CHAPITRE VI
L’analyse factorielle
du changement
La plupart des théories qui gagnent en puissance expli-
cative par invocation d’un principe unique ou de principes
ordonnés relativement peu nombreux perdent générale-
ment, par leur nature méme, un certain nombre d’infor-
mations fort utiles pour rendre compte avec exactitude de
la multiplicité des dynamismes sociaux. Elles renforcent
leur cohérence par la survalorisation de certains types ou de
certains moteurs du changement par rapport 4 d’autres.
Afin C’éviter ce pidge des guirlandes didées qui camouftent
les insuffisances d’une analyse aboutissant trop tot au saut
inductif, il convient d’inventorier au micux les propriétés
diverses du changement, c’est-a-dire les causes et les orien-
tations de la dynamique sociale, les paliers d’interprétation
spécifiques de systémes sociaux en gigogne. L’analyse des
facteurs ne se satisfait pas du niveau purement descriptif,
elle fait aussi appel a des instruments de détection et de
mesure du changement. Tout en nous gardant du pitge
une sociologic testomanique ou quantophrénique, fémi-
ninement ou scientifiquement bavarde, cumulatrice de
faits, de chiffres, ou érudite 4 outrance, nous allons nous
efforcer dans ce chapitre de synthétiser les facteurs domi-
nants auxquels a recours la recherche causale, de spécifier
les niveaux dimensionnels auxquels se situe l’analyse du
changement, de dire sous quelles formes, cyclique ou linéaire,152 L’ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
ona congu les transformations sociales, et enfin de présenter
quelques problémes liés & la mesure et a la formalisation
des dynamismes sociaux.
BN QUETE DE CAUSALITES
Si les analyses sociologiques du changement se sont
surtout développées depuis la derniére guerre mondiale,
est qu’aprés les conceptions évolutionnistes du devenir
continuiste et unilinéaire de I’humanité, un autre obstacle
& une théorie sociologique du changement s'est dressé qui
tient a Pattribution de ce changement A un facteur prédo-
minant, géographique, biologique ou psychologique, c’est-
a-dire 4 une cause autre que spécifiquement sociale. Mais
ilsuffit de considérer 1a lenteur de modification des tendances
climatiques, des caractéres physiologiques et biologiques,
ou au contraire la labilité des réactions du psychisme humain
par rapport au rythme des transformations sociales, pour
se rendre compte que Ja causalité externe ou cnvironnemen-
tale ne suffit pas a expliquer les déterminismes sociaux,
d’autant que Ic cadre de toute culture dépend iui-méme
tout a Ja fois de la technologie, de l’organisation sociale et
des valeurs adoptées par les sociétés appartenant a cette
culture,
Méme lorsque Durkheim propose de chercher dans le
milicu social interne la cause des processus sociaux, il pri-
vilégic comme origine premiére de ces processus les phé-
noménes morphologiques. D’autres ont insisté sur les pou-
voirs du milieu physique (puisement des sols, changements
climatiques, pollutions diverses) qui touchent aux capacités
humaines de suryie dans un environnement. La natalité, la
fécondité, les migrations qui concernent la composition
démographique des groupes sont aussi facteurs de change-
ment comme Pindiquent les explications de la mobilité
sociale par la prolificité différenticlle des classes. Mais la
pureté ou la priorité du déterminisme démographiqueL’ANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 153
semble indéfendable, vu l’action simultanée des idéologies
et des choix sociaux sur Paccroissement de la population
autant que sur les migrations et les guerres.
Quand il tente de dessiner I’anatomie de la société
moderne, D. Riesman' prétend bien, hui aussi, tout en déga-
geant trois formes de personnalités de base, calquer sur la
courbe de croissance de la population son analyse typo-
logique de Vhistoire occidentale en trois phases : t) celle
de la société de subsistance a fort potentiel de croissance et
détermination traditionnelle ; 2) celle de la société indus-
trielle intro-déterminée et & croissance transitoire ; 3) celle
de la société de consommation de masse extre-déterminée
ct qui réalise un nouvel équilibre démographique. Néan-
moins, dans l’Avant-Propos de la traduction frangaise de
La foule solitaire, il reconnait que « l'étude de ’évolution
des techniques ou des communications de masse aurait
beaucoup mieux convenu » que celle du cycle démogra-
phique, comme repéres pour une classification des sociétés.
Prenant 4 cette fin pour critére principal l'état de la
technologie, L. Mumford et H. Janne® notamment adoptent
le projet de Morgan qui consiste 4 faire correspondre les
types de civilisations A certaines phases technologiques. Ils
Prennent tour particuligrement en considérarion l'invention
et utilisation d’outils, de machines, d’énergies et de maté-
tiaux, les conditions de travail subséquentes ainsi que les
rapports des groupes de production qui en résultent, pour
distinguer : Vére lithotechnique avec usage du bois, des os,
du silex ; P’ére anthropotechnique caractérisée par l'emploi
des métaux ct Vesclavage; V’ére éotechnique du x° au
xvi® siécle, durant laquelle sont utilis¢s l’eau, le vent, les
animaux et inventées ’imprimerie et l’horloge ; l’ére paléo-
technique, c’est-a-dire celle de la révolution industrielle ;
1. David RIsMAN, La foule solitaire, Arthaud, 1964, 1°° éd. amér.,
1950,
2. Lewis MUMFORD, Techniques et civilisation, Seuil, 1950, 1"* 6d.
amér,, 1950; Henti JANNE (Ed.), Technique, développement a
technocratie, Bruxelles, 1963.154 L’ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
et ’ére néotechnique engendrée au début du xx sigcle par
Yapparition de nouvelles sources énergétiques (électricité,
gaz, atome) et de nouveaux produits de synthese. Du libé-
ralisme de Pére précédente, on tend actuellement a passer &
Vinterventionnisme étatique tandis que se développe un
climat socialisant. Dans leur analyse du jeu d’un facteur
particuligrement riche et explicatif qu’est la technique, les
auteurs ne séparent nullement la machine de son cadre
social, lequel lui confére son but et sa signification. Ils
soulignent par exemple comment par transfert de pouvoir
de Paristocratie 4 la bourgeoisie, 4 la suite de bouleverse-
ments techniques de la production, a été valorisé le travail
économiquement productif.
