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La piraterie et le terrorisme maritime à I'aube

du XXle siècle. Le cas du Sud-Est asiatique*

par Pascal BOULANGER*

1. Historique d'une piraterie de tradition

Les eaux d'Extrême-Orient, et en particulier de la Mer de Chine, ont de tous temps


été réputées pour être infestées de pirates. Durant des siècles, les pirates malais
ont harcelé les flottes européennes. Année après année, I'histoire espagnole décrit
les coups de main des pirates contre des villages philippins qu'ils incendiaient et
dont ilmassacraient les habitantssansvaleur: enfants, vieillards et pauvres. Tandis
que les femmes étaient gardées pour I'orgie après. un repas triomphal, puis
vendues comme esclaves, les hommes étaient rendus à leur famille contre rançon.
Si celle-ci n'était pas versée à temps, les familles des prisonniers recevaient une
première oreille, puis la seconde, puis une main, etc.
Les traîtres périssaient dans des supplices atrocesr à plusieurs jours de
distance, les pirates leur coupaient les lèvres, la langue, les narines, les pieds et
les mains, tout en les fouettant entre temps.
Les pirates japonais et chinois, qui n'étaient pas plus tendres, ont longtemps
bénéficié de I'appui des populations pauvres auxquelles ils distribuaient une partie
des prises.
Au début du XlXe siècle, les pirates chinois s'étaient regroupés en diverses
flottilles organisées. L'une d'elles, dirigée par Mme Ching, épouse du pirate Ching
Yih, noyé lors d'un typhon en 1807, commandait une escadre de près de 500
bateaux de 15 à 200 tonnes. Leurs prisonniers avaient généralement le choix entre
se rallier à eux ou être férocement massacrés: après avoir été copieusement
flagellés, les mains liées derrière le dos, ils étaient hissés par les aisselles au grand
mât d'où on les laissait brutalement tomber pour leur désarticuler les bras. Ce petit
manège se prolongeait jusqu'à ce qu'ils changeassent d'avis ou succombassent
à leurs soutfrances(1 ).
Au début du XXe siècle, le journaliste américain, Aleko Lulius(2) a réussi à
s'embarquer avec une femme pirate, Lai Choi San, qui commandait 12 jonques
armées de canons et dont la spécialité était de (protéger) moyennant finance, les
jonques de pêcheurs contre les autres pirates.
Aujourd'hui, les moeurs de ces gens ne se sont guère adoucies. J'aimerais
démontrer le contraire, mais hélas... à I'aube du XXle siècle, certains piratesde Mer

*Extrait remanié
d'un mémoire présenté à I'Ecole Supérieure de Navigation (Anvers) en 1986 pour
I'obtention de la licence en Sciences Nautiques.
**Licencié
en Sciences Nautiques, capitaine au long cours.

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de Chine n'ont rien à envier à leurs ancêtres. Je traiterai principalement de la
piraterie dans les eaux du Sud-Est asiatique (Singapour, mer de Chine méridio-
nale, archipels philippin et indonésien et le golf du Siam), mais évoqueraiégale-
ment la situation au large de Madras, lnde(3)

2. A I'ouest de Singapour

Des rapports font état de vols à main armée à bord de navires dans le golfe du
Bengale, à l'ouest de Singapour. Quoiqu'il ne s'agisse, somme toute, que d'un vol
banal, la mésaventure du pétrolier belge de 32.214 t, le m/t "Maaskant,' mérite
d'être racontée.
Le 28 décembre 1983, le m/t
"Maaskant" était à I'ancre, au large de Madras,
lorsqu'en début de soirée, des voleurs ont dérobé une toute nouvelle amarre qu'ils
onttenté d'emporterà bord d'une barque mue à I'aviron. Avertiparl'otficierdequart
à la passerelle, le commandant Farhat Shamin a fait déborder un canot et s'est fait
accompagner de 7 membres d'équipage pour poursuivre les voleurs qui, etfrayés,
ont rejeté I'amarre à la mer. Heureuse de récupérer son amarre, l'équipe du capt.
Shamin a abandonné la poursuite et a rejoint le bord.
D'autres incidents concernant des navires marchands au large de Madras, on
été signalés et figurent au répertoire des incidents rapportés, mais semblent
insignifiants à côté de ceux de la région de Singapour. Des incidents plus graves
imputés aux séparatistes Tamouls auraient aussi eu lieu dans le détroit de Palk,
entre I'lnde et l'île de Sri Lanka.
Les pêcheurs bengalis seraient, eux, traqués par des bandits thailandais,
causant un préjudice que les autorités de Dacca estimaient en 1985 à deux millions
de dollars. Les pirates thai's arraisonnent les chalutiers bengalis, volent les
cargaisonsetfontprisonniers les pêcheurs, quand ils ne les jettentpasdirectement
par-dessus bord. En février 1986, trois cent cinquante pêcheurs bengalis avaient
déjà disparu. Cette situation a amené le Bangla Desh à devoir protégerses propres
chalutiers par des vedettes rapides, autorisées à prévenir les abordages au canon
si nécessaire(4).

