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ITALIE PITTORESQUE.

NAPLES, CALABRE,

POUILLES ,

LSS ABB.TTZ2SS.

2 . parie,

OHH AMMX.C coins, ismoB.

M ÜCCC XXXVI.

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.

TABLE DES MATIÊBES ET INDICATION DES FIUL'RES.

lAVaAXSOMS. riomzs.
I". — Naples I
Sainte-Lucie.
Hei'initage du Vésuve.
(

Voie des Tombeaux.


•2"^.— Ici
I
( Maisou du poète tfagique.
! Voie des Tombeaux.
3”'. — Ici ) Temple de Vénus.
( Bains de Tibère, à Capri.
/ Castellamare.
4"'.— Id Aiiialfi.
I
'
Pæstum
/
Maiioiiiiettes.
5".— Id
Pnlicliincdle.
Î
/ Cliàleail lie l'OEiif.

6”'. — Id J Buiilique de fruil.s.

\ Capo di Monte.
/ Capri.
7"'. — Id. I
Maison du Tasser.

(
La Gara.

_8"'. — Id
Masauicllo.
Duc de Guise.

9"*. — Id Femme de Capri, — d’iscliia.

10"'. — Id
Château de la reine Jeanne-
Vases éirusques.
/ Ijini-ia.

I". — Calabee
I
Nicasti-o.

V Le PiEzQ.
Scilla.
2"'. — Id.

{ Plaine de Rosarno.

,3~. — Id,
Plaine de l.nrres.

{
Chute de Gatavello.
/ Colonie albanaise.
4~. — Id. } Rocca Impériale.
( Château de Melissa.
I. — BiSIUCaTa.
r
1. — TfhBE d'OtPA.HTE. (
Villajje crOtraiite.

) Château de Blindes.
/ Grotte de Palaiso.
1 . — PuUILLES. ! Abhaye de San-Vito.
\ Château de l.uccia.
1. AlHl'BZES.

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,,

NAPLES
I

Co premier jour k Nepiee. — L* Rte di piè di Grotte. — La Stixfi. — L'atcension an V<so«e.

Le 3 septembre, à sept heures du soir, Sur les six heures du soir, nous fumes sur-
par le temps le plus frais et le plus pur, nous pris par un grand bruit de voitures et de che-
quittâmes rade de Livourne, nous dirigeant
la vaux. L’hôtel de la Grande-Bretagne est situé
vers Naples. Le 6, à trois heures de l'après- sur la Chiaja. La Chiaja est un quai qui longe
midi, nous fîmes une petite halte àCivita-Veo- la Yilla-Reale (les Tuileries de Naples), et qui
chia, et le 7, à dix Iteures du matin , nous cdt s’étend ensuite sur le bord de la mer jusqu’à
trions à pleine voile dans le golfe de Naples, Pausilippe : tous les soirs, sur les six ou s^t
ayant à notre droite file de Procida , et à notre heures, apn» le dîner, la Chiaja est le rendez- I

gauche Nisida , qui sont posées là comme deux vous de la hante société de Naples , qui vient
sentinelles sur leur amphithéâtre de jardins et y respirer de mer; les élégants montés
la brise

de rochers. Depuis deux heures tous les passa- sur de petits chevaux calabrais, noirs et à tous
gers étaient sur le pont, l’œil fixé dans la di- crins ; des femmes dans de brillantes calèches
rection où devait se trouver Naples, et atten- découvertes, des militaires en grand nniforme,
dant avec anxiété que cette ville de leurs rêves les ouvriers qui ont fini leur ouvrage , les laz-
de jeune homme sordt des flots. Enfin nous zaroni qui mendient, les petits cabriolets à
vîmes éclore à l’horizon comme un point hlan- hautes roues, tout cela débouche avec grand
chàtre et lumineux. Naples! Naples! cria-t-on bruit sur le quai , et pendant deux heures va et
de toutes parts, voilà Naples!... A ce cri répété revient des Croccllcs à Pausilippe, c’està-dire
sur le pont, toutes les figures s’animèrent, on pendant l’espace d’une lieue environ; c’est le
SC précipita sur l’avant du bateau, et chacun Long-Champ de Naples , si ce n’est que ce Long-
de tirer sa lunette d’approche, de sc pencher en Champ recommence tous les jours. Nous des-
avant pour mieux voir, et on se serrait la main immense; nous nous
centfimes; la foule était
on se parlait, on s’aimait!... Cependant le ba- mêlâmes à tous ces promeneurs, et après un
teau filait,... filait,... et ce point blanchâtre quart d’heure de marche, nous étions au bout
grossissait à chaque seconde; les coteaux, les de la Villa-Beale et nous nous trouvâmes tout-
,

collines se prononçaient plus nettement; les à-fait sur le bord de la mer. Je propose à mon

jardins, les toits, les fenêtres se dessinaient compagnon une promenade ; il accepte ; un ba-
peu à peu, nous entrâmes dans le
et enfin telier arrive, nous nous jetons dans la barque.
port à midi , après quarante heures de tra- — Leurs Excellences veulent-elles aller à Por-
versée; mais avant de débarquer , il nous pour
tici voir l’éruption? — Quelle éruption?
fallut rester deux heures en rade pour que — Excdlences, l’éruption du Vésuve. — Com-
la douane fît scs perquisitions et pendant ;
ment ! il
y a une éruption ! une vraie éruption ?
ce temps, arrivèrent en foule autour de notre Partons.
paqueiràt de petites embarcations pleines des Le batelier prend la rame. A peine vo-
parents, des amis de nos passagers, et ils s’en- guions-nous depuis quelques secondes, que
voyaient des saiuts d’amitié , et même des bai- nous voyons se dérouler devant nous le plus
sers ; et nous qui n'avions personne à attendre magnifique de tous les spectacles. Le cré-
cela nous rendait tristes. Enfin nous voilà à terre! puscule commençait à s’étendre sur les col-
J’avais une quarantaine de volumes dans mes lines; devant nous, à trois lieues au plus, était
malles, on m’en laissa cinq, le roi ayant décidé le Vésuve, coiffé d’un turban de fumée noire,
par ordonnance > que cinq volumes étaient bien et laissant couler sur ses épaules une rivière de
suffisants pour la consommation d’un voyageur : feu, couleur de sang; vis-à-vis, et comme pour
nous nous fîmes conduire, mon compagnon et lui servir de pendant, le soleil , ce 'Vésuve étei^
moi , à l’hôtel de la GranderBretagne , chez Ma- ncl ,
le soleil couchant, répandant ses dernières
gatti. roses sur les coteaux de l’Occident. Au-dessus
n. Itxiii riTT- (Nmu.- I" Ut.)

Digilizc-
,

t L’ITALIE PITTORESOl’E.
de nos tâtes, se levait claire et argentée, la que ceux de Baucis! une chandelle à chaque
lune, la lune douce et cailnie, et qui semblait bout! Pour linge, une couche épaisse de ces
s’avancer comme un conciliateur entre ces deux plantes marines, vertes comme émeraude, lui-
géants de feu, dont l'uu détruit, et l'autre fé- santes comme du vernis , et toutes ruisselantes
conde ; au-dessous, la mer toute moirée d’argent d’eau ,
où sont étalés des milliers de coquillages
par les rayons vacillants de la lune, et si unie, si et de petits poi.ssons encore tout frétillants.
de flots, et que ses
tranquille qu'elle n’avait pas Puis, à cùtéde cesimutiques, de vieilles femmes
rides légères ressemblaient aux plis gracieux accroupies par terre, et faisant griller sur des
qu’une pensée mélancolique imprime, en l’ef- brasero les épis jaunes du maïs; puis les ven-
fleurant, surun front de dix-bnit ans. deurs de past<’>qucs, avec leurs coutennx minces
Saisis an cœur par tant de beautés, nous nous et longs!... Puis les boutiques roulantes d’o-
assîmes, chacun h une extrémité de la barque, ranges et de cédrats, toutes chargées de fleurs

et regardant tour à tour le ciel ,


l’eau ,
l’air, etd’images de la Vierge! Et enfin, les longs
nous restâmes long-temps immobiles et alisor- rubans de macaroni !... Nous achetâmes quel-
bés dans nos contemplations. qtic chose à toule.s ces Imutiqucs parce que les
,

Ce qui me frappait surtout, c’était de penser voyageurs doivent voir tout et manger de tout.

qii’à quelques milles de cette mer si calme, de Pendant que nous achevions notre repas à la
ce ciel si pur, à côté de cette nature si reposée napolitaine, nous aperçûmes un groupe de lar-
BU milieu de cette atmosphère imprégnée de vo- zaroni écoutant avec licaucotip d’attention un
lupté et de mollesse , il y avait une montagne récit qu’on leur faisait, et mangeant des pa.s-

où tous les éléments bouillonnaient , fermen- tèqncs; or vous savez qu’une pastèque est un
taient , brûlaient et se combattaient avec rage ;
gros melon, dont l’écorce est verte et unie
et que dans les entrailles desséchées et san- comme une cobxjuinte, et la chair rose, molle,
glantes de la terre , il se faisait , à une demi- jiiteu.se; et à Naples, quand un lazzarone a un
lieue de là , la plus terrible et la plus effroyable .sou, il achète une pastèque, la coupe en deux,
guerre. et puis fouillant là-<ledans a plein museau, il y
Cependant la unit commençait a éteindre barhotte jusqu’à ce qu'il l’ait creusi'-e comme
toutes les splendeurs du ciel; les jardins étage'-s une coupe; de là ce proverbe napolitain Pet- ;

en amphithéâtre derrière la Chiaja, les têtes de un solda, si heve, .si mangia, e si lava la figu-
palmiers de Pansilippc , les collines de verdure ra; pour un sou, on mange, on boit et on se
s’eflàçaient dans l’ombre où flottaient leurs lave la figure. Voici ce récit qu’ils écoutaient.
formes indécises; les petites mai.sons toutes Dans une petite chapelle située .sur la route
blanches, arrondies en demi-cercle sur le bord de Pausilippc il y avait une madone qui portait
,

de mer, se perdaient dans la brume , comme


la au cou une fort belle chaîne d’or, olfrande tic
une troupe de jeunes filles qui s’éloigne , et quelque pieux ptderin. Une nuit, cette chaîne
l’on voyait écloreune à une , à toutes les fenê- fut x-olée. Les sou|içons se portèrent sur un laz-
tres, les lumières du soir, qui semblaient au- zaroue nommé Giacomo à qui on avait vu la
tant d’yeux ouverts pour admirer ce délicieux chainc; le juge le lit arrêter, et Giacomo arriva
.spectacle!... suivi d’une foule de ses compagnons.
Après avoir tourné le Château de l’(®uf, On craignait à ce moment une émeute dans
nous nous fîmes débarquer à Santa-Lucia, qui la populace de Naples, et le juge avait besoin
est le quartier le plus marchand de Naples. de prudence. — Approche, Giacomo, appro-
Signoril... Monsignori !,,, Voiàdes hultrrs, che... Hé bien! mon ami, c’est donc toi qui as
des ostrechini, des caranci, des ferali, tous les volé la Sainte-Vierge? — Je ne
chaîne de la l’ai

fruits de la mer'. Saurez^ous ! sauvez-vous! car pas — Comment, ne pas volée!


voli'x;. tu l’as

f anchois est si frais qud va vous mordre !... on vue entre


te l’a mains. — vrai mais
les C'est ,

Voilh ce que vous crient le soir k Santa-Lucia je ne pas


l’ai — Voyons, voyons, ne me
volée.
une foule innombrable de marchands, en plein force pas à me fâcher hé bien oui ne ;
!
,
tu l’as

air, et h moitié nus. Quarante boutiques de file, pas volée, mais — Je ne pas
tu l’as prise. l’ai

sur le bord de la mer! mais quelles boutiques? prise. — Comment — Jel’atirais-iu? Voici.
Pour auvent , un reste de voile déchirée pour !
deviens vieux, mon bon juge, et j’ai toujours
comptoir, quatre ais à peu près aussi solides été très dévot , faisant soir et matin prière
rvArLKS

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,

NAPLES. '
il I 3
à la sainte madone. Or , voua saurez qu’avant- sées, et cela tous les jours! Tous ks jours il-

liier j'clais allé faire mes dévotions à la pe- luminations, fêtes, galas! C’est une foule de
tite uüapelle de Pausilippe, et je disais à la petites rues étroites et montueuscs , toutes se-
sainte madone que je ne pouvais plus tra- mées de marchands, et tout étoilées de lan-
vailler. Alors elle détacha sa chaîne, me la ternes. Naples, c’est un nid d'enfants mal
donna et me dit; Tiens, voilà de quoi avoir élevés ,gourmands , piaillcurs , paresseux , que-
toute ta vie des macaroni et de l'aqua gclata rcllcurs, aimant mieux voler que prendre,
(de l’eau fniiche). Et e'est comme cela que j’ai prendre que gagner, jouer que manger, et
eu la chaîne. A ces mots les lazzaronî pous.sè- dormir que tout le reste.
rent des cris de joie. BertedeUa la madonal Après plus de deux heures de promenade
Bravo, Giacomo, bravo! la santa madona ha aventureuse, nous arrivâmes devant un l'dilice
fatto un miracolo per lui! Bravo Giacomo Be- .' à colonn.ides , éclairé, et gardé par quelques
nedetta madona ! Oiacomo avait la figure pleine soldats; nous nous approcliûmcs , e’élait le fa-

de bonhomie et de sang-froid. Le juge était un Cimctix théâtre de San-Carlo! Nous entrons...


peu embarrassé. Cependant , les cris apaisés , il Ah!... la belle perruque pommadée, poudrée,
reprit : C’est très bien ,
Giacomo , et tu ne seras étagi’c, parfitinée, comme celle de Policlii-

pas pendu, je te crois, tu n’as pas volé la cliainc, nelle!... C’est lui! c’est Lablachc dans la Prova!
et certainement la madone est bien assez bonne c’est Campanouc avec sa mine rubiconde et
pour donnée; mais toi, Giacomo, tu
te l’avoir réjouie, sa voix forte comme uti tounciTC, et

devais être assez délicat pour ne pas [accepter. douce comme le bruit de la mer de Baya , avec
Ia;s lazzaroni applaudissent, Giacomo fait un son de nrare violette , et .son épée au cdlé!
haltit

geste. — Car enfin cette pauvre madone, elle C’est lui!... Quels éclatsde rire! Ah! San-Carlo,

n’a plus rien; elle est dépouillée, et c’est par le Subit-Pierrc des théâtres, San-Carlo, avec

toi Giacomo ; ce n'est pas bien ,


vois-tu ,
il faut ses quarante loges de file et ses .six rangs de
,

Les lazzaroni applau-


lui remettre sa cliaînc. galerie, frémissait plus à la détonation de cette

dirent encore; Giacomo prit sur sa tète un de voix jupitérienne qu’à ceik du Vésuve meme!
ces animaux qui ne manquent jamais aux laz- San-Carlo est plus grand que notre Opéra d’un
zaroni, l’écrasa d’un air distrait et dit : Hé bien' tiers environ; mais selon la coutume d’Italie,

mon juge, la voilà la chaîne, je la rends à la la salle était sombre et peu éclairée, les do-

madone, mais je suis sûr que cela lui fera de rures ternies, bien des places vides; mais mon
la peine. — Uu tout, cela lui fera plaisir, et la Campanonc me la redorait, me l’illuminait
'

preuve c’est qu’e/fe ne le la rendra jamais. Le Je ne pourrais jamais dire quel cITct me fit ce
juge appuie sur ce dernier n^tt, et Giacomo souvenir de Paris jeté nu milieu des enchante-
s’éloigne sans la chaîne. ments de Naples! Otr Lablache, pour moi, c’e^
Ce rédt, accompagné de tous les gestes na- tait Paris!... Et puisdans un coin de la salle,

politains, car les Napolitains sont le peuple le nous aperçûmes un profil de femme, délicat et
plus gcsticulatcur du monde, nous parut fort frêle , se détachant sous un cliapeau de deuil.
caractéristique ( tout est si beau pour un nou- Nous approchâmes , c’était la pâle fille de Gar-
veau débarqué), et dans l’espoir de lrou\-er en- cia, notre rnvis.sante Desdemoual... Quelle soi-
core quelques-unes de ces bonnes fortunes de rée! la Cliiaja! la mer! le Vésuve! le ciel! Santa-

coin de rue , nous nous lan^mes à l’aventure l.ucia! Ira lazzaroni! la musique! la nature et
dans la ville ,
sans guide , sans dessciu , nous ar- l’art ! la populace et le (p’mie! Toutes les mer-

rêtant, revenant sur nos pas, courant, mar- veilles de Paris, de Naples et d’une ile déserte!

chant, ouvrant à gau-


les yeux à droite et Tout! tout! Ah! c’était pour rendre fou! Aussi
che, et nous livrant enfin à tous les caprices quand nous rentrâmes , à une heure du matin
du hasanl ; car souvent ce qu’on trouve vaut à notre liûtel, nous avions la tête perdue comme
mieux que ce qu’on cherclie. Que de cris! que des hommes ivres, et nous nous endorminies
de danses ! que de joie 1 quel amusant spectacle en disant à demain le Vésuve.
:

que la place publique de Naples! C’est une po- Les voyageurs dorment vite le lendemain à :

pulation immense qui se rue, se coudoie, se six heures nous étions debout; nous ouvrons
pousse, frappe, cric, chante, vend, achète, et notre fenêtre, et nous sentons avec délices la

rit comme à une distribution des Champs-Ely- brise de mer qui entrait par bouOees. Le ciel
, ,

4 L’ITALIE PITTORESQUE.
était d’an bleu pâle, la mer unie comme une tiques à Naples; mais pour ce jour de fête,
f(bce, et l’air si transparent et si pur, qu’on tontes les filles des environs accourent avec
apercevait très nettement, au bout de l’horiaon, leurs vêtements nationaux. A Ischia, à Procida,
l’iie de Capri qui se dessinait comme un énorme à Capri , il y a dans chaque famille un costume

rocher d’azur sombre; sur tout le golfe bril- cora|det et fidèle du temps passé, qui se lègue
laient les voiles blanchesd'une foule de pe- de génération en génération, etqni sert de dot
tits bateaux, qui avaient péché toute Li nuit à la fille aim'ïc quand elle se marie eHc hc re-
;

et qui rentraient en rade les pécheurs qui


;
vêt ce costume que dans les jours de grande
étaient revenus plus tdt étendaient sur le solennité, et il n'y a pas de plus grand jour
rivage leurs fdets brims et embarrasses de que le 8 septembre. On dit même que jadis les
belles lianesmarines vertes , et les faisaient sé- filles des îles environnantes stipulaient , en se
cher aux premiers rayons du soleil levant; mariant, comme une des dames du contrai,
c’était un spectacle dont le charme ne peut se que leurs époux les conduiraient chaque année
rendre. Bientôt nous vîmes arriver de tous h la féle di piè di Gratta. On ne peut se figurer
côtés des earactclies citargées du monde, et comme, au milieu des marchands en bonnet
quoiqu'il fût à peine huit heures du malin, une rouge , et tout chargés de fruits réunis en guir-
ibule ûiinH-nsc et toute brillante de pourpre et landes, étincelaient les ornements et la pourpre
d'or descendait de Pausilippe , accourait de de tous ces vêtements c’etaient les Grecques
:

Portici , et il
y avait sur tous ces visages un air de Procida, avec un manteau de soie rouge,
de fète qui m'étonnait. Je demandai & un pé- brodé en or, lia cheveux retenus par de lon-
cheur quel saint un célélirait, et il me répondit gues épingles d’argent , et les pieds chaussés
on se signant que c’était la fête de la madona de simdalcs; c’étaient loS filles d’Isdiiu , s’avan-
di pic lU CroUa. Bien heureux de voir Une fète çant gravimcnt, pieds nus, avec leurs spenrem
religicust^ à Naples, nous remîmes au lende- verts, et leurs longues boucles d'oreilles à cinq
main notre course au V<>suvc. pendants; il
y avait aussi des pèlerins tout cou-
*
La madona di pic di Gmtta a une petite cha- verts de coquilles. Nous remarquâmes une
pelle située sur ki route de Pausilippe, et quand femme dont le corsage bleu dair était tout par-
arrive le 8 septemhre, jour de sa fête, toutes semé d’une multitude de boutons ronds
petits
les fdles d’Ischia, de Capri, de Procida , de et blancs, et qui portait une grosse jupe de
Portici et même de Sorreiito accourent dés le laine écarlate (le lliermomèlrc marquait vingt-
matin à Naples pour kiire hnir pèlerinage h la six degrés de chaleur); nous nous lançâmes nu
petite chnpcih'. Ce jour-là, le jardin deki Villa- milieu de cette foule ,
et étant arrriés jusqu'à
Keale est ouvert à tout le monde ; d’ordinaire, la la madone, nous nous disper-
chapelle de
les gens a la livrée, les Itommes de la campagne .sâmes dans l'églisechacun le crayon en main
,

et le peuple sont exclus de cette délicieuse pour dessiner quelques-uns des costumes. Je
promenade mais , grâces k
;
la madone , le 8 sep- me plaçai dans un coin obscur, et je commen-
tembre, de hallebardes. Ln Villa-Reale est
]>lus çai le croquis d’une bonne |uiysannc qui avait
un jardin enchanté bordée d'un
; côté par la mer une chaîne d’acicr, à six rangs, autour du cou,
qui vient baigner le pied de ses terrasses, et quand un homme du |x-uplc , qui priait a ge-
de l'autre |Kir la Chiaja; pcuplio de vases, de noux à côté de moi , se leva , et m'adressa qud-
fontaines et de statues toute plantée d’acacias
,
ques mots napolitains; je ne comprenais pas le
et d'orangers, de myrtes et d'épais bosquets napolitain , mai-s je compris parfaitement a scs
d’arbres épineux: terminée par un temple cir- rcganls qu'il m’appelait chien d'hérédquc. el
cubirr en marbre blanc, c’est une solitiiilc de qu'il s’indignait de nio voir dcs-siiicr; et comme
fraîcheur et de parfums. Il
y avait autrefois au j'étaisdans mon tort , et que ce clirélicn4h me
milieu de lapromenade y et dans le centre d’un scmlilait an peu intolérant, je serrai anssitôt
, le fameux groupe du taureau mon aibnm et mon crayon, et je m’esqnivai
vaste bassin
Famèse , qui depuis b été transporté aux Studi : sans achever le dnqaiémc tour de la chaîne
je m'assis à l’ombre d'un oranger bien touITu d’acier de ma vieille lèmine.
et j’attendis 1a foule qui nrrtsail. .Sur les onze Le roi avait ordonné une grande revue pour
heures elle devint immense , et le coup d’uril ce jour-là. Il était deux heures. En sortant de
ravissont. Il n'y a plus de costumes caractéris- la ebapeUe de la madone, et an moment où je
, ,,

NAPLES.
ronimençais k redescendre !• Chisja j'aperçn» ,
roi et la rdnc-nxàne : nous y fûmes invités couiiiie
à l’autre extrémité des tronpesquidébôtMhaient, étrangers; la soirée oommença |iar un cuiiceri:

tambours en tête, sur la place de la Victoire, la salle du ooncert était ronde et soutenue par
et se dirigeaient vers la chapeUe où le roi allait des colonnes toutes chargées de fleurs; le pla-
faire son oflrande; toutes les fenêtres de la fond s’élevait en voûte, et de la voûte descen-
Chiaja étaient ouvertes et pleines de monde; dait un lustre en or incrusté de pierreries.
sur chaque balcon étaient étalées des tapisse- Labiache, madame Toldiet madame Rairobaull
ries et des étoffés brillantes où s’appoyaient les firent les honneurs du concert; la reine-mère
femmes dans costume le plus élégant; le so-
le paraissait aimer singulièrement la musique, car
leil dardait à plein sur œs- mille baionDettes après chaque morceau elle envoyait sa dame
étincelantes, et jetait des flots de lumière sur d’honneur compEmenter l’artiste. Le concert
cette masse de peuple et de paysans qui pous- fini , on ouvrit les salles du bal qui étincelaient

de grands cris de joie , et sur oes soldats


s,-iient de lumières et d’ornements, et aussi les portes
rouges qui marchaient lentement et sUencieu- du jardin ; le jardin était tout illnnûné de verres
somenl. de couleur ; il
y avait des jets d’eau et de larges
Le roi arriva bientôt après scs troupes ;
il bassins également illuminés , et l’on y seivait
était à dicval ,
entouré d’un assez nombreux sur de petites tables et sous des bost|iieis d’o-
état-major : c’était un homme jeune, gros, rangers, des fruits glacés, des cédrats confits,
gras, pâle, et qui semblait assez aflable. Der- des figues confites et des sorbets de toutes
rière lui s’avançaient plusieurs carrosses, et sortes;à nne heure du matin commença un sou-
sur le siège ainsi que derrière la voiture se per magnifique qui se prolongea jusqu'à trois
tenaient gravement, tète découverte, les co- heures, et le jour commençait à luire quand
ehers et les valets, affublés d’énormes perru- noos retournâmes à notre hôtel.
ques poudrées, comme celles de présidents à Le lendemain nous disposâmes ainsi notre
mortier, et qui donnaient an cortège un air journée : le matin
,
les Studi le soir, le Vésuve,
;

pittoresque. Cependant fous les vaisseaux de car on ne peut pas aller contempler réruptàm
tons les pays qui se trouvaient alors dans la en plein jour. Qu'est-ce qu’un feu d’artifice à
rade de Naples s’étaient placés dans la partie midi?
de ht baie qui longe la Chiaja , et pavoises de Les Stndi sont oértainemcnt un des plus
drapeaux, ils répondirent aux roulements du beaux musées du monde. Ils sont situés au haut
tamlmur par des coups de canon peiklant' tout ,
de la rue de Tolède; ils se composent d'une
le temps que défila le cortège. Nous nous finies collection de statues et de vases antiques,
alors conduire en mer à quelques pas du ri- d’une galerie de peinture et d’une bibliuüièqur.
vage, nous nous mimes en costumes de bai- P^armi les statues , on remarque les neuf sta-
gneurs, et nous voilà dans l’eau ! Qnelles tues delà famille Balbus, trouvées à Hcrcula-
délices ! Cette fête guerrière , religiease et po- num, et surtout rUcrcnle et l’ Aristide. L’Her-
pulaire , ces maisons étincelantes de mille oou- cule, ouvrage du sculpteur athénien Glycon,
ienrs, ces beaux vaisseaux tout revêtus d’éten- avait d’abord été trouvé privé de scs Jambt^
dards flottants , CCS bruits do canon , de rires , de dans les thermes de Caracalla; Michel-Ange fut
pas militaires, qui nous arrivaient confondus chargé par Paul 111 Farnèse de le remplacer;
comme une seolc grande voix harmonieuse, mais à peine en eut-il achevé le modèle , qu’il
ces femmes que nous voyions s’agiter aux bal- le brisa à coups de marteau , disant qim jamais
cons, et que nous rêvions si beUcs, ce peuple il ne pourrait ni ne voudrait fiûre un doigt
si étrange , sinouveau , si bariolé et tout cola , d'une telle statue. Guillaumo de la Porta fut
le voir et l’entendre au milieu des fraiches chargé du travail , et le remplit avec talent ;
eaux , en nageant dans les flots bleus et brillants mais les véritaUes jambes ayant été retrouvée.s
de la Méditerranée, porté sur les vagues dans un puits à trois milles de la place où le
comme sur des bras de femme! Oh les langues ! corps avait été découvert, elles furent remises
humaines n’ont pas de mots pour exprimer de à ht statue. La collection des bronzes est la plus
telles sensations ! curieuse partie des Studi ,
car elle est unique.
Pour clore la journée, le prince S. T... do», Uy a partout des livres latins, des statues ro-
nait le soir un grand bal où devaient tester le naines, dm monuments romains; mais ce que
,, ,

r. L’ITALIE PITTOBESQLE.
I on ne trouve qu'à Naples et aux Sludi , ce sont pagnol. La tète est pâle, le teint jaune, le front
les instruments de la vie intérieure et materielle bas, la paupière épaisse et charnue, l’œil bleu
lies Romains. Le Vésuve, aussi conservateur clair, le regard vitreux et frappé de fixité; 1rs

que destructeur, a gardé sains et saufs, sous lèvres avancées ,


grosses et sans couleur, ün de-
M-s couclies de cendres, pendant plusieurs siè- vine en voyant ce portrait que le prince était uu
l'Ies , les habitations de Pompéi cl tous les de ces esprits étroits, mais opiniâtres, qui ont
meubles ck* ces habitations. Le gouvernement la volonté qui exécute, sans avoir rintcliigencr
n:i|inlitain a fait transporter aux Sludi tous ces qui conçoit; ^ussi ce qu’on lui apprit, il le croit,

instruments, à mesure que les fouilles décou- et ce qu'il croit , il le fait ;


il le fait invincible-
vraient une nouvelle UHiison à Pompéi. Pompéi, ment, sans restriction, sans remords, sans
CO .sont les maisons antiques; les Sludi, c’est la doute. Il a, pour réaliser les idées des autres,
iDlIection de tout ce qui ornait ces mai.sons si : la même énergie qu’un grand homme pour

bien qu’avec les Studi et Pompéi vous vous exécuter la pensée sortie de son cerveau tout :

refaite.s In vie antique connue si elle était la Philippe II est là; les prêtres lui ont soufUé sa
vôirti; vous entrez dans les familles romaines, vie jour par jour, et il l'a accomplie aus.si puis-
vous a.ssi.sipz à toutes leurs occupations jour- samment que s’il eût été fionapartc.
nalières. Rien ne manque à celte collection, On cite encore dans les Studi la collection
depuis les instruments des .sacrifices jusqu’aux des verreries qui monte à douze cents, et qui (

plus petits meubles de loilellc , depuis hache la prouve que les anciens savaient ciseler, colorier
f
des sacrificateurs ju.squ’aux bijoux des Aspa- et travailler le verre ; la collection des vases, qui
'ies; c'est une immense boutique romaine. On s'élève à deux mille ciuq cents; le riche mé- |

Y voit les curules de bronze, placées près des daillcr, où est la célèbre tasse de Sardoine,
^

trophées d'armes et de boucliers; les trépieds, d'un pied de diamètre, commentée par les sa-
les autels, les urnes, les coupes, les couteaux, vants les plus illustres , cl dont le groupe de sept
les tables, on peut faire un cours complet des figures représente, selon 'â'isconli, le Nil, Orus,
-.scrifices. Ce sont des dés pipés, des fuseaux, Isis et les nymphes du Nil; et enfin la biblio-
des aiguilles , des dés à coudre, voire même du thi-que royale, placée depuis ISOd dans le beau
lard. Il n’y a pas jus(|u'ù un pâté antique que et grand salon du palais des Studi, construit
la lave du volcan n’ait conservé pour la posté- par Funtana. Elle compte cent dnqiiantr mille
rité. Quant aux instruments de chirurgie et volumes, cl environ trois mille manuscrits; les
d'accouchement , aux fioles d’apothicaires, aux plus curieux monunicnls de cette bibliothèque
mortiers et aux pilous, ils prouvent que l’art sont une Bible du dixième siècle, un Nouveau-
n'a guère fait de progrès; et enfin on voit le Testament du dixième siicle , un célèbre auto-
fameux encrier à sept faces qui a fait faire deux graplic de saint Thoui.as d’Aquin ,
et le manus-
volumes in-d* au bizarre Marlorclli. crit de trois dialogues du Tasse.
Apri-s la colleclion des bronzes vient le ca- Les aveugles sont très nombreux à Naples; la
binet des objets réservés ; c’est un petit mnsée lumière y est si éblouis.santc et si vive, et lc.s
lie .statues ou de groupes licencieux; mais ce maisons toutes blanches se répercutent avec
tant de force, que tout voyageur prudent doit
qu’il y a de remarquable dans ces statues, c'est

la perfection et la grâce des formes. Les anciens em|K>rtcr une paire de lunettes bleues , arme
Me faisaient pas de par débauche.
la licence beaucoup plus utile que les pistolets et poi-
I dolàtres , comme tous les peuples méridionaux gnards dont on fait provision contre les brigands
le la beauté du corps, ils reproduisaient avec qui n’exisicnt presque que dans les tableaux. U
délices toutes les grâces que lui donne la vo- y a à la biltholhèviuc une salle destinée aux
lupté; et l’impudicité de leurs pinceaux ou de aveugles. Dans cette salle se trouve un homme
leurs ciseaux n’était que l'amour de l’art. qui lit tout haut , moyennant une faible rétri-

La galerie de tableaux est médiocre, sauf bution ;


mais ces lecteurs n'élaiil pas Ibrl ha-
((uclques beaux Salvator Rosa, deux spagno- biles, les auditeurs aveugles les fout souvent
letto , et surtout, dans b salle des chefs-d'œuvre répéter pour compreudre le sens de la phrase,
l'admirable portrait de Philippe 11 par le Ti- e /o menlo a guisa dorho in su levaïus a>uime I
'
tien. fje n'est qu’en voyant ce portrait que l'on dit Dante, ce qui fait le plus singulier spcc-
comprend la vie et le règne de Charles IX es- tacle. Il
y a encore quatre autres bibliothèques

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,,,

NAPLES.
pùbllques à Naples, ci Ton poaimit presque grands bâtons, et nous voilà grimpant. Il était
•lireque l’on compte autant de bibliothèques huit heures dn soir, et la nuit commençait à
que de librairies , car les livres y sont très ditfi- venir. Pendant le jour, l’éniption n’est pas vi-
cilement admis, et sont soumis, avant d’entrer, sible, et l’on distingue seulement à la cime du
à une censure liés sévère. l!n libraire me ra- mont un long panache de fumée grise qui s’é-
conta à ce sujet qu’il avait fait venir pour le tend à droite ou à gauche , selon la direction du
jour de l’an quelques almanachs de Paris; les vent, à la distance de plus d’une lieue; on dirait
almanaclis arrivèrent au mois de décembre, un nuage long et mince qui borde un cote de
mais comme ils durent subir un examen , on l’horiïon. Mais le soleil couché, et le ciel s’a.s-
ne les rendit au malheureux libraire que vers sombri.xsant, nous vovions déjà avant d’arriver
la fin de juillet. Des almanachs au mois de à maison des ermites un long sillon rouge
la

juillet! qoi étincelait sur le penchant de la moni.ofpic.


En descendant des Stuili , nous allèmes pren- Arrivé B la base, et avant de monter, je ré-
dre au Môle la voiture qui devait nous conduire solus de ne pas regarder et de fermer les yeux

au Vésuve. de peur d’affaiblir relfel de cet immen.se


La roule de Naples à Poriici, qui durcit peu s|K'claelc par la gradation. Quand on monte
près une heure, est un véritable enchantement. l'opil toujours fixe sur cette merveille, chaque
.V Poriici , on quille les bords de la mer pour pas que l’on fait vous en révèle une nouvelle
aller à Résina; là, on trouve une bonne hdlelle- beauté; vous fisc* ce grand livre ligne à ligne,
rie, tenue par Salvalor, cl on y fait halle. L’es- vous contemplez ce grand tableau pied à pied
loinnc leste d’une bouteille de vin de Lacryma- et quand vous arrivez en haut, il n’y'
a plus
Chrisli, cl d’une bonne volaille, car la course saisissement, enthousiasme, extase, parce que
»'st rude, nous primes chacun un inc, un guide, toutes vos émotions ont été amenées une à une
un énorme biton noas finies mcllrc dans un
,
comme dans une scène bien filée. Ce qu’il fau-
panier des pastèques et du vin d’Ischia,cl nous drait, c’est cire transporté tout d'un coup et les
commençâmes notre ascension. On moule en- yeux bandés, au-dessus de la montagne: puis
viron pendant une heure et demie, n’ayant alors, voir !...

autour de soi qu’une terre extrêmement sté- Quand on est au pied, cl que de l'œil on
rile, et toute eouverle de cendres, cl de mottes mesure la distance qui vous sépare de la
de laves refroidies; c’est une désolation affreu- cime, on s’imagine qu’un quart d’heure de
se , et rien ne peut rendre la tristesse que vous marche vous suffira pour l’atteindre; aussi,
imprime la vue de la couleur grisâtre répan- en partant, tons les voyageurs, les Français
due sur toute cette terre; les sentiers sont surtout, s’élancent -ils vivement en plantant
rudes , étroits , et très raboteux ;
mais les ânes leur bâton dans la cendre; ils montent en cou-
qui vous portent ont le pied si sûr, et ils ont rant pendant les dix prcin iers pas ; mais cette
souvent la roule, qu’ils vont droit tout
lait si anleiir s'éleint bien vite; le sol de la montagne
en dormant. Nous arrivâmes enfin à un petit est une cendre très lino et très glissante, et où
plateau où est la maison des deux ermites; ces l’on enfonce jusqn’aux genoux; pour avancer
deux ermites ne sont pas ermites le moins du d’tin pas il faut en faire trois; nous fûmes bien-
monde, et leur hospitalité n’est nullement gra- tôt essoulllés, notre baleine devint plus rapide
tuite; on dit meme qu’il y a quarante ans, un cl plus courte; nous ouvrîmes la bouche pour
d’eux était un ancien valet de chambre de ma- respirer plus librement, et celle cendre fine et
dame de Pompadour. Avoir servi les petits sou- sèclie, s’allacliaut à notre jjosfer, nousépuisail
pers de Louis XV, et préparer le repas frugal la poitrine. De désespoir, nous nous assîmes
du voyageur! Le Trianon au pied du Vésuve ! dans la cendre, cl, jetant notre bâton à côté de

Quel contraste! nous, nous nous accrochâmes, haletants, à une


Après quelques minutes, nous remontâmes gros.se pierre! yindinw, Signori, coiraggio, nous
sur nos ânes , et ayant marché encore un quart dêsaîcnl les .guides; couragefet nous voilà rele-
d’iieure, nous arrivâmes au pied de la montagne vés; nous rxqxirlons, mai.s comment?... Chacun
même. Là, il fallut descendre de nos montures; des guides noua une grande ceinture rouge
nous les abandonnâmes à un paysan; nos guides autour de scs reins, en ayant soin de laisser
prirent des torches, nous nous armâmes de '

flotter les bouts par-derrière; nous prîmes eha-


,

8 L ITALIB PI TTORESQÜE.
nun un de ces bouts, et ils se uireDt à boos ce que c’est que l'éruption. On croit commu-
hisser comme un vaisseau traîne une ckalotipe nément que la lave sort du cratère, rien de
à la remorque. Comme noos étions à peu près plus faux; le volcan ne lance que des pierres,
aux trois quarts de la route, nous rencontrâmes de voir se former les ru^
et je fus fort surpris
un jeune hommeque l’on portait à bras, et dont seaux de lave; ce plateau qui nous séparait du
le front était tout ensanglanté. H s'était appro- sommet était enflammé comme une forge; la
ché trop près du volcan, et avait reçu une terre en était ouverte par d’énormes crevasses
pierre .à la tête. Au lieu de nous ralentir, cette toutes rouges, pleines de feu, erd’où sortait à
vue excita notre amour-propre nous quittâmes-, une filmée ^paisse et rousse on eût
flots , dit
la ceinture de nos guides, et nous gravîmes un immense 'foyer de charbon de terre; ce sol

courageusement; la sueur nous ruisselait sur se divisaitpar morceaux, par mottes, s’agitait,
le front, et c'était un spectacle curieux que de se liquéfiait, se mouvait, et arrivé sur le bord
voir toiile cette foule qui jurait, qui cliantait, du plateau , coulait en ruisseaux compactes et
qui crin il ;
des homu;es, des femmes, des brûlants, sur la pente, entraînant après eux
étrangei's, des Italiens, les uns en chaise à pierres et rochers; on eût dit des fleuves d’or
porteurs, autres à pied, pliés en deux comme
les fondu, cl cependant ilsne se précipitent pas
des porte-faix et puis les chutes, les rires, et
I comme des flots; ils descendent gravement,
ceux qui descendaient encourageant ceux qui lentement, mais invinciblement : ils se dérou-
munlaieni Est-ce bien beau?
! Admirable! — lent comme de longs rubans , pendant un es-
dans cinq minutes vous y serez, courage Mei^ ! — pace de près de deux lieues, s’amoindrissant
ci. . Enfin nous y voilà ; nous sommes â la cime; ensuite , s’éteignant et se ralentissant toujours
j'ouvre les yeux. Oh! Dieu! que c'était grand! jusqu'à ce qu'ils ne soient plus formés que de
D'abord je ne distinguai rien , tant mes yeux quelques pierres rouges jetées ^ et là par in-
furent ébloois par ce spectacle de feu! j’enten- tervalles.
ilais seulement le fracas de l'éruption et je ,
Nous voulûmes plonger nos grands bâtons
voyais une foule de fantômes noirs qui s'agi- dans cotte fournaise, mais ils ne porent péné-
taient autour de moi, car il faisait pleine nuit, trer, car la lave, toute mouvante qu'elle soit,
et il
y avait là plus de cent voyageurs, éclairés n'est pas un corps liquide; c'est du fer rouge
seulement par les reflets du volcan. Après quel- qui marelle. Comme nous avions le visage
ques minutes d'éblouissement , ma vue s'éclair- brûlé par le voisinage de la fournaise, et le
cit peu à peu ; les objets se dessinèrent plus dos glacé par le vent de la montagne, pour

nettement, et voici ce ^ue je vis. nous réchaufTcr, nous nous retournâmes, et


Mous bord d'un plateau qui s’é-
étions sur le nous vîmes au bas un spectacle fort étrange. Il
tendait devant nous à peu près l’esiaee d'un était onze heures du soir , et c'est llieure favo-
grand quart de lieue; au bout de ce plateau s’é- ritepour les ascensions; aussi arrivait-il au
lève le sommet de la montagne , et au haut du pied du sommet des foules de voyageurs. Ces
sommet est le cratère du volcan le phénomène ; voyageurs montaient, tous armés d'une tor-
s'accomplissait ainsi. D'abord je vis sortir du che; et comme on ne pouvait voir que les tor-
cratère, comme d'une énorme cheminée, une ches rien de plus curieux que ces clartés qui
,

colonne de fumée noire et épaisse; puis cette erraient , vacillaient, avançaient , descendaient,
fumée, s'élargissant et s’étendant à mesure pâlissaient et étincelaient; on aurait dit tout un
qu'elle sortait, devint brune, puis violacée, peuple de petites âmes sans corps.
puis rouge sombre, puis écarlate; alors il se fit Nous restâmes à admirer jusqu'à minuit ;
une horrible détonation ,
et le volcan lança en puis, pour opérer notre descente, nous nous
l'air, à une énorme distance, une pluie de feu, lançâmes à corps perdu sur cette pente de
mêlée de pierres; on distinguait les pierres cendres, et nous nous trouvâmes en bas dans
parce qu'elles étaient d'un rouge plus noir : l'espace de quatre minutes, sans avoir pn nous
puis ces pierres retombèrent sur les épaules du arrêter, et sans être tombes. Nous avions mis
volcan , imitant par le bruit de leur chute les une heure entière à monter.
feux de peloton. Tout cela dure à peu près une A trois heures du matin nous étions à Naples.
minuté ; alors il y a un moment de calme , et en-
'

suite* le meme phénomène recommence : voilà E. Licovti.


,

ENVIRONS DE NAPLES
COURSE A POMPÊI.
Le 8 aoûl 18 ,
nous partîmes de Naples à Nous partîmes pour Pompéi, et afin d’abréger
une heure de l’après-midi pour aller visiter la route, un de nos compagnons nous donna
Herculanum et Pompei. Nous étions arrivés à quelques renseignements historiques.
Résina à deux heures Résina est bâti sur Her-: La ville de Pompéi était .située au fond du
rulanum, ce qui empêche d'y continuer les golfe appelé le Cratère, formé par le cap de
fouilles, car il faudrait détruire la ville nou- Mysène et l’Atbénéum ; elle était assise au bord
vcllepour ressusciter l’ancienne ;
la visite d’IIer- de la mer dont elle est aujourd’hui éloignée;
culanum cependant une des plus curieuses
est mais en fouillant , on a retrouvé dans plusieurs
et des plus intéressantes. On nous adressa à un endroits des coquilles et le sable du rivage-,
concierge qui est gardien de ces ruines ; if prit d’ailleurs on ne peut douter, d’après ce que dit
une torche et noos fit descendre à peu près Strabon ,
qu'elle n’ait été un port comme Her-
soixante marches-, nous nous trouvâmes alors cnlanum et Stabia. La ville était bâtie sur une
dans un grand corridor très somhre , c’était le élévation isolée formée par la lave, et qu’on
couloir du théâtre. On nous montra la scène, peut même regarder comme une ancienne bou-
les coulisses, la partie destinée aux loges des che du volcan. Le 1 6 février de l’an 63 , il y eut
acteurs, les vastes et spacieuses galeries, les à Pompéi .un grand tremblement de terre qui
places réservées aux magistrats, et toute cette renversa une partie de la ville et endommagea
ma.s.sc architecturale étant enfouie sous terre à beaucoup Herculanum; un troupeau desixeents
plus de cinquante pieds , et n’étant éclairée que moutons fut étouffé, des statues se fendirent,
par la lumière vacillante des porches qui dessi- et plusieurs personnes perdirent la raison ;
l’an-
naient dans les anfractuosités du théâtre mille née suivante il en survint un autre pendant
fantômes étranges , ressemblait à une appari- que Néron chantait sur le théâtre de Naples
tion fantastique, et nous saisissait plus encore qui s’écroula aussitôt que l’empereur sortit; en-
par ce que l’on ne voit pas que par ce que l’on fin,
le 23 août de l’an 79 , se manifestèrent les.
voit. Herculanum n’a pas été englouti sous les premiers symptômes de'l’éruption que Pline a
cendres , il a été inondé d’une pluie de lave qui siéloquemment décrite. Il était à Mysène où
a coulé comme du plomb fondu dans tous les son oncle commandait la flotte. A une heure
monuments ,
et , une fois refroidie ,
est devenue après midi ,
on avertit Pline l’ancien qu’il pa-
pierre eomme eux. Aussi les excavations y sont- raissait un nuage d’une grandeur et d’une figure
elles très difficiles , car c'est à coups ilc hache extraordinaires-, .sa forme approchait de celle
qu’il faut s’ouvrir un passage. En quittant la d’un pin ; après s’être élevé très haut comme
partie du bâtiment réservé aux comédiens, nous un tronc , il étendait une espèce de branchage
aperçûmes une chose assez étrange, c’est l’em- tantôt blanc , tantôt noirâtre ,
tantôt de diverses
preinte du masque d’un acteur incrustée dans couleurs. Pline commande d’appareiller sa li-

la lave ; le nez , la bouche , l’ouverture de l’œil, burne ( vaisseau léger) et part. A mesure qu’il
tout y est. Comment ce masque a-t-il pu ainsi approchait, la cendre tombait sur son vaisseau
être enchâssé dans cette lave? que faisait celui plus épaisse et plus chaude ; des pierres calci-
qui le portait? Qu’est-il devenu dans ce désas- nées et des cailloux tout noirs pleuvaient au-
tre? comment l’a-t-il jeté lâ? comment a-t-on tour de lui ;
la mer semblait refluer, et le rivage
retrouvé le masque et pas l’homme ? tous pro- devenait inaccessible par des morceaux entiers
blèmes insolubles et qui nous agitaient jusqu’aux de montagnes dont il était couvert. Pline se di-
larmes ; car il y avait lâ de la douleur, de la pas- rige vers Stabia où était Pomponianus; mais la
sion , de la vie , de la mort , de l’homme enfin ! cour de la maison de Pomponianus se remplis-
lue impression de masque vivre tant de siècles sant de cendres, ils se résolurent â aller dans
de plus que l'homme même ! la campagne car les maisons étaient tellement
;

ni. h»iii riTT. (Napim — 2» Uï.)

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10 ITALIE PITTORESQUE.
ébranlées par les tremblements de terre , que f'ia di Pompei.Xjt cœur nous battit d’émotion.
l’on eût dit qu'elles étaient arrachées de leurs Nous quittâmes la route royale , et , nous diri-
fondements, jetées tantôt d’un côté, tantôt de geant à gauche par un sentier, nous franchîmes
l'autre
,
puis remises à leur place. Ils sortent et une peu élevée, et nous nous trouvâmes
colline
se couvrent la tête d'oreillers attachés avec des devant une barrière en bois ; c'était l’entrée de
mouchoirs. Ce fut toute la précaution qu'ils Pompéi. Deux gardiens vinrent vers nous ; ils
prirent contre ce qui tombait d’en haut. Le jour ressemblaient à des commis de l’octroi nous :

recommençait ailleurs, mais dans le lieu où ils pénétrâmes dans la ville. Pendant la dernière
étaient, continuait une nuit des plus sombres et partie du notre route , aucun de nous n'avait
des plus affreuses , et qui n’était que tr^s peu presque ouvert la bouche, tout émus que nous
dissipée par la lueur d’un grand nombre de étions à ce seul nom de Pompéi , et préoccupés
flambeaux et d’autres lumières. On essaya de de toutes les beautés que nous allions voir.
s’approcher du rivage cl d’examiner ce que la Quand on est jeune , qu’on arrive à Naples et
mer permettait de tenter; mais on la trouva en* qu’on se dit « Je vais aller à Pompéi , » on se
:

oore fort grosse et agitée d’un vent contraire ; le figure d'avance les majestés les plus abruptes
rivage, devenu beaucoup plus spacieux, se de la nature ; l’idée du
et les plus imposantes
trouvait rempli de poissons restés à sec sur le Vésuve, des ^airs, des flots de lave, des dé-
saUe. Pline et ses amis étaient réduits à se lever tonnations se mêlant à la pensée de cette ville
pour secouer leurs habits tout couverts de cen- enfouie ,
jette sur elle une lueur infernale et
dre ; car sans cela eût accablés et en-
elle les mystérieuse ;
on s’attend â voir un de ces hor-
gloutis; flammes parurent plus
bientôt les ribles bouleversements matériels qui anéantis-
grandes et précédées d’une odeur de soufre. sent l’âmo du spectateur : mais j’avoue que je
Pline tomba mort. n’ai jamais éprouvé de désillusionnement plus
Sur les neuf heures, le tremblement de terre grand qu’en apercevant Pompéi. Je ne pouvais
et l’éruption s’apaisèrent , le jour se leva et en croire mes yeux , j’étais muet de désappoin-
même le soleil ,
mais jaunâtre , et tel qu’il a cou- tement comme on l’est d’admiration ; en me
tume de luire dans une éclipse. La ville de promenant au milieu de toutes ces rues, je
Pompéi ne fut pas détruite par la lave, sa po- voyais tomber un à un tous 1^ beaux châteaux
sition élevée la mit â l’abri d’un pareil événe- de mon imagination.
ment ; mais eUc fiit ensevelie sous une pluie de Rien d’élevé, de majestueux , rien qui saisisM;
• cendre et de poussière qui forma des couches au premier aspect Pompéi n’est qu’une chose
:

alternatives â la hauteur de quinze et de dix- charmante un soleil insultant , des rues éclai-
;

huit pieds. On a trouvé des indices qui portent rées et larges, une barrière en bois pour entrée,
â croire qu’après ta destruction de la viUe quel- deux seddats pour gardiens, pas de mystère,
ques particuliers revinrent fouiller dans leurs pas de poésie; mais une fois que, renonçant aux
habitations pour en retirer des débris, mais sans chimères de son imagination, on est consolé
pouvoir réussir. Pendant seize cent soixante- de ce manque de beauté dans l’impression de
seize ans la ville de Pompéi resta ensevelio sous l’emsemble, Pompéi devient l’étude la plus
la cendre. On trouva les premières traces de ses amusante et la plus curieuse par les détaik. Ce
ruines en 1889; mais l'on ne commença à y sont les mémoires les plus circonstanciés sur
fouiller qu'en 1755. Il est cependant étonnant les Romains, c’est la' vie antique , la vie maté-
qu’eUe n'ait pas été découverte plus tôt, car rielle, intérieure, la vie de tous les instants,
Dominique Fontana ayant été chargé , en 1 593, écrite en pierres , en marbre et en colonnes.
de conduire les eaux du petit fleuve Samo à Avant d’arriver â la porte de la ville même,
Torre de l’Annunziata , fit passer un canal sou- vous vous trouvez dans une espèce de faubouig
terrain qui traverse la ville , et rencontra sou- appelé Augustus Fâix; la voie qui traverse ce
vent les substmetions de ses édifices. faubourg est la voie des Tombeaux. Ainsi se-
Notre compagnon s’arrêta après avoir donné més sur les deux bords de la route et servant
ces détails ;
nous étions â un mille et demi de homes milliaires , les sépulcres anciens (»t
de la tour de l'Annonciation ; nous renoontrâ- quelque chose d’étrange et de grandiose;
m<» alors sur la route royale qui conduit de peuples qui avaient toujours vécu sur la place
Na{ûes k Sakme, un pilier sur le^el était écrit: publique ne vouiaimt pas d’une sépulture re-
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TKAÜi;

>:STR

ET

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ENVIRONS DE NAPLES.
tirée et solitaire; ceSl le ciel, c’est l'air qu'il proue ; et quelques savants ont vu , dans cette
faut à leurs restes I Quelle belle idée de mêler représentation maritime, l’image des orages de
ainsi les vivants aux morts! quelle impression la vie.Après In visite extérieure du tombeau ,
de respect devait-on éprouver à aller ainsi de nous ptmétràmes dans l'intérieur par une porte
Rome h Naples entre deux ran^i^ées d'ombres fort basse ;
l’intérieur est d’environ six pieds
illustres ou chères! Aussi la voie des Tom- carrés,
avec deux rangs de nielles. Dans la
beaux nous remplit-elle tous d'une tristesse plus grande de ces niehes, on a trouvé une
grave et sérieuse, et nous allions, épelant sur grande amphore d'argile avec une quantité de
ees monuments renversés ou mutilés les ins- cendres qu'on a amoncelées sur un entable-
criptions et les noms des lamilles éteintes. En ment qui règne tout autour du caveau. Quatre
déblayant cette voie , l’on a rencontré les osse- autres urnes de Rosettes fort communes ayant
,

ments de plusieurs liabitants qui , au moment leurs couvercles, contenaient encore des restes
du désastre , cherchant leur salut dans la fuite, funéraires. Auprès de chacune de ces urnes,
trouvèrent la mort au milieu des tombeaux où était une lampe d’argile et aussi des monnaies
reposaient peut-être leurs amis et leurs pro- de bronze destinées à fiaycr Caron. Mais la dé-
ches. Trois de œs squelettes étaient des fem- couverte la plus singulière est celle de trois
mes , elles s’étaient assises contre le pilier d'un vases de verre à lai^ ventre qui étaient ren-
portique et y avaient été étouffées par la pluie fermés dans autant de vases de plomb; ils
de cendres; on trouva aussi le cadavre d'une étaient pleins d'eau et contenaient des osse-
malheureuse mère qui avait sur les bras un en- ments calcinés et une liqueur composée d’eau,
fant au berceau et deux autres moins petits aii- de vin et d'huile dans deux de ces urnes , la
:

pri'S d'elle. laturs os étaient réunis, confondus liqueur est roussâtre, et dans l'autre, jaune,
ensemble, ce qui prouve que cette famille in- onctueuse et transparente. En sortant de ce
fortunée se tint embrassée jusqu'au dernier sou- tombeau , nous vîmes In fameuse maison de
pir. Parmi leurs os on recueillit trois anneaux campagne dont Cicéron parle si souvent à At-
d'or et deux paires de boucles d’oreilles garnies ticiis, puis un portique situé sur la route;

de perles Unes l’un de ces anneaux avait la


: quatre sièges en pierre qu’il contient et le toit
forme d'un serpent reployé sur lui-mémc; un qui le domine, font penser que c'était un lieu

autre, plus petit, avait pour chaton un grain public de re|M>s et de rendez-vous pour les oi-
de grenat sur lequel était sculptée une foudre. sifs de Pompéi qui aimaient à s’y entretenir, à
Les pendants d’oreilles étaient eu forme de ba- débiter des nouvelles et à voir, assis et cou-
lance enfin , l’on rencontra aussi les restes d'un
: verts , passer et repasser les allants et les ve-
vieillard qui serrait encore dans scs mains un nants. Enfin ,
pour terminer nos recherches
faible trésor ; il y attachait sans doute beaucoup dans le faubourg d'Augustus Félix, nous allA-
de prix, car il l’avait enveloppé très soigueuse- mes visiter la maison de campagne de Marcus
meut dans une étoffe de lin qui est demeurée Arius Diomedes. On y monte par quelques de-
intacte. Le nombre des monnaies trouvées dans grés revêtus de briques et embellis de deux pe-
ce linge était de quatre cent dix. Le plus beau tites colonnes latérales. Un entre d'abord dans

tombeau de cette voie est celui de Nevolcja une eour située au centre de l'édifice et que
Tiche. Voici l'inscription ; les anciens appelaient iniplus>iumj autour de
IVn>oleja Tiche a érigé ce monument pour cette cour règne une sorte de galerie ou petit
elle etpour Caïus Munatius qui a mérité la dé- portique, orné de quatorze colonnes de bri-
coration du Bisellium elle f a érigé aussi pour
; ques, revêtu de stuc, sous lequel on pouvait
ses affranchis et affranchies. circuler des quatre cdtés sans crainte de la pluie.
Ce tombeau consiste en un grand bloc de C'est de là que partaient toutes les dillërentes
marbre taillé en carré long. Dans les ornements distributions du logis, et c’est de cette cour
supérieurs, on remarque le buste de Nevoleja; que les appartements recevaient la lumière.
le côté du monument en marbre qui rcganle Nous entrâmes dans un grand salon appelé
le .septentrion représente une barque avec deux exedra, où les anciens faisaient, en été, la
mâts, l’un dressé, l'autre penché. Divers en- méridienne ; de là , dans une galerie appelée
fants carguent la voile; un d’eux grimpe au basilica, qui servait de pièce d’introduction, et
cordage qui assujettit le mât du cêté de la au bout de laquelle est une terrasse découverte,
, ,

12 ITALIE PITTORESQUE.
embellie de marbre blanc et qui domine sur un quelques gouttes d’huile odorante. A la fenêtre
jardin et sur la mer. Revenus dans la cour, nous de cette chambre, on a trouvé placées dans un
entrâmes, à main droite , dans le nymphœum ou châssis de bois , réduit en charbons des vitres
petite salle de bain , entourée de colonnes de d’une palme de largeur. Ce qui a décidé la
stuc :cette pièce est peinte en jaune; le pavé, question de savoir si les anciens connaissaient
qui est très beau, est une mosaïque. On y voit l’art de faire le verre.

encore la cuve qui servait à prendre les bains, La partie de la maison destinée pour le som-
appelée baptisterium : elle est construite en bri- meil est composée de trois cliambres; l’usage
que et revêtue de marbre. Au lieu de monter était de placer le lit sur un gradin en marbre

dans leurs baignoires, les anciens y descendaient dans un encaissement de mur qui l’enfermait
par quelques marches , et nous aperçûmes dans de trois cêtés; devant il était clos par un ri-
le mur la place où étaient les tuyaux. Passant deau dont nous trouvâmes les anneaux de
à la seconde chambre , nous y vîmes un long bronze.
iburneau de singulière construction , et qui ser- A gauche de la galerie était
l’entrée d’un au-
vait à chaulTer l’eau au degré que l’on jugeait tre appartement plus intérieur et plus secret;
convenable. Nous remarquâmes aussi Vipocaus- ce devait être le ginécéum ou l’habitation des
tum ou récipient du feu avec son pr^umium ou femmes, le cœnaculum ou salle à manger, le
ouverture. Trois vases de cuivre, placés l’un dispendium ou salle de dépense, toutes pièces
sur l’autre , recevaient tous trois l’eau avec des qu’on appelait conclavi, parce qu’on les fer-
degrés de chaleur différents ; et selon que les mait sous une seule clef. Nous descendîmes par
baigneurs voulaient de l’eau chaude ou froide deux escaliers au rez-de-chaussée; il consiste
ilsouvraient un des tuyaux qui communiquaient en huit chambres peintes en rouge et ayant des
avec celui des vases dont ils désiraient se servir. voûtes. Dans l’une d’elles coulait abondamment
A l’étage supérieur et précisément au-dessus une fontaine dont l’eau était conduite dans la
de l’ipocaustum est située une petite chambre
,
pêcherie du jardin. Du rez-de-chaussée, nous
avec une niche en forme conique ; elle a vue allâmes dans un souterrain ou corridor tout
sur le jardin par une fenêtre, et est remplie de rempli d’amphores de grès pour faire rafraî-
peintures et de tableaux. Cette chambre est le chir le vin. On a trouvé dans cette cave dix-
sudatorium ou étuve, pour faire suer; afin de sept squelettes des infortunés habitants de cette
lui donner un degré de chaleur suflisant pour maison. Un des squelettes est probablement la
sa destination , on établissait dans le pavé des maîtresse de la maison , et on voit encore tra-
ouvertures pour laisser passage à la flamme et cée dans le mur une forme de nez et de front
à la vapeur qui montaient par des conduits leur visage ayant été écrasé et empreint dans
pratiques le long des murailles dans la salle in- le ciment. De ce souterrain nous montâmes au
,

férieure. La chaleur ainsi concentrée dans le jardin on trouva à la porte qui donne dans la
;

sudatorium devait en faire une vraie fournaise, campagne le cadavre du maître de la maison
et c’est sans doute pour éteindre l’ardeur de ayant en main une clef et dans l’autre des chaî-
cette température qu’on ouvrait la fenêtre dont nes d’or. Derrière lui venait un domestique qui
nous avons parlé ; car cette fenêtre était trop portait des vases d’argent. Après avoir examiné
petite pour ^nner du jour, et on trouve dans lejardin , nous arrivâmes sur la voie consu-
le mur la place destinée à recevoir une lampe. laire
,
et de là à la porte de Pompéi.
Enfin en sortant du sudatorium, on entrait Renvoyons nos guides, dis-je alors à mes
dans Yuncluorium ou salle de parfums ; c’est là compagnons, et parcourons au hasard cette
que , après le bain chaud , tiède et froid , on morte ; puis ce soir, rendez-vous à Gastel-
ville ,

venait s’essuyer et se parfumer. Un domesti- a-Marc. Mon plan fut adopté l’un tourne à ;

que qui assistait au bain , y recevait le bai- droite, l’autre à gauche, et j’errai ainsi tout
gneur avec le frottoir {strigdis') et la petite fiole seul au milieu de ces décombres immenses. C'é-

(
guttum ). Le frottoir servait à emporter l’humi- tait pour moi comme un livre qu’on parcourt
dité il était composé de petites l.imcs oblon-
: sans suite, allant du commencement à la fin

gues et recourbées, d’un pouce de large, en sans achever les feuillets. Une chose qui me
or, en argent , en cuivre , avec lesquelles on en- frappait vivement ,
c'était toutes ces rues éti-

levait la sueur; ensuite on versait de la fiole quetées, nommées et numérotées comme les
,

ENVIRONS DE NAPLES. 1.1

nôtres ; c elait de voir via del Corso


, via dei l'autel des dieux Lares ; je recherchais dans les
Poveri, là où il n’y avait plus
de morts. meme endroits les plus obscurs les traces de quelque
Autrefois les anciens ne désignaient pas les ha- habitude antique je ramassais avec respect les
;

bitations par les numéros, mais par le nom, la débris les plus vils, espérant y trouver l’ex-
qualité ou l'état de l'habilant. L'œil fixé sur le plication d’un usage , d’une coutume. J’admi-
mur, je cherchais ces caractères rouges à moi- rai la maison de Sallustius une boutique com- :

tié effacés et qui me disaient Ici a vécu Nu- : muniquait à son appartement. Ce qui prouve
matius. Marins... tous les hommes qui avaient que les anciens patriciens vendaient eux -mê-
existé à dix-huit cents ans de moi , et qu’il me mes leurs denrées; et encore aujourd’hu’ à
semblait oonnaiire cependant, auxquels je m’in- Florence, il-y a, à côté de la porte-cochère de
téressais dès que je voyais leurs noms. J’aper- chaque palais, un tour par où les nobles tra-
çus à côte de la porte de la ville, sur une mu- fiquent de leur vin et de leur Ituilc. En sor-
raille, des caractères rouges semblables aux tant du temple des Vestales, je me trouvai
premiers, mais avec des inscriptions dilfércu- dans une maison de prostitution dans l'une :

tes; l’une portail : l’autel où brûlait le feu, la chambre de péni-


Pugna mata-, v; non. april. venatio. tence, les appartements simples et austères;
et plus loin : dans l’autre, des peintures lubriques, des ar-
Glad. par. xx. pugna. non. rangements d’extérieur cyniques et voluptueux.
Le sens de ces mots incomplets est Combat : Comment peindre tout ce que j’éprouvais à
et citasse pour le cinq des noncs d'avril. parcourir ainsi , en (|uclqucs instants , toute l'é-
Vingt paires de gladiateurs combattront aux chelle des conditions humaines, à passer en
nones. revue tant d’états, tant de sacrifices, tant de
Des affiches de spectacle à Pompéi ! Des af- peines tant de plaisirs , tant de vices ; à recom-
,

fiches traversant dix-huit siècles qui ont en- poser toutes ces existences éteintes; à deviner
glouti tant de grands hommes et tant de gran- tous ces secrets de vie intérieure C’est avec !

des choses! J’entrai dans toutes les maisons qui une espèce de crainte, et en affaiblissant le
me présentaient quelque aspect curieux : c’é- bruit de mes pas , que je pénétrais dans tous
tait un cabaret , une boutique de charron un , ces sanctuaires; que j’errais lentement et .si-

temple ;
tantôt une cuLsinc avec des pots de lencieusement dans ces vastes salles solitaires
grès, des cuillers; puis une école de chirurgie qui ont le ciel pour voûte ; apercevant quelque-
avec des instruments; puis une chambre de fois seulement dans un coin quelque peintre
bains ;
puis un venereum. Je vis une espèce de copiant les fresques; il se retournait à mon ap-
petilcafé avec cette inscription -.perennius i^-m- proche, et puis se remettait à son œuvre sans
pherois. Dans le fond de l'établissement ,
il
y a me parler, comme si nous eussions craint, lui
un fourneau, et sur le comptoir en marbre et moi ,
de réveiller ces morts. Les frc.sques
blanc , SC trouve encore l’empreinte du des.sous surtout me ravissaient! Ce sont des pidiitures
des tasses; les liqueurs qu’elles contenaient de grands jardins ,
d’appartements avec des.

étant composées avec du miel et des acides , ont jetsd'cau au milieu, qui rappellent l’Allambrah,
pénétré dans pierre cl y ont laissé trace. Je
la des groupes d’iles délicieuses, des combats de
trouvai encore des magasins de Phallus ou Pria- mer, des instruments de musique inconnus de
pes qui ont pour enseigne leur marchandise nos jours; des nymphes nues, dignes de l’AI-
même :
puis des boulangeries avec des fours et banc, et qui font oublier l’immodestie de leurs
des moulins dont forme ressemble à des mou-
la poses par leur ineffable volupté et la riches,sc
lins à café; des ânes tournaient ces meules, et de leur coloris; ce sont des jeux d’enfants les
Plaute et Térence furent condamnés à les tour- plus gracieux du monde , et tout cela repré-
ner étant esclaves. Je remarquai une boutique senté dans les plus petites habitations, sur les
do liqueurs dont l’enseigne représentait Ulysse murs , seulement pour cacher la nudité de la
repoussant les breuvages de Circé; puis des pierre. En p.srcourant ces beaux lieux, et en
boucheries, puis des écriteaux où Julia Félix songeant que Pompéi n’était qu’une ville du
offre à bail pour cinq ans , des Thermes , un cinquième ordre ,
on reconnaît combien ,
avec
venereum , et neuf cents boutiques. Je des- toute notre civilisation et nos 1800 ans de per-
cendais dans des caves; j’allais m’agenouiller à fectionnement ,
nous sommes loin encore de la
, ,,

14 ITALIE PITTOEESQUE.
délicates exquise des aodens , et comme ces petit jardin semé de plantes stimulantes et en- ,

hommM de plsce publique entendaient mieux touré d’un portique où aboutissaient plusieurs
que nous la rie intérieure qui n’était rien chambres secrètes' ; ces chambres , toutes ornées
pour eux. Nous autres Français , nous som- de fresques, avaient une fenêtre vitrée et don-
mes le peuple le moins artiste du monde; il naient sur le jardin.
nous a fallu des leçons des Anglais, même pour Nous void devant le temple d’Isis , il a 84
avoir le confortable qui ne lait pourtant pas palmes de longueur et 64 de largeur. Tout l’é-
la moitié de la science de la vie. S’il y avait un difice est construit en briques, enduites d’un
volcan à côté de Poitiers, que le volcan ense- masde très dur; sur une élévation près du sanc-
velit Poitiers sous scs cendres, et que dans dix- tuaire se trouvèrent les fragments de l’idole
huit cents ans on exhumât cette ville mo- d’Isis. On ne peut pas s’y arrêter long-temps

mie... Quels barbares ! dirait-on. Quelle gros- parce que non loin de là se développe une va-
sièreté maladroite et disgracieuse dans leurs peur malfaisante appelée par les paysans mo-
usages! Comme ils savaient mal vivre! Quels fette, et qui donne des verdges. C’est probable-
édifices mesquins ! Quelles habitations sans ment cette vapeur qui faisait tomber les py-
goût d’artistes! car nous rapetissons tout, mai- tbonisses dans les convulsions, hérissait leur
sons et temples. Les anciens ne vivaient qu'en chevelure et leur arrachait, avec effort et fureur,
plein air. Leur demeure était le forum ,
les quelques paroles entrecoupées qu’on prenait
basiliques, les cirques; tout cela majestueux, pour l’inspiration d’un dieu. Sous le trdne de
vaste ,
noble , et leurs habitations mêmes l’idole il existe une petite chambre où l’on peut
mystérieuses, fraîches, coquettes. Chez nous, soupçonner que les prêtres se cachaient lors-
plus de palais, plus d’édifices; des apparte- qu’ils rendaient les oracles au nom delà déesse.
ments et des chapelles. De Notre-Dame de Pa- Je quittai le temple pour aller au théâtre;
ris,nous sommes tombés â Notre-Dame de mais je fus frappé en entrant d’en trouver deux
Lorette. au lieu d’un; le premier, plus petit, plus élé-
Poursuivant le cours de mes decouvertes gant , était couvert ; r.-iutre, plus grand et no-
j’arrivai à une petite maison dite la Maison blement décoré, était en plein air; le plus petit
d'Actéon , parce que l’infortune de ce tdiasseur servait aux représentadons comiques et satiri-
est pmnte sur la muraille. J’y admirai deux ques. Ces théâtres de second ordre s’appelaient
pièces fort curieuses, un triclinium et un ve- Odeum ; on allait y entendre de la musique
nereum. Ce triclinium, ou salle de repas, est voir jouer des pinUimimes, assister aux luttes
délicieusement située. On y arrive en traver- poétiques et à des disputes de philosophie , où
sant un petit parterre ( un
xyste ) tout planté de un trépied était la récompense do vainqueur.
fleurs avec des murs décorés de fontaines pein- Les anciens , ne sachant pas se servir de lus-
tes , d'oiseaux et de beaux arbres. U se trouve tres et de lampions pour éclairer le théâtre, on
sous une tralle; au milieu, un bassin plein laissait une ouverture entre chaque colonne
d’eau vive où l’on jdaçait les flacons de vin qui soutenait le toit pour donner de la lumière
dans la neige; contre le portique, un four- aux spectateurs. Il y avait dans ce théâtre,
neau destiné à recevoir de l’eau attiédie; au comme dans le théâtre tragique , la place des
fond , un autel où se versaient les libations des magistrats, cdle des insdtutcurs, des jeunes
dieux. Quant au venereum , c’était un appar- gens admis â porter la robe prétexte; et, pour
tement secret, consacré au plaisir et à l’amour; éviter la confusion , les décemvirs distribuaient
sa distribution et les peintures qui le décorent à chaque personne entrant la testera theatra-
ne permettent pas d’en douter. Il y a deux lis, ou billet d’entrée, pour qu’il occupât la.
portes d’entrée au venereum ; la seconde plus place qui lui convenait. Ces marques de théâ-
,

petite que la première , comme doit l’être celle tre étaient en os, d’une figure circulaire
d’un lieu mystérieux, et on ne l'ouvrait proba- comme nos pièces de monnaie elles conte- :

blement qu’après avoir fermé l’autre. Cette naient l’indication du théâtre , l'indication de
porte , ainsi que toutes celles du venereum , de- celui des cinq coins où l’on devait sc placer, sur
vait clore parfaitement et moin-
ne pas avoir la quel gradin on devait s’asseoir, et le nom de
dre fente; aucun bâtiment voisin n’avait vue l’auteur de la pièce qu’on allait représenter.
sur cet appartement, qui se composait d’un Mais c’estau grand théâtre seul que je compris
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, ,,,

ENVIRONS DE NAPLES. 18
toute la beauté de ces édifices de l'antiquité. Je à cacher les fioles et les tubes d'où sc répandait

mesurai d'abord le diamètre de l'une à l'autre sur tout le théâtre une odeur de safran , ou bien
extrémité de l'hémicycle , il y avait 1 7 pas. Puis
encore ces tubes lançaient des eaux balsamiques
ce furent les {p^ins , d'une grande dimension comme Adrien en fit verser en l'bonncur de
au nombre de 5 dans l'orchestre , tous recou- Trajan. J'aperçus aussi , à droite et à gauche de
verts de marbre; à la suite de ces gradins, un la scène, deux grands espaces vides où se dis-
sixième , plus large et plus spacieux , qui sépare posaient les décorations et les machines. La ma-
la première travée de la seconde. Au point du chine la plus ordinaire était celle qui servait à
milieu de cette seconde travée , étaient fixées faire voler. L’ne pièce antique ne sc passait
trois statues de marbre ; vingt gradins , tous re- guère sans quelque héros qui montât au ciel
vêtus de marbre blanc et symétriquement pla- ou quelque dieu qui en descendit. Il y avait des
cés les uns au-dessus des autres , formaient cette machines pour transformer les héros en divini-
seconde enceinte; venait ensuite un large mur, tés à vue d’œil ; les décorations de droite ser-
qui faisait la séparation de la seconde è la troi- vaient à représenter tout ce qui se passait hors
sième travée. Celle dernière, la plus élevée, de la cité et qui pouvait appartenir aux alliés,
était composée de quatre gradins où les femmes aux villes municipales aux colonies , aux
,

et le peuple étaient placés pêle-mêle. La foule champs; c’était par là que s’introduisaient les
arrivait dans la seconde enceinte par le moven hérauts et les voyageurs. Les machines de
de six escaliers qui correspondaient à six vomi- gauche figuraient tout ce qui se passait dans la
toires ou portes extérieures encadrées de mar- ville et aussi les ports, les divinités des eaux, etc.
bre. Tous les grailins, même les plus élevés, Le fond de la scène est formé d’un frontispice à
sont découverts dans ce théâtre; la pluie, la trois portes; la porte du milieu ,
la plus déco-
neige cl le soleil u'elTrayaienl pas les spectateurs ; rée de marbre , s’appelait porte royale , et c'est

quand l'air étaitchargé de vapeurs froides , ils par cette porte que sortaient les héros. La porte
SC revêtaient d'un manteau blanc appelé la- à droite était destinée aux personnages de se-
cema. Martial a fait une épigramme
là-dessus cond ordre, tels que vieillards, matrones, gé-
assez curieuse ; la voici : Horace était assis au néraux d’armée; enfin la porte gauche s'ou-
spectacle seul en manteau noir, tandis que le vrait pour les esclaves, affranchis et pédago-
peuple et les magistrats étaient tous vêtus de gues. Le diamètre entre l’avant-scènc et la
blanc j tout à coup tombe du cidune neige abon- scène était fermé par une toile appelée auleum
dante , et voilà Horace vêtu de blanc comme les ou siparium. Destinée à cacher aux spectateurs
ils portaient de larges
autres. Contre le soleil, les changements de décoration , elle ne s'en-

chapeaux thcssalicns que Caligula introduisit levait pas comme les nêtres, par le moyen
le premier à Rome. LesCampaniens trouvèrent d’une poulie , mais elle était attachée à deux
un moyen plus sûr, c'étaient des voiles et des larges poutres , et , au moyen de cabestans , on
antennes qu'on fixait à certaines poutres à l'ex- la précipitait au-dessus du théâtre, ou on l’en-
trémité du mur où sc terminait l'hémicycle levait pour la cacher.
et qui servaient à le couvrir ;
j’aperçus encore Ayant observé les deux théâtres et la place
les pierres forées et saillantes de mur où les Marchande, je franchis la voie Consulaire, et
poutres étaient fixées. Mais ces voiles n’étaient après une courte traversée dans la campagne
pas toujours tendues au théâtre, et les affiches du cdté de l’Orient.
annonçaient au peuple que tel jour, par ex- C’est dans la Campanie que s’étaient formées
traordinaire, les voiles seraient déployées. C’est les premières réunions de gladiateurs, dési-
ainsi qu’aujourd’hui,
dans les théâtres d’Italie gnées sous le nom de familles ; et on voit , d'a-

on prévient que pour telle représentation il y près des inscriptions , qu’il est fait mention de
aura illumüuition c'est-à-dire qu’on verra clair. la famille de gladiateurs de Podius Rufus, et
A droite et à gauche de l’orchestre sont situées de celle d’Ampliatus. Pour se venger des Sam-
deux tribunes en pierres volcaniques; l’une nites qui les avaient souvent vaincus et soumis,
était la loge du prêteur ou décemvir, qui pré- les Campaniens faisaient comparaître dans l'a-
sidait aux jeux; on appelait cette loge Podium ; rène des gladiateurs armés à la manière des
l’antre était la tribune des vestales. Je remar- Samnites, c’est-à-dire, ayant un bouclier qui
quai différentes excavations qui devaient servir paraissait d'or, portant des guétres'ct ayant en
,

16 ITALIE PITTORESQUE.
tête un caaquc snnnonté d'une aigrette. Ik se les trous où étaient fichés autrefois les barreaux
figuraient voir tomber des Samnites dans la de à son élévation et à la sû-
fer qui ajoutaient
personne des gladiateurs, et ne les désignaient reté des spectateurs sans gêner leur vue. Les
que sous ce nom. Tel était leur amour fréné- grillages sont appelés par Pline du nom de rets,
tique pour ces horribles combats , qu'il ne se à cause de la forme de leur construction; et
donnait pas un repas solennel chez les particu- en parlant du luxe de Méron à l'occasion d'un
liers riches, sans être accompagné d'un combat combat de gladiateurs, il dit que l'ambre était
de gladiateurs. prodigué au point que les barreaux élevés qui
Et c'est une coutume antique , dit Siiins, d'é- protégeaient la loge de l’empereur contre ces
f^ycr les festins par des scènes de carnage , et bêtes féroces , étaient soudés avec cette résine
de mêler au repas le tragique spectacle de gla- précieuse.
diateurs combattant à outrance, tombant quel- depuis long-temps à parcourir
J'étais déjà
quefois sur les tables et les coupes des convives en me recomposant les com-
cet amphithéâtre,
et les inondant de sang. mes souvenirs de Vi-
bats antiques à l'aide de
l-es esclaves et les prisonniers ne combat- ,
de Juvénal
truve et de Pline , quand je me
taient pas seuls dans l'arène; on y voyait aussi sentis frapper sur l’épaule ; c’était un des gar-
des personnes libres , des chevaliers , et même diens qui m’avertissait qu’il fallait partir, car
des sénateurs, appelés auctorati, et qui venaient on allait fermer la barrière. En effet, la nuit
faire montre de leur courage, et disputer le commençait à venir, et la lune se levait. Ce que
prix auctoramentum. je désirais avant tout , c'était de voir Pompéi
Dans cet amphithéâtre se représentaient au clair de lune ; car il me semblait que cette
outre les combats des gladiateurs , le combat lumière devait bien aller à la ville morte. Je
contre les bêtes féroces. Pour donner l'aspect suivis cependant le gardien ; mais je trouvai
d'une campagne à l'arène , on avait soin d'y un moyen pour gagner du temps, ce fut de
planter des arbustes de différentes espèces qui t laisser tomber ma bourse qui était pleine de
figuraient un bosquet, ce qui faisait de l'ampbi- monnaie. Nous voilà tous deux baissés pour ra-
ihéâtrc un site tout-à-fait semblable à celui d'une masser les pièces éparses; comme il ne faisait
chasse. L'amphithéâtre présente la figure d'une plus très clair, la recherche était plus difficile;
ellipse; il est appuyé d'un cêté à la colline, sur et pendant ce temps la lune montait toujours ;
laquelle s'étendaient les murailles d'enceinte de puis , chaque fois que le gardien me rapportait
l’ompéi Je l'autre , il est terminé par des ar-
;
deux pièces , je lui en donnais une , ce qui ré-
des pilastres de forte construction. On
citJes et veillaitton ardeur. Quand la recherche fut
V pénètre par deux grandes entrées â forme de finie, ma bourse était moins lourde; mais la
Ionique , et il y en a une troisième, du cêté du lune donnait à plein sur la ville. A la clarté de
couchant ; elle est très petite , pratiquée dans le ses rayons , toutes les habitations semblaient de
parapet, et conduit â une sortie secrète; cette marbre; la lumière tombait à terre et sur les
porte était appelée Lilitinensis ; ce nom vient murailles à bir;;es tranchées , et pas un souille,
de Libitinc, déesse de la mort, parce que c'est pas un bmit ; on eût dit une veuve enveloppée
par cette i.ssuc qu'on faisait passer les cadavres d'un linceul noir et blanc. Les maisons étant
des gladiateurs morts qu'on tirait avec un cro- toutes découvertes , les rayons de l’astre en
,

chet jusqu'au Spoliatùim , c'est-à-dire au lieu plongeant dans 1rs anfractuosités des apparte-
où un les dépouillait. Cette porte se nommait ments, y projetaient mille accidents bizarres
encore Sandapilaria. d'ombre et de lumière. Enseveli dans mille dé-
On ne peut pas de l'arène monter dans l'en- licieuses rêveries, je sentais, sur la hauteur où
ceinte réservée aux spectateurs, à cause d'un je m'étais placé venir des bords de la mer un
,

mur à parapet qui sert de rempart et de sépa- vent frais et pur qui complétait mon ivresse.
ration entre les gradins inférieurs et l’arène. Ce J'offris au gardien deux louis pour qu'il me
mur a été édifié pour la sûreté des spectateurs, laissât passer la nuit à errer dans la ville; mais
afin de les préserver des bêtes furieuses qu’on la défense est formelle , et , m'arrachant à re-
excite ,
et qui auraient pu ,
en grimpant dans gret de cc beau spectacle , je trouvai , à la porte
l'amphithéâtre, porter la terreur et la mort. On opposée une voiture qui me conduisit à Castel-
voit encore «ur les bords du parapet de ce mur a-Mare.
, ,

NAPLES
Convoi. — Sonnets. — Crotte de Pausillppc. — Poussoirs. — Bain. — tlisène. — Ischia. Capri. — Grotte
— Retour à
d'.Vsur. — M61c.
IS'aplea.