De Vidée de progrés technique, le saut est aisé & celui de
développement économique. Bien qu’en interaction réci-
proque, les deux mouvements techniques et économiques
se différencient en ce sens que, d’une part, un certain déve-
loppement économique peut comporter le freinage de pro-
grés techniques dans la mesure ow ceux-ci suscitent des
résistances ouvriéres, entrent en conflit avec les intéréts de
quelques entreprises industrielles ou d’une politique de
PEtat ; d’autre part, A niveau technique équivalent, I’uRss
et les Etats-Unis se situent différemment au plan écono-
miquc. L’un et I’autre pays reconnaissent cependant, chacun
a leur manitre, capitaliste ou socialiste, Pimportance pri-
mordiale des déterminismes économiques dans la société
industrielle. Si les néo-marxistes ne mettent pas en question
le déterminisme en derniére instance de l’infrastructure et la
fonction essentielle des forces productives dans le change-
ment, du moins interprétent-ils avec moins de rigidité que
ne le fait Boukharine Jes rapports entre infra et super-
structure. Avec raison, Lukacs se demande si I’on peut diffé-
rencier les forces économiques des autres forces et si l’on
peut déterminer Jour r6le en temps que moteur de la société.
Marx lui-méme ne considére économie en soi que comme
une mystification idéaliste. Le processus de production
inclut Pidée d'un fonctionnement synergique de l’écono-L’ANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 155
mique, du social et du culture] au sein d’un ensemble vivant
et historique. Rien de mécanique dans influence des forces
productives (matiéres premiéres, instruments de produc-
tion, travail, capitaux), qui ne sont point des données indé-
pendantes de ’homme !
Lorsqu’un économiste occidental tel J. Fourasri¢! érudie
deux faits fondamentaux qui dominent |’évolution contem-
poraine : V’accroissement du rendement du travail de
Yhommce et le déplacement de la valeur dans une société
d’abondance, il insiste sur l’intrication des causalités tech-
niques, économiques et socioculturelles, tout en prenant pour
objet préférenticl d’analyse les modifications intervenant
dans le secteur économique ; mais il avoue simultanément
que des idées et valeurs culturelles agissent comme inci-
tateurs de la croissance. Ce sont des hommes qui véhiculent
ces valeurs et d’autres qui résistent aux changements au
nom d’autres valeurs. F. Bourticaud? cite le cas d’échec
@une expérience péruvienne de Panthropologue Wallin
pour habituer les autochtones @ consommer de I’eau bouillic,
et R. Bastide> met aussi en évidence dans les changements
planifiés importance du statut d’intermédiaire et de rclais
des diffuseurs de l'information pour établir la communi-
cation et emporter la décision. Diffusé par des promoteurs
Puissants et prestigieux, un message doit en outre étre
compris et accepté pour étre mis a exécution par la popu-
lation concernée. Des problémes identiques se sont posés &
H. Mendras en milieu rural francais*. Les individus les plus
accessibles aux innovations, remarque-t-il, sont en général
relativement jeunes, d’un niveau d’éducation supérieur a la
moyenne, fortement influencés par les mass media, distincts
dans les strates de prestige des propriétaires traditionnels
aussi bien que des petits exploitants, disposant de quelques
1, Jean Fourasrtt, Le grand espoir du XX sidele, Pur, 1952.
2. F. Bartz, F. Bourricaup, C. Rrviirs, Le systéme social, Larousse,
1976, p04,
. Roger Bastive, Anthropologie appliquée, Payot, 1971,
i. Heal Manon, La for der paytansy SDE, 1967,156 L’ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
moyens pour prendre des initiatives en en assumant les
risques. Bref, la modification des comportements réclame,
outre des exemples entrainants, une homogéntisation pro-
gressive des croyances et valeurs entre diffuscurs et récep-
teurs du changement.
L’accent sur l’influence du systéme idéologique dans les
motivations au changement est encore plus prononcé chez
'M. Weber! dont la thése principale est que Péthique de fa
Réforme a engendré esprit capitaliste moderne. Au Moyen
Age, Pactivité économique demeure soumise aux lois de la
morale religieuse. Lors de la Réforme, ]’économie se libére
de la domination d’une société cléricale. La doctrine calvi-
niste de la prédestination et du don gratuit de la grace aboutit
selon Weber A créer chez ses fidéles une mentalité opposée
A tout mysticisme, faisant du travail un devoir, de la réussite
individuelle un signe d’élection et du refus de récompense
une vertu. Ainsi, par combinaison d’un idéal laborieux en
vue de la glorification de Dieu et d’une obligation de fru-
galité, sont établies les conditions de l’accumulation des
biens productifs. Pour Weber, l’ethos protestant n’est la
cause ni unique ni suffisante de I’essor du capitalisme, et
esprit initial du capitalisme ne doit pas se confondre avec
Je systéme lui-méme qui, une fois vainqueur, s’est détaché
de ses assises religieuses. Certes les objections n’ont pas
manqué de la part de Tawney, Robertson, Samuelsson,
contre un tel mode d’explication, mais le débat sur les formes
de causalité, sur le décalage historique entre réforme et
capitalisme, sur la priorité des causes économiques, a cepen-
dant abouti 4 raviver l’attention portée aux facteurs culturels,
aux valeurs religieuses et aux idéologies entendues comme
systémes d’idées et de jugement, en tant que porteurs du
changement.
