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Aurora Bagiag

Le dépaysement – un aspect de la modernité


chez Panaït Istrati et Franz Hellens

Dans le discours littéraire de la modernité, le sujet ne se présente jamais comme


un tout, mais comme une identité dispersée, fragmentaire. En effet il se voit contraint
d'élaborer sa relation au monde en ébullition de deux façons divergentes: ou bien en
s'accrochant aux liens anciens devenus anachroniques, ou bien en adhérant aux structures
modernes, s'exposant dans les deux cas à la crise. N’étant plus un porteur fiable de
perspectives, le sujet vit en contradiction avec soi-même: d'une part il approuve
l'évolution qui conduit à la société moderne, d'autre part il se sait impliqué dans le déclin
d'un certain « ancien temps ». Le dédoublement surgit alors de la mise en question d’une
part de l'observateur devenu marginal et de l’autre part des événements de la métropole1.
Libéré des attaches traditionnelles (liens religieux, familiaux etc.) le sujet est désormais
« en mesure d'interpréter sa vie en termes d'expérience individuelle et d'épanouissement
de soi »2.
Le concept de dépaysement, dans son rapport direct avec la modernité, se reflète
d’autant plus dans l’œuvre des auteurs appartenant à un espace de l’entre-deux culturel et
linguistique, tels Panaït Istrati, écrivain roumain francophone, et Franz Hellens, écrivain
belge de langue française. Nous commencerons notre étude par une interrogation sur le
problème de l’identité qui se manifeste au début du XXe siècle au niveau politique,
national, culturel, mais également au niveau de l’individu. Dans un deuxième temps nous
nous attarderons sur la double appartenance littéraire d’Hellens et d’Istrati ainsi que sur la
fragmentation ou la dualité présente à l’intérieur de leur culture d’origine. Le troisième
volet de cette étude se concentrera sur la thématique du dépaysement, envisageant le texte
comme construction identitaire.

1
Voir Peter BÜRGER, La prose de la modernité, Paris : Klincksieck, 1994.
2
Ibid., p. 236.

1
L’identité à l'époque moderne
Le problème de l’identité (individuelle, sociale, politique) se pose de façon de
plus en plus accentuée à l’époque moderne. L'une de ses manifestations est l’éveil du
nationalisme pendant le XIXe siècle et le début du XXe siècle. Les peuples sont à la
recherche d’une identité nationale qui signifie Etat, culture, littérature, langue propres à la
fois. Dans ce sens rappelons le cas de la Belgique qui se forge une tradition plus ou moins
mythique, censée lui conférer une nouvelle légitimité dans l'ensemble de la culture
européenne. On peut évoquer aussi le cas des « nations » balkaniques qui constituent
leurs Etats au XIXe siècle, au moment où le modèle révolutionnaire français s’impose. Ce
processus se fonde sur la coïncidence entre la nation, s’affirmant sur le plan culturel et
politique, et l’Etat, qui en devient l’acteur sur le plan du territoire du groupe et sur le plan
international. Ainsi les Serbes, les Grecs, les Roumains, les Bulgares, les Albanais, qui
présentent certes un noyau national, mais qui entretiennent des liens étroits dans tout
l’espace des Balkans, agissent pour la création des Etats « baptisés et réglés », clairement
localisés et séparés de leurs voisins par des frontière indiscutables.1 Le contrepoids de
cette crispation identitaire à visée nationaliste, religieuse ou culturelle, serait l’ouverture
vers l’ailleurs, la tentation du nouveau, de l’internationalisme, du cosmopolitisme. Ce
sont autant de provocations que la littérature ne saurait ignorer; en effet elle procédera à
la déconstruction de l’identité, à sa démultiplication. Il faut rappeler dans ce sens
l’influence qu'exerce la psychanalyse, la découverte de l’inconscient de Freud, mais aussi
la philosophie moderne. Si dans un premier temps la culture se présentait comme la
marque indélébile de la communauté, étant considérée comme une donnée au même titre
que la langue et la « race », toutes ces catégories seront largement déconstruites et
perçues comme une construction, un fabriqué, un produit de l'imaginaire collectif. Le
patriotisme et le nationalisme en tant que rattachement au local et au national seront
remplacés par la tendance à la mondialisation, par la fusion avec l'universel. Dans ce
contexte il convient d'analyser le dépaysement en tant que phénomène extrêmement
complexe : l'individu dépaysé est à la fois déraciné, déplacé, dispersé, déclassé.
La question identitaire se pose d’autant plus chez des auteurs qui appartiennent à
un entre-deux littéraire et culturel. Ils incarnent l’homme dépaysé2, celui qui, oscillant

1
Voir Georges CASTELLAN, Histoire des Balkans XIVe-XXe siècle, [Paris] : Fayard, 1991.
2
Voir Tzvetan TODOROV, L’Homme dépaysé, Paris : Seuil, 1996. L’auteur met en tête de son ouvrage
les deux sens du mot « dépayser » donnés par le Petit Larousse, leur accordant une égale importance : « 1.

2
entre plusieurs pays, traverse une crise identitaire: il doit renoncer à sa situation
antérieure pour accéder à un nouveau statut existentiel. Le passage de la position
d’outsider à celle d’insider, quelques relatives que soient ces notions, apparaît toujours
difficile. La double appartenance s’avère dramatique à cause de la coexistence de deux
voix concurrentes. Leur interaction peut aboutir à une schizophrénie intellectuelle, mais
dès qu’une hiérarchie s’instaure, la cohésion devient le terrain d’une expérience nouvelle.
Cette situation de déséquilibre initial a comme contrepoids un plus de liberté de l’esprit,
un éclaircissement de la perspective dû à la distanciation et un enrichissement dû à une
expérience de vie complexe. Un grand nombre d’artistes font l’éloge de la pluralité des
cultures, du mélange des voix, de la polyphonie absolue. Autant de données qui
définissent le cosmopolitisme et le nomadisme généralisés du sujet décentralisé moderne.