3. La région de Singapour

3.1. Géographie et économie


Singapour et le détroit de Malacca otfrent d'énormes opportunités aux pirates.
Cette jonction maritime entre I'océan lndien et I'océan Pacifique connaît un trafic
intense: près de 200 navires marchands y transitent journellement. Le détroit de
Malacca ressemble à un entonnoir: large de 200 milles au nord-ouest de Singapour,
il se rétrécit, au sud de Singapour, jusqu'à peine plus d'un mille. La circulation
maritime dense et l'étroitesse du détroit ont imposé I'instauration d'un système de
séparation de trafic(S).
Le côté nord du chenal draine la circulation est-ouest. Vu la proximité de l'île de
Singapour (571,6 km2,1gg,7 km de côtes), les navires qui rejoignent le Malacca
Strait bénéficient d'une sécurité relative. En etfet, Singapour qui jouit, avec le

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Japon, du niveau de vie le plus élevé de toutes les nations d'Extrême-orient,
dispose d'une petite force de protection capable de lutter etficacement contre la
piraterie.
Le trafic maritime ouest-est, en revanche, emprunte le
"phillip channel, qui
longe l'île de sumatra, en lndonésie, et s'étire sur 5159 km d'ouest en est. c'est un
archipelcomposé de 13.667 îles dont 3O0O sont habitées. Politiquement très agité,
en proie à des attentats et des émeutes sanglantes, son économie est faible:èon
PNB/habitant est 12 fois inférieurà celuide singapour. La grande étendue de son
territoire réduit I'efficacité des forces de protection indonésienne. Les attaques
surviennenttout le long du détroit de Malacca; la base principale des pirates serait
les îles Riau, situées à quelques milles au sud de singapour. Leur vêgétation est
luxuriante, les passes, nombreuses; les dangereux récifs de coraildiséuadent les
forces de police d'y poursuivre les pirates. De plus, I'importante population de
pêcheurs indigènes constitue une couverture idéale pour ces pillards.

3.2. Déroulement courant d'une attaque d,un navire marchand


A I'approche de la passe la plus resserrée, où le trafic est de ce fait des plus denses,
les navires réduisent leur vitesse pour s'engager dans le chenal exigu: de telles
conditions de navigation captiventtoute I'attention du personnelde quafi, ainsique
la vigilance du commandant.
Apparemment, les pirates n'ont pas de prédilection pour un genre particulier de
navire: ils s'attaquent aussi bien à un caboteur, à un porte-conteneurs qu'à un
superpétrolier. Le franc-bord d'un bâtiment chargé semble cependant être un
élément déterminant dans le choix de leur victime.
La nature des attaques dans cette région diffère considérablement de celles qui
se produisent au large de I'Afrique occidentale. Généralement, le navire est abordé
par un petit groupe de 2 à 5 voleurs qui s'approchent par l'arrière à bord d'un
*prahu", embarcation indigène de 8 à 10 pieds de long, équipée d'un moteur hors-
bord. Après s'être hissés sur le pont à I'aide de lignes retenues par des grappins,
ils s'empressent de déborder une amarre afin de se ménager une possibiliié de repti
rapide. Les assaillants, généralement de race noire, sont pieds nus, vêtus d'un
pagne, ont la tête recouverte d'un foulard et sont immanquablement armés, soit
d'une machette, soit d'un couteau.
..Le raid ne dure que quelques minutes et passe souvent inaperçu: les as-
saillants, peu intéressés par la cargaison, mais beaucoup par I'argent-liquide, se
précipitent généralement chez le commandant, une cible de premier choix.

