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Leclec-Rodriguez L., Mollo Suzanne, Guyard J. La représentation de la condition du maître dans la société. In: Enfance, tome
19, n°2-3, 1966. La condition des maîtres en France image du maitre et de la profession. pp. 5-64;
doi : https://doi.org/10.3406/enfan.1966.2397
https://www.persee.fr/doc/enfan_0013-7545_1966_num_19_2_2397
INTRODUCTION
Origine de l'enquête
Le recrutement de maîtres qualifiés, à tous les niveaux de l'enseignement,
aussi bien en France qu'à l'étranger, s'effectue dans des conditions de plus en plus
difficiles. En faisant adopter la mise à l'ordre du jour d'une étude sur « la condition
morale et matérielle des maîtres », la Délégation française de l'Unesco a reconnu
l'urgence du problème et montré l'intérêt qu'elle y portait.
C'est pourquoi la Commission de la République Française pour l'Education,
la Science et la Culture s'est chargée de réaliser une enquête-pilote permettant de
définir la situation du maître (instituteur et professeur de lycée) et la représentation
que s'en font les enseignants eux-mêmes et leurs interlocuteurs les plus fréquents
(élèves ou parents d'élèves par exemple). Un groupe de travail a été formé en 1963,
qui réunissait des maîtres syndicalistes, des administrateurs de l'Education nationale,
des sociologues et des psychologues, sous la présidence de Monsieur l'Inspecteur
général Thomas
Avec l'appui de la Commission française, ce groupe a pris directement en
charge, ou confié à des organismes compétents, une série de recherches d'ordre
administratif, ou psycho-sociologique.
Celle, dont il est rendu compte ici, étudie « la représentation que les maître»
se font de leur profession ». Une enquête par questionnaire a permis d'analyser
l'opinion des enseignants sur leurs conditions de travail, leur traitement, leurs
responsabilités, la considération dont ils jouissent, le caractère des tâches qu'ils
assument, etc.. (1).
Après consultation de M. P. H. Chombart de Lauwe, directeur du Groupe
d'Ethnologie sociale (Centre National de la Recherche Scientifique - C.N.R.S. -
Ecole Pratique des Hautes Etudes), l'enquête a été confiée à Suzanne Mollo, attachée
de recherche au C.N.R.S. (Groupe d'Ethnologie sociale) et à Jacques Guyard,
professeur. Un projet de questionnaire fut établi, soumis aux membres du groupe de
travail et à M. ls Secrétaire général du Ministère de l'Education nationale, puis
modifié à partir des réponses fournies par une pré-enquête. L'enquête définitive a
pu être menée à son terme grâce à la collaboration de Lola Leclerc- Rodriguez et
Jeannine Defourny, collaboratrices-techniques au Groupe d'Ethnologie sociale.
Déroulement de l'enquête
Faute de puissants moyens financiers et de personnel à plein temps, nécessaires
à une recherche plus ambitieuse, nous avons dû consentir à n'interroger que deux
catégories d'enseignants : les instituteurs et les professeurs titulaires (2) — l'envoi
de 2 000 questionnaires nous a permis de choisir, dans les limites imposées, un
échantillon dont les caractéristiques sont présentées au cours des pages suivantes
(cf. iprésentotien de l'enquête p. 6).
Cette enquête ne donne donc pas la parole à une catégorie d'enseignants,
pourtant aussi nombreuse que gravement défavorisée, celle des auxiliaires (30 %
environ des professeurs de l'enseignement secondaire). Le manque de moyens nous
contraignant à de vastes abandons, nous avons adopté cette solution en raison des
difficultés à saisir une population très fluctuante. D'ailleurs, la pénurie en maîtres
titulaires étant un problème d'actualité, leur opinion ne prend-elle pas une valeur
particulière dans une perspective de réforme du recrutement et du statut ?
quantitatives. Mais on pourrait aisément, dans l'avenir, s'appuyer sur elle pour
entreprendre une recherche de plus grande envergure.
Notre fout n'était donc pas de présenter un tableau descriptif de la condition
des maîtres en France. De nombreuses monographies, des études statistiques menées
par des organismes dotés de moyens plus vastes que ceux dont nous disposons (par
exemple I.P.N., B.U.S., Ministère de l'Education nationale) se chargent de recueillir
des données sur une grande échelle. C'est d'ailleurs à partir de ces documents que
nous avons pu choisir notre échantillon et construire le questionnaire.
Notre travail se situe uniquement dans un domaine qualitatif et s'oriente
dams une perspective psycho-sociologique.
Le grand nombre de questions ouvertes, incluses dans le questionnaire, nous
a permis d'obtenir une information riche et variée sur l'opinion des maîtres sur leur
métier, et la représentation qu'ils se font de leur fonction d'enseignant dans la
Société française moderne.
Chaque homme se perçoit et perçoit la réalité sociale à travers ses
représentations. La prise de conscience de la situation de l'enseignant, de son rôle, de son
statut, s'effectue, elle aussi, à travers tout un système de perceptions et de
représentations. Ce sont elles qui transparaissent dans les réponses au questionnaire.
Il existe toujours un décalage entre les représentations et la réalité sociale, notre
enquête le mettra bien en relief. Mais l'homme agit et réagit en fonction de ses
représentations. Elles peuvent jouer un rôle moteur (ou de frein) dans l'action
professionnelle, syndicale ou politique de l'enseignant. Ne sont-elles pas, à ce titre, au
moins aussi intéressantes à étudier que la condition réelle des maîtres en France ?
De nombreuses recherches psycho- sociologiques ont étudié le jeu des
représentations dans la réflexion ou l'action de l'individu (1). « Chaque homme se réfère
à un système de représentations en fonction duquel il a une vision du monde, de
la société, des autres hommes, qui correspond en partie à sa culture, en partie
à son expérience personnelle. Son comportement et son action s'inspirent de cette
vision globale et, en même temps, se réfèrent à des représentations particulières ».
Notre travail se situe exactement dans cette optique et veut mettre l'accent sur les
aspects psycho-sociaux des heurs et malheurs de la fonction d'enseignant.
Il nous faut encore avertir le lecteur qu'il serait dangereux de trouver dans
les (résultats de cette enquête les indices d'une originalité évidente de la fonction
d'enseignant. Nous ne les évoquerons que dans la mesure où les enquêtes font
entrer une certaine originalité dans leurs systèmes de valeurs. Mais l'originalité réelle
d'un milieu socio-professionnel ne peut apparaître que dans une étude comparative.
Lss problèmes, qui se posent actuellement à l'homme ou à la femme enseignants,
existent sans doute pour d'autres travailleurs. Cela ne leur ôte ni leur importance
ni leur urgence.
PRESENTATION DE VENQUÊTE
Problèmes de méthode
Total
ce
Professeurs
pour
Instituteurs
quiles
les
:—
: donne
La dinstituteurs
professeurs
106
101
,,proportion
151
153
45
52
autre
: avec
48
51
instituteurs
agrégés
certifiés
: %part
72
80
de
de
. :d'âge
femmes
les
,jeunes,
femmes
jeunes,
professeurs
du
des
dans
ecycle
29
C.E.G.
et
24
et %ces
79
%73primaire
de«hommes.
deux
hommes.
milieu
«() *»
certifiés
milieu
typss
, de
l^
. decarrière
d'enseignants
carrière», »,2523est
% % «sensiblement
«finfindedecarrière
carrière
égale.
».»
RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE.
La localisation régionale a été fixée arbitrairement par les enquêteurs, mais
les relations entre l'importance de la commune d'exercice et la situation
professionnelle sont intéressantes.
La répartition s'établit de la façon suivante :
— 100 enseignants exercent dans des grandes villes de plus de 100000 habitants.
— 77 exercent dans des agglomérations groupant de 40 000 à 100 000 h.
— 77 exercent dans des agglomérations groupant de 5 000 à 40 000 h.
— 50 exercent dans des agglomérations groupant moins de 5 000 h.
Les jeunes se trouvent généralement dans de plus petites villes que leurs
collègues plus âgés :
29 % dans des agglomérations de 5 000 à 40 000 h.
22 % dans les agglomérations de moins de 5 000 h.
28 % seulement exercent dans les grandes villes.
LA CONDITION DU MAITRE 11
A partir de 30 ans les enseignants quittent les milieux ruraux (parmi notre
échantillon seulement 11 % de cette catégorie d'âge se situent dans les communes
de moins de 5 000 habitants) pour se fixer dans les villes de plus grande importance
(37 % dans les villes de plus de 100 000 habitants 30 % dans les villes de 40 000
à 100 000 habitants.)
Si l'on considère le niveau professionnel, les professeurs, quel que soit leur
âge, se répartissent de façon à peu près équivalente dans les différents centres
géographiques. C'est ainsi que nous avons environ un tiers de professeurs qui habite
les grandes villes ; on autre tiers est localisé dans les villes de 40 000 à 100 000 h,
enfin le dernier tiers se trouve dans las localités de 5 000 à 10 000 h. Aucun
professeur n'exerce en milieu rural (moins de 5 000 h).
Parmi les instituteurs, au contraire, des différences notables s'observent
suivant les catégories d'âge : ainsi ce sont en majorité les jeunes débutants qui
occupent les postes des communes de moins de 5 000 h (45 %) la proportion de leurs
collègues plus âgés ne s'élevant «qu'à 23 %. Ceux-ci résident d'ailleurs en
majorité dans les agglomérations de plus de 40000 h (77 %), alors que les plus jeunes
ne s'y retrouvent que dans une proportion de 35 %.
Par ailleurs, chez les professeurs, les agrégés se recrutent davantage dans les
grandes villes que les certifiés. La même observation vaut pour les instituteurs
de C.E.G. comparés aux maîtres des classes primaires.
Il résulte de ce qui précède que l'enseignement dans les campagnes est
essentiellement assuré par les maîtres du premier degré débutant dans la profession. Ceci
pose le problème de l'enseignant et de l'enseignement en milieu rural qui devrait,
à lui seul, faire l'objet d'une enquête.