Nous allions un soir à San-Carlo (je n'ai bran aurait pu établir une boutique de libraire
jamais pu m'expliquer pourquoi les Italiens avec tous ceux qu'elle a reçus pendant six se-
font un nom
de thé&tre avec un nom de saint ) maines; elle en avait pour mille livres pesant. Je
quand nous aperçûmes , au détour de la rue de me rappelle très bien que, passant à Bologne,
Tolède, quelques troupes qui arrivaient, fusils la ville des empereurs et des saucissons, je
baissés et tambours couverts d'un crêpe c'était ; m'arrêtai devant les mors de l'université, tous
le convoi d'un général. Le corps n'était pas en- placardés d'affiches : c'étaient des sonnets!
fermé, comme
en France, dans une bière re- l'un en l'honneur d’un prêtre qui avait dit sa
couverte d'un drap noir ; il était placé sur une première messe i/ suo primo sacrificio ; l’autre
:

sorte de lit de parade que l'on portait, le visage pour un étudiant qui avait passé sa thèse enfin ;

découvert, et son chapeau à ses pieds avec son j'en vis un pour un apothicaire qui venait d'être
épée; derrière marchaient lentement, en
lui reçu!.... En vérité, c’est être trop poète!... il
chantant des cantiques , des pénitents armés
y a mesure à tout.
d'une grosse torche de résine ; et, car il faisait Mais laissons là sonnets et théâtre et repre-
,

déjà nuit, ils étaient couverts des pieds à la tète nons nos courses hors de la ville.
d'un vêtement de laine rouge, et on y avait Figurez-vous un géant assis qui ouvre en les
fait des trous à la place des yeux et du nez :
arrondissant deux énormes bras c'est Naples et ;

pour nous, étrangers, c'était vraiment quel- son golfe. Naples est le corps; les deux bras
que chose de très singulier que ces hommes sont, à gauche, les bords de Portici, de Poin-
rouges et ce visage mort, éclairés par les lueurs péi, de Sorrento; à droite, le rivage de Pausi-
vacillantes et fumeuses des torches! lippc le cap Misène. Nous avons déjà visité
,

Le cortège passé, nous nous rendîmes au Portici et le Vésuve, aujourd'hui nous allons
théâtre. Je m'étais assisau parterre, et le rideau parcourir lagracieuse courbe que décrit la rive
venait de se baisser sur le second acte de l'o- droite à l'opposite du volcan.
péra , quand je sentis tomber quelque chose sur Après avoir dépassé la Villa-Rcale, si vous
ma tète ,
je me retourne, et je vois tourbillon- longez le Chiaja pendant un quart d'heure, voua
nant dans la salle d'innombrables morceaux de arrivez à un chemin taillé dans le roc c'est la :

papier blanc, pliés en deux et larges comme la grotte de Pausilippe : elle a une demi-lieue de
main. Tous les hommes qui étaient au parterre longueur, étroite comme une rue, obscure
levaient les mains pour en saisir un je pensai
; comme uii cachot, même en plein midi on sus- ;

qu'il devait
y avoir quelque intérêt à ces pa- pend à sa voûte d'intervalles à intervalles, de
,

piers, j'ouvre qu'est-ce que je trouve? un


: pâles lanternes qui jettent juste assez de lumière
sonnet! oui, en vérité, un sonnet! C'était, ce pour faire voir l'obscurité. Des charrettes, des
jour-là , la représentation d'adieu de je ne sais chevaux, des piétons passent et repassent sous
quelle cantatrice ,
et les amis étaient montés cette voûte, se heurtant sans cesse et encom-
aux quatrièmes loges, après son air de bra- brant l'étroit passage; et je ne sais pas de spec-
voure , et de là avaient répandu sur le public tacle plus étrange que d'arriver à l’entrée de la
cette pluie de sonnets qui n'était pas la manne, grotte yeux encore tout éblouis par l’é-
et les
, ,

quoiqu'elle tombât du paradis. C'est la coutu- clat du jour si étincelant à Naples de plonger ,

me. Ils ont en Italie une rage de sonnets qui va dans ce long et sombre corridor, d’entendre tous
jusqu'au délire. Dès qu’il y a à Naples un chat, ces bruits confus et inégaux, de distinguer
un chien un homme ou une femme extraordi-
, toutes ces masses sans forme qui se meuvent
naire, voilà la fontaine aux sonnets qui s'ouvre, dans cette obscurité et puis , tout au bout de
;

et Dieu sait combien il en coule. Madame Mali- la grotte, à l'autre extrémité, de voir briller

iixui rin. ( Nsrus.' -3*Liv. )


3
'.oosie
IH ITALIK PIT^TORESQUE.
comme une immense étoile le jour qui entre limant elle offre à l'œil l’aspect d'une montagne
On se croirait aux catacombes.
par rouverliire. qui s’est affaissée au milieu. Le cratère semble
Je quittai la ^p’otle, et reprenant la route (jui s’étre creusé un trou, où l'on arrive par une
longe mer, j'admirai en passant ce palmier
la pente douce; jaune, violacé, brun, rouge.
il est
jeté sur une hauteur comme un échantillon de On descend dans des espèces de petites grottes
l'Orient; la villa Barbaja, maison de plaisance chaudes comme une salle de bain de vapeur, et
bùtie dans un rocher par le fameux Impresariu, dont les parois sont couvertes de cette admirable
qui lui a donné son nom ;
le tombeau de \ irgile, fleur de soiifTre, si légère à l'œil qu'on dirait de
son laurier qui est immortel, paiH.*e qu'on U neige teinte ai brillante qu’on la prendrait
Ift ,

iH‘pluiitu quand il uicurt; puis enfin, lour« pour de la mousse cristallisée, et d'un jaune ai
nant âdroili) vers Poii 22 oles, je quittai à regret Bn et si moeUrux qu'elle fait tort aui rayons
cette rive délicieuse dont le nom même est un du soleil, ta Sulfalara occupe un espace d’envb
enebâiitemonl. Puuùlippc vient de deux mots ron une demi-lieue du circuiiférence. Je me
grt'cs; pause de tristesse. C'est prunieiiai lopg-temps sur ce terrain ai étrange
là , ^ur une petite plage appelée |a Mer- d'aspect et de couleur: çà et là un trouve euoora
gelbiJStau milieu des pécheurs simples et labo' de petits cratères qui bouillonnent t et jettent
rieux, que vécut long-temps Saunasur, poète des pierres légères à un pouce de hauteur; maii
assez remarquable quoiqu'il Ht des vers latins. dès qu'il y a éruption au Vésuve, la Solfatara sa
Ces beaux lieux lui inspirèrent des églogues tait : quand le lion rugit, tous les aiiintau« «ont
inaritioacs, pleines de grâce et de muets.
mélancolie; mais M.de Fonte'vcllc les condamna, De la Solfatara a la grotte du Chien, la route
eu disant que les berge rs étaient seuls en pos- n'est pus longue. N ous nu savez pas ce que c'^at
session (les égh^ues. (iet arrêt n'est-il pas ebar- que la grotte du Chien? Imaginez-vous uuepo*

manl? Voy<‘ 2 -vons çct droit d' aînesse des bergers tile caverne fort sombre et fort infecte, etqqi
sur les péebeurs? Cst-il un ])lu8 beau coiqi de a rbcureusc propriété de jeter ceux qui
y de-
lance eu faveur de la légitimité poétique? et meureraient dans des convulsions nerveusea
n'admirez-vons pas ce jugement solennel (pii (pii vont jusqu'à la mort. I.e gouvernement a

défend aux marins d'étr«‘ poètes de par M. de loué ce repaire à un paysan. Vous allez trouver
Fonlomdle ! ce paysan, vous lui donnez quatre paoli deuz
(
au milieu du jour, et je
J'arrivai à Pouzzoles francs), moyennant quoi
prend un petit chien il

trouvai n grand'peine un misérable ^ne pour noir, assez laid, et l'enimène avec vous à la

aller visiter le templq de Sérapis et la Solfa- grotte; vous entrez, oii met ranimai dans UQ
tara. C'est nue admirable ruine fjue le tiMuple certain coin privilégié, et le voilà qui tourne
de Sérapis. par suite de l’affreux tremblement rœil, tombe sur le dos, remue les pâtes et s'c-.

de terre de 1538, les eaux du lac Liicrln furent vanouil. Aussitôt U; malt relu relire de peur qu'il
violemment jetées sous le temple, et tout le ne meure; et puis allez-vous-en , la farce est
pavé en est encore inondé. Bien de plus majes- jouée. Savez-vousun sort plus triste que celui
tueux que eetievue de tou.s côtés, des socles
: de ce pauvre chien <pii représente celte pièco
renversés, de8colüiinesfe!ulues,d’énorme.s mor- depuis eim| ans? J'aimerais m|eiix être jeune
ceaux de marbre tout baignés d’une eau stag- |)i-eu)ier tragique, au moins on ne meurt qu'une
nante, des autels inerustés de coquillages, ver- fois par soirée: mieux vaudrait être puce tra-
doyants d'une mousse humide, enveloppés de vailleuse ou hanneton maltre-d'armes et Mu- ;

lianes; pas de toit, le ciel jMUir voûte; et puis, au uilolui-même, le martyr de la civilisation; Mu-
milieu, seules, debout ,
nues, trois grandes co- iiito(pii jouait aux dominos, n'était pas si

lonnes qui scuiblent sortir de la mer : ajoutez à malheureux <pie le chien de la grotte :cVsl le
cela un soleil éblouissant qui tombait d'aplomb pendant d*'S gladiateurs.
sur celle inasse immobile, et vous pourrez com- 11 me restait à visiter sur cette côte, Raia ,
Cii-

prendre que l’on reste là des heures entières m<‘s, Bailli, Misèiic : les souvenirs bistorr-
en eonteiiiplation. C'est si triste le grand soleil î ques abondent dans ces lieux; c'est à Cuines
Je sortis du temple pour aller à la Solfatara. La ipi’Agrip[»ine aborda à la nage, «près avoir

Sulfalara quel beau nom !) est une montagne


[
échappé aux sieuires de INéi*on; c’est à Cuiues
de souffre; c'était autrefois un volcan main- ; (pi 'était la fameuse Sibylle qui brûla le livre des
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IP^rZZ'SlLSa

TSMaSAVX

Tcn

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,

NAPLKS. Iî>

ortclps; c'cst à Gilmcs i|(io Pétrone ri- fll ou- tion ,


qui a écrit un petit livre fort rtirienx sur
vrir les veines ,
et que (iierron avait sa déli- le voyagi' d'Énée: è force <le patience et di; re-
cieuse villa; c'est de Misoiie que partit Pline cherches ,
il a retrouvé paa k pas et sentier à
l'ancien pour aller recoiuiaitre l'érupliuii ; c'est k sentier toute la marche du héros troyrn , de-
Baia <{ue les anciens allaient prunüre les eaux ; puis son débarquement sur la c6te, an cinquiè-
llorare en parle cunmie du séjour le plus déli- me livrede l'Enéide , jtisqn'n la descente aux
cieux du l'univers, et lui donne la voluptueuse anfiTS. Guidé par lui rt un Virgile è la main ,
épithète de Trfiiilœ tièdra ); c l’tait le rendei- j'allai an temple d'.\polloii, j'écoutai l’oraclc
(
vousde tout ce qu'il y avait de brillant etdr cnr- de la .Siliyllc je cueillis le rnmosu d'or dans la
,

rompu dansl'einpire rumaiii mais tous ces sou- ;


forêt .sacrée, jn jutai le gAteau à Cerbère, je
venirs d'histoire et do poésie t’effaciTent hientdt ti'aversui l'Aehrroii et lesChamps-Elysées; lu
pour moi devant la sauvage K solitaire dévasta- malheur c'rst que l'Arhéran est maintenant un
tion de ces lieux. Jamais sol n'a étalé un cada- marais où l'on élève dos hiillrea, rt lesChanips-
vre pins horriblement mutilé , sous un ciel plus Ëlysées sont un vignoble ; mais le travail ilii
pur et au bord d'une mer plus belle. Ou ne chanoine est cependant fort intéressant , couimn
marehe cpie sur des volcans éteints; partout témoin de la fidélité scrupiileuso que Virgile a
dc4 laves et des montagnes de cendre; chaque raisu à décrire ees lieux.
fuis que vous deiuondex i votre guide -Qu'est- Pour terminer mon pèlerinage je me ,
diri-
ce que ceci ?... Il voua ré|>ond: Gest un ancien geai vers le golfe de la Sibylle. Le général l,a-
cratère. Ou feu, partout du feu. Ce sont des nianpie m'avait parlé du guide comme d'un
bouleversements effroyables. Vous voyez Un lac, hoinnio fort extraordinaire, qui lui avait passé
frais, ombragé, limpitle; le lendemain vous re- par les uisins. C'était un ancien brigand de la

venez, plus du lau, l'eau a été mnsomée, ou Calabre, qui avait été arrêté, convaincu d'avoir
lancée à plusieurs lieues ;
et à la place du lac, tué aix personnes, condamné au gibet, prndii,
est sortie de dessous terre une montagne créée et qui s'étaitsauvé par miracle. Je le trouvai
en une nnit. Kt eeque je dislà n'est pas exagé- seul ,
nous partîmes. Je Euxaiiiinaia ittentivo-
ration de voyageur le Monte-Nuovo s'<‘at élevé
; ment: c'était un petit homme, la bouche fen-
en trais jours: Dieu remue celte terre comme due comme un requin, un sourire singulière-
il fait de la mer: ce sol a des leiiipètes ainsi que ment ironique , le nez long un ceil brun et un ,

rUcéan, Quelle dévastation! !,<' beau port de mil bleu, le regard éteint et voilé comme un
Misèuu s'appelle niaiiilenant Mare-Moiio. l/air oiseau immobile; son cou était légèrement
jadis si pur et si viviKant de Itaia est mqrU'l et penché; je ehen'hiis sur sa figure rt sur son
infecté; partout une population languissante et crâne chauve les lignes cl les bossesdu meurtre;
rachithiue ; des enfants maigres et hives, les mais bosses et lignes, tout me fsisait faute;
joues creuses, les yeux brillants, les cheveux ra- enfin je me décidai à le questionner, et tout
res, les lèvres pèles, et se traînant lentement en sllant à la grotte, je lui dis : — lié bien ! on
au soleil; des hommes petiiscommedes enfants, m'a dit que vous l'aviez échappé belle , et que
et ayant le ventre gonflé comme des hydrapi- la mort et vous, svez déjà fait connaissance.
qUes;u'est sur cette plage, c'est après avoir visi- — Ab ! on vous a dit cela ,
monsieur ?
bains de Néron, qu'un de uus compagnons
té les — Oui; et dites-moi ,
pour(]uoi aviez-vous
de voyage, Cliarlea de .Montalivet, saisi-d'une été rondamné ?
Bévre ardente, mourut en six jours, à iNaples, — Pour avoir tué.
entre les bras d'un ami. Pauvre jeune bouuuu 1 •— Ce n'était pas vrai?
si beaul si animé! avec une vie si belle! Nous — Si , ccceilenza.
étions dix Kran<;Bis ensemble un mois aupara- —— Cxnninent donc ?
vant ; il semblait le plus vivm'e de nutis tous ! i<it — Oui tué hommes.,
j'avais six
mourir à vingt-deux ans ,
loin de sa mùr«! loin -TT Six ! in'étrisi-je.
de son |>ays ! — Oui ccceilenza avec calme
,'
,
reprit-il
J'arrivai birntét à l'endroit où Virgile a plocé et vous eu autant ma siiriei fait à place.
son Adiéron et s<-s Champs-Elysées. J'avais fait — Ceci un peu est fort.
connaiasancc à Naplea d'un chanoine nommé — Écoutez juges. quinze ans; pas rt J'avsis
Il Canonicu Jorio ,
homme d'esprit et d'érudi- bien robuste ni bien grand, comme vous le
,

20 ITALIE PITTORESQUE.
voyez ; j*aUaîs avec mon vieux père aux champs quer un trou pratiqué dans le mur, il ajouta,
cueillir du maïs; mon père avait pour grand avec un aplomb imperturbable que c'était par ,

ennemi un de nos voisins nommé Jacomo; ce trou que Néron venait regarder la Sibylle
nous le rencontrons il se jette sur mon père
, dans le bain. Dès que nous fûmes sortis de ce
et le frappe d'une hache à la tète le sang coule; ;
souterrain mon vertueux guide me déposa à
,

je cours à notre case, je prends un fusil, je terre et me dit avec un air narquois ; Signore,
reviens, et je tue Jacomo. N'en auriez-vous pas ne dimenticate
il vostro cavallo (Monsieur, n'ou-

faitautant , ecccUenza ? bliezpas votre cheval). Je le récompensai


— Sans doute. largement, ayant un peu peur que, s'il n'était
— Jacomo tué, je m'enfuis, les soldats fran- pas content, il ne me donnât un coup de poing à
çais me poursuivent et me cernent dans une sa manière, et qu'après il ne médit Est-ce que
:

chaumière où je m'étais réfugié ;


je saute par vous nen auriez pas fait autant?
la fenêtre ,
il
y avait un Français au bas de la Le soir approchait, je pris un batelier au
fenêtre, je le tue. JN’en auriez-vous pas fait au- cap Misène, et en une heure j'étais à Ischia.
tant, eccellenza? Ischia Procida et Capri sont les plus déli-
— Sans doute. ,

cieuses lies des environs de Naples. Ischia et


,


La nuit, je reviens au village pour emme- Procida, situées en face du cap Misène, for-
ner avec moi mon jeune frère , car notre mère ment avec lui le col du golfe de Naples. C’est
était morte; j'entre, les parents de Jacomo à Ischia que se réfugia d'abord Murat en quit-
l'avaient assassiné pour se venger je cours : tant Naples; c’e.st à Ischia que vint chercher
dans la maison de Jacomo, et je tue son Bis. asile, Vitloria Colonna, marquise de Pcscaire,
lS"en auriez-vous pas fait autant, eccellenza? veuve inconsolable du vainqueur de Pavie.
— peut-être.
Mais... Vitloria Colonna fut la Beatrix de Michel-Ange;
— Chassé de montagne en montagne, atta- il a fait pour elle des sonnets beaux comme ses

qué comme une bête féroce , et traînant avec statues et ses toiles et c'est en parlant de Vit-
,

moi une fille de Pouzzoles qui m'aimait, je la toria qu'il disait Le regard de cette femme est
:

vois un jour tomber épuisée de faim dans mes le rayon de lumière qui me conduit jusqu à Dieu,
bras je demande à manger à un paysan , il
;
Je voulais aller d’Ischia à Capri ; ayant trouvé
me refuse je lui donne un coup de poing dans
;
quatre voyageurs qui avaient le même projet,
la poitrine,
je prends son pain, j'en fais man- nous louâmes, eux et moi, une forte barque,
ger a Gianetta , et puis.... ah bah il ne faut ! ! avec cinq bateliers, et nous partîmes le lende-
pas mentir , je lui ai donné un coup de hache... main à trois heures du matin. Le trajet est or-
N'en auriez-vous pas fait autant, eccellenza? dinairement de quatre heures; mais la mer
—Sans doute, lui dis-jc, fort embarrassé, étant grosse et le vent contraire, nous restâmes
et ce diable d'homme, avec son, nen anricz- douze heures en roule, maugréant, jurant, et
'vous pas fait autatiti* m'allait faire avouer que ne faisant pas que cela ; car nous étions tous,
scs six meurtres étaient 'les plus belles ac- sauf un seul, comme le don Juan de Byron, et
tions du monde, quand heureusement nous nous n'aurions pu faire une déclaration d'amour
aperçûmes l'entrée de la grotte. Elle est encore par bonnes raisons. On avait étendu des matelas
plus longue que celle de Pausilippe on compte ;
au fond de la barque, et tous quatre couchés
trois milles c’est par-là que la Sibylle .se ,r»'n-
: sur le dos, ayant au-dessus de nous le ciel
dnit mystérieusement à Gumes où aboutissait éclatant et d'un bleu foncé, voyant les vagues
l'autre entrée de la grotte, et dont aujourd'hui qui montaient jusque sur le bord de la barque
il ne reste plus qu'une porte. Le souterrain est nous relevions de temps en temps la tête pour
noir et marécageux. Mon honnête criminel crier aux bateliers Arrivons-nous bientût? En-
:

prit une torche, l'alluma et mêla remit; puis fin à trois heures de Paprès-midi nous abor- ,

il me dit de monter sur son dos, et nous voilà dâmes à Capri.


tous deux cheminant, moi armé de ma mèche L'Ile se compose de deux villages Capri :

de résine, lui jambes nues, courbé sous mon


,
proprement dit qui est situé sur le bourg de la
,

poids et dans l'eau jusqu'au genou. Nous arri- mer, et Anacapri, superposé sur le bras infé-
vâmes ainsi à une chambre de bain, qui servait, rieur à plusieurs centaines de pieds. Nous lais-
me dit-il, pour laSibyllc;piiisme faisant remar- sâmes Capri cl nous voilà gravissant bravement
,
, ,

NAPLES. 21
l'étroit et rude ctcalier de cinq cent* marches miration ;
il avait découvert la grotte bleue !

taillé dans le roc, en plein air, et qui conduit Voici le récit de notre course. Nous primes
à Anacapri. Nous primes nos quartiers chez un tous les cinq un bateau qui nous conduisit à
hâte qui vous nourrit très bien, pourvu qu'on peu près à la distance d'une lieue le long de la
apporte tout, et nous commençAmes nos ex- côte de Capri ; le batelier nous prévint pendant
cursions. Le mont Solaro eut notre première la route que la mer étant un peu grosse nous
, ,

visite; c'est la plus belle vue il'ltalie. Figurez- ne pourrions peut-être pas pénétrer dans la
vous une montagne à pic sur la mer vous : grotte. Après une demi-heure de marche, il nous
voilà suspendu sur le bord d'un rocber ; au- dit : Signori , nous voilà arrivés. Nous étiops à

dessous de vous, à quelques cents toises, la Mé- deux cents pas de la rive. Nous regardons avec
diterranée qui se brise avec fureur au pied de empressement ; rien qu'un grand rocher noir ;
cette montagne de pierres; des rochers im- mais le batelier nous fit remarquer au pied du
menses, tout droits, luisants comme une armure rocher une petite ouverture, où les flots se pré-
brunie, deux quartiers de roc, taillés en pointes, eipitaient avec fureur Ecco lagroUa, répéta-t-il,
:

qu'on appelle les Aiguilles de Capri , et qui mais l'accès est difficile aujourd'hui ; au reste,
s'élèvent comme des obélisques au milieu des consolez-vous , je connais un voyageur qui est
flots ; çà et là une verdure âpre , des arbres venu quinze fois de Naples à Capri pour voir la
vigoureux, mais courts, et sombres comme des grotte bleue, et qui ne l'a jamais vue.
cyprès puis tous les feux rouges du soleil cou-
;
— Marchons, marchons! criàmcs-nous tous
chant, tombant enflammés sur la mer étince- les cinq.
lante ,
couvrant les rochers d'une poussière
et — Comme vous eccellenze cela no
il plaira , ,

d'or; c'était vraiment magique. C'est à peu près me regarde plus.


de ce cAté que l'immortel général Lamarque, En effet , nous aperçûmes à quelques pas de
escaladant Anacapri, chassa de cette position nous un bateau plus plat et plus long que le
importante sir Hudson-Lowe, et assura la con- nôtre; notre batelier lui fait signe d'avancer;
quête de Naples. Après le mont .Solaro , nous nous passons dans cette nouvelle embarcation.
allâmes visiter le palais de Tibère , jeté sur une Maintenant, noua dit notre nouveau pilote, éten-
autre cime de Tlle, comme un nid d'aigle; de là- dez-vous de toute votre longueur au fond du ba-
haut il planait sur la Sicile ,
l'Italie et l'Ëgypte. teau, pour que votre tête ne dépasse pas le bord
Nous revînmes à notre hAtellerie le soleil était ;
et ne se heurte pas à l’ouverture de la grotte.

couché nous montâmes sur la terrasse de la


;
Noua voilà tous couchés comme des harengs
maison , et là , étendus nous passâmes une ,
en caque. Le batelier rama du côté de la grotte;
partie de la nuit à respirer la fraîcheur du soir, il faut arriver au moment où le flot s'avance
et à admirer cette étrange ville ; elle n’a rien vers l'excavation, et se faire porter par lui pour
des autres sœur ni de la
ville d'Italie ;
elle n'est entrer. Notre pilote saisit bien cet instant, mais
mauresque Venise, ni de Rome l'anüqae, ni de la vague était si forte qu'elle cn remplit toute
F'iorenccla forteresse; avec ses toits en dômes, l'ouverture ,
et nous eût brisés contre la voûte.

et scs dômes couverts en plomb, elle a quelque Nous nous relirons sur le côté. Nouvel essai
chose d'oriental; on dirait une mosquée; son nouvel échec. Enfin, à une troisième fois, notre
a.spcct est d'un effet singulièrement bizarre qui barque monte pour ainsi dire sur une vague
saisit ;
on voudrait vivre à Naples et mourir à qui semblait moins haute nous sommes à l'ou- ,

Capri. Cn Anglais vint à Capri pour y passer verture.. ..Ne levez pas la tête, s’écria le batelier;
trois jours, il v resta trente-cinq ans. puis se courbant presque en deux, il appuie sa
Le lendemain nous redescendîmes à Capri rame sur du rocher où l'eau
la paroi intérieure

pour aller visiter la grotte d'Azur. Cette grotte, nous violemment résiste , pousse
jetait trop ,

si merveilleuse que les Mille et une Nuits n'ont et enfin, au bout d'une seconde, jette un grand
pas de palais plus féerique fut découverte de ,
cri de victoire qui retentit sous la voûte... Nous

la façon la plus étrange. Deux Anglais nageaient étions dans la grotte bleue Quelle magie I !

près des côtes de Capri un d'eux voyant une


;
C'est un petit lac d'un quart de mille de circon-
excavation dans un des rochers qui bordaient férence tranquille comme un lac de montagne;
,

la rive, s'y dirigea, y entra avec la mer, une eau huileuse et transparente tout y est ;

et quand il cn sortit, il était muet d'ad- bleu ;


l'eau, les murs, le sable; mais d’un bleu
,

22 ITALIE PITTORESQUE.
ti doux et »i reposé qu'on dirait qur tout cria celui qui a su rendre le violon aussi touchant
est tapismi en dessous d'une fjaxe d'argent que la voix humaine. Notre barque nous con-
pour rendre cet asiir plut tendre et plus duisit à In sienne, et connaissance fut bientât
moelleux. L'eau a ijuinze pieds de profondeur, liée. Nous lui fîmes les honneurs de la grotte.
et vous vous penchez jiour ramasser îles co- Après les premières exclamations d'enthou-
quillages au Fond, comme si vous alliez y at- siasme, un de nous dit tout bas, mais de ma-
teindre avec la main; aucun corps, ni hanpio, nière à ce qu'il l'entendit Ah! s'il avait son :

ni homme, ne d'omhrc sur res


projette flots. violon! Le voisin répéta la phrase un peu plus
La voAte , qui est fort élevée, est un rocher tout haut, et elle arriva enfin jusqu'à lui. Alors il su
déchiré, et tout déchiqueté en slnlactites : ce baissa nous vîmes sortir du fond de la bar-
,
et
sont comiue des pointes de cristal <]ui pendent que une boite en cuir noir, qui nous sembla
sur votre tête. A l'endroit où s'arn^le l'eau sur plus belle que si elle eût été d'or. Il prend son
la paroi du rocher, brille et se déroule tout archet. Quel silence! nous ne respirions pas.
autour do la grotte, et comme pour lui servir 11 commença ; ce ne fut pas, comme on lu pense

de ceinture, un long chapelet de petits coraux bien , un morceau brillant et à variations; il


étincelants. Saisis au cœur par ce palais de fée, prit quelques chants les plus simples du la Flûta
nous étions tous silencieux, personne ne re- enchantie, et du FreysebUtz, et ils se lièrant en-
muait ; le batelier avait ahandonné
sa rame, et semble par le doux unchalnumont des sensations
la barque coulait mollement et lentement sur i{ui 1rs amenaient. Gela dura un quart d’heure;

cette eau presque immobile: pas de flots, pasdo un rit bien des années avant de retrouver un
balancement, pas de brise, pas de sillage; un semblable moment. '
• .

silence profond, solennel, comme dans une Il fallut partir cependant ; nous reprîmes

église la mer cllc-inémc, qui s'élance avec tant


;
donc notre route versGapri et une heure après ,

de fracas a l'entrée de la voûte, s'apaise en y nous voguions vers Naples.


pénétrant, et glisse sans bruit dans le lac, Il était quatre heures environ ; le ciel était
comme saisie, elle aussi, de respect
et de crainte. clair et pur, mais la brise fraîchissait, et la
Kous étions là depuis un quart d'heure en con- mer commençait moutonner. La journée de
à
templation ,
personne n'avait songé à dire
et : la veille avait été féconde en inconvénients , et

Que c'est beau! Enfin nous nous retournons l'un couchés au fond de la barque sur des matelas,
vers l'autre; un cri nous éeJiappc en nous re- nous attendions avec anxiété le iiioment fatal :
gardant: nous étions bleus, le batelier était bleu, rien ne lie comme le mal de mer; on se con-
la barque était bleue , nos visages nos vête- , naît plus quand on a souffert sur l'eau ensem-
ments étaient bleus! Nous apcrrcvoiis nu fond ble une demi-heure, qii'après dns anné-es de
de la grotte une sorte d'uiifiiuremeiit fort ob- relations sur la terre ferme nous étions donc :

scur; nous nous y faisons conduire; la bai-que tous les cinq, les meilleurs amis du monde.
aborde: c'étaient des mniches brisées, désunies Alors un de nous s'écria, sans lever la tête ;
par l'eau , et couvertes d'une mousse noire ; — Ecoutez, je crois qu'il y a un moyen do
nous les montons elles conduisaient à une ex-
: ne pas souffrir.
cavation sombre et humide., où il serait dange, — Lequel! lequel!
reux de pénétrer. On prétend (|u'il y avait là un — de chanter de Gapri Naples.
G' est à (
Il
y
escalier communiquant avec le palais de Tibère, a dix lieues environ.)
et qu'il faisait des noyades dans cette délicieuse . — Quelle plaisanterie!
grotte. Nous nous placions à' peine dans cet — Du tout, ne plaisante pas, je j'en ai fait
enfoncement, pour examiner dans son ensemble l'expérience.
ce palais enchanté, que tout à coup nous voyons . — Allons donc!
s'obscurcir légcrcraeiit l'uiiverlure de la grotte. — Essayez.
— Voici une autre luirque. nous dit le liatelier. Cela dit , il entonne a haute voix je ne sais
En effet nous entendons le cri de victoir»'; un
, quel chant de Rossini; les autres suivent, et
bateau se présente et pénétré. Deux personnes voilà que commence un concert à peu jvrèa
couchées au fond se lèvent c'étaient deux: aussi harmonieux que celui de Jean-Jac<|ucs;
hommes, l'n de nous s’écria Hériot! G était : l'uii chantait un air d» Mozart, le second gla-

lui ,
en effet, c était le Jeune rival du l’agauiiii, I
pissait du Weber; celui-ci dans un ton, celui-

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JtAlPl.SC

XX VeNr^ A BATA .

tftar r-tTf*” BrmBÜ CXm 9A:?I3 LX nf-X-.» A C'Al'KI .

Digitized by Google
, ,

NAPLES. 23

là dana l'autre; tous criant cotmno les sourds misérables, qui ne perdaient pas une syllabe , et
frappent. Dès qu'une voix s'arrêtait : qui revenaient toujours, car souvent un réoit

Allons donc! courage! lui disait-on on prenait deux ou trois séances ;
ce jour-là il
y
chantant car ou chantait tout; on chantait doU’
,
avait une histoire en train.
ne^-moi l'enu^ sur l'air de di taiili pa/piti et Il de queh|ue Amazone
s'agissait, je crois,

frottez-moi let tempes avec l'cntrcc do Chéru- <|iii fendait la tête à son amant c|u'elle ne re-
,

parmi noua qui était valide connaissait pus; l'improvisateur était debout
bin. 11 y en avait uii

et sain , et il allait de l'un à l'autre, secourant parlant avec grands gestes du bras et grands
les faibles, désaltérant les secs et soutenant lus roulements d'yeux montrant le eiel frap-
; ,

défaillants ;
c'était un vacarme, inconcevable, un pant du pied la terre, et faisant surtout l'air
mélange d'éclats de rire, d'éclats de vois et sons tendre et défaillant quand arrivait le mol amor
de poitrine très caractéristiques ; les bateliers ou Tout à coup, au moment le plus pathé-
dolar.

nous regardaient ébahis et nous prenaient pour tii(ue du son récit, il avisa notre groupe caché

des fous; enfin, apres deux heures de traver- derrière tout le monde ; il vit que nous avions
sée, et à force de vinaigre et de cavatines, nous des chemises; ce ne sont pas de mes pratiques
arrivâmes pres<|uc sains et saufs à Aaples; et ordinaires, se dit-il et alors, sans s'inquiéter de
;

croyant désormais à la lyre d'Amphion, qui n'a- |a princesse, il saute légèrement par-dessus ses
vait fait apres tout que bâtir des maisons. Les auditeurs assis par terre, et arrive droit à nous
bateliers nous abordèrent au luAle. I.e môle en tendant la main avec mille singeries sup-
avancé en saillie du rivage dans le bassin du pliantes; mais ne croyez pas qu il nous regar-
port, et exhaussé en pierre à quelques pieds de dât; du tout, c'est à notre |>ochu qu'il s’adres-
l'eau, est le lieu de promenade des curieux qui sait, il la caressait de l'uiil, il lui faisait des

viennent y respirer le frais c'est là qu'est élevé ;


gestes, il lui parlait : la poche répondit. A peine
le phare; la situation en est belle à droite, le ; eut-il levéson impôt qu il sauta do nouveau ,

Vésuve, en face, tout du


le golfe. .Sept heui'es par-dessus les têtes des lazzaroni qui ne bou- ,

soir venaient de sonner quand nous arrivâmes; gèrent pas ;


et ,
riqirenaiit son désespoir à l'en-
c'était un samedi ,
et il y a foule chaque samedi droit où il l'avait laisse, SC mit à' chanter l'.\-
sur le niAle ,
car cc jour-là se réunissent les mazone comme s'il n'avait pas été interrompu,
trois sortes de bateleurs : les polichinelles, les avec le même feu avec la même passion. Nous
,

improvisateurs, et les prédicateurs en plein partîmes en riant, charmés de la prestesse de


vent. Les polichinelles ressemblent beaucoup ce chanteur, lù surtout de la grave attention do
aux nôtres; c'est toujours l'imperturbable chat ses auditeurs en guenilles. Allez donc dans un
gris avec sa chaîne au cou , assis gravement carrefour chanter des poèmes en vers aux ga->
dans le coin du théâtre, le commissaire et sa mins de Paris !

robe noire, poljohinellc et son couic. Nous pas- Il n'y avait guère que des hommes autour de

sâmes outre, et, entendant des éclats de rire cc sgricci amhiilunt mais en nous retournant ,

très aigus à quelques pas de nous, nous allons nous apei\i'imes un groupe do vieilles femmes
grossir un cercle de curieux. pressées avec beaucoup de peuple autour d'un
C'était un improvisateur. Autour de lui, assis homme en relie noire, criant ut gesticulant avec
par terre, en rond, jambes nues, têtes nues, bien plus de feu encore que le chanteur. C'était
et jouant avec le sable, des lazzaroni de tous un préilieateur. Tous les samedis , il fait au
les âges, depuis cinquante ans jusqu'à six et ,
peuple un sermon en plein air , t|ui porte fort
qui écoulaient religieii.semeiit ce que racontait bien son fruit. Dès ipi'on craint <|Uelquo mou-
lebeau parleur. C'était un grand jeune homme vemeut dans la populace vilo un grand sermon
,

brun, les yeux vifs, d'une figure assez belle, public, et ce di.scuiirs leur calme le sang. Il pa-
etne portant ni oripeaux , ni dorures ni lam- ,
rait que ce jour-là il
y avait danger, car le pré-
beaux de satin, comme nos saltimbanques. Il dicateur criait très fort. Nous nous approchons,
leur faisait des récits, à'ia manière del'.Arioste, lleureuseinent il lie faisait qu'entrer en chaire,
de chevaliers et de princesses de lances en- ,
c'est-à-dire (|ii'il venait de monter sur s«
chantées, de palais de diamants, le tout puisé table, \ oiei à peu près ce sermon, qui peint
dans de vieux poèmes nationaux chaque soir il ;
bien le caractère napolitain ;

parlait pendant plusieurs heures de suite à CCI «Mes chers amis, leur dit-il, il faut que jt
— ,

24 ITALIE PITTORESQUE.
vous raconte un prodige; cette nuit, étant par- « Je remercie saint Pierre, et je sors du para-
faitement éveillé comme vous l'étes en m'é- dis, bien triste de n'avoir pas vu notre glorieux
coutant, j'ai senti deux mains qui m'ont pris patron. Je n'avais pas fait deux cents pas, que
sous les bras, je me suis enlevé comme si j'avais j’aperçois par terre ,
à droite de la route ,
un
eu des au bout de quelques minutes,
ailes, et homme courbé dans la poussière ,
les vêtements
j’étais dans Les deux mains étaient des
le ciel. déchirés ,
le visage tout souillé ,
et le corps
anges. Je fus d'abord un peu effrayé mais ,
caché dans les buissons. Je m'approche c’était ;

bientôt je me dis Per Bacco , puisque je me: saint Janvier. — O grand saint m’écriai-je en
,

trouve dans le paradis , il faut que j’aille saluer me jetant à ses genoux, que faites-vous là, dans
le grand saint, protecteur de notre grande ce misérable état? Alors il me dit d’une voix
ville ,
le glorieux saint Janvier. » sombre, et en pleurant: Je ne puis plus rester —
A ce nom ,
le peuple applaudit ;
le prédica- dans le paradis, les crimes des Napolitains m’en
teur reprend ; • Je voulais demander le chemin chassent. Tous les jours j’apprends qu’ils volent,
à mes anges, mais ils étaient partis j
me voilà qu'ils tuent
,
qu'ils pillent. Les autres saints
donc tout seul à courir et à chercher dans le m'humilient. Saint Paul me dit :Tu es le patron
ciel.O mes amis! que ceux qui iront seront des brigands Marc me dit Tu es le pa-
;
saint :

heureux! Figurez-vous des rivières d'acqua tron des impudiques saint Georges Tu es le ;
;

gclata , des montagnes de pastèques et des ar- patron des assassins. Ces affronts m'ont navré le
bres de macaroni!» cœur ; je suis sorti du paradis je me suis mis ,

Tous les lazzaroni remuaient les lèvres à dans la poussière, sous ce buisson, et j’y resterai
cette description d'un paradis de Napolitain. tant que les Napolitains ne se corrigeront pas.
Enfin , je rencontre un beau jeune homme à • Ainsi, mes amis, s'écria le prédicateur qui
la chevelure rousse; je pensai que c’était le pleurait ,
cet auguste ,
ce saint, cet illustre ,
ce
grand saint Georges, patron de l’.\ngleterre. puissant protecteur de notre ville est chassé du
Grand saint, lui dis-je, je voudrais savoir où paradis !... par vous! par vous,
aime tant qu'il
demeurent messieurs les saints. 11 m'indique que saint Pierre lui-même me l'a dit. Voulcz-
le lieu où je dois aller. J’arrive. — Je voudrais vous qu'il reste toujours le visage dans la pous-
parler à l'illustre saint Janvier, patron de la sière ? Cela ne vous touche-t-il pas de penser

grande de Naples.
ville Saint Janvier n’est — qu'il demeure ainsi courbé quand il pourrait

pas ici passez au conseil de Jésus-Christ. manger du macaroni toute la journée! Ah!
;

• Je vais au conseil pas de saint Janvier. ;


— jurez jurez de ne plus tuer , de ne plus voler,
!

il est peut-être, me dit-on chez le Père éternel. de ne plus piller... »etc., etc.
Je vais chez le Père éternel
,

;
personne. — Je Les lazzaroni éclatèrent en bravos terribles;
crois , me dit alors un petitange que je l'ai vu et pendant quelque temps ils laissèrent leurs
,

causant là-bas avec la santa Madona. J y cours. couteaux dans leurs gaines et leurs mains dans
Iln’y était pas non plus. Vous sentez, mes amis, leurs poches. On criera peut-être au mensonge
que j’étais désespéré. Enfin ,
pour dernier es- en lisant ce sermon mais que l'on songe qu'il
;

poir, je m'en vais trouver saint Pierre. Saint y a encore dans un petit village des environs
Pierre est le portier du paradis, me dis-je, il de Naples, à Pouzzolcs, je crois, une vieille
saura où est saint Janvier. J'entendis un bruit femme à qui quelques misérables font une es-
de clefs. Voilà saint Pierre. pèce de pension parce qu’elle est pareille de
,

— Grand saint Pierre ,


savez-vous où est le saint Janvier. Allez à Naples, allez au mêle,

glorieux saint Janvier? examinez ces visages si attentifs, si persuadés,


— Janvier?
Saint dans il doit être le paradis, si enthousiastes, et vous comprendrez
,

que cela
je ne pas vu
l'ai sortir. soit vrai. Le mêle! c'est Naples tout entière;
— Je cherché partout sans jmuvoir
l’ai le Naples mendiante Naples poétique ,
Naples ,

trouver. crédule, Naples insoucieuse! De l'eau et de la


— Attendez donc! attendez donc! en voilà, brise! un polichinelle un chanteur! un prédica-
!

effet ,
long-temps que je ne l’ai aperçu. Il va teur! et au fond, le Vésuve, étincelant, avec
souvent sur la terre, pour visiter son bon ses détonations pour accompagnement aux
peuple de Napoli qu'il aime tant; et il est parti lazzis du paillasse, et aux métaphores duBour-
depuis trois semaines. daloue en guenilles. Ë. LEGOUVi.
,

NAPLES
CaitelUmare. — Somnto. — Anul0. — Pntom. — La Can.

Ouvrez les malles d’un Français jeune qui comme nous nous promenions dans d’espace
part pour vous n’y trouverez ni Dante,
l’Ilalie, laissé libre autour du parterre, nous distin-

ni Guicciardini ,
meme l’Ariostc ; mais force
ni guons une voix de femme partie du rez-de-
habits élégants, des bijoux, des provisions de chaussée, et qui dit assez haut en nous regar-
gants, tout l’attirail d’un Lovelace en voyage. dant Due Francesil denx Français! Puis
Les romans nous ont fait les Italiennes si pas- au bout d’un quart d’heure, étant dans notre
sionnées et si impétueuses, que nous partons loge, nous entendîmes frapper un coup léger;
tous en rêvant duchesses et marchesa, comme et un Napolitain de nos amis entra, et nous
on dit maintenant nous allons en Italie comme
;
prévint que la duchesse de *** l’avait prié de
à un rendez-vous. Une fois arrivés, pas une nous présenter à elle le lendemain. Une du-
fenêtre mauresque derrière laquelle nous ne chesse! c’était bien cela! qu’elle joie! Noos ac-
cherchions quelque Desdemona pas un bal où
;
ceptâmes , comme on le pense bien ; chacun de
nous ne voyions des Juliette; et il nous a été nous convaincu de son cdté que c’était lui que
tant parlé des yeux noirs et des coups de poi- la duchesse avait remarqué. .. et de là bien des

gnard des Italiennes, qu’à chaque coin de rue châteaux en Espagne : l’amour-propre est un
on s’attend à être enlevé , et qu’on prendrait si habile architecte!
volontiers un second comme pour un duel. Le lendemain , deux heures avant le moment
Tous les hommes se ressemblent, et j’avouerai de la présentation , noos étions à notre toilette.
que je me disais tout bas : Je serais bien mal- Rien n’était assez beau ; il n’y avait pas de par-
heureux si Je ne trouvais pour ma part quelque fums assez exquis , pas de vêtements assez
pauvre princesse; je voulais même bien des- frais. Chacun de nous disait à l’autre « C'est :

cendre jusqu’aux comtesses , à cause de la Guic- vous qu’elle a remarqué; » et par une affecta-
ciolti mais j’étais fort décidé à ne pas me com- tion de modestie , c’était à qui de nous deux pa-
promettre avec les baronnes. Je rencontrai à rerait son compagnon; j’avoue même que je
Naples un compatriote spirituel et fringant , et poussais ce petit mensonge très loin je lui fri-
:

le soir nous cherchions les aventures. On ne sais sa moustache, je mettais le je ne sais quoi
fait pas un pas dans les rues de Naples sans à l'économie de sa coiffure ; je disposais le nœud
rencontrer quelques misérables appelés ruf- de sa cravate. Je lui répétai sisouvent que sû-
fiani, qui, un petit œillet sur l’oreille, vous rement il serait le héros de cette aventure, je
abordent avec cette phrase : Signer, vi place mis tant de soins à le faire heau, que je finis
la nioglie d’ un capilano ? Si vous faites les dé- par m’en convaincre moi-même. Au moins, me
daigneux , ils vous offrent la femme d’un colo- disais-je,
si je ne suis pas le favori d’une du-

nel; si cela ne vous satisfait pas encore, ils chesse napolitaine je serai l’ami de son favori
,

vous proposent l’épouse d’un général ; et je me et c’est encore très bien. Nous partons. En
rappelle qu’un de ces drêles eut l’effronterie de route, je lui répétais : « Surtout soyez bien ai-
nous dire que , moyennant dix piastres , il nous mable, bien brillant J’amènerai la conversa-
!

présenterait à l’ambassadrice d'Espagne. Notre tion sur la régence, et alors en avant les his-
fatuité ou notre confiance dans les romans n’al- toires de soupers , de roueries , etc. De l’esprit!
lait pas jusqu’à croire que toutes les marquises de l’esprit ! il que du feu. »
faut qu’elle n’y voie
napolitaines étaient des Isabeau , et d’ailleurs Notre voiture s’arrête; encore un dernier coup
nous voulions être pour quelque chose dans de main , et nous entrons.
qotre succès. EnGn un soir, à San-Carlo, La duchesse nous attendait; elle touchait aux
HT. Itsux htt. (Nin.li. — 4* Lit.)

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, , ,

26 ITALIE. PITTORESQLE.
(rente-six ans,
el avait le teint légèrement oli- Savez-vous comment l’on va de Castellamare
vâtre nous désenclianta un peu ; mais
;
cela à Naples? En omnibus! Ce que je dis est vrai.
après tout, une duchesse est toujours belle; et On passe en omnibus par Portici, par Résina,
au bout de cinq minutes nous lui trouvions une près de Pompéi; et la route, qui a deux pieds
peau de lis. Elle nous fit ellc-méme les hon- de poussière est semée de manchots , de ladres,
,

neurs de son palais; c’était un séjour royal ;


il de blessés, et ressemble à un hôpital en plein
avait coûté 1200 mille francs; des statues de air. Il y a surtout beaucoup d’aveugles, et, ce
Canova, des planchers de marbre, des murs qui est étrange c’est que ces aveugles courent
,

peints à fresque ; un lit en moire bleue avec à toutes jambes après les voitures et les pas-
des rideaux de dentelle retenus par une cou- sants. Pour ce, voilà comment ils font. Ils ont
ronne de duc; un petit boudoir tout tendu en avec eux un petit garçon ; dès qu’il passe quel-
satin rose , et au milieu une fontaine qui lançait qu’un , l’âveugle met la main sur l’épaule de
des eaux de senteur exquises ; nous étions dans son guide ; le guide prend le pas de course , et
le ciel.Cependant la princesse car à chaque l’aveugle le suit, toujours appuyé sur son
pas gagnait un titre dans notre imagina-
elle épaule , et criant la carità ! à briser tous les
tion nous avait à peine parlé durant cette pro-
, tympans.
menade dans ce palais d'Armide, et elle avait Castellamare est situe à quatre lieues de Na-
converse tout le temps avec notre ami napoli- ples ; c’est le rendez-vous des
familles opulen-
tain; nous avions en vain épié un regard ré- tes , qui vont y prendre les bains de mer et y
vélateur rien , absolument rien C'est de la
: ! chercher un abri contre les chaleurs de la ca-
prudence, pensions -nous; et nous reconnais- nicule. Placé sur le bord de la Méditerranée
sions bien là oette profonde dissimulation que au pied d’une montagne , ce petit bourg est dé-
joignent à la passion.
les Italiennes fendu des ardeurs du soleil par une foret de
Enfin on passe dans la salle à manger. Elle châtaigniers qui s’élèvent sur la pente de la

nous place à sa droite et à sa gauclie. Voilà le montagne dont il est abrité. Rien de plus char-
moment de briller. Je fis un signe à mon com- mant que les promenades à cheval dans ces bois
pagnon; c'était le coup d'archet du chef d’or- épais l’ombrage est ce qui manque en Italie;
:

chestre; puis je dis à notre illustre hôtesse : souvent au milieu des pins de la campagne de
,

a Quelle ravissante salle à manger ! on se croi- Rome, des lagunes de Venise, des montagnes
rait à Trianon !... n’est-il pas vrai, mon ami! » bleuâtres et veloutées du royaume de Naples
Mon ami sourit la duchesse nous regarde , ne
, je me suis pris à regretter nos riches feuillages,
répond rien , et recommence la conversation nos majestueux massifs sous lesquels l'aii^est si
avec les autres convives. Je fais une nouvelle frais , et où les oiseaux cliantent si doucement :

tentative, même succès. Le temps s’écoule, le j’étais las de soleil ; mais trouver près de la baie
dincr se passe , puis la soirée; toujours le même de Naples ombreuses de Mortes-Fon-
les allées
silence. J’espérais encore, trouvant cependant taines ;
voir la mer
et le ciel italien à travers
un peu loin l’art de Machiavel,
qu'elle poussait les branches d’une forêt du Nord, n’est-ce pas

quand à la fin elle s’approche de mon compa- un vrai enchantement? Souvent je montais
gnon, et lui dit « Monsieur, pourriez-vous
: une lieue ou deux dans le bois pour aperce-
me dire si Derepas demeure toujours au Pa- voir une plus grande étendue de mer. Il y avait
lais-Royal je voudrais lui écrire pour une lor-
,
surtout un petit sentier, à droite, à côté d’une
gnette. » fontaine , d'où le spectacle était magique ; et je
Après ce mot , je me levai et nous sortîmes. restais là des heures entières à admirer au-des-
Une fois dans la rue, il me prit un fou rire sous de moi cette immense Méditerranée qui
inextinguible, en voyant ainsi tous nos châ- s’étendait à plusieurs milles, si étincelante,
teaux par terre. Mon compagnon était un peu qu’on eût dit une mer de flammes; à gauche,
moins gai, parce qu'il avait eu plus d'espoir; Capri , qui se dessinait comme une masse pins
et , en rentrant il me dit k Ne trouves!- vous pas
: sombre; et à droite Naples, semblable à une
qtic Naples est une ville bien ennuyeuse? Allons vapeur blanchâtre entre l’azur du ciel et celui
h Castellaniarc. — Allons à Castellainarc, répon- de ta mer.
dis-je ;
» et nous partiincs le lendemain. On parle beaucoup du ciel de Naples; et, à
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UTi

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NAPLES. il
entendre certaines gens, Dieu aurait fait pour menade la femme qu’il accompagne tombe de
ce ciel d'autres couleurs que pour le nôtre. J'ai cheval, c’est un jrtiulor, et tout le monde de
cependant vu sur le quai Malaquais , entre la fuir.Mais comme le quinquina guérit de la

rue de Seine et le Pont-des-Arts , de plus riches Gèvre, et que le paratonnerre garantit de la


couchers de soleil que dans toute l’Italie. Quand foudre, il
y a un remède contre la jettaturai
le jour s’éteint au milieu de cet amoncellement c’estune petite corne en ivoire on en corail que
de nuages qui se pressent à nos horizons d’oc- les femmes suspendent à leur cou et les hom-

cident, la lumière a des reflets bien autrement mes A leur montre. Dès qu’un jetlalor vous re-
vigoureux , des contrastes bien plus magnifl- garde, tournez vers lui la pointe du votre
ques que dans ces soirées méridionales où l’as-
,
corne, et le ebarme est rompu. Dans les ap-
tre décline au milieu d’une atmosphère aussi partements on met toujours pour le même ob-
éclatante que lui-même. Le noir et le brun jet, d’énormes cornes de bœuf qui peuvent
manquent aux ciels d’Italie, comme les arbres avoir dix pieds; enfln, comme on n’est pas
à ses campagnes ; mais ce qu’il y a d’inexpri- toujours cbez soi , et que chez les autres on
mable et de ravissant, c'est une transparence peut ne pas avoir de corne A tourner vers le
d’air qui rapproche les objets les plus lointains ; jeltalor, il est encore un moyen de détruire le
c’est un éther si pur, si lumineux, si léger, si sort , c’est de rompre la colonne d’air entre le
mobile, que la liuuière est un plaisir, et qu’on sorcier et vous. Ainsi, vous êtes A table, un
est heureux de voir rien que pour voir. Après jettator vous regarde ; lancez-lui votre tasse de
ces courses sur la montagne , je redescendais à café à la Ggurc, et soyez sûr que vous ne cou-
mi-côte au casin du roi; les jardins en sont rez plus aucun risque. Il est vrai qu’il pourra
beaux et bien tenus, et on l’appelle qui si sana vous en demander raison et vous tuer mais , ;

( icion guérit). Les soirées se passaient à Cas- du moins ce n’est pas du la jeltalura que vous
tcllainarc ; on
y jouait la comédie, et surtout le mourrez. Nicolas Valletta a fait un livre sur la
vaudeville : du Scribe ,
toujours du Scribe ! Il jeltalura, intitulé Cicala sut fascina, volgar-
n’y a pas une de scs pièces qui n’ait été tra- mente delta la jeltalura. Dans ce petit traité il

duite et représentée; cai'lcs ibeàtrcs italiens prétend que celte croyance remonte A la plus
vivent de nos comédies, comme les nôtres vi- haute antiquité. On cite aussi de lui une jolie
vent de leur musique. A Naples, aux Fioren- inscription en dialecte napolitain, qui était
tini, j’ai vu Dominique le possédé, et je me autrefois dans un cabaret de Pausilippe; la
rappelle qu’A Milan une troupe d’amateurs voici :

jouait le vaudeville tous les samedis. J’y allai Amki allief^re magntmmn e be\‘immo
, ;

par curiosité; leur jeu étincelait de verve et Fin chc n'ci iLace uogUo a U lucerna :

de naturel leur salle , grande comme celle d’un


;
Clii 9M l’a l’autro luuono u’ci vediniiuo?
<le nos petits théôtres, était encombrée de mon- Cbi la l’a l'autro luuuao u'c’è taverna?

de ;
et, ce qui me frappa, c’estque, pendant a Aojii ,
buTont et mangooas joyeusement, tant qu’il
toute la représentation, il n’y eut pas un quo- y a de l'huile dans la lampe. Qui sait ai dans l'autre
libet de la part des spectateurs. Les Italiens, monde nous nous rcTefrons ? Qui sait si dans l’autre
monde U y a une taTcrnc?
en meme temps qu'ils ]>étillent de feu et de vi-
vacité , sont des hommes graves et de bonne De Casicllamare à Sorrento, la distance est
foi ;
ils prennent tout simplement , et il n'est très courte. Sorrento est la ville des orangers.
pas de nation moins moqueuse. Avec scs rues montueuses et pierreuses elle
,

Outre la
y a une autre manie A
comtklic, il offre un aspect plus pittoresque que Castella-
CAstellamarc et dans tout le royaume de Naples, mare. On ne peut pas se dispenser , quand on
c’est la jeUifluia. est A Sorrento, d’aller visiter la maison du Tasse;
Ils s’imaginent que certains individus ont le et je vis, dans un enclos d’orangers et de lau-
pouvoir ou le don de jeter des sorts sur tous riers, l’emplacement de la viüa où il était né.
ceux qu’ils rencontrent ou avec qui ils vivent ; Mais j'avais entendu les Italiens parler du
de là le mol jeUator, du verbe jettare, jeter. Tasse avec si peu d'admiration , que mon émo-
Si un homme regarde d’une certaine façon , s’il tion fut très médiocre. Chaque peuple a pres-
a une physionomie étrange , si dans une pro- que toujours deux phares,' deux grands génies
,

28 ITALIE PITTORESQUE.
dont il fait alternativement son idole ;
les Alle- c'était pour Dante , et non pour leur amour-
mands vont de Goethe à Schiller, et de Schiller propre, qu'ils bataillaient.
à Goethe ;
pour Schil-
l'Allemagne actuelle est On trouvera peut-être un peu de futilité
ler; le xviii* siècle élevait Racine aux nues, dans ce long travail sur les commentaires, et
nous l’avons rabaissé au profit de Corneille; les on accusera ma Société dantesque d’être [lédan-
Italiens nomment le Tasse ou Dante ; ces varia- tesque; mais qu’on songe h ce <]ue sont les Ro-
tions dépendent de la position intellectuelle et mains aujourd'hui. Les grandes familles ro-
politique d'un pays : aujourd'hui ,
en Italie , ils maines sont toutes pauvres. Pour les engager
renient la Jérusalem, et Dante est leur Dieu. à ces admirables palais qui décorent Rome,
liàtir

Pendant que j’étais à Rome, il sc forma parmi les papes des sirèles jirécédents leur ont prêté
les jeunes gens des plus hautes familles romai- des sommes immenses hypothéquées sur leurs
nes une société où se commentait le Dante. Ils biens, avec des intérêts usuraircs; peu à peu
voulurent bien m'y admettre. On .sc réunissait CCS intérêts se sont accumulés, et la tiare est
deux fois la semaine à midi. La société sc com- devenue tutrice de toutes ces propriétés dépo-
posait de dix ou douze membres. Voici comment sées entre scs mains comme gage. Le pape
les séances étaient organisées. On convint qu'à nomme pour les régir, avec de forts appointe-
ch.aquc réunion on examinerait un chant ,
et ments, un sous-tuteur, qui en charge un ad-
que chaque membre à .son tour serait chargé ministraleiir, qui paie un homme d’affaires ; et
de préparer le travail. Tous les membres ras- les plus riches fortunes succombent sous tant
semblés, celui qui était professeur ce jour-là de protecteurs; de là une position affreuse pour
montait sur un siège un peu plus élevé que les CCS nobles jeunes gens ils ont des palais royaux,
:

autres, et commençait d'abord par lire le chant des galeries de tableaux inestimables, et ils lo-
qu’il avait examiné, avec la prononciation la gent dans leur grenier, car rien de tout cola ne
plus pure et la plus accentuée. On connaît le leur appartient. Il est tel descendant des Boni-
proverbe , La lingua ioscana in una bocca Ra- face ou des Grégoire qui n’a pas mille écus de
mona. Quand par hasard il sc trompait dans revenu ; viennent ensuite les exigences de leur
sa manière de placer l'accent ,
un des a.ssistants nom. Une noble dame romaine serait déshono-
le reprenait. La lecture finie , commençait l'ex- rée si elle n’avait pas <lc carrosse; elle a donc
plication avec les commentaires il
y a eu des : ntl carrosse, et sa famille vit comme une fa-
volumes de commentaires sur la Dieine comé- mille d’ouvriers; leur demeure est un supplice
die. Le jeune homme qui parlait, analy.sait et |K)ur les héritiers de ces hautes maisons. Ajou-
examinait toutes ces scolics, les critiquait, les tez à cela une stagnation littéraire et politique
comparait entre elles; et, les motifs de son opi- désespérante; pas de presse, pas de livres, la
nion bien posés, établissait le sens qui lui sem- censure coupe tout; que voulez-vous qu’ils fas-
blait le meilleur. A côté de lui étaient deux mem- sent? il faut bien aimer quelque chose dans ce
bres qui avaient aussi préparé ce travail ,
et monde. Hé bien, ils aiment Dante; ils se jet-
qui étaient scs contradicteurs. Dès qu’il avan- tentdans le p,xssé et s’y accrochent. El j’avoue
çait un sentiment erroné à leur sens, la discus- que pour moi , je me jircnais singulièrement
,

sion commençait on lui opposait d’autres textes,


; pour ces hommes si malheureux, et
(l’intérêt
d’autres commentaires, et, peu à peu, les ima- vivant de leur admiration pour un grand
ginations sc montant, de chaque coin de la homme; se passionnant pour celle pocsie si
salle partaient des objections ;
les rypomses se grave, si austère et si italienne avant tout,
croisaient en tous sens : le professeur, attaqué (àminie ilsont une intelligence fine cl exquise
souvent de quatre ou cinq côtés à la fuis avec du beau ! Je me rappelle qu’à une séance on
une vivacité toute méridionale, répartait à tous s’occupa du chant de l'rancescui hé bien, quand
;

sans s’émouvoir. On
ne peut sc figurer com- le lecteur arrive à ce vers si simple et si lou-
bien de mots spirituels , combien de saillies pé- chant ;

tulantes et originales jaillissaient de ce conflit ;


Quel giorno più non vi leggemo avante
mais ce qu’il y a d’étrange, c’est qu’au milieu
de ce feu de discussion , on n’ciitciidait jamais la voix lui manqua, il devint piilc, cl je vis
ni un mot amer, ni une plaisanterie mordante ; (Xiulcr dts larmes des yeux de tous ceux qui l’é-

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i ,

NAPLES. 29
coulaient. Ces hommes
aTaient lu ces vers cent geant ;
et l’eau était si pure et si transparente,
depuis leur enfance, et ce-
fois, ils les savaient que je les apercevais long-temps encore nageant
pendant ils ne pouvaient pas les entendre sans sous les flots ;
puis l'un d’eux paraissait élevant
pleurer. Quelle belle et poétique organisation ! en l’air la pièce d'argent, et alors grands cris de

et qu’on est heurcu.v d’èire poète quand vos joie et de triomphe. Certes , il n’y a pas de plus
vers s'adressent h de telles oreilles. beau morceau de poésie écrite que l Invocation
Nous voilà bien loin de Sorrento; mais celte à l’Océan ÿe Cliild Harold hé bien, cette foule
digression n’en est pas une, puistpi'ellc sert à de corps jeunes et beaux , au milieu de celte
faire connailrc le coté intellectuel de l'Italie. mer écumeuse me , semblait mille fois plus poé-
De Sorrento je me rendis, par la montagne, tique. C’est qu’ils out des formes si belles et si
à Amalfi. La roule est rude, .semée de rochers, nobles! Quelle élégance dans leurs membres
et il faut plus de sept heures de marche vigou- nus! Des jambes si fines et si vigoureuses!
reuse j’arrivai le soir. Amalli, jadis républi-
;
une peau si dorée et où le sang circule si vive-
que puissante et guerrière , n’est plus aujour- ment! des muscles si accusés et cependant si
d’hui qu’un village admirable par sa position arrondis! Et, en les regardant, je pensais
pittoresque, et fameux par son macaroni. La à ces longues bandes d’écoliers que nous ren-
seule trace de sa grandeur est la cathédrale, où controns dans notre Paris , allant au collège
l’on retrouve de belles colonnes de granit , un avec leurs figures hâves et maigres, leurs yeux
vase antique de porphyre, et deux sarcophages brillants ,
leurs habits désordonnés, frissonnant
antiques. Mais il y a encore , ce qui vaut mieux sous notre ciel rigoureux; et je me disais ; Que
que tous les monuments et tous les temples du je voudrais bien renaître à Amalfi ,
et ne jamais
monde , la plus belle nature humaine et maté- apprendre à lire !

rielle. Je partis malin à cinq heures, cl je


le Je me fis alors .servir à déjeûner. Comme le
longeai toute la côte dans une barque. C’est un soleil était très ardent , on me mit sous une
enchantement; toute celle côte est un paysage couverture de paille tapissée de toiles d’arai-
deSalvatore en pierre. Des rochers noirs, verts, gnée ,
et l’on me donna ,
sur une table de bois
bleus , gris , taillés à grands coups de hache , et du jambon cru et des ceufs. Bientôt, à l'odeur
semés de bouquets d’arbres rudes et âpres puis ;
de mon repas, arrivèrent autour de moi une
sur le bord , d’intervalle à intervalle, de petites foule de do quatre ou cinq ans,
petits enfants
anses calmes et enfoncées , avec un ou deux ba- et trop jeunes encore pour nager. Il
y en avait
teaux en rade. Je me fis arrèterà Atrani, bourg un dont la figure était charmante je l’appelai ; ,

situé à une portée de fusil d’Amalfi ; je montai son costume était curieux une grande veste :

sur une hauteur sur la grève, des vingtaines


: qui lui tombait jusqu’au bas des reins , un pan-
de lazzaroni tout nus, presque noirs, se jetant talon de toile, et au fond du pantalon, juste-
avec frénésie dans la mer, criant, chantant; ment à un endroit que je ne puis nommer, une
puis remonlanl par groupes sur des pointes de énorme déchirure par où pendait un morceau
rochers avancées; ou bien revenant à bord, de sa chemise, en forme de bavette; puis, sur
s’étendant nus et immobiles sur le sable ; le chef, un grand bonnet de coton le peintre ;

puis d’autres .se roulant humides sur la grève, Bassano représente tous scs enfants ainsi. Il
et ,sc relevant tout enveloppés d'un sable noir avait avec cela un air d’empereur romain ,
luisant il faut les voir pour comprendre ce
: vraiment comique par sa gravité; je lui don-
que c’est que la mer. La mer, c’esi leur vie, nai un œuf. Il parait que sa mère ne le nour-
leur déesse, leur amour! L'nc fois qu'ils ont ristsait pas de cette façon , car son premier mou-

gagné quelques sous , ils vont se jeter à la mer, vement fut de mordre dedans. Voyant qno la
et les y voilà pour huit heures , dix heures Ils ! coque résistait, il le tourna dans tous les sens
y dorment, ils y mangent. Je m’amusan à en- pour trouver une ouverture; il avait l'air d’un
velopper quelques pièces de monnaie d’une singe qui tient une noix. Enfin, pour dernier
feuille de papier, et la leur montrant , je la lan- moyen, il prit une pierre, et frappa si bien sur
çais dans la mer au»n loin que mon bras pou- que toute la partie liquide lui j.tillit à la
l’oeuf,
vait l’envoyer :
à peine la pièce lancée, dix, figure ;
son étonnement fut merveilleux, âlais
vingt, trente d’entre cnx se jetaient en plon- un de ses petits frères ,
qui était plus civilisé
,,

30 iTALIi; PITTORESQUE.
apparemment , se jeta sûr lui , et , en un clin Non loin de où sa statue est de-
la chapelle
d'œil, il l'avait débarbouillé. Allez à Atrani ap- bout, se voit le tombeau du cardinal CaraHa,
prendre à manger des œufs à la coque. son admirateur , sur lequel on trouve un bas-
C'est à Atrani qu'est né MasanicUo ; c'est sur relief antique etune inscription qui se termine
ces roches que la boussole a été inventée, et par une sorte de jeu de mots assez étrange ;

qu'on a retrouvé les Pandectes. Le village offre


Hic mortnas jacere delégit ubi Gregoriua VII pon-
encore un monument très curieux; ce sont les ,

tifexmaxiraus , lilicrtatis ecrlesiaaticc , vigil assiduui


bas-rebefs en bronze de l'église de San-Salva-
excubat adbnc, licct cubet.
tore , avec l'inscription de l'année 1087, époque
s J'ai voulu reposer ici où Grégoire VII , trèi.baut
de la grandeur de la république d'Amalfi. Les
et très-graud poutife, gardien assidu des libertés ecclé-
portes commandées par Pantaléon , fils de Pan-
,
siastiques, est resté debout quoique couché. »
laléon Biaretia, pour le rachat de son âme, et
consacrées à Saint-Sébastien ,
sont aujourd’hui Après avoir visité la ville, je louai pour
les plus anciennes des nombreuses portes en quelques paoli une sorte de petit cabriolet com-
bronze de l’itabe, depuis que l'incendie de posé de trois planches, et je partis au point du
Saint-Paul-hors-des-Murs , en 1823, a détruit jour pour Pæstum. La route est de six heures
les portes de cette basilique , fondues, en 1070, environ. Nous arrivâmes avant midi ; le ther-
à Constantinople '.
momètre marquait trente-trois degrés de cha-
D'Amalfi je me fis conduire par mer jusqu'il leur. Je ne voulus pas cependant perdre de
Saleme. Saleme est à une distance de deux temps, etmon guide me conduisit aux trois tem-
lieues environ. C'est, comme on le sait, une ples. Je ne sais rien au monde de plus triste,
célèbre dans les fastes du moyen âge ;
ville fort de plus imposant et de plus solennel. Imaginez-
Robert Guiscard en avait fait sa capitale , et il y vous une plaine aride, plate, brûlée, à peine
avaitune célèbre éeole de médecine et de droit. tapissée d'une herbe courte cl jaunâtre; au-
Son port, d’après l’inscription, fut commencé dessus un ciel d’airain ;
â deux cents pas de Ui,
par le fameux conspirateur des vêpres sicilien- la Méditerranée bleue et unie , et au milieu
nes, Jean de Procida, noble et médecin de s'élevant, solitaires, trois temples assez dis-
Palerme, ami et compagnon de Manfred, le tants l’un de l'autre pour que la vue ne les con-
poétique bâtard de l'empereur Frédéric II. A fonde pas, assez rapprochés pour que le re-
l'exception du Dôme, construit d’antiquités, et gard puisse les embrasser à la fois , et restant là
des six curieuses colonnes romaines cachées debout comme les derniers monuments de toute
dans l’écurie de l’arcbevcque , l'aspect de la une civilLsation expirée. Pas une maison , pas un
ville est aujourd’hui assez moderne palais, pas une ruine; rien que ces trois tem-
Ix Dôme ,
vaste édifice consacré a saint Ma- ples. Leurs toits et leurs murs ont été détruits
thieu ,
par Robert Guiscard , est presqu’un par le temps , il ne reste que les colonnes ; et
musée par la multitude de colonnes et de bas- on ne peut se figurer comme c'est un effet ra-
reliefs enlevés au temple de Pæstum. Gré- vissant de voir la lumière jouer dans les inter-
goire VII , mort
fugitif à Saleme, y est enter- valles de CCS colonnes , et de saisir le ciel et la
lé ; et quoique l’oa y vénère le corps de saint mer à travers leurs torses bruns et élégants.
Mathieu , la sainteté de la relique de l'apôtre Souvent au-dessus d’elles planent des volées de
paraît presque effacée par le souvenir du pon- corbeaux , comme pour s'abattre sur ces cada-
tife. Ce fougueux successeur de saint Pierre, vres de pierre; et il y a une colonncttc du tem-
dont toute la vie fut un combat , s'est fait une ple àe Neptune encore sillonnée, noircie et
épitaphe bien étrange par sa gravité calme ; fendue d’iin coup de tonnerre. Enfin pour
compléter la sombre iippression de ces lieux
nilcvi justitiam , et odivi iniquitatem ; proptfreà
morior in exilio.
la mal atiay règne toiUel’annéc. Tout le monde
a entendu parler des roses de Pæstum ; aujour-
pour
haï l'miquilé
d'hui plus de fleurs , et il me semble que cette
- J'ai cliei i la justice ,
j'ai ,
et cela

je meurs en exil,
prure irait mal aujourd’hui à ces ruines ma-
j*

' ValeiT. jestueuses; l'air empoisonné qui pèse sur elles

s’harmonise bien mieux avec lenr sombre beau-


.

NAPLES

AMALFl .

7
‘\

PXMTUM .
J
‘ i

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,

NAP LES. 31
(é.Ni village, ni habitations; une grande mé- telloctucllcs; et pas un bourg, pas un village,
tairieoù habitent ceux qui montrent les tem- qui n’ait sa cliarlrcuse. La chartreuse de Pavie
ples. Leurs visagc.s sont caves , leurs yeux estune merveille ; l'abbaye de la Vallombrcuse,
creux , leurs voi.x faibles ; il n’y a que leur mi- près de Florence est un enchantement. Mais
,

sère qui soit plus affreuse que leur dépérisse- un des plus curieux couvents que j’aie vus en
ment; ils me préparèrent cependant un déjeu- Italie ,
est certes le couvent des Capucins.
ner passable. Après mon repas, je me sentis Savez-vous quel est leur cimetière? Ce sont
atteint d'une telle pesanteur de tête, que mes de l’au-
trois chapelles placées à la suite l'une
yeux SC fermaient malgré moi ; mais ces bonnes tre, et toutes meublées d'ossements humains.
gens m’empêchèrent de dormir, en me disant Tout ce qui décore ces trois chapelles est fait
que ce sommeil me donnerait la fièvre ; ils m’en- avec des débris de corps; des amas de têtes ont
gagèrent aussi à repartir à l’instant; et ce ne servi à disposer les autels ,
les voûtes et les ni-

fut qu’au bout d’une demi-lieue que celte som- ches. Dans CCS niches sont les cadavres des
nolence SC dissipa. Combien faut-il que des moines, encore habillés de bure; l’un est de-
hommes soient misérables , pour passer leur bout , l’autre assis , l'autre à genoux ; il y en a
vie dans cette atmosphère chargée de peste , k dont on n’aperçoit que la tête à moitié couverte
montrer ces ruines mortelles; et cela, non pas d’un capuchon, et les mains qui passent au
afin de se préparer une vieillesse douce et for- bout des manebes et ticnneut un crucifix on ;

tunée, mais pour recueillir quelques légères en voit qui ont la bouche fermée, et à côté ,

aumêncs des voyageurs , et s’empêcher de mou- d’eux , d'autres ont la bouche ouverte , mon-
rir! Dcmandcz-lcur ce qu’ils gagnent, ils vous trant deux rangées de dents blanches ;
ils imi-
répondent, et leurs haillons avaient répondu tent toutes les poses de la vie ;
et ,
chose étrange
avant eux. Si campa, on vit. ïst-ce là vivre? ces têtes de morts n'ont pas toutes la même phy-
De Pæstum je me dirigeai vers la Cava. La sionomie. Quand les stpielcltes tombent en rui-
Civa est une vallée suisse, située un peu aii- nes, et qu’ils ne peuvent plus rester entiers,
dcs.sus de Salcriie , avant Amalfi , et offre des les morceaux en sont bons, et avec les débris,
oliviers, des chênes, des châtaigniers, des cas- on fait des lampes , des flambeaux , des orne-
cades , de sombres et fraîciies grottes. C’est à la ments pcffl* l'autel. Il y a sur le mur des mem-
Cava que Filangicri a écrit la science de la lé- bres attachés en sautoir; j’ai même vu un son-
gislation ; c'est à la Cava que Michalon a com- net dont les lettres étaient des débris d’os-sements.
posé les paysages. Quand vous avez parcouru Je demandai au moine qui nous servait de guide,
dans tous les setis cette délicieuse vallée montez ,
pourquoi tous les squelettes n''êlaient pas dans
stir ces Itautcurs, presqu'au sommet du mont la même attitude; il me répondit :.Bûo^n<i cam-
Fenestra, et vous trouvez uu couvent très cu- hlare, il làut bien changer; et c’est qu’en vé-
rieux, appelé le monastère de la Trinité. rité il
y a de la coquetterie dans tout cela ,
dans
Les monastères jonent un grand rôle en Ita- cette architecture à dcntciles ,
comme les églises
lie.L’Angleterre montre ses églises, l’Allema- du moyen âge; dans ces combinaisons ingé-
gne scs châteaux, l’Italie scs couvents. Les nieuses de croix , de dessins et d’arabesques ;
couvents ont etc long-temps, dans une grande c’est le boudoir de la mort.
partie de l’Europe, les sanctuaires de la science, La Cava n’est pas un couvent de cette es-
et les laboratoires de la civilisation. Le pro- pèce; c’est une de ces retraites scientifiques où
testantisme et la révolution française les ont rêve de s’enfermer un an pour dé-
l’on fait le
jetés bas dans le Nord; mais en Italie, où ils vorer des manuscrits, quand on a vingt ans.
ont été long-temps la pépinière des papes, ils
si et qu’on croit h la postérité.

conservent encore aujourd’hui leur majesté La Cava est le monastère le plus rich" en
poétique. Ce sont des mines de marbre, de charte et en institution du moyen âge. On voit
pierres précieuses, de chefs-d’œuvre en pein- là comme les souverains de Bénévent , de Sa-
ture presque inestimables; ce sont les déposi- lerne et de Capoue, envoyaient toujours tpiel-
taires des trésors historiques et politiques. Pas ques actes de donation aux convents après un
une chartreuse qui n’ait son illustration ou crime commis. Le style et la teneur de ces char-
comme beauté de site, ou comme richesses in- tes jcttcnl un grand jour sur l’esprit et l'bis-
, ,

32
'
ITALIE PI TTORESQUE.
toire (le c*s temps de barbarie. Parmi ocs mo- pape Bourdin. Peu d années auparavant, vers
luinicnls, ilen est un fort curieux comme 1100, un autre anti-pape, nommé Théodoric,
preuve de la mod(.Vation des habitants. après avoir promené son vain titre pendant
Alphonse I" d’Aragon avait envoyé à la cent trois jours par les bourgs de la Campanie,
commune un blanc-seing, avec invitation d’y mourut simple bénédictin dans ce monastère.
, vers la fin du même
inscrire tous les privilèges qu’elle désirait ; la Enfin siècle, Innocent III,
conuuune remplit le vide ,
et renvoya la charte troisième anti-pape ,
fut enfermé, par Alexan-
à Alphonse; mais on avait mis tant de discré- dre III Cava. La Cava était la maison pé-
, à la
tion dans l’usage de cette permission , que le nitentiaire de la tiare '.
prince lui renvoya le diplôme avec des conces- Nous retournâmes le soir même à Naples;
sions plus étendues que celles qui avaient été nous allâmes dîner à une osieria située à Santa-
demandées. Lucia , sur le bord de la mer ; c’<»t une des jo-
La bibliolhèquc n’est pas fort nombreuse, lies positions de Naples. La salle à manger est

mais clic renferme de belles éditions des Aides, une galerie élevée de quelques pieds au-dessus
des Juntes , des Grifi et des Etienne ; une édi- de l’eau , et vous voyez en bas une foule de pe-
tion de saint Jean-Chrysostôme , fort remar- tites barques qui se bercent au flot ; vous pou-

quable ; une Bible du vin' siècle, très bien œn- vez même pécher de la salle à manger dans la
servée, in-quarto, (icritc avec de l’cncre de mer, si vous le voulez. Sur ces barquettes , que
plusieurs couleurs, et témoin curieux de la cal- l’on appelle des lances, viennent se mettre des
ligraphie à cette ép<x]uc ; une autre Bible du chanteurs ambulants qui vous chantent les plus
xni* siècle , dont on ne peut trop admirer la jolies eanzonettes du monde ; je m’en rapp<dle
netteté des caractères, la blancheur du vélin, une, pleine de grâce et de gentillesse. La voi<û :
la rich(asc éblouissante des enluminures et des
M' artlesto core comm’ a na cannolla
images peintes en or, et en diverses nuances. Bcllat quanno te Mnto annomenare,
On y trouve enfin le Codex legum tongoba?'- Oje piglia la sperienza délia neve :

dorum de l'année lOOI, un des exemplaires La neve è fredda e se fa maniare;


connus et le plus précieux de ce E tu comme si tant’ aspra e crudele *
qui con-
tiennent
,

les lois des rois d’Italie


^
jusqu’à Lo-
J

Muortü mine vedi e non mme vuù ajutare.


Feoesta ctiiusa e padrona crudele,
thaire IL Quanti sospiri m’ajc fatlo jcttarc.
Le moine qui nous servit de guide nous ra-
Von’ia arrcvcntarc no piccinotto,
conta un fait fort intéressant. Le monastère de Co na lancella a glii venenno acqua;
la Gava renferme des titres généalogiques des Pe mme nne î da cliistc palauuottc :
maisons les plus anciennes d’Italie. Un jeune «IBelle femmene roejc a clii vo acqua ? »

homme, descendant d’une haute famille, se vit Se voca na nenneUa de là ’ncoppa :


m Chi è sto ninuo clic va Tenenno acqua? »
disputer son nom et scs biens. Il était épris
E io rcs|X)Dno co parole accorte :

d’une jeune fille de noblesse , et le père de sa « So lagreme d’ ammore e non è acqua. »


fiancée lui déclara qu’il ne l’épouserait qu’a-
« Le cceur comme une chandelle, quand
me brûle
près avoir fait constater, d’une manière irré-
je t’entends nommer, ma belle. Prends aujourd’hui
cusable, ses droits au titre qu’il prenait. Le exemple de la neige la neige est fi'oidc et se fait ma-
:

jeune homme, sur des renseignements donnés, nier ; et toi ,


tu es si âpre et si cruelle , que tu me vois
part pour le monastère de la Cuva, arrive , s’en- mort et ne veux pas m’aider. Fenûtre fermée et maî-
ferme dans la bibliothèque, et, après six mois de tresse cruelle, combien de soupirs tu m'as fait pousser!
recherches perpétuelles ,
revient à >'aples avec » Je veux devenir un petit gar^n avec deux seaux

ses titres établis, et épouse celle qu’il aimait. pour vendre de l’eau et j’irai disant : « Belles femmes,
,

du couvent , appelée église de la Tri-


L’église qui veut de l’eau ? » Et si une jeune fille dit d’en haut :
• Quel est le petit qui va vendant de l’eau ?» je réponds
nité, offre une pierre sépulcrale avec une mi-
avec des paroles accorles « Ce sont des larmes d'amour
:

tre renversée. On a fait là-dcssus beaucoup de et non de l’eau. »


commentaires; mais la tradition du couvent est E Lecocvé.

que cette pierre recouvre les restes de l’anti- ' Valéry.

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,

LES PETITS THÉÂTRES DE NAPLES.

Oui, mesdames, c'est un feuilleton en grand. enceinte , ce gracioso commence à se rouler sur
La ville de Naples , qni n’a peut-être pas trois cette même plaee avec force doléances et gri-
journaux (pir ordre exprès de son gouvcmc- maces , disant qu’il souffre et qu’il vêtit un mé-
uienl), me permettra bien, je l’espère, ce genre decin. Arrive un opérateur qui veut lui faire

de satisfaction. Je veux vous mener en belles subir la méthode césarienne. Gracioso y consent.
robes et en éventails de papier peint , d'abord L’opérateur, armé de tenailles, lui extrait alors
au ibéàire San-Carlo, puis ensuite, si vous le du ventre trois paquets de corde, un fœtus, du
permettez, au théâtre de Polichinelle. Vous n'y vermicelle et un gâteau de macaroni. Et h ce
entendrez que des choses édifiantes. Il ne s’y spectacle ,
des mains ; ils
les lazzaroni battent

passera rien de la force des drames modernes; pleurent de rire et de compassion en s’écriant :

les dandics ne parleront pas le chapeau sur la Povera donna! Ne voilà-t-il pas. Messieurs,
tète comme à la Porte Saint-Martin font les co- le bon gros rire de Ragotin dans notre Roman

lonels et les séducteurs, et il n'y aura pas de comique ?


jeune fille qui assure avec un fauteuil la porte Il est temps que je vous conduise à la façade

menacée de sa chambre d’auberge. de San-Carlo. San-Carlo ou Saint-Charles est


Naples, espagnole et italienne à la fois, raf- un théâtre plus beau , à mon sens, que la Scala
fole de spectacles. Depuis le Vésuve, théâtre de Milan , malgré un assez mauvais goût de dé-
éternel qui ne donne que le soir et à heures fixes, coration intérieure qui fait ressembler ses do-
que de représentations, bon Dieu! Ici, d'abord, rures au papier de plomb qui recouvre les cho-
c'est une rue inouïe au monde, la rue de Tolède, colats. Saint-Charles est vaste, aéré
,
brillant de
la rue la plus criarde, la plus sale et la plus reflets quand on veut bien donner la peine
se
rue de' Naples où l’on fml le mieux le
tpiie, la d'allumer son lustre. Les jours de gala ( et no-
mouchoir. Prenez garde h vos poches , honnêtes tamment le jour du bal donné en l’honneur de
forestieri! Quand de pauvres vieilles dames à sir Walter Scott, 1832} la salle de Saint-Charles
'

chapeau de paille, assez semblables à des reven- offrait un brillant coup-d’œil. C’est en général
deuses à la toilette
,
vous demanderont l’aumône la haute arislocralic qui en occupe les loges. Lc.s

dans cette rue; quand de belles grandes filles officiers napolitains ,


brillants et agrafés dans
brunes comme une grappe d’Ischia vous porte- leur uniforme , y ou
font l’effet de ces enseignes
ront sous le nez de petits enfants tout nus , en mannequins élégants qui bordent les boutiques

vous disant l/n grano per carita' l défiez-vous


: de dans Piccadilly ou le Sirand.
tailleurs anglais
bien de cette misère qui s'en va flairant vos ha- Ils sont presque tous fort soigneux de leur per-

bits et la générosité de vos manchettes Je sais


! sonne , jolis hommes et bons ténors. Donne-moi
un de mes compagnons de voyage , grand phi- donc mon corset, maraud, dit Juan à Leporello
lanthrope, auquel il en a coûté six foulards, son valet. Les officiers napolitains en disent au-
pour avoir écrit dans cette me des remarques tant. Le théâtre Saint-Charles joue le chant , la
sur son album. Tout cela parce qu’au milieu du danse , et les oratorios. Dominique Barbaja, en-
bruit et devant San-Carlo même on bat la caisse, trepreneur de tous les théâtres d’Italie, était un
et qu'un petit homme trapu , assez pareil au pauvre cocher du temps de Napoléon; il parait
gracioso du théâtre espagnol, cabriole surquatre qu’il aime mieux avoir à cette heure un palais
planches au milieu de franciscains qui font la via di Toledo, et une villa au Pausilippc. Vive
(|uête! Au mercredi des cendres et quand il l’industrie!
est
bien promené, suivant l’usage, babillé en femme Au théâtre Saint-Charles, le premier théâtre
de Naples ,
qu’entendrez-vous ,
je vous le de-
Voyageurs. mande que vous
,
n'ayez pas entendu ? Madame
Ud aou par cliarité ! Malibran y jouerait-elle la Cenerenlola , Labla-
IV. Itàiii riTT. iNAriu. — B* Liv.)

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, ,

ITALIE PITTORESQUE.
i lic, Henri Ï'HJ, et Tamburini VHgnese; vous !
Polichinelle, effrayé d’abord, se rassure et
croyez encore toucher le velours d'une loge des dit : Bomano.
Venez donc à deux pas de là , oui , rien
limilTcs. « — Bomano! dit un voleur, attends donc. Je
qu'à deux pas et vous n’aurez pas sujet de vous
,
me souviens qu’une fois, à Rome, un contadino
repentir. m’a frappé de son couteau dans un marché !
deux pas de San-Carlocst construit son di-
.V
Depuis ce temps j’ai fait vœu de boire le sang et
iiiinulir, San-Cariino thcàtredcs polichinelles. de manger le cœur du premier Romain que je
C'est bicnleplusboulTon,lephiscrasseux,le plus rencontrerais. »

goguenard, le plus rusé, le plus napolitain de « — Signori ,


alors je suis Toscano / »

tous les théâtres de Maples! J’y avais une place n — 7'oscano! reprend un autre; j’ai reçu
marquée tous les soirs entre la clarinette et le se- sur la tête un violent coup de marteau danscetle
cond joueur de limbalo, un petit bonhomme de gracieuse cité de Florence, et depuis
douze ans. Je me souviendrai ma vie entière de « —
Signori, signoii, sono... Sinese! »

la première farce que j'y vis jouer en août 1 832. Du moment que Pulcinella est Sinese, c’est-à-

La Hocca di monte Coivo était le titre de ce bon dire Chinois, on ne chacun le


l’inquiète plus et

et gras mélodrame. Üansce mélodrame il y avait laisse paisible. 11 croise alors ses mains sur sa

douze brigands , un pauvre sigiior qui donnait jaquette, fait tourner scs pouces et met un pâté
sa bourse, et un soufflcurque l’on agonisait d’in- dans la coiffe de son chapeau. Il mange ce pâté

jures dans la salle meme parce qu’il était allegro avec la grâce de Pourccaugnac achevant sa cô-
et donnait mal la réplique. Dans cette pièce, le telette dans Molière. Il cric , il chante , il fuit
Pulcinella était comme dans toutes, le premier et rire les bandits, danser la vieillcct trembler la

le seul nœud de l’intrigue. C’est lui qui apprenait caverne avec sa voixdcAotio. J’oubliais de vous
aux eaptifs de la caverne à jouer du flageolet et dire que, dansccitc piè-cc, l’homme volé {Pi-
à s’esquiver; le souterrain de Gilbins perçait gliato délia Boba), le pauvre diable est hué et

évidemment dans tout cela. Il y avait une vieille sifflé. On applaudit beaucoup les voleurs qui

de soixante ans, en jupe rouge, espèce de Leo- sont grands et forts comme des porteurs d’eau
narde , qu’on voulait aussi marier avec ce meme du Louvre. Avant tout ,
le Napolitain aime à se
Polichinelle. Lepremier jour je trouvai celamé- voir peut-être dans la glace; ces gens à rude
diocrement bontfon , je comprenais 1res impar- barbe , à chapeau pointu , à phrases brèves
faitement le dialecte. Le dialecte napolitain est gens de grand chemin et de petites ruses, leur
plein de verve, caustique jusque dans son gras- plaisent. Le Pulcinella les égaie et a tout le fruit

seyement et ses sons de gorge, ayant parfois dans de ces représentations.


scs éclairs un singulier rapport avec ce que les D’autres fois Polichinelle est le plus patient
Anglais nomment humoiw mot qui serait ici filou de la terre ; il raconte combien de temps il
,

fort bien remplac»! par celui de brio. Une fois faut avant de se faire la main. Cette fois il est

familiarisé avec la langue, je fus surpris de saisir intendant du duc de Paligatiano, joli petit duc
et d’applaudir nioi-ménic involontairement à boiteux ,
aveugle que ce bon Po-
,
rachitique ,

outrance la scène qui suit (C’est Polichinelle avec lichcllc récrée et escroque comme un acteur ou

sa veste blanche à gros boutons comme nos pier- un auteur en vogue à Paris.
rots et son masque noir à nez de carton qu’on
,
Les pulcinella portent le costume suivant :

amène devant les brigands délia lioccd). On lui Une jaquette très ample à boyaux, un panta-
demande sa profession. lon blanc comme la jaquette, des souliers à pom-
pon blanc un bonnet blanc, tout ec\afariru-
« — Sono arlista, dit d’abord Polichinelle. »
comme
,

la statue du commaiHleur à la lune; le


Le brifpnd lui explique alors comment il se nez seul est noir; ils nomment ce nez un nez
n’y a d’artistes utiles à la société que
fait qu’il
de papagallo.
ceux qui tuent, pillent et dévalisent. Le même Quand c’est Pastjuale, le mcillcnr et le plus
bricone fait paraître alors devant lui quelques
vieux polichinelle de Naples, qui joue hcc polit
autres hommes de la troupe qui continuent avec théâtre de San-Carlino, théâtre enfoui, Naples
acharnement l’interrogatoire.
n’a pas assez de carrosses.
« — De quel pays êtes- vous? lui demandent- J’ai connu un pauvre diable qui jouait les/i<>-

ils en chœur. » lichinclles sans trop de succès, et ipii avait été


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, ,

NAPLEP.
inai-quis ù Borgarae, la patrie des arlequins. de sang et des lunettes. Ce spectacle 6nit de dix
« C’est Arlequin qui m'aura porté malheur , Ar- à onze heures. Il est voisin du fameux théâtre
lequin mon rival! soupirait-il mélancolique- Fondo.
ment. » Ce pauvre marquis ruiné dépensait dix Le théâtre del Fondo a les mêmes acteurs ,
la

grains par soir, una orgeata, una limonata, même administration et les mêmes opéras que
et tout était dit. Saint-Charles; il est de moyenne grandeur, mi-
Il avait cinquante-deux ans. Je remmenai sérable d’entrée et flanqué d’une bottega inté-
diner un soir en compagnie à Sanla-l.ucia. Il rieure où des garçons en tablier blanc vous ser-
s'exprimait avec une aisance parfaite dans ma vent des oranges et des marasquins.
langue, savait Juvénal et de la déca-
les poi-tes Je dois vous dire deux mots de la Fenice. La
dence, mangeait fort peu de pastèques et jouait Fenice qui n’a rien de celle de Venise, est en-
Ibrl bien aux dominos. Il me raconM' que .Murat core un petit tliéâtrc pareil à ceux de nos boule-
lui avait un jour cassé sa canne sur l'épaule. vards. On lit à sa porte des afiicbcs dans le style
U'Iialiitudc, Scripandia (c'était son nom) était français le plus obséquieux, sinon le plus pur.
fort railleur jugea comique de porter un soir
il
Témoin celle-ci ,
que je vais transcrire lillcral-
;

en scène jaunes, les éperons et les


les buttes lement.
dentelles de Murat. Il avait un cheval blanc (en
« Soirée da ^8 jaillet
carton), et, comme il est ù remarquer que les
M Ponr le bénéfioe de l'actrice liàm Siviiisa ,
généraux ont presque toujours des cheveaux « Avons rbonoeardevoQs inviter k notre théâtre, l’ac«
blancs, Scripandia faisait le général et comman- » tri CO incotnpnrablc vous ayant choisi une des exccl-

dait douze galopins armés de bâtons. Cette farce 9 lentes pièces du théâtre italien ayant pour titre ,
:

amusa beaucoup parce qu’il imitait le prince ad- » Le triomphal retour d'ArioIde^
mirablement. Ausortirdu théâtre, un homme B roi des Lombards en sa ville , ;

en manteau l'aborda sous une lanterne et lui re- 9 Qui sera suivie d'im petit opéra en deux actes et mêlé
mit une lettre. C’était un bon de 200 piastres U de bons mots et de traits ridicules pris de Vhistoirr
sur lu cassette de Mura. Le même manteau éle- » ftorentine ,
— savoir :

vant alors scs deux manches, laissa choir un »Le poète Tra^oli {haricots')
gourdin irrécusable de volume sur les épaules 9 à la campagne de Pratolino.
du pauvre acteur. « Et de cette manière, ajou- » Toute la décence possible , le zèle et les salutations
n de Vhuntble troupe, sont les attributs quV//e ose se
tait Scripandia ,
je touchai deux capitaux , ce à
« flatter qui pourront mériter votre piéseuce et vos
i|Uoi je fus très-sensible... »
9 bienfaits. »
Le théâtre San-Carlino qui est placé d.ans
une cave , réunit souvent la nieilleun; société de En sortant de là suivez vers la gauche les
Naples communément c’est la Imurgeoisie qui
;
grandes dalles du quai du Mule. Le Môle , cc
en occupe les gradins. Le poeta du théâtre boulevard do Naples, y contient sur ses quais
fauti'iir des imbroglios, reçoit quarante pias- presque autant de badauds que notre boulevard
tres pour son livret quand ce livret est excel- du Temple. Voilà des enfants en chemise, d’au-
lent. C'estce que touche chez nous, par semaine, tres tout nus, se traînant deux à deux sur les pa-
le plus mince auteur de vaudeville. Le porta est rapets du Mole comme des fourmis au soleil. Sur-
souvent lui-meme â la porte causant avec l’a- vient un troisième, un quatrième, et les voilà
boyeiir; il loge d’ordinaire dans la partie haute qui cherchent à se hisser sur les grands rebords
et side de la ville. Tout le monde n'est pas d'un du quai, puis tout-à-coup ils retombent sur le
coup Goldoni ouGiraud. sable, mêlés comme chaque fil d’un macaroni.
« Bravo ! bravo ! il fuibo e a crepare ! viva ! Mais chut! voici un monsieur en habit noir,
riva ! miraviglioso ! » Voilà dans quels termes habit râpé, habit de poète. Messieurs, respec-
s'expriment les loges quand c'est un policliinellc tons un peu son uniforme. Son habit a vu jadis
en renom qui joue. Le commissaire assiste en Ugolin, il a touché de près la manche du comte
habit brodé à ces représentations pour que tout Roger, il a reçu des coups de plat de sabre des
s
y passe dans l'ordre e nenza parlar di polilica. Serrazins. N’est-ce pas vous dire que cc pauvre
Il a. enmnic tous les spectateurs un peu gcntils- chrétien va vous expliquer le Tas.se ,
qu’il est

linmines, un grand éventail de papier peint sur pour le lazzarone la seule providence des temps
lequel est d'ordinaire saint Janvier, avec sa fiole anciens , l’homme des poèmes , des camoni, des
,

36 flTALIE PIT TORESQUE.


nouvelles? Voyez ! le voilà à peine monte sur ses pour y aller voir ce qui s’y passe. Or, il y avait

tréteaux que le cercle d’auditeurs se forme atten- dans Naples, il y a un mois, une vieille marchesa
tif. Ils sont là tous en face de la mer d’Ischia et qui tenait beaucoup à son chien , un griffon
de Caprée; le château de l'Œuf les regarde pour nommé Zoppi. Zoppi avait bien le mufle le plus
voir s’ils ne conspirent pas. Le château de l’Œuf rosé et les oreilles les plus soyeuses du monde;
avec sa seule meurtrière ouverte comme un œil il jappait surtout avec un rare talent, il jappait

d'aigle, voit des conspirations partout depuis à ne pas laisser entendre un charlatan vendant
Masaniello. Allons, signor, voici le moment, le soncau-dc-vie et ses bouteilles d’élixir. Voilà que
moment d’être grand et véritablement hardi j lout-à-coup il n’est question dans l’hôtel de la
ilites-lcur bien haut ce que vous pensez de cette marchesa que de la disparition de Zoppi. Les
force d’inertie qui est la seule force italienne, voitures de la Chiaja avaient-elles écrasé l’in-

de cette molles.se de langage qui a passé de la tércs.sant griffon, ou bien la fontaine Santa-Lu-
Irouchc au cœur, de cette paresse qui tue chez cia l’aurait-cllc noyé? Quel lazzarone assez osé
eux les plus lieaux sentiments d’audace; parlez- pour un tel crime? On allichc Zoppi dans toute
leur du Tasse en prison et d’Alfieri ,
le Brutus la rue de Tolède. Zoppi figure en grosses lettres
en perruque; et si x'ous avez du sang au cœur, sur des bottege' I.a marquise
les petites afiiehes

dites, dites bien baut comment il se fait que Pel- avait des crises de nerfs devant le portrait au
lico ne soit pas vert et pourri comme lesmurs pastel de son griffon. Oiivario finiprovisatcur
de sa prison ! qui sût à Naples le sort du pauvre
était le seul
Mais l’improvisateur aime mieux parlerd’L- Zoppi. Les aboiemens répétés du chien avaient
gulin, Ugolin et le mangia' di noi du Dante; .
toujours paru fort déplaisants au patient Oliva-
car, ne faites par erreur, l’improvisateur n’est rio qui déclamait avec assez de succès dans le
.souvent rien moins qu’un pauvre homme de salon du palais Goliiccio , le palais de la mar-
lettres ruiné, comme cela se voit chez nous, un quise. Dans une circonstance toute récente,
bravehomme d’auteur comme l’était Camerana, Olivario avec ses habits troués, son pauvre cha-
auteur fécond qui jouait à lui seul les pièces de peau gris manchettes sales, avait eu l’in-
et scs
son théâtre’, donnant par jour deux représen- signe honneur de réciter una novella tragica
tations, une le matin , une le soir. L’improvisa- devant le roi de Naples lui-même qui était venu
teur d’Italie a du reste un but et une consécra- chez la marchesa prendre les sorbets. Au plus
tion véritables ; il popularise , chez le peuple beau de son poème, Olivario avait été inter-
la poésie. Autant nos improvisateurs de salon et rompu par Zoppi qui , non content d’aboyer fré-
d’Athénée sont ridicules en avilissant chez nous nétiquement sur la terrasse, était venu mordre
la poésie jusqu’aux fades jeux de la rime et aux
aux jambes l’improvisateur, et déchirer son
puérilités de la scolastique, autant ceux d’Italie, pantalon beaucoup trop mûr, lorsqu’OIivario
en demeurant dans les bornes de leur emploi, disait ce vers ;

en commentant l’esprit et le génie de leurs poè-


tes , plutôt qu’en y substituant le leur, sont-ils I,n vendetta d’eépoHo ha Jatto Marte •

dignes d’attention et de justice. Le domc.stique


de place qui me conduisait me fit remarquer un incident qui avait terminé la tragédie au milieu

jour la maison d’un homme qui écossait quelques des rires les plus bouffons. Olivario s’était bien
pois devant sa porte. «Voici Olivario, me dit-il, promis de s’en venger de concert avec le paysan
un gaillard solide pour l’improvisation , bravo qui garde la Grotte du Cbien, en trafique et en
per canzoni; on lui en commande de tous les cô- garde la clefj il avait , dans une belle soi -
tés de Naples. Il fait aussi bien le coupibt de ta- rée de juinj, volé Zoppi qui furetait dans la
ble que l’épithalanie, et mériterait d’avoir à cour du côté des cuisines. Le griffon Zoppi était
l’ompéi la casa du poète Sallustio. Seulement, il devenu le sujet intéressant des expériences car-
s’est lait une grave affaire. Vous savez peut-être boniques de ce gardien. La vie de ce pauvre ani-
ce que c’est que la Grotte du Chien, car je vous mal se passait en évanouissements réguliers et
suppose trop indolent en fait de curiosité niaise perpétuels ; à la joie des eu ricu x , des évanou sse- i

' Allusion i l’épisode d’ü];olin [Inferno). c*r<t<.


* A San-Carlino. Mars a tiré reogriDce (i'Apollon.