Des études plus longues et plus fines des motivations
au changement nous conduiraient 4 examiner les théories
1, Max Waner, L’éthique protestante et Pesprit du capitalise, Plon,
1964, 17° éd., 1952.LANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 157
de J. Schumpeter sur Vesprit d’entreprise, celles de
D. McClelland et E, E. Hagen sur le besoin de réussite, et
les études de genése des aspirations réalisées par P. H. Chom-
bart de Lauwe!, mais elles relévent surtout de la psychologic
sociale ct leur examen nous ferait déborder dans un champ
que, d’entrée de jeu, nous avons excha parce qu'il a déja
&é fort bien quadrillé et qu’il touche un autre niveau
@analyse.
LES NIVEAUX D’ANALYSE DU CHANGEMENT
Pour répondre & la question clé : « Qu’est-ce qui
change ? » il importe de discerner des niveaux d’analyse
micro ou macrodynamiques. Bien avant que Gurvitch ait
insisté sur ces problémes de niveaux d’appréhension du
social, économie politique nous avait familiarisé avec la
distinction entre micro- et macro-économie. On sait que
Véconomic classique depuis Adam Smith part de l’individu
ou de Pentreprise en tant qu’unité de production, le libé-
ralisme au niveau de lentreprise devant conduire par pos-
tulat au bien-étre de l’ensemble social. Keynes décide de se
situer & un plan moins restreint. Sa macro-¢conomie
Vapplique a Ja société globale, & ses aspirations et besoins
pris dans leur ensemble. Elle vise 4 surmonter les crises, &
produire et reproduire un équilibre. A un niveau plus général
encore se place lexpert international (consciller pour le
Tiers Monde ou technicien de la Communauté européenne)
qui traite de problémes mondiaux ct des interinfluences
entre les économics scctorielles.
La sociologie se plait de la méme maniére a souligner
‘ume certaine autonomie des niveaux du social : des groupes
formels et informels se font et se défont sans modification
des structures organisationnelles. La variation de certaines
4 doteph Scarumaran, Thdore de dation deonamique, Dallon, 1935 5
D. McCLat ann, The Achieving Society, New York, 1961 ; E. B. HaGan,
On the Theory ef Social Change, New York, 19643 Baul-Hensi CHOMBART
pi Lauwe, Pour une sociologie des aspirations, Denoél, 1970.158 L’ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
organisations n’empéche nullement Ja relative constance
dun ensemble national. Inversement, des éléments parti-
culiers comme des régimes de relations familiales ou de
tenures fonciéres peuvent fort bien persister tandis que se
modifie radicalement la structure qui les englobe.
Souvent des différences de dimension recouvrent des
différences de nature, encore que le critére dimensionnel
se laisse difficilement définir. Il ne référe pas a des effectifs
démographiques (il est des Etats moins peuplés que le total
des travailleurs d’une firme américaine), mais a des niveaux
structurels, culturels et dynamiques.
L’impossibilité d’extrapoler les lois de la dynamique des
petits groupes expérimentaux aux groupes dits naturels ct
aux organisations de vaste envergure force aussi a prendre
en considération |’échelle temporelle (court terme ou long
terme) aussi bien que les cycles de changement. Les conflits
dintéréts au sein d’une organisation se développent et se
résolvent autrement qu’une guerre ou qu’une révolution
sociale résultant de contradictions essentielles au sein de
valeurs et de régles de conduite, Et absence relative de
changement 4 long terme dams les sociétés crues stagnantes
se concilie fort bien avec des modifications périodiques
(mensuelles, saisonniéres, annuelles ou plus) du modéle
@activité. Gluckman’ a ainsi montré que les phénoménes
de relache morale standardisée avaient pour fonction de
restreindre le non-conformisme tout en levant temporai-
rement des interdits conventionnels. La contestation orga-
nisée et la déviance surveillée sont, dans certains Etats
africains traditionnels, moins des bouleversements pério-
diques que des manifestations normales des processus poli-
tiques en vue d'une meilleure intégration sociale aprés
liquidation ludique et symbolique des conflits, Ici la ritua-
lisation de la vie collective produit une catharsis. La, pris
1. Max GLUCKMAN, Custom and Conflict in Africa, Oxford, 1960;
Ip, Order and Rebellion in Tribal Africa, Londres, 1963. Cf. aussi W. TUR
NER, Schism and Gontinuity in an African Society, Manchester, 1957.LANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 159
malgré lui dans les rets idéologiques et pratiques du chan-
gement, homme du xx® siécle cherche, par les rites répé-
titifs de la vie quotidienne, a calmer Vangoisse ressentie
face aux conflits et drames sociaux qui l’environnent et
le corrodent.
La périodicité des cycles apporte en général un élément
d’ordre et de normalité qui sert 4 combattre les manifestations
irrégulitres des tensions. La ritualisation intégrative porte
méme sur les événements critiques des cycles vitaux. Dans
Ja plupart des sociétés en effet, des rites de passage marquent
la naissance, le mariage, la mort, qui sont génératcurs de
tensions en ce qu’ils supposent apparition ct Pintégration
d’un nouvel élément ou sa disparition 4 Vintéricur d’un
groupe de descendance. Dans ces cas, les modifications des
structures de groupe ne s’observent réellement qu’a petite
échelle. Ii en est de méme dans les expériences de « dyna-
mique de groupe » qui ont pour objet les variations des
comportements individuels dans une situation de contact
entre plusieurs personnes et les variations de représentation
des modéles de réles, des régles et résultats de la communi-
cation A Pintérieur d’un groupe. Par interaction affective,
discussion, organisation d’une tache, le groupe progresse
éventuellement dans le sens du consensus et de la prise de
décision.
