
FFF, Florence Hardouin.
Ce plan dit de sauvegarde de
l’emploi (PSE) prévoyait la sup­
pression de 18 postes (contre 26
initialement) en raison, préten­
dument, des conséquences écono­
miques du Covid­19. Neuf sala­
riées concernées par cette mesure,
qui a fait l’objet d’un accord majo­
ritaire signé en juillet et qui visait à
réaliser 2 millions d’euros d’écono­
mies, avaient déposé, en septem­
bre, un recours devant le tribunal
administratif de Paris. Après l’an­
nulation du PSE par la justice, les
requérantes peuvent désormais se
tourner vers les prud’hommes
pour être indemnisées.
Dans le mémoire déposé par leur
avocat devant la juridiction pari­
sienne, plusieurs salariées s’esti­
maient victimes de « ciblages et de
discriminations », notamment à la
suite d’une « dénonciation de faits
de harcèlement sexuel ». Le mé­
moire mentionnait aussi des cas
de « discrimination en raison de
l’état de santé et de grossesse »,
ainsi qu’« en raison de l’orientation
sexuelle ». Le document rappelait
que « plusieurs salariés craignaient
de se retrouver ciblés dans le cadre
de [la] nouvelle mandature électo­
rale » de Noël Le Graët, 79 ans, re­
conduit en mars à la présidence de
la FFF pour un quatrième mandat.
« Aucune délibération du comité
exécutif n’a validé le projet de licen­
ciement pour motif économique,
écrivait l’avocat des requérantes.
Mme Hardouin ne disposait donc
pas de la qualité pour signer l’ac­
cord collectif majoritaire relatif au
contenu du PSE au sein de la FFF. »
Pour justifier sa décision, le tri­
bunal administratif a relevé que
la directrice générale de la FFF
n’avait pas la « compétence » pour
« signer l’accord majoritaire »,
« étant dépourvue de qualité pour
représenter l’employeur » dans la
mesure où le PSE n’a pas été voté
« par l’assemblée fédérale pour le
budget prévisionnel 2021­2022 »
ni validé par le comité exécu­
tif. Il rappelle que « la déléga­
tion octroyée au directeur général
aux engagements contractuels
ne dépasse pas la somme de
300 000 euros ». « Dès lors, les re­
quérantes sont fondées à soutenir
que la décision du 16 juillet 2021 du
directeur régional de l’économie,
de l’emploi, du travail et des solida­
rités d’Ile­de­France est entachée
d’illégalité et ne peut qu’être annu­
lée », conclut le tribunal.
Plusieurs
salariées
s’estimaient
victimes de
« ciblages et de
discriminations »
MASTERS & MS
motifs par ailleurs évoqués par les
plaignants ». Cette décision de jus­
tice devrait électriser les débats de
l’assemblée fédérale, lors de la­
quelle un déficit de seulement
200 000 euros – pourtant évalué
en mai à 5,7 millions d’euros – de­
vrait être annoncé aux élus.
Climat social dégradé
Depuis 2019, le climat social s’est
dégradé au siège parisien de la FFF.
Plusieurs directeurs de services
SAMEDI 29 JANVIER 2022
ont dénoncé les méthodes de
management trop abruptes de Paris Event Center - Paris 19e
Mme Hardouin. M. Le Graët avait
commandé, en septembre 2020,
un audit interne sur la gouver­
nance auprès d’un cabinet de con­
seil privé, Plein Sens. Mais le prési­
dent de la FFF a refusé d’en com­
muniquer les conclusions aux di­
recteurs, salariés et élus de la FFF.
En octobre, la FFF a connu une
nouvelle déconvenue : elle a été
condamnée par le conseil des
prud’hommes de Paris à verser
10 000 euros de dommages et in­
térêts à une ancienne salariée
pour des faits de « harcèlement
sexuel » commis par son direc­
teur financier, contre lequel l’ex­
salariée avait déposé une plainte
pénale, classée sans suite en 2019 INSCRIPTION GRATUITE
par le parquet de Paris. Le conseil
des prud’hommes a estimé que la SAMS.GROUPELEMONDE.FR
fédération n’avait « pas pris les
mesures adaptées » ni « respecté
ses obligations en matière de pré­
vention et de cessation des faits de
harcèlement sexuel ». 
rémi dupré
 ÉCONOMIE & ENTREPRISE
0123
18 | DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021

M O N D I A L I S AT I O N

L’OMC, tremplin
de la Chine dans 
le commerce mondial
CHINE ET OMC : UN ROMAN DE LA MONDIALISATION 4|5
Alors que Washington donne l’impression
de déserter l’Organisation mondiale
du commerce, Pékin, à l’inverse,
déploie son influence à vive allure

genève ­ envoyé spécial) dial et d’avoir ainsi accéléré la désindustriali­

sation dans les pays riches. Après avoir accusé

A
vant de déposer délégués et
ambassadeurs au pied du bâ­
timent austère de l’Organisa­
tion mondiale du commerce
(OMC), sise à Genève, les ber­
lines aux vitres fumées doi­
vent d’abord longer un discret jardin chinois
nommé « jardin de Gusu ». A l’été 2012, ce
sont 111 tonnes de pierres, de tuiles, de stalag­
mites, de rochers et de bois qui ont été ache­
minées par bateau depuis le lointain pays
d’Asie pour aménager, comme on peut le lire
sur la plaque inaugurale, ce symbole de la
« confiance que la Chine a depuis toujours
dans le système commercial multilatéral ». Pé­
kin avait aussi pris soin de promettre, en let­
tres dorées gravées dans le marbre, la « séré­
nité » dans un « décor sans cesse renouvelé ».
Un vœu pieux. Car, quelques années plus
tard, le paysage économique s’est trans­
formé avec l’irruption fracassante de la
Chine dans le commerce mondial, mais sans
la sérénité. Il n’y a qu’à voir, en ce début du
mois de décembre, à quelques jours d’une
conférence ministérielle finalement annu­
lée, la mine anxieuse de certains négocia­
teurs qui fument cigarette sur cigarette au
« jardin Gusu ». « Le multilatéralisme est dans
la tourmente, l’OMC se cherche un avenir, et
les négociateurs doivent malgré tout conti­
nuer de négocier », ironise l’un d’eux.
L’organisation, autrefois symbole d’une
mondialisation régulée et pacifiée, est accu­
sée d’avoir laissé la Chine s’emparer, en à
peine vingt ans, de 14 % du commerce mon­
l’OMC d’avoir « laissé la Chine s’en tirer avec un
meurtre », en référence aux fermetures d’usi­
nes aux Etats­Unis, l’ancien président améri­
cain, Donald Trump, a amputé, fin 2019, l’or­
ganisation de son organe d’appel en bloquant
le renouvellement de ses membres, ce qui de
facto rend ses règles inopérantes puisque
aucune sanction ne peut être infligée à un
pays. La situation ne s’est guère améliorée
depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison
Blanche, en dépit de discours plus conci­
liants. Le siège d’ambassadeur des Etats­Unis
auprès de l’OMC est toujours vacant. « Il n’y a
plus de leadership américain sur aucun sujet »,
raconte, dépité, un négociateur européen.
IMPRESSIONNANTE DÉLÉGATION
Pendant que les Etats­Unis donnent l’im­
pression de déserter l’organisation de Ge­
nève, la Chine s’y déploie à vive allure. Lors
de la dernière revue de politique commer­
ciale, cet automne, elle a envoyé une impres­
sionnante délégation répondre à chacune
des 2 200 questions ou critiques qui lui ont
été adressées, avant d’en rédiger une syn­
thèse de 500 pages. Ses initiatives sont de
plus en plus nombreuses et remarquées,
dont la dernière en date qui a pour ambition
de lutter contre la pollution plastique. Elle a
même laissé entendre qu’elle était prête à
abandonner son statut de « pays en dévelop­
pement », pour faire avancer les négocia­
tions sur les subventions à la pêche. Il ne fait
aucun doute que les représentants chinois
ont pris de l’assurance dans les discussions.
Zhang Xiangchen, directeur général adjoint de l’OMC, le 22 septembre 2015,
à Seattle. ELAINE THOMPSON/AP
Alors qu’il y a vingt ans, les interlocuteurs
« L’OMC FONCTIONNE  chinois des pays occidentaux ne faisaient
UN PEU COMME  que lire leurs notes dans des cahiers reliés
par des petits bouts de ficelle, avant de dispa­
UN CLUB DE GOLF,  raître comme des ombres furtives.
L’OMC compte désormais un Chinois
IL Y A BEAUCOUP  parmi ses directeurs généraux adjoints.
DE RÈGLES NON DITES  Zhang Xiangchen est installé dans un vaste
bureau d’où l’on peut contempler, assis sur
À RESPECTER » des canapés Chesterfield en cuir, le lac
Léman couvert d’une brume matinale. Celui
HIDDO HOUBEN
qui négocia autrefois l’adhésion de la Chine
chef adjoint de la mission
à l’organisation attribue la trajectoire fulgu­
européenne à Genève
rante de son pays à plusieurs facteurs : « La
convergence des réformes de libéralisation au
plan intérieur et de l’ouverture de l’économie
au reste du monde, la taille de la Chine, qui a
permis d’y bâtir des centres de production
mondiaux et enfin un contexte international
relativement apaisé ». Mais il refuse toute
responsabilité dans la désindustrialisation
en Occident : « L’entrée de la Chine dans l’OMC
a bénéficié aux entreprises américaines tout
en pénalisant les cols­bleus, or le gouverne­
ment américain aurait dû leur venir en aide. »
A l’entendre, ce n’est pas la Chine qui est res­
ponsable de la désindustrialisation dans les
pays développés mais la mondialisation.
Le tournant historique a eu lieu, selon lui,
dans un hôtel de Pékin, à la fin de l’année
1999. Une délégation américaine arrive cette
année­là dans la capitale chinoise pour né­
gocier les termes de son adhésion à l’OMC.
Elle y restera six jours et sept nuits. « Le plus
difficile, ce ne fut pas les longues heures de
travail, se souvient Zhang Xiangchen, mais
d’attendre la réponse de nos interlocuteurs, ce
qui était pénible et interminable tellement les
enjeux étaient importants. » Les va­et­vient
sont nombreux, et les négociations sont ten­
dues surtout que, en Chine, cette adhésion
est loin de faire l’unanimité. La baisse des

« On se demande combien de temps la Chine aura besoin de nous »

Le nationalisme et les privilèges accordés aux entreprises chinoises inquiètent les sociétés étrangères implantées dans le pays

shanghaï ­ correspondance des consommateurs chinois. Aujourd’hui, les copies restent elle donne l’impression de se fer­ nir, c’est éminemment politique. heures après la fermeture de l’ap­
L’Oréal ou LVMH en profitent : nombreuses, mais les vendeurs mer aujourd’hui. « La Chine répète On aimerait que cela fonctionne pel d’offres, alors qu’il fallait four­

L a Chine n’est plus l’eldo­

rado qu’elle était pour les
entreprises étrangères.
Plus puissant, plus riche, plus
confiant, le pays a profondément
changé depuis son accession à
l’Organisation mondiale du com­
merce il y a vingt ans. Parfois en
bien, avec des règles plus claires,
et mieux appliquées, malgré
d’importantes limites. Parfois en
mal, avec un nationalisme crois­
sant, une atmosphère politique
parfois tendue, et une volonté as­
sumée de remplacer les technolo­
gies et firmes étrangères par des
chinoises, le plus vite possible.
Commençons par les bonnes
nouvelles : la Chine s’enrichit, le
produit intérieur brut du pays a
été multiplié par onze en vingt
ans. Certains secteurs en bénéfi­
cient particulièrement, comme le
luxe, qui dépend de plus en plus
alors que leurs chiffres d’affaires
s’effondraient mi­2020, la Chine
venait à la rescousse. Privés de
voyages à l’étranger, les Chinois
ont fait exploser les ventes de luxe
de 48 % dans leur pays, pour at­
teindre 20 % des ventes mondia­
les. Les commandes d’avions par
les compagnies chinoises conti­
nuent aussi de faire tourner les
usines d’Airbus en Europe. Fin
2020, 1 900 Airbus opéraient en
Chine, dont 99 livrés dans l’année,
soit 17,5 % des ventes du groupe.
« Sécurité nationale »
Autre bonne nouvelle, la protec­
tion de la propriété intellectuelle
a été renforcée. Il y a vingt ans, les
grandes villes comme Pékin et
Shanghaï accueillaient des « fake
markets » en plein centre­ville où
l’on trouvait des imitations de
sacs Vuitton ou de vestes Nike.
n’ont plus pignon sur rue.
« Il y a vingt ans, c’était un cau­
chemar : même si la Chine était en­
trée dans l’OMC, on pouvait se faire
copier son produit en quatre jours,
et les juges ne donnaient jamais
raison aux entreprises étrangères !
Aujourd’hui, l’environnement légal
est bien meilleur », note Christo­
phe Lauras, directeur des opéra­
tions du groupe Accor en Chine et
président de la Chambre de com­
merce et d’industrie française à
Shanghaï. « Il y a moins de barriè­
res culturelles, de langage, pour­
suit­il. Les Chinois sont plus édu­
qués, voyagent plus, on trouve des
partenaires plus fiables. Les listes
de secteurs interdits aux étrangers
n’ont cessé de se réduire. Donc, de
ce point de vue là, l’accès est quel­
que part plus facile. »
Pourtant, si la Chine s’ouvrait sur
le monde dans les années 2000,
qu’elle continue sur le chemin des
réformes et de l’ouverture, mais le
14e plan quinquennal (2021­2025)
insiste beaucoup sur des objectifs
d’autosuffisance. Il y a une inquié­
tude parmi les investisseurs étran­
gers : on se demande combien de
temps la Chine aura besoin de
nous, combien de temps il y aura
un marché pour nous », dit Bettina
Schön­Behanzin, présidente de la
section de Shanghaï de la Cham­
bre de commerce européenne.
Certains secteurs n’ont jamais
connu l’ouverture promise,
comme la finance, où les institu­
tions étrangères ne représentent
que 2 % du marché chinois. C’est
l’un des points de négociation du
« dialogue économique et finan­
cier » de Paris avec Pékin. « Pour
opérer en Chine, il faut toute une
série de licences : pour chaque pro­
duit, chaque ville. Or, pour les obte­
sur la base de règles », glisse un
cadre d’une banque française en
Chine. Les télécommunications et
les infrastructures numériques
sont aussi exclues, au prétexte de
la « sécurité nationale ».
Climat politique préoccupant
Le ferroviaire est un autre secteur
largement fermé. Après avoir ac­
cueilli les étrangers dans les an­
nées 1990 et 2000, les Chinois ont
développé leurs propres techno­
logies. Aujourd’hui, la plupart des
marchés leur sont réservés.
« Pour certains appels d’offres, on
ne peut candidater que dans le
cadre d’une coentreprise avec une
société locale, témoigne un cadre
d’Alstom en Chine. Mais parfois,
la décision est déjà prise avant que
l’appel ne soit lancé. Dans certains
cas, c’est cocasse : on voit une déci­
sion qui est prise quarante­huit
nir des milliers de pages de docu­
mentation technique. Clairement,
ça ne laisse pas le temps aux déci­
deurs d’examiner le dossier. »
Autre sujet d’inquiétude, l’at­
mosphère politique : les entrepri­
ses qui vendent directement aux
consommateurs courent le risque
d’être la cible d’accusations politi­
ques d’internautes et de médias
d’Etat toujours plus hostiles aux
« forces étrangères ». Exemple dé­
but 2020, quand des marques
étrangères ont été attaquées pour
avoir mis fin à leur approvisionne­
ment en coton du Xinjiang, dont
la production est entachée de tra­
vail forcé de la minorité musul­
mane des Ouïgours. Ciblé par des
appels au boycott, H&M avait vu
ses magasins retirés des plates­
formes de ventes chinoises et ses
ventes chuter. 
simon leplâtre
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
droits de douane va entraîner des fermetu­
res d’usines et la destruction de millions
d’emplois surtout dans les secteurs de l’agri­
culture et de l’automobile, et le pays doit ré­
former son système juridique. Au dernier
jour des discussions, Zhang Xiangchen
craint le pire en voyant arriver ses interlocu­
teurs dans la salle de réunion avec leurs ba­
gages, prêts à partir à l’aéroport. Ce n’est
qu’un stratagème destiné à faire pression
sur la partie chinoise, surnommé la « tacti­
que du taxi », comme il l’apprendra plus
tard. Un accord est finalement trouvé.
« DES FILETS À TRÈS GROSSES MAILLES »
Lorsque Pékin adhère officiellement à
l’OMC, en 2001, la bataille est loin d’être ga­
gnée. « Nous avons dû ensuite prêcher la
bonne parole dans chacune des 31 provinces
de Chine, familiariser les fonctionnaires et
hommes d’affaires avec le nouveau vocabu­
laire du commerce international et les initier
aux nouvelles règles », ajoute le directeur gé­
néral. Une réunion avec tous les gouver­
neurs des provinces, dont un certain Xi
Jinping, est organisée pendant plusieurs
jours. Cette entrée dans le club des grandes
puissances commerciales protège des mesu­
res unilatérales et de possibles sanctions. Un
gage de stabilité dont a besoin la Chine pour
faire décoller ses exportations.
Pékin a­t­il respecté tous ses engagements ?
« L’OMC fonctionne un peu comme un club de
golf, il y a beaucoup de règles non dites à res­
pecter », avance Hiddo Houben, le chef ad­
joint de la mission européenne à Genève.
Une ambiguïté dont la Chine n’est pas la seule
à avoir profité. « Certaines règles sont comme
des filets à très grosses mailles », admet Jean­
Marie Paugam, directeur général adjoint de
l’OMC. « Et il faut reconnaître qu’il y a
vingt ans, les pays développés ne voulaient pas
de textes trop détaillés sur les aides d’Etat pour
ne pas s’attaquer les uns et autres », ajoute­t­il.
Autre reproche fait à la Chine : le poids de ses
entreprises d’Etat qui faussent la concur­
rence. Mais comme le relève un négociateur
occidental, toute nouvelle discipline bute sur
la définition d’une entreprise publique, où
même les Européens et les Américains ne
parviennent pas à se mettre d’accord.
Plusieurs négociateurs reconnaissent en­
fin à Pékin une certaine habileté pour
contourner certaines contraintes réglemen­
taires ou pour se frayer dans leurs intersti­
ces. Les aides d’Etat, lorsqu’elles passent par
des financements de banques publiques à
des taux inférieurs au marché, passent qua­
siment inaperçues. Et, lorsque Pékin est ac­
cusé de subventionner ses exportations, il
faut parfois de longues années d’enquête mi­
nutieuse avant de démontrer que cela crée
un préjudice. Conclusion de M. Xiangchen :
« Montrez­moi une seule règle que l’on n’ait
pas respectée ! Où se trouve la définition d’une
entreprise d’Etat ? Où se trouve la définition
d’une subvention néfaste ? Nulle part. » Tout
juste admet­il qu’il aurait sans doute fallu
négocier des textes plus précis, plus tôt.
Mais le malaise est plus profond. Depuis le
passage de M. Trump à la Maison Blanche, les
relations entre Américains et Chinois sont
devenues glaciales à tel point que leurs repré­
sentants ont cessé leurs échanges informels
réguliers sur les questions commerciales.
« Le système est malade, mais cette situation
semble bénéficier à certains », pense un diplo­
mate européen. Pas sûr que la Chine tire pro­
fit de cette situation, alors que ses exporta­
tions contribuent encore à une part impor­
tante de sa croissance. L’une des pistes de re­
lance de l’OMC consiste à ouvrir des
négociations sur des sujets où les pays mem­
bres ont des intérêts en commun, comme la
lutte contre le changement climatique ou les
pandémies, là où le commerce joue un rôle
considérable.
Faut­il aller jusqu’à réformer l’OMC ?
M. Xiangchen met en avant le nombre élevé
de pays membres (164), rendant difficile
toute décision par consensus, un principe
sacro­saint qui permet aux grandes puissan­
ces commerciales de ne pas se voir imposer
des règles qu’elles n’ont pas choisies. Au nom
de ce consensus, des questions gênantes
n’ont jamais été abordées comme la ques­
tion des droits de l’homme ou des camps de
travail au Xinjiang. « Personne n’a osé poser
des questions embarrassantes pendant vingt
ans, car le statu quo profitait à tout le
monde », regrette Sarah Brooks, de l’ONG In­
ternational Service for Human Rights instal­
lée à Genève. Sauf peut­être ceux qui ont
perdu leurs emplois et ont ralenti les vents
de la mondialisation lors de l’élection de Do­
nald Trump en 2016. Rien qu’aux Etats­Unis,
le secteur manufacturier a perdu jusqu’à
2,5 millions d’emplois du fait de la seule con­
currence avec la Chine. 
julien bouissou
Prochain article Avec les « nouvelles routes
de la soie », Pékin impose un nouveau
modèle aux pays émergents
économie & entreprise | 19
L’Oréal qui rit, Renault
et Auchan qui pleurent…
L’immensité du marché chinois exerce un pouvoir
d’attraction, mais le succès n’est pas toujours là
A l’ère du nouveau timo­
nier Xi Jinping, les socié­
tés étrangères sont­elles
toujours les bienvenues en Chine ?
Après son entrée à l’Organisation
mondiale du commerce (OMC), le
11 décembre 2001, les chefs d’en­
treprise étaient nombreux à pen­
ser, comme les dirigeants poli­
tiques, que l’accroissement des
échanges entraînerait un assou­
plissement du régime. Il n’en a
rien été, ce qui ne les a pas empê­
chés d’y multiplier leurs investis­
sements sur ce qui est devenu le
plus vaste marché du monde. Et,
dans la plupart des cas, de s’y ac­
crocher contre vents et marées.
A l’exception des géants du nu­
mérique. Le traitement de ces
grands collecteurs de données et
diffuseurs de contenus, sévère­
ment contrôlés par l’Etat et le
Parti communiste, illustre le dé­
couplage des entreprises améri­
caines et chinoises. En raison de la
nouvelle loi chinoise sur la pro­
tection des données personnelles
(frappant aussi les géants locaux),
Epic Game (créateur du jeu vidéo
« Fortnite ») et Yahoo ont an­
noncé leur départ en novembre,
suivant d’un mois le réseau Linke­
dIn de Microsoft. Ils ont rejoint
Facebook, Instagram, YouTube ou
Google, qui avaient plié bagage il
y a une dizaine d’années. Apple et
Tesla ont dû faire des entorses à la
protection de leurs données, hé­
bergées sur le sol chinois, pour
rester dans l’empire du Milieu,
qui représente respectivement
20 % et 30 % de leur activité.
Sous haute surveillance
Les gérants d’actifs ont aussi bien
des motifs de s’interroger sur la
pérennité de leur présence. Le res­
serrement de la politique sur l’e­
commerce (Alibaba…), les VTC
(Didi…), les jeux vidéo (Epic
Game…) ou l’éducation privée,
conjuguée à la quasi­faillite du
géant immobilier local Ever­
grande, ont effacé 1 500 milliards
de valorisations des groupes chi­
nois en moins d’un an.
Le risque est aussi politique, dé­
nonçait George Soros, qui a désin­
vesti de Chine. Dans une tribune
publiée début septembre par le
Wall Street Journal, le milliardaire
pointait l’« erreur tragique » com­
mise par le gestionnaire d’actifs
BlackRock, qui renforce ses posi­
tions dans le pays. Aux « proba­
bles pertes » pour ses clients
s’ajoute, selon lui, le risque de
voir ces capitaux porter « atteinte
à la sécurité nationale des Etats­
Unis et des autres démocra­
ties » en finançant des activités
hostiles à l’Occident.
Si la finance et les Big Tech sont
sous haute surveillance, les
autres secteurs n’échappent pas à
BUREAUCRATIE,  tamment de l’ICE allemand.
OPACITÉ ET ARBITRAIRE  La fin de l’eldorado chinois, fort
SONT LOIN  teurs, ne date pas d’hier. En 2012,
D’AVOIR DISPARU  péenne de commerce en Chine
DE LA VIE QUOTIDIENNE  sion à l’OMC − révélait que 22 %
DES ENTREPRENEURS  des entreprises envisageaient
ÉTRANGERS
un contrôle rigoureux. Mais leur
maintien ou leur départ s’expli­
quent plus par leurs choix straté­
giques ou leur adaptabilité au
marché local qu’aux seules déci­
sions du régime. « Il n’y a pas de
réponse unique, souligne André
Chieng, vice­président du comité
France­Chine du Medef et expert
reconnu de ce pays. Plusieurs fac­
teurs interviennent, comme le type
d’entreprise ou la façon de tra­
vailler. Le marché est très chan­
geant, les entreprises n’ont jamais
de positions définitives. » On l’a vu
dans des secteurs comme l’agroa­
limentaire, l’automobile et la
mode, où les multinationales
étrangères sont très présentes.
Un marché « très spécifique »
L’Oréal, Schneider Electric et Da­
none qui rient… Le géant français
des cosmétiques a notamment su
exploiter les nouvelles techni­
ques de vente par le biais de
grands influenceurs sur Internet,
tandis que le groupe d’équipe­
ments et de logiciels pour l’éner­
gie innovait sans cesse pour ré­
pondre à la transition énergéti­
que et numérique de l’économie
chinoise. Après avoir soldé
en 2009 son contentieux avec
son « partenaire » Wahaha, qui
commercialisait indûment son
lait infantile, Danone est reparti à
l’assaut, note M. Chieng, avec la
poudre de lait et Mizone, une
boisson vitaminée à succès.
Renault, Auchan et Carrefour
qui pleurent… Le constructeur
automobile n’a pas su profiter de
sa coentreprise avec Dongfeng
pour séduire la clientèle chinoise,
là où Volkswagen et Tesla (sans
partenaire local) ont su s’impo­
ser, et il a jeté l’éponge. Après
s’être fortement développés, les
deux groupes d’hypermarchés
ont reconnu que le marché chi­
nois était « très spécifique », et
qu’ils n’avaient pas très bien né­
gocié le virage du commerce en li­
gne. Ils ont revendu les « hypers »
à leurs partenaires, dont le géant
de l’e­commerce Alibaba, dans le
cadre d’une stratégie plus globale
pour réduire leur dette et réinves­
tir dans l’Hexagone.
Sans tirer un trait sur l’empire du
Milieu, de grands groupes ont ré­
duit leurs ambitions. Après avoir
vendu deux réacteurs nucléaires
EPR à son partenaire China Gene­
ral Nuclear (CGN), EDF n’a pas
perdu espoir d’en vendre deux
autres ; mais Pékin développe dé­
sormais une filière de centrales de
troisième génération 100 % chi­
noise. Orano construira­t­il jamais
son usine de retraitement des dé­
chets nucléaires, un contrat à
10 milliards d’euros négocié de­
puis près de quinze ans ? Et il y a
belle lurette qu’Alstom a fait une
croix sur le marché des TGV, con­
çus et fabriqués localement après
des transferts de technologies, no­
de 1,3 milliard de consomma­
une enquête de la Chambre euro­
− créée au moment de son admis­
un départ. Principale raison : la
hausse des salaires, et donc des
LE GÉANT FRANÇAIS 
DES COSMÉTIQUES 
A SU EXPLOITER LES 
NOUVELLES TECHNIQUES 
DE VENTE PAR LE BIAIS DE 
GRANDS INFLUENCEURS 
SUR INTERNET
coûts de production de l’« usine
du monde ». S’y ajoutaient la
concurrence accrue des sociétés
locales et un cadre réglementaire
discriminatoire pour les investis­
seurs étrangers. Des délocali­
sations vers d’autres pays du sud­
est asiatique, comme le Vietnam,
avaient alors commencé.
La guerre commerciale déclen­
chée par Donald Trump en 2018 a
marqué une étape cruciale.
En 2019, le cabinet d’audit Qima
notait de nombreuses défections
de sociétés américaines dont
les produits « made in China »
étaient devenus trop chers. Un an
plus tard, le président de la Cham­
bre de commerce européenne
en Chine (1 700 entreprises), Jörg
Wuttke, par ailleurs représentant
du chimiste allemand BASF, assu­
rait qu’elles étaient « assises sur
un champ de mines politique ».
Imposer ses normes
Son dernier rapport est truffé de
centaines de « préoccupations » et
souligne que la pandémie a
dressé « de nouveaux obstacles,
qui ont laissé les Européens se sen­
tir de moins en moins bienvenus
en Chine ». Bureaucratie, opacité
et arbitraire sont loin d’avoir dis­
paru de la vie quotidienne des en­
trepreneurs étrangers. Comme si,
regrette M. Wuttke, l’accès à son
marché n’était « pas un droit,
mais un privilège » octroyé par les
dirigeants chinois au gré des
seuls intérêts de leur pays.
M. Chieng reconnaît que « l’admi­
nistration est plus tatillonne et af­
fiche une tolérance zéro », notam­
ment dans un secteur comme
l’agroalimentaire, alors que de
nombreuses contrefaçons loca­
les se vendent toujours sur Inter­
net. Pékin a même la volonté
d’imposer peu à peu ses normes,
encore édictées à 95 % par les
Etats­Unis, l’Europe et le Japon.
Quitter la Chine ? « Je n’ai pas
d’exemples d’entreprises qui l’aient
fait pour raison politique », assure
M. Chieng. « Leur marché est es­
sentiellement chinois », ajoute­t­il,
et immense, alors que la qualité
des salariés, des usines et des in­
frastructures s’est beaucoup amé­
liorée en vingt ans, leur donnant
un avantage sur leurs concur­
rents du Sud­Est asiatique. Certai­
nes sociétés sont d’autant mieux
accueillies qu’elles comblent un
manque de savoir­faire local,
comme le traitement des déchets
dangereux (Veolia, Suez…), les
moteurs d’avions (Safran, Gene­
ral Electric…), les aéronefs com­
merciaux eux­mêmes (Airbus) et
les semi­conducteurs, des sec­
teurs où la deuxième puissance
mondiale souffre de retards tech­
nologiques. Jusqu’à quand ? 
jean­michel bezat