En résumé, nous disposons d'un échantillon total de 304 hommes et femmes,
débutants ou chevronnés de la profession, répartis de façon équivalente entre
professeurs et instituteurs. Cette disposition orthogonale des effectifs par rapport aux
critères retenus dams l'étude, le sexe, l'âge, la situation professionnelle, nous a
permis d'examiner l'influence spécifique des variables prises une par une, avec un
risque moindre d'attribuer une signification singulière à une donnée complexe,
résultant de la pluriaction de divers facteurs.
LES RESULTATS.
Pour la présentation des résultats, il nous a semblé indispensable de nous
situer à deux niveaux différents.
Dans une première exploration, nous aborderons le domaine objectif des
faits, en étudiant à travers les données recueillies la situation socio-professionnelle
de l'enseignant, telle qu'elle peut se définir par l'examen de son statut
socio-professionnel et de ses conditions de vie.
Dans une seconde (partie, nous aborderons le domaine des représentations, à
travers l'image que se fait le maître de sa condition d'enseignant, et de la place
qu'il lui accorde dans la société, avec toute l'implication affective, voire
passionnelle qu'elles engendrent, dès qu'il s'agit de toucher plus profondément aux
systèmes de valeur latents ou manifestes de l'individu.
Cette séparation arbitraire entre le contenu objectif des faits et l'interprétation
qu'en donne le maître a été faite dans le souci de clarifier, aux yeux du lecteur,
les données de l'enquête. Cette coupure entre les deux domaines ne peut être totale,
et bien souvent, il y aura chevauchement.
12 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
NORMALIENS
92 6 réponses sur 1148
.1 2 4
vers vers vers le
"Professeur"
l'Ecole le CEG LYCEE
Primaire
313 65 98 6
(69*0 (15%) (20,5%) (1,2%)
1° année
5*490 G: 17?o
F: 14%
2 96 96 37 6
4° année (6$O C&O (0,7%)
N=436 G: 6%
Gi70% G:0,9%
P:0,4%
CEG-LYCEENS
1 2 3 * 1
vers vers vers
1 •Ecole le CEG "Professeur" levers
LYCEE''
Primaire
23 3 17
3° CEG (11%) (40%) /
N=43
P : 62%
G:36% G: 22%
F: 0% F:
G: 38%
43%
10 1 27
3° Lr. (26%) 0% (72%)
N=38 G:2 5% G: 75%
F:27% F:
G:0%
0,1% F:7C%
10 / 45
(11%) (88% )
Cl.term
N=55 F:
G: 100%
76%
F:22°/O
20 1 72
(18%) (0,9*) (80%)
TOTAL
LYCEENS G:13% G: 9% G:87% /
N=93 E:0,05% F: 73%
43 4 89
TOTAL (34%) (5,5%)
LYCEE US
+ CEG G:2 5% G : 65% '
3b F:43% FG:i 11%
Ojfo F: 55%
14 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
Chapitre I
STATUT SOCIO-PROFESSIONNEL
STATUT FAMILIAL
Le milieu familial
Nos maîtres sont-ils mariés ou célibataires ?
célibataires maries
En général, dans les ménages sans enfant, la femme exerce une profession.
A partir du moment où la famille s'agrandit, et ceci est particulièrement flagrant à
partir de trois enfants où une différence significative sépare les femmes qui travaillent
de celles qui ne travaillent pas, la mère de famille abandonne son métier et se^
consacre à son foyer.
16 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
Que ceci soit moins vrai pour les femmes, nul ne s'en étonnera. La
féminisation croissante du corps enseignant (60 % de l'effectif dans le secondaire, plus de
70 % dans le primaire) oriente leur choix en direction d'autres milieux. Cependant,
le désir de vacances communes et les fréquentations restreintes imposent une
véritable loi : l'épouse de l'enseignant est dans l'enseignement eu ne travaille pas.
De rares exceptions confirment la règle, mais il s'agit en général de professions
qui suivent le même rythme (administration universitaire, psychologues scolaires, etc.).
ORIGINE SOCIALE
Nous avons réparti notre effectif selon la profession du père entre les cinq
catégories définies pax FI.N.S.E.E.
LA CONDITION DU MAITRE 17
Profeosi on du père
Catégorie du
A B C D E
maître
Chapitre II
de
ver 14 à 15 h. de 16 à 19 h.
eenalne do 20 à 23 h. 24hh. et- plue
297*
instituteurs 20$
professeurs 19 #
lOOf'
+ de 20 h. 32/ 6/ 31/ 46/ 17/
On arrive à ce fait paradoxal que les professeurs, qui ont plus de 20 heures
de cours, n'assurent pas plus de temps à la préparation de leur travail que leurs
collègues plus favorisés.
De plus, nous avons constaté que, parmi les enseignants du secteur primaire,
ceux qui professent dans un C.E.G. consacrent un peu plus de temps à la
préparation de leurs cours que leurs collègues instituteurs.
Retenons de cette étude rapide que la journée de travail d'un enseignant se
prolonge bien au-delà du temps passé dans l'établissement scolaire. Mais nous allons
maintenant insister sur l'aspect le plus vivant de la profession : le maître dams sa
classe et ses relations avec les élèves.
LE MAITRE DANS SA CLASSE
Nous nous intéresserons aux conditions de travail du maître dans sa classe,
à travers l'étude de la composition de sa classe et de ses méthodes pédagogiques.
Noois lui demanderons également de donner sen opinion sur les écoliers, et sur les
programmes scolaires.
1° — Nombre d'élèves
Instituteurs Professeurs
— de 1 1 à 20 élèves en moyenne 7% 6%
— de 21 à 30 élèves » 38% 37%
— de 31 à 40 élèves » 39% 42%
— plus de 40 élèves » 16% 15%
Le nombre d'élèves est donc, en règle générale, supérieur à 30 par classe, aussi
bien dans l'enseignement primaire que dans l'enseignement secondaire. Un
pourcentage non négligeable d'enseignants (15 %) indique même un chiffre dépassant 40.
La situation se complique encore pour les professeurs qui doivent assumer la
responsabilité d'au moins deux classes, voire sept et plus, ainsi qu'en témoigne le
tableau ci-dessous :
total de
1 Effectif 2classes 3classes 4classeé 5classes 6classeè 7 cl.et+
152 17 35 37 21 12
47/
II en ressort que près de la moitié des professeurs de notre effectif ont à
leur charge 4 à 5 classes.
2° — Les méthodes pédagogiques utilisées
Cette surcharge des classes explique peiut-êtrs l'échec partiel de l'emploi des
méthodes pédagogiques nouvelles révélé pair les réponses à la question suivante :
« Utilisez-vous des méthodes actives d'enseignement ? »
20 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLE RC- RODRIGUEZ
(i) Rappelons ici les conditions difficiles de l'enquête. Elle devrait être suivie
d'études de cas et d'entretiens destinés à approfondir les questions de ce type.
LA CONDITION DU MAITRE 21
mécontents
Ce tableau montre que nos maîtres n'ont pas a priori une opinion très
optimiste du niveau de leurs élèves. Tout juste moyen décrètent 53 % d'entre eux,
nettement médiocre, voire très médiocre, pense l'autre moitié. Le pessimisme
s'accroît notamment chez les professeurs dont plus de la moitié estime que le
niveau général des élèves est insuffisant, ou du moins très inégal.
A quoi est due cette baisse de qualité constatée chez la majeure partie des
enfants ? Provient-elle des caractéristiques psychologiques propres à l'écolier
d'aujourd'hui, ou est-elle la conséquence de l'application de programmes pas toujours
équilibrés et s'adaptant plus ou moins bien au niveau mental des élèves ? Ou bien,
d'autres facteurs sont-iils en jeu ? Notre enquête, forcément restreinte, ne peut
répondre à tous ces problèmes.
Nous nous sommes volontairement limités à quelques points précis ; dans
cet esprit, nous avons demandé aux maîtres de s'exprimer, sur les défauts les plus
fréquemment rencontrés chez les enfants et sur ceux qui leur paraissaient être les
plus graves. Nous avons ensuite sollicité leur avis sur la conception des programmes
à l'heure actuelle.
A la question : « Quels sont, parmi les défauts cités, ceux que vous
rencontrez le plus fréquemment chez vos élèves ? », nous demandions aux maîtres de
choisir quatre défauts dans une liste de cinq, et de les classer en ordre décroissant
d'importance. Les réponses sont consignées dans le tableau suivant :
1
Défauts les proies- p0"01
J . _,_ ~. xnstitu- F profes-
plue fréquents instituteurs seurs teurs J seurs total
paresse 79 Q 76 Q 155 4 15
total des
deux preniers 299 288 587 145 13Ï 276
choix et des
rejets
(1) Pour examiner les divergences de point de vue pouvant exister entre
.istituteurs et professeurs, nous avons utilisé une méthode statistique commode et rela-
ivement précise. Les coefficients numériques positifs ou négatifs, inscrits dans certaines
cases du tableau ci-dessus, servent à indiquer la direction et à mesurer l'écart entre
les ce effectifs observés » O, de chaque case et les « effectifs théoriques ou attendus »,
A, correspondants. Il s'agit de 1' ce entropie élémentaire » de chaque case dont la
O
distribution est une fonction logarithmique du rapport , telle que :
A
Par exemple :
O
Lorsque = 1, le coefficient est nul.
A
O
-- Lorsque = 2, le coefficient est égal à + 1.
A
O 1
Lorsque = le coefficient est égal à 1.
A 2
Cette méthode statistique a été mise au point par Jacques Jenny, attaché de
Recherche au Groupe d'Ethnologie sociale (C.N.R.S.), dans le cadre de la méthode de
calcul informationnel.
(Voir en deuxième partie l'explication du coefficient.)