La double appartenance littéraire


La critique littéraire a souvent associé au nom de Panaït Istrati des syntagmes tels
« écrivain - vagabond », « pèlerin », « voyageur » et leurs connotations : « déraciné »,
« dépaysé ». Ainsi Al. Oprea intitule sa monographie Panaït Istrati, un chevalier errant
moderne1, tandis que Daniel Lérault choisit pour son recueil de textes istratiens le titre de
Vagabond du monde, s’inspirant de la formule créée par l’auteur même pour désigner un
regroupement de sept articles : « Notes et reportages d’un vagabond du monde »2. Sous le
titre « Un chardon déraciné (situation de l’œuvre) », Monique Jutrin Klener consacre une
section de son étude portant sur la vie et l’œuvre d’Istrati3 au problème de la situation de
ses textes dans un no man’s land littéraire, où rien ne le rattache à une tradition littéraire
française. Istrati débute à une époque où la littérature étrangère, la littérature de voyage et
d’aventures connaissent une vogue extraordinaire, qu’illustrent entre autres L’Or de
Cendrars, La Nuit kurde de Jean Richard Bloch, L’Europe galante de Morand. Le public
en quête d’évasion découvre dans ses écrits un conteur authentique et exotique. Cela
explique le succès obtenu par Istrati en France, succès beaucoup plus grand que celui
rencontré auprès du public roumain, familiarisé avec cet imaginaire. Il ne trouve pourtant

Faire changer de pays, de lieu, de milieu, déraciner, exiler ; 2. Mettre mal à l’aise par changement de décor,
de milieu, d’habitudes, déconcerter, dérouter, désorienter ».
1
Al. OPREA, Panaït Istrati, un chevalier errant moderne, Bucarest : Editions Minerva, 1973.
2
Les sept articles en question ont paru dans Le Monde et ont été repris dans Le Vagabond du
monde, Edition établie et présentée par Daniel LERAULT, Editions Bassac, Plein Chant, 1989.
3
Monique JUTRIN-KLENER, Panaït Istrati, un chardon déraciné. Ecrivain français, conteur roumain,
Paris : François Maspero, 1970.

3
pas sa place à l’intérieur des classifications du roman français contemporain. Les
histoires littéraires françaises le rangent dans la section du roman exotique des années
1920-1930. La critique roumaine a dans la même période des réactions contradictoires.
Certains voient en lui un « traître » parce qu'il a quitté son pays et il a écrit dans une autre
langue que la sienne, d’autres se plaisent à signaler le caractère spécifiquement roumain
de son œuvre. Les exégètes roumains compliquent sa situation posant le dilemme : Istrati
– écrivain français ou conteur roumain. Par le choix de l’instrument linguistique Istrati
serait un écrivain français. D’ailleurs Rieder le publie dans la collection des Prosateurs
français contemporains. Parallèlement Tudor Vianu inclut des fragments de Kyra
Kyralina1 dans son anthologie des prosateurs roumains2 avec la précision que, si dans sa
première version son oeuvre a été écrite en français, elle appartient pourtant à la culture
roumaine par la matière et l'esprit de sa création.

Le cas de F. Hellens est similaire. Les formules employées par la critique:


« flamand d'origine, mais de culture française », « écrivain flamand s'exprimant en
français », ou « ce flamand de langue et d'éducation française » indiquent un certain
manichéisme dans le traitement d'une identité culturelle plurielle. Certains le considèrent
le promoteur d’une synthèse entre la Flandre natale et la France : « Sa vision du monde, à
la fois imaginaire et sensuelle, le halo persistant de son enfance font que, pour les
Français, il reste un écrivain flamand, alors que, pour les Belges, son goût de l’analyse et
des drames intérieurs, la finesse de sa peinture et l’élégance un peu froide de son écriture,
le rangent parmi les écrivains français où il convient de le placer vraiment »3.
Les éléments qui justifieraient son intégration dans une soi-disant tradition
flamande, qui inclut autant de mythes que des données objectives, tiendraient soit de
l'évocation des villes de Flandre, notamment Gand, qui constitue souvent la toile de fond
ou le point de référence et dont le rôle est parfois tellement important qu'il peut être
qualifié de protagoniste de ses romans, soit du déroulement, à l’arrière plan de l’œuvre,
d'un drame belge, qu'il s'agisse d'un drame social ou des prises de position sur des
questions culturelles. Pour certains commentateurs sa façon de jeter un pont entre le rêve
et la réalité serait un phénomène typiquement flamand, ainsi que le choix du genre et de

1
Panaït ISTRATI, Kyra Kyralina, Paris : Editions Rieder, 1924.
2
Tudor VIANU, Nouvelles roumaines, Seghers, 1962.
3
Albert AYGUESPARSE, « Approche d'une œuvre » in Courant d'ombres–Franz Hellens, 1996, no 3, p. 5.

4
la thématique, du ton et du style. Pour autant il y a des œuvres qui ne comprennent rien
qui puisse être qualifié de particulièrement flamand. La couleur locale est souvent
remplacée par une ambiance française.
Les sources livresques de ses œuvres attestent qu’il a été marqué par Edgar Poe
ainsi que par les écrivains belges de la génération précédente : Eekhoud, Lemonnier,
Verhaeren, Rodenbach et particulièrement Maeterlinck. L’influence de ces auteurs
s’exerce surtout sur ses œuvres de jeunesse, ses premiers poèmes et ses œuvres en prose
publiées avant 1915 : En ville morte1 (1906), Les Hors-le-vent2 (1909), Les clartés
latentes3 (1912). Cependant une démarcation chronologique trop nette serait inopérante,
car l’intrigue du Magasin aux poudres4 (1936) doit beaucoup à celle de La nouvelle
Carthage de Eekhoud. Quant au Maeterlinck, le maître spirituel admiré et reconnu,
l’intérêt pour celui-ci remonte à l’adolescence d’Hellens : dans Documents secrets5 il
reconnaît avoir écrit à 18 ans une parodie de la Princesse Maleine ; plusieurs séquences
d’En ville morte portent les traces de la même influence durable et Hellens donne à sa
première pièce le titre de Massacrons les innocents6.

