Vous êtes sur la page 1sur 60

Enfance

La représentation de la condition du maître dans la société


L. Leclec-Rodriguez, Suzanne Mollo, J. Guyard

Citer ce document / Cite this document :

Leclec-Rodriguez L., Mollo Suzanne, Guyard J. La représentation de la condition du maître dans la société. In: Enfance, tome
19, n°2-3, 1966. La condition des maîtres en France image du maitre et de la profession. pp. 5-64;

doi : https://doi.org/10.3406/enfan.1966.2397

https://www.persee.fr/doc/enfan_0013-7545_1966_num_19_2_2397

Fichier pdf généré le 09/05/2018


LA CONDITION DU MAITRE

INTRODUCTION

Historique et conditions d'enquête

ORIGINE ET ORGANISATION MATÉRIELLE DE L'ENQUÊTE

Origine de l'enquête
Le recrutement de maîtres qualifiés, à tous les niveaux de l'enseignement,
aussi bien en France qu'à l'étranger, s'effectue dans des conditions de plus en plus
difficiles. En faisant adopter la mise à l'ordre du jour d'une étude sur « la condition
morale et matérielle des maîtres », la Délégation française de l'Unesco a reconnu
l'urgence du problème et montré l'intérêt qu'elle y portait.
C'est pourquoi la Commission de la République Française pour l'Education,
la Science et la Culture s'est chargée de réaliser une enquête-pilote permettant de
définir la situation du maître (instituteur et professeur de lycée) et la représentation
que s'en font les enseignants eux-mêmes et leurs interlocuteurs les plus fréquents
(élèves ou parents d'élèves par exemple). Un groupe de travail a été formé en 1963,
qui réunissait des maîtres syndicalistes, des administrateurs de l'Education nationale,
des sociologues et des psychologues, sous la présidence de Monsieur l'Inspecteur
général Thomas
Avec l'appui de la Commission française, ce groupe a pris directement en
charge, ou confié à des organismes compétents, une série de recherches d'ordre
administratif, ou psycho-sociologique.
Celle, dont il est rendu compte ici, étudie « la représentation que les maître»
se font de leur profession ». Une enquête par questionnaire a permis d'analyser
l'opinion des enseignants sur leurs conditions de travail, leur traitement, leurs
responsabilités, la considération dont ils jouissent, le caractère des tâches qu'ils
assument, etc.. (1).
Après consultation de M. P. H. Chombart de Lauwe, directeur du Groupe
d'Ethnologie sociale (Centre National de la Recherche Scientifique - C.N.R.S. -
Ecole Pratique des Hautes Etudes), l'enquête a été confiée à Suzanne Mollo, attachée
de recherche au C.N.R.S. (Groupe d'Ethnologie sociale) et à Jacques Guyard,
professeur. Un projet de questionnaire fut établi, soumis aux membres du groupe de
travail et à M. ls Secrétaire général du Ministère de l'Education nationale, puis
modifié à partir des réponses fournies par une pré-enquête. L'enquête définitive a
pu être menée à son terme grâce à la collaboration de Lola Leclerc- Rodriguez et
Jeannine Defourny, collaboratrices-techniques au Groupe d'Ethnologie sociale.
Déroulement de l'enquête
Faute de puissants moyens financiers et de personnel à plein temps, nécessaires
à une recherche plus ambitieuse, nous avons dû consentir à n'interroger que deux
catégories d'enseignants : les instituteurs et les professeurs titulaires (2) — l'envoi
de 2 000 questionnaires nous a permis de choisir, dans les limites imposées, un
échantillon dont les caractéristiques sont présentées au cours des pages suivantes
(cf. iprésentotien de l'enquête p. 6).
Cette enquête ne donne donc pas la parole à une catégorie d'enseignants,
pourtant aussi nombreuse que gravement défavorisée, celle des auxiliaires (30 %
environ des professeurs de l'enseignement secondaire). Le manque de moyens nous
contraignant à de vastes abandons, nous avons adopté cette solution en raison des
difficultés à saisir une population très fluctuante. D'ailleurs, la pénurie en maîtres
titulaires étant un problème d'actualité, leur opinion ne prend-elle pas une valeur
particulière dans une perspective de réforme du recrutement et du statut ?

(1) L'analyse et les modalités techniques du questionnaire sont présentées p. 6.


(2) Précisons qu'il s'agit des professeurs titulaires de l'enseignement secondaire.
La nécessité de limiter l'enquête nous a amenés à ne pas interroger les professeurs de
l'enseignement technique.
6 S, MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

Nous avons également renoncé à interroger les maîtres de l'enseignement


supérieur dont les problèmes sont si variés et si spécifiques qu'ils auraient exigé
une enquête particulière.
Il n'en reste pas moins que les maîtres qui s'expriment dans les pages suivantes
font partie des 250 000 enseignants titulaires qui exercent dans les écoles maternelles
et primaires, dans les collèges d'enseignement général et secondaire, et dans les lycées.
Le questionnaire n'a pas été distribué au hasard. Certaines précautions ont
été prises pour obtenir une répartition équitable dans les différentes catégories choisies.
L'envoi du questionnaire s'est déroulé de la façon suivante :
1 ° — à : 1 000 professeurs du second degré,
500 débutants (1er ou 2e échelon, soit 25 à 30 ans),
250 « milieu de carrière i» (7° au 8e échelon, soit environ 40 ans),
250 « fin de carrière » (11e échelon depuis plusieurs années, soit au-delà
de 50 ans),
500 dans des villes de plus de 100 000 h, ) répartis
300 dans des villes de 40 000 à 100 000 h, ) sur tout le territoire
200 dans des villes de 5 000 à 40 000 h, ) national
700 certifiés,
300 agrégés.
Dans chaque cas, on s'est efforcé de réaliser un équilibre entre le nombre
d'hommes et de femmes.
Dans le cadre ci-dessus indiqué, les individus ont été choisis au hasard, par
tirage au sort dans les listes fournies par le Ministère de l'Ediucation nationale.
2° — à : 1 000 instituteurs,
500 débutants,
250 « milieu de carrière »,
250 « fin de carrière »,
350 dans les villes de plus de 100 000 h,
200 dans les villes de 40 000 à 100 000 h,
200 dans les villes de 5 000 à 40 000 h,
250 dans les villes ou villages de moins de 5 000 h.
En raison de l'absence de tout relevé national des instituteurs, nous avons
fait appel à la coopération de MM. les Recteurs et Inspecteurs d'académie d'un
certain nombre de régions. Leur bonne volonté et celle des commissions régionales
pour FUnesco, nous ont permis d'achever notre enqu2t3. Afin de représenter
fidèlement la diversité des régions, nous avons choisi des académiss et des départements
très variés : Lille (Nord, Pas-de-Calais et Somme), Paris et la Seine, Dijon (Côte-d'Or,
Yonne), Bordeaux (Gironde, Landes, Basses-Pyrénées). Seul manque grave à notre
avis : les conditions originales de l'Alsace qui n'ont pu être intégrées au niveau de
l'enseignement primaire.
Pour garantir la sincérité des réponses un rigoureux anonymat était nécessaire.
Rien dans le questionnaire ne permettait d'identifier l'enquêté. De plus, une lettre
de M. le Secrétaire général de la Commission française pour l'Unesco accompagnait
le questionnaire, expliquait le but et le sens de l'enquête et renouvelait l'assurance
de l'anonymat. La sincérité des répondants est prouvée par le soin qu'ils ont apporté
à remplir le questionnaire. D'assez nombreux maîtres ont, en outre, tenu à nous
dire l'intérêt qu'ils trouvaient à cette initiative dans une note ou une lettre. La
collaboration des maîtres est notre meilleure garantie d'objectivité. Malgré certaines
difficultés matérielles, cette recherche s'est effectuée dans de bonnes conditions.
Pour les remercier de leur collaboration, les enquêteurs forment le vœu que
les résultats puissent être communiqués à tous ceux qui ont bien voulu les aider.

BUTS ET LIMITES DE L'ENQUÊTE


Cette enquête exploratoire n'a de sens que si nous prenons la précaution
d'en fixer les limites et l'orientation.
Il ne s'agit pas, dans cette première phase de la recherche, de discuter de la
représentativité d'un échantillon restreint. 'Certaines précautions ont été prises pour
que l'information recueillie puisse être traitée par des méthodes statistiques. Cela ne
signifie pas pour autant que les résultats doivent conduire à des généralisations sans
nuances. Une étude aussi limitée que la nôtre se gardera donc d'avoir des prétentions
LA CONDITION DU MAITRE 7

quantitatives. Mais on pourrait aisément, dans l'avenir, s'appuyer sur elle pour
entreprendre une recherche de plus grande envergure.
Notre fout n'était donc pas de présenter un tableau descriptif de la condition
des maîtres en France. De nombreuses monographies, des études statistiques menées
par des organismes dotés de moyens plus vastes que ceux dont nous disposons (par
exemple I.P.N., B.U.S., Ministère de l'Education nationale) se chargent de recueillir
des données sur une grande échelle. C'est d'ailleurs à partir de ces documents que
nous avons pu choisir notre échantillon et construire le questionnaire.
Notre travail se situe uniquement dans un domaine qualitatif et s'oriente
dams une perspective psycho-sociologique.
Le grand nombre de questions ouvertes, incluses dans le questionnaire, nous
a permis d'obtenir une information riche et variée sur l'opinion des maîtres sur leur
métier, et la représentation qu'ils se font de leur fonction d'enseignant dans la
Société française moderne.
Chaque homme se perçoit et perçoit la réalité sociale à travers ses
représentations. La prise de conscience de la situation de l'enseignant, de son rôle, de son
statut, s'effectue, elle aussi, à travers tout un système de perceptions et de
représentations. Ce sont elles qui transparaissent dans les réponses au questionnaire.
Il existe toujours un décalage entre les représentations et la réalité sociale, notre
enquête le mettra bien en relief. Mais l'homme agit et réagit en fonction de ses
représentations. Elles peuvent jouer un rôle moteur (ou de frein) dans l'action
professionnelle, syndicale ou politique de l'enseignant. Ne sont-elles pas, à ce titre, au
moins aussi intéressantes à étudier que la condition réelle des maîtres en France ?
De nombreuses recherches psycho- sociologiques ont étudié le jeu des
représentations dans la réflexion ou l'action de l'individu (1). « Chaque homme se réfère
à un système de représentations en fonction duquel il a une vision du monde, de
la société, des autres hommes, qui correspond en partie à sa culture, en partie
à son expérience personnelle. Son comportement et son action s'inspirent de cette
vision globale et, en même temps, se réfèrent à des représentations particulières ».
Notre travail se situe exactement dans cette optique et veut mettre l'accent sur les
aspects psycho-sociaux des heurs et malheurs de la fonction d'enseignant.
Il nous faut encore avertir le lecteur qu'il serait dangereux de trouver dans
les (résultats de cette enquête les indices d'une originalité évidente de la fonction
d'enseignant. Nous ne les évoquerons que dans la mesure où les enquêtes font
entrer une certaine originalité dans leurs systèmes de valeurs. Mais l'originalité réelle
d'un milieu socio-professionnel ne peut apparaître que dans une étude comparative.
Lss problèmes, qui se posent actuellement à l'homme ou à la femme enseignants,
existent sans doute pour d'autres travailleurs. Cela ne leur ôte ni leur importance
ni leur urgence.

(i) P.-H. et M.-J. Chombart de Lauwe en collaboration : « La femme dans la


société — son image dans différents milieux sociaux ». Groupe d'Ethnologie sociale,
Paris, 1963, C.N.R.S.
LA CONDITION DU MAITRE

PRESENTATION DE VENQUÊTE

Problèmes de méthode

L'enquête a été effectuée auprès des instituteurs et des professeurs, à l'aide


d'un questionnaire établi de la façon suivante :
1° — des questions fermées, avec deux ou trois réponses possibles (oui - non)
(jamais - parfois - toujours), etc.
— des questions à choix multiple, laissant la possibilité aux sujets
interrogés de choisir parmi plusieurs solutions et permettant un
dépouillement rapide des résultats qui a fourni l'occasion d'un premier compte
rendu fait à la Commission, au mois de décembre 1964.
2° — - des questions ouvertes : une analyse plus fine à un niveau plus
psychologique a été prévue par l'adjonction, à certaines questions, de
formulations destinées à obtenir des enquêtes une explication plus détaillée
de leurs réponses ; nous leur avons ainsi donné le moyen d'exprimer
en toute liberté leur opinion.
Précisons que l'élaboration de ce questionnaire, destiné à l'étude de la
condition des maîtres en France, a été faite suivant le vœu exprimé par la
Commission française pour I'Unesco. Expérimenté au cours d'une enquête-pilote, il
a été tenu compte des résultats pour bâtir le questionnaire définitif.
Les envois de questionnaires se sont étalés de janvier à mai 1964. A la fin
du mois d'août, 700 réponses étaient parvenues à la Commission française pour
I'Unesco. Parmi ces réponses, une centaine environ se sont avérées inutilisables car
incomplètes (pages arrachées, questions laissées en blanc).
A partir des 600 réponses restantes, nous avons dû sélectionner un échantillon
homogène. En effet, nous nous trouvions en présence de très nombreuses réponses
de maîtres « en milieu » ou en « fin de carrière », ainsi que de jeunes débutantes,
mais deux catégories importantes étaient peu représentées, les débutants hommes
et les professeurs des CE. G. (surtout hommes et femmes en fin de carrière).
L'absence des débutants s'explique aisément, car nous ne disposions que des adresses
pour l'année scolaire 1<9'62-1963. En 1963-1964, nombre d'entre eux ont dû partir
sous les drapeaux, où le courrier « imprimés » suit rarement. Le faible pourcentage
de réponses des professeurs des CE.G. n'a pas trouvé d'explication aussi logique et
doit être considéré comme une des données de l'enquête.
Pour pouvoir procéder à des comparaisons, nous avons dû construire un
échantillon restreint en fonction du nombre de débutants disponibles. Le choix a été
fait, au hasard, en respectant la répartition entre les différents lieux de résidence
retenus. C'est ainsi que iîoius avons abouti au groupe de 304 enquêtes
remplissant les conditions retenues au préalable : c'est-à-dire qu'ils ont été
sélectionnés en fonction du sexe, de l'âge, de la répartition géographique et de la situation
dans la profession.
SEXE :
L'échantillon comporte un nombre égal de personnes des deux sexes •
— soit 152 hommes
— et 152 femmes.
AGE :
2 sujets ont moins de 19 ans.
135 sujets ont de 20 à 29 ans.
64 sujets ont de 30 à 39 ans.
46 sujets ont de 40 à 49 ans.
57 sujets ont de 50 à 59 ans.
10 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODR1GUEZ

Pour des raisons de commodité et de finesse dans le traitement des résultats,


deux catégories ont été déterminées, répartissant les sujets en deux classes d'âge :
— les jeunes de 19 à 30 ans groupant 148 sujets, soit 50 %,
— les plus âgés de 31 à 59 ans groupant 156 sujets, soit 50%,
avec une répartition sensiblement équivalente au point de vue du sexe :
— ainsi la catégorie des jeunes groupe : 70 hommes
78 femmes
— et la catégorie des plus âgés groupe : 82 hommes
74 femmes
Dans certains cas, pour une comparaison plus rigoureuse, nous avons divisé
la catégorie des plus âgés en deux sous-groupes :
— les « milieux de carrière » de 31 à 41 ans composés de 43 hommes
39 femmes
au total 82
— les « fins de carrière » de 42 à 59 ans composés de 39 hommes
35 femmes
au total 74
SITUATION DANS LA PROFESSION :
Du fait de la difficulté à distinguer entre les divers échelons de la profession
et de l'éparpillement qui en résultait sur le plan du dépouillement des réponses, un
regroupement des enseignants s'est avéré nécessaire. Nous avons donc déterminé
deux catégories principales :
— d'une par. les instituteurs
J

Total
ce
Professeurs
pour
Instituteurs
quiles
les
:—
: donne
La dinstituteurs
professeurs
106
101
,,proportion
151
153
45
52
autre
: avec
48
51
instituteurs
agrégés
certifiés
: %part
72
80
de
de
. :d'âge
femmes
les
,jeunes,
femmes
jeunes,
professeurs
du
des
dans
ecycle
29
C.E.G.
et
24
et %ces
79
%73primaire
de«hommes.
deux
hommes.
milieu
«() *»
certifiés
milieu
typss
, de
l^
. decarrière
d'enseignants
carrière», »,2523est
% % «sensiblement
«finfindedecarrière
carrière
égale.
».»

RÉPARTITION GÉOGRAPHIQUE.
La localisation régionale a été fixée arbitrairement par les enquêteurs, mais
les relations entre l'importance de la commune d'exercice et la situation
professionnelle sont intéressantes.
La répartition s'établit de la façon suivante :
— 100 enseignants exercent dans des grandes villes de plus de 100000 habitants.
— 77 exercent dans des agglomérations groupant de 40 000 à 100 000 h.
— 77 exercent dans des agglomérations groupant de 5 000 à 40 000 h.
— 50 exercent dans des agglomérations groupant moins de 5 000 h.
Les jeunes se trouvent généralement dans de plus petites villes que leurs
collègues plus âgés :
29 % dans des agglomérations de 5 000 à 40 000 h.
22 % dans les agglomérations de moins de 5 000 h.
28 % seulement exercent dans les grandes villes.
LA CONDITION DU MAITRE 11

A partir de 30 ans les enseignants quittent les milieux ruraux (parmi notre
échantillon seulement 11 % de cette catégorie d'âge se situent dans les communes
de moins de 5 000 habitants) pour se fixer dans les villes de plus grande importance
(37 % dans les villes de plus de 100 000 habitants 30 % dans les villes de 40 000
à 100 000 habitants.)
Si l'on considère le niveau professionnel, les professeurs, quel que soit leur
âge, se répartissent de façon à peu près équivalente dans les différents centres
géographiques. C'est ainsi que nous avons environ un tiers de professeurs qui habite
les grandes villes ; on autre tiers est localisé dans les villes de 40 000 à 100 000 h,
enfin le dernier tiers se trouve dans las localités de 5 000 à 10 000 h. Aucun
professeur n'exerce en milieu rural (moins de 5 000 h).
Parmi les instituteurs, au contraire, des différences notables s'observent
suivant les catégories d'âge : ainsi ce sont en majorité les jeunes débutants qui
occupent les postes des communes de moins de 5 000 h (45 %) la proportion de leurs
collègues plus âgés ne s'élevant «qu'à 23 %. Ceux-ci résident d'ailleurs en
majorité dans les agglomérations de plus de 40000 h (77 %), alors que les plus jeunes
ne s'y retrouvent que dans une proportion de 35 %.
Par ailleurs, chez les professeurs, les agrégés se recrutent davantage dans les
grandes villes que les certifiés. La même observation vaut pour les instituteurs
de C.E.G. comparés aux maîtres des classes primaires.
Il résulte de ce qui précède que l'enseignement dans les campagnes est
essentiellement assuré par les maîtres du premier degré débutant dans la profession. Ceci
pose le problème de l'enseignant et de l'enseignement en milieu rural qui devrait,
à lui seul, faire l'objet d'une enquête.
En résumé, nous disposons d'un échantillon total de 304 hommes et femmes,
débutants ou chevronnés de la profession, répartis de façon équivalente entre
professeurs et instituteurs. Cette disposition orthogonale des effectifs par rapport aux
critères retenus dams l'étude, le sexe, l'âge, la situation professionnelle, nous a
permis d'examiner l'influence spécifique des variables prises une par une, avec un
risque moindre d'attribuer une signification singulière à une donnée complexe,
résultant de la pluriaction de divers facteurs.

LES RESULTATS.
Pour la présentation des résultats, il nous a semblé indispensable de nous
situer à deux niveaux différents.
Dans une première exploration, nous aborderons le domaine objectif des
faits, en étudiant à travers les données recueillies la situation socio-professionnelle
de l'enseignant, telle qu'elle peut se définir par l'examen de son statut
socio-professionnel et de ses conditions de vie.
Dans une seconde (partie, nous aborderons le domaine des représentations, à
travers l'image que se fait le maître de sa condition d'enseignant, et de la place
qu'il lui accorde dans la société, avec toute l'implication affective, voire
passionnelle qu'elles engendrent, dès qu'il s'agit de toucher plus profondément aux
systèmes de valeur latents ou manifestes de l'individu.
Cette séparation arbitraire entre le contenu objectif des faits et l'interprétation
qu'en donne le maître a été faite dans le souci de clarifier, aux yeux du lecteur,
les données de l'enquête. Cette coupure entre les deux domaines ne peut être totale,
et bien souvent, il y aura chevauchement.
12 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

NORMALIENS
92 6 réponses sur 1148

.1 2 4
vers vers vers le
"Professeur"
l'Ecole le CEG LYCEE
Primaire

313 65 98 6
(69*0 (15%) (20,5%) (1,2%)
1° année
5*490 G: 17?o
F: 14%

2 96 96 37 6
4° année (6$O C&O (0,7%)
N=436 G: 6%
Gi70% G:0,9%
P:0,4%

603 151 13,%)


135 %
(68^) (0,9%)
TOTAL EN
10 + 40 G: 62% G: 18 G: 16%
9=926 % F: 0,8%
G:l%

N.B. Quelques uns des sujets


(très rares) ont donné 2 ou 3 au choix, d'où
un total de réponses >",100%.
LA CONDITION DU MAITRE 13

CEG-LYCEENS

136 réponses sur 661

1 2 3 * 1
vers vers vers
1 •Ecole le CEG "Professeur" levers
LYCEE''
Primaire

23 3 17
3° CEG (11%) (40%) /
N=43
P : 62%
G:36% G: 22%
F: 0% F:
G: 38%
43%

10 1 27
3° Lr. (26%) 0% (72%)
N=38 G:2 5% G: 75%
F:27% F:
G:0%
0,1% F:7C%

10 / 45
(11%) (88% )
Cl.term
N=55 F:
G: 100%
76%
F:22°/O

20 1 72
(18%) (0,9*) (80%)
TOTAL
LYCEENS G:13% G: 9% G:87% /
N=93 E:0,05% F: 73%

43 4 89
TOTAL (34%) (5,5%)
LYCEE US
+ CEG G:2 5% G : 65% '
3b F:43% FG:i 11%
Ojfo F: 55%
14 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

Situation socio-prof essionnelle de 1 enseignant

Chapitre I

STATUT SOCIO-PROFESSIONNEL

SITUATION DANS LA PROFESSION.