24 S. MOLLO J. GUYARD L. LECLERC-RODR1GUEZ
défauts les
plus graves instituteurs professeurs total
paresse 85 75 160
+0,10 -0,05
Ici, la même constatation s'impose que pour les défauts les plus fréquemment
rencontrés : les professeurs estiment plus grave Yinaptitude des élèves, les instituteurs
se plaignent davantage de la nervosité : résultats qui confirment donc les données
précédentes.
Remarquons enfin que l'ambiguïté entourant la mention « manque de
respect » se trouve en partie résorbée. En effet, le pourcentage se relève légèrement
dans le classement des deux défauts les plus graves. On peut donc penser
qu'effectivement les enseignants se heurtent peu au manque de respect des enfants, mais
qu'à l'occasion, ils lui accordent une certaine importance.
4° Les programmes
En abordant le chapitre des programmes, nous avons voulu essentiellement
connaître l'opinion des enseignants sur les problèmes suivants : les programmes
répondent-ils à leur vocation, c'est-à-dire sont-ils suffisamment équilibréfS, bien
adaptés au niveau des enfants ? Leur contenu est-il en rapport avec l'utilisation que
peut en faire l'élève au dehors de l'école ?
Les termes des réponses ayant été numérotés de 1 à 8, les résultats sont à
lire de la manière suivante :
1 - trop longs 4 - au-dessus du niveau 7 - contenu utilisable
2 - équilibrés 5 - au niveau 8 - ipeu utilisable
3 - trop courts 6 - en dessous 9 - non utilisable
ins t. 697$ 317$ - 1007$ 477$ 517$ 27$ 1007$ 467$ 507$ 47$ 1007$
prof. 727$ 28# - 1007$ 417$ 587$ 17$ 1007$ 547$ 447$ 27$ 1007$
total 70?$ 307$ - 1007$ 447$ 547$ 27$ 1007$ 507$ 477$ 37$ 1007$
Il est évident que les maîtres, tant instituteurs que professeurs, estiment dans
une large majorité que les programmes sont trop longs pas une seule voix ne
LA CONDITION DU MAITRE 25
s'élève pour les juger trop courts. Leur adaptation au niveau des élèves est plus
controversée. Peu nombreux sont ceux qui les jugent au-dessous du niveau.
L'hésitation commence quand il s'agit de déterminer si les programmes sont supérieurs
aux possibilités des élèves ou adaptés à celles-ci, avec cependant une légère
prépondérance pour les choix « au niveau des élèves » (54 %).
La perplexité apparaît plus grande chez les instituteurs dont les pourcentages
s'équilibrent et avoisinent la moyenne. La différenciation est plus nette chez les
professeurs dont plus de la moitié (58 %) semble admettre l'adaptation des
programmes au niveau des élèves, cependant que 41 % les estiment au-dessus de la
compréhension des enfants. Jugement donc plus favorable, qui contredit en apparence
l'attitude pessimiste prise précédemment par les professeurs envers le niveau mental
des élèves, et qu'il convient d'étudier par une analyse plus fine. Sans doute, les
instituteurs jugent-ils les écoliers sur l'ensemble d'un programme comprenant
plusieurs matières, dont les résultats sont tangibles au terme d'une année de
travail. Les professeurs ont une vue beaucoup plus partielle des programmes
scolaires. Leur attitude est probablement dictée par la priorité qu'ils accordent
volontiers à leur spécialité. Ils ont tendance à juger le contenu de l'enseignement,
davantage en fonction des matières qu'ils professent, qu'en fonction des programmes
pris dans leur totalité.
au-dessus
matières.
ft?!? ril
enseignées du niveau au niveau en-dessous ;otal
Philosophie
Hi^toire-Géo-
8 0 .11 0 - 19
Sciences nat. 2 ~ 15
-1 , 60 13 +0,20
compatible mais
pose des problènes 107$ 57$ 217$
1° Une opposition très nette et très significative se marque entre les opinions
des hommes et des femmes : si près des trois quarts des ihommes jugent que le
métier est absolument compatible avec leur vie familiale, seules 40 % des femmes
pensent de même.
compatible 78 % 40 % 70 7$ 44 7$
compatible 21 % 60 % 30 55
mais pose ds
problèmes
incompatible
compatible 75 40 49 164
0 -0,20 +0,20
le conjoint n'est pas enseignant, tandis qu'un professeur mentionne la gêne causée
par des horaires ne coïncidant pas toujours avec ceux du mari ou de la femme.
3° Le problème du rythme de vie (8 %).
10 professeurs et 3 instituteurs accusent la profession d'être trop absorbante
et de leur laisser trop peu de temps à consacrer aux loisirs et à leur culture
personnelle.
Enfin, la dernière catégorie des doléances (5 %) concerne le problème des
salaires : l'insuffisance des traitements oblige les maîtres à effectuer des heures
supplémentaires (leçons particulières, garderies...). Deux enseignants mentionnent que,
du fait d'un salaire de début très faible, leur femme se trouve dans l'obligation de
travailler.
Nous rapprocherons de cette étude de la vie familiale une question
spécialement destinée aux femmes, que la Commission française pour l'Unesco avait tenu
particulièrement à voir figurer dans le questionnaire :
« Y a-t-il des problèmes spécifiques à la femme enseignante ? »
« Si oui, lesquels ?
Un quart des femmes n'a pas répondu à cette question, la jugeant peut-être
superflue ou faisant double emploi avec celle qui traitait de la compatibilité entre
métier et vie familiale. Un quart des femmes estime qu'il n'y a pas de problèmes
particuliers. Les thèmes des réponses données par les 50 % de femmes qui ont
répondu « oui » vont dans le même sens que ceux rencontrés précédemment ;
difficulté à concilier vie professionnelle et vie familiale, problème de la garde
des enfants, de leur éducation, du ménage, etc.
Pour terminer ce chapitre, nous concluerons en disant que le fait, pour les
enseignants, et surtout pour les enseignantes, de mener de front une activité
professionnelle et une activité au sein du foyer, tout en sauvegardant au mieux leur
vie conjugale et personnelle, suscite des difficultés réelles et sérieuses. Nous
pensons, toutefois, qu'elles ne sont pas spécifiques du milieu enseignant. Les mêmes
problèmes se retrouvent, peut-être avec plus d'acuité encore, dans d'autres branches
professionnelles. (1)
LES ACTIVITÉS PÉRI-SCOLAIRES DE L'ENSEIGNANT
Théâtre
Syndicat - Mutuelle 125 % 78 %
Cours d'adultes 5% 8%
Association de parents d'élèves 7%
Recherches Associations de spécialistes 9%
Associations sportives 2% 3%
Photo-club 4% 2 %
Associations culturelles et politiques 5% 1%
Divers 13% 3%
Bibliothèque et ciné-club apparaissent comme les deux occupations favorites
des enseignants. Participer à l'encadrement des mouvements de jeunesse
(patronages, colonies de vacances...) constitue une autre activité importante, mais semble
plutôt le fait des instituteurs (20 % contre 5 %). Les autres activités proposées ne
semblent guère intéresser les enseignants.
Notons en dernière analyse que les instituteurs semblent les plus nombreux
à exercer des activités culturelles, puisque 61 % des mentions proviennent de cette
catégorie d'enseignants.
Les activités administratives.
Elles s'établissent comme suit :
Professeurs Instituteurs
Conseils de classe et d'examen 88 % 34 %
Etudes du soir 47 %
Cantine 9%
Secrétariat de mairie 6%
Laboratoire 5 %
Direction d'école 4 %
Conseil intérieur 4%
Divers 3%
Ce qui nous frappe d'emblée, c'est le clivage très net qui s'observe entre les
enseignants du cycle primaire et ceux du cycle secondaire. Si plus de la moitié de
notre effectif (61 %) est accaparée par les conseils de classe et d'examen, la majeure
partie en est constituée par les professeurs qui sont deux fois plus nombreux que
les instituteurs à être chargés de cette mission. Ce fait n'a rien pour nous
surprendre. Les membres de l'enseignement secondaire étant nommés d'office à la
surveillance des examens, à la correction des copies et aux jurys des épreuves orales. Par
contre, la surveillance des études du soir et de la cantine, ainsi que les secrétariats
de mairie, incombent exclusivement aux instituteurs, mais n'ont pas un caractère
obligatoire. Pérennité de la tradition qui veut que l'instituteur soit également le pivot
de la vie municipale à la campagne !
Pour compléter le tableau des activités du maître, nous avons voulu savoir
si celui-ci exerçait une deuxième profession et si cela lui paraissait souhaitable.
Voici les pourcentages que nous avons obtenus :
social. Mais leurs activités municipales sont plus un appoint financier nécessaire
qu'une prise de contact avec d'autres milieux sociaux.
Ajoutons enfin que les enseignants n'envisagent pas vraiment d'exercer une
deuxième profession. Ils choisissent en général des activités peu astreignantes, ayant
une valeur culturelle, intellectuelle ou sociale.
LES LOISIRS
Jusqu'à présent, nous avons vu comment vivent nos maîtres dans leur milieu
professionnel et familial. Nous les avons également observés à travers leurs diverses
activités extra-scolaires. Ix tableau ne serait pas complet, si nous n'envisagions
maintenant d'y introduire le domaine des loisirs.
A la question « combien d'heures de loisirs avez-vous par semaine ? » les
enseignants montrent une grande réticence puisque 40 % n'ont pas répondu. Ce
mutisme s'aggrave notamment chez les professeurs, presque la moitié s'étant abstenue,
alors que les deux 'tiers ides instituteurs ont répondu. La question a-t-elle été jugée
peu digne d'intérêt ou la récapitulation des heures de loisirs réparties tout au
long de la semaine leur a-t-elle paru fastidieuse ? Le fait est là et nous n'y pouvons
rien. Par force, nous nous sommes contentés des réponses provenant des plus
bavards ou des moins méfiants, pour tâcher de nous faire une idée approximative
du temps de loisirs dont disposent les maîtres. Nous sommes arrivés aux résultats
suivants : la moitié des enseignants du secteur primaire et du secteur secondaire
dispose d'une journée complète de repos 45 % disposent de deux journées
enfin, une petite minorité de 5 % est l'heureuse bénéficiaire de trois jours de congé.