22 | économie & entreprise
MATIÈRES PREMIÈRES
PAR LAURENCE GIRARD  Etats­Unis : les prix s’enflamment
Le palladium a pâli
Le palladium est encore sur le
podium. Mais pour combien de
temps ? Dans la course au métal
le plus précieux, son avance fond
irrésistiblement. Et l’or se verrait
bien orné de sa couronne. Pour
autant, le métal jaune ne brille
pas particulièrement sur les mar­
chés cette année. Il se négocie
autour de 1 780 dollars l’once (en­
viron 1 577 euros). Soit un quasi­
sur­place par rapport à son cours
de janvier. Et un net recul com­
paré au coup d’accélération de
l’été 2020. Alors que le soleil dar­
dait ses rayons, l’or brûlait entre
les doigts des spéculateurs et fai­
sait des étincelles en franchis­
sant la barre historique des
2 000 dollars l’once.
Le palladium, lui, a atteint le
summum, en mai 2021. Défiant
toutes les lois de la gravité, il s’est
envolé jusqu’à dépasser les
3 000 dollars l’once. Pulvérisant
une nouvelle fois son record.
Déjà, en 2017, d’aucuns s’interro­
geaient sur les prémices du décol­
lage de ce métal précieux. Depuis,
sa trajectoire a tangenté la verti­
cale. Passant la cote des 1 000 dol­
lars l’once, puis des 2 000 et enfin
des 3 000 dollars l’once. Le palla­
dium semblait gonflé à l’hélium.
Au point que, année après année,
il était en tête de classement
des plus fortes hausses des
matières premières.
Une position qu’il ne devrait
pas conserver en 2021. En effet,
depuis mai, le vent a tourné et la
baudruche est victime d’un trou
d’air. Alors que l’heure du bilan
approche, le métal gris se négo­
cie autour des 1 800 dollars
l’once, en retrait de 25 % comparé
à son cours de janvier. Le palla­
D ÉF EN S E
La Finlande choisit le
F-35 de Lockheed Martin
Pour renouveler sa flotte, la
Finlande a choisi l’avion de
combat F­35 de l’américain
Lockheed Martin. Le gouver­
nement a annoncé, vendredi
10 décembre, que le contrat,
Gustave Flaubert
Le romantique enragé
« Tant que la langue vivra », par Marie-Hélène Lafon
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dium a pâli. Un changement de
ton d’autant plus marquant que,
cette année, rares sont les matiè­
res premières à faire grise mine.
Blé, maïs, colza, sucre, huile de
palme, pétrole, gaz, cuivre, mine­
rai de fer, zinc… et la liste est en­
core longue, tous ont bénéficié
du formidable appétit des inves­
tisseurs et de leurs poches plei­
nes. L’argent inoculé dans l’éco­
nomie pour faire face aux effets
de la pandémie de Covid­19 a en­
fiévré les marchés financiers.
Un coup dans l’aile
Alors pourquoi cette soudaine
baisse de régime ? Ce métal prisé
des bijoutiers, l’est tout autant
des constructeurs automobiles.
Une pincée de ce matériau se
glisse dans les pots d’échappe­
ment pour filtrer les émissions
polluantes des moteurs à essence.
Les règles environnementales
plus strictes et la perte de vitesse
des moteurs diesel ont favorisé
son usage et fait flamber son prix.
Sauf que des obstacles se dressent
maintenant sur son chemin.
La remise en route des usines
automobiles après la mise en
sommeil liée à la pandémie est
freinée par la pénurie de compo­
sants. De quoi réviser les prévi­
sions de consommation. Autre
élément perturbateur, le prix
stratosphérique du palladium a
incité les constructeurs à lui pré­
férer son concurrent, le platine.
Enfin, les analystes sortent leurs
calculettes et tirent des plans sur
la comète de l’électrique. L’avenir
du moteur à essence est sous ten­
sion. Résultat, le palladium a pris
un coup dans l’aile et redescend
quelque peu sur terre. 
de quelque 8,4 milliards
d’euros, portait sur 64 appa­
reils. Ce choix, qui se fait
notamment au détriment
d’appareils européens dont
le Rafale du français Dassault,
est le plus important contrat
d’armement de l’histoire
du pays. – (AFP.)
UNE VIE, UNE ŒUVRE
L’inflation a enregistré, en novembre, sa plus forte progression depuis 1982
new york ­ correspondant
D
u jamais­vu depuis
juin 1982, sous la pré­
sidence de Ronald
Reagan, lorsque Paul
Volcker s’efforçait, à la tête de la
Fed, de terrasser l’inflation après
les deux chocs pétroliers de 1973
et 1979 : la hausse des prix aux
Etats­Unis a progressé sur un an
de 6,8 % au mois de novembre, en
forte augmentation par rapport
au mois précédent (6,2 %).
Surtout, l’inflation est désor­
mais généralisée sur le continent
nord­américain, puisque l’indice
hors énergie et alimentation pro­
gresse de 4,9 % (contre 4,4 % un
mois plus tôt). Les prix de l’éner­
gie, quant à eux, ont bondi sur un
an d’un tiers et l’alimentation de
6,1 %, selon les chiffres publiés
vendredi 10 décembre par le mi­
nistère du travail.
Cela fait donc sept mois, depuis
mai, que l’inflation américaine
dépasse 5 %. Joe Biden et le prési­
dent de la Réserve fédérale améri­
caine (Fed, banque centrale), Je­
rome Powell, se sont trompés de
diagnostic économique, le pre­
mier en faisant adopter un plan
de relance conjoncturel majeur et
à contretemps en mars, alors que
l’économie rebondissait déjà, le
second en assurant que la hausse
des prix serait « transitoire »,
terme qu’il a récemment récusé.
Résultat, les salaires réels bais­
sent depuis deux mois (– 0,6 % en
octobre, – 0,4 % en novembre). En
effet, leur hausse nominale en
rythme annuel (+ 4,8 %) est infé­
rieure de près de 2 points à la
hausse des prix.
L’inflation est un mélange com­
plexe : elle est due en partie à un
choc d’offre, provoqué par les
goulets d’étranglement dus au
La Compagnie des Alpes veut amplifier
ses investissements et verdir son image
Le spécialiste des domaines skiables et parcs de loisirs ne sort pas trop affaibli du Covid­19
U ne suggestion pour Do­
minique Thillaud, nou­
veau directeur général
de la Compagnie des Alpes (CDA),
premier exploitant mondial de
domaines skiables et propriétaire
du Parc Astérix et du Futuros­
cope : penser à envoyer une carte
de vœux, voire un forfait de ski, à
Bruno Le Maire, le ministre de
l’économie. Car au terme d’un
exercice 2019­2020 marqué par
l’interdiction des remontées mé­
caniques et la fermeture des
parcs de loisirs sept mois sur
douze, la Compagnie des Alpes
aborde l’hiver dans une situation
miraculeuse, bien aidée par
Bercy et son premier actionnaire,
la Caisse des dépôts.
Malgré l’absence de revenus is­
sus de ses domaines skiables, elle
a limité ses pertes (− 121 millions
d’euros, dont une petite moitié
en dépréciations d’actifs) et
même dégagé un excédent brut
opérationnel positif. Cela grâce
aux aides de l’Etat (189 millions
d’euros), à des économies de
fonctionnement et à une baisse
de l’investissement dans les
parcs d’attraction.
Avec deux prêts garantis par
l’Etat et rééchelonnés (469 mil­
lions d’euros), et une augmenta­
tion de capital réussie (231 mil­
lions), la CDA se dit en mesure de
relever son rythme d’investisse­
ments. Verdissement des sta­
tions, diversification de ses acti­
vités en montagne, expansion de
ses parcs mais renoncement aux
ambitions à l’étranger : le groupe,
qui vise un retour aux bénéfices
Covid­19 et à la « démondialisa­
tion » : pénurie de semi­conduc­
teurs, qui paralyse l’automobile ;
envolée des matériaux de cons­
truction pour les Américains qui
veulent vivre dans des maisons
individuelles ; blocage des ports
aux Etats­Unis et en Chine ; pénu­
rie de main­d’œuvre, en raison de
la « grande démission » des Amé­
ricains, qui ont quitté le marché
du travail et vivent sur les réser­
ves d’épargne accumulées pen­
dant le Covid­19.
Cette inflation s’explique égale­
ment par un choc de demande,
avec des Américains qui ont mas­
sivement réalloué leurs dépen­
ses, en achetant des biens plutôt
que des services. Ce constat fait
désormais consensus, et l’en­
jeu est de résoudre les causes de
l’inflation.
Faire sauter les verrous
Première initiative, faire sauter
les verrous : côté logistique, les
ports américains ont augmenté
les cadences ; le président Biden a
débloqué les réserves stratégi­
ques de pétrole et accusé les pro­
ducteurs d’hydrocarbures de car­
tellisation ; la planète met les
bouchées doubles pour cons­
truire de nouvelles usines de
semi­conducteurs ; les aides fédé­
rales au chômage ont été inter­
rompues depuis septembre et
doivent inciter les Américains
à reprendre plus rapidement le
chemin de l’emploi, d’autant que
le gouvernement fait tout pour
que les écoles, qui ont été large­
ment fermées les deux premiè­
res années de la pandémie, gar­
dent leurs portes ouvertes.
Toutes ces données partici­
pent au scénario rose, celui d’une
inflation qui devrait retourner
dans son lit au second semes­
dès cet exercice, affiche un appé­
tit qui se veut plus raisonné.
Durant la pandémie, la Compa­
gnie des Alpes a scindé sa direc­
tion. L’ancien PDG Dominique
Marcel, au profil très politique, a
gardé la présidence du conseil
d’administration et la vue sur
l’Opéra Garnier, et cédé la direc­
tion générale et le plus grand bu­
reau à Dominique Thillaud. Un
quinquagénaire formé dans la fi­
nance avant de se constituer un
CV de spécialiste de la mobilité,
en passant par la SNCF et les Aé­
roports de la Côte d’Azur (Nice,
Cannes, Saint­Tropez).
« Compagnon de territoire »
Est­ce pour apaiser certains élus
de montagne, qui soupçonnent la
CDA de mieux servir ses action­
naires que les communes ? Domi­
nique Thillaud se montre vis­à­
vis d’eux d’une extrême préve­
nance. « Le vrai patron de la sta­
tion, c’est le maire, assure­t­il au
Monde. On propose, ils disposent.
On est un compagnon de terri­
toire, et pas seulement quand ça
va bien. »
A l’appui de ses propos,
M. Thillaud met en avant le main­
tien des investissements lourds,
notamment pour la livraison de
nouvelles télécabines, et leur aug­
mentation à l’avenir, avec quel­
que 500 millions d’euros à enga­
ger pour les six prochaines an­
nées : « De très gros appareils, qui
montent haut avec une forte capa­
cité, remplacent de vieux appareils
coûteux en maintenance. Le client
gagne du temps de ski, et on limite
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
La hausse des
prix a progressé
sur un an de
6,8 % en
novembre, en
augmentation
par rapport à
octobre (6,2 %)
tre 2022. Elles sont corroborées
par les premières informations
sur le variant Omicron, dont la
faible létalité ne laisse pas augu­
rer d’un nouveau blocage – infla­
tionniste – des points névralgi­
ques de l’économie.
Le second axe d’action consiste à
calmer la surchauffe. Deux leviers
existent, budgétaire et monétaire.
Côté budgétaire, le stimulus amé­
ricain va se réduire drastique­
ment en 2022, avec la fin des aides
d’urgence – le Congrès prévoyait
en juillet pour l’an prochain un
déficit fédéral réduit à 4,7 % du
produit intérieur brut (PIB), con­
tre 13,4 % en 2021 – et les probabili­
tés que Joe Biden parvienne à faire
adopter son plan social et envi­
ronnemental Build Back Better
(« reconstruire mieux »), bloqué
au Sénat, s’amenuisent, au moins
dans sa forme initiale.
« Les démocrates du Sénat de­
vraient suspendre tout examen de
la frénésie de dépenses du plan
Build Back Better de Biden, jusqu’à
ce que le président puisse démon­
trer qu’il peut maîtriser l’infla­
tion », a estimé Kevin Brady, re­
présentant républicain du Texas.
Côté monétaire, la réserve fédé­
rale est à la manœuvre et devrait
réduire ses achats de bons du Tré­
sor américain – qui ont pour effet
l’intrusion visuelle en supprimant
des gares et des pylônes. »
La CDA sait le terrain instable en
montagne. Il n’y a pas que les
skieurs qu’il faut choyer. Il y a aussi
les communes, qui lui confient le
soin d’exploiter l’or blanc par l’in­
termédiaire des délégations de
service public. Il s’agit de se mon­
trer ouvert à leurs priorités et donc
celles de leurs habitants, sensibles
aux sujets du réchauffement cli­
matique et de l’aménagement de
la montagne. La perte des Deux­
Alpes, en 2020, au profit d’une so­
ciété d’économie mixte exploitant
déjà l’Alpe d’Huez, résonne
comme un avertissement : le
maire a justifié son choix par les
promesses d’investissements et le
fait que « l’argent sera vraiment in­
vesti sur tout le territoire et ne re­
montera pas à Paris ». Aux Arcs, le
nouveau maire écologiste de
Bourg­Saint­Maurice a également
fixé des exigences au mode d’ex­
ploitation de la station. Celui de
Val­d’Isère partage ses idées.
L’entreprise se sait attendue et
fixe un objectif « net zéro car­
bone » en 2030 sur ses émissions
directes et celles liées à l’énergie.
La quasi­totalité provient des da­
meuses, progressivement rempla­
cées par des modèles plus « verts ».
De là à rendre le ski vertueux, il y a
un pas que la CDA ne pourra fran­
chir : l’essentiel des émissions est
lié au transport des touristes, et
ses détracteurs soulignent que
c’est l’industrie même du ski qui
détériore les massifs, menace leur
biodiversité et accapare l’eau.
Face à la menace du changement
0123
de réduire les taux d’intérêt à
long terme, de stimuler l’endette­
ment et donc l’économie – lors de
sa réunion des 14 et 15 décembre,
tandis qu’une hausse des taux di­
recteurs, actuellement fixés entre
zéro et 0,25 %, pourrait intervenir
dès 2022. Ces anticipations de­
vraient conduire à une baisse des
actions – les profits de demain va­
lent moins si les taux sont plus
élevés et seront plus faibles si
l’économie ralentit.
Investisseurs piégés
Curieusement, l’inverse se passe,
les grandes valeurs de la cote ca­
racolant, même si les petites ac­
tions technologiques ont connu
depuis l’été une sévère correc­
tion. Les investisseurs sont pié­
gés. Où investir en temps d’infla­
tion, si ce n’est dans des titres de
propriété : actions, immobilier,
art ? Surtout, comme le note
l’économiste en chef de Natixis
Patrick Artus, les taux d’intérêt
montent moins que l’inflation, et
donc le coût réel de l’argent conti­
nue de baisser, ce qui fait aug­
menter la valeur des actifs.
Les milliardaires entrepreneurs
américains ne partagent pas cet
avis. Ils ont multiplié les cessions
d’actions depuis quelques semai­
nes, selon une étude du Wall
Street Journal, vendant au plus
haut et avant l’entrée en vigueur
des possibles hausses d’impôts
voulues par le président Joe Bi­
den : 10 milliards de dollars (soit
8,9 milliards d’euros) pour Elon
Musk (Tesla), 4 milliards pour
Mark Zuckerberg (Meta), 1,5 mil­
liard pour les fondateurs de Goo­
gle, Larry Page et Sergey Brin, ou
encore 6,5 milliards de dollars
pour la famille Walton, héritière
des supermarchés Walmart. 
arnaud leparmentier
climatique, la CDA est en position
de force : ses domaines sont parmi
les plus hauts, ce qui leur garantit,
selon leurs études, une exploita­
tion jusqu’en 2060. Cela n’empê­
che pas de préparer l’avenir :
M. Thillaud veut, « si les maires
sont d’accord », développer un pro­
jet pilote d’activités estivales sur le
domaine Grand Massif, autour de
Flaine, qui générerait 30 % des re­
venus de l’hiver d’ici 2030.
Préparer l’avenir
Par ailleurs, la CDA s’étend à bas
bruit sur l’ensemble de la chaîne
de valeurs : trois ans après le distri­
buteur TravelSki, elle a racheté le
petit réseau d’écoles de ski et d’ac­
tivités Outdoor Evolution 2, susci­
tant la colère de l’Ecole française
du ski, qui a dénoncé « une rupture
du contrat moral ». La CDA met un
pied dans l’hébergement, en ex­
ploitant dès cet hiver une auberge
de jeunesse à Risoul.
Plus question, en revanche, d’ex­
ploiter loin de ses bases ni d’attirer
d’actionnaire chinois comme il
était envisagé jusqu’en 2018. Le
groupe n’entend pas davantage
construire de nouveau parc – « On
ne peut plus gagner un mètre et on
n’en a pas envie » – mais maintient
ses projets d’expansion du Futu­
roscope, avec la création de deux
hôtels et d’un parc aquatique, et la
construction d’un quatrième hô­
tel au Parc Astérix. « Il y a un espace
pour réconcilier la logique écologi­
que et la logique économique », in­
siste M. Thillaud. Une ligne de
crête, assurément. 
clément guillou
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Noël
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économisant
jusqu’à 40%
Du 1er au
23 décembre