Dans la description de l'échantillon, nous avons déjà vu la nature des
fonctions occupées par nos enseignants, ceux-ci se répartissant par moitié en
instituteurs du primaire et des C.E.G., et en professeurs certifiés ou agrégés.
Promotion sociale.
Il nous a semblé intéressant de chercher à savoir si, avant d'occuper son
poste actuel, le maître avait déjà exercé dans l'enseignement et, dans ce cas,
combien de temps et quelle était la nature des fonctions occupées.
Le problème ne se posait pas pour nos instituteurs recrutés en général à
la sortie du baccalauréat. Par contre, le dépouillement des réponses fournies par les
professeurs nous a révélé que, sur un effectif de 153 personnes, 57 avaient occupé
plusieurs fonctions dans l'Education nationale, comme le montrent les chiffres
suivants :
— ont exercé deux fonctions : 42
— ont exercé trois fonctions : 12
— ont exercé quatre fonctions : 3
Au total : 57
Une grande partie des professeurs (40 %) est passée par le stade de maître
auxiliaire avant d'aborder le secondaire, 22 % d'entre eux ont occupé un poste
de maître d'internat.
Une. minorité non négligeable (14%) est passée du grade de certifié à celui
d'agrégé Enfin, 24 % proviennent du primaire. Ainsi se trouve soulignée la longueur
des études, de même que l'aggravation des conditions de travail (ce sont par
exemple les agrégés « en fin de carrière » qui ont exercé plusieurs fonctions.)
Nombre d'années dans l'enseignement.
Sur nos 304 sujets, 152 exercent depuis moins de dix ans, ce qui correspond
au fait que nous avons délibérément choisi un échantillon composé pour moitié de
jeunes débutants et pour moitié de chevronnés de la profession :
— 77 ont de 11 à 20 ans à leur actif dans l'enseignement
— 75 sont dans la profession depuis 21 à 30 ans.
Parmi les 152 enseignants débutant dans la profession, nous avons 73
hommes et 19 femmes. Parmi ceux qui ont de 11 à 20 ans d'exercice à leur actif, il y a
38 hommes et 39 femmes ; enfin, enseignent depuis plus de 20 ans, 41 hommes et
34 femmes.
Chez les instituteurs comme chez les professeurs, le pourcentage de jeunes
et de chevronnés de la profession est le même et s'établit aux alentours de 50 %.
A ce propos, nous voulons mettre en garde nos lecteurs et attirer leur
attention sur ce que cette séparation peut comporter d'arbitraire, car nous ne savons pas
si elle reflète exactement la réalité sociale, notre souci premier ayant été de nous
réserver des bases commodes pour une comparaison possible à l'intérieur même
de notre échantillon. De plus, selon le vœu exprimé par la Commission, nous avons
voulu savoir si les premières années d'enseignement posaient des problèmes
particuliers.
LA CONDITION DU MAITRE 15

STATUT FAMILIAL
Le milieu familial
Nos maîtres sont-ils mariés ou célibataires ?

célibataires maries

Hommes 21$ 79$

Femmes 38$ 62$

Total 29,5$ 70,5$

Une première constatation s'impose : si les maîtres semblent se marier plus


tôt et plus souvent aujourd'hui, le célibat reste néanmoins très important. La
jeunesse d'une bonne partie de l'échantillon (45 % de moins de 30 ans) explique ce
chiffre, mais la proportion des célibataires d'âge mûr, en particulier chez les
femmes, reste importante.
Plusieurs maîtres ont spontanément souligné combien l'éloignenient des
premières nominations qui coupe du milieu familial et du milieu scolaire habituel
est un frein dans ce domaine. Le métier « isole et diminue les chances de se marier
(surtout à la campagne) », s'est plainte une institutrice. Un professeur regrette les
« nominations sans rapport avec la situation de famille ». L'isolement intellectuel
vient s'y ajouter pour les enseignants en milieu rural, surtout pour l'élément
féminin. Ceci est particulièrement valable pour les institutrices dont le pourcentage
de célibataires est élevé (49 % contre 29 % chez les femmes professeurs).
La femme de renseignant marié travaille-t-elle ?
Professeurs Instituteurs Total
— Mariés dont le conjoint travaille 60 % 65 % 62 %
— Mariés dont le conjoint ne travaille pas 40 % 35 % 38 %
En règle générale, la femme de l'enseignant travaille. Toutefois, il convient
de noter qu'un pourcentage relativement important de femmes de professeurs et
d'instituteurs n'occupe aucun emploi.
L'explication de ce fait est à chercher dans la composition de la famille
dont le tableau ci-dessous donne le détail :

pcs de per 1 à 2 pers. + de 2 pers.


sonne à chcrg. à charge à charge

oonj .. travaille 28$ 55$ 17$

conj. ne travaille 0$ 32$ 68$


pas

En général, dans les ménages sans enfant, la femme exerce une profession.
A partir du moment où la famille s'agrandit, et ceci est particulièrement flagrant à
partir de trois enfants où une différence significative sépare les femmes qui travaillent
de celles qui ne travaillent pas, la mère de famille abandonne son métier et se^
consacre à son foyer.
16 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

Le choix matrimonial des enseignants


L'enseignant choisit-il son conjoint dans la profession ou en dehors de l' enseignement ?

Les conditions de (travail particulières à l'enseignement, ainsi que ses


exigences intellectuelles, expliquent sans doute un phénomène intéressant : les
enseignants, les hommes surtout, se marient dans leur profession.

conjoints conj. hors del Total


enseignants 1 ' enseignera. '
\
Hommes 90/o 10<fo 100$

Femmes 43$ 100$

Total 12.1» 28$ 100$

Que ceci soit moins vrai pour les femmes, nul ne s'en étonnera. La
féminisation croissante du corps enseignant (60 % de l'effectif dans le secondaire, plus de
70 % dans le primaire) oriente leur choix en direction d'autres milieux. Cependant,
le désir de vacances communes et les fréquentations restreintes imposent une
véritable loi : l'épouse de l'enseignant est dans l'enseignement eu ne travaille pas.
De rares exceptions confirment la règle, mais il s'agit en général de professions
qui suivent le même rythme (administration universitaire, psychologues scolaires, etc.).

Une fécondité normale


Pour les maîtres mariés, le tableau suivant indique le nombre d'enfants à
charge :

pas d'enfants 1 enfant 2 enfants 3 enfants 4 et +

22$ 35$ 13$

Ceci représente une moyenne de 2 enfants à charge par couple, à laquelle


il faudrait ajouter les enfants qui ne sont plus à charge pour les enseignants les
plus âgés. On approcherait ainsi de trois enfants par famille, moyenne légèrement
supérieure à la moyenne nationale.
Les chiffres ne varient guère quand on passe des instituteurs aux professeurs.
La fécondité de ceux-ci paraît cependant légèrement supérieure.

ORIGINE SOCIALE
Nous avons réparti notre effectif selon la profession du père entre les cinq
catégories définies pax FI.N.S.E.E.
LA CONDITION DU MAITRE 17

A : Agriculteurs (exploitants et ouvriers).


B : Ouvriers.
C : Employés.
D : Petits cadres (dont instituteurs et commerçants).
E : Cadres supérieurs (dont professeurs) et professions libérales.

Profeosi on du père
Catégorie du
A B C D E
maître

Professeurs 3/ 10/ 17/ 28/ 42/

Instituteurs 13/ 27/ 19/ 31/ 10/

Total 8/ 18/ 19/ 29/ 26/

L'opposition entre le premier et le second degré est très nette. L'accès à la


culture universitaire exige des étapes à travers un milieu familial ouvert aux
activités intellectuelles et à leur langage.
Cependant, 13 % des professeurs sont fils d'ouvriers et d'agriculteurs, alors
que ces catégories fournissaient jusqu'à ces dernières années environ 5 % des
licenciés de nos facultés. Plus impressionnante peut-être est la montée des mêmes
catégories sociales à travers l'enseignement primaire : 40 % des instituteurs en sont
issus. La proportion parmi les bacheliers était bien moindre encore récemment.
Notons encore l'importance prise par les fils de commerçants et de sous-officiers
(catégorie D).
Ainsi 1'enseignememt demeure un instrument puissant de promotion sociale
et recrute des maîtres dans des milieux socio-professionnels très divers.

Chapitre II

CONDITIONS DE VIE DE L'ENSEIGNANT :

Vie professionnelle et loisirs


Dans les pages précédentes, nous avons très rapidement examiné la situation
familiale et l'origine sociale des enseignants.
Nous avons souligné que le fait d'appartenir à l'enseignement influençait le
choix du conjoint et que les premiers postes affectés aux jeûnas institutrices
pouvaient être une explication du pourcentage relativement élevé des femmes
célibataires. De plus, nous avons été amenés, à notre tour, à montrer que les
carrières de l'enseignement étaient un puissant facteur de promotion sociale.
Ce premier chapitre n'avait d'autre but que de fournir un cadre à l'étude
des conditions de vie des enseignants. Avant d'aborder l'analyse des jugements de
valeur que les maîtres portent sur leur métier, nous devons nous familiariser avec
leurs conditions d'existence. Nous avons accordé une place importante à la vie
professionnelle, parce qu'elle est au centre de nos préoocupations. L'étude des
horaires de 'travail nous permettra de mieux connaître le rythme de la vie
quotidienne des instituteurs et des professeurs. Le maître dans sa classe retiendra toute
notre attention. Nous avons dû, une fois encore, sacrifier une étude exhaustive
à l'analyse de quelques points importants : horaires de travail, effectifs des classes,
méthodes pédagogiques utilisées, niveau des élèves, valeur des programmes. Toute
18 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

réforme de l'enseignement doit tenir compte de ces données et nous en retrouverons


de nombreux échos dans l'amertume et les soucis dont les maîtres nous font part
dans la deuxième partie de l'enquête. Nous avons dû renoncer également à l'étude
des relations entre les parents d'élèves et les maîtres. Ce vaste problème mérite à
lui seul une recherche. En l'effleurant, nous n'aurions rien apporté de neuf par
rappoirt aux nombreuses études existant déjà.
La vie professionnelle, si accaparante soit-elle, laisse-t-eMe quelques temps de
loisirs aux enseignants ? Comment ceux-ci organisent-ils leur vie familiale et leurs
heures de liberté ? C'est en analysant les réponses à ces questions que nous
terminerons ce rapide tour d'horizon des conditions de vie des enseignants.

Conditions de vie de l'enseignant :


Vie professionnelle et loisirs
VIE PROFESSIONNELLE
Les horaires de travail
Sachant que la semaine de travail des instituteurs est fixée à 30 heures, nous
nous sommes intéressés à l'emploi du temps des professeurs.

de
ver 14 à 15 h. de 16 à 19 h.
eenalne do 20 à 23 h. 24hh. et- plue

297*

Une première remarque s'impose : l'emploi du temps des professeurs est


variable. Les heures de cours (y compris les heures supplémentaires) peuvent se
réduire à 14-15 heures, comme elles sont susceptibles de s'élever jusqu'à 24 heures
et plus par semaine. Cependant, la majeure partie de nos professeurs (68 %) nous
donne un chiffre inférieur à 20 heures, un tiers environ a des horaires de travail
compris entre 20 et 23 heures.
Mais la vie professionnelle ne s'arrête pas là et le professeur connaît d'autres
obligations. A ce chiffre, il convient d'ajouter le temps consacré à la préparation
des cours et à la correction des copies, ce qui augmente souvent considérablement
la journée de travail.
Il semble d'ailleurs que le problème de la longueur du temps de travail se
pose aussi bien pour les instituteurs que pour les professeurs, quand on aborde le
chapitre du temps consacré par le maître à sa profession, en dehors de la classe.

nonbre d'heures de préparation per semaine


noin3 de ae lo a de 20 à au-dessus de
9 heures 19 heures !29 heures 30 heures

instituteurs 20$

professeurs 19 #

total 47,5/, 11,595


Ce tableau met ainsi en évidence l'importance du temps nécessaire à la
préparation des cours et à la correction des copies. Cette tâche exige d'eux 10 à
19 'heures supplémentaires ; et pour plus de 40 % des enseignants, la durée de la
semaine de travail se trouve presque doublée, par suite des exigences du métier.
La différenciation entre les maîtres du premier et du deuxième degré s'établit
nettement. Ce sont les professeurs qui consacrent le plus de temps au travail hors
de la classe. Si bien que comptant moins d'heures de présence à l'école, ils arrivent
par la force des choses à un emploi du temps égal, sinon supérieur, à celui de
l'instituteur.
LA CONDITION DU MAITRE 19

JSombre d'heures de préparation

nombre d 'heures de préparation


heures de cours effectif - de 9ho 10 à 19 hJ20 à 2 de 30h. total
41T
- de 20 h. 68/ 6/ 3J* 40/ 21/ 100/

lOOf'
+ de 20 h. 32/ 6/ 31/ 46/ 17/

total 100/ 32/ 43/ 19/ 100/

On arrive à ce fait paradoxal que les professeurs, qui ont plus de 20 heures
de cours, n'assurent pas plus de temps à la préparation de leur travail que leurs
collègues plus favorisés.
De plus, nous avons constaté que, parmi les enseignants du secteur primaire,
ceux qui professent dans un C.E.G. consacrent un peu plus de temps à la
préparation de leurs cours que leurs collègues instituteurs.
Retenons de cette étude rapide que la journée de travail d'un enseignant se
prolonge bien au-delà du temps passé dans l'établissement scolaire. Mais nous allons
maintenant insister sur l'aspect le plus vivant de la profession : le maître dams sa
classe et ses relations avec les élèves.
LE MAITRE DANS SA CLASSE
Nous nous intéresserons aux conditions de travail du maître dans sa classe,
à travers l'étude de la composition de sa classe et de ses méthodes pédagogiques.
Noois lui demanderons également de donner sen opinion sur les écoliers, et sur les
programmes scolaires.
1° — Nombre d'élèves
Instituteurs Professeurs
— de 1 1 à 20 élèves en moyenne 7% 6%
— de 21 à 30 élèves » 38% 37%
— de 31 à 40 élèves » 39% 42%
— plus de 40 élèves » 16% 15%
Le nombre d'élèves est donc, en règle générale, supérieur à 30 par classe, aussi
bien dans l'enseignement primaire que dans l'enseignement secondaire. Un
pourcentage non négligeable d'enseignants (15 %) indique même un chiffre dépassant 40.
La situation se complique encore pour les professeurs qui doivent assumer la
responsabilité d'au moins deux classes, voire sept et plus, ainsi qu'en témoigne le
tableau ci-dessous :
total de
1 Effectif 2classes 3classes 4classeé 5classes 6classeè 7 cl.et+

152 17 35 37 21 12

47/
II en ressort que près de la moitié des professeurs de notre effectif ont à
leur charge 4 à 5 classes.
2° — Les méthodes pédagogiques utilisées
Cette surcharge des classes explique peiut-êtrs l'échec partiel de l'emploi des
méthodes pédagogiques nouvelles révélé pair les réponses à la question suivante :
« Utilisez-vous des méthodes actives d'enseignement ? »
20 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLE RC- RODRIGUEZ

Nous demandions aux maîtres de répondre à cette question par « toujours »


— « parfois » — « jamais ». Nous avons obtenu la répartition suivante :
Le premier fait surprenant est le nombre relativement élevé des
abstentions (19 %).

janais parfoi: toujours totale flog


réponses non rj-oondu

professeur 6/, 63/ 31/. 100/ 17/

ins titular 5/ 78/. 17/. 100/ 21/

total 5/ 71/. 24$ 100/ 19/

Relativement faible est le nombre de ceux qui déclarent ne jamais employer


de méthodes actives (5 %). Il semble donc, à première vue, que l'ensemble de nos
enseignants soient des partisans convaincus des nouvelles méthodes pédagogiques,
soucieux de mettre en application des conceptions dynamiques de l'éducation.
Un nouvel examen vient tempérer cette vision optimiste de la situation.
Il est un fait que les méthodes nouvelles sont connues de notre public et
jouissent auprès de lui d'un certain prestige ; il aurait été de mauvaise politique
d'avouer s'en tenir uniquement à l'enseignement traditionnel. L'écrasante majorité
a donc prudemment répondu par l'affirmative. Mais si l'on nuance ce résultat brut
pair l'examen du pourcentage des « parfois » et des « toujours », il apparaît
clairement que seul un nombre relativement restreint de maîtres (24 %) a adopté
un système pédagogique nouveau, l'échappatoire ayant consisté à répandre « parfois ».
Encore convient-il de se montrer prudent à l'égard de nos 24 % de «
toujours » ; la formulation assez vague de la question n'a-t-elle pu entraîner une
certaine confusion dans l'esprit de nos enseignants ? (1). Si bien que quelques-uns
d'entre eux ont pu croire, en toute benne foi, que des innovations apportées dans
l'art d'enseigner pouvaient s'apparenter aux systèmes pédagogiques en usage dans
les écoles expérimentales de type Decroly-Montessori - lycée-pilote de Montgeron et
autres.
L'embarras que cette question a suscité chez nos enseignants, en particulier
chez les instituteurs pour lesquels on observe un plus grand nombre d'abstentions
et une augmentation ides « parfois », se retrouve dans la question suivante : « Si
vous avez répondu « toujours » ou « parfois », êtes- vous satisfait des résultats
obtenus »

satisfaits oui et non nécontents

professeurs 26/ 72/ 2/

instituteurs 33/ 66/ 1/

total 29/ 69/ 2/

Si le nombre de mécontents est infime (2 %), celui des satisfaits n'atteint


pas le tiers de l'effectif. Par contre, 69 % des sujets expriment un sentiment mitigé
de satisfaction et de non-satisfaction en répondant « oui et non ». Les professeurs
manifestent plus fréquemment que les instituteurs ce sentiment de déception mêlée
de satisfaction.

(i) Rappelons ici les conditions difficiles de l'enquête. Elle devrait être suivie
d'études de cas et d'entretiens destinés à approfondir les questions de ce type.
LA CONDITION DU MAITRE 21

tot il pnrfois toujours

satisfaits 3095 2995

oui et non 709S

mécontents

Le fait d'être un utilisateur à part entière ou partielle me joue pas sur le


degré de satisfaction. Dans les deux cas, le nombre de satisfaits s'élève à 30 %
environ et la quasi-unanimité se fait autour ides réponses « oui et non ».
L'explication de ce malaise est donc autre. Il faut la chercher dans les raisons
fournies par nos maîtres pour justifier leur mécontentement. Là-dessus, les
enseignante se sont montrés prolixtes puisque sur un total de 246 sujets déclarant utiliser
les méthodes actives, nous avons enregistré 322 mentions d'insatisfaction.
La causs dev cette insatisfaction dans l'emploi des méthodes actives — nous
l'avions déjà pressentie auparavant — trouve principalement son origine dans
le grand nombre d'élèves par classe. Les effectifs trop élevés semblent être un
frein très important à l'emploi de toute pédagogie nouvelle pour 39 % des cas.
Le second obstacle est attribué au manque de moyens matériels mis à la disposition
des maîtres (30 %). Enfin, les autres sources de mécontentement sont les suivantes :
— surcroît de travail 11 %
— pour des raisons pédagogiques (n'y croit pas) 8 %
— absence d'information 7 %
— opposition des supérieurs 2 %
— divers (manque de temps - programmes trop lourds...) 3 %
Ce sont surtout les professeurs qui se plaignent du nombre trop élevé
d'enfants par classe (44 % contre 34 %). Les instituteurs invoquent plus
fréquemment le manque de moyens matériels (36 % contre 24 %). Si les deux types
d'enseignants sont d'accord pour estimer que l'emploi de ces méthodes demande
trop de travail, les instituteurs mettent plus en avant l'absence d'information, tandis
que les professeurs sont plus sceptiques, quant à leur efficacité.
En conclusion, nous constatons chez les enseignants un désir très vif de
rompre avec la routine pédagogique et d'adopter des méthodes nouvelles d'éducation.
Or, ce désir se heurte aux conditions de travail actuelles imposées par des nécessités
matérielles (cadre architectural de l'école bien souvent inchangé depuis plus d'un
siècle, surchage des classes, programmes trop lourds...).
3° — Les élèves
Que pensent les enseignants des élèves dont ils sont chargés ? Estiment-ils
que les écoiieirs d'aujourd'hui .présentent un niveau satisfaisant, leur permettant de
mener à bien leurs études ?
[niveau des
élèves Total Professeurs Instituteurs

assez élevé 2fo Ho %


moyen 53JÏ 43/. 63/
insuffisant 29/< 29?S 28/
très insuff. Mo Mo
moyen et
insuffisant 6fo life _
inégal et
très inégal 11/ -
22 S. MOLLO /. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ

Ce tableau montre que nos maîtres n'ont pas a priori une opinion très
optimiste du niveau de leurs élèves. Tout juste moyen décrètent 53 % d'entre eux,
nettement médiocre, voire très médiocre, pense l'autre moitié. Le pessimisme
s'accroît notamment chez les professeurs dont plus de la moitié estime que le
niveau général des élèves est insuffisant, ou du moins très inégal.
A quoi est due cette baisse de qualité constatée chez la majeure partie des
enfants ? Provient-elle des caractéristiques psychologiques propres à l'écolier
d'aujourd'hui, ou est-elle la conséquence de l'application de programmes pas toujours
équilibrés et s'adaptant plus ou moins bien au niveau mental des élèves ? Ou bien,
d'autres facteurs sont-iils en jeu ? Notre enquête, forcément restreinte, ne peut
répondre à tous ces problèmes.
Nous nous sommes volontairement limités à quelques points précis ; dans
cet esprit, nous avons demandé aux maîtres de s'exprimer, sur les défauts les plus
fréquemment rencontrés chez les enfants et sur ceux qui leur paraissaient être les
plus graves. Nous avons ensuite sollicité leur avis sur la conception des programmes
à l'heure actuelle.
A la question : « Quels sont, parmi les défauts cités, ceux que vous
rencontrez le plus fréquemment chez vos élèves ? », nous demandions aux maîtres de
choisir quatre défauts dans une liste de cinq, et de les classer en ordre décroissant
d'importance. Les réponses sont consignées dans le tableau suivant :

défauts les plus 2 premiers 2 derniers


fréquents choix choix rejets total

inattention 737$ 1* 100$

paresse 549^ 447$ 27$ 1007$

nervosité 417$ 507$ 97$ 100?$

inaptitude 317$ 557$ 147$ 100*6

manque de respect 57$ 21$ 747$ 10075

Nous voyons clairement qu'une relation inverse s'établit entre le pourcentage


des deux premiers choix et celui des rejets, l'un décroissant d'importance lorsque
l'autre augmente.
En conséquence, nous pouvons considérer que les défauts les plus
fréquemment rencontrés chez les enfants sont principalement l'inattention et la paresse, puis
en troisième et quatrième position, la nervosité et l'inaptitude, le manque de
respect étant presque unanimement rejeté.
Remarquons à ce propos qu'il existe une ambiguïté au sujet de ce dernier
terme : s'agit-i'l de comprendre que les élèves sont dans l'ensemble respectueux
à l'égard de leurs maîtres ou bien ces derniers accordent-ils une importance moindre
à ce défaut ?
Il semble donc que, si instituteurs et professeurs sont d'accord pour reléguer
le manque de respect au dernier rang et mettre l'inattention et la paresse au premier
plan, les professeurs aient davantage tendance à accorder plus d'importance à
Yinaptitude. Ce sont eux, en effet, qui se plaignent dans une plus grande proportion
de rencontrer une insuffisance de moyens chez leurs élèves. Nous avions déjà
LA CONDITION DU MAITRE 23

deux prer ri. ers choix rejets


1

1
Défauts les proies- p0"01
J . _,_ ~. xnstitu- F profes-
plue fréquents instituteurs seurs teurs J seurs total

inattention 109 103 0 212 112

paresse 79 Q 76 Q 155 4 15

nervosité 73 ^^ 4,4 _0?38 117 4 -1,64 20 +0,90 24

inaptitude 32 _Q 52 58 +0 ^ 90 26 +0,39 12 -0,58 38

' manque de c, v' -i ^ 110


respect -0,17 +0,11 Q 97 0 207

total des
deux preniers 299 288 587 145 13Ï 276
choix et des
rejets

remarqué ce fait auparavant, page 17. En revanche, les instituteurs paraissent


rencontrer davantage de nervosité parmi les enfants, peut-être due au fait que les
îelations maîtres-élèves dans le premier degré durent toute la journée (1).
Si les choix sont très différenciés, quant à la fréquence des défauts rencontrés,
par contre la paresse, l'inattention et l'inaptitude apparaissent aux yeux des
enseignants d'une gravité à peu près équivalente. Remarquons que l'inaptitude, rangée
précédemment parmi les défauts les moins fréquents, est ici considérée comme