« Littérature belge de langue française » ou « littérature française de Belgique »


Chez Hellens le problème identitaire de la littérature belge est l’objet de débats
théoriques, qui suivent une certaine évolution et connaissent des changements et des
renversements des points de vue. Ainsi la revue Le Disque Vert (1921-1925) se fait le
promoteur d'une double dialectique, de l’assimilation et de la dissimilation de la
littérature des Belges par rapport au champ français. La politique littéraire de la revue se
fonde sur une logique institutionnelle double : mettre en présence la littérature belge et la
littérature française, et de là acquérir un plus de légitimité grâce à l’identité de langue,
sans renoncer pour autant au sous-champ belge, doué d’une manière d’existence
distincte. Celui-ci garderait une part d’originalité qui le distingue de la littérature de
l’hexagone et d’autres littératures européennes. Ainsi la Belgique se veut ouverte à une

1
Franz HELLENS, En ville morte. Les Scories, Bruxelles : Van Oest, 1906.
2
Franz HELLENS, Les Hors-le-vent, Bruxelles : Oscar Lamberty, 1909.
3
Franz HELLENS, Les Clartés latentes. Vingt contes et paraboles, Paris : Librairie générale des Sciences,
des Arts et des Lettres, 1912.
4
Franz HELLENS, Le Magasin aux poudres, Paris : Gallimard, 1936.
5
Franz HELLENS, Documents secrets, Paris : Albin Michel, 1958.
6
Franz HELLENS, Massacrons les innocents. Pièce en un acte, Bruxelles : Editions du Masque, Henri
Lamertin, 1911.

5
multitude d’influences étrangères et sa disponibilité vers l’universalisme et le
cosmopolitisme lui donne un régime d’existence propre par rapport à la France : « Ouvert
à tous, difficile, cependant, à ouvrir » ne reste pas un simple slogan. Effectivement la
revue comporte beaucoup de collaborateurs étrangers : Ramon Gomez de la Serna et
Barga pour la littérature espagnole, Rodker et Read pour l’anglaise, Ungaretti pour
l’italienne. Les littératures marginales ont également une certaine place dans l’ensemble
des préoccupations de la revue. Des réflexions sur la littérature néerlandaise, roumaine,
irlandaise et yiddish témoignent l’intérêt d’Hellens pour le problème de l’identité
culturelle des pays qui ressentent l’influence de plusieurs civilisations. La littérature russe
y est richement représentée par M. Tsvetaïeva, I. Ehrenburg, Maïakovsky ou Serge
Essenine.
D’ailleurs le premier numéro de Signaux de France et de Belgique (mai 1921) a
en tête la profession de fois formulée par Hellens de la façon suivante : « Nous ne
sommes pas une revue nationale, ni binationale, ni internationale… Nous préférons faire
signe… Nous souhaitons qu’on sente monter d’entre les pages d’un aspect parfaitement
français l’odeur de la bibliothèque d’un bon Européen». Une idée qui sera reprise dans
une image emblématique : « Pour l’intellectuel, la Belgique n’est vraiment qu’un balcon
face à l’Europe » (Le Disque Vert, nov. 1922).
Dans le Manifeste du groupe de Lundi (1937) le débat identitaire renverse la
perspective proclamant qu'il n’existe plus de « littérature belge de langue française »,
mais de la « littérature française de Belgique ». La première partie qui pose la question:
« Qu'est-ce que les lettres belges? », considère le concept de « littérature nationale »
comme « une erreur radicale ». La seconde partie, traitant également le problème de
« littérature et nationalité », accepte que les « faits géographiques et psychologiques »,
ainsi que « l'indépendance politique » constituent des facteurs importants de localisation
de la création littéraire en Belgique, mais soutient que la communauté de culture et de
langue sont plus révélatrices. La troisième section analyse les conséquences d'une
conception nationale de la littérature telles: la « prédilection pour les sujets rebattus, les
idées reçues, les techniques usées, le pittoresque superficiel et les sentiments
conventionnels ». La question du régionalisme, deuxième débat important du Manifeste,
fait de celui-ci un obstacle face à l'insertion de la littérature belge « au sein des lettres

6
françaises »1
Dans l’introduction à l’Etat présent des lettres françaises de Belgique2 (1949) le
propos de F. Hellens est plus nuancé. Il concède qu'il peut y avoir une originalité de la
littérature française de Belgique, de la « province linguistique belge », mais considère
que celle-ci ne peut venir que des Flamands et des Wallons:

Il n’y a de la littérature belge que dans la mesure où il existe des auteurs qui
écrivent dans un idiome propre aux provinces belges. Dans ce sens on peut qualifier
de ce nom les littératures wallonne et west-flamande.
Les écrivains belges qui font usage du français appartiennent à la littérature
française, même s’ils introduisent dans la langue des termes et des expressions du
terroir 3.