Uniquement sur une sélection de produits

24 | horizons
pointe­à­pitre (guadeloupe) ­ envoyée spéciale
L
a plupart des touristes ignorent
totalement la catastrophe. Arri­
vés à l’aéroport de Pointe­à­Pitre,
ils filent directement vers les pla­
ges et les grands hôtels du Gosier
ou de Sainte­Anne, d’où l’on peut
croire la Guadeloupe un éternel paradis de
palmiers plongeant dans une eau bleu céla­
don. Il en va de même pour ceux qui débar­
quent pour quelques heures des gros ba­
teaux de croisière – « les perles des Antilles en
huit jours pour quelque 3 500 euros ». Bien
encadrés par le personnel des agences de
voyage, ils sont directement conduits au
marché aux Epices, au cœur de la ville. Entre
les bâtons de vanille et les noix de muscade,
qui voit les rues inondées par d’intempesti­
ves fuites d’eau ? Quel vacancier remarque
l’herbe poussant sur les trottoirs défoncés ?
Lequel pourrait imaginer que, si aucun
ouvrier ne semble travailler sur le chantier
du Centre des arts et de la culture, juste en
face de la mairie, c’est que les travaux ont été
abandonnés depuis… douze ans ?
Lorsque la nuit tombe, à 18 heures, plon­
geant la ville dans une épaisse pénombre,
faute d’éclairage public suffisant, la plupart
des touristes sont repartis vers leur bateau.
« Les prostituées venues de Saint­Domingue
apparaissent alors, décrit Marlène Mélisse­
Miroite, longtemps élue socialiste à la mairie
de Pointe­à­Pitre. De très jeunes filles, parfois
âgées de 15 ou 16 ans, puis, au fur et à mesure
que l’on s’enfonce dans le quartier de Caré­
nage, des femmes plus mûres et imposantes. »
Elles sont là, en effet, qui attendent, assises
sur des chaises en plastique, le long de la
route qui traverse ce quartier pauvre de la
ville. Les grèves et les barrages qui ont para­
lysé la Guadeloupe, ces dernières semaines,
en protestation contre l’obligation vaccinale
des soignants de l’île, n’ont rien changé à l’af­
faire. Qui pourrait croire que ces rues som­
bres bordées de façades lézardées sont celles
de la capitale économique d’un département
français d’outre­mer ?
« Je suis à la tête d’une ville en faillite », sou­
pire Harry Durimel, dans son bureau de l’hô­
tel de ville. Car le préfet de la Guadeloupe,
après avoir constaté que la municipalité de
Pointe­à­Pitre n’avait pas adopté son budget,
vient tout juste de saisir la chambre régionale
des comptes afin qu’elle formule, comme elle
le fait désormais chaque année, des solu­
tions. Que la ville ne parvient pas à suivre.
DÉFICIT ABYSSAL
Cet avocat écologiste – Harry Durimel a fondé
les Verts en Guadeloupe – a été parmi les pre­
miers à dénoncer la contamination au chlor­
décone des bananeraies et à avoir porté
plainte, en 2003, contre l’Etat pour l’utilisation
de cet insecticide qui a empoisonné la nature
et les hommes. Polyglotte, épris de justice, il a
été élu maire de Pointe­à­Pitre en 2020, succé­
dant à la famille Bangou, Henri, d’abord, un
communiste élu de 1965 à 2008 avant de lais­
ser la place à son fils, Jacques, communiste ré­
novateur, révoqué en 2019 en raison d’un défi­
cit abyssal de la municipalité de 78 millions
d’euros. A le voir ainsi, à la fois incisif et acca­
blé, assis sous un tableau représentant une ar­
dente Marianne antillaise, on mesure l’am­
pleur des difficultés quotidiennes auxquelles
il est confronté. C’est un homme cultivé, éner­
gique et… sans aucune marge de manœuvre
financière. « Les électeurs ne veulent plus aller
voter, mais attendent tout d’élus qu’ils croient
pourtant unanimement corrompus, cingle­t­il.
Mais je ne vois pas ce qu’il y aurait à voler
quand la ville doit faire face à 18 millions
d’euros de factures impayées, un déficit qui
tourne autour de 75 millions d’euros et une ca­
pacité d’autofinancement négative ! »
Un seul exemple d’une gestion passée ha­
sardeuse ? Ces fameux lampadaires qui ne
marchent pas. Le 13 janvier 2011, la ville de
Pointe­à­Pitre avait signé un partenariat pu­
blic­privé (PPP) avec la société S6P. Le contrat
devait permettre de financer la construction
et la maintenance d’éclairages publics, de
feux tricolores, ainsi que d’un système de vi­
déosurveillance, pour un montant global de
plus de 30 millions d’euros. Sauf que la ville
n’a pu honorer ses créances à partir de 2015 et
s’est retrouvée condamnée à payer 3,5 mil­
lions d’euros, auxquels s’ajoutent quelque
2 millions d’euros d’intérêt, à la Société géné­
rale de banque aux Antilles.
Harry Durimel, 64 ans, est d’autant plus
exaspéré que la ville avait déjà dépensé 17 mil­
lions d’euros dans ce PPP, en vain. Car rien ne
fonctionne : l’éclairage public est défaillant
dans la plupart des quartiers de la ville, les
Place de la Victoire, à Pointe­à­Pitre, en Guadeloupe, le 2 décembre. PHOTOS : JEAN-CLAUDE COUTAUSSE POUR « LE MONDE »
Des commerces ont été incendiés dans le centre­ville lors des manifestations contre le passe sanitaire.
Pointe-à-Pitre
au crépuscule
Dettes, détournements de fonds, clientélisme…
la sous­préfecture de la Guadeloupe, en faillite,
se vide et se dégrade. Au grand dam de son nouveau
maire, qui n’a pas les moyens financiers pour réagir
feux tricolores sont pour partie inexistants et
la vidéosurveillance est très aléatoire. « 17 mil­
lions dépensés plus 5 millions résultant de la
condamnation du tribunal, soit 22 millions.
C’est cher payé pour une ville plongée dans les
ténèbres, non ? », calcule­t­il avec amertume.
Et les dossiers s’accumulent. La caisse des
écoles ? Les sommes détournées creusant son
déficit avoisineraient le million d’euros. Ce fa­
meux Centre des arts et de la culture, qui
aurait dû être entièrement rénové il y a douze
ans et dont le chantier est à l’arrêt ? « Le prix
des travaux est passé de 16 millions à 39 mil­
lions d’euros en pure perte », poursuit le maire.
La livraison du bâtiment rénové, initialement
prévue pour 2015, n’a cessé d’être reportée
jusqu’à être totalement interrompue, après la
faillite de plusieurs des entreprises chargées
du projet. En 1990, le grand Miles Davis était
pourtant venu y donner trois inoubliables
concerts, lors du festival Jazz à Pointe­à­Pitre,
programmé par Jacques Césaire, le fils du
poète martiniquais Aimé Césaire. Aujour­
d’hui, l’auditorium est parsemé de gravats de
béton et il faut un effort d’imagination pour
imaginer la foule de mélomanes et de dan­
seurs qui s’y pressaient autrefois.
Des artistes se sont pourtant installés dans
cette friche, peignant les murs et tentant de
faire revivre tant bien que mal ce qui était
l’unique lieu institutionnel de culture de la
ville. « Nous sommes entre cent et cent cin­
quante à animer ce lieu », assure Yelena Ur­
cel, une jeune peintre guadeloupéenne, en
montrant les fresques colorées qui égaient
LES GUADELOUPÉENS  cette jungle de béton. Quelques spectacles
LES PLUS AISÉS  de danse et de théâtre ont eu lieu, bientôt
freinés par les confinements et l’épidémie
CHOISISSENT DE  de Covid­19, qui n’épargne pas une popula­
tion bien plus rétive à la vaccination qu’en
VIVRE EN PÉRIPHÉRIE,  métropole – moins de 35 % de Guadelou­
péens ont un schéma vaccinal complet con­
ESPÉRANT ÉCHAPPER  tre 90 % en métropole.
À LA DÉLINQUANCE  Face à de telles difficultés, les Guadelou­
péens les plus aisés choisissent le plus sou­
ET AU TRAFIC  vent de vivre en périphérie de Pointe­à­Pitre.
Ils espèrent échapper ainsi à la délinquance
DE DROGUE et au trafic de drogue dont les dégâts peu­
vent se mesurer à l’œil nu, dans certains
quartiers du centre­ville, où circulent des
hommes ravagés par le crack. Chaque année,
depuis le milieu des années 1990, les habi­
tants quittent d’ailleurs un peu plus cette
sous­préfecture de 2,7 kilomètres carrés – la
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
plus petite de France – qui n’abrite désor­
mais que quelque 14 000 personnes, quand
on en comptait le double en 1967.
Les lois de défiscalisation en outre­mer, no­
tamment la loi Pons, votée en 1986 – elle per­
mettait de défiscaliser la construction de loge­
ments neufs, ainsi que les investissements
dans les secteurs du tourisme ou de l’indus­
trie, et a donné lieu à d’innombrables dérives
profitant essentiellement aux plus grosses
fortunes –, y sont pour beaucoup. Elle a en­
traîné l’explosion de la grande distribution,
dominée par une demi­douzaine de familles.
Celles­ci ont ouvert en périphérie d’affreux
hypermarchés bourrés de produits indus­
triels importés – la malbouffe américaine est
partout – vendus à des prix prohibitifs, qui
exaspèrent les Guadeloupéens, écrasent les
maraîchers locaux et concurrencent la cuisine
créole. Rien qu’autour de Pointe­à­Pitre, trois
vastes centres commerciaux se sont installés
aux portes de la ville. Asséchant littéralement
le commerce de centre­ville.
« La population a changé à partir de là, se
défend l’ancien maire, Jacques Bangou, ac­
cusé d’avoir creusé, tout au long de ses onze
années de mandat, des déficits déjà installés
du temps du règne municipal de son père. Les
classes moyennes sont parties, remplacées par
des immigrés qui vivent de minima sociaux, et
la ville a perdu une partie importante de ses
ressources. » Trente ans après la construction
des premières cités de transit, dans les an­
nées 1960, il a fallu détruire ces quinze der­
nières années quelque 1 500 logements so­
ciaux pour en reconstruire tout autant. C’est
là que vivent souvent ces Haïtiens, qui, mal­
gré un racisme persistant à leur endroit,
maintiennent ouverts bon nombre de com­
merces. Sans eux, Pointe­à­Pitre se transfor­
merait en ville morte certains dimanches.
CARCAN ADMINISTRATIF
Idéalement placée au centre de la Guade­
loupe, à la jointure entre la Grande­Terre et la
Basse­Terre, ces deux ailes de papillon qui
constituent la physionomie si particulière de
l’île, située face à la rade ouverte sur la mer
des Caraïbes, Pointe­à­Pitre vit dans un car­
can administratif qui l’empêche de toucher
un centime du port autonome ou de la ma­
rina, où sont amarrés yachts luxueux et ba­
teaux de plaisance. Elle ne bénéficie pas non
plus de l’argent des communes voisines
comme Le Gosier, qui dispose de son propre
port de plaisance, doté de 1 200 anneaux,
d’un casino et de deux hôtels quatre étoiles.
« Or, poursuit Jacques Bangou, Pointe­à­Pitre
prend en charge les besoins d’une population
qui vient y travailler sans y habiter. »
A l’ensemble de ces maux s’ajoute, selon
son successeur, Harry Durimel, un clienté­
lisme qui continue de grever les finances de
sa commune, clientélisme dont il rend res­
ponsable à la fois son prédécesseur et « le sys­
tème Michaux­Chevry », du nom de cette an­
cienne secrétaire d’Etat à la francophonie de
Jacques Chirac, décédée en septembre, après
avoir régné sur la Guadeloupe pendant près
de quarante ans, et quelques mois après avoir
été condamnée, en 2020, pour favoritisme
dans l’attribution d’un marché public et pour
non­respect du code de l’environnement –
elle n’avait pas contrôlé la production et la
distribution d’eau en zone polluée par la
chlordécone. « Nous avons 700 agents munici­
paux, il en faudrait moitié moins pour s’en sor­
tir, assure ainsi le nouvel élu. Seulement, avec
700 agents, vous vous assurez 2 100 voix auto­
matiquement, chaque agent apportant au
moins 3 voix de sa famille… Combien de com­
munes de la Guadeloupe fonctionnent ainsi ? »
Ces dernières semaines, ce militant de
l’identité guadeloupéenne, qui s’agace de voir
la plupart des emplois de magistrats ou de
hauts fonctionnaires encore tenus par des
Blancs venus de métropole, a bien dû se ren­
dre à l’évidence : la grève et les barrages qui
ont paralysé l’île n’ont pas modifié fonda­
mentalement les choses. La révolte contre le
passe sanitaire est bientôt devenue une ré­
volte contre la vie chère, le chômage des jeu­
nes et cet Etat français, à la fois vilipendé et
toujours invoqué comme recours.
« Mais ce n’était certainement pas un mouve­
ment révolutionnaire, et les plus enragés ont
plutôt fait brûler des petits commerces ou des
voitures, remarque Harry Durimel. Comme si
les maux de la Guadeloupe disaient d’abord
quelque chose de nous : il n’y a pas encore de vo­
lonté de prendre le pays en main. » A Pointe­à­
Pitre, une nuit, la pâtisserie Renée, l’une des
plus courues de la ville, a été dévastée. Alen­
tour, aucune des grandes propriétés détenues
par les Blancs de métropole ou les békés, ces
créoles descendants de colons, n’a sauté. 
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 GÉOPOLITIQUE
26 |
Syrie Les casques blancs,
à la vie, à la mort
U
ne salve de missiles russes,
des panaches de fumée der­
rière une rangée d’oliviers,
des corps sous des décom­
bres. Ainsi s’est achevé, le
11 novembre au matin, le pé­
riple d’une famille syrienne déplacée. Elle
avait trouvé refuge dans une ferme de Maarat
Misrin, dans le nord du gouvernorat d’Idlib.
Trois enfants et leurs parents étaient déjà
morts à l’arrivée des secouristes de la Défense
civile syrienne (Al­Difaa Al­Madani), qui sont
parvenus à sauver six autres membres de la
famille, blessés, en les transportant à temps à
l’hôpital. Deux ans, jour pour jour, après la
disparition de leur figure tutélaire, James Le
Mesurier, dont le suicide présumé a mis un
terme à leur médiatisation, les sauveteurs vo­
lontaires poursuivent leur mission en Syrie,
tel Sisyphe poussant son rocher : « Lorsque
pleuvent les bombes, nous accourons. »
Les territoires où ils opèrent n’ont cessé de
se rétrécir depuis la chute d’Alep­Est en
décembre 2016, pour se limiter aujourd’hui
au coin nord­ouest de la Syrie : une région où
les conditions de vie sont désastreuses et où
les bombes continuent de tomber dans l’in­
différence générale, dont celle en particulier
des Nations unies, frappées d’asthénie face à
la guerre en Syrie. Les vocations suscitées par
les héroïques casques blancs – surnom qu’ils
doivent à la couleur de leur couvre­chef –
n’ont cependant pas faibli.
Au plus fort du conflit syrien, ils fouillaient
à mains nues les gravats d’immeubles broyés
par les bombes­barils ou les missiles, à la
recherche d’un souffle de vie. Pour des
milliers de familles prises dans des situations
inextricables, ils continuent de personnifier
l’ultime espoir de revoir un proche vivant. Ils
comptent actuellement plus de 3 000 béné­
voles, dont 250 femmes.
A l’image de la plupart des organisations
non gouvernementales nées dans le sillage
du soulèvement syrien, les casques blancs
ont émergé de manière spontanée, à l’initia­
tive de jeunes organisés en petites unités de
Dans le chaos de la guerre menée par le régime
de Bachar Al­Assad contre son propre peuple,
les membres de la Défense civile syrienne continuent
de se porter au secours des victimes et d’alerter sur la
cruauté d’attaques dont ils sont devenus l’une des cibles
quartier. Des hommes et des femmes ordi­
naires, issus de tous corps de métier, qui ont
rejoint une poignée de pompiers d’avant­
guerre déterminés à se rendre utiles, à Idlib, à
Alep, dans les zones perdues par le régime et
privées de services publics.
COURAGE SACRIFICIEL
Mounir Moustafa était ainsi pompier à Alep
lorsque la ville bascula dans la guerre, à l’été
2012. Alors qu’un incendie ravage un quartier
kurde échappant au contrôle du régime, les
autorités interdisent à son équipe d’interve­
nir. Défiant les ordres, Mounir et ses hom­
mes partent éteindre les flammes. Ils font
aussitôt défection et fondent le premier
centre d’intervention d’urgence d’Alep. Raed
Al­Saleh, qui prendra la tête du groupe, est né
en 1983 à Jisr Al­Choghour. Il était vendeur de
matériel électrique avant la guerre. Beaucoup
ont participé aux manifestations de 2011 et
assisté à la répression du régime s’abattant
sur la population civile. Certains ont
combattu dans les rangs rebelles avant
d’abandonner les armes, interdites par le
code de conduite des volontaires. Tous ont en
commun d’avoir rejeté la violence, sans tour­
ner le dos à la révolution.
La société de conseil ARK, fondée par le Bri­
tannique Alistair Harris et basée à Dubaï,
dont la mission est d’aider « les plus vulnéra­
bles, en particulier les réfugiés, les déplacés et
les personnes en zone de conflit », est la pre­
mière à déceler le potentiel de ces jeunes Sy­
riens, pleins d’ardeur mais sans qualification
aucune. Parmi d’autres projets régionaux,
l’antenne d’ARK à Istanbul est chargée
d’assurer leur formation, qu’elle confie aux
experts d’AKUT, une ONG turque spécialisée
dans le secourisme en cas de tremblements
de terre. Ce qui aurait pu se limiter à une
brève collaboration entre organisations de la
société civile va se transformer en une his­
toire passionnelle liant, à la vie à la mort, les
casques blancs à l’atypique chef du bureau
stambouliote d’ARK, James Le Mesurier.
Cet énergique quadragénaire, fils de colonel
britannique, sorti major de sa promotion à
l’académie militaire de Sandhurst, ne pré­
sente pas le profil classique de l’humanitaire.
Il a servi comme officier au sein de la Force
multinationale de l’OTAN au Kosovo, puis
comme conseiller auprès du gouvernement
irakien après l’invasion américaine de 2003.
Fort d’une volonté farouche, en 2013, il crée sa
propre association à but non lucratif, Mayday
Rescue. Entièrement consacrée aux casques
blancs, elle va leur permettre de se structurer
avec efficacité.
Hors de Syrie, et alors que la moindre ini­
tiative issue de la contestation au régime est
scrutée avec méfiance, y compris par les
chancelleries condamnant la guerre menée
par Bachar Al­Assad contre son peuple, les
casques blancs sont vite considérés comme
une « valeur sûre » : ils incarnent le courage
sacrificiel au service d’une population civile
que le reste du monde laisse mourir. Quel
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Des casques blancs combattent
un incendie à la suite d’une frappe
aérienne sur le village de Kafr Nàuran,
près d’Alep, en Syrie, le
21 janvier 2020. AAREF WATAD/AFP
procès intenter à des jeunes gens dont la
devise, « Qui sauve une vie sauve l’huma­
nité », tirée du Coran (sourate 5 Al­Maïda,
verset 32) et du Talmud (Sanhedrin 4,
Michna 5), est aux fondements des droits de
l’homme universels ?
Soutenir cette « juste cause » permet aux
Etats d’éviter la réprobation qu’a pu susciter,
dans les opinions publiques, l’appui d’une
opposition en exil à la légitimité discutée ou,
plus encore, l’armement de bataillons rebel­
les soupçonnés d’islamisme radical. Ces
calculs politiques conduisent de nombreux
gouvernements à financer, entraîner ou équi­
per la Défense civile syrienne. Cette manne
étrangère va fournir le terreau sur lequel ger­
mera une campagne de dénigrement visant
James Le Mesurier et les secouristes syriens.
A l’automne 2016, les Etats­Unis sont le
principal bailleur de fonds de l’organisation (à
LES SECOURISTES  hauteur de 23 millions de dollars, versés par
QUI TOMBENT AUX  l’Agence américaine pour le développement
international, Usaid), suivis du Royaume­Uni
MAINS DE L’ARMÉE  (par le Conflict, Stability and Security Fund),
des Pays­Bas, de l’Allemagne, du Danemark,
D’ASSAD SONT  du Japon… L’aide n’est parfois que ponctuelle.
« La France a payé cinq séances de formation
EMPRISONNÉS, pour réagir en cas d’attaque chimique, ainsi
ET POUR  que la remise en service d’un centre détruit à
Alep », précise alors au Monde Abdulrahman
CERTAINS SOUMIS Al­Mawwas, coordinateur des opérations de
sauvetage pour l’ensemble de la Syrie.
 À D’HUMILIANTES  A cette époque, ce secouriste de 30 ans se
SÉANCES DE  préoccupe de savoir si Paris accepterait de
donner davantage. Dans un conflit interna­
« CONFESSIONS »  tionalisé, où chaque protagoniste s’est
retrouvé parrainé plus ou moins ouverte­
DIFFUSÉES ment par une puissance étrangère, ces fonds
 À LA TÉLÉVISION reçus ne suffisent pas à expliquer les critiques
qui se déchaînaient déjà contre les casques
blancs. « L’identité de nos donateurs étrangers
n’est pas un secret, nous n’en avons pas honte,
rétorquait d’ailleurs le coordinateur. Notre
problème, ce sont ceux qui regardent les
Syriens mourir, en restant les bras croisés ! »
Car si les casques blancs courent sous les
bombes pour porter secours, ils cherchent
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
aussi à témoigner du calvaire du peuple
syrien. Filmées grâce à des caméras embar­
quées et aussitôt postées sur les réseaux
sociaux, les vidéos de leurs opérations de
sauvetage aussi spectaculaires que dramati­
ques contribuent à les tirer de l’ombre. Elles
constituent aussi une documentation abon­
dante et de première main sur les crimes de
guerre commis par Damas et Moscou.
Dès le mois de mars 2012, la Défense civile
syrienne alerte sur l’usage, par le régime, de
bombes incendiaires dans la Ghouta orien­
tale. Après l’intervention russe de 2015, elle
signale l’apparition de bombes à fragmenta­
tion, puis celle de nouveaux missiles, notam­
ment à Alep et à Idlib : des « bunker busters »
conçus pour frapper en profondeur, dans les
sous­sols où sont installés les derniers hôpi­
taux de fortune. Leurs images seront réguliè­
rement utilisées par les organisations de
défense des droits humains pour étayer leurs
rapports sur la situation en Syrie.
BOMBES-BARILS
Entre 2014 et 2016, la notoriété des casques
blancs dépasse largement les frontières
syriennes. En mars 2015, le New York Times
publie une tribune de leur chef, Raed Al­Sa­
leh, dénonçant la barbarie des bombes­barils.
« Ce sont des barriques rouillées, pleines d’ex­
plosifs, de clous, de verre, de shrapnels, parfois
de haches », écrit­il. Les hélicoptères du
régime les « larguent sur les zones civiles afin
d’éviter que le vent les détourne sur ses trou­
pes, sur les lignes de front. Les plus grosses peu­
vent ravager un espace correspondant au
volume de dix immeubles. » En neuf années,
de 2012 à 2021, le régime syrien a largué
82 000 bombes­barils, tuant 11 087 civils,
dont 1 821 enfants, selon un décompte effec­
tué par le Syrian Network for Human Rights.
L’année 2015 voit aussi l’arrivée d’armes
puissantes et hypermodernes avec l’inter­
vention de la Russie, le 30 septembre, qui
marque un tournant dans la guerre. Moscou
veut sauver le soldat Assad et, en quelques
semaines, inverse le rapport des forces en sa
faveur. Les quartiers orientaux de la grande
cité d’Alep, tenus et administrés par les
forces d’opposition depuis l’été 2012, sont à
genoux, assiégés par le régime et pilonnés
par l’aviation russe.
Le 1er mai 2016, les bombes pleuvent et seuls
accourent les secouristes de la Défense civile
syrienne, qualifiés ce jour­là de « chevaliers
blancs » au chevet de « Syriens désespérés »
par le Wall Street Journal. Le 22 septem­
bre 2016, l’organisation reçoit le Right Liveli­
hood Award, le « prix Nobel alternatif »,
décerné par la fondation suédoise éponyme.
Quelques jours plus tard, Raed Al­Saleh est à
New York, il décrit le supplice des Alépins
devant l’Assemblée générale des Nations
unies. Le secrétaire général, Ban Ki­moon,
paraît comprendre la gravité de la situation :
« Imaginez un abattoir. Eh bien, c’est pire.
Même un abattoir est plus humain ! » Les cas­
ques blancs sont aussi en lice pour le prix
Nobel de la paix, de même l’année suivante.
Au même moment, Netflix, la célèbre plate­
forme américaine de vidéos en ligne, leur
consacre un documentaire­choc, Les Casques
blancs, réalisé par Orlando von Einsiedel et
filmé en partie grâce aux caméras fixées sur
leurs casques. Le spectateur assiste, entre
autres, à l’explosion d’une ambulance frap­
pée d’un missile et à la mort instantanée de
ses occupants, vues de l’intérieur du véhicule.
De l’ultraviolence à l’état pur, dans les condi­
tions du direct, qui vaudra au film l’Oscar du
meilleur court­métrage documentaire. Le
gratin hollywoodien (George Clooney, Ben
Affleck, Daniel Craig, Daniel Day Lewis, Ale­
jandro Gonzalez Iñarritu) applaudit et signe
une pétition pour que les casques blancs
reçoivent le prix Nobel de la paix. Dans la
foulée, Clooney annonce son intention de
leur consacrer un film.
DES ENNEMIS À ABATTRE
Le déferlement d’images macabres en prove­
nance de Syrie a contribué à occulter l’un des
rares rayons de lumière à avoir percé la noir­
ceur de la guerre : les élans de solidarité, tena­
ces et inventifs, qui ont éclos parmi les civils.
Le phénomène a pourtant été massif – excep­
tionnel même, à l’aune d’une société laminée
par la défiance, les délations et le règne de
l’arbitraire durant plusieurs décennies. Qu’ils
aient été en quête d’éducation pour les jeunes
enfants, de soins médicaux, d’aide humani­
taire ou de justice, ces acteurs anonymes
n’ont eu de cesse de défendre une « Syrie nou­
velle », tout en sachant que cela pouvait leur
coûter la vie.
Et voilà, pour la première fois en cinq ans et
demi de guerre, que quelques­uns parmi eux
prennent le devant de la scène. Alors que la
Syrie vit des heures tragiques et cruciales, ce
n’est pas le regard encadré de noir d’un djiha­
diste, ni le visage émacié d’un réfugié, que le
Time choisit pour sa « une » du 17 octo­
bre 2016, mais des Syriens ordinaires et ano­
nymes, portant casque blanc et se dirigeant
vers un horizon où l’on devine de la fumée et
des cendres. Et un titre qui redonne sa place à
la dignité d’un peuple, « Qui sauve une vie
sauve l’humanité ».
Ce même souffle imprègne encore Les Der­
niers Hommes d’Alep, autre documentaire,
triste et tendre à la fois, réalisé par Firas
Fayyad en 2017, en hommage au courage et à
la vulnérabilité des casques blancs, filmés par
de jeunes militants du Centre pour les mé­
dias d’Alep. Mais pour le régime et son allié
russe, le temps est désormais à la reconquête
du territoire et des esprits. Dans cette nou­
velle dynamique, cet acteur imprévu, civil,
populaire, héroïque et dont le seul message
politique – hormis la mise en place d’une
zone d’exclusion aérienne pour protéger les
populations des bombardements – a été de
dénoncer des crimes de guerre, est devenu
un ennemi à abattre.
Quelques heures à peine après la remise du
Right Livelihood Award, trois centres de la
Défense civile syrienne – sur les quatre que
compte encore Alep – sont pris pour cible par
l’aviation : le premier est pulvérisé, les deux
autres rendus inutilisables. Une ambulance,
un camion de pompiers et un véhicule de ser­
vice sont détruits. Le 20 octobre 2016, au len­
demain de la visite à Paris de Raed Al­Saleh,
reçu à l’Elysée, les avions frappent encore
deux centres de la province d’Idlib, tuant un
secouriste et blessant plusieurs autres. Ce ne
sont là que des exemples parmi d’autres.
Selon les décomptes effectués par l’organisa­
géopolitique | 27
De haut en bas : tion, entre juin 2016 et décembre 2017, les
sur l’écran de centres et les équipes de secouristes ont été
l’ordinateur, un frappés à 238 reprises par des missiles ou des
homme portant tirs d’artillerie.
deux de ses enfants Etre victime des bombes est devenu un
tués dans une corollaire de la guerre en Syrie. D’autant que
attaque chimique les secouristes ne fuient pas l’impact, ils « ac­
sur Khan courent » au contraire sur le site des explo­
Cheikhoun, sions. « J’ai peur, confiait Abdulrahman
le 4 avril 2017 ; Al­Mawwas au Monde, en 2016. Peur de faire
des membres mon travail quand, à tout instant, la mort peut
de la Défense civile vous emporter. Le pire, c’est le sifflement des
syrienne sortent bombes. C’est comme une voix qui susurre :
un corps des “Vous allez mourir…’’ Quand l’une d’elles
décombres d’une s’écrase à côté, nous disons : “Ce n’est pas ton
maison, à Ehsim, nom qu’elle murmurait aujourd’hui !’’ C’est
le 18 juillet 2021 ; devenu une blague dans notre unité, pour relâ­
la veille, ils cher la pression. »
pleuraient l’un La guerre des esprits, elle, se joue ailleurs,
des leurs, tué lors dans les médias et sur les réseaux sociaux. La
d’une mission de reprise d’Alep, en décembre 2016, donne lieu
sauvetage dans le à des reportages, dans les médias officiels
village de Sarjah. syriens, où le matériel médical et les masques
ANAS ALKHARBOUTLI/DPA à gaz, retrouvés dans les hôpitaux en ruines
et estampillés « fabriqués en Allemagne »,
sont exhibés comme autant de « preuves »
d’un complot ourdi par les ennemis de la
Syrie. A Moscou, la porte­parole du ministère
des affaires étrangères, Maria Zakharova,
qualifie les casques blancs d’« agents étran­
gers pour d’énormes sommes d’argent », en
« liens étroits avec les terroristes ». Les secou­
ristes qui tombent aux mains de l’armée
d’Assad sont emprisonnés, et pour certains
▶▶▶
soumis à d’humiliantes séances de « confes­
sions » diffusées à heure de grande écoute, à
la télévision syrienne ou russe.
Les attaques ne cessent jamais, relayées
sur les réseaux sociaux par la galaxie des
pro­Assad et pro­Poutine. Ce récit est nourri
par une nébuleuse complotiste, allant de la
journaliste autoproclamée britannique
Vanessa Beeley, partisane enthousiaste
d’Assad, dont les reportages à Damas lui vau­
dront d’être qualifiée de « déesse de la propa­
gande » par son collègue Brian Whitaker,
spécialiste du Proche­Orient, au négation­
niste du 11­Septembre Thierry Meyssan.
Selon eux, les casques blancs sont des
marionnettes aux mains de la CIA, des djiha­
distes ou des suppôts d’Israël. Parfois, un
savant mélange des trois.
L’évacuation en Jordanie d’une centaine de
secouristes et de leurs proches, organisée en
secret via Israël après la reconquête de Deraa,
à la pointe sud de la Syrie, en juillet 2018,
provoque la fureur de Damas : « Les mots
manquent pour exprimer la colère des Syriens
à l’égard de ces conspirations mesquines et du
soutien illimité apporté par les Etats occiden­
taux, Israël et la Jordanie aux “casques blancs”,
aux bandes de Daech […] et autres
organisations terroristes », fait alors savoir le
gouvernement.
On ne compte plus les articles de l’agence
de presse officielle SANA expliquant que la
Défense civile syrienne n’est jamais venue à
la rescousse de victimes d’attaques chimi­
ques, qu’elle les mettait en scène, voire les
provoquait elle­même. Ou affirmant, « ex­
pert » russe à l’appui, que les secouristes
n’aident pas les blessés : ils les dépouillent de
leurs organes – comme en avaient été dé­
pouillés les Serbes, selon la théorie en vogue
lors de la guerre de 1998­1999 au Kosovo… Où
avait servi James Le Mesurier, le patron de
l’organisation Mayday Rescue, sans laquelle
les casques blancs n’existeraient pas.
MAUVAIS COMPTABLE
Le parcours militaire du Britannique, sur le­
quel peuvent s’agréger toutes les théories
complotistes, va peser sur les secouristes
syriens comme une malédiction. La BBC, qui
lui a consacré une longue enquête en février,
décrit Le Mesurier comme un idéaliste un
brin excentrique, à l’allure de Lawrence d’Ara­
bie. Dans sa jeunesse, il aurait postulé pour
rejoindre le MI6, le service de renseigne­
ments extérieurs du Royaume­Uni, en vain.
L’incapacité des Occidentaux à éviter les atro­
cités dans les Balkans et le gâchis américain
en Irak l’ont incité à apporter des réponses
concrètes aux problèmes des populations
locales, en partenariat avec ces dernières.
Tous ceux qui l’ont connu rapportent qu’il
vouait une admiration sans bornes au cou­
rage des casques blancs.
A partir de 2018 s’ajoute à la pression mé­
diatique celle, croissante, des donateurs
étrangers qui réclament des comptes ren­
dus, toujours plus précis, sur la manière dont
leur aide est dépensée. Le département pour
le développement international, dépendant
du gouvernement britannique, impose un
audit à James Le Mesurier, fin 2018 : un pre­
mier rapport est délivré six mois plus tard.
Le 7 novembre 2019, il s’enferme dans son
bureau en compagnie d’une nouvelle équipe
d’auditeurs, avec la crainte, selon ses pro­
ches, de perdre le contrôle de Mayday Rescue
ou de ternir la réputation des sauveteurs
syriens en raison de ses piètres compétences
de comptable. Selon son épouse, l’homme
était aussi en proie, depuis longtemps, à une
profonde dépression.
La découverte de son corps sans vie, quatre
jours plus tard, au pied de son immeuble du
quartier de Karaköy, sur la rive européenne
du Bosphore, déclenche aussitôt les rumeurs
d’un assassinat – chez ses proches comme
chez ses ennemis. Les médias russes
évoquent un « meurtre purement anglais »,
affirmant qu’il a été éliminé par ses « maîtres
du MI6 » lorsqu’il a cessé d’être utile. Bachar
Al­Assad y voit l’œuvre de la CIA, « parce qu’il
connaissait trop de secrets ». La police turque
conclut à un suicide. La Défense civile
syrienne exprime « son choc et sa tristesse ».
Depuis la création de l’organisation, au
moins 292 secouristes ont été tués et plu­
sieurs centaines d’entre eux blessés, le plus
souvent par une seconde déflagration sur le
site où ils étaient venus porter secours.
Outre leurs missions de sauvetage, ils ont
récemment monté six unités de démineurs
chargées de lutter contre ce nouveau fléau
(principalement des bombes à sous­muni­
tion) : le rapport 2021 du Landmine Monitor
a répertorié 2 729 victimes d’explosion de
mines pour la seule année 2020 en Syrie, le
bilan le plus lourd depuis que ces rapports
annuels ont été créés, en 1999. Six casques
blancs sont morts dans ces opérations de
déminage. Les projecteurs sont partis, les
bombes continuent de pleuvoir et les
casques blancs d’accourir. 
cécile hennion
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Ralph Bollmann
« Pour Merkel, il n’y a
rien au­dessus du
poste de chancelier »
Biographe de l’ex­chancelière
allemande, le journaliste
Ralph Bollmann dresse
le portrait d’une dirigeante
pragmatique, efficace face
aux crises successives,
indéfectiblement attachée à
l’Europe… mais peu réformatrice
ENTRETIEN
berlin — correspondant
R
alph Bollmann, 52 ans, est chef
adjoint du service économique
du Frankfurter Allgemeine
Sonntagszeitung. Il est l’auteur
de plusieurs essais historiques
et politiques, parmi lesquels
une biographie remarquée d’Angela Merkel,
parue en juin, Angela Merkel. Die Kanzlerin
und ihre Zeit (« la chancelière et son temps »,
C.H. Beck, non traduit).
Angela Merkel vient de quitter le
pouvoir après seize années à la tête
de l’Allemagne. Selon vous, quelle
est la part de son bilan la plus positive ?
Et quelle est la plus négative ?
Ce qui restera positif, je crois, c’est le sang­
froid, le calme, la ténacité et l’endurance dont
elle a toujours fait preuve dans les crises
majeures – crise financière, crise de la zone
euro, crise des réfugiés, Brexit, élection de
Donald Trump, pandémie – qui ont jalonné
ses quatre mandats. Face à ces différentes
crises, elle a toujours préservé une forme de
stabilité et de continuité. Le revers de cela,
c’est que l’Allemagne, pendant ce temps, s’est
trop peu modernisée. On s’en rend compte
aujourd’hui : qu’il s’agisse des infrastructu­
res, du système éducatif, de la santé, de la
transition numérique, du fonctionnement
des administrations publiques, l’Allemagne
a pris beaucoup de retard.
Mme Merkel est pourtant arrivée au
pouvoir avec de grandes ambitions
modernisatrices. Dans votre livre, vous
rappelez qu’en 2003, deux ans avant son
élection à la chancellerie, la CDU avait
adopté un programme libéral prévoyant
d’importantes réformes, notamment
en matière de santé et de fiscalité…
Face au chancelier social­démocrate
Gerhard Schröder, qui entreprenait de gran­
des réformes sous le label « Agenda 2020 »,
Angela Merkel, alors chef de l’opposition,
estimait que la CDU [Union chrétienne­démo­
crate] ne reviendrait au pouvoir qu’à
condition de promettre encore plus de réfor­
mes, non seulement sur le terrain économi­
que mais aussi sur le plan sociétal. De ce point
de vue, quand elle a formé sa première
« grande coalition » avec le SPD, en 2005, le
portefeuille qu’elle a tenu à obtenir pour la
CDU était celui de la famille, qu’elle a confié
à Ursula von der Leyen, avec la volonté de
mener une politique modernisatrice qui a
d’ailleurs déplu à l’aile conservatrice de la
CDU­CSU [Union chrétienne­sociale en Ba­
vière]. Elle voulait mettre le pays en marche.
Avec de telles ambitions réformatrices,
pourquoi son bilan est­il si maigre ?
Il y a d’abord la succession de crises que
j’évoquais tout à l’heure : quand la zone euro
est au bord de l’explosion, on peut compren­
dre que la chancelière allemande n’ait pas
comme priorité la réforme du fédéralisme. Je
pense ensuite que Merkel a été rattrapée par
son propre tempérament, qui la pousse da­
vantage à la prudence qu’à la prise de risques.
Elle ne serait sans doute pas restée chance­
lière pendant seize ans si elle avait bousculé
les choses autant qu’elle le souhaitait au
départ. Et, surtout, elle a rapidement compris
que les Allemands, en réalité, ne voulaient
pas trop que les choses changent ; c’est pour
ça qu’elle a, au début, regardé avec scepti­
cisme le pathos révolutionnaire d’hommes
politiques comme Emmanuel Macron ou
Barack Obama. Il y a d’ailleurs là quelque
chose de paradoxal : après avoir été élue,
en 2005, sur une promesse de changement,
elle a ensuite été réélue, en 2009, 2013 et 2017,
parce qu’elle incarnait le contraire, à savoir
une garantie de stabilité.
Au fil des années, sa façon de gouverner
a­t­elle évolué ?
Assez peu. Le cercle de ses confidents s’est
nettement resserré, et elle est devenue de
plus en plus fermée dans ses relations avec
les médias. Mais, pour l’essentiel, elle s’est
appuyée sur le même tout petit noyau de fi­
dèles, du début jusqu’à la fin : ses deux plus
proches collaboratrices, Beate Baumann et
Eva Christiansen, et son mari, Joachim Sauer.
Dans sa façon d’agir, il y a eu assez peu de
changement. Avant chaque décision, elle a
toujours pris le temps de réfléchir, parfois en
consultant de nombreuses personnes mais
en toute discrétion, au risque de susciter de
l’impatience dans le pays et de faire dire aux
journalistes : « Où est passée la chancelière ?
Pourquoi se tait­elle ? »
Au pouvoir, Merkel a parfois pris des
décisions contradictoires avec ses engage­
ments passés : en 2011, la sortie du nucléaire
alors qu’elle a toujours défendu cette source
d’énergie ; en 2017, elle permet l’adoption
du mariage homosexuel, contre lequel
elle vote à la dernière minute ; en 2020, elle
prône une mutualisation de la dette euro­
péenne, ce qu’elle avait toujours refusé…
Chez Merkel, il y a à la fois un pragmatisme
absolu et une fidélité inébranlable à
quelques grands principes. Son pragma­
tisme concerne la politique de tous les
jours : par exemple, ce n’est pas le genre de
personne que le débat sur la TVA à 16 % ou
19 % empêchera de dormir. En revanche,
s’agissant de la défense des principes démo­
cratiques fondamentaux ou de son refus de
toute coopération avec l’extrême droite, elle
reste ferme. Souvenez­vous, par exemple,
des critiques qu’elle a adressées au pape
Benoît XVI quand celui­ci, en 2009, a levé
l’excommunication de Mgr Williamson, un
évêque intégriste auteur de propos néga­
tionnistes. Rien ne l’y obligeait. Benoît XVI
étant lui­même allemand, elle a peut­être
estimé que c’était sa responsabilité de le
critiquer publiquement.
Elle attache aussi une grande importance
au compromis et au dialogue. Un passage du
discours qu’elle a prononcé à l’université
Harvard, le 30 mai 2019, le résume parfaite­
ment : « J’ai appris que même les questions les
plus compliquées peuvent trouver des répon­
ses, si nous regardons les choses avec les yeux
des autres et si nous avons du respect pour
l’histoire, les traditions, les religions et les
identités qui ne sont pas les nôtres. » Cela peut
sembler banal, mais dans l’Amérique de
Donald Trump, ces propos ont fait sensation.
Ce mélange de pragmatisme et d’idéa­
lisme est­il à l’œuvre dans sa décision de
ne pas fermer les frontières de l’Allema­
gne lors de la crise migratoire de 2015 ?
Oui. Sa volonté n’a jamais été de sauver
tous les réfugiés du monde. Elle a d’ailleurs
pu montrer en plusieurs circonstances
qu’elle était capable d’une certaine froideur
et qu’elle n’avait rien d’une Mère Teresa. De
ce point de vue, je ne pense pas que son atti­
tude, à l’époque, ait été dictée par son atta­
chement aux valeurs chrétiennes ou à son
héritage de fille de pasteur. Je pense plutôt
qu’a primé le souvenir de 1989 : en tant qu’Al­
lemande ayant grandi à l’est du rideau de fer,
elle ne pouvait accepter de voir les frontières
se refermer à l’intérieur de l’Europe. Elle s’est
toujours dit que si le plus grand pays euro­
péen refermait ses frontières, ce serait la fin
de l’Europe ouverte, telle qu’elle s’est cons­
truite après la chute du mur de Berlin.
Lors de l’anniversaire de l’unité allemande,
le 3 octobre, Merkel a pour la première fois
évoqué son identité d’ancienne citoyenne
de RDA, en disant à la première personne :
« Nous, Allemands de l’Est… » Est­ce une
façon de reconnaître que, trente ans après
la réunification, cet héritage a durablement
marqué son action ?
Elle a toujours considéré qu’elle était la
chancelière de tous les Allemands et pas seu­
lement d’une partie d’entre eux – comme
Barack Obama ne voulait pas être le président
des Noirs en Amérique. Ensuite, elle n’a ja­
mais été une Allemande de l’Est lambda : fille
de pasteur et titulaire d’un doctorat en physi­
que, elle appartenait à une forme d’élite de la
RDA. Cela dit, ce passé l’a profondément mar­
quée à plusieurs niveaux. Si elle s’est montrée
si soucieuse de défendre les acquis de la
démocratie libérale, en exprimant parfois de
vraies inquiétudes sur l’avenir de celle­ci, c’est
parce qu’elle sait ce que cela veut dire que de
vivre en dictature – et parce qu’elle a appris,
en 1989, qu’un système politique et économi­
que peut disparaître d’un jour à l’autre.
On ne peut pas non plus comprendre son
attitude vis­à­vis de la Pologne ou de la Hon­
grie sans prendre en compte cet héritage :
quelle que soit son aversion pour la politique
de Jaroslaw Kaczynski [l’homme fort de la
géopolitique | 29
« Angela, Einstein de
la politique », d’Hervé
Loiseau. Acrylique sur toile
et bombe de peinture
(1 mètre x 1 mètre),
2020. HERVÉ LOISEAU
Hervé Loiseau
L’artiste français est passé
par le graphisme, la
télévision, la publicité… et
de nombreux pays sur tous
les continents, avant de
se concentrer pleinement
sur l’art, depuis 2016. Dans
la série de toiles « Toto », au
croisement du graffiti, du
tag et de la peinture,
il affirme s’adresser « aux
puissants de ce monde,
ceux qui sont capables de
faire ou défaire des cultures,
des sociétés, ceux qui sont
capables de faire le bien
ou le mal ». A propos
d’Angela Merkel, qu’il
qualifie d’« ovni politique », il
commente : « On ne peut
qu’avoir de l’admiration
devant une telle longévité,
un tel savoir-faire. »
Des personnalités aussi
diverses qu’Elon Musk,
Donald Trump, Greta
Thunberg, Jeff Bezos,
ou encore la joueuse
de tennis Naomi Osaka,
ont pareillement eu droit
à leur « tête à Toto ».
DANIEL PILAR
Pologne, vice­premier ministre et président du
PiS] ou de Viktor Orban [le premier ministre
hongrois], elle n’oublie pas le rôle joué par ces
deux pays dans la chute du bloc soviétique.
C’est pourquoi il est indispensable, à ses
yeux, de les garder au sein de l’Union euro­
péenne.
L’un des discours d’Angela Merkel les
plus empreints d’émotion est celui qu’elle
a prononcé, le 23 novembre 2015, aux
funérailles du social­démocrate Helmut
Schmidt. De ses prédécesseurs, est­il
celui auquel elle aura le plus ressemblé ?
Oui, je pense que Merkel est plus l’héritière
de Schmidt [chancelier de 1974 à 1982] que de
Konrad Adenauer [1949­1963] ou de Helmut
Kohl [1982­1998]. Non parce qu’ils sont tous
les deux nés à Hambourg et pas seulement
parce qu’ils sont tous les deux protestants,
tandis qu’Adenauer et Kohl sont des catholi­
ques rhénans. Mais aussi parce que Merkel, au
sein de la CDU, et Schmidt, au sein du SPD,
n’ont jamais été totalement en phase avec
leur propre parti.
Certains passages de l’oraison funèbre que
vous évoquez sont troublants : en entendant
Merkel citer la célèbre phrase de Schmidt se
moquant des dirigeants politiques animés
par de grandes visions (« Ceux qui ont des
visions doivent aller chez le médecin »), faire
l’éloge de son « sobre pragmatisme » et de sa
« répugnance à se laisser enfermer dans
l’idéologie », ou encore affirmer que « les
qualités d’un chancelier apparaissent dans
les crises auxquelles il est confronté », on ne
pouvait que penser à un autoportrait à la
troisième personne.
Comment imaginez­vous son avenir ?
Elle a toujours dit qu’elle ne ferait plus de
politique après son départ de la chancellerie
et je la crois volontiers. Rien ne l’agaçait
davantage, ces dernières années, que les
rumeurs disant qu’elle pourrait, par exem­
ple, devenir présidente de la Commission
européenne. A ses yeux, quand on fait de la
politique, il n’y a rien au­dessus du poste de
chancelier. Pour le reste, elle est très évasive :
elle a dit qu’elle aimerait se remettre à lire et
avoir plus de temps pour dormir, mais il est
clair qu’elle ressentira un vide.
Cela dit, j’ai tendance à penser qu’elle le
vivra mieux que d’autres. D’abord, parce
qu’elle quitte le pouvoir volontairement.
Ensuite, parce qu’elle a eu une vie en dehors
de la politique : on l’oublie parce qu’elle a
occupé le devant de la scène pendant un
quart de siècle comme ministre, chef de l’op­
position puis chancelière, mais Angela Mer­
kel n’a commencé sa carrière politique qu’à
l’âge de 35 ans [comme porte­parole adjointe
de Lothar de Maizière, chef du dernier gouver­
nement de RDA], ce qui est relativement tard
par rapport à des personnalités qui ont
connu le même destin. 
propos recueillis par thomas wieder
30 | carnet
Lina Wertmüller
Cinéaste italienne
Dans les années 1980, à Rome.
PICTUREALLIANCE/ICON SPORT
F
igure extravagante et ico­
noclaste du cinéma ita­
lien, au look jovial fidèle
à ses lunettes à monture
blanche, première femme ci­
néaste à avoir été nominée à l’Os­
car hollywoodien de la mise en
scène (en 1977, pour Pasqualino),
Lina Wertmüller est morte le
8 décembre, à Rome, à 93 ans.
Née le 14 août 1928 à Rome, Ar­
cangela Felice Assunta Wertmüller
von Elgg Spanol von Braueich, fille
d’un avocat suisse, expulsée de
onze lycées catholiques, devient
institutrice avant d’opter pour le
théâtre de marionnettes, de fon­
der une troupe d’avant­garde, de
devenir assistante de Federico Fel­
lini sur Huit et demi.
Elle obtient ce privilège grâce à
une amie d’école, Flora Carabella,
qui la présente à son mari, un cer­
tain Marcello Mastroianni. Chro­
nique néoréaliste d’un groupe de
vitelloni du sud de l’Italie, inspiré
de son histoire familiale, son pre­
mier film, I basilischi (1963), affiche
l’influence du maestro auteur
d’Amarcord. Fellini restera sa réfé­
rence. Elle est primée au Festival
de Locarno.
Une veine carnavalesque
C’est en 1972 que sa notoriété tra­
verse les frontières, grâce à Mimi
métallo blessé dans son honneur,
comédie de mœurs sicilienne qui
lance deux acteurs, Giancarlo
Giannini et Mariangela Melato.
Les figures de ce couple fétiche se­
ront souvent réunies devant sa
caméra. Le macho ténébreux et
guignolesque, la vociférante
flamboyante, faire­valoir des mé­
gères bien en chair, putes hautes
en couleur, fortes ogresses prodi­
gues en rots et pets. Mimi mé­
tallo… est un vaudeville picares­
que sur un ouvrier sicilien pris en­
tre un clan mafieux et une épouse
volcanique. Il révèle un style pro­
pre à la réalisatrice, une veine car­
navalesque, jouant sur le grotes­
que, alternant les gros plans sur
des trognes monstrueuses et des
scènes triviales surjouées.
La longueur du titre de ses films
est l’une de ses marques de fabri­
que. L’un d’eux figure au livre
Guiness des records (Fatto di san­
gue fra due uomini per causa di
una vedova – si sospettano mo­
venti politici, soit « fait de sang en­
tre deux hommes à cause d’une
veuve – des motifs politiques sont
suspectés », auquel la traduction
D’amour et de sang aura été préfé­
rée en version française).
Lina Wertmüller signe deux
films l’année suivante. Film
d’amour et d’anarchie dépeint un
paysan anarchiste caché dans une
maison close et déterminé à as­
sassiner Mussolini ; il vaut à l’ex­
pressionniste Giancarlo Giannini
le prix d’interprétation mascu­
14 AOÛT 1928 Naissance
à Rome
1972 « Mimi métallo blessé
dans son honneur »
1975 « Pasqualino »
1978 « D’amour et de sang »
2019 Reçoit un Oscar
d’honneur
8 DÉCEMBRE 2021 Mort
à Rome
line à Cannes. Chacun à son poste
et rien ne va suit le parcours
d’émigrés du Sud en quête de tra­
vail, du cuisinier à la femme de
chambre, du voleur à la prosti­
tuée. La cinéaste reprendra le titre
de ce film pour publier ses Mé­
moires en 2012, chez Mondadori.
Montrant une femme richis­
sime, hautaine, symbole du capi­
talisme, qui passe des vacances
sur son yacht et se retrouve
échouée sur une île déserte avec
ses invités et son majordome
communiste, Vers un destin inso­
lite sur les flots bleus de l’été (1974)
illustre une nouvelle fois guerre
des sexes et lutte des classes. Pas­
qualino (en italien Pasqualino Set­
tebellezze) cumule quatre nomi­
nations pour l’Oscar et fait scan­
dale à Hollywood : déserteur de
l’armée italienne, un fanfaron mi­
nable et lâche y est capturé par les
Allemands et envoyé en camp de
concentration, où il se conduit mi­
sérablement pour sauver sa peau.
Dans un texte intitulé « Survivre »,
publié en 1976 dans le New Yorker,
le psychanalyste Bruno Bettel­
heim fustige ce refus de voir que la
vie a un sens, cette peinture cyni­
que d’un monde considéré
comme « un grand bordel ».
Lina Wertmüller s’estime in­
comprise. Usant de la farce, elle
déconstruit, subvertit, pour viser
la société italienne, le sexisme, le
machisme. Certains de ses specta­
teurs ne saisissent pas son ironie,
prennent ses satires au premier
degré, par exemple lorsqu’elle
montre les Siciliennes lavant les
pieds des hommes, ou qu’elle fait
dire à un personnage qu’une
femme est « faite pour tricoter ».
D’amour et de sang (1978), son
meilleur film peut­être, est un mé­
lodrame politique situé à l’aube de
la seconde guerre mondiale. Un Si­
cilien tombe amoureux d’une
veuve dont le mari a été tué par le
parrain local. Marcello Mas­
troianni y courtise Sophia Loren.
En 1986, elle signe Camorra, sur les
ravages de la mafia, sélectionné au
Festival international du film de
Berlin. C’est le seul de ses films qui
ne soit pas teinté de comédie. Elle
reçut en 1985 le prix Women in
Film Crystal Award, décerné aux
femmes qui ont élargi le rôle de
leurs congénères dans l’industrie
du divertissement. 
jean­luc douin
Le Carnet
Vous pouvez nous faire parvenir
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AU CARNET DU «MONDE»
Décès
Dominique Arnal,
sa compagne,
Catherine et Antoine Caillault,
Marie-Hélène Graber
et son compagnon, Bruno Banas,
Aliénor et Francois Faure,
Lucile et Thomas Leprette,
leurs enfants et petits-enfants,
ont la peine de faire part du décès du
docteur Alain FAURE,
survenu le 8 décembre 2021.
Le 14 décembre, à 14 h 30, un culte
se tiendra au Temple de Clarensac,
suivi de l’inhumation, à 15 h 45, au
cimetière de Saint-Dionisy (Gard).
4, route de Calvisson,
30980 Saint-Dionisy.
Reims. Lyon. Rouen. Luxembourg.
Buenos Aires.
Mariana, Michele, Martina,
ses filles,
Edouard et Vincent,
ses gendres,
Charles, Celeste, Léonor, Flore,
Gabriel,
ses petits-enfants,
Ses frères, belles-sœurs et beaux-
frères, en Argentine et en France,
ont l’immense tristesse de faire part
du décès du
docteur Arsenio
FERNANDEZ VALONI,
survenu le 5 décembre 2021.
Une pensée est demandée pour
son épouse, le
docteur Dominique
FERNANDEZ VALONI,
née GOASGUEN,
décédée le 21 janvier 2021.
La cérémonie religieuse aura lieu
le mardi 14 décembre, à 10 h 30,
en l’église Saint-Jean-Baptiste de la
Neuvillette, à Reims.
La famille remercie les personnes
qui s’associent à sa peine.
Cet avis tient lieu de faire-part.
Veyrier-du-Lac (Haute-Savoie).
Andrée,
son épouse,
Isabelle, Marie-Anne, Bénédicte
et Alice,
ses filles,
Théo, Olga, Hugo, Valentin, Hadrien
et Damien, Stella, Ambre,
ses petits-enfants,
ont le chagrin de faire part du décès
de
Bertrand HAMAIDE,
chevalier
de l’ordre national du Mérite,
ingénieur Supaéro
promotion 1958,
ancien président-directeur général
sociétés Intertechnique
Aéronautique
et Kollmorgen Artus.
La cérémonie religieuse sera
célébrée le 14 décembre 2021, à 13 h 30,
en l’église de Veyrier-du-Lac.
Florence HELLOT-BELLIER
nous a quittés dans la nuit du 7 au
8 décembre 2021, à l’âge de soixante-
dix-huit ans, entourée de l’affection
de ses enfants et petits-enfants.
Une de ses dernières pensées a été
pour ses amis iraniens et assyro-
chaldéens.
Une cérémonie religieuse aura
lieu en l’église de Jouy-en-Josas, le
mardi 14 décembre, à 15 heures.
Elle sera inhumée à Val-des-Prés
(Hautes-Alpes) pour y retrouver cette
lumière qu’elle aimait tant.
Jacques Bellier
Et ses enfants.
Mme Georges Marescaux,
née Cécile Grosjean,
son épouse,
L’ingénieur en chef de l’armement,
Bruno Marescaux
et Mme Clara Poirier-Marescaux,
Mme Élisabeth Marescaux et M. Léon
Delvaux,
ses enfants,
Joachim, Héloïse, Élouan, Gautier,
Eugénie, Aymeric, Nathanaël, Brieuc
et Hadrien,
ses petits-enfants,
Le docteur Catherine Marescaux,
sa sœur,
Mme Henri Marescaux,
sa belle-sœur,
en union avec le général Henri
Marescaux (†),
Les familles Marescaux, Balmelle,
Gérard et Grollemund,
ont la tristesse de faire part du décès
du
général
Georges MARESCAUX,
Saint-Cyr
(promotion Vercors),
officier de la Légion d’honneur,
officier
de l’ordre national du Mérite,
survenu le 6 décembre 2021,
dans sa quatre-vingt-troisième année.
Une cérémonie religieuse aura
lieu en l’église Saint-Martin de
Meudon (Hauts-de-Seine), le lundi
13 décembre, à 10 heures, suivie
de l’inhumation au cimetière de
Meudon.
158, rue de Paris,
92190 Meudon.
Marie-France (Mizou),
son épouse,
Jean et François,
ses fils,
Anne Radvanyi,
sa nièce,
Netty Radvanyi, Tibor et Marielle
Radvanyi, Etienne et Eugénie Radvanyi,
Charlotte Radvanyi,
ses petits-enfants et leurs conjoints,
ont la douleur de faire part du décès
de
Pierre RADVANYI,
29 avril 1926 - 6 décembre 2021,
ancien directeur de recherche
au CNRS,
ancien directeur adjoint
du laboratoire national Saturne,
ancien secrétaire général
de la Société Française de Physique,
secrétaire
de l’Association Curie-Joliot-Curie,
docteur honoris causa
de l’université d’Uppsala.
Michèle Tixier,
épouse Boichard,
sa fille,
Didier Boichard,
son gendre,
Nicolas Boichard
et Samantha Lemeunier,
Florence Boichard,
ses petits-enfants,
Janne Boichard,
son arrière-petite-fille,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Andrée Jeanne TIXIER-VIDAL,
directrice de recherche honoraire
au CNRS,
chevalier
dans l’ordre national du Mérite,
survenu en son domicile parisien,
le 8 décembre 2021, dans sa quatre-
vingt-dix-neuvième année.
La cérémonie d’adieu aura lieu
le vendredi 17 décembre, à 14 h 30, en
la salle Mauméjean du crématorium
du cimetière du Père-Lachaise, 71, rue
des Rondeaux, Paris 20e.
Françoise et Dominique,
ses filles
et leurs conjoints,
Ari et Anna,
ses petits-enfants,
Marie Amélie Peretti, Michele
Puybasset,
ses sœurs,
Les familles Viars, Chaffard, Ortas,
Mercury, Puybasset, Lavedan,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Misou VIARS,
née PERETTI,
survenu le 8 décembre 2021.
Elle rejoint son amour, le
professeur Pierre VIARS.
La cérémonie religieuse aura lieu
le lundi 13 décembre, en l’église
Notre-Dame-de-Grâce-de-Passy,
Paris 16e, à 14 heures.
Une cérémonie aura lieu le
mercredi 15 décembre, à Guitera,
précédant l’inhumation au cimetière
familiale de Zevaco (Corse).
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Jan et Anne-Marie Vrla,
Stanislas Vrla,
Irène et Gérard Guillaume,
ses enfants,
Sophie, Amélie et Alexandre,
ses petits-enfants,
remercient tous ceux qui se sont
associés à leur peine après le décès
de
Zdenka VRLA,
née ČIŽKOVÁ,
survenu le 24 novembre 2021,
dans sa quatre-vingt-seizième année.
Les obsèques ont eu lieu dans la
stricte intimité familiale à Vernon
(Eure).
35, rue Tony Neuman,
2241 Luxembourg.
jvrla@pt.lu
99-101, boulevard de Grenelle,
75015 Paris.
9, place de la Montagne-du-Goulet,
75015 Paris.
Le président
et le conseil d’administration,
La directrice,
Le personnel,
de l’ASFORED,
ont la tristesse de faire part du décès
de
François de WARESQUIEL,
président d’honneur,
ancien président
de l’ASFORED de 1995 à 2018.
survenu le 8 décembre 2021,
dans sa soixante-seizième année.
Il fut pour tout le personnel de
l’ASFORED comme pour ses
nombreux étudiants, un président
humain et attentionné, soucieux des
jeunes et proche d’eux. Tous ceux
qui l’ont connu, de près ou de loin,
garderont de lui le plus chaleureux
souvenir.
La Société des amis du musée
national Eugène-Delacroix
a la tristesse de faire part du décès
de leur président,
François de WARESQUIEL,
survenu le 8 décembre 2021, à Paris.
Elle rappelle la mémoire de sa
grand-mère, la
comtesse de WARESQUIEL,
cofondatrice en 1929
de la Société des amis
d’Eugène Delacroix.
Elsa, Frédérica et Natacha
Wolinski,
ses filles,
Lila, Bianca, Lola, Georgia,
Antoine,
ses petites-filles et son petit-fils,
ont la tristesse de faire part du décès
de
Maryse WOLINSKI,
écrivaine,
survenu le jeudi 9 décembre 2021.
Une bénédiction aura lieu le
mercredi 15 décembre, à 10 heures,
en l’église Saint-Eustache, Paris 1er.
L’inhumation aura lieu le jeudi
16 décembre, à 11 h 30, au cimetière
du Montparnasse, Paris 14e.
Cet avis tient lieu de faire-part.
wolinskimaryse@gmail.com
Anniversaires de décès
Il y a quarante ans, le 13 décembre
1981, disparaissait
Silvère Alphonse Gabriel
DALLONI
(1927-1981).
À la mémoire de
Sophie
LEHMANN ROZENBERG.
Il y a dix ans Sophie nous quittait.
Une partie de notre monde a
disparu ce jour-là, celle qui lui
donnait sa douceur et sa créativité.
Il y a des silences qui font plus de
bruit. Celui provoqué par son départ
est fracassant.
Depuis notre chagrin ne vieillit
pas. Pour l’apaiser, nous faisons
grandir nos cœurs orphelins, nous
cherchons son sourire dans celui de
nos enfants, ce sourire qui nous
permet de poursuivre nos chemins
avec force et espoir.
Dix ans déjà,
Renaud THIRCUIR,
13 mars 1971 - 13 décembre 2011.
Souvenir
Une prière, une pensée, pour
Jean-Michel PUYSERVER,
Essec 1974,
qui nous a quittés le 13 décembre
2011, il y a dix ans.
0123
Remerciements
La Fédération des Aveugles
de France
rend hommage
à ses généreux bienfaiteurs.
En désignant notre association
comme bénéficiaire
de leur patrimoine,
ils contribuent à améliorer
la vie quotidienne
des personnes aveugles
et malvoyantes.
Leur mémoire restera à jamais
ancrée dans nos souvenirs.
Nous ne les oublierons jamais.
Fédération des Aveugles
de France,
6, rue Gager Gabillot,
75015 Paris.
Tél. : 01 44 42 91 91.
Commémoration
Commémoration de la rafle du
12 décembre 1941 et de l’exécution
de 95 otages par les nazis.
Le 12 décembre 1941, les autorités
allemandes d’occupation ont initié
et opéré, avec le concours de la police
parisienne, la première rafle
d’envergure ciblant exclusivement
des hommes juifs de nationalité
française considérés comme des
notables. 743 personnes sont
regroupées à l’École militaire et
transportées le lendemain au camp
militaire allemand de Compiègne.
Pour atteindre l’objectif initial de
mille arrestations, la police nazie
transfère également 300 internés
juifs étrangers du camp de Drancy
vers Compiègne. Là, le régime
carcéral particulièrement rigoureux
entrainera la mort de 32 prisonniers.
Beaucoup seront déportés le 27 mars
1942 par le premier convoi de Juifs
partis de France à destination du
camp d’Auschwitz.
Simultanément, en représailles à
des actions de résistance, l’exécution
de cent otages est annoncée par
l’occupant. Le 15 décembre 1941,
95 personnes sont effectivement
fusillées. 70 otages sont exécutés au
Mont Valérien : 52 Juifs provenant
du camp de Drancy et d’autres
prisons et 18 autres résistants ou
opposants dont le député
communiste Gabriel Péri. 25 otages
sont exécutés à Caen, Fontevrault
et Châteaubriant, dont le député
communiste Lucien Sampaix.
Cela s’est passé il y a 80 ans. Ne
l’oublions pas.
Les Fils et Filles des Déportés Juifs
de France,
La Fondation pour la Mémoire de
la Shoah,
Le Mémorial de la Shoah.
Communication diverse
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par téléphone et/ou par internet
ceux qui souffrent de solitude,
de mal-être et peuvent avoir
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Sébastien Carganico, vice-président