(1) Pour examiner les divergences de point de vue pouvant exister entre
.istituteurs et professeurs, nous avons utilisé une méthode statistique commode et rela-
ivement précise. Les coefficients numériques positifs ou négatifs, inscrits dans certaines
cases du tableau ci-dessus, servent à indiquer la direction et à mesurer l'écart entre
les ce effectifs observés » O, de chaque case et les « effectifs théoriques ou attendus »,
A, correspondants. Il s'agit de 1' ce entropie élémentaire » de chaque case dont la
O
distribution est une fonction logarithmique du rapport , telle que :
A
Par exemple :
O
Lorsque = 1, le coefficient est nul.
A
O
-- Lorsque = 2, le coefficient est égal à + 1.
A
O 1
Lorsque = le coefficient est égal à 1.
A 2
Cette méthode statistique a été mise au point par Jacques Jenny, attaché de
Recherche au Groupe d'Ethnologie sociale (C.N.R.S.), dans le cadre de la méthode de
calcul informationnel.
(Voir en deuxième partie l'explication du coefficient.)
24 S. MOLLO J. GUYARD L. LECLERC-RODR1GUEZ

un défaut pouvant être très grave. Chose étonnante, la nervosité, située en


3e position dans l'ordre d'apparition des défauts les plus fréquents, ne semble
pourtant pas présenter un caractère de gravité évident.

défauts les
plus graves instituteurs professeurs total

paresse 85 75 160
+0,10 -0,05

inattention 81 +0,15 64 -0,12 145 26f$

.inaptitude 57 -0,43 85 +0,31 142 2 57$

nervosité 36 +0,21 24 -0,29 60 117$

.nanqu'e de re spect 32 +0,11 26 -0,10 58 107$

total des nentiors 291 274 565

Ici, la même constatation s'impose que pour les défauts les plus fréquemment
rencontrés : les professeurs estiment plus grave Yinaptitude des élèves, les instituteurs
se plaignent davantage de la nervosité : résultats qui confirment donc les données
précédentes.
Remarquons enfin que l'ambiguïté entourant la mention « manque de
respect » se trouve en partie résorbée. En effet, le pourcentage se relève légèrement
dans le classement des deux défauts les plus graves. On peut donc penser
qu'effectivement les enseignants se heurtent peu au manque de respect des enfants, mais
qu'à l'occasion, ils lui accordent une certaine importance.
4° Les programmes
En abordant le chapitre des programmes, nous avons voulu essentiellement
connaître l'opinion des enseignants sur les problèmes suivants : les programmes
répondent-ils à leur vocation, c'est-à-dire sont-ils suffisamment équilibréfS, bien
adaptés au niveau des enfants ? Leur contenu est-il en rapport avec l'utilisation que
peut en faire l'élève au dehors de l'école ?
Les termes des réponses ayant été numérotés de 1 à 8, les résultats sont à
lire de la manière suivante :
1 - trop longs 4 - au-dessus du niveau 7 - contenu utilisable
2 - équilibrés 5 - au niveau 8 - ipeu utilisable
3 - trop courts 6 - en dessous 9 - non utilisable

1 2 3 total 4 '¦ total 7 8 9 total


1

ins t. 697$ 317$ - 1007$ 477$ 517$ 27$ 1007$ 467$ 507$ 47$ 1007$

prof. 727$ 28# - 1007$ 417$ 587$ 17$ 1007$ 547$ 447$ 27$ 1007$

total 70?$ 307$ - 1007$ 447$ 547$ 27$ 1007$ 507$ 477$ 37$ 1007$

Il est évident que les maîtres, tant instituteurs que professeurs, estiment dans
une large majorité que les programmes sont trop longs pas une seule voix ne
LA CONDITION DU MAITRE 25

s'élève pour les juger trop courts. Leur adaptation au niveau des élèves est plus
controversée. Peu nombreux sont ceux qui les jugent au-dessous du niveau.
L'hésitation commence quand il s'agit de déterminer si les programmes sont supérieurs
aux possibilités des élèves ou adaptés à celles-ci, avec cependant une légère
prépondérance pour les choix « au niveau des élèves » (54 %).
La perplexité apparaît plus grande chez les instituteurs dont les pourcentages
s'équilibrent et avoisinent la moyenne. La différenciation est plus nette chez les
professeurs dont plus de la moitié (58 %) semble admettre l'adaptation des
programmes au niveau des élèves, cependant que 41 % les estiment au-dessus de la
compréhension des enfants. Jugement donc plus favorable, qui contredit en apparence
l'attitude pessimiste prise précédemment par les professeurs envers le niveau mental
des élèves, et qu'il convient d'étudier par une analyse plus fine. Sans doute, les
instituteurs jugent-ils les écoliers sur l'ensemble d'un programme comprenant
plusieurs matières, dont les résultats sont tangibles au terme d'une année de
travail. Les professeurs ont une vue beaucoup plus partielle des programmes
scolaires. Leur attitude est probablement dictée par la priorité qu'ils accordent
volontiers à leur spécialité. Ils ont tendance à juger le contenu de l'enseignement,
davantage en fonction des matières qu'ils professent, qu'en fonction des programmes
pris dans leur totalité.

au-dessus
matières.
ft?!? ril
enseignées du niveau au niveau en-dessous ;otal

Philosophie

Let très 19 +0,32 16 -0,80 -L 36

Mathématiques 12 +0,27 12 -0,26 - 24

Physique 3 -0,85 13 +0,10 ~ 16

Langues 16 +0,10 19 -0,15 - 35

Hi^toire-Géo-
8 0 .11 0 - 19

Sciences nat. 2 ~ 15
-1 , 60 13 +0,20

total des 62 84 1 147


lentions
Effectivement, si nous mettons en parallèle le nombre des disciplines enseignées
et le nombre des classements, nous distinguons trois groupes : deux groupes dont
le choix se porte préférentiellement sur l'une ou l'autre appréciation, un groupe
dont les effectifs se partagent équitablement entre les deux tendances, soit si nous
récapitulons :
groupe ayant tendance à juger « au-dessus »
(professeurs de lettres et mathématiques) 62
groupe ayant tendance à juger « au .niveau »
(professeurs de sciences naturelles et de physique) 31
groupe oscillant entre les deux tendances
(langues - histoire - géographie) 54
Or, le groupe ayant tendance à juger « au-dessus du niveau » est deux fois
plus nombreux que celui qui a tendance à juger « au niveau ». Cette distorsion
n'a-t-elle pas eu de répercussions sur les résultats ? Et peut-on valablement supposer
que, si l'inverse s'était produit, nous aurions vu le pourcentage des 58 % des
« au niveau » s'accroître ? On pourrait le penser quand nous voyons l'attitude
favorable prise par les professeurs envers les matières enseignées se confirmer par
26 S. MOLLO J. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ

la suite, puisque 54 % d'entre eux contre 46 % d'instituteurs se montrent persuadés


de l'utilité du contenu des programmes. La contradiction n'était donc qu'apparente
et le professeur reste logique avec lui-même.
En définitive, il semblerait que le pessimisme rencontré chez les professeurs
à l'égard des capacités intellectuelles des élèves trouverait principalement sa source
chez les enfants eux-mêmes, et que les deux types d'enseignants aient envisagé la
notion de programme scolaire de manière différente.
Le maître dans sa classe fait face à un certain nombre de difficultés.
Il consacre à son métier un temps variable, mais toujours important. Cependant,
si sa vie professionnelle occupe dans notre étude une large place, nous ne devons
pas négliger pour autant sa vie familiale et ses activités hors de la classe. Tous ces
éléments font partie des conditions de vie de l'enseignant, et ne sont isolés que
pour les nécessités de l'analyse.

STYLE DE VIE ET LOISIRS


La vie familiale

L'exercice de la profession apparaît-elle aux enseignants compatible avec une


vie familiale normale ?

total homme £ femmes

compatible l-r'/o 427$

compatible mais
pose des problènes 107$ 57$ 217$

pose des problèmes 307$ 207$ 617$

incompatible 2i. 17$ 17$

total lOOf* 1007$ 1007$

En poursuivant l'analyse, nous arrivons aux constatations suivantes :

1° Une opposition très nette et très significative se marque entre les opinions
des hommes et des femmes : si près des trois quarts des ihommes jugent que le
métier est absolument compatible avec leur vie familiale, seules 40 % des femmes
pensent de même.

2° Une légère opposition existe entre hommes professeurs et hommes


instituteurs, ces derniers semblent plus attentifs aux problèmes du ménage et de la famille.

3° 'Cm constate une proportion massive de « fins de carrière » qui ne se


posent guère de problèmes et semblent avoir trouvé un équilibre entre leur vie
familiale et leur vie professionnelle.
LA CONDITION DU MAITRE 27

Ces constatations s'imposent à la lecture des tableaux ci-dessous


Professeurs Instituteurs

hommes femmes hommes femmes

compatible 78 % 40 % 70 7$ 44 7$

compatible 21 % 60 % 30 55
mais pose ds
problèmes
incompatible

total 100 100 % 100 % 100 °/o

Jeunes milieu de fin de total


carrière carrière

compatible 75 40 49 164
0 -0,20 +0,20

compatible mais 57 36 24 117


pose des problè +0,10 +0,20 -0,32
Iil6 3
incompatible - 1 1 2

total 132 77 74 283

Incités à s'expliquer sur les problèmes familiaux causés par l'exercice du


métier, les enseignants ont répondu massivement et abondamment, puisque nous
avons enregistré un total de 177 mentions pour 117 personnes ayant fixé leur choix
sur : « compatible mais pose des problèmes ».
La plupart des doléances (72 %) sont exprimées par les femmes ce qui
ne saurait nous étonner la double journée de travail, un des problèmes majeurs
qui se pose à la femme d'aujourd'hui, ne pouvant être l'apanage exclusif des seules
femmes enseignantes.
La très (grande majorité des critiques se rapporte à deux problèmes
essentiels :
1° Le problème des enfants et de la tenue de la maison (54%).
Elles invoquent particulièrement le souci de faire garder pendant la journée
les enfants en bas âge ou en cas de maladie ; de plus, par suite d'horaires trop
astreignants, l'éducation des enfants n'est pas toujours possible. Dans un autre ordre
d'idées, on soulève les difficultés rencontrées pour trouver une femme de ménage
qualifiée et les charges financières qui en découlent. D'autre part, deux instituteurs
insistent sur la déformation professionnelle qui les incline à se montrer plus
exigeants et plus sévères à l'égard de leurs propres enfants.
.

2° Le problème des relations conjugales, familiales et amicales (33 %).


Là-dessus, nos enseignants se plaignent amèrement de ne pas avoir assez de
temps à consacrer à une vie familiale normale. Certains évoquent même les
difficultés soulevées par l'éloignement des postes, surtout en début de carrière où il
arrive fréquemment que le maître soit nommé dans un endroit situé loin de sa famille
et de ses amis. Quelques-uns soulignent le déséquilibre nerveux résultant de
l'exercice de la profession, et qui perturbe tant soit peu les rapports familiaux.
Enfin, trois instituteurs parlent des difficultés éprouvées lors des vacances quand
28 S. MOLLO J. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ

le conjoint n'est pas enseignant, tandis qu'un professeur mentionne la gêne causée
par des horaires ne coïncidant pas toujours avec ceux du mari ou de la femme.
3° Le problème du rythme de vie (8 %).
10 professeurs et 3 instituteurs accusent la profession d'être trop absorbante
et de leur laisser trop peu de temps à consacrer aux loisirs et à leur culture
personnelle.
Enfin, la dernière catégorie des doléances (5 %) concerne le problème des
salaires : l'insuffisance des traitements oblige les maîtres à effectuer des heures
supplémentaires (leçons particulières, garderies...). Deux enseignants mentionnent que,
du fait d'un salaire de début très faible, leur femme se trouve dans l'obligation de
travailler.
Nous rapprocherons de cette étude de la vie familiale une question
spécialement destinée aux femmes, que la Commission française pour l'Unesco avait tenu
particulièrement à voir figurer dans le questionnaire :
« Y a-t-il des problèmes spécifiques à la femme enseignante ? »
« Si oui, lesquels ?
Un quart des femmes n'a pas répondu à cette question, la jugeant peut-être
superflue ou faisant double emploi avec celle qui traitait de la compatibilité entre
métier et vie familiale. Un quart des femmes estime qu'il n'y a pas de problèmes
particuliers. Les thèmes des réponses données par les 50 % de femmes qui ont
répondu « oui » vont dans le même sens que ceux rencontrés précédemment ;
difficulté à concilier vie professionnelle et vie familiale, problème de la garde
des enfants, de leur éducation, du ménage, etc.
Pour terminer ce chapitre, nous concluerons en disant que le fait, pour les
enseignants, et surtout pour les enseignantes, de mener de front une activité
professionnelle et une activité au sein du foyer, tout en sauvegardant au mieux leur
vie conjugale et personnelle, suscite des difficultés réelles et sérieuses. Nous
pensons, toutefois, qu'elles ne sont pas spécifiques du milieu enseignant. Les mêmes
problèmes se retrouvent, peut-être avec plus d'acuité encore, dans d'autres branches
professionnelles. (1)
LES ACTIVITÉS PÉRI-SCOLAIRES DE L'ENSEIGNANT

professeurs instituteurs total

activités 237$ ¦177$


culturelles

activi-tés 737$ 627$ 677$


administratives
activités
culturelles et 217$ 137$
admini s tr ati v e s
Peu d'enseignants se consacrent exclusivement à des activités culturelles (20 %).
Par contre, plus des deux tiers se trouvent accaparés par des tâches administratives
qui absorbent la plus grande partie de leur temps. Néanmoins, 13 % de maîtres
ont réussi à équilibrer les deux choses, si bien qu'ils assument à la fois des tâches
administratives et des tâches culturelles. Ce fait se remarque plus particulièrement
chez les instituteurs (21 % contre 4%).
Les activités culturelles.
Dans l'ensemble, les réponses reflètent une grande diversité dans le choix
des activités culturelles, ainsi que nous le montre le tableau suivant :
Professeurs Instituteurs
Bibliothèque 24 % 25 %
Ciné-Club 16% 16%
Centre aéré, club de jeunes, groupes laïques, colonies
de vacances 5 % 20 %

(i) P.-H. et M.-J. Chombart de Lauwe et col. : ce La femme dans la société ».


Op. cit.
LA CONDITION DU MAITRE 29

Théâtre
Syndicat - Mutuelle 125 % 78 %
Cours d'adultes 5% 8%
Association de parents d'élèves 7%
Recherches Associations de spécialistes 9%
Associations sportives 2% 3%
Photo-club 4% 2 %
Associations culturelles et politiques 5% 1%
Divers 13% 3%
Bibliothèque et ciné-club apparaissent comme les deux occupations favorites
des enseignants. Participer à l'encadrement des mouvements de jeunesse
(patronages, colonies de vacances...) constitue une autre activité importante, mais semble
plutôt le fait des instituteurs (20 % contre 5 %). Les autres activités proposées ne
semblent guère intéresser les enseignants.
Notons en dernière analyse que les instituteurs semblent les plus nombreux
à exercer des activités culturelles, puisque 61 % des mentions proviennent de cette
catégorie d'enseignants.
Les activités administratives.
Elles s'établissent comme suit :
Professeurs Instituteurs
Conseils de classe et d'examen 88 % 34 %
Etudes du soir 47 %
Cantine 9%
Secrétariat de mairie 6%
Laboratoire 5 %
Direction d'école 4 %
Conseil intérieur 4%
Divers 3%
Ce qui nous frappe d'emblée, c'est le clivage très net qui s'observe entre les
enseignants du cycle primaire et ceux du cycle secondaire. Si plus de la moitié de
notre effectif (61 %) est accaparée par les conseils de classe et d'examen, la majeure
partie en est constituée par les professeurs qui sont deux fois plus nombreux que
les instituteurs à être chargés de cette mission. Ce fait n'a rien pour nous
surprendre. Les membres de l'enseignement secondaire étant nommés d'office à la
surveillance des examens, à la correction des copies et aux jurys des épreuves orales. Par
contre, la surveillance des études du soir et de la cantine, ainsi que les secrétariats
de mairie, incombent exclusivement aux instituteurs, mais n'ont pas un caractère
obligatoire. Pérennité de la tradition qui veut que l'instituteur soit également le pivot
de la vie municipale à la campagne !
Pour compléter le tableau des activités du maître, nous avons voulu savoir
si celui-ci exerçait une deuxième profession et si cela lui paraissait souhaitable.
Voici les pourcentages que nous avons obtenus :

total professeurs instituteurs

exerce une autse


profession 147$

n'exerce pas une


autre profession 917$ 977*

Ici, les chiffres parlent d'eux-mêmes et sans équivoque. Nous pouvons


affirmer que la presque totalité des maîtres n'exerce qu'une seule profession hormis
un petit nombre (9 %) qui se distingue de la masse. A leur égard, il convient de
noter la différence significative qui existe entre professeurs et instituteurs, ces
derniers étant les plus nombreux. Est-ce par convenance personnelle ou par souci
de compenser un maigre salaire ? Nous le verrons en poursuivant l'analyse de cette
question.
En quoi consiste cette deuxième profession ?
Parmi les professeurs, nous comptons :
30 S. MOLLO /. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ

~~ 1 rééducateur d'enfants dyslexiques


1 maire, conseiller général
1 critique littéraire
Parmi les instituteurs :
12 secrétaires de mairie
1 correspondant de presse
1 chargé de cours
Dix professeurs et instituteurs ont omis de préciser la nature de leur deuxième
occupation professionnelle.
Cette deuxième profession leur paraît-elle souhaitable ou non ?
Parmi ceux qui exercent une seconde profession, nous avons deux tiers de non-
réponses. Près de la moitié de ceux qui ont répondu l'estime souhaitable.
Parmi ceux qui n'exercent qu'une seule profession, 10 % se prononcent en faveur
d'une autre occupation.
Au total, 13 % d'enseignants se montrent ipartisans de l'exercice d'une
deuxième activité professionnelle.
Il apparaît intéressant d'étudier les raisons avancées par ces enseignants pour
justifier leur position.
Réponses favorables :
Une1 deuxième profession leur paraît souhaitable en fonction des critères
suivants :
Avantages pécuniaires : 14 instituteurs et professeurs évoquent les avantages
pécuniaires procurés par un travail supplémentaire ; les instituteurs notamment,
mettent en avant l'insuffisance de leur traitement. L'un d'eux, en fin de carrière,
précise « surtout quand il n'y a qu'un seul traitement ».
Sortir du milieu enseignant est également un argument très employé. Les
commentaires vont bon train sur la nécessité de s'évader du monde clos que
constitue le milieu enseignant. Une autre activité permet « de sortir du monde
enseignant, d'avoir d'autres centres d'intérêt », nous disent trois instituteurs. Un autre
de leurs collègues s'exprime ainsi : « Au village, il est bon que l'instituteur soit
aussi secrétaire de mairie, c'est le clerc qui conseille tout le monde, reçoit les
confidences, débrouille les situations délicates. »
De même un professeur proclame : « C'est souhaitable pour intégrer le
professeur au monde des adultes pour éviter la polarisation et le rétrécissement
de l'esprit dû à un travail trop absorbant. » tandis qu'un jeune trouve que « le
professeur tatillon et étroit n'est pas un mythe ». Le critique littéraire émet ce
jugement péremptoire : « Une seconde profession permet d'échapper à la
médiocrité du milieu professionnel et à son naroissime collectif. »
Enrichissement pour le métier : deux instituteurs, secrétaires de mairie,
justifient ainsi leur activité : « Elle fournit l'occasion d'entrer en contact direct avec
la population et les parents » et elle « procure des facilités pour l'achat du
matériel scolaire et pour les relations avec la municipalité. » Le rééducateur
pense que « c'est éclairant pour son métier ».
Raisons non favorables :
A l'appui de leur position, les enseignants hostiles à l'exercice d'une deuxième
profession font intervenir les arguments suivants :
Le manque de temps 27 instituteurs évoquent le peu de temps disponible,
ce qui s'oppose à l'exercice d'une autre profession.
Incompatible avec le métier d'enseignant ipensent 16 instituteurs C'est «
impossible avec la mission de l'éducateur qui exige un plein temps », dit l'un d'eux
tandis qu'un professeur juge l'exercice d'une seconde profession «
incompatible avec l'exercice sérieux du métier, étant donné le travail nécessaire :
connaître et comprendre les élèves exige du temps ce serait écrasant »
La fatigue nerveuse est évoquée par 10 instituteurs
C'est impossible pour une femme, répondent 10 institutrices.
La nécessité des loisirs est soulevée par 9 instituteurs : « Il faut du temps pour
les loisirs nécessaires â la culture. i»
D'autres se montrent moins catégoriques : tout en ne souhaitant pas exercer
une deuxième profession, ils pensent qu'elle « serait utile pour établir des contacts
avec d'autres groupes sociaux. » Un professeur ajoute « qu'un violon d'Ingres, des
activités culturelles et politiques sont enrichissants pour l'enseignant. »
Pour clore ce paragraphe, il ressort des justifications recueillies auprès des
enseignants que le pourcentage plus important d'instituteurs exerçant une deuxième
profession provient du désir éprouvé par certains d'entre eux d'élargir leur horizon
LA CONDITION DU MAITRE 31

social. Mais leurs activités municipales sont plus un appoint financier nécessaire
qu'une prise de contact avec d'autres milieux sociaux.
Ajoutons enfin que les enseignants n'envisagent pas vraiment d'exercer une
deuxième profession. Ils choisissent en général des activités peu astreignantes, ayant
une valeur culturelle, intellectuelle ou sociale.
LES LOISIRS
Jusqu'à présent, nous avons vu comment vivent nos maîtres dans leur milieu
professionnel et familial. Nous les avons également observés à travers leurs diverses
activités extra-scolaires. Ix tableau ne serait pas complet, si nous n'envisagions
maintenant d'y introduire le domaine des loisirs.
A la question « combien d'heures de loisirs avez-vous par semaine ? » les
enseignants montrent une grande réticence puisque 40 % n'ont pas répondu. Ce
mutisme s'aggrave notamment chez les professeurs, presque la moitié s'étant abstenue,
alors que les deux 'tiers ides instituteurs ont répondu. La question a-t-elle été jugée
peu digne d'intérêt ou la récapitulation des heures de loisirs réparties tout au
long de la semaine leur a-t-elle paru fastidieuse ? Le fait est là et nous n'y pouvons
rien. Par force, nous nous sommes contentés des réponses provenant des plus
bavards ou des moins méfiants, pour tâcher de nous faire une idée approximative
du temps de loisirs dont disposent les maîtres. Nous sommes arrivés aux résultats
suivants : la moitié des enseignants du secteur primaire et du secteur secondaire
dispose d'une journée complète de repos 45 % disposent de deux journées
enfin, une petite minorité de 5 % est l'heureuse bénéficiaire de trois jours de congé.
Nous avons demandé ensuite aux enseignants : « A quoi consacrez-vous
votre temps de loisirs ? » Autant la première partie de la question avait suscité
de répugnance chez les maîtres, autant cette deuxième partie les a inspirés, puisque
nous avons recueilli 704 mentions, soit une moyenne de 2,4 réponses par individu.
Le détail des occupations favorites des enseignants pendant leur temps de
loisirs nous est communiqué par le tableau ci-dessous :

professeurs instituteurs total

vie familiale 12 5 -0,09 126 +0,09 2 51 367$

culture prof essionnella 102 0 94 0 196 287$

sports jardin-pêche 45 -0,19 47 +0,10 92 137$

culture personnelle 33 19
lecture +0,28 -0,40 52 77$

préparation d'un exameit +0,15 19 -0,20 45 77$

Arts (spectacles-pein-
ture-musique télé. ) 24 +0,09 20 -0,10 44 67$

vie sociale - amitiés 4 -0,09 4 +0,09 8 17$

vi.e politique et 3 -0,09 3 +0,09 6 17$


syndicale

divers 6 4 10 17$

total 368 336 704 100 f»