3.3. Description de quelques incidents

3.3.1. Départ de singapour d'un pétrotier chargé de la compagnie chevron


Au début de 1 985, un pétrolier de 35.000 t de port en lourd de la lchevron shipping
Company" a été abordé à I'aube par des pirates armés. Le navire venait de quittel
le "Eastern Petroleum Anchorage" de singapour, traversait une zonê génàrale-
ment bien surveillée par des vedettes de la police et des gardes-côtes locâux et
se
dirigeait vers le Horsburgh Light".

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Vers 05.40 GMT, le commandant a rejoint sa cabine afin de rédiger le télex de
départ. Le jour allait se lever, la mer était belle, la visibilité, de 12 milles, le navire
filait 15 noeuds. Conformément au "Règlement lnternational pour prévenir les
abordages en Mer, 1972,,,|'éclairage du pont avait été éteint. A 05.45 h, I'officier
de quart modifie sa route de façon à passer 5 petits bateaux de pêche surtribord.
Tandis que le chef mécanicien se rendait à la salle des machines, le commandant
travaillait à son bureau.
A O5.SO h, 4 pirates armés de couteaux et d'une barre à mine font irruption dans
la cabine du commandant tandis qu'un cinquième monte la garde dans la coursive'
Après lui avoir lié les mains devant lui, ils ont forcé le commandant à ouvrir le coffre-
fort et se Sont emparés de I'argent et du revolver de bord. lls ont enroulé le
commandant dans des draps et deS couvertures, I'ont enfermé dans sa chambre
à coucher, puis ont rapidement disparu.
Parvenu à se libérer rapidement, le commandant s'est rendu à la passerelle,
mais I'embarcation des pirates était déjà hors de vue'
L'incident fut immédiatement rapporté par VHF aux autorités locales, dont
I'enquête révéla rapidement cefiaines évidences qui laissent supposer que les
pirates ont abordé le navire par le côté bâbord arrière (franc-bord: 28 pieds) au
moyen de lignes à grappins, qu'ils se sont rendus dans la cabine du commandant
par les échelles extérieures et qu'ils se seraient retirés par le même chemin. Une
ligne provenant du magasin à cordages y a été découverte accrochée, tandis que
le revolver avait été abandonné à proximité.
L'abordage a été si bien etfectué que personne d'autre que le commandant n'a
vu ni entendu les pirates.

3.3.2. Le m/s "Bina";le 21 février 1985


Le m/s *Rina' est I'un des trois navires dont on sait qu'ils ont été victimes des
pirates le 21 février 1985 lors du transit de "Singapour Strait".
Le m/s *Rina" transportait des véhicules à destination de "Kuching" lorsque
vers 03.30 h, il a été attaqué au large de " Ratf le Lighthouse" par 6 hommes armés
de machettes.
Selon le récit de M. Encik Abdulah, le premier officier, les pirates ont suivi le
navire quifilait 10 noeuds, et se sont hissés sur la plage arrière à I'aide de grappins.
La plupart des membres d'équipage dormaient, mais il ont rencontré le matelot
Zainal qui se préparait à prendre son quart. Après lui avoir ordonné de se taire, ils
I'ont attaché et sont entrés dans la cabine la plus proche où ils ont surpris le cuisinier
Joari Hassan endormi. L'un d'eux lui a appliqué une machette sur la gorge,
menaçant de la luitrancher s'iltentait de donner I'alarme.
Après avoir volé quelques menus objets de valeur, une chalne en Or, une
montre, un briquet, ils ont enfermé les deux hommes, pieds et poings liés, dans la
cabine du cuisinier. L'équipage découvrit plus tard un morceau de haussière
débordé sur la poupe. celui-ciavait dû faciliter la retraite des pirates.
Peu de temps après, le m/s "Rina" croisa le m/s "lkan Duki"' un porte-
conteneurs battant pavillon de Singapour, qui avait été attaqué de la même façon
et qui avait aussi un morceau de haussière débordé sur I'arrière(6)-