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,

NAPLES. 37
menls à faire envie aux petites maîtresses de la peste de lôi6, renferme des lunettes peintes

Naples! par le Uominiquin , admirables restes du génie


Or la marchesa n'avait jamais vu la Grotte du de ce grand maître , dont les rivaux redoutaient
Chien. Curieuse de visiter eette grotte beaueoup tellement la force, qu’ils cherchèrent à l’empoi-
moins digne d'interet que les étuves voisines de sonner jusqu’à deux fois en mêlant un arôme
San-Gcrmano, elle s’y fit conduire par son ca- vénéneux au plâtre chaud dont il se servait pour
valier servant. Dans
pauvre chien qui se tor-
le ses fresques.
dait convulsivement sous l'influence empoison- Le miracle du sang de saint Janvier a lieu
née de la vapeurdcla grotte, elle reconnut Zoppi. dans cette chapelle. Le sang, contenu dans une
Ce fut un coup de foudre pour la vieille mar- fiolede verre, est montré aux curieux pour que
chesa. Elle fit mander le paysan quiconfèssa tout l’infaillibilitédu miracle ne soit pas douteuse.
et vendit Olivario. La marquise voulait qu’il Il
y a , dès le matin , de vieilles femmes à bâ-
fût emprisonné; mais comme c'était le Jour de tons noueux qui s’approchent sans trop de façon
Pâques, et qu'elle avait coutumed'aller passer le (le la balustrade, elles se prétendent de la famille,
reste des fêtes àCastellamare, le crime d’OIiva- cl demandent ausaintde ne pas les faire languir.
rio fut impuni. Quand le miracle n’a pas lieu assez vite (c’est
Olivario est un bon père de famille; il cultive d’ordinaire sur le midi), (xs femmes mettent les
lui-meme ce petit terrain que vous voyez , et poings sur les hanches, injurient le saint et lui
mange son blé de Turquie aussi bien qu’un laz- produiguent les noms les plus grossiers. L’illu-
zarone. mination de la ville <st admirable le soir, son

En voilà assezsur les tliéàtrcs. Parlons main- obélisque entouré de girandoles : ce conp-d’oeil
tenant comme contraste des représentations et est éclatant, moins remarquable cependant que
comme
fêtes religieuses. Naples, curieuse et vive celui de \agirandola à la fête de Saint-Pierre de
l’est une jeune fille , se laisse prendre par les Rome.
yeux plus qu'aucune ville d’Italie. C'est le pays Cet aparcil de représentations religieuses
de la forme que cette brune Italie, comme l’Al- toujours théâtral et solennel ,
se fait remarquer
lemagne est le pays de l’idée. Il faut à ce ciel plus étrangement encore à la fêle de la Madone
d’un bleu dur et vif , d’un Contour brillant et de l’Arc. La Madona del Arco, solennité plus
toujours net, descouleurs également tranchantes, mystique que celle Piedigroto, réunit autant de
une pôésie palpable et découpée pour ainsi dire monde autour de sa chapelle. C’est pour un
au ciseau; il faut que la religion elle-même s’y voyogeurqui ne connaîtrait pasl’Italie, la (diosc
fasse toucher au doigt comme le oêté du Christ du monde la plus incroyable et la moins suspecte.
qui accuse Thomas d’être incrédule. Et de là ces Dès le matin cette chapelle, simple et sans or-
belles et saintes fêtes ,
ce viatique porté le soir nements autres qu’une châsse chargée de par-
aux flambeaux et ces fagots allumés devant la dons, est ouverte aux populations environnan-
maison du malade de là ce prêtre qui passe tes. Résina et Portici
;
y accourent en foule. Il y
sous un dais au son des cloches et comme s’il , a à l'entour des danses et des tavernes en plein
s’agissait du salut de toute une ville, comme s’il vent. Vous y verriez de beaux jeunes hommes
était Belzunce et que Marseille eût la peste Tout !
en veste rouge à boutons à fraise, le bonnet
cela pour un pauvre homme dans une mauvaise pointu et la plume de <xx| penchée sur l’oreille
chambre agonisant et entouré peut-être de trois
, des petits enfants et des vieillards paralytiquc.s
amis. lln’yaqueNapIcsponrccs représentations qui s’y font porter en chaise. Au dehors c’est la
aux crucifix miraculeux, aux bannières bénies, vie et le tumulte on achète des fruits, on mange
;

aux châsses saintes. Naples, avec son épicurisme des salantes', on élève bien haut de grandes
grossier, sa gloutonnerie flamande, incline le fourches chargées d’images de saints. Les pay-
genou devant ces pieux lambeaux du catlioliris- sans qui promènent ces fourches sont vêtus de
me. — Je n’en veux pour témoin que la fête du casaques à rubans ; ils dansent en chantant près
.sang de saint Janvier, yèsta del sangue, nom plus animée des tarentelles.
du temple la
qui désigne le miracle annuel de Naples. C’est Au dedans et comme contraste c’est un peu-
,

dans la chapelle du Trésor que se conserve le ple de mendiants hâves et lépreux qui marche à
buste et le sang de saint Janvier, ce patron mer-
veilleux de la ville. Celte chapelle, érigée après Siucissons.
;iS ITALIE PlTTOnESül E.

jjoiioux sur les dalles, prie à voix haute, et se d’une chaise soutenue sur les bras de ses porteurs.
traîne à deux mains depuis la première pierre Il fit une très-courte prière devant la Vierge et

de rentrée jusqu’au maître-autel, léchant le sortit. Son médecin, monts sur un petit cheval
pave, il faut le dire, et se frappant la poitrine barbe, l’accompagnait. Quand nous sortîmes,
on s’écriant Madona ! la pluie était abondante; les tentes bariolées et
Les gens que leur confesseur ou leurs voeux les beaux babils des filles devinrent l’objet des
aniènent en cet endroit ne ressemblent que trop plaisanteries de cette foule, et la procession ,
qui
à ces malades désespérés que les médecins en- remontait elle-même en caratelle, ne fut pas le
voient aux eaux les plus maussades et les plus sujet de conversation le moins piquant de cette
lointaines. Tout ce misérable troupeau d’hommes journée.
serrés, rongé d’ordure et de lèpre, hurlait à Il arrive aussi que parfois, à Naples, quelques
notre entrée comme les damnés du Dante; les fêtes religieuses ontlieu sur legolfc. Abord, par
pas'sanset les bourgeois setenaienth l’écart pros- exemple, cliaque phalance ou barque est illumi-
ternés devant la châsse. Nous vîmes un beau née. La marine napolitaine envoie des salves de
garçon des Abbruxes soulever alors le rideau pétards à tous les clochers de ‘Naples; à défaut
on cuir; il entra et se mit il prier debout de canons, cette pauvre marine de pécheurs se
devant la Madone. Il priait avec ferveur et consume en fusées et en chandelles romaines.
grande onction. Ces gens qui l’entouraient, le C’est un magique et curieux Spectacle que ce
regardaient tous comme un païen parce qu’il res- golfe étincelant alors à la hine comme une éme-
taitde bout. Je me souviendrai toujours qu’il raude ; les petites embarcations le traversent ; les
tenait sa main sous sa veste de velours bleu , il hymnes pieuses liccompagbent le mugissement
avait le regard fier, ombragé d’épais sourcils, de sa grève. D’ordinaire c’est à la pointe meme
lie larges boucles d’oreilles en croissant etlesif- du Pausilippe que se tiennent les gros navires;
llet du cbevrier pendu à l’une de ses basques. Il de là que Murat en bottes fjaunes et
c’est aussi ,

paraissait immobile; je le supposais du moins, en manchettes regardait un jour une escar-


,

lorsqu’on m’approchant je crus voir une main mouche navale où il pensait à tort avoir le des-
oris|x'cqui labourait sa poitrine, pendant que sus. Quand il vil clairement sa défaite
à l’aide
lie l'autre il tenait son chapelet. Les regards de de son télescope il se contenta de demander le
,

quelques contadini des montagnes demeuraient spectacle du jour et partit.


fixés sur lui, et on hésitait à se dire tout bas Pourpeu quevobsayez foi aux revenants, n’al-
i]u’il avait été vu dans les prisons d’Ancdne
y il lez pas le soir à Naples, prèsdeSan-6iotwu Ma-
avait bien trois ans. Quel qu’il fût ce jeune , jore. De mon temps et sous le porche gothique
homme avait sansdoute à expier quelque crime ; de cette église, il y avait un concours de monde
car la sueur lui ruis.sclait du front , et ses lèvres prodigieux. Sur les onze heures do soir un pau-
devenaient pâles violettes par intervalles. Ilyeut vre diable appelé Barabini , apparaissait avec un
un instant où il s’écria Benedetta! arec un tel
: paillasse et une laterne magique. Le paillasse,
accent de désespoir que ce mot ,
qui ne pouvait qui avait nom Marotto , demandait alors à la so-
.s’adresser qu’à la vierge, fit détourner la tête ciété si elle ne serait pas aise de revoir ses an-
aux aveugles de Ti^lise del Arco. cêtres. Soui parents vecchü e morà. Quelques
Ces aveugles, pour ne pas perdre leur rang, esprits forts, qui passaient sous le rideau , pré-
se tenaient tous par une longue ceinture rouge tendaient avoir reconnu fort bien leurs père et
à glands desoie vefrle, ayant bien soin d’avan- mère , que le paillasse découpait sur du papier
cer vers la châsse quand le cri du gardien ou le noir d’après leur indication. Bonnes et candides
bruit des pas les avertissait de marcher. Il y frayeurs!
avait encore là de tout petits enfants qui s’éton- des thé-â-
Il
y a aussi des théâtres particuliers,
naient naïvementde voir leur père baiser ainsi le tres d’oma/ori. Souvent ils scrventlà-bas à trom-
pave et se relever ensuite la tête meurtrie de coups per bien des jalousies conjugales , à mener bon
violents, tandisque l’encens fumait et que l’or- train les affaires de cœur des jeunes filles ou des
gue (un pauvre orgue à trois tuyaux ) essayait bellcsdamcs. Une femme ou une fille qui ne peut
quelques hymnes saintes. Nonsvimes descendre voir son amorato, et vit cependant dans la même
aussi à la porte meme un vieillard en grande société que lui, convient de prendre dans la
robe assez semblable au pastrano; il descendait pièce que l’on doit jouer un rôle en rapport avec
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, ,

NAPLES. 39
sn situation , et de la sorte les deux amans se par .supeixherie, de Uoissy, mais toujours est-il
c'iiiupreniient et s'épunclicnt touten récitant Ui- que le rusé coquin en vint à ce qu’il voulait. 11
raud ml Golduiii. Lescoiuédies de M. Scribe sont épousa la comtesse et eut des gens.
maintenant fort goÙK'es en Italie. lai mode, Les lois injustes, qui notent chez nous les cih
qui fait une lui de ses caprices,
(’cttc folle dik'sse médiens d'infamie, existent moins à Naples tpic
a mis à l'ordre du jour le répertoire de l'ancien partout ailleurs; les plus grands seigneurs ne
lliéàtre Madame. Les abbés font n'qiéter Mal- rougiraient point de faire leur ami d'un acteur
eùin, et ka colonels apprennent Philippe. Mon- honnête homme. Riccobini , renommé si juste-
sieur Sexibo, vingt fois plus lieureux qu'en France ment à Paris, revit encore pour sa probité et scs
où les journali.sles se venjyent constaniinent sur bonnes manières dans quelques acteurs privilé-
lui de tout l'ennui que leur donne un feuilleton giés tels queLablache, Tamburini, Rubiui. Ce
à wrire, M. Sixibe reçoit sur les nfiirbes italien- que je dis làne doit pas toutefois servir d’excuse
nes le nom lïillusirissimo e Le famoso autore. à certains caprices fiéminins trop prononcés. Une
roi de Naples, en 1832 , voulut voir jouer une autre belle comtesse bien connue promenait à
i-oimklie à Castellamare. Là se trouvait réunie Naples David dans sa voiture; elle s’est pour ci-
comme de coutume la bonne et brillante société faitmis à dos certains salons. Cependant la com-
de Naples. Les acteurs étaient M. le comte de la tesse 0... , si distinguée par le charme et le pi-
Ferronayes, mesdames de Marcellus, de Gr... quant de son esprit, est la Christine des arts cl
la comtesse Kisl — et autres; société française la reinedes progrès dans ceticbclle et séduisante
comme vous l'indique le pro('ranime,cliarmante Italie! J'aime mieux cette aisance que la froide,
et douce sornité! Je laissai un de mes amis, hospitalité des autres pays ;
ici l'artiste quand
jeune anglais distingué, apprexidre le rôle de il n'est pascontrefait ,
est àdeux pas de devenir
F réiléric Ia:maistre dans \\,4uherge des .-/drcis. prince. Allons donc faire de la poi-sie et de la
Le roi de Naples vit-il la pièce, je ne sais, tou- musique là-bas !

jours est-il qu'elle fut mise à l'étude. C'est une Lord Byron avance quelque part dans scs
merveilleuse chose que cette importation ou im- ftlémoircs une opinion au moins douteuse, c'est
position lia tliéùtre français eu Italie. La parcs.se que l'Italie ne saurait avoir aucune prétention
italienne trouve les pièces toutes faites, elle n'a à un thédtre comique, ce pays ne représentant
que les frais de traduction et de mise scène. nulle société. C’est une grave aberration, à iiion
J'ai vu, me disait le comte de S..., jai vu il
y sens. La comédie politique de l'Italie est seule-
a ipiinze ans des théâtres bien plus eurieux à ment là où le noble poète ne la voyait pas. Il fai-

Naples. Les domestiques de bonne maison y sait pis que de ne pas la voir, lui Byron ,
il l’ou-
jouaient; on les appelait theatri domestid. Une bliait. Ainsi il oubliait que c’était cette même
comtesse de Naples avait fini par s'enticher vio- société italienne, si molle, si facile, qui lui avait

lemment de ces lioulTouueries; elle y passait fourni les couleurs gaies de Beppo. Il oubliait
réellement lu moitié ne sa vie, donnant à Cas- encore que Don Juan est Italien plusqu’Aiiglais
une laliatièrecn prt'scnt,
stindre et à Pulcincibi vers la partie admirable du IX* chant , évidem-
une montre aujourd'hui, demain une épingle ment empreint des souvenirs délicieux de Ra-
d'or.Lu de ces comédiens .subalternes , jouant vennes, de Fisc, de Florence et de Vérone. La
iinjoiirlerôlcd'unFrontùi, rc'çut d'eJlc un bil- (X>médic italienne trouverait surtout d'abondants
let ainsi conçu AUasera, domani paltizzo .\o-
; sujetsde se produire dans cette ville de Naples.
lu. Ce valet, garçon fort intelligent, comprit bien La comédie italienne, c’est l’inégalité perp<--
vite qu’il ne lidlait pas en celte afl'nire jouer le lucllemcnt heureuse et comique des conditions
rùle commun et faslidieu.v d'un homme à Ixin- c’est le polichiucllcaux prises avec le marquis.
nes fortunes. Il calcula prudemment la valeur Ne venez donc pas nous dire qu'il n’y a pas
des bijoux et du mobilier de la oomt&s.se il sut , <le comédie en Italie! Elle vous coudoie dans
tout cela par son frère qui avait autrefois servi la rue , dans le salon , elle est partout C'est elle !

celtedame. Ayant alors reconnu que le total for- (|ui a mis le grelot à Battachi , ce poète de no-
mait un fonds qui pmivait lui procurer unedou- celle inconnu en F rance , jeune Napolitain plein
i.'C vie et une vieillesse agréid)!e, il osa proposer elle qui va souiller
d’avenir et d’esprit. C’est
.sa main avantdc rien aceorder aux bizarres exi- quelque jour à Manzoni une belle et admirable
gences de celle-ci. J'ignore s'il avait lu tppou.r comédie politique; car Manzoni me le disait à
- ,,

io ITALIE 1*1TT0BES0L E.
iiiui-iiiciiie en 183*i : C'est la comédie de Beau- Naples radieuse, au boixl de son golfe, que tout
marchais qu'il nous faut ici / poitrinaire qui est poète veut mourir; c’est à
Naples est la ville des comédies comme Paris Nice et sous les orangers que les imaginations
celle des satires comme Londres l’enfumée celle
,
les plus bourgeoises vont s’éteindre. Cn Napoli-
du drame. N’apics obtiendra cette couronne, je tain ,
homme d'esprit, me disait que son aïeul
n’en doute pas. Quelque jour il surgira ce nou- musicien très-fort sur la viola di gamba, s’était
vel Ariosie, quelque jour aux chansons du port fait porter, avant de se suicider, à la pointe du

succédera Aristophane dans la salle Saint Pausilippe, un tambourde basque sous les pieds,
Charles. un citron en main et un cigare à la bouche; il
M. de Montmorency-Laval, dans une lettre chanta , fuma , joua du tambour un petit quart-
pleine de sens , parlait de l’enthousiasme qu’ex- d’heure, puis se jeta dans la mer. Ne voilà-t-il
citent dans Naples les moindres représentations. pas Naples bien représentée dans ce singulier
K Les bravos, dit-il , n’y sont pas achetés comme musicien.’
» chez nous; on rougirait là-bas de l’ignoble Et maintenant vous aurez peut-être une idée
s métier que l’on fait entreprendre aux nial- des représentations et des cérémonies religieuses
» heureuses bandes de nos tliéàtres. Le rire na- ou profanes de Naples. Tout cela se passe au so-
» |X)litain,plus franc que pudique, est le leil ou aux flambeaux. Le théâtre et l’église unis-

» bon rire de Molière. On n’y hurle pas la tra- sent leurs pompes sous ce ciel favorisé ; les can-
)i gédie , on la chante ; —
c'est un défaut qui tatrices de chapelle y font d’excellentes chan-
> vaut mieux. » teuses de théâtre. Dan.s cette grande ville de Na-
Byron, parlant de sa chère Bavenne, écri- ples, turbulente et folle cité ,
tout s’afliche, tout
vait ; n Bavenne aura, dit-on, cette année, quel- est théâtre. L’un de mes amis , avec lequel j’ai

» que de Naples. Il doit y


reflet des belles fêtes fait ce voyage, vous a raconté Piedigroto; eh
» avoir spectacle, foire , opéra en avril et un bien! la fête de Piedigroto existe chaque soir
>1autre opéra en juin. C’est le seul peuple— dans Naples, sauf le programme et l’ordre de
» qui comprenne la vie ; il va au spectacle pour cérémonie. Les femmes de Naples se font voir au
• parler, en compagnie pour se taire. » balcon ou montrent leur pied en ramenant leur
,

Du temps de Byron le-n^nore Inglese, si tra-


, voile sur le visage. Les lazzaroni étalent au so-
ditionnellement célèbre à cette heure encore leil le spectacle de leur paresse cn baillons; tout
parmi les gondoliers de Venise, l’Italie avait en- ce peuple de misère se pare comme le ferait un
core eu effet de magiques reflets de sa gaité. vieil acteur de province ;
il a du blanc et du
L’Italie même, après l’invasion française, respi- rouge. Les images qu’on lui montre, et lesconi-
rait pour ainsi dire et se remettait à vivre. Les paraisons qu’on lui fait toucher au doigt, sont
Anglais n’avaient pas encore glacé le rire aux les plussûres comme impression et résultat.
lèvres de la folle Italie. Ce sont eux, eux seuls C’est uu peuple vieillard; c’est aussi un peu-
qui l'ont faite anglaise et triste. L’Autriche, cent ple enfant. Il ne lui faut ni profession, ni calcul
Ibi.s moins coupable, n’a rien retranché du ni richesse ,
ni probité ;
il a trouvé moyen de
moins de ces allures vives et de ces mœurs fa- se passer de cela. Ce qu’il lui faut c’est le panem
ciles qui formeront toujours le caractère de ce et circenses ;
les spectacles font sa vie. La ferti-
peuple. Les Anglais, par le luxe de leurs impor- lité du pays et la multitude de ports maritimes
tations , le prosaïsme de leurs idées et leurs ex- disséminés sur sa côte entretiendront pour long-
cursions fréquentes parmi ce peuple ne servent remps son apathie il a du savon , du blé de
;

<|u’à le dénaturer de jour en jour, ne fût-ce Turquie et des acteurs. Il broie du jaune pour
qu'en donnant le goût du commerce à son indo- les peintres, produit de la soie pour ses maîtres

lence. Un Anglais en Italie m’a toujours paru et monte des cordes de violon pour ses artiste.':.
un contresens. —
Aux yeux de Byron , chacun N’est-ce pas bien encore la ville de fioccace et de
sait que c’était plus ; c'était un outrage. Fontanus?
Ce peuple d’oubli vivra donc et périra dans
l’oubli. C'est au milieu de Naples embaumée, de E. Bocer de Bexcvuik.

Diy by C«..rOgl
cre»;il muiiuiist'iiUl et lustorique. — Cajxi di Muote. — Théâtres. — Palais. — l.ombards. — A’ormands.
Souabes. — Angeviu.s.

§• > rois. On y trouve des noms de tous les pavs, ex-


cepté des noms napolitains!
Ces livraisons ont été jusqu'ici étude d'anato- Cette livraison sera donc un coup d’œil sur les
miste ;
l'un après l'autre , tous les membres du monuments de Naples, et un résumé de son his-
royaume de Naples ont été étendus sur la table de toire.

marbre, et analysés avec toutle jeu de leurs mus- §• 2-


cles et de leurs nerfs; passant de la tète aux bras,
des bras aux jambes, des jambes au corps, on a
Collège de» Oiiiiui». — Iteide Albergo. — San-Carlo.
été sans autre ordre que la fantaisie de la pen-
— Santa-Mai'ia del Carminé. — Sacristie de Saint-
,
noininique.
sée, à Amalfî à Pestum à Naples, à Sorrcnio.
, ,

Aujourd'hui ramassons tousccs membres épars, Mettez deux arcs à côté l’un de l’autre, c’est
<'t regardons ce grand corps tout entier couché la baie de Naples ; le point où les deux bouts se

entre trois mers sous un ciel de feu et sur une touchent est le château de l’OEuf; derrière ces
,

terre féconde comme l’Egypte. Les Apennins le deux arcs s’élève en amphithéâtre la ville de
traversent dans toute sa longueur comme sa co- Naples , en haut de cet amphithéâtre, formant
et

lonne vertébrale; baigne son pied dans la mer


il une pointe et pour ainsi dire une tète, se trouve

d'Ausonie à Beggio, touche de la main la mer le petit village de Capo di Monte. Capo di Monte

Ionienne par Otrantc, fait épaule dans l'Adria- est situé environ â une demi-lieue de la ville, et
tique parle mont Gargano, et repose sa tète au quoiqu’il fût une rt'sidcncc royale ,
il resta pres-
bord du golfe de Naples. Examinons cette tète, que inaccessible jusqu’à ce que les Français eus-
drérivons les monuments détruits ou debout, les sent jetéun pont entre les deux collines. L'ad-
temples, les églises qui sont comme les traits de mirable vue du Père-Lachaise ne peut pas elle-
son visage; puis, en voyant les rides profondes même se comparer au spectacle magique de Capo
que le temps a inscrites sur sa noble figure, nous di Monte. A vos pieds une demi-lieue de jardins
demanderons à l’histoire quelles passions l’ont d’orangers en fleurs et en fruits; au bout de ces
agité, nous raconterons sa vie, scs amours, ses jardins la ville de Naples tout entière avec ses
captivités, scs désespoirs, nous irons enfin cher- blancs palais, et au bout de Naples, la mer, cadre
chant sur son sein les blessures par où son sang éternel et sublime de toutes les beautés de ces
a ruisselé pendant tant de siècles! Car le Vésuve contrées délicicmscs. En 1726, Mathieu Ripa,
n'est pas seulement un volcan situé dans le royau- missionnaire napolitain ,
à son retour de la Chi-
me (le Naples, c’est Naples tout entière, c’est .son ne , y fonda un collège de Chinois. La dépense
•sol
,
c’est son existence. Les maisons sont bâties en est supportée moitié par 1’établis.setnent dont
de lave, la terre qui le nourrit est de la lave; les le revenu s’élève à GOOO ducats, moitié pour la

ornements de scs femmes sont faits de laves, et propagande de Rome. Les élèves sont envoyés de
.son histoire n’est qu’une éruption perpétuelle :
la Chine vers treize ou quatorze ans, et ils v
ce sont des nations étrangères qui surgis.sent sur retournent comme mi.ssionnaircs dans leur ma-
le sol en une nuit comme le Monte-Nuovo; ce turité. Quarante ont déjà été instruits dans cette
.sont des populations autocthoncs qui sont é-car- maison ;
on y voit leurs portraits avec des ins-
telées en deux comme la Sicile fut arrachée de criptions indiquant leur nom , la date de leur
l'Apulie par une commotion volcanique; ce sont naissance, leur province, l’année de leur arri-
des tr<5ncsqui s'abîment h la lueur des éclairs et vée à Naples , de leur départ pour la Chine et
au bruit de la foudre , comme les villes dévorées de leur mort, ainsi que les persécutions ou mar-
par des cratères. Paris, depuis Charlemagne, a tyrs que plusieurs ont subis. Après le collège
été pris quatre fois par les étrangers; Ixtndres, chinois il faut aller visiter Beale Albergo; c’est
depuis Guillaume , trois; Naples plus de qua-
,
à la fois une école, un atelier, un hospice, et
rante! et je ne sais pas d’histoire aussi doulou- aussi une institution de sourds-muets. L’abbé
reuse et aussi complète que la liste seule de ses de l’Épée s’est trompé en naissant à Paris; c’est
XVII. Itxiii niT. (Nxrtn. — 6* Liv.)

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, ,

ITALIE PITTORESüUE.
à Naples qu’il devait naître , et je ne sais pas au moins distant de la mer de dix minutes et ,

pourquoi Dieu a donné une langue aux Napoli- qu’il en est séparé par trois ou quatre cordons

inins tant ils font de grimaces ,


de grimaces
et de rues. Après avoir visité San-Carlo , j’allai le
;

él(Xjuentes! ils ont tous l’air de sourds-muets lendemain au Conservatoire de musique; Zin-
guéris; la grimace chez eux est tout une langue. garelli , l'auteur de Romeo et Crescentini, qui

Ln vous rencontre? Il ne vous demande


|taiivre chanta avec tant de puissance cette admirable
pas l'aunione,
il fait une grimace queteuse à cavaxincA'Umbraadorata, sont tous deux ré-
voire poche; les mendiants ont un geste pour fugiés là comme aux invalides, avec leurs quatre-
demander à hoire , un geste pour demander à vingts ans, l’un faisant des miserere, et l’antre
manger un geste pour demander du macaroni.
,
de sa voix de Soprano, chantant des confiteor,
Ln étranger se trouvant à Capo di Monte pria quoiqu’il ait bien peu de confessions à faire.
un Napolitain de lui indiquer un casin qui était Le second théâtre musical de Naples est le
situé dans la partie haute du village; le Napoli- théâtre del Fondo ; on y chante et on y danse :

tain pour réponse, releva la lèvre inférieure ; c’est une succursale de San-Carlo. Viennent en-
,

comprenez si vous pouvez , car il n'en dira pas suite les Fiorentini, où l'on joue la comédie, et
pins; et le savant chanoine Jorio, dont j’ai déjà enfin le spectacle national ,
le spectacle popu-
parlé , m'a montré le commencement d’un ou- laire le trdnc de Polichinelle, San-Carlino. San-
,

vrage qu'il va publier sur toutes les grimaces du Carlino est la madame Saqui napolitaine. L'atK-
peuple napolitain, avec explication de leur sens, chc portait, le jour où j’y allai ^gli amatori ;

commentaires et gravures coloriées. L’ouvrage del genere brillante si offre pel giorno e la sera
est gros comme un dictionnaire , et le chanoine di.., altra produzione giocossissùna in lutte la
a eu l'idée d'établir une académie chargée de sue scene, non ancora recilala doit altuale com-
maintenir la grimace dans sa pureté , comme pagnia, rieca di hizarri avenimenti, ed intitOf
notre académie garde la langue française. latu. con Polcinella. Car Polichinelle est là roi
. .

Redescendons à Naples. 11 aété déjà parlé des absolu; il bat les bourgeois, il casse.... Mais je
siudi, de la ebiaja, de la villa reale. Passons aux laisse au spirituel auteur de l’écolier de Cluny,

théâtres. Naples et musique sont deux mots si M. Roger de Reauvoir , le soin de vous écrire,
naturellement liés ensemble qu'on s'attend d’a- avec sa plume facile et brillante , la vie de Poli-
vance à voir le nom de San-Carlo au bout de ma chinelle. Polichinelle est un roi bien heureux
plume. San-Carlo est un grand colomlûcr doré; d'avoir ainsi deux hommes d’esprit pour histo-
plus vaste que notre grand Opéra , il offre un riens; car Nodier s'est déjà fait son historio-
coup d'cil magique les jours de gala ou de graphe.
demi -gala , par la richesse dos illuminations Si j’ai une aversion au monde, c'est pour le
qui se prolongent du rez-de-chaussée jusqu'aux V
Guide des ttyageurs. Savez-vous qu’il y a des
si ptièmes loges. Il règne tout autoiirdu parterre gens, les Anglais surtout, qui, en arrivant à
un espace vide et circulaire où la foule .se pro- Rome, achètent un Vasi (c’est l’historien des
mène dans les enir’actes. Par une coutume assez rues de Rome); puis ils divisent leur besogne
bizarre on ne paie pas de droit d’entrée à la en dix jours tant d’églises par matinée, tant
:

porte ,
car on est censé aller dans une loge, et le de tombeaux, tant de villas; c’est réglé comme
théâtre ayant été bâti par les riches familles de une ration. Ils partent à l'heure dite, prennent
la ville, chacune d’elles a conservé la propriété bien la route que leur indique leguide , et les
d'une loge; mais dès que vous vous présentez voilà, le nez en l’air et le livre en main , s’ar-
au parterre , il faut une rétribution ; le jour de rêtant devant l’arc de triomphe de Constantin
mon arrivée à Naples, on donnait Xllatiana in ou le Panthéon. A droite, il
y a un bas-relief
jdlgieri, je courus à San-Carlo, parce qu'on fort estimé, dit le Livre; bas-relief, répète l'.Vn-
m’avait dit que dans les pièces où la mer jouait glais, en regardant à droite bien! Et il va ainsi :

un rôle, le fond du théâtre .s'ouvrait et laissait de pierre en pierre, sc tuant les yeux à trouver
voir la Méditerranée avec les vais,seaux qui sur le monument tout ce qui est écrit dans le
étaienten rade; le théâtre .s'ouvrit en effet, livre , regardant chaque chose deux minutes ni
mais pas de vraie .Méditerraïué; une merde plus ni moins, car il doit tout voir, et il n'a que
carton bleu ,
comme à notre Opéra , et cela, par tant de temps pour cet édilice-là ; puis enfin, son
une bien bonne raison, c'est <pie San-Carlo est examen fini , il l’-crit au Ins du clinpilrc vu et :
'.
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,

N A V LES. a
cti vuilà pour iniilc sa vie, Le Icncleoinin on dé- pelle, sous l'invocation de la croix, fut élevée
couvix' dans ce monument un chef-d'œuvre de au lieu de l'exécution, à l’angle des maisons, du
Micliel-Ange. . . notre homme ne reviendra pas : cdté de l’église del Carminé, où se trouve main-

vu Qu'il y ait à dix^yas de là un tableau de Ra- tenant un café.


phaël, dont le livre ne parle pas, il n'ira pas: En face, dans la nouvelle église Sainte-Croix
vu! Sa conscience est satisfaite, son devoir est al Mercato, se remarque la petite colonne de
rempli. Connaissez-vous rien de plus mons- porphyre qui indiquait la place même du meur-
trueux que ce vu! Et n’avait-on pas raison d’ap- tre; elle est enversée et l’on y lit en caractères
,

peler ces voyageurs des Vaà ! Dans le commen- lombards :

cement je faisais comme eux, mais bicntdt j’eus


une telle indigestion d’églises et de colonnes que Asturis ungue leo puUum rapiens eufuiiinam
je jetai le livre au feu , que j'envoyai au diable Hic deplumavil acephedumque dédit.
les guides vivants et imprimés, et que je me

lançai dans la ville, seul, au hasard, cherchant,


« Ici le lion d’Àstura saisissant le jeune aigle
regardant, voyageant comme dans un nouveau
« le pluma et le décapita. »
monde, interrogeant les passants, demandant à
la forme des édifices la date de leur naissance,

causant avec les vendeurs assis à la porte des Le mot Asturis indique Juan Frangipani, qui
temples, d’où Jésus-Christ ne les chasse plus, prit et livra lâchement Conradin à Charles d’An-
tressaillantde joie àchaque découverte nouvelle, jou ,
et l’on sait que le lion était autrefois dans

étudiant à la fois la ville antique et la ville mo- les armes de France. Quand le bourreau eut fait
derne , les édifices et les figures les costumes et tomber la tête de Conradin, un homme qui se te-
,

les pierres apprenant enfin ma Borne ou ma derrière lui le frappa d’un coup de poignard ;
;

Florence comme j’apprends l’ame d’un ami, Icn- afin , dit Biancardi, c?te viua non rimanesse un

.tement, sans ordre, par éclairs subits, et faisant vile ministro che aveva versata ilsangued’unre.

de cette découverte une conquête à moi et un « Afin quene demeurât pas vivant un vil ins-

ravissement. trument qui avait versé le sang d’un roi. »


Ainsi , ne vous attendes pas que je vais vous Quand les Anglais , quatre siècles plus lard
firent périr leur monarque, ils mirent un masque
prendre par la main et vous mener à Naples
d’église en église , et de chapelle en chapelle , en noir sur la figure du bourreau ;
il n’y a que nous
vous disant Voici une colonne de cipollin , un
:
Français qui ayons eu l’horrible courage d’abat-
vase de basalte d’Egypte; non , nous allons en- tre la tête de notre roi à visage découvert et en

trer bmsquemcnt dans ces édifices, et pa.ssant criant victoire!


quelquefois devant un Christ de marbre sans C’est encore à l’église del Carminé que chaque
nous incliner , nous irons droit aux traits poé- année, le lendemain de Noël, est expose le mira-
tiques et saillants. culeux crucifix qui , lors du siège de t 139, pli.i
la tête, afin d’esquiver un boulet de canon ;
ce
Et d’abord, venez à Sainte-Marie del Carminé;
dirigeons-nous vers le maîlre^utel , et, passant crucifix est si vénéré du peuple napolitain que
par derrière, lisons, à la lueur d’une lampe, ce jour-là il court en fonle l’adorer ,
cl les ma-
une inscription presque effacée. C’est là que re- gistrats vont en corps lui offrir leurs hommages.
pose le jeune et infortuné Conradin , dont plus Une fautpas oublier de se rendre à la sacristie

tard nous raconterons et la vie et la mort. Ce de Saint-Dominique; les tombeaux des rois sont

tonte une histoire, et vous trouverez là les douze


mystère, cette obscurité, le souvenir d’un meur-
tre royal, fait tressaillir. Conradin sur l’écha- sépultures des princes Aragonais.
faud n’avah entendre que le cri « Oh ma
feit : !
Au-dessus du tombeau de Pcscaire est son por-
I

mère , qudle douleur va te causer la nouvelle trait, sa bannière déchirée, et une courte et

qu’on te portera de moi! » Cette mère, l’impé- '


simple épée de fer qui, selon l’inscription, serait
celle qne François 1" lui a rendue. Le
portrait
ratrice Marguerite, accourait du fond de l’Alle-
magne pour racheter sa vie; arrivée trop tard du vaillant capitaine le représente vêtu en fran-
elle consacra le prix de la rançon à fonder le mo- ciscain; ce singulier costume vient de la Grèce,
nastère del Carminé ; on y voit sa statue ,
où elle comme une foule d’autres usages de l’Italie méri-
est représentée une bourse à la main ; une cha- dionale. LesAihéniens, dans l’intention d’ejpier
, .

4i ITALIE l'ITTORESQUE.
les fautes de leur en
vie, se faisaient ensevelir que , et cet exarque nommait les maîtres des sol-
Imbit d'initiés ou d'hiérophantes. retrouve On dats de Naples et les gouverneursde la Calabre et
dans lesîlcsd'lschiaetdc Procidia vêtements les de la Lucanie. Le duché de Bénévent séparait, il
ffreesj la Tarantellc est, dit-on,
reste des un esterai, Ravenne des villes delaCmnpanie; mais
iKicchanale.s et l'on voit dans les montagnes de elles avaient pour les défendre un esprit de li-
;

la Calabre de vieilles Calabroise.s dont le métier berté qui valait mieux que les troupesde l'empe-
est de pleurer et de gémir aux enterrements reur.
comme des pleureuses. C’est ainsi qu'à Sainte- Il faut insister sur ce point, car c’est de
Claire on trouve aussi l'image du roi Robert, en là que découle toute l’histoire du royaume de
habit monacal. Non loin du roi Robert est le sé- Naples.
pulcre d'une jeune fille, morte à peine âgée de La république romaincavait formé les gouver-
seize ans; son épitaphe, écrite envers latins, nements municipaux et ceux des colonies sur son
eslun moniinicntcurieu.v defauxgoùt etde sub- propte motlèle ; chaque ville avait sa constitution
tilité sentimentale; en voici les deux premiers Dans Naples, pttr exemple, les magistrats étaient
vers comme échantillon ; élus par lescitoyensdans une assemblée annuelle,
peuple pourvoyait par des taxes qu’il s’ini-
et le
Nata eltcu ! miseruni, misfiomihirialnparenli, posaitlui-mèmcaux dépenses qui le regardaient
Umeus utjieres, unica nala, âolor. seul tandis que le produit des impôts publics
,

était transporté en entier h Constantinople. Il y


C’est son père qui est censé parler, et dans ce avait une milice bourgeoise, les remparts étaient
sur mot
y a trois jeux de mots
seul distique il le
fortifiés, et l’éloignementdes empereurs de Con-
naltt, un sur le motomico,etun sur le mot mise- stantinople favorisant l’extension des principes
runt. Qu’il y a de cette poésie mignarde et
loin
de liberté, les villes devinrent bientôt de vérita-
à l'éloquence brute et pittoresque du
als'itardie bles républiques.
peuple! On montrait à un lazzaronc l’archidu- De 589 à 830 de ces républiques de
l'histoire
chesse Marie-Louise, en lui disant : E In vedova Naples n’est qu’une longue guerre sans résultat
di Napolfione. — Iai vrdova? reprit-il avec in-
entre elles et les Lombards Bénéventains; dcu.T
dignation, éil suo sepolcm. Sa veuve ê Dites, son ou Lombards s’avançaient sous
trois fois l’an les
tombeau ! Passons à rhisloire. les mursde Gaète ou d’.Vmalli alors les barons se
;

retiraient dans leurs châteaux, les bourgeois der-


§. 3.
rière leurs remparts, et comme,'avantrinvcnlioii
Lombards. — Sarra/ins. de l’artillerie, défendre une place était beaucoup
Les Lestrigons dans les temps fabuleux , dans plusdifficilc que de la réduire, les Bénéventains
les temps historiques des colonies grecques, puis après quelques jours de pillage étaient forcés de
puisles Romains, tels .sont les pre-
les Siimnite.s, rentrer sur leurs terres. Cependant, en 830 à peu
miers habitantsde ces délicieu.scs contrées, appe- près, Sicon, duc de Bénévent vient mettre le ,

lées tour h tour la grande Grèce, l’Apulie et le siège devant Naples; après plusieurs tentatives
royaume de Naples. En 568 les Lombards arra- les murailles s'ébranlent sous le liélicr, une large

chèrent une partie de l’empircd’occident h Jus- _brèche est ouverte; la nuit appr(x;be, elles Lom-
tin n, et .Vutharis, troisième roi des Lombards bards ficinissans se pressent avec fureur sous les
depuis Ardoin, traversant toute l'Italie méridio- murailles, pour le sac et le pill.age. Alors le due
nale jusqu’à Reggio, poussa son cheval dans la de Naples sort des rcm|>arts; ils’appelaitEtieiine
mer, et frappant de sa lance une colonne élevée et avait une femme et deux fils; il demande une
au milieu des que c’était la seule li-
flots, s’écria entrevue à Sicon, il le supplie d’attendre encore,
mite qu’il reconnût à monarchie des Lombards.
la une nuit pour entrer dans la ville qui se rendra
C'est alors que duché de Bénévent.
fut fondé le alors d’elic-mèuie ;
puis, pourgagedesa parole, il

Situé au milieu du royaume actuel de Naples, il remet au Lombard sa femme etsesdeu.xenfanls.


établissait au cœur de la république les ennemis Sicon les accepte, Etienne rentre dans Naples ; il
qui devaient l’envahir, en pou,s,sant toujours du assemble le peuple. « Je ne suis plus maître des
centre à la circonférence. .Mais, à ce moment soldats, leurdit-il; j’ai perdu ce titre au moment
CCS villes relevaient encore de l’empire de Con- où j’ai pu livrer Naples aux Cénévenlains. .Mais
staiHinopIc.L’cnqiercuravaitàRavenncunexar- ma promesse ne vous liepas; élisez un nouveau
\

N Al* LES. 15
chef, profitez de la trêve d'une nuit et relevez slons des Sarrazins on avait b,àli des château
vos murailles, n On élit un autre maître des sol- sur des hauteurs inaccessibles ; ch bien le,s sei- ' !

dats; hommcs,remmes et enfants se mettent à l’rfu- gneurs de ces châteaux en firent des royaumes ;
vntfje, et quand Sicon se présenta le lendemain chaque ville devint une république, chaque roc
il n'y avait plus de brèche. Il cric à la trahison ;
uiiefortercs.se. chaquebaron un souverain; vingt
Ktiennc sort et se remet entre ses mains ; on le peuples dans un peuple, mille individuspnissanis
tue, mais Naples est sauvée. et une nation épuisée! Vienne maintenant un llol
L'ne seconde tentativedes I.oinbardssurSorren- «le barbares et ces belles contrées sont à eux ;
lo n'eut pas plus de succès. Sicard, leduc de Bé- mais ils ne les auront pas long-temps; les peuple.s
névent, assiégeait Sorrento; comme Naples, cette [Kiienlbiendes années leurs premières fautes; ces
ville était réduite aux dernières extrémités; mais mille Etats au milieu de l’Etat enfanteront révolu-
une pendant que Sicard méditait dans sa
nuit, tionsur révolution ; souverains et |>euples se suc-
tente, s.aint Antonin, jadis abl>é de Sorrenio, lui céderont sans cesse sur cette terre de délices ,

apparaît. Le saint a en main ungrosbàlon. Avant tout le monde conquerra Naples, etnul ne là gar-
de parler il en décharge cinq ou six coups sur les dera on verradix fois peut-être un roi sortir pat-
;

larges épaules du duc de Béuévcnt puis, d'une ; une porte et son rival entrer par l’autre; Naples
voix tonnante : « Subis Injuste punition des tour- sera rhôtcllerie guerrière ce toute l’Europe. C’est
ments que tu causes à mon troupeau cl soumcls- l.à que tous les fils ou frères de roi, qui n’auront

toiau pouvoir ducici eldesessainis. » Ce disant, |>asde couronne viendront savoir comment est
,

l'ombre lève encore son b'ilon, et elle allait re- fait un trône les seigneurs les appelleront le ,
;

coniracnccr sesraisonnemeiils; mais Sicard con- charme du climat les attirera l’emportement et ,

vaincu se jette à ses pieds et lui promet de re.s- l’inconstance des populations vésuviennes les
pccler ses fidèles. C’est alors (pie fut conclu le enivreront d’acclamations ; mais que de larinc.s,
traité entre Sicard et le duché de Naples, où Na- quede sang couleront au milieu de ces TeDeum
ples fut appelée république. |>erpétuels!... Pourleschcfs, qu’importe!... Ils
De 836 à 1010 de nouveaux ennemis viennent auront du moinstrônéunjour, et en retournant
fondre sur le royaume de Naples. L'n G rec-Sici lien dansicur patrie ils se retrouveront princes com-
nommé Euphémius, ayant enlevé une, religieuse me devant. Qu'importe aux bandes qui les sui-
dont il était épris, fut poursuivi par la palrice de vront!.... clics auront du moins vécu quelques
.Sicile. Il SC réfugia en Afrique, fit connaître aux mois de cette vie enivrante de conquérants; et si
Sarrazins un moyen de s’emparer de sa patrie, elles sont tuées, autant dormir à Naples qu’ail-
etaucommencemcnldu neuvième siècle y revint Icurs! Mais le malheureux peuple indigène... ces
avec une armé-e d’Arabes. Vainqueurs en Asie, misérables couches inférieures, sur lesquelles
en Egypte , en Afrique, en Espagne, les ardents passeront et repasseront, au pas de course de
Sarrazins eurent bientôt enlevé la Sicile aux leurs chevaux, tant de guerriers armés et vêtus
Grecs énervés. C’est alors que le duché de Na- de fer'.... Ah! que de souffrances ! et combien
ples, sans cesse assiégé par les Bénévcniains, ap- de fois les mères maudiront la beauté de leurs
jxla les Sarrazins à son sccou rs ; les Bénévcniains filles!
les appelèrent aussi. Lesbarbaresnesefirentpas
attendre ;
entrés comme alliés ils furent bientôt On va de- He(';jio à Tiirento sans entrer dans aucune
maîtres ils pillèrent les côtes, s’emparèrent des ville ai on ne SC décide pas à y pénétrer ou plutôt à y

villes,
;

asservirent Lombards et Napolitains, s’éta-


,

gravir par l'iprc chemin qui v conduit. chemin rM O


Au toujours le lit du torrent ; il n’y rn a point d’autres, t.rs
blirent à Cumes et Misèue. lieu de se liguer
pieds des chcvani y glissent sur les galets dont il est
toutes pour défendre le pays, les cités ne songè-
couvert. Ce lit a ipiclquefois un demi-iuille de largeur.
rent qu’à se défendre seules et à s’agrandir déjà
; Les liords sont élevés; il y fait chaud comme dans un
indépendantes et pourvuesd’iiislitulions républi- four, cl tous les galets sont véritablement brûlants
caines, elles profitèrent du trouble de ces inva- Après avoir fait ainsi à peu près quatre milles , on ar-
rive au pied de la montagne où la ville est perchee
sions pour rompre tout vasselage. Le royaume
comme le nid d’un aigle. On monte dc-ux ou trois milles,
alla se morcelant en
mille unités débiles ; plus de
cl faut toujours aller à pied tant le chemin est dilli-
il
lien,plusde nation. Amalfi se sépara de Naples; On est ensuite tout étonné de se ti-ouver
cilc et rapide.
des débris du duché de Bénévent se formèrent à cette hauteur dans une ville qui compte de trois à cinq
trois principautés. Pour se garantir des incur- cents habitants. (LcHrc de M. Miilin.)
,

« 1 TA 1. 1 F. V I T TOBESQl' F.

'* Léon IXsaisit avidement de gagner


l'occasion
S-
un royaume à donna ce qui ne lui
sa défaite et
DominatluD nm-manHc.
appartenait pas. Ainsi commença
cet étrange
Au tempsdes croisades chacun voulait aller mensonge de dura tant de siè-
l'investiture qui
eu terre sainte. Les Normands furent les plus cles; le premier ambitieux qui arrivait en Ita-
ardents de ces pèlerins armés; mais au lieu de lie demandait ce droit au pape pour sanctifier

)>asser par la Méditerrané*! ils traversaient la ses conquêtes , et le pape le donnait pour I ac-
France et l'Italie, se fiant à leur épée pour vivre. quérir.
Au commencement du onzième siècle quaVante Ceci se passait en 1054. Le fameux Bobert
Normands , revenus du saint pèlerinage sur des Guiscard était un des chefs normands. En 1080
vaisseaux d'Amalfi, sc trouvèrent à Salerne au Robert avait conquis toute l’Apulie; quelques
moment où une flotte des Sarrazins descendi- années avant, son frère Roger partit pour sou-
rentsurla côte pour piller laville. LesLoml>ards, mettre laSicileavecquelqueschevaliers. Laville
•'nervéscomme les Grecs sous ce beau ciel, s’eii- de Tmina, dans le val de Démone, lui ouvrit scs

liiircnt; lesquarante Normands demandent des portes, et il s’y établit avec sa jeune épouse et
armes à Guaimar, prince de Salemc, charj'cnt troiscentsgncrriers. Les Sarrazins s'étant intro-
ie.s Sarrazins et les chassent. Guaimar comble ses duits dans la ville, les Normands se réfugièrent
lÜK-rateurs de présents et veut les retenir; ils dansun seulquartierouverldelouscôtés, ycom-
partent ; Guaimar les supplie du moins d'inviter battirent à chaque heure du jour, et ne purent
de partdes hommes de leur nation, des hoinincs
sa plus en sortir pour se procurer des vivres. Iæ
aussi braves qu'eux , à venir le défendre contre famine les décimait. In comtesse et les deux
les Sarrazins. En arrivant ilans leur pays ils femmes qui l'avaient suivie restaient seules pour
montrent h leurs compatriotes des dattes et des apprêter le repas deRogerct de sescompagnons ;
oranges ; ces fruits savoureux excitent lesdésirs la comtesse et le comte ne possédaient pour eux
des hommes du Nord on sait que c’est par cet
; deuxqu’un seul manteau qu’ils portaientaliema-
attrait qu’on amenait les Varangiens du fond tivement, selon que l’un ou l’autre devait paraî-
de la Scandinavie à Gtnstantinopic pour y for- tre en public. l)ans l’un des combats Roger,
mer lagarde de rem|)ereur. ayant eu son cheval tué sous lui, et demeuré seul
Fidèles h l'invitation des princes de Salerne, au milieu des ennemis, se fit place avec .son épée,
(h’S colonies de Norinamls se succédèrent rapide- emporta la selle sur scs épa'îles pour qu’elle ne
ment jusqu'à eeque, sous les ordres deGuillaiiine restât pasen trophée aux mainsdes Sarrazins, et
Bras-dc-Fcr, les fils de Tancrède de Hautcvillc revint lentement à pied au milieu des siens. Les
conquirent toute la Fouille; chacun des douze Normands se maintinrent aussi quatre mois dans
principaux chefs dcvinicointcd’une ville, et il s’é- la moitié d’une ville; au bout de ce temps l’hiver
tablit une république oligarchique et militaire. arriva, et avec l’hiver la neige. LesSarraxins et
Effra vc de cette invasion , le pape Léon I\ mar- les Grecs ,
énervés , ralentirent leurs attaques ,

cha lui-mcme contre les Normands, à la tète et une nuit lesNormands leschassèrentdeTraioa-
d une armée d'Allemands et de Grecs; les deux I.a Sicile fut en.suite conquise tout entière, et
empires s’étalent ligués ; Léon est battu et s'enfuit enfin, soixante ans après, le pape Anaclet cou-«
à Ci vitella ; mais les menaces des barbares forcè'- ronna Roger II roi des Deux-Siciles. Naples seule
riMit les habitants à le faire sortir de leurs murs résista Iqng-temps à ses armes et resta la dernière
et à le laisser sans défense hors des portes. Les république ; appuyée par l’empermir Lothaire
Normands victorieux s’avancent alors vers lui ;
par les Pisans et par le pape Innocent II , elle
puisils SC jettent à genoux, se couvrent
de pous- soutint un long siège et toutes les horreurs de la
sière, implorent son pardon , sa bénédiction, et famine pour conserver son indépendance; mais
l’emmènent prisonnier dans leur camp, avec les Roger ayant fait prisonnier Innocent II, le pape,
marques du respect te pins profond. Quelques selonla coutume papale, lui accorda l’investiture
jours après ils liai tlémimélërent l’investiture au du duché de Naples pour obtenir sa délivrance,
nom de saint Pierre, de tout ce qu'ils avaient et Naples, abandonnée de ses alliés, fut forcée
conquis et pourraient conquérir dans la Ca- d’envoyer la couronne ducale à Roger. Ainsi
labre et dans la Sicile ,
pour le tenir en fief de périt dans l’Italie méridionale la dernière répu-
l’Eglise. blique grecque. C’était en 1 138. Cinquante-cinq
îîAiPLrfli'i

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NAPLES. A7
ans après, en 1 193, Tancrède, dernier roi de la les yeux de sa mère,àlacourdesonaïeul, leduc

raec normande, mourut à Beggio, et le royaume de Bavière, et tout en lui annonçait le digne héri-
de Naples passa à l’Allemagne. ritierdesvertusde ses pères. C’était en 1268, et il
avait seize ans. Déjà les Gibelins étaient venus lui
§• ;> offrir plusieurs fois de le mettre à la tête d’une
armée, mais sa prudente mère le voyant si jeune
Saabes.
encore, disait: attends. Cependant les compa-
Le règne des Suabcs ne fu t q U 'une longue guer- gnons de Mainfroi, les seigneurs exilés quiarn •
re contre la papauté. Maître du royaume des valent tousies jours de Naples, lui pariaient san.s
Deux-Siciles, ils n’avaient que faire de l’investi- cesse de la haine profonde que la rapacité d(>s
turect voulaient rompreà tout prix ce vasselage. F rançais excitait dansie pays, et que la ^cile n at-
Le fameux Frédéric II lança contre le pape une tendait que sa présence pour se révolter, et que
protestation enlatin, où, rappelant tous ses abus les Sarrasins de Nocera pleuraient d’attentrisM -
de pouvoir temporel de la tiare, ildéclares'alTran- ment au seul nom de son aïeul ou de son père.
chir de l’homniage-ligc et du tribut de six cents Tous lui offraient vie et fortune ; les ambassadeu rs
schÿatorum. Le pape assemblait des conciles de Pise et de Sienne lui promettaient l’appui de
pour l’excommuniner ; F rédérie emprisonnait les la moitié de la Toscane , et lui donnèrent cent

conciles. Et c’est alors qu’à la face de toute la mille florins pourfairc les premières levées. Mar-
fdirétienté et au milieu du silence de l’Europe tine délia Scalalui offrait Vérone, et le marquis
entière qui écoutait ,
il jeta ces solennelles pa- Pela Vicino mettait à son service sa personne et
roles : Que le roi de France, Louis IX, soit juge scs soldats qui avaient vieilli à défendre la mai-
entre le pape et moi! Frédéric avait deux fils, son de Suabe.
Conrad et Mainfroi , et leur légua ses haines et Conradin ne peut résister; il part, sa mère le
ses guerres avec son royaume. Conrad combattit bénit ; la première noblesse d’Allemagne se range

infatigablement et mourut, laissant un enfant au étendards; Frédéric, ducd’Autriche, se


.sous ses
berceau nommé Conrandin le marquis d'Osna-
,
;
joint à lui
;
le duc de Bavière , son oncle , et le
bruck, Bartold, tutçur de Conradin, se rend vers comte de Tyrol, second mari de sa mère, arment
le pape Innocent et lui remet la tutelle du jeune leurs vaisseaux pour l’accompagner jusqu'à Vé-
prince, à lui. Innocent, son plus mortel ennemi ! rone; mais avant il envoie à toute la chrxùienlé
Quelle grandeur ! Mais le pape marche contre le un manifeste en latin qui est un monument cu-
royaume de Naples ; vainqueur, vaincu, il laisse rieux comme éloquence ,
et comme représenta-
enfin la couronne aux mains de Mainfroi, oncle tion de de cet époque.
l’esprit
de Conradin. Mainfroid répand partout que Con- « .Mon cœur est plein, ma bouche parle, dit-il ;

radin est mort et se fait roi à sa 'place. Urbain U la violence de l’injure m'ouvre les lèvres et je
IV ordonne de descendre du Irdne, et, sur
lui » ne puis la supporter plus long-temps. i.e ma-
son refus , donne à Charles d’Anjou , frère de » gnifique roi Conrad mon père, de très-sainte
,

saint Louis, l’investiture du royaume des Deux- » mémoire, me laissa, par un testament solennel,
Siciles. Le traité fut fait par Clément, son suc- » dans les mains de notre sainte mère l’Eglise,
cesseur, et il restera comme uu nionumènt de » moi , tendre enfant, vagissant dans les langes,
làcheléetde honte de la part deCharIc.s d'Anjou. » et non encore désallaité des mamelles de ma
Il se soumet à un tribut annuel de mille onces » nourrice. Il espéraitque l'Eglise me prendrait
d’or et d’une haquenée blanche; il s’engage à en- » bénignement ^ns les bras de la charité, et,
tretenir trois cents chevaliers bien armés pour U m’ayant pris, me traiterait plus bénignement
le secours des terres d'églises, et mille cavaliers » encore et, m’ayant ainsi traité m’élèverait fi-
,

ultramontains pour toute affaire qui intéresse- » dèlement sur mon trône. Ecoutez cependant ce
rait la foi; il déclare se soumettre à tout ce que > que fit le souverain pontife, qui était alors In-
voudra le pape pour les exilés de Sicile et les » nocent, qui nuisit à tlnnocent! ( Innocentus qui
Uénéventains, et puis, après ses drapeaux béni«, » nocuit innocenti.) »
ilinarchc contre Mainfroi, le défait dans les plai- A près avoir rappelé les tentativesdu pape con-
nes de Bénévent et moule sur le trône de Con- tre le royaume de Naples, il ajoute «Voilà
: com-
radin. » ment il exerça l’humanité envers moi, voilà
Cependant le jeune Gjnradin grantlissail sous » comment il a rempli les devoirs de sa tutelle. O
ITALIE Pn TORESOUE.
U doiiK'ur, ùcriiiio, O luiscrablc œnclilion du pu- mé Alaixl.de Sitinl-Valeryi lui donna la victoire.
u pille qui recevait le plus d'oITenscs de là où il L’arméedu jeune prince fut dispersée; lui-même
>1 devait espérer la défense ! Mon oncle Mainfroi il prit la fuite, mais Jean Frangipani l'arrêta et le
» lui-nicmc, répandant faussement le bruit de livraà Cbarlesd’Anjou. Charles avait étéeffraye
» ma mort, sc fit pseudo-roi. Oaveugle cupidité de l’amour qui avait éclaté dans la population
>' des biens de la terre qui pousse à l'injustice pour l’héritier légitime; il le tenait dans son pou-
U les suprêmes pontifes et les parons! » voir. sa mort fut résolue. Inquiet cependant, il
Enfin après avoir parlé du pape Urbain , qui écrivit au pape pour lui demander conseil. Le
peu urbain (inurbanus), et du pape Clé-
lui fut Saint Pèrelui répondit :/Vt« Conradini mors Ca-
ment qui lui fut peu dément, il finit par ces élo- roli;mors Coradini vita Caroli : « La vie de Con-
quentes paroles « Ouvrez lcsyeu.v, peuples de
: radin est la mort de Charles; la m irt de Conra-
'lia chrétienté, et voyez comme ces hommes dinest la vie de Charles. » Alors le duc, pourdon-
» trompent le monde sous l'apparence de la ncr à sa vengeance l’apparence de la justice, as-
» vertu; voyez comme ilsabusent fallacieusement sembla des syndics et députés de la Terre de La-
Il de la croi.v du Christ pour la ruine des chre- bour. Tous ces juges étaient vendus. Ce|)cndar.t
» tiens. Hélas! hélas! par combien d'injustices, l’un d’eux , Guido de Sucaria , juritcunsulic fa-
Il romhicnde fraudes, combien de violences, uo- meux, se leva et dé-claraqucCÆiiradinétaitsousIa
>1 Ire héritage a-t-il passé h des possesseurs qui sauvegarde des lois de la gui'rre, que son droit au
" ne devaient pas l'être! Charles l'impie est roi trône était assez plausible pour qu'il ait pu .sans
Il de notre royaume, cl nous, pendant ce tenqvs. crime les faire valoir, que les désordres commi.s
Il nous sommes caché au fond de l'empire, hum- par scs troupes dans les villes l'cclésiastiques ne
>1 hic, épouvanté, obscur, n'oITcnsant persoiiue pouvaient lui être attribués, et qu'enfin .son .ôge
Il ni en i>arole ni en .action ; pupille abandonné de était un titre d'indulgence. Un seul juge t)s.i vo-
>1 tous et sans honneur, et pourtant le pontife ter pour la mort ,
et Charles fit prononcer la
« nous poursuit encore comme un chas-scur inqii- sentence sur un seul vote. Conrandin jouait aux
II toyable. Il veut ficrascr le poussin dans l'œuf. écheesquand on lui lut l'arrêt; le lendemain, 36
Il et craignant qu'un jour nous ne levions la tête, octobre, 1 368 , il fut conduit, .avec tous scs amis
H il lance contre nous, enfant innocent cl sans sur la place du marché de Naples, le long du ri-
Il force, la fii-chede .son carquois; il fulmine l'ex- vage de la mer. Charles était présent avec toute
II communication, il semble que c'est une grave sa cour ; une foule immense entourait le roi vain-
Il oflénfceuversiuiqueriousvivions sur la terre. queur et le roi condamné; les assistants sanglo-
Il En quoi donc t'ai-jc blessé, <5 Pontife Pquct’ai- taient. Robert de Bari, protonotairedu royaume,
11 je fait de mal, sainte mère Eglise, |X)ur que lu lut la sentenee portée contre Conradin, comme
>1 me ni ardu es (novercarisj. moi, confié la tu- ,'i traître à la couronne et ennemi de l’Eglise. Il
11 telle ilMais puisque tous mes sujets m’appellent. achevait à peine quand Robert de Flandre, pro-
,
Il j'arrive, je prends le glaive, j’arme la justice de pre gendre de Charles, sc lança sur ce prolono-
Il ma cause du fer cl du bouclier de la guerre, et taire, et le frappant de son épée au milieu de la
Il notre race magnifique, qui commanda dans des poitrine, s’écria « Il ne t'appartient pas, miscra-
:

Il temps si longs et si antiques, ne dégénérera » ble,Alc condamner un si noble et si gentil sei-


Il point dans ma personne! » » gneur. » Le juge tomba mort, et Charles n’osa
11 part, il arrive à l’ise, traverse en vainqueur levenger. Conradin monta sur l’échafaud, déta-
Pise cl Sienne, voit toutes les populations .se le- cha lui-même son manteau, et ayant jeté au mi-
ver pour lui, entre dans Rome, y est reçu comme lieu du peuple son gant comme gage de ven*-
un empereur, passe devant Viterbe où le pape gcancc, il tendit sa tête au bourreau. Il avait
était enfermé, déploie toutes ses forces guerriè- dix-septans.
res, et délxjuchc enfin par les Abruzzes dans la Après un tel acte d’atrocité, on ne peut rien
plaine de Saint-Valentin ou Tagliaeozzo. Charles dire sinon que c’était à la fois un grand crime
d .VnjouquilteLuceria et arrive aux mêmes lieux; et une grande faute. L'avenir (qui est le passé
Charles n'avail pas plus de trois mille chevaliers pour notes) le prouvera.
àoppo,serauxcinqniillequeconduisailConr.adin;
mais une ruse d’un vieux capitaine français. nom- F. A.
,,

NAPLES.

SUITE DU COUP D’OEIL HISTORIQUE.


I)yn.i»tie angevine. — Cluilrs1". — Chailcs — Robert. — Position du royaume sous Robert. — Sa Jeanne.
II. Qlle
— Ses quatre maris. — d'AntIréa. — Mort de
5Ioi-t — Cliarles DoraMO. — Ladislas. — Jeannelle. — Ses
la reine.
dé;)Ortements. — Son mari le comte de — Sa mort Les Alphonses. — Les
la .Marelle. — Masaniello. vices-rois.
— Le duc de — Philippe V. — Révolution de 1799. — République parlliénopécnne. — Réactions. —
Guise.
Joseph Bonaparte. — Murat. — Restauration.

La mon (le Conradin avait assuré la couronne gratter contre le mur où pendait la corde de la
des Deux-Siciles sur la tète de Cliarles. Les cltx^be, et la fit sonner. Lcducordonnaauxpor-
scandaleuses et impitoyables exactions de son tiersdcfairccnlrcr celui quiavail sonné, croyant
vice-roi à Palernie, Guy de Montfort, amènent que c’était un pauvre; les portiers revinrent et
les Vêpres Siciliennes en 1 282. Pierre d’Aragon dirent que c’était le cheval de Marco Capece. Les
est couronné; la Sicile est séparéedu royaumede œnscillcrs se mirent a rire; mais lui il prétendit
Naples. Le règnede Charles I" et de Charles 1
1
que la aux
parfaite justice devait se rendre aussi
son successeur, n’est qu’une longue guerre bêles. Marco Capece fut donc appeléau tribunal,
entre les rois de ces deux royaumes pour les ad- et leduc lui demanda pourquoi il laissait ainsi son
joindre l'un à l’autre par la conquête. En 1309, cheval libre. Marco répondit que le cheval avait
Robert monte sur le trdne; la nation napoli- été très-bon , qu’il lui avait beaucoup servi dans
une des premières nations
taine devient sous lui la guerre mais qu’il était devenu si vieux qu’il
,

de l'Europe. Le pape avait fait Robert roi, Ro- ne voulait pas perdre son argent à le nourrir.
bert soutint le pape ce fut le plus vigoureux
: Leduc se rappelant alors que Marco avait été lar-
appui du parti guelfe dans ce siècle. Quand gement récompensé des services qu’il avait ren-
l'empereur Henri VII descendit en Italie, Ro- dus au roi , services auxquels le cheval avait
liert leva des troupes et arma des galères pour contribué , lui reprocha son ingratitude envers
soutenir la tiare : Robert fut nomme vicaire du ce noble animal , et ordonna que dorénavant il
Saint-Siège ; les Florentins l’élurent à la seigneu- eût une place dans l’écurie de Marco comme les

rie de de Florence ; ils lui donnèrent la


la ville autres chevaux ,
sans quoi il le considérerait
villedc Lucques pour la défendre ; enfin média- comme un homme méchant et indigne de scs fa-

teur dans toutes les guerres du nord de l'Italie, il veurs. Celte action prouve que c’est avec raison
fit plusieurs vigoureuses tentatives pour arra- (pie sur le tombeau de ce prince on l’a repré-
cher la Sicile au successeur de Pierre d’Aragon. senté les pieds appuyés sur une conque remplie
Son règne fut aussi celui des arts et des sciences ; d’eau , dans
laquelle boivent pacifiquement un
il aimait et cultivait la philosophie et meme loup et un agneau. »
l’astrologie Boccace fit à sa cour, et dit-on pour
;
Les deux filles du duc de Calabre devenues les
.sa fille Marie, le Philocopo et le Fiametta; Pé- héritières présomptives de la rouronne, Robert
trarque était son ami, et quand il partitdeNapIcs fiança l'aînée , Jeanne, à Andréa fils du roi de ,

pour aller se faire (xjuronner au Capitole , le roi Hongrie. Les deux époux avaient sept ans, et
Robert se dépouilla de sa robe cl l'cn revêtit. Andréa resta à la cour de Naples pour y être
Robert n'avait qu’un fils, le duc de Calabre élevé dans les coutumes du pays où il devait ré-
mais ce prince mourut jeune. Costanzo rapporte gner. Robert croyait ainsi remédier à la mort
.sur luiun Irait singulier, et qui fait regretter (le son fils; nous allons voir si sa prévoyance fut

sa mort : heureuse.
lenailloujoursunecourdcjuslice avec scs
« Il Robert mourut en 1 SâS. Sa femme Samdie fut

conseillers dans un palais situé où est aujourd’hui nommée régente; Andréa devait rester toute sa
l 'église de l'Incoronata et dans la crainte que les
;
vie duc de Calabre, cl Jeanne à vingt-cinq ans
portiers ne fissent pas entrer les pauvres, il avait prenait l’administration de l’état. Ce règne, un
ordonné qu'on plaçât une cloche à la première des plus sanglants et des plus mouvementés de
porte du tribunal. Il arriva un jour que le cheval l'histoire du monde , œuimença par une tempête
d’un cavalier napolitain, appelé Marco Capece, si horrible qu’il n’y a pas de souvenir d’une
,

cheval que sa vieilicsseavait rendu inutile, et que pareille; étrange ouverture de cet étrange
son maître avait chassé à cause de cela, vint se drame Pétrarque, qui
I
était à Naples à ce mo-

XII. Itaiii pitt. (Niplei.. — TLiv.)


,

50 ITALIE PITTORESQUE.
ment, envoyé parle Saint-Père, en fait ainsi la églises dédiées à la Vierge. Il n'y eut pas un na-
description dans une lettre écrite à un airdinal : vire dans le port qui pût résister : trois galères
« Celte leni pèle avait été prédite quelque leiiips venues de Chypre furent suhnicrgi-es avec tout
auparavant par l'évéque d'une petite île voi- leur é«]uipage; plusieurs grand.svaisseaux pous-
sine. Il devait y avoir, disait-il, le 2.^ novem- sés par la violence des flots s’cnire-choquèrent et
bre , un tremblement de terre qui renverserait SC fracasst'rcnt ;
un seul sc sauva ,
un seul ,où sc
toute de Naples. Le 24 , toutes les reinmes
la ville trouvaient quatre cents malfaiteurs condamnés
de la cité , les pieds nus et les cheveux épars aux galères Ces brigands firent
! tant et tant d'cl-
leurs enfans dans les bras, allaient dans les églises forts qii ils vainqiiireiil la tempête ,et quand ils
et demandaient miséricorde à Uieii. Jcnie relirai furent au bout de leurs forces ,
la mer sc calma
dans mon logement avant le coueberdu soleil ; le et les sauva :
pas un d’eux ne p-riti Scrait-cc
ciel était extrêmement clair, et ouvrant ma fenê- qu’il y a un dieu |iour les brigands? ou bien sont-
tre du côté de roccidenl, je vis bientôt se lever la ils plus en sécurité dans le danger parce qu'ils
lune, la face toute rouverte de nuages. M’étant tiennent moins à la vie? Le ciel le sait. Telle est

ensuite niisaulit, jecommcnetiisàdormir, quand riiisluire de la journée d'hier ; et je vous prie


soudain mes fenêtres s’ouvrirent avec un grand de ne plus m’ordonner d'aller sur mer, parce
bruit, et toute ma chambre trembla; jcdcscendis que ni à vous, ni au pa|>c, ni il mon pè're s’il vi-
dans le cloître du monastère où j’habitais et j’y , vait , je tic pourrais obéir en ce point. Laissons
trouvai tous les frères, les croix et les reliques l'air aux oiseaux, et 1a mer aux poissons; mais

des saints à la main ,


pleurant, priant, et tenant quant à moi , animal terrestre je veux aller par ,

des torches allumées; nous allâmes tous à l'église, terre. Envoyez-moi en Mauritanie, en S.arnia-
et nous étant jetés le visage contre terre, nous tic, dans l'Inde, oui; mais sur l’eau, non. Vous
implorions Dieu à haute voix , attendant de mo- me diriez a Je te ferai avoir un bon vais.seau
:

ment en moment que l'église tombât sur nous. avec de bons marins, et tu pourras être rendu
Quels torrents d’eau quel veut! quels coups de
! dans le port avant la nuit, et tu pourras cotoycr
tonnerre quel déchirement du ciel! quel trem-
! le bord; que j<*vousdirais que j'ai vu périr dans
blement de la terre! quel bouillonnement de la le port les plus licaux navires du monde, cl je
mer! quelles clameurs de peuple! Quand le jour vous proteste que je me servirais de ma lilicrté.
se leva, nous cntcudiiues un bruit épouvan- .si Donc, laissez-moi mourir sur la terre puisque
table du du rivage, que je montai à cheval
côté je suis né sur la terre. »
[tour aller voir ce que c’était, ou mourir, (jraiid Ce fléau ne fut que le prélude des mallieurs
Dieu <|uel spectacle La mer avait envahi tous
! ! et des crimes de celle époque. I.a reine Manche
les bords, et on voyait flottants sur l’eau des mil- était morte; Jeanne, forte cl ambitieuse, voulait
liersde malheureux qui, s’efforçant d’arriver à ix^uer seule; Andri'a, son mari, voulait aiis.si
terre, étaient ballottés par les flots avec tant de le titre et le pouvoird'uii roi. A ndrea était {pxss-
violence, qu’un aurait dit autant d’œufs qui al- sier, stupide et faible, et il était conduit par une
laient.se ca.s.ser. On ne voyait que personnes troupe de seigneurs hongrois qui étaient venus
noyées ou prêtes à se noyer, la tête fendue, les avec lui dans le royaume de Naples. Celui qui
membres brisés; les entrailles hors du ventre. Il avait le plus d'empire sur son esprit était un
y avait Ih plus de mille cavaliers napolitains qui moine, son ancien gouverneur, fra I{ubcrlo,qui
étaient venus comme pour assister aux obsèques de lui dire qu’il était bonlciix pour lui
nccess.'iil
de lu patrie , et je me consolais de mourir en si de ii'êire qu’un duc de Calabre. Ce fra Kolicrto
nombreuse compagnie , quand toiit-à-conp le élait.un aniiiml horrible, dit Pétrarque, avec les
bruit SC répand que le terrain sur lequel nous pieds niids, la tête dé-couverte, court de sa per-
étions commenrait à sc crevasser, la mer ayant .sonne, le corps gros, les huhils u.sés, dé-chirés,
creusé sons le sol ; aussitôt toute cette foule s’en- et montrant une partie de sa chair; il avait des
fuit pelc-mêlc avec grands cris, pendant que des trésorsimmenses, cldispo.sait de tous les emplois.
montagnes d eau , non pas noires ni ideues La reine délestait fra Roberlo et son mari ; les
comme dans autres tempêtes, mais toutes
les Itarons du royaume, irrités de voir les richesses
blanches, accouraient impt-tueusemcnl de l’ilc et les honneurs passer tous entre les mains des
de Capréc à Naples. La jeune reine, suivie d’un Uongrois, résolurent la mort d’Andréa. Aiimois
nombre infini de femmes parcourait toutes les de septembre 1345, Andréael Jeanne étant alk-s
,
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, ,

NAPLES. 51
dans la ville d'Avcrse se logèrent dans le couvent par leurs richesses les plus puissantes familles de
de Saint-Pierre. Pendant la nuit, le roi étant dans la cour. Quand le duc Robert devint roi, sa se-

la chambre de son épouse , un de ses valets de conde femme, Sanche, voulutqucleurenfantfut


chambre vint lui dire de la part de fra Roberto,
,
allaité par Philippa et quand le jeune prince se
;

qu'il était arrivé de Naples des nouvelles d'une maria , ce fut encore la vieille Philippa qu’il en-
grande importance , et qui demandaient une voya chercher pour élever scs deux filles, Jeanne
prompte délibération. Le roi sortit aussitôt de la et Marie : Philippa était donc toute-puissante â
chambre de la reine, qui était séparée, par une la cour de Jeanne qu’elle avait nourrie. Cette fa-

pièce ,
de l'appartement où se traitaient les af- veurdevintlacausedesaruine. Après leraeurtre
faires; arrivé au milieu de cette pièce, on lui d’Andréa , le comte Ego del Baizo la fit arrêter
mit une corde autour du cou; il fut étranglé et elle et scs enfants comme complices, et on procé-

jeté par la fenêtre, car les Hongrois étaient, à da à leur condamnation. Le comte fit construire
cause de la nuit , plongés dans le vin et dans le une palis.sade sur la Marine de Naples , assez loin
sommeil. En apprenant cette mort , toute la ville du rivage pour qu’on ne pôt pas entendre les
fut consternée personne n’osait chercher à con-
;
paroles et il les mit ù la torture sur le bord de la
,

naître les auteurs d'un tel homicide. La reine , mer ; au bout de quelque jours , sans que l'on
qui n'avait que dix-huit ans, était épouvantée sût ce qu'ils avaient dit, quoique toute la ville
et ne savait que faire. Les Hongrois avaient eût assisté à leur supplice, il les fit tenailler, et la
perdu leur audace , et craignaient d'être mis en vieille Philippa mourut avant d'arriver au lieu
pièces s’il persévéraient à vouloir gouverner. où elle devait être décapitée.
Le corps du roi mort resta dans l’église plusieurs En abandonnant ainsi lâchement cette fidèle
jours sans sépulture; maisUrsilloMinutolo, gen- et ancienne amie , Jeanne espérait se disculper
tilhomme et moine napolitain , vint de Naples du crime de complioité; mais la voix publique
et à scs frais le lit conduire et ensevelir dans l'en accusait toujours. Elle écrivit au frère de
l'arclievêché. son mari, au roi de Hongrie, pour se concilier sa
La reine se rendit àNaples ; des clameurs d'in- protection. Le roi loi répondit « La foi conju-
:

dignation s'élevèrent contre elle , et on l’accusa gale violée ,


vos ambitieuses prétentions au pou-
hautement du meurtre de son mari. Réfugiée voir royal, la juste vengeance du meurtre né-
dans le Château-Neuf, pour apaiser le peuple gligée , et vos excuses tardives
,
tout prouve que
dont la fureur allait toujours croissant, elle char- vous saviez et que vous avez favorisé le meurtre
gea le comte Ugo del Raizo de poursuivre les au- de votre mari ; or , Dieu ou les hommes punis-
teurs de cette mort. Parmi les victimes de ces sent toujours les meurtriers. »
poursuites, fut la comtesse de Montorio; et son La reine Jeanne , en même temps que cette
hialoire est assez étrange pourêtre rapportée ici : lettre ,
reçut la nouvelle que le roi de Hongrie se
Quand le roi Robert n’était que duc de Cala- préparait â descendre en Italie pour venger la
bre se trouvant avec sa première femme , la du-
, mort d’Andréa. Jeanne n’avait ni troupe ni ar-
chesse Violante, en Sicile, et la duchesse étant gent, ni généraux; elle se maria aussitôtau prince
accouchée d’un fils, ils prirent pour nourrice de Tareiile, et, quittant avec lui le royaume de
une fille qui était blanchisseuse de la cour, et Naples elle alla chercher asylc en Provence.
,

qu'on appelait Philippa la Catanaise. Cette fille, Le roi de Hongrie arriva bientôt, sombre, plein
pleine d’esprit et d'adresse, prit bien tôtà la cour de ressentiment, avec des forces considérables,
les manières et le langage d'une personne de et fai.sant porter devant lui un étendard noir où
haut rang, et son mari , qui était pêcheur, étant était peint un prince étranglé. Arrivé à Averse,
mort, la duchesse Violante songea à la marier. il se fit montrer la fenêtre pr où son frère avait

Le duc Robert avait alors à son service un noir été précipité, et condamna au même supplice un
nommé Raimond, qui avait commencé par être baron qu’il .soupçonnait être le meurlricr. Après
cuisinier et qui s'était montré si intelligent et si quelques coiirse.s dans le royaume de Naples, le
r.clé, qu’apres l'avoir fait baptiser, le duc l'avait roi dellongrie retourna danssesétats, laissantun
élevé au rang de chevalier, et Raimond s’était lieutenant et des troupes dans la Pouilic. A peine
distingué dans la chevalerie , comme jadis dans fut-il prti que Jeanne revint avec son mari
,

la cuisine; la duchesse Violante maria Raimond le prince de Tarcnte; et au bout de plusieurs

^ Philippa, et les deux époux éclipsèrent bientôt années de combats, le roi de Hongrie consentit
52 • ITALIE PITTORESQUE.
à signer, en 1351 ,
une trêve avec Jeanne et le seaux n’arrivaient pas , le siège se poussait avec

prince de Tarente, et ce prince fut couronne vigueur ,


les vivres commençaient à manquer,

roi de Xaples. et toutes lesfemmes renfermées dans ce château


C'était vraiment une maîtresse-femme que demandaient, è grands cris, qu’on se rendît;
celte reine Jeanne ; belle, mais de la bcaulcd’un Jeanne seule, toujours ferme et sereine, man-
homme, grande, brave, faisant la guerre et geait en riant la plus grossière nourriture, et
jnème l’amour comme un chevalier, mais ne comballail contre Charles. Enfin, après des ef-
pouvant pas avoir d'enfants. Le prince de Ta- forts inouïs de résistance , il fallut ouvrir les
rente, son second mari, étant mort, elle en prit portes de la citadelle; la reine se rendit. Le len-
un troisième, le duc de Majorque, toujours dans demain , les galères provençales parurent dans le
l'intérêt de l'étal. Celui-ci ayant péri aussi (ou port Charles Durazzo fit venir les chefsà terre,
:

prétend qu’elle le fit étrangler, mais n’importe), et les conduisit è Jeanne pour qu’elle leur an-
elle en prit un quatrième. Olhon de Brunswick. nonçât que lui , Charles , était son seul heritier,
Mais pendant les intervalles d'un mariage à l'au- héritier desélalsdc Provence comme du royaume
tre , elle porta virilement sa couronne, casque en de Naples; mais à peine ces capitaines furent-ils
tète et l'épée au poing; c’était elle qui était son entrés qu’elle leur dit :

premier ministre. Le comte de Minervino un , « D'après les services que vous avaient ren-
des barons les pluspuissantsdu royaume, s’élani dus mes ancêtres, d'après la foi que vous m’aviez
lévolté, elle le battit et le fil pendre. Ambroise jurée, je ne me serais pasattendue èce que vous
Visconti, seigneur très-illustre de la ville de Mi- fussiez si lents à me secourir. J’ai supporté des
lan, vint jusfjuc dans les Abruzzes pour envahir malheurs pénibles non seulement pour une
,

le royaume; Ambroise Visconti fut vaincu et femme mais pour ,


les soldats les plus robustes.
chassé. Le duc d’Andri, rebelle, fut décrété J’ai mangé la chair immonde des animaux les plus
d'accusation et privé de scs biens. vils , et j’ai été forcée de me rendre à mon plus
Cependant, parmi toutes ces laveurs du sort, cruel ennemi. Mais si votre retard est l’effet de
la reine Jeanne avait au sein même de sa famille votre négligence et non de votre malice, s’il vous

une cause de ruine. Sa soeur lui avait laissé une reste quelque affection pour moi, et quelque sou-
nièce, nommée Marguerite; et n’ayant pas, elle, venir du serment que vous m’avez prêté , je vous
d'enfants, elle la maria il CharlesDurazzocn leur conjure de ne jamaisaccepler pour maître ce bri-
promettant l'héritage de .sa couronne. Charles gand ingrat , qui de reine m’a faite esclave. Si
Durazzo vit avec jalousie le quatrième mariage jamais, l'on vous montre un écrit par lequel je
de Jeanne avec Olhon de Brunswick, et crai- l’institue héritier, nelecroyezpas, ou dites-vous
gnant que répou.x de la reine ne voulût lui en- que cet écrit m’a été arraché de force et qu’il est
lever l'héritage il profila du premier prétexte
, contre ma pensée car ma volonté est que vous
:

pour prendre par force ee royaume qu’il atten- ayez pour scigneuret maître Louis, duc d’Anjou,
dait du testament de Jeanne. Etant donc à Rome, non-seulement dans le comté deProvence et dans
il SC fit oindre et couronner roi parle pape Ur- mes autres états au-delà des monts , mais encore
liain , et marcha sur Naples è la tête d’une ar- dansceroyaume,oùdéjàjel’ai institué mon chant-
mée considérable. .Mal;;ré les efl'orls d’Othon de pion afin qu'il venge la trahison et la violence qui
Brunswick, il entra dans la ville, et Jeanne se m’ont été faites. Allez donc vers lui , obéissez h
réfugia dans le Chàleau-N’euf avec toutes les fa- ses ordre», et que ceux qui auront souvenir de
milles qui lui étaient fidèles et
une partie de la l’amour que j’ai toujours eu pour leur nation, et
noblesse napolitaine. Charles Durazzo
y mille qui auront pitié de leur malheureuse reine, me
siège; Olhon, étant revenu de Gaête avec de vengent les armes à la main , ou prient Dieu
notivelles forces pour délivrer sa femme, com- pour mon âme et cela , non-seulement je vous
,

battit cl fut fait prisonnier.Cependant la reine en prie, mais, comme vous êtes mes vassaux ,
Jeanne, pleine d'ardeur et de courage, ayant je vous l’ordonne. »
écrit à ses étals de Provence de lui envoyer des Ayant connu ces paroles, Charles Durazzo en-
vaisseaux, fil ensuite partir vers le roi de France voya Jeanne dans un autre château, où il la fit
un messager, pour lui demander du secours, tenir plus rigoureusement , et quelques jours
eu promettant d'adopter pour .son héritier le se- après, une sédition s’étant émueen faveurdecelle
cond fils du roi , Louis d'Anjou. Mais les vais- reine, Charles, pour ôter toute espérance à ses
,,

NAPLES.
partisans, la fît étrangler ; puis il ordonna que le pour éteindre sa soif,délaisselanetteet claire fon-
corps fût apporté dans Naples , et restât exposé taine pour aller boire dans un marais sale et
huit jours dans l’église de Sainte-Claire \ enfîn boueux. Je dis donc que ce malheureux mou-
sans pompe ni cérémonie , on le jeta dans une rut justement , et que beaucoup de dames de-
.sépulture si ignoble qu'on n’a jamais pu retrou- vraient prendre exemple sur Jeanne, quand elles
ver ses restes. élèvent de petits compagnons, leur font cet hon-
Ainsi périt, en 1382, cctfe femme extraordi- neur de les prendre pour maris, et que ceux-»-i
naire qu’on a appelée la Marie Stuart de Naples. leur font de faux bonds. »
Laissons parler Brantôme sur elle; il est peu de Jeanne morte , Charles se fît reconnaître et
pages aussi curieuses dans aucun historien. sacrer roi de Naples. Louis d’Anjou ,
appelé par
Quant à lui reprocher ses quatre maris, on ne
<( le testament de Jeanne, arriva dans le royaume
pourrait, puisque le mariage est si bon et saint, et parvint à s’emparer de quelques provinces ;
étant ordonné par Dieu qu’elle n’en pouvait mais la mort qui le surprit, délivra Charles de
,

tropprendre; ctaussi bien valait-il mieux qu’elle tout rival ayant alors appris que le trône de
;

se mariât que de se prostituer et de s’abandon-


,
Hongrie étaitvacant,il partit pour le conquérir
nera l'un ctà l’autre comme on en a vu de notre et futa.ss-assiué.
temps faire l’amour â outrance étant fîllcs ou deux enfants, Ladislas et Jeanne.
Il lai.ssait

veuves. Si elle brûlait du chaud désir de la cbair, Trop jeune pour régner, Ladislas eut heureuse-
elle le passait honnêtement avec ses maris. ment dans sa mère Marguerite une tutrice ha-
» Quant â Andréa qu’elle fî t mourir, on dit que bile et énergique. Le fils de Louis d’Anjou, attiré
c'était un hongre, ivrogne, très-dangereux et par l’espoir de détrôner un enfant , débarqua à
malicieux en faisant son simple et son niais ,
et Naples en 1390 et y entra en roi; mais, après
qui voulait la faire mourir pour être seul roi; plusieurs années de combats, l’activité de Mar-
mais gagna le devant , et gagna à la prime ;
elle guerite rendit à Ladislas le trônede son père. La-
car il vaut mieux prévenir que d’être prévenu dislas fut brave, ambitieux, cruel, passionné pour
en matière de la vie. les femmes ; il songea à devenir maître de toute l’I-
» Touchant son cousin, le prince de Tarente, talie,assiégea Rome, marcha contre lu Toscane,
qui mourut exténué d’amour pour elle, elle n’en s’empara de Sienne; mais à Pérouse, aprèsavoir
peut mais, puisqu’on ne saurait empêcher aucun passé la nuit avec la fille d’un médecin dont il
qu’il ne s'enivre de son propre vin et après ;
était follement amoureux, il tomba malade, et
qu’en peut le vin s'il a donné la verve à son maî- revint mourir h Naples en HH.
tre en buvant? Je ne doute pas que la grande Sa sœur Jeanne, appelée par les bisloriens
beauté de la reine, sa grâce, ses façons, ses doux Jcannclle, lui succéda. Jeannelleavait quarante-
attraits et embrassades ne fîssenteirorcerccjcu- quatre ans, elle était d’un visage peu agréable,
ne homme à plus qu'il ne pouvait faire; mais cet sans grâces dans l'esprit, mais amoureuse de l'a-

effort venait de lui et non d’elle, car en cela on mour aussi furieusement <|ue possible. Dès .sa

ne peut forcer l'homme à coups de bâton. Eh ! premièrejeune.ssc, elle s’était livrée à scsé-cuyers
d'ailleurs, comment pouvait-il mieux mourir etàscsgeutiisboinmes; le tronc ne fut pourclle
qu'en servant sa reine et sa dame, lui montrant qu'une place plus commode pour choisir et ré-
l’ardente affection qu’il lui portait, n’épargnant compenser scs amants De tousses favoris, le plus
ni peines ni forces, et pour la contenter mourant haut en faveur et le plus audacieux était un cer-
dans le camp amoureux de son lit! tain Pandolfe d’Alopo, qui d’abord avait été son
n Poiirlc regard de son troisième mari, quelle échanson. Sforza, chef de condottieri, soldat
fit étrangler pour l'avoir surpris avec une autre brave, puissant, homme d'une beauté virile,
femme, n’avait-elle pas raison de punir l'adul- aux épaules larges , à la figure martiale, s’étant
tère ? Quel est le juge ,
tant doux soit-il , qui présenté à la cour, Pandolfe d'Alopo, qui con-
n'eût condamne ce malheureux d'avoir violé sa naissait les goûts de la reine, cutpcurd’être sup-
foi à la plusbellc reineet la plus grande princesse planté, et fit jeter Sforza en prison. La nouvelle
du monde, de lai avoir faussécompagnie,et s'ê- de cette injustice souleva les Ixirons irrités déjà
Irc dérobé pour habiter avec une autre qui ne la de l'insolence de Pandolfe d’Alopo ; et toits
valait pas eu la moindre partie de son corps. Mi- ils SC rendirent chez la reine, en lui disant qu’ils

sérable qu’il était C’était toutainsi qu'un , qui.