0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Toutes les contradictions d’Ilya Répine
Le Petit Palais consacre une riche rétrospective au peintre russe, à la fois pour et contre le pouvoir impérial
ARTS
L
e peintre Ilya Répine
(1844­1930) est célèbre
dans sa Russie natale, où
plusieurs de ses tableaux
sont tenus pour des représenta­
tions caractéristiques de l’histoire
nationale et reproduits. En France,
il est peu connu, et sa rétrospec­
tive au Petit Palais, à Paris, est une
première. Ce serait déjà une rai­
son suffisante de s’y rendre. Une
deuxième est que les musées de
Moscou et de Saint­Pétersbourg
ont été des prêteurs généreux. La
troisième est que la présentation,
tout en s’autorisant des allusions
aux intérieurs dans lesquels ces
œuvres étaient accrochées initia­
lement, est cependant assez sobre
pour que celles­ci aient la place né­
cessaire à leur exposition.
Or, il leur en faut de la place. Les
Haleurs de la Volga (1870­1873)
mesure presque 3 mètres de long,
de même que la Procession reli­
gieuse dans la province de Koursk
(1881­1883). Les Cosaques zaporo­
gues (1880­1891) dépasse les
3,50 mètres. La palme revient à
l’immense Alexandre III recevant
les doyens des cantons dans la
cour du palais Petrovski à Moscou,
de 1886, trop long titre pour une
trop grande peinture officielle.
Si l’on précise ces dimensions
considérables et ces dates d’exé­
Les mille et une merveilles mutantes de Lia Rodrigues
La chorégraphe brésilienne présente au Centquatre­Paris « Encantado », un spectacle bariolé, entre camouflage et travestissement
DANSE
U n océan de tissus bario­
lés, une jungle de carte
postale, un immense lit
communautaire, toutes les peaux
du monde recouvrent de vagues
le plateau d’Encantado, nouvel
opus de la chorégraphe brési­
lienne Lia Rodrigues. Le déroule­
ment lent de ce patchwork, vérita­
ble tapis volant pour l’imaginaire,
ouvre la pièce pour onze interprè­
tes, à l’affiche, après le Théâtre de
Chaillot, du Centquatre­Paris, du
10 au 14 décembre, dans le cadre
du portrait consacré à l’artiste par
le Festival d’automne.
Ce dispositif, d’une grande
beauté plastique, se compose en
réalité d’une centaine de couver­
tures achetées sur un marché de
Rio par Lia Rodrigues, dont on sait
l’attachement à des matériaux
cution qui s’étirent souvent sur
des années, ce n’est pas par souci
d’érudition, mais parce qu’elles
sont significatives. L’œuvre de Ré­
pine est en effet à la fois cohérente
et ambiguë, ce second point en
faisant l’intérêt.
Règne du réalisme
La cohérence est professionnelle.
Admis à 20 ans à l’Académie impé­
riale des beaux­arts de Saint­Péter­
sbourg, il est académicien en 1876
et directeur de l’atelier de peinture
de de 1894 à 1907. Sa carrière est
réussie, du moins jusqu’en 1917 et
la révolution d’Octobre. Comblé de
commandes de portraits, il fait po­
ser les gloires artistiques et intel­
lectuelles russes, le tsar Nicolas II,
quelques ducs et généraux et des
dames de l’aristocratie. Unique pé­
ripétie : à la fin des années 1890, il
quitte son épouse, après deux dé­
cennies de mariage et quatre en­
fants, pour l’écrivaine Natalia
Nordman, qui milite pour les
droits des femmes et une société
moins inégalitaire et autocratique.
La cohérence stylistique est
aussi flagrante. Répine sait imiter
n’importe quel motif, visage, vête­
ment, fauteuil ou cheval. Il va jus­
que dans les détails des chevelu­
res, dentelles et médailles militai­
res. Il les éclaire d’une lumière
égale, qui permet de tout voir aisé­
ment. Naturellement, il maîtrise
modestes et quotidiens. Le ta­
bleau inaugural impeccablement
composé et tout doux du poil va
vite se découdre, exploser sous
les crapahutages des danseurs qui
s’emparent des étoffes pour déco­
rer leur nudité, se costumer pas­
sionnément et tout envoyer val­
ser d’un coup de tête. Les couver­
tures volent, claquent comme des
drapeaux ou des lanières, au gré
d’apparitions de créatures plus bi­
zarres les unes que les autres. Là,
une sirène géante bat de la na­
geoire ; ici, une boule roule du po­
potin ; plus loin, une divinité cha­
manique virevolte… Un tigre
mord une rose elle­même avalée
par un serpent tenu à bout de bras
par un drôle de charmeur.
Ces mille et une merveilles mu­
tantes illustrent la source d’inspi­
ration principale de Lia Rodri­
gues, comme elle l’indique dans
la perspective en intérieur et en
extérieur. Menzel en Allemagne,
Meissonier ou Gérôme en France,
Fortuny en Espagne et d’autres de
ses contemporains sont, comme
lui, des spécialistes aussi à l’aise
dans le portrait que dans la pein­
ture d’histoire. Ce réalisme, qui rè­
gne à Moscou comme à Vienne,
Paris ou Munich, est le style inter­
national de l’époque. Les succès de
Répine aux Expositions univer­
selles de Chicago, en 1893, et de Pa­
ris, en 1900, sont des indices,
parmi une infinité d’autres, de la
domination quasi universelle de
cette conception du métier de
peintre. Il y est si attaché que son
séjour en France, 1873 à 1876, n’a
pas de conséquences sur son art.
S’il regarde Manet, c’est pour
juger que son tableau Argenteuil
(1874) n’est « pas mal », mais sa
propre peinture de la vie pari­
sienne s’en tient à un pittoresque
aimable, loin de Manet, Degas ou
Forain. Ses scènes de la vie rurale
normande sont timides par rap­
port à Millet, et sa Femme noire,
exposée au Salon de 1876, relève
de l’orientalisme le plus convenu.
Il n’évolue pas plus tard. En 1893, le
Salon parisien serait, selon lui,
« une maison de fous », entre im­
pressionnistes « tombés dans la
routine du réflexe des coloris lilas,
bleu ciel et orange » et symbolistes
perdus dans « l’expression la plus
Cette libre et folle
exploration, entre
camouflage et
travestissement,
souffle un grand
vent d’enfance
et de joie
le programme : l’univers prolifé­
rant et magique des « encanta­
dos » auxquels le titre de la pièce
fait référence. Il s’agit d’entités
afro­américaines, esprits de la na­
ture, se déplaçant entre ciel et
terre, et revêtant des formes diffé­
rentes. La musique répétitive du
spectacle, des chansons du peu­
ple Guarani Mbya, jouées pen­
dant la manifestation des indigè­
Son tableau
« Ivan le Terrible
et son fils Ivan »,
montrant le tsar
fou tuant son
fils, n’est pas
politiquement
anodin en 1885
artificielle de l’imagination d’un
artiste à l’âme malade ». Il y a là de
quoi inciter à conclure que Répine
n’est qu’un pompier russe.
Son œuvre ne s’interprète ce­
pendant pas si simplement. Dans
chacun des genres qu’il pratique,
Répine est étrangement contra­
dictoire. Nombre de ses portraits
célèbrent avec quelque flagorne­
rie pouvoir impérial, noblesse et
richesse. Mais d’autres ont des
modèles plus intéressants, les
compositeurs Modeste Mous­
sorgski, Mikhaïl Glinka et Alexan­
dre Glazounov, la « baronne
rouge » Varvara Ikskül von Hilden­
brandt – dont le militantisme est
proche de celui de son amie
Natalia Nordman – et surtout
Tolstoï, dont l’autorité morale et
politique déplaît au pouvoir et à
l’Eglise orthodoxe. Or, Répine est
son portraitiste attitré et son dis­
nes pour la reconnaissance de
leurs terres, à Brasilia, en août, est
un appel pressant au rituel.
Goût pour le soulèvement
Les métamorphoses permanen­
tes des interprètes se superposent
au gré des tissus qu’ils nouent et
enfilent. Leurs mues successives,
criblées de cris et de grimaces
comme souvent chez Lia Rodri­
gues, mettent aussi en avant le
thème de l’invention de soi, des
identités plurielles et contradic­
toires qui nous chahutent et de
tous les possibles à portée de
main. Femme, homme, mi­l’un
mi­l’autre, végétal, animal, sculp­
ture vivante, les corps s’échap­
pent et ne se ressemblent plus.
Cette libre et folle exploration, en­
tre camouflage et travestisse­
ment, souffle un grand vent d’en­
fance et de joie.
CULTURE
ciple autoproclamé. Alors,
Répine ? Courtisan ou opposant ?
Ses tableaux d’histoire ne per­
mettent pas de répondre, tout au
contraire. Les Haleurs de la Volga
témoigne de la misère d’hommes
traités comme des animaux de
bât. Dans ses détails, la Procession
religieuse dans la province de
Koursk montre une bourgeoise
étalant sa prospérité, des paysan­
nes mal vêtues, un bossu, un cava­
lier qui fouette des pèlerins et la
morgue d’un officier ventripotent.
Patriotes et révolutionnaires
Quant au sentiment du sacré, on
le chercherait en vain. Les Cosa­
ques zaporogues, que Répine met
une décennie à finir par souci
d’exactitude des costumes et ac­
cessoires, est assurément un mor­
ceau massif de patriotisme russe,
les Cosaques étant en train d’écrire
une lettre d’insultes au sultan ot­
toman Mehmed IV. Alexandre III
recevant les doyens en est un autre,
image de propagande emphati­
que et de format démesuré. Mais
Répine célèbre aussi la Commune
de Paris et les narodniks, révolu­
tionnaires qui veulent abattre le
pouvoir tsariste et finissent dé­
portés ou exécutés.
Avant la confession, L’Arrestation
du militant, La Réunion et Ils ne l’at­
tendaient plus – le retour inopiné
d’un déporté politique en haillons
On retrouve dans ce conte choré­
graphique éclatant de couleurs le
goût pour le soulèvement, tou­
jours présent chez Lia Rodrigues
en particulier dans sa pièce précé­
dente, Furia (2018), plus sombre,
plus prenante. Il se module ici en
parade, parfois même en défilé de
mode, avec ce talent repéré de la
chorégraphe pour les mouve­
ments de masse. La nudité des per­
formeurs, l’économie visuelle du
propos, paradoxalement serrée et
débordante, soutient ferme ce
théâtre physique nourri par les ac­
cessoires et les situations qu’ils gé­
nèrent. Avec un bémol : à force de
tirer sur le fil de ce raout textile, il
s’effiloche un peu.
Programmé parallèlement à No­
roroca, créé en 2020 pour la com­
pagnie norvégienne Carte Blan­
che, et aux Fables à la fontaine, ce
spectacle a été conçu pendant la
| 31
« Les Haleurs
de la Volga »
(1870­1873) ,
huile
sur toile.
MUSÉE D’ÉTAT RUSSE,
SAINT-PÉTERSBOURG
chez lui – leur sont dédiés, avec
une sympathie visible. Dans le
même temps, il peint donc pour et
contre le régime impérial. Et son
fameux tableau d’histoire, Ivan le
Terrible et son fils Ivan le 16 novem­
bre 1581, montre le tsar fou tuant
son fils, ce qui n’est pas politique­
ment anodin en 1885 – et ne l’est
toujours pas puisque la toile, déjà
attaquée au couteau en 1913, a été
l’objet d’un deuxième attentat,
en 2018. En cours de restauration,
elle est absente de l’exposition,
mais très bien expliquée dans une
vidéo. Alors, Répine ? Imagier do­
cile ou révolté clandestin ?
Il n’y aura jamais de réponse à
cette question. Réfugié en
Finlande à partir de 1918, il peint
une toile très explicitement satiri­
que et hostile aux « rouges », Bol­
chevik ôtant le pain d’un enfant,
qui, malheureusement, n’est pas
exposée. Il refuse les invitations à
revenir en URSS que lui adresse
Staline. N’ayant plus de quoi ache­
ter de la toile vierge, il se sert de
toile cirée pour continuer à pein­
dre. Quoi ? Des Cosaques, encore,
comme avant. Triste fin. 
philippe dagen
Ilya Répine. Peindre l’âme russe,
Petit Palais, Paris 8e. Du mardi au
dimanche de 10 à 18 heures,
21 heures le vendredi. Entrée de
11 € à 13 €. Jusqu’au 23 janvier.
crise sanitaire, dans un contexte
particulièrement difficile. Deux
cents danseurs de tout le Brésil
ont auditionné par Zoom pour y
participer et travailler avec cette
chorégraphe de premier plan dont
la compagnie est installée depuis
2004 dans la favela de Maré, à Rio
de Janeiro. Une exposition intitu­
lée « Viva Maré », en collaboration
avec l’association Redes de la
Maré, est présentée, en écho à En­
cantado, au Centquatre­Paris. Elle
complète ce portrait mosaïque
d’une artiste pédagogue qui sait
tresser création et transmission. 
rosita boisseau
Encantado, de Lia Rodrigues,
au Centquatre, Paris 19e.
Jusqu’au 14 décembre.
Avec l’exposition « Viva Maré ».
Accès libre. Jusqu’au
26 décembre. Festival d’automne.

32 | culture
« Un vivant qui
passe », vertiges
d’un coupable
aveuglement
Le metteur en scène Nicolas
Bouchaud adapte le film de Claude
Lanzmann réalisé en 1997
THÉÂTRE
lyon ­ envoyée spéciale
I
l est l’homme qui n’a rien vu
à Auschwitz, rien vu à
Theresienstadt. Maurice Ros­
sel est devenu un person­
nage historique quand, en 1997,
Claude Lanzmann lui a consacré
un film, Un vivant qui passe, en
marge de son grand œuvre,
Shoah. Aujourd’hui, le comédien
Nicolas Bouchaud, qui trace un
chemin à nul autre pareil dans le
théâtre français, porte au théâtre
le matériau qui est à la base du
film. Et c’est une soirée qui em­
mène loin dans la réflexion sur
l’histoire et la responsabilité
qu’on a par rapport à elle.
En septembre, au Théâtre de
l’Atelier, Sami Frey avait lui aussi
proposé sa version d’Un vivant qui
passe. Mais les deux projets sont
en tout point différents, bien que
d’une force équivalente. Sami Frey,
seul en scène dans la nuit du théâ­
tre, lisait le texte de l’entretien en­
5 F I L M S D E L’ Â G E D ’ O R D U C I N É M A M E X I C A I N
AU CINÉMA LE 15 DÉCEMBRE
tre Claude Lanzmann et Maurice
Rossel, tel qu’il a été monté dans le
film. Nicolas Bouchaud, lui, choisit
la mise en scène et l’incarnation
du dialogue entre l’intervieweur
et l’interviewé. Il choisit surtout
de repartir des rushs du film et
donc de l’intégralité de ce dialo­
gue, en une démarche passion­
nante, qui recadre légèrement
l’appréhension des faits abordés
et qui sont d’une importance his­
torique considérable.
En 1942, Maurice Rossel, jeune
médecin suisse de 25 ans, se fait
engager comme délégué au Co­
mité international de la Croix­
Rouge (CICR) à Berlin. Pendant
deux ans, sa tâche consiste à ins­
pecter des camps de prisonniers
de guerre. En 1944, sa hiérarchie
l’envoie, de manière tout à fait
officieuse, visiter des camps de
concentration – personne ne pro­
nonce alors le terme d’extermi­
nation – pour essayer d’obtenir
des renseignements. Maurice
Rossel sera le premier fonction­
naire international à entrer dans
les camps de Theresienstadt et
d’Auschwitz. Mais il y restera
aveugle à ce qui s’y passe. Le
23 juin 1944, sa visite à Theresien­
stadt est organisée par les nazis,
qui montent une mise en scène
macabre destinée à présenter ce
camp d’extermination comme un
ghetto modèle. Le délégué du
CICR n’y voit que du feu.
A la fin de septembre de cette
même année 1944, il se rend à
Auschwitz, où il est reçu par le
commandant du camp ou sup­
posé tel – « un jeune homme très
élégant, très distingué, très aima­
ble ». Cette fois­ci, aucune mise en
scène n’a été orchestrée mais
Maurice Rossel ne verra ni les
fours crématoires, ni la fumée ou
les lueurs qui pourrait s’en échap­
per, ni les trains. Il croisera toute­
fois la route de prisonniers, des
« squelettes ambulants » chez qui
« il n’y avait que les yeux qui
vivaient. C’étaient des regards très
très intenses ». L’air de se dire, com­
mente Rossel : « Ben, en voilà un
qui vient… (…) Un vivant qui passe. »
En rentrant, Rossel a rédigé un
rapport, qui a évidemment con­
tribué à freiner et à fausser l’ap­
préhension de la « solution fi­
nale ». Sa responsabilité histori­
que est donc lourde mais le théâ­
tre, ici, ne joue pas le rôle de
tribunal de l’histoire. En incar­
nant de manière très vivante le
dialogue entre Claude Lanzmann
et le docteur Rossel, il s’agit plutôt
de comprendre les mécanismes à
l’œuvre, la manière dont l’aveu­
glement du délégué du CICR a été
possible, sur quoi il a fait son lit.
Confrontation intense
Et s’agissant de cette incarnation,
difficile de rêver mieux que la
confrontation intense, tendue à
craquer, pleinement théâtrale au
meilleur sens du terme, qu’ins­
taurent Nicolas Bouchaud, qui
joue Maurice Rossel, et son jeune
partenaire, Frédéric Noaille, le­
A RTS
Le Musée de Berne
renonce à 38 œuvres
volées par les nazis
Le Musée d’arts de Berne, qui
a hérité de l’impressionnante
collection controversée de
Cornelius Gurlitt, a indiqué,
vendredi 10 décembre,
renoncer à près de quarante
œuvres volées par les nazis ou
dont la provenance est jugée
suspecte. Le collectionneur
germano­autrichien Cornelius
Gurlitt, dont le père fut un
marchand d’art ayant servi le
régime hitlérien, est mort en
mai 2014 en désignant le mu­
sée suisse comme son unique
héritier. Le musée avait décidé
d’accepter cet héritage, tout
en renonçant à son droit de
propriété pour les œuvres
d’art qui ont pu être identi­
fiées comme ayant appartenu
à des propriétaires juifs
spoliés par les nazis. – (AFP.)
M USI QUE
Angèle et PNL au festival
We Love Green
La chanteuse Angèle et
le groupe PNL rejoignent
Gorillaz dans la programma­
tion du festival We Love
Green, prévu du 2 au
5 juin 2022. Juliette Armanet,
Lous & the Yakuza, Phoenix
ou SCH composent l’affiche
du festival francilien. – (AFP.)
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Le comédien
a choisi
de repartir
de l’intégralité du
dialogue entre
le cinéaste et
Maurice Rossel
quel se glisse dans la peau de
Claude Lanzmann. Ni l’un ni
l’autre ne singent leurs modèles
de manière bêtement réaliste,
dans le décor en trompe­l’œil du
bureau du docteur Rossel. Nicolas
Bouchaud porte sur lui toutes les
zones grises, opaques, floues,
du personnage. Frédéric Noaille
traduit à sa manière, assez flam­
boyante, toute la niaque et la sé­
duction de Lanzmann.
Tel qu’il a été monté, le film de
Lanzmann insistait sur la respon­
sabilité individuelle de Maurice
Rossel – qu’il ne s’agit pas de nier.
Mais en repartant des rushes, et
donc de l’intégralité de l’échange
entre les deux hommes, cette res­
ponsabilité est replacée dans un
contexte plus large, celui du rôle
du CICR, des grands organismes
internationaux et des instances
dirigeantes suisses : une élite très
largement germanophile et dont
l’anticommunisme viscéral, l’an­
LUCRÈCE
BORGIA
de Victor Hugo
Mise en scène Denis Podalydès
Réalisation Dominique Thiel
0123
Claude Lanzmann (Frédéric
Noaille) et Maurice Rossel
(Nicolas Bouchaud),
le 16 septembre, à Bonlieu­
Scène nationale d’Annecy.
JEAN-LOUIS FERNANDEZ
tisémitisme atavique, le culte de
la neutralité politique, ont contri­
bué à brouiller la vue.
Comment un homme comme le
docteur Rossel, qui se définit lui­
même comme situé à gauche,
d’origine modeste, a­t­il pu à ce
point ne pas voir ? C’est la ques­
tion vertigineuse que pose le spec­
tacle et que les deux comédiens
rendent on ne peut plus agissante
et actuelle, dans le présent du
théâtre. Le délégué du CICR n’était
ni un bourreau ni une victime. Il
aurait pu jouer le rôle, magnifi­
que, du témoin, qu’il n’a pas su in­
carner. La raison qui explique
cette incapacité, telle qu’elle se dé­
gage du spectacle, c’est l’indiffé­
rence et une forme d’antisémi­
tisme rampant, mal repéré par lui­
même. Le manque d’intérêt pour
l’autre : cela n’a rien de spectacu­
laire, mais on en revient toujours
à ce point, finalement. 
fabienne darge
Un vivant qui passe, d’après
le film de Claude Lanzmann,
spectacle de Nicolas Bouchaud,
Eric Didry et Véronique Timsit.
Festival d’automne, Théâtre
de la Bastille, 76, rue
de la Roquette, Paris 11e.
Du lundi au samedi à 21 heures,
jusqu’au 23 décembre et du
3 au 7 janvier 2022. De 15 € à 25 €.
Puis tournée jusqu’en avril 2022
DISPONIBLE EN DVD
Dans les points de vente habituels
sur boutique-comedie-française.fr
et sur boutique.ina.fr
En partenariat avec
et
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021 culture | 33

Le ciel sans frontières de Nicolas

S É L E C T I O N   A L B U M S

M AT T H I A S P I N TS C H E R
Nemeton
Œuvres de Matthias Pintscher
par l’Ensemble intercontemporain

Klotz et Elisabeth Perceval

et Matthias Pintscher (direction).
Avec Matthias Pintscher, son directeur
musical depuis 2013, l’Ensemble
intercontemporain a gagné en souplesse,
et on comprend pourquoi à l’écoute de ce double CD consacré
à la musique de… Matthias Pintscher. Il faut avoir vu l’élégant
Allemand diriger « l’Ensemble » avec autant de précision
Le Centre Pompidou consacre une rétrospective à l’« œuvre­monde »
que d’exaltation pour bien saisir ce qu’il recherche en tant que
compositeur : l’incarnation du son. Apre ou sensuelle,
du duo de réalisateurs, qui allie urgence et poésie avec une rare cohérence
volcanique ou aérienne, toujours séduisante, sa musique a du
corps et du coffre. Ce programme en témoigne dans des univers
aussi différents que ceux de la flûte (Beyond/A System of
Passing), des cuivres (Sonic Eclipse), du piano (Nur) et des cordes
CINÉMA Une exposition de photos de
Nicolas Klotz ainsi que des instal­
de ne pas être aimés. » Nicolas
Klotz, lui, garde en mémoire cette
mersion dans un réel teinté de
science­fiction, les scènes de nuit

J
avec « live electronics » (Verzeichnete Spur). Sans oublier celui, amais, sans doute, le besoin
cosmique, de la percussion dans une pièce dont le titre d’origine de regarder des films en­
celte (Nemeton) est emblématique de ce que signifie une œuvre semble, d’en discuter, ne
pour le compositeur né en 1971 : « Un lieu où l’énergie spirituelle s’est fait autant sentir. Sur­
se concentre. »  pierre gervasoni tout lorsque les œuvres en
2 CD Alpha Classics/Outhere Music. question parlent de l’époque avec
autant d’urgence et de poésie. Il
J UL I E N CL E R C faut donc courir au Centre Pompi­
Les Jours heureux dou, à Paris, où a lieu, jusqu’au
En 2003, pour son album Studio, Julien 19 décembre, une rétrospective
Clerc avait interprété des standards d’Ira des films de Nicolas Klotz et Elisa­
et George Gershwin, Irving Berlin ou Cole beth Perceval – « Le Cinéma en
Porter dans des adaptations en français. commun » –, à l’initiative de la
Dans Les Jours heureux, il se tourne vers responsable des cinémas, Sylvie
des classiques du répertoire de la chanson Pras, et de la programmatrice
française. Boum !, de Charles Trenet, pour débuter, puis For me Judith Revault d’Allonnes.
formidable, d’Aznavour, donnent un premier ton enjoué, qui va Depuis une trentaine d’années,
se partager avec des mélancolies. Trenet revient avec J’ai ta main le couple de réalisateurs mène
et Aznavour avec Que c’est triste Venise, Yves Montand fait un une aventure cinématographique
tour A bicyclette, Edith Piaf est là avec Mon manège à moi, d’une rare cohérence, construi­
Jacques Brel danse La Valse à mille temps, Gilbert Bécaud a aussi sant une « œuvre­monde », de­
un doublé (L’important c’est la rose, Je reviens te chercher). puis leur premier film tourné en
En fidélité à de grandes chansons et à leurs créatrices et Inde, en super­16 millimètres,
créateurs que Clerc cite dans un titre à la fin du disque. Mentions Pandit Ravi Shankar (1986), por­
particulières aux réussites – arrangements, interprétation – que trait du célèbre joueur de sitar (à
sont Vingt Ans et Comme à Ostende, de Léo Ferré, et Dis, quand découvrir le 16 décembre), jusqu’à
reviendras­tu ? et Vienne, de Barbara.  sylvain siclier leur dernier long­métrage, Nous
1 CD Si on chantait-Play Two/Warner Music. disons révolution (le 13 décembre),
œuvre plastique de plus de deux
I ST I ST heures, remontant en quelque
The Art of Lying sorte le temps, où se répète une
Difficile pour un jeune groupe post­punk histoire de « chasseurs » et
originaire de Manchester d’échapper à d’hommes chassés, de fugitifs
l’influence de son monument rock local, cherchant à habiter le monde, de
Joy Division. Le quintette mancunien IST Brazzaville à Sao Paulo.
IST a pris le parti d’assumer pleinement Le regard de Nicolas Klotz et Eli­
son affiliation. Leur premier album, Archi­ sabeth Perceval est immense
tecture (2020), maîtrisait déjà de bout en bout les codes esthéti­ comme un ciel qui ne connaît pas
ques du genre : pochette monochrome, romantisme noir, nap­ de frontières. L’individu pris dans
pes synthétiques vaporeuses, guitares neurasthéniques, et bien les mailles d’une politique déshu­
sûr le timbre grave et ténébreux du chanteur Adam Houghton, manisante vis­à­vis des réfugiés
très proche de feu Ian Curtis. Si The Art of Lying ne dévie pas de climatiques et politiques, et indi­
ce postulat, l’écriture aiguise les angles, la production, moderne, gente au regard des multiples pé­
lations (projections en continu) phrase de Robert Bresson (1901­
seront visibles jusqu’au 2 janvier. 1999), du temps où il côtoyait le
Le clou de la visite est cette « stèle réalisateur de L’Argent (1983) dans
de montage », élégante machine les studios de Boulogne (Hauts­
noire aux allures de juke­box ciné­ de­Seine) : « Soyez méchants, car le
phile, conçue par Thomas Guillot : système fera tout pour vous empê­
accessible au public, munie de cher de tourner. » Nicolas Klotz
boutons thématiques, elle permet précise : « Bresson voulait dire :
de contempler les rushs des ci­ sachez qu’il faudra vous battre,
néastes, et de croiser images, dia­ tous les jours. Si vous ne rentrez pas
logues et musiques de différents dans le rang, vous ne pourrez
films ! Les connexions sont parfois compter que sur vous­mêmes. »
étonnantes : un chien dans la rue, Leur autonomie, les cinéastes
la nuit, semble regarder la caméra. l’ont trouvée en quittant la région
« Tu dormiras sur les pavés », dit parisienne et en s’installant à Fé­
en voix off un personnage, tandis camp (Seine­Maritime), dans une
que résonne une Marseillaise rock, maison­atelier avec salle de pro­
revisitée par le cinéaste (et aussi jection, table de montage, etc.
musicien) Lav Diaz, dont les mé­ Le duo part filmer sans attendre
thodes de travail aux Philippines l’avance sur recettes du Centre
sont assez proches de celles du du cinéma et de l’image animée
tandem Klotz/Perceval. (CNC), qu’ils ont plusieurs fois ra­
tée de peu. « On fait les films avec
Un réel teinté de science-fiction nos mains, et on peut compter sur
Des groupes d’étudiants de tous quelques proches avec lesquels on
horizons sont conviés aux séan­ a une relation de solidité et de fidé­
ces et invités à faire une « resti­ lité », souligne Nicolas Klotz.
tution » à l’issue des projections. Elisabeth Perceval est la plume,
« Lors des dernières rétrospectives bâtit le récit, et Nicolas Klotz tient
que l’on a faites, au Brésil ou en Ita­ souvent la caméra. Ils n’étaient
lie, on s’est rendu compte que Nous que tous les deux pour le tour­
disons révolution attirait un pu­ nage épique de L’Héroïque Lande.
blic très jeune. Ces étudiants nous La frontière brûle, dans la « jun­
disaient : aidez­nous, comment gle » de Calais. Une performance
peut­on faire des films ? Je leur ré­ visuelle et sonore à ne pas man­
pondais : surtout, ayez le courage quer (le 10 décembre) : 3 h 45 d’im­
MEMENTO PRODUCTION
PRÉSENTE
composant des tableaux d’un
bleu profond, irisés par les flam­
mes des poêles improvisés pour
se chauffer. Si ce film renouvelle
le regard, c’est grâce au temps
long des discussions, à l’attention
portée à la fabrication d’un pain, à
ce fabuleux travelling longeant
les échoppes et cantines, points
lumineux où se réchauffent les
cœurs et les âmes.
Pour les cinéastes, la « jungle »,
évacuée en février 2016, n’était pas
seulement un camp, mais un labo­
ratoire expérimentant de nouvel­
les formes d’accueil pour des po­
pulations en transit. Preuve en est
(ou en fut) la construction d’une
bibliothèque, d’un théâtre, d’un
lieu pour les femmes, d’une an­
tenne juridique, etc.. « Les réfugiés
climatiques, c’est le futur », souli­
gne Elisabeth Perceval, qui est en
train d’écrire un long­métrage
dystopique, en deux parties, dont
l’une se situe en 2040. Toujours à
Calais, sur une lande futuriste. 
clarisse fabre
Nicolas Klotz et Elisabeth
Perceval. Le Cinéma en
commun. Centre Pompidou,
Paris 4e. Jusqu’au 19 décembre.
Tarifs : 5 € et 3 €.
1 coffret 8 DVD (10 films),
Shellac, 49,90 €.