C’est surtout au niveau moyen des organisations for-
melles que se saisissent le mieux les processus de change-
ment, Dans la bureaucratie administrative par exemple ott
Ja rationalité, dit M. Weber, est la norme souveraine de
conduite et de décision, une rivalité entre prétendants indi-
viduels aux taches privilégiées se double d’une concurrence
entre unités et départements pour la sauvegarde et le déve-
loppement optimal de leur champ respectif de pouvoir.
De méme, dans une entreprise industrielle, sont créés occa-
sionnelicment des heurts entre les instances représentant
1. Didier Arce et Jacques-Yves MARTIN, La dynamique des groupes
9.160 L’ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
respectivement les actionnaires, les employés, les consomma-
teurs. Le changement peut provenir alors de ce que chaque
sous-groupe tente, par unc stratégic appropriée, de susciter
de nouveaux partages de pouvoir, d'influence, de prestige
et de rétribution.
Nulle organisation n’étant isolée dans la mesure ob
chacune entre dans le cadre normatif d’une société globale,
ot elle définit ses buts par rapport 4 un environnement, ot
ses membres appartiennent simultanément a d’autres orga-
nisations : confession religicuse, parti politique, association
professionnelle, communauté ethnique..., des tensions géné-
ratrices de changement se développent entre groupes
mutuellement exclusifs, surtout dans les zones de démar-
cation assez floues des attributions respectives. Médecins
et infirmiéres, professeurs et parents se heurtent ainsi sur
des problémes d’influence ou de champ de décision.
Gains et pertes fonctionnels a long terme permertent de
dresser le schéma d’évolution historique de certaines insti-
tutions telles que Ja famille. Celle-ci subit en cffet un pro-
gressif démantélement de ses fonctions 4 mesure que le
christianisme lui 6te sa fonction religicuse, que I’Etat lui
fait perdre sa fonction juridique en interdisant au pére de
faire justice lui-méme, que la grande industric la prive de la
fonction économique qu’eile avait dans exploitation agri-
cole et artisanale, que l’école empiéte sur sa fonction péda-
gogique, culturelle et morale. Battuc en bréche par 1’Eglise,
PEtat, Pécole, la vie économique, les partis politiques, les
mouvements de jeunesse, par l’institution du divorce, par
l’émancipation de la femme, par la reconnaissance des droits
de l’enfant, fa famille, aux liens devenus plus fragiles, tend
4 se présenter comme un lieu de socialisation approximative
et parfois comme le creuset de déviances sociales.
Les variations a I’échelle de l’institution familiale pro-
viennent en grande partie de la société globale et se réper-
cutent A ce niveau comme on le saisit aisément en étudiant
par exemple le passage du nombre modal de deux a trois
enfants par famille aprés la seconde guerre mondiale, quiVANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 161
a concerné non seulement Jes taux de croissance démogra-
phique, mais les besoins en écoles et services, le volume de
l'emploi et de la main-d’cuvre, la demande de biens de
consommation, la densité du trafic et de l’habitat, etc. Pour
Vensemble du monde occidental, on prévoit par voie de
conséquence un tassement progressif du taux de mobilité
ascendante intergénérations, mais aussi une incidence sur
les taux de non-conformisme et de criminalité, d’autant que
prennent idéologiquement de plus en plus d’importance
Jes tensions engendrécs par l’inégalité sociale. L’usurpation
du pouvoir par coup d’Erat, les rébellions localisées comme
celles des prisons ou de Ira, la multiplication des phéno-
ménes de délinquance tendent 4 nous situer affectivement
dans un climat non seulement de mutations (changements
structurels) mais de violence révolurionnaire.
LES MODES DE REPRESENTATION DU CHANGEMENT
‘Une angoisse diffuse conduit 4 poser au sociologue les
problémes de détection ct de mesure du changement
(recherche des variables — observation de la quantité de
variance — analyse rétrospective des indices historiques de
changement — comparaisons synchroniques avec d'autres
sociétés), mais surtout de son orientation.
Les changements 4 travers l’histoire sont-ils orientés
dans certaines directions précises ? Ceux qui ont cru ou le
croient sont généralement partisans de Pune des deux hypo-
théses suivantes : celle du cycle ow celle de la trajectoire.
Spengler, Toynbee et Sorokin, a instar des philosophes
grecs et romains tels que Platon, Aristote, Polybe ct Sénéque
optent pour la premiére hypothése, tandis que saint Augustin
et a sa suite Pascal, Fontenelle et Perrault au xvit® siécle,
puis Rousseau, les philosophes du progres et Jes penseurs
du xix® sitcle croient plutdt & une trajectoire unilinéaire
fondée sur une conception eschatologique de lévolution de
Vhumanité.
ANALYSE 6162 L’ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
Pour Spengler, Toynbee et Sorokin, les tiches les plus
importantes consistent d’abord 4 découper quelques types
dominants de civilisation : égyptiennc, chinoisc, indienne et
autres, y compris celle de ’Europe occidentale, puis a inter-
préter chacune d’entre elles en termes de croissance, d’apogée
et de décadence. Le déclin de l’Occident d’O. Spengler?
reprend ainsi pour les développer quelques intuitions de
Goethe et de Nietzsche. Quant a A. Toynbee’, il conduit ses
études tés documentées des vingt et une grandes civili-
sations de Phistoire (a son avis) & partir de quatre types
principaux de questions : r) Genése : Quelles conditions ont
permis ou stimulé la naissance des civilisations indienne,
chinoise, maya, etc. ? 2) Croissance : Quels facteurs sont
impliqués dans |’expansion et le développement de ces civi-
lisations ? 3) Maturation : Comment ce qui a porté pendant
des siécles le cachet du dynamisme et de l'innovation en
vient-il a se routiniser ? 4) Déclin : Qu’est-ce qui produit
la désintégration et méme I’anéantissement de ces civili-
sations jadis brillantes ?