! ne voulaient pas être gouvernés par un obscur
.-,4 ITALIE PITTORESQUE.
écuyer, et qu'il fallait quelle prît un époux. rôle de Pandolfe. Ce seigneurétailGiulio Cesare.
Jcaunellc clioisit le comte de la Marche il fut ; Quelques jours aprè'S, il vint donc voir le roi

convenu qu'il ne prendrait jamais le titre de et demanda à visiter Jeannellc. Tous les courti-
roi; mais inal(;ré cette précaution ,
Pandolfe., sans savaient â quel |X)int le roi le considérait.
craigtiant de voir tomber son crédit par l'arrivée Aussi, Gian lierlcngicro, c'est ainsi que se nom-
de l’époux, fit sortir Sforza de prison, et tous mait le la reine, non-seulement l'in-
gardien de
tlcnx se liguèrent contre l'étranger qui venait troduisit chambre, mais lui fournil tou-
dans sa

jirendrelcur pKicc. de rentrelenircomnic il le désire-


tes les facilités

Cependant lecomte de la Marche arriva à Na- rait a Madame, je ne nierai pas, lui dit-il , d'a-
:

ples et hientét il s’aperçut du rôle qu'on voulait voir été en grande partie cause de la triste situa-
,

lui faire jouer, que la reine ne l'avait épousé que tion dans laquelle vous vous êtes trouvée vous ;

de force, que c’était une bacchante et non une m’aviez porté h en agir ainsi , en ne tenant nul
femme qu’il avait prise, et qnes’il voulait régner compte de mes qualités, et du cas que faisait de
réellement ,
il fallait prendre le pouvoir, et non moi votre très-honoré frère, feu le roi Ladislas.
rattendre. Et d’abord, pour couper court aux Les honneurs que j’emlûtionnais ont été donnés
adultères de sa femme, il fit arrêter Pandolfe, le à un valet d'armée , Sforza , et à un simple
fit en prison et mettre h la torture; puis, le
jeter écuyer, Pandolfe. Mais si j'espérais, en déli-
!•' octobre, on le mena sur lu place du Marché, vrant votre majesté, et en lui rendant son pre-
on lui coupa la tète; son corps fut traîné par mier état, chasser de sa mémoire mes offenses et
toute la ville, et pendu enfin par les pieds. Sforza recouvrer la faveur <|ue loujoursj'ai désirée, je
lîit aussi mis dans les fers. Ce n’est pas tout le : m’cITorccrais â lui rendre en peu de temps sa li-
comte de la Marche chassa de la cour tous les berté cl sa puissance royale, u Larcinelui répon-
courtisans de la reine, et commença h la tenir si dit qu'il ne devait pas douter qu’elle aurait plus

rigoureusement, que persotinc ne pouvait lui de confiance en lui qu’en toute autre personne,
parler qu’en présence d’un vieux Français, cl que la liberté et la seigneurie lui seraient d'au-

cjioisi pour son geôlier ; il ne la (|uittait ni jour ni tant plus douces cl plus chères, qu’elle avait
nuit ; elle ne pouvait même pas être seule per le souffert de la servitude et de la misère; mais
nèces.iili't naturali. Cependant, comme il n’y avait qu’elle ne savait pas comment il pourrait agir, le
plus de fêtes à la cour, il régnait unegrande tris- roi s’étant emparé du royaume. Giuliolui rt-pon-
gens qui avaient
tesse datis la ville, et les jeunes dit qu’il le tuerait. A ce moment, Gian Bcrlcn-

compté sur bonnes gi-àccs de la reine pour


les gicro entra dans l’appartement de la reine, et
faire leurchemin, et les femmes qui participaient l'entretien fut remis â un autre jour.
à ses plaisirs, faisaient tous de grandes cla- Le reine demeura l’amc agitée d’une pan, ;

meurs contre le comte de la Marche. Enfin un ellesoupçonnait le roi d’avoir envoyé Giulio Ce-
jour (on n’avait pas vu la reinedepuis trois mois), sare, à dessein, pour la tenter; de l'autre, clic
un grand nombre de cavalicrset de citoyens al- était poussée par la haine qu’elle portait à son

lèrent au château, en disant ; u Qu’ils voulaient époux elle n’avait pas l’es|»ir de sortir de cet
:

voir la reine leur maîtresse; le roi sortit, et avec étal insupportable par une autre voie; et |>our-

un visage tout serein et tout bienveillant, leur lanl la réussite lui semblait impossible; enfin la
ditque la reine n’était pas bien portante, et que crainte l’emporta , et
elle résolut de cberclicr à

s'ils venaient pour quelques grâces ils l’obtien- adoucir le roi, en lui faisant connaître Giulio, et
draient de lui aussi bien que d'elle, à quoi les de SC venger .ai nsi de celui qui jiar de fausses re-
,

autres répondirent : « Nous ne voulons pas lations, avait causé sa ruine et la mort de son

d'autres grâces de votre majesté, que de bien cher l’andolfe, qu'elle pleurait encore avec des
traiter notre reine. » Le roi rentra Ibrl inquiet litrmes amères. La nuit suivante, le roi vint cou-

et fort triste. Parmi les assistants il y avait cher avec elle; elle lui dit alors o I.a justice de;

un seigneur qui avait rendu de grands services de Dieu, qui toujours favorise les iunocentes,
au roi, et qui était fort irrité contre lui, parce m’adonné l’occasion de me montrer à votre ma-
que le roi ne l'avait pas assez largement récom- jesté pour ce que je suis, et de vous faire appré-
pens*-; eu voyant cette scène, il pensa que le cier votre bon et fidèle vassal Giulio Cesare di
moment était favorable pour délivrer la reine, et Capua, qui, par ses faux rapports m’a jetéedans
prendre auprès d’elle , après l’avoir délivrée , le votre disgrâce, et a causé la mort de ce pauvre

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,, ,

NAPLES.
Paiulolfc ,
qui jamais ne fit rien qui méritât ce quand il sortirait ; puis il rentra dans son appar-
supplice, et qui ne fit des aveux que par la force tement. Giulio, introduit auprès du roi, lui dit
des tortures. Hier il est venu me faire sa cour, quelques paroles et se retira ; mais arrivé sur le
et m'a offert de vous tuer ; prévoyant bien que
il
\ seuil de la porte , il fut arrêté , ainsi que .son se-
vous ne pourriez croire k une telle trahison si crétaire, et conduit en prison, et deux jours
vous ne l'enleudiez de vos propres oreilles. J’ai apres ils furent décapités.
feint de céder à demande, et il a différé jiis- Le roi , touché de la conduite de la reine, crut
cpià sa prochaine entrevue avec moi pour me qu’elle était revenue h des sentiments plus hon-
,

làirc connaître le moment de l’exécution de son nêtes, et lui laissa plus de lilx;rté. L'n jour, il lui
projet; en sorte
que votre majesté pourra enten- permit d’aller dîner dans un jardin appartenant
dre Le roi connaissait la conduite pas-
le traître. h un marchand florentin, où est aujourd’hui
sée de la reine; il crut neanmoins qu’elle était l’église Santa- .Maria délia Scala. Elle était accom-
de bonne foi et voulait s'amender aussi il l’en- ; pagna d’un seigneur français qui avait été fait
(jagea à se tranquilliser, qu'il connaissait son comte camerlingo cl <lc Ix-aucoup d’autres cour-
amour [tour lui et la traiterait en épouse ché-
, tisans du roi. Le bruit s’étant répandu que la
rie. Deux ou trois jours se passèrent le roi ap- : reine était sortie, un concours de nobles et de
prit qucGiulio arrivait au palais; aussitôt il fait gens du peuple vinrent la voir, parce qu’il y
fermer la porte de sa chambre et ordonne de dire avait bien des mois qu'on ne l’avait montrée, et
à tout le monde qu’il repose, puis il va secrète- telle qu’ils la virent, elle émut leur pitié ; clic
ment se placer dans la chambre de sa femme avait les larmes aux yeux soupirait doucement
,

derrière un rideau de tapisserie, avec quelques et semblait par son silence attendrissant deman-
personnes. Giulio arrive, on lui dit que le roi dor- der secours à tous. Parmi les assistants se trou-
mait ;
il se iH-nd alors chez la reine, qui le reçut x-aient Ottino Caracciolo et Anichino Mormile.
avec, un visage plein de joie, et lui dit : « Giulio gentilhommede Porta-Xova, qui avait grand em-
mio, ton âme et ta valeur sont grandes; mais je pire sur le peuple; ils convinrent tous deux de
connais toute
y aura è réus.sir
la diiliculté qu’il délivrer la reine. Aussitôt ils allèrent exciter les
dans une pareille entreprise; le château est plein nobles et peuple à cette entreprise; puis, avec,
le

des confidents du roi , et'si tu parviens à l’assas- un grand nombre de gens armés, ils se rendirent
siner, ils t’extermineront aussitôt ,
et moi aussi là oit la reine devait remonter en voiture, se fi-
peut-être. Je ne vomirais pas que nous fussions rent place au milieu des courtisans, et ordonnè-
perdus tous deux. —Ne doutez pas, madame, dit rent que la x'oiture fut conduite à l’archevêché.
Giulio, que tout ne s’accomplisse selon nos vœux ; Iji reine s’écriait à haute voix : « Mes fidèles amis,
x'otre majesté aura l’honneur d’avoir aidé k faire pour l’amour de Dieu, ne m’abandonnez pas; je
périr cet ivrogne, et moi il me sullira de recou- remets en votre pouvoir ma vie et mon royau-
vrer la Iraunc grâce de votre majesté. J’enverrai me. » Toute la multitude faisait entendre ces
demain, au commencement de la soirée, présenter cris k Vive la reine Jeanne! »
:

à votre majesté beaucoup de choses. Mon .secré- Les courtisans, épouvantés, allèrent dire au
taire, auquel j’ai communiqué tous nos projets roi le tumulte qui s’était élevé force fut bien à :

viemlra avec des hommes chargés :


je serai par- Jacques de capituler avec le peuple et l'on ,

mi eux déguisé, que votre m.ajesté con-


et tandis conclut que la reine aurait sa liberté et sa
gédiera les personnes qui seront dans la cham- cour. I.c lendemain, Caracciolo de était l’amant
bre, je me cacherai sous le lit, et la nuit, quand Jeannelle, et quelques mois apri’S, roi, de- le
le roi sera endormi je le tuerai , je lui coupe- venu prisonnier à son tour, enfermé |>ar était
,

rai la tête, et je la jeterai dans la cour du châ- sa femme comme


,
sa fentme l’avait été
par lui
teau ; les Français auront pour grâce leur vie et des gardes k scs portes, sans pouvoir et sans
la permission de retourner dans leur patrie argent. Il rc.sta ainsi captif pendant trois ans;
comme on dit que les Hongrois s’en allèrcntâ la et enfin, ayant obtenu sa liberté, il se sauva
mort du roi Andréa. Il parla ensuite de tout autre en France, et , tout épouvanté des crimes qu’il
chose, prit congé avec un visage riant, et dit avait vus, il se jeta dans un couvent et mourut
cour au roi qui devait être
qu’il allait faire la
,
moine.
éveillé. Le roi avait entendu tout ceci , et fit Rien necontraignait plus les passionseffrénées
dire aux gardes du château d'arrêter Giulio de Jeannelle, et Caracciolo devint tout-puissant.
,

56 ITALIE PITTORESQUE.
11 n’y a pas de rôle plus difficile que d'ôire l'a- relations secrètes avec elle ;
en sorte que l’amou r
mant d'une reine ;
Caracciolo le remplit vifjou- qu’elle lui portait était mm seulement attiéxli
reusenicnl. Ce n'élait pas un homme ordinaire mais entièrement refroidi ; aussi elle refusa do
que ce favori ; actif, brave, adroit, sans pitié; il lui donner et Salernc et Amalfi. Le grand-séné-
avait tant à craindre Les barons irrités d’obéir
! chal alors comiucnça à lui montrer par scs pa-
à un simple chevalier; le peuple, qui hait tou- roles et par ses actions le plus grand mépris et
jours les hommes sortis de lui et devenus grands; la plus grande haine.
les courtisans qui l'enviaient; l’inconstance de A cette époque, Covelsa Kuffa, diiclies.se do
la reine, qui le lendemain pouvait prendre un Sessa, était en grande faveur auprès de la reine.
nouvel amant; il sut pourvoir à tout Sfurza, : Cette femme étant née d’une tante paternelle de
qui avait été emprisonné par le comte de la Mar- la reine, héritière debeaucoup de terres, fière
che, fut délivré par Carracciulo et devint son de son antique noblesse, ne pouvait soulTrir l’in-
ami; il s’attacha les seigneurs napolitainsen leur solence du grand-sénéchal; chaque jour, lors-
donnant les biens que le roi Jactpies avait don- qu’il était question de lui , elle sollicitait la reine
nes aux Français; il écarUidc la reine tout ccqui de ne p;is supporter l’ingratitude d’un homme
était beau et jeune, fit distribuer force victuaillc qu’elle avait tiré de la pauvreté et élevé au pou-
MU peuple, et sut être ensemble amant, ministre, voir, ajoutant que, selon son caprice, il donnait
diplomate et général. et ôtait les principautés |x)ur enrichir les siens,
Cependant Sfurza devint si ambitieux et avi- .si et opprimait beaucoup de barons innocents,
de,que Caracciolo, craignant de le voir trop puis- qu’il s’était acquis la plus grande puissance, et
sant, lui refusa de l'argent pour scs troupes et qu’il avait attiré sur sa majesté la haine univer-
des principautés pour lui. Sforza, pour réponse, selle du royaume : la reine, par sa vieillesse,
rassembla toute sa troupe d’aveuturiers, fit dire était dévenue presque stupide; elle écoutait tout
à Louis d'.Vnjou do venir dans le royaume de ce que lui disait la duchesse, mais ne répandait
Naples et qu’il le ferait roi , et mit le siège de- rien. Un jour le grand-sénéchal , étant venu voir
vant la ville mémo. la reine, lui demanda de nouveau avec quelques
Jeanne 11 , épouvantée , appela à son aide Al- paroles flatteuses la principauté de Salcrne et
phonse, roi d’.Vragon , en lui promettant de l’a- d’.Vmalfi b reine les lui refusa; il se mit alors
;

dopter pour son fils et son héritier, s’il pouvait en fureur et la traita comme b femme b plus
la délivrer. .Mpbouse accourut, et, après de vile, l’accabla d’injures, et elle se mit à pleurer.
longs condtals, demeura vainqueur: il fut nom- La duchesse, qui était derrière b porte dcl’autre
mé vicaire-général du royaume de Naples en at- chambre entendit la reine pleurer; elle entra
,

tendant qu'il en fût roi. Sforza se réconcilia avec avec les autres femmes après que le grand-séné-
la reine et avec Alphonse. chal futsorti, et profitant du moment où b reine
MaisCaracciolo voyait avec craintcle pouvoir était encore indignée de ces nouvelles injures,
d’.vlpbonsc; ilcxcila la reine contrelui. La reine elle lui dit h Reine sérénissime, pour l’amour
:

voulut révoquer l’adoption qu’elle avait faite dAI- de Dieu, pour l’honneur de votre couronne,
pbouse.Unc guerreintestiue affreuse s’ensuivit. pour votre propre .s.-dut et pour le nôtre, ne dif-
.Sforza fut le général de Jeanne; Caracciolo dé- férez pas de punir cette insolente hôte. » Aces
ploya uncactivitéct uneourage extraordinaires; paroles elle semit à genoux et continua avec tant
et au bout de plusieurs années de combats mê-
véhémence et de passion , que la rc' ne l’embrassa
lées de chances diverses, le roi Apbon.se avait et lui ditqu’elic voulait faire comme elle lui disait.
quitté Naples, Sforza était mort, le jeune Louis La duchesse, forte de cette approbation, organisa
«r.Vnjou était adopté par la reine, et Caracciolo, un complot, et il fut convenu que l’on tuerait Ca-

toujours delmiit, toujours puis.sant, était encore racciolo après une fête donnée dans un château
l’amantdc Jcanncctic maîtredu royaumede Na- de la reine. Le jour fixé étant venu on le passa
,

ples. Tout pouvoir a son terme grand-sénéchal, : en haiscicn divertissements; b nuit ce furent
premier ministre, prince, Caracciolo voulut cn- des festins somptueux. Lorst]UC tous les invites
«mre obtenirle tluebé d’Amalfi et de Salcrne. La furent retournés chez eux, le grand-séné'chal sc
reineétait trfs-vicille et le parais.sait plus'encorc à retira dans son appartement, et il commençait à
cause de ses dissolutions ; le grand-stinéchal qui s’endormir, quand Ottino, FiUicisco, Piétro Pa-
,
aussi commcDçaità vieillir, avait rompu tou tes scs gono, UrhanoCiminoct un Cabbrois vassal de la

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,, ,

NAPLES. 57
(luchcssc ,
prirent une des femmes de chambre monnayeurs; et les piècesd’orctd’argentétaient
de la reine, appelée Squadra et Allemande de tellement rognées et altérées qu’on ne voulait ,

naissance-, elle les conduisit à la portedu grand- plus les recevoir dans le commerce avec l’ar- ;

winéchal ,
et frappa en disant que la reine se gent , les hommes Cbarlcs-Quint fil tuer la jeu-
;

trouvait malade et désirait le voir de suite.Le nesse napolitaine en Allemagne, en Afrique, en


fjrand-sénéclial se leva, et commençant à s’ha- France. Philippe II l’envoya au-devant des bou-
biller, ordonnaqu'on fit entrer la femmcdecham- lets des Provinccs-l'nies; Philippe IV la jeta
bre, afin d’entendre mietixcequ'elle venait dire. dans la fournaise de l'insurrection catalane.
Les conjurés entrèrent alors et le tuèrent à Sous la seule vice-royauté du comte de Monte-
coups de poignard et de hache. rcy, qui dura six ans, Naples donna à l’Espagne
Peudetempsaprès, Jeanne II mourut, laissant cinquante mille soldats qu’elle ne revit plus. En
pour héritiers deux fils adoptifs qui devaient compensation de tant de maux on élevait quel- ,

déchirerle royaume, René, successeur de Louis ques fontaines publiques ou un musée; Cbarlcs-
d’Anjou, et Alphonse d’Aragon ceci se passait
;
Quint venait montrer .sa figure pendant un
en 1433. mois à son peuple de Naples, ou bien on accor-
Dynastie arafjonaise. dait des privilèges à la cité, à condition qu’ils
Je ne m’étendrai pas sur cette dynastie. René ne regarderaient ni les impôts, ni les réquisi-
d’Anjou , malgré de longs efforts , fut chassé du tions, ni la juridiction , ni les droits civils.
royaume ; et Alphonse 1" ramena la paix cl les Cela durait depuis un siècle cl demi, et le peu-
arts à Naples. . ple napolitain avait tout supporté, tout, excepté
Passons rapidement sur les cruautés de Fer- l’inquisition qui n’avait jamais pu s’établir, lors-
dinand, sur l’abdication de son fils Alphonse; que le duc d’Arcos fut nommé vice-roi.
laissons le bon Comincs raconter l’effroi que ré- Il fallait de l’argent; le conseil de la ville vota
panditdans toute l’Italie l’arrivée de CharIcsVIII, extraordinairement le don d’un million d’or, et
et arrivons au moment où Louis XII et Ferdi- laissa au
vice- roi le soin de l’imposer à son gré;
nand le Catholique se partagèrent le royaume mais l’habitude était alorsd’empruntcr le capital
de Frédéric II. de chaque don de cette nature, et d’affermer au
Les armes avaient acquis à Ferdinand le Ca- prêteur, pour son remboursement, une branche
tholique une moitié du royaume de Naples; la du revenu public; on avait trouvé le prêteur et
fourbe lui donna l'autre moitié, et Louis XII, volé le million, mais il n’y avait pas un impôt libre
par lui de sa part de conquête, légitima ce vol en oùl’hypothéquer. Enfin, .\ndréNauclerproposa
accordant pour femme à Ferdinand , sa sœur d’augmenter d’un carlin l’impôt sur les fruits et
Germaine de Foix , dont sa portion fut la dot. les légumes qui font presque la seule nourriture
Vol'a donc ce malheureux royaume sous la domi- du peuple son avis fut qtjppté, elle tarifalliché.
:

nation espagnole, qui deviendra bientôt la domi- Mais les murmures éclatèrent partout; des confes-
nation autrichienne quand le roi d’Espagne sera seurs vinrent avertir le cardinal Filomarinoquc
,

empereur. Ainsi traîné ù laremorque de deux plus d’un aveu révélait une sédition prochaine;
autres nations, que sera le royaume de Naples? le duc d’ Aroos fut arrêté par la foule et presque
I.a vache ù lait de l’Espagne. Montesquieu a dit insulté; la rigueur de toutes les perceptions re-
quol’Espagncavaitconscrvéritaliecn l’enrichis- doubla : la femme d’un jeune pêcheur d’Amalfi
sant jamais plus grande erreur ne fut écrite.
; avait caché dans un bas un peu de farine afin de
De Ferdinand le Catholique à Philippe IV, c’est- la soustraire aux droits; on la traîna en prison
à-dire de l.'iOO environ à 1648 , Naples eut vingt- et son mari, pour payer l’amende, fut obligé de
huit tn’cej-TOÛ, qui pillaient pour eux et pour le vendre tout ce qu’il possédait au monde. Ce pê-
roid Espagne. Quand les mines du Nouveau- cheur était Masanicllo ; tout le monde connaii
Mondeétaicntépuisécs,on mettait un impôt suric son histoire, jene la raconterai pas ; en huit jours
|>cuple de Naples quand l’impôt était dépensé il fut pêcheur, révolté, généralissime, duc, roi,
;

on forçaitNapIcsàoffrirau roi un don ^’olonU^ire, meurtrier, fou et tué. Ilyavaitdéjàsept joursque


appelé lionativo; et dans l’espace de cent trente le règne de Hasaniello durait , les Espagnols oc-
ans , Naples envoya à la métropole 135 millions cupaient encore une partie de la ville, et le vice-roi
fT écus ,
seulement en donativi. Après avoir fait était réfugié au Château-Neuf; c’était l’anniver-
les collecteurs, les roisd’Espagne faisaientics faux saire d’une des plus grandes solennités de la
«II. Itiui htt. (Nauu. — 8* Liv.)
58 ITALIE PITTORESQUE.
ville, la fête des Carmes ; huit mille personnes se si bulle occasion dedépouillcr les plus mortels en-
pressaient dans la seule église de Notre-Dame : nemis de la France, cl les courriers su croisaient
le cardinal Filomarino, revêtu des ornements sans cesse de Paris à Rome et de Rome à Paris.
pontificaux, entrait, prêt & célébrer les saints Rome était, par sa position et par lu nombre des
mystères; toutàcoup Masanicllo paraît, éperdu, envoyés français, le centre de toutes lesintrigues
haletant, couvert de scs vêtements de velours et dontle royaume de Naples était lebul. La France
cheveux épars et les yeux égarés. Il
d’or, les y avait pour la représenter le marquis de Fon-
monte rapidement sur la tribune , arritebe de tenay, ambassadeur en litre; l'abbé de Saint-Ni-
l'autel même le crucifix qu’il branditcommeune colas, envoyé extraordinaire, et l’arclievêquc

lance, donne la bénédiction aux assistants d'une d’Aix, frère de Mazarin et dépositaire des écrits
voix tonnante et puis se met h prêcher ; jamais il diplomatiques. Alors se trouvait aussi dans celte
si éloquent, son imagination puissante
n'avait été ville un jeune homme d’une dos plus hautes et
et birarrescrépandaiten imagesvives, étranges, des plus puissantes familles de F' rance , un de ces
saisissantes; le peuple l'écoulaitavec enthou- princes près de qui lesaulres princes paraissaient
siasme : mais tout à coup ses paroles s’entrecou- peuple, Henri de Lorraine, duc de Guise, der-
pent , sa tête se trouble; Use metàse lamenter sur nier rejeton de celle niidson qui avait prétendu
s<a malheurs en termes ridicules ou iniulelli- un moment à l'héritage de Charlemagne, beau ,

giblcs;ct enfin jetant lecrucifix par terre, il déta- brave, spirituel, du plus grand air et des plus
che les aiguillettes de son habillement , les laisse belles façons chevaleresques, aimant les femmes
tomber, tourne son dos vers le peuple, se baisse, avec emportement et liç gloire avec frénésie ;
il

etscnionlrantaui assistants dans celte position, ne lui manquait que la ligue pour être roi des
s’écrie nVoyez , mon peuple, ce que je suis de-
: barricades. Au milieu d’une cour de plaisirs, il

venu! » Des cris d'indignation partirent de tous rêvait toujours une couronne à conquérir. Il
cêtés, et l'on entraîna ce misérable dans le cloî- avait voulu faire une expédition sur l'ilc de Li-
tre. Il était là errant et pensifdepuis deux heures, pari un armement contre les Turcs, une cam-
,

quand il s’entendit appeler à haute voix , Masa- pagne contre les E-spagnols et puis se consolant
;

nicllo! Masanicllo! Il parut : « .Me voici, mon de son inaction par l’éclat des aventures les plus
|icuple, dit-il; que me voulez-vous? — Tiens, étranges, il faisait du roman avec l’amour en at-
scélérat, s’écria Ardizzonc, » cl quatre coups temLint qu’il en fît avec l'histoire.

d'arquebuse suivirent ces mots. Masanicllo, Il à Rome en ca moment pour une


SC trouvait
[K'rcé de huit IkiIIcs, chancela. «Traîtres! in- cause singulière. Ayantépouséqucique Iciiqisau-
grats! > s'ccria-l-il ,
et il était mort! paravant la comtesse Le Bossu dans un accès de
Les assassins éuiient payés par lu duc d'.Arcus [sission, détail depuis devenu éperdument aniim-
et excités par (jcunai;p ^Vnnese, compagnon de rcuxdcmademoisellcdePons, et était parti pour
Masanicllo, et qui l'avait vendu au vice-roi. Le la cour de Rome, afin d’obtenir du |iapc lu cas-
duc d’Arcos croyait qu'avec Masanicllo mour- sation de son premier mariage et d’épouser celle
rait la révolte napolitaine; mais celte révolte qu’il aimait. En apprenant la révolution napoli-
devint une révolution, cl cette révolution une taine, il SC souvint qu’il était de la maison d'An-
guerre où intervint la France. jou, cl l’idée de mettre uneroumnne sur la tête
Ma.'winicllo tué, Gennaro Aunèse avait été pro- de mademoiselle de l'ons le décida à tout entre-
clamé par le peuple généralissime, et la ville de prendre. Voici comment lui vint la première idée
Naples s'était déclarée rt-public|ue, sous le canon de ce projet U n soir , le baron <lc Modène , son
:

de La Hotte et de l'armée cs|Higuolc. Gennaro ami, et qui était avec lui à Rome, se promenant
Annèse était un armurier, vieux, fin, fourbe, sur les Ixirdsdu Tibre, aperçut une bartpicchar-
très-orgueilleux et très-embarrassé d'être géné- gée de Iri-s-beaux fruits qui approchait de terre.
ralissime, qui ne demandait qu'à vendre sa ré- Ayant demandé d'où elle venait ,
il sut qu’elle
publique , pourvu qu’on la lui payât bien et était conduite par des mariniers de la petite île
qu'on lui assurât la vie sauve. Traiter avec le de l'rocida, près de Naples, qui venaient vendre
vice-roi était impossible, car les Napolitains ne à Rome les produclionsdeleurpays. Ilsai.sitcelle
criaient phu vive le roi! comme sous Masa- occasion d’apprendre ce qui se pas.sait à Naples.
nicllo; ils tuaient les Espagnols cl la noblesse. Leur récit l’intéressa; et voulant amuser de ces
Mazarin ne pouvait pas laisser échapper une nouvelles le duc de Guise, il recommanda à ces

’ -
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,

NAPLÉS. 59
marin icra de veni r porter leurs fruits à ce prinee, MONSIEUR DE FONTENAY AD CARDINAL
qui certainement les achèteraient. Ils vinrent. .MAZARIN.
Lorsqu'ils virent le duc et qu'ils apprirent que MuXSEtC.VECR,
c'était un descendant de leurs rois de la maison flJ’ai eu l'honneur de rendre compte à votre

d'Anjou, ils SC jetèrent à scs pieds, les baisèrent, éminence, quedcpuislesrévolutiunssurvcnuesà


en disant qu’aussilüt qu'ils seraient de retourdans Naples, un bomme m'était venu trouver de la
leur patrie , ils appiendraicnt aux Napolitains part des chefs pour me proposer que Naples se
qu'il y avait & Rome un rejeton de ces rois aofp;- mît sous l’obéissance du roi des avis que j’ai
;

vins, qui avaient etc si chéris de leurs pères. Le reçus depuis son départ m’apprennent que la
duc. en les faisant relever, les embrassa l'un après confusion augmente en cette ville de moment en

l'autre, et les remercia avec sa grâce accoutumée moment. Les écoliers de l’université se sont ré-
de leurs sentiments pour lui. Il voulut aussi ap- voltés, sous le prétexte que lesdroitsétablis pour
prendre de leur bouche tous les effelsdu premier le doctorat sont trop élevés, et demandent qu’on

soulèvement ils lui rendirent un compte exact,


; les rétablisse au taux actuel; les pauvres, i la jxirte

dans lequel pourtant ils exagérèrent l'intrépidité des églises, rixilanient , le flambeau dans la main
de Masanicllo, des lazzaroni, et la consternation lesaumdnesqu'ils soutien nentqiie la reineJ canne
des Espagnols en cette occasion ; et ils finirent en a ordonné de leur distribuer chaque jour. L’ar-
disant quesi le peuple avaitun prince comme lui gent a disporu partout, les banques sont scellées,
à sa tète, le ducd'Arcosscverraitbicntùt chassé le Mont-de-l*icté même est fermé et quelques
,

de la ville et du royaume. A cela le duc leur ré- railleurs de la multitude ont fait un placard où il.«
pondit que, quelque risque qu’il eût à courir, disent que c’est à cause que quatre des intéressés
y
il serait ravi d'exposer son bien, ses armes et sa ont fait banqueroute , savoir le Saint-Esprit , le
:

vie pour les aider à rompre les fers de leur hor- Sauveur, le peuple, et saint Jacques des Espa-
rible servitude, et qu'ils pouvaient transmettre de gnols. Le peuple est en des défiances telles qu'il
sa part scs sentiments nu peuple napolitain. Les ne peut quitter un moment les armes sans les re-
ayant ensuite congédiés, scs caresses furent sui- prendre aussitôt; mais il ne saura y demeurer
vies d’une ample collation, et de la remise d’une long-temps , s'il ne chasse toul-à-fait les Espagnols
somme fortau-dessus de la valeurde leurs fruits ; de Naples, Qcquim’aobligéàtentertoutessortes
ce qui acheva de les luiacquérir si puissamment, de voies pour leur faire comprendre qu’ils u’au-
que l’on peut dire avec vérité que les mariniers ront guère gagné en se faisant décharger des im-
furent les premiers instruments du passage du positions, s’il ne fonteequiest nécessaire pourse
duc à Naples. (Mém. du baron de Modène, maintenir en cette liberté. Qu'ils resteront en un
t. Il, page 4.) danger pressant tant qu'ils laisseront les Espa-
Mais il yavaitbicndesobstadcsà vaincre pour gnols maîtres des châteaux; euGn, qu'ils ne pou-
le duc de Guise avantderéussirdans son projet. vaient attendre aucun remède que d'imiter les
D’abord une |iarticdcs forts de la ville de Naples exemples des Catalans etdes Portugais, en quoi ils
était encore entre les mains du vice-roi une Qotte
;
seront appuyés de l’armée aavalc,ct, s'il le faut, de
considérable, sous les ordres de Don Juan d’Au- toutes les forces de France. Le mercredi , vers les
triclie, fils naturel de Philippe IV, croisait devant dix heures du soir,un Napolitain, appelé Lorenzo
Sainte-Lucie; M. de Guise n’uvait ni troupes ni Touti,vintme fairevisite; ilmcditquclesNapoli-
argent;Ma7.nrin,àqui ilécrivaitlcltrcssiirlcltrcs tains, après avoir pris les armes sansaucundes-
pour lui demander l'unct l'autre, voulait bien ar- scin de se départir de l’obéissance du roi d'Espa-
racher le royaume de Naples à l’Espagne, mais gne, s’étaient enfin résolus de rompre tout-à-fait
ne voul.ait pas le donner à Henri de Lorraine, avec lui et de changer de maître; qu’un conseil de
et ordonnait au marquis de Fontenay de négo- onze personnes, à qui l’on avait remis l'autorité
cier de son cdté, et au nom du roi de France, depuis la mort de Masanicllo , l'envoyait pour
avec les chefs de la révolution , et de laisser par- m'annoncer qu’ils étaient résolus de se donner
tir .M. de Guise, mais à scs risques et périls. au roi de France, sous trois conditions que le-
:

Une lettre du marquis de F'ontenay à Maza- dit seigneur roi voulût les maintenir dans leurs
rin expliquera plus nettement la position de la privilèges, envoyer une année de terre et de
cour de F' rance, de la ville de Naples et de nK-r qui pût les soutenir, et promettre, quand
Henri de Lorraine. les Français seraient maîtres, che non bacie-
, ,

60 ITALIE PITTORESQUE.
ramto les femmes, ce que je jugeai devoir en- tains dans ses intérêts, vinrent l'avertir que le
tendre du premier baiser seulement. tempsétait favorable et que le vent fraîchissait; il
» Je supplie votre éminence de me faire con- se leva pour s’en assurer, puis se rendit chez l’am •

naître promptement ses intentions. M. de Guise bassadeur de France, afin de lui adresser ses
s’est mis dans la tète que les Napolitains le pour- adieux;ilrevintensuite dans son palais où les siens
ront choisir pour leur roi et il m’est venu com-
, l’attendaient, parut aumilicuenhabitdevoyage
muniquer les avis qu’il a; il croit la chose faisable, et de guerre, avec cette belle mine qu’il avait :
parce qu'illa désire qu’il ne considère rien et «Messieurs, leurdit-il, c'est maintenant qu’il faut
,

ne prend conscilde personne. Quedoi.s-je faire? montrer de quel sang noussommes! l'occasion est
belle et la gloire sera grande. Lcsaumùniers arri-
» MAaoeis DE Fostisay. a
vèrent, qui lui dirent la messe comme en un jour
A quoi Mazarin répondit : « Que M. de Guise ordinaire. Au sortir de la chapelle, ilappcIaTilly,
fas.se ce qu’il voudra, mais ne l'aider. pas; peut- son secrétaire, et le dépêcha vers mademoiselle de
être un jour aura-t-il quelque peine & se tirer Pons, pour qu'il pût lui raconter son départ :

de la où il va se mettre, maisùcoupsûria
position Tilly s’éloigna, le duc le suivit quelque tempsdes
F rance ne pourra y trouver que des avantages. » yeux, puis soudain «Allons, à cheval Trom-
: I

Certes tous ces préliminaires n’étaient |ias en- pette, sonne la marche de guerre et passons de-
gageants pour une telle entreprise mais un ;
vant l’ambassadeur d'Espagne quand un Guise
;

homme comme M de Guise ne pouvait pas re- va combattre, l'ennemi doit le savoir. »
culer devant de tels obstacles; il jura de faire ce Il partit, et le soir, ayant atteint le port de

qu’il voulait fairc,et il le (It;ractivité qu'il déploya Fiumicino, où étaient mouillées les felouques de
pour vaincre toutes ces résistances est presque in- transport, il sauta dans la pluspclite,seul avec le
croyable cet homme de plaisirs et de cour, ce
: pilote ; et cette armée, qui se composait de vingt-
continuateur des rallinés devint négociateur et deux hommes, ce général qui n'emportait que
diplomate; il passait toutes les nuits à écrire; il son épée, firent voile pour le royaume de Naples.
entretenait une double correspondance avec la Après dix jours de traversée, battue par la
cour de France et avec la république de Naples; tempête, démâtée, sans gouvernail, la felouque
il assié);eait l’ambassadeur français; il recevait qui portait le duc de Guise arriva dans la baiede
les envoyés napolitains; il envoyait émissaires Naples , passa au milieu des bordées de canons de
sur émissaires; enfin, au bout de trois mois d'ef- la flotte espagnole, et Henri de Lorraine sc jeta
forts incalculables, rien ne s’opposa plus à scs h terre en criant «Guise, Guise! Vive le peuple
;

projets; Gennaro Aniicse lui écrivit que intrès- de Naples! » A peine arrivé, on lui présenta un
humble servante , la république de Naples , l’at- cheval magnifique, sur lequel il traversale pont
tendait. Le marquis de Fontenay se fit sa cau- de la Madeleine, pour aller à l'église des Carmes
tion pour une somme considérable il reçut une ;
remercier saint Janvier et la vierge .Marie. En-
lettre d'une femme inconnue qui lui disait ; suite, quelques ofliciers, députés par Gennaro
« Je sais que vous avez cherché de l'argent pour Annèse, vinrent le supplier de se rendre au bas-
la grande entreprise que vous alliez tenter, et tion des Carmes c'était la résidence de l’armu ricr
:

que vous n’avez que quatre mille pistoles. Il ne généralissime. Le duc s’y rendit. .Vnnèsevint le
faut pas qu’un peu d’argent arrête M. de Guise: recevoir dans toute sa magnificence, vêtu d'un
voici de l’or et des bijoux pour dix mille écus collet de bullle avec des manches du velours cra-
c’est tout ce que je possède; j’en chercherai moisi, d'un haut-de-chausses de soie rouge, avec
d’autres si vous êtes malheureux , mais vous se- unecciuturc de velours écarlate, un bonnet de
rez heureux, je l’espt'rc. » Il obtint une lettre de toile d'or sur la tête, un mousqueton â la main
raml>as.sadcur pour la république de Naples, oii il et six pistolets à la ceinture. Guise l'embrassa
était désigné comme envoyé exprès du roi de Annèse lui ùta son chapeau de dessus la tête, et
France. Il rassembla un gros de gens de guerre, prétendit lui donner en place un bonnet de toile
ses écuyers , sa maison ;
il écrivit à la duchesse de d’orcomme le sien, puison s’assit; Annèse deman-
Guise, sa mère, pour lui demander sa bénédic- da sondiner,el le jeune prince, tirant de sa poche
tion ; et le 1 2 novembre tout était prêt pour le dé- les lettres du marquis de Fontenay, les remit au
part. Le 13 au matin, Lorenzo Touti, Falco, capitaine-généraldu petipledc Naples; mais leca-
Mannara, tout ce qu’il y avait à Rome de Napoli- pitaine-géncral ncsavait pas lire : il regardait les
< < «

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,

NAPLES. 61

lellrcs à l’envers, quillait son niousquelon, re- des rivières de diamants, étaient jetés pcle-mèle
tournait le papier, reprenait son mousqueton de tous côté.s; un nègre dormait au
petit esclave

sc faisait montrer la signature, et faisait des ré- pied du lit , et M. l’ambassadeur de France, Lui-
vérences sans trop oser expliquer son ignorance. gi del Ferro.y rangeait les restes du souper. Il dé-

Sur ces entrefaites, un autre homme entra dans shabilla .M. de Guise, Annèse se fît rendre le me-
la chambre avec un bruit épouvantable ; celui- me service; lousdcux .se mirent au lit, et, pendant
ci élaitvetu de noir, lecou nu, la tète découverte, toute la nuit, Annèse se réveillant en sursaut à

l’épée à la main, et deux gros chapelets au cou. chaque instant, poussaitdesburlemcnlsaffreux,

Il SC jeta tout de son long par terre, prit les


criait qu’on voulait l’assassiner, et se jetait en
jambes du duc de Guise, les baisa, sc releva sur pleurant dans les bras du duc de Guise '.

ses genoux et sc mit à réciter scs deux chapelets Cette nuit dut être bien cruelle pour Henri de

•n sens contraire, en répétant à chaque grain, Lorraine, et le commencement de l’entrepris»-

alternativement « Pour le roi, pour le roi, pour


:
devait le faire frémir pour la fin ;
aussi avait-il

le [leuplc, pour le peuple. —


Votre altesse scre- bien bâte que le jour arrivât ,
pour juger l’état
nissime a sans doute une lettre pour lui, dit réel des choses, et en se voyant presque roi de Na-
Annése : —
El qui est cet homme? répondit M. de ples, oublier qu’il avait Gennaro Anpèse pour
Guise. —
C’est, reprit Anuèse, Luigi delFcrro, collègue. Le premier coup d’œil jeté sur sa posi-
premier conseiller du peuple. Le duc remit la tion lui en mont ra tous les dangers. Au lieu d’une
lettre îi Luigi del Ferro, qui recommença scs armée de 70,000 hommes qu’on lui pronicllail,
il en avait à peine 4,000 ; ces 4,000 étaient sans
chapelets, en ajoutant entre le roi et le peuple :

pour son altesse, pour son altesse, pour M. de armes et sans discipline. Fatigués d’une révolu-
Guise , pour SI. de Guise. tion de trois mois, les bourgeois ne voulaient plus

Le dîner était prêt. Anuèse n’avait qu’un seul faire le service ; le peuple consentait encore à se

cuisinier et domestique, c’était sa femme elle ;


battre, mais à la condition qu’on lui promettrait

avait disposé la vaisselle et préparé le dîner; elle de piller cl tuer. Gennaro Annèse n’avait fait au-
l’apporta de scs mains en jetant à la dérobée des cun approvisionnement ni de poudre, nide mu-
regards sur M. de
Guise. Cette serviable per- nitions, ni de vivres la ville était assiégtx; par
:

sonne était habillée d’une robe de brocard bleu une flotte puissante, une partie des forts occupée
en broderie d’argent, avec un garde-enfant orné par l’armée espagnole, la campagne saccagée par
la noblesse ; 'et c’est dans cctlc position que le
de dentelles, une chaîne de pierreries , un collier
de perles, et des pendants d’oreilles en diamants. duc de Guise, seul, étranger, sans aucun appui
Luigi del Ferro l’aidait à mettre sur la table et extérieur, devait faire vivre, battre et vaincre

donnait à boire. Plus le duc de Guise le traitait toute une population révolutionnée.
avec égards, plus il s’humiliait. Le duc voulut le Son premier soin fut de se faire nommer so-
lennellement, k l’église des Carmes capitaine-
faire asseoir & table, il se mit à genoux. ,

Après le repas, le duc de Guise, sentant le be- général, par le cardinal Filomarino, et de rece-

soin de rénéchir,dcmandasimplcmentàGcnnaro voir de lui une cpcc bénie puis il se souvint de.
;

Annèse de le faire conduire à son appartement. cette maxime du cardinal de Retz u Le grand :

O Le voici, dit le capitaine-général en lui mon-


secret, quand on commence unecntreprisc.estde
trant sa cuisine, et mon lit sera le vôtre. —Mais saisir d’abord l'imagination des hommes par une

vous ? — Nous coucherons ensemble. — Mais vo- action extraordinaire. uEtil résolutde s’emparer


tre femme ? S’étendra près du feu. — Je ne sau- d’ Averse, ville normande au ,
miliciidcla plaine,

rais. — Il
y va de ma sdrelé si je n’étais près de
:
à trois licucsdeN'apIcs, bien établie, bien gardée,
vous, mes ennemis me poignarderaient, a Le pc- et qui servait de quartier-général aux troupes
lit-CIs du grand Guise fut un peu surprisd’ctre ennemies. Le 12 décembre sa petite armée était
venu servir de gardeà l’armurier Annèse; mais il prête et n’attendait plus que lui pour sortir de
n’y avait aucun moyen de s’y soustraire il se sou-
; Naples ; mais au momcnldc partir, Henri de Lor-
mit et passa dans cette cuisine. Un lit de brocard raine apprend que les Espagnols , profitant de
d’or y était tendu; des armes, du gibier, des ta- son absence, vont attaquer la ville; il fait faire
bleaux, du vin , des tas de vaisselle d’or et d’ar- voltcfaceà ses troupes, bat les Espagnols près de
gent, des meubles à demi brisés, des coffres cn- la Douane, les bat k Visita-Povéri ,
disperse seul

tr’ou verts d’où sortaient des chaînes de perles et Mémoire du duc de Guise.
,
, ,

ITALIE PITTOBESQl’E.
tout un corpsd'infanterie; après douze heures de pée que le cardinal-arcbevè(|ue lui avait remise
rombat, le soir en sc mettant au lit, il s’aperçoit entre les mains, et passait dans une salle où, as-
(jue depuis le matin il a combattu sans armure. sis sous undonnait publiquement au-
dais, il

Le calme rétabli dans N’aples, il part pour dience. Après l’audience, M. de Guise allait en-
Averse et arrive à (iiugliano. Il allait se mettre à tendre la mc.sse solennellement puis venait la ;

table, lorsqu’un ollicier lui'annonce qu’un de ses promenade à cheval dans la ville et dans les jar-
mestres-de-camp avait commencé le combat dans dins publics, et le soir il s’occupait des appro-
les murs d’A verse le duc de Guise saute à che-
: visionnements de la cité.

val, Modèneetd’Orillacs’élancent sur lecbemin milieu de tous ces soins d’administration


Au
«l’Averse, k la t«'te de la cavalerie mais les trou- ;
et de guerre, il n’oubliait pas mademoiselle de
pes de d’ürillac étant tombées dans un grosd’Es- l’ons, qui le trahissait peniïant qu’il conquérait
pa^iuls, prennent la fuite et culbutent l’cîsca- un royaume pour elle ;
et ayant appris que la
dron de volontaires que commandait M. de Gui- reine avait forcé celle qu’il aimait d’entrer dans
se. M. de Guise est jeté dans un fossé; scs cava- un couvent à cause de scs scandaleux amours ,
liers passent sur son corps; tout s’enfuit. Henri M. de Guise écrivit h Mazarin une lettre qui
se relève ,
court après ses troupes, rallie trente n’est pas undes monuments les moins curieux de
boinmes, cl se retourne contre l’ennemi; de ces cette étrange histoire.
trente hommes, quatorze sont tués, le reste se
LE UCC DEGCISE A M. LE CARDINAL MAZARIN.
sauve. M. dcGuistt, resté seul, contint toutes les
Naples, 38 février fCé8.
trou pes«?spa(înoles jusqu’à ceque l’infanterie vînt
Mo.\siECn,
le délivrer ; il avait les cheveuit brûlés, l’habit
percé , le chapeau déchiré de balles, et après avoir « Si la que j’ai toujours eue, et que je
passion

fait encore une dernière charge contre l’ennemi, conserve plus violente et plus fidèle que jamais,
il SC retira lentement, vainqueur, la tète nue pour mademoiselle de Pons, n’était assez connue
et l’épée à la main. de votre éminence , elle pourrait s’étonner que,
Opendant la nouvelle des succès du duc de dans l’état où je me trouve, je me remisse, pour
Lorraine avait été réjouir et effrayer Mazarin ce qu’elle pourra apprendre des affaires d’ici
et il envoya une flotte sous les ordres du comte sur M. le marquis de Fontenay, et que je ne l’en-
d’E.strade, non pas pour secourir le duc, mais tretinsse que de mes malheurs. C’est un eflet du

pour l’empéclicrde sc faire roi. Ordre était don- désespoir où je suis, que je ne puis avoir senti-
néau commandant de l’escadre de nclrailerqu’a- ment pour quoi que ce puisse être , lui faisant
vec le généralissime de la républi«|ue de Naples, une confession très-véritable que ni l’ambition,
(icnnaro Annèse. Leduc dcGuise ûteasser Gen- ni le désir de m’immortaliser par des actions ex-

narudeson commandement, et écrivit à M. d’Es- traordinaires, ne m’a cmbaix]ué dans un dessein


tradc<|uc, puisqu’il ne voulait traiter qu'avec le aussi périlleux que celui où je me trouve; mais
géneralissiincdu royaume de Naples, c’était à lui, la seule pensée, faisant quelqueclmsedeglorieux,

•M. de Guise, qu’il devait avoir affaire. Pour ré- de mieux mériter les bonnes grAces de mademoi-
ponse, M. d’Estrade partit avec sa flotte. Le duc selle de Pons, et d’obtenir, pour l’importance de

resté seul ne .s’en atlligea pas : il .s’empara d’A- messcrviccs,que la reine considérant davantage
verse, d’AvcIlino, soumit la province dcSalerne, elle et moi, je puéssc, après tant de périls et de

««» fit prisonniers plusieurs grands espagnols ; et peùics, passer doucement aveccllc le reste de mes
.abandonnant le bastion des Carmes, qui était une jours. Mes espérances sont trompées, et je me
•spècede caserne fortifiée, il s’établit dansie pa- plains avec raison «le me voir abandonné de la
laisde FcrranteCaracciolo. Le matin à son réveil protection de. votre éminence dans le temps où ,

et tandis qu'il s’habillait ,


ses secrétaires lui ap- en ayant le plus besoin , je me tenais le plus as-
portaient lesdépécbes,lui rendaient compte de ce suré. J’ai hasardé ma vie dans le passage sur In
ijui s’était passé pendant la nuit, et il signait pen- mer ;
j’ai réduit dans ce parti quasi toutes les,
dant que ses valets de chambre étaient occupés à provinces de ce royaume; j’ai maintenu la guerre
l’habiller ensuite il revêtait un habit de grosde
: quatre moissans poudrcet sans argent, et rédnit
Naples vert, chargé de broderies en or, couvrait dans l’oliéissance un peuple affamé, sans avoir
ses épaules d’un manteau de drap grossier, le pu lui donner, en tout ce temps, que deux jours
seul qu’on eût trouvé dans Naples; il prenait l’é- de paix j j’ai cent fois évité la mort, et par le

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NAPLES.
C.t
poison cl par les révoltes; tout le monde m'a clicfssubalternes qui servaient sous le
iralii, mes domestiques même ont duc de
été les pre- Guise se lassèrent d’un dévouement
miers à tûchcr de me détruire la flotte n'a sans récom-
; paru penM; la populace se répandit en
que pour m Oter la créance parmi les peuples, meurtres et
en pillage; il fallut la punir, et leduede
et, par conséquent, le moyen de Guise, de-
servir; et, par- venu juste et sévère, devint odieux.
mi tous ces embarras, ne subsistant que par Cependant
mon Don Juaii d’A utriche et le duc d'Ognate,
courage et ma ri^soluiion, au lieu de m'en savoir siicces-
Murs du duc d'Arcos, travaillaient
gré et de me donner courage de continuer l’esprit des
ce Napolitains par l’or et les
que promesses ils en vin-
j ai si hcurcusemcnAommencc, et oii je rent même jusqu’à
;

négocier avec le duc de Gui-


puis dire sans vanité que tout autre que moi
au- se, et à lui ofi'rir, s’il voulait se retirer,
rait échoué , I on me persécute en de l’ile
ce que j'ai de Sardaigne pour apanage. Le duc répondit
plus cher et de plus sensible, l'on lire avec vio- qu'en
venant à Naples, sou parti était
lenceune personne que j’aime d’un couvent où pris de périr
je oud'dicr cette couronne aux Espagnols.
l’avais priéede œ retirer et, durant On eut
; le temps que recoursà la trahison. Don Juan fit
je hasarde ma vie, I on m’ote la seule
mine de vou-
récompense loir fortifier la petite île de
Nisida, située à quel-
que je prétendais de tous mes travaux on la ren-
; que distance de Naples; le duc de Guise,
ferme, on la mallraitc,el l’on me donne le voyant
plus sen- importance que I ennemi attachait à
sible témoignage de hainequel'on me pùldonncr. celte pl;i-
ce, résolut de s'en emparer il partit donc
Ah monsieur! s’il reste à votre éminence quelques de :

Naples le 5 avTÜ 1648, et fit voile vers


sentiments de I amitié qu’elle ma promise Nisida;
et du mais jiendant son absence, scs capitaines,
serviccqucjeluiai voué,remédiczhccdéplaisir vendus
à l’Espiqpie, ouvrirent les portes de
failcs-inoi voir
;
Naples à
en ce point seul, quclleest son ami- Don Juan. A cette nouvelle le duc de Guise re-
lieetson estime pour moi, et,en toute
nutrechosc, vint en toute hâte. Ouand il arriva nu
je lui ferai voir galop pKs
que jamais homme ne lui fut si du pont de la Madeleine, il aperçut l'étendard
véritablement aa|uis. Sans cela ni fortune,
ni espagnol flottantsur tous les monuments
publics,
grandeur, ni meme vie, ne me sont pas considéra- et entendit
il le peuple crier : « Vive le roi d’Es-
me donne tout-ù-fail au désespoir, et si je
bles ; je
pagne, et meure le duc de Guise!
parce n C’est
voisqu’il ne me reste plus d’espérance
d’étre heu- pont qu entréà Naples cinq nioisaupara-
il était
reux un jour , renonçant à tous les
sentiments vent, plein d'enthousiasme, de joie,
d honneur et d’ambition, je n’auraide et croyant
pensée nu déjà voir une couronne sur la tête de
monde que celle de périr et de ne pas survivreà niadenioi-
.sclledcPons. Il repartit à l’inslantavec
une telle aflliclion qui me fait perdre elle quelques
repos et cavaliers; mais assailli, pri'S dcCapouc,
la raison. J’ose me par les
permettreque ma conservation troupes e.spagnols, après des prodigesde valeur,
est assez chèreà votre éminence
pour ne pas voir d obligé de se rendre à Don Ferdinand
fut
la perte de la personne de
du monde c|ui, malgré les .Montalvo.Il fut conduit à Naples. Le
comted’Ü-
j ustes sujelsqu’ellc a de se pbindre, ne laisse pas gnntc opinait pour qu’on le mit à mort; Don
d être plus véritablement, monsieur, votre très- Juan il'.iutriclic s’y opposa , et quelque temps
obéissant et très-alTcctioiinc
serviteur. après, au milieu du mois de mai , une galère
» Le Duc DK Gcise transporta prisonnier en Espagne Henri dé Lor-
On était en mars ICJ8 il av.iit raine, duc de Guise, petil-fils du Balafré.
y :
prèsdecinq
mois que le duc de Guise commandait Philippe IV étant mort quelques années après
à Naples,
cl malgré tout son courage il était encore cette révolution, laissa sa couronne chancelante
au niê^
me point. l'n
coup de main avait sulli pour enle- à son fils Charles II. Charles II.
débile, expi-
ver Naples, mais il eût fallu pour rant, sans héritiers, vit s’agiter autour
la conserver la de son lit
coopi'-ration franche et vigoureuse
de la France de mort toutes les puissances européennes
: qui se
le génie de Henri de [wrtageaient déjà les lambeaux de son empire.
Lorraines’était épuisé dans
des comliats $ann résultats décisifs,
et dans des
Son testament mit fin à toutes les rivalités.
Il
detailsd’administratioii presque domestique.
En
nomma pour son successeur Philippe, petit-fils
révolution, ne pas avancer c’est
reculer puiné de Louis XlVet de sa sœur. Toutle monde
les
;

Nous avons emprunté celte lettre connaît la longue guerre de la succession


d'Es-
sinii qne pln-
,
sieors antres passages, à pagne. Le royaume de Naples fut pris par l’em-
l’intéressante histoire du duc
de Guise à Naples.
pereur d’Autriche, puis rendu à l’Espagne
par
ai ITALIE PITTOBESQl'E.
le Iraité de Vienne ; et Philippe V,ledclachanl à quiers'; on institua une junte d'état contre ceux
jamais de sa couronne , le donna & son Gis Don qui parlaient. Guidohaldi, Castcl-Cicala et Van-
Carlos, qui régna sous le nom de Charles III. ni furent mis k la tète de ce tribunal. On inon-
Délivré cnGn de l’oppression des vices-rois , ce da la ville d’espions et de délateurs , et la reine
iiinihcurcux royaume respira après tant de siè- déedara un jour qu’elle détruirait cet antique
cles d’anarchie et de guerre. Charles III était préjugé qui réputait infâme le métier d’espiun.
humain , ami des arts. Il avait amené de
('claire, Vanni était un homme concentré en lui-même,
Toscane un jurisconsulte Ixibilc, nomme Tan- le visage livide comme la cendre, le pas irrégu-

nuci, dont il Gt son premier ministre. I.a justice se lier et brus(]uec»mn^lc saut d’un Ugre; il n'a-
régularisa ; Naples s’embcllil, les charges de l’c- vait jamais pu habiter plusd’une année dans une
lal s’allégèrent, le commerce reprit son cours; même maison et encore dans cette maison cban-
;

malheureusement Charles, au milieu de scs pro- gcait-il toujours de chambre, comme le tvran
jets d’emhellissemcnts , et voulant conserver la d’Agrigcnte ; ambitieux cruel et outre cela en-
,

paix à tout prix, ne songea ni à réparer les places thousiaste, il croyait à tous les crimes qu’il in-
l'ortcs, ni à établir une armée, et son Gis Fer- ventait ,
et le meurtre était pour lui comme une
dinand IV paya chèrement son imprévoyance. religion.
Philippe V mort, Charles III fut appelé à la En quatre ans pK-s de vingt mille individus
,

couronne d’Espagne , et ^issa son Gis, âgé de furent jetés dans les prisons, et au bout de qua-
huit ans, roi de Naples, avec un prince imbé- tre ans on fut forcé de les relâcher tous, parce
cile pour goux'erueur, et Taniiuci pour premier qu’on n’avait pu leur trouver aucun crime; la
ministre et pour guide. Pendant toute la mino- clameur publique s’éleva alors avec tant deforce
rité, Charles III régna de fait dans le conseil du contre Vanni que la reine fut obligée de
le dé-
,

royaume de Naples (1783). poser et de l’exiler La cour tenta


de la capitale.
Arrivé à dix-huit ans, le jeune prince épousa d’adoucir en secret son exil, mais ne le voulut il

Marie-Caroline d’Autriche, Glle de Marie-Thé- pas; cette âme, qui avait déjà foi dans le crime
rèse, sŒurdo Marie- Antoinette, belle, jeune, al- comme on en a dans la vertu , tomba dans une som-
1 1ère, croyant beaucoup honorer un roi de Na- breet misanthropique mélancolie.Craigoant l’ar-
ples en le prenant pour mari ;
Caroline arriva rivée des F rançais dans le royaume de Naples, il
résolue à régner seule. Ferdinand, sjtns instruc- demanda à la cour un asile en Sicile ; cet asile lui
tion , sans caractère, n'aimait que la chasse , la fut refusé; le désespoir le prit, et il se tua. Avant
pèche, et les disputes sur le môle avee les pé- de se tuer il écrivit un billet dans lequel il disait :
cheurs; du reste, plein de saillies originales et d L’ingratitude d’une (X)ur perGde, l’approcdie
étranges ; houlTun, railleur, sachant la langue du d’un ennemi terrible , le manque d’asile, m’ont
port mieux qu’aucun marinier de Pausilippc déterminéli m’ôterunevie que je ne pouvais plus
à Portici ;
c’élaiti/ Pulciae/la sur le trône. L’Au- supporter; (ju’on n’accuse personne de ma mort. >
triche avait mis, commeconvention dans le con- Nous avons dit que Caroline se déGait de son
trat, que la princesse, à la naissance d’un Gis, peuple, et qu’elle Ichaîssaitcroyant en être haïe;
aurait entrée dans le conseil. Elle aussi de tous côtés elle appela des étrangers pour
y entra, chas-
»! Tannuci, et Gt venir de Toscane le cheva- remplir les places du royaume : dans l’armée
lier Acton , Irlandais de uaissancre, ax-enturier, les ollicâcrs étaient tous des Autrichiens, des
qui devint son amant son esclave. Maric-Ca-
et Anglab ou des Hollandais, et les Napolitains
rulinen’avaitquedciix sentiments dans le cœur: vieillissaient vingt ans dans les rangs subalter-
haine et peur de la France, d('-Gance du peuple nes. Acton avait été chargé de recréer une ma-
de Naples. Toute .sa conduite est lit. Acton et elle rine à Naples. La position de b ville, les incur-
voyaient partout des jacobins et des conspira- sions pcrpétucllesdescorsaircs harbaresques de-
tions. Les jeunes gens avaient l’habitude d’aller mandaient une foule de petits vaisseaux lestes cl
le .soir, achevai, sur la liclle promenade de Chia- l(%èremcnt armés; Acton Gt (xinsiruirc d’énor-
ja ;
la reine prétendit qu’ils voulaient renoux’e- mes bùlimentsqui u’étaient bons ni pour b guerre
1er les courses olympiques, et les promenades ni pour le commcrce.Naples possédait sept ban-
furent défendues. Quelques jeunes enthousias- ques qui contenaient des dépôts d'argent faits par
tes, la tète pleine des événements de la France, les paruculiers; treize millionsdeducals,ainsi dé-*
en |>arluicnt à leurs maîtresses et à leurs perru- "Saggio sulla rivolutioae de Nipoli.

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,,

NAPLES. 65
posés, et vin{*t-quatrc millions fournis par le gou- tra dans Naples dispersée , battue , honteuse , la
,

vernement formaient un fonds inalicnablesur le- terreur s’empara de toute la cour. On appela la

quel reposait laconllance publique; Acton et la population aux armes; la reine fit ailichcr des
reine forcèrent ces Ikinques à des prêts qui les proclamations où l’on rappelait aux Napolitains
ruinèrent, et avec elles, le peuple. Iæ commerce qu'ils descendaient des Samnites et des Romains.
des grains avec la France fut défendu on insti- ;
Le peuple se porta en foule au palais pour avoir
tua un impôt pour la croisade des chevaliers : des armes , et l’on profita des désordres de la po-
de l’ordre de Constantin ayant imaginé je ne sais pulace pour engager le roi à quitter la ville. La
quelle parenté entre F erdi nand I V grand-maître ,
fuite fut résolue. On embarque sur des vaisseaux
de l’ordre, et saint Antoine, la reine déclara anglais et portugais les meubles les plus pré-
d’après leur avis, que tous les biens qui étaient cieux du palais de Caserte et de Naples, les ra-
sous l’invocation de ce saint appartenaient au retés les plus recherchées des cabinets de Por-
roi ,
et l’on expid.sa les propriétaires. tici etde Capo di Monte, les joyaux de la cou-
Jusqu’à ce moment, la cour de Naples, par ronne , vingt millions , beaucoup de pierres pré-
pour, avait observé assez strictement la neutra- rieuses non enchâssées, et cette lâche cour se
litéavec la France; mais Nelson , après la vic- sauve à la faveur de la nuit, laissant l’ennemi
toire navale d’Aboukir, étant revenu à Naples, aux portes de lu capitale et le peuple en armes
la reine, ivre de joie, croyant déjà la France au dedans. Lecomte Pignatclli était nommé gou-
perdue, reçut Nelson comme un sauveur et un verneur. Je ne ne peux mieux caractériser ce
dieu, et n’attendant pas meme la coopération de départ qu’en empruntant le récit du spirituel
la Kussic et de l’Autriche, elle résolut la guerre romande M. Dclatouche.
malgré presque tous ses ministres, ctàl’insudu n Fei-dinand se montra au balcon avec l’ami-
roi. On leva soixante-dix mille hommes. Mack ral Nelson.

général autrichien, fut appelé pourlcscomman- — Napolitains, je demeure au milieu de


Il

der, et le jour du départ, Caroline, achevai, en vous; je veux partager vos périls, et vous me
amazone, parcourant les rangs, radieuse, leur verrez mourir à votre tête avant qu’on puisse
donnarcndez-vousùRomcaulxtut de cinq jours. entrer dans cette sainte capitale !

I.’arméc, divisée en sept colonnes, partit par sept —


Bravo! Viveà jamais notre souverain légi-
chemins dilfércnts. Quelque temps auparavant, time!
Ferdinand, rencontrant dans la ville de Naplesics — Amiral vous êtes certains que
illustrissime,
.soldatS(|ui s'exerçaientleur demanda contre qui
,
la retraite est assurée d’ici au vaisseau de mon

ils marcher.
allaient —
Contre les Français. Eh — cousin Georges III?
bien mes enfauts, vous allez être bien étrillés.
! —les ffracious King.
Mack malgré la pluie les routes rompues
, ,
— Napolitains, j’ai nommé Pignatelli mon vi-
le manque de vivres courut comme un fou jus-
,
caire-général, mais je ne cesserai pas moi-même
(pi’à Itomc , et y arriva en cinq jours. Cham- de veiller à votre conservation.
pionnet, qui n’avait que douze mille hommes — Ainsi soit-il!

-SOUS ses ordres , abandonna la ville ; mais quel- — Je moquent de moi


crois qu’ils se : allons-
ques jours aprè-s il mit toute l’armée napolitaine nous-cn, monsieur duc. le

en déroute, et Mack n’eut pas d’autre ressource — saysyour majesty?


ff liat
que de courir en arrière comme il avait couru — Que vous jeduc de Brontcfais si nous
en avant. Ferdinand , qui l’avait accompagné à nous retirons sains et saufs.
Rome ,
faillit être pris ,
se sauva comme lui ,
et — A Unie patience, and dignity !

fut sur le point de fuir jusepi'à son troisième — Regardez qui que
cette canaille croit je suis
royaume de Jérusalem pour trouver un ,
enchanté d'être l’objet de ses criailleries. No fe-
asile. Quant à Mack sans s’arrêter à défendre
, riez-vous pas mieux , fainéans, d’aller essayer
ni le passage du Garigliano, ni Capoue, ni Gaètc, de dérouiller vos hallebardes et faire raccommo-
il se rendit au camp de Championnet et lui re- der vos chausses si vous en avez.
mit son épée. —
Général, lui répondit le Fran- —A’ivc le roi! le roi et sainte Marie du mont
çais, il m’est défendu de recevoir des présents Carmel!
de fabrique anglaise. —
Oui, oui ; mais vous crieriez plus fort si on
Quand cet armée, qui était partie quelques me menait pendre, ou seulement si monsiou
jours auparavant si brillante et si hautaine , ren- Championnet était ici à ma place. »
xxxit. Italie pitt. (A'aples — 9* Liv.)

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, ,.

66 ITALIE PITTORESQL'E.
« Et sa mnjestë IxmlTonnc ic rapprocha alors coutumes, ni le langage, ni les produits, ni la
(les balustrades , et envoya autour d'elle des bai- position matérielle des lieux; les populations de
sersnu bout de ses doigts. b Pouille appartinrent aux .Nbruzzes; une terre
« —
Je vous méprise comme une troupe de bas- qui était à trois ou quatre milles d’un chef-lieu
sets qui a perdu la piste. » Enfin posant une de de département dépendit d’un autre qui se trou-
ses mains sur sa poitrine , taudis qu'il laissait vait à (xait milles; d’autres foison choisit pour
doucement glisser l'autre le long de scs reins : chef-lieu une montagne , une vaUcœ presque dé-
K —
Je vous porte tous dans mou cœur, mes serte, ou bien encore un canton ayant un dou-
enfants ! » ble nom appartenait à deux départements à b
Tout le mondetîomprit que la farceélait jouée. fuis ; un établit des clubs, on envoya dans les pro-

Le roi parti, la populace, qu’il avait lait lever vinces des démocratisateurs, comme IcComitédc
en masse sous prétexte de défendre Naples, resta s<alut public cnvoyaitdesimmmissain^pour/iu'/v

maîtresse de la ville. On dit que la reine, en s’ts- f esprit public; on abolit l(» fûtes religieuses qui
loignant, avait laissé il l’ignatelli l'ordre d’exci- sont b moitié de l’existence à Naples; on força
ter l’anarchie, de pou-sscr le peuple à brûler Na- ces pauvres Napolitains à vivre le jour, eu les
ples et de faire tuer toutes les personnes qui étaicii t empécliant de se promener et de chanter le soir
au-dessus du rang do notaire. Sesordresfurent sur le bord de 1a mer Uarbarcs que nous étions
:

bicntdt exécutés nos ma.ssacrcs de septembre


: de traiter ces aixlents méridionaux comme Guil-
peuvent seuls doiincrl'idécdoccs horribles jour- laume le Conquérant traitait les Bretons, et du
nées les lazzaroni incendièrent toutes les bar-
: transporter à Naples le couvre-feu de Londres
ques canonnières, les vaisseaux, les palais; des b brumeuse, aim me si b nuit n'était |ias le pa-
hordes forcenées parcouraient la ville en crbiiit ; radis de Naples. Les biens du roi furent dé'clarés
« Vive la foi sainte! vive le peuple napolitain » ! fruits de lu conquête ,
quoique b moitié de ces
Le (xmitc Pignatclli s’enfuit comme le roi. Les biens eût été volée |iar le roi sur le peuple ; une
n'publicainsct leshommes paisibles s'efforçaient taxe de deux millions et demi dut être levée eu
en vain de rétablir l'ordre; le sang coulait à deux mois , et au lieu de b faire p(»cr en pro-
flots ;
les F rançais étaient aux portes de la ville portion de la fortune, on taxa F opinion de :

et la moitié des citoyens voulaient la leur livrer; sorte que tel habitant, avec vingt mille ducatsdu
mais lazzaroni aussi inflexibles au comliat
les ,
rente, payait moins que cet autre avec mille
meurtre, défendaient leurs murailles avec
(pi 'au Il est vrai qu’en (Ximpensalion on faisait des dé-

acharnement. Enfln l’on introduisit Champion- clarations des droits de l'Iiomme , et des alliches
net dans le fort Saint-Elme, et Naples fut à nous. en gros caractères , où il était én'rit « .Vn/iofi- :

Notre nîlc était diilicilc dans (œtte capitale : de- lains, -vous clés libres ! wlre Claude s'est enfui, .

vions-nous la traiter en vainqueurs ou (ui lib(-- 3fessaline üvinble,.... etc. ,


etc... l’auvrc peu-
rateurs? Nous ne sûmes être ni l'un ni l’autre : ple! il lui aurait fallu apprendre d’abord l'bis-
rien ne fut inepte, barbare et cruel comme la toirc romaine pour conqirtuidre sou boulicur!
France ou plutôt le directoire, h Naples, (sir Tauld’impérilie reçut bienttkson prix. Le gou-
c'est lui qui ordonnait tout. Nous entrons en vernement provisoire ne s'était pas plus otœupé
criant les grands mots de républi(pie et de liber- des province.s que si elles n’avaient pas existé; la
té ! Nous voila post^ en affranchisseurs des na- (xmtre-révolution s’organisa dans les provinces.
tions! Pour remplir cette mission à Naples, (pic Pendant que b (xuir, réfugiéeen Sicile, vivait
Se faire Napolitain, s’appuyer sur le
fallait-il? sous la tyrannie de l'Angleterre, tyrannie qui
peuple, entrer dans ses besoins, dans S(» coutu- s'appelait une sauve-giude, un vicilbrd inlirniu,
mes, présider, l’arme au bras, comme des protix;- (x-lèbre par scs connaissantes en économie poli-
teurs, à son développement national, monter la tique et par son amour des pliuitcs rares , b car-
garde à l’entrée de s(m forum, pour en assurer dinal Ruffo, sejctaenCakdirc pouryétablir uu
les délibérations. Au lieu de (x:la qu’avons-nous foyer de résistance à la république. Ruffo était
fait? Nous somnîcs entrés militairement dans ses né (bns b
Calabre, sa famille y était riche cl
assemblées, nous avons pris les premiers sièges, puissante; il recruta quelques volontaires parmi
nous nous sommes faits présidents , nous avons ses compatriotes; puis, autour de son crucifix et
implanté de force bF rance dansNaplcs b France ; de son épée, vinrent se presser les restes de l’an-
était divisée en dtipartements, on div isa le rovau- cienne armée, les hommes d'amics des barons
mc de Naples en departemonts, sans consultcrlcs les soltbis d(s tribunaux , tous gens que b répu-
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’AJ. .

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,

bliquc avait repousses; puis eneore


les brigands, lalions du Cilenlo, Avigliano,
dont le métierétait perdu, les forçats libérés,
Muro, Picerno,
firent des prodiges de valeur contre Sciarpa. Les
hommes condamnés à mort, qui il promettait
les
à habitants d’Alta-Mura démolirent leurs
pardon et le pillage. RuITo était
le maisons
brave, actif, pour se défendre , envoyèrent leur argent
et de plus prêtre, ce qui'était à l’en-
un grand titre au- nemi en guise de mitraille, firent fondre
près de ces populations pleines les
de foi. Il s’em- plombs de leurs toits pour faire des balles;
para de Cataiizaro de Cosenza et,
, , de Paola
;
il par- n ayant plus une arme pour se défendre,
vint ensuite à lier ses opérations refu-
avec celles des sèrent de SC rendre , et aimèrent mieux faire
insurgés de Salerne, de Castel-Forte, dé-
de Sora ; truire leur ville. Mais que pouvaient faire
c étaitMannonè (iaëtano qui était à la tête de ces
malheureuses cités, seules, sans secours, contre
œtte dernière insurrection. Mannonè
avait été ces milliers de brigands qui grossissaient
d abord meunier. On ne peut pas chaque
imaginer un jour? Elles tombaient l’une après l'autre,
monstre plus horrible. En deux et
mois de com- Rulfos’approchait déplus en plus de Naples. Une
mandement dans une petite étendue de pays, il heureuse imposture était encore venue le servir.
fitfusiller trois cent cinquante
mnllieureuxj ou- fl SC trouvait à Tarentc sept
tre le double peut-être qui émigrés corses,
fut tué par scs satcl- qui s’y étaient rendus afin de se procurer une
ites. Je ne parle pas
des .saecagements, des vio- cmliarcation pour
enccs , des incendies je ne parle
la Sicile. Craignant d’être ar-
; pas des prisons rêtés et de tomber dans les mains des Français,
liorrible.s dans lcs<|uclles gisaient les malheureux
ils partirent la nuit du 8 février
qui tombaient entre ses mains, 1799 et se diri-
ni des nouveaux gèrent vers Brindes. Après plusieurs milles de
genres de mort que sa cruauté
inventait. route 11 pied , ils s’arrêtèrent dans un village ap-
Sa soif du sang humain était
telle qu’il buvait pelé Monteasi; là ilsallercnt logcrcliez une vieille
tout celui des infortunés
qu’il faisait massacrer •
femme, a laquelle ilsdireni, pourêtre bien servis,
« Moi qui cens, dit
Guoco , je lui ai vu boire son qu’ils avaient parmi eux le prince héréditaire. La
sang apres s’être fuit saigner,
et chercher avec vieille femme courut aussitôt chez un de scs pa-
avidité cilui des personnes
qui se faisaient sai- rents, nommé Bonafede Girunda un des princi-
gner avec lui; il dînait avant sur ,
sa table une paux du village, et Girunda, se luitant d’arriver
tete fraicbcinent coupée,'
et buvait dans un près des Corses , s’agenouilla devant le plus jeune
crâne...» C’est à ce monstre
que Ferdinand de et lui rendit tous les hommages
d’obéissance et
de
Sicile écrivait Mon gènénil et mon ami.
:
vas^dage. Les Corses restèrent interdits,
Pour arrêter tant de maux pour puis
,
sauver tant craignant de plus grands malheurs, ils partirent
de populations que fit le
, gouvernement répu- immédiatement sans attendre le jour. Girunda,
blicain? Ce qu’il lit?.. Rien.
Mciitlionè, ministre averti par la vieille du départdu prétendu
de la guerre, prétendit qu'il n’y prince
avait aucuiidan- hen'slitairc, monta aussitôt à cheval pour
ger, et que les rebelles le re-
n’oseraient pas attaquer joindre; mais il prit une route opposée,
i>aples. On envoya bien et ne
Hector Caraffa dans la l’ayant pas rencontré il demandait à tous ceux
Fouille, et Sibipani dans la ,
Calabre; mais Hec- qu’il trouvait sur son passage s’ils n’avaient pas
tor CaralTn fut rappelé
promptement, et Schipaiii vu le prince héréditaire avec .sa suite. Ce bruit,
était un héros de théâtre
beaucoup plutôt qu’un s’étant aussitôt répandu partout, suffit pour faire
general propreàcettegnerrcde
partisans. Sciar- prendre les armes à tous les pays par où il passa
pa, un des plus terribles
contre-révolutionnaires, et faire courir les populations
à sa rencontre. Le
lui ayant proposé de réunir ses
troiipcsaux trou- prince supposés’cnferiuadanslcfort de Brindes
pes républicaines, si on voulait
lui payer sa trabi- et commença à expédier des ordres. Ruffo sut
»n, Schipani répoiiditcomme un
Godefroy « Je ; habilement légitimer sa contre-révolution jKir la
fins la guerre et non le
commerce; » et cependant, présence de ce prince improvisé.
tandis que cegouvernemept inerte, sans
volonté, Enfin, le rappel de Magdonaiddans
•sans courage, la Uaute-
laissait saccager, sansles secourir, Italicdétermina le succèsdu cardinal. Macdonald
toutes CCS
belles provinces
, une foule de villes partit laissant une garnisoude sept cents hommes
abandonnées à leurs seules forces
défendaient dans le château Saint-Elme; mais au bout de
heroii|ucment la république et la liberté. Il faut quelques jours, Ruffo, maître de tous les almrds
que CCS deux mots .soient bien
grands et bien di- de Naples, força la population républicaine à se
vins jxmr enfanter tant de
grandes choses cliex le réfugierdaus le châteaude l’Œuf et dans Icchâ-
peuple , à qui ils font si peu de bien Les popu-
! teau Neuf. La vigoureuse résistance de cette poi-
,

68 ITALIE PITTORESQUE.
gnée de braves engagea le cardinal à leur accor- milton était de tous les soupers de Caroline avec
der une capitulation, qui promettait la vie sauve Acton , et clic couchait souvent dans la cham-
à tous les Napolitains. bre de la reine.

Cette capitulation fut signée par le cardinal Ce fut à cette femme quel'épouse de Ferdinand
Ruflb , comme représentant le roi ; par Miche- s’adressa pour faire rompre la capitulation ; clic
roux , général de l’armée royaliste ; par le com- l’envoya à Nelson ,
en lui disant d’employer tou-
modore Food, commandant de l’escadrcanglaise; tes les ressources de sa beauté et de son art dans
et enfin par Mégeant, ollicier français laissé par le plaisir,pour arracher au vieil amiral unepro-
Macdonald dans le chütcau Saint-Elmc , et ga- testation solennelle contre cet acte de clémence.
rant de l’exécution du traité auprcsdcs républi- Lady Hamilton , qui avait été en butte au mépris
cains de Naples. d’un grand nombre de Napolitains, saisit avec
La reine Caroline était alors à Palcrme, se li- avidité cette occasion de vengeance; elle alla
vrantaux dissolutions les plus infâmes. A la nou- trouver Nelson, et Nelson, flétrissant toute sa
velle de ce traité, clic entre dans une horrible co- gloire militaire par cette lâche condescendance,
lère «Un roi, dit-elle, ne doit pas traiter avec scs
: osa déclarer que la capitulation était nulle, parce
sujets rebelles, et j’aime mieux perdre mes deux qu'elle n’avait pas été ratiflée par lui , et qu’il
couronnes que de m'avilir jusqu’à acceptcrccttc n’en souffrirait pas l’exécution.
capitulation, n Mais comment faire pour rompre Les arrestations commençaient dans Naples ;
un traitési régulierct revêtu de tant d’augustes si- le départ des républicains qui étaient déjà em-
gnatures? Rien n’est cruel comme un être débau- Ixiiqués fut suspendu ;
le lâche et inlânie Mé-
ché, et Caroline, pour satisfaire sa soif de sang, geant, au lieu de se battre pour l’exécution du
employa un moyenaussivilquelccriiiieoù il de- traité justpi’à .sa dernière cartouche, rendit les
vait la conduire était horrible clic se servit pour
; ùlagcs qui lui avaient été confiés, et signa la
cela de lady Hamilton, femme dcramhassadcur plus honteuse de toutes les capitulations : il pro-
à Naples. Voici ce qu’était cette femme. mit de livrer Ic-s républicains qui s’étaient réfu-
Fille d’un pauvre domestique , elle avait été giés dans le château Saiiit-Elme ,
et il les livra ;

dès l’àgc de seize ans, servante à Ixtndres; elle on le vit parœiirirles rangs de scs soldats cl en
devint, peu après, femniedcchamlircd'iincdanic faire sortir les nuilhcurcux qui s’y étaient cachés
chez qui elle lut beaucoup de romans, fréquenta sous l’habit de Fr.inçais. Il n’y a pas de paroles
les spectacles et prit l'habitude de peindre par- pour caractériser une telle infâmie.
faitement , par scs gestes et par ses attitudes, les A peine les Français partis, la réaction la plus
différentes passions de l’âme. Disgraciée par sa sanglante s'établit reipilièremcnl et solennelle-
maitrcs.se, elle tombe dans la misère et prend le ment dans Naples :on institua une junled’élal, et
métier de fille publique. Sa beauté la fait distin- le seul choix des chefs caractérise ce tribunal; ce
guer par un charlatan, qui Tofl're, pour de l’ar- furent Guido Raidi, ivimlmli et Speziale. Guido
gent , comme modèle aux artistes. Un peintre Raidi commença parfaire un arrangement avec
célèbre en devint amoureux, la reproduit, dans le bourreau. Comme il voulait faire tuer une im-
ses portraits, sous toutes les formes. Elle par- mense quantité de personnes, il lui sembla qu’il
vient à séduire lonl Grcnville, neveu du cheva- était exhorbilanl de piycr six diic.ats pour chaque
lier Hamilton, et en a plusieurs enfants. En tête coupée , et il trouva un moyen d’obtenir une
1789, Grcnville, ruiné, l’envoie à Naples |>our diminution en faisant substituer à ce salaire une
.solliciter des secours de son oncle. Le chevalier pcn.sion annuelle «C’est une grande économie,
:

Hamilton épris de ses charmes, la garde auprè-s


, disait-il, parce que le bourreau aura del’occupa-
de lui , perfectionne son éducation , et finit par tion tous les jours pendant dix ou douze mois. »
l’épouser en 1791 (elle pouvait avoir àcette épo- Ensuitcon fit lalistedclouslescoupablcs. Furent
que vingt-six ans, et le chevalier en avait dé-elarés criminels de lè-se-majesté, au premier
.soixante). chef, ceux qui avaient ocriipi! un emploi dans
A peine eut-ilfait sa fcmmcdecette prostituée, la république, ceux qui avaient tiré sur les laz-

qu’elle devint la maîtresse de lord Nelson. I.a zaroni |>endant qu'ils pillaient et incendiaient
reine de Naples , qui avait d’abord été son enne- Naples, ceux qui s’étaient fait inscrire dans les
mie, et meme, dit-on, sa rivale, en fit sa favorite, clubs, enfin tous ceux qui, d’une façon quelcon-
et plus encore ,
car cette reine renouvelait dans que, avaient montré leur attachement à la répu-
notre siècle les débauches de Saphu. Lady lia- blique: c’était condamner la moitié de Naples.
,

NAPLES. 69
L'application de la‘pcinc fut aussi régulière que belle , tu es jeune , va chercher un autre mari
la peine était juste. On
pour les ac-
n’adnicttail adieu. »
cusés, ni témoins, ni défenseurs; on condamnait Tout ce qu’il y avait de noble, de grand , d’in-
des enfants de douze ans. L'n ou dcu.\ exemples dustrieux dans Naples, fut condamné. Il
y eut
donneront une idée des juges. plus de quatre-vingt millions de confiscation. Le
Parmi les hommes destinés à la mort était Ni- brave Hector Caraffa, Domcnico, FranciscoCon-
colas Fiani,àqui l’on n’avait pu arracher un aveu forti Vincenzio, publiciste distingué; le cheva-
;

et que l’on ne pouvait convaincre; Spcziale, se leresque Schipani, l'évcque Toisé, Granale, et
rappelle que Fiani a été autrefois son ami , il le une foule d’autres , furent exécutés. 11 n’y eut
fait venir du Ibnd de la prison où il languissait ; pas une branche des arts, des sciences, du com-
un l'amène devant lui, désenchaîné, non dans le merce, de la guerre, qui ne fut frappée dans
lieu où SC tenait la junte, mais dans scs apparte- scs plus jeunes et scs plus belles espérances. Ceux
ment.'. En le voyant entrer, les larmesde Spezialc que l’on ne pouvait convaincre de crime étaient
coulent; il l’cinbrasse. « Pauvre ami , à quel état condamnés de par Ferdinand et le nom du roi, ,

je te vois réduit ! Je suis fatigué de faire le bour- qui fait grâce dans touslcspays du monde, tuait
reau , je veux te sauver. Mais pour le sauver, il à Naples. Eh bien! parmi tant de victimes, pas
convient que tu me dises ce que tutis fait. Tu une seule dont le courage ou le patriotisme se soit
connais les accusations portées contre toi. De- démenti devant l’échafaud mais il en est quel- ;

vant la junte tu as bien fait de les nier, mais cc ques-unes dont la conduite et le langage eurent
quetumedirasà moi, la junte ne le saura pas...» plus d’éclat (plus d’énergie était impossible), et
Fiani a foi en ces paroles d’amitié, et Fiani nous choisissons au hasard entre raille traits su-
avoue...» —
Il faudrait que tu l’écrivisses; cela blimes.
me servirait pour me souvenir.» Fiani écrit, et Cirillo fut amené devant le juge, ün lui de-
quand il alini, il est renvoyé à sa prison, et deux manda quelle profe.ssion il avait sous la monar-
jours après il marche à la mort. cIhc; il répondit :n Médecin... Sous la répu- —
Speziale se plaisait à aller presque tous les jours blique? —
Représentant du peuple... Et de- —
dans tourmenter ou opprimer, par sa
les prisons, vant moi, qu’es-tu?» Speziale croyait l'hunii-
présence, ceux qu’il ne pouvait encore fai rc mou- lier. — « Devant toi? Un héros! »
rir. Un soldat tua un pauvre vieillard qui, pour Quand on annonça à Vitagliani son arrêt de
un instant, s’était approché d’une fcnclrealindc mort, il jouait de la guitare; il continua à jouer
respirer un air moins corrompu ; les autres mem- et à chanter justju’au moment de sou supplice.
bres de la junte voulaient demander conqitc de En sortant de la prison ,
il dit au geôlier : « Je le

ce meurtre ; « Que faites-vous, dit Spezialc ; cet recommande mes compagnons; cc sont des
homme n'a fait que nous oter l’ennui de pro- hommes, et tu pourrais un jour être malheu-
noncer une sentence. » La femme de Bufl'a lui reux comme eux. »
recommanda son mari : «Votre mari ne mourra « Je t’enverrai à la mort, dit Speziale à à'e-
pas , lui dit Speziale , soyez tranquille , il ne sera lasco... — Toi? Je mourrai, mais cc ne sera pas
qu’exilé. — Mais quaqd — Le plus ? lut possible. » loi qui me feras mourir! » Ainsi parlant, il me-
Les jours s'écoulaient et l’on n’avait pas de nou- sure de l’œil la hauteur d’une fenêtre qui
était

velles de l’aflaire de BulTa sa femme retourna : dans la s.a1lc du tribun.il, et se précipita sur le
près de Spezialc ,
qui s’excusa de n’avoir j>as pavé, laissant Speziale interdit à la vue de tant
encore eu temps de s’occuper de l'alTaire du
le de courage et désespéré d'avoir perdu sa victime.
mari ,
congédiait en confirmant scs espé-
et il la Personne ne déploya plus de sang-froid que
rances. B — Mais pourquoi
insulter au malheur Grimaldi quoique son arrêt fût prononce, il fut
:

de cette femme ? » lui dit alors une personne qui tenu dans les fers plus d’un mois après sa icin-
était présente àoe discours car Buffa était déjà : damnalion. Enfin l’ordre fatal arriva il était :

condannéà mort; mais sa fcmuicignoraitia sen- nuit; une compagnie de Russes le transporta de
tence. Qui peut décrire le désespoir, les lamcn-- la prison au lieu de l’exécution ;
il a le courage
tâtions ,
les larmes, les reproches ,
de cette in- d'échapper à scs gardes, se défend contre tous
fortunée? Speziale, avec un sourire froid, lui les soldats, sc rend libre cl se sauve. La troupe le

dit : « Quelle femme affectueuse! elle ignorait suit en vain pendant près d'un mille et elle ne ,

jusqu’à présent le sort de son mari. C’est juste- l’aurait certainement pas rejoint si, au lieu de
ment là l’effet que je voulais voir j’ai vu tu es ; ,
fuir, il n’eût cru plus prudent de sc cacher dans
, ,

70 ITALIE PIT TORESQL'E.


uuc maison dont il trouva la porte ouverte. La dent et le plus élevé. Au retour de Ferdinand
nuit était obscure et orageuse ;
une lampe le tra- ces écrits devinrent un crime, et on envoya
hit ,
et il fut découvert par un soldat qui le sui- EIconora h l’échafaud. .Avant d’y marcher , elle
vait de loin. Quand on le rejoignit il désarma voulut boire du café, et dit Forsan liœc olim ;

deux soldats, et on ne put le prendre que lors- meminisse juvahit.


[|u’il tomba couvert de blessures et k demi-mort. Je m’arrête, non parce que les faits manquent,
Caracciolo Francisco était ,
sanscontretlit, un mais parce que les morts héroïques abondent trop
des premiers génies militaires de l'Europe. Il dans celle sanglante année. C’est ainsi que Fer-
avait commencé à donner une marine à Naples. dinand et Caroline rentrèrent dans leur royau-
La nation l’adorait, le roi l'aimait, mais Nelson me. Et au bout de quelques jours , Acton aurait
le haïssait; il fut condamné. 11 était sur le quai pu dire Le calme règne à Naples.
;

causant de la construction d'un vaisseau anglais C’était une époque terrible pour les rois qui

qui devant lui, on vint lui annoncer sa con-


était n’aimaient pas les voyages, que la fin du xtfii'

damnation à mort; il poursuivit tranquillement sicxle et le commencement du xix*; les soux'C-

sa conversation. L'n marinier avait reçu l’ordre rains étaient toujours sur la grande roule, je-
de préparer le supplice, la pitié l’en empêchait; tant leur couronne en se saux’ani ,
comme l’a-

il pleurait sur le sort de ce général , sous les or- mant d’Alalanle scs pommes d’or, pour arrêter
dres duquel il avait servi « Courage, lui dit : ceux qui les ramassaient. Ferdinand était h peine
Caracciolo est-ce qu’un marin pleure lorsque
: rétabli sur le trdnc, qu’une nouvelle trahison
son maîtremeurtPiiCaracciolofiit pendu comme de sa femme, la reine Caroline, attira la colère
un infâme aux antennes de la frégate la Mi- de Napoléon sur le royaumede Naples. En quel-
neive, et son cadavre jeté à la mer. Le roi était ques jours, une armée française traverse les
à Ischia cl vint le jour suivant loger dans le Etats romains, arrive aux portes de Naples. Fer-
vaisseau de l'amirtil Nelson. Au bout de deux dinand reprend le chemin de la Sicile, cl Joseph
jours, cadavre de Caracciolo apparut .4ur
le Bonaparte, accompagné dcMasséiia, prend pos-
l'eau aux yeux du
roi, qui recula d'épouvante ses.sion, comme général, de celle ville où il fut

en reconnaissant son ancien ami... ^s restes roi queltiues jours aprè-s. Mais celle couronne
furent recueillis par les mariniers qui l’avaient n’élail pour lui qu'une pierre d'allcnte; et nom-

tant aimé, cl les honneurs funèbres lui furent mé bientôt roi d’Espagne, il écrivit de Bayonne
rendus dans l’église de Saintc-Lueie, qui était h sa bonne ville de Naples, pour lui faire part
près de sa demeure. Celle cérémonie était d’au- que son cher l»au-frère, Joachim Murat , était
tant plus belle, qu’elle n'avait aucune espèce nommé par l’empereur pour le remplacer on :

de faste, et qu’elle eut lieu en dépit de ceux eût dit une circulaire. Mural après s’cire fait ,

qui alors pouvaient tout conduire; elle fut ac- piécéxler d’une proclamation où il annonçait son
eompagnt’C des larmes sincères de tous les arrivée au milieu doses peuples arec .ton auguste
pauvres habitants de ce quartier, qui considé- épouse , le prince rvyal, Nchille Napoléon , et sa
raient Caracciolo comme leur ami cl leur père. Houx de confier à leur
petite famille, qu'il lié était
EiiGn , les femmes voulurent avoir aussi leur, amour et leurfidelité entra dans cette ville de so-
,

part de martyre et de gloire dans cet holix:ausle leil, tout brillant de broderies, d’or, déplumes,

de toutes les su|tériorilés. l’imcnlcl EIconora avec un immense état-major, faisant résonner le
Fanceca est la madame Roland de la révolution jtavé sous les pieds de tous ces chevaux pialTans
de Naples belle , jeune , élève de .Métastase , fai-
; et caparaçonnés , et la ville le reçut avec des ac-
sant des vers pleins de grâce et d'âme , elle s’en- clamations unanimcs,comme depuis qulnreccnls
flamme d’enthousiasme pour la république dès ans elle recevait tous les .souverains qtii lui ve-
que ce mot eut retenti dans l’air napolitain. .\u naient de l’étranger. Cependant, à dire vrai, ce
moment de la première arrivée des F'rançais, en roï-Franconïconvenail merveilleusement à Na-
1799, elle se travestit en matelot; et, mêlée à ples; mais l'enlhousia.sme du peuple ne dura
Itcaucoupde patriotes s’introduisit dans le châ-
,
pas long-temps : nous étions toujours les mêmes
teau Sainl-Elmc, qui fut livré par eux aux Fran- vainqueurs, égoïstes et tyrans. En 1799, démo-
çais ; que France et liberté
elle croyait alors crates cl républicains nous avions enfoncé de
,

étaient deux mots synonymes. Pendant la répu- force , dans le sol napolitain , notre arbre de la
blique. ce fut elle qui écrivit le Moniteur napo- liberté, et nous avions pendu ceux qui ne sa-
litain . journal plein du patriotisme le plus ar- luaient pas en passant devant. En 805 , impé- 1

Digitizi;;: C.
KA.If ( . Ai>'

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,

NAPLEh. 71
rialisCcs et conqucratits, nous grcflàmeg violem- temps de la bonté tendre de cet homme si gi-
ment le gouvernement militaire gureette Naples gantesque sur le champ de bataille.
si joyeuse, si insouciante, si amoureuse de sa mer « Ma chère sœur je ne saurais vous exprimer
,

et de son carnaval. Le despotisme de la moustacho lebonheur que m’a fait éprouver votre lettre du
devint intolérable dans eette malheureuse ville : 9 de Nice, que la grande-duchesse de Toscane
,

pour qui ne traînait pas un grand sabre sur les vient de m’adresser. Quand me sera-t-il permis
|>avés de la Chlaja ,
il n’y avait qu'humiliations de vous exprimer de vive voix tous Icsscntimenl.s
etqu'injustices. Dans les provinces, les comman- qui m’agitent en q^moment ? Comment vous
dants militaires étaient de vrais despotes :
pas peindre mes tourments et l’horreur de ma situa-
d'autres lois que leurs caprices. Dans la cité, la tion ? Je laisse à votre âme sensible , à votre cons-
garde particulière d u roi .se permettait toutes es- tante amitié pour moi , à l’apprécier. Elle ne la
pèces de violences; on vil des ofliciers de police supposera jamais aussi affreuse qu’elle l’est en
assaillis à leur poste par des ollicicrs de la garde, effet. L’empereur est aux prises avec les alliés, la

liéspar eux , traînés à travers les rues les plus F rance est malheureuse, et tout me fait un devoir
peuplées jusque sous les fenêtres du palais royal ; de ne pas aller mourrir pour les défendre, tout
et là, dépouillésde leurs vêtements et fouettés, m’attache à ma nouvelle patrie le sort de mes :

|>arce qu'ils avaient ordonné l'arrestation d'un enfants, celui de mes sujets l’a emporté; je suis res-
des compagnons de ces otliciers qui li'oublait té pour eux , et , en apparence , contre l'homme
une fête publique. que je révère elque j’aime encore plus. Cepen-
,

Un ne [>eut nier , cependant , que Murat n’ait dant je ne suis pas encore ennemi , et j’espère
,

fait quelque bien dans le royaume de Naples. que la paix viendra avant que le roi deNaplesail
C'est lui qui détruisit les brigands de la Calabre : pu se décider à agir. Ah ma sœur
!
,
plaignez-
il enlc va Capri à sir H udson Lowe et pendan t les ,
moi! Vous m’aimez, et vous savez combien j’ainæ
quelques années de son règne, il ordonna des l’empereur! Je lui ai proposé de sauver l'Italie
fouilles immenses à Pompéi ; mais son gouverne- en la rendant indépendante où n’a jamais ré- :

ment péclinit par la base, il ne tenait pas au sol : pondu quand d’un autre côté ,'les alliés me de-
, ,

c’était comme une excroissance sur le royauiue, mandaient de m’expliquer , et me menaçaient


qui ne s'incorporait pas à sa chair et à scs os; du renversement du trône de Naples.
c'éiail toujours la F rance substituée à Naples On . » J’avais rem pli envers la F rance, envers 1 em-
sait qu’après la campagne de Russie, Murat aban- pereur , les devoirs de la reconnaissance ; j’ai dû
donna l’empereur, et fil un traité avec l'.Vngle- remplir ceux de roi, ceuxdepèTe;j’aidùsauver
terre et l’Autriche contre la F rance ; il adressa à mes enfants, quand je me serais perdu sans résul-
son armée une proclamation où il expliquait ce tat et pour eux et pour la France. Ah! ma chère

changement de conduite; il faut lire dans le Mé- sœur , plaignez-moi ; je suis le plus mallieureux
morial lit; Sainle-IIélrriK\GS paroles amères avec des hommes Que de larmes je
! verse !
les<|ucllcsrempei-cur parle de cette proclamation: » Si vous voulez venir à Naples, je vous en-
K 11 de concevoir plus de
est impossible, dit-il, verrai prendre par une fré^te , ou de la manière
turpitude que n’en contenait la proclamation de que vous le désirerez; ordonnez. Combien Ca- ,

-Murat en se séparant du vice-roi. Il est dit que le roline. combien mes enfants seraient heureux de
temps est venu de choisir entre deux bannières, vous embrasser Adieu ma Imniic cl tendre
! ,

celledu crime et celle de la vertu c’était ma ban- : sœur; rappelcz-vousquevous avez et aurez tou-
nière qu'il appelait criminelle ,
et c’est Murat jours en moi un ami à toutes épreuve, un ami qui
mon ouvrage, le mari de ma sœur celui qui me ,
vous aimera toute sa vie. Ne cessez pas d’étre
doit tout, qui n’eùt rien été sans moi, qui n’est bonne pour moi; n’imitez pas Camille; je lui ai
connu que par moi , qui écrivit cela. Il est dilli- écrit à Turin , il n’a pas daigné me répondre.
cilc de se séparer du malheur avec pKis de bru- a Adieu j’embrasse la plus belle, la meilleu-
,

talité , et de courir , avec plus d’impudeur , au- re des sœurs. »


devant d’une nouvelle fortune. » Son repentir répare bientôt son ingratitude, et
Voici cependant une lettre que nous tirons sa mort l’efface ensuite. Napoléon étant parti de
de Revue rétrospective , et qui présente la po-
la l’ile Murat rompit tout lien avec les allit^,
d’Elbe,
sition de Murat sous un jour intéressant. C’est, se déclara pour l’empereur, et, à la tète d’une
du reste , un monument curieux de la faiblesse forte armée de Napolitains, s’avance dans la Hau-
de caractère de la vcrsalilitéd’idées,etcn
, meme te-Italie pour la faire soulever en faveur de la
f
, ,

72 ITALIE PITTORESQUE.
France contre l'Autriche; niais, battu par Blan- bien... Quel traitement puis-je attendre de ces
chi à Toicntino , de place en place , et,
il s'enfuit puissances qui m’ont lais.sé, pendant deux mois,

IclOavril, rentra au milieu de la nuit, désespère, sous les poignards des a.ssassins de Marseille?...
honteux avec quelques compagnies de sa garde
,
Errant dans les Ixiis , caché dans les montagnes

qui le précéilaicnt, et qui traversèrent silencieu- jene dois la vie qu’à la généreuse compassion
sement les rues en SC rendant à leurs easernes. Le que mes malheurs ont excitée dans l'âme de
lendemain, il fit afficher dans toutes les rues une trois olliciers français; ils m’ont transporté en
constitution en 188 articlq^il y avait huit ans Corse au plus grand péril de leurs jours.
qu’il la promettait); puis, se travestissant en ma- « Je n'accepterai pas, monsieur Macirone
telot, il SC rendit secrètement dans l'ilcd'Ischia, les conditions <jue vous êtes chargé de m'offrir.
etde là en Franec. La traversée fut fort pénible, » Lors(|u’on vous remettra cette lettre, j’aurai

et nu milieu d'une liourrns<|ue, il s'écria « Il : déjà fait Ixm chemin vers ma destination ; ou je
nous fallait bien aussi une petite tempête! » réussirai ,
ou je terminerai mes malheurs avec
A peine eut-il al»rdé à Cannes qu’il lui fallut ma vie. J’ai bravé mille et mille fois la mort sur
se cacher pour échapper à la fureur des réaction- le champ de bataille je ;
puis bien la braver une
naires du midi. Il SC retira dans les Iwis, où des fois pour moi-même Je frémis seulement pour
!

amis sûrs lui apportaicnidc la nourriture et des le sort de ma famille. »


vêtements. Fatigué de cette vie de craintes, !\Iu- Nous ne raconterons pas la fin tragique de
rat SC réfugia en Corse, où il trouva quelques-uns .Murat ;
le poétique auteur de Home souterraine
de ses anciens compagnons d'armes. Il crut l’amieux fait que nous ne pourrions le faire.
qu'avec leurs secours, il pourrait reconquérir Après Jo.achim, Ferdinand IV, remonté sur son
son royaume, et fréta cinq petits bâtiments sur trône fut aussi clément qu’il avait été cruel.
,

lesquels il se proposa de passer en Calabre. Tel En parcourantles annales de ce malheureux

M. ülacironc
n'avait pas d’abord été son projet. p.iys, ce qui frappe le plus, c’est rab.sencc com-
avait été chargé par lui dedemander un asile à plète de tout caractère fational; plein d’origi-
r.Autrichc. Ce négociateur était parvenu, non nalité, de verve, d’imprévu, il n'a ee|>endanl
sans beaucoup de démarches et de soins, à obte- aucune valeur comme nation ; ce n’est pas un
nir du prince de Mctternich un acte authenti- peuple; les populations de l’Europe sont venues
que par lequel l'empereur accordait à .Murat un tour-à-tour planter leurs tentes sur cette terre;
asile dans .scs états, sous les conditions suivantes : et avec leurs tentes ,
leurs coutumes , leurs
t .* Qu’il prendrait un nom particulier; mœurs, leur sang, leurs luis. Les Normands y
2." Qu'il fixerait son séjour dans une ville de ont apporté la féodalité ,
Charles-Quint l’inquisi-
la Bohême ou de laHaute- .\utrichc; tion, Murat la conscription. L'histoire napoli-
.3.* Qu’il s’engagerait k ne p.as quitter les états taine est un habit d’arle<|uin dont chaque pavs
autrichiens sans leconsentement de sa majesté. de l'Europe a fourni une pièce. Aussi Naples a-
Il obtint de plus pour le roi dclnîné des pa.s.sc- t-cllevu mille émeutes, mille insurrections, mille
ports signés des ministres des puissances alliées saccagements, et pas une révolution; car à peine
alors k l’aris. l’autorité de la x'cillc était-elle aliattuc, qu'il fal-
Lorsque .M. Macirone put parvenir k lui re- lait recourir k une autre puis.sancc, un fonde-

mettre cette autori.sation et ce passeport , Murat ment national n’étant pas là pour servir de Ikisc.
était sur le point de s’embarquer avec le petit Aujourd'hui cette malheureuse contrée semble
,

nombre de braves qui devaient l’accompagner plus tranquille et appelée k de mcilleursdcslins.


dans sa périlleuse expédition. Murat lui lèpondit Les rois qui lu gouvernent naissent sur son sol
qu’il était venu trop tard, que le sort en était jiv vivent de sa vie, en comprennent les besoins.
té qu’il exposerait k la vengeance du gouverne- l-e peuple napolitain n’a pas une grande soif de
.

ment fnin«;aisses généreux compagnons d’armes. lilierté nide gloire ; ce qui lui faut, c’est qu’on
En vain M..Macirone fit de nouveaux efforts pour ne l'éemse p,as quand il dort sur les marches des
ledéterminer k renoncer k sa téméraire entre- palais , c’est la musique le soir dans les barques,
prise. Voici un extrait de la lettre que lui envo- les poissons frais et cnis ,
une belle fête par
ya le vice-roi ; mois, et policliinclle sur le môle.
“ J’apprécie la liberté au-dessus de tout autre F. A.

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,

HISTOIRE
DU COXSEUVATOIUE DE \APEES.