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3.3.3. Le m/t "Corsicana";août 1981
Généralement, toutes ces attaques sont relativement simples, rapides et n'entraî-
nent pas de blessures graves pour l'équipage. Les pirates, quicomptent sur I'effet
de surprise, recherchent I'argent liquide et de petits objets de valeur qui peuvent
être facilement emportés. Malheureusement, ainsi qu'en témoigne I'incident sui-
vant, certaines de ces attaques risquent de provoquer des catastrophes.
En août 1981 , trois pirates armés de machettes et de couteaux se sont rendus
maître de la passerelle d'un pétrolier de Mobil, le m/t (29.960 t), qui
"Corsicana"
transitait par le Phillip Chanel à une vitesse de 12 à 15 noeuds. Tandis qu'ils
appliquaient un couteau sur la gorge du 2e officier et du timonier, ils ont forcé le
commandant à se rendre dans sa cabine pour leur remettre le contenu du coffre.
Malgré I'interdiction qui lui en avait été faite par les assaillants, le 2e otficier a
effectué un changement de route. Quelques minutes plus tard les pillards dispa-
raissaient avec leur butin.
Le plus grand danger réside ici dans le fait que les navires marchands sont
attaqués alors qu'ils naviguent dans un chenal étroit et encombré. Si l'équipage
d'un gros pétrolier était, de ce fait, amené à commettre une erreur de navigation,
les conséquences écologiques d'un échouage ou d'un abordage seraient désas-
treuses, particulièrement dans cette région où la pêche est une des industries
florissantes et le poisson, la nourriture de base.

4. A l'est de Singapour

4.1. Les archipels philippin et indonésien


Cette région, où les îles abondent, regorge de pirates tout aussi sanguinaires que
leurs ancêtres. Leurs victimes sont aussi bien des passagers de navire de ligne,
des équipages de bâtiments de commerce que des pêcheurs ou des plaisanciers.

4.1.1. Le yacht "L'Artémis de Pytheas"; le 10 février 1979


Monsieur, Madame Tangvald et leur fils de 2 ans et demi, propriétaires du voilier
de 50 pieds, "L'4ftémis de Pytheas,', en étaient à leur sixième jour de croisière
dans la mer de Sulu lorsqu'ils remarquèrent qu'un petit bateau les rattrapait
rapidement par I'arrière.
lnquiète, Madame Tangvald tira un coup de feu en I'air et, en anglais, elle
demanda à leurs poursuivants de s'éloigner. Aussitôt, un coup de feu fut tiré de la
vedette et madame Tangvald, atteinte d'une balle dans la tête, tomba par-dessus
bord et coula tandis qu'un homme mettait PeterTangvald en joue. Le tueurfinit par
abaisser son fusil, probablement pris de pitié par le petit Thomas qui s'agrippait aux
genoux de son père. En emportant le fusil et I'argent de
"L'Artémis de Pytheas",
ils disparurent.
La police de Brunei (Bornéo) se déclara par la suite impuissante à retrouver les
pirates du fait que ce sont chaque année des centaines deyachts quisont attaqués
ou disparaissent dans la mer de Sulu, et que les caches ne manquent pas parmi
les innombrables îles de la région.

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Deux ans plus tard,
"L'Artémis de Pytheas", ancré au large de Gabes (Tunisie),
fut de nouveau attaqué et ses occupants malmenés, mais cette fois, les pirates, au
nombre de trois, furent arrêtés par la police.

4.1.2. Le m/s
"OrientalAmbassador"; le 14 mai 1980
Le 14 mai 1980, un cargo britannique de 24.037 t a été abordé dans la baie de
Manille par une bande de voleurs armés d'armes automatiques. Le commandant
Dyason, qui tentait d'écarter un revolver de sa nuque, a été abattu d'une rafale de
fusil à répétition, tandis qu'un mécanicien a été blessé. Cinq d'entre eux furent plus
tard arrêtés par les garde-côtes philippins. lls faisaient partie d'une bande de huit
connue sous le nom de gang "Morning Glory".