Nous avons demandé ensuite aux enseignants : « A quoi consacrez-vous
votre temps de loisirs ? » Autant la première partie de la question avait suscité
de répugnance chez les maîtres, autant cette deuxième partie les a inspirés, puisque
nous avons recueilli 704 mentions, soit une moyenne de 2,4 réponses par individu.
Le détail des occupations favorites des enseignants pendant leur temps de
loisirs nous est communiqué par le tableau ci-dessous :
culture personnelle 33 19
lecture +0,28 -0,40 52 77$
Arts (spectacles-pein-
ture-musique télé. ) 24 +0,09 20 -0,10 44 67$
divers 6 4 10 17$
Amis nonenseignants
41 94 50 190
oui-non 20 23 19 6 68
non- oui 4 7 5 2 18
non-non. 10 2 4 1 17
Nous voyons que la majeure partie des enseignants qui affirment ne pas
entretenir de relations amicales avec leurs collègues aussi bien à l'intérieur de
l'établissement qu'en dehors (réponses non - non) cnt la plupart de leurs amis
en dehors du milieu enseignant. Parmi les 92 sujets ayant répondu « peu » ou
« aucun » ami hors de l'enseignement, 87 entretiennent des relations amicales avec
des collègues. Nous pouvons donc valablement conclure que ce pourcentage de 32 %
signifie que ces maîtres choisissent presque exclusivement leurs amis dans le milieu
professionnel.
Nous concluerons ce chapitre des relations humaines avec une question plus
particulière qui permet de voir comment se jugent les enseignants, par rapport aux
autres milieux professionnels.
« Les employés d'une même entreprise privée s'entendent-ils mieux aussi
bien moins bien que les membres d'un même établissement scolaire ? »
mieux aussi bien moins bien
Professeurs 15 % 67 % 18 %
Instituteurs 7 % 71 % 22 %
Les deux tiers des maîtres pensent que les relations entre collègues d'une
entreprise privée sont aussi bonnes que dans le milieu enseignant : 11 % vont plus
loin et les estiment meilleures dans le privé. Par contre, 20 % ont une attitude plus
optimiste à l'égard de leur profession, et privilégient les relations humaines à
l'intérieur du milieu enseignant, au détriment de celles du secteur privé.
Mais, dans l'ensemble, les maîtres ne jugent pas leur situation exceptionnelle
quand elle est envisagée sous l'angle de la camaraderie intra-corporative.
Conclusion
A la fin de cette preimjère partie nous pouvons esquisser une certaine image
du maître et de sa profession ; certains aspects méritent de retenir notre attention.
L'enseignant appartient généralement aux classes moyennes la carrière
de l'enseignement n'en constituant pas moins un puissant facteur de promotion
sociale pour les enfants issus des milieux populaires.
L'enseignant est en général marié et a des enfants ; il choisit de préférence
son conjoint dans la profession ou dans une autre profession intellectuelle.
Sa vie professionnelle n'est pas incompatible avec sa vie familiale, mais
leur juxtaposition lui pose des problèmes : ainsi les horaires de travail, la préparation
34 S. MOLLO J. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ
des cours, les tâches administratives extra-scolaires absorbent une grande partie de
son temps et laissent peu de place aux loisirs. Ceux-ci sont consacrés pour une
large part à la vie familiale et à la culture professionnelle.
Le maître choisit volontiers ses amis dans son milieu professionnel.
Il entretient en général de bons rapports avec ses collègues.
Dans sa classe, le maître regrette de constater le « niveau très moyen »
des élèves dont les principaux défauts sont l'inattention et la paresse. Même s'il
est tenté par la pédagogie nouvelle, il se réfère plus volontiers à des méthodes
traditionnelles, alléguant le nombre trop élevé d'enfants par classe, les programmes
souvent mal équilibrés et beaucoup trop longs, le manque de moyens matériels.
Nous voici parvenus au terme de la partie descriptive de notre étude. Les
premiers résultats acquis permettent d'esquisser dans ses grandes lignes un portrait,
somme toute assez banal, de la vie quotidienne et des conditions de travail des
enseignants. Cependant, cette étape était nécessaire pour entreprendre une analyse
plus en profondeur de la représentation que le maître se fait de sa situation.
Il faut remarquer que ces données descriptives ont amené les enseignants à
des prises de position vigoureuses, qui mêlent réalité et représentation.
Les protestations qui s'élèvent contre les difficultés matérielles de tous ordres
sont d'autant plus vives qu'elles sont ressenties comme des obstacles aux
engagements que le maître a pris vis-à^vis de ses élèves, et qu'elles dénaturent l'idée
qu'il se fait de sa profession
Ainsi les problèmes psycho-sociologiques qui apparaissent spontanément au
niveau d'une étude descriptive, montrent-ils la nécessité d'étudier la représentation
que le maître se fait de son métier et de sa situation dans la société.
Deuxième partie :
Compte tenu du temps et des moyens qui nous étaient impartis, il ne pouvait
être question d'analyser dans son ensemble la représentation que les maîtres se font
de leur condition. Aussi nous sommes-nous limités à l'étude de quelques points
importants.
Nous avons proposé aux enseignants de comparer leur situation à celles
qu'ils supposent à d'autres catégories socio-professionnelles. Le fait de se situer dans
la société amène une meilleure prise de conscience de sa propre condition. L'image
que le maître donne de sa profession s'appuie sur toute une conception de la
société. Aux sollicitations des enquêteurs il a réagi en fonction d'une situation
vécue, dont la vie professionnelle n'est qu'un aspect ; les rôles et les statuts de
l'homme dans la vie sociale sont solidaires.
L'image de la situation de l'enseignant dans la société qui fait l'objet
du chapitre III nous permettra d'appréhender la distance qui sépare la situation
souhaitée de la situation vécue. De cette distance, naît ce qu'il est devenu banal
d'appeler le malaise de l'enseignant, et qui s'exprime par des attitudes et des
aspirations, dont nous étudierons quelques exemples au chapitre IV.
Mais notons, dès maintenant, que les maîtres sont loin d'avoir une attitude
purement négative. L'exercice de leur profession leur apporte des satisfactions
d'ordre psychologique et intellectuel auxquelles ils sont profondément attachés. Même
s'ils savent à l'occasion le nuancer d'humour ou de rancune, les enseignants parlent
fréquemment de leur métier en terme de vocation.
Qui l'emportera de ce duel que se livrent actuellement le découragement et
l'enthousiasme ? Ce n'est pas à nous de répondre, l'enseignant lui-même concluera.
LA CONDITION DU MAITRE 35
Chapitre III
IMAGE DE LA SITUATION
DE LA PROFESSION DANS LA SOCIÉTÉ
Nous avons demandé aux maîtres de classer par ordre d'importance dans la
société une liste de huit professions choisies dans différentes catégories
socioprofessionnelles définies par l'I.N.S.E.E. L'instituteur et le professeur étaient
représentés, ainsi que deux professions du même groupe. La liste était complétée par des
professions situées par l'I.N.S.E.E. dans des catégories immédiatement supérieures
ou inférieures à celles des enseignants. Dans les classifications effectuées par les
maîtres, la notion d'importance dans la société correspond à une notion de prestige
fortement teintée d'utilité.
professions citée
en 1 en 2 en 3 en 4 en 5 en b en 7 en 8
Electricien
chantier de 17$ lf$ 27$ 97$ 15 fo 317$ 227$ 37$
professeur
second degrédu. 67$ 307$ 577$ 57$ 1$ 17$ - -
professions citée
en 1 en 2 en 3 en 4 en 5 en 6 en 7 en 8
i.
ingénieur 2 47$ 427$ 267$ 67$ 2%
gérant dlrameubles' 17$ 17$ 6fo 17$ 137$ 107$ 167$ 527$
Les enseignants, quel que soit leur titre, ont la même vision de la société.
Dans les deux tableaux, on retrouve le classement moyen suivant :
1 Ambassadeur.
2 Ingénieur.
3 Professeur de lycée.
4 Instituteur.
5 Dessinateur.
6 Mécanicien-électricien.
7 Gérant d'immeubles.
Globalement, le respect des professions à prestige apparaît avec évidence.
L'ambassadeur est en tête, l'ingénieur arrive en seconde position, alors que le gérant
d'immeubles est rejeté en queue du classement : méconnaissance et mépris de ces
professions d'argent qui exigent sans doute plus d'habileté que de diplômes. Les
nombreux points d'exclamation qui, dans le questionnaire, accompagnent cette
profession, indiquent assez combien les maîtres sont hostiles, mais désarmés.
La moitié des maîtres met l'ambassadeur en première position dans l'échelle
sociale, mais une forte minorité le renvoie aux dernières places.
D'autre part, les maîtres admettent difficilement que l'importance de leur
rôle ne soit pas nettement admise. Plus du tiers des instituteurs et des professeurs
mettent leur profession aux deux premières places du classement. De façon encore
plus caractéristique, 29 % des professeurs accordent le rôle prépondérant dans la
société à l'instituteur, et plusieurs soulignent en note qu'il ne peut y avoir de
rôle plus important que la formation des générations futures.
Le sentiment de la valeur du travail pédagogique est donc très fort chez les
enseignants, et ceux-ci souffrent de voir que la société ne le reconnaît guère, tant
par le prestige qu'elle leur accorde que par les traitements qu'elle leur sert.
Remarquons aussi que les instituteurs mettent la situation du professeur au-dessus
de la leur : 85 % lui accordent les trois premières places, pour 44 % en faveur de
leur propre spécialité : prestige du secondaire, qui représente pour l'instituteur
l'indice d'une promotion sociale, à l'intérieur même de sa branche professionnelle.