Giovanni di Tappia ,
prêtre espagnol ,
demeu- diminuant , puisque les élèves étaient élevés sans
rant à Naples, eut le premier l'idée de fonder un payer. Les directeurs étaient fort embarrassés.
conservatoire : c'était dans la première moitié Aller encore faire une quête dans toute l'Europe ?

du xvi' siècle.Tappia était passionnément épris C'était chanceux , et puis tout le monde n’aime
de la musique, mais il n’avait pas un carlin ; pas la musique comme Tappia. Donc, pour ne
que fait-il? Il part de Naples, s’en va pendant pas fairebanqueroute à la reine de l'harmo-
neuf ans dans tous les pays de l’Europe, la besace nie ,
on imagina un moyen bien simple ce :

sur le dos , un bâton à la main , bravant la faim , fut de tirer profit du talent des élèves. Les uns
le froid , lu fatigue et frère quêteur d'une nou-
, ,
furent distribués dans les églises de Naples pour
velle espèce , mendiant pour une reine qui n’a- dire la messe; les autres, et ceci est plus curieux,
vait pas encore de trône, pour une déesse qui furent enrôlés dans le régiment des anges, c’est-
n’avait point encore d'autel.... l'Harmonie. Il re- à-dire (|ue lorsqu'il mourait quelques petits en-
vient en iSBy, les mains pleines d'aumônes de fans de parens riches
,
qui voulaient bien payer
rois, d'aumônes de peuples, et, sans en avoir de riches funérailles , nos jeunes conservatoriens
rien distrait pour lui qui manquait de tout, il les s'habillaient en anges, à peu près comme une
dépose tout entières aux pieds de sa souveraine ; danseuse de l'Opéra , avec des ailes sur les épau-
avec scs richesses il lui bâtit un palais ,
il lui les, un maillot en soie couleur de chair, des
crée une nation, il lui peuple une cour..., ou, plumes et des fleurs sur la tête, et ils planaient
autrement dit, il fonda, l'an i537, le premier ou dansaient autour de l’enfant ; d’autres enfin ,
conservatoire ,
nommé di Santa Maria di I.o- pris parmi les plus grands , avaient pour office
rcto. de charger les corps sur leurs épaules , et de les
Le succès de ce premier établissement fut si conduire à leur dernière demeure. Quant aux
grand, que, pour recevoir tous les élèves qui se chanteurs , ils étaient réservés pour faire de la
présentaient, il fallut bientôt en fonder un se- musique dans les églises de Naples ou des pays
cond sous le nom de di Suiu’OiioJrio di Ca- voisins dans les processions pour chanter
, ;
le
p:iana, et enfiu une association religieuse en créa Libéra me, Domine, autour des catafalques, et
un troisième appelé delta Pieta dei Turchini : enfin pour servir de choristes dans les théâtres.
aussi les élèves étaiojit-ils habillés à la turque. Je sais peu de choses plus curieuses et plus ca-
C’est ce dernier qui ,
fondu avec celui de Sant’- ractéristiques, que les mœurs des élèves de ces trois
Onofrio, est devenu lefameux conservatoire si conservatoires :
jeunes ,
nombreux ,
hautains
célèbre dans toute l'Europe ;
mais , à l’époque pleins de fougue et d'imagination ,
ardens à la

dont nous parlons, l'organisation de ces établis- fois comme des Napolitains comme des artistes , ,

semens ne ressemblait guère à celle d’aujour- et comme des hommes de vingt ans, ils formaient
d hui ;
et on lit dans des documens e.\istant en- une véritable puissance dans Na|iles, C’était uni-
core à leur bibliothèque
,
que dans le princifie il cité au milieu de la cité, un peuple au milieu
ne s'enseignait au Conservatoire que trois choses ; du peuple; ils avaient leurs costumes et leurs
la lecture , la prière et la musique
;
quant à l’é- privilèges ; c’était comme un atelier, comme un
criture, il n’en est pas question. Le roi Charles camp. Les élèves délia Pieta dei Turchini avaient
y ajouta depuis l'arithmétique, la géométrie, une sultane bleu -ciel, boutonnée jusqu’au mi-
l'astronomie et la philosophie. lieu du corps, avec un collet bleu aussi ; un cha-
Cependant le nombre des élèves allait toujours peau rond, et une grande robe turque de la
croissant, et par conséquent les fonds toujours même couleur; puis, par-dessous, unstviet et un
pistolet. Le second conservatoire était habillé tout

Carlin, petite monnaie. en rouge; ceux de Sant'Onofrio tout en blanc. Ja-
ui. iTAiia MTT. (Nariu. . • lO'Uv. 10
)
,, ,

74 ITALIE PITTORESQUE.
oux les uns (les autres, envieux du talent, du ces luttes musicales : pour avoir des places il fal-

nombre et des privilèges de leurs rivaux, ils lait souvent attendre depuis le lever du jour; les
èpouvanlaient Naples de leurs sanglantes discus- gens riches donnaient jusqu’à la valeur de 20 fr.
sions ;
c’élaienl les Capulets et les Monlaigus de pour obtenir une chaise ;
sans sc souvenir qu'on
la musique. Quand arrivait un nouvel élève dans un lieu sacré , on applaudissait chaque
était

dans l'une des trois écoles, il lui fallait subir beau passage avec fureur comme au théâtre,
huit jours d’épreuves. D'abord on lui enlevait à et si la musique n'était pas bonne , en guise de
table sa nourriture; puis la nuit, au moyen de sifflets,on faisait crier les pieds des chaises en les
cordes arrangées en (toulie ,
ou élevait son lit à frottant contre les dalles il
y avait des messes -.

douze pieds au-dessus de terre , et on le laissait là qui tombaient. On sent tout ce que la présence
plusieurs heures; ensuite quand on le faisait des- et l'animation de la multitude devaient ajouter en-
cendre on éteignait les lumières, et on rétrillail à core au sentiment de jalousie qui divisait les
coups de cordes et do bâtons, le tout pour savoir trois écoles ; elles en donnèrent d'étranges preuves.

s'il était courageux et discret. S'il se plaignait Le jour de la fête de sainte Irène ,
le conser-
un le forçait de quitter ne disait rien,
l'école ;
s'il vatoire dei Turchiiii devait sc présenter à la
il était proclamé digiius entrare. Alors on lui fai- lutte. La veille, les élèves des autres collèges
.sail jurer haine aux autres conservatoires, guerre s'introduisent chez les Turchini ,
séduisent les

à tous ceux qui voudraient attenter aux privilèges domestiques à force d'argent, et font plonger
de l'école ; et désormais purifié |>ar le baptême dans l'eau, pendant toute la nuit, les instrumens
de la bastonnade , on lui donnait le stylet ut le dont on devait sc servir le lendemain au point :

pistolet. du jour, ces instrumens sont remis à leur place,


Ne croyez |>as que ce fussent seulement des et les musiciens les emportent à l'église :
quelles
armes de |iarade ;
les jours de fêle, tous les con- furent leur surprise, leur rage, leur honte,
servatoriens allaient dehors armés, et à la plus quand ils voulurent se mettre d'accord ;
le fa-
petite occasion le stylet sortait de sa gaine ,
et b mtmx concert de Jean-Jacques était de la mu-
guerre était dans la rue. Quelquefois meme ils se si(|uc céleste en comparaison de ce charivari ;

donnaient rendez-vous pour tel jour, pour telle toute l'église ,


qui était pleine d'auditeurs ,
éclata
lieure, dans tel lieu ;
le nombre des combattans du rire : il leur fut impossible d'exécuter leur mu-
était fixé d'avance, et aussi celui des hommes qui sique. Jugeant bien de qui partait ce tour infâme,
devaient être blessés ou tués, et une fois convenu ils jurèrent d’en tirer une vengeance éclatante.
qu'il
y aurait ,
par exemple ,
dix morts ,
aueune Le jour de San Francesco, c'était aux élèves dû
force humaine n'aurait pu les séparer avant que collège de Sanf Onofrio à exécuter une messe
les dix morts ue fussent par terre. dans une des premières églises de Naples; or, à
heureusement leur haine n'était pas tou-
Niais Naples , l'habitude est de faire dans les églises un
jours armée de pistolets et de poignards, et leur orchestre avec de hautes tables liées ensemble
veugeance s'exerçait |>arfuis sur un théâtre moins sur lesquelles on établit un- parquet. Que firent
sanglant que le champ de bataille. Il va là-dessus, lesTurchini? La nuit, ils se glissèrent dans l'é-
dans les Mémoires du Conservatoire , quelques glLsc etdonnèrent un trait de scie à tous les pieds
traits assez curieux et que je vais rapporter. de table le lendemain , les élèves de Saut’ Ono-
;

Pour entretenir l'émulation entre eux, on avait frio arrivent triomphant et montent sur leur es-
décidé que cliaque couserraloire à son tour irait trade. D'abord tout alla assez bien , et l'édifice
faire musique dans l’ancienne église di San
de la résista parce que les musiciens n’arrivaient qu’un
Franccfco di Paolo et à celle de Sont’ ICmilio. à un et qu'ils ne faisaient pas grand mouvement ;
Ou prenait dans (rliaque collège l’élite des élèves mais au moment de commencer, quand chacun
soit dans l’exécution, soit dans la composition; courut à sa place et que le chef d’orchestre donna
I un était chargé de faire la messe et les vêpres , le signal en frappnt vivement du pied , tout à
et ses camarades les exécutaionL C'est de là que coup les tables s'ébranlent, se dérobent, le par-
datent les progrès de la musique d'église qui fut quet manque ,
et voilà que tombent ensemble
,

portée ensuite dans l'école romaine à un si haut pêle-mêle, l’un sur l'autre, hommes, chaises,
degré de perfection. Naples, si amoureuse des contre-basses, violons, cors; les cordes sc bri-
icpiésentations, de de tout ce qui
1 harmonie, et sent et sifUeot ,
les blessés poussent des cris af-
lessemblc à un tumulte, sc portait en foule à freux l'un gémit écrasé sous une basse et un
;

Ulii
,,

CONSERVATOIRE DE NAPLES. 75
bassier, l’autre a l’archet du chef d’orchestre forcé de les juger sur-le-champ , cor les Lazza-
dans la houclie ;
boites d’instrumens cassiis, cites roni commençaient i s'agiter en leur faveur. On
d'hommes enfoncées, chaises mises en morceaux, les condamna à être attachés sur un éne, avec la

lamentations, rires de l’auditoire, cris de terreur, sentence au cou ,


la robe déchirée dans les reins,

tout cela se mile, scconfond et fait la plus étrange précédés d’un étendard qui disait lenr faute
musique qui jamais ait été entendue. Cepen- et i parcourir ainsi les principales rue» de Na-
dant, après le premier momenUle surprise, tous les ples ;
mais , à la prière de tous les nobles qui
spectateurs coururent au secours de ces malheu- protégeaient et aimaient les conservatoires , le roi

reux ,
mais on ne put [ms retrourcrchef d’or- le commua la peine, et ils furent seulement pro-
chestre ; enfin , après bien des recherches, on en- menés |>ar les rues, liés deux à deux, avec la tête
tendit dans un coin un gémissement comme celui rasée et la sentence an cou.
de quelqu'un qui parle dans un cha|ieau ,
et l’on Le chef des révoltés ,
qui s’appelait CogUa ,

vit deux jambes qui s’agitaient frénétiquement en jeune homme d'une force terrible cl d’une sta-
l’air .-c’était le malheureux chef d’orchestre qui ture colossale, marchait en tète, portant l’éten-
avait donné une tête dans la grosso caisse et a’y dard ;
mais comme l’on craignait toujoui-s une
était enseveli tout entier. autre révolte, tous les autres conservatoires fu-
C’étaient de véritables écoliers de Cluny i|ue rent gardés |nr la cavalerie ,
et le triste cortège

ces musiciens du Conservatoire ,


insolents et que- évita avec soin tous les lieux où il
y avait des ras-
relleurs rue, hargneux sur leurs privi-
dans la semhlemens de Lazzaroni :
grâce à cea mesure*
lèges intérieurs , toujours prêts à l’émeute et à de prudence et de force, les prisonniers furent

la révolte. S'ils n’étaient pas contons de lenra traînés dans presque toute lu ville et ils arri-

maîtres, ils s’en allaient se plaindre au roi ;


et il vèrent jusqu’à la prison, où on les jeta pèle-mélc
arrivait souvent que le prince, étant à la chasse à avec les criminels.
plusieurs milles de la ville, se trouvait tout à Il me semble que rien ne peut mieux exprimer
coup entouré d’une trentaine des plus détermi- la puissance de cea jeunes gens que de voir à quel
nés qui lui présentaient d’un ton menaçant leurs horrible supplice on les condamnait mais au lieu ;

doléances. Un espion du gouvernement s’étant de SC laisser abattre |>ar ce malheur ignominieux,


une dans un des collèges, e< ayant été
fois glissé sachant bien qu’ils ne méritaient pas d’étre con-
reconnu , on le saisit , on le jeta dans la cave du fondus avec les voleurs et lus assassins, ils prirent
directeur, et il y resta huit jours enfermé , sans leur peine en patience ,
c’est-à-dire eu musique ;

autre nourriture que des melons d eau. ils obtinrent qu’on leur rendit leurs instrumens,

Une autre fois, un élève du collège de Sant’ se mirent à donner des concerts dans leurs ca-
Onofrio ayant battu un homme sur une place, fut chots et changèrent le bagne en conservatoire.
,

arrêté et mis en prison. Cette nouvelle se répand Je ne sais rien de plus caractéristique que ce
dans le collège : aussitôt tous les élèves se lèvent trait : toute la nation napolitaine me sembla
et s’arment en masse ;
les plus âgés marchent peinte là-dedans ,
fougueuse et ardente dans la
droit à la prison appelée dctla Fictiria pour en révolte, se levant en armes dans la roc, se bat-
arracher leur compagnon. Repoussés par des tant ,
renversant ,
vaincue ,
jetée dans les fers ,
et

forces imposantes , ils se portent chez le pré>i- mettant un air d’opéra au bout de tout cela
dent du tribun.il , le surprennent dans sa maison, comme nos vaudevillistes un vaudeville final à la

le forcent à signer sans retard un ordre de mise fin de chaque pièce.


en lîlierté pour leur camarade ; et munis de ce ,
Ils firent même plus ;
quand vint la fele du
jiapier, ils vont reprendre le prisonnier et le roi ,
comme la prison était sous une partie du
portent en triomphe au Conservatoire. Le lende- palais royal, nu moment où le prince entrait dons

main, le président alla porter ses plaintes au roi : et son bain, ils lui firent une sérénade. Cette satire

telle était la terreurqu’inspiraient ces collèges, que amère et narguante fut prise par le prince comme
l’on n’osa pas les attaquer et les punir en plein une félicitation suppliante; et, charmé de leur
jour, de peur d’une révolution; mais, la nuit, un harmonie , il ordonna qu’on les mit en liberté.
régiment de ligne cerna l’établissement ; deux A cette heureuse nouvelle ,
tous les nobles de

cents sbires, armés jusqu’aux dents, pénétrèrent Naples résolurent d'aller eux-mêmes chercher les
dans les chambres et chaque élève surpris dans
,
prisonniers en grande pompe. Le matin du jour

son Ut fut enchaîné et conduit en prison. On fut de la délivrance, on eût pris la rue qui menait à
, , , , , ,

76 ITALIE PITTORESQUE.
la prison pour un de nos Longchamps : chevaux s'améliorant. Autrefois on recevait des élèves à
richement enharnachës, voitures dorées et armo- tous les âges
,
et il y avait des écoliers de qua-

riées, valets en magnifique équipage, grandes da- rante ans et de huit; maintenant on n’admet
mes éblouissantes de parures et de pierreries ,
se personne qui ait passé l’âge de vingt-deux ans

pressaient en foule autour de la prison ;


les portes et jusqu’à cet âge il n'est pas permis de quitter
sont ouvertes, on enlève les malheureux jeunes le Conservatoire.
gens sur les bras , on les porte tout enivrés dans de C’est cette loi qui rendit Lablache si malheu-
splendides voitures, et on leur fait parcourir tous reux. Labkche, avec sa taille de Goliath, sa figure
ces mêmes où un mois auparavant ils étaient
lieux à la Yandick, était de toute l’école le plus spi-
passés captifs au son de trompe et la sentence au cou. rituel, le plus gai, le plus insoucieux, le plus
on leur donna un grand banquet, au- doué et le plus paresseux ; on pourrait dire de
Le soir, ,

quel ils répondirent par un concert ,


car c'était lui ce qu’un célèbre professeur disait d’une ravis-
à la fois leur seul remerciement comme leur seule sante cantatrice: Elle n’aime pas la musique, c'est
la musique qui l’aime. Il savait toujours tout plus
vengeance.
au de les abattre releva vite que tout le monde, et pourtant il n'appre-
Cette punition ,
lieu ,

appuyés, ils se sentaient nait jamais rien. Jamais esprit ne fut plus fertile
encore leur orgueil; ils
en expédiens et en tours de collège. Il était l’àme
ne cessèrent pas de se tuer entre eux et de
battre les bourgems toutes les fois que l’occasion
du Conservatoire. Dès qu'il y avait parmi ses
compagnons quelque pauvre jeune homme, bien
se présentait.
pris d'amour pour quelque belle dame Lablache,
pour être grand homme, faut ressem-
:

Si, il ne
comme Lablache, disait il, fais-moi une lettre; et La-
bler à personne ,
s’il faut être batailleur
blache, secrétaire-général des Menus-Plaisirs, lui
Benvenuto , volcanique comme Salvator Rosa
écrivait la supplique amoureuse la plus tondre et
rude et hardi comme Michel-Ange, certes, ces
la plus ingénieuse. Pendant la messe, (rendant
trois conservatoires devaient être une pépinière
les études il gravait sur tous les bancs , sur toutes
de petits génies, et ,
en effet, les maîtres les plus ,

nous les murailles son nom en lettres gigantesques


célèbres de l’école italienne en sont sortis :
,

fameux Alexandre Scarlati, dont comme lui, don les retrouve encore aujourd hui
avons d’abord le
(rartout. Ce devrait être vraiment admirable do
M. Fétis, danssesconcerts historiques, nous afait ,

voir,au milieu de toute cette (ropulation déjeunes


entendre quelques ravissans morceaux ;
gens , ce grand jeune homme , qui les dépassait
— NicoloPorpora
— I^onardo de la tête , si beau , si puissant , et d’une puis-

— Léo sance tellement sans effort, d’un visage si doux ,


si bon et (rourtant si plein de earactère qu’il a
Pergolèse , dont le nom est aussi doux qu'un antique; avec cette luxuriance
l’air d’un (lortrait
de ses chants ;
de santé de jeunesse cl de force cette foret de
— Le divin auteur de Nina, Paesiello ;
cheveux noirs
,

comme Samson;
;

cette surabon-
Piccini, Sacebini, Zingarelli, Tascbi,Gu- dance de verve cl de gaîté intarissable et celle
,

gliclmi et enfin pour clone la liste de tous ces voix, enfin celle voix sans (larcillc, cette voix
; , ,

grands noms, le maître de Rossini dans la mu- qui n’avait alors que vingt ans, et dont chaque
sique bouffe, l’auteur du Mariage secret et lirs
son est à la fois puissant comme un roulement
fIorac.es, Domcnico Cimarosa. de tonnerre , et barmonicusemcot doux comme
*
Bellini est aussi sorti de cette école. 1e bruit de la mer lointaine.

En chanteurs elle a produit :


Un jour (il n'avait pas encore vingt-deux ans),
FarinelU,Caffarelli, Aprilc, et notre ami, un de ses amis lui offrit un engagement pour

le Jupiter des chanteurs ,


comme Rubini en est l’école de Païenne, en qualité de première conlrc-
l'ange Geronimo , notre Campanone, notre
;
notre b.asse;il devait jouer les symphonies dans l’iii-

Podesla, notre Mosè, Lablaclic enfin , Lablacbc! termede des comédies. Lablache enchanté ac-
et je vous vais raconter tout-à-l’heure son his- cepte , et comme il était trop jeune encore
toire à celte école. |K)ur qu’on lui permit de quitter l’école, il saute

Depuis cinquante ans les élèves du Conserva- par-dessus les murs, et part. Le lendemain,
toire sont devenus beaucoup moins belliqueux grande rumeur dans le Conservatoire ; le direc-
et l’organisation du Conservatoire va toujours teur n’apcrccvant plus une télé qui dominait

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CONSERVATOIRE DE NAPLES. 77

toutes les autres tètes ,


et n’entendant plus une sombre, et au milieu de cette foule si attentive

voix qui écrasait toutes les autres voix ,


dit à l'in- et si pieuse.

stant : Où donc est Lablache? La fuite est re- Il se raconte là-dessus un trait assez étrange :

connue ,
on envoie deux gendarmes pour courir Une jeune Anglaise, enceinte de huit mois, assis-
après lui; on le rattrapa à Salerne, et il fut ra- tait à ce Miserere ; aimant passionnément la mu-
mené au Conservatoire entre deux baïonnettes et sique ,
et plus impressionnable encore à cause de
deux sabres. son état de grossesse , elle fut remuée jusqu’au
Peu de temps après, cependant, il entra au fond de l'âme par ce solennel et religieux morceau;
petit théâtre de San Carlino, comme contre-basse; et lorsqu’on arriva à la fin, son émotion fut telle-

et quittant bientôt l'orchestre pour monter sur ment forte, que les douleurs de l’enfantement
la scène , il prit le masque et l'habit de poli- la mère au milieu de l’é-
prirent, qu’elle devint
chinelle. On ne peut se figurer avec quelle verveil glise, pendant que les élèves achevaient les
et

remplit ce personnage ; Salvator Rosa lui-méme dernières mesures, tout à coup s’élevèrent et se
n'était pas plus spirituel et plus mordant dans le mêlèrent à leurs chants les cris argentins d’un
fameux signer Formica ; on se [rorlait avec fu- nouveau-né. Certes, si cet enfant là a vécu, cc-

reur à San Carlino. Il quitta bientôt ce théâtre sera un vrai chrétien et un grand compositeur,
de scs succès pour tenter une scène plus élevée,
,
né ainsi dans le giron de l'église, et aux sons d'un
et devint ce qu'il est aujourd'hui ,
la première concert de Conservatoire.
Irasse chantante de l'Europe. Il
y a dans le Conservatoire un beau théâtre
Quelques mots sur le Conservatoire actuel. dans lequel on joue l’opéra , mais seulement pen-
Les recteurs, les vice- recteurs, les maîtres dant le carnaval. Les élèves composent la mu-
de l'école, sont tous prêtres ,
et ces jeunes gens, sique, les élèves en exécutent l'orchestre, les

dont les uns doivent être chanteurs, les autres élèves la chantent sur la scène. Les jeunes gens
exécutansdans l’orchestre, et quclques-unscompo- de dix à quatorze ans sont chargés des |Mrties de
sileurs d'opéra, sont élevés comme des sémina- femmes , et le théâtre est aussi suivi que l'église.
ristes ; on les soumet aux pratiques les plus mi- Tous les ans le Conservatoire doit fournir deux
nutieuses de la religion catholique ;
ils vont à compositeurs au théâtre de San Carlo f c’est
confesse plusieurs fois par mois. Cependant ces une des conditions du traité que le gouvernement
exercices de piété ne nuisent pas à leur travail a fait avec Vimpressario (directeur d'opéra).
et il se fait encore au Conservatoire de Naples .Mais l’adresse et l’avarice du fameux Barbaja
toute la semaine sainte une es[ièce de miracle éludent cette clause du contrat et les malheureux ,

musical. élèves sont réduits au petit théâtre du Fonda


;
Voici ce que c'est : du reste Barbaja n’est pas un directeur comme
Les mercredi, jeudi et vendredi saints on ouvre les nôtres ,
c’est le Rothschild des directeurs d’o-

du Conservatoire elle est tendue en noir,


l'église : péra : il
y eut un temps où il avait l'administra-
et comme c’est la coutume des Napolitains de se tion de cinq théâtres en Italie , le San Car-
vêtir toujours de deuil pendant cette sainte se- lo et le Fondo à Naples, la Scala à Milan ,
le

maine ,
tous les auditeurs sont habillés de noir théâtre royal à Palerme , et le Grand-Opéra de
aussi; la foule est immense, et les étrangers paient Venise ;
aussi a-t-il fait tailler dans un rocher du
souvent un louis leur place. Le roi et la famille Pausilippe une villa de grand seigneur, qui s’ap-
royale ne manquent jamais d’y assister. Alors, jvelle la villa Barbaja; et cependant, s’il a fait su
quand le moment est venu ,
quatre-vingts élèves, fortune par la musique, c'est bien le plus ingrat
c’est-à-dire vingt soprani ,
vingt castrats, vingt des hommes, car il la traite comme s’il ne la con-
ténors et vingt basses ,
entonnent le sublime naissait pas.
Miserere du vieux mais intrépide Zingai'clli ;
ils Voici un trait de lui ;

le chantent alla Paleslrina, c'est-à-dire sans au- Un jour, une jeune fille se présente pour entrer
cun a<com|>agncroenl d'instrumens. Ce Miserere dans les chœurs, et propose de chanter un air
dure unedemi-heure, cl pendant celte demi-heure, ou une leçon de solfège Barbaja sans savoir ce ; ,

ces quatre-vingts voix chantent sans être soutenues qu’il disait, choisit le solfège; puis au milieu il
par aucun orchestre, cl sans baisser meme d’un l’interrompt en lui disant : Tais - toi donc, tais-
quart de ton. On
ne peut rendre l’effet produit toi donc ; ils te siffleraient s’ils t’entendaient chan-
|iar celte admirable musique, dans cette église ter do, re, mi au théâtre.
,

Clyiii^cd by Google
,

78 ITALIE PITTORESQUE.
Une aulrc fois, à nne rëp^tilion ,
les musiciens dont les plus connus et les plus remarquables
de rorcliestrc avant de commencer se menaient sont ;

d'accord Laisses donc , laissez donc, leur dit-il ;


: Pyrrhus.
Iphigénie. — Artaxerces. Il — —
vous vous accorderez le jour de la représenta- Conte diSaldagna. Inès di Castro. —
La Secchia —
tion. rapita. — Il Ritratlo. — Romeo cGiulielta, où
Outre l'impérilie et la mauvaise volonté de se trouve cet air sans pareil que l’on ne peut en-
Barbaja ,
il est plusieurs autres causes à la déca- tendre sans verser de larmes, l’air de Umbra
dence do la composition. Au Conservatoire, le ndoi'orrr^ que Creseenlini chantait si admirable-
gouvernement n’accorde pas d’encouragement ment qu’il prétendait en être l’auteur.
aux jeunes gens ; on m'glige l’étude fondamen- On a encore de Zingarelli deux oratorios, la
tale des premiers maîtres et peur-étre que dans ,
Destruction de Jérusalem et le Triomphe de
quelques années nosortira-t-il plus un seul liomme David.
de mérite do celte, ér-ole eélélire qui fait donner Les commencemens do sa vie furent comme
à rilnlic le nom de Reine de l’Harmonie. ceux de tous les hommes supérieurs, durs et
Les travaux des élèves qui se destinent à la amers, et ce n’est qu’après de longs efforts et de
partie instrumentale ne sont pas suivis avec plus brillans examens qu’il fut nommé maître de cha-
de soin. Qui entrerait pour la pri'mière fois dans pelle à Milan. A la mort de Guglieimi, il laissa
le Conservatoire croirait beaucoup plutôt péné- cette place pour passer à la chapelle do Vatican
trer dans un Pandemoninm que dans une école de à Rome ,
et il fut appelé comme directeur du
musique. A voir la niélbode d’enseignement et Conservatoire de Naples beaucoup plus tard, après
les instrumens dont se servent les élèves , on sent de longues traverses et un emprisonnement qui
qn’il est impossible qu’il en sorte jamais ni un estun des actes les plus honorables de sa vie.
Listz ni un Kaillot. Les seuls pianos sur lesquels Napoléon était tout-puissant, et Naples était
ils jouent, et encore en ont -ils un très - petit sa sujette comme
Paris. Pour mettre le comble à
nombre, sont des épinettes anciennes qui n’ont sa prospérité. Dieu lui donna un fils, et, comme à
que quatre octaves, ou cinq au plus. Ils sont tous tous les rois du monde, il lui fallut des actions de
réunis dans la même salle-, trente pianos mis à gi'àces publiques pour ce bonheur ordre fut donc :

la file de l’autre sont occupés par trente


l’un donné à Zingarelli d’écrire un Te Ifeum; naais
élèves d’ùge et de force différente et qui jouent le pieux maître italien répondit que, comme, selon
tous des morceaux divers; c’est un bruit infernal lui, l’empereur avait mal agi en répudiant sa pre-
à rendre malade tout bomme un peu organisé, et mière femme, il ne pouvait pas, lui, Zing-arelli,

à dégoûter de la musique pour toute la vie. Il prostituerson art à chanter un enfant, fruit d’une
faut s'habituer à ce tapage, comme les soldats au mauvaise action ,
et il ne fit pas le Te Oeum.
feu, pour saisir quelque chose dans cette ef- L’empereur, qui était le protecteur des arts
froyable bataille de notes qui se croisent et se comme chacun le sait, le fit |etcr en prison.
heurtent toutes les unes contre les autres. Ce n’est Tout octogénaire que soit Zingarelli, il a en-
pas tout ; .1 côté des pianos se trouvent les vio- core une facilité dans la pratique de son art qui
lons, les trombonnes, les contre-basses, puis une tient du prodige ;
en une semaine il fait une
trentaine d’élèves qui chantent à tue-téle leuis messe et des vêpres. Tous les jours il consacre
compositions, de sorte que la grosse caisse sert quatre heures à donner des leçons de contre-
d’accoin[)agncment à la cavaline de Di tanti pal- point, où il est passé maître; et aussi bon et chari-
piti, et que les chants de désespoir de donna table qu’il est consciencieux ,
il distribue tous scs

Anna se rencontrent et se mêlent tout indignés appointemens aux pauvres. A le voir et à l’enten-

avec l’air bouffon et grotesque de Campanone. dre on ne s’imaginerait jamais parler à un homme
Et c’est là ce qu’on ap|ielle un Conservatoire. de quatre-vingts ans ;
écrivant sans lunettes ,
et
Le directeur est cependant un vieillard habile marchant sans bâton, comme on dit, il a con-
et plein de mérite, Zingarelli. servé dans l’esprit et la conversation une verve
Zingarelli naquit .à Naples en resté or- et un feu de jeunesse qui ne se peuvent rendre.

phelin dès son bas âge, il fut reçu par eharité Jamais il ne s’est marié; mais dès qu’il trouve
dans le conservatoire de Sanio Loreto; il était un jeune homme sans fortune, et ayant des dis-
contemporain de Cimarosa ,
et Haydn en faisait positionspour la musique, il le prend, l’élève et
grand cas. On a de lui un grand nombre d’opéras, le dote. Rien de si simplement et si natnrelle-

iZi
,

CONSERVATOIRE DE NAPLES. 7*J

menl modeste que la manière dont il parle de lui, et l'on raconte un trait assex singulier d'un jeune
et s'il quelqu'un trop gonflé de son mérite,
voit ténor de vingt-deux ans.
il aime à rapporter ce mot de Ciinarosa Un pein- : Il était amoureux fou de la prima donna , et
tre disait à Ciniaro.sa qu'il le considérait comme jaloux comme on l'est à Séville ou à Naples. Un
l'égal de Mosart ; à quoi Cimarosa répondit brus- jour, un débutant devait jouer un rôle avec cette
quement : n Monsieur, c'est comme si Je voulais cantatrice le ténor était au désespoir
; ;
l'idée
vous faire croire que vous êtes supérieur à Ra- qu’un autre que lui allait appeler sa belle mio
phaël. U lesoro le rendait le plus malheureux des êtres
;

Zingarelli est comme tous les vieillards spiri- puis, craignant que le jeune homme ne profilêt de
tuels qui ont vu et souffert ;
il aime à raconter. sa situation pour jeter quelques paroles d'amour,
Une de ses histoires favorites est celle que je vais il va se cacher dans le trou du souffieur afin de tout
vous dire sur Porpora. voir.La prima donna et le débutant entrent en
Porpora passait par une abbaye d'Allemagne ; scène et commencent un duo très-tendre le té-
;

les moines le prièrent d'assister à un de leurs of- nor était au supplice. Arrivé à l'andante le dé-
,

fices pour entendre l'organiste, dont ils exaltaient butant, entraîné par son rôle, saisit avec passion
beaucoup le talent. Porpora se rend à leur désir, la main de la cantatrice ;
à ce moment, hors de
va à l'église ,
et écoute attentivement. L'office lui, notre pauvre amoureux sort de son trou,
fini le prieur lui demande comment il trouvait se hisse sur le théâtre , s’élance sur son rival , et
,

cet organiste; à quoi Porpora ne répondit qu'avec le serre à la gorge à l’étrangler. Comment vou-
peine, et en balbutiant mais le prieur, qui ne se lez-vous qu’on conserve sa voix avec une im.rgi-
;

contentait posd'un demi-éloge, l'interrompit, et, nation semblable ?


pour mieux le disposer à l'admiration , il ajouta Outre ce Conservatoire, il
y a aussi un Con-
que cet organiste était un homme de bien, plein servatoire de femmes ; maisles mères ont si mau-

de charité, et vraiment très-simple. vaise opinion des chanteurs,que le Conservatoire


— Oh ! répondit Porpora, quant à sa simpli-
est presque désert peu de jeunes filles qui
,
et le

cité, je l'ai bien vue, car sa main droite ne s’aper- y restent s'adonnent plutôt aux travaux domes-
tiques qu'à la musique.
çoit jamais de ce que fait sa main gauche.
L’homme
A ^’enise il n’en est pas de
: on
y compte
même
le plus important dans l'établisse-
quatre Conservatoires de femmes, soutenus par
ment, après Zingarelli, est le fameux musico
les plus riches propriétaires de la ville il s'y
Crescentini. C’est lui qui est chargé de la di- ;

représente des messes et des opéras comme au


rection du chant, et l’on ne pouvait pas donner
Conservatoire de Naples. Ce sont les femmes qui
un plus habile maître aux jeunes élèves de Na-
jouent les rôles d'amoureux , de pères de ténors
ples. On sait que l'empereur le décora de l’ordre ,

et de basses. Bien plus , l'orchestre est tout en-


de la Couronne de fer, et l'admiration des di-
tier composé de jeunes filles, et c’est vraiment
lettanti, qui fait pleuvoir les bouquets et les cou-
un curieux spectacle que de voir ces jolis visages
ronnes de fleurs sur la tète de Rubini et de La-
s'enfler comme un ballon en soufflant dans la cla-
blache ,
n’a rien imaginé d'aussi nouveau que le
rinette, ou ces corps sveltes et gracieux se bat-
triomphe de Crescentini à Vienne. Un jour, après
tant corps à corps avec une contre-basse.
une représentation de Romeo e Giulietia, deux
Je ne veux pas terminer cet article sur le Con-
colombes descendirent des loges et lui apportè-
servatoire sans dire quelques mots de trois des
rent une couronne de laurier. ,

plus célèbres compositeurs qu’il ait produits, To-


Cependant , malgré tout le mérite de Crescen- melli
i

, Pergolcse et Piccini : leurs trois noms sont


tini, nous devons peu de chanteurs de premier
inscrits sur la laçade du grand théâtre de San
ordre au Conservatoire de Naples et un Italien
, Carlo à côté de ceux d’Alfieri, Metastasio et
me disait un jour que cela tenait à la bouillante Goldoni. Ils naquirent tous trois à très-peu d'an-
imagination de ces jeunes gens. Dès qu'ils sont
nées l’un de l’autre, et tous trois presque dans
libres la passion les emporte et ou sait
,
, ,
pour le même pays.
parler une fois le langage mytbologiquv que Vé-
, Pomelli vit le jour dans un petit pars voisin
nus est la plus grande ennemie d Euterpe. Il
y a de Naples et c’est d’un village qu'il partit pour
,
par le monde une noble comtesse qui dit-on aller remplir l’Europe de ses hefs-d'œuvre pen-
, i
nous a volé dix belles années de la voix de David, dant soixante ans.

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,,

80 ITALIE PITTORESQUE.
Pergolèse ,
comme presque tous les grands écrire un opéra français, et ne connaissait pas
hommes ,
est aussi un paysan ;
il naquit dans un un seul mot de la langue Marmontel se chargea ;

bourgvoisindeNaples, et vint faire ses études mu- de la lui enseigner ; mais ce n’était pas là le plus
sicales au conservatoire deiPoveri dijesu Cristo. grand obstacle que devait trouver le compositeur
Faible, maladif, destiné à une mort prématurée italien. Les musiciens qui avaient la faveur du

par une affection pulmonaire qu'il avait reçue public français, jaloux de l’arrivée de l’illustre
avec le sang maternel , Pergolèse est un génie A apolitain,lui déclarèrent une guerre ouverte. Le
de k meme famille que Raphaél. Il est l’auteur jour de la première représentation arrivé (c’était
de la Serva Padrona ,
et j'ai un petit air de lui son opéra de Roland), toute sa famille, en le
manuscrit qui ne le cède en rien ,
en douce et voyant partir pour le théâtre, pleurait comme s’il
,

touchante naïveté, à aucun des accents les plus allaitàla mort. Lui seul était calme, et, se tournant

suaves de Moiarl ;
mais Pergolèse alamdonna vers ses amis , il leur dit ; u Pensez donc que nous
promptement la musique profane pour la mu- ne sommes pas au milieu de barbares, mais dans
sique sacrée. Se sentant plus voisin de Dieu et de le pays le plus civilisé de l'Europe. S’ils ne veu-
l'ctcrnilé que tout autre ,
puisqu’il avait à peine lent pas me reconnaître pour compositeur, ils nte
pour lui les années de la jeunesse , il alla chercher respecteront comme homme et comme étranger.
d'avance tous ses chants dans le ciel ;
je dis d’a- Adieu, rassurez -vous ,
et ayez bon espoir; je
vance ,
car il me semble que Dieu doit former pars tranquille, et je reviendrai de même, quel
ses chœurs d’anges avec tous ces rois terrestres que soit le sort de la pièce. » Le succès fut com-
de l'harmonie. Pergolèse, pieux et austère, qui plet ,
et l’auteur reconduit en triomphe chez lui.
remplissait son art comme un sacerdoce, se re- Piccini avait une horreur invincible pour la
tira donc dans un petit village appelé la Torre musique de ballet et comme il fallait cependant
,

del Greco, voisin du Vésuve ,


et il écrivit là son que la danse eût sa part dans l'opéra de Roland,
Salve regina et son fameux Stnbat mata qui at- Piccini priait Vestris de venir chez lui ,
de danser
tirent à Rome du ,
fond de tous les pays de l'Eu- devant scs yeux, et alors, tout en suivant les pas
rope, autant de voyageurs que l’église de Saint- gracieux du danseur, son génie se mettait peu It

Pierre. Il mourutà vingt-deux ans, écrivant encore peu en mouvement qu’une balançoire que
ainsi

les dernières mesures de ce chef-d’œuvre, et son l’on agite avec lenteur. Cette danse, qui passait
âme s'exhak d.ms un chant. On a prétendu qu’il et repassait, le berçait comme un enfant, mu-la

avait péri empoisonné ;


mais tous les auteurs s’ac- sique s’éveillait en lui ,
les chants arrivaient an

cordent à dire que c’est la consomption qui l’a à un , se liant onduleusement aux poses et aux
enlevé. passes du danseur, et au bout d’une demi-heure

Piccini naquit à Bari, dans le royaume de ta- le ballet se trouvait fait sans que Piccini se fût

pies. Esprit ardent et fougueux ,


il commença aperçu de l’avoir écrit.

y avait, comme
d abord composer sans règle ; il ne pouvait
à Il on SJrit, guerre ouverte en-
s'astreindre à aucune loi, n’ayant qu’une crainte tre Gluck et Piccini. Dans un repas qui leur fut
au monde c’clait celle de faire ce que les autres
: donné par le directeur de l'Opéra, ils se récon-
avaient fait avant lui ; mais il sentit bientôt que cilièrent. A la fin du dîner, Gluck , échauffé par

la connaissance des principes n’est une servilité le vin , dit à Piccini «Mio caro, les Français sont
;

ijuc pour les hommes médiocres et sans portée une brave gent, mais ils me font rire quand ils

et que l’art devient une puissance de plus dans veulent qu’on leur fasse du chant ;
ils ne .savent

les mains d'un esprit supérieur. Pressé par Du- pas chanter. Vous faites de la bonne musique,
rante, qui l'avait deviné, il entra au Conserva- mais vous n’en êtes pas plus riche. Ici il faut
toire ,
cl ,
comme tous les hommes forts ,
voulant travailler pour l’argent. —Moi, je veux travailler

savoir à fond ce qu'une fois il se mettait à la fortune et la gloire, » répondit Piccini.


apprendre ,
il
y resta douze ans , et sortit de là
Après bien des années il retourna à Naples ;
n’avant rien perdu de sa verve et de son ardeur mais, ayant montré des sentimens révolutionnai-
novatrice, et riche de toutes les ressources les res, il fut poursuivi, persécuté, et forcé de se
plus cachées de son art. cacher pendant quatre ans. Il obtint enfin la per-
Après avoir écrit cent trente-trois opéras en mission de revenir en France, où il mourut,
Italie, sans parler de beaucoup de morceaux dé- paralysé aigri ,
et pensionné à l’âge de soixante-
,
,

tachés, il arriva en France. 11 s’était engagé à douze ans, dans le village de Passy, près de Paris,
,

CALABRE.
Aogom iinUtm. — Païuge dn Campo-Tén^. — Titea de morta. — Anecdote. — Valide dn Chratil Cotenza.
— Journal de* Mode*. —Wcrüier en Calabre. — Apennin* — HoapitaUcé montagnarde. —Chanioa* nationale*.—
Püorù — Micaatro. — Le
. golfe de Sainte-iliuphcniie. — Bdninca*a. — Le Piaao.— Execution du roi Juacliim.
Le gendarme d'Anlore et les dis de Murat.

On ne part pas de Naples pour la Calabre, Je ne dissimule pas qu'en approchant de


comme on pari de Paris pour la Basse-Norman- la Calabre les sinistres augures de Naples me
die ; bien qu'au fond la distance ne soit guère revenaient en mémoire, et ne laissaient pas
plus grande. Calabre est un mol ncra.stcqui ter- que de me tenir en alerte. L'n pâtre en cha-
rifie meme à Naples , c’esl-à-<lire qu'il terrifie à peau conique apparais.sait-il au loin sur une
Naples plus qu'aillcurs. Calabrais y est , pour pointe de rocher, un chasseur sifTlait-il son
beaucoup de gens, synonyme de brigand. chien, mon cœur battait plus vite, et j'avais
Quand j'allai pour retirer mon passe -port des préoccupations inquiétantes.
chez mon ambassadeur, il me prit à part et m'ad- Je ne révais déjà plus que stylets et bandits,
jura de renoncer a ce périlleux voyage. Il mit lorsque ,
sortant d'un bois fort sombre et fort
dans son exhortation une solennité singulière épais ,
je vis la route tacliée de sang. La veille,
et me donna vingt -qiialrc heures pour faire un homme à cheval avait été assassiné là et
mes réflexions; elles étaient faites depuis long- volé. Le début n'était pas engageant ; la nuit
temps. Même cérémonie à la préfecture de d'ailleurs approchait : le site est tragique, et
police. I.C préfet, voyant que je m'aventurais cœur m'avait dû manquer, il m'aurait
si le

seul dans ces formidables contrées , m'exhorta manqué là. Mais je me roidis cœitre mes san-
à n’en rien faire on ne voyageait pas ainsi
; glantes imaginations, et les combattant par de
dans ce pays; on prenait des serviteurs, des plus riantes, je me peignis toutes les mer-
eaeortes, ou au moins des compagnons, et mon veilles, enchantements gracieux ou
tous les
ignorance d'étranger me faisait courir à des terriblesde cette Calabre qui avait tant occupé,
dangers ccrtaitis. tant agitémon enfance , et que dè*ssixans j'avais
Toutefois je tins bon, et l'nllocuiion du pré- juré de voir. Je marchais, comme Israël, à la
fet n'eut pas plus de succès que celle du diplo- conquête d'une terre promise; arrivé au seuil,
mate. Après eux vint le tour des banquiers, pouvais-je reculer?
des amis, des indifférents; tout le monde Ce soir-là je couchai à Lauria , un des der-
voulait dire son mot; c'était une vraie conspi- niers villages de la Basilicale et le plus pitto-
ration contre mon voyage ;
je ti’en tins compte, resquement situé qui soit dans la contrée. Le
et, coupant court à tout, je partis. lendemain j'enirai définitivement dans la Ca-
Après dix jours de tours et d'aventures dans labre. L'abord en est de ce côté VTaiment for-
les montagnes du Cilento, toutes fumantes, tou- midable et conforme à tout ce que j'avais rêvé
tes sanglantes alors d'une sédition vaincue de plus agreste, de plus sévère. L'n défilé étroit,
j'atteignis les frontières de la Calabre. J'étais escarpé, tortueux, serpente tristement entre
seul, à pied, comme toujours, et mon passage deux vastes montagnes dont Tune appartient
,

dans les hameaux et les bourgades


excitait à la cliaîne de Pielra-Sasso, l'autre à celle du
de profonds étonnements et d'innombrables Pollino, la plus haute, la plus alpestre ,
la plus
hypothèses, ici j'étais arpenteur, là antiquaire, primitive de toute la Calabre.
plus loin carbonaro ,
ailleurs espion ;
la der- Je gravis cette gorge ardue par un temps
nière conjecture était flatteuse. Tour à tour couvert. De grandes nuées noires se traînaient
prince et mendiant, on m'offrait tantôt l'au- lentement sur les hauteurs; la solitude était
mône, tantôt le vin d'honneur. On me prit complète; le silence inflexible. Seulement de
même une Ibis pour une altesse de la luaison loin en loin la flûte sauvage de quelque pâtre
royale qui voyageait incognito au milieu de invisible jetait' sa voix grêle au milieu des
son peuple comme Haroun-AI-Rascliid. '
nuages , un muletier descendait la montagne

y. Itxi.ii fitt. (Cxix**i. — t" Li».;

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s ITALIE PITTORESQUE.
en silHant ; puis tout se taisait de nouveau et ,
à ces exécrables trophées; le Cilento, dont je
le bruit de mes pas troublait seul le morne écho sortais alors, en était jonché. I.a sédition
des rochers. étouffée ,
on y avait exposé dans des cages de
Après une montée longue et parfois rude, fer les tètes sanglantes des vaincus, tués sur
le défilé débouche tout & coup dans un vaste les échafauds. Ici les décorations étaient dignes
plateau nu , pierreux , désert clos de tous les ,
du théâtre, si ce n’e.st pourtant que les rossi-
cotés par des crêtes d’une effrayante aridité. gnols chantaient dans les bois voisins.
C'est là ce fameux passage du Campo-Ténèse, où Détournant les yeux de ces abominations
le général Régnier battit, en 1806, l'armée du j’avais fait à peine un
dans la rude
mille
roi de Sicile. Les trompettes, les canons, les tam- descente de Morano le premier village de
,

bours, tous les bruits, tout le fracas d'une ba- Calabre, lorsqu’un grand troupeau de boeufs
taille au milieu de cette nature sauvaf^, cela gris et farouces me barra le chemin. Los
devait être un spectacle infernal et digne du bœufs s’étaient arrêtés d’eux-mêmes , et , ou-
Paradis perdu de Milton un vrai combat de ,
vrant leurs museaux fumants, ils se mirent à
démons. meugler sur un ton si lamentable , que c’était
Rien de plus désolé que ce champ de bataille effrayant à entendre. Les échos des montagnes
où , à défaut des hommes , tous les éléments en gémissaient au loin. —
« Signer, médit le

sont en guerre. Creusés par les eaux descen- » pâtre , en me montrant du doigt la terre , il
dues des hauteurs , de profonds ravins sillon- s
y a eu là du sang répandu; mon troupeau
nent l'aride plaine; mugissant dans les cre- U mugit. X —
Et donnant violemment du cor,
vasses des rochers et dans les étroites fissures il prit la route du pâturage.
qui ,
çà et là ,
déchirent l'opaque rideau des Telle est l’entrée et pour ainsi dire le vesti-
montagnes, les vents tourbillonnent en tous sens bule de la Calabre. Il
y a là certes de quoi ef-
et fouettent les nuées dans re.space. Quelques faroucher les imaginations les moins timorées ;
écliappécs d'un soleil blanc éclairaient alors mais j’avais présent le sixième chant de l'Ënéide,
ces tristes lieux; courln-s sur leur bêche en et je savais que l’on passe par le vestibule de
demidune, quelques pauvres laboureurs sa- l'Enfer pour pénétrer aux Cliamps-Ëlysées. La
paient péniblement le roc nu disputant en vain ,
nature d’ailleurs s'adoucit peu à peu; la végéta-
cette terre ingrate à la stérilité et lui deman- ,
tion s'empare de ces rochers stériles, et la main
dant je ne sais quoi. de l'homme les fertilise ; des jardins fleuri.sscnt
Ce vaste désert n’a qu’un seul toit c’est une ,
au fond des précipices; des ruisseaux frais les
maison de refuge assiégée par les corbeaux et arrosent, et la vie partout renaît. Le temps
ouverte aux voyageurs surpris par La tour- même s'était élevé, et un magnifique arc-en-
mente. Comme je passais devant , il en sortit ciel couronnait les montagnes comme pour me

un cavalier qui, plus timide, voyageait avec dire que j’en avais fini avec l'Enfer et que
une escorte de gendarmes; nous nous croi- l’Ëlyséc allait commencer; comme Noé, je crus
sâmes, et le sol rocailleux retentit long-temps au signe de Dieu et je poursuivis hravement
,

sous le fer des chevaux. mon pèlerinage.


Je ne fis pas d'autre rencontre. Un trait touchant, qui se passa dans ces pa-
Près de finir , le plateau s'élargit à gauche ; rages repose l'esprit de toutes les horreurs de

jusque-là sans arbres il se boise un peu , et


,
la nature et des hommes. Un soldat français,
les montagnes par degré.
latérales s’éloignent blessé dans une rencontre avec les chouans
La sortie comme l’entrée du plateau est gardée calabrais, sc traîna dans un bois et y allait
par des postes de gendarmerie, espèce de ci- p«-rir de douleur et de faim, lors{|u’unc jeune
tadelles à pont-levis et à crénaiix, fortifiées fdlc qui y venait faire des fagots l'aperçut.
contre les bandits. La sortie en a deux, a.ssiscs Elle lui promit aide et protection; elle pansa
l'une et l'autre sur un roc déchiré, et palis- ses blessures, et lui faisant un abri de feuilles et
sadées de hauts piliers couronnés de tètes de branches elle vint le soigner régulièrement
,

d'hommes. Ce sont les tètes des bandits tués tous les jours et lui apporter des aliments. Un
aux environs. Placées là comme épouvantail détachement français vint à passer près de là ;
et liLinchics par le soleil, elles ricanent aux elle le vit , s’élança vers le commandant et con-
passants d'une effroyable manière. J'étais fait duisit les soldats vers leur camarade « Adieu ; —
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rüLABJ-K.

l^TATA.

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,

CAL ABBE. 3
> dit-elle au blessé, vous êtes sauvé. J'ai rempli et dénuées , servant de corps-de-garde aux gen-
> ma promesse et vous n'avez plus besoin de darmes commis à la sûreté du chemin , voilà
» moi. » —
A ces mots, l’ange libératrice s’envola. tout ce qu’on trouve. Le pays est d’ailleurs mo-
Iji première ville qu’on trouve après le notone et peu pittoresque il ne devient riant
;

Campo-Tcnè.se, est Castrovillari , qui n’a de et gracieux qu’aux approches de la ville, jus-

ville que le nom, et n’est réellement qu’une que là ce n’csl qu’un val étroit, bordé de mon-
méchante bourgade- de campagnards. C’est, à tagnes sans accidents, sans rochers. On n’a
bien peu d’exception près , le cas de toutes les pas meme la consolation de voir le Chratis; il
villes du pays ; Cosenza même, la capitale, n’est estcaché derrière un épais rideau de bois qui
pas grand’chosc mais comme
: je n'allais point pouvaient être pleins de bandits , mais qui ne
chercher en Calabre des monuments, je me l’étaient alors que de ros.signols.
consolais sans peine de n’en point trouver , et Cette route, longue et uniforme, eût été in-
je n’avais pas de plus grand bonheur que de supportable si la mandorc des pâtres toujours ,

me réfugier des villes au sein de la nature. invisibleau sein des bois, n’en eût abrégé
De Caslrovillari à Cosenza, la route offre pour moi la longueur, et égayé la tristesse. Mais
toutefois bien peu de ces merveilles de la na- le soir ,
quand les pâtres se turent ,
je rentrai
ture dont j’étais si avide et que j’avais tant dans le silence, et n'eus plus pour m’escorter

rêvées. On traverse d’abord une vaste plaine que le chant lugubre du pedt-duc. Préoccupé
tantôt livrée à la charrue , tantôt aux troupeaux. que j’étais toujours d’imaginations funestes, les
On n’y trouve pas un village , .seulement çà et troncs dépouillés me causaient parfois, dans
là quelques huttes de pasteurs. L’Apennin court les ténèbres, d’étranges illusions. Je ne me
à gauche , cacliant ces
belles marines de Mara- rappelle pas avoir rencontré sur cette intermi-
tca et de Dinmante , où .Métastase a passé les nable route un seul homme ,
et je dus même
plus heureux jours de son enfance. Se douto- pour coucher, recourir à l'hospitalité des gen-
rait-on, à lire le doux poète, qu’il a été élevé darmes. J’étais encore loin de compte , et mon
dans durs rochers de la Calabre?
les Elysée n’arrivait pas.
La route, quoique coupée de quelques bois, Je ne m'attendais point à le trouver à Co-
est assez plate et monotone; elle n’a qu’un senza ,
et ne l’y trouvant point en effet je n’en
,

beau point , mais il est magique. Arrivé sur les fus pas surpris. Cosenza pourtant a vingt égli-
hauteurs de Spezzano, villago albanais , on dé- ses et vingt-quatre familles nobles. Elle n’en
couvre tout d’un coup à scs pieds la plaine de doit pas moins son origine à des esclaves ré-
Sybaris, et au bout le golfe de Tarcnte, qui voltés réfugiés dans les montagnes des Brut-
se déroule le long des terres comme une cein- tiens. Son nom ancien est Consentia, du mot

ture bleue. La plaine est un désert; il ne reste laün comensus (dit-on). On sait qu’Alaric fut
rien de la cité voluptueuse ;
le site qu’elle oc- enterré au pied, à la jonction du Chratis et du
cupait est aujourd’hui un bois marécageux peu- Bu.sento. De là la tradition populaire qu’un
plé de loups de butilcs. I.e Chratis serpente
et trésor
y est enfoui; de là les fouilles ardentes
silencieusement dans la solitude. et clandestines des croyants. Le quartier qu’ar-
A peine avais-je quitté ce belvédère immense, ro.sent les fleuves est une espèce de faubourg
que je fus ramené brii.squcincnt de la nature à habité par les Zingarra.
l’homme , c’est-à-dire aux brigands. Je trouvai Cosenza est la patrie de Telcsius , le précur-
le village voisin de Tarsia tout en émoi. I.æs seur de Bacon ,
et le premier philosophe qui
bandits venaient d’enlever le fils du syndic battit en brèche la philosophie scbolasti<{iie.
(maire), et demandaient, pour le lui rendre, Je ne sais qui
y fait naître aussi Ponce-Pilate.
une ran^n considérable. J’ai su depuis qu’il ne Une chose me frappa ce fut de voir les cos-,

favait pas payée, et que cette fois la gendar- tumes du Journal des Modes de Paris aflichés
merie avait délivré le prisonnier. devant la boutique des tailleurs et des modis-
C’est sous Tarsia que commence la vallée du tes. Ces frivoles insignes de la civilisation pa-

Chratis; elle s’étend jusqu’à Cosenza, dans un risienne au milieu des âpres montagnes de la
espace de trente milles. Sur toute cette longtie Calabre , forment un contraste assez piquant ;
ligne il n’y a ni villes, ni villages; quelques- mais le peuple passe et n’en a cure. Les femmes
cabancs de roseaux, quelques tavernes sales ne s’en couvrent pas moins la tête, comme des
,

ITALIE PITTORESQUE.
r^gieuKS, du voile de drap noir indigène , et du vaste silence des montagnes. Je n entendis

les hommes du chapeau en pain de sucre tout plus rien que le roulement sourd des torrents
chargé de ruhans et de fleurs. invisibles dans les profondeurs des vallées, et de

La famille hospitalière à qui j étais recom- loin en loin le cri lugubre du coucou.
mandé , et chez laqudle j'étais par conséquent Plus je m’élevais, plus le dédale des bois de-
logé , a conservé intact le trésor des mœurs an- venait inextricable, et les précipices profonds,
tiques. Réduite au rdle patriarcal de ménagère, menaçants. Caché tout le jour, comme au Campo-
la femme ne parut point à table, les enfants non Ténesé, le soleil refusait ses prestiges à cette
grande nature , nature sans le soleil est
plus. Je mangeais tête à tête avec le père; le et la

aîné seul était admis en tiers; mais U était


fils morte. J’avais atteint la région des nuages, et
condamné au silence. Ainsi le veut le (ialatec je marchais an milieu de leur atniosphère hu-
calabrais. mide et pénétrante. Tantôt ils tourbillonnaient
Le soir je revins aux souvenirs d'Europe, car sous mes pieds au fond des ravines , tantôt ils
là-bas c’est presque l’Afrique; on me conduisit se dressaient en colonnes gnsàtres, et relont-

au Werther,
théâtre. L’opéra était Charlotte et baient. ILs couvraient tout, masquaient tout,
et j’eus la satislaction de voir Werther con- et si quelque coup de vent venait p,arlbis a les
verti en garçon perruquier sentimental , Char- déchirer, je n’apercevais à travers la brusque
lotte en bonne bourgeoise napolitaine. Pour fissure que des bois et des rochers. Rien ne
Albert, il avait l’air d’un gros marchand de saillait sur le gris du ciel tout était confondu
,

bœufs. Maiseequim’abien étonné, pourun pays dans une teinte sombre , uniforme, et je voyais
dévot jusqu’au bigotisme, c’est que le pivot sur converties en régions ossianiqiies , les brû-
lequel roule la pièce est un abbé licencieux ,
ca- lantes montagnes de la Calabre. La métamor-
ricature imitée du Tartufe. Serait-ce par ha- phose était complète , et si le vent ni apportait
sard le Journal des Modes qui aurait à ce point i|uclque note perdue de la mandorc des pas-
corrompu les bonnes vieilles coutumes catho- teurs, elle était triste et mystérieuse comme la
liques, et inoculé à ces braves Calabrais notre harpe aérienne des romantiques l'sprils de
irrévérence philosophique? C’est 89 qui porto Morven.
ses fruits. La route fait souvent des coudes, et à chaque
Il pour arriver à Co-
faut traverser l'Ajxniiiiii nouveau détour j’avais un desap|iointement,
senza , il faut le retraverser pour en sortir , car car je croyais toujours découvrir quelque ho-
il cesse là de courir le long de la mer , et faisant rizon nouveau , et je ne découvrais jamais rien.
un coude brusque à quelques milles au-des- Les nuées avaient crevé; il pleuvait; il plut
sous de la ville , il revient occuper le milieu du bientôt par torrents. Je marchais dans l’eau , et
pays et sépare la Calabre cilérieure de la Cala- je n’apercevais nitoit ni refuge. Je montais de-

bre ultérieure. La montagne commence à Ro- puis quatre grandes heures, et je n avais pas
gli.ano , grand village situé sur les bases de la rencontré un seul visage humain ;
ma première
Sila, vaste et haut plateau de presque cent rencontre fut un franciscain qui retournait à
milles, i|iii couronne l’Apennin. son couvent, et qui me dit que Nicastro oit
D’abord en plaine , puis coupé de profonds je comptais coucher était encore à vingt milles.
ravins et de torrents impétueux, le chemin Je repris donc courage et doublai le pas. Ce-
commence à monter et monte sans trêve l’espace pendant la pluie tom^it toujours; j’étais las,
au moins de dix milles. Tracé d’abord en lima- j’avais faim , et je ne voyais |>as un paire qui
çon , il passe au milieu des chênes et des châ- pût partager avec moi son pain noir. Le désert
taigniers, et il a des ptts rudes et ditliciles. Je continuait, et une orange que m’avait donnée
gravi.ssais en silence le mont Januario, l’un le franciscain était un mets peu ivstaurant. Il

des bastions naturels qui flanquent à l’occident fallaitbien pourtant s’en contenter.
la Sila ; le temps était sombre , le pays dcW’rt et Tout à coup je crus distinguer une cabane
la vue close chant de femme
de toutes parts. Un blanche au milieu des nuages, un homme en
lent et harmonieux , sorti d’un lx>is voisin sortit et s'élança vers moi, non pour me voler,

m’aida quelque temps à monter et me fit ou- comme je le crus d’abord, mais |X)ur m’assister.

blier la fotigue; mais il expira trop tùt , et m'a- Il fut pris à ma vue d’une grande commiséra-
bandouna seul , et déjà presque las , au milieu tion , cl m’entoura de tous les soins de l’hospi-
, , , , ,,.

CALABBE.
talité. Il me fit asseoir à son foyer, m’enxe- On a pu remarquer dans le second chant
loppa de son gros manteau de poil de chèvre un grand nombre d’idiodsmes , un entre autres
pour faire sécher mes hahits ;
et pendant que que la Calabre a en commun avec la Sicile :
je prenais , au coin du feu , le repas frugal mais c’est bidJi pour 'vidi. Ce redoublement du d et
confiai qu’il m’avait servi, il dierocha sa gui- la métamorphose du v en A se représentent sans

tare de la muraille enfumée, et se mit à chanter cesse dans l’une et l’autre dialecte. J’aurai l’oc-
des airs calabrais. casion d’y revenir quand je parlerai de la Sicile;
La mélodie en est lente ,
mélancolique , et les je laisse pour aujourd’hui la philologie, et je
paroles sont presque toutes des plaintes amou- reviens à mon hdte et à sa hutte liospilalière.
reuses. Ce sont de petits poèmes anacréonti- Je ne sais comment le bruit de mon arrivée
ques de huit vers sur deux rimes croisées , qui s’était répandu au village voisin, mais je vis

ne manquent ni de délicatesse ni de fraiclieur ; arriver à la file les montagnards des environs.


j’en ai rceiieilli plusieurs de la bouche de mon Ils venaient, malgré la pluie, rendre visite au

hdtc. En voici un qui donnera une idée de cette voyageur. Ils étaient enveloppés tous dans leur.s
poésie simple et montagnarde. A peu de cala- manteaux bruns et coiffés du chapeau conique.
braisismes près, celui-là est en assez pur italien ; Rassemblés autour de moi , ils me pressaient
Dimme chc mânes m te vaga donzella de questions sur mon pays , sur mon voyage
Chc U tlesu belU tu vioci ancora ? sur tout ce qui en moi éveillait leur curiosité,
Lo «plemlor d'occhj taoi vince ogni Stella mais la guitare de mon bote agit hienlùt sur
11 bianco petto tuo vince Taurora eux , cl ils se mirent à danser la pécorée.
11 tuo volto, il tuo riio e la favclla
/’écoree vient de pecora, qui veut dire AreAit;
E quanto teni in te ,
tutto innamora ;

c’est la danse des pâtres elle est en Calabre ce


:
Una cosa tî manca e la più bella,
Porgi l’amor a clii fadel t’adora. que le üvscone est eu Lombardie , et la tarentelle
à Tarcntc; c’est une espèce de rigodon vif, ra-
En voici la traduction prosaïque, mais litté-
pide, un peu libre et fort gai. Les bras comme
rale ; « Dis-moi ce qui te manque, gracieu.se
les jambes, la tète comme les bras, tout se
Il jeune fille, toi qui l’emportes sur la beauté
meut, tout danse on dirait un ballet de sau-
:
» même? I.a spletidcur de tes yeux l’emporte
vages.
U sur les étoiles^ ton sein blanc l'emporte sur
Je passai le reste du jour au milieu de ces
» l’aurore; ton visage, ton sourire, ta parole.
bacchanales cliampétrcs; et, spectateur recon-
Il tout ce qui est en toi ravit d’amour. Une chose
naissant, je payai de grand coeur le vin des dan
a te manque , et la plus liellc ; donne tonamour
scurs. Quand la nuit vint, les montagnards re-
Il
à qtii t’adore fidèlement, a avec
gagnèrent leur village , et je restai seul
Voici une autre de ces odes calabraises dont
mon Iwke.
mon bote ne se rappelait p:is la fin, mais dont
Il pleuvait toujours et le vent ébranlait la ca-
le. commencement, surtout le premier vers, me
bane ; c’était un site une nuit à lu Werner
,
semble tout-à-fail dilliyrambiquc ;

c’est-à-dire une nuit d’assassinat, un site de


Bella ü puai ebiamatv e bella soi brigands. Et puis n’élais-jc pas là au coeur de

Na bella corne te non bidiii nui ;
la Calabre à la merci d’un iimonnu? Il m’avait
,
D'allor ebè te guardarono occhj rori
Non piglio avento e non rîpoao niai
fait un dans une chambretle contiguë à lu
lit

lia te s’innamorlr popoli c Oei cuisine; m’y conduisit, et m’y laissant seul
il

Di si bel’ occhj e di la grazia cbe bai. avec une lampe expirante, il me souhaita lu
stinla natte. Tirant alors kl clef de la serrure, je
la lui remis: —
t Prenez-la, lui dis-je; je m'en-

« Belle lu peux t’appeler et belle tu es! Une » dors sur la foi de votre hospitalité, b Pour —
a belle œmme toi ,
je ne ki vis jamais Depuis
! toute réponse il posa sa main sur son cœur et
B que mes yeux te rcgardèretit ,
je ne prends serra la mienne. Je le compris , car j’avais^ pour
u point de relùcbc et jamais je ne repose. Tes ainsi dire deviné le caractère calabrais ,
et je
,

B yctix sont si beaux et la grâce est telle, que savais bien que sous la garde de l’hospitalité

B de toi s’éprirent peuples et dieux!... b nationale je pouvais dormir en paix.


Certes ,
les grossières chansons de nos paysans L’n Français blessé et poursuivi par les ban-
ont loin de cette grâce et de cette gentillesse. dits dans la dernière guerre ,
se jeta dans une
,,

6 ITALIE PITTORESQUE.
chaumière en demandant merci. Le maître de Un seul point du tableau est triste ,
inculte.
la maison le fit coucher dans son lit. « K l’on — C’est ce quon nomme le
plan de Saiutc-Euphé-
» veut t’arracher d’ici, lui dit-il, je mourrai avec mie ; il de Maïda ; il y a des
est sous la ville
» toi. » —
Les brigands entrèrent « Quel est
: — marais , des étangs , et
la mal’aria y règne tout

N cet homme P demandent-ils au paysan. —C’est l’été. C’est là encore un champ de bataille.

» mon frère , répond-il ; il est mourant , retires- Défait par Charles Stuart , quelques mois après
.
» vous. » Et les bandits allèrent chercher leur l’afl'aire du Campo-Ténèse, Régnier expia là
proie plus loin. Avant la fin de la nuit , le Cala- sa victoire.
brais alla demander au chef de la bande, et en On a beaucoup reproché à Renier d’avoir
obtint la permission de transporter son faux accepté ou plutôt offert la bataille. 11 était campé
frère à Nicastro , où le soldat retrouva son ba- sur les hauteurs, dans une excellente position;
taillon. Ce trait, qui est le pendant de celui de la ilen descendit pour attaquer les Anglais , qui
jeune fille du Campo-Tén^ , se passa non loin venaient de débarquer au nombre de huit mille.
des lieux où je me trouvais j il me revint en Les Français n’étaient pas cinq mille ;
ils n’a-
mémoire au moment où je me mettais au lit vaient qu’une seule batterie légère. Outre la
et je m'endormis avec une entière sécurité. supériorité du nombre, les Anglais avaient une
I.e lendemain j’étais à Nicastro pour dé- artillerie formidable, et de plus ils étaient sou-
jeûner. tenus par le feu de leurs bâtiments légers , rap-
Nicastro est assis au pied des Apennins ,
dans prochés de la côte jusqu'à portée de mitraille.
une situation excessivement pittoresque. Domi- D’ailleurs l’attaque manqua d’ensemble , et l’on
née des ruines de son vieux château , la ville avait imprudemment négligé de reconnaître la
est resserrée entredeux montagnes couron- position de l’ennemi, qui était couvert de fos-
nées de châtaigniers , et se dresse en pain de sés et d’épaisses broussailles.
sucre du fond d’un ravin. Un torrent mal di- L’intrépidité française ne se démentit pas
gué la traverse et souvent la ravage. Le figuier cependant; mais il aurait fallu un miracle pour
d'Inde croit au milieu des rochers, quelques vaincre, et ce miracle ne se fit pas. On dut
pins s’épanouissent en parasol, et un palmier, battre en retraite, après avoir laissé quinze
un , balance au vent sa
seul tête africaine. Le cents hommes sur le champ de bataille. La lé-
site est beau , mais la ville est atroce , sale , mal gion polonaise fut prcsqtie détruite.
bâtie ,
encombrée d’énormes rochers rou-
tout La
victoire du Campo-Ténèse avait soumis
lés par le torrent du haut des monts. Arrivé du la Calabre, la défaite de Sainte-Euphémie la
côté des hauteurs, je paraissais tombé là du souleva et l’insurrection devint bientôt géné-
,

ciel la population m’entourait avec curiosité rale. Régnier dut se replier jusqu’à Cassano et
;

et s’émerveillant de me voir ainsi seul : — « Ifai attendre là Masséna sa faute fut de quitter sa
:

» un sanio protetlore l ne cessait-elle de répéter position ;


son inaction seule aurait vaincu. Cam-
U avec admiration ; tu as un saint patron » !
pée au mois de juillet dans une plaine insalubre,
A Nicastro commence le golfe de Saintc-Eu- l'armée anglaise aurait péri de maladie. Le fait
phémic. Jusque-là sévère, terrible, monta- est que
,
malgré sa victoire , elle se rembarqua.
gneuse, la nature s’adoucit, et ce n’est plus que La fièvre to chassa en Sicile. On attribue la té-
fitrêts d’oliviers
,
bois d’orangers , collines om- mérité de Régnier à une pique de guerre. L*
bragées de figuiers et de vignes , plaines sillon- général Stuart avait remporté sur lui quelques
nées d’eaux courantes. Au fond du golfe ser- avantages dans la campagne d’Egypte ; se re-
pente l’Apennin, et, décrivant à l’entour une trouvant face à foce avec son rival, Régnier
courbe élégante la belle mer Méditerranée dé-
, voulut prendre sa revanche.
roule au loin son liquide azur. Le cône ardent Un passant qui m’avait prêté son mulet pour
du Siromboli fume à l’horizon. franchir le fleuve Lamato me fit les honneurs
Enfin j’étais entré dans mon Elysée , et j’y du champ de bataille. Il avait été témoin da
marchais avec enchantement , à la voix des ros- combat, et pouvait dire comme Sosie ;

signols qui remplissaient le bois et de la mer , Icinos gens k


canipirent
qui murmurait à mes pieds. Les tourterelles Et l’mpace que voilà
mêlaient à ces douces voix leurs roucoulements Nos eoaemis roccu|K-rcnt.

plaintifs. Mon cicérone était un laboureur, et le fait

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CALABRE. 7
qui l'a\-ait le plus frappé dans ce grand désas- mutueliement, chacun sebn les forces qui lui
tre, celui dont le souvenir lui faisait encore sai- restaient , à s’y noyer. On ne retira des eaux
gner le ,
cœur vue des morts , ni le
ce n'cst ni la que leurs cadavres c'est ce qu’ils voulaient.
;

cri des blessés , c'étaient les ravages faits aux L’Angitola est un des neuf ou dix fleuves qui
champs par l’arlillcric des Anglais. « Mais il est se jettent dans le golfe c’est le plus grand après
-,

» juste de dire , ajoutait-il avec gratitude , qu’ils le Lamato. Ses bords étaient jadis converts de

» payèrent tous les dégâts. » cannes à sucre , qui prospéraient a merveille


La déroute des Français fut effroyable, et sous ce ciel clément. Ouvrage des princes de
pour comble de désastre, les fuyards étaient la dynastie aragonaisc, ces plantations exoti-
égorgés dans les montagnes par les bandits ques sont tombées en désuétude de siècle en
soudoyés par les Anglais. Un fugitif arrêté dans siècle. Aujourd’hui elles sont tout-à-fait aban-
le village d'Acri fut rdti sur la place publique données.
et mangé par les cannibales. Le combat de Un peu avant l’ Angitola, et à six milles en-
Maïada est une véritable Thébaide, carily avait viron du
Pizzo, est un souvenir d’un autre
des Suisses dans les deux armées, et le sang fra- ordre d’un antre âge. Au débouché d’une
,

ternel ne fut pas épargné. Régnier lui-même vaste forêt de lièges est un petit lac ou plutôt
était Suisse. un étang, au bord duquel est une mauvaise
L’aménité des sites ,
la beauté de la mer, m’a- taverne décorée du nom d’hôtellerie de Cicéron.
vaientdistrait des horreurs sociales, mais je ne Ceci n’cst point un baptême fait après coup.
tardai pas à découvrir le Pizzo : ce n'était que Poursuivi par Clodius , Cicéron s’était réfugié
passer d’une tragédie à une autre. C’est au dans d’Hipponiiim ; il avait ha-
la ville voisine
Pizzo que Murat a été fusillé. bité, auprès,Fundus Sicce, d’où sont datées
le
Mais avant de mettre le pied sur cc théâtre plusieurs lettres à Atticus, et la classique ta-
de meurtre, et de nous replonger dans ces san- verne semble occuper le site même où clics
glants souvenirs, respirons encore un instant furent écrites.
cc parfum des citronniers , écoutons le chant Enfin nous voici au Pizzo. C’est une petite
des tourterelles , jetons un dernier regard sur villede cabotage, escarpée, pittoresquement
la courbe voluptueuse du golfe du Sainte-Eu- située, douée d’un port exigu et d’un grand
pbémie. château. Mais malgré ces faveurs de la nature
Sainte-Euphémie ,
qui le baptise , en occupe et de l’art ,
elle serait peu connue sans la catas-
l’extrémité septentrionale. Ce fut jadis une ville, trophe de Murat. Fameuse désormais, sinon
cc n’cst plus qu’un hameau chétif les tremble-
: illustre, etmarquée au front, comme Judas,
ments de terrel'ont réduite là. On prétend, mais d’une tache de sang, elle a pris rang dans l’hi.s-
sans preuves que c’est l’antique Lamétia, l’une
,
toire au meme titre que l’apôtre homicide.
des premières cités des OEnotriens. Débarqué de Corse au Pizzo en 1815, avec ,

La forêt de Sainte Euphémic


est célèbre
- quelques officiers, dans l’espoir fou de ressaisir
dans les fastes des brigands. Couvrant d’un im- la couronne des Deux-Sicilcs , Murat appela en
pénétrable voile les larges flancs du mont Mi- vain la population aux armes , clic resta froide
loïo, elle servit long-temps de repaire à Bcnin- et muette ; un seul paysan répéta le cri de vwe
casa ,
l’un des plus fameux bandits de la Calabre. le rvi Joachim ! Alors Murat prit courageuse-
La vie de cet homme fut atroce ,
sa mort héroï- ment la route de Montéléone , en ce temps-là
que. Poursuivi, lui cinquième, par un détache- capitale de la province; mais à peine était-il
ment français, il fut arrêté dans sa fuite par le sorti du Pizzo, que les Pizzitans, excités par
fleuve Angitola, alors très enflé par les pluies. quelques-uns de ces hommes que les réactions
Les fugitifs essayèrent de le passer à la mode {[itèrent de sang , se précipitèrent dans la cam-
du pays, c’est-à-dire sur un char traîné par pagne pour lui couper le chemin. Ils le mirent
des bœufs ;
mais les bœufs s’embourbèrent et entre deux feux, et lui tirèrent dessus. Ils
le char fut cloué au milieu du courant. Sommé tuèrent même un de scs compagnons , le capi-
de SC rendre , Benincasa riposta par une vigou- taine Moilcdo.
reuse décharge. Réduits enfin à leur dernière, Le coup était manqué la situation désespé-
,

cartouche, et criblés de coups, les cinq bandits rée. Murat s’élança vers la côte pour remonter
se précipitèrent dans le fleuve et s’entr’aidèrent dans scs cmharcations , mais elles avaient ga gn é
,,

ITALIE PITTOBESQÜE.
le large. Barbara, qoi les oommandait, l’avah » jamais ma mémoire : je meurs innocent. Ma
trahi non dans un but politique, mais pour le
,
v vie ne Ait tachée d'aucune injustice. Adieu
voler et s'enrichir de ses dépouilles. Ce Barbara, U mon Adtlile; adieu ma Lédtia; adieu mon
Maltais d'origne , avait été corsaire. C'est Murat » Lucien; adieu ma Louise; montrez-vous au
qui l'avait élevé an grade et successivement « monde dignes de moi. Je vous laisse sans
nommé chevalier , baron et capitaine de fré- U royaume et sans biens , au milieu de mes nom-
gate. Il avait profité de l'abandon de son bien- » hreux ennemis. Soyez constamment unis :
biteur pour revenir il son premier métier. » montrez-vous supérieurs k l'infortune; pcii-
Murat , trahi , voulut s'emparer d'un bateau » sez à ce que vous êtes et à ce que vous avez

de pêcheur qui était sur le sable , mais il fut a été, et Dieu vous bénira. Ne maudissez point

prévenu et arrêté. Lui et sa petite troupe furent a ma mémoire. Sachez que ma plus grande
conduits au château à travers les outrages et les a peine dans les derniers moments de ma vie,
mauvais traitements de cette populace. Cela sc a est de mourir loin de mes enfants. Recevez la

pa.ssait le 8 octobre; c'était un dimanche. a béncêliction paternelle


;
recevez mes embras-
Du 8 au 1 consuma en dépêches
2 le temps sc a sements et mes larmes. Ayez toujours présent
télégraphiques et en échanges d'estafettes. En- a à votre mémoire votre malheureux père.
fin l’ordre arriva, de Naples, au général Nun- » l’izzo, 13 octobre 1815. a

ziante de faire fusiller le prisonnier. Le 13, à Après avoir fini d’écrire, il coupa quelques

dix heures la commission militaire se


du matin , boucles de scs cheveux ; il les enveloppa dans sa
rassembla ;
à cinq heures la sentence de mort lettre ,
et la remit sans être cachetée au capi-
fut signifiée à Murat , et exécutée à l'instant taine Stralli, chargé de garder en prison.
le

même dans une salle du château. On sait qu’il Je rapporterai, pouren finir, un trait curieux
commanda le feu et qu'il dit aux soldats : Sau- qui m’a été raconté dans le pays par un gen-
vez le
,

visage, visez au cour. Son corps fut en- darme d'Ardore « Il —


y a quelques années
:

seveli sans pompe dans la cathédrale. Il est & a me dit-il que j’escortais nu
,
Pizzo deux jeunes
remarquer que c'est lui qui l'avait fait rebâtir » gens qui voyageaient avec des passe-ports an-
pendant son régne. » glais. Ils demandèrent à voir l’église; quand

C’est ainsi que fut consommé le régicide du » ib y furent , ils se firent ouvrir mystérieuse-
Pizïo , et que le Bourbon de Naples vengea , sur » ment la tombe du roi Joachim, ctjelcsvis
le beau-frère de Napoléon, la mort du duc » qui couvraient scs restes de baisers et de lar-
d'Enghicn. Le drame du Pizzo a effacé celui de » mes. Personne ne comprit rien âlcur attendri».
Vincennes. » sement ; pour moi ,
continua le {p;ndarme en
Les Pizzitans n’en ont pas retiré grand hon- > baissantla voix et hochant la tête, je vis clair,

neur, et l'on ne parle d’eux dans tout le royau- » et je compris bien tout de suite que les deux
me qu’avec mépris Pizzitan y est presque une
: 1) étrangers u’étaient autresque les fils de Murat;
injure. On leur a accordé en revanche la grâce » mais vous sentez bien qu’on a des entrailles
d’ériger sur leur place une statuedu vieux Fer- » et que je respectai leur incognito. Oa chiens
dinand. Je ne me rappelle pas si le roi-régicide » de Pizzitans en avaient assez d’un. » Voilà, —
a le dos ou les yeux tournés du côté de l'église mot h mot, ce que m’n raconté le gendarme
où dort son collègue. d'Ardore , et le brave homme avait les larmes
Voici la lettre d'adieux que Murat écrivit à sa aux yeux. Je livre son récit â la publicité sans
femillc du fond de sa prison. Elle m’a été com- commentaires; le lecteur les fera lui-même.
muniquée , en Italie par le général ,
Colletta , J’ai oublié de dire, et je finirai aujourd’hui
ministre de la guerre à Naples ,
en 1 820. par-là, que j’ai fait, en Italie et en Sicile, un
« Ma chère Caroline , ma dernière heure est voyage de près de quatre mille lieues , et que
» arrivée. Dans quelques instants j’aurai cessé je n’ai été volé qu’une seule fois ,
ce fut ce jour-
» de vivre ; dans quelques instants tu n’auras là, au Pizzo.
» plus d'époux. Ne m’oublie jamais , ne maudis CaiSLEs Dikizx.

Digitized by GoO‘;Ii
, —

CALABRE. 9

Vibooa «t Bivona. — Saiote


Vënni. Monlelcone.
- — —
Pre«pi’ile et ville de Tropée. Le poète carbonai-o —
Terocadèa et la Lyre Phocéenne. —
Campagnes de MUeto Bois de Rosarno. — Rencontres. —
Golfe de Gioja, —
— Sobriété itabenne. Palmi.— —
Le mont Corona. — Coucher du soleil snr la Sicile et les îles Éoliennes. —
Tremblement de terre de 1783. —
Piocès singnber. — Le bois de Solano. — Le Bisarro et la femme. Bagnara. —
Caribdc et Scilla. — Demi-naufrage. —Le tailleur d’Aracello.— Intérieur calabrais.— Camp de Murat.— Reggio,

Le de Sainto-Euphémie finit comme U


'golfe De Bivona a Montcleone, l'une des meilleures
commence , c'esl-à-dire par des forêts d’oliviers villes de la province, la route traverse toujours
coupés çà de chênes, de hêtres, et peuplés
et là lesmêmes enchantements , les mêmes richesses ;
comme le de rossignols. Une chaîne de col-
reste mais vu d’en-bas le site de la ville est truste et sé-
lines vertes dernier contrefert de l’Apennin
,
vère. Bâtie au pied et presqu’au flanc de l’Apen-
serpente le long de la mer qui vient mourir au nin , die est enveloppée à l’orient par de vastes
pied. Des sources fraîches tombent des rochers montagnes et défendue par des ravins profonds.
presque dans la mer, et gracieusement assises Quelques massifs d'une verdure sombre entre-
sur les hauteurs , de blanches maisons rustiques, coupent la blancheur des édifices, et un vieux
ombragées de treilles, se cachent coquettement château féodal, converti en caserne, domine,
dans la verdure des bois. écrase toute la ville.

C’est au milieu de ces sites charmants et sur J'y entrai par une rue longue escarpée , bor-
,

l’eitrcme plage qu'était située la ville grecque dée à droite et à gauche de maisons basses et à
d’Hippo ou Hipponium , la Vibona Vaicniia des demi ruinées par les tremblements de terre. Des
Romains. Son nom est resté au hameau actuel essaims d’enfants hâlés du soleil
,
jouaient tout
de Bivona. L’aménité de ces campagnes était cé- nus dans la poussière; les timides fuyaient de-
lèbre déjà dans l’antiquité, et la tradition mytho- vant moi , les audacieux me grimpaient dans les
logique dit que Proserpine y vint tout exprès de jambes. Avec leurs grands yeux noirs et leurs
Sicile pour cueillir une fleur nouvelle. Je doute dents blanches , ils avaient l’air de petits sauva-
y
que l’amour de la botanique fasse jamais faire ges. Leurs mereset grand’mèrcs filaient sur leurs
aujourd’hui aux dames siciliennes le voyage des portes en fredonnant des refrains lents et mono-
Calabres. Quant à la ville grecque il ne reste nes ; leur tête ridée et basanée marquait la me-
d'elle aucun vestige. On dit mais je ne l’ai point
, sure en cadence. Entouré de cette population
vérifié,qu’en été, lorsque la mer est basse et semi-africaine , je me croyais bien plutôt dans
parfaitement calme , on découvre encore au un faubourg de Tombouctou que dans une cité

fond des eaux quelques débris de constructions d’Italie. Mais la ville s’européanise peu à peu et
antiques que les sables n’ont point encore entiè- finit par faire assez bonne figure, du moins pour
rement recouvertes. - la Calabre qui ne brille comme on l’a déjà pu
,

A quelques milles de là , du côté du Pizzo , on voir, ni par scs villes ni par scs monuments.
trouve au bord de la mer un hameau nommé Montcleone occupe la partie supérieure d’un
Sainte-Vénus, sainte à vrai dire, un peu pro-
,
grand plateau granitique qui s’avance comme
fane, quoique bien et canoniquement inscrite un éperon dans la mer Tyrrhénicnne et qui sé-
au calendrier romain. Mais Vénus n’est pas la pare ce beau golfe de Sainte-Euphémie que nous
seule divinité qui de l’Olympe païen se soit éle- venons de quitter du golfe de Gioja où nous al-
vée au Paradis chrétien ; Jupiter, Bacchus et lons entrer. Ce plateau presque circulaire forme
bien d’autres ont eu le même honneur. C’est ainsi une presqu’île et se termine en pointe aux deux
que partout en Italie les civilisations mortes ont caps Vatican et Zambronc; d’un promontoire à
poussé des rejetons au sein des civilisations vic- l’autre la côte est taillée en terrasses échelonnées
torieuses, afin que la chaîne qui lie le pa.ssé au les unes sur les autres comme les gradins d’un

présent ne fût pas rompue et que l’humanité pût amphithéâtre.


se reconnaître. De là l’immense intérêt histo- Il est vraisemblable que le granit calabrais a
rique et philosophique qui s’attache à l’Italie, été exploité à des époques antérieures, et il existe
terre riche, terre iuépuisablc que tant de civili- encore au bord de la mer, au-dessous du villa^

sations superposées ont tour à tour fécondée. de Parghelia , une ancienne carrière où l’on voit
Je reviens à la Calabre. plusieurs grandes et belles colonnes toutes tail-
II. ItAIII rITT. (CllASIt. - 2* Liv.)
,
. ,,,

10 ITALIE PITTORESQLE.
lées; quelques-unes commencées, comme à Séli- barbarie minutieuse et vraiment monacale. Il
nonlc en Sicile ,
et les fragments de beaucoup n’est pas de tortures qu’ils n’iniligeassent au
d'autres , rompues sans doute pendant le travail carbonaro poète. Cétaifime nouvelle espèce de
Dolomieu, qui, le premier, par parenthèse, a carcere duro et j’ai lu en Calabre un sonnet
parlé de cette carrière abandonnée se trompe ,
manuscrit composé par le patient durant son
je crois, en afiirmant qu’il ne se trouve dans supplice et sous l’inspiration douloureu.se de la
cette partie de la Calabre aucun vestige de feux captivité. C’est une plainte du poète au roi et
souterrains ; il y a au contraire du charbon fos- une antithèse touchante et vraie entre les pros-
sile à Briatico, bourg peu distant de Bivona. pérités de l’un et l’adversité de l’autre il se :

N’est-ce pas Ih un irrécusable monument de compare pauvre captif couché sur la paille
,

combustions internes!’ vivant de pain et d’eau, au monarque assis à la


La meilleure ville de la presqu’île est Tropée. tahle des festins , enivré des voluptés de la vie
Les antiquaires municipaux font dériver son nom et il demande s’il n’y aura donc pour lui ni pitié
de trophœum, trophée, et prétendent qu’elle fut ni justice.
ainsi nommée alors que Scipion, revenant de la Puisqu’il est permis de par Boileau de compa-
conquête de Carthage, y reçut lesjionneurs du rer un sonnet à un long poème et à plus forte
triomphe. Le vainqueur de l’Afrique triompher raison à un livre de prose je dirai que le sen-
,

dans unehumhle bourgadede la Calabre La pré- ! timent d’icrocades est le même que eclui de Sil-
tention est pour le moins facétieuse et se non è vio Pcilico dans scs Mémoires c’est-à-dire que
;

veroèben irovalo. Le provincial italien est impi- le poète de Calabre , comme le poète de Salaces
toyable sur le chapitre des étymologies; il vous semble avoir été brisé par l’inftjrtune, et qu’il y
allirmc les plus incroyables avec un impertur- a dans son àmc plus de résignation que de ré-
bable aplomb, une foi sans bornes, et nous au- volte. Je préfère, moi, le baron de Trenck,
rons plus d’une fois , chemin faisant , l’occasion s’usant les doigts à creuser la terre pour sortir
d’admirer les hardis tours de force et les sauts de son cachot , je sympathise plus à ces énergies
périlleux de l’imagination archéologique des vivaces, inflexibles; mais enfin l’espèce hu-
Italiens. maine, comme toutes les autres , a scs variétés
Elle est la patrie d’un poète dont le nom n'a et il
y a plus d’àmcs faibles et brisées que d'àmea
guère franchi ,
que je sache ,
les limites du fortes et révoltées, plus de Pcilico que de Capa-
royaume ;
probablement , comme son nom
issu néc. Il faut bien accepter les différences, et en
l’indique, d’une famille grecque, il se nomme tenir compte pour juger l’ensemble; sans cela
leroeadès. Il était helléniste e» a traduit du grec on ne voit qu’une face et on fait de l’exclusion
en italien les fables d’Esope et d’autres ouvrages c’est-à-dire de l’erreur. 11 en est du cœur hu-
encore. Comme poète originalil a publié , sous main comme de l’histoire naturelle.
le nom de iQrre Phocéenne, un recueil d’hymnes Maispou^cn revenir à leroeadès, le pauvre
dont quelques-unes ne manquent ni de poésie ni captif mourut bientôt, et celui qui s’écriait na-
d’enthousiasme; mais destinées exclusivement guère dans un transport de bénédiction :

aux francs-maçons et aux carbonari qui ne sont


qu’une branche du vieux tronc maçonnique, f'ita, donn dcl ciel , sei bclla ,
ti amo
elles sont livre clos pour quiconque n’a pas La
Perche ti so

clé des allégories niystico-politiqncs de l’ordre.


il vil scs jours s’éteindre dans la captivité obs-
De là vient qu’inintelligible pour le grand cure, silencieuse d’un cloître fanatique cl per-
nombre , la Lyre Phocéenne fait les délices des Tro-
sécuteur. La dépouille du martyr rejwsc à
initiés.
pée en attendant le Pantliéon réparateur qui
A ce litre elle est à l’index ;
l'auteur hii- réunira sur un même autel tous les martyrs dis-
mciiie fut cruellement persécuté. Relégué dans
persés de la liberté italienne. La terre leur soit
ville natale en 1«I5, il eut pour prison un
S.I
légère jus([u’au jour prochain des réhabilita-
couvent dont les moines, race fanatique, le te- tions !

nant pour athée et jacobin , se firent les minis-


tres complaisants des vengeances réactionnaires *
Vie, Jon da ciel, tu es belle i je t'aime ,
parce qae
des Bourbons de Naples. Investis de ce minis- je te sais.

tère |)cu chrétien ,


ils l’exercèrent avec une Lvsi PnocÎKüsi ,
Lu Vie,
'•AD.AiPIF'5!

xcnxA. .

MOGIO

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CALABRE.
Distrait par le souvenir douloureux du poète blonneuse, où je crus rester tant le soleil
y dar-
carbonaro des merveilles de la nature , j'y re- dait à-plomb. J’atteignis enfin la crête et bientôt
vins avec un sentiment de tristesse et d’amer- après j’entrai dans Mileto. Je m’attendais à
tume. Des hauteurs de Monteleone où j’étais re- trouver une ville et ne trouvai qu’un village
tourne et d’où la vue est plus variée , sinon plus dépeuplé et à demi détruit par le tremblement
vaste ,
je laissai tomber mes yeux au hasard sur de terre de 1783. Le clocher même n’a pas été
la presqu’île et la mer. Le soleil coucliant dorait relevé et il est beaucoup plus bas que l’église.
montagnes, la brise marine m’ap-
les flots et les Si décliue que soit aujourd’hui la ville, elle a

portait les parfums des orangers et des jasmins ; joué un rôle au moyen-âge, lors surtout de la
les rossignols chantaient dans les bois, et le conquête des Normands. Le comte Roger y
Stromboli que j’avais face à face fumait au mi- mourut et y est enterré.
lieu des flots. Son panache blanc ondoyait au nom de Mileto a pris place oans l'histoirc
gré du vent sur l’azur de plus en plus foncé du contemporaine par la victoire de Régnier qui
soir. Son cône bleuâtre se confondit bientôt dans répara là, le 28 mai 1807, son écliecdc Sainte-
les teintes vaporeuses du couchant, et le cré- Euphémie. Le valeureux défenseur de Gaêtel
puscule couvrit par degrés et décolora toutes le prince de Hesse -Philipstadt, commandait

choses. L’atmosphère était molle et limpide; l’armée sicilienne forte de 6,000 hommes.
tout enivré d’air et de parfums je redescendis Quoùnie bien inférieur en forces, Régnier le
dans la ville par un brillant clair de lune. mit im pleine déroute. Près de tomber aux
Le soleil du lendemain me trouva sur la route mains de deux voltigeiy;s du 9* régiment, le
de Beggio. prince ne dut son salut qu’à la vitesse de son
La grande route des Calabres est mal tenue ; cheval. Il regagna la Sicile, et la Calabre fut
l'herbe en certains endroits y croit comme dans de nouveau soumise.
une prairie; les mulets et les ânes la brouteitt Mileto occupe le milieu d'un plateau d’argile
en passant et les habitants ne se font pas scru- blanche du plus aride aspect. Le fond de mon-
pules d’étendre la lessive au beau milieu. On tagnes est fort richement boisé, mais le plateau
sent partout l’excessive rareté des voyageurs, ne l’est pas du tout, et son seul mérite est d’être
et comme en définitive ce sont les voyageurs sain et bien aéré. Je me hâtai de quitter ces
qui font les routes , la seule que possède la Ca- tristes plaines, et, jetant par une courte échap-
labre va se ruinant tous les jours. Je perdis pée un premier regard sur les monts de Sicile
trop tôt la mer de vue, et je fus condamné à qui bleuissaient à l'horison , je descendis dans
traverser une vaste plaine de lin dont la teinte une gorge étroite et fraîche , et vins enfin me
bleuâtre figurait de loin des étangs; l’alouette réfugier dans le bois de Rosarno.
chantait dans la nue, mais la campagne était Rosamo qui le baptise n’est qu’un mauvais
muette et n’est point pittoresque. La route village décimé par la fièvre, car tout le pays est
sans ombre est chargée de mica qui étincelait humide et l’air infect. La campagne d’alentour
comme de l’argent et me fatiguait les yeux au- monotone, semée çà et là de quelques
est triste,
tant qu’aurait pu faire la neige des glaciers. maigres aloès et de troupeaux plus maigres en-
Las de tant d’aridité, je me jetai au hasard core. Quant au bois c'est le plus mal famé du
dans un petit sentier de traverse enfoncé d’a- pays , quoique en plaine et sans communication
hord entre deux haies de Icntisques, puis ooi- avec les montagnes. J'avoue qu'ébranlé par les
bragé de chênes et d’oliviers d’une délicieuse recommandations et les épouvantes des habi-
fraîcheur. Je me livrai si ardemment au charme tants je ne m’engageai pas sans émotion dans
do celte nature suisse plus que méridionale que ces lieux sinistres, et pour la seconde fois les
je m’égarai. Le son lointain d’une cloche me funestes augures de Naples me revinrent en
servit de guide et me remit dans la bonne mémoire. La solitude était profonde et redou-
'oie. blée encore par la fête. Je n’avais donc pas
.