32 S. MOLLO /. GUYARD L. LECLERC- RODRIGUEZ

Constatatons, tout d'abord, la place prépondérante prise par la vie familiale


et la culture professionnelle qui absorbent le temps de près des deux tiers de nos
enquêtes (64 %) Les activités de plein air (sports, jardin, pêche...) viennent
ensuite.
Les activités purement artistiques obtiennent peu de succès : 6 % seulement
les mentionnent (encore faut-il compter dans ce pourcentage les amateurs de
télévision). Les préoccupations sociales, politiques et syndicales ne représentent que 2 %
des choix. Nous avions déjà constaté ce fait, à l'occasion de l'examen des activités
extra-scolaires du maître.
Si peu de grandes différences séparent les instituteurs des professeurs dans
l'aménagement des temps de loisirs, notons toutefois que les instituteurs se consacrent
un peu plus que leurs collègues aux activités de plein air. Par contre, les
professeurs sont plus soucieux de culture personnelle et se montrent plus ambitieux pour
leur avenir professionnel. En effet, 40 % de professeurs réservent une partie de
leur temps de loisirs à la culture personnelle et à la préparation d'un examen, contre
26 % d'instituteurs.
Curieux de connaître les motivations qui poussent les enseignants à préparer
un examen (est-ce pour quitter l'enseignement ou pour améliorer leur situation ?),
nous les avons interrogés à ce sujet.
Les motivations sont les suivantes :
Professeurs Instituteurs
Pour quitter l'enseignement 10 %
Pour améliorer sa situation dans l'enseignement 80 % 80 %
¦ Quitter ou améliorer 5%
Intérêt intellectuel ^ 10 % 15 %
Nous voyons que peu songent à quitter renseignement. La raison qui pousse
éventuellement les deux types d'enseignants à préparer un examen réside
essentiel ement dans leur souci d'améliorer leur situation, plus que par intérêt intellectuel.
Parmi les 26 professeurs exprimant ce désir, deux souhaitent en particulier quitter
le secondaire pour renseignement supérieur. Enfin un professeur suit un « cours de
3e cycle pour rester dans le coup et suivre ce que. la recherche apporte de neuf ».
LES RELATIONS HUMAINES
Voioi les résultats de deux questions qui se recoupent et que nous allons
traiter ensemble :
Avez-vous établi des relations amicales avec des collègues ?
1 de votre établissement oui - non
2 appartenant à d'autres établissements scolaires oui - non
Avez-vous des amis non enseignants
la plupart - autant que d'enseignants - -peu - aucun
Relations avec les collègues
Sur un total de 274 sujets qui répondent au premier point : 94 % de l'ensemble
entretiennent de bons rapports avec leurs collègues, qu'ils soient dans leur
établissement ou à l'extérieur. Mais si 89 % de professeurs et 87 % d'instituteurs ont des
relations amicales avec les collègues de leur établissement, 56 % seulement des
professeurs ont des amis dans d'autres écoles, contre 86 % d'instituteurs.
'

On constate donc un cloisonnement du milieu professionnel beaucoup plus grand


dans renseignement du second degré.
Relations avec d'autres milieux
26 % de professeurs et d'instituteurs recrutent essentiellement leurs amis
en dehors du milieu enseignant.
40 % de professeurs et 46 % d'instituteurs nouent des amitiés aussi bien
dans le milieu professionnel qu'en dehors.
34 % de professeurs et 28 % d'instituteurs ont très peu d'amis non
enseignants.
En additionnant les réponses « la plupart » et « autant nous trouvons
que 68 % des enseignants élargissent leur horizon social en choisissant des amis à
l'extérieur de la profession. Cependant pour les 32 % restants qui affirment avoir
peu ou aucun ami non enseignant, subsiste une ambiguïté. Faut-il comprendre que
le fait de répondre « peu » ou « aucun » signifie que l'enseignant restreint ses
contacts sociaux au seul milieu enseignant ou bien qu'il a tendance à se lier très peu
avec sas semblables ?
LA CONDITION DU MAITRE 33

Nous serons mieux placés pour résoudre ce problème si nous rapprochons


ces résultats de ceux donnés précédemment :

Amis nonenseignants

la plui- autant que


part d 'enseigiariÇ peu aucun total

41 94 50 190

oui-non 20 23 19 6 68

non- oui 4 7 5 2 18

non-non. 10 2 4 1 17

total 73 126 78 14 293

Nous voyons que la majeure partie des enseignants qui affirment ne pas
entretenir de relations amicales avec leurs collègues aussi bien à l'intérieur de
l'établissement qu'en dehors (réponses non - non) cnt la plupart de leurs amis
en dehors du milieu enseignant. Parmi les 92 sujets ayant répondu « peu » ou
« aucun » ami hors de l'enseignement, 87 entretiennent des relations amicales avec
des collègues. Nous pouvons donc valablement conclure que ce pourcentage de 32 %
signifie que ces maîtres choisissent presque exclusivement leurs amis dans le milieu
professionnel.
Nous concluerons ce chapitre des relations humaines avec une question plus
particulière qui permet de voir comment se jugent les enseignants, par rapport aux
autres milieux professionnels.
« Les employés d'une même entreprise privée s'entendent-ils mieux aussi
bien moins bien que les membres d'un même établissement scolaire ? »
mieux aussi bien moins bien
Professeurs 15 % 67 % 18 %
Instituteurs 7 % 71 % 22 %
Les deux tiers des maîtres pensent que les relations entre collègues d'une
entreprise privée sont aussi bonnes que dans le milieu enseignant : 11 % vont plus
loin et les estiment meilleures dans le privé. Par contre, 20 % ont une attitude plus
optimiste à l'égard de leur profession, et privilégient les relations humaines à
l'intérieur du milieu enseignant, au détriment de celles du secteur privé.
Mais, dans l'ensemble, les maîtres ne jugent pas leur situation exceptionnelle
quand elle est envisagée sous l'angle de la camaraderie intra-corporative.

Conclusion
A la fin de cette preimjère partie nous pouvons esquisser une certaine image
du maître et de sa profession ; certains aspects méritent de retenir notre attention.
L'enseignant appartient généralement aux classes moyennes la carrière
de l'enseignement n'en constituant pas moins un puissant facteur de promotion
sociale pour les enfants issus des milieux populaires.
L'enseignant est en général marié et a des enfants ; il choisit de préférence
son conjoint dans la profession ou dans une autre profession intellectuelle.
Sa vie professionnelle n'est pas incompatible avec sa vie familiale, mais
leur juxtaposition lui pose des problèmes : ainsi les horaires de travail, la préparation
34 S. MOLLO J. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ

des cours, les tâches administratives extra-scolaires absorbent une grande partie de
son temps et laissent peu de place aux loisirs. Ceux-ci sont consacrés pour une
large part à la vie familiale et à la culture professionnelle.
Le maître choisit volontiers ses amis dans son milieu professionnel.
Il entretient en général de bons rapports avec ses collègues.
Dans sa classe, le maître regrette de constater le « niveau très moyen »
des élèves dont les principaux défauts sont l'inattention et la paresse. Même s'il
est tenté par la pédagogie nouvelle, il se réfère plus volontiers à des méthodes
traditionnelles, alléguant le nombre trop élevé d'enfants par classe, les programmes
souvent mal équilibrés et beaucoup trop longs, le manque de moyens matériels.
Nous voici parvenus au terme de la partie descriptive de notre étude. Les
premiers résultats acquis permettent d'esquisser dans ses grandes lignes un portrait,
somme toute assez banal, de la vie quotidienne et des conditions de travail des
enseignants. Cependant, cette étape était nécessaire pour entreprendre une analyse
plus en profondeur de la représentation que le maître se fait de sa situation.
Il faut remarquer que ces données descriptives ont amené les enseignants à
des prises de position vigoureuses, qui mêlent réalité et représentation.
Les protestations qui s'élèvent contre les difficultés matérielles de tous ordres
sont d'autant plus vives qu'elles sont ressenties comme des obstacles aux
engagements que le maître a pris vis-à^vis de ses élèves, et qu'elles dénaturent l'idée
qu'il se fait de sa profession
Ainsi les problèmes psycho-sociologiques qui apparaissent spontanément au
niveau d'une étude descriptive, montrent-ils la nécessité d'étudier la représentation
que le maître se fait de son métier et de sa situation dans la société.

Deuxième partie :

REPRÉSENTATION DE LA CONDITION DU MAITRE


DANS LA SOCIÉTÉ

Compte tenu du temps et des moyens qui nous étaient impartis, il ne pouvait
être question d'analyser dans son ensemble la représentation que les maîtres se font
de leur condition. Aussi nous sommes-nous limités à l'étude de quelques points
importants.
Nous avons proposé aux enseignants de comparer leur situation à celles
qu'ils supposent à d'autres catégories socio-professionnelles. Le fait de se situer dans
la société amène une meilleure prise de conscience de sa propre condition. L'image
que le maître donne de sa profession s'appuie sur toute une conception de la
société. Aux sollicitations des enquêteurs il a réagi en fonction d'une situation
vécue, dont la vie professionnelle n'est qu'un aspect ; les rôles et les statuts de
l'homme dans la vie sociale sont solidaires.
L'image de la situation de l'enseignant dans la société qui fait l'objet
du chapitre III nous permettra d'appréhender la distance qui sépare la situation
souhaitée de la situation vécue. De cette distance, naît ce qu'il est devenu banal
d'appeler le malaise de l'enseignant, et qui s'exprime par des attitudes et des
aspirations, dont nous étudierons quelques exemples au chapitre IV.
Mais notons, dès maintenant, que les maîtres sont loin d'avoir une attitude
purement négative. L'exercice de leur profession leur apporte des satisfactions
d'ordre psychologique et intellectuel auxquelles ils sont profondément attachés. Même
s'ils savent à l'occasion le nuancer d'humour ou de rancune, les enseignants parlent
fréquemment de leur métier en terme de vocation.
Qui l'emportera de ce duel que se livrent actuellement le découragement et
l'enthousiasme ? Ce n'est pas à nous de répondre, l'enseignant lui-même concluera.
LA CONDITION DU MAITRE 35

Chapitre III

IMAGE DE LA SITUATION
DE LA PROFESSION DANS LA SOCIÉTÉ

QUELLE PLACE SE DONNENT LES MAITRES DANS LA SOCIÉTÉ

Ce problème est abordé spontanément dans les commentaires suscités par


certaines parties du questionnaire, mais nous avons voulu poser la question
directement. Cette brutalité a fait parfois éclater l'hostilité latente que certains enseignants
nourrissent à l'égard de la « société ».

Nous avons demandé aux maîtres de classer par ordre d'importance dans la
société une liste de huit professions choisies dans différentes catégories
socioprofessionnelles définies par l'I.N.S.E.E. L'instituteur et le professeur étaient
représentés, ainsi que deux professions du même groupe. La liste était complétée par des
professions situées par l'I.N.S.E.E. dans des catégories immédiatement supérieures
ou inférieures à celles des enseignants. Dans les classifications effectuées par les
maîtres, la notion d'importance dans la société correspond à une notion de prestige
fortement teintée d'utilité.

1) Résultats donnés par les professeurs.

professions citée
en 1 en 2 en 3 en 4 en 5 en b en 7 en 8

mgeni eur 157$ 537$ 22 e/» Atr'


Q/0 W
±/0 -i of
X.,0

instituteur 297$ 97$ 8£ 337$ 117$ 77$ 3/o -

gérant d 'immeubles - - kfi 117$ J I/o 187$ 117$ 557$

Electricien
chantier de 17$ lf$ 27$ 97$ 15 fo 317$ 227$ 37$

dessinateur - - 27$ 137$ 297$ 315' 227$ 37$

ambassadeur 527$ 57$ 57$ 107$ 5f$ 17$ 127$ .107$

professeur
second degrédu. 67$ 307$ 577$ 57$ 1$ 17$ - -

mécanicien - 27$ 2"$ 117$ 237$ 197$ 217$ 22f$


réparateur
36 S. MOLLO J. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ

2) Résultats donnés par les instituteurs

professions citée
en 1 en 2 en 3 en 4 en 5 en 6 en 7 en 8
i.
ingénieur 2 47$ 427$ 267$ 67$ 2%

instituteur 217$ 117$ 127$ 397$ 207$ 47$ 27$ 17$

gérant dlrameubles' 17$ 17$ 6fo 17$ 137$ 107$ 167$ 527$

électricien de - 3% 17$ 157$ 137$ 2 57$ 36% 117$


chantier

dessinateur - 17$ 5fo 157$ 397$ 307$ 77$ 57$

ambassadeur 467$ 107$ 67$ 77$ 1% 6f$ 137$ 117$

professeur du 97$ 327$ 447$ 87$ 37$ 3% 17$ -


second degré
mécanicien 17$ 17$ 37$ 117$ 177$ 227$ 2 57$ 207$
réparateur

Les enseignants, quel que soit leur titre, ont la même vision de la société.
Dans les deux tableaux, on retrouve le classement moyen suivant :
1 Ambassadeur.
2 Ingénieur.
3 Professeur de lycée.
4 Instituteur.
5 Dessinateur.
6 Mécanicien-électricien.
7 Gérant d'immeubles.
Globalement, le respect des professions à prestige apparaît avec évidence.
L'ambassadeur est en tête, l'ingénieur arrive en seconde position, alors que le gérant
d'immeubles est rejeté en queue du classement : méconnaissance et mépris de ces
professions d'argent qui exigent sans doute plus d'habileté que de diplômes. Les
nombreux points d'exclamation qui, dans le questionnaire, accompagnent cette
profession, indiquent assez combien les maîtres sont hostiles, mais désarmés.
La moitié des maîtres met l'ambassadeur en première position dans l'échelle
sociale, mais une forte minorité le renvoie aux dernières places.
D'autre part, les maîtres admettent difficilement que l'importance de leur
rôle ne soit pas nettement admise. Plus du tiers des instituteurs et des professeurs
mettent leur profession aux deux premières places du classement. De façon encore
plus caractéristique, 29 % des professeurs accordent le rôle prépondérant dans la
société à l'instituteur, et plusieurs soulignent en note qu'il ne peut y avoir de
rôle plus important que la formation des générations futures.
Le sentiment de la valeur du travail pédagogique est donc très fort chez les
enseignants, et ceux-ci souffrent de voir que la société ne le reconnaît guère, tant
par le prestige qu'elle leur accorde que par les traitements qu'elle leur sert.
Remarquons aussi que les instituteurs mettent la situation du professeur au-dessus
de la leur : 85 % lui accordent les trois premières places, pour 44 % en faveur de
leur propre spécialité : prestige du secondaire, qui représente pour l'instituteur
l'indice d'une promotion sociale, à l'intérieur même de sa branche professionnelle.
Constatons, enfin, que les maîtres connaissent mal les professions manuelles
et les catégories d'employés. Alors que 90 % d'entre eux sont d'accord, à une place
LA CONDITION DU MAITRE 37

près, sur le rang du professeur ou de l'ingénieur, les classements du mécanicien, de


l'électricien ou du dessinateur oscillent de la 4e à la 8e place. Beaucoup même
n'ont pas voulu classer ces professions. Il serait intéressant de savoir si les catégories
socio-professionnelles citées connaissent bien à leur tour le rôle de l'enseignant
dans la société. Si la question leur était posée n'aurait-on pas des surprises,
qui nous permettraient peut-être de mesurer l'incompréhension réciproque des
groupes socio-professionnels ?
EN FONCTION DE QUELS CRITÈRES FAUT-IL
CALCULER LE TRAITEMENT DES ENSEIGNANTS ?
Après avoir effectué ce classement, les maîtres ont répondu à la question
suivante :
« Estimez-vous que votre traitement doit être déterminé en fonction de la
place que vous avez choisie dans la hiérarchie ci-dessus ?» oui - non.
« Estimez-vous qu'il faut prendre en considération d'autres éléments ?
Lesquels ? »
La première partie a donné lieu à des réponses nuancées. 58 % des enseignants
qui ont répondu estiment que le traitement doit être déterminé en fonction de la
place qu'ils ont choisie dans la hiérarchie sociale, indépendamment du rang choisi.
Mais 51 % des professeurs qui ont mis leur métier à la première ou à la seconde
place, estiment que ce rang doit guider le calcul du traitement. 36 % seulement
d'instituteurs pensent de même.
Dans la deuxième partie, les deux tiers des maîtres font intervenir d'autres
éléments que la hiérarchie, pour la détermination des traitements.
Encore une fois, prestige social et situation financière sont nettement séparés,
mais le minimum financier nécessaire pour que le prestige puisse apparaître n'est
pas atteint en particulier pour les jeunes (ceci est souligné même par les maîtres
en fin de carrière).
Ce sont donc « d'autres éléments » qui, pour les enseignants, doivent
intervenir à côté de la nécessité de pouvoir « tenir son rang ». Ces éléments seront
maintenant énumérés par ordre de fréquence :
1) Niveau, difficulté et longueur des études :
68 personnes soulignent l'ampleur des exigences qui sont réclamées au futur
maître. Après le baccalauréat, il faut un an pour former un instituteur. Il faut deux
années d'études supérieures pour avoir la possibilité d'enseigner dans un C.E.G. et
cinq à six années d'études supérieures pour devenir professeur de lycée.
Une analyse plus fine permet de dégager certaines caractéristiques des études
qui sont jugées par les enseignants :
très sélectives : la difficulté des concours fait que beaucoup tombent en
route. Choisir l'enseignement c'est courir un risque d'échec qui peut être
grave.
épuisantes : le rythme annuel des examens ne laisse aucun répit.
coûteuses : les I.P.E.S. (1), en nombre restreint,' sont de création récente.
Pour beaucoup, les études représentent un investissement très important...
et peu rentable.
longues : la longueur des études demandées, surtout pour les professeurs,
représente une perte d'argent importante.
2) Responsabilité vis-à-vis des jeunes et de la société
Le sens des responsabilités paraît très développé, aussi bien chez les
professeurs que chez les instituteurs.
Ce terme est particulièrement employé par 23 enseignants :
a) vis-à-vis de l'enfant : le maître l'éduque « pour la vie », lui donne « le
goût du beau, du vrai et de l'utile ». Son importance est primordiale pour
« la formation intellectuelle ».
b) vis-à-vis de la société : le maître est profondément convaincu de son
« utilité », de son « importance sociale » dans la vie de la nation. Par la

(i) I.P.E.S. Institut de Préparation à l'Enseignement Secondaire.