Bien avant que Spengler ou Toynbee n’aient attiré
Vattention sut les processus cycliques qui caractérisent les
sociétés humaines, plusieurs auteurs avaient cherché &
dégager la périodicité de certains faits sociaux : fluctuations
saisonniéres des naissances et des crimes selon Quételet®,
fréquences des suicides 4 certaines heures et a certaines
saisons selon Durkheim’, périodes de quatre ans marquant
les décrues des naissances, de trente ans pour le mouvement
es écoles littéraires, de cing cents ans pour la croissance
et la décadence de quelques civilisations sclon Millard’,
cycles financiers de sept-huit ans selon Sombart, de trente
et soixante ans pour H. L. Moore®.
1, Oswald SPENGLER, Le déclin de 'Occident, Gallimard, 1948,
2. Arnold Toynsre, A Study of History, Londres, 1934-1954, 10 vol.
3. Jacques QuéreLer, Physique sociale, Bruxelles, 1869, p. 104 et suiv.
+ ae Durxeim, Le suicide, Alcan, 1897.
‘§. C, MILLARD, Essai de physique sociale et de construction théorique,
Revue internationale de sociologie, féveier 1917.
6. H. L. Moore, Economic Cycles, New York, 1923.L'ANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 163
D’autres cycles se reproduisent sans périodicité définie,
tels les cycles des inventions (F. S. Chapin) ou des insti-
tutions sociales (W. Ogburn) comportant une croissance,
un apogée et une décadence, tels encore les périodes de
prospérité et d’appauvrissement dans la vie de Ia nation,
les périodes de concentration puis de répartition moins
inégalitaire des richesses nationales (Pareto, Sorokin), ou
les cycles propres aux révolutions, d’affranchissement suivi
de contrainte (Sorokin). Qu’il s’agisse de cycles linéaires ou
spiraux, de cycles répétés indéfiniment ou de rythmes non
uniformes aux buts non déterminés, aucun d’entre eux n’a
pu étre prouvé scientifiquement valable pour toutes les
sociétés de méme type et a fortiori pour les autres. La per-
ception des « directions » dans les changements et des
« tendances périodiques » ne constitue une validation ni des
théories eschatologiques de l’évolution, ni des théories de
progrés et de régression, aussi bien en raison des trop faibles
échantillons socio-historiques qui ne permettent pas de saut
inductif, qu’en raison des propositions éthiques et des
jugements de valeur sous-jacents aux théories linéaires
comme aux théories cycliques. Bref les tendances demeurent
temporaires et relatives, les cycles sociaux ne sont semblables
que de maniére simplement approximative.
Neéanmoins, toute connaissance approximative réclle est
de grand prix et doit étre encouragée si ’on cherche a tendre
vers des lois sociologiques. Certes, trop de variables poli-
tiques, économiques, culturelles et morales entrent en
jeu pour que lon puisse représenter de maniére simple ct
sire la direction du changement!, Néanmoins, en ne recher-
chant que des indications d’ordre général, on pourrait
dessiner par une ligne continue et ascensionnelle le mouve-
ment des civilisations. Mais afin de perdre moins d’infor-
mation, il faut tenir compte des fluctuations et représenter
x. Pitirim Soroxm, Les théories sociologiques contemparainet, Payot,
1938, p. 5845 ID., Comment la civilisation se transforme, M. Rivitre,
1964.164 L’ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
une croissance par paliers, notamment sous linfluence de
modifications de Ja relation de |"homme a son environnement
par la technologie. L’idée de croissance & rythme variable
se fonde sur la séquence binaire novation-adaptation. Si l’on
admet la possibilité de régressions temporaires, la graphie
des paliers devra accentuer les creux.
A ces schémas dressés surtout & P’instar des modéles de
croissance économique, on préfére actuellement une courbe
d’évolution ramifiée de la croissance culturelle. En ordonnée
serait inscrit un indice combiné de mesure de cette crois-
sance, etle temps en abscisse. Les lignes interrompues figu-
reraient les civilisations mortes aujourd’hui. L’ensemble
marquerait a diversité des civilisations, leurs rythmes de
progression et leur éventuel déclin.
i
Mais de tels profils qui schématisent des données ten-
dancielles font abstraction de beaucoup d’informations et
supposent une arbitraire quantification du qualitatif'. En
fait, pour étre utiles au sociologue, !es représentations du
changement doivent spécifier avec plus de rigueur et a un
niveau plus réduit les variables et processus de change-
1, Le renvoi aux représentations graphiques des théories de la direction
du changement élaborées par W. B. Moons (Les changements sociaux,
Gembloux, Duculot, 1972) nous dispensera de nous étendre davantage
sur ce probleme.LANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 165
ment. Par ce moyen seulement pourront étre obtenues des
projections.
Afin de micux maitriser |’étude de l’action sociale et
historique, il faudrait aussi comme le suggére Rudolf
Rezsohazy! pouvoir répondre & un certain nombre de ques-
tions : Comment soumettre les évolutions uniques A unc
méthode générale pour découvrir Jes régularités et isoler les
cas particuliers ? Comment reconnaitre dans les processus
singuliers, comme par exemple les différentes évolutions,
ce qui les rend comparables ? Comment préparer les compa-
raisons qui permettent de dégager ce qui est général dans
les événements ? Comment sélectionner les points clés de
Vanalyse ? Comment structurer les faits collectés et leur
exposé ? Un tel traitement méthodique des changements
sociaux peut relever dans bien des cas de l’art plus que de
la technique ; cependant, de grands progrés ont été accomplis
depuis un demi-siécle pour perfectionner les outils de men-
suration du changement.