Mais j’eus bientôt lieu de regretter les bois l’espoir de pouvoir me joindre au besoin à
où je m’étais perdu; car après avoir franchi quelque caravane, et je m’enfonçai tout seul
quelques ravins secs et sans autre verdure que dans la forêt maudite. Impossible d’y presser
de chétifs oliviers sans ombrage , j’eus à gra- le pas tant la route qui la traverse est sablon-
vir en plein midi une côte roide , chaude et sa- neuse. J’y marchai d’un pied lent, pénible,
, ,

12 ITALIE PITTORESQUE.
l’œil alerte ,
l’oreille tendue , épiant les moindres magniflcencc, il tomba dans le piège tête bais-
accidents de ce désert toulTu. sée et me voilà possesseur de la formidable
,

Le premier épisode qui me frappa fut une massue. La balance avait évidemment penché
paire de cavaliers qui traversaient le bois au de mon côté. Je repris tranquillement ma route
grand galop, et, semblables aux deux dra- escorté des bénédictions de l’armée ennemie
gons de la Barbe - Bleue , .soulevaient des qui se recoucha dans le fossé en me souhaitant
nuages de poussière. Les cavaliers passés, je bon voyage et me promettant de prier pour moi
restai seul de nouveau , et , comme la sœur la madone soir et malin.
Anne au baut de la tour, je ne vis plus que Ce fut là le second et dernier épisode de la
le chemin qui poudroyait et les bois qui ver- traversée. Je franchis le bois sans autre ren-
doyaient. contre.
La forêt retentissait parfois du cri des pâtres Ces bois si redoutés ne sont donc pas si re-
et j’entrevoyaisde loin en loin , à travers les doutables , et il en est de ces fameux brigands
épais fourrés une chèvre indépendante,
,
tantôt de la Calabre comme des bâtons flottants de La
tantôt un vieux taureau rebelle qui quittait Fontaine :

les profondeurs du bois pour venir h la dé-


De loin c’est quelque chose ,
et ôe prés ce n'est rien.
couverte; quelquefois aussi les arbres s’écar-
taient et je faisais une brusque percée sur Mais la terreur que le Calabrais voit qu’il ins-
l'Apennin; mais le rideau tombait bientôt, et pire doit le rendre mauvais; car il n’y a pas de
je restais perdu comme devant dans un océan plus grand démoralisateur des peuples comme
de verdure. L’arbre qui règne h peu près sans des individus que mépris ou la haine publi-
le

rival dans ces parages, c’est le chêne. 11 est que; or, il y a de l’un et de l’autre dans l’effroi
bien coupé çà et hà de quelques lièges; mais de tous les voyageurs en Calabre, surtout des
le cliêne est la règle, le üége l’exception. En- Anglais; mais ceux-là méprisent tout le monde.
flammés par les pâtres ou par la foudre, des Le bois de Rosarno débouche dans une plaine
troncs de haute futaie dressaient de temps en ouverte, marécageuse, dépeuplée par la mat
temps devant moi leur squelette noir et immo- aiia; Gioja, qui la domine, n’est qu’un village
bile. Vues au crépuscule, ces apparitions inno- sale et pas trop sain quoique perché sur une,

centes ont quelque chose d’inquiétant; et don colline de Icntisqucs. Si chétif qu’il soit, il n’en

Quicliottc , qui prenait des moulins à vent pour a pas moins l'honneur de donner son nom au
des chevaliers , les eût certainement prises nouveau golfe que la Méditerranée creuse en
pour des géants et il eût rompu sa lance. Quant cet endroit. J’escaladai Gioja au son de la mu-
à moi , j'envisageais l'ennemi de trop près pour sique et des salves champêtres. La population
m’alarmer de sa présence, et le soleil n’était célébrait ce jour-là la fête de son patron, saint
pas assez bas pour me créer de ces illusions-lâ. Pacifique. C’était une confusion ,
un brouhaha
Tout à coup, comme je cheminais, revenu à perdre la tête; mais j’eus là une nouvelle oc-
de mes premières alarmes , avec une entière sé- casion d'admirer la sobriété du peuple italien ;
curité , une apparition moins rassurante se leva dans le désordre de cette fête toute populaire
devant moi du milieu des larges fougères qui toute rustique, je ne vis pas un seul homme
bordent la lisière du bois et articula quelques ivre , et partant pas une rixe. On ne pourrait
sons confus que je ne compris pas d'abord. C’é- certes appliquer le même éloge aux fêtes du
tait un gueux de mauvaise mine qui me de- peuple en Angleterre, ni même en Suisse, où
mandait l’aumône. Tbéàtralement drapé d’une il est bien rare que le sang ne coule pas apres

guenille en gui.se de manteau , il n’avait pas le vin. C’est là une supériorité incontestable des

mal l’air d’un brigand de mélodrame, et un races méridionales; mais, hélas! que de taches
gros bâton qu’il tenait en main rendait quelque ternissent cneore tes vertus frugales, ô poé-
peu suspecte son humble supplique. Le tête-h- tique et sobre Italie!
têle n’était pas égal; l’inconnu avait un bâton, Le Métauro fleuve capricieux et dévastateur
,

je n’en avais point-, comme en cas d’attaque descendu des hauteurs de l’Aspromont , arrose
j’eusse été sans armes, je proposai au pèlerin et souvent inonde la plaine de Gioja et la sépare

de me céder son bourdon pour la somme énorme de la ville de l’aimi la plus jolie , la plus propre
,

de cinq grains (20 centimes). Ebloui de ma sans contredit des trois Calabres. Ruinée de
,,

CALABRE. 13
fond en comble fxar l’épouvantable catastrophe Stromboli ,
le panache du géant sicilien était
de 1 783 , elle a été rebâtie sur un plan régulier. embrasé. Nul mot de langue humaine ne
la

Elle a des rues larges, de belles maisons, une peindra jamais la magnificence de ce paysage
place spacieuse et bien aérée avec une opulente de terre et de mer eneadré entre deux volcans.
fontaine au milieu, ün y arrive par une chaus- Mais le soleil déjà bas atteignit les hauteurs de
sée pavée, percée au milieu des plus gros oli- Panarie ; il sembla s’y poser comme un météore
viers que j’eusse encore vus; on dirait des bois de feu, puis, s'abaissant lentement derrière
de haute futaie. De riches bosquets d’orangers nie , il disprut, .sillonnant au loin la Méditer-
coupent le gris monotone de l'olivier. La po- ranée des teintes les plus riches , les plus ar-
pulation de la ville est de douze à (juinze mille dentes.
habitants. Mais il ne faut pas juger des villes de Abîmé dans la contemplation de cette nature
Calabre par les nôtres. Celles-là sont peuplées merveilleuse, je restai jusqu’à la nuit couehé
en grande partie de campagnards; on n’y seul sur la montagne , et je ne me rappelle ps
trouve ni aise ni élégance , et une ville de deux de soirée plus ravissante. On faisait de la mu-
mille âmes chez nous a plus d’aises qu’ une de sique sous moi , dans la ville , et le silence était
quinze mille là-bas. En Toscane et en Lombar- si profond, si universel, que la brise marine

die , c’est autre chose. m’apprtait , mêlés aux prfnms des citronniers,
Bâtie pittoresquement non loin de la mer les sonsvagues et harmonieux d\t cor. Je vis la
Palmi est abritée du côte opposé par le mont lune sortir des flots où le .soleil s'était plongé et
Corona, le plus magnifique belvé-dèrc de toute ses rayons froids et blafards blanchir ce qu’il
la côte et peut-être de toute la Calabre; ccintd'o- dorait naguère. L’Etna, le Stromboli n’app-

liviers d’alxird puis de châtaigniers séculaires


,
raissaient plusque comme de vapreux fantô-
le mont Corona ou de Saint-Elic, car il porte mes , et , à pine encore distinct à travers les
les deux noms, est couronné d’une église et de brumes nocturnes , l’archipel éolien me rapp-
trois croix qui ,
de loin ,
lui donnent assez l'air lait involontairement ce grand navire fantasti-

du calvaire de Golgotha. Arrivé au faîte, c’est que de la mort dans la ballade étrange de Colc-
à s’agenouiller, non au pied de la croix; on ne ridge.
s’y agenouille plus guère au siècle dix - neu- Le lendemain , au pint du jour , je déjeunai
vième ,
mais devant la nature. Nulle part elle frugalement avec du laitage dans une mandria,
n’est plus ravissante, nulle part plus adorable. sorte de bergerie en plein air, défendue de la
J’étais là ,
au coucher du soleil , bien supé- pluie pr un simple toit de feuillage. Le tam-
rieur, à mon sens, au lever. Le lever, sans bour de basque national et la pastorale corne-
doute , est plus gai ,
plus éclatant ; mais il man- muse étaientsuspendusà un olivier, et un grand
que par cela meme de cette incITablc langueur troupeau de chèvres mutines paissait h l’cntour.
du soir si douce et si tendre ; il manque de tous Comme j'étais là ,
deux gardes-côtes vinrent à
ces prestiges grandioses du jour qui s’en va , de passer, revenant de je ne .sais quelle expédition
la nuit qui s’avance ,
et de cette austère mélan- nocturne; ils s'étonnèrent fort de ma solitude ;

colie qui sied aux âmes travaillées et chargées. ils blâmèrent mon imprudence et me prédirent
J'avais à mes pieds le golfe de Gioja et l'entrée que je serais inlaillibicment assassiné dans la
du Phare tout étincelant alors de voiles de pé- montagne , non cette fois par les bandits mais ,

cheurs. Le classique archipel d’Eole, Vulcano, pr les bergers, ceux-ci étant toujours, en dé-
Lipari, Panaric, et enfin le Stromboli, étaient pit de armés de fusils qu’ils cachent dans
la loi ,

si distiiicts, grâce à la limpidité de l’air, que les broussailles. Mais l’oracle venait trop tard :

j’en découvrais sans elfurt les habitations et j'y étais fait. Quelle que fût l'assurance de mes
presque les habitants. Le Stromboli surtout deux prophètes de malheur, les prophéties de
était sublime; il était pourpre, et, enflammée ce genre ne m'ébranlaient plus cette dernière :

par les rayons du soir, la colonne de fumée ps plus que les autres. Je n’en tins compte et
montait an ciel commo une colonne de feu. De fis bien. J’atteignis de là sans rencontre le pla-

l’autre côté sedéitntlmt la Sicile , le cap Pélure teau de Seminara.


la tour du Phare, la blanche et orientale Mes- J’étais sur la terre classique du trcmblcmejit

sine, les grandes montagnes qui l’ombragent, de terre de 1783, dont le souvenir plane encore
l’Etna qui les écrase. Comme le panache du aujourd'hui , après cinquante ans sur ces mal- ,
,,

H ITALIE PITTORESQUE.
heureuses coiiliees. Le souvenir d'ailleurs s'en de disperser sa bande et se cacha seul avec sa
perdrail ,
c|u'on y serait rappelé nialgn- soi par femme. Les deux fugitifs furent bientôt réduits
les fissures profondes et les mouvements désor- à vivre d'herbes et de racines. Dans cette dé-
donnés du sol. On chaque pas, qu’une
voit , à trc.sse, sa femme accoueba. Craignant que les

force occulte, irrésistible, a remué dans leurs cris du nouveau-né ne découvrissent leur re-
profondeurs ces terres violentées. Ce fut ici le traite, le Bisarro le saisit par les pieds et lui
rentre du mouvement, et prol>ahlemi nt le foyer <'*crasa la tète contre un arbre. Le désespoir de

du feu souterrain qui paraîll'avoir produit. Les la mère fut muet ; mais elle était Calabraise

villes qui ont le plus souffert, Polislènc, Oppido, elle SC taisait pour mieux se venger. A quelques
Sinopoli, Scilla, forment un vaste demi-cercle jours de là , le bandit , étourdi par un |ieu de
autour de ce point central. La plupart de ces vin qû'il avait réussi à se procurer, tomba
villes furent ruinées de fond en comble, et j’ai dans un sommeil profond. Sa femme profita de
vu porter à cinquante mille le nombre des morts. son assoupissement pour s’emparer de ses ar-
Les détails de la catastrophe sont incrovables, mes et lui fracassii la tète. Mais cette tête était
et la nature sembla se plaire alors aux jeux les mise à prix; la veuve sanglante alla déclarer
plus bizarres. Tandis que des milliers de victi- son crime et en réclamer la récompense.
mes expiraient sous les décombres, un paysan Piéoccupé de cette é|K)uvantablc tragédie
d'Oppido qui labnnrait tranquillement.son champ je ne pus me défendre du frisson en mettant le
avec une paire de bœufs, fut enlevé, lui, sa pied dans le liois qui en fut le théâtre; il est si
charrue et son champ, h la distance d'un mille noir, si touffu, et parfois si lugubre, que la
à travers un large et profond ravin , sans que scime est en vérité bien digne du drame.
lui ni ses bœufs eussent été blessés. Bagnara, qui est au pied, n’est qu'un mau-
Ces énormes déplacements de terrains furent vais village de pécheurs mais il est pittore^
;

alors fréquents et donnèrent lieu à un procès que, situé au fond d'une petite anse, et om-
singulier. A Séminara même une vaste jilanta- , bragé de hautes collines planté'cs de vignes et
tion d'oliviers fut entraînée sans se désunir au de figuiers d'Inde. Je pris là une Ixirque à
bas de la montagne et déposée intacte sur le deux rameurs et m'emlmrquai sur-le-champ
champ du voisin ;
le propriétaire des oliviers pour la Sicile quoi(|ue la mer fût grosse et le
,

revendiquait son bien; le propriétaire du cbamp ciel menaçant. Nous longeâmes la côte tantôt

réclamait le sien. La cause fut portée h Naples, aride, tantôt riante, mais toujours solitaire et
et l'on maintint la propriété du premier, mais à dominée de grandes montagnes qui en quel- ,

condition qu'il replacerait son ulivetocn son lieu ques endroits , .sont coupées à pic. Quoique le
primitif, attendu que le fonds du terrain cou- temps ne fût pas trop propice, je vis pécher
vert n’avait pu cesser d’appartenir h sa partie l’espadon cette pêche, ou plutôt cettcclias.se,
:

adverse, laquelle ainsi {pigna son procès. Quant car elle se fait à la lance, est fort singulière;
aux détails de tremblement de terre, on peut mais, pressé par l'espace, je remets à en parler
les lire dans les deux relations contemporaines plus tard aux articles Sicile.
du cbevalicr Hamilton et du commandeur Dolo- Arrivé à &illa , mes rameurs déclarèrent que
mieu. Elles furent écrites sur les lieux quel<]ucs le vent était trop fort et qu'ils ne pouvaient p;is
jours après la catastrophe, et sont l'une et l'autre aller plus loin
;
comme j'avais mis dans ma tête
du plus grand intérêt. Elles .sont insérées dans de souper le soir h Messine, je frétai une bar-
le yajrage pittoresque de Saint-Non. que à quatre rameurs, plus solide que la pre-
Monprojet était de m’embarquer pour la Si- mière, et je ne fis que passer de l'une dan*
cile , à B.agnara mais je ne voulus pas quitter
;
l'autre.
les hauteurs sans faire une trouée dans le ter- Scilla est une bourgade escarpée et Initie en
rible bois de Solano qui couvre presque tout escalier dans une fissure du rocher, ou plutôt
l'espace entre Bagnara et Scilla. Dans le temps de l'écueil qui lui sert d'appui et qui s'avancé
oit Bénincasa exerçait dans la foret de Saintc- en promontoire aigu , au milieu d’une anse for-
Euphémic sa sanglante dictature, un bandit non mée par les montagnes. Scilla eut tcTriblemciil
moins formidable, nommé le Bisarro. exerçait à soufl'rirdu tremblement de terre. Le château
la sienne dans celle-ci. Traqué et poussé aux tomba sur la ville, la ville tomba dans la mer,
extrémités par le général .Manhès, il fut obligé et les habitants qu’elle n’écrasa pas se réfuglc-

Digitizoï:
Digitized by Google
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. ,

CALABRE. 15
rent sur la plage ,
d'anlre.<i dans des embarca- A mesure que nous avancions le vent deve-
lions. La mer était calme , le ciel serein ,
et rien nait plus violent ,
il malgré
fut bientôt furieux;
n'annonçait un nouveau désastre, lorsqu'à mi- l'habileté des rameurs à vague le péril
saisir la
nuit le promontoire de Campalla s'écroula tout était réel ;
s’ils eussent lâché prise une seconde,
d'un coup et tout entier dans la mer. Cette nous nous brisions contre les écueils. Ainsi ti-
énorme masse fit refluer les eaux sur les deux raillée et disputée par l’aviron à la double puis-
bords ;
elles engloutirent un grand nombre de sance de la vague et du vent , la Irclc barque
Siciliens sur la rive opposée et tous les Calabrais avait des angoisses fiévreuses qui me secouaient
qui avaient cherché un refuge sur la plage. cruellement cependant je me tenais ferme con-
;

Toutes embarcations furent submergées , et


les tre lemal de mer , et assis à la proue je me di.s-
le lendemain les cadavres flottaient par milliers. trayais en suivant de l’œil ces grandes niasses
Le château fut rebâti, et vingt-cinq ans plus mouvantes, écumeuscs , qu’une force irrésis-
tard, ces Dardanelles du Phare jouèrent un tible soulevait contre moi et oui en passant
rôle important dans la guerre des Anglais. Au- m’inondaient
jourd’hui il est détruit. La mer était magnifique. Très profonde en
Cependant la mer ne s’était pas calmée ; elle ces parages, elle était d’un bleu ravissant à
était de plus en plus mauvaise, et le sciroc, voir, et se brisait en flocons d'argent sur les
c’est-à-dire le vent contraire, soufflait violem- menaçants éeueils que nous rasions ; nous les
ment. Mais mes quatre rameurs étaient vigou- rasions de si piès que l’écume rejaillissait dans
reux et la barque tenait bien l’eau. Le promon- la barque et nous aveuglait. Je ne fais point

toire doublé, nous rasâmes ces formidables une cxgération de voyageur en allirniant que le
écueils de Scilla, si célèbres dans la fable. danger était imminent ; les marins qui, même
Grâce au gros temps, je pénétrai sur-le-champ sur de grands vaisseaux , ont passé le Phare
le sens de l’allégorie, car je me crus un instant, par le mauvais temps , savent ce qui en est. Le
non plus au milieu des eaux , mais au milieu détroit de Messine est avec l’Archipel grec le ,

d’une meute. L’illusion est complète et la cause passage le plus dillicile de toute la Méditerra-
en est toute simple. née, et plus d’un capitaine étranger s'est re-
La côte, toute hérissée d’écueils, est un roc penti de ne s’y être pas fait assister , coiumc
vit ,
coupé à picà force de le battre et de le
;
c’est l'usage, [lar un pilote indigène.
ronger, la mer Ce fut surtout après avoir doublé le cap Cc-
y a creusé d'innombrables pe-
titescavernes où la vague s’engouffre avec un nide que le danger devint pressant jusque là le ;

bruit qui imite, à s’y méprendre , les aboiements promontoire nous avait un peu couverts, nous
du cliien. Il n’en fallait pas plus à ces imagina- étions maintenant sans abri , en plein vent , et
lioos poétiques de la Grèce qui personnifiaient soulevés |iar la rafale, les flots bouillonnaient
tout et donnaient à tout un corps, une âme. dans le canal avec une rage toujours croissante.
11 en est de même des faaneux gouffres de Ca- Notre position était d’autant plus critique que
rybde qui sont en face ce n’est encore là que ;
les éeueils dont la côte est héris.sée rendaient

l'idéalisation d'un fait naturel. II faut savoir l’abordage impossible et que, bon gré mal gié,
que le Phare est soumis à un mouvement régu- il fallait tenir la mer. Enfin , par un tour de
lier de va et vient , du nord au sud et du sud foreeque j’admire encore, les mariniers se je-
au nord or , au lieu d’élre droites et de laisser
; tèrent dans une anse fort étroite, fermée de
passer librement le courant, les côtes, surtout tous côtés par les rochers et dont l’cntré-c n'a-
celles de la Sicile, sont courbes, fort sinueuses vait pas six pieds de largeur. La barque fila
et disposées de manière à résister au flot. La comme la foudre entre deux écueils et franchit
mer ,
ainsr refoulée ,
est obligée à refluer sur sans malheur le périlleux défilé. Là nous étions
elle-même et produit ces gouffres ou tourbillons en sûreté.
personnifiés dans Carybde. C’est ainsi que les Les rameurs, qui ju.squ'ici avaient mis del’a-
fables, en apparence les plus folles, de la mv- mour-propre à passer malgré la tourmente,
thologie antique , cachent un sens profond , bien baissèrent enfin pavillon et me déclarèrent que
rarement faux ; ce n'est pas la dernière fois que la traversée était impossible. Mouillé jusqu’aux
nous aurons l’occasion d’admirer la sagesse en- os ,
il me fallut reprendre terre une seconde fois;
veloppée dans ces gazes diaphanes. encore eus-jc bien de la peine à débarquer sans

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16 ITALIE PITTORESQUE.
m'achcvcr p.-ir un bain œmpict. Il semblait rieuse. Moi , d'un coté , sur mon balmt , de l’au-
qu’une opiniâtre fatalité me repoussât des côtes tre , le mari et sa femme dans leur lit , les trois
Je Sicile. Je continuai ma route à pied sur la enfants, mâles et femelles, couchés pêle-mêle
plage. au pii'd sur une paillasse, et le berceau du
Maigre la contrariété et l'ennui d'un projet nourrisson suspendu au plafond, c’est-à-dire
manqué ,
je n'étais pas lâcbé au fond du cœur au toit, à côté de la cage du bouvreuil. Les

d'avoir essuyé un demi-naufrage entre Carybdc poules et les deux quadrupèdes occupaient le de-
et Scilla. Poursuivant solitairement mon odys- vant de la scène ; et comme si la ménagerie n’cùt
sée pédestre, je me comparai modestement à pas été a.ssez bien garnie , le frère de mon hô-
Ulysse, sans songer alors que j’étais destine à tesse, débarqué la nuit de Sicile, vint prendre
devenir plus tard mon propre Homère. place avec un autre marinier sur un coffre vide,
J'en étais là de mes congratulations intimes, à côte du mien. Ainsi nous étions bien neuf
lorsque je fus accoste par un petit boiumc ac- dans ce chenil , sans compter les bêtes. Ceci me
cort bavard , qui m’invita , la nuit approchant,
, rappelleun tavernier d'Ischia , qui se lâcha tout
à venir la passer chez lui. J’acceptai , et traver- rouge parce que je refusais de coucher dans un
.sant fièrement Villa San-Giovanni
,
il me con- où il y avait déjà huit individus, et où , di-
lit

duisit à travers une forêt d’aloès et de grena- , on pouvait tenir commodément dix.
sait-il

diers au hameau voisin d’Aracello. C'est là que Ces détails d’intérieur donneront à connaître
mon hôte de son métier , avait sa mai-
,
tailleur ledegré de misère où en est la Calabre. Il n’v a
son , ou plutôt son bouge. pas de grossier paysan chez nous qui acceptât
J’avais pensé trouver chez lui quelque ai- une pareille vie ;
encore faut-il ajouter qu'on y
sance je m’y vis entouré de misère , bien reçu,
-, faitprovision de pain ( et quel pain pour un !
)
du reste , par la famille , composée de la ména- mois, et ipi’on y manjje de l'huile rance, néces-
gère qui était Sicilienne, d’un nourrisson sitébien dure, en vérité, quand on a traversé
qu’elle allaitait de deux jolies petites filles de
, tout le jour tant de Iwis d'oliviers, tant de
neuf à dix ans, et d’un garçon de sept ans, ehamps de blé. Ce nonolistant, la population est
tout cela entassé dans un taudis de quarante hospitalière et pleine de cœur.
pieds carres qui servait tout à la fois de cham- Le hameau d’Aracello est juste au-dessous
bre à coucher , de cuisine et de poulailler. de la colline où campa Murat lors de la fameuse

Nota bcnc, que la fumée n’a pas d’autre issue expédition de Sicile, \eJîasco le plus .solennel
que la porte. Un chat, un chien et un bou- des annales militaires, et tous ces lieux sont
vreuil complétaient cette arche de Noé; il n’est pleins des souvenirs de la campagne avortée
pas jusqu’au porc qui n’y fit de fréquentes in- de 1810 .

cursions. Reggio, la capitale de la province ,


n'est qu'à
Je me berçais encore de l’espoir qu’il y aurait dix milles. Je comptais introduire dès aujour-
au moins pour moi quelque petite cliambrette; d'hui le lecteur dans ce paradis terrestre de la
mais mon espoir s’évanouit quand je vis placer Calabre, de mais l’espace me manque ,
l'Italie;
un matelas sur un bahut; c’était mon lit. Pour et force m’est le voyage. Aussi bien
d’ajourner
me faire honneur on étendit dessus une magni- n’y suis-je entre moi-même que
six mois plus
fique couverture de taffetas jaune qui contras- tard , ayant .séjourné ces six mois eu Sicile et
tait étrangement avec le lieu. C'était la couver- n’ayant vu Reggio qu’au retour.
ture de noce; on ne la déployait que dans les l'aisant mes adieux le lendemain matin à la
grandes circonstances, et les voisins se pres- ménagerie haspitalière , mais non tout-à-fait
pour l'admirer. J’étais évidem-
saient à la porte désintéressée d'AracclIo je m’endwrquai une
,

ment tombé dans un guet-apens ; je me résignai. troisième fois, malgix! le mauvais temps qui
La chère fut conforme au reste ; mais mon hôte persistait, et, plus heureux cette fois que les
m'avait promis une bUmekeria stupendissima ; autres, je francliis enfin le détroit sans acci-
les draps en effet étaient d’une étincelante blan- dent , sinon .sans péril.
cheur; c'était l’essentiel, et la résignation me Reggio, qui devait fermer cette livraison,
coûta moins. ouvrira donc la troisième.
La topographie nocturne du heu était cu- CutaLES Didier.

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— —

CALABRE. 17

Phire de Messine. .^Reggio. —


Cliarondas. —
Fée Morgane. —
L'Aspromonl. —
Ecliellc végétale. Architectnre —
rustique. —
Scènes de montagnes. —
La Sicile. l.'Elna— Le mont Basilico. —
Profondes vallées. Forêts. - —
Solitude, —
Scie à eau. —
Bandits. —
Ermitage et eriiiilc des PoUi. —
Arcadie de Sannazar. Locres. —
7.aleu- —
cus. — (icraci. —
-Le fleuve Alaro. —
Marines. —
MaParia. —
Tours. —
Bivouac de Bohémiens. Nuit blanche. —
— Stilo et le moine Thomas Cainpanella. —
Pali-Porto. —
Campagne de SquiUace. —
L’ancienne Scj'llacée. —
Cassiotlo.'*e. —
L'église ruinée de la Roccella. —
(iostiiiiic calabrais. Calanzaro.— —
Le peintre Mattia Preli.

Le Ph.nre de Messine Bosphore tl’Ilalic


est le ;
Sous Romains, Reggio perdit de son illu.s-
les
rilalic n’a rien qui le surpasse en beauté: le tralion .sans cesser pour cela d’êlre une ville im-
fjolfc (le Gènes est peu de chose auprès; cl si portante. Julie, fille d’Auguste, y fut exilée en
Naples a son Vésuve, Caprée, Sorrenic, le Phare punition de l'amourdu poète Ovide, et elle y
a Reggio, la Sicile, l’Elna. mourut d'inanition dans les bras de sti mère ré-
Reggio est le paradis de la Calabre. Abritée pudiée Scrihonia. La ville a souffert tant de des-
tl'un ciel limpide et bleu , Imignéc d’une mer plus tructions qu’elle n’a pas conservé un seul monu-
limpide encore et plus bleue , la ville est assise ment de sagrandeur passée. Tout ce que j’ai
mollement , ou plutôt couchée au pied des hautes trouvé est un morceau de muraille antique, en-
crêtes boisées de l’Aspromonl; défendue par elles core est-il profondément enseveli , et deux assez
des vents âpres, elle repose au milieu de scs gre- belles colonnes de granit à la porte de la ca-
nadiers, de sesalocsen (leurs, et, la têtcombragé*c ihé-drale.
de trcillcset de palmiers, elle s’enivre de l’éternel Mais la beauté du site rachète amplement et la

parfum des orangers et des limons. Plus vaste laideur de la ville moderne, et son insignifiance
qu’elle et plus riche, niais non pas plus illustre actuelle, et lesmécomptes archéologiques. la:
et surtout pas plus riante. Messine, sa sœur, sem- jouroùjedébarquaide Sicile le. temps était splen-
ble lui tendre du liord opposé une main frater- dide la clarté de l’atmosphère rapprochait jus-
;

nelle et lui faire des signaux amis. qu’à les faire prcstpie toucher du doigt les côtes

Ce n’est pas que Reggio soit une belle ville : de la Sicile; le soleil faisait briller les toits blancs
travaillée par les trembicmens de terre, presque de l’orientale Messine, et scs innombrables casins
abiméc par ccluidc 1783, elle n’a pas un édifice; dispcrst's au pied et aux Bancs des montagnes ;
la moitié des maisons est encore en ruine et pres- du milieu du Phare on découvrait toute la côte
([uc toutes sont Itizardées.Quant aux rues , It de Calabre jusqu’au golfe divin de Policastro ,
Cours lui-même ne
peines, sont-elles pavées; le dans II n développement de plus de cent cinquante
l'est point ;
rue qui mérite vraiment
et la seule milles. Réjouis par le beau temps au fond de leurs
ce nom, Marine, parce qu’elle est posté-
est la abimes, les dauphins, dont ces mers sont la clas-
rieure aux ireinblemens de terre. sique patrie, sautaient bruyamment et se jouaient
Reggioest une ville très-ancienne .son nom se : à la surface des eaux. Le son des cloches, qui
retrouve dans les prcmii'res chroniques de la carillonnaient en l'honneur de je ne sais plus

Grande-Grèce. Elle eut pourlégislalcurCharon- quel saint ,


ne les effrayait pas.
dasdcCalanc, l’un des premiers qui humilièrent Tout en jouissant de celte nature divine et de
la force devant l’esprit en défendant aux cito- ce temps divin comme elle, je regrettais que la

yens, sous peine de mort, de paraître armés aux puretédiicielme privât des apparitions de laFéc
assemblées publiques. On sait qu'il fut sa propre Morgane. La Fée Mor.gane, I-’aUt Morgana, est
victime. Apprenant, un jour, un tumulte popu- un jihénomène d’opliquequi reproduit dans l'air
laire , il se rendit à l’assemblée en si grande hâte humide et opaque, tous les objets
alors qu’il est
qu’il oublia de quitter son épée. Quelqu’un lui du rivage comme dans un miroir. On voit alors
fit remarquer cette infraction à ses propres lois. suspendus dans le ciel des jardins, des palais ,

« Je prétends, dit Cliarondas, les confirmer au des églises, créations fantastiques, évoquées dit
prix même de ma vie. u Cela dit, il se tua le peuple, par la baguette des Fées. C’est un mi-

d’un coup d’épée. rage semblablequi fil un jour apparaître un ange


Combien connaissez-vous de nos modernes lé-- il Milan. La population de crier au miracle , tes
gisliilcurs qui soient disposés à sceller leur vole cloches de sonner en chœur c’était tout simplc-
:

de leur s ang? incnt l’image d’un ange de bronze doré ,


dont
C’est il Re(;gio que le tyran Denys planta le l’original brillait sur un clocher de la ville.

premier platane. Privé des merveilleux prestiges du paysage


XII. lïiut riTi. (Càli»i. 5* Liv.)

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,

ITALIE PITTORESQUE.
aérien, je inc rejciais sur celui de la terre ferme à son tour ,
abandonne le terruiu an diéue , au
et suivais avec charme les raouvemens f'racieux betre, auxquels enfin succèdent , et c’est la der-
d'un palmier qui se balançait au gré du vent sur nière zone végétale, les pins et les hauts snpin.s.

cette cxtrèim’ plage de l’Italie. Autrefois toute la Les crêtes culminantes ont de la neige six luoi.s
côte eu était couverte; c'est Ic'fanatisniechrél ien de l’année. Ainsi, depuis les orangers d’.Vfrique
qui lésa détruits eu haine des Sarrazi ns dont le jusqu’aux glaces de Laponie, ou passe là en quel-
palmier était l’arbre chéri. En cela , j’avoue , je ques heures , et comme par enchantement , par
.suis Sarraziu. toutes les latitudes du globe.

Le temps était orageux sur Taormina , et les J’eus bientôt franchi les deux premiers dcgré.s
grandes nuées noires qui se traînaient sur le de l’échelle embaumée, et atteint Ictroisième, qui
mont d'Or et sur l’Etna, contrastaient fortement est la région des châtaigniers. La natnre prend

avec l’éclat du ciel calabrais. une attitude de plus en plus sévère, et par mo-
J’ai oublié de dire que le nom ancien de Reg- mens formidable. Ici les parois latérales tombent
gio vient d’un mot grec qui veut dirt! dans le torrent roides, nues, décharnées ; là elles
ivm/irp, et l’on remonter rétymnlogic de ce
fait se crevassent de gorges profondes, de vallées té-

nom à la rupture violente qui doit avoir, eu des nébreuses ; tantôt une herbe courte et rare vé-
.iècles bien .antérieurs, séparé la Sieilede la Cala- getcaux flancs des rochers, tantôt leschâtaigncrs
bre. Les premières éruptions de l’Etna furent se pressent en forêts touffues et sombres; d’abortl
probablement précédéesde secousses telles qu'el- groupées en hameaux, puis dair-semées, les habi-
les occasionnèrent la scission. C’était l’opinion de tations cc.ssent , et le désert s’empare de ces sites

l’antiquité, c’était celle .aus.si de Buflon. muetsetmvagés.QucIquesmoulinscou peut seuls


Les mé-dailles de Reggio portent les unes le encore de loin en loin la solitude et le silence.
tn'-pied, les autres le lion. Ne remplissant pas son lit , le Gallico serpen-
La suite de mon voyage m’appelait h Tarcnte tait et vaguait en tous sens. Libre, irrégulier, il

par la Basilicate. Il me restait donc à remonter coulait en zig-zag, décrivant des sinuosités infi-
toute la côte orientale delà Calabre, depuis l' As- nies , se divisant en mille bras, et fomiant tour
promont jusqu’au Pollino. C’est un voyagede plus à tour desîles des golfes, des pixHnontoircs. Su i-
,

de cent lieues , pénible .H cause des mauvais che- vant que la pente était douce ou rapide, il s'épan-
mins ; car il n’y a d’autre route sur toute cette chait en nappes silcncieuscsou se brisait en cas-
longue ligne que d’étroits sentiers de pierre ou catelles. Parfois un coude de la montagne Tarrô-
d’argile. Il importe de ne p.is se lais,ser gitgner tait bruscpicmcnl, et, le forçant à changer de

par la sitison des pluies, vù qu’alors ils sont im- roule , le faisait gronder cl mngir.
praticables. Je partis donc de Re^o pou r Locres Le soleil se reuchc vite pour oes humides pro-
qui est sur la rive opposée. Iæs detix anciennes fondeurs ,
et la nuit
y est précoce. Déjà si mé-
républiques ii’étaient séparées que par la chaîne lancolique nu grand jour, celte agreste nature le
de r.ispromont, point final dcl’.Vpennin cala- ilevient biendavantage au crépuscule. Le bruit
brais. de l’eau et le tic-lac monotone de quelque moulin
Je chcmiilai plusieurs heures à l'ombre des invisible derrière les rochers ajoutaient à la tris-
treilles et des citronniersavantdem’engagcrdans tesse de Theure du lieu. Regagnant son aire
et
les montagnes ; enfin j’y pénétrai par le Gallico à travers Icdd un ot.senu de proie jetait de loin
,

torrent impétueux et souven tdévasmteur, qui vu en loin dans l’espace un cri farouche.
lomberdanslc Phare. Les eaux alors étaient bas- La nuit approchait ,
le son d’u necloclie qu i son-
ce fut certes un grand bonheur pour moi,
ses, et nait l'u^iigèlus me frappa tout à coup ; je lovai la
car le chemin est le lit même du torrent ; quand tétc,et j’aperçusunvillagc juohésnruncpointc :

il est enflé ,
les communications sont rompues. ü’étaitPodnrgoni; j’y montai. Adieu Icstreillcs de
Très-large à l’entrée , le lit se resserre entre Reggio! adieu les terrassesplanlécsdeflcurs! Les
deux hautes montagnes escarpées , dont le pied villages de Calabre, et meme les villes, sont hi-
mais ce sont les derniers.
est planté d’orangers; deux point d’ordre, nul plan , pas l’ombre d’ar-
:

A mesure qu’on s’élève, ils s’éclaircissent, ilsdis- chitecture; les maisons, vrais bouges informes,
paraissent bientôt tout-à-fail. L’olivier, la vigne, sont jetées lesunes sur les autres, et entassées au
le figuier, persistent long-temps ; mais ils hasard comme des rochers précipités des mon-
cèdent aussi pour faire pBcc no châtaignier, qui. tagnes par un tremblcmcntde terre, et l’on décore
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,,

CALABRE. 10

du nom pompeux de rues d’affreux cass«M»iis, son ombre comme d'une aile immense; dieu de

escarpés, enfoncés, point pavés, tout sillonnes cette nature toujours en alarmes et toujours si
d'ornières profondes, pleins de cailloux , pleins belle que le monde anlic|uc la donna pour ber-
de bouc, cl dont la triple destination est de ser- ceau à sesdivinités les plus gracieuses et les plus
vir de connnunications cl de forum aux babitans, chères, il n'a point de rivaux, point d'égal, il

d’éjjoùls aux immondices et d’augej aux pour- K-gnc. Qu’il menace ou sourie, on adore; qu'il
ceaux. Quand il pleut, ces cloaques fétides se mort ou
dis|)cnsc la la vie, on accepte; l’homme
tran-sforment en cataractes, où périssent maints rampe en esclave à scs pieds.

enfans, et parfois même des hommes. Telle est Blanchi alors |>nr la neige , son front se dres-
l'arcliitecture rustique de la Calalwc , et tout cela sait au ciel dans toute
la majesté, dans toute la

sur le si c des v illes superbes de la Grande-G rèce,


t
tristcs.se de son isolement; grandeur triste en
en face des temples encore debout de l’oestum effet, grandeur solitaire, qui semble être seule au

de Mêla ponte , sous le plus beau soleil d'Europe, milieu du monde, et n’avoir de confident que les
et peul-cIre du monde. astres. Calmcàccllc heure, le géant nageaitdans

Podargoni est uu hameau de ce genre, perché l’azur et ne jetait pas de flamme ; la colonne de fu-

sur le premier gradin du mont Basilico, qui clôt mée qui s'écliappait de sa bouche béantccouron-
la vallée. J'y passai la nuit chez un vieux fores- naitsalèted’un {lanaclic blanc; lesventsdu malin
tier qui me céda son lit luontagnanl , composé de le balançaient <lans l’air avec grâce et mollesse.

peaux étendues par-dessus de bruyantes feuilles Chaque pas que je faisaisdans la lande m’éloi-
de maïs. Au poinidujonrj'étais surpied. Lefusil gnait de ce graïul spectacle, et m'en dérobait
sur l'épaule, mon hôte voulut m'escorter jusqu’à quelque chose. L’Etna lui-même baissait ; je ne
la .Madone des Polsi criuiiagc alpt^slre, où je de- l’a|>erccvais que par échappées à travers les
,

vais coucher. Le syndic ( maire) ajoiiUi à mon arbres clair-semt-s dans la plaine; bientôt je ne
escorte, car alors l’Aspromoiit était plein de l>an- le vis plus du tout.

dils ,
un garde civique , espèce de vagabond re- Resté tête à tête avec le mont Basilico qui fer-
tors,qui avait été suocessiveincnt frère convers, mait devant nous riiurizon, nous atteignîmes le

brigand, soldat, cordonnier, et que le maire m’a- bout de la bruyère, et de làdesccndimesdans un


vait rc-coinmandé comme ayant tous les vices : petit vallon frais cl cliarinanl. C'est là que nail
ma , ajouta-t-il ,
non è ladiv. au milieu d'uuc prairie de la plus belle verdure le
Flanqué de UH)ii escorte, j'attaquai, en sor- fleuve Gallico. Arrives là , mon escorte et moi
tant du village, une cdtc rude et ardue, du haut nous nous arrêtâmes , et nous assîmes nu bord de
de laquelle un domine dans toute sa longueur la source limpide et murmurante. Le vieux fo-

rétroilc vallée du Gallico. Au sommet expire le rcsl ier de Pixlargoni lira de sa carnassière le pain

chàlaignicr, et s’ouvre un vaste plateau inculte bisdu village et le classique oignondumidi;illcs


désert, couvert de bruyères à perte de vue. Mais étala sur le gazon, m’invitanlà pnriagcravcc lui
morne la vue est ravissante c'est
si le lieu est ,
: le dernier repas de rhaspilalitc. L’eau savou-

un belvédère magique sur les eûtes et la mer de reuse de la fonlainc et l'air vif de hautes cônes
Sicile; l'Apennin n'en a pas de plus beau. assaisonnèrent ce déjeuner frugal.
Vu de ce
haut |iuinl , le Phare resscmbleà un Je désiraisconlinuer seul mon voyage,arinde
fleuve majestueux qui SC .serait ouvert un passage jouir à mon aiscct plus enlibcriédu grand spec-
entre deux montagnes, Emaillédevoilesargenlécs montagnes. Jeeraignais peu les bandits;
tacle des
<|u i brillaient au soleil,ct sedétacliaicn t sur le bleu renvoyant donc mon escorte, après avoir pris
foocédes vagucscommedesétoilessurle bleu du d'cilc toutes les directions nécessaires, je conti-

lirmament, il réfléchissait toute la côte et Mes- nuai ma route, plus libre et plus léger. J'avais
sine, .Mcssiueavocsoulporleufaucille,scs casius atteint lu haute région des hêtres, déjà coupés de
blancs, scs palais juuues,ses clochers bigarrés, ses quelques sapins s«'-culaircs tout couverts de li-
innombrables villa,ges, les uns assis au bord des chen, tout blanchis par l’Age, et dont les troncs
flots, les autres suspendus aux flanesdes collines, moussus cl tortueux semblent avoirété tourmen-
tous ombragés et cacliés à demi par les orangers. tés et tordus par les tempêtes. J’étais là en pleine
Par-dussus tout cela s'élève à des hauteurs iu- montagne, et je commençai dès-lorsàlrouver de
ftuies rEtiia. Ange exterminateur à la fois et fé- la neige ; clleaugmcnta peu à peu jusqu'à la hau-

eoodatcur de la Sicile, il couvre l’ile entière de teur d'un pied, et envahit bieiitdt le sentier. Je
,

20 ITALIE PITTORESQUE.
ncin'cn plonf^nis ni avec moinsiriTrossp, niavcc du milieu d'une clairière la mer desdeux cdtCa,
moins d’ciicliaiilomcnl ausein dercs boisvivaces je parvins à m’orienter.
qiiclilaiicliissaieni bien les frimas, mais dont los Mon œil plongeait de tous cùtt-s en d’inconi-
vi-nis d'Iiivcr n'avaient pas arraehé une feuille. niensunible.s valhies, pnicipices silencieux, soli-
J'avais tourné le mont Basilieo; c’est nn e«me taires, tapissés de Ixiis, et j’avais devant moi
~
•jijjantesqne bordéde forèlsjnsqu’an faite, eteeint un immense liorizon de montagnes entassées
de, vallées d'une énorme profondeur. J'altcifjnis en amphithéxitrc, et dont lacouleur sombre se
le |x>int dit Nardello ,
d'où apparaît dans toutesa graduait suivant la distance ets'éclaircis.sait jus-
(;loirc leMont-Alto, la plus haute cime de la qu'à l’azur pâle et vaporeux des lointainsd'Italie.
ebained'Aspromontet la .secondede toute la Ca- Mais l’horison se referma bientdt; et je me re-
labre. C’est une masse de {jranit de pri'S de six trouvai comme avant au sein ténébreux des fo-
mille palmes. Du sommet on domine d’un côté rêts, et toujours dans la neige jusqu'à la cheville.
la mer d'Ionie, de l'autre la mer Tyrrbénienne Apri-s quelques centaines de pas je commençai
et ses îles. à descendre, et descendis dèsdors avec une rapi-
Là commence une lonfjiic arête bordée à jjau- dité ton jourscroissantc.Ixspinssc mêlaient aux
elie cl à droilc de précipices tendus comme le sapins, la neige diminuait à mesurcque je m'éloi-
reste irimpt'nélraldcs forêts. On s’étonne à cha- gnais des hautes cimes; mais le scnticrplussecci
cpic pas en Calabre de trouver dans un espace plusguéable s’encombrait de troncs abattus par
si restreint de si hautes cimes, de si profondes la foudre ou la coi;picc.
vallées, des niouvemcns de terrain si démesu- Je descendais, descendais toujours sans savoir
res. Il faut <pic des révolutions bien terribles ou j'irais tomber : enfin j'arrivai dans une val-
aient bien violemment secoué ces terres nnalcs lée étroite, peu lioisce, sons neige, au fond de
lie l’Europe, pour leur avoir imprimé un ca- laquelle coulait .sur un lit de mousse nn mis.scau
ractère si allier, si sauvage. d'unedélicieuse fraîcheur; tout Iclong serpentai»
Je marchais avec ravissement au sein de ces sur la pelouse un sentier battu ; je le suivis, et il

solitudes muettes et grandioses. Tout a coup je me conduisit à une de ces scies à eau dcstiné'es
m’arrêtai; l’admiration m’avait aveuglé, et l’ini- à élaborer les grands arbres de l’Apennin.
|KÙuosité de mes cnchantemens jeté Iiors du sen- Celle-là était gardée pardeiix jeunes garçon.s
lier. Jcm’cnapcrenstroplanI poury rentrer. Je de quinze àdix-huit .ans, qui ne surent pas m’en-
lie le retrouvai point, caché qu’il était sous la seigner ce eheniin , et ne purent que m’offrir,
neige. Je revins sur mes pas; j’errai long-temps pour la nuit qui approchait, l'hospitalité de leur
en toiis.scns, prenant et quittantsuecessivement cabane. Je l’acceptai avec résignation , avec re-
tous les sentiers qui s'offraient à moi ;
je m’éga- connaissance , trop heureux d’avoir trouvé un
lai tout-à-fnit. J’appelle; ma voix va mourir en gîte et un refuge contre le froid des montagnes.
d'invisibles profondeurs ; et le .silence, un silence Nous traînâmes à nous trois un vaste tronc dans
inflexible reprend possc.ssion du désert. J'entends rùtre, et eiitivtînmcs toute la nuit un feu dévo-
iiii bruit ,
j’écoute; le bruit redouble; je crois rant. Mes hôtes mcconfiriiH'rcnt ccqui m'avait été
que e'e.st un piltrc qui fuit
;
je m’élance à sa dit à Reggio, qu’une bande exploitait l'.\.spro-

poursuite, c’était un sanglier. niont. La veille même cllcavait fait une descente
L'idée d’être arrêté par fes liandils dans ces dansla pauvre caliane, et l’avait pillé-e de fond en
formidables solitudes, leur séjouretleurempire, comble ; elle venait d’enlever aussi un riche pro-
me faisait battre non de peur, nmisd’es-
le coeur, priétaired'un paysvoisin , et le tenait pri.sonnior
pérancc, car je n'avais rien à penlre,ct les ban- |xiurlui faire payer rançon. Nous étions là tout-à-
dits du moins m’eussent indiqué la route du sanc- fait à la merci des bandits, caria scie était à six
luairedesPolsi.Vain espoir! mon étoile n'en jeta lieiiesde tout village; et le seul habitant diidésert
point sur mon chemin. Ain.si pcniu, seul,alian- était un pitre campé a deux lieues de là sur la

dontié des dieux , desbommeset même des ban- montagne. La nuit toutefois s’écoula sans sinistre,
dits, j’étais tellement désorienté, qu’apercevant éxdairée d'un ravi.ssant clair de lune; je la pas-
au loin ,
à travers les sapins, une échappée de sai paisiblement devant ma fournaise.

mer, je fus long-temps à reconnaître si c’était le Au soleil levant je me remis en campagne


Phare, 4a mer Ionienne, ou les extrêmes para- m’orientant comme je pus, et prenant prcsqucnii
ges du cap Spartivento. Mais enfin découvrant hasard et d’instinct le premier sentier qui se pré-
,

CALABRE.
!ienta. Le ciel voulut que ce fut le bon et après ; ,
locricnnes, une douzaine de colonnes élégantes,
cinq qu six heures cl’unc marche rude et opi- les unes de marbre, les autres de vert antique

niâtre , au sein tou joursd'unc profonde solitude, ont passé des temples de Jupiter et de Proscrpinc
j’eus le bonheur de m’aller abattre comme par dans l’église épiscopale , dont elles font le plus
miracle sur l’ermitage si long-temps cherche. bel ornement. Rappelons en passant que Gcraci
J y reçu s l’accueil le plu s touchan t , et y demeu-
’ fut la patrie de Balaam , ce singulier évêque qui
rai la lin du Jour à me refaire de mes fatigues. fut accusé de judaïsme, et qui cn.scigna le grec
Le brave boni me d’ermite, qui était quasi lettré, à Pétrarque.
m’initia dans toutes les légendes du lieu ; il s’e- Voilà tout ce qui reste de Locrcs, de cette
lendit avec complaisance sur les mérites de la mi- république altière dont les lois passèrent dans
raculeuse Madone dont il desservait l'autel; et, les Douze Tables, ce décalogue du peuple- roi,

vaincu par la lassitude, j’étais déjà couché sur et qui disait orgueilleusement d’elle Amie de :

mon lit decuirqu’ilvintme lire toute la soii-éc les Rome, soumise à Dieu seul. Cette formule iti-
églogues de Sannazar. C'était là en vérité dans dépendante et Gère se lit dans une inscription
une singulière Arcadie; mais le contraste était ancienne conservée à Gcraci.
piquant. Si la plaine est mélancolique rien de plus gra-
,

Un torrent, le Buonnmico, b<iigne le sanc- cicu.x,deplus riant que lescollines qui la ceignent.
tuaire, et descend à la mer à travers les lauriers- Sur le premier plan, les orangers marient leur
roses. J’y descendis avec lui, et le lendemain sans verdure éclatante et leurs pommes d’or au feuil-
autre aventure je me trouvais à dix milles plus lage terne, au fruit noirâtre des oliviers, et les
haut sur le territoire de Locrc.s, c’est-à-dire dans figuiers noueux épanouis.scntau soleil ardent de
la vaste plaine déserte que couvrait jadis de scs la canicule leurs larges feuilles écliancrécs. C'e.st

palais et de .scs temples la cité de Zalcucus, le plus sur toute cette cùtc,d' Ardorc à Siderno,que croit
illustre des disciplesde l’ythagore et le I.ycurgue le doux vin grec, lepluscxquispeut-ctrcde toute
de la Grande-Grèce. C'est Zalcucus qui avait dé-- l’Italie.

fendii au sexe l’usage du vin, et autorisé le mari Les montagnesdu fond décriventdans lairdcs
à tuer sa femme s'il trouvait seulement sur elle lignes tour à tour molles et hardies ens'appro- ;

les clefs du cellier. C’est lui aussi qui avait or- cliant du rivage elles s’abaissent graduellement
,

donné que tout citoyen qui avait à proposer jusqu’au rang de simples collines ctiltivées jus- ;

quelque changement à la constitution, se présen- qu’en haut et semées de casins, elles s’ouvrent
tât à l’assemblée la corde au cou , afin d’être de temps en temps pour donner passage à un tor-
étranglé sur place si la proposition était rejetée. rent qui serpente au milieu des figuiers d'Inde
On pnVrède aujourd'hui par réquisitoires; le et des lauriers roses. Ces pcrcé-es sur le haut pays
mode seul est changé. sont toujours imprévues, pittoresques; t't c’est
Quant à la plaine de Locrcs, des monceaux de dans une de ces gorges qu’est bâtie en aniphi-
briques à demi réduits en poussière, des débris théàtie, sur un rocher nu et flanqué de préci-
informes, sans noms, méconnais.sablcs sont pices, cette bourgade de Geraci l’indigne héri-
, y ,

dispersés au hasard :
quel(|uc$ laniltcaux du mur tière de Locrcs. Lemont Asopus, qui n’est qu'un
d’enceinte sont encore visibles, et j’ai cru recon- pic isolé de la chaîne extrême de l’Aspromont, lu
naître les vestiges d’une porte tombée. protège à la fois et la menace à l’occident.
Mais je ne sus pas trouver ce que d’intrépides La tour ronde et crénelée de PagliapoU, l’une
ant iqtia res un t bra vemen t décoré dunomdetem-
i de celles que le roi D. Carlos avait fait élever
plcde Jupiter; non plus que les restes présumés contre les corsaires d’Afrique ,
termine la plaine
de ce fameux temple de Proserpine qui s’élevait du cêté de la mer; abandonnée aux corneilles, et
hors de la ville, et n'était qu’un autel en plein air déjà à demi ruinée , elle est d’un bel effet dans le
suivant la construction la plus anciennedes sanc- paysage venue de la Grèce , la vague d’Ionie se
:

Un .souterrain qui conduisait, dit-


tuaires païens. brise nu pied; et, sans respect pour les mânes
on des hauteurs à la mer existe encore sous le
, des demi-dieux couchés sous cette terre dont ils
nom de caverne de l'Empereur; c’est un récep- ignorent les grandeurs, les pâtres remplis.sent
tacle aujourd’hui de serpens et de Bohémiens. l'air
,
comme les Tritons, du cri de letir trompe
Arrachées des ruines et transportées dans la marine, et se plaisent à faire parler le célèbre
ville voisine de Gcraci , palladium des antiquités écho voisin de Condojani.
,

ITALIE PITTORESQUE.
Tantôt suivant la «lie, tantôt gagnant les hau- bon et splendide lit de soie ; le lendemain jo cou-

teurs, j'allcignis le fleuve Alaro, qui arrive à la chai sur le .sable. Surpris par la nuit sur les ma-

mer tout parfumé desorangersde ses rives. L'A- rines de Stilo, je vis de loin briller un feo. Je
laro est l'ancien Sngra , ce fleuve
classique où m'en approchai et trouvai là sous une tour en
ilix mille Locriens battirent ,
dit l’histoire ,
cent ruines une Inndc de Bohémiens qui bivouaquait
trente niilleCrotoniates, mais avec le secours bien et mangeait du maïs rôti. Aucun d'eux ne voulut

entendu des Dioscurcs, qui avaientun temple fa- me scrvirdeguidcjusqu'auvitl!^ voisin; maisil
meux sur celte plage , et qui eurent l'obligeance m'annoncèrent une taverne à un mille plus loin.
d'aller, le jour même, porterauxjeuxolympiqucs La scène était si pittoresque , si conforme aux
le bulletin de celte grande victoire. Lcchampdc vigoureux tableaux de Salvatôr Bosa , que jeaae
Intaille est converti aujourd’hui enunchampde .serais décidé bien volontiers à
y prendre un rôle
coton ;
et sans se douter le moins du monde du et à partager le souper de mais des 2ingares et

sacrilège, les honnêtes riverains fontdes terrines leur lit de feuilles; mais leurs habHiidesoaainim
et des pipes avec la poussière sanglante de leurs m’en dissuadèrent. Deux drôles déjà mesnniemt
ancêtres. mes habits d'un ceil de couvoitite , et il n'est pas
Deux colonnes de granit, reste probable du douteux qu'ils n'eussent profilé de mon Tnmmril
loinpledesDioscures, sont couchées sur le rivage. pour m’en dépouiller diarilableinent. Je mécon-
C'est là que florissait jadis la petite république tentai donc du plaisir artiste de la rencontre, et

de Caulonia. quoique la nuitfùlnoirc,jc.résolusdecoatiaiier


Celle longue marine , comme du reste toutes mon chemin et de gagner tant bien que mal la
les marines orientales de la Calabre, est frappée taverne annoncée. ;

de niaf aria et manque d'eaux vives. Les torrens Je ne le fis pas cepenihtel sans me retourner
dc.sccndus de l'Apennin charient des rochers et plusieurs fois, moins pour Voir si j'étais suivi ,
du limon au temps des crues hivernales ; elles que pourjouirdapiqaanlspectacledeoebivouao
croupissent l’été ,
et cette circonstance jointe à la sbakspearien ; je dis sliakspearién , càr il y avait
dépopulation ne fait que redoubler l’intcnsilcdu là des physionomiesqui n'auraient pasmal figuré

fléau, si même elle ne le produit pas. I| n'y a dans les fantastiques, luruyères d»j|fto£«tô. La

pas un village sur toute la plage , mais les collines scène s’effaça pou à tteudansl'âoigtteincal, et je
R cinq ou six milles de la mer en sont toutes peu- me retrouvai setd dans les ténèbres.
plées. La terreur des corsaires , dont ces côtes Mes Zingarcs ne m'avaient pastrompé :je trou-
lurent long-temps infestées, a forcé les babitans vai bien la taverne, mais elle éttit vide. Lacdle
à se réfugier sur les hauteurs; les inutiles forle- n'ciait pas encore assez purgée du mauvais air
rosscs de D. Carlos sont en ruine comme à Locrcs, (c'était au mois d’ocKbre) pour permettre ami
cl ne servait plus qu'à l'eflet pittoresque. babitans de descendre des hauteurs. Me voilà
l.a côte est sèche , déserte , sans même un co- donc seul sur la grève abandonnée, parunenuil
i;uillage çà et là d'abord verdissent bien quelques
:
froide , sombre et venteuse. Si paisiÙc et si line,
oasis; tantôt c'est unolivet, tantôt une figuerie, pidc le malin , la mer était noire et orageuse; le
ailleurs des mûriers ;
mais les arbres bientôt dis- vent du nord soulevait la vi^pie et m’on fouettait
paraissent ; de vastes et bruyantes plantationsde au visage les éclats bumides; le nuigisteinmDit
maïs coupées de quelques champs de coton les sourd et continu, des flots emplissait les ténèbrea,
remplacent pour faire place à leur tour à des et me causait parfois un frisson involontaire et
dunes de sable arides, clair-semées de maigres tout physique.
tonil'es de lentisques ; les montagnes du fond Au lieu de rester là exposé sansidéfenae an
sont hardiment découpées et richemmit hoisées. double outrage de la metf at du vent , j’auraw
La Mongiana, la pins célèbre-de toutes, a des bien poursuivi ma routa; Jel’^aayai même, mais
mines de fer en pleine activité; cl c'est non au vingtième pas je sentis lé sable s'afTaisser , je
loin, près du village aérien de Sonto-Stefano mis le pieddansrargileetprcsqiicdansun fleuve
<pi’est la famcusechartrcu.se du bois où vintmuu- (|iii entrait siloncieusenieiit dans la mer, cl que
rir saint Bruno. l'obscurité m'avait caché. Eifrayé du piTil, je njc
destiné par les vicissitudes du voyage à
J ’élais rejetaien arrière et revins sur mes paschcrcher
passer encore une nnit à la belle étoile. Hôte , la un refuge dans la taverne. Eu vain Iculai-jc
vciilcd'un baron du pays, j'avais couché dans un d’en fuira sauter la porte, jèn’y réussis pas; mais
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•Jmin mmi m IM lilüÉB'
,

CAL/ BRE. 23
en làlonuant dons l'ombre, je (rouvai à l'un Ju> à gué le fleuve perfide cl bien d’autres encore,
angles du bâtiment une petite cliapelle ouverte, parmi Icstiucls TAncinale est le plus large et le
dont je fis ma chambre à coucher. plus traître. 'Je côtoyai tout le jour les insigni-

J'étaisjusle sous le bourg de Stilo, ancien clià- fiantes marines de Guardavalle, SaiutcT^athc-
icau féodal, situé à quelques milles sur la mon- rinc,Vadolalo, contrée déserte, pauvre et dénuée
tage je ne le voyais point, mais je le savais là;
:
de tout, même de pain, même d'eau; je ne trou-
et ne pouvant dormir tant le vent qui s'engoul- vai l'un cl l'autre qu’après une diète rigoureuses
frait dans la chapelle était assourdissant , je me de trente heures, et une traite de trente milles,
iiiisàsonger, pour tuer le temps, à riiomas Cam- à Pali-Porlo, |)elilfort maritime sous lequel un
pimella, cct illustre dominicain dont Stilo fut la voit encore des vestiges de murs réticulaires.
patrie et la prison. Quitlantlàlesduncs et les grandes plantations
Hérétique à Rome prophète dans
,
scs mon- de mais battues du vent, j'entrai dans un pays
tagnes ,
politique et rêveur, astrologue et philo- plus riant, plus gracieux. J'escaladai les fraichits
sophe le moiue calabrais nourrissait dans son
,
montagnes de Gaspariua et de Metauro et in a- ,

ànie une haine inextinguible contre les Espa- cheminai vers Squillace à travers les bois et les
gnols, maîtres alors et tyrans des Dcux-Sicilcs vignes, parunc suilede sentiers délicieux. Rien
et il ourdit contre eux, du fond desan cloître sur toute la cèle n’égale aménité de ces monta-
I

obscur, une de ces conspirations gigantesques gnes. Couvertes de veixlurc jusqu’au sommet,
que le génie ardent et pot'tiquc des Italiens est elles sontcouronmx'sparun plateau champêtre,
seul cii|)ablc d'enfanter. Tous les moines de son arrosées de liclles eaux courantes, coupées de ra-
cou ven v en rcrent, et apreseux bcaueou p tl'au-
I t vins, et encadrées de tous côtés par un second
ircs. Frère Uenis Ponzk) , son ami , la prêcha étage de montagnes vertes. Au noixl s’élève le
dans la ville de Calanzaro avec un succès immen- mont de Tiriulo , riche en métaux au couchant :

•sc. La (àdabre tout entière s’y précipita d'en- ri’gnc le grand mont Palladin , belvixlèrc im-
thousiasme; un pacha d'Epirc devait l’assister; mense qui plane sur les deux mers. Les plu.s
deux faux frères la vendirent, et le vice-roi, lieau.x marbres de la (àilabrc se trouvent non
l.emos, la noya dans le sang des malryrs. loin de là , à Giinigliano.
Tous périrent dans les supplices. Ce |)oint est le plus étroit de toute la IVniu-
Campanella , fugitif, erra long-temps travesti sulc échancré d’un côté par le golfe que i>i|uil-
:

sur ces plaipts désertes, épiatit de loin la voile lacc liaptise , de. l'autre par le golfedeSainte-Eii-
ottomane qui devait le sauver ; elle arriva, mais phémic , le pied de la Ix'tlc se resserre là plus que
trop tard. Pris cl découvert par l’arinée espa- mille part ailleurs, et forme une espèce d'isthme
gnole ,
an giltetqu’cn feignant la
il n'écliap|ja qui, à vol d’oiseau, n’a pas dix milles. Les deux
dcnletice, comme le premier Rrntns il fut con- : golfes ne sont guère séparés que par la chaîne
damné à la prison perpétuelle. Après vingt-sept de l'Apennin ,
qui même s'adoucit. L'Apennin
ans de captivité , il s'enfuit et vint en France. est là beaucoup moins formidable qu'il ne l’est

Accueilli, pensionné par Richelieu, il mourut plus haut et plus bas.


il Paris dans le cloître Soint-IIonoré , l'année Toutes CCS campagnes sont ravissantes au- :

même oit, plus heureux que le Napolitain, le tant les marines sont mornes, sèclies, déchar-
Porliifpiis l’itito brisait la cbainc espagnole. nées, autant les hauteurs sont fraîches, rian-
Préoccupé de celte grande tragédie politique, tes, Imisées; la vigne s’y balance de chêne en
si élrangeiuent défigurée par l'historien Rolla, chêne, cl les figuiers s’ychargent de fruits deux
j’attendis lejour moins impatiemment. Sur le fois l’année. Le fleuve Galarcllo tombe en cas-
malin, la lune se leva. Les jeux d'ombre et de lu- cade dans les prairies; les casins cl lesmétairie.s
mière devinrent pour mon insomnie une dis- SC cachent à demi dans lc>s oliviers, et, dominée
I raclion nouvelle ; cl, qnillanl mon gîte, oîi lu bise de son vieux château nurninnd tout couvert de
m'avait saisi, je tne mis à vaguer aux alentours. lierre, la ville de Squillace ix;nd au rocher couina?
I.c paysage n'était pnsplus lienu au clairde lune une grappe au cep.
ipi’à la clarté du soleil. Les dunes étaient aussi Squillace est l'ancienne Scyllacée elle fut ; Ixi-

maigres et nues; et lamer, toujours noire et terri- tiepar L'iyssc, et sa médaille unique ixjrlc une
ble, n'avait pas cessé de bruire et de bouillonner. tètede Mcrcured’un côté , de l'autre une galère.
A aulx’, je partis déjà presque las. Je passai
1
Squillace est la patrie de Cassiodorc, l'ami de

Dioi... .. .O
24 ITALIE Pn TORESQIE.
Boi'cc ,
cl comme lui ,
minislrc du (jrand roi dT- spacieuse. Capitale de la seconde Calabre Llllé-

lalic ,
Thoodoric. A la chute de la monarchie des rieure, comme Reggio l'est de la première , elle
(jols, r.assiodore abandonna les afl'aircs, et se est moins lièrc de son titre que de son air pur et
rclini dans sa ville natale. Il
y fonda le couvent de ses bellesfemmes. Elle s'annonce de loin par
de S:in-I!ene<lcllo, et changea la rol)C de ministre d'as.sez joliscasins, où les hahitans viennent faire

contre la robe de moine: il avait alors soixante- la i-illrggiatura d'automne. On y arrive par une

dix ans ; il en vécu t encore vingt-cinq en religion, lage chaussée en zig-zag; mais c’est une ville in-
et mourut en .565. Ce fut sans conlretlit un des signifiante. sans architecture et .sans hospitalité.
plus grands hommes de son temps. Il ne reste de L'accent du jieuple, surtout chezies femmes, est
lui aucun monument dans sa patrie ;
le site même empreint d'une aspiration rude et désagréable.
du monastère fonde par lui est controverse. Citanzaro prétend avoir été fondée au neu-
De Squillacc à Calanzaro. chef-lieu de la pro- vième siècle par deux guerriers, Catlaroct/aro ;

vince, SC déroule au bord de la mer une plaine de là son nom. C'était un niélangcde Latins et de
assez insignifiante, mais enrichie d'une ruine du (irecscon.stitués en république. Le normand Ro-
plus haut style, reste de la ville problématique liertOui.scard s'en empara et en fit un comté. Il
de Palé-opolis , détruite par hypothèse au neu- ,
,
y introdui.sit en I07Ü la culture de la soie les ;

vième siècle parles Sarrazins. Quoiqu’il en soit,


.
juifs, ces grands missionnaires de l'industrie
la Uocella, c'est son nom, est une église chré- européenne au moyeu âge, y furent appelés &
tienne, vaste, au.stcre, grandiose, et qui, pour cette épique. La ville était franehe d impôts, et
être hatic eu simple hri(|ues rouges, n’eu est p.as parmi scs privilî-ges, elle citait avec orgueil une
pour le paysagiste d'une couleur moins chaude <‘spi'ce d'htJieas corpus en vertu diupicl un ci-

ni d’un effet moins piltores<pte. Quelques autres toyen ne pouvait être emprisonné avant la pu-
dt’-cond>rcssontdispersésà l'entour; les corneilles blication de sa cause. Cette pn'rogativc lui av.ait
ont envahi les autels de la Madone cl les niches été accordée en 1197 par le roi Frédéric. Dès-
des saints; cll(*s planent par grandes nut'cs sur lors elle suivit lcsdestiui’'csg<'néralcsdu l'oyaunic
le désc-rt , et ,
coniinc les .sanctuaires païens de de Naples.
I .ocres, le .sjinct liai rc ch rét ien de la Ifoccella n'en- Le pwmier monastère de capucins y date do
tend plus d'autres hymnes, plus d'autres canti- 1 5^0 :ce que ne manqua pisdc me d re, en me pré-
i

ques que les eroassi’nicns sauvajp^ de l'oLseau .sciitant le café, le père gardien du couvent ac-
prophétique méléau murmure des vagues. tuel; et il on lirait pour lui-même une gloire
Qui dit cortieilles dit olives , car elles en sont que je ne troublai point, car, contre l’usage, son
très friandes.Les oliviers en elTet ne tardent pas calé était excellent.
renaître et !i en vêtir la plaine. On en faisait
.'i A douze milles de Calanzaro, du coté deOo-
alors la récolte , et la campagne était jonclii’e de sonza,cst la petite ville monlagnardcdcTavcrna,

femmesqui faisaient l'ouvrage en chantant. Queh patrie du peintre Matlia l’rcii, dit le Calabrais.
qucs-iines étaient assez jolies, mais toulesétaient Né à une épique de dée.adence , il fut fidèle a la
l•rucllcIncnthrùléesdQsoleil,et la plupart vieillies tradition des maîtres, et continua le Giierchiu
avant l’âge. Leurcostuinecst piquant : leur lon- avec une supériorité qui a fait plus d'une fois

gue taille est coniplais.amment ceinte du corset confondre leurs ouvrages. l’reli est le |ireuiii r
vert ou noir et du jupon rouge, cl elles mettent peintre na|>olitain, au moins quant au dessin ; sn
par-des-siis tout une ample rolic noire, qu'elles teinte est un peu grise et mélancolique comme
nouent par-derrière ou ramènent par-dessus la celled'André del Sarto.
tète en forme de capuchon, eoiumcdans Paul et Quant sa vie, elle fut aventureuse et pleine
il

Virginie. D’autres portent une espèce de voile d'orages. I| voyagea licaueoup, tua en duel je
blanc rejeté en arrière. Quanlaiix hommes, leurs ne combien d'hommc.s, ce qui ne l'empVhn
sais
chapeau.x coniqiiesornés de (leurs, de rubans, et pas d’être nommé chevalier de Malte et comman-
leurs grands manteaux bru ns, drapés il l'espagno- deur de Syracuse. Il mourut fort dévotement à
le, leur donnent une physionomie assez originale. Malte dans la dernière année du xvii' siècle il :

La ville de Catanz-aro, distante de la mer de avait près de quatre-vingt-dix ans.


quatre ou cinq milles , est hi'ilie en diadème sur
trois collines au fond tl’une gorge profonde et CiunLEs Didier.

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—,
,

CALABRE. 25

Le Marquisatd’Isola. —Tour d'Anuibal. — Cotroue. — Temple de Junon. — Colonne de Pjthagoro. — Méliasa.


fditeiesse champêtre.— Campana. — La — llossano. — Conj’liano. — Svbaris. — Passage do PolUno.
Sila.
Tourmente. — Hospitalité. — Sortie de Calabre.

La roatc de Catanznro à Cotronc n'est ni belle blanc endormi à ses pieds. Ce paysage grisâtre et
ni varice. Elle suit une plage insalubre, ctcoupc calciné contraste fortement avec les hauts et
une suile de vallées étroites, parallèles, s’ou- frais Apennins de Saintc-Sévérine , qui enve-
vrant toutes sur la mer, et toutes traversées par loppent au couchant la presqu'île aride d’une
quelque torrent descendu de la Sila. Les grandes ceinture verte et boisée.
montagnes surgissent dans le lointain. Quelques hameaux sont juchés comme des
Aux vallées succède une plaine d'abord unie, nids d'aigle sur les premières crêtes, et quelques
puis raboteuse et sans intérêt ;
les basses collines tours de garde, dont la plupart tomhent en
ont quelques habitations; la côte est déserte, h ruines, se dressent çh cl là sur les marines. La
peine trouve-tK>n de loin eu loin quelques ta- première, après la Tacina, s’appelle Tourd’An-
vernes l'une d'elles s'appelle Broda, et on y a
: nibal : c’est là, dit une tradition locale, que
découvert une maison souterraine remplie de s'cmlKirqua grand capitaine, alors que pour
le

dépouilles précieuses , du temps probablement prix de son génie et de ses victoires, il dut quit-
des Sarrasins.'AuHlessus, et assez avant dans les ter l'Italie |X)ur l'exil.
montagnes , est située la ville de Beleastro, ber- A l’autre extrémité de la presqu’île est Co-
ceau de suint Thomas d Aquin. Plus haut en- tronc, autrefois Crotone, la cité de Pythagore,
core est un hameau qui a conservé le nom tout lacitédcMilon. Plus heureuse, moins peut-être
païen de Mont-dc-Jupiter. que Locrcs , elle a gardé son nom à peu-près et
A la Tacina , torrent large et indépendant ve- sa place au soleil. Mais qu’elle est déchue! Il est
nu de l’Apennin , commence la presqu'île d’Iso- triste pour une ville de n’être pas morte à pro-

la. Flanquée au nord par le mont Corvaro, au pos, et d'être condamnée à l’opprobre de traîner
sud par le mont de la Sibylle, elle s'épanouit dans dans la postérité, apres une si belle jeunesse
la mer Ionienne , en queue de dauphin on : une vieillesse infirme cl lionteuse.
l'appelle le Marquisat, du titre sans doute de C’est le cas de Colronc : si salubre autrefois
son ancien seigneur. que l’antiquité avait fait honneur à l’oracle d’A-
Le .Marquisat est tout craie. C’est une plaine pollon du choix d’un si bon site ,
elle est aujour-
ondulée, semée de collines d'argile que les d'hui malsaine et sifiévreuse qu’elle est à peine
pluies d’hiver détrempent nu point de faire du habitable l’été. Pour rassainir l’air, on entasse
pays une immense fondrière à engloutir che- encore pêle-mêle dans les églises les morts au mi-
vaux et cavaliers. C’est une nature inanimée, lieu des vivants. Son port va se comblant tous les
une nature morte pas une pierre, pas un ar-
: jours plus de galères républicaines, plus de tri-
;

bre; seulement quelques maigres plants d’oli- rèmes Irionqihalcs; il n’est plusaccessiblequ’aux
viers autour de deux ou trois maigres villages,
, felouques des calxjleurs qui viennent acheter à
jetés comme par ha.sard au centre de la pres- Cajtrone son blé et scs fromages , car à cela .se
qu'île. Isola, qui la baptise, est le moins chétif borne la moderne induslriccotronaise. Quelques
et le plus apparent. années encore, le port ne sera plus qu’un marais.
Lji côte continue à être déserte, et le désert De monuments, pas un; de Pythagore, bien
s’avance bien avant dans les terres : on y marche moins encore. En voiii même y chereherait-on,
des journées entières sans voir d’au très signes de je ne dis plus une âme comme le sage , mais un
vie que de longs serpents noirs qui rampent sur corps comme l’athlète. Les loups ne risquent rien
blanche cl desséchée, et quelques trou-
l’argile à descendre maintenant des montagnes. Milon
peaux gris qui broutent en silence une herbe avait les bras garrottés par le chêne homicide,
courtcct jaune; et si l’on rencontre de loin en loin scs enfants les ont, eux, par la fièvre, par la mi-
quelque figure humaine , c’est le visage sombre sère par la servitude qui énerve cl rend lâche.
,

et basanéd’un pi'itre, à demi bandit, qui joue de Mais à défaut des loups, les bandits descen-
la guitare, sit liachc à la ceinture et son chien dent él s’abattent impunément par nuées san-
XX. Italie pitt. (Calabre. -- 4* Liv.)

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,
,

26 ITALIE PITTORESQUE.
glantcs sur une proie si facile. Les anciens Cro- plations générales, il n'en reste pas moins, hé-

toniates conquéraient et ruinaient les cités d’au- las ! tristement vrai que les peuples font d’hor-
trui ,
les modernes G>(ronais n’ont Jamais su dé- ribles chutes ,
et que , pour sortir des abîmes où
fendre la leur elle est à qui la veut. Fortifiée
; ils tombent, ils passent par des routes bien obs-
pourtant, et réputée forte, sa réputation ne lui cures, bien longues, bien fangeuses!
a servi qu’à être prise et reprise par tout le La côte de Cotrone est triste et laide comme la
monde. Elle a passé par toutes les mains , même ville; elle est plate, nue, déserte; un grand ma-
par les mains des brigands , qui ne se sont pas rais l’infecte au nord; un fleuve bourbeux , le
fait faute de la piller en masse, et qui la pillent Nieto, la traverse un peu plus loin, et vient
tous les jours en détail. de son limon la mer Ionienne. Monotone-
salir
On n’a pas l’idée de leur audace ils enlèvent ; ment semée de blé jusqu’au fleuve, elle devient
les habitants riches dans leurs maisons de cam- après inculte, sans en devenir plus pittoresque.
pagne et jusque dans la ville, et ne les relâchent Sè’che et pierreuse elle a pour toute parure
,

qu’apres leur avoir extorqué, par le stylet, d’é- quelques buissons de Icntisques, et çà et là quel-
normes rançons. Un de mes amis fut arraché de ques chênes rabougris, tout déformés par les
son lit et emporté dans la Sila; sa liberté lui coûta vents. Las de tant de laideur , l’œil ne trouve h
plus de trois mille ducats. Un autre, c’était le SC reposer que sur un palmier
.solitaire planté à

filsd'un haron du pays , fut surpris à la |>orte la porte de la Mais si gracieuses que soient
ville.

même de la ville , et traîné aussi dans la Sila ; il scs poses, y a de la tristesse dans son isole-
il

vécut vingt-sept jours avec scs ravisseurs tlans les ment. Arraché , peut-être, de la presqu'île op-
bois formidables de Cariglioneet de Liiinpa relia. posée d'Otrante et déposé en Calabre par un
,

Pendant ce temps il se faisait entre les bandits et orage, il semble expatrié loin des siens, et là
lebaron un échange régulier de messagers ; et tout seul de sa race, attendre que les brises lui
ilen coûta au père, pour ravoir son fils, la apportent h travers les flots l’amour et la fécon-
somme exorbitante de 18,000 ducats (72,000 f.). dité. C’est l'image de Crotone, de l’Italie.

La chose m’a été racontée par le baron lui-njémc, I-a côte du midi n’est pas plus riante que celle

'tant son hôte à Cotrone. La santé de son fils du nord ; elle est plus triste encore , toute bor-
étaitruinée , sa nature avait été comme forcée dée qu’elle est de collines d’argile, sans grâce
par ces vingt-s<-pt jours de rude captivité. sans bois, sans herbe. Mais du moins les ruines
Les bandits sont au fait des fortunes privées, du temple de Junon Laeinie donnent à cette
et en tiennent un registre exact ;
ils taxent clia- grève aride un prestige dont l’autre est privée
eun suivant demandent que
ses ressources, et ne et la dédommagent amplement des rigueurs de
ce qu’ils savent pouvoir obtenir. Malheur aux cette nature marâtre.
Ungcntilàtreavare ayant refusé la
récalcitrants! un des sites les plus sévères et les plus
C’est
rançon de son fils son fils fut massacré dans la
, poétiques de toute la Calabre. Après avoir fran-

mont.agnc. Outre l’argent comptant, les bandits chi une colline de craie qui surpasse toutes les
exigent des habits et des armes. C’est ainsi qu’ils autres en laideur et en stérilité, on découvre tout
se firent donner par le baron cotronais je ne sais d’un coup un vaste plateau .solitaire, mélanco-
combien de pièces de velours et d’écarlalc. lique, nu comme tout le reste, mais d'autant
Ce n’est pas là le moindre fléau du pays; et le plus frappant qu'il est plus inattendu. Découpé
f;ouverncment ncsait rien faire pourl’en purger. en forme de triangle incliné , il appuie sa base
Certes Sybaris, cette antique victime de Cro- au mont Corvaro, et s’avance à angle aigu dans
touc, Sybaris est bien vengée et mieux vaut : la mer. Une colonne s’élève au bout du promon-

en perdu son nom, comme elle et


effet avoir toire et le baptise. Cette colonne est la dernière
comme que de l'avoir conservé comme
Lucres ,
du temple de Junon Laeinie.
Cotrone, pour le porter si mal. N'y aurait-il pas, Ce surnom de Laeinie, donné par l’antiquité
à voir cette honteuse décrépitude des n’publi- à l’épouse de Jupiter prouve que le brigandage
,

ques les plus flurissantesdc la Grande-Grèce, n’y n’est pas nouveau dans ces contrées. Au temps
aurait-il pasde quoi douter du progrès, de ce où Hercule, ce Don Quicliottc déifié des premiers
progrès qu’on espère et qu’on aime de quoi dé- ;
jours, ce père de la chevalerie errante, faisait
sespérer de l'homme et de rhumanité? Si, des son pèlerinage d’Europe en cou rcurd’aven tu res,
détails réfugiés dans l’ensemble, on parvjentà un fameux brigand , un géant sans doute, infes-
>c sauver de ces effrois partiels par les contem- tait ces plages. Il se nommait Lacinius. Conduit
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iTAn-AERiS

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,,,

CAL. B RE. 27
par son humeur vagabonde ,
le paladin nomade dans ce sanctuaire égal à tout ce que le
C’est ,

vint à passer par la Calabre , traînant à sa suite, culte ancien eut jamaisde plus magnifique, que
non point comme Médor une Angélique , ou le peintre Zeuxis d’Héraclée avait exposé à l'ad-
comme Roland une jument morte, mais comme miration des hommes son inimitable Junon.
un armailli suisse allant aux montagnes, un bel De tant de merveilles, de tant de prodiges, il
etbon troupeau de boeufs capturé sur un autre ne reste debout qu’une colonne elle est dorique :

géant fameux , Géryon d’Espagne. pur et du plus beau style. Composée de huit as-
Or, les bœufs d’Hcrcule tentèrent Lacinius qui sises canclécs, le fût a vingt pieds de haut ; le
les lui vola mais le voleur s'y prit si mal qu’il
: chapiteau est àdemi brisé. Quelques lambeaux de
fut découvert; la terrible massue lui fît expier murs réticulaires, c’est-à-dire postérieurs et tout
son larcin et le pays fut purgé de son brigan-
,
romains, sont dispersés à l’entour et marquent
dage. Aujourd’hui les I.aciniu8 sont ressuscités ; l’enceinte du temple. Le reste est renversé dans
seulement , plus audacieux , ils ne se contentent la mer et semé sur les écueils la vague la blan- ;

plus des troupeaux ,


ils enlèvent les hommes chit d’écume et se brise aux pieds de la co-
nous l’avons vu , jusque dans leur lit. La massue lonne.
vcngere.sse n’est plus là pour protéger la contrée. Quoiqu’il n'en ait plus qu’une , et ce n’est pas
Lacinius mort, son pieux vainqueur bâtit sur cap ne s'en appelle pas moins
celle d’or ma.ssif, le
le lieu du combat une cba pelle àla reinedes dieux, toujours cap des Colonnes, comme pour attester
sa patronne , sous le nom de Lacinic ;
comme qu’il y en eut beaucoup d’autres. Des vieillards
après lui , les chevaliers du moyen âge en bâti- de Cotronc prétendent en avoir vu deux.
rent tant à leur patronne la reine des anges, sous Ainsi , il a été dans les destinées du temple
tous les noms. Voilà la tradition ;
voilà comment Herculéen de baptiser deux fois ce promontoire :

le larron fut le parrain d’une déesse qui , à son une fois dans sa gloire, l’autre dans sa ruine.
tour, imposa .son surnom au promontoire. Le Mais si la forme antique est brisée, l’esprit

cap des Colonnes s’appelait dans l’antiquité cap qui l’animait n’est pas mort. Bâtie avec les dé-
Lacinien. combres du vieux temple païen et à ses côtés,
• Enrichie par la cha-
terreur ou l’amour ,
la nue église chrétienne a recueilli , sous le nom de
pelle primitive avait été bientôt remplacée par je ne sais plus qu’elle madone, la divinité errante
un temple auguste et somptueux. Le paganisme de ces parages, et l’oifre sous une forme nouvelle
est plein de ses miracles plein de ses richesses.
,
h l’adoration des matelots. Pas un marin jadis
Du seul produit des troupeaux sacrés, les prêtres n’eût doublé le cap Lacinien ,
sans se recomman-
du lieu avaient érigé une colonne d’or massif der, comme le fit Enée, h la patronne du lieu; ps
qu’Annibal n'osa pifs prendre , intimidé par un un marin aujourd’hui ne double le cap des Co-

songe, où la déesse indignée le menaça, s'il le lonnes sans faire des signes de croix et dire des
faisait , de le rendre aveugle , de borgne qu’il Jve. Sainte Marie ,
sainte Junon ,
c’est tout un
était déjà. pur ces peuples superstitieux ; les noms seuls
Entre autres prodiges, on parle d’un autel changent de siècle en siècle, et les enfants
placé dans le saint vestibule, dont jamais aucun prient ou priaient leurs pères.
vent ne pouvait emporter la cendre; et si un Quand à la plaine d’alentour, elle est inhabi-
homme gravait son nom sur les tuiles de mar- tée ;
quelques tours en ruine, quelques casins dc-
bre qui recouvraient le temple son nom s’effa- , labn\s la peuplent seuls. Ancien bois sacré de la
çait de lui-mème quand il mourait. Un censeur, déesse, elle n’a plus d’arbres. Les génisses sacrées
ayant fait transporter à Rome ces tuiles merveil- rentraient d’elles-
y paissaient sans berger, et
leuses pour en couvrir un temple de la Fortune, mêmes à l’clable, sans jamais, disait-on, être
il périt bientôt si misérablement, que sa mort tombées dans les embûches des larrons, ni des
fut regardée comme la juste vcngcanccdu sacri- loups. Aujourd’hui la^ïtre velu et farouclie des-
li^c, et le sénat ordonna , sans rire de repor- cendu de l’Apennin défend à peine de leursatta-
,

teren place le toit miraculeux .C’est par ces graves quesson maigre troupeau. Son chien férocectvi-
puérilités que. le clergé païen faisait affluer le gilant fait pourtant bonne garde il remplit le :

peuple dans ses temples dans ses coffres


et l’or pâturage de scs abois sourds et menaçants. •

habile en cela , comme bien d’autres, à exploiter Voilà ce qu’est devenu , sous la maindu temps,
au profit du ciel et du prêtre l’amour crédule et le sanctuaire et son bois sacré. Le site ne puvait
naïf du merveilleux. être ni plus désert ni plus agreste au temps

‘ 'loqlc
,,

38 ITALIE PITTORESQUE
d'Hercule. Ainsi la'naturc, comme l'honimc, fleuve alors était très-enflé par les pluies. Je U*
peut retourner à la barbarie. passai — c’est le pont du pays — sur un chariot
Le vulgaire appelle abusivement lu colonne, rustique tiré par des bœufs. Les bœufs s’ensa-
colonne de Pylhagore, et Je ne sais quelle tradi- du courant, et il y eut un mo-
blèrent au milieu
tion veut que l’école du sage ait été là. Cette er- ment d’inquiétude et de péril. Débarqué cnCn
reur, si c’en est une , est heureuse et poétique : heureusement à l’autre bord j’y fus accueilli ,

elle sourit à la pensée humaine, elle l'ennoblit, par un assez gros temps, et dus me réfugier quel-
elle la déifie; car au souvenir des dieux , elleas- ques milles plus loin dans la tour de Mélissa.
.socie le souvenir des grands hommes, et des deux Ancienne propriété des princes de Strongoli,
cultes n’en fait qu'un. Oui , le peuple a raison cette tour est censée une maison de plaisance,
et son erreur n’en est pas une. J’ai vu Pytbagore mais c’est une véritable forteresse avec fossés et
errer , dans sa robe blanche , autour des ruines ;
pont-levis. Telles sont les mœurs de cette âpre
je l'ai vu prendre les augures an montCorvaro; Calabre, que toute villa y est une citadelle, la
je l'ai vulantiits’asscoirau bord du promontoire, terreur des bandits faisant rentrer chacun dans
et l’œil au ciel,’s’énivrer de l'armonie des astres.
,
le droit naturel et barbare de défense indivi-
J’ai vu ses disciples l’entourer avec une rcligieu.se duelle. Ces mœurs sont si invétérées, qu’elles
vénération et l’écouter en silence du nombre ; ont passé dans la langue ,
et on nomme les ca-
était Milon l’athlète, Milon qui venait, le front sinsf^eje, défenses.
couronné de la palme olympique , humilier la Pour du droit social ces dé-
être en dehors ,

Ibrce devant la pensée, la niatièrcdcvant l’esprit. finies n’en sont pas moins poétiques à voir, et
Et le maître leur parlait des dieux; il leur di- leur effet dans le paysage, est frappant. La tour
,

sait que l’homme est sur terre pour les servir de Mélis.sa , en particulier est d’un aspect aus-
,

que si
([UC les servir c’est s'approcher d’eux, et tère , imposant bâtie au bord de la mer , dans
:

le doute énerve,blasphème égare et jette en


le un site sauvage, elle sc dresse là menaçante
démence il leur disait que le travail est une
;
comme un château féodal. Au-dessus, et sur les
conquête de l’homme sur la nature, et (]ue pen- moyennes bases du mont Macalla, s’élève la ville
ser est s’enrichir ;
il leur racontait scs voyages de Strongoli , la Pétilie de la Grande-Grèce.
chez les piètrcsderEgypte, chez les bnichmancs Le temps remis, je passai outreet suivis la côte
de l'Inde; ses longues veilles avec les pasteurs jusqu'au cap Alice, l’ancien promontoire de Cri-
sous les tentes de la Chaldée. Mais ce qu’il leur mise. Comme le promontoire Lacinien avait son
recommandait surtout et avant tout, c’était d’ai- temple de Junon , celui-ci avait son temple d'A-
mer leurs frères, de pratiquer les vertus civiles, pollon converti aujourd'hui comme l'autre ,
, ,

de vivre et mourir .sous la république, car sans en église.


liberté point de vertu , sans vertu point d’amour. Montantde là', à travers les oliviers, à la haute
Electrisés puissamment parcespnrolessaintes, bourgade de Ciro , patrie de Louis Lilio, l’un des
cnOammés par elles delà céleste ardeur des gran- réforntatcurs du calendrier, je m’enfonçai dans
des choses, les disciples toinlmicnt tout p.alpitauts les montagnes, car j'étais un peu las de la mo-
aux pieds du inaitre, ils l’adorajcnt comme un notonie des marines. Je gagnai tout d’abord , à
Dieu; et moi ,
faisant un triste retour de la Cro- travers les bois et les précipices d'Umbriatico, le
tone illustre à la Cotronc déchue, je me demandai village alpestre de Campana. Il parait que cette
avec amertume ; A quoi donc servent les grands partie de l'Apennin fut un
de refuge des lieu
hommes, puisque leur parole est si stérile, leurs OEuoiriens. On y déterre chaque jour quelque
leçons si peu suivies; puisque leurs desccmdanis dépouille antique. Tantôt c'e.st une urne, tantôt
recueillent le vice et l’ignorance où il ils avaient des fragments de briques un jour ce fut un Irc'?-
;

semé la science et la vertu; puisque l’auguste pa- pied, le lendemain une idole de Jupiter-Ton-
trimoine de l’intelligencect de l’amour se con- nanl. On voit encore à quelques milles non
, ,

vertit sur leurs tombeaux en héritage, de haine loin du village de Piétra-Paula, un mur dit C.y-
et d’opprobre. clopécn ,
attribué à Philoctèle.
Préoccupé de ces tristes doutes, je secouai la Bocchegliero , que je gagtiai ensuite , est à
poussière de Cotronc,et ne rêvant plus que Py- quelques lieues plus avant dans les montagues ;
lhagore et républiques dé'cliucs,jc poursuivis c'est un de ces hameaux désolésdont la Calabre est
mon voyagea travers la stérile plaine du Xiéto. peuplée. Je n’y trouvai que le cadavre du pro-
Descendu des plus hautes cimes de l’.Vpennin, le priétaire à qui j’étais recommandé, il était mort
,
.

CALABRE. 2»
le malin même. Ln nuire me recueilli l dans sa (pinlées par une ceinture de pics escarpés ; c'est

maison ; c'élail le syndic. Il me Gl les honneurs un monde à part ;


et les rares babitants de ces
du lieu avec une liospilulilé loule primilive. solitudes, pasteurs vêtus de peaux comme ceux
.Mais ce que je vis là de plus pittoresque c'est de la Sabine, ont conservé presiiue intacte la tra-

le tableau mouvant des femmes allant et venant De Strabon jusi|u'à nous, les
dition des ancêtres.
à la fontaine ; elles puisent l'eau dans de petits mœurs y ont peu changé la clièvre et le |)àlrc y ;

barils de bois qu'elles portent en équilibre sur la vivent dans la même intimilé qu'au temps d'Ho-
lète. Leur costume montagnard leur sied à mer- race.
veille. Elles Iressent leurs cheveux en natte cl Les sommets de la Sila sont en général décou-
|)orlcnt la robe orange et le corset vert. Leur verts ,
les flancs seuls et les hases sont tendus de
chemise est serrée au cou comme celle des châtaigniers, de chênes et de pins. Le sapin vé-
hommes; et leurs bas rouges, comme ceux des gète plus haut , à lu lisière des derniers frimas.
cardinaux , font un contraste singulier avec la La saison avancée pour me permettre
était trop

fange noire des cloaques appelés rues. d’explorer celte fois , à mon gré ces hautes de- ,

Ces Ggures chamiiétres descendaient et re- meures. La neige les rendait déjà impraticables
nionlaicnl le village d’un pas lent, mesuré et et je dus mécontenter des parties qu'elle lai.ssail

un peu ihéélral. Lesoisifs, car il


y en a partout,
dt^tuverles.
même dans les montagnes de la Calabre , les re- On moulait depuis plusieurs heures; un avait
gardaient passer et repasser sans leur alléjptr la quitté déjà la région des châtaigniers et des
peine. Drapés dans leurs manteaux en guenilles, chênes; avant de jK-nélrer dans celle des pins je
et leur Ggurc sinistre nmbragéeduchapcauconi- m'arrêtai pour regarder en arrière, et je décou-
ipic, ils devisaient et fumaient sur l'angle infor- vris sous mes pieds une immense perspective de
me cl raboteux du village, qu’ils appellent |)!ace. montagnes qui, de gradin en gradin, s'altais-
Le soir on se réunit chez mon hôte il avait : saient cl s'échclonnaicnl jusqu'au golfe île Ta-

sept Glles toutes jolies et quatre garçons tous forts rante. Je dominais toutes les cimes , et mes re-
et bien portants. Rassemblée autour du chêne gards SC penlaicnt au loin ilans l'immensité de la
embrasé (|ui bridait dans l'àtre , tonte cette splen- mer Ionienne. Il s'exhalait des buis et des piilu-
dide famille faisait fête à l’étranger. Une torche rages mille |>arfums agrestes ipii me rappelaient
de résine, luminaire classique du pays, é'clairait ceux des Alpes.
de sa llanime blanche et aromatique cette scène La caravane était nombreuse piquante je
et :

digne de la lente des |»triarches. me plaisais à la voir déGler à travers les arbres ;

Le lendemain je me joignis à une compagnie au vent des montagnes la


j'aimais à voir flotter
de frères .Mineurs ipii escortaient leur père pro- rolx;brune des Franciscains. On marchait en si-
vincial en tourné-e; je traversai avec eux les rc*- lence, et quand le chant des muletiers n'évcillail
gions septentrionales de la Sila. La Sila est un |ias les échus, les bois, les cieuxet les |)àlurages,
gnind plateau qui se dévclup|)c sur les crêtes de tout SC taisait dans la Sila.