38 S. MOULD J. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ

« valeur du travail accompli », il contribue au développement économique


du pays, en formant les jeunes cadres indispensables pour assurer «
l'avenir des sociétés modernes ». Un professeur insiste sur « l'importance que
peuvent avoir la santé et l'équilibre intellectuel, moral, politique, social
des futurs cadres d'une nation » et il conclut : « L'acquisition d'un
jugement sain et droit dépend de l'enseignement secondaire. »
c) rayonnement de l'Université et des élites qu'elle forme : un professeur
parle de la « noblesse intrinsèque d'une tâche dont dépend tout l'avenir »,
tandis qu'un autre s'enorgueillit de contribuer à la « formation des élites ».
3) Besoins culturels, familiaux et sociaux :
Sur» ce point les plaintes sont également nombreuses. La qualification exigée
et les responsabilités sont cependant toujours citées en priorité ; on trouve après :
la nécessité d'un meilleur traitement pour les besoins culturels inhérents à
la profession : le maître doit pouvoir s'acheter des livres, aller au spectacle, suivre
des cours, approfondir en permanence sa culture et élever sans cesse la qualité de
son enseignement. Il est « impossible », dit un professeur en fin de carrière, « de
constituer une bibliothèque qu'il faudrait renouveler, de participer à des congrès
d'information, sans indemnisation ». La protestation est aussi vive chez les jeunes.
« Le traitement de début d'un professeur chargé de famille interdit tout achat de
livres, pourtant instruments de travail indispensables ».
La nécessité de « voyages d'études à l'étranger » est fréquemment évoquée
« surtout pour les linguistes ». « Les bourses ne sont accordées qu'aux plus jeunes
comme si après 45 ans on n'avait plus besoin de reprendre contact », s'indigne un
professeur âgé.
la nécessité d'une vie matérielle normale et décente. Ce point est abordé
essentiellement par les débutants dont les traitements se révèlent insuffisants pour
subvenir aux besoins d'une famille. En conséquence, la femme doit travailler, tout
en élevant des enfants en bas âge. Le logement est trop étroit (problème du premier
poste). Le travail noir s'impose partout comme palliatif des ressources financières
médiocres.
Le ton des jeunes est souvent très amer. « C'est un scandale de donner aux
jeunes maîtres 550 francs par mois. » Il est « inadmissible de compter sur les à-côtés
pour faire vivre une famille ». Plusieurs suggèrent un relèvement des traitements de
début, estimant que « la variation du salaire selcn l'ancienneté est abusive ». Deux
instituteurs proposent notamment l'établissement d'un ce salaire fixé surtout d'après
les conditions sociales et familiales, avec une part hiérarchisée bien moindre,
proportionnelle aux responsabilités du métier ».
la différence abusive de salaire avec les professions équivalentes est
ressentie comme une injustice sociale par nos maîtres. Qu'à niveau égal, les mêmes droits
ne leur soient pas reconnus blesse profondément leur fierté d'éducateur de la
jeunesse. L'amertume s'exhale en des phrases virulentes : « La formation
professionnelle et culturelle devrait être plus profonde pour l'instituteur, donc son traitement
devrait être supérieur à celui de l'ingénieur. Il est plus facile de construire un pont
qu'un homme. » « Beaucoup de fonctionnaires et de commerçants touchent trop
par rapport à la responsabilité engagée, au travail effectué et même à l'intelligence. »
« La durée des études d'un agrégé, les frais de représentation d'un ambassadeur ne
permettent pas qu'ils soient moins payés qu'un instituteur qui, cependant, me
paraît plus utile. » « Il est illogique de voir des élèves sortant d'un C.E.T. (1)
après 2 - 3 ans d'études, toucher un salaire parfois double de celui de leurs
professeurs. » « Un adjudant de l'armée gagne autant qu'un professeur les
commerçants bien plus. Les médecins, avec un niveau intellectuel analogue,
bénéficient d'un traitement triple ou quadruple. »
Plusieurs, estimant qu'ils ont un « certain rang à tenir dans la société »,
insistent sur la nécessité d'un « standing de vie comparable à celui des carrières
libérales ». Faute de pouvoir tenir ce rang, le maître se heurte au manque de
considération du public. « U n'est pas normal que le professeur, qui a des
responsabilités humaines importantes, ne soit pas considéré parce qu'il est peu payé », se
plaint un jeune professeur. Un autre constate avec amertume que « l'insuffisance des

(i) C.E.T. Collège d'Enseignement Technique.


LA CONDITION DU MAITRE 39

salaires » a pour conséquence le manque de considération. « Une partie des cadres


nous considère avec commisération, cela devient du mépris chez les gens qui doivent
leur fortune au commerce et, bien entendu, leurs enfants font écho. »
4) Valeur personnelle et valeur professionnelle
Toutes ces revendications ont pour point de départ la conscience aiguë que
les enseignants ont de leur valeur personnelle et professionnelle. En toute bonne
foi, ils estiment que le « niveau intellectuel », « la compétence », les « qualités
humaines ou techniques », exigées par la profession, leur confèrent des droits et les
placent au tout premier plan de la hiérarchie sociale.
Ils insistent sur « l'énorme travail qu'impose ce métier » et « la qualité du
travail fourni », la difficulté Tésidant dans le fait de « s'adresser à des êtres
humains », qu'on ne peut traiter comme un matériel quelconque, mais qui demande
respect et amour.
5) Conditions de travail pénibles
La fatigue nerveuse et le surmenage grandissent avec les classes surchargées ;
la fréquence des maladies mentales augmente de façon inquiétante. Le niveau scolaire
des élèves diminue et exige un effort supplémentaire. Les salles sont mal équipées.
Compte tenu des tâches annexes (réunions, uvres pré-scolaires ou postscolaires,
etc.), quasi-inévitables, les horaires deviennent très lourds, surtout pour les
instituteurs. L'un d'eux définit « le drame de l'enseignant » : « Beaucoup de devoirs et
aucun droit (cf. accidents d'élèves, parti-pris d'un supérieur, hostilité d'une
population). »
La coupure avec le milieu familial, le vide intellectuel des postes déshérités,
l'instabilité des premières années aggravent la situation. « La rémunération doit
compenser les désavantages provenant du fait qu'on est rarement nommé dans le
poste demandé », propose en particulier un professeur.
6) La pénurie en maîtres valables
La crise de recrutement due sans doute à l'attrait des hauts salaires offerts
par le secteur privé est très grave pour l'avenir de la profession. Cette crise, surtout
sensible chez les hommes, entraîne une baisse notable de la qualification
professionnelle, ce qui risque de discréditer la profession.
En remède à cette pénurie, tous commencent par rejeter des « solutions de
fortune ». Ils préféreraient que les jeunes soient attirés dans la profession par une
« augmentation massive des traitements », surtout en début de carrière.
« Il faut payer les enseignants », dit un instituteur, « afin de ne plus devoir
recruter un personnel d'occasion n'ayant pas conscience de l'importance morale et
sociale de son rôle. Le niveau moral et professionnel des instituteurs accuse une
baisse catastrophique pour l'avenir de notre jeunesse ». De même, un professeur
insiste sur la « nécessité de valoriser la fonction enseignante dans une société qui
se veut évoluée et en progrès régulieT ». Faute de quoi « l'élite quitte de plus
en plus l'enseignement » et « dans quelques années il n'y aura plus de candidats
à renseignement ».
Plusieurs maîtres notent, en contrepartie, qu'il convient de faire valoir les
longues vacances (rendues cependant nécessaires par la fatigue nerveuse) et le
logement souvent gratuit attribué aux instituteurs.
En rappelant que les arguments ont été indiqués ici par ordre de fréquence,
nous constatons que deux éléments interviennent en faveur d'une nouvelle
détermination des traitements : la valeur d'études nécessairement prolongées et les
responsabilités vis-à-vis de la société. La comparaison avec les professions équivalentes,
qui fait apparaître plus cruellement encore l'écart existant entre les traitements du
secteur privé et ceux de la fonction enseignante, provoque une amertume qui va
parfois jusqu'au découragement. L'importance des activités culturelles et des heures
consacrées à la préparation des cours et aux corrections prouve que la conscience
professionnelle reste très élevée. N'est-ce pas, en définitive, dans leur classe que
beaucoup de maîtres se réfugient, pour retrouver la fierté du travail que la société
ne reconnaît plus ?
LE NIVEAU DE VIE DE L'ENSEIGNANT
Pour mieux appréhender l'image que le maître se fait de la société, nous
avons voulu savoir comment il appréciait son niveau de vie par rapport à celui
des autres couches de la société. Dans ce but, nous avons tout d'abord demandé
40 S. MOLLO /. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ

aux maîtres de se situer en répondant à la question : « Trouvez-vous que votre


niveau de vie est égal, supérieur ou inférieur à la place que vous occupez dans
la société ? »
Nous avons enregistré les résultats suivants :
Professeurs Instituteurs Total
Inférieur 78 % 60 % 69 %
Egal 21 % 39 % 30 %
Supérieur 1 % 1 % 1 %
L'insuffisance des traitements des enseignants, qui retentit avec persistance
comme un leitmotiv tout au long de cette enquête, ressort de nouveau avec vigueur.
Les maîtres s'expriment sans ambages sur les motifs de leur rancur : 69 % estiment
avoir un niveau de vie inférieur à celui qui devrait être le leur. La protestation
est particulièrement vive chez les professeurs. Elle croît au fur et à mesure que le
milieu d'origine est plus élevé dans l'échelle sociale (le maximum de
mécontentement se trouve dans les catégories D et E (1) de 1T.N.S.E.E.), mais sans que Iss
écarts soient significatifs. A ce propos, il convient de remarquer que, parmi les
enseignants issus de milieux aisés, les instituteurs se montrent les plus mécontents.
Pour ceux-ci, le contraste est d'autant plus frappant qu'ils sont mieux à même que
les professeurs de comparer, à leur désavantage, la situation de leurs parents et
leur niveau de vie actuel, surtout quand il s'agit de débutants dans la profession.
Cependant, deux enseignants ont trouvé leur revenu supérieur à ce qu'il
devrait être, tandis qu'une minorité appréciable, d'origine rurale ou ouvrière,
s'estime à peu près satisfaite.
La question suivante : « Par rapport à la génération précédente vous estimez-
vous avantagés, désavantagés, dans une situation équivalente ? », nous a permis
de connaître l'opinion des enseignants sur l'évolution de leur profession, pendant
ces dernières années.
Cette deuxième question permettait aux maîtres de situer leur niveau de vie,
par rapport à celui de la génération qui a enseigné entre les deux guerres. Le
jugement, subjectif, étant donné le manque d'information de la majorité des maîtres
sur cette période, est néanmoins très révélateur de cet état d'esprit dépressif, qui
caractérise les enseignants actuellement en exercice.
Professeurs Instituteurs Total
Avantagés 30 % 66 % 48 %
Désavantagés 65 % 26 % 45 %
Même situation 5% 8% 7%
Cette fois, l'opposition des catégories éclate. Les deux tiers des professeurs
s'estiment désavantagés, la même proportion d'instituteurs juge sa situation améliorée.
Ceci confirme le ton général plus mécontent ou plus amer des réponses des
professeurs : hommes ou femmes, jeunes ou anciens sont d'accord pour constater la
dégradation de leur situation sauf un groupe d'un tiers, plus sensible aux facilités de
promotion et de mutation.
Chez les instituteurs la satisfaction révèle plus de subtilités. En résumé disons
que les jeunes (75 %) et les anciens (73 %) se trouvent satisfaits, tandis que les
maîtres en milieu de carrière sont beaucoup plus partagés (46 % se trouvent
avantagés, mais 42 % désavantagés). Sans doute chez les débutants l'enthousiasme est-il
encore intact, tandis qu'en fin de carrière, les très nombreuses directions d'école
arrondissent le budget et restaurent la considération. Au milieu du gué, la vie est
plus rude, l'expérience a émoussé les ardeurs du néophyte, sans contrepartie
suffisante sur le plan moral comme sur le plan financier. On regrette à la fois les
classes peu chargées d'antan et le prestige dent jouissait l'instituteur.
Pour terminer ce tour d'horizon sur le niveau de vie de l'enseignant, une
question a été spécialement réservée aux femmes enseignantes : « Par rapport à
une femme fonctionnaire, qui travaille dans une administration avec un salaire
égal au vôtre, vous estimez-vous avantagée ? désavantagée ? dans la même
situation ? »

(i) D = petits cadres E = cadres supérieurs.


LA CONDITION DU MAITRE 41

Voici les réponses que nous avons obtenues

j'1 ar.i i o s - pr o f c 3 o eur s

En ce qui concerne avantagée désavantagée si tuation


é gai e
la vie familiale 837$ 47$ 137$

les loisirs 5lf$ I6f$ 337$

la fatigue 797$
nerveuse Imposée ppr le 217$
travail

les vacances 97/° 37$

Tn=stitu Lrioes

En ce qui concerne 3vmtagée désavantagée situation


égale

la vie familiale 557$ I8f$ 277$

les loisirs 447$ 237$ 337$

la fatigue 27$ 877$


nerveuse imposée par le 117$
travail

2 es vacances 1007$

Une même approbation réunit les enseignantes pour estimer leur situation
meilleure que celle des femmes fonctionnaires, en ce qui concerne les longues
vacances et la possibilité de consacrer plus de temps à la vie familiale. L'unanimité
est encore plus forte pour juger leur situation défavorable quand elle est envisagée
sous l'angle de la fatigue nerveuse due aux conditions de travail. Les avis sont plus
partagés sur la question des loisirs : 48 % seulement des enseignantes s'estiment
avantagées, un tiers trouve sa situation similaire à celle des femmes fonctionnaires,
cependant que 19 % se plaignent d'être défavorisées. Nous retrouvons là un écho
des griefs déjà formulés auparavant par les femmes sur la difficulté qu'elles
éprouvent à équilibrer vie personnelle et vie professionnelle. En raison de la multiplicité
de leurs tâches, la plupart sont contraintes à sacrifier le temps qui devrait être
consacré aux loisirs.
La différence d'opinion sur la vie familiale sépare très nettement les deux
catégories. Les femmes-professeurs apprécient la liberté que leur apporte la souplesse
des horaires dans l'enseignement secondaire, qui leur permet de rester davantage
42 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

au foyer. Sous ce rapport, près de la moitié des institutrices se voit désavantagée.


A peu de choses près, leur journée de travail ressemble à celle de la fsmme-
fonctionnaire. C'est ce qu'expriment 27 % des institutrices en jugeant leur situation
égale, tandis que 18 % s'estiment même nettement désavantagées. Leur tâche ne
s'arrête pas à la sortie de l'école, mais se continue bien au-delà des heures de
travail passées en classe.
Aucune différence notable ne sépare les femmes-professeurs de leurs
collègues du .secteur primaire sur les autres points, hormis une légère augmentation du
pourcentage des professeurs qui s'estiment favorisées sur le chapitre des loisirs. Mais
dans l'ensemble, les comparaisons vont dans le même sens. Les enseignantes, si
elles se plaignent d'une tension nerveuse imputable aux conditions de travail, sont
oonscientes néanmoins des avantages dont elles jouissent, par rapport aux autres
femmes salariées.

Chapitre IV

ATTITUDES ET NIVEAU D'ASPIRATION

Dans le chapitre précédent, nous avons vu que l'insertion sociale des


enseignants dépenidaà't, en partie, de la représentation qu'ils se font de leur profession
et en partie de leur rôle. En même temps, nous avons, à maintes reprises, constaté
que les maîtres donnaient volontiers des explications à leurs représentations, et, dans
une perspective plus dynamique, proposaient spontanément des solutions aux
problèmes soulevés. La notion de prestige, par exemple, évoquée directement ou
confusément, montre bien qu'un processus psycho-sociologique relie les aspirations
des maîtres à tout un système de représentations et d'attitudes. La liaison n'est
d'ailleurs pas univoque. Ces trois niveaux psychologiques (représentations, attitudes,
aspirations) mêlent intimement réflexion et action. De constants ajustements réciproques
naissent de leur coexistence et de leur confrontation.
Nous avons déjà abordé, bien que partiellement, l'étude du système des
représentations qui peut décrire, sinon expliquer, le malaise actuel de la fonction
enseignante. Ce serait traiter le «problème superficielllement que de s'intéresser dès
maintenant à l'étude de l'action revendicative du maître. Ces signes visibles de
mécontentement n'expriment-ils pas un essai d'ajustement des aspirations des enseignants à
leur situation actuelle ? C'est pourquoi il nous est apparu nécessaire de consacrer
un chapitre important à l'étude des motivations, des systèmes de valeurs, qui
permettra de mieux comprendre les attitudes et les aspirations perçues précédemment.
Nous commencerons par étudier l'image que le maître se fait de son métier
et de lui-même. Le questionnaire a été, pour certains, l'occasion de oonfronter cet
idéal avec la réalité quotidienne. Y a-t-il harmonie, ou opposition ? Quelles seront
les réactions des maîtres à cette confrontation ?
Tels sont les problèmes dont nous traiterons dans les pages qui vont suivre.

L'image du métier

AVANTAGESET INCONVÉNIENTS DU MÉTIER.


Les avantages du métier.
Six avantages retenus lors d'un sondage préparatoire étaient proposés. Les
maîtres devaient en choisir quatre et les classer en ordre décroissant d'importance.
LA CONDITION DU MAITRE 43

Les tableaux suivants, qui regroupent les deux premiers choix et les deux derniers
choix, révèlent une vision du métier caractéristique de la personnalité des
enseignants :
Les professeurs
2 premiers 2 derniers
choix choix non cités total choix

contact avec les jeunes 75 4-?


* ?2 ~l ^ Q
^^ _Q^ _1>1Q

Permet de se cultiver 58 60 21
constamment +0,30 +0 ,31 -1 ,15 139

48 6"
Longues vacances 24 139
0 +0 ,50 -0 ,99

Indépendance 73 45 21
+0,60 -0 ,09 1J5 139

Horaires pratiques 22 58 59
-1,09 139
+0, 29 +0, 30

Bien considéré 2 - 4,56 6 - 3 139


131+1, 47
278 278 278 834

Ce tableau est à lire de la façon suivante : le nombre de sujets ayant


répondu à la question est de 139, chiffre que l'on retrouve à la fin de chaque
ligne. Le total porté en bas de chaque colonne indique le nombre total des
suffrages exprimés et non plus les effectifs de l'échantillon. La même remarque vaut
Les instituteurs
2 premiers 2derniers
choix non cités total
choix choix

contact avec les jeunes ' +o,55 -0,10 -1,30

Permet de se cultiver 62 59 22
constamment +0,2 5 +0,31 -0,97 143

Longues vacances 57 63 23
+0,13 +0,41 -0,90 143

Endependance 59 50 34
+0,18 +0,10 -0,31 143

+0,09 48
Horaires pratiques 55 40
+0,04 -0,10 143

7 16 120
Bien considéré +l£0 143
-2,89 -3,53

316 286 256 8 58


44 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

pour le tableau suivant, mais le nombre de sujets ayant répondu est alors de
143. (1)
Trois avantages viennent en tête : la culture permanente, l'indépendance et
surtout le contact avec les jeunes. La considération sociale est presque unanimement
tenue pour nulle. Enfin, deux avantages que l'opinion publique accorde le plus
souvent aux maîtres, les horaires pratiques et les vacances sont considérés par eux
comme très secondaires. Les commentaires indiquent qu'il s'agit là plus d'une
nécessité que d'un avantage compte tenu de l'épuisement nerveux dû aux conditions
actuelles de travail.
La différence d'appréciation entre instituteurs et professeurs est faible, sauf en
ce qui concerne l'indépendance et les horaires. Les professeurs apprécient
particulièrement l'indépendance que leur apporte leur métier. Remarquons que les instituteurs
insistent davantage sur le côté pratique des horaires. Dans l'ensemble, chez les
professeurs, les jugements sont plus tranchés, les majorités plus nettes, l'homogénéité
plus forte que chez les instituteurs. Cependant, hormis les deux points soulevés
plus haut, l'impression reste la même.
On ne peut pas plus opposer les hommes et les femmes. Celles-ci, surtout
quand elles sont professeurs, apprécient seulement davantage l'agrément d'horaires
pratiques. Les catégories d'âge ne se diversifient pas mieux, mise à part une
tendance chez les jeunes à reconnaître plus que leurs aînés, l'importance des horaires.
Les inconvénients du métier.
Pour compléter ce portrait du métier vu par ceux qui l'exercent, divers
inconvénients étaient soumis à leur jugement (avec toujours la possibilité d'en ajouter.)
Proresseurs
2 premier s 2 demi
choix ers non cit/és total
choix cKnix

absence d'initiative -1,94 17 --0,89 100 +0,80 125

Routirre 21 41 63
-o, ,59 +0,40 0 125

8 42 75
mal considéré +0,26 125
-1,,94 +0,42

26 35 64
demande trop de temps +0,16 12 5
-o,,29 +0,02

fatigue nerveuse 99 21 5
+1,50 -0,59 -3,64 12 5

est- mal payé 64 45 16


+1 +0,51 -1,97 125

avancement, difficile 20 40 65
-1,151 +0,35 +Q08 125

Divers 4 9 112 125

Total 250 2 50 500 1 000

(i) N. B. — Nous rappelons les principes déjà exposés précédemment, qui ont
présidé à l'élaboration des tableaux statistiques ci-dessus. Le coefficient positif ou
négatif, indiqué à la droite de chaque case, représente l'écart existant ^ entre l'effectif
attendu et l'effectif observé. Plus cet indice est élevé, dans le sens positif comme dans
le sens négatif, plus il est significatif de la préférence accordée à la proposition (+ i)
ou de son rejet ( — i).
LA CONDITION DU MAITRE 45

Instituteurs
2 premier 2 derniers
choix choix non cités total

.Absence d'initiative -2,58 14 -1,31 123 +0,1 143

routine 15 -1 ,22 32 96 40,40 143


-o,19

14 56 73
tial considéré 143
-1,35 +0,67 0

denande trop de tenps 31 40 72


-0,21 +0,17 0 143

126 17 -
fatigue nerveuse +1 ,80 143
-1,04

est mal payé 65 48 30


+0 ,88 +0,42 -1,14 143

avancenent difficile 25 ■64 54


-0 ,51 +0,85 -0,41 143

Divers 3 8 124 143

Total 286 •286 572 1 144

Cette fois les résultats sont nets : « deux défauts majeurs », décrète la
corporation à l'unanimité : les traitements insuffisants et surtout la fatigue
nerveuse, qui prend des proportions inquiétantes, puisque les deux tiers des maîtres
interrogés s'en plaignent. Les commentaires écrits sont nourris de ces deux
lassitudes jusqu'à l'amertume et au découragement.
Moins importantes, mais non négligeables, sont les plaintes concernant la
quantité de travail à fournir et les faibles possibilités de promotion. Les femmes
se plaignent plus du premier point, et les hommes, les instituteurs surtout, du second.
Là encore, on ne note guère de différences appréciables entre sexes ou entre
générations, non plus qu'entre catégories. L'unanimité règne sur les causes de
mécontentement.
Le même accord se trouve dans le rejet de certains inconvénients, les
trois premiers de la série. Les maîtres estimeint jouir d'une large initiative qui leur
permet d'éviter la routine. Cela est virai pour les maîtres en milieu ou en fin de
carrière, un peu moins pour les débutants. Ceux-ci, en effet, s'ils écartent le manque-
d'initiative, se plaignent davantage de la routine.
On peut, après lecture de l'ensemble des résultats, se poser davantage de
questions, quant au jugement sur la considération sociale. Le tableau précédent et
les commentaires spontanés montrent que les maîtres se sentent peu considérés et
qu'ils ©n souffrent. Ici, ils affectent d'y attacher peu d'importance. Réaction de fierté
probablement, mais qui accroît la coupure entre les enseignants et la société.
Le maître a besoin d'être resipecté. Faute d'y parvenir, il a peut-être tendance à se
replier sur lui-même, et abandonne les activités sociales qui renforçaient le prestige
des anciens. Cinq instituteurs déplorent pourtant le manque d'intérêt des adultes et
de parents pour leur travail, et trois d'entre eux ajoutent qu'ils se sentent « coupés
du monde adulte. »
46 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

QUALITÉS DU BON ENSEIGNANT.