prend encore de l’ampleur : l’électro rock martial efficient rils menaçant la planète, pourrait
d’Extreme Greed et Fat Cats Drown in Milk ; le planant Listening être le dénominateur commun de
Through the Walls dans le sillage de The Cure ; l’atmosphérique cette ample filmographie. Au to­
The Waves exhume la flamboyance des Chameleons, Interpol tal, une trentaine de films, courts
n’est pas loin non plus sur If it Tastes Like Wine. Sans révolution­ ou longs, documentaires ou fic­
ner la donne mais avec une énergie renouvelée, ces Anglais du tions, dont plusieurs sont encore
Nord portent haut l’étendard post­punk.  franck colombani en chantier – pour ne signaler que
1 CD Kind Violence Records. quelques longs­métrages sortis
en salles, Paria (2000), La Blessure
L A S L LO R O N A S (2004), La Question humaine
Soaked (2007), Low Life (2011), L’Héroïque
Installé en Belgique, ce trio féminin Lande. La frontière brûle (2018). En
de chanteuses et musiciennes autrices­ perpétuelle fabrication, érudit
compositrices a commencé sa carrière mais jamais intimidant, le cinéma
dans la rue. Rapprochant avec aisance de Klotz/Perceval s’enrichit au UN FILM DE
polyphonies et slam, elles signent
un premier album d’une rayonnante
contact de philosophes (parmi
lesquels Jean­Luc Nancy, mort le ASGHAR FARHADI
délicatesse. Paru en 2020 en Belgique et en Allemagne, il n’était 23 août, ou encore Marie­José
jusqu’alors pas disponible en France. Dans leur monde tressé Mondzain), de sociologues, d’an­
de douceur se côtoient des langues (espagnol, français, anglais, thropologues, de critiques aussi
hébreu, arabe…), des peurs feutrées, des chuchotements, des (Nicole Brenez, Cyril Neyrat…).
émois, des espoirs et des rêves un peu fous (l’évocation d’une Issue d’une famille d’ouvriers de
nation de femmes ailées, dans le titre Mutation). Sura Solomon
(accordéon, ukulélé, voix), Amber in’t Veld (guitare, voix) et
Nanterre (Hauts­de­Seine), Elisa­
beth Perceval a commencé à jouer Farhadi au sommet
Marieke Werner (clarinette, voix) composent des mélodies
soyeuses, évanescentes et solaires, nimbées de mélancolie
au théâtre dans les années 1980,
tandis que Nicolas Klotz vient du
de son art.
heureuse. Avec contrebasse, trompette et saxophone, des amis cinéma (montage, photographie).
L’OBS
musiciens viennent y ajouter un supplément de couleurs, Leur travail se nourrit de leurs
chaudes et cuivrées.  patrick labesse
1 CD Muziekpublique/L’Autre Distribution.
parcours respectifs. « J’ai passé
trente ans de ma vie dans les cités,
Une réussite majeure.
partageant le quotidien de person­ TÉLÉRAMA
nes issues de l’immigration. Je n’ai
pas appris à vivre autrement », ré­ Notre palme d’Or.
sume Elisabeth Perceval. Les fron­
LE JDD
G A L E R I E

« THE MODERN DOG tières doivent tomber, sociales,

PA I N T E R » artistiques, etc. Fabriquer des
New Galerie films n’est pas qu’une affaire de Un tour de force.
Il est de ces expositions qui savent réalisateurs, et c’est l’autre « révo­
être drôles tout en étant sérieuses. lution » qu’appellent de leurs
C’est le credo du peintre Charles vœux Klotz et Perceval : comment PREMIÈRE
Hascoët, qui avait déjà inspiré mettre la parole en commun pour
NEW GALERIE à la New Galerie un « group show »
autour du monde de la nuit empê­
repenser le cinéma ? Un grand film.
ché par les confinements, avec ses portraits de DJ endormis. LA CROIX
C’est aussi celui de Martin Bethenod qui, après une carrière
au sommet d’institutions artistiques (FIAC, Pinault Collection…), Erudit mais
est en pause. Un commun amour pour les chiens les a décidés
à convoquer la production d’une vingtaine d’artistes contempo­
jamais intimidant,
rains autour de cet animal. Un pékinois historique trône le cinéma de
au centre de l’accrochage : il s’agit d’une photo de Looty, l’un des
chiens royaux volés lors du sac du Palais d’été, à Pékin, en 1960,
Klotz/Perceval
et devenu l’animal de compagnie de la reine Victoria. Danh Vo s’enrichit
Design : Benjamin Seznec / TROÏKA - Photo : © Amirhossein Shojaei

a fait de cette boule de poils l’écho d’autres exils. Bichons chéris,

dobermans des marges, chihuahuas méchants, chiens d’Internet
au contact
ou cerbères errants, le regard canin hante peintures, photogra­ de philosophes, AU CINÉMA
phies, sculptures et vidéos.  emmanuelle jardonnet LE 15 DÉCEMBRE
« The Modern Dog Painter ». New Galerie, 2, rue Borda, Paris 3e.
de sociologues,
Jusqu’au 23 décembre. de critiques…
34 | télévision
La Maison Blanche sous son visage féminin
Six portraits de femmes « puissantes » pour revisiter l’influence des premières dames, à l’heure de #metoo
HISTOIRE TV
DIMANCHE 12 - 20 H 50
SÉRIE DOCUMENTAIRE
D
ifficile, pour une série
sur les premières
dames des Etats­Unis,
de ne pas commencer
par Michelle Obama. Dans la
lignée des épouses de président,
l’ancienne juriste occupe une
place monumentale : elle a été la
première descendante d’esclaves
à accéder, en 2008, à la Maison
Blanche, non pas pour en assurer
l’entretien, mais pour l’occuper
en maîtresse des lieux. Voilà pour
la statue de marbre. Pour ce qui
est de l’influence politique, la
collection de six portraits (sur
les quarante­sept First Ladies qui
ont occupé le poste – de Martha
Washington à Melania Trump)
proposée par Histoire TV chaque
dimanche jusqu’au 26 décembre,
est contrastée. Avec une interro­
gation : quel est le poids réel que
peut avoir l’épouse du président
des Etats­Unis sur le déroulement
de son ou ses mandat(s) ?
Mêlant interviews, témoignages
et images d’archives, Liz Mermin,
Kim Duke et Katharine English
mettent en avant quelques­unes
de celles qui ont eu une influence
politique ou sociétale, regroupées
deux par deux, comme en réso­
nance. Sans dissimuler la malédic­
tion qui s’attache outre­Atlantique
Le prince William veut « réensauvager » la biodiversité
Un prix et une série en cinq épisodes, « Earthshot, réparer notre planète », ont été lancés par la Fondation royale des Cambridge
DISCOVERY CHANNEL
À PARTIR DE LUNDI 13 - 19 H 50
SÉRIE DOCUMENTAIRE
S e référer à la conquête spa­
tiale pour inciter à relever le
défi du changement clima­
tique peut surprendre. Le prince
William a choisi un extrait du fa­
meux discours de John F. Kennedy
en faveur du moonshot – « Nous
avons choisi d’aller sur la Lune »,
annonça le président américain
le 12 septembre 1962 à Houston
– pour introduire la série Earths­
hot, réparer notre planète, diffusée
GRILLE N° 21 - 288
PAR PHILIPPE DUPUIS
1 2 3 4 5 6
I autres platitudes. V. Préparât une bon-
II
III
IV
V 2
VI
VII
VIII
IX
X
SOLUTION DE LA GRILLE N° 21 - 287
HORIZONTALEMENT I. Après-soleils. II. Raout. VIP. Ia. III. Triturations.
IV. Il. Epuiseras. V. Fessier. Sera. VI. Ima (ami). Eu. Sen. VII. Cervin. Tutsi.
VIII. In. Atomisé. IX. Etaie. Ile. Me. X. Réassurerais.
VERTICALEMENT 1. Artificier. 2. Parlemente. 3. Roi. Sar. Aa. 4. Eutes. Vais.
5. Stupidités. 6. Rue. No. 7. Ovaire. Mir. 8. Lits. Utile. 9. Epies. User.
10. Oreste. 11. Linares. Mi. 12. Sassanides.
Eleanor Roosevelt,
avec son mari, Franklin
Delano Roosevelt,
en mars 1934,
à Washington.
AP
aux première dames, soupçon­
nées d’être toujours trop ambi­
tieuses, dispendieuses, « mani­
gancières »… Dimanche 12 décem­
bre, Michelle Obama et Nancy
Reagan – son fameux regard
émerveillé lorsqu’elle regarde son
mari, Ronald – ouvrent la série. Di­
manche 19 sont associées Eleanor
Roosevelt et Hillary Rodham Clin­
ton. Deux femmes « puissantes ».
« Votez Clinton, vous en aurez deux
en résonance avec le lancement
du prix environnemental épo­
nyme, remis pour la première fois
le 17 octobre à Londres.
De cet « objectif Lune », le duc de
Cambridge, fils aîné de Lady Di – et
futur roi d’Angleterre –, ne veut re­
tenir que la réussite de l’exploit, a
priori insensé une décennie aupa­
ravant. Preuve, à ses yeux, que
« l’humanité est capable de relever
tous les défis, si elle s’en donne les
moyens ». Et, côté moyens, la Fon­
dation royale des Cambridge dote
son prix Earthshot de 50 millions
de livres sterling sur dix ans. Soit
7 8 9 10 11
pour le prix d’un ! », lance Bill
Clinton en pleine campagne pour
son élection, en 1992. Son épouse
sera la seule First Lady à briguer à
son tour la Maison Blanche, battue
par Donald Trump en 2016.
Une vraie pionnière
Mais c’est Eleanor Roosevelt qui
apparaît, finalement, comme la
vraie pionnière. De mars 1933 à
avril 1945, elle va jouer un rôle pré­
1,2 million d’euros remis chaque
année aux lauréats dans cinq
catégories : « protéger et restaurer
la nature », « corriger le climat »,
« améliorer la qualité de l’air »,
« préserver les océans » et « cons­
truire un monde sans déchets ».
Ces cinq thématiques défi­
nissent les cinq épisodes de la sé­
rie de Discovery Channel, qui
magnifient la nature à force de
vues aériennes spectaculaires,
de time­lapses et de scènes ani­
malières. Avec, en fil rouge,
les prises de parole du prince
William, du naturaliste David At­
HORIZONTALEMENT
I. Evitera les mauvaises surprises au
tournant. II. Attention, l’infarctus le
guette. Vit en sous-sol. III. Laissera
des traces. Entaille au bouvet.
12
IV. Prises en note. Courbettes et
ne descente. Grande dame de l’abs-
traction. VI. Effacement transformé
en apostrophe. L’argon. VII. A trouver
comme tous les autres. Dépouillé.
VIII. Se laisse entraîner par sa passion.
Fin de partie. IX. Homère y vécut ses
derniers jours. Manifester son ennui
et sa fatigue. X. Envahissant et peu
maîtrisé.
VERTICALEMENT
1. Mis aux voix pour être accepté.
2. Normale pour la chouette et le
chat, bien plus rare chez nous. 3. Dieu
du tonnerre. Se lance dans le pétris-
sage des miches. 4. Sur terre. Point
de départ. 5. Bien plus précise avec
le carbone 14. 6. Grandes pages d’his-
toire. Grande chaîne des ondes amé-
ricaines. 7. Voie secondaire. Un Jules,
amant de George. 8. Bien dégagés.
Personnel. 9. Forma un tout cohé-
rent. 10. Bien réfléchi avant de passer
à l’action. En liberté. 11. Sein familier.
Paisible conducteur. 12. Habituée
des grands fonds.
pondérant dans l’orientation pro­
gressiste de la présidence de son
mari, Franklin Delano Roosevelt
(« FDR »). Cela, en pleine période
de guerre et de bouleversements
économiques mondiaux. « Le plus
grand partenariat politique de
l’histoire américaine », affirme
une commentatrice.
Féministe, antiraciste, antifas­
ciste, éditorialiste au Women’s De­
mocratic News, elle tient la pre­
tenborough, et la présentation
d’actions pionnières.
La réalité est complexe. La lutte
contre la déforestation est illus­
trée par un reportage à Bornéo, où
une scientifique protège les
orangs­outans tout en produi­
sant… de l’huile de palme. Ce que
« les gens qui ne sont pas de Bornéo
peuvent trouver contradictoire »,
convient­elle. En évitant les sim­
plifications, le documentaire ga­
gne en crédibilité. Que ce soit à Yel­
lowstone (Etats­Unis), où la réin­
troduction des loups a rééquilibré
l’écosystème, déstabilisé par la dis­
SUDOKU
N°21­288
6 9
8 8
6 9
7 3
3 7 4 1 Chaque chiffre ne doit
2 1 3 8 6 seule fois par ligne,
6 9 1 2
Réalisé par Yan Georget (https://about.me/yangeorget)
NOTRE NOUVEAU
HORS-SÉRIE
Science, société, géopolitique…
Les articles les plus marquants de l’année
parus dans la presse étrangère.
EN VENTE CHEZ VOTRE MARCHAND DE JOURNAUX
mière conférence de presse que
s’était jamais autorisée une First
Lady. Le chef du FBI Edgar Hoo­
ver constitue un dossier de
3 500 pages sur elle ! Et le Ku Klux
Klan met sa tête à prix pour
25 000 dollars. « FDR », handicapé
par la polio, l’envoie en tournée
dans le pays pour « vendre » son
New Deal, son plan contre la
Grande Dépression. Il sait qu’elle
aime – et sait – parler aux Améri­
cains. Elle reçoit des dizaines de
milliers de lettres par mois. Ombre
douloureuse à son engagement
politique, elle a découvert, avant
d’arriver à la Maison Blanche, que
son mari avait une liaison avec la
secrétaire qu’elle a elle­même en­
gagée, Lucy Mercer. De son côté,
elle se lie intimement avec l’une
des rares femmes journalistes ve­
dettes de l’époque, Lorena Hickok.
Première figure politique d’en­
vergure à faire de la radio, elle tient
sa chronique hebdomadaire, le
7 décembre 1941, après l’attaque ja­
ponaise sur Pearl Harbor. Au soir
de cette journée historique, c’est la
voix d’Eleanor Roosevelt qui est la
première à être entendue par les
Américains. Un événement sans
précédent pour une First Lady. 
corine lesnes (san francisco,
correspondante)
Premières Dames, de Liz
Mermin, Kim Duke et Katharine
English (EU, 2020, 6 × 52 min).
parition de son principal préda­
teur, en 1926 ; au Brésil, où le foot­
balleur Dani Alves milite pour que
la population mange moins de
viande ; au Cambodge, où un bar­
rage géant sur le Mékong appau­
vrit les forêts inondées…
Au rayon des solutions, le « réen­
sauvagement » surprend par la
simplicité de sa mise en œuvre, du
Royaume­Uni au Kenya, où une
tribu masai a réintroduit des rhi­
nocéros. Il démontre au passage
que protéger la biodiversité peut
rapporter de l’argent. Le prince
s’en félicite : si le mode de vie que
9 1
2 3
4 5
2 8 6 2
5 8
7 7 4 1
1 9
7 4
3 6
4 2 Expert
9 Complétez toute la
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DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
0123
NOTRE
SÉLECTION
DIMANC HE 12 D ÉC E MBRE
Arte
La Comtesse aux pieds nus
20.55 Joseph Mankiewicz signe
une tragédie en forme de conte
de fées, avec Humphrey Bogart
en metteur en scène compréhensif
et Ava Gardner, prisonnière
de l’usine à rêve hollywoodienne.
OCS Max
JFK, l’enquête
20.40 Trente ans après son JFK
(1991), Oliver Stone récidive à
la faveur de la déclassification de
documents précieux sur le meurtre
du président à Dallas et accumule
les faits d’une façon particulièrement
bien orchestrée… et orientée.
LUND I 13 D ÉC E MBRE
France 3
Rochefort, Noiret, Marielle :
les copains d’abord
21.05 Jean Rochefort, Philippe
Noiret et Jean-Pierre Marielle avaient
le talent de faire rire et parfois
de faire pleurer tous les publics,
sans restrictions et sans se prendre
au sérieux.
M6
West Side Story
23.25 Avant d’aller découvrir
la version de 2021 signée Steven
Spielberg, il est tentant de (re)voir
celle de 1961, avec l’inoubliable
George Chakiris (Bernardo) au côté
du couple impossible formé
par Natalie Wood (Maria) et Richard
Beymer (Tony). Sur l’éternelle
musique de Leonard Bernstein.
nous avons créé est mortel pour la
planète, « l’heure est à l’espoir, pas
à la peur. Un avenir durable et à
portée de main ». Le digne héritier
de sa grand­mère, Elizabeth II, qui
s’était dite, lors de la COP26, irritée
par ceux « qui parlent, mais n’agis­
sent pas » pour le climat. 
catherine pacary
Earthshot, réparer notre planète,
de D. Huertas (ép. 1, le 13),
C. Dornan (ép. 2, le 14),
A. Anderson (ép. 3, le 15),
J. Clay (ép. 4, le 16), D. Heath (ép. 5,
le 17) (R.­U., 2021, 5 × 58 min).
0123 est édité par la Société éditrice
du « Monde » SA. Durée de la société :
99 ans à compter du 15 décembre 2000.
Capital social : 124.610.348,70 ¤.
Actionnaire principal : Le Monde Libre (SCS).
Rédaction 67-69, avenue Pierre-Mendès-France,
75013 Paris. Tél. : 01-57-28-20-00
7 6 3 5 8 4 2
6 9 4 8 1 5 7 Abonnements par téléphone au 03 28 25 71 71
8 2 7 1 3 9 6 (prix d’un appel local) de 9 heures à 18 heures.
3 5 1 4 7 8 9 Depuis l’étranger au : 00 33 3 28 25 71 71.
Par courrier électronique :
9 7 6 3 2 1 4
abojournalpapier@lemonde.fr.
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Tarif 1 an : France métropolitaine : 399 ¤
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0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
Laurent Voulzy « Certains de nos rêves 
nous adressent des messages »
ENTRETIEN
D u Cœur grenadine à Paradoxal sys­
tème, de Rockollection à Belle­Ile­en­
Mer Marie­Galante, on a tous en nous
une mélodie de Laurent Voulzy. A 72 ans,
l’auteur­compositeur­interprète aux six Vic­
toires de la musique publie son premier livre,
Mes cathédrales, promenade agnostique dans
ces édifices qu’il affectionne et où il se produit
régulièrement en concert.
Je ne serais pas arrivé là si…
… Si j’étais né en Guadeloupe, ma vie aurait
peut­être été différente. C’est très difficile à
dire… Serais­je devenu un musicien profes­
sionnel ? Si j’avais grandi là­bas, j’aurais sûre­
ment fait de la musique, mais celle des Caraï­
bes. Je suis né à Paris. Grâce à ma mère et à sa
connaissance de la musique antillaise, j’ai une
double culture, mais, très vite, j’ai eu envie de
faire de la musique pop et rock d’ici.
Votre mère a quitté la Guadeloupe pour
Paris alors qu’elle était enceinte de vous.
Pourquoi ce départ ?
Lorsqu’elle est tombée enceinte, mon père l’a
laissée tomber et ne s’est pas marié avec elle.
Dans la famille de ma mère, qui était de la pe­
tite bourgeoisie antillaise, il était mal vu d’être
fille­mère. Ils l’ont mise dans un bateau. Elle
avait 19 ans. C’était un aller sans vraiment de
retour. Sa famille l’aimait toujours, mais ses
parents considéraient que cette naissance
hors mariage allait faire trop d’histoires, de
cancans. Voilà pourquoi je suis né à Paris.
Comment ces premières années
en métropole se sont­elles passées ?
Avec une amie, ma mère avait monté un nu­
méro de danse tropicale. Elles tournaient en
France, en Belgique, en Allemagne, et moi,
j’étais en nourrice. J’ai très peu de souvenirs de
cette période. Puis, à 8 ans et demi, je suis
revenu habiter avec ma mère en banlieue. Elle
avait arrêté la danse et avait eu deux enfants
avec mon beau­père. Il lui a dit : « Tu as un
autre fils, il faut qu’il soit avec nous. » Mais
mon beau­père n’habitait pas à la maison, il
n’était là que le week­end. Ma mère en a bavé.
Elle a connu un peu la misère, a travaillé dans
un atelier de métallurgie. De retour du travail,
elle s’occupait de tout, les repas, les devoirs.
Elle a un mérite incroyable.
Vous ne parlez pas de votre père
biologique…
La première fois que je l’ai vu, j’avais 15 ans.
« Quand tu reviendras samedi de l’internat
du lycée, ton père sera là », me dit un jour ma
mère. J’avais entendu parler de lui, c’était un
peu un mythe. Cette rencontre m’a fait un
drôle d’effet… Je l’ai un peu revu, notamment
lorsque je suis allé, pour la première fois, en
Guadeloupe.
Vous aviez 35 ans. Pourquoi avoir attendu
tant d’années pour votre premier voyage
en Guadeloupe ?
Quand nous étions enfants, ma mère, ayant
peu d’argent, ne parlait jamais d’aller aux
Antilles. Mais, à la maison, j’étais baigné dans
la culture antillaise, grâce aux plats qu’elle
cuisinait, à la musique qu’elle écoutait. Quand
la famille venait, j’entendais parler créole. Et je
savais danser la biguine !
Bien plus tard, à 35 ans, j’ai été contacté pour
participer à une émission à Pointe­à­Pitre en
faveur du Téléthon. Le lendemain du concert,
je suis parti à Sainte­Anne me balader seul. Et
là, ce fut le choc. Entendre parler créole sur le
marché, retrouver les odeurs des plats de ma
mère… Je marche, je marche et, d’un seul coup,
je pleure. Ce sont des larmes que je n’arrive
pas à analyser, une émotion qui me dépasse.
Ce n’est ni de la tristesse ni de la gaieté. C’est
autre chose, inexplicable. Comme si tous les
complexes de mon enfance ressortaient.
Ma mère m’a raconté tellement d’histoires
magiques et mystiques sur la Guadeloupe
quand j’étais enfant que j’ai l’impression d’ap­
partenir à cette île. Comme si je la connaissais
depuis toujours. En même temps, j’ai une
vision un peu idyllique de la France. En vous
parlant, j’ai l’impression que j’ai une vision un
peu légendaire de tout.
Quels étaient ces « complexes »
de votre enfance ? Vous est­il arrivé
de vous sentir différent du fait
de vos origines guadeloupéennes ?
Bien sûr. Mon premier souvenir remonte à
l’école primaire. Des enfants m’avaient atta­
ché à un arbre et me criaient : « Eh ! Blanche­
JE NE SERAIS PAS ARRIVÉ LÀ SI… Chaque
semaine, « Le Monde » interroge
une personnalité sur un
moment décisif de sa vie.
Le chanteur­compositeur
évoque son appartenance
à la Guadeloupe, la guitare
et sa passion pour le Moyen Age
Neige, tu vas bouffer de la neige. » Puis j’ai été
complexé par ma couleur de peau. Adoles­
cent, je n’osais jamais m’asseoir dans les
transports en commun de peur que des gens
disent qu’un jeune de couleur prenait leur
place ou qu’ils me lancent « dégage de là ».
Avec ma famille, nous habitions dans des
chambres de bonne d’un immeuble petit­
bourgeois. Quand j’allais aux poubelles, un
voisin ouvrait sa porte : « Ah, y a les nègres qui
descendent leur poubelle. » Timide, je ne di­
sais rien. Seul, j’avais peur du regard des gens.
Mais, au lycée, j’ai eu plein de copains et, avec
eux, tout se passait bien. Et puis jouer de la
guitare donnait une certaine aura.
Dans votre livre, vous évoquez
ces deux cadeaux de Noël « essentiels »
dans votre vie : un château fort, puis
une guitare. Pourquoi ce château fort
a­t­il été si important ?
Lorsque je l’ai vu, ça a été une révélation, un
déclic. J’avais 10 ans, je me suis pris de passion
pour ce château et j’ai commencé à m’intéres­
ser à l’histoire. Ma mère avait dans une valise
les sept volumes d’Histoire de France, d’Henri
Martin, illustrés de gravures magnifiques. Ces
livres m’ont passionné, particulièrement la
période du Moyen Age. Pourquoi ? Peut­on
expliquer une attirance ? C’est comme en
amour, ça reste inexplicable. Mais, de toute
ma vie, cette passion pour le Moyen Age ne
m’a jamais lâché.
Comment la guitare est­elle arrivée
dans votre vie ?
La première guitare que j’ai touchée, c’est un
voisin qui me l’avait prêtée. Ma mère a vu que
ça me plaisait tellement qu’elle m’en a offert
une à Noël. Je l’ai toujours gardée. Sans doute
avais­je en moi le germe de la musique, car,
dans ma jeunesse, je n’ai pas fait d’école de
musique. J’ai appris tout seul, en regardant
rencontre | 35
Laurent Voulzy,
à Paris,
en 2015.
FRÉDÉRIC STUCIN/PASCO
des copains jouer et en achetant un cahier
d’accords. Je reprenais What’d I Say de Ray
Charles, Guitar Boogie d’Arthur Smith… puis
j’ai intégré le groupe du lycée. Très vite, j’ai
commencé à composer des chansons.
Quels rapports entreteniez­vous
avec les études ?
Mon niveau scolaire s’est gâté en 6e. J’étais
très nul en maths, ne comprenais rien au la­
tin, faisais mal mes devoirs. Résultat : je fai­
sais le guignol dans la classe, j’ai eu des blâ­
mes pour conduite et travail, ma mère, en lar­
mes, a été convoquée et j’ai été renvoyé. Je suis
allé dans un autre établissement, à Montreuil,
soi­disant pour préparer un CAP de comptabi­
lité. Viré au bout de trois mois ! J’ai terminé
l’année chez moi, puis ma mère m’a mis dans
un internat en banlieue parisienne. Mais je
détestais toujours autant les maths, les chif­
fres, la compta. Je n’ai pas passé le bac.
Qu’aviez­vous envie de faire ?
Quand je grattais la guitare au lycée, c’était la
grande période des Beatles. On rêvait d’être un
groupe comme eux. Mais il fallait aussi un
« vrai » métier. Dans ma tête, tout était flou. Je
¶ me souviens encore des mots du proviseur
« Mes cathédrales », quand il m’a convoqué : « Bon, Voulzy, vous ne
de Laurent Voulzy, travaillez pas beaucoup. Pour l’ambiance gé­
avec la collaboration nérale de la classe, c’est mieux si vous partez.
de Laurent Joffrin, Je vous conseille d’aller en capacité en droit,
éditions Stock, 230 pages, accessible aux non­bacheliers. » J’ai sauté sur
19,50 euros l’occasion, très content de partir à la fac. Mais
ça n’a pas duré longtemps.
Concerts : C’était la rentrée 1967. J’ai suivi dix cours,
les 14 et 15 décembre, dans un amphithéâtre bondé, puis terminé.
à l’église Notre-Dame, Pendant Mai 68, j’étais à Nogent­sur­Marne.
à Aix-les-Bains (Savoie) ; J’écoutais les infos à la radio et répétais dans un
les 16 et 17 décembre, squat avec les copains du groupe Mark Robson
à la Basilique Sound. Une période formidable. On faisait
du Sacré-Cœur, quelques concerts, je commençais un peu à
à Paray-le-Monial gagner ma vie. Mais un jour de septembre,
(Saône-et-Loire) alors que je jouais dans le sud de la France, les
gendarmes sont venus me chercher pour le
service militaire. J’avais totalement oublié cette
obligation ! Je me suis retrouvé à Orléans,
régiment de hussards. J’ai reformé un petit
groupe de musique à la caserne et, certains
soirs, je me sauvais par les écuries pour jouer
dans une boîte près d’Orléans.
Quel souvenir gardez­vous de votre
première rencontre avec Alain Souchon ?
C’était en 1973, j’avais 24 ans et réalisé quel­
ques disques qui n’avaient pas marché. Tout a
commencé par une rencontre purement artis­
tique. Alain et moi étions dans la même mai­
son de disques, RCA. Un jour, le PDG a réuni les
artistes de la maison, et chacun a interprété
une chanson. J’ai dit à Alain Souchon que
j’avais aimé sa prestation. Il a cru que je me mo­
quais de lui, alors que j’étais sincère. Très peu de
temps après, le directeur artistique de RCA, Bob
Socquet, me propose de faire les arrangements
de son album. A la toute fin, on compose
ensemble J’ai 10 ans, et ce fut un succès. Puis on
a retravaillé ensemble, écrit Bidon. A nouveau
un tube ! Ont suivi Y a d’la rumba dans l’air et
Rockollection. Bref, notre vie a basculé.
Notre amitié, quant à elle, s’est construite
progressivement. On ne venait pas du tout du
même milieu. Les gens qu’Alain fréquentait,
l’endroit où il habitait, représentaient pour
moi un autre monde, celui de la bourgeoisie.
Mais, petit à petit, nous sommes devenus
comme de la même famille.
Quelle chance, cette rencontre !
Exactement, on a eu une chance folle ! C’est
un hasard de la vie absolument incroyable.
Nous­mêmes, on ne le comprend pas. Parfois,
Alain m’appelle et me dit : « On a du bol, hein ?
Tu te rends compte, qu’on se soit rencontré ET
que ça ait marché ! »
Quel est le secret de la longévité
de votre collaboration ?
On est plus qu’amis. On se dit des choses
qu’on ne dit à personne. Pourtant, on reste
différent. Alain trouve le monde désespérant,
foutu. Moi, je garde confiance, car il y a des
gens de bonne volonté. Côté travail, nous
sommes tous les deux des obstinés, sans cesse
à la recherche de l’émotion. Nos chansons
sont toutes un peu autobiographiques, par­
lent de nos rêves ou de nos angoisses.
Depuis l’adolescence, vous dites dévorer
des ouvrages d’astrologie, d’ésotérisme,
de religion ? Qu’est­ce qui vous attire
dans ces lectures ?
J’ai toujours été attiré par les mystères. Sans
doute est­ce lié à toutes les histoires que me ra­
contait ma mère. Pour beaucoup d’Antillais,
l’irrationnel est dans le monde. J’ai commencé
à découvrir le mystère tibétain en lisant (avant
d’apprendre que c’était une escroquerie) Le
Troisième Œil, de Lobsang Rampa, puis les rosi­
cruciens, des ouvrages d’astrologie. Plus ré­
cemment, je me suis intéressé aux mystiques
chrétiens et aux conversations du dalaï­lama.
Et j’ai commencé à m’intéresser aux rêves.
Est­ce vrai que vous les consignez
dans un carnet ?
Oui. J’ai commencé en octobre 1980. J’avais
fait cinq rêves marquants, alors j’ai décidé de
les noter. Depuis, je continue. Je deviens à peu
près convaincu que certains de nos rêves vien­
nent d’ailleurs, nous adressent des messages.
Ainsi, pour la chanson Jeanne. J’avais com­
posé la musique, mais je n’arrivais pas à
trouver les paroles. Tout cet album, Lys and
Love, était inspiré par le Moyen Age, la France,
l’Angleterre et un peu la spiritualité ou la mysti­
que. Un soir, seul chez moi devant mon ordina­
teur, un casque sur les oreilles, j’écoutais en
boucle ce morceau. Rien ne venait. Je m’endors
et, en pleine nuit, j’entends une voix qui me dit
« Jeanne », une voix tellement présente ! Cela
me réveille, et j’écris le mot « Jeanne » sur un
cahier. La chanson était née.
Est­ce ce genre d’expérience
qui vous fait dire qu’il y a
« des choses derrière les choses » ?
Oui. Nous ne sommes peut­être pas tout
seuls. Je n’en suis pas sûr, je cherche, mais
parfois, dans mon sommeil, je ressens des
présences. Sans doute est­ce cela qui m’attire
dans les cathédrales, chargées de symboles et
de ces centaines de milliers de personnes qui
sont venues là chercher l’espoir, la guérison,
l’amour, fêter une naissance, célébrer un
mort. Chanter dans les cathédrales n’a pas été
mon idée mais une proposition de mon
producteur. J’ai dit oui tout de suite. C’est
comme si l’on ouvrait une fenêtre que je
n’avais pas vue. J’adore ça.
Avez­vous l’impression que cela vous
rapproche de la foi ?
Pas vraiment, mais j’aimerais beaucoup.
Lorsque j’ai chanté dans l’abbaye du Mont­
Saint­Michel, l’une des sœurs m’a dit : « On ne
pourra pas rester longtemps au concert, car
on se lève tôt. Mais on va faire un deal : vous
allez donner du bonheur aux gens et nous, en
échange, on vous mettra dans nos prières. »
Ces femmes, d’une telle générosité, d’une telle
simplicité, sont des anges sur terre. Elles
m’ont énormément marqué. Alors oui, j’aime­
rais avoir la foi. 
propos recueillis par
sandrine blanchard
 IDÉES
36 |
Nadine Levratto Une distribution inégalitaire
et inefficace des aides aux entreprises
Le contexte
La stratégie économique
française est marquée par
les tentatives, plus ou moins
réussies, de fusion entre
grandes entreprises. Après
GDF-Suez (devenu Engie
en 2015), PSA-General Mo-
tors en 2017, Safran-Zodiac
Aerospace en 2018, Alstom-
Bombardier en 2020, la vo-
lonté de construire des
« champions nationaux » a
gagné, par exemple, l’assai-
nissement (Veolia-Suez) et
les médias (TF1-M6). Il fau-
drait grossir pour demeurer
compétitif face aux géants
américains et chinois. Ces fu-
sions seraient donc bonnes
pour la « souveraineté »,
l’emploi et la croissance.
Mais les PME et les start-up
sont soutenues avec la
même ferveur. Elles sont en
effet considérées comme les
moteurs de la cohésion terri-
toriale et de l’innovation de
rupture, mises à mal par la
concentration monopolisti-
que des grandes entreprises.
Vincent Frigant
Toute PME n’a pas
vocation à grossir
L’économiste dénonce la myopie des politiques
de soutien aux entreprises, qui oscillent entre
deux fantasmes : celui de la start­up disruptive
et celui de la multinationale aux couleurs nationales
L’OBJECTIF
DE L’ÉTAT EST
DE FAIRE ÉMERGER
UNE ENTREPRISE
QUI ENCHAÎNE
LES CONQUÊTES
ÉCONOMIQUES
QUELLE TAILLE POUR LES ENTREPRISES ?
Vouloir construire de grands groupes nationaux pour affronter
la concurrence mondiale peut sembler contradictoire avec le souci
de défendre un réseau dense de PME dans les territoires
Certaines catégories sont bien plus avantagées que d’autres
par les dispositifs de soutien. Cette répartition non équitable
limite les véritables objectifs de stratégie industrielle,
constate la directrice de recherche au CNRS
L
es cibles des aides de l’Etat et des
collectivités locales aux entrepri­
ses vont de la sauvegarde des so­
ciétés en difficulté à la création de
champions nationaux, en passant
par le développement du tissu des
PME et l’éclosion de start­up. Les priorités
varient selon les périodes, la conjoncture,
le poids des lobbys professionnels.
La crise sanitaire, puis économique, liée
au Covid­19 a modifié la hiérarchie des ob­
jectifs. Résumée par le « quoi qu’il en
coûte », cette politique a consisté à déver­
ser sur les entreprises plusieurs centaines
de milliards d’euros sous forme de prêts
garantis par l’Etat, fonds de solidarité,
remboursements de cotisations, activité
partielle, etc. Au total, les mesures d’ur­
gence et le plan de relance se sont soldés
par une injection de 240 milliards d’euros.
Si ce montant record peut être justifié par
la situation exceptionnelle, il s’inscrit
dans une tendance longue de distribution
d’aides aux entreprises, qui représen­
taient déjà entre 150 milliards et 200 mil­
liards d’euros en 2019.
Toutes les entreprises ou presque bénéfi­
cient de cette manne, en raison des règles
en vigueur au sein de l’Union européenne.
Le droit européen pose un principe géné­
ral d’interdiction des aides publiques qui
procurent un avantage sélectif à une ou
quelques entreprises, qui fausserait de fait
la concurrence dans les échanges entre
Etats membres. Des exceptions existent,
par exemple pour les aides de faible mon­
tant (règle dite de minimis), les secteurs
agricole et forestier et les zones rurales.
Cependant, cette règle ne vaut plus lors­
que des Etats adoptent des mesures appli­
D
ans bien des imaginaires, et sin­
gulièrement celui de nos dirigeants
actuels, deux figures de ce qu’est
une entreprise performante et so­
cialement utile dominent.
La start­up, pépite technologique ou in­
ventrice de modèles d’affaires « disruptifs »,
symbolise la modernité et le bouillonne­
ment créatif apte à bouleverser marchés,
méthodes de production, voire manières
de vivre. Si l’immense majorité fera faillite
et que très peu disrupteront quoi que ce
soit, la « start­up nation » les soutient mas­
sivement, espérant dans la masse enfanter
un géant de demain (à l’instar d’un des
GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon)
cables à toutes les entreprises remplissant
certains critères pour alléger les charges
que ces dernières devraient normalement
supporter (exonérations d’impôts ou de
charges sociales, par exemple). Dans ces
conditions, on comprend que la plupart
des aides soient générales et ne ciblent pas
de secteurs ou filières particuliers, qu’une
politique industrielle, environnementale
ou agricole devrait pourtant privilégier.
Cette règle, dont les visées sont a priori
égalitaires, est en fait génératrice d’inégali­
tés qui affectent leur efficacité et la compo­
sition du tissu productif.
D’abord parce que, même si toutes les
entreprises sont concernées, certaines se
révèlent largement plus avantagées. Le
commerce de détail et la construction,
pourtant peu exposés à la concurrence in­
ternationale, sont les principaux
bénéficiaires des exonérations de cotisa­
tions sociales en raison de l’importante
proportion de salaires proches du smic. Si
la créance recherche du crédit impôt
LE COMMERCE DE DÉTAIL
ET LA CONSTRUCTION
SONT LES PRINCIPAUX
BÉNÉFICIAIRES DES
EXONÉRATIONS DE
COTISATIONS SOCIALES
et/ou découvrir la technologie du futur, sal­
vatrice du rang de l’économie française et
de son autonomie stratégique.
A l’autre extrême se situe la grande entre­
prise. Historique paquebot résistant aux
tempêtes, elle est capable de se projeter à
l’international par ses exportations et ses
implantations, rapportant des devises et
créant des emplois ; elle réalise des écono­
mies d’échelle permettant de démocratiser
le produit et/ou de résister à la concurrence
étrangère ; elle développe des produits
complexes requérant d’importantes immo­
bilisations financières, ce qui participe éga­
lement de la puissance militaire et de l’in­
dépendance géostratégique, de l’innova­
tion technologique (forcément salvatrice),
de l’image et du soft power de la France –
que l’on pense aux KHOL – Kering, Hermès,
L’Oréal, LVMH –, pendants des GAFA.
Si, aujourd’hui, l’Etat se donne pour mis­
sion de soutenir « en même temps » les
start­up et les grandes entreprises, ces der­
nières en furent longtemps l’objet princi­
pal. Toutefois, l’objectif reste identique :
faire émerger une entreprise capable d’en­
chaîner les conquêtes économiques et de
s’imposer sur le marché national, européen
mondial. Cette antienne du champion na­
tional reste l’horizon de nos gouvernants.
Pourtant, les sciences sociales ont montré
comment une telle politique avait détruit
des systèmes productifs localisés organisés
autour de PME, dont on regrette par la suite
la disparition… Pourtant, on nous explique
que l’Allemagne industrielle tire sa puis­
recherche (CIR) bénéficie principalement
à l’industrie, celle sur l’innovation profite
aux services, dont la contribution aux in­
novations de produit et de procédé est
pourtant secondaire. Les grandes
entreprises industrielles du CAC 40 seront
de loin les principales bénéficiaires des
exonérations d’impôts sur la production.
Malgré une distribution non sélective des
aides budgétaires et fiscales, leur réparti­
tion n’est donc ni équitable ni favorable à
un rééquilibrage du tissu productif.
Ensuite, les aides ne sont pas forcément
affectées aux entreprises qui en auraient
le plus besoin. Une note de la Cour des
comptes souligne les importants risques
de fraude et d’effet d’aubaine générés par
les possibilités de cumul, notamment de­
puis la mise en œuvre des mesures
d’urgence liées au Covid­19 (« Les dépen­
ses publiques pendant la crise et le bilan
opérationnel de leur utilisation », commu­
nication à la commission des finances, de
l’économie générale et du contrôle budgé­
taire de l’Assemblée nationale, juillet 2021).
Effets d’aubaine
Ces pratiques sont d’autant moins accep­
tables que les aides ont été plus généreu­
ses en France que dans les pays voisins.
Ces dérives ne sont pourtant pas nouvel­
les. Déjà, en 2012, le Sénat dénonçait les ef­
fets d’aubaine, l’optimisation fiscale et les
irrégularités importantes auxquels don­
nait lieu le CIR (« Rapport d’information »
n° 677, Michel Berson, 2012).
Enfin, la multiplication des dispositifs,
dont le nombre dépasse aujourd’hui
2 000, contribue à diriger les soutiens
vers les entreprises qui disposent des
meilleures compétences juridiques pour
monter les dossiers, et donc principale­
ment vers les grandes et très grandes. Or,
ces dernières sont également les mieux
armées pour pratiquer l’optimisation fis­
cale, si bien que le taux moyen de l’impôt
sur les sociétés des grandes entreprises
est de 17,8 %, contre 23,7 % pour les PME.
Une fois pris en compte le crédit d’impôt
sance de son tissu d’entreprises de taille in­
termédiaire (ETI), dont manquerait cruelle­
ment la France. Certes, depuis une décennie
l’Etat prête, enfin, attention à ces ETI. Mais
toujours avec le même défaut d’analyse : les
envisager dans un stade intermédiaire –
leur nom même n’est­il pas significatif ? –
vers la grande taille. De même, il convien­
drait de transformer les PME en ETI…
Singularité dans le système productif
Cette course systématique à la taille est un
contresens. Toute PME n’a pas vocation à
grossir. Au contraire, une stratégie de crois­
sance peut être fatale pour une entreprise,
ou fragiliser les équilibres au sein de sa fi­
lière. Les PME ne sont pas des grandes en­
treprises en taille réduite. Elles possèdent
des caractéristiques propres qui leur per­
mettent de saisir ce que l’économiste an­
glaise Edith Penrose [1914­1996] appelait les
interstices des marchés (The Theory of the
Growth of the Firm, Oxford University Press,
1959 ; 1995, non traduit). On estime ainsi
qu’un quart des « champions cachés » alle­
mands (ces entreprises leaders mondiaux
dans leur domaine d’activité, mais peu con­
nues du public) ont moins de 250 salariés.
Les PME ont une place singulière dans le
système productif car, si on raisonne par
opposition aux deux figures précédentes,
elles ont une échelle de production effi­
cace, des stratégies d’innovations plus in­
crémentales et graduelles, plus en interac­
tion avec les utilisateurs, plus axées sur les
procédés ; elles possèdent des actifs spécia­
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
pour la compétitivité et l’emploi, dont bé­
néficient plus fortement les PME, et le
CIR, davantage orienté vers les grandes
entreprises, ces taux passent respective­
ment à 7,7 % et 17,8 % (« L’hétérogénéité
des taux d’imposition implicites des pro­
fits en France : constats et facteurs expli­
catifs », Laurent Bach, Antoine Bozio et
Clément Malgouyres, Rapport de l’Insti­
tut des politiques publiques n° 21, 2019).
Puisque, par construction, toutes les en­
treprises ou presque bénéficient de sou­
tiens, et que, par ailleurs, certaines sont
mieux armées que d’autres pour les cap­
ter, comment ces dispositifs pourraient­
ils être mis au service de priorités écono­
miques ou stratégiques ? Comment éva­
luer correctement l’impact d’une
subvention ou d’un allégement fiscal si
toutes les entreprises sont aidées et que
les empilements d’aides au sein d’une
même entité sont fréquents ? Alors que le
déficit public atteint des niveaux record,
l’Etat peut­il continuer à proposer tous
azimuts des exonérations qui amputent
gravement ses recettes ?
Répondre à ces questions amènerait à ré­
viser radicalement l’ensemble des disposi­
tifs de soutien à l’activité économique.
Tant que leur attribution s’effectuera en­
treprise par entreprise, il semble difficile
d’en attendre une égalité des chances entre
entreprises en matière de croissance et de
compétitivité. La production ayant besoin
d’un environnement de qualité pour s’ef­
fectuer dans de bonnes conditions, redé­
ployer une partie des aides vers des biens
et services collectifs permettrait d’offrir
des chances de développement plus équi­
tables aux entreprises. 
Nadine Levratto est économiste,
directrice de recherche au CNRS
(Laboratoire EconomiX, université Paris-
Nanterre)
lisés (machines, savoir­faire…) ou au con­
traire génériques, sources de flexibilité.
Ajoutons que cette diversité s’étend au
sein même de leur catégorie, offrant une
grande hétérogénéité de caractéristiques
et de stratégies.
Or ce qui fonde la compétitivité durable
d’une économie est sa capacité à engendrer
des firmes qui prennent la tête d’un réseau
de producteurs et d’innovateurs mobilisés
et articulés de manière pérenne. Dans cette
perspective, les politiques publiques doi­
vent s’attacher à créer et à préserver des ré­
seaux denses de PME offrant des compé­
tences complémentaires.
Cela requiert de repenser nombre de dis­
positifs qui favorisent structurellement les
grandes entreprises et les start­up au détri­
ment des PME. Au­delà d’un ministère spé­
cifique, il s’agit d’évaluer l’articulation en­
tre les dispositifs en identifiant ceux qui
sont peu utiles, voire pénalisant pour les
PME, et en créant de nouveaux instru­
ments. Ce travail mérite d’être inscrit dans
l’agenda politique, tant préserver l’écodi­
versité du tissu productif est crucial pour
espérer tenir les promesses tant ressassées
de relocalisations industrielles et, au­delà,
de croissance économique durable. 
Vincent Frigant est professeur
d’économie à l’université de Bordeaux
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021 idées | 37