, et nous
l'.Vliennindans une étendue de prèsde huit cents L'air était froid avions à passer de
milles carrés. La région ijuc les anciens, et no- loin en loin quelques champs de neige.
ta minent Strabon, appelaient Sila, était plus vaste Arrivés au fond d’un vallon très-étroit cl Irès-
du double. Elle était couverte de forêts impéné- omhragé, on s'arrêta nu liord d'un ruisseau et .

trables au sein desquelles végétaient, dans leur l'on fit sur Li mousse un repus cliampêlre. Tout à

état de barlxirie, les anciens Brutiens. conpdescriscides coups de fusils rclenlirent dans
La Sila tiiotlcriie est couverte aujourd'hui de la montagne. Nouscrûmesàiine surprise de ban-

ces casins forliGés, citadelles rustiques dont nous dits c'était une (;arde de milice urbaine qu'on
:

avons vu modèle à Mélissa. Quand rétoulfantc


le envoyailde Longobucoau-devant de père provin-
canicule darde sur les marines et y verse la fiè- cial.

vre, les habitants riches se réfugicnldansl'atmas- J'étais à chaque pas frappii de ces grands
phère pu rc et toujours fraîche de ces montagnes. mouvements de terrain qui déjà m’avaient tant
L’hiver y est terrible; la neige l'envahit dès frappé au Camivo-Ténèse et dans l'Aspromonl.

le mois d'octobre et s'y maintient jusqu'à la Gn C'élaicnt partout des précipices à lasser la vue
de mai. Les troupeaux montent en juin et des- des montagnes déchirées par les eaux, des ru-
cenduiil en novembre. chers entassés les uns sur les autres, comme
Ces vastes pelouses alpestres sont do tous côtés par la main des géants ; puis une végétation

C iO-;le
, t

30 ITALIE PITTORESQUE.
forte cl robuste s'emparait tle tous ces prtici- langue primitive deccs contrées tout helléniques.
piccs ,
de toutes ces ruines , comme si la na- Ijt marine de Ro.ssann est couverte d’tine forêt
ture voulait faire oublier ses propres nivages entrecoupée de blancs casinsd’un effet
d’oliviers,

|vir la splendide riebcssctlc scs forêts vierges. charmant. Mais rien n’égale la Iteaulédes marines
Nous vîmes en passant des mines d’argent et de Gtrigliano ce sont les plus riantes, .sans con-
:

(le plomb ns.scz mal exploitées et d'un rapport as- tredit , de la Calabre orientale ,
c’est la terre des
sez ehétif. Ce qui m’intéressa plustpie les mines Hespérides : les citronniers cl les orangers y vé-
elles-mêmes, ce fut un .Vnglais qui en est le di- gètent en si grande alxindance, ils exhalent des
recteur, eltpii vit Ih dans une solitude proibnde, parfums si suaves, et le ciel d'ailleurs est doux,
si

cl d'autant plus profondequ’il ne sait pas un mol l'air si tiè-de la mer d’un si beau bleu ,
,
qu'on se
d'it.alicn. C’est une grande figure froide cl im- croit là dans un de ces jardins morcstpiesdonl les

pssiblc de six pieds au moins, cl nous le trou- poètes espagnols nous ont tant parlé. La ville
vâmes occupe’, comme Acbille, à rôtir un che- même ajoute au pittoresque; elle est bâtie sur
vreau. Il tountait la bnx-lie avec une infatigitble les hauteurs, avec une irréfpilarilé tout-à-fait
constance; et, quoique bêrétùpie, il reçut, d’un artiste , et enrichie d’un aqiuxluc à deux rangs
front placide et imperturbable, le Iwiserde paix d’arches ,
qui joint deux monlajpics ,
et dont In

(lu rt’vênaid père provincial. Il fil par gestes, à teinte rougeâtre contraste avec le gris des oli-
la caravane, les honneurs de sa mine avec un viers cl le vert luisant des orangers. 's

aplomb tout britannique, et revint h son che- Après une nouvelle percée dans l’Apennin et
vreau quand nous partîmes. une excursion chez les Albanais de Sau-I)émé-
De là à I.ongobuco la descente est de plus trio cl de Sainte-Sophie , dont le récit est ail-
d'une heure ,
c’est un précipice plutôt qu’un leurs ', je redescendis une troisième fois au Itorxl
sentier. Longobuco est un mauvais Ixrurg jeté de la mer, cl me retrouvai dans la plaine hu-
là comme au fond d’un puits. Commandé par de mide et marécageuse oii fut Sybaris. Ruinée de
hautes cimes ,
il ne voit le soleil que cinq ou six fond en comble par Crotolic ,
la voluptueu.se
heures, le re.ste du jour il est plongé dans un cité ,
nous l'avons déjà vu ,
n'a pas laissé d elle
humide cl froid cix’pusculc. L eau dt'goulle de une pierre, pas même un nom ;
le Cratis a Iwlaye
tous les rochers d’alentour, et un torrent lioueux, scs ruines, cl le sol qu’elle chargeait de ses bos-
le Macraseioloroule au milieu de la vidlt'C , et
,
quets cl de seslxnidoirs est converti en un grand
.souvent la submerge. Imis malsain, aba ndonné aux renards, aux buifles
Nous reçûmes du Ixmrg un accueil royal : et aux loups. Un casin de la plaine porte le nom
toutes les cloches sonnaient ,
cl des salves d’allé- de l’olinara : il n’en faut pas davantage aux an-
jpvsse faisaient retentir les ê’chos. Les gros lion- tiquaires municipaux, pour voir là les tracesd'un
nclsdc l'endroit vinrent au-devant de nous, cl temple d’A|X(llon. C’est là le seul vestige, cl quel
l’objet de tous ces honneurs , le révérend pro- vestige! de l'antiquité sylwritc.
vincial , les recevait avec une vanité modeste et Une colonne deixjut encore, à une lieue de là,

une orgueilleuse componction. 1 j\ caravane alla sur une colline, marque le site oit fut Tburium,
on chanta le Te Deum , on ren-
droit à l'église; colonie athénienne qui remplaça Sybaris ,
et

ditgrâce à Dieu de riicureu.se arrivée; cl moi qu’immortalisa la présence d'Hérodote.


fatigué de toutes ces tumultueuses ferveurs, je Je montai de Syliaris à Cas.sano, petite ville
me réfugiai et me lins clos dans une cellule du Isitie sur un sol caverneux cl percé de gi-olics.

couvent. Les femmes de Cassano passent [H>ur être fé-


.\pri’S plusieurs jours passés dans ces monta- condes; elles ont jusqu'à vingt , vingt-deux en-

gnes, je rcdcsccndisaux marines par le large lit fants. Quand j'étais la on parlait d'une couche
(lu Trionto, cl débarquai à Rossano dans une jumeaux avaient reçu le baptême,
triple; les trois

sale taverne qui avait hélxirgé l'année d’avant mais ils avaient peu survécu.

l'ex-roi de Sut-dc. Ro.s.sano est une ville «nsigni- Le costume des femmes du pays , quoiqu'en
fianlc; mais un fait historique remarquable, c’est général conforme à celui des autres (’ailabraises,
(ju'on y parla grec jusqu’au xxi* siècle. a un détail qui lui est propre ce sont de larges ;

Il V a près de Reggio une attire ville oit on ninncbcs de velours brodê-es en or cl attachées
le parle encore aujourd’hui c'est Rova, i><;lile : par derrière nu corset. Les femmes mariées se
ville située aux extrêmes plages du cap Sparti- distinguent des autres en entrelaçant leurs ehe-
venlo. On veut (|uc ce soient des restes de la * ftrtme dfs Deux- Mondes jnillet tftài.

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A IL A M
I3i ifi

ÜCrCA XMPRItlAl^K.

nMtrftTT*'* CHATHAV MBLU:2A.

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CALABRE. 31
veux tic rubans rouges et les tressant tout autour nus, de l’autre par les flancs boisés du Pollino.
tic la lête. U n pâle soleil d'automne semait de taches blan-
Le moment était venu pour moi de quitter la ches et livides cet espace inculte et décoloré ces :

Calabre; deux routes s’on’raicnt;cellcdelact5lc, teintes blafardes même s’effacèrent; le soleil se


pur Koseto et Rocca Impériale, premier village voila tout-à-fait, et un vent âpre se leva il l>a- :

de la Basilicatc ; l'autre à travers le mont Pollino : layait lesmontagnes , et les nuages passaient en
je choisis la dernière. sifflant sur ma tête; les noirs sapins qui couvrent

Une suite de petits sentiers charmants me con- comme un voilededeuil les cscarpementsdu Pol-
duisit de Cassano au village deCivita. C’est une lino, étaient à demi couverts de neige; battus
colonie albanaise : elle suit encore le rit grec, par la tourmente, ils remplissaient l’air d'une
et, sur dix prêtres, trois sont mariés. J’ai trouvé harmonie lugubre, comme celle des vaguesd’une
chez eux beaucoup d'hospitalité et beaucoup d'i- mer orageuse , et les torrents d’hiver, enflés par
gnorance ils ne doutent pas, par exemple, que ce
; les pluies, tombaient en mugissant au fond des

ne soit Rousseau qui ait l'onde le protestantisme ravines.


à Genève; car ks noms de Genève et de Jean- Le ciel devenait de plus en plus mcna;;ant

Jacques ont pénétré jusque dans ces lointaines tout présageait un déluge d’eau , et dans cette
montagnes. C’était undimanclre; la population, vaste et morne étendue, je ne découvrais pas un
en habit de fête , était réunie devant l'église. Les toit où m’abriter, pas une^auvre hutte de pâtre,
l'emmcs ont conservé beaucoup de choses (M cos- pas un signe d’homme. Le sentier même me man-
tume primitif, et elles mettent un certain luxe qua : j’en prisun autre .au Imsard, et je perdis
de coquetterie villageoise dans leurs rohes plis- ma route. Une nouvelle vallée s’ouvrit sous mes
sées et leur voile rouge anient. pieds, mais l’épais brouillard m’était toute possi-
L’asftect du pays est sévère une longue crête : bilité de m’orienter. Il [louvait être midi , et il
de rochers sans verdure, et déchirée par les tor- faisait presque nuit.
rents, menace éternellement de leurs ruines le Quelques troncs fracassés entravaient l’altumi-
village assis au bas. La Pictra-di-Demanio, qui nablc précipice où je m’étais lancé. Jedescendais
esten face, n’est qu’un roc vif, gigantesque, taillé avec une elTrayanlc rapidité, m’efforçant de ga-
presque à pio; le torreut Raganello se fraie pé- gner l’orage en vitesse. Tout à coup je crus en-
niblement et bruyamment au pied un étroit pas- tendre au-dessous de moi , et bien loin au fond
sage. Les feux du pâtre, suspendus, la nuit, h de la valk'x: , les cris de chasseurs invisibles ; j’é-
scsdlancs, font un étrange effet dans les ténèbres. coutai , les cris se perdirent dans les abîmes.
C’était une froide matinée de novembre; j’at- Le tonnerre grondait et s’approchait , répété
taquai, par un temps brumeux, les premières d’réhos en échos. Seul au sein de cette nature
hauteurs du Pollino. Le Pollino est le Ixtulevard formidable , je ne voyais rien autour de moi que
et le mont le plus élevé de la Calabre il atteint ; des pierres détaehées des montagnes ,
et 'des

onze cents toises. Les régions supérieures sont troncs dépouillésou foudroyés ; tout le reste était
occuprés par de vastes plaines, sorte de sila, couvert par le brouillard. Enfin je rencontrai
riche en excellents pâturages et en plantes rares. un petit pâtre qui m’annonça un village à deux
L’été, elles sont couvertes de troupeaux; mais lieues plus loin; je le découvris bientôt moi-
ils redescendent aux marines dès le mois d’octo- même : c’était San-Lorcnzo-lJelizia ,
hameau
hrt!; et ces lieux si frais, si rechercliés aux temps chétif bâti sur le revers de la montagne opposée;
des ehalcnrs, sont abandonnés six mois de l’anncc mais, long-temps suspendu , l’orage l'elata avec
à la solitude, aux frimas, aux tourmentes. rafp! avant que j’eusse atteint le gîte; et j’arrivai
De grands nuages noirs m’enveloppaient, et, dansce misérable refugc,inondc, sanschaussurc
comme les dieux d Homère, je marchais dans les et assourdi par les éclats incessantsde la foudre.
nuées. Si quelque coup de vent les déchirait, je Epuisé par une marche continue de dix heu-
UC découvrais que le formidable précipice de res, j’allai droit chez le syndic afin d’en obtenir
Raganello sous mes pieds, et, sur ma tête, les un logement. Je lui présentai mon passe-port,
soiubrcsescarpcmcntsdelaRasa.Uu point le plus mais il ne savait pas lirc; il fallut recourir à iin

élevé du .sentier, je plongeai tout ii coup sur le tiers. Cela fait, le syndic, qui n’était qu'un pay-
plan de Férolito, vaste plateau découvert, iné- san m’envoya Iqjer chez un fermier (massaru),
,

gal, creusé en tous sens de ravines profondes, où je passai la soirée à me sécher au coindu feu.
et bordé d'un coté
, ,
par une chaîne de rodiers Je n’y trouvai p<mr souper que du gros pain noir
32 ITALIE PITTORESQIE.
et une sale paillasse pour lit la fatigue de la : verte aux conjectures! Enveloppés de leurs pe-
journée méritait mieux. sants mantcanxde poildc chèvre, Icshabitantsar-
Réveillé par l'orage et la pluie qui tombait h rivaientùla file, à travers des torrentsd’eau , dans
verse , je me retranchai, comme la veille au coin ,
un pied de boue, et ils faisaient cercle autour de
du feu ,
objet de la curiosité importune de toute moi. L’un, qui avait été soldat, me racontait ses
la famille.La vue de tout ce qui m’entourait aventures; un autre m'apportait, pour me dis-
m'inspiraitle dégoût. Le mot de fermier entraîne traire, quelque |>oudrrux Imuquin de lu biblio-
ebez nous l’idée d’aisance et de bien-être cbam- thèque de son bisaïeul. Les filles même cédaient
pêtre; il n’en est pas ainsi en Calabre, où le fer- à la tentation générale ; elles se glissaient timide-
mier vit dans une sale misère , dénué des clioscs ment sous du prêtre et fixaient sur moi
le toit

même de première nécessité un manœuvre, : leurs grands yeux noirs pleins d’étonnement.
ebez nous mène une meilleure vie.
,
Ia:urs haillons cachaient souvent des formesqui
11 pleuvait par torrents, le vent ébranlait le toit, n’i'taient ni .sans grâce ni sans élégance.
sifflant et gémissant à travers les fenêtres et les Le suppléant du juge me fit aussi sa visite. Il
portes mal jointes; silencieusement assis au coin cominenra jur les questions du magistrat et finit
de l’àtrc rustique ,
je tombai dans la tristesse et par <les offres plus dignes de Mercure que de
fus pris d’un de ces accès d’ennui profond de ,
riiémis. Mais le visiteur le plus assidu était le
découragement mélancoliquedon t le voyage n’est maître d'école, personnage influent du lieu cl
pas exempt, surtout un voyage solitaire. typt^es magisters de village et la journéa- se ;

Perdu si loin des miens dans ces rudes con- passait à deviser , à jouer ù la mourre , à tourner
trées, au sein de ces populations incultes et fa- sur les brai.ses, comme l’.Vnglais de Longobiico,
rouches je tremblais d’y être retenu des siècles
,
la vieille ép^'a: ronilléa" qui servait de broche.
par la saison des pluies. M’envolant par la pensée Le mauvais temps prolongea cette vie [Kitriar-
vers les amis que j’avais quittés , et songeant aux cale plus que je n'aurais voulu, car j’avais hâte
charmes de ces intimités dont je m'étais privé de sortir an plus têtdc ces Apres montagnes, avant
moi-même ,
je regrettais amèrement les douceurs que la neige m’y enfermât toul-ù-fait.
et les affectueuses habitudes de la vie sociale; je L hospitalité de mon prêtre ne sc démentait
me reprochais d’avoir brisé tout cela et d’avoir pas; et , la longueur de ma réclusion sollicilani
cédé à CCS instincts nomades qui, depuis trois sa confiance, iL’passa de propos oiseux aux eon-
lonjpics années , me promenaient de privations fidcnccsdc l’intimité.
en privations, de périls en périls. Il est naturel de penser qu'on laisse les pau-

L’homme est ainsi fait que ces résolutions les vres habitants de ces montagnes lutter en paix
plus fermes lui pèsent, etqu’il se repentde la per- contre une nature si ingrate, et qu’ils sont ou-
sévérance. Mais ces moments étaient rares; un bliés de la |>oliec; il n’en est rien eependant Ic.s :

lieau soleil, un beau


site, la découverte d’une cent yeux du malfai.sant Argus sont ouverts .«nr
vertu ignorée conquête d’une idée nouvelle,
,
la les retraites les plus sauvages, les plus ignoré-c.s;
suflisaicnt toujours pourme ranimer, et me ren- et le hideux fantôme s’assied an seuil des plus
daient tout entier aux joies variées et toujours hnnd)les chaumières pour y scruter les con-
nouvelles du voyage. sciences; il n’est pas jusqu’à mon hôte, nature

J'étais livré à ces tristes récriminations lors- toute candide, toute dévouée, qui n’eùt souffert
iju'un prêtre entra. Revenu de sa première sur- des (tersé-cutions. Il était soupçonné de carlxnia-
prise, il s’indigna du gite immonde où l’on m’a- risme, et la police vcilLiil sur lui. Or. cette cir-
vait relégué, et il m’emmena chez lui. Cet homme constance donnait un nouveau prix à son hosjn-
n’avoit qu’un lit, et il s’obstina, tant que la pluie talité, puisqu’il ne l’exerçait |tassans péril.
me retint dans sa maison , à coucher sur une Enfin la pluie cessa, le soleil fit une percré :

planche nue, afin de me le céder tout entier , ù j’en profitai; faisant un adieu cordial et recon-
moi voyageur inconnu , presque suspect , tom-
, naissant à ces dernières chaumières cidabraises
bé chez lui du ciel, et que le hasard seul avait et à ces braves montagnards , les derniers dont
oITcrt à son hospitalité, (jucl est l’homme parmi je dusse éprouver l’hospitalité je partis. ,

nous qui en eût fait autant? Quelipics heures pins tard j'avais cessé de
-V peine le bruit de mon arrivée s’était-il ré- fouler le sol de la Calabre et franchi le torrent
pandu dansie village, que chacun voulut me voir. qui la sépare de la Uasilicate.
(Juclle nouveauté quelle carrière immense ou-
! CiixiiLEs Didier.
, , •

BASILICATA. 53

Situation. — Panique. — Noya. — Cltaîne Je Carbonari. — As|K*ct générât — Bois sacré (THéracIi-e. «1rs Ntariiiea.

— Talées intéraclée. — Tables de Pytbagore. — Anglona. — Intérieur. — .Architecture. — ('oslume.


Policoro.
Antiquités. — Vases d^Anzi. — Poteuza. — Avigliann. — Cliàtcan Ijgopcsalo. — La'geudc. — Bionero. — «le

Inhospitalité.— Moût Vulture. — — \ éuose. — Statue dTlorace. — Matéra. — Mcntcscaglioso. — Con-


Mellà.

cubines ecclésiastiques. — Torre di — Chasse noctttrnc. — Tables Paladines. —


.Mare. — Passago =
.Méta|>onte.
du Bradauo.

La Basilicala est ruiicieiine Lucanie ; elle est le désert autour de moi comme une bêle malfai-
située entre les Pouilles ,
les Calubtcs et les deux sante. Pourtant je iTélais pas bien formidable
Priuci|>autés Ultérieure et CItéricui e ;
à l’orient, car j’étais seul
,
et je n'avais pas même à la main

elle a pour borne le golfe de Tarcnte. A l’excep- un bâton de voyage. Mais l’imagination de ces
tioii de celte ligne de côtes ,
qui n’a pas xitigt campagnards était frappée ; j’étais pour eux un
milles et qui est en plaine ,
c’est un pays monta- esprit malin , un sorcier... qui sait même si ma
gneux et boisé. Naples n’a pas de province plus botte ne cachait pas le pied noir et fourchu de
sauvage ;
privée do routes, elle est habitée par Celzébuth !

une population inculte, farouche, ctptesquc satis C’est ainsi que je fis mon entrée en Basilicala.
communications avec ses voisins. Ses voisins, d’ail- Elle n’est p.is brillante ;
mais , hélas ! j’étais des-
leurs , en parlent fort mal et ne manquent jamais , tiné à en essuyer bien d’autres pendant les six
,

de jouer sur le mot de Basilis(|ue liasilisco , longues semaines passées dans ce rude pays.
qui signifie en italien un babilant de la Busi- De Terra Nova je m’acheminai donc au hasard,
licata et un basilic. Les voyageurs évitent celte
puisque personne n’avait voulu m’indiquer la
terre inhospitalière; le gouvcir.cment lui-méme route, vers les colonies albanaises de San Costan-
semble l’oublier aussi est-elle presque
inconnue
;
tino et de Casai Nuovo, Tune et Tautre juchées
de l’F.urope et même de l’Italie. Elle s’en venge comme des nids d’autours au sommet des mor]-
bien , et elle ignore aussi profondément l’une et tagnes. J’ai parlé ailleurs (l) de ces colonies je
;
l’autre qu’elle en est ellc-meme ignorée. n’ai pas à
y revenir ici.
La pre^sencc d’un voyageur dans la Basilicala C’était au mois de novembre : il neigeait et il

est une chose si inouïe, que sa vue met en fuite


faisait un froid vraiment alpestre. Un infernal
les populations c’est ce qui m’arriva. Lorsque
;
sentier, ou plutôt une ravine , me conduisit des
j’y entrai de Calabre ,
après avoir quitté mon villages albanais Noya , bourg autrefois assez

prêtre hospitalier de San Lorenzo-Belizia, je lom-


considérable, réduit aujourd’hui .à la plus sale,
l>ai dans un sale petit hameau , nommé Terra
k la plus misérable bicoque que j’eusse vue do
Nova. Je doutais du chemin je le demandai à :
long-temps, et vu Ireaucoup du
pourtant j’en ai
un vieux paysan, qui, pour toute réponse, s’en- genre. Le goitre difforme y défigure les femme?,
fuit épouvanté ; il se précipila dans son bouge
et drapés dans leurs manteaux bleus tout râpés
comme un loup dans son antre, et je l’enlendis les hommes ont l’air de vrais b.vndits.
qui s’y barricadait. Je m’adressai alors à une
'l’out cela est niché sur des hauteurs d’argile
troupe d’enfans de dix a douze ans, qui jouaient
coupées ,à angle droit et percées de cavernes ha-
ou plutôt pataugeaient dans la boue. Ce fut bien
bitées. Ces cavernes, du reste, ne sont pas les
autre chose La bande se dispersa en un clin d œil
!
pires habitations du lieu les maisons de la ville :

avec un effroi comique, et un des fuyards que


ne sont guère plus splendides. Quatre murs cre-
je retins de force, pour me servir de guide, par
vassés perrés de trous pour fenêtres, en font les
,
un lambeau de chemise qui le couvrait, ou plu-
frais; le dedans répond au dehors. Indé'pcndam-
tôt ne le couvrait pus, pous.-a des ciis si alliéux
ment de tous les autres inconvéniens que je tais
qu'il me fallut le lâcher.
et qu’on devine ,
on v c»t aveuglé par la fumée ;
Je donc seul au milieu du village
resi.ii sans ,
la cheminée est un meuble trop civilisé pour être
pouvoir oblenir aucun renseignement. Portes et
fenêtres se fermaient à mon approche ; je créais (t) AtvHC tics Deux âfoHilcs ,
juillet 1831.

ivi. Itziie mr. UASILI JATA. li

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,

5+ ITALIE PITTORESQUE.
caniiuv là. La plupart des m.’iisoiis du la province l’Apennin, elles sont coupées de cinq fleuves des-
sont tailircs sur ce patron délicat. cendus dcsmontagiies à travers d’étroites vallées.
De ^Oya je pris la route des Marines ,
conli- C'est dans ces plaines qvie Horissaient jadis deux
nuiint à mettre tout le monde en fuite sur mon des plus illustres cités de la GrandeGrèce, Héra-
passage. Attila du village ,
j'exerçais ,
hélas ! liicn clée, berceau de Zeuxis, etMétapontc, tombeau de
innocemment une ,
véritable terreur. Mais la roue Pylbagore. Les deux cités ont disparu ;
quelques
tourna ,
et les rôles changèrent. Las de la terre tours, quelques fermes isolées , animent seuls au-
glaise où j’enfonçais jusqu'à la cheville
,
j’étais jourd'hui ces mélancoliques solitudes.
entré avec bonheur dans un beau bois de chênes, Le premier fleuve qui me le passage fut le barra
Bosco Finocchio , et j’y marchais dans une pro- Sinno, l'ancien Syris; jele passai sur un chariot
fonde solitude depuis une heure environ ,
lors- attelé de bufllcs ce sont les ponts du pays et, le
, :

qu’un Irruit de chaînes et de voix me vint frap- fleure franchi, je me trouvai comme par enchan-
les arbres. C’était une bande
fnr l'oreille à traVcTS tement au milieu d’une foret déjà célèbre dans
do prisonniers politiques conduits , je ne sais dans l'antiquilcet consacrécaux dieux. Il y règne encore
qnel cachot , par une escouade de gendarmerie. aujourd'hui un silence, un mystère qui invite au
Je donnai en passant quelques paroles de recueillement et jette Pâme en de saintes rêve-
consolation cl quelque aumône aux carbonari ; ries. Ce bois vraiment sacré a conservé je n«
quel crime abominable Los gendarmes pour !
,
sais quoi de primitif qui re|>orte involontairement
SCO venger, me demandèrent mon passeport. Le la pensée aux jours antérieurs de l'humanité.
coup portait juste , car j’avais négligé de le faire Des chênes séculaires, j’ai presque dit druidiques,
viser par je ne sais quelle roicrobeopique autorité s’élancent comme des géans du milieu des len-
campagnarde) cl il n’en fallait pas davantage pour lisqucs et des fougères, et s’arrondissent en dômes,
me donner place à la chaîne , ou du moins me en coupoles dignes par leur hardiesse des plus
Ihire rebrousser chemin. Par Ixinlieur le maré- hautes cathédrales du moyen âge. Le lierre, la
diaUdes-logis ne savait pas lire. 11 prit mon passe- vigne, des lianes légères, sc suspendent anx bras
)K)rl à rebours ,
et le parcourut long-lcmps des vigoureux de ces rois des forêts ; ils serpentent
yeux d’un air important -, puis il le replia avec de un à l aulre, et, agités par le vent, ils forment
l

la même solennité ,
et me le rendit en disant ; des festons aériens pleins de grâce et d’élégance.
F in régala. Lu grenadier et des arbres fruitiers, derniers
Mais il se ravisa. Ma solitude lui parut par trop vestiges des jardins d'Héraclée ,
revenus à l'étal

suspecte; à moins d être un émissaire politique, sauvage, décorent à l'eiiri ce sanctoaire aban-
vient-on dans ces montagnes? Il me rappela, et, donné aux sangliers ,
aux daims
au timide écu- et

celte fois-ci, un tan que je lui glissai dans la main reuil. Je marchai à pas lents, de peur de le quiltet

lui ferma les yeux. Kous nous séparâmes. Je con- trop tôt, aa sein de cet élyséeque l'automne em-
tinuai ma route vers les .Marines ;
et irainaiil bellissait encore de scs teintes chaudes et riches.

leurs cbaiues sur les roclicrs et les feuilles mortes Le bruit de mes pas dans les feuilles mortes en
dont le bois était jonché, les martyrs ,
pressen- troublait seul le silence, et en chassait devant
tant bien que j’étais un des leurs , me saluèrent moi les hôtes paisibles. A'ulle habitation, pas
lung-teiups de ki voix et du geste. Kientùt ils se une trace d homme.
perdirent dans l’éloignement; je ne vis, je n'en- Tont-à-coup je vis poindre au milieu d'une clai-
tendis plus rien ;
je restai seul. rière un IxUimenI de bois l>as et grossier : c'était
Le vent d'automne secouait les arbres et ache- une étable de buffles, une Buffalmia. J'y entrai
vait de les dépouiller de leur cheveinre jaunie. malgré les menaces retentissantes des mulo.sses qui
Long-temps fermé, l’horizon s’ouvrit. Au sortir en avaient la garde et m'en disputaient l'enlrée. Je
du buis , ma vue plongea sur les vastes plaines so- trouvai là une dizaine de pâtres sauvages, vêtus
litaires qui bordent la côte et sur les Huts bleus de |)eanx contme les Lestrigons et aussi farouches
et agités du golfe de Tareiile. Quelques voiles qu eux; ils étaient accroupis ou couchés en rond
étincelaient bien loin au soleil couchant. Le coup autour d'un feu de paille (|iii llumbovait au milieu
d’a-il est magique; et je n’ai vu nulle part en Ita- de l'étable. Ils ne sc déiangèrcnt [toiiit à mon
lie ,
pas niéine en Sicile ,
des marines aussi belles, approcho : ils ne m'adressèrent pas une parole ;

aussi gracieuses. Déployées comme un laigc ru- ils jetaient sur moi des regards étonnés et mé-
ban vert entra la aacr et lea dernières liauteurs de (lans. Ca'|K'ndanl on me fit place au coin de l'àtre;
, ,

üasilicata. lîiS

et l’un d'eux, moins inhospiulirf que les autres, Mais le site est ravissant ;
c’irst un liclvcdère

parce qu Abruzxais et pas basilisque,


il était naturel d’où l’on domine toutes les marines de
m'apporta dans une écuelle de bois du laitaf*e de la Basilicata jusqu’à la Fouille, tout le golfe de
bulTalesse , huffalessa : pour du pain , il n y en Tarente, et Tarente elle-même, qui brille au loin,
avait pas. Tout cela se lit en silence ,
sans que nouvelle Venise, comme un nénuphar éclos du
j'eusse rien demandé ,
et avec une gravité singu- sein de l’onde. A droite, coule le Sinno ;à gauche,
lière. Quand je fus réchauffé, je partiscomraej'é- le fleuve Agri ;
plus loin, la Salandrelle; derrière,
tais arrivé, sans que la conversation se fut engagée. la ville de 'Tursi au flanc de riantes col-
,
assise

Plus de deux cents bubles erraient autour de lines se cache à demi nu milieu des oliviers et
,
;

l'étable, cherchant les mares pours’y vautrer. Ma plus haut l’Apnnin élève jusqu'à la nue son gi-
présence ne les troublait ps plus qu’elle n’avait gantesque amphithéâtre de rochers et de bois.
troublé leurs gardiens ; ils me regardaient passer Je jetai de là un dernier regard sur ces délicieuses
avec des yeux qui n’étaient guère moins civilisés marines; je leur fis un triste et bien long adieu, et
que les leurs. pussé devant moi pr le démon des voyagea,
Le bois pssé ,
j’entrai dans la campagne et je redescendis la colline et pris ma route vers les
bientôt dans le plais de Policoro : on donne ce montagnes.
nom fastueux à une grande ferme bâtie dans le L’espee me manque pour décrire tous les
désert à pu de distance du site où fut Héraclée. lieux , pour nommer tous les villages où j’ai pssé.
C’est une ancienne propriété des jésuites, qui Aussi bien, cela deviendrait -il monotone ce ;

apprtient aujourd’hui à un prince naplitain. sont prtout les memes dédales de montagnes
Elle esta quatre milles de la mer, entourée d’oli- agrestes ,
les mêmes vallées étroites et houle-
viers et d’une multitude de huttes de paille qui versi'es par les eaux. Les lieux bas sont dépuplés ;

servent d’habitations aux travailleurs. L'air en tous les villages occupent les hauteurs ; chaque
été n'y est ps trop sain. Quant au plais, pa- cime a le sien; tous se ressemblent et ressem-
Inzzo, il est habité par le facteur du prince blent aussi à ce bourg de Noya que nous avons
sorte d’intendant rustique, chargé de l’exploi- traversé au seuil de la province. Ce sont toujours
tation de ses domaines. Je pssai Là deux jours et partout les mêmes rues escarpées et pleines de
à la recherche de l’ancienne Héraclée, sans en bouc, les memes masures délabrées et enfumées ;

découvrir aucun vestige. A pineexbume-t-on çà et si quelques maisons neuves bâties pr la va-


et là quelques médailles et aussi quelques sépul- nitémoderne font exception , tout ce luxe hora
tures nu liane des collines d alentour. C’est là
,
de place n’est qu’extérieur, ostentation pure ;

que furent trouvées ces fameuses Tables d Héra- l’intérieur n’y répnd ps.
clée si savamment commentées par Mazzocchi. Je me souviens ,
entre autres d un de ces plais
Les Tables de Pythagorc furent déterrées cinq villageois ,
dont le propriétaire , homme riche
ou six milles plus haut , sur les hauteurs d'An- n'avait pas d’autre salon que la cuisine : il
y
glona. Je m’y rendis de Policoro. Là jadis était recevait scs visites, et c'est là qu’il me reçut
la Pandosia du roi Pyrrhus(i). Il n’en reste rien ; moi-méme au ,
milieu des marmites ,
des dindes
la ville grecque est remplacée pr une ptite église des poules et des servantes ;
il n’est ps jusqu’au
entourée de quelques masures villageoises. Elle porc qui n’y fit de fréquentes incursions. Mais

est réputée cathédrale de Tursi, et c’est là que il


y avait là, je m’en souviens encore, car c’était
l’évéque vient prendre possession. C’est un édifice une fleur au milieu d’un bouihicr, il y avait la
insignifiant, construit de briques, et qui n’a d’in- plus jolie nourrice qui ait jamais allaité marmot
téressant que sa haute antiquité. Il porte au fron- basilisque. Elle était vêtue avec tout le luxe du
tispice quelques grossières sculptures d'animaux costume national. Sa tète était couverte d’un voile
qui sentent furieusement le Bas-Empire et que bleu brodé (/)o«no). Un corset rouge bordé en
l’ignorance du pys décore du nom d’inscriptions argent emprisonnait sa fine taille; et sa robe de
grecques. Un mauvais clocher carré s’é'ève au laine brune , plissée de mille petits plis et relevée
flanc de l’église. aux hanches par de légers paniers , tombait mo-
destement sur la boucle d’un soulier trois fois trop
(I)Les médailles de Pandosia sont recherchées; elles
prient pnrinsignes, d’un côté, nn tanrean qui tourne grand pour le petit pied qu’il chaussait. Les longs
la tête, de l’auti-e un trépied, avec les lettres riAN-eA. cheveux noirs de celte belle fille de la montagne
{V. Mionnet, n“ 1 17, tome 1".) étaient entrelacés de rubans cl Ircssi's autour de
,,

r.G ITALIE PITTORESQUE.


l:i li'U'cn forme <lc couronne. Si propreté pres- Telle est cette âpre Lucanie, restée presque cc
<pie reclicrcliée tonlnislait avec la saleté univer- qu’elle était nu temps des Romains ;
car clic ne
selle, et siirtoutavcc la dame de la maison, qu'on pouvait être alors ni plus sauvage ni plus in-
eût bien plutôt prise pour la servante que pour culte. Jeme trompe on y déterre des monumens
;

la maitrc.ssc. antiques et des objetsd'art d'un travail si parfait,


Cette charmante apparition ,
épisode gracieux qu’il serait impossible de leur trouver des émules
du voyage, me fit ouhiier les rudes fatigues de dans la province moderne. C’est au chétif village
la journée cl abrégea les heures d'une longue d’Armeiito, l'ancienne Grumentum, que fultrou-
et trop court» veillée, passée en famille au coin vée, au commencement du siècle, celte couronne
du feu. I.'amphylriou me |>arlait de scs terres; d’or qui fil l'admiration des artistes et qui est
il se plaignait du bas prix des huiles, des blés, aujourd'hui,si je ne me trompe, dans l’écrin do

des laines ; mais le bonhomme prêchait au madame Mural. On déterre tous les jours nu
désert ;
je ne l'écoulais pas. Adorateur muet de même lieu des médailles des sé|>ulcres et des ,

la reine de beauté, comme disaient nos naïfs et vases italo grccs. ün particulier d An/.i , autre
poétiques ancêtres ,
mon esprit vaguait charmé ,
misérable village situé non loin d'Armento, pos-
en de plus douces [lensécs. sède une centaine de ces vases ,
dont quelques-uns
Quant aux chemins de la Rasilicala ,
ils rap- sont d’une |)erfeclion rare.
pr'llenl ceux de Calabre; mais ils sont pires. Des J’ai remarqué surtout un lahamaloiio, dont
sentiers c.scarpés ,
fangeux en hiver, poudreux en le dessin rappelle les plus beaux jours de la pein-
été, rocailleux en tout temps , serpentent pénible- ture grecque. Un génie aile, armé d'une baguette
ment de montagne en montagne, coupé's de lorrens comme du moyen l'ige, semble ini-
lesenchanteurs
ou l'on court risque de se noyer vingt fois parjour ; tier à tjuelqucmystère inconnu un jeune homme
à défaut de ponts cl des chariots qui les rempla- qui l’écoute appuyé sur un bâton pastoral et dont
cent dans la plaine, on en est réduit, pour les la physionomie exprime un pieux étonnement. Uno

jiasscr, <à l'àne du moulin voisin ou aux épaules jeune cl belle femme assise, les mains croisées sur

le louage du manant posté là eu guise de bac :


les genoux , suit de œil la scène qui se joue de-
1

c'est l'usage du pays. vant elle. Les altitudes sont d’une vérité frap-

On ne voit souvent ,
de tout le jour, que des pante, les profils d'une exquise beauté. Quant au
meutes de chiens agressifs qui vous disputent le vase en lui-méme, il est d’une pâle très-fine,

jiassagepouce à pouce; et si l’on rencontre par très-lr'gère, enduite d’un vernis noir parfaitement
miracle quelque figure humaine , c'est un paysan lisse. Les figures sont d’un jaune brique.
qui fume accroupi au seuil de sa hutte de roseaux Presque tous ces vases sont indigènes.
ou (pielque fileuse de colon alfublée d'un tablier Il est à remarquer que ceux de Locres sont plus
de cuir comme les laboureurs maures , et d'une généralement blancs avec les figures noires.
coiffe écarlate asser. semblable à la toque îles sol- Que de richesses semblables n'cshumerail-on
dats écossais. I.cs fermes isolées sont d’une ex- pas des entrailles rie celle terre féconde, si l’on se
trême rareté, cl de loin en loin quelque vieux donnait la peine de
Mais le gouverne-
les fouiller !

château féodal, enté sur le rocher à pie dont il ment napolitain ressemble aux eunuques du ha-
semble faire partie, écrase la vallée de sa mas.se rem il ne fait rien et ne veut rien qu'on fasse.
;

noire et achève d’attrister le pavage. Cependant Toute fouille est prohilnie sous peine de confis-
ces gothiques gentilhommières sont singulière- cation et d’amende. Un moine de mes amis, qui
ment humanisi'es ,
et la lourde porte de maintes bravait clandestinement la défense, a trouvé des
liaronnics, devenues hospitalières, roula pour choses précieuses ,
entre autres un trépied de
m héberger sur ses gonds rouillés. hron/.e intact, orné dans toutes scs parties de
Tout cela forme un ensemble sauvage qui ne sculptures admirables. Inquiété, menacé par les
manque pas d’originalité, mais tout cela est plus autorités ,
il fut obligé de vendre ce trésor et de
agreste que pittoresque. I.cs montagnes, en gé- le vendre pour rien à un voyageur français.
néral boisées, sont d'un accès dillicilp cl quand ;
Polenta , capitale de la liasilicala est une ,
ville
on a grimpé [K'iiiblement tout le jour arrivé au ,
sans intérêt et sans hospitalité : c’est la Sibéiic
fiile, on est bien rarement récomp usé de sa peine, du royaume. Les employés qui y sont relégués se
car les horizons sont bornés cl les vallées mono- regardent l.i comme en disgrâce. Déjà du temps
tones à force de se ressembler toutes. des Romains, c'était un lieu d’exil pour les cs'
,

ÎIASILICATA. 57
elavcs. On lisait sur la porte de la ville ancienne des injures et des coups de fusil tirés par dessus ma
cette inscription ; Potenlia Romaiiorum hic nos tête. C’était la seconde épreuve de la journée;
relcgai’it. De là , dit-on le nom latin de Poten-
,
mais je n’étais pas au bout : la plus rude m’at-
lia, d’où lenom moderne Potcnia. llévollë con- tendait.
tre une telle origine ,
l’amour-propre national nie Le brouillard s’était élevé; le mont Vulturo
cette insolente étymologie. se dressait devant moi ; je marchais droit à lui. Les
Je n’emportai de Polenza que le souvenir d’un cantonniers de la route chantaient ,
la sampogne
cruel ennui et des vexations d'une police bête d’un berger les accompagnait de loin; à ma droite,
plus encore qu'atroce. J'étais pourtant recom- et bien haut vers le ciel ,
se dressait menaçant
mandé à l’Intendant (préfet); mais il me reçut sur sa colline aiguë le château de Lagopesalo.
en brutal ,
et me traita comme un vagabond. Il est fameux dans la contrée; on le dit bâti par
Pour achever de m’égayer l'imagination je me ,
un roi de Pursia (
cherchez ce royaume si vous
rappelai que c’est dans le château voisin de.Muro voulez ), qui avait des oreilles de chat. Chose
que fut étranglée la reine Jeanne. Le ibéâtie et bizarre, j'ai retrouvé là l’antique tradition do
le drame sont bien dignes l'un de l’autre. Midas, avec celle seule dilférence qu’icicc ne sont
La journée suivante est une des plus rudes de pas les roseaux agités du vent qui proclamaient
tous mes voyages ; elle comble la mesure de l'in- le fatal secret des oreilles royales ,
mais bien la

hospitalité Irisilisquc. Celte farouche contrée est cornemuse qui en était faite. Sur ce point du
une pour le pauvre voyageur qui
terre d’épreuve moins la légende basilisque est , à mon gré, plus
s’y hasarde on va voir si je l'ai calomniée.
: jilaisaiile que la légende grecque. Quant au châ-
C’était une froide matinée de décembre un : teau, on prétend qu’il avait des souterrains longs
brouillard épais et pénétrant couvrait les monta- de quinze milles, et que, durant un blocus, les

gnes ;
quelques cimes seules étaient découvertes ; assiégés se procuraient par-là des vivres frais, que,
on eût dit des lies au milieu de la mer. Le soleil par bravade, ils jetaient dans le camp ennemi.
était voilé, et s'il faisait parfois une rapide percée, Or, la roule, qui jusqu'alors ii'avail pas été
si le brouillard sc déchirait, c’était pour laisser trop bonne, cc.ssa loul-à-fail. Laissant à gauche
voir à mes pieds de larges et tristes vallées ,
dont la ville antique d'Alella, je me trouvai sur un
le fond même était caché sous la brume. Les clo- plateau irrégulier, semé de bergeries assez pitto-
ches de Potcnia sonnaient, et comme la ville était resquement disposées. Des troupeaux de vaches
invisible, lu son paraissait sortir de la nue. étaient dispersés au loin les unes paissaient, les ;

Je gravissais lentement le mont Âcuto couronné autres étaient couchées sur l’herbe, d’autres des-
de sapins. J'atteignis ainsi le bourg d'Âvigliano; cendaient seules cl d'instinct à la pittoresque fon-
j'v entrai par des rues désastreuses, vrais cloa- taine des Imbricci. C elait un paysage de Paul
ques, pleins de fange et d’immondices. Ibentùt Potter. Cependant la nuit approchait, je pressai

je fus entouré de lu population ;


mais cette fois le pas, et j’arrivai à l’y/ee A/ttria à Pioncro.
elle était en force ,
et au lieu de fuir devant moi Ce nom, qui veut dire Fleuve Aioir, peint le
comme à Terra Nova et ailleurs ,
c’est moi qu elle lieu fidèlement, car Rioncro qu’un fleuve
n’est
voulut mettre en fuite. Je fus insulté ,
poursuivi, de boue noire et épaisse ,
bordé de maisons sales
presque lapidé par celle insolenle canaille; mais et dégradées. Douze mille babitans végètent dans
je n’en étais encore qu’à l'exorde. cet immonde égout. J’y entrai de nuit, sans let-
Encore tout frémissant de ces bas outrages, tres ,
sans recommandation ,
abandonne à l’hos-
j’avais laissé l’ignoble bourg bien loin derrière pilalilé publique. Pour une auberge , il n’y faut
moi, et retrouvé ma paisible solitude, lorsque pas penser; hors la mauvaise osiérie du chef-lieu,
tout-,i-coup des voix soi tirent du brouillard, et il n y a pas une seule auberge dans toute la pro-
je vis au-dessus de moi une lrou|>c d'hommes vince. Je courus toutes les tavernes; pas une ne
armés qui me menaçaient de leurs fusils, en me voulut me recevoir pour mon argent. Cependant
criant de m'arrélcr. Je crus que c’élaient des vo- il faisait nuit close ,
il pleuvait ,
et j’étais dans la

leurs; c'étaient des messieurs du bourg qui bouc jusqu’à la cheville. Dans celte extrémité
étaient à la chasse, et qui avaient trouvé plaisant j’allai chez le syndic (maire), cl je lui exposai
d'épouvanlcr un voyageur désarmé, lis étaient mon embarras. Au lieu de me donner un lit
,
ce
six ,
et j'étais seul. J allai droit à eux, je leur re- qui était le plus simple, cl ce qu’eût fait un
prochai leur lâche ineptie; ils me répondirent pr Calabrais ,
le syndic m’envoya à l’autre bout de
,

S8 ITALIE pittoresque.
ta ville cliex le dépulé des logemens ;
le député du soleil (i). Toul-à-coup je crus entendi c une
ne fut pas plus hospitalier que le syndic •, il se voix ; elle partait d’une boutique close ; je heurte
contenta de me donner un
de logement, billet à la porte, cette fois la porte s’ouvre. Le patron ,

comme on en donne aux soldats. Le malheur vou- Giacomo Petrello, était un pauvre fabricant de
lut que le maître de la maison où il m'adressait macaroni ; ses entrailles s’éraurcnl ;
il me reçut
fut absent sa femme était seule ; elle ne voulut
;
comme un frère ,
partagea avec moi son maigre
pas me recevoir. Nouvelle course cher, le député : souper, sa |>ctile chambrette, et me céda son lit.

nouveau billet de logement. Celle fois-ci le maître C'est que Giacomo Petrello n’était pas Basilisquo,

de la maison était bien che/. lui , mais il refusa de il était Calabrais.

m’ouvrir; Il se nommait Faraon le nom m’a ; « Si une ville refuse de vous recevoir, disait
frappé. Il objecta l'beure indue, il était en effet « le Christ à ses apôtres ,
secouez la poiissièie

trois heures de nuit; il dit qu’il était couché, « de cette ville et quiltez-la. n C’est ce quo
puis il ne dit plus rien du tout, et il me laissa je lis ,
et cela le plus tôt que je pus. Dès le len-
charitablement morlondi eà sa porte. demain matin, je secouai la poussière, c’est-à-dire
Indigné detantd’iuhospitalilé, je portai plainle la boue de la ville inhospitalière; je serrai La

au juge. Sa seigneurie ne daigna p.as non plus main de mon Calabrais et je partis pour IMcIfi.
m’ouvrir. Il vint en chemise à une petite lucarne, Cette route est la plus intéressante de toute la

car lui aussi était au lit ; il me reprocha ainsi que province; elle côtoie les du mont Voiture,
bases
l'autre l’heure indue ,
comme si c’était ma faute, volcan éteint, le lApennin et l’Ailria-
seul entre
me dit qu’il n’v pouvait rien que ,
j’étais dans tiqne, et si riche en merveilles géologiques quo
mon droit, et que si le L’araon ne voulait pas le naturaliste Ilrocchi, qui n’était là qu’en pas-
ouvrir, je n’avais qu’à faire enfoncer sa fiorle Jiar sant ,
resta plus de vingt jours à l’étudier. Tous
lesgendarmes. Là-dessus il me montra le corps- les pays volcaniques sont pittoresques; celui-ci
de-garde , me souhaita une bonne nuit , referma justifie l’axiome. Il est peuplé d’anciennes colo-
sa lucarne, et tout se tut. nies albanaises, qui ont depuis long-temps perdu
Ce soir-là un mauvais génies’acharnait sur moi. leur culte et leur costume.

Le corps-dc-gardc était vide ;


tous les gendarmes Mclfi joua un grand rôle dans le moyen ùgc;
étaient en campagne. son château et son nom rap|K‘llent les exploits des

J’ai oublié de dire que le fils du député , qui Normands. Il fut surpris par les fils de Tancri do
m'avait servi de guide jusqu’à la maison du juge, de Hauteville en io4i ;
ils
y tinrent en io43 une
m’avait bravement planté là et s’était esquivé , en diète générale où ils se partagèrent le duché de
disant qu’il ne voulait pas s’enrhumer. Cela en Pouille. Melfi resta dès-lors v ille libre et lieu d’as-

effet n’était pas difficile ;


car il pleuvait tou- semblée. C'est à Melfi que le pope Nicolas II
jours, une pluie de décembre, froide, acérée, donna à Robert Guiscard l’investiture des llcnx-
qui transperçait jusqu'aux os. Siciles. La formule en est bizarre ; Roberliis, />ri
Ainsi me voilà seul au milieu de la nuit, gratià et S. Pietri, diix jipuliœ , Calohriic rt
dans une ville inconnue, une ville d’assassins futuriis Siciliœ, Le pape venait de célébrer à
car là-dessus la réputation de Rionero est faite, Melfi un concile pour reformer l’excessive cor-
accablé d’une journée de près de quarante milles, ruption du clergé. C’était en io.àg. L’archevêque
exténué par une diète de quinze heures ; je n’avais dcTarente, monseigneur Capecc-Latro soutient,
pas même la ressource de me coucher par terre, dans son Discours historico - politique sur le
car il v avait un demi-pied de boue dans toutes les rovaume de Naples, que jusqu’alors les prêtres
rues. J aurais continué ma route, si je l’avais sue
; de Pouille s’étaient mariés, et que ce fut Nicolas II
c’était le meilleur parti à prendre ,
mais j’ignorais qui le premier leur imposa le célibat alors com- :

le chemin, et à qui le demander? On voit que mença l’usage du concubinage dont nous aurons ,

si le voyage a de beaux jours, il en a aussi de l’occasion de parler plus bas. C’est encore à Melfi
rudes. que, deux siècles plus tard, l’cm[iercurFrédéricII
J'étais Là, songeant, pour la regretter amère-
ment à cette belle loi des Lucaniens qui pres-
,
(1) Ȕi sub neensum solis Vfnerit pere/trinus, volueriU
crivait l’hospitalité comme un devoir civil aux que sub tectum aiscujus divertere , et is hominem non
ancêtres de ces barbares, leur ordonnant de susceperit, muletetur, et pmnat luni inhospitalitatis,

recevoir le voyageur qui arrivait après le coucher jEliu. yaria Histor,

D!^:’,:__d b; Goo^k
^ , ,

BASILICATA. 39
du royaume (i). Il ne
proniulijua les consiilulioiis chose légale. Grégoire VII fut le premier qui en-
rosie à Melfi <|uc sonnom, son site, son vieux clià- treprit lie l’abolir ; il parait qu’il n’y réussit pas,
leau en ruine et ses femmes j elles passent |>our puis<|u’un édit du toi Alplioiise, du quinzième
Lelles et je n'en ai pas vu une laide.
,
siècle, en sanclioimc pour ainsi direl’existence, en
Tous ces lieux sont pleins de souvenirs ,
pleins soumettant à la ta.xe annuelle d’un ducat toutes les

de prestiges ;
cette nature est grande ,
imposante, concubinesdu royaume, mémcccllesdcs ecclésiasti-
originale. Aul point de la Basilicala ne peut don- ques, <jt«o/M«ic'unr/ne sncerdoUnn sru clrriealium
ner l’idée de ces déchiremens volcaniques dn personanim ,
et c’étaient les évêques eux-mêmes
Vulture ni de la puissance végétale de ses cen- qui devaient veiller au paiement du tribut (i).
dres lécondes. Je voudrais m’arrêter ici, je vou- Les maitresses ou demi-femmes des moines de
drais tout dire, mais il faudrait plus d’espace; le Montescaglioso furent probablement les dernières
temps presse ; au vol sur tous
force est de passer à f acquitter, car un édit fut dirigé contre elles
ces lieux; force est nous Vé- de laisser derrière l’année suivante, i447' On voit, parmi celles qui
nose ,
la Vénose qui montre la
patrie d’Horace, n’avaient pasencore |>ayé la taxe, une Flora, concu-
slaltie de son poète dans un mauvais moine de bine de rarcbiprcti e; une Antonia, concubine de
pierre juché sur une colonne qui a servi de car- l’archidiacre; une Margarita, concubine du chan-
can. Saluons en passant Spinazzola, patrie de ce tre :
puis viennent celles du frère Pascal, du frère
pape Innocent Xll (
Pignatelli ) qui bannit le Julien, du frère btienne. Celle du prieur, con-
né|>olisme de Rome et consacra les libertés galli- ciitnna priât is île Ti itiitale, marche en tête.
canes, et traversant à tire d'aile les vastes plaines Quant au monastère , il est abandonne depuis
baroises de Gravinaet d’Altamura, abattons-nous long-temps; quoique presque en ruine, il con-
un instant sur Matéra. serve quelque chose de grandiose dans son déla-
Matéra est I ancienne capitale de la province; brement. 1. architecture des portiques est élé-
c’en est la ville la plus étrange ;
comme Grav ina gante, celle du clocher est pittoresque; mais ce
ou comme la ville sicilienne de Modica, à laquelle qu'il y a de plus beau ,
c'est la vue. Montesca-
elle ressemble lieaucoup ,
elle est bâtie ou plutôt glioso est à ce côté de la Basilicata ce qu’Anglona
jetée confusément au milieu des précipices, et est à l’autre; c’est un belvédère immense sur les
l’on dit d’elle que les morts sont sur les vivans montagnes, les marines, le golfe de 'Parente,

|Hirce que les morts sont enterrés dans les églises, 'Parente elle-même ;
et comme Anglona a derrière

et que les églises dominent la ville et la ceignent soi 'Pursi, Montescaglioso a Genosa, dont les bois

d’une couronne de clochers. L'ne de ces églises sont peuplés de sangliers.


est creusée dans le roc. Une grande plaine inégale et solitaire séjxirc
Montescaglinso, qui n’est qu’à neuf milles de Montescaglioso de Bcrnalda ,
autre petite ville

Matéra, fut célèbre dans le moyen âge par un cou- fort bien située ; au pied roule le Basento

vent de Bénédictins dont le luxe et les mœurs fleuve profond et traître comme le sont tous ceux
étaient peu dignes de l’austérité du fondateur. de ces marines. Le couchant rougissait ses eaux
Bravant fièrement l’opinion publique, ils se pro- ternes et |>aresseuses ;
le crépuscule et bientôt la

menaient publiquement avec leurs concubines. nuit me surprirent dans la plaine inculte qu’il sil-

Ces concubines ecclésiastiques formaient une lonne sans la fertiliser. J'y errai quelque temps
classe à part ;
elles refusaient de reconnaître tout-à-fait au hasard , car il n’y a là ni route ni
l’autorité civile et prétendaient être de moitié sentier. Marcliant à l’aventure et tout droit devant
,

dans les de leurs amans. Au reste, le


privilèges moi comme un fakir indien
,
j’allais donner du
concubinage ecclésiastique, ou , comme on disait pied sans les voir contre de grands oiseaux noirs
alors, le demi-mariage , scmémat/imom'um, était nichés dans les broussailles et qui s’envolaient en
poussant des cris farouches. J’étais complètement
(I) Voici le texte de la péroraison elle est curieuse et ;

digne d*étpe conservée Accipite prntn/i/cr, o Poputi!


:
perdu ; |ms un toit, ps une clarté ne s’offrait à
conxtUtttiones is/ns tam in jutficiis tjunm extra jariieia moi dans l’immense étvnduc; je n’entendais que
potilari. Quai per magittram Petrum de yineU (Pierre le roulement lointain des vagues, et embarrassé
des Vignes), capunnum p/agtttv Curia! nosirat judtcem
et fhieiem nostrum mandavintus compitari etc., etc.
, (1) Donné â Castro, le Sfévrier H\eAArdùres de la
Avtum in so/emni cansistario Meljiensiy annn Dnmi- Caméra delta AVimmnrôi.)l.ci!écrcl de l'anncc suivante
nicre Incat naünnis M
CC. .VA'/, meme Aufiasti, in-
. a été tiré du couvent des Bénédictins, Jiar le marquis
dkticnis quarltt. (Titulus nllim. L. 5 Const. ) de Sarno, et publié par lui.
,

40 ITALIE PITTORESQUE.
dans ma marclic par les ronces el la vase ,
je modestie et le mépris des vanités mondaines,
craij'iiais d'aller tomber dans quelque bas - fond qu'elles s'étalent toutes à l'envi dépouillées du
et de m'y embourber. leurs bijoux et les avaient fondus jrour élever le
Enfin, .à la lueur des étoiles, j'aperçus quelques sanctuaire de la reine du ciel.

huttes de paille que je soupçonnai habitées par Jaloux sans doute de consacrer le souvenir du
des bergers; je in'y dirigeai malgré les aboiemens graitd pbilosopbc qui vint chercher à .Mélaponte
de.s ehiens gardiens formidables de ces déserts.
,
un tomlrean, on a nommé ces ruines vénérables
Un berger m'entendit ; il vint à moi et consentit à Ecolo (le Pjrlhagoro. Le peuple, lui, qui n'est
me servir de guide moyennant, bien entendu, |iaa savant les appelle Tables Paladines, 7'«-
un large salaire qu'il eut soin de fixer lul-mcme folu PalaïUne, nom poétique comme tous ceux
et de se faire payer d'avance : n'oublicz pas qu'il que le peuple invente et qui indique un ouvrage
était Ilasilisque. des paladins, hommes d'autrefois, hommes forts.
Une heure apres j'étais à Torre di Marc ,
fief Les médaillcsde Méüt ponte portent un épi : d'uii
isole du genre et à quelques lieues seulement de l'on peut conclure que l'agriculture était en hon-
Polieoro. Il n'est qu'à un mille de la mer. Ainsi je neur dans la république et
y florissait. On sait,
me retrouvais au bord du golfe de Tai cntc, pres- du reste, que ce désert aujourd'hui si tiistu, si
qu'au point d'où j'étais parti un mois auparavant; inculte, était une campagne heureuse, renommée

je venais de décrire un cercle complet. J'étais pour sa fécondité. Métaponte subit le sort deSy-
adressé au cha|ælain de la maison, qui vit là seul baris, sa fondatrice, et des autres républiques de
dans sa tour comme un anaeborète. La présence la Grande Grèce. Plus heureuse pourtant que ses
d'un étranger faisait diversion à sa solitude ,
et rivales disparues ,
elle a laissé d'elle plus qu'un
quoique Uasiiisque il ne me ferma pas la porte
,
souvenir. Son nom est resté écrit sur la pierre mu-
au nez. Kcbappé au danger de psser à la belle tilée du temple ; elle a gardé l'empire du désert, et
étoile et sans manteau une froide nuit de décem- nul ne peut passer sans dire : Là fut Métaponlc !
bre, je sentis lu prix de son hospitalité. On prélenil bien voir dans un atléiissemcnt
A peine étais-je retiré dans ma petite cellule ,
voisin les vestiges d'un ampbiihéàlrc ;
mais il faut
que je vis de ma icnétre la plaine illuminée d'une pour les reconnaître une lui il'anliquairc plus ro-
multitude de claités mouvantes comme des feux buste (pie la mienne. I) ailleurs, qu'im|>orlc nu
follets ,
et j'entendis te tintement lointain de mille insignifiant ilébiis? (.'estle site qui est poé-

une chasse aux flamlieaux. Tous


sonnettes. C'était liipie; c'est ce désert incube, ces champs de sa-
les paysans de ronde s'y étaient
trois lieues à la ble, celle mer qui les blanchit d'écume ;
c'est le
donné rendez-vous. Les pauvres oiseaux, endor- souvenir des anciens jours ;
c'est le- grand nom
mis sous I herlie et dans les guérels, sont réveillés de Pylbagore : voilà ce qui anime ces solitudes,
en sursaut par le bruit des sonnettes et éblouis voilà ce qui les consacre.
de l'éelat des torches ; ils tombent |>ar nuées aux A pas des ruines coule le fleuve Hradano ,
rxnit

mains des rhasseui s. le grand de la province ; il glisse silencieux


plus
A deux milles de Torre diMaro, nu milieu dans un lit do sable, il ronge incessamment sa

d'une plaine en fi icbe battue par la mer et au rive l'emporte dons l'Océan ; image frappante
,
il

sommet d'un petit plateau qui les domine l’une de ce fleuve dts siècles qui ronge ainsi les œuvres
et l'autre, s'élèvent dans la solitude quinze colon- de l'bomme, qui emporte ainsi les générations
nes dori(|UCS, quelques-unes rongées par les siè- humaines dans l'élernilé.
cles, mais toutes debout, surmontées d'un enta- C'est le llradano ipii forme la limite entre la
blement presque intact ;
elles sont cannelées et liasilieata et laTerre d'OtranIc. Il ii'esl pas besoin
composées, comme celles de Pestum, d'assises de dire que le llradano n'a point de pont. >e
inégales ; c'est là tout ce tpii teste tie Métaponlc. trouvant snus ma main ni chariot, ci cheval
Tite-I.ive, qui parlait déjà par conjectures il
y pour le passer, je dns recourir aux épaules d'un
a deux mille ans en fait les restes d'un temple de
, paysan, <|ui, pour compléter la somme de mes
Miticrve ou rie Cérès; d'autics prétendent que mésaventures, eut l'heureuse idée de se lais-cr

c'était là ce fameux temple de Junon élevé par choir au beau milieu du fleuve cl moi avec lui.

Pvlhagore aux frais des femmes de Mélaponte. C'est dans cet état g’orieux que je sortis de la

L'austère apôtre de .Samoa ,


digne pir'-curseur de liasilieata. I. a sot tie était digne de rentrée.
saint Paul, leur avait si éloquemment prêché la CnZOLES UlUILIt.
TERRE D OTR/VNTE. — CAP DE LEUCA. — TARENTE.
Sal«Dte da Télémaque. —
Tranimigration dei Calabraia. Publia Pietrosa — Architeetnre rnstiqae. Sainte- —
Maiie de Leuca. —
Caverne du géant. —
Italie, Grèce et Phénicie. —
Fccondilc de fhypolhise. Leccé — —
Otrante et les Turcs. —
Gallipoli. —
Brindes. —
Les deux colonnes du ^lort. Tarente déchue. —
Tarentule. —
— Tarentisme. —
Tarentelle. —
Mandmia et ses pastorales.

La (erre d’Otrante est la région la plus orien- romaines, la mer baigne de longues maremmes
tale du royaume de Naples et forme le talon, insalubres ,
que l’absence de l'homme a livrées
delà botte italique. C’est une Italie en minia- peu à peu à la fièvre et à la stérilité. Celles de
ture. Brindes et de Tarente sont les plus meurtrières,
Battue d'unedté par l’Adriatique, de l’autre les plus perfides. Ainsi, Brindes et Tarente
par la mer Ionienne , elle est taillée aussi en régnent toutes les deux comme Borne , sur le
presqu’île, et toutes les merveilles , tous les désert et sur la mort.
trésors de la grande Péninsule se retrouvent en Qu’clles-mêmcs sont déchues! reine superbe
abrégé dans la petite. D’abord la (erre y recèle jadis de la grande Grèce, la patrie d’Archytas
en son sein d’éloquents témoignages de ses pri- n’est plus qu’une méchante ville de pêche et
mitives révolutions ici des charbons fossiles
: de cahotage; et Brindes, cette clé brillante du
attestent les incendies souterrains qui ont dé- monde oriental, Brindes n’existe plus que de
voré ses entrailles; là des tufs tout incrustés de nom. Son port , le plus vaste de l’Adriatique ,
coquilles racontent au géolt^e les voyages de est comblé par les algues marines; la clandes-
tine péote du contrebandier Daimate
l’Océan. y rem-
Mais si des profondeurs on remonte aux sur- place les trirèmes triomphants de la république.
faces, quelles richesses! quelle variété! que de Ouvertes de toutes parts et baignées par trois
fleurs la nature a jetées sur les ruines du globe mers, ces terres extrêmes de l’Italie durent
antique ! Avec quel soin touchant ,
quelle solli- être de bonne heure peuplées de colons étran-
citude empressée cette tendre mère a réparé gers. Une tradition parle d’Athéniens une ;

ses premières rigueurs et les a fait oublier! autre de Crétois jetés là par les tempêtes aux
Les hautes collines qui là prennent le nom de temps du vieu.x Minos. Quoiqu’il en suit, ce
montagnes et qui constituent le squelette du pays faisait partie de la grande Grèce, et fut
pays, sont abandonnées au pâturage, et comme de tout temps plus grec qu’italien. Au moyen
les Apennins de l’Abruzzc et des Calabres, se âge , la petite ville de Nardo avait encore des
peuplent de troupeaux nomades. Les bas co- écoles grecques.
teaux appartiennent à la culture; la vigne tor- La terre d'Oirante porta divers noms dans
tueuse s’y balance aux bras des ormes et des l’antiquité, ou plutêtdcs peuples divers lui im-
mûriers et plus bas encore de vastes forêts
: posèrent le leur. Tantdtpays des Sa-
c’est le

d’oliviers ombragent les moissons de la plaine. lentins; tantôt celui des Messapiens. Sadéno-
Les marines du cap de Leuca sont toutes do- mination générique est lapygie, d'Iapyx, fils
rées de limons et d'oranges. Le (ubac du nou- errant de l’antique Dédale. Mais celui de tous
veau monde y épanouit sa large feuille aroma- les noms anciens qui survécut le plus long-
tique, l’alocs son candélabre immobile; et ba- temps , c’est le nom de Calabre.
lancés par les brises de mer avec une grâce, Il triompha jusqu'aux jours calamiteux de

une mollesse , école éternelle du statuaire et du l’empire de Constantinople. Chassés alors de


peintre quelques palmiers bercent de loin en
,
leur pays par une des dernières inondations
loin dans la nue leur tête africaine. On sent à des peuples du Nord, les Calabrais primitifs
la vue de ces Elysces champêtres comment l’au- paraissent avoir émigré en masse, et porté,
teur de Télémaque plaça là sa fabuleuse Sa- leurs pénates dans cette lointaine partie de la
lente. Lucanie habitée parles Brutiens, laquelle prit
Mais la presqu’île enchantée n’est pas toute des bannis lapyges ce vieux nom de Calabre
également riante et fertile. Comme aux plages qu’elle a gardé. L’histoire ne fixe pas la date
XXVII. Italii riTT (T<»i ’Otxabt».)
>’(

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. ,

4î ITALIE PITTORESQUE.
prédsede cette transmigration singulière; mais Leuca. Tantôt c’est une lande solitaire couverte
on peut la placer entre les sixième et huitième de bruyères de troupeaux, tantôt
et peuplée
siècles , époque de la domination Lombarde en c’est un bois où le chêne
marie à l’olivier sau-
se
Italie. vage et le sentier n’est alors qu’une allée de
,

Un fait curieux et qui trouve ici sa place ,


verdure sombre, fraîche, touffue, impéné-
c'est que la langue grecque se maintint dans la trable au soleil le plus ardent. Ici c’est une
moderne Calabre jusqu’au X4.’ siècle, qu’on la métairie pittoresquement bâtie en formé de tour,
parlait à Rossano il n’y a pas 300 ans et qu’on ,
comme les difese de Calabre ; là c’est une cha-
la parle encore aujourd’hui à Bova, petite ville pelle rustique qui fait fabrique dans le paysage
assise au cap Spartivento, en face de la Sicile. et blanchit au loin à travers les oliviers; plus
Bova a conservé le rite grec jusqu’à la mort de loin un hameau dont le clocher blanc brille
Grégoire \III en 1.585. au soleil. Ces sites ont quelque chose des envi-
Le caractère général de la presqu’île d ü- rons de Florence.
trantc est la gn\cc et la mollesse. C’est un pays Aux approches du cap les villages se mul-
,

ouvert. Les accidents y sont rares, et les inéga- tiplient. Bâtis de mille en mille, plus près en-
litésdu sol n’y méritent nulle part le nom de core, ils sont propres ,
spacieux ,
élégants, bien
montagnes. Les plages sont en général désertes aérés, bien peuplés. L’architecture y est uni-
et monotones, mais l’intérieur rachète ample- Ibrmeet toujours gracieuse. Ce sont partout ces
ment ces infinnités des côtes. D'immenses Ixtis mêmes maisons sans toit , couronnées de
jolies
d’oliviers revêtent les plaines; d'innombrables fleurs; ces cours fraîches et ombragées de
métairies blanches animent le paysage ,
et l’ar- treilles, ces clochers découpés en minarets.

chitecture svelte et un peu moresque des cam- Le caractère saillant du cap , c’est la séche-
paniles rustiques lui impriment une physiono- resse. Le sol n’y est plus pavé comme en d'au-
mie originale. tres points de ces grandes dalles de tufs que
La terre d'OtranIc a dans sa forme et dans sa l’on prendrait pour des restes de voies ro-
culture quelque chose de la terre de Labour. maines, mais il est inondé d’une énorme quan-
Elle est moins riche, mais aussi brillante, aussi tité de pierres calcaires d’une aridité toute afri-

aérée. La vie est facile. On y respire à l’aise. caine. C'est ce qui a fait donner à cette partie
LesvîDes et les villages sont élégants et propres; extrême de la Pouille l’épithète de pierreuse,
et comme celle des clochers, l’architecture des Pugiia Pielrosa, pour la distinguer de la haute
plus simples maisons est légère et gracieuse. Fouille de Lucérie et de Barictte que sa sur-
D’abord elles sont couronnées par des
sans toit , face plate et unie a fait baptiser Pouillc-Plane,
terrasses garnies de fleurs, et elles ont cela de Pugiia Piaaa.
commun avec les maisons romaines de Ponipcï Mais si stériles que soient les cailloux du Cap,
qu’elles ont toutes une cour intérieure qui ils contribuent au pittoresque du pays voici :

donne entrée aux appartements. Carrées et pa- comment. On s’en sert à construire de petites
vées de dalles de pierre , ces cours domestiques huttes basses , arrondies par le haut en forme
sont ombragées d’une treille où les femmes se de ruches , comme les kraals des Hottentots, ou
rassemblent le jour pour filer. Le soir on prend les nuragues de Sardaigne. On monte au faîte

le frais sur les terrasses. par un escalier en spirale pratique à l'extérieur;


Quoique l'olivier soit le roi du pays , il ne et c’est de ce point élevé que cliacun garde son
r^ne pas toujours seul. De temps en temps, et champ au temps des récoltes. L’intérieur est
surtout sur la côte méridionale, le riche et une petite chambre obscure où l’on dépose des
noir caroubier en coupe la pôle uniformité et instruments aratoires ; quoique sans chaux , les
lui dispute l’empire. Les chênes verts ii’y sont pierres sont jointes à la romaine avec beaucoup
pas rares , le pin y est commun ;
et épanouis- Les habitants appellent cela des paillères.
d’art.
sant toujours çà et là son mouvant éventail ,
le Ces huttes grisâtres, vraies nuragues en mi-
palmier domine ses rivaux de toute la tête et ,
niature, sont répandues en nombre prodigieux

marque ces extrêmes plages de la grande Grèce dans toute la contrée, et lui donnent je ne sais
d’un cachet oriental quel air bizarre, étrange, qui n’est pas d’Eu-
La partie de la presqu’île la plus pittoresque rope. Quelques-unes sont bâties avec plus de
est tout le pays entre Gallipoli et le cap de' prétentions, et rappellent, quoique des dimen-
k

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à
, ,

TERRE D’ OTRANTE. «
sions plus humbles, la tour de Babel, telle Veuve de la cité morte de Vereium , cette plaine
qu'elle est figurée dans les estampes des vieilles inclinée est couverte anjourd’hui de casins,
Bibles protestantes. oii les oisifs du pays viennent au temps de la
Mais ici la stérilité n'est qu'apparente. Ces canicule , non prier et se confesser, mais res-
champs si rocailleux sont d'une fertilité mer- pirer la brise marine et manger du pmsson
veilleuse. On
trouve bien çà et là quelques liais.
terres en friches; mais le Cap n’en est pas Quant au sanctuaire lui-même, c'est un bâ-
moins l’un des points les mieux cultivés du timent spacieux et commode ; mais il tombe en
royaume. Le vin y est parfait ; l’olis'e non moins ruine; les beaux jours du calvaire sont passés,
supérienre, et le tabac si estimé des amateurs, même au cap de Louca. Les offrandes manquent
qu'ils le paient au poids de l’or ; il a été jusqu'à pour remettre l'édifice en bon pied, et les pè-
7 ducats la livre il est vrai qu’on le cultive en
: lerins qu’il était destiné à héberger et à sanc-
cachette et qu’on le débite en contrebande. tifier, sont plus rares d’année en année. L’église

Le Cap ne ressemble à rien en Italie : il a fort simple d’ailleurs et fort nue, renferme une
une physionomie à lui ; et s'il ressemblait à madone miraculeuse assai , laquelle a pour
quelque chose , ce serait à la comté de Modica gardien et pour desservant un prêtre ignare,
en Sicile ; moins toutefois la dépopulation , car sorte de manant converti en casuiste , et dont la
le Cap est fort peuplé, la comté fort peu. C’est société intime et quotidienne se compose d’une
la même sécheresse , les mêmes champs pier- vivandière et de trois canonniers.
reux , les mêmes sentiers scabreux et bordés de Le saint ermite doit oe voisinage profane à
petits murs trop bas pour gêner la vue du pas- une tour de garde bâtie à cent pas deson ermi-
sant , assez haut pour défendre les clos contre tage, et armée de quatre canons, dont la voix
les agressions des troupeaux. La mer, les pins- pacifique ne trouble que bien rarement le si-
parasols et les palmiers quoique rares , ajoutent
,
lence de cette Thébaidc humanisée.
à laressemblance; et pour plus de conformité Le promontoire de Leuca est l’ancien cap
le langage des habitants a quelque chose du dia- lapyx , plage historique , où le roi Pyrrhus fit
lecte sicilien ;
ils entendent fort bien les idées naufrage , et où les géaiis campaniens trouvè-
insulaires de l’abbé Méli. rent leur tombeau. Cette race mystérieuse qui
Le promontoire est terminé par un sanctuaire joue un si grand rôle dans les traditions popu-
célèbre dans le pays. Bâti à l’extrémité du Cap laires de la primitive Ausonie, cette race muette,
sur les ruines , ou du moins le sol d’une ville altière, qui semble n’être que le poétique sym-
antique dont il a gardé le nom , le sanctuaire bolc de l’individualité aux prises avec la soci^,
'

de Sainte-Marie de Leuca occupe le bout du cette race d’hommes forts vint mourir là. Re-
t.ilon, c’est-à-dire le point le plus oriental de foulés insensiblement des riches plaines de Cam-
l'Italie. C’est un site unique, un site frappant. panie sur cette aride plage, ils se trouvèrent
Tout en participant de la sécheresse commune, là tête à tête avec l'Océan. Ils n’allèrent pas
il est plus agreste, plus grandiose, hardi dans plus kûn , la terre manqua sous leurs pieds
ses découpures, pittoresque dans sa nudité, et elle s’entrouvrit pour les engloutir.
empreint d’un caractère de rudesse et d’âpreté Telle est l’antique tradition, et une grotte
qui n’appartient qu’à lui. du rivage se nomme encore aujourd’hui la Ca-

Près de finir, la côte se redresse assez brus- verne du Géant.


quement , et tombant à pic à peu près dans la Cette fable, toute italienne, est soeur de la
mer Ionienne , elle oppose une muraille de ro- fable grecque des Titans. Aussi bien l’Italie et
chers à l’esprit conquérant des vagues. Jetée la Grèce ne sont-elles pas soeurs? Un bras de
en avam-gaide dans la mer, une longue cein- mer étroit les sépare à peine; peut-être même
ture d’écmils en reçoit les premiers assauts firent-ellesun jour partie du même continent
formant de ce oâté là le boulevard, et comme et comme deux membres d’un même corps fu-
le bouclier de l'Italie. Derrière le sanctuaire, rent-ell» arrachées videmment l’une à l’autre
c'est-à-dire au nord, le sol monte comme pour par la catastrophe inconnue qui divisa la Sicile
protéger la maison ife la madone de l’âpre tra- de la Calabre , l’Espace de l’Afrique? Les
montane. Au sud, au contraire, il s’abaisse, écueils innombrables dont la cête italienne est
et de ce côté il descend à la mer en pentedouce. bordée, semblent témoigner de la rupture, et
,,

44 ITALIE PI TORESQUE.
témoins éloquents n’étre que les débris déterrés n’y en a pas moins pour l’homme un charme inef-
anciemiemeat submergées. fable à rechercher scs origines. Qui ne serait ja-
Un fait certain et consigné déjà par l'anti- loux de connaître son pi re et son berceau ? Un
quité , c’est que ces écueils se prolongent fort amour vague une tendresse
,
instinctive lie
avant sous les eaux ; des marins les ont recon- l’homme à l'homme h travers les âges. Une
nus à près de douze milles en mer , comme aussi chaîne invisible, et pourtant sentie, unit l’une
le fameux gouffre historique où s’abîma la flotte à l’autre les générations ; c'est la chaîne d’or ho-
du roi d’Epirc. mérique qui d'un bout touche à la terre, et
Entemps clair on voit du haut du promon- dont l'autre plonge au ciel. Notre tâche à nous,
toire de Lcuca bleuir à l’autre tiord du détroit et la tâche n’est pas facile, est d’en découvrir
les montagnes de Thcssalic. Ainsi debout sur la les anneaux ; et une fois découverts , de les re-
plage comme deux sœurs captives la Grèce et ,
monter patiemment un à un jusqu’au premier,
l’Italie peuvent se saluer de loin et se faire des sans en omettre un seul, .sous peine de perdre
signaux d’amour cl d'cspt’-rancc. à l’instant le fil cl de nous égarer. Or, pour dé-
Un voisinage si rapproché dut établir de couvrir il faut chercher; cherchons donc par
bonne heure des rapports entre les deux peu- toutes les voies, cherchons par tous les sentiers;
ples. Mais la Grèce instruisit-elle l’Italie , ou langue , art , science , instincts, appelons tout à
l'Italie la Grèce? I.a question n’est point résolue, notrcaidc; semons l’hypothèse à pleines mains,
et le procès est encore |>endant au tribunal de nos enfants moissonneront la vérité.
riiistoire. Peut-être la gloire n'apparlient-clle Et puis, garrotée en ces jours difliciles,
ni à l'une ni à l’autre, et n’ont-cllcs fait qu’é- dans un état social si faux, si guindé, si oppres-
changer plus tard des lumières parties d'un sif,l’Ame aspire à la liberté; comme l’aigle en
foyer commun à des époques antérieures? cage, elle sent en elle un invincible besoin
Quoiqu’il en soit de ces ténèbres, un savant d’air, tl’espace, et brisant ses dures entraves,
Napolitain , qui n’a pas son égal en érudition elle s’échappe et s’envole pour respirer plus à
Mazzocchi, fait dériver de la langue phéni- l’ai.sc, vers les époques primitives de l’huma-
cienne le nom ancien de lapygie, et assigne nité. Ces siècles simples, naïfs, nous apparais-
aux lapygcs une origine chananéenne. Parmi sent du sein brûlant de nos déserts tumultueux
les cavernes creusées le long de la mer, il en est comme autant d’oasis fraîches, calmes ombra- ,

une qui offre de curieux phénomènes. On y a gées, où la pcnsé’C s’abrite, se recueille, où le

trouvé des in.scriplions dont les caractères sont cœur las et blessé se rcpo,sc et se cicatrise. C’est
inconnus , et la grotte elle-même a la forme d'un l’âge d’or des poètes ,
le lieu d’asile de tous les
temple. Son nom vulgaire est Caverne du Dra- opprimés du monde ;
chassé de son héritage
gon ou de Dagon. OrDagon paraît n’êtrc que le par la brutalité des légions romaines ,
le tendre
Triptolême dcsPhénicîcns ou Philistîns, comme Virgile se réfugia chez les poétiques pasteurs
les appellent les saints livres, le dieu des moi.s- d’Arcadie, et dans les vieilles épopé-es du La-
sons, l’inventeur de la charrue, le pf-re de tium.
l'agriculture, le bon génie qui enseigna aux Nulle part ces regards en arrière, ces aspi-
hommes de faire le pain.
l’art rations du passé ne sont plus énergiques, plus
Serait-il donc impossible que les Phéniciens, légitimes que sur ces terres historiques, où àcha-
CCS hardis explorateurs des mers , qui devaient que pas, un nom, un monument, un souve-
avoir beaucoup d’idées, parce qu’ils avaient vu nir donne l'éveil. A la vue de ces deux inter-
beaucoup de choses et qui , sans nul doute
, rogés par les Argonautes, de ces mers sillon-
jouèrent un grand rôle sur les cdtcs d'Italie, nées par les flottes de Tvr et d’Agamemnon ,
serait-il si impossible qu'ils eussent touché le de ces campagnes où voyagea Pythagorc , et où
Cap? Que, reconnaissant l’importance de ce dorment les géants fabuleux, l’imagination
point maritime, ils y eussent fondé des comp- s’empare avec ardeur de tout ce monde antique,
pour protéger leur navigation dans les trois
toirs et le repeuple avec joie de tous scs fp-ands
mers adjacentes, et qu’ils y eussent ainsi laissé hommes de ,
tous ses dieux. Le faible seul s’é-
quelques débris de leur culte et de leurs arts? nerve et s’oublie à ces pèlerinages du passé,
Que l'incrédulité, à l'œil torve, rejette la science l’homme fort en revient plus robuste et mieux
des peut-être au rang des sciences occultes, il trempé, car s'ij puise, à ces sources primitives,
,, ,,

TERBE D' OTRANTE. AS


des consolations et du calme , il y puise aussi sont les villages qui l'environnent. Ils sont tous
pour l’avenir des leçons salutaires et de ma- d'une propreté et d’une élégance que je ne me
gniSques espérances. lassais pas d'admirer. La plupart des clochers

Monte sur la platc-formcdc la lourde Leuca,ct sont taillés en forme de mosquée , et les voyant
assis sur un canon, j'embrassais la mer Ionienne briller au couchant, sur un ciel limpide et
dans toute sa beauté clic était d'un bleu ra-
: bleu, il m’arrivait maintes, fois de me croire bien
vissant; le vent la soulevait avec lenteur loin de l’Europe , dans les campagnes de Bag-
et majesté, et brisée par les écueils du rivage dad ou d’Ispaban.
elle les couvrait d’écume. La Grèce était là la : Aussi bien cette province finale a-t-elle de
vague en venait; cette idée me faisait battre le tout temps irrité la convoitise des Turcs.
cœur. L'œil tendu sur les flots, j'épiais à l'ho- Otrante , cette sentinelle avancée de l'Italie
rizon les monts Corfiotes. Mais quoiquelc temps fut possédée par eux toute une longue année
fût splendide , une légère brume de mer élevait du 15* siècle. Mahomet II faisait valoir les

son rideau jaloux entre la Grèce et moi. droits de l'empereur d'Orient sur l'Italie , et il

Enfin , il me fallut trop tôt regagner les terres soutenu par les barons rebelles. Frappé à
était

et revenir en arrière. . mort par le cimeterre ottoman , Otrante ne se


Si jusqu'ici j'ai parlé des champs plus que relèvera jamais. Ce n’est plus qu’une bourgade
des villes, c'est que les champs ont un cachet maladive, agonissante, et ce que les Italiens

qui leur propre , et que


est les villes sont sans appellent un paesaccio.
intérêt. Leccé , capitale de la province ,
passe Le maximum de la population ne dépasse pas
pour la plus belle ville du royaume après Na- 1,500 habitants, y compris la garnison et les
ples. Elle a beaucoup d’églises, quelques palais, gendarmes.
des maisons spacieuses, mais pas un monument Otrante n'a pas un édifice digne d'etre cité.
pur. Tout cela est d’une architecture chargée, La cathédrale a un caractère sombre qui la dis-
et du genre dit rococo en argot d’atelier. L’édi- tingue de toutes les autres églises du pays,
fice le moins incorrect est l'ancien couvent des toutes brillantes et inondées de lumière. Les
Bénédictins, aujourd'hui alTcclé aux tribu- Napolitains craignent toujours de n'en pas
naux. donner assez à leurs temples, et cette profusion
Les couvents, du reste, ne manquaient pas ; de clarté nuit au recueillement. La cathédrale
on en comptait plus de trente-six des deux d'Otrante est parée de mosaïques, dont les fi-
sexes ; la plupart sont supprimés. Mais la dis- gures confuses et difformes ne sont guère in-
proportion entre ces vieux cloitres et leur nou- téressantes que pour l’histoire de l’art c'est :

vel emploi ,
donne à la ville un air de tristesse probablement un monument bizantin.
et d’abandon. Ajoutez à cela sa dépopulation : Mais l'extérieur de la ville rachète la laideur
capable de quarante ou cinquante mille habi- et la saleté de l'intérieur. La mer la protège
tants, elle n'en a que quinze ou seize mille tout d’un côté, de l’autre elle est défendue par une
au plus. Les rues sont larges , mais l'herbe y ceinture de rochers d'une teinte ardente , dont
pousse; et je ne sache pas un lieu d'Italie où le lierre et les arbustes de toute couleur dégui-

i’ennui gagne plus vite. Leccé n’en passe pas sent la nudité. Us sont creusés de cavernes ,
moins pour la Toscane du royaume de Naples. mais des bois d'orangers en masquent la téné-
Elle a de grandes prétentions à la pureté de la breuse entrée. C'est trop de luxe pour tant do
langue, à l’urbanité des mœurs; et pour misère.
preuve de ses penchants sociaux , elle se vante Des hauteurs qui dominent la ville , on dé-
de posséder cinquante cafés. couvre l’Albanie et les côtes de la Grèce bien ,

C'est d'ailleurs une ville toute moderne, c’est- mieux encore que du cap de Leuca. La distance
à-dire du moyen âge. Une comtesse de Leccé est de cinquante milles; et l'importance de ce
aimée du roi Roger, donna le jour à Tancrède, point maritime , véritable clé de l’Adriatique
ntddc et valeureux bâtard qui fut roi de Sicile. avait , dit-on , fait naître au roi Pyrrhus, l’idée
C'est dans une plaine voisine qu’était l'an- étrange, mais grandiose, d'unir en cet endroit
tique ville de Rudiœ, patrie du vieux poète l'Italie à la Grèce par un pont de bateaux.
,
Ennius. Grâce à l'incurie administrative, le port
Ce que je préfère de beaucoup à la ville, ce d'Otrante est à peu près inaccessible aujour-

Diy uy vjx-zx-'.^Ic
, ,

«6 ITALIE PITTORESQLE.
«l'hui ; les vaisseaux sont obliges de sc tenir en grands hommes. Ce sentiment d’affection, cl
dehors; et le commerce de la province a passé l’orgueilleuse admiration, va s’affaiblissant à

sur rive opposée, h Gallipoli. Gallipoli est


la mesure que les lumières sc répandent. La
l'ancienne Callipolis. Ce n’est ni une belle, ni gloire naît des contrastes.

une grande abords en sont pit-


ville ,
mais les Passée à Otrantc, puis à Gallipoli, la vie
toresques. Elle est b&tie sur une île de rochers. maritime était toute concentrée jadis dans la
Un pont la joint à la terre- ferme. C’est un ville de Brindes. C’est à Blindes que s’appareil-
petit Livourne, et l’entrepdt de toute l'huile du laient ces Qottes formidables destinées par les
pays. Soit paresse des indigènes , soit pénurie Bomuins à la conquête de l'Orient. Son port

de capitaux , presque tout le commerce est aux en effet , est un miracle de la nature , dans un
mains des étrangers. Us s’entendent et font la pays si uni et si découvert c’est une grande
:

loi :de là, un monopole ruineux. rade formée par deux jetées naturelles dont un
Gallipoli s’est long-temps vantée d’avoir donné château défend l'abord. Au fond du port est un
le jour à l'Espagnolet. Mais il paraît aujour- canal, lequel communique à un bassin circu-
d'hui prouvé qu’il est né à Valence, en Espa- lairequi se développe autour de la ville, et qui
devait être d'un admirable effet alors que les
Une la ville était au-
tradition locale dit que flottes romaines s’y balançaient fastueusement.
trefois l)àtic plus , en
effet , à quel-
au midi ; et On distingue encore les pilotis que César avait
ques milles dans on voit encore di-
les terres ,
fait planter à l’entrée du port pour y enfermer
vers vestiges des murailles d'une grande ville Pompée. De date sa décadence. Ces pilotis

détruite. Des tombeaux, des vases, et surtout retinrent des amas de sable qui s’accumulèrent.
des médailles d’or , d’argent et de cuivre, at- Les Vénitiens achevèrent la ruine du port en
testent que ce fut une ville grecque. Le lieuse faisant couler à fond des bâtiments pleins de
y
nomme Uad(p , et des antiquaires veulent que pierres. Toutes ces entraves n’avaient laissé
fameuse Salente aujour-
là ait été autrefois cette qu’un passage très-étroit, et si peu profond
d’hui perdue , et que chacun place dans la la- que les petites barques seules pouvaient arrirer
pygie, au gré de son capice. Et les antiquaires au bassin. L’eau ne s’y renouvelant plus, il de-
ont beau jeu , car la mystérieuse ville de Sa- vint un marais pestilentiel. On a fait depuis
lentc était déjà détruite au temps de Sirabon , quelques travaux pour élargir le canal mais :

de Pline et de Ptolomée; aucun des trois n’en ils sont insulRsants, et le port n'en est pas moins

fait mention. à demi comblé.