Les jugements portés sur le métier contiennent, et c'était inévitable, de
nombreuses références à la personnalité de ceux qui l'exercent. C'est le premier indice
de l'engagement profond des maîtres dams leur profession, engagement dont nous
mesurerons mieux l'importance à la fin de cette recherche. Il était difficile de
s'arrêter en chemin et de me pas demander aux enseignants de tracer dans ses grandes
lignes le portrait d'un bon maître. Cette projection dans l'idéal révèle, autant une
représentation individuelle qu'une représentation collective forgée par certains
mythes sociaux, dont on peut retrouver un écho dans des ouvrages destinés au
corps enseignant (1). Mais nous ne nous sommes guère engagés dans cette voie, car
elle est suffisamment importante pour faire l'objet d'une recherche indépendante.
Le lecteur se reportera dans ce même numéro à : « L'image du maître chez les futurs

'
maîtres », enquête de la Commission française de l'Unesco, dirigée par Mme
Gratiot-Alphandéry.
Suivant un schéma déjà utilisé pour des questions précédentes, six qualités
étaient proposées au choix des enseignants, qui devaient en retenir quatre à classer
par ordre de préférence.
Les tableaux suivants résument les résultats obtenus :
— Professeurs :

Intelligence 67%

Autorité 45% 43% 12%

Dévouement 25% 35% 40%

'Patience 27% 43% 30%

Culture 29% 52% 19%.

Sévérité - 4% 96%

— Instituteurs :
2 premiers 2 derniers
choix choix non citées

Intelligence 35% 16%

Autorité 35% 44% ai%

Dévouement 37% 31% 32%

Patience 42% 40% 18%

Culture 23% 33% 44%

Sévérité 1,5% 3,5% 95%

(i) Citons —parDaumier,


exemple « : précis de législation de l'enseignement primaire », Paris,
librairie Delalain, 158 pp. .../...
LA CONDITION DU MAITRE 47

Ces résultats sont révélateurs d'un certain état d'esprit des enseignants, qui
éclaire l'image qu'ils se font du maître idéal. Les variations en sont remarquables,
quelle que soit la variable considérée.
C'est l'intelligence qui semble incontestablement aux enquêtes la qualité
maîtresse du bon enseignant, puisque 58 % des professeurs et des instituteurs la mettent
en tête de leur classement et que 87 % d'entre eux la mentionnent.
Mais un « bon » enseignant ne saurait se montrer tel s'il n'alliait à
l'intelligence une autorité certaine, nécessaire pour s'imposer aux élèves et diriger une
classe dans de bonnes conditions. C'est pourquoi les maîtres placent l'autorité en
seconde position, et optent en sa faveur pour 84 % de leurs suffrages. La patience
vient presque immédiatement derrière (76 %).
Intelligence, autorité et patience, telles sont les vertus majeures du maître
idéal, selon les opinions exprimées. Le dévouement, .par contre, est plus contesté. Si
pour 31 % des enseignants il semble la qualité primordiale, il est remarquable que
plus d'un tiers de nos maîtres le tiennent pour quantité négligeable et n'en font
même pas état dans leur classement Le temps est sans doute passé de la mystique
qui élevait l'enseignement au rang d'une mission sacrée, exigeant de ses membres
renoncement et soumission à l'œuvre d'éducation. Compétence et savoir-faire
supplantent maintenant la notion de dévouement aux yeux de la jeune génération,
ce qui justifie l'importance de plus en plus grande qu'elle accorde à la formation
professionnelle (1).
Quant à la culture, si elle paraît un élément à ne pas négliger pour 68 %
des sujets, on ne lui accorde qu'une importance secondaire, et non déterminante.
Enfin, la même réprobation entoure la sévérité qui est unanimement rejetée.
Par un renversement des valeurs, le modèle du maître sévère et exigeant qui
sévissait dans la littérature d'autrefois paraît démodé aujourd'hui.
Spontanément, les maîtres ont ajouté d'autres qualités à cette liste. Quatre
professeurs et trois instituteurs ont insisté sur la nécessité d'un bon équilibre
nerveux, tandis que pour quatre professeurs et quatre instituteurs, l'essentiel est
d'aimer les enfants et son métier.
La différence d'appréciation entre les catégories ressort nettement des tableaux
précédents. Les professeurs sont plus affirmatifs dans leurs choix, les instituteurs
plus nuancés ou plus hésitants. Ainsi près des trois quarts des professeurs, contre
49 % seulement d'instituteurs, mettent l'intelligence en tête de leur classement.
Chez les professeurs, les pourcentages baissent brusquement de 67 % à 45 % et de
45 % à 25 % pour les deux premiers choix. Les professeurs accordent une plus
grande importance que les instituteurs à l'autorité. Ils mettent à peu près au même
plan la culture, la patience et le dévouement, avec cependant une légère priorité
à la culture.
Chez les instituteurs les différences sont plus faibles, les jugements moins
tranchés. S'ils mettent au premier plan l'intelligence tout comme leurs collègues,
la seconde place revient à la patience. Ils accordent une certaine importance au
dévouement, au détriment de l'autorité. Un écart non négligeable les sépare des
professeurs sur le problème de la culture. En effet, il ressort des résultats que les
professeurs y attachent beaucoup plus d'importance que les enseignants du cycle
primaire (44 % de ces derniers n'ont pas cité cette qualité contre seulement 19 %
de professeurs).
Cette divergence d'opinion est-elle due à une différence de formation
universitaire ? On peut supposer que les professeurs ayant fréquenté les facultés restent
plus volontiers attachés aux valeurs culturelles traditionnelles. Mais nous ne
pouvons dans le cadre de cette enquête qu'émettre une hypothèse.

,../... — Le code soleil, le livre des Instituteurs, Paris, Sudel, 1965, 35e édition.
(1) cf. La formation professionnelle — chapitre IV, p. 105.
48 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

Ces variations remarquables entre catégories nous amènent aux conclusions


suivantes :
les professeurs prônent davantage les qualités intellectuelles ;
les instituteurs mettent surtout l'accent sur les qualités morales.
Quand il s'agit de déterminer les qualités du bon enseignant, les maîtres
réagissant non seulement en fonction de la catégorie à laquelle ils appartiennent, mais
également en fonction de leur sexe. Hommes et femmes s'opposent quand il s'agit
de classier l'intelligence, le dévouement, la patience et la culture :
— Intelligence : On note une tendance très nette chez les femmes à accorder une
plus grande place à cette qualité, tendance partioulièrement forte chez les
institutrices.
— Dévouement : La différence tient ici essentiellement à la catégorie
professionnelle. Cependant, si hommes et femmes du secondaire sont d'accord pour lui
donner peu d'importance, dans le primaire, les hommes sont beaucoup plus
nombreux à choisir cette qualité (77 % contre 56 %).
— Patience : Une certaine homogénéité s'observe chez les hommes dans les deux
catégories, tandis que les femmes sont beaucoup plus partagées. Ainsi parmi les
femmes-professeurs, 66 % la mentionnent, alors que 85 % des institutrices
choisissent cette qualité, la mettant ainsi au second rang immédiatement derrière
l'intelligence.
— Culture : Hommes et femmes réagissent plutôt en fonction de leur catégorie
professionnelle, les pourcentages les plus élevés se rencontrent chez les professeurs
sans distinction de sexe. Mais une même tendance à sous-estimer cette qualité
s'observe chez les femmes, par rapport à leurs collègues masculins de même
catégorie. Moins forte chez les femmes-professeurs, cette tendance s'accroît
notablement chez les institutrices, où l'on constate le maximum de rejets (53 %
contre 38 % d'instituteurs).
On ne note guère de différences entre générations. Cependant, on remarque
une tendance assez nette chez les jeunes, surtout peur les professeurs, à peu
apprécier le dévouement. Par contre, les plus âgés des enseignants, imprégnés des
traditions de leur jeunesse qui voulaient le maître entièrement consacré à sa mission
d'éducation, lui donnent encore un rôle primordial.

LA FORMATION PROFESSIONNELLE.

L'ensemble de nos enseignants a bénéficié d'une formation professionnelle


dent la durée oscille entre un mois et un an, parfois plus. Plus de la moitié des
maîtres (54 %) ont eu une formation professionnelle de quatre à dix mois. Seuls
7 % d'instituteurs et 18 % de professeurs signalent n'avoir reçu aucune préparation
avant leiur entrée en fonction. Il s'agit surtout de professeurs « en milieu » eu
« en fin de carrière ».
Que pensent les enseignants de cette formation ? Leur semble-t-elle utile
ou inutile ?
Professeurs Instituteurs Total
Très utile 66% 76% 71%
Peu utile 26 % 24 % 25 %
Inutile 8 % — 4 %
Presque tous ont estimé la formation professionnelle indispensable, avant
d'abonder l'exercice de leur difficile métier. Les instituteurs sont plus catégoriques
dans leurs affirmations : les trois quarts la jugent utils, un quart p.?u utile, aucun
ne met en doute son utilité absolue. Les professeurs ont une opinion plus nuancée ;
66 % l'estiment utile, cependant que 8 % pmsent qu'elle est inutile.
Pour essayer de savoir ce qui a déterminé les maîtres dans leur choix, en
particulier lorsqu'il s'avère hostile à toute formation préalable, ncus avons poussé
plus loin l'analyse en comparant ces premiers résultats avec le temps consacré à la
formation professionnelle. Les tableaux suivants demandent à être examinés avec
attention.
LA CONDITION DU MAITRE 49

Professeurs

dur é e de la
formation très utile peu utile inutile total

1 à 3 moic 3 15 10 28
-1 +1,09 +2,02

4 à 10 mois 63 14 - 77
ko, 42 -o, 50 68/.

plus d 'un an 8 - - 8
+0, 64 7*

74 29 10 113

Instituteurs

durée de la très utile peu utile inutile total


formation

7 6 - 13
1 à 3 mois -0,60 +0 ,76 10?£

58 24 - 82
4 à 10 mois 0 +0 ,09 61 fc

plus d 'un an 23 4 - 27
+0,25 -0 ,90

TOTAL 88 34 - 122

1) Les Professeurs.
— 68 % ont eu une formation professionnelle d'un an, c'est-à-dire qu'ils
sont passés par le Centre (Pédagogique régional qui forme les certifiés.
— 25 % ont eu un mois, ce qui correspond au stage d'agrégation.
— 7 % ont bénéficié d'une formation d'une durée .supérieure à un an —
soit qu'ils aient passé une année supplémentaire au Centre
Pédagogique régional — soit qu'ils aient effectué plusieurs stages différents, par
suite de changement de fonction à l'intérieur de la profession.
Une constatation importante s'impose. Les jugements diffèrent en fonction de
la durée du stage de formation. Plus celui-ci a été long, plus les professeurs en
apprécient l'efficacité. Plus il se raccourcit, plus il leur semble inadéquat et inopérant.
Ainsi, ceux qui n'ont eu qu'un mois de stage jugent leur formation professionnelle
peu utile (54%) ou inutile (36%). Ceux qui cnt eu un an et plus le jugent très
utile (90 %). Aucun ne l'estime inutile. Nous constatons là une condamnation sans
appel du stage d'agrégation, bien exprimée par de nombreuses doléances. La «
formation est peu utile » voire « inutile » car le « stage est trop court » disent 21
professeurs, tandis qu'un autre blâme ces « quinze jours de stage passif sans voir le
plan des leçons du conseiller, et ces quinze jours de stage actif sans aucune
directive ». « Le stage est très utile mais un mois est insuffisant » précise une
50 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

femme. La brièveté de cet apprentissage professionnel ne permet pas aux maîtres


de se faire une idée exacte du bien-fondé de cette institution. Le peu de bénéfice
retiré de ces quelques jouns de formation, leur laisse une impression fâcheuse de
gratuité et d'inutilité à la mesure de leur déception. Les professeurs satisfaits de leur
formation professionnelle sont donc principalement ceux qui ont bénéficié d'une
année de stage au C.P.R. Mais nous joindrons à leurs éloges celles qui émanent des
autres professeurs qui ont trouvé, malgré leurs réserves, certains avantages à toute
formation professionnelle.
Les professeurs satisfaits apprécient tout particulièrement la confrontation
directe avec les élèves qui leur permet d'éprouver leurs forces sous la présence
rassurante d'un aîné expérimenté, ce qui supprime en partie l'appréhension ressentie
par le novice, ,au moment d'être lâché, seul, dans la « cage aux fauves » Cet
aspect est souligné par 14 d'entre eux, dont trois ajoutent : « Le stage supprime
l'angoisse et donne de l'assurance ». Dans le même oindre d'idées, une femme pense qu'elle
a « appris à se mettre au niveau des petits élèves ». Un collègue a recours au
dicton : « C'est en forgeant qu'on devient forgeron », et un autre conclut : «
L'enseignement ne s'apprend pas uniquement dans les livres. »
Acquisition de connaissances pédagogiques.
Une autre raison de la satisfaction éprouvée par les professeurs consiste dans
le fait qu'ils ont le sentiment d'avoir réellement appris les rudiments du métier. Onze
pensent que la formation permet une « connaissance des méthodes de travail ». Elle
« évite les erreurs en début de carrière » observent trois hommes et cinq femmes,
tandis que trois maîtres notent avec satisfaction avoir « appris des méthodes actives
en anglais ». Deux femmes ont tenu à nous dire combien elles étaient « contentes
de leur passage au Centre Pédagogique Régional ».
Critiques générales.
Il y a bien quelques notes discordantes dans ce concert d'éloges : « En
faculté pas de pédagogie » déplorent 9 professeurs. Plus grave est sans doute la
critique qui met en cause la qualité de l'enseignement dispensé au stage. Certains
professeurs le jugent « trop fragmentaire » et « artificiel » ; un autre estime qu'il se
déroule dans « des conditions fausses, le professeur servant de tampon entre stagiaires
et élèves ». Terminons cette enumeration pessimiste par deux considérations d'ordre
psychologique : « Faute de contacts avec le conseiller pédagogique, le stage perd
uns partie de son efficacité », déclare un professeur, tandis qu'un agrégé s'en prend
à l'aspect trop théorique de la formation professionnelle, « le stage est trop théorique,
l'enfant du ministère ressemble peu à l'enfant de nos classes. »
Ce sont sans doute, ces arguments qui poussent quelques enseignants, ils sont
d'ailleurs une exception, à rejeter tout stage pédagogique pour lui préférer une
formation sur le tas : « Le professeur se forme surtout par la pratique. »
Nous pouvons retenir de ces doléances, que la formation professionnelle
actuelle nécessite quelques aménagements de détails, pour être adaptée à sa fonction.
Mais il est remarquable de constater l'unanimité des éloges, en ce qui concerne l'action
des centres pédagogiques régionaux, leur efficacité n'étant pas mise en doute par les
professeurs qui ont pu en bénéficier.
2) Les Instituteurs.
— 7 % n'ont pas reçu de formation professionnelle
— 10 % n'ont eu qu'une formation de un à trois mois
— 83 % ont bénéficié d'une formation d'une année et plus
Les critiques :
Là encore nous retrouvons le même parallélisme entre la variation des
opinions et la durée de la formation professionnelle : la moitié de ceux qui ont reçu
une formation très brève la juge peu utile, tandis que les trois quarts de ceux qui
ont reçu une formation plus longue l'estiment très utile. De plus, la brièveté du stage
nuit à sa qualité et 15 instituteurs déplorent qu'il n'y ait « pas assez de stages
pratiques » — un autre estime que le stage « n'est pas assez long ni varié » et « qu'il
ne correspond pas aux besoins du métier ».
Cette critique est d'ailleurs reprise par bon nombre d'instituteurs, en dehors
de toute considération de durée. L'un d'entre eux estime que « dans les classes
d'application l'enfant est mis en condition artificiellement » et une institutrice met
bien l'accent sur l'aspect trop théorique de la formation professionnelle, en
concluant que « cet apprentissage ne vaut pas la pratique ».
LA CONDITION DU MAITRE 51

Pour fake face à la polyvalence du métier d'instituteur, certains préconisent


une plus grande variété de stages. Deux femmes et un homme regrettent d'avoir
« appris si peu sur les classes uniques et sur les maternelles ». Une institutrice
déplore « le manque de variété des méthodes à l'école d'application ».
Favorables, certes, à la formation professionnelle, certains instituteurs
envisagent cependant d'un œil critique les conditions de cet apprentissage. Cinq maîtres
l'estiment « insuffisant » surtout pour les C.E.G., et présentant de fâcheuses lacunes
dans l'enseignement de la psychologie de l'enfant. Deux femmes observent que le
stage n'est « pas assez spécialisé sur les manières d'enseigner et les procédés actuels ».
Deux instituteurs pensent qu'il y a une « différence entre la leçon-modèle et la classe
toute l'année. » Une institutrice nous fait cette remarque non dénuée d'humour :
« classes d'application : un rêve utile mais trop agréable » — tandis qu'un jeune
maître reproche à la formation de comporter « un peu trop de recettes ».
Les avantages :
Les motifs de satisfaction des instituteurs recouvrent des secteurs variés. Tout
comme leurs collègues professeurs, la plupart apprécient l'avantage constitué par le
contact avec les élèves, qui permet de se rendre compte de « l'organisation
matérielle de la classe », qui « donne les connaissances pédagogiques de base
indispensables » et « atténue les tâtonnements et rend plus efficace ». La mise à
l'épreuve directe « fait comprendre le sens de la valeur et les difficultés du métier »
— « apporte des renseignements précieux sur « la manière de faire la classe et les
moyens pédagogiques » — et surtout, pour un grand nombre de maîtres, a le
mérite de favoriser « l'apprentissage des techniques ». Pour l'un d'eux, le stage
réapprend aussi « à connaître l'école primaire ».
Les instituteurs reconnaissent volontiers, la valeur des conseils pédagogiques
qu'ils reçoivent en cours de stage. Dix enseignants notent avec satisfaction, qu'ils
ont reçu « des conseils par des maîtres qualifiés » et « des critiques pédagogiques ».
« Le nombre d'i/ndicatioinis données permet plus tard une culture
professionnelle », dit une institutrice en fin de carrière.
Enfin, une institutrice apprécie surtout à travers la formation « les contacts
avec des collègues du même âge ».
En conclusion, instituteurs et professeurs reconnaissent en général la valeur
pédagogique réelle de toute formation préalable, notamment ceux qui ont bénéficié
d'un apprentissage de longue durée. Elle leur a été précieuse, au moment de
leur entrée en fonction, et les commentaires illustrent abondamment cette prise de
position favorable. Mais cette approbation n'est pas toujours absolue et ne va pas
sans critiques, parfois acerbes, mais constructives, sur l'organisation même de cet
enseignement (1). Il est hors de doute que les maîtres se réfugient à contrecœur
dans une attitude purement négative, et se résignent mal à ne jouer qu'un rôle
de spectateurs dans les réformes concernant leur formation professionnelle. Les
améliorations qu'ils envisagent méritent de retenir notre attention. Nous allons
les examiner à travers les réponses données à la question suivante : « Pensez-vous
que la formation professionnelle puisse être définitive ? Sinon, quelle solution
proposez- vous ? », question qui a suscité un grand intérêt, surtout chez les
instituteurs où le nombre d'abstentions est particulièrement faible (5 %).
La grande majorité de nos 'enseignants est incontestablement d'accord pour
estimer que cette formation ne peut être définitive et doit se poursuivre tout au long
de l'exercice de la profession. Seuls 10 % d'instituteurs et 8 % de professeurs se
séparent de leurs collègues et pensent qu'elle est suffisante dans son état actuel.
D'autre part, 15 % des instituteurs et 19 % des professeurs résolument
pragmatiques, affirment que, seule, l'expérience continue enrichit, point n'est besoin d'y
ajouter de formation annexe.
La formation permanente.
Mais les partisans d'une formation professionnelle continue sont nombreux.
Les arguments, qu'ils avancent pour justifier leur point de vue, sont très variables,
mais peuvent être regroupés en deux principales catégories :
\°)Documentation et information.
15 % de professeurs préconisent des cours et conférences. « Assister aux

(i) En particulier pour la formation théorique et les écoles d'application des


Ecoles Normales.
52 S. MOLLO /. GUYARD L. LECLERC-RODRIGUEZ

cours de professeurs conseillers pédagogiques » est le vu exprimé par cinq


professeurs « en fin de carrière ». Deux autres souhaitent en particulier assister à des
« cours de psychologie et d'orientation », cependant que 10 % d'instituteurs
réclament surtout des leçons-modèles faites dans des classes normales, et accompagnées
d'un système de fiches .La psychologie de l'enfant semble intéresser de plus en plus
l'enseignant.
Les uns et les autres pensent qu'il est indispensable de se « tenir au courant
de l'évolution des techniques pédagogiques et des procédés » ainsi que des «
méthodes nouvelles » notamment, par la « visite des centres d'application et de
recherche psycho-pédagogique », ou par la lecture de journaux pédagogiques et de
publications spécialisées ; c'est le vu de six instituteurs et sept professeurs. Une jeune
femme professeur souhaite la « visite de classes-modèles », un autre connaître « les
conclusions apportées par les lycées-pilotes ».
Dans un autre ordre d'idées, un petit nombre de professeurs serait partisan
de la tenue de colloques, de réunions d'information, ou même d' « un congrès
d'anciens enseignants » comme le propose un maître « en fin de carrière ». Les
instituteurs, eux, critiquent l'organisation de l'Ecole Normale. Trois jeunes réclament
« une formation à l'Ecole Normale plus longue et plus poussée sans préparer
d'examens i», « avec davantage de responsabilité donnée aux élèves-maîtres pour les
ouvrir aux problèmes. »
2° Culture professionnelle permanente.
La même unanimité rassemble professeurs et instituteurs pour réclamer des
stages supplémentaires qui leur semblent indispensables pour se « mettre à la
page » et combattre toute menace de sclérose. Ainsi 20 % de professeurs proposent
des stages réguliers 35 % d'instituteurs se prononcent en faveur de stages
d'information et de spécialisation, au lieu de la conférence pédagogique annuelle. Le
souhait général est que ce stage soit beaucoup plus pratique que théorique. Douze
maîtres seraient particulièrement désireux que des stages spéciaux soient organisés
pour les jeunes débutants. « Ces stages doivent permettre de mettre à profit les
nouvelles conditions sociales et l'évolution humaine » précisent, en outre, deux
institutrices pendant que des « stages culturels » sont demandés par une jeune
enseignante.
Très importants aussi, aux yeux des deux catégories apparaissent les
échanges et discussions avec les collègues, qui permettent d'approfondir les problèmes
et de profiter de l'expérience d'autrui. 1 7 % de professeurs et 20 % d'instituteurs
réclament plus de contacts avec les collègues, pour discuter des méthodes et des
résultats. Cinq professeurs souhaitant, notamment, « assister aux cours des collègues
et qu'une discussion intervienne ensuite », favorisant ainsi un échange de vues
profitable à tous. Deux instituteurs voudraient un « contact avec le Directeur de
l'établissement ou le jumelage avec un collègue plus âgé. »
Une autre suggestion avancée par nos enseignants concerne la possibilité
de « recyclage » systématique avec congé à l'appui. C'est ce que pensent 8 % des
instituteurs et 5 % de professeurs. En particulier, huit professeurs, tous linguistes,
le fait est remarquable, voudraient avoir la possibilité d'effectuer des voyages à
l'étranger, pour se perfectionner dans leur spécialité. Neuf de leurs collègues se
prononcent en faveur d'une année sabbatique ou à mi-temps tous les cinq à dix
ans, afin de pouvoir se consacrer à des études spécialisées et à la recherche. Un an
de mise au point tous les 5-t6 ans est le vu émis par quatre instituteurs, tandis
qu'une femme professeur suggère une « rotation des programmes ».
La réduction des horaires a aussi ses partisans, aussi bien dans le secteur
primaire que dans le secondaire. Il faudrait « moins d'heures de travail pour faciliter
la culture personnelle et des stages pendant les cours », réclament trois instituteurs.
Un professeur demande une « diminution des horaires pour se mettre au courant
de ce qui se passe dans le secondaire. »
Mais de façon générale, la volonté est unanime de donner le pas à la
pratique sur la théorie. Une femme en fin de carrière propose « une année de
formation pratique après le diplôme » deux de ses collègues réclament des « travaux
pratiques » « moins de théorie, organisation matérielle de la classe et du
temps » proteste une jeune institutrice. Les contacts plus généralisés avec les
parents, ainsi que des contacts plus étroits avec les enfants, sont également demandés
par quatre professeurs et instituteurs.
LA CONDITION DU MAITRE 53