LA  CHRONIQUE
Samuel Klebaner Thomson­CSF, seront démantelés
pour être revendus en petits mor­
ceaux. Dans les deux cas, ces
péens Thales et Nokia suppri­
ment, respectivement, des lignes
de production à Pont­Audemer
DE THOMAS PIKETTY

Les limites des Les nouvelles inégalités

grands groupes s’émancipent de
la politique étatique.
L’Etat actionnaire change de
doctrine. Plutôt que de diriger le
« champions nationaux »
développement de la firme, il l’ac­
compagne, c’est­à­dire valide la
(Eure) et des capacités de R&D à
Lannion (Côtes­d’Armor).
De même, l’« Airbus de la batte­
rie » [un consortium européen des­
mondiales
tiné à produire des batteries élec­
triques], et qui bénéficie d’impor­

politique de l’entreprise. C’est un
retournement complet de la rela­
tion entre l’Etat et ses « cham­
pions ». Compter l’Etat parmi les
Après la planification stratégique dans les actionnaires n’est donc plus pour
les salariés une garantie d’avoir au
années 1960, la place de l’Etat dans les grands conseil d’administration un allié
groupes hexagonaux s’est peu à peu muée en capable de s’opposer aux destruc­
tions d’emplois ou aux coupes
actionnariat impuissant, explique l’économiste dans les budgets de recherche et
développement (R&D).
tantes aides publiques grâce aux
PIIEC, met en concurrence les
régions européennes, chaque Etat
membre ayant mis au pot dans
l’espoir de récupérer une partie
des investissements ! Alors que les
constructeurs automobiles euro­
péens ont déjà leurs propres four­
nisseurs, asiatiques, qui ouvrent
des usines d’assemblage en Eu­
rope, avant même la naissance de
l’« Airbus de la batterie ».
Q
ue nous apprend le nouveau « Rap­
port sur les inégalités mondiales
2022 », publié mardi 7 décembre ? Thomas Piketty
Fruit de la collaboration d’une cen­ est directeur d’étu-
taine de chercheurs de tous les continents, des à l’Ecole des
ce rapport, qui paraît tous les quatre ans, hautes études en
permet d’ausculter les grandes lignes de sciences sociales,
fractures inégalitaires du monde. Au­delà Ecole d’économie
des constats maintenant bien connus sur de Paris
la montée des inégalités de revenus au
cours des dernières décennies, on peut dis­

L
a Chine et ses puissantes
entreprises menaceraient,
semble­t­il, de gouverner
l’ensemble des secteurs in­
dustriels mondiaux. Afin d’af­
fronter ces nouveaux géants, il
est tentant de s’en remettre à la
concentration industrielle afin de
voir émerger des champions na­
tionaux, voire européens.
Dans les industries à fortes éco­
nomies d’échelle, obtenir une
taille critique est une condition
nécessaire pour augmenter les ca­
pacités d’investissement et rele­
ver les défis numériques et envi­
ronnementaux : c’est l’argument
invoqué pour les fusions récentes
entre Alstom et Bombardier dans
le rail, PSA­Opel puis PSA­FCA
dans l’automobile, Safran et Zo­
diac Aerospace dans l’aéronauti­
que, ou en cours entre Suez et
Veolia dans l’eau et les déchets,
TF1 et M6 dans les médias.
Les « champions nationaux »
sont ainsi censés réaliser concrè­
tement des politiques gouverne­
mentales de développement de
l’économie nationale et de pro­
tection de la souveraineté. Mais
dans une économie mondialisée
et dérégulée, des grands groupes
autonomes peuvent­ils se muer
en « champions nationaux » en
l’absence de vision et de planifi­
cation stratégique ?
Une politique de « champions
nationaux » émerge au tournant
des années 1960. Il s’agissait alors
pour l’Etat de choisir des firmes,
publiques ou privées, qui seraient
capables de tirer l’industrie vers
le haut. Airbus s’est ainsi progres­
sivement constitué à coups de
fusions, Renault a été de fait le
champion national de l’automo­
bile en tant qu’entreprise natio­
nalisée, d’autres ont été créées de
toutes pièces, comme dans l’aé­
rospatiale autour du rôle coordi­
nateur du Centre national d’étu­
des spatiales.
Appuyées par un Etat dirigiste
(mais non despotique) et des
fonctionnaires formés dans les
prestigieuses écoles d’ingé­
nieurs capables de travailler avec
le privé, ces entreprises réali­
saient non seulement les objec­
tifs économiques (emplois, com­
merce extérieur) de la France,
mais aussi ses objectifs politi­
ques et sociaux.
A partir des années 1980, la puis­
sance publique abandonne pro­
gressivement ses champions,
dont les destins vont diverger.
Certains s’en tireront par le biais
de la privatisation, comme
Renault et plus tard Airbus, dans
le but de se « banaliser » aux yeux
des investisseurs privés. D’autres,
comme le géant de l’électronique
UNE ENTREPRISE
COMMERCIALE
PRIVÉE RESTE
D’ABORD
INFÉODÉE À SES
ACTIONNAIRES
On reste au stade du discours
On parle plus volontiers aujour­
d’hui de champions « euro­
péens » plutôt que nationaux.
Après le rejet de la fusion entre le
français Alstom et l’allemand
Siemens par la Commission
européenne, inquiète des risques
de position de monopole, les mi­
nistres de l’économie des deux
gouvernements, Bruno Le Maire
et Peter Altmaier, ont appelé en
février 2019 à revoir les règles de
concurrence, accusées d’empê­
cher la réalisation d’une politique
industrielle européenne. En
parallèle, la procédure des projets
importants d’intérêt européen
commun (PIIEC) qui a été amor­
cée en 2018 constitue une brèche
dans la doctrine d’interdiction
des aides d’Etat, puisqu’elle auto­
rise les subventions directes aux
grands groupes.
Mais on ne reste pour l’instant
qu’au stade du discours plutôt
que d’une véritable politique. Le
nouveau constructeur automo­
bile Stellantis n’est ni champion
ni européen, mais le résultat de la
fusion entre PSA, constructeur
français peu présent sur le mar­
ché mondial, et FCA (Fiat Chrysler
Automobiles), un groupe finan­
ciarisé en déclin. Le vrai cham­
pion automobile européen est
Volkswagen, mais il serait impen­
sable pour le gouvernement fran­
çais ou pour Renault de soutenir
son développement !
La Commission européenne
clame régulièrement son soutien
à l’émergence d’un leader euro­
péen dans la 5G. Mais au moment
même où Huawei s’implante en
Europe, les deux leaders euro­
Une entreprise commerciale
privée reste d’abord inféodée à
ses actionnaires. S’il n’y a pas de
contre­pouvoir, à l’intérieur ou
en dehors de l’entreprise, elle n’a
a priori aucun intérêt à se préoc­
cuper de la politique économique
d’un Etat : elle va d’abord suivre
ce qui est bon pour son résultat
net. Si quitter un territoire pour
s’implanter ailleurs ou abandon­
ner le développement d’une tech­
nologie­clé contribuent à son
résultat, elle n’a aucune raison de
ne pas le faire.
L’impuissance de l’Etat action­
naire et régulateur l’empêche de
fixer un plan pour atteindre des
objectifs sociaux et environne­
mentaux. Il préfère d’autant plus
laisser le marché décider qu’il dé­
tient des parts dans des entrepri­
ses aux intérêts commerciaux
parfois opposés, comme Air
France et la SNCF. Préférant ne pas
choisir entre l’avion et le train, il
produit une forme d’inertie, là où
il devrait mobiliser toute l’indus­
trie pour affronter les défis envi­
ronnementaux. Une politique in­
dustrielle démocratique, codéci­
dée par les élus, les industriels, les
syndicats et les citoyens, permet­
trait, en fixant un cap et un plan,
de renouer avec des « champions
nationaux » capables d’agir pour
l’intérêt commun. 
Samuel Klebaner est maître
de conférences en économie
au Centre d’économie de l’uni-
versité Sorbonne Paris Nord
tinguer trois nouveautés principales, portant sur les inégalités pa­
trimoniales, genrées et environnementales.
Commençons par le patrimoine. Pour la première fois, grâce aux
travaux de Luis Bauluz, Thomas Blanchet et Clara Martinez­Tole­
dano, les chercheurs ont rassemblé des données systématiques per­
mettant de comparer les répartitions de patrimoine dans l’ensem­
ble des pays du monde, du bas de la distribution jusqu’au sommet.
La conclusion générale est que l’hyperconcentration patrimoniale,
qui s’est encore aggravée pendant la crise du Covid­19, concerne
l’ensemble des régions de la planète. Au niveau mondial, les 50 % les
plus pauvres détiennent en 2020 à peine 2 % du total des propriétés
privées (actifs immobiliers, professionnels et financiers, nets de
dettes), alors que les 10 % les plus riches possèdent 76 % du total.
La palme de l’inégalité revient à l’Amérique latine et au Moyen­
Orient, suivis de la Russie et de l’Afrique subsaharienne, où les
50 % les plus pauvres possèdent à peine 1 % de tout ce qu’il y a à
posséder, alors que les 10 % les plus riches avoisinent les 80 %. La
situation est légèrement moins extrême en Europe, mais il n’y a
vraiment pas de quoi pavoiser : les 50 % les plus pauvres détien­
nent 4 % du total contre 58 % pour les 10 % les plus riches.
Face à ce constat, plusieurs attitudes sont possibles. On peut at­
tendre patiemment que la croissance et les forces de marché diffu­
sent la richesse. Mais vu que la part détenue par les 50 % les plus
pauvres atteint à peine 4 % en Eu­
PLUS QUE JAMAIS,  rope et 2 % aux Etats­Unis, plus de
deux siècles après la révolution in­
LA PLANÈTE VA  dustrielle, on risque d’attendre long­
temps. On peut aussi dire que la si­
DEVOIR PRENDRE  tuation actuelle est le mieux que l’on
EN COMPTE  puisse faire, et que toute tentative
pour redistribuer les patrimoines se­
LES MULTIPLES  rait économiquement dangereuse.
L’argument est peu probant. En Eu­
FRACTURES QUI  rope, la part détenue par les 10 % les
LA TRAVERSENT plus riches atteignait entre 80 % et
90 % du patrimoine total jus­
qu’en 1914. Elle s’est abaissée en un
siècle à moins de 60 % aujourd’hui, principalement au bénéfice
des 40 % de la population compris entre les 10 % du haut et les
50 % du bas. Cette classe moyenne patrimoniale a ainsi pu acqué­
rir des logements et créer des entreprises, ce qui a fortement con­
tribué à la prospérité des « trente glorieuses ».
Comment faire pour prolonger ce mouvement de long terme vers
l’égalité, qui est historiquement indissociable de l’évolution vers
une plus grande prospérité ? Idéalement, il faudrait envisager une
redistribution de l’héritage. Au minimum, il faut cesser de promet­
tre des cadeaux fiscaux aux plus hauts patrimoines et se concen­
trer sur la réforme de la taxe foncière, qui est un impôt très lourd et
injuste pour les personnes en voie d’accession à la propriété, et qui
devrait devenir un impôt progressif sur le patrimoine net.

Petra Bleuel Impossible Mittlestand français Inégalités de genre et défis climatiques

Ce vaste réseau de PME d’innovation, dans la création et la stabilité de
l’emploi, mais il est également vu comme un
est un concept entrepreneurial acteur majeur sur le marché mondial. A titre
spécifique à l’Allemagne. de comparaison, en 2019, on répertorie en
Allemagne 479 596 entreprises moyennes (de
S’en inspirer dans le but 50 à 249 employés) et 19 360 « grandes » entre­
d’égaler ses performances prises (plus de 249 employés), contre respecti­
vement 148 078 et 6 003 en France. Au total, les
économiques « relèverait de la entreprises allemandes affichent un chiffre
fiction », estime la chercheuse d’affaires plus important, emploient plus de
salariés et ont de meilleurs résultats à l’export
suivantes ; elles ont l’international et la coo­
pération interentreprises dans le « sang ». C’est
pour cela qu’on trouve dans le contingent du
Mittelstand des PME, mais également des
sociétés comme Kärcher – bien connue du
consommateur français – ou Stihl.
Enfin, les entreprises peuvent compter sur le
soutien du gouvernement et des Länder, selon
un modèle fort différent du modèle français,
où l’Etat intervient par des mesures générales
ou par le « sauvetage » d’entreprises indivi­
Le deuxième enseignement du « Rapport sur les inégalités mon­
diales 2022 » porte sur les inégalités de genre. Grâce aux données
rassemblées par Theresa Neef et Anne­Sophie Robilliard, on peut
maintenant mesurer l’évolution, pour l’ensemble des pays du
monde, de la part des femmes dans le total des revenus du travail.
Cela permet de constater à quel point les inégalités de genre de­
meurent élevées : au niveau mondial, les femmes touchent
en 2020 à peine 35 % des revenus du travail (contre plus de 65 %
pour les hommes). Cette part était de 31 % en 1990 et de 33 %
en 2000 : on voit donc que les progrès existent mais sont extrême­
ment lents. En Europe, la part des femmes atteint 38 % en 2020, ce
qui est encore très loin de la parité.
Cet indicateur donne une vision moins édulcorée et plus juste de
la réalité que les raisonnements à poste donné : il permet précisé­
ment de constater à quel point les femmes n’accèdent pas aux mê­
mes emplois et horaires de travail que les hommes, notamment

D
ans un contexte de crise et de diffi­
cultés économiques, la tentation est
grande de vouloir imiter les modèles
des pays les plus compétitifs. L’Allema­
gne paraît s’en sortir mieux que la France en
termes de produit intérieur brut, de déficit pu­
blic, de taux de chômage et de performances à
l’exportation. En effet, la colonne vertébrale de
l’industrie allemande est formée par les gran­
des entreprises et un réseau très vaste de peti­
tes et moyennes entreprises, le Mittelstand, ré­
gulièrement présenté comme la force et la spé­
cificité de l’économie allemande. Ainsi, selon
les préconisations récurrentes de certains
commentateurs économiques, il suffirait de
s’inspirer du modèle allemand et du Mittels­
tand pour créer un tissu d’entreprises compa­
rable à celui des Allemands et afficher les mê­
mes performances économiques qu’outre­
Rhin. Si la solution proposée paraît simple de
prime abord, sa mise en œuvre semble beau­
coup plus compliquée, voire irréalisable.
Le Mittelstand est majoritairement composé
d’entreprises de moins de 500 salariés. On lui
confère un rôle important dans le processus
que les entreprises françaises.
Soutien du gouvernement et des Länder
Forte est alors la tentation de vouloir créer un
Mittelstand français, qui serait composé de
PME plus grandes et plus internationales.
L’ennui est que le Mittelstand est un concept
entrepreneurial spécifiquement allemand,
inséré dans le modèle économique et sociétal
de la société allemande, et pas seulement une
catégorie d’entreprises statistiquement iden­
tifiable. La direction de l’entreprise, l’indépen­
dance économique, la propriété détenue par
la famille, un fort attachement au territoire
ainsi qu’une culture entrepreneuriale forgée
historiquement par la société allemande en
sont les caractéristiques essentielles.
Ces entreprises placent l’individu au cœur de
leurs préoccupations. Les décisions sont tou­
jours collectives, les hiérarchies plates accor­
dant une large place au partage des respon­
sabilités. La responsabilité sociale des entrepri­
ses est une réalité appliquée et non un produit
marketing. Elles mettent en place des straté­
gies de long terme, puisque les lois allemandes
facilitent la transmission aux générations
duelles. En Allemagne, les entreprises et leurs
fédérations professionnelles sont consultées
sur leurs besoins, et les aides sont ciblées sur
des faiblesses spécifiques à chaque entreprise
(la numérisation, l’internationalisation, le
transfert de connaissances, la création de sy­
nergies, etc.), sur l’accompagnement dans les
démarches, ou sur le soutien financier direct.
Au regard de ces éléments, on comprend
aisément que le projet de vouloir créer un
Mittelstand français relève de la fiction. La
solution est plutôt d’identifier ce qui fait la
force des PME françaises existantes, et de les
aider en s’inspirant des politiques de soutien
allemandes pour faciliter leur croissance et
leur compétitivité sur les marchés inter­
nationaux. 
Petra Bleuel est professeure associée
d’économie et de gestion à l’université
Côte d’Azur, et chercheuse du Groupe
de recherche en droit, économie et gestion
du fait de multiples préjugés et discriminations et des moindres
efforts entrepris par les pouvoirs publics pour structurer les em­
plois où les femmes sont les plus présentes (en particulier dans les
soins aux personnes, la grande distribution, les métiers du net­
toyage). Les faibles progrès constatés de par le monde au cours des
dernières décennies reflètent également la part croissante de la
masse salariale captée par les très hautes rémunérations, qui sont
très majoritairement masculines. Dans certaines régions, comme
en Chine, on observe même une baisse de la part des femmes dans
le total des revenus du travail. L’ensemble plaide pour des mesures
beaucoup plus volontaristes que celles adoptées jusqu’à présent.
La troisième nouveauté du « Rapport 2022 » porte sur les inégali­
tés environnementales. Trop souvent, le débat climatique se réduit
à une comparaison des émissions carbone moyennes par pays et à
leur évolution dans le temps. Grâce aux travaux de Lucas Chancel,
nous disposons maintenant de données sur la répartition des émis­
sions à l’intérieur des pays et dans les différentes régions du monde.
On constate que les 50 % les plus pauvres sont un peu partout à des
niveaux d’émissions relativement raisonnables, par exemple 5 ton­
nes par habitant en Europe. Pendant ce temps­là, l’émission
moyenne atteint 29 tonnes pour les 10 % du haut et 89 tonnes pour
les 1 % les plus riches. La conclusion coule de source : on ne relèvera
pas le défi climatique en ratiboisant tout le monde au même taux.
Plus que jamais, la planète va devoir prendre en compte les multi­
ples fractures inégalitaires qui la traversent pour surmonter les dé­
fis sociaux et environnementaux qui la minent. 
 0123
38 | idées DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021

Nathalie Azoulai
Avec Zemmour,
La romancière,
qui voit dans
les hybridations
idéologiques
du candidat
d’extrême droite
à la présidentielle j’invente peut-être
la catastrophe,
un niveau de
confusion « sans
égal », emploie les

mais je suis écrivaine,

armes de la fiction
pour imaginer ce qui
« pourrait advenir

j’ai le droit
d’un tel alliage »