Constatons, enfin, que les maîtres connaissent mal les professions manuelles
et les catégories d'employés. Alors que 90 % d'entre eux sont d'accord, à une place
LA CONDITION DU MAITRE 37
la fatigue 797$
nerveuse Imposée ppr le 217$
travail
Tn=stitu Lrioes
2 es vacances 1007$
Une même approbation réunit les enseignantes pour estimer leur situation
meilleure que celle des femmes fonctionnaires, en ce qui concerne les longues
vacances et la possibilité de consacrer plus de temps à la vie familiale. L'unanimité
est encore plus forte pour juger leur situation défavorable quand elle est envisagée
sous l'angle de la fatigue nerveuse due aux conditions de travail. Les avis sont plus
partagés sur la question des loisirs : 48 % seulement des enseignantes s'estiment
avantagées, un tiers trouve sa situation similaire à celle des femmes fonctionnaires,
cependant que 19 % se plaignent d'être défavorisées. Nous retrouvons là un écho
des griefs déjà formulés auparavant par les femmes sur la difficulté qu'elles
éprouvent à équilibrer vie personnelle et vie professionnelle. En raison de la multiplicité
de leurs tâches, la plupart sont contraintes à sacrifier le temps qui devrait être
consacré aux loisirs.
La différence d'opinion sur la vie familiale sépare très nettement les deux
catégories. Les femmes-professeurs apprécient la liberté que leur apporte la souplesse
des horaires dans l'enseignement secondaire, qui leur permet de rester davantage
42 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
Chapitre IV
L'image du métier
Les tableaux suivants, qui regroupent les deux premiers choix et les deux derniers
choix, révèlent une vision du métier caractéristique de la personnalité des
enseignants :
Les professeurs
2 premiers 2 derniers
choix choix non cités total choix
Permet de se cultiver 58 60 21
constamment +0,30 +0 ,31 -1 ,15 139
48 6"
Longues vacances 24 139
0 +0 ,50 -0 ,99
Indépendance 73 45 21
+0,60 -0 ,09 1J5 139
Horaires pratiques 22 58 59
-1,09 139
+0, 29 +0, 30
Permet de se cultiver 62 59 22
constamment +0,2 5 +0,31 -0,97 143
Longues vacances 57 63 23
+0,13 +0,41 -0,90 143
Endependance 59 50 34
+0,18 +0,10 -0,31 143
+0,09 48
Horaires pratiques 55 40
+0,04 -0,10 143
7 16 120
Bien considéré +l£0 143
-2,89 -3,53
pour le tableau suivant, mais le nombre de sujets ayant répondu est alors de
143. (1)
Trois avantages viennent en tête : la culture permanente, l'indépendance et
surtout le contact avec les jeunes. La considération sociale est presque unanimement
tenue pour nulle. Enfin, deux avantages que l'opinion publique accorde le plus
souvent aux maîtres, les horaires pratiques et les vacances sont considérés par eux
comme très secondaires. Les commentaires indiquent qu'il s'agit là plus d'une
nécessité que d'un avantage compte tenu de l'épuisement nerveux dû aux conditions
actuelles de travail.
La différence d'appréciation entre instituteurs et professeurs est faible, sauf en
ce qui concerne l'indépendance et les horaires. Les professeurs apprécient
particulièrement l'indépendance que leur apporte leur métier. Remarquons que les instituteurs
insistent davantage sur le côté pratique des horaires. Dans l'ensemble, chez les
professeurs, les jugements sont plus tranchés, les majorités plus nettes, l'homogénéité
plus forte que chez les instituteurs. Cependant, hormis les deux points soulevés
plus haut, l'impression reste la même.
On ne peut pas plus opposer les hommes et les femmes. Celles-ci, surtout
quand elles sont professeurs, apprécient seulement davantage l'agrément d'horaires
pratiques. Les catégories d'âge ne se diversifient pas mieux, mise à part une
tendance chez les jeunes à reconnaître plus que leurs aînés, l'importance des horaires.
Les inconvénients du métier.
Pour compléter ce portrait du métier vu par ceux qui l'exercent, divers
inconvénients étaient soumis à leur jugement (avec toujours la possibilité d'en ajouter.)
Proresseurs
2 premier s 2 demi
choix ers non cit/és total
choix cKnix
Routirre 21 41 63
-o, ,59 +0,40 0 125
8 42 75
mal considéré +0,26 125
-1,,94 +0,42
26 35 64
demande trop de temps +0,16 12 5
-o,,29 +0,02
fatigue nerveuse 99 21 5
+1,50 -0,59 -3,64 12 5
avancement, difficile 20 40 65
-1,151 +0,35 +Q08 125
(i) N. B. — Nous rappelons les principes déjà exposés précédemment, qui ont
présidé à l'élaboration des tableaux statistiques ci-dessus. Le coefficient positif ou
négatif, indiqué à la droite de chaque case, représente l'écart existant ^ entre l'effectif
attendu et l'effectif observé. Plus cet indice est élevé, dans le sens positif comme dans
le sens négatif, plus il est significatif de la préférence accordée à la proposition (+ i)
ou de son rejet ( — i).
LA CONDITION DU MAITRE 45
Instituteurs
2 premier 2 derniers
choix choix non cités total
14 56 73
tial considéré 143
-1,35 +0,67 0
126 17 -
fatigue nerveuse +1 ,80 143
-1,04
Cette fois les résultats sont nets : « deux défauts majeurs », décrète la
corporation à l'unanimité : les traitements insuffisants et surtout la fatigue
nerveuse, qui prend des proportions inquiétantes, puisque les deux tiers des maîtres
interrogés s'en plaignent. Les commentaires écrits sont nourris de ces deux
lassitudes jusqu'à l'amertume et au découragement.
Moins importantes, mais non négligeables, sont les plaintes concernant la
quantité de travail à fournir et les faibles possibilités de promotion. Les femmes
se plaignent plus du premier point, et les hommes, les instituteurs surtout, du second.
Là encore, on ne note guère de différences appréciables entre sexes ou entre
générations, non plus qu'entre catégories. L'unanimité règne sur les causes de
mécontentement.
Le même accord se trouve dans le rejet de certains inconvénients, les
trois premiers de la série. Les maîtres estimeint jouir d'une large initiative qui leur
permet d'éviter la routine. Cela est virai pour les maîtres en milieu ou en fin de
carrière, un peu moins pour les débutants. Ceux-ci, en effet, s'ils écartent le manque-
d'initiative, se plaignent davantage de la routine.
On peut, après lecture de l'ensemble des résultats, se poser davantage de
questions, quant au jugement sur la considération sociale. Le tableau précédent et
les commentaires spontanés montrent que les maîtres se sentent peu considérés et
qu'ils ©n souffrent. Ici, ils affectent d'y attacher peu d'importance. Réaction de fierté
probablement, mais qui accroît la coupure entre les enseignants et la société.
Le maître a besoin d'être resipecté. Faute d'y parvenir, il a peut-être tendance à se
replier sur lui-même, et abandonne les activités sociales qui renforçaient le prestige
des anciens. Cinq instituteurs déplorent pourtant le manque d'intérêt des adultes et
de parents pour leur travail, et trois d'entre eux ajoutent qu'ils se sentent « coupés
du monde adulte. »
46 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
'
maîtres », enquête de la Commission française de l'Unesco, dirigée par Mme
Gratiot-Alphandéry.
Suivant un schéma déjà utilisé pour des questions précédentes, six qualités
étaient proposées au choix des enseignants, qui devaient en retenir quatre à classer
par ordre de préférence.
Les tableaux suivants résument les résultats obtenus :
— Professeurs :
Intelligence 67%
Sévérité - 4% 96%
— Instituteurs :
2 premiers 2 derniers
choix choix non citées
Ces résultats sont révélateurs d'un certain état d'esprit des enseignants, qui
éclaire l'image qu'ils se font du maître idéal. Les variations en sont remarquables,
quelle que soit la variable considérée.
C'est l'intelligence qui semble incontestablement aux enquêtes la qualité
maîtresse du bon enseignant, puisque 58 % des professeurs et des instituteurs la mettent
en tête de leur classement et que 87 % d'entre eux la mentionnent.
Mais un « bon » enseignant ne saurait se montrer tel s'il n'alliait à
l'intelligence une autorité certaine, nécessaire pour s'imposer aux élèves et diriger une
classe dans de bonnes conditions. C'est pourquoi les maîtres placent l'autorité en
seconde position, et optent en sa faveur pour 84 % de leurs suffrages. La patience
vient presque immédiatement derrière (76 %).
Intelligence, autorité et patience, telles sont les vertus majeures du maître
idéal, selon les opinions exprimées. Le dévouement, .par contre, est plus contesté. Si
pour 31 % des enseignants il semble la qualité primordiale, il est remarquable que
plus d'un tiers de nos maîtres le tiennent pour quantité négligeable et n'en font
même pas état dans leur classement Le temps est sans doute passé de la mystique
qui élevait l'enseignement au rang d'une mission sacrée, exigeant de ses membres
renoncement et soumission à l'œuvre d'éducation. Compétence et savoir-faire
supplantent maintenant la notion de dévouement aux yeux de la jeune génération,
ce qui justifie l'importance de plus en plus grande qu'elle accorde à la formation
professionnelle (1).
Quant à la culture, si elle paraît un élément à ne pas négliger pour 68 %
des sujets, on ne lui accorde qu'une importance secondaire, et non déterminante.
Enfin, la même réprobation entoure la sévérité qui est unanimement rejetée.
Par un renversement des valeurs, le modèle du maître sévère et exigeant qui
sévissait dans la littérature d'autrefois paraît démodé aujourd'hui.
Spontanément, les maîtres ont ajouté d'autres qualités à cette liste. Quatre
professeurs et trois instituteurs ont insisté sur la nécessité d'un bon équilibre
nerveux, tandis que pour quatre professeurs et quatre instituteurs, l'essentiel est
d'aimer les enfants et son métier.
La différence d'appréciation entre les catégories ressort nettement des tableaux
précédents. Les professeurs sont plus affirmatifs dans leurs choix, les instituteurs
plus nuancés ou plus hésitants. Ainsi près des trois quarts des professeurs, contre
49 % seulement d'instituteurs, mettent l'intelligence en tête de leur classement.