4.1.3. Autres incidents


D'autres incidents furent particulièrement remarqués: le 1 1 août 1984, trois pirates
ont attaqué un bateau avec cinquante-cinq passagers sur la liaison Semporna
(Malaisie) et Sitangkai (Philippines). Trente-trois d'entre eux furent massacrés
tandis que trois femmes étaient enlevées(7).
En janvier 1985, une bande d'hommes armés tenta de monter à I'abordage du
paquebot de ligne "Coral Princess' alors que celui-ci pénétrait dans le port de
Cebu. Heureusement, la police est intervenue à temps.
L'imagination et I'audace de ces pirates sont sans limites: le 23 septembre
1985, des pirates lourdement armés ont mené un raid à tene(8). En tirant autour
d'eux, quinze pillards (36 selon un magazine allemand) ont débarqué à Lahad
Datu, au nord de l'île de Bornéo. Les hold-up d'une banque (Standard Chartered
Bank) et d'un bureau de la compagnie aérienne malaise MAS leuront rapporté 1,5
million de francs, mais g passants innocents y ont perdu la vie tandis que la police
a abattu 2 des assaillants.

4.2. La mer de Chine méridionale


Peu de navires marchands y sont victimes d'attaques de pirates, du fait que la
majorité d'entre eux passent loin au large des côtes et que d'autres proies ne
manquent pas.
Les rares yachts quis'aventurent dans les parages des îles Natunas et Sparkly,
repaires notables de pirates, sont poursuivis pardes bateaux battant pavillon noir,
et leurs occupants, généralement, massacrés.
Les pêcheurs malais emportent cigarettes, nourriture et argent qu'ils otfrent aux
pêcheurs thais en échange de leur protection. N'est-ce pas en effet plus facile de
voler le poisson que de l'attraper? Ces pêcheurs thaÏs ont eux-mêmes à se
défendre des pirates kamputchéens et des soldats vietnamiens qui n'hésitent pas
à les rançonner.
Toutefois, les proies les plustentantes pources "hors la loi" sont les innombra-
bles "boat people" qui depuis la chute de SaTgon en 1975, ont quitté I'lndochine

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(viêt-nam, Kamputchea et Laos) par centaines de milliers. Une bonne partie
d'entre eux fuient par le delta du Mekong (sud-est du viêt-nam) et dérivent dans le
golfe de siam. c'est précisément dans cette partie de la mer de chine que se
commettent les pires exactions. En raison du caractère particulierde ces attaques,
je vais m'attarder sur la situation dans le golfe de Siam.

5. Nouveau <substrat> politico-social pour une piraterie coutumière

La piraterie est tellement généralisée dans le sud-Est asiatique, qu'elle est


considérée comme un mode de vie. Dès le XVle siècle, les Européens ont
développé un commerce intensif dans cette région, appauvrissant les marchands
locaux. Une explication est avancée dans un cours de criminologie maritime de la
"Rutgers University" aux Etats-Unis:
'Muslim Malays had been the main carriers on altthese routes. They had to learn
to live by other means. And that meant piracy. It came to be regarded as an
honourable profession, a patriotc one. ltwas a God-given crusade aglainstthe white
barbarians. Progressively excluded from tegitimate trade by European cotoniat
powers, the Muslim sea-warriors of the sulu chain, western Mindanao and North
Borneo, made plunder a profession in the lgth century."(g)
Aujourd'hui, une des causes principales de la recrudescence de la piraterie en
Asie est due à I'aggravation de la pauvreté.
"c'esf un problème d,estomac. Les
gens n'ont tout simplement pas assez à mangen, a déclaré le chef d'un village
philippin à un reporter allemand.
Les pirates d'aujourd'hui seraient originaires des bidonvilles et des quartiers
des squatters. Les villages des pauvres, aux abords des grandes villes, n'ont ni
rues pavées, ni eau courante, ni canalisation, et les policiers n'osent s'y aventurer
que de jour et armés jusqu'aux dents. A côté des (gangsD qui peuvent regrouper
jusqu'à 50 à 100 membres, prolifèrent les bandes de rebelles qui voient dàns
ces
attaques un bon moyen de financer leurs mouvements.
Le Ministère de la Défense philippin, qui rejette une grande partie de la
responsabilité de ces attaques sur les indépendantistes musulmans de *Moro
National Liberation Front" (M.N.L.F.) et les rebelles communistes, a autorisé ses
garde-côtes à tuer les rebelles.
La plupart des attaques ont toutefois lieu du côté indonésien du détroit de
Malacca, dans I'avenue
"Eastbound" connue sous le nom de Channel,.
on suppose que beaucoup de pirates trouvent refuge dans"phillip les innombrables
petites îles de la région. Bien qu'elle ait, dès 19g2, augmenté le nombre
de ses
patrouilles, tant par bateaux que par hélicoptères, I'lndohésie ne dispose
toujours
pas de moyens sutfisants pour patrouiller efficacement dans I'immense territoire
soumis à sa juridiction.
Les moyens de la police maritime de singapour, en revanche, sont beaucoup
plus importants, mais ces incidents se produisent généralemeni hors
des eaux
territoriales de la République de singapour, rendaniimpossible toute enquête de
ses autorités. Malgré tout, la police maritime et la marine de singapouront obtenu