MESURE ET FORMALISATION DU CHANGEMENT
Dans les années vingt et trente, les travaux de W. F. Og-
burn et de ses collaborateurs de l’Université de Chicago ont
introduit 4 toute une série de recherches sur la théorie et la
mesure du changement social*. Afin de déceler les tendances
actuelles du changement et d’en évaluer les conséquences
probables pour l’avenir, Ogburn a mis accent sur la mesure
précise des changements intervenus et sur leur description
objective accompagnée de séries chronologiques objectives.
La plupart des aspects de la vie américaine et de ses modi-
fications ont ainsi été saisis sous sa direction, a travers des
travaux empiriques et statistiques publiés dans les deux
1. Rudolf Rezsouazy, Action et changement, Louvain, 1973.
2. W. F. Ocnurn, Social Change, with respect to culture and original
nature, New York, 1922,166 "ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
volumes de Recent Social Trends’. Dans Vaprés-guerre, les
problémes de modernisation, de croissance industrielle et
de développement ont contribué a perfectionner les moyens
mathématiques et statistiques de saisie des dynamismes
sociaux par l’analyse de leurs facteurs et la construction
Windicateurs.
Les problémes de mesure étant aussi variés que celui
des objets sociaux 4 mesurer, nous nc ferons qu’évoquer
certaines techniques et quelques problémes connexes tout
en renvoyant ic lecteur francais aux excellents ouvrages
dirigés par R. Boudon, P. Lazarsfeld et F. Chazel : L’analyse
empirique de la causalité et L’analyse des processus sociaux?.
Nos quelques pages n’aborderont que deux aspects du
changement : 1) les changements d’opinion (panels) ; 2) les
changements de condition sociale (indicatcurs?.
‘Mise au point par Lazarsfeld dans les années quarante,
a technique du panel consistant dans la répétition & inter-
valles réguliers d’un méme questionnaire sur un méme
échamtillon denquétés a pour but propre étude des chan-
gements d’opinion, d’attitude et de comportement. Différent
des mesures d’attitudes (échelle de Thurstone, Likert,
Guttman), le panel se propose, aprés observation, d’expli-
quer et de prévoir les changements de comportement d’une
population. Par des séries de clichés pris a des périodes régu-
lidres, peut étre dessinée I’évolution des opinions et attitudes
dans unc Population et peuvent étre décelés les éléments
susceptibles d’influcncer les enquetés. La sociologie élec-
torale procéde de cette maniére a l’interprétation des chan-
gements d’adhésion politique ou de cote des personnages
Officiels. Généralement on se fonde sur des opinions indi-~
1. W. F. Ooaumn (4.), Recent Social Trends, New York, 1933, 2 vol.
2. R. Boupon, P, Lazansrin, F. CHazel, L’analyse empirique de la
causalité, Mowon, 1966; lb., L’analyse des procestus sociaux, Mouton,
1979.
. Pour les changements de position (efer de mobilité sociale), &
situer nts d'opinion et de condition, cf, note étude sur
ie Goblin Le yutme socal, Emeyclopédie Larousse, 197,LANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 167
vidualisées, exprimées par des enquétés échantillonnés et
Yon cherche quels stimuli ont pu les influencer (émission
télévisée, discours d’un leader, conseils d’un parent ou
dun ami). La technique du panel différe cependant des
simples sondages d’opinion répétés en ce qu’elle suppose
que les interviews portent sur les mémes personnes alors
que dans le sondage d’opinion est seul exigé un échantillon
homogéne qui peut étre constitué Windividus différents 4
chaque répétition de sondage. On saisit immédiatement la
difficulté de retrouver une population identique 4 chaque
phase du sondage, car il faut compter avec la mortalité, les
déplacements et absences, le refus de répondre par lassi-
tude. L’avantage du pancl 4 |’état pur est d’éviter d’avoir &
reconstituer chaque fois un nouvel échantillon d’enquétés.
Une telle économie cst souvent recherchée par ceux qui
pratiquent des enquétes sur la consommation o& Pon se
préoccupe surtout de dégager le sens général des change-
ments ct influence globale de certains facteurs importants.
Dans des études portant sur une population trés large et
dans le cas o& sont exigées des précisions trés affinées pour
prévoir par exemple les résultats de consultations électo-
rales, il pourra étre plus profitable de répéter les sondages
sur des échantillons homogéncs mais différents pour mieux
juger des compensations dans 1a position des électeurs.
La difficulté de maintenir un échantillon homogtne
limite 1a durée totale de lenquéte. Dans celle effectuée par
Lazarsfeld dans le district d’Erié (Ohio) aux élections prési-
denticlles de 19407, les interviews ont été répétées six fois 2
un mois et demi d’intervalle. Une autre enquéte du méme
auteur sur |’évolution des choix de carriére chez les érudiants
de l'Université Cornell s’est étalée sur deux ans. Le nombre
et les intervalles de répétition de l’expérience dépendent du
type de panel choisi et des disponibilités financiéres des
enquétcurs. La répétition ne va pas sans créer des effets
1, P, Lazansratp, B, Benecson, H. Gauper, The People Choice, New
York, 1948.168 L’ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
déformateurs et de la lassitude. Dés la premiére interview,
Jes sujets connaissent les questions ; par la suite, ils prennent
de plus en plus conscience des problémes pos¢s, ce qui peut
jes conduire 4 modifier leur opinion initiale, a se montrer
plus intéressés ou plus critiques, au point de ne plus
constituer I’échantillon représentatif d’un ensemble. En
général, quand on se borne & quatre ou cing entretiens,
s’observe surtout une diminution du nombre des sans-opi-
nion. Pour mesurer certains effets de distorsions, on peut
interroger une seule fois des échantillons témoias différents
a chaque étape du pane] en méme temps que ’échantillon
de base du panel. L’étude des effets déformateurs ne manque
pas d’intérét pour comprendre la consistance et la nature
des opinions.