Chez les professeurs, les pourcentages baissent brusquement de 67 % à 45 % et de
45 % à 25 % pour les deux premiers choix. Les professeurs accordent une plus
grande importance que les instituteurs à l'autorité. Ils mettent à peu près au même
plan la culture, la patience et le dévouement, avec cependant une légère priorité
à la culture.
Chez les instituteurs les différences sont plus faibles, les jugements moins
tranchés. S'ils mettent au premier plan l'intelligence tout comme leurs collègues,
la seconde place revient à la patience. Ils accordent une certaine importance au
dévouement, au détriment de l'autorité. Un écart non négligeable les sépare des
professeurs sur le problème de la culture. En effet, il ressort des résultats que les
professeurs y attachent beaucoup plus d'importance que les enseignants du cycle
primaire (44 % de ces derniers n'ont pas cité cette qualité contre seulement 19 %
de professeurs).
Cette divergence d'opinion est-elle due à une différence de formation
universitaire ? On peut supposer que les professeurs ayant fréquenté les facultés restent
plus volontiers attachés aux valeurs culturelles traditionnelles. Mais nous ne
pouvons dans le cadre de cette enquête qu'émettre une hypothèse.
,../... — Le code soleil, le livre des Instituteurs, Paris, Sudel, 1965, 35e édition.
(1) cf. La formation professionnelle — chapitre IV, p. 105.
48 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
LA FORMATION PROFESSIONNELLE.
Professeurs
dur é e de la
formation très utile peu utile inutile total
1 à 3 moic 3 15 10 28
-1 +1,09 +2,02
4 à 10 mois 63 14 - 77
ko, 42 -o, 50 68/.
plus d 'un an 8 - - 8
+0, 64 7*
74 29 10 113
Instituteurs
7 6 - 13
1 à 3 mois -0,60 +0 ,76 10?£
58 24 - 82
4 à 10 mois 0 +0 ,09 61 fc
plus d 'un an 23 4 - 27
+0,25 -0 ,90
TOTAL 88 34 - 122
1) Les Professeurs.
— 68 % ont eu une formation professionnelle d'un an, c'est-à-dire qu'ils
sont passés par le Centre (Pédagogique régional qui forme les certifiés.
— 25 % ont eu un mois, ce qui correspond au stage d'agrégation.
— 7 % ont bénéficié d'une formation d'une durée .supérieure à un an —
soit qu'ils aient passé une année supplémentaire au Centre
Pédagogique régional — soit qu'ils aient effectué plusieurs stages différents, par
suite de changement de fonction à l'intérieur de la profession.
Une constatation importante s'impose. Les jugements diffèrent en fonction de
la durée du stage de formation. Plus celui-ci a été long, plus les professeurs en
apprécient l'efficacité. Plus il se raccourcit, plus il leur semble inadéquat et inopérant.
Ainsi, ceux qui n'ont eu qu'un mois de stage jugent leur formation professionnelle
peu utile (54%) ou inutile (36%). Ceux qui cnt eu un an et plus le jugent très
utile (90 %). Aucun ne l'estime inutile. Nous constatons là une condamnation sans
appel du stage d'agrégation, bien exprimée par de nombreuses doléances. La «
formation est peu utile » voire « inutile » car le « stage est trop court » disent 21
professeurs, tandis qu'un autre blâme ces « quinze jours de stage passif sans voir le
plan des leçons du conseiller, et ces quinze jours de stage actif sans aucune
directive ». « Le stage est très utile mais un mois est insuffisant » précise une
50 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
Parmi les remarques classées dans les divers, relevons quelques faits. « Le
système actuel est très bon », se félicite un instituteur en fin de carrière tandis
qu'un de ses collègues émet l'avis contraire : « Pas de solution possible dans les
conditions de travail actuelles ». Un professeur souhaite « l'élimination des
incapables », un autre l'augmentation des traitements.
Cet ensemble de suggestions montre à quel point les enseignants, dans
leur grande majorité, sentent la nécessité d'élever constamment leur niveau de
qualification. Dans leurs réponses, ils ont ébauché la mise en place de tout un système
pédagogique destiné à leur perfectionnement incessant, ce système incluant aussi
bien des stages pratiques tenus à date fixe, des recyclages avec congé pour se tenir
au courant de l'évolution des techniques pédagogiques, que des cours et conférences
plus fréquents destinés spécialement au corps enseignant, avec possibilité accrue
d'échanges et de discussions entre les maîtres, les plus âgés faisant profiter les
plus jeunes de leur expérience.
L'importance de ce chapitre montre tout l'intérêt que les enseignants
accordent à leur métier. Le dialogue avec la société (plus particulièrement avec les
parents d'élèves et l'appareil administratif de l'éducation nationale) est ressenti comme
une nécessité. Il pourrait renaître ou, dans un meilleur cas, s'améliorer, à condition
qu'il respecte certaines valeurs auxquelles les enseignants ne renonceront pas
aisément. Pensons, par exemple, à l'amertume exprimée par ceux qui estiment exercer
une profession sans prestige. Retenons surtout, que les maîtres demandent une
meilleure formation professionnelle, au nom de la responsabilité qui leur incombe :
« Chez l'enseignant plus que chez tout autre ouvrier la matière première ne
permet pas de fausse manipulation », dit l'un d'entre eux.
L'IDÉE QU'ON SE FAISAIT DU MÉTIER A-T-ELLE CHANGÉ ?
L'idée que se faisait l'enseignant du métier, avant de l'exercer, correspond-elle
à celle qu'il a maintenant ?
Au moment du choix professionnel, l'imagination du jeune supplée bien
souvent à une connaissance réelle du métier d'enseignant. Il se réfère à ses souvenirs
d'écolier où l'image du maître lui apparaît nimbée d'une auréole de prestige.
Détenteur du pouvoir absolu, il règne sans partage sur sa classe. Tantôt bienveillant,
tantôt sévère, son savoir impose respect et soumission.
Que reste-t-il de cette image, lors de la confrontation avec la réalité ? A-t-
elle changé ?
Professeurs Instituteurs
Oui 68 % 69 %
Oui et non 4% 3%
Non 28 % 28 %
Ainsi, les deux tiers de l'effectif reconnaissent que l'idée qu'ils se faisaient de
la profession a varié en cours d'exercice. Un petit nombre exprime un sentiment
de perplexité et préfère esquiver la difficulté en répondant « oui et non ».
Apparemment, aucune différence notable ne sépare les deux types
d'enseignants. De même la variable âge ne semble jouer aucun rôle :
leunes Milieu de carrière Fin de carrière
oui 69 % 68 % 69 %
oui et non 1 % 4 % 7 %
non 30 % 28 % 24 %
Cependant, si on met en parallèle l'âge et la catégorie, on s'aperçoit que les
fluctuations jouent à la fois sur l'appartenance à la catégorie professionnelle et sur
la différence de génération. Le maximum de variation dans l'image du métier s'observe
chez les professeurs d'âge moyen et les instituteurs à la fin de leur carrière
(respectivement 77 % et 79 %).
Que peut-on en déduire ? Pour r instituteur, le fait peut aisément s'expliquer.
Nous reprendrons, à notre compte, ce qu'écrivaient Ida Berger et Roger Benjamin
dans une recherche analogue (1) : « Il est incontestable qu'autrefois la fonction
d'enseignement de l'instituteur avait une importance beaucoup plus grande
qu'aujourd'hui. Le certificat d'études primaires qu'il conférait à ses élèves les plus doués,
au terme de leur scolarité était fréquemment mis sous verre et occupait une place
d'honneur dans les foyers modestes. Garant de promotion sociale il avait alors une
valeur socio-culturelle très semblable à celle dm baccalauréat d'aujourd'hui ! »
Or, la baisse actuelle du prestige du maître contraste par trop avec l'idéal de leur
jeunesse. Rien d'étonnant si les vieux instituteurs témoignent, davantage que leurs
collègues plus jeunes, du décalage pouvant exister entre la situation qu'ils ont connue
au début de leur apprentissage et leur condition d'aujourd'hui.
Le problème est plus délicat pour les professeurs en milieu de carrière. On
peut supposer que leur attitude est liée aux griefs déjà formulés à rencontre de leur
niveau de vie, qu'ils estiment très insuffisant, au moment où le professeur voit ses
besoins s'accroître, surtout s'il a fondé une famille. La suite de l'enquête permettra
peut-être d'éclaicir ce point.
— Dans quel sens est allé ce changement ?
Nous anticipons sur le chapitre suivant qui traitera pkis spécialement du
degré de satisfaction, pour étudier si la variation de l'image du maître a modifié
l'attitude des enseignants à son égard.
Professeurs Instituteurs
satisfaits déçus satisfaits déçus
L'image a-t-elle changé ?
oui 79% 21% — 89% 11%
non 21 % 79 % — 20 % 80 %
Nous voyons que, parmi les professeurs et instituteurs qui ont changé d'opinion,
84 % ont gardé de leur métier une vision optimiste malgré tout. Par contre, 16 %
s'estiment déçus par leur expérience.
Difficilement explicable est le fait que parmi les enseignants pour qui la
conception ' du métier n'a pas changé, 20 % seulement se révèlent satisfaits. Faut-il
croire que 80 % d'entre eux n'ont choisi l'enseignement que comme pis-aller, et
qu'ils n'ignoraient rien des difficultés qu'ils auraient à affronter ? Mais, dans ce cas,
pourquoi s'estimer déçus si la réalité coïncide avec la prédiction ? Les conditions se
seraient-elles révélées infiniment plus dures que prévues ? L'analyse quantitative ne
permet pas de conclure. Mais nous verrons plus tard que l'analyse qualitative sera
beaucoup plus expressive.
Degré de satisfaction
A première vue, les deux tiers des maîtres s'estiment satisfaits par leur
expérience. Le chiffre est légèrement plus élevé chez les instituteurs, sans que l'écart
permette de tirer des conclusicnis.