Les raisons d’une parfaite identification entre les deux champs littéraires en sont :
la communauté de langue, « les hasards de l’histoire, le voisinage, les relations
spirituelles». Ces points communs rendent le rapport de ressemblance beaucoup plus fort
que celui de dissemblance, né de la géographie physique et politique de leurs textes. Il y a
pourtant « un minimum de nuances de la sensibilité » qui permet à certains auteurs belges
de s’imposer en France justement par leur côté particulier, voire par « une langue pleine
d’inflexions déterminées par une sensibilité qui doit presque tout à la race et au lieu
d’origine »4.
Hellens esquisse même un profil de l’écrivain flamand en faisant appel à la
rencontre, à l'entrecroisement de la littérature et de la peinture, en tant que trait distinctif,
généralement reconnu par la tradition critique, des lettres belges:

L’écrivain belge, le Flamand surtout, apporte dans sa façon de voir, de sentir et


de s’exprimer, un reflet indéniable des tableaux des grands maîtres de la peinture
flamande et wallonne : Roger de Pasture, Jérôme Bosch, Breughel… Réaliste et
mystique à la fois, il a un goût prononcé pour les couleurs vives et les formes corsées

1
Voir Reine MEYLAERTS, « Enjeux nationaux et internationaux de la question identitaire » in Histoire de
la littérature belge 1830-2000/ sous la dir. de Jean Pierre BERTRAND, Michel BIRON, Benoît DENIS,
Rainer GRUTMAN, Bruxelles : Fayard, 2003.
2
Franz HELLENS, Etat présent des lettres françaises de Belgique, tome I, Dison : Editions du Plomb qui
fond, 1949.
3
Franz HELLENS, « Introduction » à l’Etat présent des lettres françaises de Belgique, op. cit., p. 1 - 15.
4
Ibid.

7
(…) Leur langue reflète admirablement les signes de leur tempérament, de même
que la langue des écrivains haïtiens écrivant en français se colore de la chaleur
profonde et de la saveur spéciale aux régions tropicales. Le Nord et le Midi ont
enrichi la langue française d’un certain nombre d’éléments vitaux, globules rouges
qui contribuent à son entretien et à sa santé1.

Istrati et le balkanisme littéraire


La question de la double appartenance de P. Istrati demande d'être elle aussi
nuancée. Son œuvre se revendique non uniquement d'une tradition roumaine, mais de la
littérature balkanique, d’une sorte de mythologie sud-est européenne. On parle de
balkanisme dans la mesure où un passé historique commun et des conditions sociales
similaires ont contribué à forger une tradition orale – folklore, coutumes, littérature
populaire – unitaire pour les pays de cette région. Ainsi les auteurs serbes, bulgares,
grecs, roumains du XIXe et du XXe siècle recourent-ils à des thèmes et à des procédés
formels semblables. En raison d’une inspiration historique analogue, Monique Jutrin-
Klener rapproche Domnitza de Snagov2 et Les Haïdouks3, les deux romans historiques
d’Istrati, de Sous le joug du romancier bulgare Ivan Vazov4, d’Il est un pont sur la Drina
du serbo-croate Andritch5 ou de O, Kapetan Michalis de Nikos Kazantzaki6.
Circonscrire des invariants littéraires sud-est européens revient à établir une
typologie des personnages, à identifier une série de thèmes et motifs de prédilection, à
remarquer la prépondérance de certains genres littéraires. Dans cet espace d’interférence
des cultures et des civilisations, la figure centrale est, selon Mircea Muthu7, celle de
l’homo duplex. Celui-ci est fait d’une association d’états contrastants qui fusionnent ou
seulement cohabitent. Ainsi, du point de vu de l’attitude, le balkanique a « un œil qui rit
et un œil qui pleure ». Une conception généralement optimiste de l’existence s’allie à la
soumission face à la destinée et à la nature humaine, entretenant une tension permanente
entre l’hiératique et le dynamique. Les figures typiques de cet imaginaire seraient le

1
Ibid.
2
Panaït ISTRATI, Domnitza de Snagov, Paris : Rieder, 1926.
3
Panaït ISTRATI, Présentation des Haïdouks, Paris : Rieder, 1925.
4
Ivan VAZOV, Sous le joug, Sofia : Editions en langues étrangères, 1966.
5
Ivo ANDRITCH, Il est un pont sur la Drina, Plon, 1956.
6
Publié en grec en 1953 et traduit en français sous le titre La Liberté ou la mort par G. Prassinos et P.
Fridas, Plon, 1956.
7
Voir Mircea MUTHU, Du côté du Sud-Est, Cluj-Napoca : Clusium, 2001.

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parvenu, le sage errant, le justicier, dont les deux dernières sont richement représentées
chez Panaït Istrati, qu’il s’agisse de Barba Yani de Kyra Kyralina ou de Cosma et d’Elie
des Haïdouks. Le culte du logos, avec des racines dans la rhétorique populaire,
caractérise le discours de ces conteurs et romanciers qui réussissent à « équilibrer l’œil
avec l’oreille, le mot écrit avec la parole proférée »1. L’homme des Balkans est un
« auditif par excellence », un conteur inné. En même temps il offre de la couleur à ses
évocations, sollicitant la capacité du lecteur de visualiser les scènes. Une autre dimension
fondamentale du roman sud-est européen est l’intrusion de l’histoire dans la fiction,
attitude liée à la mentalité de ces peuples pour lesquels les temps anciens ne sont pas
historiques, mais vivants. Il s’ensuit alors une certaine identité entre la culture orale et la
littérature écrite, la différence n’en étant que « de degré, non pas d’essence »2.
L’imaginaire balkanique préfère des attitudes spécifiques, comme celle de
l'histrion, du picaro, et des formes qui conviennent à ce contenu : la parabole, l’apologue,
le roman populaire. Le balkanisme littéraire se plie sur une diversification stylistique et
thématique en fonction d’une option individuelle dans la poesis et plus généralement de
la préférence de l’époque. Ainsi M. Muthu identifie plusieurs expressions du balkanisme
littéraire : « un balkanisme d’évocation (Matei Caragiale), un balkanisme fortement
coloré du point de vue social (Panaït Istrati, Zaharia Stancu), éthique-religieux (Gala
Galaction), moral-politique (George Magheru), ethnique (Teodor Mihadas),
3
métaphysique (Ion Barbu) » .
Associant des composants spécifiquement balkaniques à un discours qui s’appuie
sur la langue française, l’univers romanesque de Istrati apparaît fondamentalement
scindé, disloqué. La rupture est d’autant plus grande que l’intellectuel de l’entre-deux-
guerres amplifie la dichotomie Orient-Occident dans une perspective multiple: historique,
religieuse, scientifique, artistique. On est tenté de parler du rapport Occident – Orient par
l'intermédiaire des couples antithétiques, réductifs et généralisants, qui instaurent un écart
mythifié, apte à engendrer l'exotisme en tant que tentation de ce qui est perçu comme
totalement différent. Cette « bipolarité essentielle » est transcrite par M. Muthu à l’aide
d’un tableau synoptique4 :