La plaine de Gallipoli est commandée par le 11 ne reste plus rien du faste de Brindes, pas

mont Hidro. Situé entre les deux mers, c’est le même des ruines. 11 y a deux ou trois siècles

belvédère naturel de la presqu’île Salentine. Du qu’on voyait encore un théâtre, des thermes,
faîte, on domine du côté de Gallipoli tout le un temple du soleil et de la lune; tout cela a
golfe de Tarenle , borné au midi par les monta- été détruit pour construire le fort de mer et le
gnes de la Calabre; du eôté d'Otrante, c’est la séminaire. Il ne reste plus qu’un fragment de
mer Adriatique monts d'Albanie.
et les murailles réticulaires à la porte de Naples, et
de Philippe Briganti
Gallipoli est la patrie un puits dont la construction inténeure rap-
jurisconsulte et éamomiste,dont le commentaire pelle la grandeur romaine.
sur Florus a é-clairci plusieurs points d'histoire Des deux colonnes qui s’élevaient sur le port,

romaine. Brifjanti est mort au commencement l’une s'est conservée entière par miracle; il n’y
du siècle. a plus de l’autre que le piédestal et un morceau
J'ai oublié de dire que Leccé avait donné le du fût renversé, couché en travers sans doute
jourau marquisPalmicri, l'un despremiers Na- par un tremblement de terre. Ces deux co-
politains qui aient écrit sur l'é-conomie publique lonnes étaient de marbre blanc ; elles avaient
dcsDeux-Siciles. Quoique ces deux noms n’aient cinquante-deux pieds de haut; mais elles man-
guère passé le .seuil de leur pays natal , Galli- quaient de proportion , l’élévation du fût étant
poli et Leccé n’en .sont pas moins très Gères. beaucoup trop grande pour le diamètre. On a
C'est, du reste, un sentiment commun aux beaucoup disserté sur leur destination. Comme
villes d'Italie; toutes, et surtout celles du elles faisaient face à l’entrée du port , on a

royaume de Naples, sont fort jalouses de leurs prétendu qu’elles soutenaient un fanal; mais

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TERRE O’OTRANTE. 17
cela eM peu croyable. U est plus probable qu’elles » le miel
y égale celui de l’Hymète; l’olive y
ne lurent érig^ là que pour marquer le terme » lutte avec celle de la verte Vénafre ici le ;

de la voie Appia. » printemps est long, et Jupiter y dispense des


Décimée par le mauvais air, la population de » hivers tièdes. Aimé de Bacchus le fertile co-
,

Brindes est descendue, de cent mille babilans, » teau d’AuIone n’a pas à envier les raisins de

à six mille. Elle passe pour fort peu civilisée et » Faleme. Ce lieu de délices , ces bienheu-

peu industrieuse. Les campagnes d'alentour » reuses collines te réclament avec moi c’est :

sont de vraies steppes désertes et souvent ma- » là que tu répandras les larmes d’adieu sur la

récageuses, où l'un peut marcher tout un jour » cendre brûlante du poète ton ami.

sans rencontrer un visage humain et sans trou- Le ciel Tarentin est bien aussi clément qu’au
ver un arbre où s'abriter du soleil. temps d’Horace : les printemps y sont aussi
Brindes est la patrie du poète tragique Pacu- longs ,
les hivers aussi tièdes ;
mais , livrées à
vius, le neveu d’Ennius; et l’on sait que Vir- elles-mêmes , les collines n’ont plus ces vins
gile
y mourut. exquis ,
les vallées n’ont plus de miel ;
l'olivier
à Brindes que la veuve de Germanicus
C'est règne encore règne seul , il a tout détrôné ;
et
débarqua les cendres de son époux, empoisonné ses teintes grises et monotones ont envahi la
dans l'Orient. Cette scène pathétique rappelle campagne. Le fleuve Galcsc n’est plus qu’une
un des plus beaux morceaux, le plus beau peut- rigole , et , quand on l’a vu ,
il faut l’oublier
être des annales de Tacite (1), et rien, je l’a- pour prendre de nouveau plaisir aux idylles
voue , pas meme Pompée , pas même Horace d’Horace et de Gessner. Ainsi , ce n’est pas seu-
rien , à la vue de ces lieux déchus et mornes lement la ville et ses habitants qui ont changé,
ne me préoccupa davantage. c’est la nature elle-même.
Au moyen âge, Brindes fut le théâtre de Le temps a balayé jusqu'aux ruines. Pas un
plusieurs solennités nuptiales. C’est à Brindes monument de l’ancienne république n’est, je
que furent célébrées les noces de Roger, fils ne dis pas debout, mais reconnaissable. Quel-
de Tancrède avec Irène, fille d'Isaac, em-
aillé ques belles colonnes transportées dans la cathé-
pereur grec. Plus tard y furent célébrées celles drale, sont tout ce que j'ai trouvé. -Les unes
de Frédéric II avec lole, fille de Jean de sont lie marbre rouge, les autres de vert an-
Brienne, qui avait obtenu le titre de roi de tique. Mais lu plaisir de contempler ces an-
,

Jérusalem par sa femme, la reine Marie. Fré- tiques dépouilles, fut chèrement payé par la
déric reçut ce titre en dot, lequel fut ensuite nécessité oîi Je fus d'avaler le trésor et les reli-
confirmé à Charles d'Anjou , d’où il est resté ques de saint Cataido, patron de la ville. Je vis
au roi de Naples. C’est à Brindes même , et eu aussi quclc]ues vases grecs dits étrusques , ritais
se mariant, que Frédéric avait été couronne de peu d'intérêt, et beaucoup de médailles du
roi de Jérusalem. la république. Elles portent, pour la plupart,
Onfait remonter l’origine de Brindes à Dio- une tête de femme , et au revers un homme à
mède , même à Thésée , dont les compagnons cheval sur un poisson , symbole de la ville an-
dit-on la fondèrent au retour de l’expédition de
, cienne.
la Toison-d’Or. La population moderne est composée de gen-
Quant à Tarente , sa ruine n’est pas moins üllâtres ruinés et de pécheurs. Les hommes sont
profonde. Antique rivale de Rome et sa maî- en général bien faits, et les femmes se distin-
tresse en philosophie , elle n'est plus
en arts et guent souvent par une régularité de traits toul-
comme Cotrone , qu’une méchante bourgade à-fait grecque. Les habitants ont d’ailleurs con-
insignifiante. La ville moderne n’occupe même servé les goûts calmes et les molles habitudes de
plus le site de l’ancienne celle-ci se déployait
:
leurs ancêtres. Une industrie tarentine, indus-
sur tore ferme; celle-là est toute bâtie sur
la trie vraiment monacale, consiste à fabriquer
un amarré an continent par deux ponts , et
Ilot des tableaux et des vases avec des coquilles de
où s’élevait jadk an château fort. toutes couleurs et de toutes formes. Et en cela
« Cet an^e de terre’, écrivait Horace à son les amateurs sont bien servis, car ce que la mer
» ami Septimius, me sourit plus que tout autre,. jette de crustacés dans ces parages est prodi-
gieux. Le poisson n’y tat pas moins abondant.
(i) Arual. in, i. On y p^e, entr’autres, le murex, ce oo-
, ,

48 ITALIE PITTORESQUE.
quillage merveilleux avec lequel les anciens fai- deux qui l’ont inspiré et par le peuple qui Ta
saient la couleur pourpre ; le secret en est perdu. composé. Il faut voir les belles Tarentines vcûti-
Il avait été apporté à Tarente par les Tyrriens, ger sur la pelouse castagnette en main au
, la ,

les seuls qui le semble con-


possédassent. Ce fait son de la guilarre du tambour basque indi-
et
firmer l’opinion des historiens qui font de Ta- gène; autrement on ne peut ni goûter ni com-
rante une colonie phénicienne remplacée en- prendre la Tarentelle.
suite, mais beaucoup plus tard, par les Lacé- Je parcourais ces lieux en hiver ; l’hiver est
démoniens sous la conduite de Phalanlc. la saison du pays l’été
y est trop chaud ; la cam-
,

Tarente a baptisé un insecte devenu célèbre pagne était émaillée de femmes occupées à re-
sous le nom de Tarentule et une danse indi- , cueillir les olives ; ce n’était partout que chants
gène qui ne l'est pas moins en Europe sous le et danses ; le voyage était un enchantement
nom de Tarentelle. continuel; et je me souvenais, à chaque pas,
La Tarentule , sur laquelle on a fait tant d’his- que le grand musicien Pacsiello est né à Ta-
toires , est une espèce d’araignée dont la piqûre renle. C’est là en effet qu’il devait naître, car
produit réellement une irritation nerveuse que c’est vraiment un pays d’harmonie. Il
y a de la
la musique soulage. Quand elle trouve un corps musique dans l’atmosphère , et l’on trouverait
sain , la blessure n'est pas dangereuse ; mais , si sans nul doute, dans les airs villageois, plus
elle rencontre un germe vicié ,
l’irritation de- d’un motif fécondé et illustré plus tard par le
viciu chronique et ne se guérit guère. Un mé- grand maître.
decin du pays m’a donné là-dessus des ren.sei- Nul point de ce riant paysage ne m’est resté
gncnienls précieux; lui-méme s’est fait piquer plus profondément gravé dans la mémoire que
au bras ;
il éprouva les symptômes nerveux que Manduria , petite ville antique entre Tarente et
|c viens de dire, et de plus un grand malai.se Leccé. Ce fut primitivement une colonie Ty-
d’estomac; mais il guérit après quelques jours. rienne qui plus tard devint grecque. On y voit
Les savants considèrent en général comme des' encore des sépultures et des murailles antiques.
fables tout ce qu’ona débité sur la piqûre de la Mais j’étais moins occupé de ces insignifiants
Tarentule , comme produisant le tarentisme vestiges que de l’aménité des campagnes. Quoi-
ou besoin immodéré de la danse qui va jusqu’à qu’elles soient plantées d’oliviers, les métairies y
l'épuisement. Peut-être ne faut-il voir là qu’une sont siartistement disposées et d’une architec-
de ces associations d'idées si communes chez les ture siélégante et si légère, qu’elles triomphent
peuples à imagination ardente. On aura associé, de la monotonie qui d’ordinaire s’attache aux
par un de cause à effet , deux phénomènes
lien olivets. -
distincts, qui n’ont d’autre rapport que d’appa- Toutes les femmes de Manduria étaient datis
raitre aux mêmes lieux à l’existence de la Ta- ; les champs portant aux bras de petits paniers
,

rentule on aura appuyé l’existence de la Taren- de jonc qu’elles remplissaient d’olives en chan-
telle. tant. Toutes ces voix étaient fraîches et argen-
La Tarentelle! tout le monde la connaît; tines. Les groupes répondaient aux groupes
c'est une danse volcanique comme les émotions comme s’ils se fussent entendus pour chanter en
qu’elle exprime; c’est l’histoire d’une passion partie.
méridionale à tous ses âges, dans toutes scs pha- Quand venait le soir, on se réunissait de
ses. Tout geste est une idée, toute pose un sen- toutes parts autour d’une fontaine ou sous un
timent. La danse estd’abord contrainte, pudique, chêne , les garçons avec leurs guitares ,
les filles

irnisoluc, ravissant emblème des combats in- avec leurs castagnettes et leurs tambours de
times d’un amour silencieux; puis, quand la basque ; on allumait un feu , on prenait en
passion déborde et triomphe , la danse s’anime, commun un repas champêtre , le fiasco rustique
s’emporte et passe de la timidité à l’audace. On circulait de main en main ,
puis l’on dansait
résiste, elle attaque; on recule, elle poursuit, jusqu’à ce que la nuit chassât dans les chau-
elle entraîne , et bacchante enivrée ,
bacchante mières les joyeux acteurs de ces pastorales im-
en délire, elle se précipite en aveugle à la vo- provisées. Ce sont en effet là autant d’idylles
lupté. Pour apprécier ce poème, dont l’amour toutes faites , qui n'attendent ,
pour passer à la

est le héros, et où on le voit naître, grandir, postérité ,


que la muse de Théocrite ou d’André
lutter cl vaincre, il faut le voir danser sous les Chenier. Ciurles Didier^
,

POUILLES. 40

TERRE DE BARI. — — Marine*. — Villes de Tintérienr. —


Biri. — Champ de Bai-lette. bataillede Cannes.
— Canose. — CAPITAN.ATA. — Tavolier de Ponille. — Manfredonia. — Pèlerinage au Honl.Gargano. —
Luoérie. — Val de Botino. — Sortie de» Ponille».

Celait le 5 Janvier. La lune brillait ,


tes de Sicile. C’est là qnc
Terre d’Otrantc ,
finit la

étoiles scintillaient dans les eaux de l’Adriatique, et que la Terre de Bari commence ; mais tout
l’air était presque froid. Fatigué d’une longue ce pays, et bien haut encore jusqu’au fleuve
journée pédestre, et surpris par la nuit en Fortore, qui forme la limite du Samnium, tout
pleine campagne, je vis tont-à-coup resplendir le pays est connu sous le nom générique de

au loin les clartés multipliées et vivantes d'une Pouilic. C’est l'ancienne Apulic.

C 'était Bari capitale de la province nom-


ville. ,
A Ostuni, la nature se peuple et s’égaie;

mée de son nom Terre de Bari. le sol devient inégal et accidenté. Le noir
Il était grand temps d’arriver, car il se faisait caroubier se mêle an pâle olivier. De gran-
tard et j'étais las. Je venais de Brindes. Seul des et opulentes métairies sont semées dans la
toujours, et quoiqu'à pied, j’avais fait en deux campagne jusque là déserte ailleurs, c’est quel-
;

jours, et deux jours d’hiver, les quarante milles que chapelle isolée, champêtre monument de
et plus qui séparent les deux villes. Plus de la la dévotion villageoise; puis redescendant à la
moitié se fait dans le désert. Jusqu'à Ostuni céte, dont la route s'est éloignée de quelques
dernière ville de la Terre tfOlrante, on ne milles on arrive à Monopoli , le premier an-
,

trouve pas un village, pas une maison. C’est neau de cette longue chaiiie de villes qui se dé-
une vaste plaine toute couverte de bruyères sté- roule avec grâce le long de la côte baroise jus-
riles , et souvent pavée de grands bancs de tuf in- qu'à l'Ofanto. On n’en compte pas moins de
crustés de coquillages pétrifiés. Cette plaine soli- trois avant d’arriver à Bari de ce côté-ci , et
taire s’en va mélancoliquement mourir à la mer cinq au nord; ce qui fait, y compris Bari, la
avec laquelle elle se confond. De loin en loin , s’é- capitale, neuf villes, sur une ligne de côte de
lève quelque bouquet de bois , quelque maigre dix-huit lieues.
plantation d’oliviers, puis les arbres disparais- Monopoli, la première, est une charmante
sent, cédant la place aux landes. La/^ûi api>ia pas- petite cité gaie , bien aérée , bien peuplée, qui
sait par là; par là passèrent Virgile qui allait a une belle cathédrale et des environs charmants.
mourir à Brindes; Horace qui s’y allait divertir; La mer forme à l’entour des anses gracieuses;
Pompée fugitif; César, son vainqueur, tant de la vague ne vient plus comme aux maremmes
grands hommes de guerre , tant de grands de Brindes, expirer silencieusement sur une
hommes de paix que le nombre en est incalcu-
,
grève sablonneuse et muette; elle se brise ici
lable. Le prestige de tant de noms illustres peu- contre les rochers, dont le rivage est bordé,
ple de souvenir ces austères solitudes. et volant en raille éclats, sa bruyante écume,
On distingue encore çà et là qimlqnes dalles étincelle au soleil comme une pluie de diamans.
intactes de la voie antique, et je découvris Toute cette côte est pittoresque. Tantôt c’est
moi-méme au milieu de la plaine un vaste une ancienne carrière abandonnée , pleine de
fragment de construction réticulaire. Etait-ce ronces et d’arbustes vivaces; tantôt c'est une
un temple? une villa? un tombeau? C’est ce large citerne qu’ombrage la large feuille du fi-

f{uc je ne saurais dire. Tout ce que je puis af- guier, et où le troupeau vient s’abreuver le soir

firmer, c’est que c’est undébris romain. I.n so- en bêlant.


litude de ces parages est si profonde que de tout Après Monopoli , vient Polignano , petite
le jour je ne rencontrai qu’une seule figure ville du même genre , quoique moins élégante
kumainb c’était un pauvre soldat fatigué qui
: et moins populeuse. Mais ces maisons méridio-
se rendait à Brindes. nales ,
sans toiture ,
font toujours effet ; il

La plaine franchie ,
on passe sous les vertes semble qu’on traverse Pompéi. Nous n’avons,
collines d'Ostuni ;
la ville ,
l’un des plus beaux nous autres septentrionaux dont les maisons
points de vue de
province, s’élève beaucoup
la sont tout en toit , nous n’avons pas l’idée de la
plus haut, coquettement cachée dans les oliviers. grâce que le toit enlève aux édifices. Il les
Ces collines finissent par devenir assez pitto- écrase. Polignano est bâtie en partie sur les ro-
resques; elles ressemblent aux coteaux hybléens chers; sous l’un de ces rochers à pic, et sous
LU. Italii riTT. (POCILLIS.)
, ,.

50 ITALIE PIT TORESQl E.


lu ville niciiie ,
s'ouvre une vaste grotte tic près comme un géant funeste sur
la plus haute tour.

lie cent pieds de hauteur ,


sur deux à trois cents Mola dernier lieu habité que l’on trouve
est le

de profondeur. La mer la remplit tout entière, avant Bari d’où nous sommes partis tout à
et l’on n’y peut pénétrer tpi’en l>ateau , eonimc l’heure ,
et où nous voici revenus de notre ex-
dans les fameuses grottes de l’ile de Caprée. La cursion rétrograde.
limpidité de l’eau y est merveilleuse , et la lu- Ce donc j’étais las , et la méchante att-
soir là ,

mière produit dans les demi-ténèbres de la licrge de l’endroit me parut un lieu de délices.
eaverne des reflets mystérieux et poiHiques. On Le lendemain, je fus désappointé je m’atten- :

l’!i|)pclle dans le pays GrotUi di Paltizzo, sans dais à trouver dans Bari quelque cho.se d’origi-
doute parce qu’autrefois quelque |>alais donton nal ) je supposais à une ville si célèbre aux jours
distingue encore aujourd’hui plus d’un vestige, du Bas-Empire, une physionomie toute bizan-
couronnait le rocher qui lui sert de ciel. Des tine )
je me trompais, il n’en est rien. Bari n’a
ligiiiers d’Inde et un palmier , un seul , forment rien de grec que .son histoire. Ses monumens ne
la décoration du paysage. le sont pas ou pour parler avec plus d’exacti-
,

l’n ]ieu plus loin est un grand édifice blanc tude , Bari n’a point de monumeus. Sa cathé-
a.ssisà la [«ointe d’un promontoire. C’est l’an- drale est de mauvais goût. L’église de Saint-
eicnne abbaye de San-Vito; elle a plus l’air Nicolas —
le saint Nicolas de Bari est cé-
d'un palais que d’un monastère. La légende lèbre en Italie —
me plairait davantage si
est que le fils d’un prince de Lucanie , San-Vito l’intérieur, qui menaçait ruine, n’avait été défi-
fit don de ce territoire îi des Cordeliers qui ,
en guré par des arcs-boutants massif. Le plafond
revanche, lui donnèrent à lui et aux siens la est doré et orné de peintures dont quel(|ues-unes

vertu d’empéeher les chiens de devenir enra- ne sont pas sans mérite. La ville vieille est
gés. n'y a plus de moines aujourd'hui , et si la
Il sale , ,
mal bâtie, et malgré cela sans
tortueuse
philosophie s’en félicite, le voyageur a lieu de caractère.Le làuboiirg est plus fringant plus ,

s’en plaindre, car en est réduit maintenant


il riche moderne , et par cela même il a
,
plus
il acheter à prix d’or, dans la sale taverne qui moins de caractère encore. Je me consolai de
s'est nichée là ,
une hospitalité que le cloître lui mon mécompte par la contemplation de la mer
prodiguait j.adis magnifiquement. Il est vrai que Adriatique, bleue et limpide comme un lac
sa le Père Prieur palpait cinquante
révérence suisse.
mille livresde rente. L'ne muraille d’enceinte Une antre comsolation , c’était la vue des
le préservait de la visite importune et coûteuse femmes dont I'es.saim gracieux emplissait les
des barbaresques. La situation du monastère est églises. Elles étaient toutes en habits de fête
délicieuse, et l’architecture en est élégante pour célébrer l’Epiphanie (les Rois), et toutes
([uoique irrégulière. L’escalier surtout est haidi me paraissaient belles.

etmène sur une terrasse à portiques, qui a Après bien des vicissitudes [lolitiqucs, le du-
vue sur la plus belle mer du monde. Au-dessous ché de Bari fit quelque tems partie du duché
estun petit port où abordent les bateaux de pé- de Milan, et il ne fut définitivement incorporé
eheurs. au royaume de Naples que vers 1357. Je ne veux
haut, dans les terres, est la ville de
Plus pas omettre dedi re que Bari fut la patrie deMaïon
tionversano, fief de ce fameux comte de Conver- Fils d’un marchand d’huile, Maïon s’éleva de
sano qui lit une guerre si acharnée aux brigands cette condition obs<'ure à celle de grand-amiral
de l’Abruzze. C’était au seizième siècle Don : chancelier et premier ministre de la mnnareliie
Juan de Zunica, comte de Miranda, était alors sicilienne, alors l’une de.s premières del’Europe.
vice-roi d’Espagne, à Naples'. C’était au douzième siècle, sous le rè'gnc de
Sorti du couvent, on entre dans une forêt d’o- Guillaume le Grand, dit ensuite le Mauvais.
liviers à laquelle succède un bois de myrtes tout Arrivé là, lefilsdu marchand d'huile eut le sort
à fait dignedes mythologiques bosquets de Gnidc de beaucoup de scs pareils, la tête lui tourna ,

et de Paphos. Puis vient Mola , sœur «h; Poli- il conspira la ruine du souverain pour se mettre

(piano et de Monopoli ; même .site , même archi- à sa place) il s’allia danscede.sseiii avec l'arche-
tecture) rien ne la distingue d’elles, rien , pas vêque de Palermc et finit par tomber sous le,

même le perfide et as.sassin télégraphe ,


hissé poignard d’unautre factieux maisd’unfactieux ,

*
Voir GtsnQoae. xxxit. 5. féodal, Matthieu Bonnella,scigncurdeMistrctta.
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rii

anniiiiL’:

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I*(yt I .LES. Tl I

Il parait qu'au luoyeu-àgc , l'air Uu Bari souf- blé; zône torride en été ’
;
en hiver, tiède cl verte
flail la rcvultc comme il souille aujourd'hui la prairie. Les accidents naturels
y sont très-rares,
rc&igualioii. Déjà avant Maïon, Bari
un siècle y sont nuis ce sont toujours les mêmes hori-
;

avait donné le jour à un autre factieux , le riche zons, partout les mêmes spectacles. Les marines,
et turbulent Mello. Exilé par les Grecs au Monl- nous l'avons vu, sont plus pittoresques. Cepen-
Gargano, e'est lui qui proposa aux p<’-lcrins dant ces vastes plaines oui un charme; si elles
normands la conquête de la l’oiiille. mantpienl de variété ,
leur grandeur même
Toute déchnequ'est Bari, et quoique le corn* crée de majestueux horizons et d'immenses pers-
merce y soit aujourd'hui réduit à un misérable pectives. C'est une nature propre à la rêverie et

cabokige, le marin harois a conservé une ré- dont le oilme, le silence, apaise cl inspire je ne
putation d'intrépidité; montes sur de frêles |ia- sais quelle scrx’nité intérieure que les montagnes
rancelles non pontées, les pécheurs s'en vont ne donnent |X>inl.

aiTronter, des saisonsenlières, tous les accidens, Les terres sont prestpi'aussi ptniplécsquc les
tous les caprices de l'ticéan, côtes. Une seconde chaine de villes se déroule
Passé Bari, la chaine de villes continue vient :
|>arallèlement h l'autre. Il serait trop long cl fas-

d'abord Giovenazzo puis Molfetia puis Bisee- tidieux de les citer toutes. Les principales sont :

, ,

glia, trois villes sans ancun intérêt, ni d'archi- Bilonlo, célèbre par la bataille qui arracha le

tecture , ni d'art, et lout-h-làit scmblaliles aux royaume du Naples à la dominal'ion autri-


villes déjà ira versé'cs. Trani ,qucrou trouve en- chienne et mil sur lu trône l'infant don Carlos ;

suite, est plus considérable , et a quelque diosc Terlizzi qui passèvlc un beau médailler grec;
d'une capitule. Elle a des maisons qui méritent Kuvo, ancienne ville grecque, par oii passait

presque le nom de palais, lùtics en lielle pierre la voie Appia, cl dont parle Horace, dans son
tailU'-c en diamant, La cathédrale non terminée voyage à Brindes; on découvre h l’cntour et au
est un Ix-'aii monument de rarchilcelurç nor- milieu des villas, quantité de st'pulcres, et de ces
mande. L'intérieur est noble et grandiose. Le vases ilalo-grccs dits étrusques. Ruvo occupe
port fut jadis comblé dans l'intérêt du né- pre.stptc le centre de la province , et Iwlie sur
goce vénitien par la république aristocralico-
.
une éminence, elle la domine tout entière. Non
meix'antile de Saint-Marc. Trani est le siège loin, cl au pied d'une chaine de collines Ixisses,
des tribunaux de la province, et l'on veiiail dites les A/urgie , s'élève , dans la Solitude ,

d'y fusiller quatre babilanis, gens comme il un autre belvt-dère non moins im|K).saiil, et
faut , galanluomini , de la petite ville vui.siuc qu’un voit de partout c'est le chàtea)i du Moût,
:

de Coralo, qui avaientam.‘l6 et volé le procaccio vieille cl .somptueuse forteresse U'ilie |Kir l'em-

d'Allamura. Un cinquième s'était empoisonné pcreiir Frédéric 11, aujourd'hui abandonnée

avec un vésicatoire. Neuf autres, tous compli- aux choucas.


ces du même crime, avaient été condamnés à Beaucoup plus avant dans les lerrtxs , et
difl'érenles |K’incs. sur les e.xirêmes connus de la province, du
La campagne autour de Trani est déserte, côte de la Basilicala , il y a deux villes qu'on ne
peut passer sous silence la plus méridionale
mais couverte d'une multitude de ces petites :

buttes du pierre , bâties sans chaux , dont nous estAltamur.i, cité infortunée qui paya cher, en
avons vu les classiques modèles au capdcLeuea. 1 7U9, son ilévouemeni à la lilK-rlé, cl dont le siège

lai dernière ville maritime de la Tcrredc Bari, acharné marque dans les saturnales sanglantes
cl comme le dernier anneau de la cliaiuc ,
c'est de la monarchie. C'est une des j)lus affreuses
Barlellc cité illustre à plus d'uu litre ; mais Iragixlies des temps modernes. Les alxanina-
,

avant il’v entrer, quittons quelque, temps les ma- lions ipi on en raconte ne seraient pas croya-

rines, et faisons, pour varier, une pereéxî dans bles si elles n'étaient allcsiws par des témoins
les terres. La physionomie de rinléricur est uni- oculaires des deux partis. Le cardinal Ttuffo
forme : c'est une plaine sans bornes, surface commandait le siège en [HTSoniie , et la place
plate cl si unie (|u'on y découvre un catalier à était défendue par les habitants, au nom de la

trois milles, et qu'un chardon |iarait un homme. PouiUf* est le pavi le plus sec de tonie l'ilalic
' I.a
C'est lit que commence la Bouille plane, Piiglia Sur la liRue de l’.tdrialitiue la quaiilité moyenne de
Pitina, qui certes a bien mérité son nom. C'est pluie ne l'cli-ïe pas , en dix ans ,
au- dessus de ig pon-
la .Mcditcrraiiré elle s'élèteà aj.
un sol pauvre d'arbres, riche en avoine et en ces; sur la ligue de ,

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52 ITALIE PITTORESQUE.
ri'-publique parlliénopécnnc. Leur résistance nappe de verdure à perte de vue s’étend du
lut héroïque, mais inutile la ville fut prise d’as-
;
de Manfredonia au golfcdc Tarcntc, toute
golle
saut. Tous ceux qui ne purent pas fuir furent tachetée de villes et de villages. En face et par
massacrés ; les moines qui avaient embrassé le delà les limites dela province , s’élève en pleine

parti républicain ,
eurent le même sort puis ;
Basilicata le Mont-Vulture, volcan éteint et
Vannée chrétienne, c'est le nom que Ruffo don- ksolé, découpé en triple diadème, comme le
nait à ses infiïmes bandes royalistes, se rua sur Mont-Blanc. Au nord, le Mont-Gargano ferme
les femmes comme une troupe de bêtes féroces, l’horizon ; au midi , le chAtcau du Mont se dresse
et c'est alors que furent commi.scs les plus ré- comme un géant dans la solitude, et plus près de
voltantes atrocités, diqnc proloque de la tragé- la mer, les clochers aigus d’Andria percent la

die jouée bientôt apres dans la capitale. nue.


I.a forteresse d'Altamiira avait servi de prison Barlettc est du reste une jolie ville, avec un
(|uatrc siècles plus tôt à Othon de Brunswick, château souabe, une cathédrale gothique, des
dernier époux de la reine Jeanne 1'*. La cathé- rues larges et propres , des maisons bien bâties,
drale est .sombre et austère. et un air de vie et gaîté. Elle ne possède en fait
Plus près encore de la Basilicatact à quelques d’art qu’une statue de bronze, colossale, repré-
milles sculemcntd'Altamura,est Gravina, l'une sentant, les uns disent Androiiiciis, d’autres,
des villes les plus pittoresques qui .soient dans lleracliiis, d’autres encore, Rachisio, duc de
le royaume de Naples. Tirées des vastes rochers Bénévent. Ce qu’il y a de certain , c’est qu’elle
de tuf, dont le sol est jonché, et se confondant estdu Bas-Empire , lourde et de mauvais goût.
.souvent avec eux, les maisons sont jetées pêle- Les jambes sont modernes et détestables.
mêle au hord du précii>ice sur les flancs de , Mais je sortis de la ville de Barictte moins
deux moutaqncs, unies par un pont à deux ranqs occupé de tout cela tpie des .souvenirs du roi
d'arches qui rappelle celui de Gorigliano en Ga- Manfred , prince chevaleresque qui aimait ces
lahrc. On entre dans lu ville par un chemin pé>- contrées, et y tenait une joyeuse cour, che-
rillcux taillé dans le roc. Iji verdure se mêle aux vauchant et courant les aventures .
édifices, et quoique sottement motlcrnisée la ca-
, A peine hors des murs, je me jetai en pleine
thédrale, l’une des plus belles du royaume cou- , cam|wgne au ,
.sein d’un vaste pâturage .semé de
ronne l’œuvre de ses arceaux qothi(|ucs. Elle est troupeaux sans autres pasteurs que des chiens
d’ailleurs merveilleusement située. Sous la ville , hostiles et bruyants. La plaine est parfaitement
dedans, autour, partout s’ouvrent d'innombra- unie, prc.squc partout inculte. Çà ctl.â, quekjues
bles cavernes de toute grandeur, de toute for- bergeries. D’abord élevé, le sol sabais.se tout
me , qui servent aujouixl’liui de retraites aux d’un coup, et l’on arrive sur le champ de Iwtaille
troupeaux. Elles en servirent, dit-on, jadis aux deCannes.L’ncchainc de collines ha.sses, appelées
hommes, aux dieux, et l'on y retrouve des traccs pr Polybc Monts de Cannes , court à l’Orient :

d’habitations etmême de temples. Le dehors est â l’Occident coule l'Ofaiito, l’ancien Aufidus. A
digne du dedans. C’est une plaine mélancolique, l’autre bord du fleuve est une métairie nommée
muette, sans limites. Il n’y a d’arbres que deux I’aplctto,prèsde laquelle est lechampditPezin
cyprès immobiles devant un couvent isolé; de (H Sangue. On a cru et on a publié que ce nom
hôtiments que le couvent lui-même ; et il t|uclque terrible était tin monument de la grande défaite,
distance, dans le désert, la chapelle délaisst'-c c’est une erreur , ce nom est bien plus moderne,
de Sninte-Maric-dcs-Gnices. et ne rappelle qu’une escarmouche du moyen-
Mais je reviens à Barictte. âge. D’ailleurs la Pezza di Sangue esté la rive
Ce ne sera pas pour long-temps , car un lieu gauche de l’Ofanto , et la bataille se donna sur la

voisin, lieu classique s’il en est un dans l’his- rive droite.


toire, la plaine de Cannes, nous rtïlamc et nous ' I.oRe spisso U notle csccva per Barlclta, canlan-
fait presser le pas. Ilùtons-nous doncd'escaindcr » <lo Stramliuotti e Canauni , c con caao ivano due
le haut clocher de la cathéilralc, lx:lvé-dcre » miisici Siciliani rlic crano ftniD romanzaturi Nellr —
aérien, d’où tous les lieux vus et ii voir vont se • feate di Natale ae ne (erc Kr*n Iriunfo percliè o||Di
a jorno IC ne fetero balli , dore crano donne bcllisaimc
dérouler sous nos pieds comme une carte. D’un
m d’onne aorte c lo Rc pmenlara cqualiuente a lutte
côté, la mer
sans Iwrncs; de l’autre, la plaine
c non se aapea qiiale cliiâ H piacca. a (Oironiqtie
sans hornesaussi. Que d’air! Qucd’cspacc! Une sicilienne cootcniporaioe.)

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,,

POUILLES.
Quclqu'inlérét qui s’allache aux événements bliraiiics je faisais de bien tristes rctourssiir no.s
,

sur qui en furent le théâtre et qui sont


les lieux jours d’égoï.sme, de peur et d’avarice. Appuyé
consacrés pour eux , ce n’est pas ici le cas d’en- contre une colonne miliaire de la voie Appiu

grande
trer dans les détails stratégiques de cette oiiblié-e là temps au Ixird d’une fontaine,
par le

tragédie militaire , la plus raémorahle de l’anti- je contemplais, avec une émotion muette, ce
quité, sinon par les résultats, du moins par le champ de mort où toinbcTCnt en un seul jour
nombre des victimes. Il ne périt pas moins de tant de braves, et où le Iwnle de .Morven aurait
soixante mille Romains. Les deux proconsuls vu tant d’ombres errer sur les nuages. L'Ol’anto
vingt-neuf tribuns militaires , plus de quatre- glLs.sait .sans bruit dans son lit de sable; la plaine

vingts sénateurs et le consul Paul-Emile res- se déroulait silencieuse et déserte; quelques


tèrent sur le cliamp de carnage. Annibal fit vestiges de tombeaux antiques étaient disperst'-s

dix mille prisonniers. Polybe allirme qu'il dut, autour de moi; une paisible bergerie, qui a
en grande partie, aux auxiliaires
la victoire TOUservé ce nom terrible de Cannes, était là à
Gaulois qui servaient sous ses drapeaux. Le mes pieds avec ses troupeaux liélans; cbas,sés,
puits au bord duquel vint expirer Paul-Emile par les neiges, de leurs montagnes natales, quel-
Pozzo di Ernilio, est encore intact. G’est une ques pâtres abruzzais , bonimes simples et hos-
source couverte d'une voûte; elle est là au pitaliers , m'entouraient avec étonnement l’un ;

pietl même de la colline, et non, comme l’ont s’occnipait à traire une chèvre rétive pour m en
pix‘tendu des antiquaires, à Egnaliu, ancienne offrir le lait écumant dans la tas.se de liois , un
cité pcucéticnnc, située à quatre-vingt milles autre remuait la poussière avec sa boulette fi-r-
de Cannes, entre llrindres et Bari. ré-e en forme de biiton augurai afin d’exhumer

Les vertus romaines ne sont guère de mode IHiur moi quelque comiolc antique ou <[uel-
aujourd’hui , et le goût du jour trouve cela bien ques-uns de ces débris d’armes et de cuirasses
suranné ; tant pis pour le goût du jour , car je (lotit cette terre est si fixMiide ;
un troisième, me
ne sais rien de plus héroïquement simple que la prenant pour magicien etchercheur de trésors,
mort de Paul-Emile. On sait qu’il n’avait pas car un trésor est enfoui dans toutes les ruines ,

voidu le combat; mais obligi- de céder à son mé- se |;li.s.sait furtivement à mon oreille, et me de-

diocre et présomptueux rival '


,
il n’avait pas mandait, à voix basse, les numéros sorUants de la
boudé pour cela et n’en avait pas moins payé loterie. Cette bucolique en action formait un con-
,

de sa personne jusqu’à se faire tuer dans la tra.ste étrange avec le lieu qui en était le théâtre,
,

mêlée. Bles,sé à mort, il rendait le dernier soupir et dans la naïveté de leur grosse et bonne igno-
assis, sanglant, sur une pierre. Le tribun Lentu- ranœ, ces enfans de la montagne ne compre-
lus })a.s.sn devant lui. — « Emile, lui dit-il, prends naient rien à ma tristesse rêveuse et investi-

» mon cheval, mets-toi en sûreté ; n’ajoutepas ta gatrice.


» mort au désastre de la journée. » — « Lentii- Tont-à-coup le vent m’apporta les sons loin-
» lus, répondit tr.anquilicmcnt le consul, va, tains d’une harpe. Etait-ce qucltju’un de ces
» ne perds pas à vouloir sauver un mourant le Iwrdcs mystérieux , de ces génies aériens des
» temps de te sauver toi-inêmc, va dire nu s«:- mvthologics cah'xlonicnnes ? C’étaient deux
» nat de fortifier Rome et de pourvoir à la dé- joiieurs (le harpe ambulants quis’cu allaient vers
» fense de la république avant l’arrivée de Barlette ,
en fivdonnant Tu vedrai la sventum-
:

» rennemi. » —
Voilà comme on meurt dans ta et Nelfuror délia tempesla, airs alors nou-
les républic]iies; la dernière pcnst'x! est pour veaux de Bellini; car en ce Icmps-Ià le jeune
l’Etat. Aujourd’hui, un général au lit de mort rvgnenc encore que d’essayer sa voix mé-
faisait

appelle son valet-de-cbambre : — « lai Fleur, lui l(xlieusc; et voilàque le jeune cygne s’est déjà
» dit-il prends ce porte-feuille et va cncais.scr tû. Où s’cst-il donc envolé ? Cependant les c’e ix

» mes
,

lettres de change. » — Autres temps, trouliadoursambulants se perdirent dans là vaste


autres mœurs. plaine, la plaine où dort Paul-Emile, et les sons

Préoccupé, et je l’avoue sans rougir, attendri mélodieux s’évanouirent dans l’espace.


par ces nobles souvenirs des antiquesvertus répu- M’arrachant à la sincère Irnspitalité des pâtres
qui voulaient me retenir pour la nuit dans la
* Comme Legeoclre, Térentiot Varro avait com-
mencé aa carrière politique par être bouclier. '
Ij iixis'-.

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, ,

ITALIE PITTORESOIE.
Posla, c’csl le nom coiisaci'é un muiioir paslural, les faire pâturer entix: le neuve F'ortore qui
j'allai couclier ù Laiu»c, ville sciiii-f,'rm|iic borne la Pouille au nord et l'Ufanto. C'est là ce
soiiu-laliiic,,uii l'on parlail les lieux laiif'ues, qu'on ap|iellc leTaeulier. Par des décrets sub-
il'uii l'é|iillièlc de Bilingues donnée ù ses liabi- .sétpieuls, ces pâturages furent alfcrmés, el li;
lanls. Elle s'élève pyramidalement sur une col- sont encore aujourd'hui. C'est un peu comme
line, el de loin fait un Im'I ellet, mais de près la Mesla d'Espagne.
ce n'esl qu'un amas sidc et cunrus de mauvaises Foggia, qui est le centre du Tavolier, est aussi
maisons et de uuiuvaises rues. L’égli.sc callié-- la capitale de la province. C'est une ville insigni-
drale, Chiesa Maître, est rielie de colonnes an- Charles d'.Vnjou y mourut de nige au
liante.

tiques enlevées c,-à el là aux temples païens. moment où il i-omplotait la vengeance des Yèpixxi
Iloéniuiid, fiLs de llolx-rl fiuiscard, y est ense- Siciliennes. l.’eiii|K'reur Frixlérich II était mort
veli. On voilencorc h Canose beaucoup de restes dans un hameau voisin II y a à Foggia d énor-
de loinlieaux anciens. Un assez Ixxiii découvert ,
mes dé|H>ls de hié ; on le conserve da ns des fusses,
en 1817, passe pour celui de Itusa, celte femme comme nu Maroc, et le peuple meurt de faim

opulente el ma^niri(|ue qui traita si liien les Itu- sur la pierre qui les scelle. O miruclc de I écunu-
iiiains après la défaite de (àiniies; maisc'esl une uiic politique!
sup|X)silion sans preuves, sans proladiililé, un A queli]ucs milles de Foggia on voit, au mi-
Uiptème toiit-à-fait f'raluil. lieu d’un ehamp triste cl nu je ne dirai pas les
,

.V tpiclques milles plus en avant dans les mines, car il n'y en a aucune, mais le site de
terres, est la petite ville de .Minervino dont le la ville d'.Vrpi, l'une des plus anciennes cités

nom n'a pas besoin de couimentaire. Une grotte grecques de l'Italie. F'ondée par Diomède à son
aujourd'hui consueixà: à l'arcbangc Mieliel retour de la guerre de Troie, elle fut rcgardt'c
l'était jadis à .Minerve; une statue mutilée comme la capitule de rancienne .Vpulic; et son
trouvée pour celle de la déesse.
là passif histoire , ou du moins le peu c|u’on en sait , se
A une dcmi-licuc de Canose , en descendant raltacJic aux traditions primitives de la répu-
à rUfanlo, on trouve un assez méslioere arc de blique européenne. Il ne reste rien d'elle i|ue
iriompbecn briques, ptii.s un pas.se le llenve quelques mi'xlailles exhumées par la charrue ;
sur un pont, el l'on entre dans la ('aipilanala, mais son nom n’est pus mort , et le lieu s'appelle
troisième et dernière province des Pouilles. .V Cantpo efrirpi.
|>eine y a-t-on fait quelijues milles, qu'un Une idée fixe de voyageur me pous.sait |Kir

traverse un nouveau champ de bataille dont la une force irrésistible à Manfredouia ;


piait-étrc

gloire toute moderne n'alteint |xis à la gloire de parce que ce nom dans un roman
se trouve
(àinnes, mais marque pourtant dans les annales d'Anne Badclille, qui à douze uns faisait mes
dn seizième sUvle ; c’est Cerignola, ville chétive délices. Je fus trompé dans mou attente le golfe ;

el in.signilianle, où le duc de Nemours fut dé- de .Manfredoniu n'c.sl ni pittoresque, ni riant


Gonzalve de Conloue, malgré
fait (l.àu.'i) |>ar Ixn-dé qu'il est de prosaïipics salines et de marais
l'intrépidité chevaleresque de Bayard. Cette dé- pleins de hullles. C'est un site triste et monotone;
faite coûta à la France le royaume de Naples, etquantà la ville, ce n’est qu'une Ismrjpidesans
<|ui passa alors tout entier dans le sceptre de caractère, dominiH;, ou plutôt écra.séc d’un lourd
ce Ferdinand, dit IcCaibolùpie, <|ui serait lieaii- château. Fille n’a pour elle que d'avoir été fondée
coup mieux baptisé le l*uni(|uc. par le roi Manfnxl, qui lui a donné sou nont.
La Capilanala nppelle par son nom le Bas- L'ancienne cité de .Si|x)ntuni a laissé li^ sien à

Empire et le règne îles Capitans. La nature y une petite cha|>ellc gothique dédiée à siinte Ma-
ressemble à celle que nous quittons : ménie sc- rie lie Si]»nto. Fille s'élève solitairement à un
rlicn'ssc, même nudité, inémi« plaines sans en toni-
mille de la ville, et elle est as-sez riche
limites. I>c grands troupeaux de chevaux errent lx;aux eten déhris antiques.
en liltcrté an sein des |>àlurd|p^. La Capilanala Manfreilonia est au pied du .Mont-Cargano
est le centre du Tavolier de PouUle. Voulant qui s'avance en promontoire dans la mer, et
soulager et a.ssisler les .\bruzzais qui .sont fort forme l’éperon de la Iwtte italique. Cette mon-
pauvres, et qui manquent de terre, le roi tagne, i.soléc au Isnit de» plaines apuliennos
.Viphonsc d'.Vrragon lit venir il'Espagne des comme le mont de Cirex’ à l’extrémité des .Ma-
moutons qu’il leur distribua, avec le droit de reumies romaines, est calcaire comme lui, «l

. C'iOOgli
LA Fîi'riILa^K

ABKATK r-K 3AH TITT-.

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, ,

. POU • LES. .'..y

comuie lui du( furmcr une ilcaux époques anié- |)rit les devaiis. Elle m’éhcrgeji chez elle, me

riuurcstlu f;lofac. déharrassa de mon niaulenti hianc de neige cl ,

'
l<c Mont-Gai^no a un pélcrinafje ct-lèbrc de- se mit en devoir de me Inver les pieds comme la
puis dix sÜTles c’csl celui de l'arclianfîe
;
M iehcl, Madeleine lavait les pietls ilu Sauveur. Il fallut
dans de son nom Mont-Saiiil-
la ville iioniiiiéx; : hicn se lai.s.scr faire ;
je dus même, pour soutenir
Aiifje.Cest de là que les quarante pèlerins iior- mon n'ilc, suivre mon lullesse dans l'église de
I inands du onzième siècle s'élancèrent à la con- l'.Vrchangc. Ileureusemeiit qu’elle ui’y lais.su

. (piètedcs Deiix-Siciles .seul


,
ne voulant pas irouhler ma prière.
Le le haut de la
classique sanctuaire occupe La .solitude me soidagea; pour moi cominr
niontaf'tie.LV|xx]ue du prand pèlerinage est au pour un roi c’était la lilxtrté. A peine hono-
I
mois de mai. Je le iis au mois de janvier, et par rai-je d’tin regard la statue tant lévérée
i un pied de nci(;c, ce qui m’attira une considé- par un blasphème impie, au ciseau
attrihué'c,
ration iuar(|U(H;, et u>e mit presque en odeur de de .Miehcl-.Vngc, et qui n'est qu'un iné'cliant ou-
sainteté. Venir de si loin cl dans une pareille vrage l’artdiangc vaiiupieiir a In mine d un
;

sais4in pour bai.ser les pieds du divin archange, fat, et Satan qu'il ternisse fait la grinmcc comme

quelle foi ardente, courageuse! Ktail-ce dévo- une veille femme en colère. Le temple est une
tion spontanée? clait-ec p<‘nitence ou repentir? caverne naturelle, d'une olisciirité sévère et
venais-jeexpierun crime ou faire un simple acte niélnncoli(|iie, comme celle de Saintc-ilosalie,
d'adoration volontaire? Voilà les qiicstiniis que au nioiit Pellegriuo. On voit dans la fpxjlle l eui-
s’adressaient les gens du lieu, et certes ils étaient preiiite du pieil de l’-Arehange, et l'on
y con-
I
loin du vrai; pèlerin de la nature, cl non de .serve un morceau de la vraie croix donné par
leurs idoles, j'étais |K'u digne de la canoni.salioii reinpereur Fi'édéric II , tout .suspect qu'il fut
I
qu'ils me pnxliguaient. Je n'en eus moins, |>as alors d'avoir l’-crit le fameux livre apocryphe
malgré moi tous les honneurs. A peine eus-je
,
des Tivis Jm/msteuri: cl tout plongé qu'il est
I

mis le pied dans la ville, que la population in'eii- jiar Dante dans l’enfer des héréiàpics.
I

I
tuura, surtout les femmes. Enveloppé dans mon .Mais tout cela m'intéressait |h;u.Je profitai
I
luaumaii, et tout hérisséde friuiascomme le viejl- lie maliberté pour reprendre mon caniclère
'
lard mythologique je traversai la foule au mi- iintiirel, et me glis.sant furtivement hors du
,

heu des Pu/ercldcs Le Seigneur t' accotti- sanctuaire par une porte de derrière, comme
i pagne ! rtqmUucnt mille voix cl l'on se signait ,
si je venais de voler le tronc, je me mis, malgré

sur mon passage. Quelques-uns même s’age- la neige, à b chasse des sites. Excepté du coté

nouillaient comme pour implorer ma hénédic- de l'.Vdriatique ils sont bornés. La mer lourde
lion. Plus d'une femme Ixiisa furtivement le |uin et immobile comme une glace ternie, réflechis-
de mon manteau. Une , plus ardente que les .sait un ciel rouge et neigeux. La neige rouvrait

autres, me saisit La nuiin et la porta à ses lèvres. tous les sommets, toutes les vallé-es, et ces scènes
Elle était jeune et jolie. d'hiver étaient plus dignes de la Suisse que de
Une autre, mais cidle— là n'était malheureu- l'Italie. Ce ji'cst pas ce qu'oii va chercher au

sement ni l'un ni l'autre, s'cmpai-a de moi et ilelà des .VIpes.


me conduisit dans .sa maison , nu grand désap- Quand je rentRii chez mon hùte.s.se, elle ne
pointement de l'apothicaire, qui avait évidem- douta |Kis, la lionne femme, que je ne revins.'K-
ment des vues sur le pèlerin, et <|ui aspirait directement «le l'église, et (]uc je n'eusse pris
à l'honneur d'étre son liôtc; mais lu matrone heure avec le conléssciir. Je laissai croire tout
ce qu'un voulut, mais le lendemain matin le faux
'
ün pot'tc latin du' onzième siècle, Gnillanmc do
Pouillo.chantMonvei'S. sur la demande dupa pvri’hainll, |HMerin s’échappa de la ville sans être aperçu.
lot arentures dos yioritiauds et leurs conquêtes. Le I.e vent, un vrai vent des Alpes, soulevait
pêlcriuajfc au Gargano n'est pas oublié ;
et me fouettait au visage des tourbillons de
lluinim nonnulli Gargani culmina montia neige qui m'aveuglaient ; mais après quclc|ues
Gonscondetv tibi .Michael Arcbangole voti
,
hcim-s d'une descente rapide, je retrouvai la
Drbila solventes. Ibi qiiemdam conspicientes
plaine et jia.ssai comme par eiiehantement du
More viriini grzco vostitum noniiuc ^lellum , etc.

Ce Mello est celui dont nous avons parle à Bari. climat de la SilMu ie au printcnqis éternel des îles

(Voir aussi la Chronique de saint Rartholomêe de Car- de la mer du Sud.


pioelo et .\rnolfo, Storia fit Mifano.) Je me retrouvais donc d.ans les plaines
, ,

ITALIE PITTORESQUE.
«l'Apiilic. Le Candclaro, le plus grand fleuve ans aux plus grands événements de l'histoire
de. la eonlrée ,
était débordé. Il m'arriva italienne. C’est là que le consul Papirius ven-

mèiiie là une aventure assez pic|uante. La gea l'alTnmt des Fourches-Caudincs. Plus tard,
eruc du fleuve avait mis tous les ponts sous au temps de lu dynastie Souabe, Frédéric II y
deux pieds d'eau. Impossible de pas.scr ce soir- transplanta de Sicile une colonie de Sarrazins
là mais où coucher? Il n’y a de ce côté du
: qui restèrent fidèles à son successeur jusqu’au
fleuve ni villes, ni villages; San-Severo est dernier moment , et quand ses sujets chrétiens
de l'autre côté. Je me résignai donc à aller étaient tous félons.
comme un véritable pèlerin demander l’hospi- Cette colonie d'infidèles fut un des griefs dont
talité de métairie en métairie. La première était s'arma le pape p)ur légitimer l'acharnemeni
vide. La seconde était habitée pur le propriétaire, des pcrst'-cutions dont il frappa la nohie et in-
vieux marquis de l'emlroit, qui avait été inten- fortunée dynastie Soualx;. Entrant dans des
dant de la province, c'est-à-<lire préfet et qui ,
passions qui étaient du temps et qui de plus .ser-
tombé en disgrâce , était alors retenu au lit par vaient scs plans d'ambition , Charles d'Anjou
la goutte. Je ne pus le voir. Je lui exposai mon l’usurpateur, avait liaptisé Manfred 1e A'uudnn
cas |>ar écrit; il me répondit de même et jkis de Lucérie,
trop poliment, que dans sa position il ne pou- la's modernes habitants de Lucérie , race

vait recevoir un inconnu dont la police pour-,


inciviliséc et mal dre.ssée , n’ont certes pas hé-
rait lui demander œmpte. En me présentant le rité de leurs ancêtres Maures l'hospitalité. La

papier d'une main le facteur du marquis


,
cathédrale est la plus belle église de la province;
m'cxbilta de l'antre deux rouleaux d'argent. elle est enrichie comme celles de Canose et de

L'était la seconde fois que j'avais l'avantage Siponic des dépouilles de marbre du paganisme.
d'etre pris pour mendiant. Je l'avais déjà été en Elle est du temps des Angevins. Le château
Lalabrc mais cette fois-ci l'aumône était splen- Souabe anime le paysage de .ses vastes ruines.
;

dide. Je ris de la mépri.sc. — « Allez dire à Je passai ensuite à Troïa. petite ville antique,
» votre maître, répondis-je au facteur, qu’il se liâtieen amphithéâtre pres<iu'au pied d'une
X trompe ; je demandais de lui non l'aumône énorme montagne, dite de Sidon , qui sert de li-
» mais l'hospitalité, n — Le pauvre facteur en mite à trois provinces : le Samnitim , la Princi-

fut tout confus. en lui une complète ré-


Il SC fit pauté ultérieure, et la Capitanata. Troïa est
volution. Nul doute maintenant que je ne fusse encore un champ de Ixilaille. Le duc d'Anjou
un prince déguisé. Il prit son fusil et voulut alv Jean y futbattu parle roi Ferdinand I*', en 1.16.1,
.soluinent m'escorter jusqu'à une porte moins et cette défaite consomma sans retour laniinedu
inhospitalière. I-e prince déguisé .s'en alla donc parti angevin, dans IcsDcux-Sicilcs. Un fait re-
frapper à une troisième métairie, dont le maître, marquable c’est la part qu’eut dans la victoire
moins timoré, m’offrit tout ce qu’il avait, de la le fameux Scanderbeg il avait amené en per-
:

paillepour lit et un souper de laitage. Jamais sonne ses auxiliaires albanais au roi Ferdinand,
je n’avaisdormi mieux ni plus long-temps. et re<;ut en récompense plusieurs places de

Le lendemain le fleuve avait décru ; le remon- Pouilic Trani entr’autres et les villes du Monl-
:

tant jusque sous les hauteurs d'Apricène, je le Gargano.


passai sur le pont, ou plutôt sur le parapet du De Troïa ,
où il n’y a rien à voir , j’allai
])ont de Branci , car l'eau n'avait pas tellement chercher la grande route , et sans autre ren-
baissé que le pont fut dé’couvcrt tout entier. Je contre que celle d’un vieux loup qui chassait
traversai à grand’peine les prairies inondées de un ntouton sur les flancs du mont Calvello, je
San-Severo, ville agricole, sans intérêt, et de là m’enfonçai dans le val de Bovino qui forme la
j’atteignis, à travers des boucs inextricables, limite des Pouilles, et qui est la clé de Naples^
les hauteurs sèches de Lucéric , jMcera. de ce côté, comme les défilés d’Itri le sont du
Lucéric est la ville la plus illustre de 1a Capi- côté du nord.
lanata son nom fut mêlé pendant deux mille
; Uiiahles Disiir.

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, ,,, —

ABRÜZZES. 57
Piano lU Ciniiue Miglia. Vallée Je Sulmone. — Ovide. Gorge Tremblante. Maïcilc.— —
Vallée de l’Enfer. — —
— Mariuea.—Vaslo. Atri. — —
Singulier privilège de l’évêque de Teramo. Gecco d’Aacoli, ai*chitecte cl astro- —
logue. —
Le Grand-Uoclier d'Italie. Pictra-Camela. —
Al>origêncs. Ascension du Grand-Roeber. — —
Aquila. —
Défaite de Braccio. —
Couronnement de l’ermite Pierre de Morrone. Bcana-arU. Arcliivcs de — —
la famille Torres. — —
Deux Icllfcs du Tasse. Monumens funèbres. Origines italiques. Panthéon des Abruzaes. — —

L’Abruizc Icrmine le royaume de Naples au mille fontaines dont le Gizio s’alimente répan-
nord comme la Calabre le Icrmine au midi ; de daient dans l’air une fraîcheur déjà précieuse. C’é-
meme qu’il y a trois Calabres , il y a trois Abruz- tait au mois de mai; le soleil couchant frappait des
zes l’Abruzzc ciléricure et les deux Abruzzes
; plus riches teintes les âpres flancs de la Maiclle,
ultérieures; on voit que les dénominalions mêmes et leGrand-Rocher nageait dans une mer d’or.
sont identiques. L'Abruzzc est un pays de mon- La ville de Sulmone où je ne me pressai p.as ,

tagnes comme la Calabre ,


mais moins boisé d’entrer, tant b campagne était alors séduisante,
moins fcrlilc ,
ce qui en rend les habilans plus est la patrie d'Ovide. C’est bien là que devait
industrieux, plus laborieux, plus tenaces. Peut- naître le poète de l’amour et de la nature : il existe
doué d'un coup d'œil moins
être l'Abruzzais est-il entre les grands hommes et leur berceau je ne
prompt , d'un tempérament moins vif que le sais quel accord préétabli, quelle harmonie mys-
Calabrais ; mais il a plus de constance et un térieuse qui les rend pour ainsi dire inséparables.
génie naturel incontestable. Le sentiment moral Le l'homme , l'homme à son tour
lieu explique
est chez lui plus fort, et il est hospitalier jus- explique leet l’on comprend mieux l’un
lieu ,

qu'au dévouement , jusqu’au sticrifice. par l'autre. C’est ainsi qu’àb vue du lac de Ge-
L’entrée de l'Abruzze, en venant de Naples, a nève, on sent que Rousseau devait naître là; oui,
une singulière ressemblance avec l’entrée de la Rousseau devait naître à Genève Dante à Flo- ,

Calabre. Le plateait dit de Cinq Milles, Piano rence , Tasse à Sorrentc , Ovide à Sulmone.
di Cinqnc AlL^tia quoique moins sauvage Sauf le souvenir de son poète, Sulmone a peu
moins terrible , n’en rappelle pas moins d’une d’intérêt. Un aqueduc du temps de b reine
manière frappante le Campo-Taiièsc : même sté- Jeanne aujourd’hui hors d’emploi et tout chargé
,

rilité ,
même solitude même silence même en-
, ,
de ronces pendantes traverse b ville et en est
,

tassement de monlagnes. Comme le Campo-Ta- l’ornement le plus pittoresque. A deux milles et


nèse donne accès à la vallée du Cralis ,
ainsi le dans un site mébncoliquc, de toutes parts fermé
plateau de Cinq Milles donne accès .à la vallée par les montagnes, est b première abbaye des
de Sulmone ; c’est la même disposition physique : Célestins elle fut fondée par ce Pierre de Mor-
:

mais quelle difTércncc entre les deux vallées! Au- ronc ,


dont on voit l’ermitage plus haut au flanc
tant le vallon du Cralis est monotone , triste de b montagne qui lui a donné son nom, et qui,
désert autant relui de Sulmone est varié ,
riant, tiré de sa grotte d’anachorète pour être mis au
;

peuplé. Avec quel charme l’œil fatigué de l’ari- trône de saint Pierre ,

dité des montagnes se repose sur la verdure tendre


Fecc per vlltatc il gran rlGutO.
et frair.be des peupliers qui ombragent la plaine
cl des prairies qui la tapissent ! La vaste et riche abbaye est convertie en
une
L’austère nudité du vestibule ne promettait pauvre maison de charité. Tout près,est un frag-

pas un temple si délicicuseincnl décoré. ment de mur du nom de Po-


réticulaire baptisé
Un ruisseau ,
le Gizio d'Ovide ,
traverse la deri di Oyidio non loin coule une fontaine ,
; et
vallée de Sulmone tout entière. Elle est fermée Fonte d'Amore, où le poète enfant vint peut-être
du côté de l’Adriatique par la Maiclle, la plus chanter scs premiers soupirs.
haute montagne de l’Apennin après le (irand- A Vénosc nous avons vu b statue d’un béné-
Rocher d’Italie, GrauSusso d'ltalia,c\\c Grand- dictin érigée en statue d’IIorace; à Sulmone,
Rocher lui même la clôt au nord. Comme je Ovide est un recollct. Une remarque à faire sur
descendais les hauteurs de l’etlorano ,
vieux ch.à- ces singulières mélamorpho^cs c’est que le ,

tcau ruiné, tout verdoyant de lierre, les rossi- moyen âge avait une telle foi dans réicrnilé de
gnols chantaient dans les peupliers ;
tantôt brisés ses institutions ,
de ses coutumes , de ses moin-
en cascades d’écume, tantôt invisibles sous les mas- dres usages ,
qu’il ne pouvait concevoir qu’ils
sifs de chèvre-feuille et d’églantiers en fleur ,
les n’eussent pas toujours régné ,
et que le moiido
MX. liai. riTT.' («SI izu.)

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,, ,

SR ITALIE riTTOUESQUE.
eût <‘té une fols autre qu’il ne le voyait. C'est ce ture sur ses propres ruines. D’autres fois le rodier

sentiment qui leur faisait donner aux anciens les tombe à pic dans une nudité primitive , et le
costumes modernes. J'ai vu un manuscrit de Sal- spectacle est alors plus sombre , plus sauvage.
sénat de Home et Cicéron lui- L’une de ces vallées est terrible entre toutes
luste (i) où le

comme autant de moines les autres c’est la Vallée de l’Enfer alloue


méme sont représentés ; ,

réunis au chapitre. J'en vu un autre (a) où ai fifir Jujinin: le nom seul indique assez les émo-
le sublime meurtrier Virginius est équipé en che-
tions dont sa vue agite le pâtre. Il n’en paiie que
en châtelaine. Après cela peut-
valier et la victime
comme d’un lieu funeste: son imagination frap-
pée peuple d'élres surnaturels, en fait le théâ-
on s'étonner qu’Horace et qu'Ovide , qui certes,
la
,

étaient de grands clercs, aient été affublés par le


tre de scènes sataniques. Celui à qui je m'adressai
moyen âge de la robe monacale ? pour m'y conduire refusa ; ma demande même
pas éveilla en lui des soupçons que justifiait du
Le patriotisme des Sulmonais ne s’est

montre sinon maison d'Ovide, du reste mon isolement au milieu de res solitudes.
borné la ;
il la

qu'elle occupait, et j'eus l'honneur S'aventure-t-on ainsi seul sur ces hautes rimas?
moins le site

de loger sous le toit quia remplacé le toit du |W)ète. Si l'on est un chercheur de trésors, qu’on aille
seul à la découverte si l'on est un hanteur du
A quelque distance de Sulmone et plus haut :

sahb.vt qu'on s’adresse à Satan. Voilà bien certai-


dans la vallée, est le village de Pentina, l'ancienne ,

CorBnium, qui fut le centre de la guerresocialc, et nement les pensées, qui avaient ému le pàtrq en
qui, par cette raison, avait reçu des alliés le nom
me voyant poindre à I horizon comme une appa-
rition de mauvais augure. Et quant i la Vallée
d'italique ; avec scs prêteurs , son sénat , ses con-
de l'Enfer par-delà la neige
une véritable doublure de Rome,
suls, c’était ,
elle était ,
disait-il
,

nuages, par-delà vingt cimes inaceesai-


une Rome en miniature. On la croit la patrie et les

d’un autre poète , Silius Italiens (3).


blcs : disant cela ,
il me montrait du doigt la

Plus haut, le fleuve Aterno , vulgairement dit montagne, et son œil moitié ciTrayé ,
moitié

Pescara torrent rapide et turbulent, a creusé railleur, semblait me dire ; Essaie, et tu verras.
,

tourmentés remplis- Je n’essayai point; ce refus obstiné m’exposait â


une gorge étroite que scs flots
aller mourir de faim ou de froid dans la neige et
sent de bruit et d’écume. Le lieu est si sauvage,
dans les rochers; je ne tentai pas l'aventure.
que le peuple, toujours poète dans ses baptêmes
l'anommé laGorgeTremblantc, Onia 7'iemniirn. Quant au pâtre, il rajusta à sa ceinture de cuir sa
Ceux qui aiment la nature dans ses hor- barbe qu’il en avait tirée par précaution , U se-
coua sou habit de peau , et s'asseyant sous un
reurs plus que dans ses aménités n’ont qu'à
Maiellc c’est qu’elle est formidable hêtre au ipilieu de ses chèvres , il se mit à jouer
gravir la : l.i
;

c'est là qu'elle porte à l’homme le défi de la domp- de la flûte ,


comme s’il eût voulu conjurer par k.
musique les images superstitieuses que le malen-
ter.Des vallées que l’oeil s’efi’raic à sonder, d'in-
contreux voyageur avait évoquées devant kn.
commensurables précipices, tels que la Calabre et
le Pollino lui-méme n’en ont pas de pareils , y
Du Mont-Amer, Moule- Amaro point cul-

rappellent ces époques inconnues mais visibles,


minant de la Maïelle, la vue est immense. On a.

sous ses pieds, d'un côté les crêtes sombres et


où les eaux du ciel, reines du globe, le crevas-
boisées du Morrone, un dédale infini de vallées,
saient ,le déchiraient en tous sens , y creusaient
de montagnes, de précipices ; de l’autre, les ma-
en passant de gigantesques sillons avec la même
rines avec leurs bois d’oliviers , leurs villages
aisance que la charrue trace un guéret. Ces in-
blancs la mer Adriatique tout entière et par-
sondables abimes, dont l’uii meme s’appelle Val , ,

delà les côtes bleuâtres de la Dilmatie. Vu db oc


sans fond, f alloua sjoudo, sont parfois tapissés
point , le mont Gargano parait une colline, pres-
de forets, magnifiques draperies jetées par la na-
que une plaine. Le Rocher d'itslle cachait sa tête
sous une couronne de nuages.
(t) Dans la bibliothèque <le Genève.
(2j Dans le couvent de S. Miguel de los Reyes, à Après une journée entière passée sur ces som-
Valence. mets aériens, je descendu aux marines. Du Vasto
(3) qu’on le f.iit naître généralenient en Espa-
.le sai.v
aux limites de l'État romain je les parcourus
gne dans la ville andalouse d’Ilalica mais s’il était né ;
dans toute leur étendue ; elles forment une ligne
là, son surnom ne serait pas Italtcus, mais /tnlicensis
de soixante à quatre-vingts milles, dont le centre
comme le prouvent tontes les inscrijilious d’Italica ras-
semblées dans r.Mcarar de tîcvillc. i lieu est occupé par l'ancioone forteresse de Pei-
AlîRUZZES. 59
Tara, élevée presque à l'embouchure de la rivièi e la ville, et dont le nom bizarre, Saii-Giovuimi-a-
de son nom. Elle joua dans les guerres d'Italie f^cuere, Saint-Jean-à-Vénus , rappelle un peu
un rôle important : c'est un lieu déchu -, ce n'est profanement la divinité mondaine que le saint du
plus qu'une caserne. Les quatre ou cinq mille désert a détrônée : c’était un temple de Vénus
soldats qui y sont cantonnés semblent là pour Conciliatrice.
garder la solitude de ces longues rues désertes où Quant à Chieti ,
capitale de la province de l’A-
riicrbe croit ,
de ces lagunes fiévreuses qui at- bruzze citérieure,
c’est une ville sans aucun in-

tiisteut lacampagne et infectent l’air. Toutefois une fuis qu'on est dedans, on ii’a rien de
térêt:

c’est un lieu lomanesque, et l’on aime à faire re- mieux à faire qu’à en sortir ; c’est ce que je fis
tentir du bruit de ses pas le silence des places vi- dans le plus court délai.
des , l'écho des maisons vides comme les places. La Pascara ,
et on se rappelle que c’est
passée
Francavilla et Ortona sont deux petites villes en la passant que périt
le fameux eondottier

voisines sépai-ées par le fleuve Fore; l’une ,


Or- Sforza, un entre dans la première Abruzze ul-

tima, est vive et riante comme une ville de térieure moins intéressante des trois. Sol
: c’est la

Pouille ;
l’autre , Francavilla , est noire, triste, ingrat, monotones vallées , collines d'argile, tor-
mais admirablement située pour le paysage. rens sans eau l'intérieur vers les montagnes
;

Le Vasto, qui est beaucoup plus au midi, est n’est presque qu’un grand pâturage ; les marines
tout-à-fait une ville jiouillaise -, c'est la méini; sont marécageuses et dénuées , excepté du côté
architecture, mêmes maisons blanches, les
les du Tronto, ou les oliviers abondent.
mêmes rues aérées. Le Vasto est la plus grande De Chieti à Teramo, il n’y a pas un lieu à ci-
maritime de l’Abruzie c'est l’ancienne His-
ville : ter, ni Civita di Penne, l'ancienne capitale des
tonium , la patrie du poète lauréat M. Bæbius. Vestini, ni le fort Lorcto, pris d’assaut et ran-
On y a déterré beaucoup de médailles , de vases, çonné par Piccinino. Cependant il ne faut pas
et, entre autres choses précieuses un vaste drap ,
omettre l’antique Atri, Halria, patrie ou lieu
d'amiantequi servit long-tempsà iicttoycrun four. d’origine de l’ein|)creur Adrien ;
c'est une des
Le site du Vasto est délicieux , scs campagnes villes primitivL's de l'Italie , et cést elle qui a
d’une améidté ravissante. Quoique l’olivier
y do-
baptisé le golfe Adriatique. Elle est juchée sur la
mine, cpielques pins, quelques cyprès, et il n’en crête d’une colline sèche, aride, à quelques milles
faut pua beaucoup pour animer le paysage , sem- de la ciite
;
elle ii'a rien conservé de son ancien
blent jetés artistemeiit çà et là tout exprès pour lustre. C’est une bourgade campagnarde comme
couper la monotonie des olivcis ;
des casins gra- ses voisines ; mais ou y déterre parfois des choses
cieux rouvrent le flanc des collines
;
de |>etits ra- précieuses. Ses as sont classés au rang des mon-
vins plantés de cerisiers reçoivent les eaux des naies les plus rares et les plus instructives de l’an-
montagnes, et l’Âdi iatique eiulrellit tout cela de cienne Italie ;
ils sont gros, massifs, grossière-
scs flots bleus et limpides. C est marquis del
le ment fondus, et portent pour elTigie Vénus sortant
Vasto, appelé par les historiens français le mar- d’nne coquille, et pour légende les trois lettres

quis du Guast, qui eut honneur de faire Fran- I HAT, abréviation d'Ilatria (i).
çois 1" prisonnier à la bataille de Pavie , et l’on La autre détail curieux du pays est la petite
montre encore lu selle qu’il montait. coloide allKinaisc de \ illahadessa, qui a conservé
Lanciano est une autre ville des marines , un le rite grec ;
elle est jirès de Civita di Penne.
peu plus avant dans les terres ; je n'y ai rien re- Je n’ai rien eu à dire de Chieti ;
je n'ai rien à
marqué qu’un site pittoresque , ut une somp- dire non plus de Teramo sinon
tueuse église bâtie sur un triple |K>nt loinain; que c'est 1e chef-lieu de la province, comme elle
singulier piédestal pour un temple chrétien Ce ! le fut anciennement des Precutini, et que son
pont, du temps de Dioclétien, est jeté sur une ra- évêque a le droit de célébrer la messe le casque

vine étroite, etl’églis»* est bâtie en l honneur d'une en au poing. Ce privilège qui re-
tète et l'é|)éc
,

madone dont l'image se trouva là. L'enseinble est monte aux croisades, d autres disent aux Nor-
grandiose et d’un ellèt singulier le pont est de ;
mands , est soigneusement consacré dans une
brique dans toute sa longueur, comme
et |M;rcé mauvaise croûte de la sacristie.

celui de liordcaux, d'une galerie intéricuie. A


(Ij Une colonie ée Siciliens gVlalilil à Atri sous le
|)ru|ius de la madone, il nu faut pas négliger de vieux Dciçvs, et Pliilistus s’y ix'lira et y cninpisa une
citer une autre église bâtit; à quelques milles de j
|urtie de son Idsloiie, comme llérodolc à Tliuriuni.

Dig! • (jOuglc
, ,,

GO ITALIE PITTORESQUE.
Teramoeslla p.ilrîed’uii fameux archilccte du au-dessus de la mer est de près de douze mille pal-

moyen âge, brûlé à Florence comme astrologue, mes napolitains : on voit qu’il atteint presque les

Francesco Stabili, connu sous le nom de Cccco hautes crêtes des Alpes; mais il est calcaire comme
Aprutino, et plus communément Cecco d’As- toute la chaîne. Brocchi a bien cru remarquer
coli, parce qu’il vécut long- temps dans cette der- quelques portions dites primitives, et Orsini des

y a meme laissé un
nière ville 5 il monument de bancs de gneiss ;
mais ce sont là des exceptions, et
son génie d'artiste c’est un pont bardi sur le
: la physionomie générale n’en est pas moins celle
fleuve Castcliano. Le peuple l’appelle le Pont du des montagnes secondaires.
Diable Ponte
,
dcl Diavolo. Voici ce que je Si, vu de loin, Grand
Rocher est aride,
le -

trouve dans un manuscrit italien du quatorzième nu, décharné , côté de Teramo est
son abord du
siècle, sur l’auteur de ce cbef-d'muvre d'archi- loin d’être aussi formidable. C’est de ce côlé-là
tecture : « Mastro Cecco d’Ascoli , isperto nella une profusion de verdure , une splendeur de vé-
li delta arte dell’ astrologia in parle voile cn- gétation qui surpasse de ireaucoup la vallée de
« trare tanto adentro ,
ebe inlinc dallo inquisi- Sulmonc. Le fleuve Mavone serpente en gracieux
n tore di Toscana in Firenze sotlo la signoria del méandres à travers les prairies ; des bosquets de
U dura di Calavria figliuolo ,
ebe lu dcl rc chênes et de peupliers penchent sur l'eau cou-
K Uberlo di Puglia, fu arso il corpo e le scrit- rante cl limpide leur chevelure ondoyante ; le
« ture sue, e ciù fu ncl idaS. a genêt parfume l’air, et mclce au cliquetis argentin
Pauvre humanité ! toujours aveugle cl féroï c des eascatelles, la flûte des pasteurs rivalise avec
par ignorance! les rossignols et les loriots. C’est au sein de ce
Rien ne nous captivant dans ces tristes vilbges, champêtre élyséc au pied meme du Grand-
et
que la vanité décore du nom de villes , liàlons- Rocher qu’est situé le charmant village d’Isola.
nous d’en sortir, regagnons les hautes cimes; ony Tombé en cascade des flancs de la montagne
respire plus à l’aise; l’air ni la lumière n’y sont le Ruzzo le traverse en bondissant et va se perdre

mesurés par la cupidité ; le spectacle des plaies à travers le jasmin, le chèvre-feuille cl les noyers.
humaines n’y afflige pas la vue ; on échappe là, Au-dessus du d’une
village et à l’extrême pointe

du moins pour un temps, à la tyrannie des luis colline en pain est le hameau ruiné de
de sucre,
sociales on rentre en possession de tout son être Paléarca qui ,
jouissait d’immu-
durant sa vie
; , ,

on y vil d'une vie libre , on s’y retrempe dans le nités considérables pour avoir donné naissance
,

commerce intime et direct de l'auteur des choses; au patron de Teramo san Berardo, des comtes
cl sorti de ces sources élhérées, on redescend de Paléarca. Plus haut encore, au-dessus de la
parmi les hommes plus fort et meilleur. Quand source de Ruzzo, est l’église de Sainte-Colombe
Moïse voulait se recueillir et se fortifier, il n’al- perdue au sein des bois c’est l’humble sanctuaire ;

lait pas errer parmi les tentes d'Isracl , il gravis- des bûcherons.
sait seul lemont Sinaï. Comme la Maïe'.le, le Grand -Rocher a son
Nous, qui ne sommes pas des Moïses, et qui Val d’Enfer, Sccsa dell' Iiiferiio ; le nom seul
ne sommes pas en Judée, nous allons gravir le vaut une description. Il est inutile de dire qu’ici
Grand-Rocher d’Italie. comme à la Maîelle, des histoires de trésors et de
Le Grand-Rocher se nomme aussi Montc- sorciers enflamment l’imagination oisive des pas-
Corno, Mont-Corne, peut-être parce qu’il s’é- teurs. une race d’hommes superstitieuse ;
C’est
lance au ciel comme une corne droite et aiguë. La elle l’estpartout journalier témoin des grandes
;

similitude n’est pas très-noble, mais clic est appro- scènes de la nature , l’homme des montagnes
priée à la terre classique des pasteurs cl des trou- s’exalte dans la solitude; son ignorance cherche la
peaux. A quoi voulez-vous qu’un pâtre compare loi des choses ;
elle se crée un monde à part ,
et

les accidens de la nature, sinon aux objets qu’il a frappée elle aussi des merveilles qu’elle ne com-
toutlejour sous les yeux.’ Le Grand-Rocher, ou prend pas, elle déchiffre à sa manière le mot de la
leMont-Corne, comme on voudra l'appeler, est un grande énigme de la création. Tel est le pâtre de
immense bloc de pierre sans végétation et d une l’Abruzze. S’il erre souvent cl se perd dans les
désespérante nudité. Sa forme est celle d’une py- chimères , que les savans d’académie ne dédai-
ramide tronquée; il ressemble un peu à l’aiguille gnent pas trop scs rêves et ses hypothèses ; car
du Dru qui domine la mer de glace de Clia- c’est à ces hypothèses, à ces rêveries mystiques

mouni ; seulement il est moins ciblé. Sa hauteur des antiques pasteurs de la Chaldéc que le monde
,,
,

ABRUZZES. G1
doit la science des astres. Qoi sait si ,
inslruincnt nature plus puLssantc qu'eux pour lu dompter ;
providentiel, le berger des Abriizics ii’est pas lui ils se contentèrent d'élcvt'r
,
pour les tenir en
aussi ,
sans le savoir ,
à la rcclicrclie de (luelquc bride, un fort dont les ruines sont encore visibles
science nouvelle ? Quand la pensée divine médite près du fleuve \umano, sur le plateau de Saint-
raccomplissemcnt de quelque grande œuvre ,
elle Martin ,
Piano <li San-Marlino (l).
use de |>ctits moyens ;
car le labeur et relVort i.e Il
y aurait bien d’autres lieux à citer, si l’on vou-
cunviennent qu’à la faiblesse bumainc. Ce n’est pas lait les nommer tous : il
y
aurait la république mi-
sur unes dans aiadémics i|ue croscopique dcSenarica
ce n'est y aurait surtout le cbà-
les ti
,
|>as les ;il

Dieu prend ses révélateurs e’est dans unecréelic : tcau voisin de Montorio, pl.aee d'armes des bandits
c'estdans une étable , et ce sont des pâtres qu'il abruzr.ais dans les quatorzième et seizième siècb’s;
ebarge du soin glorieux d'annoiirer les premiers protégés parleducd’AtrictIes deux marquisdella
au monde sa pensée et son (euvre. Valleet del Vasto, ces bandits ,
qui n'étaient peut-
Le dernier lieu babité, en quittant l'isola, est être que des partisans, jouent un singulier rôle
Fant-a-Corno , alficux bamcau, dont toutes les dans les annales najiolituines. L'avocat Giannone,

femmes ont le goitre. Il doit son nom à un an- qui a écrit I histoire de sa patrie plus en juriscon-
cien temple des dieux Faunes, dont le eliristia- sulte qu’en politique, a négligé de nous donner
nisme avait fait un couvent d'ermites ramaldules. sur ces étranges milices des renscignemens qu’il
Le cours des tenqis a supprimé le cloître ebrétien n’a pas même recbercliés ;
il no pat le d’elles qu’.â
comme le temple pnien. Mais ce n'est |ias de ce la volée ;
il nous dit en |iassaut que celles du
côté-lâ que le Gran-Sasso est directement acces- .seizième siècle donnèrent assez d’inquiétudes i:t
sible; il faut le tourner et aller (lasser à Pietra- prirent assez d’importance pour que le marquis
Cimmeria, dont on a fait Pietra-Caniela. C'est del Carpio ,
alors vice-roi d Espagne à ÎVaples,
par-là seulement qu'il est abordable ,
et que l'as- envoyât contre eux une armée en règle, sous les

cension en est possible. ordres de son propre Les factieux furent dé-
fils.

Pietra - Cimmeria , dont le nom rappelle les faits mais le vice-roi paya cher sa victoire son
;
;

Cimmériens , premiers habitans de ces terribles fils fut tué dans le combat. Montorio a de plus

contrées est un bameau plus affreux encore que


,
donné a l’Eglise un pape qui porta les passions
Fano-u-Corno. C'est le lieu babité le plus élevé sanglantes de l'inquisition sur le Irànc évangé-
non-sculcmcnt du la province et du royaume lique de saint Pierre : ce pape est Paul IV ;
il

mais de I Italie tout entière. Plus horrible encore était dominicain, et avait été grand-inquisiteur de
est Roseto ,
dont les Inabitans, inexorablement la chrétienté; c’est lui qui fulmina la fameuse
chassés de cliez eux par l’bivcr, descendent dans In cœint Pontini, et c’est la dureté in- bulle
la Campagne de Rome pour y ebereber leur ,tem|)estivc de ce moine qui acheva de détacher

pain. Fano-Adriano est un autre village, mais l'Angleterre du saint-siège.


moins maltraité par la nature ; il est assis au milieu Mais il est temps de revenir a la montagne dont
d'une petite plaine presque riante et bien inat- toutes ces excursions nous éloignent. X., 'ascension
tendue au milieu de ces précipices et de ces val- en est rude et longue : d’abord on traverse un
lées de pierre. grand bois de hêtres, qui la ceint jusqu'à mi-
Tous ces lieux servirent autrefoisde retraite aux côle d’une écharpe de verdure. Le bois passé,

alrorigènes. Rebelles à la civilisation guerrière et on découvre encore çâ et là qufciques maigres


quelque jieu brutale des Romains, comme les Si- ai bustes tourmentés par les orages puis quelques ,

caniens de Sicile le furent à la civilisation grecque herbes plus maigres encore ;


puis la végétation
Ica aborigènes fuyaient dans les forêts et cédaient cesse tout-â-fait, et l’on ne trouve plus que le
le sol pouce à pouce aux conquérans. Chassés do lichen d'Islande, qui végète sur la pierre nue et
cimecncime, ils arrivèrent ,
luttant toujours ja- se complaît sur les plus froides cimes. Le ]iic fi-
,

mais vaincus, sur ces derniers confins du globe. nal ,


celui qui forme comme le couronnement de
Là, la terre leur manquant, ils disputèrent auxeha- la cbainc, est flanqué de vallées d'une désolante
mois et auxuurs leurs retraites jusqu'alors respec- aridité. Abritées des vents ,
elles ont de la neige

tées , et s’établirent sur ces inacressibles sommets. à peu près toute l’année ; l’une meme , où la neige
Les Romains ne paraissent pas les avoir poursuivis est plus abondante et plus persistante, se nomme

dans ce dernier asile : ils firent mieux ,


ils lais-
(!) Voir l’ouvrage de Bruoetti sur les monuincns de
sèrent cette race indomptable aux prises avec une l’Abruzac.
,

62 ITALIE PITTORESQUE.
le noyau il occupe le |>oint central de la chaîné

leGlacler des Pasleur.s, CItiacciajo dui Pecorai. ;

Ces enfomcmeiis font parailrc plus raide cl plus également éloigné du phare de Messine où est le
hardie l’aijjuillc culmiiianle ou, comme disent pied de l’Apennin, et du golfe de Gènes ou en
,

les bergers la Corne du Graiid-Rneher. est la tète , le Grand Rocher est à l’Italie ce que
,

nous n’aroiis pas i|uit(é ce rjuc Ion Delphes est à la Grèce ;


et le petit lac de Cutilio,
Jusr)u’iei

pourrait apjreler le piédestal de la colonne eesl ;


qui bleuit au pied ,
est regardé comme l’ombilic

la colonne maintenant qu’il s’agit de gravir, et de la Péninsule.

l’entreprise n’est pas facile car la montée est Si ,


au lieu d’élrc accueilli par un ciel calme
,

presque à pie; à mesure qu on s élève, elle de- et serein sur le Grand-Rocher ,


vous y trouvez

vient plus escarpée et plus rude. On marche sur l’ouragan ,


malheur à vous ! Les tourmentes de

le roc vif, et des cailloux roulés ,


hrisés par les CCS parages sont effroyables. Le vent , engouffré

eaux, embarrassent la marche et font broncher à dans les fissures du roc et dans les grottes dont il
chaque pas mais une fois au faite , on est payé
;
est percé ,
s’en échappe en hurlemens féroces ; et
sa violence qu'il ne faut rien moins que
de ses fatigues; l’horiron est sans bornes , et on 1 telle est

saisit d’un regard les trois Abru/./.es, depuis les la masse indestructible du géant pour résister à sa
montagnes de Rome jusqu’à la mer Adriatique, furie. La pluie se précipite en cataractes mugis-
qu’on embrasse elle-même tout enlière. Je ne santes, comme les eaux du déluge dans le tableau
du Poussin; cictisanlla pierre, elle entraîne
parle [las des villes, des villages, des rivières
à scs pieds ; on domine de si dans les vallées jusqu’au dernier brin d’herbe
qu’on voit blanchir
haut tous ces objets terrestres, qu’on ne les dis- jusqu’à la dertiière trace de terre végétale. C’est
Une ville, c est un point là ce qui explique la désespérante nudité des ré-
tingue que confusément.
blanc une rivière un fil d'argent ; et quant aux gions supérieures du Mont-Corne. La nature se
; ,

vallées, quant aux collines, on ne les disceiiie refuse là à toute végétation; elle repousse obsti-
unes des autres, elles sont confondues nément l’homme de cet empire des orages et de
pas les
elle veut régner là solitaire.
dans l’apparence d’une plaine parfaite. Ce ne sont l’éternelle stérilité ;

Les tem|>cles sont ses jeux le désordre des élé-


donc pas les détails qui frappent dans ce pano- ,

rama gigantesque : c’est la grandeur de l'enscni- mens ses plus belles fêles. Laissons donc sur son
blc. L’œil ni l’esprit ne se posent sur aucun point trône de pierre celle reine jalouse du désert; et

de l’espace en particulier; ils les effleurent tous, abreuvés d’air, de lumière eide vie, redescen-
et vaguent à l’aventure de la terre au ciel et du dons dans la plaine.

ciel à la terre. De là ce scnlimenl presque instinc- Le Grand- Rocher franchi, nous entrons dans la
tif de l’infini qu’éveillent toujours en nous les seconde Abruzze ultérieure, dans la province de
grandes vues de montagnes ; de là cette tristesse l’Aquila. Au pied de l’aiguille pyramidale com-

sourde qui nous surprend là malgré nous c’est :


mence uite longue suite de pâturages dont l’herbe
touffue re()Ose et cède mollement à la pressioh
trop d’es|>ace pour une vue bornée ; c'est trop de
une nature finie. L’homme s»ml du pied. Mais adieu les grands horizons! de tous
sensations pour
trop scs limites l'équilibre est rompu entre lui côtés la vue est bortiée |>ar les monts nus et hé-
;

cl le monde extérieur, ou, comme dirait la méta- rissés de rochers comme la cime principale. La
physique allemande, dominé, écrasé le sujet est vue de ces longs |Ktturages encaissés est triste et
par l'objet. C'est là si je ne me trompe , la cause
,
monotone. Quel(]ues troupeaux de jumens et de
de cette mélancolie involontaire que tout le inonde poulains y paissent sans autre gardiens que les
éprouve sur les montagnes, et dont les monta- chiens pas un arbre, |>as un toit; de temps en
;

gnards eux-mémes ne se défont jamais. lcm|M> seulement un étang d’eau stagnante, plein

Un sentiment d’un autre ordre s’empare devons de grenouilles et de sangsues. A peine a-t-on de
sur le Grand-Rocher; c’est l’orgueil. On aime à se loin en loin quelques échappées derrière soi sur
sentir si haut; on se dit avec une satisfaction un la Maielle, devant soi sur la vallée de l’Aquila.
peu puérile, je l’avoue, mais presque involon- Puis le rideau tombe bientôt ,
et f on ne voit plus
taire : En ce moment je suis I hommc le plus rien ,
rieti ipie les rochers nus, déchirés par les

élevé qu’il y ait en Italie ! El cette lutte avec eaux; le sentier devient même très-inégal. En-
l’aigle ,
roi du ciel , flatte lo terrestre habitant des fin ,
après je ne sais combien d heures de solitude
plaines. Lu Grand-Rocher i-sl en effet la cime cul- et de stérilité, un maigre champ de blé antioncu
minante de 1 A^ienniu ; il en est de plus comme un village. Une fonlaiiiu, quelques chcties , de
,
,

ABRÜZZES. 65
grands et Waux noyers reposent la vue et olTrent son entrée triomphale surunune. L’événement est
au voyageur la fraîcheur, ceux-ci de leur om- retracé dans un tableau du peintre flamand Ru-
bre, celle-là de ses eaux. then, que l’on conserve dans I égliscdeSan-Pietro.
l'ilcio, le premier hameau qu'on rencontre, A(|uila est la patrie du fameux chroniqueur
rappelle, par sa misère et son ahamlon , les vil- Léon d Ostie ; son vrai nom était Maricano.
lages du revers opposi'. Paganico, qui vient en- Toute déchue qu elle est, puisque, capable de
suite, est plus riant c'est un riche et assez heau
;
soixante à soixante-dix mille hubitans ,
elle en est
village, situé au dêliouchc d'une étroite gorge réduite à huit à neuf mille tout au plus ,
la cité de
qui s’enfonce dans l'Apennin. On y recueille Frédéric a conservé quelque chose d’une capitale.
le safran, et il v a des l'orèLs d'amandiers. Une Sans parler de son grand château entrepris par
allée presque eontinuelle de peupliers, de saules et Charles V et non terminé, elle a de belles rues, de

d'acacias conduit de là à la cité d'Aquila. beaux plais, un air d'aisance et les apparences
Aquila est la plus belle ville d'Âbruzzc, et la ne s’attendrait pis à trou-
d’unecivilisation qu’on
seuledu royaume où on remarque quehjue mou-
I ver dans ces montagnes. Toutefois ces dehors sont
vement d'ait. Aussi bien appartient-elle plus à la menteurs; Aquila n’est qu’une ville ruinée, sans
civilisation romaine qu'à la civilisation napoli- commerce, sans industrie d'aucun genre; le mou-
taine ;
on l'appelle même la petite Home ,
et l’on vement inicllecluel y est toul-à-fait enravë, ex-

y parle un beaucoup plus pur qu'en aucun


italien cepté , chose, bizarre! chez les capucins. Les bons
lieu des Deux-Siciles. Ce n'est pas une ville an- pères se tiennent au courant de la science, surtout
tique ; elle ne remonte qu’au treiziéme siècle. C’est de la philosophie, et se procurent à grands frais,

rcm[>ereur Frédéric II qui e^ est le fondateur; et non sans péril ,


les ouvrages les [dus modernes.

elle porte pour armoirie un aigle, et pour devise Aquila [lossède quelques morceaux d'art et quel-

JJbertas ÿjijuilensis; elle joua un rôle dans tous ques collections précieuses ;
je ne citerai qu’un
U» déirats du moyen âge. Un de ses bourgeois, fort heau portrait de l'Arioste peint par Titien, qui
naessire Lallo, s’en était emparé en 3.S5 , et la i apprtient à .M. le marquis Drugonetti , et les ar-

gouverna quelque temps eu prince absolu. Louis chives de la famille Tori es ,


lesquelles renferment
(Je Tarcnte ne trouva pas d’autre moyen de se des lettres de Charles-Quint, Philippe II, Benti-
débarrasser de lui qu’en le faisant assassiner par voglio, le cardinal de Richelieu, leTasse(i), etc.

sou frère l'empereur titulaire de Constantinople.


,
Aquila possède aus.si quelques bons monu-
C’est sous les murs d'Aquila que fut défait mens de la renaissance. Le meilleur à mon gré est

(i4a4) fameux condottier Braccio di Montone , le tombeau de San-Bernardino, ouvrage d’un ar-

par sou rival le condottier Caldora d’Isernia. Les


du Tasse m’ont paru si tourliantes,
(t)I)cux des Ici très
deux autres grands capitaines du quinzième siècle que je ne résiste pasà la tentation deies citer; elles sont
François Sforza Jacques Piccinino, assistaient
et autographes et inédites en Krance. I.a première est
à cette mémorable bataille. C’était le premier af- adressée a l’arclievèque de ^lontréal, Ludovic de Torres,

front qu’essuyait Braccio l’invincible. On dit que depuis cardinal. Je tes ai copiées tontes deux sur l’origi-
nal, cl je respecte scruputeu.scmeut l’orthograplieet les
ce hardi partisan , qui avait élevé les yeux jus-
abréviations du poi'tc.
qu'au trône de Jeanne , fut si profondément indi-
M.'" 111.“* c Us"'" Mousig."»
gné de cette infidélité de que pris et
la fortune ,
Se le mie lettere potessero essor a V. S Rs"“ men
blessé dans le combat, il se renferma d.ins un
noiosc délia mia preseutia o de te visite tiou mi sarelibe
.silence de fer, et qu’il ne prononça pas une seule
troppo grave l*occu|wl“®delo scrivere. Itencli’io sia tanto
parole jusqu’à sa mort ; il mourut à Aquila des nenlicodela faliea quanto debolc a sostcncria ma tenio ;

tuiles de ses blessures. d'appoi'tarli* nota nel’tinn, c uerallro modo. PerësarO

C’est à Aquila encoie que fut couronné pape breve. Itaccoinaiido a V. S. rinctiiusa ,
cli’io scrivo al
CosUmtino il quale polerelie rsser il siio secrelario, non
ce fameux Célestin dont nous avons vu l'crmi-
dee portai’ invidia a 1a forinna di eotoro clic sanno i ne-
lage au Banc de Morrone. Ce fut un des plus civli de'ltc e degli imperatori tauto è merito de V. il

grands événemens du siècle ; le roi de Naples S. tanta la prudenza net larero e net parlare, tanta è la
le roi de Hongrie et deux cent mille étrangers grnlia di laseiare sodisfalti quetli anclioi*a elle sono es-

accourus de tous les points de l'Italie , assistèrent clusi de la sua dimesticliezza. Ma io non so in quai nu-
méro mi sia. Sono nondimeno in quel de’siioi alfeltio-
à la cérémonie. Arraché malgré lui de sa grotte desidero sua esalt"" e l’accrcscim’" de la
nali ,
elle la
obscure pour être livré en proie à toutes ces
, dignità c de la fortnna : iK’ixli’a la virtù non si pubac-
splendeurs mondaines, le pauvre anachorète fit crescere. Ho dato commis"* al mio servitore clie dica a
,

64 ITALIE PITTORESQUE.
liste indigène, Silvestro di Ai'iscoli : les bîis-re- de là que partirent ces premiers Quirites (prîsci
licfsen sont d'une délicatesse exquise et d'uii goût Qiiiriies) qui passèrent les montagnes [lour aller
pnifait; ce sépulcre, du reste, est connu cl fort fonder Cures, tandis que les Samnites partaient
loué par comte Cicognarn. ün soit dans une
le d'Amlterne, ville fameuse dès lestemps héroïques
autre chapelle le lomlicau de Jean-Baptiste d’A- par mi siège niéniornble, et plus tard pour avoir
quila , qui fut l'un des plus chauds protecteurs de donné lejour à Salhisie, conimepl us tard cticore Fa-
Raphaël. Celte chapelle possédait un ouvrage lacrina le donna aux empereurs Tite et \ espasien.
du client fuit en honneur de son patron c'était
I : Je termine ici par une dernière remarque. J'ai
une Visitation, qui fut enlevée par le roi d'Espagne dit en conimcnçant que l'Abrnzzais était douéd'un

pour enrichir l'Eseurial, où elle n'est même plus ;


génie naturel incontestable ;
les grands hommes
car Ferdinand VII on a fait cadeau au duc de (pie sa terre n donnés a antiqiiilé et au moyeu I

Wellington en i 8 i 4 L'n troisième monument - âge prouvent sans réjiliipie. Sans parler des il-
le

funèhrc, et je ne cite plus que celui-là, est la lustrations secondaires et nous en trouverions ,

tombe de ce Bassano qui apaisa le grand schisme bon nunibro, comptons seulement les grands hom-
d'occident en |)crsuadant .i ranlipa|)c Amédée mes que nous avons trouvés sur notre route ; l'é-
de préférer Ripaille a la papauté. numération en est longue et glorieuse. Deux
Je m'arrête : il faudrait tout un volume pour poètes, Ovide et Silius; trois enqicreurs, Adrien,
énumérer les richesses de la ville, et surtout pour 'l'ite et \ espasien ;
un iiistoricn , Salluslc : et si
raconter les gloires de la province. C'est la terre la nous ajoutons ,
d'un côté ,
la ville de Norcia ,
de
plus classique et la plus anciennement illustre de l'autre, Arjiino et Aquino, qui, toutes trois dé-
t )ute l’Italie. Elle est le berceau des premières races t.ieliéesde l'Abrufce par une division politique
dont l'histoire italienne a consacré le souvenir ;
arbitraire, lui app.irtiennent intimement parleur

les Marses, les Sicules, les Sabins, les Eques. C'est position, leurs traditions, leurs mœurs, nous
avons à ajouter sept noms cpii, certes, ne sont pas
V. S. Its”* in mio nome qualcléio non anlisco di scri-
moins
les illustres du Ranthéon des Abruzzes;
Tcrlc e le bacio la niano.
à savoir : Sertoriiis et saint Benoit Marins et
Di Vaticano il 6 di fcl).n> del 1S93. ,

Di V. S. Hs™ Cicéron ,
Juvénal, le cavalier d'Arpin et le roi de
Devotiss"” serv”. Tosqimto Tasso. la Thomas d'Aquin.
théologie ehréticnne, saint
Voici maintenant la lettre qui était ,à ce quMI paraît \ oilàj'imagine d'assez nobles litres et ma mé-
, ,
;
incluse dans la précédente . et que le Tasse recomman- moiic, sans doute, en omet bien d'autres. Quel
dait à Parclicvéqiie. angle de terre peut se glorifier d'avoir mieux
s Rs*® Monsig” mérité de l'humanité? Certes, les Rouilles et les
s Torqt® Tasso devotissimo servitore di sua M.n e di
Calabres sont loin d'une telle richesse.
V. S. Rs"“ desidera che gli sia falta gïa di tornar a
Le gi'-nie est si naturel en ces montagnes, que
Napoti a medicarsi per goder se cost vorrli sua fortuna
de Tamicitia tlclc principesse es}iagnuolc e napolitane de sinqiles pâtres en ont reçu l'étincelle. I.'un,
senza magg'* jûcolo delà sua sanità et senza magg'® bi- doué du don de l'improvisation ,
arrive à Rome
sogno di fisico. Perebè la sua mcniuconia c Paître infer- en mendiant son pain le cardinal de Médicis
;

mità di moiti anoi il dovrebbono fare rsentc d’ogni srr- l'cnlcnd, le recueille, et le pâtre devient le cardinal
vitù e privileggiarlo d'ogni honore e d'ogni commodilà
Sylvius Antoniano; il était de Castelli, l'un d(j
che possa essor concediita delà grattia d'un grandiss.
Re : nia se S. M.'® bavessc costam‘° deliliei'ato cli'il po-
ces hameaux dé>sulés qui végètent aux fiancs du
verosupp" no |>ossa vivere q.“ o in allra |>arle senza
in Grand-Rocher. L'n autre, venu du même village,
la servitù di dama , supplica S. M.'* cbcnoii Pabbandoni prend place parmi les poètes latins du seizième
con la sua liberalità c cou la cortesia del Sig.' Duca di siècle. Unlroisième, BenedetluVirgilio, est attiré
Sessa e di V. S. e iPaltri sig" e prelati spagnoli
acciocli'il povero Genliluomo possa mettersi in ordine per
à Rome par les jésuites, qui avaient deviné son gé-
andarc a service Plnfante sua Âglinola. ^on pci-metteniln nie poétique, et s'illustre par scs poésies sacrées.
la divot"® e la fede cnn la i|ualc adora quasi sua MU J'allais clorre cette longue nomenclature biogra-
cb’egli pensi al servitio di moite c iP alcuii ultra in pbi(|ue, et j'oubliais un nom qu'on ne s'attend pas
Italia c gli devrebbe giovare alm “> Pautoriti dc'poeli
a la vérité à rcncoiilrcr ici , mais dont par cela
spagnuoli, clie descrissero Paît,'** de'Cav.n erranii, Ben-
cb'il povero supp"si raccoinmanda a V. S. Bs“* piuttoslo
même la rencontre n'est que plus piquante. C'est
corne )>oeta stiacco clie corne CavaP® prouto a la scrvitù prèsil'iei, àRescina, pauvre village au liord du
di si alta sig.' > l.ac de Ceiaiio, qu'est né Mazarin.
(Folio 100 fCôdes Archives citées.) CiiAXLEs Didier,

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