E
n 2005, dans mon roman Les devaient se tenir à l’écart de toute agita­ Halte­là !, me dis­je à ce stade, car je me
Manifestations, j’avais créé un tion politique, se garder de vouloir me­ méfie un peu de moi­même. Peut­être « C’EST LA HONTE QUI 
personnage effrayant. C’était ner quelque révolution que ce soit, qui que les temps ont changé et que le mul­ ME FAIT IMAGINER LES 
un adolescent qui s’appelait plus est de vouloir sauver la nation en ticulturalisme profond a fait son œuvre,
Omar et que Maurras fascinait. montant au plus haut sommet de l’Etat, que les Français n’auraient plus aucun MAUVAISES PENSÉES 
Certains m’avaient dit alors sous peine de tragiquement chuter. Il mal à élire un candidat avec un pedigree
qu’il était improbable, ce jeune homme, paraît que vient toujours le moment où, pareil. Je me dis aussi que c’est la honte DES CATHOLIQUES 
le fruit de mon imagination, et en tout d’une manière ou d’une autre, le syn­ qui me fait imaginer les mauvaises pen­
point contraire à la réalité. Je n’ai cher­ drome de la double allégeance, du cos­ sées des catholiques traditionnels ou
TRADITIONNELS 
ché à convaincre personne, étant moi­ mopolitisme congénital ou, disons, de des grands bourgeois qui s’entiche­ OU DES GRANDS 
même persuadée que j’y étais allée un l’absence de souche leur retombe dessus raient de Zemmour pour de mauvaises
peu fort ; cependant, je restais intime­ et qu’on jette la confiance qu’on leur a raisons ou qui auraient, comme on dit, BOURGEOIS QUI 
ment convaincue que cet alliage fantas­ faite avec le sang du bain. C’est une an­ un agenda secret. Peut­être ne vois­je
matique racontait quelque chose et que tienne connue qu’Eric Zemmour lui­ pas que pour ces gens­là, justement, il S’ENTICHERAIENT 
la réalité n’admettait jamais de con­ même a dû entendre. Dans sa famille, représente la possibilité de se laver d’un DE ZEMMOUR POUR DE 
traire, une autre façon de dire que tout avec ses amis, je suis même prête à pa­ soupçon terrible, de passés familiaux
est toujours possible. rier que certains lui serinent des : « Eric, douteux, de préjugés tenaces, de haines MAUVAISES RAISONS »
Le temps a passé, et je n’ai jusque­là tu devrais arrêter », « Eric, tu vas trop qu’ils voudraient caduques, que sais­je,
jamais croisé aucun Omar. Un autre per­ loin », « Eric, tu te mets en danger », que Zemmour, en un mot, les laverait
sonnage improbable pourtant a surgi, quand ce n’est pas : « Eric, tu nous mets eux aussi plus blanc. Je m’arrête encore,
cette fois très réel, nullement le héros en danger. » Qu’importe, Eric n’entend je pense que c’est impossible et qu’ils préparé des rondelles de saucisson en
d’un roman, à part de celui qu’il est en pas et considère que ce sont là des mises ont décidé de ne pas voir ce qu’ils ver­ forme de Z, sauf qu’in extremis la dame
train d’écrire lui­même, un personnage en garde de trouillards, rien que des ront bientôt, un angle mort, la lettre vo­ du stand a précisé que c’était du bœuf.
que, pour le coup, je n’aurais ni osé ima­ couards qui n’ont pas conscience de sa lée en évidence sur le bureau, toutes ces Mais au Salon de l’agriculture, que
giner ni même pu concevoir. Eric mission. On lui parle de Blum, peut­être choses flagrantes qui vont bien finir par nenni, ce sera du cochon, ce doit être du
Zemmour, vous l’aurez reconnu. S’il est même des déboires du dernier juif qui leur sauter aux yeux. Oui, me dis­je, ils cochon, pour que la France éternelle ne
le symptôme d’un malaise dont souffre voulait devenir président, et il ricane, vont sûrement se réveiller et ce réveil devienne ni veggie, ni flexitarienne, ni
réellement la France, s’il permet de faire cite Crémieux, aiguise ses diatribes, dit sera sanglant ! Ceux qui remplissent ses halal, ni casher et qu’elle déclare que
évoluer les diagnostics et s’il me semble que la France l’oblige, qu’il se dévoue. meetings seront ceux­là mêmes qui des­ toutes ces castrations alimentaires
que la diabolisation ne mène à rien, on cendront dans la rue en hurlant qu’il est n’auront jamais raison de sa bonne
peut légitimement douter des solutions CEUX D’EN FACE indigne de la France, en brandissant des chère. Car tout est bon dans le cochon.
qu’il propose. On peut également se mé­ Les juifs de France eux­mêmes hésitent banderoles, des photos de lui avec une
fier des polémiques qu’il déclenche, de car, d’un côté, il flatte toutes les peurs petite moustache ou des oreilles poin­ PAS DE SAUCISSON, PAS DE SALON
son statut d’homme providentiel, de légitimes qui les animent, mais, de tues, un nez crochu, sa tête embrochée A vrai dire, il en a peut­être déjà mangé,
son style et de sa trajectoire. Si certains l’autre, il bouscule des habitudes et des et sanguinolente sous les cris de « Mort mais cette scène­là soudain l’effraie, il
voient en lui le rejeton d’une lignée pre­ sympathies qu’ils regardent comme des au juif », beaux quartiers et cités à l’unis­ pense à sa mère, à ses tantes, à ses
nant racine dans le XIXe siècle français libertés conquises. Qu’il vienne leur son qui, une fois tous mis à feu, cherche­ grands­mères, à tous ses aïeux, prie pour
qui aura, comme on sait, produit toutes dire que les prénoms de leurs enfants ront forcément le coupable belliqueux. qu’une énième vague de Covid­19 an­
sortes d’hybridations idéologiques menacent la République ou qu’ils doi­ De ses yeux, les écailles vont donc finir nule l’événement et, en attendant, de­
étranges, je trouve qu’à ce niveau­là de vent cesser de manger comme ils man­ par tomber, sa raison se dessiller pour mande discrètement qu’on lui conçoive
confusion, il est sans égal. Ce qui m’im­ gent relève d’un sacré culot tout de mesurer son erreur, l’épaisseur du un parcours sur mesure, rien que dans
porte donc ici, c’est de déployer une même. A moins qu’il ne les maltraite songe, la force du leurre, le déni, appelez les stands fromagers, où il pourra tout
longue­vue et d’essayer de scruter ce qui que pour mieux maltraiter les autres, ça comme vous voudrez. Le tout, c’est de avaler, le fromage corse le plus puant, le
viendra d’un alliage pareil. ceux d’en face… Il n’empêche, ils sont savoir quand, mais j’ai dans l’idée qu’un bosson le plus macéré, des pâtes coulan­
Le pire n’étant pas toujours sûr, j’in­ un peu embarrassés. D’autres font sa­ coup de théâtre est d’autant plus fort tes et grouillantes de vers, d’inénarrables
vente peut­être la catastrophe, mais je voir qu’ils sont même carrément gênés, qu’il éclate tout près du but. époisses, tout oui, mais pas ça. Impossi­
suis écrivaine, j’ai le droit. Je bénéficie honteux, car Eric Zemmour place les Eric Zemmour a grandi dans une fa­ ble, lui répondent les énarques, pas de
d’un coefficient d’imaginaire qui peut juifs de France dans le camp de l’inimi­ mille juive. Il a appris l’hébreu, fréquenté saucisson, pas de salon. Je vois déjà Sarah
rendre mes conjectures certes fausses, tié, du sexisme, du mensonge histori­ longtemps une école juive et la synago­ [Knafo, sa conseillère] faire une moue dé­
mais pas pour autant dénuées de sens. que, d’une rhétorique qui ratisse large gue. De ce fait, il a sans doute connu, solée, lui redire qu’il n’a pas le choix, il
Donc oui, Eric Zemmour endosse les et surtout d’une guerre civile annoncée. voire respecté, quelques interdits ali­ doit, il doit donc il peut, il ne va quand
habits de Jeanne d’Arc et veut sauver la Avec le Covid­19 et le vaccin, Zemmour mentaires, mais, en tant que candidat même pas s’en faire pour si peu. Elle a
France. Il fourbit sa croisade, appelle à devient le nouveau générateur de officiel, il devra se rendre au prochain raison, mais il est contrarié, il n’en dort
combattre les ennemis jurés du pays, conflits pendant leurs repas de famille. Salon de l’agriculture, lequel se tiendra plus la nuit, pas de saucisson, pas de sa­
lance sa reconquête. D’autres encore le considèrent comme chaque année porte de Ver­ lon, il compte les cochons, pas de saucis­
A moi comme à d’autres, on a pourtant comme une aberration, une aporie, un sailles, très exactement entre le 26 fé­ son, pas de salon, finit par s’endormir…
toujours dit que, dans un pays, les juifs accroc logique qui défie le sens com­ vrier et le 6 mars 2022, soit à quelques se­ Dans ses bons rêves, la rondelle est seu­
mun et appellent à regarder Eric Zem­ maines du premier tour de la présiden­ lement un mauvais moment à passer, car
mour en face, droit dans les yeux, tielle, prévu le 10 avril. Nous serons alors ensuite la voilà qui roule, coule comme
comme lui, bizarrement, ne se voit pas. certainement au plus fort des joutes, des l’eau de son baptême, devient le jeton de
On tente des analogies. Michael Jackson invectives et des promesses. Comme son courage et la monnaie de sa liberté,
« ÉRIC ZEMMOUR  se savait noir et rêvait de ne plus l’être. tous ses concurrents, il devra venir res­ l’hostie de son identité, le fait plus fran­
ENDOSSE LES HABITS  En s’acharnant, il a gagné quelques pirer l’air des terroirs et reconnaître çais que les Français. Dans ses pires cau­
nuances de blanc, mais en vain. A l’in­ l’éternité d’une France paysanne devant chemars, elle se coince dans le fond de la
DE JEANNE D’ARC  verse, Coleman Silk, le héros de La Ta­ qui les blancs­becs de la « start­up na­ gorge, il s’étrangle, il suffoque et tombe
che (Gallimard, 2002), de Philip Roth, tion » doivent encore bien se tenir. raide mort au milieu des cochons. 
ET VEUT SAUVER LA  semble blanc alors qu’il est noir et paie J’imagine donc « LA » scène, une scène
cher cette inadéquation. A l’heure où il primitive, eucharistique, celle qui va
FRANCE. IL FOURBIT  suffit presque de déclarer ce qu’on est tout changer, vous la voyez aussi,
SA CROISADE, APPELLE  pour l’être, Zemmour a peut­être une n’est­ce pas ? Devant les caméras, dans la
chance de passer pour ce qu’il n’est pas, cohue des micros et des badauds, Eric
À COMBATTRE  mais on en doute. On peut tout de Zemmour devra se fendre d’avaler une Nathalie Azoulai a notamment écrit
même se demander au vu de ses accoin­ petite rondelle de saucisson. « Clic-clac » (P.O.L, 2019) et « Titus
LES ENNEMIS JURÉS  tances si, devant sa glace, Eric Zemmour J’ai vu qu’au salon Made in France, qui, n’aimait pas Bérénice » (P.O.L, 2015),
DU PAYS, LANCE  ne se rêve pas en Breton catholique au en véritable répétition générale, s’est ouvrage pour lequel elle a obtenu le
lieu de se voir en « petit juif berbère », aussi tenu porte de Versailles il y a quel­ prix Médicis. A paraître le 6 janvier 2022
SA RECONQUÊTE » comme il aime à se dire. ques semaines, on lui avait justement chez P.O.L : « La Fille parfaite »
0123
DIMANCHE 12 ­ LUNDI 13 DÉCEMBRE 2021
PLANÈTE   |   CHRONIQUE
par sté phane f oucart
Le ministère
et le syndicat
I
nutile de le nier, ce fut un
choc. La rédaction du Monde
a reçu, samedi 20 novembre,
un bref communiqué con­
joint de la Fédération nationale
des syndicats d’exploitants agri­
coles (FNSEA) et du ministère de
l’agriculture et de l’alimentation.
Les deux organisations annon­
çaient une mesure historique :
leur fusion au sein d’une même
structure. « Mme Christi[a]ne Lam­
bert, présidente de la FNSEA, et
M. Julien Denormandie, ministre
de l’agriculture et de l’alimen­
tation, sont heureux de vous an­
noncer le rapprochement de leurs
équipes au sein d’une même admi­
nistration », lisait­on dans le
texte. Ce rapprochement devait
aboutir dans le courant du se­
cond semestre 2022.
C’était bien sûr un canular, or­
chestré par l’association Extinc­
tion Rebellion, qui avait poussé la
farce jusqu’à ouvrir un site Web
brocardant celui du syndicat agri­
cole. Mais, avant d’en rire, cer­
tains destinataires sont passés
par un bref moment de sidéra­
tion : la fusion de la FNSEA et du
ministère était­elle vraiment en­
gagée ? Quelques fractions de se­
conde d’hésitation peuvent en
dire bien plus que de longues ana­
lyses ; au cours des dernières an­
nées, la porosité entre le pouvoir
et l’agriculture productiviste a été
telle qu’elle a rendu l’absurde fu­
gitivement envisageable.
Une cécité enthousiaste
Dans le passé récent, aucun gou­
vernement n’avait, avec une telle
ardeur, une telle constance et une
si enthousiaste cécité, suivi ou de­
vancé les desiderata et les com­
mandements du productivisme
agricole. Mise de la gendarmerie
nationale à la disposition de la
FNSEA, avec la création de la cel­
lule Demeter (chargée de sur­
veiller les critiques de l’agricul­
ture industrielle), démantèle­
ment des aides au maintien de
l’agriculture biologique et projet
d’attribuer des subventions « ver­
tes » à l’agriculture convention­
nelle, abandon de facto de la lutte
contre les nitrates issus de l’éle­
vage intensif, soutien actif à la
construction de méga­bassines
pour l’irrigation, recul sur la sor­
tie du glyphosate, remise en selle
des néonicotinoïdes, volonté de
déréguler les « nouveaux OGM »…
La liste est ouverte.
Le 7 décembre, les associations
participant au suivi du quatrième
plan national santé­environ­
nement (PNSE4) sont, elles aussi,
passées par un moment de sidé­
ration. Au cours de la réunion de
leur groupe de travail leur était
présenté un Livre blanc propo­
sant « 36 actions à mettre en place
pour une politique française am­
bitieuse. “Une seule santé” » (l’ap­
proche « Une seule santé », One
Health en anglais, vise à intégrer
dans un même cadre la santé des
humains, des animaux et des éco­
systèmes).
Le Livre blanc en question affi­
chait, entre autres, les logos de la
FNSEA, de l’Union des indus­
tries de la protection des plantes
(UIPP) ou du Syndicat de l’indus­
trie du médicament vétérinaire
(SIMV). Le document était une
LA POROSITÉ ENTRE
LE POUVOIR  One Health, organisé fin septem­
ET L’AGRICULTURE  même société, MSD Santé Ani­
PRODUCTIVISTE A ÉTÉ  male, colloque dont le fameux
TELLE QU’ELLE A RENDU  locution introductive de l’événe­
L’ABSURDE  l’intérêt général, était assurée par
FUGITIVEMENT  le ministre de l’agriculture en
ENVISAGEABLE
0123 | 39
DÉMOCRATIE :
LE SOMMET 
La liste des invités a trahi l’embarras amé­ été que plus marquant. Tout comme celui
DE JOE BIDEN
A DÉÇU
ricain. Le critère des intérêts régionaux de
Washington l’a souvent emporté sur la na­
ture des régimes conviés, dont au moins un
de la secrétaire au Trésor, Janet Yellen, qui a
convenu que les Etats­Unis étaient sans
doute « le meilleur endroit pour cacher et
tiers laissait à désirer, selon le classement de
la Freedom House, un observatoire de l’état
de la démocratie libérale dans le monde fi­
blanchir des gains acquis frauduleuse­
ment », au cours d’une session consacrée
au poison de la corruption.
nancé par l’Etat fédéral des Etats­Unis. C’est La reconnaissance de cette réalité, sur­
ainsi que la République démocratique du tout de la part d’une puissance souvent peu
LA FUSION Congo ou le Brésil ont figuré parmi les méri­ économe de sa suffisance, constitue un
tants, mais ni la Turquie ni la Tunisie. préalable essentiel dont seules les démo­
DE LA FNSEA Il serait aisé d’ironiser à propos de cette craties sont précisément capables. Mais
sélectivité discutable et de moquer la lita­ elle n’a rien d’encourageant.
ET DU MINISTÈRE nie convenue de discours à distance à la­ Les menaces qui pèsent sur ces régimes
quelle le sommet a donné lieu en préam­ ouverts aux vents mauvais sont à trouver
DE L’AGRICULTURE 
ÉTAIT­ELLE 
VRAIMENT ENGAGÉE ?
L es promesses de campagne n’enga­
gent pas seulement ceux qui les re­
çoivent. Joe Biden en a fait l’incon­
fortable expérience avec le sommet virtuel
pour la démocratie organisé par les Etats­
bule d’un rassemblement de chefs d’Etat et
de gouvernement qui se tiendra en 2022,
peut­être. Deux symboles de la tentation
autoritaire qui travaille de nombreux pays,
la Chine et la Russie, qui n’étaient évidem­
dans le recroquevillement clanique qui ali­
mente le refus des normes. Dans le mépris
des contre­pouvoirs partout attaqués, qu’il
s’agisse de la justice ou du journalisme.
Malheureusement, ces errements sont
Unis les 9 et 10 décembre. Il avait été an­ ment pas invités, ne s’en sont pas privés. tous à l’œuvre aux Etats­Unis, le plus sou­
commande, passée par une firme noncé en fanfare dans une tribune publiée Mais il est autrement plus cruel de consta­ vent à l’initiative du Grand Old Party, celui
pharmaceutique (MSD Santé Ani­ au printemps 2020 par la revue Foreign Af­ ter combien les Etats­Unis, naguère ambas­ fondé par Abraham Lincoln et aujourd’hui
male) à un cabinet de conseil fairs, qui tenait lieu de déclaration de politi­ sadeurs de la démocratie libérale, sont dé­ à la renverse. Il contribue largement aux
en lobbying (RPP Group), et a été que étrangère du candidat démocrate. Ce sormais bien mal placés pour faire la leçon tripatouillages (purges de listes électorales,
coordonné par Jean­Luc Angot, sommet s’est pourtant révélé un modèle de à qui que ce soit. Quatre années de Donald obstacles au vote des minorités) et aux
coprésident du groupe de travail fausse bonne idée. Au point que l’adminis­ Trump, grand admirateur des hommes charcutages électoraux, tous produits à
« Une seule santé », chargé tration américaine s’est contentée du ser­ forts, ont en effet accéléré un affaissement une échelle industrielle.
du suivi du PNSE4 et… inspec­ vice minimum, (critique des mauvaises inquiétant dont on ne discerne pas la fin. L’ampleur de cette panne américaine en­
teur général au ministère de gouvernances, éloge du travail de la L’aveu de cette décrépitude par Joe Biden trave Joe Biden dans sa quête d’une réponse
l’agriculture. presse), sur une question pourtant cruciale lui­même, admettant que son pays devait au malheur démocratique éprouvé dans
Un mélange des genres si trou­ puisque partout ou presque la démocratie « combattre sans relâche pour être à la hau­ son pays comme dans de nombreux autres.
blant que plusieurs membres du est en recul, attaquée et affaiblie. teur de ses idéaux démocratiques », n’en a Il n’y a aucune raison de s’en réjouir. 
groupe de travail se sont de­
mandé si ce fameux Livre blanc
avait un caractère officiel. Inter­
rogé, M. Angot dément. « Ce n’est
qu’une contribution parmi d’au­
tres », dit­il, précisant avoir œuvré
bénévolement. « J’ai travaillé li­
brement, sans pression, de même
que la vingtaine de personnalités
qui ont participé à ce document »,
poursuit­il.
Interrogé, le cabinet RPP Group
précise avoir coopté ces personna­
lités – peut­être n’était­il pas né­
cessaire de vouloir, en plus, leur
tenir la plume. Parmi elles, des vé­
térinaires, un écologue, deux in­
fectiologues, mais aussi un prési­
dent de chambre d’agriculture, un
représentant de la FNSEA, la direc­
trice générale de l’UIPP, deux res­
ponsables du SIMV…
Aussi, certaines des « 36 ac­
tions » prônées par le document
semblent­elles parfois étrange­
ment orientées. La troisième pro­
position invite par exemple à lan­
cer une initiative qui « devra s’in­
téresser à la durabilité des outils
de biocontrôle et des biopesticides,
ainsi qu’aux idées reçues contre les
produits phytosanitaires, et la ma­
nière d’y faire face ». Pourquoi dia­
ble s’intéresser à la durabilité des
produits de biocontrôle (utilisés
en agriculture bio) et non aux ris­
ques sanitaires et environnemen­
taux des pesticides de synthèse,
bien plus problématiques ? Et ces
« idées reçues » à l’encontre de ces
derniers, auxquelles il faudrait
« faire face », quelles sont­elles ?
La sixième proposition consiste
en une étude qui répondrait entre
autres à la question : « Est­il justi­
fié de réduire la densité des éleva­
ges par crainte d’une épizootie ? »
Outre que le sujet est aussi, et
peut­être d’abord, de nature éthi­
que, c’est surtout la contamina­
tion de la ressource en eau par les
nitrates issus des élevages inten­
sifs et la prolifération d’algues
vertes qui posent de la manière la
plus aiguë la question de la con­
centration des animaux. Mais,
sans surprise, le mot « nitrates »
n’apparaît qu’une seule fois dans
les 44 pages du document. Et ne
fait l’objet d’aucune proposition.
« Je n’ai pas le sentiment d’avoir
participé à un document de lob­
bying, j’ai essayé de mettre tout le
monde autour de la table », dit
M. Angot. L’idée qu’un cabinet de
lobbying mandaté par une entre­
prise pourrait produire autre
chose que du lobbying ne vient
pas de nulle part. Pour compren­
dre, il faut revenir au sommet
bre 2020 avec le soutien de la
Livre blanc est la continuité. L’al­
ment, lui donnant l’onction de
personne, Julien Denormandie.
Ce n’est pas un canular. 
 2 6 7

PAREN TO LO GIE VI N UN AP ÉRO AVE C …

Effet
boomerang
Viendra un jour où les enfants
seront assez puissants
pour donner une correction
à leurs parents… qui regretteront
peut-être alors les violences
éducatives ordinaires
qu’ils leur ont infligées
Le grenache
se gâche
Cette variété de raisin,
la troisième la plus plantée
en France, fait merveille.
Le changement climatique
pourrait lui être bénéfique,
du moins si les maladies
ne déciment pas les vignes
Alexis
Pinturault
Etre le meilleur skieur au monde
ne s’improvise pas. Mais, tout
maniaque du contrôle qu’il soit,
le Savoyard, qui dispute ce week-
end des épreuves de la Coupe
du monde à Val-d’Isère, se détend
un peu le temps d’un apéro… à l’eau

Paye ta star S’offrir quelques

minutes de Snoop
Dogg ou de Véronique
Genest pour
son anniversaire ;
entrer dans le cercle
restreint des contacts
de Djibril Cissé…
grâce au numérique,
les possibilités
COLLAGE DE MARCUS MOLLER BITSCH POUR « LE MONDE » D’APRÈS AFP

de se rapprocher
des célébrités
se multiplient.
Moyennant finance
4
EN Q UÊ T E

D I MANCH E 1 2 - L U N DI 13 D ÉC EM B R E 202 1 C AHI E R D U « M O N DE » N O 23928 - NE P EU T ÊT R E V E NDU SÉPA R ÉM ENT

2 0123
D IMA NCH E 12 - LU N D I 1 3 D É C E M BRE 202 1
L A FRAN CE BUISSONNIÈ RE
Sauvons les poules !
Frédéric Potet
Cette semaine, notre chroniqueur se rend dans la
basse-cour de Stéphanie Scheitt, au cœur de la Sologne.
Y gambadent des gallinacés bio préservés de l’abattoir
par l’autoentrepreneuse, qui les propose à l’adoption
A
Noël, offrez une poule. Le gallinacé n’a ja­
mais eu autant la cote. C’est un bienfait
sur pattes : il valorise nos déchets organi­
ques en les mangeant ; il pond des œufs ; il
amuse les enfants. Le grand chic est même d’ac­
quérir une poule dite « réformée », soit âgée de
18 mois et plus. Passé cet âge, le taux de ponte du
volatile chute en effet progressivement, par
cycles. Sa perte de rentabilité le conduit alors di­
rectement à l’abattoir. De là, il rejoindra ensuite
l’industrie du bouillon cube et de la croquette
pour chien, triste destin. Sauf à être « sauvé » : tel
est le terme employé par un nombre grandissant
de sociétés et de collectifs spécialisés dans le ra­
chat et la revente de poules en fin de cycle.
A Châtres­sur­Cher (Loir­et­Cher), Sté­
phanie Scheitt, 46 ans, a créé Les Cocottes de
Steff il y a neuf mois, après avoir vu « l’envie de
poules exploser » pendant le premier confine­
ment. Elle œuvrait alors bénévolement au sein
d’une association vouée au bien­être animal :
« On ne trouvait plus d’œufs dans les magasins.
Tout le monde voulait avoir des poules chez soi. »
Après une vie professionnelle passée à changer
de métier (secrétaire, serveuse, photographe en
maternité), cette mère de trois enfants a monté
son autoentreprise, s’équipant en mangeoires,
abreuvoirs et caisses de transport.
Elle fait, depuis, la tournée d’un petit
nombre de fermes de la région Centre­Val de
Loire, au moment des renouvellements de chep­
tel. Seules les poules bio et « plein air » trouvent
grâce à ses yeux : « Elles sont plus équilibrées que
les poules de batterie, qui tombent malades dès
qu’on les sort et qui ont peur de leur ombre. »
Achetée entre 2 et 3 euros, chaque volaille est
inspectée et soignée si nécessaire, par sa nou­
velle propriétaire, qui la revendra ensuite 7 euros
lors d’opérations de « sauvetage d’urgence », chez
elle ou dans des communes des environs.
Stéphanie, qui estime à environ 8 000 le
nombre de pondeuses qu’elle a soustraites à
l’étourdissement électrique (la technique la plus
répandue dans les abattoirs), ne s’accorde pas de
salaire pour le moment. Travailler relève du pro­
dige pour sa colonne vertébrale, tenue droite par
une tige métallique depuis le diagnostic d’une
double scoliose à l’âge de 16 ans. « Je ne peux pas
rester en position stati­
que trop longtemps. Les
poules, c’est parfait, on
est toujours en mouve­
ment », détaille celle qui
se démène depuis des
années, sans succès,
pour l’obtention d’un
statut d’adulte handi­
capé. « Le RSA, ça va bien
cinq minutes », fulmine­
t­elle. Les antidouleurs
aussi : « C’est parce que je
ne veux pas me shooter
ALE GIORGINI aux médocs toute la
journée que j’ai décidé de
me bouger. »
« Quand j’ai envie Donner
deuxième chance à des
une
de poulet, je fais ouvrières déclassées fait
sens pour elle. Stéphanie
comme tout Scheitt se souvient avoir
« toujours récupéré des
le monde, je vais animaux blessés ou
abandonnés ». Œil crevé,
au supermarché » bec tordu, pattes folles…
Trouvées dans des éle­
vages, une cinquan­
taine de poules cabossées, invendables en se­
conde main, ont aujourd’hui élu résidence dans
la basse­cour de sa maisonnette perdue au
milieu de la Sologne. Chacune a été gratifiée
d’un nom : Paulette, Manon, Mimi, La Goulue,
Poupette… Le chef des coqs s’appelle Coco. Qua­
tre canards, huit oies, cinq chats et un chien
cohabitent également dans son « arche de Noé ».
La nuit, deux postes de radio grésillent dans les
poulaillers faits de bric et de broc, afin d’éloigner
le renard et la fouine.
Il arrive que certaines de ses poules tré­
passent, emportées par une maladie ou de leur
belle mort. Stéphanie Scheitt va alors les enter­
rer au fond du jardin. Les manger ? Non, impen­
sable. « Quand j’ai envie de poulet, dit­elle, je fais
comme tout le monde : je vais au supermarché. »
Toutes les volailles n’ont pas eu la chance d’être
sauvées de l’abattoir.
Malgré leur interdiction par la loi, les violences éducatives ordinaires assombrissent toujours
la vie des plus jeunes. Et si l’heure de la révolte avait sonné ?, se demande Nicolas Santolaria
Faut-il un #metoo
des enfants ?
C
es jours­ci, j’ai pu consta­
ter à plusieurs reprises
le développement accé­
léré de la force physique
de mon fils aîné. A
10 ans, il a déjà une poi­
gne de catcheur et, lors­
que nous jouons à la ba­
garre pour rigoler, je
dois déployer de plus en
plus d’énergie si je veux
avoir le dessus. Quant
au petit, il lui arrive par­
fois de dévisser le couvercle des pots de
confiture qui me résistent (pas long­
temps, rassurez­vous). Bref, je suis tel un
vieux lion qui sent que la passation de
pouvoir n’est plus une lointaine hypo­
thèse, mais une réalité qui se rapproche.
Ce qui donne lieu, de ma part, à une bla­
gue que je répète régulièrement à mes
enfants : « Vous serez gentils, hein, quand
vous serez devenus plus forts que moi ;
vous respecterez votre papa ? »
Cette façon d’user de manière
anticipée de diplomatie n’est pas qu’un
simple trait d’esprit. Elle traduit ce fond
d’animalité qui court souterrainement
dans tout rapport humain. Nos enfants
ont beau être nos enfants, ils devien­
nent au bout d’un moment, après s’être
enfilé des kilomètres de tartines au Nu­
tella et des wagons de compote survita­
minée, des individus susceptibles de
nous casser la figure. Une fois que cette
perspective se fait plus concrète, le com­
portement du parent change, s’orien­
tant comme par enchantement vers une
sorte de gandhisme éducatif. Celui qui
gueulait comme un putois quelques
mois plus tôt pour le moindre petit pois
tombé sur la moquette prône désormais
la paix et le dialogue.
On retrouve cette même idée
dans la dernière campagne de prévention
des « violences éducatives ordinaires »
(VEO). Dans le clip mis en ligne le 26 octo­
bre par l’association StopVeo, un père de
famille découvre que son fils vient de
dessiner sur les murs. « Oh putain ! Léo,
LÉO ! », se met­il à hurler, en balançant un
coup de pied rageur dans le paquet de
feutres qui a servi à transformer la des­
cente d’escalier en réplique de la grotte
d’Altamira. Mais alors qu’on l’imaginait
percer le tympan de son enfant en le satu­
rant de décibels, le papa, lorsqu’il déboule
dans le salon, se met soudain à parler
d’une voix de miel : « Euh, Léo, c’est très
joli ce que tu as fait. Mais tu vois, le feutre,
c’est très difficile à nettoyer sur la mo­
quette et sur les murs. Regarde, tu peux
dessiner là­dessus, c’est mieux parce que
après on pourra les accrocher aux murs.
Tu veux bien ? », dit le papa, en tendant
une feuille de papier à son enfant.
Pourquoi un tel changement de
ton ? Simplement parce que, dans le clip,
le petit Léo a été remplacé par un grand
Viking en pyjama, occupé à crayonner
sur le tapis. La présence incongrue de cet
enfant avec un corps d’adulte modifie
immédiatement le comportement du
père, qui devient plein de compréhen­
sion et de bienveillance. Oui, il y a là, face
à lui, un potentiel de riposte musculaire
qui invite immédiatement à la douceur,
quelque chose qui n’est pas très loin de
l’équilibre de la terreur dans la doctrine
PARENTOLOGIE
de la dissuasion nucléaire. « Et si on ima­
ginait que nos enfants étaient plus forts
que nous », propose le slogan, à l’issue de
ce petit clip qui donne à réfléchir.
On peut effectivement appliquer
cette gymnastique mentale à tout un tas
de situations. Récemment, mon fils aîné
est rentré d’une de ses activités en nous
disant qu’un animateur lui avait asséné
« un coup de dictionnaire sur la tête ». Le
type (qui s’est excusé, en expliquant que
Le Robert lui avait glissé des mains)
aurait­il agi de la sorte s’il avait eu affai­
re à un gaillard à l’allure de pêcheur de la
mer du Nord ? Très certainement, non.
Me permettrais­je d’arracher le smart­
phone des mains de mes enfants s’ils
avaient la carrure d’Uini Atonio, le co­
losse de l’équipe de France de rugby ?
C’est peu probable. Cette dissymétrie
dans le rapport humain n’a pas que le
différentiel de force physique pour mo­
teur. Il y a aussi l’idée d’une hiérarchie
statutaire où, parce qu’il rapporte la
pitance, le parent s’imagine qu’il occupe
le sommet de l’organigramme familial –
et qu’il a tous les droits.
Quand on creuse un peu, on
s’aperçoit que l’enfant est bien souvent
considéré comme un sous­individu, un
être inaccompli qui ne saurait pas en­
core ce qui est bon pour lui (oui, les épi­
nards, le silence et le solfège). En consé­
quence, il se devrait d’obéir aveuglé­
ment à l’adulte clairvoyant qui lui ap­
prend la vie à l’impératif : « mange »,
« range », « ferme ». Solidement ancrées
dans les esprits, ces conceptions archaï­
ques, qui ne voient l’autorité qu’en ter­
mes de verticalité vociférante, expli­
quent en partie la perpétuation des vio­
lences éducatives ordinaires, pourtant
interdites par la loi du 10 juillet 2019.
Si les claques, les fessées, les hu­
miliations et le chantage affectif perdu­
rent, c’est que ces méthodes coercitives
ont, à l’instar des violences touchant
d’autres catégories de population, un ca­
ractère qui dépasse la simple dimension
Nos enfants
deviennent,
au bout d’un
moment,
des individus
susceptibles
de nous
casser
la figure
PHILIPPE DE KEMMETER
individuelle. « Il s’agit bien d’une violence
systémique, relevant d’une logique de do­
mination des adultes vis­à­vis des enfants.
Ce système de domination apparaît
d’autant plus difficile à déconstruire qu’il
est considéré par la société comme nor­
mal, voire naturel. Ce schéma de pensée
influence notre rapport au monde, notre
rapport aux autres, notre rapport à nous­
même, entretenant les mécanismes de la
violence. A noter qu’il est particulièrement
à l’œuvre dans les affaires de pédocrimi­
nalité et d’inceste (soumission incondi­
tionnelle à l’autorité de l’adulte, enfants
qui ne sont pas écoutés, pas crus…) »,
peut­on lire sur le site de l’Observatoire
de la violence éducative ordinaire. Le
rapport Sauvé, sur l’ampleur des abus
sexuels subis par les plus jeunes dans
l’Eglise, ne dit pas autre chose.
N’ayant pas la force physique de
se défendre, les enfants n’ont pas non
plus la capacité de se constituer en
groupe de pression contestataire. Imagi­
nez pourtant la portée qu’aurait un
#metoo des enfants. Si les violences fai­
tes aux femmes sont devenues soudain
visibles grâce aux mouvements de mo­
bilisation sur les réseaux sociaux, une
version enfantine de ce soulèvement nu­
mérique aurait des conséquences au
moins aussi bouleversantes. Nous pren­
drions alors conscience, par l’effet des té­
moignages accumulés, de la maltraitance
chronique subie par les plus jeunes, en­
core accentuée par la situation pandémi­
que. Une étude publiée dans la revue
Child Abuse & Neglect le 28 août 2021, par
des chercheurs de l’université de Dijon et
du Centre de recherche en épidémiolo­
gie et santé des populations Paris­Saclay
de l’Inserm, montre que l’hospitalisa­
tion des enfants de 0 à 5 ans victimes de
maltraitance physique sévère a connu
une augmentation de 50 % pendant le
premier confinement.
Mais la taloche qui fracture la
mâchoire ou le secouage de bébé ne
sont pas les seules causes des traumatis­
mes subis. Plus pernicieuses, les « dou­
ces violences » désignent, sous l’oxy­
more, ces attitudes a priori sans consé­
quences qui chosifient les plus jeunes.
Lorsqu’un parent colle une étiquette à
son enfant (« Oh, de toute façon, Lucas, il
traîne toujours des pieds »), le culpabilise
(« Regarde, tu as encore fait pleurer papa,
c’est pas gentil ! »), le presse (« Noémie, on
va encore être en retard au piano, avale­
moi cette compote fissa ! »), nie sa cor­
poréité en intervenant de manière in­
trusive (« Allez, on mouche ce vilain nez
tout gluant »), ces paroles et comporte­
ments dévalorisants, notamment lors­
qu’ils sont réitérés, sont susceptibles
d’endommager, à la longue, l’estime de
soi. S’il vous prend l’envie de tirer un
peu trop vigoureusement la génération
montante par le bras, imaginez­vous
alors que vous avez affaire non à une
poupée de chiffon, mais à la cousine ou
au cousin de Sébastien Chabal.
4 0123
DIMA NC HE 12 - L U N D I 1 3 D É C E MB RE 202 1

ENQUÊTE
Par Pascale Krémer
Un peu plus près des étoiles
P
our les 30 ans de son frère
dont elle moque inlassable­

Longtemps inaccessible,
ment la passion pour l’Olym­
pique de Marseille (OM), puis­
qu’il est tout aussi parisien
qu’elle, Maroussia a marqué
un point. C’est Djibril Cissé lui­même qui

la star est désormais à portée

a souhaité un bon anniversaire à son ca­
det. « Au dessert, on a regardé la vidéo du
footballeur et on a bien rigolé. Mon frère
m’a demandé : “Mais comment t’as eu
ça ?” », se souvient, dans un sourire vic­

de clic. Par le biais de plates-

torieux, la responsable marketing de
34 ans. Alors, pour l’anniversaire de ma­
riage des parents, quatre mois plus tard,
Jean­Pierre Foucault a été convoqué.
« Très appliqué, il a parlé de réponse A, de

formes spécialisées et contre

réponse B, il a même fini par : “Et c’est
mon dernier mot”, comme dans “Qui
veut gagner des millions ?”. On regardait
l’émission en famille, à l’époque… »
Mariage ? Anniversaire ? Encoura­

rémunération, pointures
gements ? C’est 50 euros l’ex­attaquant
de l’OM, 150 euros l’animateur télé au
goût d’enfance, sur Big Up, l’une des nou­
velles plates­formes françaises de dédica­
ces vidéo personnalisées, avec Vidoleo et

américaines ou vieilles
Dediz. Acheter est un jeu d’enfant : une
galerie de célébrités, sous une photo et
une courte présentation, affichent un
prix qu’elles ont elles­mêmes fixé. On
passe commande, pour usage personnel

gloires françaises peuvent

ou d’entreprise (bien plus cher) ; on ren­
seigne le prénom du futur bénéficiaire,
l’occasion festive et l’anecdote émou­
vante qui permettront de personnaliser
la vidéo ; on sort la Carte bleue… Et hop !