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de nouveaux subsides pour intensifier leurs patrouilles, particulièrement la nuit,
tandis que les autorités portuaires ont réservé un canalVHF aux communications
concernant des rappotts d'incidents ou d'attaques(10).
En juillet 1985, vu le nombre important de tels rapports pour la région de
Singapour, et grâce à des subsides des Etats-Unis, I'OMI a recruté un (expert en
sauvetage en mer et en répression de la piraterie". Le rôle de cet expert, basé à
Singapour, est notamment de développer les nnesures anti-piraterie dans cette
région du globe(1 1).

6. Le golfe de Siam

6.1. Les faits


Ces dernières années, le golfe de Siam s'est forgé une bien triste réputtation, non
pas par les attaques menées par des pirates contre des navires marchands,
quoique plusieurs incidents semblables aient eu lieu à proximité de Bangkok, mais
bien par les cauchemars qu'y vivent les réfugiés indochinois. Depuis la fin de la
dernière guerre du Viêt-nam, des centaines de milliers de personnes ont tenté de
fuir leur pays et de rejoindre la Thaïlande ou la Malaisie en traversant le golfe de
Siam.
Malheureusement, une fois en mer, leurs espoirs de liberté s'envolent bien vite
et peu d'entre eux accomplissent cette traversée sains et saufs. Livrés à eux-
mêmes à bord d'un frêle esquif, nombreux sont ceux qui périssent noyés, atfamés
ou massacrés pardes pirates d'unecruauté inou'fe. Tout le monde a entendu parler
de ces "boat peoplso, les journaux s'y sont intéressés un an ou deux et puis s'en
sont détournés, un peu comme si les souffrances de ces malheureux étaient
passées de mode. Et pourtant, ces réfugiés ont côntinué à être massacrés par des
pirates sans scrupules.
Heureusement, des hommes consacrent toute leur vie à tâcher de les sauver
de la mort: des navires sont atfrétés par des organismes comme la Croix Rouge ou
d'autres institutions privées et de nombreux gouvernements participent à un vaste
programme de répression de la piraterie dans le golfe de Siam. Un mémoire
défendu à I'Ecole Supérieure de Navigation à Anvers leur a été consacré(12),
développant le plus grand danger qu'ils courent, la piraterie, en insistant bien sur
le fait qu'il s'agit d'événements réels se déroulant à notre époque et assurément
encore aujourd'hui.

6.1.1. An et Linh, Songkhla, septembre 1983


Le témoignage que je reproduis en grande partie ci-dessous a été reoueilli par Al
Santolli, journaliste de Bangkok, et m'a ététransmis par le Haut Commissariat pour
les réfugiés à Genève. ll a notamment été publié en mars 1985 dans "The boat
people ftee to death or worse in the pirate 5s2"(13)'
Le 26 septembre 1983, 2 jeunes filles vietnamiennes, Duon Thi An et Kim Thi Linh
ont été retrouvées sur une plage thailandaise près de la frontière malaise. Après
un traitement médical d'une semaine et après avoir été entendues par la police'