Cependant, le pourcentage des déçus et des indifférents est loin d'être
négligeable puisqu'il groupe 35 % des cas. En conséquence, ce tableau réclame une
certaine prudence dans l'interprétation. L'analyse de la justification des choix nuance
quelque peu l'optimisme, qui se dégage a priori de l'ensemble des résultats.
LA CONDITION DU MAITRE 55
-48 professeurs
déçus ou
indifférents 10 10 3 113
-40 instituteurs
déçus ou
indifférents 10 76 86
-69 professeurs
satisfaits 112 44 166
-59 instituteurs
satisfaits 93 17 110
DE LA RÉFLEXION A L'ENTHOUSIASME
I. — Les éléments positifs
A) La « vocation de l'enseignement »
Elle est invoquée en priorité par 46 professeurs et 53 instituteurs qui trouvent
leur métier « beau - passionnant » - « enrichissant - vivant ». Les superlatifs ne
manquent pas pour qualifier la profession. Les maîtres insistent beaucoup sur la
valeur humaine et sociale de leur travail. Ils sont persuadés qu'ils font œuvre utile,
en répandant la culture, qu'ils travaillent pour le bien de l'humanité, en formant
(i) Pour mieux comprendre le désaccord qui semble exister entre le nombre
relativement élevé d'enseignants satisfaits et le nombre très élevé des mentions
défavorables, nous anticipons sur les conclusions de l'enquête : tant que les enseignants
gardent intact leur amour du métier, ils surmontent leurs difficultés. Ce qui ne les
empêche nullement de faire une critique sévère de leurs conditions de travail.
56 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
les jeunes générations. « Contribuer à l'éducation des jeunes me paraît une des
tâches les plus belles », dit une femme en fin de carrière. Une jeune femme
professeur a la « certitude qu'essayer d'ouvrir un enfant à la culture, à la vie
sociale, est d'une utilité primordiale, même en cas d'échec ». Trois jeunes ont
« l'impression d'être utile à quelque chose », tandis qu'un professeur écrit : « Sans
doute les moments de découragement ne manquent pas. Mais au fond, le sentiment
de faire œuvre utile demeure. » Un autre note : « C'est un métier épuisant, mais
qui permet de s'exercer dans une tâche utile. »
Cette certitude de leur utilité apporte aux maîtres un sentiment de plénitude.
Le terme de joie revient fréquemment sous leur plume. Les « joies procurées par
le fait d'enseigner » sont évoquées, notamment par trois professeurs et six
instituteurs. « C'est un métier humain dont les joies se renouvellent constamment »,
précise un professeur, tandis qu'un instituteur parle de la « joie de faire découvrir
la culture aux enfants ».
Il est intéressant de noter que les enseignants justifient leur satisfaction
personnelle (c'est un métier intéressant, enrichissant...) par le caractère social de leur
travail (en se dévouant pour instruire les autres on s'enrichit soi-même). Cette
ambiguïté, qui fait osciller l'enseignant entre l'orgueil et le dévouement, est bien
exprimée par le professeur qui écrit : « Sur le plan personnel, il est sans doute peu
de métiers aussi enrichissants qui rendent aussi respectueux de la liberté des autres,
qui donnent de telles leçons d'humilité, une conscience aussi aiguë de ses défauts
et de ses limites, peu de métiers aussi modestement grands ». Un jeune s'exprime
ainsi : « Ce métier donne beaucoup de satisfactions lorsqu'on le fait parce qu'on
l'aime ; si on choisit cette profession sans « vocation », après avoir pesé avantages
et inconvénients, on risque fort d'être déçu. » Un professeur en fin de carrière pense
que « transmettre à des jeunes gens une discipline que l'on aime, la leur faire
aimer, former leur jugement et leur personnalité est une immense satisfaction ».
Nous retrouvons le même enthousiasme chez deux instituteurs : « J'ai l'impression
de collaborer à l'élaboration de la société » — « Depuis trente ans dans la même
commune, j'ai formé deux générations qui me respectent et ont bien réussi. »
De nombreuses réponses sont faites sur le ton de l'enthousiasme, voire de
l'exaltation que suscite « toute vocation ». L'enseignant semble imprégné de l'idée
qu'il a une mission à remplir : ouvrir à la culture et former les nouvelles
générations. « Je le ferai même gratuitement ! Quand j'arrive dans ma classe, tous les
embêtements quotidiens s'effacent, et même les ennuis graves disparaissent
momentanément. Je me sens heureuse avec mes élèves et j'aime ce que j'enseigne »,
nous confie une femme assez âgée. Un jeune professeur s'exprime en ces termes :
« Pour moi, c'est le plus beau métier du monde, chercher et faire chercher la vérité
en toute chose », et un autre : « Sentir des esprits qui s'éveillent me bouleverse ».
B) C'est un métier qui permet des contacts humains enrichissants
Instituteurs et professeurs insistent beaucoup sur l'intérêt des contacts humains
avec les enfants, les parents, les collègues.
25 professeurs et 13 instituteurs sont heureux d'avoir établi de bons contacts
avec les élèves et de pouvoir ainsi exercer leur métier dans une atmosphère agréable
et dynamique. Un jeune instituteur remarque qu'il a établi un « climat de confiance
entre maître et élèves », tel qu'il l'espérait. Une femme-prof esseur pense qu'il « est
toujours intéressant de découvrir le caractère des nouvelles élèves et leur mode de
pensée. La variété de leur comportement fait oublier la monotonie des programmes
qui, eux, ne changent pas souvent ». Un instituteur trouve « les élèves intéressants
quand on les suit plusieurs années ».
Ils (Soulignent l'enrichissement personnel dont ils bénéficient, par suite de ces
contacts répétés avec les enfants. « J'ai obtenu des classes qui m'ont été confiées
un contact permanent avec les élèves. Nous engageons continuellement un dialogue
enrichissant pour les uns comme pour les autres », dit une femme-professeur —
tandis qu'une autre pense que « les rapports constants avec les élèves ont été
stimulants et enrichissants ».
Les maîtres estiment passionnant, en outre, d'observer les progrès accomplis
par leurs élèves, d'étudier leur évolution psychologique. « Je suis très heureuse
d'observer les progrès des élèves (surtout lorsqu'elles débutent dans une nouvelle
discipline — - latin en 6e) » confie une femme-professeur. Une institutrice estime que
« former et voir évoluer l'esprit des enfants de 6 ans est passionnant ».
Enrichissement personnel, intellectuel, psychologique, moral et social, ouverture
LA CONDITION DU MAITRE 57
sur le monde de l'enfance et de l'adolescence, tels semblent être les éléments qui
donnent le plus d'attrait au métier d'enseignant. Notons, pour conclure, que ces
derniers éléments favorables sont plus souvent cités par les professeurs, que par
les instituteurs.
C) Permet un emploi du temps harmonieux, un mode de vie agréable
Un des mots qui revient le plus souvent sous la plume des enquêtes est le
mot liberté : liberté dans l'organisation du travail, dans le choix des méthodes,
temps libre qui permet de se cultiver personnellement, d'avoir une vie familiale
agréable. Cet avantage est surtout mentionné par les professeurs (24 contre 9
instituteurs). L'indépendance apportée par le métier est particulièrement goûtée par
6 professeurs et 4 instituteurs. Un professeur tient à souligner « la grande
indépendance des universitaires en dépit des inspecteurs généraux et des régimes
boutiques ». Un instituteur se réjouit d'avoir « assez de loisirs pour des exercices de
son choix ». Une femme-professeur estime que son métier « permet une vie
familiale, du moins après quelques années d'exercice ». Une de ses collègues
exprime à peu près la même opinion : « C'est un des rares métiers qui permettent
à une femme de s'occuper de ses enfants. La « recherche » serait plus intéressante,
mais plus accaparante. »
Certains professeurs, intéressés par la matière qu'ils enseignent, se livrent
volontiers à des travaux de recherche. Quelques-uns d'entre eux parlent d'ailleurs de
la « nécessité d'une culture permanente », (thème déjà abordé dans le chapitre sur
la formation professionnelle). Un jeune écrit : « J'enseigne une matière dont l'étude
me passionne personnellement en dehors de toute idée pédagogique » — et deux
autres trouvent que ce métier « exige de se cultiver toujours, car il remet en question
bien des connaissances établies », et que « le travail intellectuel maintient la
possibilité de suivre le développement des sciences et des techniques ».
Un autre aspect bien particulier est invoqué par certains de nos maîtres.
Le contact avec les jeunes permet de rester soi-même jeune plus longtemps :
« On ne se sent pas vieillir » reconnaît un professeur en milieu de carrière. Un de
ses collègues insiste sur la « nécessité de rester jeune mentalement ».
Contrairement à une idée bien répandue, les « longues vacances » n'entrent
pas en ligne de compte et ne sont citées qu'une fois. Les enseignants les considèrent
certainement plus comme une nécessité que comme un avantage.
D) Milieu agréable
Le nombre des gens satisfaits dans ce domaine s'amenuise — 7 personnes
seulement reconnaissent aimer le milieu enseignant. Cinq professeurs estiment se
trouver dans un milieu « sympathique », « ouvert » aux idées larges. « C'est un
milieu conforme à mes goûts de culture » dit une jeune femme — alors qu'une
autre parle « du travail au sein d'une communauté relativement unie ». Par ailleurs,
deux instituteurs entretiennent des « rapports excellents avec les collègues ».
E) « Le standing »
II n'est cité que par 10 personnes dans les avantages alors qu'il sera un
sujet important de récrimination.
Ce sont les instituteurs qui estiment le plus souvent avoir un niveau de vie
acceptable (9). « J'ai atteint le but que je me suis fixé » dit un jeune. Deux s'estiment
satisfaits « étant donné leur modeste origine ».
Un seul professeur est de cet avis, il ajoute cependant, « à condition qu'il y
ait deux salaires ».