D’un point de vue empirique, le panel doit permettre
de situer les gens qui changent d’opinion, de spécifier les
attitudes les plus modifiables (on change plus aisément de
marque de boisson que de marque de café), de souligner les
facteurs les plus influents dans les changements d’opinion
(une femme jeune est plus écoutée en matiére de mode et
@esthétique, une femme Agée lest en ce qui concerne les
choix ménagers).
D’un point de vue méthodologique et technique, des
problémes se posent par exemple quant a la nature du chan-
gement que ’on veut observer et a ses critéres objectivement
saisissables, Par-dela la réorientation du vote d’un parti vers
un autre, la recherche d'indices d’évolution intéressera
particuliérement Je sociologue. S’il ne tient compte des
nombreuses variables, saisies par indices, qui influencent
le comportement électoral, il aura du mal 4 expliquer autre-
ment que par titonnements les propriétés structurelles des
données numériques. Il importe donc de déceler les véri-
tables facteurs du changement et leur influence respective
(propagande, livre lu, personne rencontréc) ce qui n’est
guére possible que par la constitution d’un groupe témoin
échappant a linfluence du facteur que !’on veut mesurer.
Si lon passe de Ia mesure du changement d’opinion &L’ANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 169
celle du changement de condition sociale, 1a complexité du
probléme s’accrott énormément. Dans la notion de condition
sociale interviennent a la fois des données structurelles
objectives, institutions telles que la famille, l'économie, la
politique, la justice pénale, et des données psychosociolo-
giques telles que des attitudes, attontes, aspirations ct valeurs.
Comment donc mesurer les perceptions subjectives du
changement social et de la qualité de la vie! ?
Le probléme des indicateurs du changement social est
alors un des plus importants comme le soulignent Eleanor
B, Sheldon et Wilbert E. Moore? qui établissent des indi-
cateurs a partir de cing catégories de données :
1) la démographie : importance numérique et répartition
géographique de la population ;
2) les principaux éléments structurels : production de biens
et services, main-d’euvre, connaissance et technologie,
famille, parenté, religion, cité
3) les caractéristiques distributives : consommation, santé,
éducation, loisirs ;
4) les caractéristiques globales : stratification et mobilité
sociale, homogénéité et diversité culturelles ;
5) le bien-étre et sa mesure.
Kenneth C. Land® augue] nous empruntons une partie
de ses schémas et explications se situe dans le sillage de ces
auteurs.
Pour faire le point d’une situation, pour évaluer un pro-
gramme de changement aussi bien que pour saisir sa portée
réelle et son impact sur Popinion publique, sont nécessaires
des informations quantitatives et statistiques. L’évaluation de
Ja qualité de la vie passe par des mesures, qui se veulent
1, Angus CampBELt et Philipp E. Converse (6d.), The Human Mea~
si, of Sootal Chant, New York, 1972.
, Eleanor B, SHELDON et Wilbert E. Moors, Indicators of Social
Crees oes sk scsurcinant, Sle Yack, cpt
enneth C. LAND, Théories, modéles et indicateurs du changement
sociki, Reeue internationale des scence sociale, XXVIL, T, 1975, BPs 740.Lx -d 219 “20 SaNvT “D “My SUd0,p ‘sonbnsjoue smareoIpUT 89] 19
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pos auigasks op 2ePOWLANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 17
objectives, du bien-étre social. Ces mesures ont un intérét
notmatif direct puisque, précisant ’évolution des éléments
dans le temps, elles influent sur les changements de politique,
au moins & court terme, car a long terme nul n’est sir de
Porientation des variations de l’opinion.
Le probléme capital est alors celui d’intégration du
modéle d’indicateurs. La dynamique concréte du dévelop-
pement de Lebret' nous donne !’exemple d’une recherche
fructueuse d’indicateurs, mais leur intégration apparait
surtout au plan des schémas graphiques, il ne semble pas
que Von ait suffisamment cherché a réduire leur disparité
en sélectionnant ceux qui avaient entre eux un taux d’agré-
gation élevé. Dans d’autres cas, les indicateurs se réduisent
a des séries chronologiques subdivisées sans beaucoup de
rapport avec Pétablissement d’un indice de vie sociale. It
sagit de déterminer au départ : en combien d’éléments
découper Ia vie sociale. Quelles sont les conditions sociales
qui seront mesurées ? Comment sélectionner les valeurs,
buts et mormes de la société les plus importants ?
Dans le but détablir des modéles d’indicateurs,
K. C. Land propose de distinguer : r) les variables exogénes
manipulables et celles non manipulables par la politique
sociale ; 2) les variables endogenes descriptives du résultat
final et celles descriptives des effets secondaires. I] schéma-
tise ainsi leurs relations (v. cliché ci-contre).
« La plupart des tentatives d’élaboration de modéles
sociologiques, dit-il, ont été axées sur l’analyse de effet des
indicateurs non manipulables sur certains résultats et sur
les indicateurs des effets secondaires, sans qu'il soit tenu
compte des indicateurs d’instruments politiques et de leurs
impacts relatifs. D’autre part, la plupart des recherches
opérationnelles traditionnelles semblent mettre en relief
les effets des instruments politiques sur les indicateurs de
résultat sans prendre explicitement en considération les
1. L. J. Lenrer, Dynamique concrete du développement, Ed. ouvrieres,
1963.172 ANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
indicateurs d’effets secondaires ni ]’influence des indicateurs
non manipulables ».