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elles ont été hébergées dans le camp de Songkhla où Al Santolli les a rencontrées.
Les parents de An et Linh, des fermiers vietnamiens, avaient arrangé la fuite de
leurs enfants en payant 4 oz d'or (l'équivalent de 1000$ US) à un entrepreneur qui
organisait de pareils départs. ll fournissait un bateau, corrompait la police locale,
et garantissait une arrivée directe en Malaisie en évitant les dangereuses eaux
thailandaises. Pour se faire une idée de ce que représente cette somme de 1000$,
ilfaut savoirque le revenu mensuel moyen d'un fermiervietnamien est de 10 à 15$
US.
Le 26 août 1983, I'embarcation de 10 m de long quitta à la voile le delta du
Mekong au Viêt-nam, emportant 45 passagers guidés par un instituteur n'ayant pas
la moindre expérience de la mer. Tous priaient leurs ancêtres pour ne pas
rencontrer une patrouille côtière qui les eût coulés sans autre forme de procès. Au
coucher du soleil, ils avaient déjà dérivé dans le golfe ét après deux jours, avaient
épuisé leurs réserves de nourriture et d'eau potable. Le soleil leur brûlait la peau,
faisant particulièrement soutfrir les enfants entassés sur le pont.
Le matin du troisième jour, ils f urent entourés par sept chalutiers et attaqués par
des marins armés de madeaux, de couteaux, de tiges en acier, entre autres. Ces
derniers ont éventré les bagages dans I'espoir d'y trouver de I'or, ont sauvagement
battu quiconque tentait de leur résister, puis abandonné le bateau à la dérive en
enlevant Linh, An, sa soeur et trois autres jeunes filles. Elles ont été battues jusqu'à
ce qu'elles se soumettent au viol. Une des filles enlevées, une jeune mère de 20
ans qui ne supportait pas d'être séparée de son bébé, a tenté de s'échapper en
plongeant en mer. Les pirates I'ont alors écartée des autres et personne ne I'a
jamais revue. Durant 10 jours de viol et d'humiliations continus, elles ont résisté à
la tentation de suicide car, selon une tradition vietnamienne, un enfant ne doit pas
mourir avant ses parents.
Au boutdedixjours, un autregroupede bateauxapparutetAn et Linh leurfurent
otfertes. Duranttrois jours, elles furentviolées jouret nuit et n'étaient plus capables
d'avaler quoi que ce fût. Au bout de ces trois jours, elles furent de nouveau réunies
à bord du même bateau et ce supplice se prolongea une semaine encore.
C'est alors qu'une nuit, après 20 jours de captivité, les pirates les ont jetées à
la mer avec un bidon en plastique pourtoute bouée. Bien qu'elles ne sussent pas
nager, elles ont réussi à maintenir la tête hors de I'eau. A I'aube, la terre n'était
toujours pas en vue, mais bien des bateaux, qui étaient malheureusement trop
éloignés pour entendre leurs cris. Dans le milieu de I'après-midi, après avoir résisté
15 heures à I'assaut des vagues qui menaçaient constamment de les engloutir,
elles ont été secourues par un pêcheur bienveillant qui les a soignées et nourries.
Une semaine plus tard, le bateau fut en vue des côtes thaïlandaises et le pêcheur
débarqua les deux filles sur la plage de Songkhla, le 26 septembre 1g83, un mois
après leur départ du Viêt-nam.

6.1.2. L'aventure de Lien


Lien (21 ans) et ses deux frères, ont quitté une plage du viêt-nam le soir du 9 aott
1982, à bord d'un bateau à moteur, en bois. lls étaient 79 personnes, dont 35
hommes, 21 femmes et jeunes filles et 23 enfants à bord d'un bateau de 13 m de

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long et 3,50 m de large. lls avaient bien emporté quelques réserues de riz et d'eau
potable, mais elles se sont très vite épuisées, et leur seule ressource était I'eau de
pluie qu'ils parvenaient à recueillir.
La première attaque de pirates a eu lieu le 19 août vers 7 heures du matin. ll y
avait alors déjà longtemps que leur moteur s'était arrêté, faute de carburant. Les
réfugiés les avaient aperçus de loin, leur avaient fait des signes et, contrairement
aux autres bateaux qui les ignoraient, ils ont viré de bord pour se dirigervers eux.
Une dizaine d'hommes armés de couteaux et de marteaux sont montés à bord, ont
tout fouillé et, sous la menace, ont pris tout ce qu'ils trouvaient. lls ont également
obligé plusieurs hommes et femmes à se dévêtir complètement pour mieux fouiller
leurs habits.
Quelques jours plus tard, un bateau de pêcheurs s'est approché d'eux. Les trois
hommes qui étaient à son bord avaient I'air honnêtes et se sont dits prêts à leur
vendre quelques provisions. Les "boat people" se sont alors cotisés, ont rassem-
blé ce qui leur restait pour atteindre la somme demandée. Mais dès qu'ils ont été
payés, les pêcheurs ont mis leur moteur en marche et sont partis... sans rien leur
céder.
Le 1 er septembre eut lieu la deuxième attaque de pirates. Douze hommes, dont
deux armés de fusils, ont fouillé le bateau une demi-heure et violé Lien et une autre
jeune fille de 18 ans. Les naufragés ontfinalement été recueillis le 5 septembre par
un cargo panaméen, le m/s "Catamaca ll', qui les a débarqués à Bangkok d'où ils
ont pu rejoindre le camp de réfugiés de Ponat Nikhon. Au total, ils avaient aperçu
plus de 50 bâtiments de commerce, mais aucun d'entre eux ne s'était anêté(14).