même vous souhaiter

En vingt­quatre heures (si l’option « li­
vraison rapide » apparaît) ou sept jours
au maximum, une vidéo de l’admiré ar­
rive par e­mail. Images tremblotantes
captées d’une main depuis le canapé du

votre anniversaire en vidéo

salon ou dos à la haie de thuyas du jardin,
qu’importe ! Une star nous parle.
Aussi peu étonnant que cela
puisse paraître, l’e­commerce de people
est d’inspiration américaine. Lancée
en 2017, la plate­forme Cameo, qui
« spread[s] love virtually » (« répand vir­
tuellement l’amour »), connaît outre­
Atlantique un destin aussi glorieux que
celui de ses 40 000 « célébrités » sur ca­
talogue. Les vidéos expédiées (1,3 mil­
lion) ont généré 89 millions d’euros de
revenus en 2020, dont l’entreprise a pré­
levé le quart – un modèle économique
repris par toutes les plates­formes. Par
intermittence, même le rappeur Snoop
Dogg est en magasin. « Mon frère n’ou­
bliera jamais un message personnel
d’une légende vivante. Je n’étais pas sûr
qu’il ait le temps, mais Snoop l’a fait »,
s’extasie un client américain.
Le best­seller ? Brian Baumgar­
tner (alias Kevin Malone dans la série
The Office), à 200 euros pour les particu­
liers, dix fois plus pour un usage marke­
ting. Le comptable de fiction a pu crédi­
ter son bilan personnel de plus de 1 mil­
lion de dollars (environ 900 000 euros),
grâce à des prestations pour des particu­
liers et des entreprises. Mais certains
clients penchent pour le produit d’excep­
tion : un « Cameo » de l’ex­athlète deve­
« Hi Bastia, this is
Chuck Norris ! »
Le buzz déclenché
valait bien les
328 euros…
nue femme de télé Caitlyn Jenner, dont le
prix culmine à 2 200 euros.
Plus modestement, les commer­
çants du centre­ville de Bastia se sont
offert les vœux de l’acteur Chuck Norris.
« Hi Bastia, this is Chuck Norris ! » Le buzz
déclenché valait bien les 328 euros… Sur
Cameo, les brassées de dollars rendent
tous les rêves possibles : l’échange di­
rect de messages, le « live » pour comité
restreint d’internautes et, surtout, la
conversation minutée en tête à tête, par
écrans interposés – qu’immortalise une
photo finale.
Une petite troupe de Frenchies a
grimpé sur la plate­forme aux étoiles.
L’ex­joueur de tennis Henri Leconte (dès
70 euros), le toujours joueur de tennis
Jo­Wilfried Tsonga (200 euros, reversés à
son association Attrap’la balle), des foot­
balleurs en veux­tu en voilà (« N’hésitez
pas à m’envoyer vos demandes les plus
folles », suggère Franck Honorat, du
Stade brestois – 18 euros), des basket­
teurs, judokas, athlètes… Mais aussi des
comédiens, dont Samy Naceri (88 euros)
et Véronique Genest (53 euros) ; des hu­
moristes (Pascal Légitimus, 65 euros) ;
des rappeurs bradés à une dizaine
d’euros (Colonel Reyel, Barack Adama).
Et des grappes de « Vus à la télé », anima­
teurs, commentateurs, chroniqueurs,
candidats de toutes saisons. La plupart
ont en commun d’avoir dépassé le som­
met de leur carrière et ont déjà entamé
la redescente versant nord.
Ces deux dernières années, des
start­up françaises ont repris à leur
compte le concept Cameo et offrent le
même genre de casting, à quelques in­
fluenceurs et youtubeurs près. Le chiffre
d’affaires est exponentiel mais secret
chez Vidoleo. « Enfin, on peut vous dire
qu’il approchera les 80 000 euros en dé­
cembre », lâche le cofondateur, Nicolas
Poulet­Alinat, 27 ans. Les 500 vedettes à
portée de clic demandent 30 euros en
moyenne. Et les plus actives, assure­t­il,
peuvent empocher 5 000 euros men­
suels. Quant aux conversations directes,
par SMS ou vidéo, promis, ces « moments
encore plus privilégiés avec les célébrités »
arriveront bientôt. Le prix d’achat moyen
est équivalent chez Big Up, mais les gains
de sa soixantaine de « talents » enrôlés
sont quasiment tous reversés à des asso­
ciations. Du moins le promettent­ils.
Le joueur de tennis Jo­Wilfried
Tsonga, disponible sur Memmo (un site
suédois) et sur Cameo, a « saisi l’occa­
sion » lorsqu’on l’a démarché. « Sur les ré­
seaux sociaux, j’ai beaucoup de demandes
de vidéos. Quitte à répondre, autant que
ce soit pour une bonne cause. Pour
d’autres sportifs qui n’ont pas ma rémuné­
ration, ça peut être l’occasion de se soute­
nir eux­mêmes. Mais les gens savent que
c’est pour eux, pas pour une asso, c’est bien
indiqué sur le site. » Les messages de moti­
vation ont gonflé le budget de son asso­
ciation de 10 000 euros en six mois. Sur
Vidoleo et sur Memmo depuis janvier, le
sprinteur Christophe Lemaitre ne facture
que 20 euros. « Une fois que la plate­forme
a prélevé 5 euros, le gain est très minime,
pour être honnête. Mais c’est important de
communiquer avec les fans qui me sou­
tiennent depuis des années. C’est une façon
de les remercier, de rester proches. »
But atteint, à lire les nombreux
avis de consommateurs : « Un énorme
merci, tu as joué le jeu à merveille, et très
rapidement. Comme quoi un sprinteur est
toujours dans les starting­blocks. » Et en­
core : « Mon épouse a été sidérée par la vi­
déo. Cela a permis d’oublier la période de
crise actuelle, l’espace de quelques ins­
tants. » Le journaliste sportif Patrick
Montel, écarté de France Télévisions
en 2019 après des propos polémiques sur
le dopage, et désormais animateur de
« Radio Montel » sur Facebook, se pro­
pose (à la fois sur Memmo, Cameo et
Vidoleo, pour une vingtaine d’euros) de
commenter toute réjouissance privée sur
le même ton enflammé que celui qu’il
utilisait pour l’athlétisme, naguère.
Il a tourné plus de cent vidéos,
déjà. Des anniversaires, un peu de nais­
sances… « C’est comme revivre une émo­
tion liée à un événement sportif dans un
cadre privé, à l’en croire. Les gens sont en
demande de cette émotion­là. » Une façon,
aussi, pour lui, de continuer à exister ?
« Bien sûr ! Pendant trente­cinq ans, la télé­
vision a été une drogue dure. Quand vous
arrêtez, vous descendez au sous­sol. Alors,
vous le décorez… Quand je lis des retours
comme “Merci, ma mère a eu les larmes
aux yeux”, je renoue le contact direct avec
le public, à petite échelle. Je trouve… com­
ment dire… un peu indécent que ce soit
rémunéré. Mais je ne vais pas me battre
contre tout ce qui est indécent aujourd’hui,
sinon je me ferais traiter de vieux con ! »
En France, jusqu’à présent, il
n’était pas franchement bien vu pour un
artiste de monnayer explicitement sa
notoriété. Bref, de plumer au grand jour
le fan enamouré. Le patron de Vidoleo se
souvient encore des réactions, à l’ex­
posé de son projet de start­up. « On me
disait que chez nous, c’était compliqué.
Avec les cofondateurs, on a pris le pari,
pourtant, parce qu’il y a une sorte d’amé­
ricanisation des sociétés. Les mentalités
bougent vite chez les jeunes. D’ailleurs,
on a un taux d’acceptation relativement
important des célébrités qu’on sollicite. »
Pour avoir scruté les mordus de
séries télé, Mélanie Bourdaa, enseignante
en communication à l’université Bor­
deaux­Montaigne, sait que « dans les
conventions de fans, de plus en plus nom­
breuses et populaires partout en France,
les fans paient maintenant, et parfois très
cher, pour une séance de photos ou un
autographe avec leur star ». La pratique
du meet and greet (« rencontrer et sa­
luer ») a débarqué en France, aussi, avec
les artistes américains ou installés aux
Etats­Unis, certains spectateurs débour­
sant plusieurs centaines d’euros (825 eu­
ros pour Booba, 627 euros pour Mariah
Carey), en plus du prix du concert, pour
une coupette de champagne en coulisses,
un selfie au sourire contraint et un poster
gribouillé d’une main lasse.
Exigences de proximité, d’immé­
diateté, de personnalisation… L’ère du nu­
mérique et des réseaux sociaux a sérieu­
sement effondré la cote de la photo dédi­
cacée demandée par courrier (joindre
enveloppe timbrée) pour réception deux
mois plus tard. Sur Facebook, YouTube,
Instagram, TikTok et autres Twitch, de­
vant photos et vidéos, « stories » et « live »
de leur idole en pleine répétition ou en
train de profiter d’une grasse matinée fa­
miliale, les groupies ne se contentent
plus d’admirer. Elles espèrent l’interac­
tion, devenue éventualité plausible ; elles
commentent en tutoyant la star. N’est­
elle pas susceptible de lire, de « liker » de
tout son cœur, voire de répondre, une
fois sur mille ? Le Graal ! « Vos fans n’ont
jamais été aussi proches », promet Twitch,
qui diffuse des contenus en direct.
Toujours plus près des étoiles,
côté fans. Côté vedettes, on n’a pas at­
tendu le XXIe siècle pour saisir l’intérêt de
livrer, par petits bouts ou en vrac, cette
intimité dont se nourrissent les admira­
teurs en dévotion, observe Gabriel Segré,
maître de conférences en sociologie à
l’université Paris­Nanterre : « La seule dif­
férence aujourd’hui, c’est que les stars se
passent des médiateurs que sont les jour­
nalistes. Et que les réseaux sociaux entre­
tiennent chez les fans le sentiment d’une
 0123
DI MANCHE 12 - LU N DI 13 DÉCEM BR E 202 1 5

réelle proximité, complicité et même réci­

procité de la relation, ce qui encourage la
ferveur, l’investissement affectif et, bien
sûr, la consommation. »
La donne change, enfin, à ses
yeux, parce que les stars ont laissé place à
des brouettes de sous­vedettes : « Le phé­
nomène de production toujours plus ra­
pide de petites célébrités éphémères via la
télé ou Internet s’accompagne de prati­
ques de marchandisation moins subtiles. »
Et pour cause : youtubeurs et influen­
ceurs vivent de cette monétisation de
leur communauté.
S’ils ont écarté le danger viral, les
confinements ont encore rapproché fans
et célébrités désœuvrées, privées de scè­
nes, d’écrans, de stades, donc des reve­
nus habituels, et soucieuses de préserver
coûte que coûte leur lien au public. « C’est
crucial, expose Adrien Chaput, chez Big
Up. Plus la star est proche de ses fans, plus
ils ont envie de lui faire plaisir, et plus la
“conversion” est bonne, c’est­à­dire qu’ils
achètent ses produits, ses billets. » C’est
ainsi que l’internaute cloîtré a pu assis­
ter, en temps réel, à un miniconcert de M
devant son canapé vert pomme, au mys­
térieux processus créatif de Christine

« Très appliqué,
Jean-Pierre
Foucault a parlé
de réponse A,
de réponse B, il a
même fini par : “Et
c’est mon dernier
mot” », explique
Maroussia, 34 ans
and the Queens ; c’est ainsi qu’il a pu glo­
ser sur la cave à vin de Patrick Bruel, la
braguette restée entrouverte de Jean­
Louis Aubert, ou partager l’apéro du
joueur de tennis Benoît Paire.
Et c’est ainsi que les plates­formes
de dédicaces vidéo ont explosé. Sur
Cameo, de janvier à mai 2020, les com­
mandes hebdomadaires sont passées de
9 000 à 70 000, a compté le New York
Times. L’épidémie s’éternisant, de gros
Et aussi, dans la « fan sphère »

concerts payants se sont organisés en

streaming sur des plates­formes profes­
sionnelles, avec options tout aussi payan­ MARCUS MOLLER BITSCH POUR « LE MONDE » D’APRÈS AFP
tes – la possibilité de zoomer sur son
membre préféré du groupe, par exemple,
pour la pop coréenne. Etape suivante ? Les
concerts en direct (de Lil Nas X, Justin Bie­
Mym Royaltiz
ber, Ariana Grande…) dans le métavers, Des « moments La bourse aux talents
cet ensemble de mondes virtuels fictifs et
immersifs comme le jeu vidéo Roblox, où
privilégiés » Une curiosité, apparue en juillet, que cette
le spectateur est incité à dégainer la carte sur abonnement Tipeee plate­forme française permettant de miser
bancaire pour envoyer des émoticônes Un soutien sans sur la carrière de célébrités. Les fans spéculent
que l’artiste voit, ou pour acquérir la Lancée début 2019, cette plate­forme de sur le succès, donc les revenus futurs, de leurs
même tenue pixélisée que lui. Et même contenus exclusifs fonctionne comme filtre à la création « talents » préférés du sport, de la musique ou
pour que son avatar­spectateur intera­ une sorte de super­fan­club payant. du divertissement, en participant à des levées
gisse avec celui de la star en pleine repré­ « Démarrez une relation unique, propose Cette plate­forme de financement de fonds en leur faveur. En fonction du nom­
sentation. Jusqu’à le rejoindre sur scène. le site. Les stars vous reconnaissent, vous participatif consacrée aux créateurs bre de « Roy » (un équivalent d’actions) achetés,
Dans la vraie vie, pour quelques écoutent et partagent avec vous des mo­ de contenus sur Internet a été lan­ ils toucheront des dividendes annuels. Ils
dizaines de milliers d’euros, les célébrités ments privilégiés. » Souscrire un abonne­ cée en 2013 par Michael Goldman peuvent aussi revendre ces « Roy » lorsque
acceptent sans barguigner de « sublimer ment mensuel (de moins de 10 euros à (fils de Jean­Jacques), qui avait déjà leur cours est au plus haut pour engranger une
événementiels et soirées privées », comme près de 100 euros) à une célébrité permet fondé MyMajorCompany (finance­ plus­value. Des contenus exclusifs sont propo­
promet le site Intervenants.fr, dont le ca­ de débloquer ses contenus exclusifs ment participatif de musiciens). Sur sés par les célébrités à leurs fans­investisseurs.
talogue s’apparente à l’annuaire du show­ (photos, vidéos, « live » privés, échanges Tipeee, les particuliers soutiennent Le public ciblé semble être celui des
biz français : Dany Boon, Gad Elmaleh, par messages et chat). Mym a attiré des les créateurs Web en leur offrant des nombreux jeunes convertis aux paris sportifs
Clara Luciani, Zazie, Vitaa, Slimane, Flo­ coachs, des influenceurs (mode, fitness, tips (« pourboires »), ponctuels ou en ligne, notamment dans les quartiers popu­
rent Pagny, Patrick Bruel, Marc Lavoine, paris sportifs, trading ou lifestyle, mensuels, et peuvent bénéficier de laires. Pour l’instant, trente­six « talents »,
Julien Clerc, Gims, Luc Besson… Le numé­ comme EmmaCakeCup), un ancien foot­ contreparties en retour : contenus confirmés ou naissants, ont accepté de se prêter
rique démocratise cet accès privilégié aux balleur reconverti en DJ (Djibril Cissé), exclusifs, possibilités d’échange par au jeu spéculatif. Une petite vingtaine de foot­
célébrités, au prix du virtuel. des chanteuses, danseurs, cuisiniers messages, de vote sur les contenus… balleurs de différents clubs européens (Presnel
Scannez votre boîte à pizza (de et d’anciens participants de la téléréalité. Depuis 2013, 378 000 « ti­ Kimpembe, Thilo Kehrer, Colin Dagba, Layvin
chez Pizza Hut), vous chargerez un mini­ « Le succès repose sur l’influenceur peurs » ont offert 23,3 millions Kurzawa, Kaio Jorge, Moussa Diaby, Andreas
concert privé du rappeur Gringe. Contri­ moyen qui réunit sur Instagram une d’euros (8 % sont ponctionnés par Pereira…), un professionnel du MMA (Alan
buez au financement participatif de communauté de 50 000 abonnés, très la plate­forme) à 15 000 créateurs. Baudot), des rappeurs ou chanteurs (Sofiane
votre créateur préféré (sur Tipeee, uTip, engagée », décrypte Pierre Garonnaire, Sur Tipeee (dont Xavier Niel, action­ Zermani, Vegedream, Fif Tobossi, Popey, Uzi,
Patreon, etc.), abonnez­vous à lui sur cofondateur. Le chiffre d’affaires, de naire du Monde à titre individuel, Joé Dwèt Filé, Alrima, etc.), des influenceurs,
une plate­forme de contenus exclusifs 30 millions d’euros en 2020, devrait dou­ est également actionnaire), « les créa­ youtubeurs et entrepreneurs du rap.
(comme Mym), vous accéderez à ce que bler cette année. Les contenus érotiques teurs peuvent vivre de leur passion
personne n’a encore vu, ni entendu. Vous n’y sont pas pour rien (comme sur sans dépendre des seuls revenus
pourrez même lui donner votre avis en l’équivalent anglais OnlyFans, considéré publicitaires et ainsi rester maîtres de
messages privés, et glisser des sugges­ comme l’Instagram du porno). « C’est la qualité et du rythme de leurs conte­
tions… Pour 17,50 euros par mois sur le le cas sur tous les réseaux sociaux », se dé­ nus », vante le site. Des contenus
site américain Patreon, Solange te parle, fend M. Garonnaire, qui assure multiplier conspirationnistes financés grâce au
« poétubeuse » aux 411 000 abonnés You­ les précautions pour protéger les mineurs site, dont le documentaire Hold­up,
Tube, vous ouvrira les portes de sa « Foire – certification de compte, simulateur fin 2020, ont poussé certains créa­
aux questions détaillée », avec réponses d’âge à l’inscription, floutages, avertisse­ teurs à se tourner vers d’autres
par vidéo dans la foulée, à moins qu’elle ments, comité et charte d’éthique, etc. plates­formes françaises (UTip ou
ne vous donne rendez­vous sur Zoom, le l’association à but non lucratif Libe­
soir même, à 20 heures. « Mes tendres, j’ai rapay) et vers l’américaine Patreon,
besoin de ma dose de vous… » disponible en français depuis 2020.
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DIMANC HE 1 2 - L U N D I 13 D É C E MB RE 202 1

VIN
Le grenache, cépage
chaud bouillant
Si la hausse des températures sied
à ses ceps résistants à la sécheresse,
plusieurs maladies menacent
la longévité de ce raisin populaire
Ophélie Neiman

J’
ai toujours visualisé le grenache comme un sympa­
thique rondouillard. A mi­chemin entre Sancho
Panza et le sergent Garcia. L’un modère et protège
son maître tout en distillant de la bonne humeur, le
second pourchasse Zorro mais l’admire en secret et
fait sourire. Les deux portent la bonhomie et la gour­
mandise en étendard. On les apprécie immédiatement, facilement.
Mais ils ont du mal à fonctionner seuls, sans un compagnon d’aven­
ture. Le grenache embrasse la même trajectoire. Sauf que récemment,
le scénario a changé et sa place parmi les personnages évolue.
Le grenache est l’une des variétés de raisin les plus plantées en
France. Selon un rapport de l’Organisation internationale de la vigne
et du vin (OIV) de 2017, il recouvre 10 % du vignoble national et, avec
81 000 hectares, il se situe en termes de surface juste derrière l’ugni
blanc (82 000 ha, principalement cultivés pour le cognac) et le merlot
(112 000 ha). Aussi populaire qu’incontournable. Il est même davan­
tage présent en France qu’en Espagne, son pays natal, où il couvre
62 000 hectares, notamment dans le nord. Très fidèle à ces deux pays
(qui représentent 87 % de sa surface mondiale), on le trouve, de façon
sporadique, dans d’autres contrées, Etats­Unis, Australie, Argentine
ou Maroc par exemple. C’est le huitième cépage le plus cultivé dans le
monde pour le vin et les alcools. DAVID ADRIEN
Ce raisin a de la bouteille : probablement originaire de l’Aragon,
il a gagné le territoire français au Moyen Age et il a accouché de plu­
sieurs variétés toujours présentes dans le vignoble. Il est beau, aussi,
avec ses ceps de carte postale, trapus, tortueux, tourmentés. Et ses rhône (pour lesquels il représente la moitié de l’encépagement). Que Des vins
feuilles épaisses et arrondies. Et ses grosses grappes de baies lourdes et ce soit aussi dans le rosé de Provence, avec syrah et cinsault, puisque
bleutées, rondes et juteuses.
Aimant le soleil et la chaleur, résistant à la sécheresse, il s’épa­
son onctuosité s’y prête fort bien.
Les Espagnols le nomment garnacha tinta, pour le distinguer
100 % grenache
nouit logiquement dans le Languedoc­Roussillon, la Provence et la d’un autre grenache, gris cette fois. Mutation du grenache (noir), le C hâtea u Revel ett e
vallée du Rhône. De plus, il est vigoureux, fertile et s’adapte à des grenache gris possède des baies roses. On le vinifie en blanc ou en gris, P UR GR E NAC HE
terroirs variés. Un cépage de rêve ? Presque. Il un rosé très pâle, dans les sables de Camargue. Il y V IN DE FRAN CE, 2020
livre des vins généreux, gourmands, à teneur en a aussi le grenache blanc, qui donne des vins Sans intrants et à peine sulfité, ce grena-
alcool élevée. On salue son côté charmeur dans blancs secs et des vins doux naturels. che d’Aix-en-Provence a le sourire franc,
la Rioja et en Navarre, où il s’exprime volontiers
seul. Il est aussi la star des maury, banyuls et
Il est vigoureux, Revenons au grenache noir, celui des vins
rouges dans lesquels il instille des arômes de
la cuisse ronde et tonique, des arômes
de cerise mûre et de cassis. A siroter avec
collioure en Roussillon.
S’il peut faire merveille avec de vieilles
fertile, et fraise, de figue, de pruneau, de garrigue, mais
aussi de muscade et de réglisse (oui, tout ça, for­
des charcuteries. Bio. 18 € .

vignes, des rendements faibles et de bons ter­

roirs (il aime beaucoup les terrasses de gros ga­
s’adapte à des midable, non ?). Il est désormais à un carrefour de
sa vie. D’un côté, une étude publiée en jan­
C los de s Cen tenai re s
« GRE NACHE ROUGE
lets, les terrains secs et caillouteux), il est parfois
plus sage de l’assembler avec un cépage plus tan­
terroirs variés. vier 2020, menée par une équipe internationale
de chercheurs, dont des scientifiques français de
VI E ILLES VI GNES »
IGP PAYS D’OC , 2019
nique et acide (plus austère, en un mot) comme
la syrah pour obtenir un équilibre plus raisonna­
Un cépage l’Inrae (Institut national de recherche pour l’agri­
culture, l’alimentation et l’environnement). Que
Tout petit domaine (7 ha) créé par
deux vignerons voisins, le Clos des
ble (au risque d’atteindre 15° d’alcool dans la bou­
teille). Il est alors l’aimable compagnon. Que ce
de rêve ? dit­elle ? Qu’avec une modélisation basée sur une
hausse de 2 degrés du climat en 2050 et de 4 de­
Centenaires réussit un équilibre
de haute voltige avec un grenache
soit dans les grands vins de garde de Château­
neuf­du­Pape, les vins de repas du dimanche
Presque grés en 2100, le grenache, si rompu aux ardeurs
du soleil, a un boulevard devant lui. Il pourrait
gourmand mais digeste, épicé, floral,
qui s’étire en finesse. 18,90 €.
comme le gigondas, le vacqueyras, le cairanne ou s’installer en Allemagne, en Nouvelle­Zélande,
des vins de plus simple appellation côtes­du­ en Oregon. Mais aussi remonter vers le nord en Ol iv ier P ith on
France. Un cépage d’avenir, donc. « LE COLT D’ EN OLBY »
Mais de l’autre côté, il y a aussi le plan national « Dépérisse­ IGP CÔTE S CATALANES, 2018
ment du vignoble », notamment le projet Dep­Grenache, entamé en Peut-être parce que c’est Olivier Pithon,
septembre 2020. Son objectif est de comprendre les causes du déclin peut-être parce qu’il pousse sur des
de ce cépage. Car oui, le grenache se meurt. A cause de maladies du schistes, mais ce 100 % grenache a des
bois notamment. Une mortalité accrue du porte­greffe le plus utilisé accents de framboise croquante, une
est également à l’étude. A ce stade, on ne sait pas encore comment, trame poudrée, crissante, une finale saline.
mais une chose est sûre : il faut sauver le soldat grenache. La grande classe. Bio et biodynamie. 35 €.

L’ E XPR E SS ION

V
ous cherchez à tromper l’ennui d’une visioconférence qui
traîne en longueur ou à survivre à un voyage en train, coincé à
côté de passagers à la conversation sonore ? Efforcez­vous de te­
nir l’inventaire du nombre de fois où vous allez entendre « du coup ».
Vous serez tenu en haleine car l’expression peut être débitée à un
rythme de mitraillette. Tendre l’oreille, c’est constater l’évidence : « du
coup » est une locution endémique. Nulle sphère sociale ou généra­
tionnelle n’y échappe. « Du coup » se greffe sur une phrase sans appor­
ter grand­chose, voire rien du tout, à son contenu. « Il a rasé sa barbe ;
du coup ça l’a rajeuni. » On peut même la placer en tête de gondole
sans que son apport ne s’en trouve rehaussé : « Du coup, c’est râpé pour
notre déj de ce midi. » Autrefois, il y eut une déferlante de l’adverbe
« effectivement ». Là, c’est un raz de marée.
On pourrait y voir un banal tic de langage, un embarrassant
hoquet linguistique que l’on finira par amadouer ou qui s’autodissou­
dra de lui­même. Erreur. L’intrus a pris racine. « Tu réalises que tu viens
d’utiliser trois fois “du coup” dans la même phrase ? », s’est­on entendu
dire de la part d’une personne proche à qui l’on exposait tout l’intérêt
de se pencher sur la question. En novembre 2014, l’Académie française
« Du coup »
Jean-Michel Normand
avait tenté de mettre le holà à cette inflation déjà galopante. Le sens de
la locution adverbiale « du coup », rappelait la vénérable institution,
est « d’introduire la conséquence d’un événement (…) traduisant une
quasi­simultanéité ». « Du coup » étant très proche d’« aussitôt », « on ne
peut donc pas l’employer systématiquement, ainsi qu’on l’entend sou­
vent, en lieu et place de “donc”, “de ce fait” ou “par conséquent” », met­
tait en garde l’Académie. Tu parles, Charles. Sept années ont passé et
ces deux mots minuscules et insaisissables se sont instillés partout.
A force de clignoter dans nos phrases comme une guirlande de
Noël, cette addiction lexicale un peu molle s’est imposée, nolens volens,
comme un marqueur. Ce qui fait se plier de rire les Québecois, qui, chez
eux, baptisent nos compatriotes les « Du coup ». Un mème aperçu ré­
cemment sur Facebook oppose la richesse du vocabulaire disponible
dans la Belle Province pour exprimer la notion de transitivité (ainsi,
donc, alors, en conclusion, si je comprends bien, conséquemment) à
l’unique idiotisme apparemment disponible dans notre attirail lexical.
Pourtant, si « du coup » a pu atteindre un tel degré d’omnipré­
sence sans pour autant signifier grand­chose, c’est qu’il rend quel­
ques services. Avec son zeste de solennité propre à solliciter l’appro­
bation, cet exhausteur de sens un peu cheap surjoue l’expression
d’un rapport de cause à effet. Cette béquille linguistique permet de ne
pas trébucher lorsque notre discours connaît un temps faible. Soit
que l’on n’est pas si sûr de l’évidence que l’on assène (« Elle avait pis­
cine, du coup elle n’a pas pu venir »), soit que l’on cherche à habiller
comme on peut le fait de défoncer une porte ouverte (« Je n’avais pas
son numéro ; je n’ai pas pu l’appeler, du coup »).
Sans en avoir vraiment conscience, notre logiciel s’est laissé hac­
ker par cette locution complaisante. Un bug horripilant qui assure une
fonction essentielle : mettre un semblant de liant dans notre logorrhée.

ALEXIS PINTURAULT
Chaque semaine, « L’Epoque » paie son coup. Meilleur skieur au monde en 2021, le Français ne laisse rien au hasard, sur
les pistes comme en dehors. Au bord du lac d’Annecy, il évoque son rêve olympique, qui pourrait se concrétiser en Chine
Alexis Pinturault,
au bord du lac d’Annecy,
à Saint-Jorioz (Haute-
Savoie), le 27 septembre.
MORGAN FACHE POUR « LE MONDE »
« Je pars aux Jeux de Pékin
comme un gosse à Disneyland »
S
ur les pistes, c’est un artiste. Alexis Pinturault danse entre les
portes, sort rarement de sa ligne, se joue du chronomè­
tre et des lois de la gravité. Avec lui, la maîtrise du temps
et de l’espace est un art de vivre. Mais, en cette fin
septembre, le skieur français n’avait pas prévu que Le
Wakpala, le bar­restaurant où il nous avait fixé rendez­
vous sur les bords du lac d’Annecy, à Saint­Jorioz (Haute­
Savoie) serait fermé, saison estivale terminée. Second
départ au snack d’à côté. Attablé en terrasse à quelques
mètres des eaux limpides sous un généreux soleil, Pin­
turault sort tout juste d’une intense séance de prépara­
tion physique. Jeans, baskets et sweat­shirt blanc crème,
« Pintu » apparaît détendu.
L’homme est réputé discret, réservé. On lui de­
mande si le fait d’être devenu quelques mois plus tôt le
meilleur skieur au monde l’a changé. Pas vraiment. Tout
juste confesse­t­il qu’il voit désormais les choses « avec
plus de légèreté », qu’il a appris, avec les succès et les sol­
licitations médias, à en dire un peu plus sur lui. « Jamais
avec des superlatifs », pudeur montagnarde sans doute.
Alexis Pinturault est pourtant sûr de son talent, qui lui a
PLAYLIST permis de soulever, le 20 mars, le jour de ses 30 ans, le
gros globe de cristal du classement général de la Coupe
> DERNIER LIVRE LU du monde. Le premier pour un skieur français depuis
« Les Prodiges de l’Em- Luc Alphand en 1997.
pire », de Conn Iggulden Pour l’apéro, ce sera Badoit rouge. La faute à l’ho­
(trilogie de fantasy raire, 15 h 30, qui ne plaidait pas vraiment pour la godille
éditée par Bragelonne) alcoolisée. Dommage, on savait Alexis Pinturault ama­
teur de vins, goûtés notamment à l’Auberge du Père
> DERNIÈRE RECHERCHE Bise, du chef Jean Sulpice, une table prisée, à Talloires, de
GOOGLE l’autre côté du lac. « Son sommelier est branché vins na­
Google Maps turels et biodynamie. Des vins de Savoie, du Ventoux, du
Val d’Aoste ou du Valais. Assez proches d’ici, mais c’était
> DERNIER CONCERT un beau voyage dans le verre », se souvient le skieur, qui
Le festival Musilac, à s’autorise deux ou trois gorgées en semaine, « jamais en
Aix-les-Bains, « mais ça week­end de compétition ». Présente à ses côtés, son
remonte à des années » épouse, Romane, qui gère ses relations avec la presse et
les sponsors, sourit : « C’est un peu plus l’été. »
> DERNIÈRE SÉRIE VUE La glisse d’Alexis Pinturault lui permet de briller
« Mr. Robot » en géant, sa discipline de prédilection, comme en su­
per­G et en slalom, deux épreuves – l’une de vitesse,
> DERNIÈRE l’autre technique – aux styles opposés. Surnommé « la
INFORMATION LUE Bête » dans ses plus jeunes années, Pinturault, c’est aussi
Un article sur les un physique – 1,80 mètre pour 80 kilos – qui trouve sa
pourboires par carte pleine expression dans les pentes raides glacées, capable
bancaire qui seront de supporter 3 G de pression dans les virages entre les
défiscalisés portes. Des qualités athlétiques qui lui ont permis de sor­
tir vainqueur l’hiver dernier d’un final haletant contre le
prodige suisse Marco Odermatt – les deux hommes doi­
vent se retrouver samedi 11 et dimanche 12 décembre à
Val­d’Isère pour une étape de la Coupe du monde.
Car, jusque­là, le Savoyard avait appris la pa­
tience dans l’ombre de Marcel Hirscher, insatiable dans
DI MAN CHE 12 - LUN DI 13 DÉ CEMBR E 2021
UN APÉRO AVEC…
Nicolas Lepeltier
les années 2010 (huit globes consécutifs entre 2012 et
2019). Depuis la retraite sportive de l’Autrichien il y a
deux ans – « il me manque, j’aimais cette rivalité » –, Pin­
turault sait que son heure est venue, seulement retardée
en 2020 par le Covid­19 et une saison tronquée.
Le Français n’a rien laissé au hasard : cellule d’en­
traînement privée ; résidence hivernale à Altenmarkt, en
Autriche, le pays du ski ; van aménagé au pied des pistes
pour récupérer au plus vite ; mise à disposition d’un héli­
coptère par son principal sponsor – une célèbre marque
autrichienne de boissons énergisantes – pour limiter les
temps de trajet entre les sites de compétition… Tout chez
Pinturault est calibré pour la performance.
Dans moins de deux mois, le Savoyard pourrait
clore le débat sur le nom du meilleur skieur français de
l’histoire – titre qu’il partage avec Jean­Claude Killy, triple
champion olympique à Grenoble en 1968 –, s’il décroche
l’or aux JO de Pékin, du 4 au 20 février 2022. Un métal qui
s’est toujours refusé à lui (bronze en 2014, bronze et
argent en 2018). Une histoire d’amour contrariée.
Alors « Pintu » se moque comme de son premier
flocon des menaces de boycottage diplomatique de
l’événement international en Chine ou des polémiques
sur l’absence de neige. Il va aux Jeux « comme un gosse à
Disneyland ». « J’aurais préféré que ce soit ailleurs, c’est
vrai, mais on est juste là pour vivre notre rêve olympique
et procurer des émotions, on n’est pas là pour faire de la
politique. » La politique justement ? Il n’« aime pas trop »
mais assure voter à chaque élection, « plus par devoir
que par envie ».
Le vent se lève, quelques bourrasques font s’iri­
ser la surface du lac, un léger clapotis vient heurter les
berges. La discussion dérive sur l’environnement, la né­
cessité de le préserver. La montagne est en danger, les
sports d’hiver sont menacés. Alexis Pinturault évoque
« AVEC
MA FEMME,
ON FAIT
UN JARDIN,
JE COMMENCE
À ÊTRE VIEUX »
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la fonte des glaciers, « on les voit reculer depuis qu’on est
nés », ne nie pas la responsabilité de l’industrie du ski
dans le réchauffement climatique. Il affirme agir à son
échelle : « consommer le plus local possible », « couper
avec les achats compulsifs que la société nous dicte de
faire », etc. Il y a peu, le couple s’est converti au compost
– « on fait un jardin, je commence à être vieux », déclare
le néo­trentenaire, dans un sourire.
Quand il ne skie pas, le champion partage son
temps entre sa résidence de Saint­Jorioz et la station
huppée de Courchevel – le fief familial, où les Pinturault
gèrent un hôtel de luxe, l’Annapurna, depuis trois gé­
nérations. De son enfance passée dans le confort, le
Savoyard garde le souvenir de choses simples : les « for­
teresses » bâties en Lego ou en K’nex dans la salle de jeux
de l’Annapurna – « j’ai toujours aimé les jeux de construc­
tion » –, les parties de pêche avec son grand­père mater­
nel norvégien ou les moments de complicité, à l’aube,
avec son autre grand­père, l’été, dans la villa familiale de
Saint­Martin. « J’ai toujours été un lève­tôt : 5 heures,
c’était normal pour moi, lui était encore plus matinal.
Alors, quand je me réveillais, j’allais m’asseoir à côté de lui
sur la terrasse, et on regardait le soleil se lever. »
Vingt ans plus tard, Alexis Pinturault n’a pas
perdu le sens de la contemplation. Il se verrait bien un
jour faire un tour du monde « à la Mike Horn », en auto­
nomie complète. Romane, un peu moins. Elle n’aura
pas vraiment le choix, dit­elle ; dans tout ce qu’il fait,
Alexis doit se dépasser. Il en convient : « Des fois, je la
fatigue un peu. » Il doit cette obsession de la perfor­
mance à son père, qui le poussait toujours, plus jeune,
à être le meilleur.
Le Savoyard se verrait bien également participer
à « Rendez­vous en terre inconnue », « une émission
qu’[il] adore ». Rires. Sûrement un jour, quand le plaisir
de parcourir les plus beaux massifs au monde ou celui
pris à tailler une courbe parfaite en géant – « un moment
exquis, un peu hors du temps » – l’auront quitté. Il sera
alors temps de raccrocher les skis, prévient « Pintu », qui
dit qu’il fera le point après les championnats du monde
2023, à Courchevel, « ses » Mondiaux à domicile. Et de
fonder une famille ? « Oui bien sûr. » Petit temps d’arrêt :
« On y pense, ça viendra bientôt. » Sourires.
Avant de nous quitter, Pinturault se prête à la
séance photo. Le soleil, les eaux limpides du lac
d’Annecy, le sommet de la Tournette sur l’autre rive,
qui étire ses 2 350 mètres devant la chaîne des Aravis…
Le photographe fait tout pour convaincre le champion
français de tomber la casquette siglée de son sponsor.
Rien n’y fait. Control freak. Derniers échanges, quel­
ques selfies avec le personnel du bar, Alexis Pinturault
aligne les sourires. Puis rejoint sa femme avant de
disparaître dans leur SUV.