1
Voir Mircea MUTHU, Du côté du Sud-Est, op. cit., p. 59.
2
Ibid., p. 61.
3
Ibid., p. 65.
4
Ibid., p. 15-16.

9
appolinien – faustique et fini – infini (O. Spengler) ;
science sacrée – science profane (R. Guénon) ;
esprit autocratique/conduite despotique – esprit démocratique/individualisme
politique occidental (N. Iorga, préfiguré par E. Gibon) ;
l’Orient plus contemplatif – l’Occident plus pragmatique (S. Bulgakov) ;
culture éléate – culture héraclitéenne (A. Dumitriu) ;
l’Orient comme résignation – l’Occident comme tourment (N. Velimirovich) ;
éternel – historique (C. Noica).

Une autre sorte d’opposition, synthétisée dans une formule aphoristique, soutient que si
la grande découverte de l’Occident est l’humanité, l’Orient a découvert en revanche
l’homme1. Dans le prolongement de cette assertion, une remarque d’ordre biographique
de Romain Rolland transcrit bien le dépaysement, en tant que malaise provoqué par le
changement de milieu, qu’Istrati accuse : « Pauvre Istrati, que de malentendus auxquels
s’est heurtée dans notre Occident votre nature plus qu’aux trois quarts orientale! Vous les
jugez froids, rétrécis, sans cœur. Et ils vous jugent sans mesure et sans équilibre. Vous
avez votre mesure à vous. Et ils ont leur cœur »2. Cette crise, ressentie sur le plan
personnel, se manifeste également au niveau culturel. Pourtant la déculturation - la
dégradation de la culture d’origine –, en tant que répercussion de l’exil, n’est que relative
dans le cas de P. Istrati. Il est un autodidacte qui acquiert une bonne partie de sa
formation littéraire en France et en Suisse (apprentissage du français et lecture de R.
Rolland et des classiques : Rousseau, Montaigne, Voltaire, Pascal, Malherbe, Saint
Augustin, Fénelon). A cela s’ajoute l’acculturation – l’assimilation progressive d’une
nouvelle culture – phénomène partiel également dans la mesure où il se sent toujours un
outsider et ne réussit pas à mettre d’accord son âme orientale avec l’esprit plus rationnel
occidental. Istrati cultive son dépaysement d'autant plus qu'il a été électif, bien qu'il se
revendique d'un mythe d'origine à valeur d'exemplum où l'Europe occidentale est figurée
comme modèle culturel absolu :

1
Voir Anton DUMITRIU , Culturi eleate si culturi heracleitice/ Cultures éléates et cultures
héraclitéennes, Bucarest : Cartea Romaneasca, 1987.
2
Lettre de Romain Rolland à Panaït Istrati du 25 juin 1922 in Correspondance intégrale Panaït Istrati –
Romain Rolland (1919-1935), Valence : Canevas Editeur, p. 94.

10
- Assez de tes farces méditerranéennes! Voilà six années que tu gaspilles ta meilleure
sève à traîner avec des loques humaines comme Moussa, des cocotes comme Sarah, des
souteneurs comme Klein, des escrocs comme Moldovan et avec tous les vagabonds plus
ou moins salauds qui pullulent dans ta Méditerranée.
[...] Tu as des dons qui ont besoin d'être cultivés. Ce n'est pas ton Egypte, ni ta Syrie, ni
ta Grèce dégénérée qui pourraient te rendre ce service.
Tu dois connaître l'Occident! Tu dois apprendre une langue occidentale.1

Passant par l’expérience de la langue, Istrati est le sujet d’une transculturation qui
consiste à intégrer le nouveau code sans renoncer au précédent. Il est utile de rappeler que
son discours français est fragmenté par une longue série de mots roumains – auxquels
s'ajoutent des mots grecs, turcs, arabes - surtout des régionalismes et des archaïsmes.
Leur emploi n'est pas entièrement justifié par le fait qu'ils transcrivent des réalités
typiques, voire intraduisibles, mais se rattache à leur sonorité révélatrice d'un univers
voulu exotique. Si le processus de création se découvre un obstacle dans la difficulté de
s’exprimer dans une langue apprise de façon artificielle, insuffisamment maîtrisée, le
problème se complique par l’intuition de la dimension fondamentale de la langue de
structurer la pensée et la perception de l’univers. C’est peut-être pourquoi, après avoir lu
la première traduction roumaine de Kyra Kyralina, faite par un anonyme, Istrati décide de
traduire lui-même ses écrits. Il précise ensuite que son travail a dû dépasser la simple
entreprise de traducteur, il a dû transposer son ouvrage en roumain pour correspondre à
l’esprit du public de son pays d’origine.