L’application de son schéma porte sur le phénoméne
éducatif. « Pour obtenir un modéle d’indicatcur social des-
ting a représenter Ics processus sociaux qui déterminent la
situation de l’éducation, on peut définir des indicateurs de
résultat se rapportant a l’apprentissage et aux résultats indj-
viduels ; des indicateurs d’instruments politiques ayant trait
aux ressources financiéres, materielles et humaines consa-
crées aux problémes éducatifs ; des indicateurs descriptifs
non manipulables se rattachant au milieu familial et aux
aptitudes individuelles ; et des indicateurs d’effets secon-
daires concernant 1a profession, le revenu, le style de vie,
les goiits culturels et autres caractéristiques des indi~
vidus »*,
La difficulté majeure consiste 4 quantifier le qualitatif
aprés s’étre accordé sur les définitions normalisées des grands
domaines d’intérét social, sur les notions de « préoccupa-
tions sociales », sur le niveau de consensus a propos de
«buts sociaux » et de « valeurs générales » telles que le bien-
@tre et Péquité. Souvent Varbitraire et V’idéotogique se
glissent dans le choix des fonctions du bien-étre social :
la dépolitisation, par exemple, est-elle bonne ou mauvaise
comme indicateut d’objectif ? A supposer que l’on dispose
instruments d’évaluation systématique des donnécs et de
Vaccord des spécialistes, il reste encore & établir des relations
entre plusieurs facteurs pour tester la valeur intégrative des
modéles d’indices et d’indicateurs.
Il ne nous semble pas que K. Land ait parfaitement
appliqué ses modéles d'indicatcurs au changement social.
Du moins ce qu’il en dégage & propos de ces changements ne
nous apprend pas grand-chose. Néanmoins il faut reconnaitre
que la méthode qu'il décrit est indispensable 4 quiconque se
propose d’analyser avec précision les dynamismes sociaux
1. K. C. LAND, oc, cit, p. 18,
2. Ibid.; p. 19.ANALYSE FACTORIELLE DU CHANGEMENT 173
et d’agir sur eux en planifiant le changement dans une action
de développement intégré.
‘Avec une semblable prétention 4 Popérativité, mais dans
un sens tout a fait different, des recherches vicnnent d’étre
menécs au niveau de la formalisation des processus sociaux
pour tenter de représenter par graphes ce que, dans les
dynamismes sociaux, les modéles arithmétiques seraient
incapables de saisir. L’ouvrage de Georges Ribeill, Tensions
et mutations sociales‘, apparait 4 ce propos comme larecherche
pionniére d’un ingénieur transposant dans analyse socio-
logique ses instruments d’analyse physique et mathématique.
Plus séduisante actuellement, parce que ses applications
restent en grande partie inexplorées, serait la théorie des
catastrophes inventée par le mathématicien René Thom,
et qui résulte de la synthése entre deux secteurs des mathé-
matiques : la théorie de la stabilité structurelle et la ropologie
différentielle. Seion son auteur, « la théorie des catastrophes
permet de décrire mathématiquement des situations ot
Padhésion au paradigme social se transforme brusquement
en rejet, en fonction des variations de la contrainte sociale.
Elle permet d’en donner une représentation géométrique &
partir de laquelle on peut facilement comprendre, visualiser
des situations dans lesquelles des individus ou des groupes
adhérant au paradigme social, a ensemble des normes, sont
sur le point de le rejeter brusquement. Concrétement, ¢’est
& ce moment qu’on voit apparaitre des groupes marginaux,
plus ou moins nombreux, qui sont !indice d’une situation
prérévolutionnaire, voire révolutionnaire. Car une révolu-
tion, finalement, ce n’est rien d’autre qu’un changement
brutal et radical du paradigme social »*. Dépouillé de tout
jugement de valeur, le mot catastrophe retrouve son sens
primitif de bouleversement, changement brusque d’état,
sous Peffet de forces conflictuclles. Il recouvre aussi bien le
chemin qui va du rejet du paradigme social 4 son adhésion,
1. Georges Rime, Tensions et mutations sociales, PUR, 1974.
2, Economia, n° 33, avril 1977, p. 49.174 VANALYSE DYNAMIQUE EN SOCIOLOGIE
Cest-d-dire le mouvement de récupération qui est aussi une
saute brutale de tajectoire. Et Vauteur d’appliquer sa
théoric 4 quelques changements récurrents de régimes poli-
tiques dans Phistoire : monarchie + révolution + dicta-
ture + retour 4 la monarchic.
La survenance de désordres (gréves, émcutes) dans les
prisons peut étre aussi saisie a partir de P’évolution de deux
causes : la tension (conséquence des frustrations et de la
détresse), Paliénation (créée par Pisolement, le manque de
communication, Fopposition entre surveillants et surveillés).
‘Tant que ne seront pas affinés les critéres mesurables de
tels phénoménes et les images spatiales de situations psy-
chologiques ou sociales, le modéle mathématique risquera
de métre guére prédictif, pense auteur. Il ne conduira
qu’a des conclusions naives : mieux vaut une politique de
tolérance qu’une politique d’attaque frontale des émeutiers ;
Ja répression garantit l’ordre social mais induit des effets
inverses & ceux recherchés. Tout au plus la théorie des
catastrophes dans son état actuel, parce qu’elle laisse la
place A Pindétermination, permet-elle de caractériser, &
partir d’un état initial instable, le nombre fini des états
finaux possibles d’un systéme.
On peut se demander si de telles recherches n’auraient
pas que l’apparence de l’opératoire. En fait, elles demeurent
encore trop balbutiantes pour qu’on puisse de sitét nier leur
réle futur dans une meilleure perception, une prévision et
une planification du changement.