Quelques remarques intéressantes ont échappé à notre classification. « II
paraîtrait scandaleusement irresponsable, .après dix-huit ans d'exercice de ce métier, de
s'estimer déçu, ou indifférent : en ce cas on l'abandonne avant », s'indigne un
professeur en milieu de carrière. Un de ses collègues fait la réserve suivante : « Le
métier ne me satisfait qu'à conditon de ne pas l'exercer tel quel, toute la vie :
promotion et nouveau départ vers 35 ans ». Un autre, plus amer, déclare : « J'ai fait
le métier que m'a permis ma situation sociale. »
Quatre instituteurs font état de « difficultés attendues et surmontées ».
Un ancien parle de la « joie d'un poste double dans une école à deux classes ».
Les jugements favorables sont surtout d'ordre psychologique. Outre la fierté
qu'il tire du rôle important qu'il estime jouer dans la société, l'enseignant est
conscient d'être un intellectuel qui peut, dans l'exercice de son métier, s'enrichir
constamment. Il ne connaît pas d'autre métier qui permette un développement aussi
complet et aussi permanent de la personnalité.
58 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
'
matérielles tant personnelles que professionnelles. Ils sont d'autant plus amers, qu'ils
ont sans cesse espéré être compris et soutenus. Ils se plaignent alors du « manque
de considération de la société » à leur égard et reprochent à notre civilisation
matérialiste d'ignorer le rôle important que peut y jouer la culture.
Nous avons été surpris de la violence de certaines réponses — 130 personnes
nous ont révélé leur « découragement », leur « écœurement », leur « lassitude »...
S'ils se sentent brimés dans leurs aspirations, les enseignants deviennent indifférents
ou déçus, et accomplissent leur travail sans joie. Or, ils le reconnaissent eux-mêmes,
« c'est un métier qu'on ne peut pas faire sans l'aimer ».
A) Etat d'esprit dépressif et amer
On le retrouve chez 46 personnes (cf. tab. ci^dessous).
total des
personnes 46 36 1C 18 j 12 6 28 24 4
,
Ce sont donc bien les « déçus et indifférents » qui ressentent le plus cette
amertume, qui fait d'enthousiastes déçus des aigris malheureux. Les instituteurs
semblent les plus touchés.
Tous se plaignent d'être « mal considérés » et de rencontrsr partout une
profonde « incompréhension ». Un professeur note « le dédain de beaucoup de gens
pour les « petits profs » (même agrégés !), à la vie modeste et aux longues
vacances ». Un autre exprime bien le malaise qui isole le monde enseignant de la
société : « On a le sentiment (accru par certaines campagnes de presse mal menées)
que certaines classes de la société, qui fondent leur estime sur l'épaisseur d'un
portefeuille, nous considèrent avec une certaine commisération. » Un jeune instituteur
se fait l'écho de ce découragement : « Je suis écœuré par la dégradation que subit
notre corporation. Dégradation consécutive à l'insuffisance des traitements et, par
voie de conséquence, dégradation morale, déconsidération progressive du public à
notre égand, quand ce n'est pas du mépris. » « Je suis dégoûté », s'exclame avec
véhémence un jeune, « de constater qu'en France on se moque absolument des
enseignants ».
« Perte de prestige du maître » — « déclassement considérable de la fonction
enseignante à l'heure actuelle » constatent avec rancœur professeurs et instituteurs.
Cette dévalorisation provient, non seulement de l'insuffisance des traitements et des
conditions de travail défectueuses, mais de la baisse de qualification dans le
recrutement du personnel enseignant, qui contribue à discréditer la profession. « On
assiste à un envahissement des lycées par un personnel d'appoint non qualifié »
déplore un vieux professeur. Deux instituteurs constatent que « le personnel de
LA CONDITION DU MAITRE 59
Une de ses collègues écrit : « Je déplore que l'on puisse réformer, sans nous, les
examens auxquels nous devons préparer nos élèves. »
Conclusion :
Nous retiendrons surtout de cette première analyse l'aspect affectif et
passionnel de la représentation que l'enseignant se fait de sa profession et de
l'administration dont il dépend. Les considérations morales et intellectuelles l'emportent
sur les considérations matérielles, tant que l'enseignant garde intact son enthousiasme,
ou pour reprendre ses propres termes, « sa vocation ». Mais il semble exister un
seuil en deçà duquel l'excès des difficultés de tous ordres (perte de prestige, bas
salaires...) est surtout ressenti comme une atteinte à la liberté individuelle et à la
personnalité de chacun, et prend un caractère vexatoire qui ne doit pas étonner
chez des gens conscients de leur valeur intellectuelle. L'enseignant recherche, certes,
l'épanouissement de sa personnalité dans l'accomplissement d'une tâche qu'il aime.
En même temps, il garde une haute opinion de sa profession et admet mal que la
société n'en tienne pas compte.
Cette implication totale de la personne dans l'exercice de la profession est
lourde de conséquence. Le passage de l'enthousiasme au découragement se fait brutal
et communicatif. De plus, ne doit-on pas lui imputer une partie de la grande fatigue
nerveuse dont se plaignent tous les enseignants ?
D'une façon générale ce sentiment de frustration, ce mécontentement sont
pius forts du côté masculin que du côté féminin, notamment chez les professeurs.
La déception est également exprimée davantage par les jeunes que par leurs collègues
plus âgés.
D'autre part, cette dernière question fait ressortir à quel point l'enseignant,
en se disant « déclassé », prend conscience de son isolement en France. Ce
questionnaire a amené les maîtres interrogés à réfléchir sur leur situation personnelle. Le ton
passionné des dernières réponses est sans doute le résultat de la prise de conscience
des origines du malaise ressenti d'une façon diffuse par les enseignants.
ET SI C'ÉTAIT A REFAIRE ?
Nous avons constaté combien la désillusion est grande, combien les critiques
portées contre la profession peuvent être virulentes. Compte tenu de cette expérience
professionnelle souvent amère et décevante, mais soutenue par un grand
enthousiasme, s'il était donné au maître de se retrouver à l'heure du choix, que ferait-il ?
Opterait-il pour la même profession ?
A cette question, les enseignants nous ont répondu de la manière suivante :
CONCLUSION
Les résultats de cette enquête montrent à quel point les enseignants sont
sensibilisés aux problèmes qui se posent actuellement à eux.
La responsabilité de la société vis-à-vis de l'enseignement a été largement
mise en évidence tout au long de la recherche. Comme toute institution l'école
est dépendante de la société qui l'a créée. Ds nombreuses critiques formulées par
les enquêtes traduisent bien souvent le désintérêt de la société pour des problèmes
qui sont pourtant les siens. Le manque de moyens matériels, le nombre trop grand
d'élèves par classe, pour ne reprendre que ces exemples, rendent le métier
d'enseignant difficile, parfois intolérable. Mais les élèves ne sont-ils pas, autant que leurs
maîtres, victimes de ces dures conditions ? C'est pourquoi les maîtres réagissent
vivement contre une indifférence qui limite leur action, et ôte à leur profession
la considération qu'elle mérite.
L'excès de leur enthousiasme ou de leur aigreur montre à quel point ils
désirent assumer une responsabilité vis-à-vis de laquelle, tout compromis est jugé
irrecevable. Nous sommes donc loin d'un exposé objectif de la condition du maître
en France. Par contre, nous savons que la haute idée qu'il se fait d'une profession,
qui suppose un engagement intellectuel et moral rigoureux, provoque des attitudes
parfois extrêmes. Représentations, attitudes et actions sont cohérentes dans leur
diversité. Chacun réagit en fonction de sa personnalité, mais les grands problèmes
qui se posent actuellement à l'enseignement en France sont abordés avec le même
esprit. L'étude des variables, âge, sexe, situation dans la profession, révèlent des
nuances parfois importantes, mais pas d'opposition.
Certains résultats doivent retenir particulièrement notre attention, car ils
paraissent essentiels à l'étude d'une meilleure compréhension entre l'école et la société.
1° Le monde des enseignants est un monde clos.
Il est relativement coupé de la vis sociale. Les maîtres eux-mêmes ont conscience
de cet isolement. Certains commentaires en font foi qui insistent sur la nécessité de
s'évader du milieu scolaire par des liaisons plus larges avec d'autres milieux.
N'oublions pas, non plus, que l'enseignant est en contact permanent avec le monde des
jeunes et qu'il lui faut se retrouver avec des .semblables, pour se sentir adulte lui-
même, ce qui pourrait sans doute améliorer les relations avec les parents d'élèves.
— Les enseignants ont l'impression de vivre dans un monde cloisonné et
hiérarchisé. Leurs rapports avec une administration qu'ils jugent autoritaire et
distante sont empreints de méfiance, voire d'hostilité. Beaucoup se plaignent d'être
soumis à un arbitraire qui ne tient pas assez compte de leurs aspirations et de leurs
problèmes personnels.
A la fois, tenu à distance par une administration souvent lointaine, ignoré et
méconnu du grand public, l'enseignant occupe une place éminemment inconfortable.
2° Le malaise de l'enseignement.
Les réponses fournies par les enquêtes, nous en avons donné de nombreux
exemples, se font parfois sur un ton passionnel et accusateur. Cependant, des maîtres
ont pesé les aspects positifs et les aspects négatifs des problèmes soulevés. Ceci est
très net en ce qui concerne la formation professionnelle, ou l'organisation du temps
de loisir. On distingue nettement deux démarches dans l'esprit du maître. Il juge
sa situation, à la fois en tant qu'individu et en tant que citoyen ; il met sa
profession, autant au service de sa personnalité, qu'à celui de la société :
— a) Niveau individuel.
L'enseignant s'engage totalement dans son métier. L'harmonie résulte de
l'accord entre l'homme et sa profession, dans laquelle il recherche une satisfaction
personnelle. Les motivations sont d'ordre psychologique et intellectuel : la
nécessité d'approfondir constamment sa culture permet un renouvellement et un
enrichissement incessant de sa personnalité. L'enseignant tire gloire et fierté d'une
tâche bien remplie.
LA CONDITION DU MAITRE 63