Le texte comme construction identitaire


Cette préoccupation d'orienter le texte vers un public bien déterminé module le
discours littéraire de P. Istrati. S’il serait intéressant d’analyser le rapport entre la fiction
et la description dans son œuvre, il faut d’abord tenir compte du fait que Panaït Istrati
construit une image de la Roumanie qui s’adresse au lecteur étranger. Ses tableaux de vie
révèlent l’existence d’un choix, d’une orientation qui se fait stratégie littéraire. Elle se
traduit souvent par la peinture d’une image idyllique. Les descriptions du Danube et de

1
Panaït ISTRATI, « L'Appel de l'Occident » in Méditerranée. Coucher du soleil, Paris : Gallimard, 1969,
p. 592.

11
son Delta dans Codine1, celle de la plaine désertique de Baragan dans Les Chardons du
Baragan2, témoignent d’une nature sauvage, tandis que la présentation des faubourgs
avec la misère, les sentiments violents, la force brutale, sert à la mise en scène d'une
humanité primitive, instinctuelle. Le choix est évident non uniquement au niveau de
l’intrigue, mais également au niveau du langage. L’insertion des mots étrangers
(roumains ou balkaniques) disloque le discours français. Mavra matia, aman bre,
nerrantsoula foundoti justifient leur présence par la sonorité musicale apte à restituer,
d’une part l’authenticité du paysage balkanique et méditerranéen et d’autre part
l’exotisme et le pittoresque. Les raisons de la présentation d’une Roumanie rurale ou
citadine anhistorique, atemporelle se rattachent à une visée idéologique. Le vagabond
venu d’Orient se compose une ascendance non nécessairement nationale, mais régionale,
apte à susciter l’intérêt de l’Occident. On est sans doute en présence de la littérature d’un
roumain qui se donne à lire aux étrangers, et implicitement d’une construction identitaire
par le biais livresque. Le texte se trouve alors à mi-chemin entre Terra Mater et « Terre
d’Exil ». Istrati est chez soi dans l’espace sécurisant de l’écriture, mais il est en même
temps un « autre », construisant une image de soi avec la distanciation implicite.
Le dépaysement se lit également dans l'œuvre à dominante autobiographique de
Franz Hellens, ne serait-ce qu’à travers les villes où ses personnages séjournent, les
paysages qu’ils traversent, les espaces qu’ils entrevoient. On a parlé longuement de
Gand, de Wetteren et de la Côte d’Azur ; on ne saurait négliger le rôle joué par
l’Espagne et par le Portugal, ainsi que par des villes comme Londres, Paris, Milan,
Florence. Mont-Saint-Guilbert, où Hellens passe de nombreuses vacances d’été, devient
le cadre de ses contes, par exemple dans Clara Spane3 ; quant aux paysages de La Celle-
Saint-Cloud, ils sont présents partout dans ses derniers ouvrages : Seine-et-Oise4, Le
Naturaliste impertinent5, L’Automobile fantôme6, Cet âge qu’on dit grand7.
L’exotisme transparaît dans Mélusine8, par l’évocation du désert, ou dans Bas-

1
Panaït ISTRATI, Codine, Paris : Rieder, 1926.
2
Panaït ISTRATI, Les Chardons du Baragan, Paris : Grasset, 1928.
3
Franz HELLENS, La Pendule empire, suivi de trois contes exemplaires, Blaineville-sur-mer : « L’Amitié
par le Livre », s. d. [1964].
4
Franz HELLENS, Seine-et-Oise, s. l. [Mortemart] : Rougerie, 1963.
5
Franz HELLENS, Le Naturaliste impertinent : Petite faune musicale. Espèces inconnues, Liège : Editions
Dynamo, Pierre Aelberts, 1965.
6
Franz HELLENS, Herbes méchantes et autres contes insolites, Verviers : Editions André Gérard, 1964.
7
Franz HELLENS, Cet âge qu’on dit grand, Bruxelles : Jacques Antoine, 1970.
8
Franz HELLENS, Mélusine, Paris : Emile Paul, 1920.

12
Bassina-Boulou1 par les références à l’art nègre. Recourir aux traditions primitives (la
création du Dieu Noir) fait office de renouvellement, de rajeunissement de la culture
occidentale. L'exotisme que F. Hellens construit est alors paradoxal, éclaté. Celui-ci
renvoie tantôt à la Flandre, à la Belgique natale, dont l’image est composée comme si elle
serait différente de la France, tantôt au côté méditerranéen. Par exemple dans En ville
morte, Hellens se fait l'héritier d'un « exotisme nordique »2 en cela que son texte affirme
constamment des liens avec les peintres flamands tels Bruegel l’Ancien ou Jules de
Bruycker, qui en est d'ailleurs l'illustrateur. Recourir à ce « vecteur de légitimation
artistique que constitu[e] la peinture flamande »3 devient une stratégie permettant aux
écrivains belges, peu connus à Paris, d'affirmer une identité forte en misant sur le facteur
ethnique. Certaines descriptions du roman sont placées sous le signe de l'héritage pictural
flamand, ce qui permet à l'écrivain « de donner à son récit un ancrage géographique et
esthétique très significatif »4. En ville morte relève aussi d'un « principe fondamental »
des « mythes identitaires en Belgique » : « le métissage historique du Flamand et de
l'Espagnol »5. Si Gand est une présence forte, le quai qui sert de décor à plusieurs scènes
laisse apparaître un palais espagnol « un escurial de rêve, bâti de mystique lumière »6.
D’ailleurs l'architecture des bâtiments religieux décrits joue en permanence sur
l'opposition entre le gothique et le roman, entre la flamand et l'espagnol. La dualité est
intégrée au niveau linguistique car le sous-titre En ville morte - Les Scories renvoie à
l’Escorial, tas de scories.