Parmi les remarques classées dans les divers, relevons quelques faits. « Le
système actuel est très bon », se félicite un instituteur en fin de carrière tandis
qu'un de ses collègues émet l'avis contraire : « Pas de solution possible dans les
conditions de travail actuelles ». Un professeur souhaite « l'élimination des
incapables », un autre l'augmentation des traitements.
Cet ensemble de suggestions montre à quel point les enseignants, dans
leur grande majorité, sentent la nécessité d'élever constamment leur niveau de
qualification. Dans leurs réponses, ils ont ébauché la mise en place de tout un système
pédagogique destiné à leur perfectionnement incessant, ce système incluant aussi
bien des stages pratiques tenus à date fixe, des recyclages avec congé pour se tenir
au courant de l'évolution des techniques pédagogiques, que des cours et conférences
plus fréquents destinés spécialement au corps enseignant, avec possibilité accrue
d'échanges et de discussions entre les maîtres, les plus âgés faisant profiter les
plus jeunes de leur expérience.
L'importance de ce chapitre montre tout l'intérêt que les enseignants
accordent à leur métier. Le dialogue avec la société (plus particulièrement avec les
parents d'élèves et l'appareil administratif de l'éducation nationale) est ressenti comme
une nécessité. Il pourrait renaître ou, dans un meilleur cas, s'améliorer, à condition
qu'il respecte certaines valeurs auxquelles les enseignants ne renonceront pas
aisément. Pensons, par exemple, à l'amertume exprimée par ceux qui estiment exercer
une profession sans prestige. Retenons surtout, que les maîtres demandent une
meilleure formation professionnelle, au nom de la responsabilité qui leur incombe :
« Chez l'enseignant plus que chez tout autre ouvrier la matière première ne
permet pas de fausse manipulation », dit l'un d'entre eux.
L'IDÉE QU'ON SE FAISAIT DU MÉTIER A-T-ELLE CHANGÉ ?
L'idée que se faisait l'enseignant du métier, avant de l'exercer, correspond-elle
à celle qu'il a maintenant ?
Au moment du choix professionnel, l'imagination du jeune supplée bien
souvent à une connaissance réelle du métier d'enseignant. Il se réfère à ses souvenirs
d'écolier où l'image du maître lui apparaît nimbée d'une auréole de prestige.
Détenteur du pouvoir absolu, il règne sans partage sur sa classe. Tantôt bienveillant,
tantôt sévère, son savoir impose respect et soumission.
Que reste-t-il de cette image, lors de la confrontation avec la réalité ? A-t-
elle changé ?
Professeurs Instituteurs
Oui 68 % 69 %
Oui et non 4% 3%
Non 28 % 28 %
Ainsi, les deux tiers de l'effectif reconnaissent que l'idée qu'ils se faisaient de
la profession a varié en cours d'exercice. Un petit nombre exprime un sentiment
de perplexité et préfère esquiver la difficulté en répondant « oui et non ».
Apparemment, aucune différence notable ne sépare les deux types
d'enseignants. De même la variable âge ne semble jouer aucun rôle :
leunes Milieu de carrière Fin de carrière
oui 69 % 68 % 69 %
oui et non 1 % 4 % 7 %
non 30 % 28 % 24 %
Cependant, si on met en parallèle l'âge et la catégorie, on s'aperçoit que les
fluctuations jouent à la fois sur l'appartenance à la catégorie professionnelle et sur
la différence de génération. Le maximum de variation dans l'image du métier s'observe
chez les professeurs d'âge moyen et les instituteurs à la fin de leur carrière
(respectivement 77 % et 79 %).
Que peut-on en déduire ? Pour r instituteur, le fait peut aisément s'expliquer.
Nous reprendrons, à notre compte, ce qu'écrivaient Ida Berger et Roger Benjamin
dans une recherche analogue (1) : « Il est incontestable qu'autrefois la fonction
d'enseignement de l'instituteur avait une importance beaucoup plus grande
qu'aujourd'hui. Le certificat d'études primaires qu'il conférait à ses élèves les plus doués,
au terme de leur scolarité était fréquemment mis sous verre et occupait une place

(i) « L'Univers des Instituteurs », de Ida Berger et Roger Benjamin, Paris,


KJ64. Editions de Minuit.
54 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

d'honneur dans les foyers modestes. Garant de promotion sociale il avait alors une
valeur socio-culturelle très semblable à celle dm baccalauréat d'aujourd'hui ! »
Or, la baisse actuelle du prestige du maître contraste par trop avec l'idéal de leur
jeunesse. Rien d'étonnant si les vieux instituteurs témoignent, davantage que leurs
collègues plus jeunes, du décalage pouvant exister entre la situation qu'ils ont connue
au début de leur apprentissage et leur condition d'aujourd'hui.
Le problème est plus délicat pour les professeurs en milieu de carrière. On
peut supposer que leur attitude est liée aux griefs déjà formulés à rencontre de leur
niveau de vie, qu'ils estiment très insuffisant, au moment où le professeur voit ses
besoins s'accroître, surtout s'il a fondé une famille. La suite de l'enquête permettra
peut-être d'éclaicir ce point.
— Dans quel sens est allé ce changement ?
Nous anticipons sur le chapitre suivant qui traitera pkis spécialement du
degré de satisfaction, pour étudier si la variation de l'image du maître a modifié
l'attitude des enseignants à son égard.
Professeurs Instituteurs
satisfaits déçus satisfaits déçus
L'image a-t-elle changé ?
oui 79% 21% — 89% 11%
non 21 % 79 % — 20 % 80 %
Nous voyons que, parmi les professeurs et instituteurs qui ont changé d'opinion,
84 % ont gardé de leur métier une vision optimiste malgré tout. Par contre, 16 %
s'estiment déçus par leur expérience.
Difficilement explicable est le fait que parmi les enseignants pour qui la
conception ' du métier n'a pas changé, 20 % seulement se révèlent satisfaits. Faut-il
croire que 80 % d'entre eux n'ont choisi l'enseignement que comme pis-aller, et
qu'ils n'ignoraient rien des difficultés qu'ils auraient à affronter ? Mais, dans ce cas,
pourquoi s'estimer déçus si la réalité coïncide avec la prédiction ? Les conditions se
seraient-elles révélées infiniment plus dures que prévues ? L'analyse quantitative ne
permet pas de conclure. Mais nous verrons plus tard que l'analyse qualitative sera
beaucoup plus expressive.

Degré de satisfaction

Etes-vous déçu, indifférent ou satisfait ?


Cette question brutale, dont chacun pouvait justifier la réponse par un long
commentaire, a donné de très riches résultats. Ceux-ci sont classés dans le tableau
suivant :

déçus | indifférents j satisfaits

professeurs 23/ 16/ 61/

instituteurs 17/ 14/ 69/

totafli 20/ 15/ 65/

A première vue, les deux tiers des maîtres s'estiment satisfaits par leur
expérience. Le chiffre est légèrement plus élevé chez les instituteurs, sans que l'écart
permette de tirer des conclusicnis.
Cependant, le pourcentage des déçus et des indifférents est loin d'être
négligeable puisqu'il groupe 35 % des cas. En conséquence, ce tableau réclame une
certaine prudence dans l'interprétation. L'analyse de la justification des choix nuance
quelque peu l'optimisme, qui se dégage a priori de l'ensemble des résultats.
LA CONDITION DU MAITRE 55

Les 17 % de professeurs et les 14 % d'instituteurs se disant indifférents perdent


une partie de leur neutralité, en donnant des justifications en grande majorité
pessimistes, ainsi que nous le montre le tableau suivant :

justifications justifications total des


favorables défavorables mentions

-48 professeurs
déçus ou
indifférents 10 10 3 113
-40 instituteurs
déçus ou
indifférents 10 76 86

-69 professeurs
satisfaits 112 44 166
-59 instituteurs
satisfaits 93 17 110

Si quelques déçus ou indifférents émettent des commentaires élogieux sur leur


métier, la balance n'en penche pas moins du côté des commentaires défavorables.
Notons que les satisfaits, s'ils envisagent d'un œil favorable leur profession, ne
perdent nullement leur esprit critique et pensent que tout ne va pas pour le mieux
dans le monde enseignant.
Les calculs statistiques se compliquent donc dans la mesure où de nombreux
enseignants ont donné de leur métier une opinion mitigée, composée à la fois de
réflexions favorables et défavorables, certaines personnes ayant donné des arguments
de plusieurs types. Nous prendrons comme point de départ de notre analyse le
tableau précédent et celui qui suit :
Mentions
Professeurs Instituteurs Total
Favorables 44 % 59 % 49 %
Défavorables 56 % 4-1 % 51 %
Dans l'ensemble, les justifications favorables et les justifications défavorables
s'équilibrent presque parfaitement (49 % et 51 %). Les critiques faites au métier
d'enseignant sont donc au moins aussi nombreuses que les avantages qu'on lui
accorde. Dans une certaine mesure, les professeurs sont plus mécontents et émettent
davantage de critiques à rencontre de leur professioon.
L'analyse quantitative des réponses permet de regrouper les avis favorables
et défavorables en plusieurs catégories. Peut-être, nous aidera-t-elle à mieux
comprendre les raisons du pessimisme qui pèse actuellement sur la fonction enseignante (1).

DE LA RÉFLEXION A L'ENTHOUSIASME
I. — Les éléments positifs
A) La « vocation de l'enseignement »
Elle est invoquée en priorité par 46 professeurs et 53 instituteurs qui trouvent
leur métier « beau - passionnant » - « enrichissant - vivant ». Les superlatifs ne
manquent pas pour qualifier la profession. Les maîtres insistent beaucoup sur la
valeur humaine et sociale de leur travail. Ils sont persuadés qu'ils font œuvre utile,
en répandant la culture, qu'ils travaillent pour le bien de l'humanité, en formant

(i) Pour mieux comprendre le désaccord qui semble exister entre le nombre
relativement élevé d'enseignants satisfaits et le nombre très élevé des mentions
défavorables, nous anticipons sur les conclusions de l'enquête : tant que les enseignants
gardent intact leur amour du métier, ils surmontent leurs difficultés. Ce qui ne les
empêche nullement de faire une critique sévère de leurs conditions de travail.
56 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

les jeunes générations. « Contribuer à l'éducation des jeunes me paraît une des
tâches les plus belles », dit une femme en fin de carrière. Une jeune femme
professeur a la « certitude qu'essayer d'ouvrir un enfant à la culture, à la vie
sociale, est d'une utilité primordiale, même en cas d'échec ». Trois jeunes ont
« l'impression d'être utile à quelque chose », tandis qu'un professeur écrit : « Sans
doute les moments de découragement ne manquent pas. Mais au fond, le sentiment
de faire œuvre utile demeure. » Un autre note : « C'est un métier épuisant, mais
qui permet de s'exercer dans une tâche utile. »
Cette certitude de leur utilité apporte aux maîtres un sentiment de plénitude.
Le terme de joie revient fréquemment sous leur plume. Les « joies procurées par
le fait d'enseigner » sont évoquées, notamment par trois professeurs et six
instituteurs. « C'est un métier humain dont les joies se renouvellent constamment »,
précise un professeur, tandis qu'un instituteur parle de la « joie de faire découvrir
la culture aux enfants ».
Il est intéressant de noter que les enseignants justifient leur satisfaction
personnelle (c'est un métier intéressant, enrichissant...) par le caractère social de leur
travail (en se dévouant pour instruire les autres on s'enrichit soi-même). Cette
ambiguïté, qui fait osciller l'enseignant entre l'orgueil et le dévouement, est bien
exprimée par le professeur qui écrit : « Sur le plan personnel, il est sans doute peu
de métiers aussi enrichissants qui rendent aussi respectueux de la liberté des autres,
qui donnent de telles leçons d'humilité, une conscience aussi aiguë de ses défauts
et de ses limites, peu de métiers aussi modestement grands ». Un jeune s'exprime
ainsi : « Ce métier donne beaucoup de satisfactions lorsqu'on le fait parce qu'on
l'aime ; si on choisit cette profession sans « vocation », après avoir pesé avantages
et inconvénients, on risque fort d'être déçu. » Un professeur en fin de carrière pense
que « transmettre à des jeunes gens une discipline que l'on aime, la leur faire
aimer, former leur jugement et leur personnalité est une immense satisfaction ».
Nous retrouvons le même enthousiasme chez deux instituteurs : « J'ai l'impression
de collaborer à l'élaboration de la société » — « Depuis trente ans dans la même
commune, j'ai formé deux générations qui me respectent et ont bien réussi. »
De nombreuses réponses sont faites sur le ton de l'enthousiasme, voire de
l'exaltation que suscite « toute vocation ». L'enseignant semble imprégné de l'idée
qu'il a une mission à remplir : ouvrir à la culture et former les nouvelles
générations. « Je le ferai même gratuitement ! Quand j'arrive dans ma classe, tous les
embêtements quotidiens s'effacent, et même les ennuis graves disparaissent
momentanément. Je me sens heureuse avec mes élèves et j'aime ce que j'enseigne »,
nous confie une femme assez âgée. Un jeune professeur s'exprime en ces termes :
« Pour moi, c'est le plus beau métier du monde, chercher et faire chercher la vérité
en toute chose », et un autre : « Sentir des esprits qui s'éveillent me bouleverse ».
B) C'est un métier qui permet des contacts humains enrichissants
Instituteurs et professeurs insistent beaucoup sur l'intérêt des contacts humains
avec les enfants, les parents, les collègues.
25 professeurs et 13 instituteurs sont heureux d'avoir établi de bons contacts
avec les élèves et de pouvoir ainsi exercer leur métier dans une atmosphère agréable
et dynamique. Un jeune instituteur remarque qu'il a établi un « climat de confiance
entre maître et élèves », tel qu'il l'espérait. Une femme-prof esseur pense qu'il « est
toujours intéressant de découvrir le caractère des nouvelles élèves et leur mode de
pensée. La variété de leur comportement fait oublier la monotonie des programmes
qui, eux, ne changent pas souvent ». Un instituteur trouve « les élèves intéressants
quand on les suit plusieurs années ».
Ils (Soulignent l'enrichissement personnel dont ils bénéficient, par suite de ces
contacts répétés avec les enfants. « J'ai obtenu des classes qui m'ont été confiées
un contact permanent avec les élèves. Nous engageons continuellement un dialogue
enrichissant pour les uns comme pour les autres », dit une femme-professeur —
tandis qu'une autre pense que « les rapports constants avec les élèves ont été
stimulants et enrichissants ».
Les maîtres estiment passionnant, en outre, d'observer les progrès accomplis
par leurs élèves, d'étudier leur évolution psychologique. « Je suis très heureuse
d'observer les progrès des élèves (surtout lorsqu'elles débutent dans une nouvelle
discipline — - latin en 6e) » confie une femme-professeur. Une institutrice estime que
« former et voir évoluer l'esprit des enfants de 6 ans est passionnant ».
Enrichissement personnel, intellectuel, psychologique, moral et social, ouverture
LA CONDITION DU MAITRE 57

sur le monde de l'enfance et de l'adolescence, tels semblent être les éléments qui
donnent le plus d'attrait au métier d'enseignant. Notons, pour conclure, que ces
derniers éléments favorables sont plus souvent cités par les professeurs, que par
les instituteurs.
C) Permet un emploi du temps harmonieux, un mode de vie agréable
Un des mots qui revient le plus souvent sous la plume des enquêtes est le
mot liberté : liberté dans l'organisation du travail, dans le choix des méthodes,
temps libre qui permet de se cultiver personnellement, d'avoir une vie familiale
agréable. Cet avantage est surtout mentionné par les professeurs (24 contre 9
instituteurs). L'indépendance apportée par le métier est particulièrement goûtée par
6 professeurs et 4 instituteurs. Un professeur tient à souligner « la grande
indépendance des universitaires en dépit des inspecteurs généraux et des régimes
boutiques ». Un instituteur se réjouit d'avoir « assez de loisirs pour des exercices de
son choix ». Une femme-professeur estime que son métier « permet une vie
familiale, du moins après quelques années d'exercice ». Une de ses collègues
exprime à peu près la même opinion : « C'est un des rares métiers qui permettent
à une femme de s'occuper de ses enfants. La « recherche » serait plus intéressante,
mais plus accaparante. »
Certains professeurs, intéressés par la matière qu'ils enseignent, se livrent
volontiers à des travaux de recherche. Quelques-uns d'entre eux parlent d'ailleurs de
la « nécessité d'une culture permanente », (thème déjà abordé dans le chapitre sur
la formation professionnelle). Un jeune écrit : « J'enseigne une matière dont l'étude
me passionne personnellement en dehors de toute idée pédagogique » — et deux
autres trouvent que ce métier « exige de se cultiver toujours, car il remet en question
bien des connaissances établies », et que « le travail intellectuel maintient la
possibilité de suivre le développement des sciences et des techniques ».
Un autre aspect bien particulier est invoqué par certains de nos maîtres.
Le contact avec les jeunes permet de rester soi-même jeune plus longtemps :
« On ne se sent pas vieillir » reconnaît un professeur en milieu de carrière. Un de
ses collègues insiste sur la « nécessité de rester jeune mentalement ».
Contrairement à une idée bien répandue, les « longues vacances » n'entrent
pas en ligne de compte et ne sont citées qu'une fois. Les enseignants les considèrent
certainement plus comme une nécessité que comme un avantage.
D) Milieu agréable
Le nombre des gens satisfaits dans ce domaine s'amenuise — 7 personnes
seulement reconnaissent aimer le milieu enseignant. Cinq professeurs estiment se
trouver dans un milieu « sympathique », « ouvert » aux idées larges. « C'est un
milieu conforme à mes goûts de culture » dit une jeune femme — alors qu'une
autre parle « du travail au sein d'une communauté relativement unie ». Par ailleurs,
deux instituteurs entretiennent des « rapports excellents avec les collègues ».
E) « Le standing »
II n'est cité que par 10 personnes dans les avantages alors qu'il sera un
sujet important de récrimination.
Ce sont les instituteurs qui estiment le plus souvent avoir un niveau de vie
acceptable (9). « J'ai atteint le but que je me suis fixé » dit un jeune. Deux s'estiment
satisfaits « étant donné leur modeste origine ».
Un seul professeur est de cet avis, il ajoute cependant, « à condition qu'il y
ait deux salaires ».
Quelques remarques intéressantes ont échappé à notre classification. « II
paraîtrait scandaleusement irresponsable, .après dix-huit ans d'exercice de ce métier, de
s'estimer déçu, ou indifférent : en ce cas on l'abandonne avant », s'indigne un
professeur en milieu de carrière. Un de ses collègues fait la réserve suivante : « Le
métier ne me satisfait qu'à conditon de ne pas l'exercer tel quel, toute la vie :
promotion et nouveau départ vers 35 ans ». Un autre, plus amer, déclare : « J'ai fait
le métier que m'a permis ma situation sociale. »
Quatre instituteurs font état de « difficultés attendues et surmontées ».
Un ancien parle de la « joie d'un poste double dans une école à deux classes ».
Les jugements favorables sont surtout d'ordre psychologique. Outre la fierté
qu'il tire du rôle important qu'il estime jouer dans la société, l'enseignant est
conscient d'être un intellectuel qui peut, dans l'exercice de son métier, s'enrichir
constamment. Il ne connaît pas d'autre métier qui permette un développement aussi
complet et aussi permanent de la personnalité.
58 S. MOLLO — /. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

II. — Les critiques


Du malaise au découragement
L'analyse détaillée des commentaires qui illustrent abondamment cette partie
du questionnaire, permet une première constatation importante : les enseignants,
qui gardent intacte leur « vocation », se plaignent moins que les autres des difficultés
matérielles de leur profession. Ce qui attire vers l'enseignement, ce sont des
considérations psychologiques, un certain idéal humain, un amour de la personnalité de
l'enfant qui s'exalte à travers la mission sociale de l'enseignement. Professeurs et
instituteurs sont sensibles au respect qu'imposent leur savoir et leur rôle d'initiateur
à la culture d'un pays. Mais, s'ils prennent conscience d'une perte de leur prestige
social, s'ils se sentent rabaissés au rang de « fonctionnaire confiné dans un rôle
d'exécutant routinier » (ce qui est tout différent d'une vocation), en un mot s'ils
perdent leur enthousiasme, instituteurs et professeurs se révoltent contre les difficultés

'
matérielles tant personnelles que professionnelles. Ils sont d'autant plus amers, qu'ils
ont sans cesse espéré être compris et soutenus. Ils se plaignent alors du « manque
de considération de la société » à leur égard et reprochent à notre civilisation
matérialiste d'ignorer le rôle important que peut y jouer la culture.
Nous avons été surpris de la violence de certaines réponses — 130 personnes
nous ont révélé leur « découragement », leur « écœurement », leur « lassitude »...
S'ils se sentent brimés dans leurs aspirations, les enseignants deviennent indifférents
ou déçus, et accomplissent leur travail sans joie. Or, ils le reconnaissent eux-mêmes,
« c'est un métier qu'on ne peut pas faire sans l'aimer ».
A) Etat d'esprit dépressif et amer
On le retrouve chez 46 personnes (cf. tab. ci^dessous).