Dépaysement et construction identitaire à rebours


Le dépaysement apparaît chez les deux auteurs en tant que thème manifeste dans
une série de récits focalisant sur un personnage errant, un voyageur qui court le monde,
dont nous retenons surtout le Voyage rétrospectif7 de Franz Hellens et Mes départs1,

1
Franz HELLENS, Bass-Bassina-Boulou, Paris : Rieder, 1922.
2
Laurence BROGNIEZ, « En ville morte de Franz Hellens ou le deuil des «vieux maîtres» » in Les
écritures poétiques de Franz Hellens/ sous la dir. de Sourour BEN ALI, Clermont-Ferrand : Presses
Universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 76.
3
Ibid.
4
Ibid., p. 79.
5
Eric LYSOE, « Un prototype du Réalisme magique? En ville morte, premier roman de Franz Hellens » in
Les écritures poétiques de Franz Hellens/ sous la dir. de Sourour BEN ALI, Clermont-Ferrand : Presses
Universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 104.
6
Franz HELLENS, En ville morte, Bruxelles : Van Oest, 1906, p. 140.
7
Franz HELLENS, Le Voyage rétrospectif. Impressions d’Afrique du Nord, Clermont-Ferrand : Presses
Universitaires Blaise Pascal, 2000.

13
Méditerranée. Lever du soleil2 et Méditerranée. Coucher du soleil3 de Panaït Istrati.
L’ouvrage de Hellens, qui retrace son voyage en Afrique du Nord dans les années 20, est
écrit en 1937 et repris en 1966 en vue de sa publication. L'écart chronologique qui sépare
le voyage effectif de sa transposition en récit rend possible une certaine dichotomie
énonciateur/voyageur. Le récit se veut pourtant une conciliation du vécu, du spontané, du
souvenir et du remémoré, autrement dit une « vue directe » sur la pérégrination africaine.
La même situation d'énonciation se retrouve chez Panaït Istrati qui, lui, fait du
voyage un mode de vie. Les années d'errance autour de la Méditerranée (Alexandrie,
Caire, Beyrouth, Damas, Naples) fournissent le matériel d'une œuvre qui se construit
fondamentalement autour de ce picaro moderne, toujours à la recherche du « vaste
monde ». Son dernier recueil, Méditerranée. Coucher du soleil s'achève sur le fameux
« appel de l'occident », qui représentera l’âge de la création. La distance entre le
vagabondage réel et sa transformation en littérature est alors à la fois chronologique,
topologique et ontologique.
L'identité du voyageur transparaît d’abord du regard posé sur l’humanité avec
laquelle il entre en contact. Ainsi l’Afrique du Nord représente pour Hellens un territoire
de l’inconnu et de la surprise qui incite à la découverte. Pourtant la façon de percevoir
l’univers africain et l’image qu’il en donne est tributaire à la tradition coloniale
européenne ainsi qu’à la littérature exotique de l’époque. Contrairement à P. Istrati, qui
est chez lui dans tout le monde balkanique et méditerranéen, en le regardant de
l’intérieur, s’en laissant absorber, Hellens ne réussit pas à pénétrer intellectuellement cet
univers totalement différent de l’Europe Occidentale.4 L’accès « à ce monde nouveau
qu’est l’Afrique avec ses races propres, tellement différentes des nôtres qu’elles nous
semblent par moment presque inhumaines, est [...] impossible à l’étranger qui n’a pas eu
le temps de se familiariser avec la langue, les habitudes, la façon de penser et d’agir de
l’humanité orientale »5. Hellens ressent néanmoins ce voyage comme une revitalisation
de l’homme occidental soumis aux exigences du monde civilisé.
1
Panaït ISTRATI, Mes départs, Paris : Gallimard, 1928.
2
Panaït ISTRATI, Méditerranée. Lever du soleil, Paris : Rieder, 1934.
3
Panaït ISTRATI, Méditerranée. Coucher du soleil, Paris : Rieder, 1935.
4
Voir Lila IBRAHIM- LAMROUS, « Le voyage rétrospectif de Franz Hellens : un regard « naïf » sur
l’Afrique du Nord ? » in Les écritures poétiques de Franz Hellens/ sous la dir. de Sourour BEN ALI,
Clermont-Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003, p. 49-60.
5
Franz HELLENS, Le Voyage rétrospectif:Impressions d’Afrique du Nord, Clermont-Ferrand : Université
Blaise Pascal, 2000, p. 25.

14
L’aventure africaine ne s’épuise pas à un niveau superficiel. Ayant en commun la
curiosité et la réceptivité au nouveau, Hellens, tout comme Istrati, se laisse flâner, se mêle
à l’humanité cosmopolite, se laisse diriger au hasard, à l’aventure. Leurs oeuvres
composent un itinéraire visuel, perceptif et affectif : « chacun de nous perçoit les choses à
sa manière. Il y a autant de différence entre les façons de voir (…) qu’entre les
empreintes digitales »1.

***

Appartenant à une époque où le concept d’identité passe par une série de


changements et d’expériences novatrices, en fonction d’une nouvelle sensibilité,
moderne, Istrati et Hellens proposent différentes modalités de la construction du moi. Ils
revendiquent l’appartenance à une tradition culturelle nationale, flamande ou balkanique,
elle-même un artefact, afin d’accéder à un statut propre dans le champ littéraire européen.
Leurs déambulations les conduisent vers un exotisme, qui se définit à partir du préfixe
exo et qui comprend tout ce qui est en dehors de l’ensemble des faits quotidiens, tout ce
qui n’appartient pas au commun en terme de mentalité, langue, vie. Leurs écrits
manifestent également une grande perméabilité au contexte moderne et une ouverture
vers l’européanisme.

1
Ibid., p. 7.

15
Bibliographie :
Œuvres de Franz Hellens :
Hellens Franz, En ville morte. Les Scories, Bruxelles : Van Oest, 1906.
Hellens Franz, Les Hors-le-vent, Bruxelles : Oscar Lamberty, 1909.
Hellens Franz, Massacrons les innocents. Pièce en un acte, Bruxelles : Editions du
Masque, Henri Lamertin, 1911.
Hellens Franz, Les Clartés latentes. Vingt contes et paraboles, Paris : Librairie générale
des Sciences, des Arts et des Lettres, 1912.
Hellens Franz, Mélusine, Paris : Emile Paul, 1920.
Hellens Franz, Bass-Bassina-Boulou, Paris : Rieder, 1922.
Hellens Franz, Le Magasin Aux poudres, Paris : Gallimard, 1936.
Manifeste du Groupe du Lundi, Bruxelles : Impr. Van Doorslaer, 1er mars 1937, texte
conforme au Manifeste d’origine, reproduit pour le Colloque international « Le Groupe
du Lundi, mythe ou réalité ? », Mulhouse, 23-26 oct. 2003.
Hellens Franz, Documents secrets, Paris : Albin Michel, 1958.
Hellens Franz, Seine-et-Oise, s. l. [Mortemart] : Rougerie, 1963.
Hellens Franz, La Pendule empire, suivi de trois contes exemplaires, Blaineville-sur-
mer : « L’Amitié par le Livre », s. d. [1964].
Hellens Franz, Herbes méchantes et autres contes insolites, Verviers : Editions André
Gérard, 1964.
Hellens Franz, Le Naturaliste impertinent : Petite faune musicale. Espèces inconnues,
Liège : Editions Dynamo, Pierre Aelberts, 1965.
Hellens Franz, Cet âge qu’on dit grand, Bruxelles : Jacques Antoine, 1970.
Hellens Franz, Le voyage rétrospectif: Impressions d'Afrique du Nord, Clermont-
Ferrand : Université Blaise Pascal, 2000.

Œuvres de Panaït Istrati :


Istrati Panaït, Kyra Kyralina, Paris : Rieder, 1924.
Istrati Panaït, Présentation des Haïdoucs, Paris : Rieder 1925.
Istrati Panaït, Domnitza de Snagov, Paris: Rieder, 1926.
Istrati Panaït, Codine, Paris: Rieder, 1926.

16
Istrati Panaït, Les chardons du Baragan, Paris : Editions Grasset, 1928.
Istrati Panaït, Mes départs, Paris : Gallimard, 1928.
Istrati Panaït, Méditéranée. Lever du soleil, Paris : Gallimard, 1969.
Istrati Panaït, Méditéranée.Coucher du soleil, Paris : Gallimard, 1969.
Cahiers Panaït Istrati - Correspondance intégrale: Panaït Istrati – Romain Rolland 1919
– 1935, Valence : Association des amis de Panaït Istrati, 1987.

Ecrits sur Franz Hellens :


Ayguesparse Albert, « Approche d'une œuvre » in Courant d'ombres–Franz Hellens,
1996, no 3, p. 5-11.
Ben Ali Sourour (sous la dir. de -), Les écritures poétiques de Franz Hellens, Clermont-
Ferrand : Presses Universitaires Blaise Pascal, 2003.
Courant d’ombres, « Franz Hellens », no 3, printemps 1996.
Denis Bénoît, « Entre symbolisme et avant-garde : le modernisme de Franz Hellens dans
la première série du Disque Vert (1921-1925) », in Textyles - Alternatives modernistes /
sous la dir. de P. Halen et A. Neuschafer, 2001, no 20, 2001, p. 66-75.
Frickx Robert, Franz Hellens ou le temps dépassé, Bruxelles : Palais des Académies,
1992.
Gorceix Paul, éd., Franz Hellens. Un balcon sur l’Europe, Bruxelles : Labor, 1992.
Nachtergaele Victor, éd., Franz Hellens. Entre mythe et réalité, Leuven : Leuven
University Press, 1990.

Ecrits sur Panaït Istrati :


Jutrin-Klener Monique, Panaït Istrati, un chardon déraciné. Ecrivain français, conteur
roumain, Paris : François Maspero, 1970.
Muthu Mircea, Du côté du Sud-Est, Cluj-Napoca : Clusium, 2001.
Oprea Alexandre, Panaït Istrati, un chevalier errant moderne, Bucarest : Editions
Minerva, 1973.
Lerault Daniel, éd., Le Vagabond du monde, Editions Bassac, Plein Chant, 1989.
Talex Alexandre, Panaït Istrati : Comment je suis devenu écrivain, Craiova : Editions
Scrisul Românesc, 1981, (reconstitution à base de textes autobiographiques, choisis,
traduits et annotés par Alexandre Talex). Ouvrage réédité en 1985 par les Editions

17
Minerva.

Ouvrages théoriques :
Aron Paul, Saint-Jacques Dominique, Viala Alain, Le dictionnaire du littéraire, Paris :
Presses Universitaires de France, 2002.
Bürger Peter, La Prose de la modernité, Paris : Klincksieck, 1994.Khatibi Abdelkebir,
Figures de l’étranger dans la littérature française, Paris : Denoël, 1987.
Lejeune Philippe, Viollet Catherine, éds., Genèse du « Je ». Manuscrits et
autobiographie, Paris : Editions CNRS, 2000.
Miguet – Ollagnier Marie, Les voisinages du moi, Presses Universitaires Franc-
Comtoises, 1999.
Todorov Tzvetan, L’Homme dépaysé, Paris : Seuil, 1996.
Todorov Tzvetan, Nous et les autres. La Réflexion française sur le diversité humaine,
Paris : Seuil, 1989.
Urbain Jean Didier, Secrets de voyage. Menteurs, imposteurs et autres voyageurs
invisibles, Paris : Payot, 1998.

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