total échantillon professeurs3 instituteurs 3


déçus déçus déçus satis
total indif. satisfaits total satisfaits total indif très
fer jnte très indifférente très satisf
satis. satis.
total des 11 22
aenti'ons 55 44 15 7 33 29 4

total des
personnes 46 36 1C 18 j 12 6 28 24 4
,

Ce sont donc bien les « déçus et indifférents » qui ressentent le plus cette
amertume, qui fait d'enthousiastes déçus des aigris malheureux. Les instituteurs
semblent les plus touchés.
Tous se plaignent d'être « mal considérés » et de rencontrsr partout une
profonde « incompréhension ». Un professeur note « le dédain de beaucoup de gens
pour les « petits profs » (même agrégés !), à la vie modeste et aux longues
vacances ». Un autre exprime bien le malaise qui isole le monde enseignant de la
société : « On a le sentiment (accru par certaines campagnes de presse mal menées)
que certaines classes de la société, qui fondent leur estime sur l'épaisseur d'un
portefeuille, nous considèrent avec une certaine commisération. » Un jeune instituteur
se fait l'écho de ce découragement : « Je suis écœuré par la dégradation que subit
notre corporation. Dégradation consécutive à l'insuffisance des traitements et, par
voie de conséquence, dégradation morale, déconsidération progressive du public à
notre égand, quand ce n'est pas du mépris. » « Je suis dégoûté », s'exclame avec
véhémence un jeune, « de constater qu'en France on se moque absolument des
enseignants ».
« Perte de prestige du maître » — « déclassement considérable de la fonction
enseignante à l'heure actuelle » constatent avec rancœur professeurs et instituteurs.
Cette dévalorisation provient, non seulement de l'insuffisance des traitements et des
conditions de travail défectueuses, mais de la baisse de qualification dans le
recrutement du personnel enseignant, qui contribue à discréditer la profession. « On
assiste à un envahissement des lycées par un personnel d'appoint non qualifié »
déplore un vieux professeur. Deux instituteurs constatent que « le personnel de
LA CONDITION DU MAITRE 59

remplacement est inexistant et inexpérimenté ». « Actuellement — s'écrie un jeune


professeur — je ne pense pas qu'un brillant élève de l'Université songe un seul
instant à venir dans l'enseignement secondaire. Les lycées de France sont devenus
les débouchés du « cancre » rejeté de l'industrie. Je connais un lycée où le professeur
de maths le plus instruit (licence incomplète) n'est pas un autre que ce dernier
élève d'un certain « amphi » de faculté des sciences. »
De nombreux enseignants déplorent, également, les mauvaises relations ou
l'absence totale de contacts avec les parents d'élèves, telle cette institutrice qui se
plaint de « relations décevantes avec les familles, surtout en campagne et pour les
petites classes, car la famille n'a pas conscience du travail et de la patience qu'exigent
les enfants de 5-6 ans. La classe du certificat inspire encore du respect ! » « Trois
instituteurs regrettent « le manque d'intérêt des parents ». Un autre ajoute : « Les
parents ne comprennent pas et croient que le métier est choisi pour les vacances. »
Du découragement à la colère
B) Les mauvaises conditions matérielles
Elles sont déjà sous-jacentes aux récriminations antérieures et reviennent
constamment, tout au long de l'enquête.
Partout, on dénonce « les traitements faibles et insuffisants ou « les salaires
bas et médiocres », surtout « par rapport aux études et aux emplois publics ».
Les débutants, qu'ils soient professeurs ou instituteurs, sont particulièrement révoltés.
Une jeune femme-professeur écrit : « II m'est impossible de vivre correctement.
Le traitement suffit juste à payer le loyer et à faire vivre le ménage. Il ne reste
pratiquement rien pour l'habillement et les loisirs. » Un de ses collègues se plaint
que « le traitement n'est pas en rapport avec le travail fourni et le niveau intellectuel
nécessaire. » Un instituteur âgé estime qu'il a un « salaire de manoeuvre ».
Tous déplorent la dégradation constante du niveau de vie de l'enseignant.
Mais les enseignants semblent être encore plus sensibles aux mauvaises
conditions de travail qu'à leur situation personnelle, ce dont témoigne l'abondance des
commentaires sur ce sujet :
Professeurs Instituteurs Total
Total des personnes 53 23 76
Total des mentions 90 29 119
Ces difficultés semblent paralyser les efforts du maître. La « disproportion
entre l'effort fourni et les résultats » engendra découragement et fatigue. De déception
en déception, l'enseignant en arrive à douter de son efficacité et de son utilité.
« Le professeur est surtout obligé de « bachoter » au lieu de vraiment cultiver les
esprits. » II se heurte à de nombreux facteurs qui ne dépendent pas de lui ; son
action se trouve diluée. Il ne crée plus. « Les conditions rendent l'enseignement
inefficace et sans profondeur », disent quatre instituteurs.
Toutes ces critiques ont été longuement analysées dans la presse, la littérature
pédagogique et syndicale. Nous les retrouvons une fois de plus. On peut affirmer,
dès maintenant, que ces brimades d'ordre matériel atteignent profondément
l'enseignant dans sa dignité personnelle. « C'est une déception constante de se contenter
de donner aux enfants, faute de temps, de moyens... une partie trop faible de ce
qu'ils sont susceptibles d'assimiler et de former mal ceux que l'on voudrait faire
accéder à une culture personnelle. »
C) Milieu et administration désagréables
Un autre motif de griefs, mais plus minime puisqu'il n'intéresse que 17
personnes, s'en prend au milieu enseignant.
Le milieu est jugé « mesquin », « fermé sur lui-même », « enclin à la
routine », interdisant toute possibilité de promotion quelconque. Les relations avec
les collègues « manquent de chaleur ». Les enseignants regrettent de ne rencontrer
autour d'eux que peu de sympathie et de compréhension. Une jeune femme-
professeur se plaint que les « relations avec les collègues soient souvent difficiles,
surtout dans les lycées mixtes et pour les célibataires ». Un instituteur constate « le
manque de solidarité. Les jeunes sont mal acceptés par les anciens aigris et
poussiéreux ».
Les maîtres, surtout les plus jeunes, critiquent vivement les relations avec une
administration « centrale et lointaine », « routinière », qui ne sollicite pas leur
avis pour les réformes à entreprendre. « Les nominations sont décevantes, la loi du
plus braillard est bien établie », s'écrie avec aigreur une jeune femme-professeur.
60 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ

Une de ses collègues écrit : « Je déplore que l'on puisse réformer, sans nous, les
examens auxquels nous devons préparer nos élèves. »
Conclusion :
Nous retiendrons surtout de cette première analyse l'aspect affectif et
passionnel de la représentation que l'enseignant se fait de sa profession et de
l'administration dont il dépend. Les considérations morales et intellectuelles l'emportent
sur les considérations matérielles, tant que l'enseignant garde intact son enthousiasme,
ou pour reprendre ses propres termes, « sa vocation ». Mais il semble exister un
seuil en deçà duquel l'excès des difficultés de tous ordres (perte de prestige, bas
salaires...) est surtout ressenti comme une atteinte à la liberté individuelle et à la
personnalité de chacun, et prend un caractère vexatoire qui ne doit pas étonner
chez des gens conscients de leur valeur intellectuelle. L'enseignant recherche, certes,
l'épanouissement de sa personnalité dans l'accomplissement d'une tâche qu'il aime.
En même temps, il garde une haute opinion de sa profession et admet mal que la
société n'en tienne pas compte.
Cette implication totale de la personne dans l'exercice de la profession est
lourde de conséquence. Le passage de l'enthousiasme au découragement se fait brutal
et communicatif. De plus, ne doit-on pas lui imputer une partie de la grande fatigue
nerveuse dont se plaignent tous les enseignants ?
D'une façon générale ce sentiment de frustration, ce mécontentement sont
pius forts du côté masculin que du côté féminin, notamment chez les professeurs.
La déception est également exprimée davantage par les jeunes que par leurs collègues
plus âgés.
D'autre part, cette dernière question fait ressortir à quel point l'enseignant,
en se disant « déclassé », prend conscience de son isolement en France. Ce
questionnaire a amené les maîtres interrogés à réfléchir sur leur situation personnelle. Le ton
passionné des dernières réponses est sans doute le résultat de la prise de conscience
des origines du malaise ressenti d'une façon diffuse par les enseignants.
ET SI C'ÉTAIT A REFAIRE ?
Nous avons constaté combien la désillusion est grande, combien les critiques
portées contre la profession peuvent être virulentes. Compte tenu de cette expérience
professionnelle souvent amère et décevante, mais soutenue par un grand
enthousiasme, s'il était donné au maître de se retrouver à l'heure du choix, que ferait-il ?
Opterait-il pour la même profession ?
A cette question, les enseignants nous ont répondu de la manière suivante :

professeurs instituteurs total

la même profession 66fo 52$ 59$

autre poste dans l'ensei- a*


gnement '

autre professibn 18$ 19$

ne savent pas - hésitent 8$ 5f* 6fo

La leçon est inquiétante : 35 % veulent changer de situation, 6 % se montrent


perplexes. Cette proportion est imposante, mais il faudrait faire une comparaison
avec un autre milieu, pour la mettre en valeur ou en connaître la portée exacte.
Sur 105 personnes qui veulent changer de poste, les insti tuteurs sont les
plus nombreux (43 % contre 26 % ).
— Profession choisie
On choisit plus volontiers une profession en dehors de l'enseignement (54 %
contre 46 %). Sur ce point, instituteurs et professeurs adoptent une position
similaire (18 % et 19 %).
LA CONDITION DU MAITRE 61

Dans l'enseignement, les opinions divergent fortement. Ce sont surtout les


instituteurs qui aspirent à changer de situation à l'intérieur même de leur profession.
Seuls, 12 professeurs se rangent à cet avis.
Il semble donc établi que de nombreux enseignants souhaiteraient quitter la
profession, mais que les instituteurs rechercheraient, plus que leurs collègues, une
promotion sociale dans l'enseignement, par l'accession à des postes situés plus haut
dans la hiérarchie.
— Nature de ces changements
1) Dans l'enseignement :
— 12 professeurs mentionnent 17 postes auxquels ils aimeraient accéder.
La majorité d'entre eux (8) désirent l'enseignement supérieur.
4 souhaiteraient la recherche.
4 veulent enseigner dans une autre matière ou se consacrer à des tâches
administratives.
— 34 instituteurs expriment les désirs suivants :
— devenir professeurs de lycée ou de C.E.G 17
— professeurs d'éducation physique 8
— conseillers pédagogiques ou psychologues scolaires .... 2
— enseignement ménager 1
Un seul désire devenir directeur d'école : « J'aurais plus de contacts avec les
enfants. Je pourrais consacrer plus d'attention à leurs besoins culturels, affectifs et
familiaux. Rôle plus intéressant que celui d'enseigner les maths. »
Ces choix traduisent bien la conception très hiérarchique que nos enseignants
ont de leur profession. Ils reflètent également l'aspiration, pour bon nombre d'entre
eux, d'accéder à un statut social plus élevé que le leur, espérant ainsi trouver un
remède à leurs problèmes actuels.
2) Hors de l'enseignement :
Professeurs Instituteurs Total
— Carrière médicale 9 7 16
— Cadres de l'industrie, ingénieur 9 5 14
— Commerce 2 3 5
— Administration 3 3 6
— Carrière du livre, bibliothèque,
édition, traduction 5 - 5
— Aide à l'enfance, psychologie 14 5
— Journalisme 1 1 2
— Recherche 1 1 2
— Fonctionnaire (S.N.C.F., officier
de marine, P.T.T., secrétaire
de mairie) - 4 4
— Barreau 2 - 2
— Divers (architecte, géologue,
décorateur) - 3 3
33 31 64
Ce sont les métiers à vocation sociale qui l'emportent : médecine,
psychologie, aide à l'enfance jouissent d'une faveur certaine auprès de 21 personnes.
Les professions intellectuelles sont également très prisées par nos enseignants
qui les citent abondamment ; notamment les carrières de l'industrie, concrétisées par
l'ingénieur, viennent en très bonne place. Notons que les carrières du livre ne sont
mentionnées que par les professeurs, les carrières de fonctionnaires uniquement
par les instituteurs.
Tous ces métiers sont connus pour jouir d'un certain prestige social. Ils
permettent d'utiliser les capacités individuelles nécessaires à l'enseignement, mais
à des buts plus lucratifs et surtout mieux considérés. Les aptitudes de
l'enseignement trouvent ici leur revanche. Cependant, il faut remarquer que de nombreuses
professions choisies sont extrêmement floues et montrent une grande
méconnaissance des autres branches professionnelles (qu'est-ce qu'un ingénieur, un
administrateur ?...)
Il faut, en dernière remarque, tenir compte du nombre non négligeable
d'hésitants et des non-réponses (19 %), qui traduit un certain embarras à choisir. Un
62 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-RODRIGUEZ
mvr
professeur
première
permis
si mon machoix
supérieure.
exprime
situation
avait ainsi
Ilsociale.
été est
parfaitement
sonvain
Jerefus
n'ai
aujourd'hui
de
jamais
libre.
répondre
»été
de me
un
: «étudiant
demander
J'ai faitlibre,
ce
le que
métier
ni un
j'aurais
que m'a
élève fait
de

CONCLUSION
Les résultats de cette enquête montrent à quel point les enseignants sont
sensibilisés aux problèmes qui se posent actuellement à eux.
La responsabilité de la société vis-à-vis de l'enseignement a été largement
mise en évidence tout au long de la recherche. Comme toute institution l'école
est dépendante de la société qui l'a créée. Ds nombreuses critiques formulées par
les enquêtes traduisent bien souvent le désintérêt de la société pour des problèmes
qui sont pourtant les siens. Le manque de moyens matériels, le nombre trop grand
d'élèves par classe, pour ne reprendre que ces exemples, rendent le métier
d'enseignant difficile, parfois intolérable. Mais les élèves ne sont-ils pas, autant que leurs
maîtres, victimes de ces dures conditions ? C'est pourquoi les maîtres réagissent
vivement contre une indifférence qui limite leur action, et ôte à leur profession
la considération qu'elle mérite.
L'excès de leur enthousiasme ou de leur aigreur montre à quel point ils
désirent assumer une responsabilité vis-à-vis de laquelle, tout compromis est jugé
irrecevable. Nous sommes donc loin d'un exposé objectif de la condition du maître
en France. Par contre, nous savons que la haute idée qu'il se fait d'une profession,
qui suppose un engagement intellectuel et moral rigoureux, provoque des attitudes
parfois extrêmes. Représentations, attitudes et actions sont cohérentes dans leur
diversité. Chacun réagit en fonction de sa personnalité, mais les grands problèmes
qui se posent actuellement à l'enseignement en France sont abordés avec le même
esprit. L'étude des variables, âge, sexe, situation dans la profession, révèlent des
nuances parfois importantes, mais pas d'opposition.
Certains résultats doivent retenir particulièrement notre attention, car ils
paraissent essentiels à l'étude d'une meilleure compréhension entre l'école et la société.
1° Le monde des enseignants est un monde clos.
Il est relativement coupé de la vis sociale. Les maîtres eux-mêmes ont conscience
de cet isolement. Certains commentaires en font foi qui insistent sur la nécessité de
s'évader du milieu scolaire par des liaisons plus larges avec d'autres milieux.
N'oublions pas, non plus, que l'enseignant est en contact permanent avec le monde des
jeunes et qu'il lui faut se retrouver avec des .semblables, pour se sentir adulte lui-
même, ce qui pourrait sans doute améliorer les relations avec les parents d'élèves.
— Les enseignants ont l'impression de vivre dans un monde cloisonné et
hiérarchisé. Leurs rapports avec une administration qu'ils jugent autoritaire et
distante sont empreints de méfiance, voire d'hostilité. Beaucoup se plaignent d'être
soumis à un arbitraire qui ne tient pas assez compte de leurs aspirations et de leurs
problèmes personnels.
A la fois, tenu à distance par une administration souvent lointaine, ignoré et
méconnu du grand public, l'enseignant occupe une place éminemment inconfortable.
2° Le malaise de l'enseignement.
Les réponses fournies par les enquêtes, nous en avons donné de nombreux
exemples, se font parfois sur un ton passionnel et accusateur. Cependant, des maîtres
ont pesé les aspects positifs et les aspects négatifs des problèmes soulevés. Ceci est
très net en ce qui concerne la formation professionnelle, ou l'organisation du temps
de loisir. On distingue nettement deux démarches dans l'esprit du maître. Il juge
sa situation, à la fois en tant qu'individu et en tant que citoyen ; il met sa
profession, autant au service de sa personnalité, qu'à celui de la société :
— a) Niveau individuel.
L'enseignant s'engage totalement dans son métier. L'harmonie résulte de
l'accord entre l'homme et sa profession, dans laquelle il recherche une satisfaction
personnelle. Les motivations sont d'ordre psychologique et intellectuel : la
nécessité d'approfondir constamment sa culture permet un renouvellement et un
enrichissement incessant de sa personnalité. L'enseignant tire gloire et fierté d'une
tâche bien remplie.
LA CONDITION DU MAITRE 63

Si les contingences matérielles entravent sa mission créatrice, sa propre valeur


est remise en question, ce qui engendre doute et désarroi. Peu satisfait de sa vie
professionnelle, le maître ne trouve nulle compensation dans sa vie matérielle, lorsqu'il
compare son niveau de vie à celui d'autres professions équivalentes. Constatant que,
dans notre société actuelle, les valeurs matérielles l'emportent sur les valeurs
intellectuelles il estime que le bas salaire des ensdgnants entraîne automatiquement
perte de prestige et déconsidération de la fonction.
b) Niveau social.
Les enseignants ont toujours considéré l'instruction comme un facteur
essentiel de progrès social. Imprégnés de cet idéal civique, ils sont convaincus de
l'importance de leur rôle social. Ils s'alarment de la dégradation croissante de la
fonction enseignante. La situation leur paraît grave, non seulement poiur l'avenir
de la profession, mais pour l'avenir du pays. Les maîtres se sentent solidaires ds
l'évolution de leur société.
La vocation sociale de l'enseignement est bien mise en relief par l'intérêt
accordé à la formation professionnelle. Toute mesure d'urgence, qui tend à baisser
le niveau de la qualification des maîtres, est jugée avec sévérité. De plus, les
maîtres qui entrent dans renseignemenit, grâce à ces mesures d'urgence, se plaignent
de l'insuffisance de leur formation.
Cette double vocation de l'enseignant, pour reprendre un terme souvent
rencontré dans les réponses aux questionnaires, fait osciller le maître entre deux
opinions extrêmes. Si les difficultés matérielles entravent trop gravement l'exercice de
la fonction, la sévérité de leur jugement croît avec l'ampleur de leurs ambitions.
Il semble bien, que l'équilibre entre ces deux extrêmes soit fragile. Si les
inconvénients l'emportent sur les avantages, l'idéal devient désillusion, la critique se
change en colère, l'engagement se perd dans le découragement.
3° Les perspectives.
Le pronostic paraît sombre. Faute de pouvoir exercer dans des conditions
acceptables, l'enseignant se sent dévalué et injustement rejeté au « ban de la
société ».
Désabusée, une partie des maîtres songe à quitter l'enseignement pour un
métier moins ingrat et mieux rémunéré. Chez ceux qui n'envisagent pas encore cette
solution extrême, l'enthousiasme cède peu à peu la place au découragement. Il est
à craindre que, déçu de ne pouvoir assumer le plein emploi de ses facultés et voyant
la situation empirer de jour en jour, l'enseignant ne s'installe dans une morne
routine et ne considère plus son métier que comme un gagne-pain quelconque, un mal
nécessaire. Comment, dans ces conditions, contribuera-t-il au développement des enfants
qu'il doit préparer à la vie ?
Ce danger existe, il n'en faut point douter. Cependant, nous avons pu
constater chez nos maîtres, en contrepoint réconfortant, une puissante aspiration à
concilier harmonieusement l'enrichissement de la personnalité et l'efficacité de la
fonction. Occasionnellement, au cours de cette enquête, ces aspirations se sont
exprimées. Elles ont révélé chez les enssignants un vif désir de participer au redressement
de leur situation. Leurs réponses fourmillent de remarques, de suggestions
intéressantes se rapportant aux divers aspects de leur profession. Ils dénoncent avec
lucidité les lacunes, les erreurs, qui pèsent sur l'enseignement à l'heure actuelle et
l'empêchent de jouer efficacement son rôle vis-à-vis des jeunes.
A ce niveau, le dialogua avec l'administration paraît facile à établir et le ton
des réponses perd son acrimonie. La critique se révélant insuffisante, les maîtres
envisagent spontanément des solutions qui méritent de retenir notre attention.
Premières victimes de la crise du recrutement, ils proposent « une revalorisation de la
profession », tant sur le plan matériel que sur le plan moral. Ils se refusent à toute
baisse de la qualification et voient d'un mauvais œil « le recrutement d'un
personnel d'occasion n'ayant pas conscience de l'importance morale et sociale de son
rôle ». Le fait que les jeunes enseignants attachent de moins en moins d'importance
au dévouement est révélateur d'une certaine évolution de la représentation de
la profession. Les jeunes envisagent l'enseignement sous un aspect plus technique
que leurs aînés. Ils considèrent que le métier s'apprend et qu'une pédagogie plus
scientifique peut remplacer avantageusement le dévouement et l'amour des enfants :
c'est pourquoi ils attachent tant d'importance à une formation professionnelle tenant
compte des progrès de la psychologie de l'enfant et de l'adolescent. Toutes les
64 S. MOLLO — J. GUYARD — L. LECLERC-R0DR1GUEZ

suggestions, qui les amènent à demander une formation professionnelle permanente,


s'intègrent dans une évolution de la représentation de la fonction de l'enseignant qui
tend à mettre sur le même plan considérations humaines, ou plutôt humanitaires, et
conception plus scientifique de la pédagogie.
La restauration du prestige de la profession nécessite la réforme urgente de
structures démodées et non ajustées à la réalité d'aujourd'hui. Toutefois, selon
l'expression pittoresque employée par un maître, il convient d'en finir avec « les
réformes à la petite semaine », qui ne font qu'aggraver l'état de choses actuel.
L'enseignant regrette d'avoir à appliquer de nouvelles dispositions sans avoir pris part
à leur élaboration. Sa compétence et son expérience restent inemployées. A une
question qui traitait tout spécialement de ce problème, la presque unanimité s'est
faite (96 %), pour estimer que les enseignants devraient participer davantage à
l'organisation et à la planification de l'enseignement. Par une collaboration bien
comprise, entre l'administration responsable et les éducateurs, le dialogue entre
école et société pourrait renaître, avec pour gage l'espoir de découvrir les justes
remèdes que réclame la situation difficile de l'enseignement.

Vous aimerez peut-être aussi