6.1.3. L'île de Koh Kra


Les témoignages ne manquent malheureusement pas: certaines victimes décri-
vent comment elles ont eu la mâchoire fracturée à coups de gourdins, parce que
les pirates convoitaient leurs dents en or, d'autres comment elles n'ont survécu
qu'en se nourrissant d'un mélange de riz et de chair humaine et en buvant du
sang(15).
Les épaves de bateaux et les cadavres qui sont rejetés sur les rivages de bon
nombre de pays du Sud-Est asiatique donnent une idée du désastre. Tous ces
témoignages rivalisent d'atrocités et il serait malséant de s'étendre trop longue-
ment sur les soutfrances de ces malheureux, mais cet exposé de faits ne saurait
être complet sans révéler ce qui se trouve sur l'île de Koh Kra.
Sur une indication d'un pilote d'hélicoptère d'une compagnie pétrolière, Théodore
Schweitzer, représentant du Haut Commissariat des Nations Unies pour les
réfugiés au camp de transit de Sonkhla, s'est rendu plusieurs fois durant de longs
mois, seul ou accompagné de policiers thaÏlandais, sur l'1le de Koh Kra d'où, entre
1980 et 1982, il a arraché 1250 personnes à une mort certaine.
Cette île avait été transformée par les pirates thailandais en un immense
lupanar répugnant. Lors d'un suruolde l'11e, Schweizeracompté 47 bateaux ancrés
dans une crique; des cadavres flottaient aux alentours; des corps étaient pendus
tandis que d'autres, mutilés, gisaient sur la plage. Quand les pirates approchaient

434 4192 Revue internationale de criminologie et de police technique


del'11e, tous les réfugiés tâchaient de se cacher comme ils le pouvaient. Les pirates
mettaient alors le feu aux hautes herbes pour les débusquer. Une femme a préféré
supponer stoïQuement le passage des flammes plutôt que de se livrer aux
pirates('l6).

6.2. Les conséquences pour les réfugiés rescapés des attaques de pirates
Des centaines de victimes sont mortes, ont été blessées ou battues, certaines,
désespérées et craignant une nouvelle attaque, se sont suicidées en se jetant par-
dessus bord. De nombreuses familles de réfugiés ont été déchirées. Mais les plus
traumatisés par ces attaques sont certainement les enfants et les femmes.
Des enfants, qui ont été maltraités ou terrorisés. par des pirates armés et
sauvages, risquent d'en garder longtemps les séquelles. lls se souviendront
toujours des scènes de viol ou d'enlèvement de leur propre mère. Si Tran, une
petite réfugiée de 8 ans au camp de Songkhla, ne garde qu'un souvenir vague
d'une de ces attaques, elle n'esttoutefois pas prête d'oublier une scène quia pour
toujours jeté un voile sur sa spontanéité: quand des pirates étaient montés à bord
de leur bateau, elle s'était blottie contre sa mère en fermant les yeux et n'entendait
que des cris; un pirate I'a arrachée à sa mère qu'elle n'a jamais revue.
Même des petitesfilles de 6 ans ont été sexuellement agressées. Leurdétresse
peut se résumer en une petite phrase d'une adolescente de 1 1 ans:
"C'est comme
si on avait volé mon Au drame humain s'ajoute une multitude de
"rlsnçs"(17).
conséquences psycho-sociales. Tu Khuong Schroeder-Dao, psychologue, a pu-
blié en anglais une étude sur les victimes de viols parmi les réfugiés de l'île de Pulan
Bidong(18). Le résumé que je produis ci-dessous estextraitde I'article d'Amar paru
dans la revue "Réfugiés"(19).
"A priori, le viol est considéré comme une fatalité et I'on note une certaine
résignation face à cet *accident inévitable", moindre mal par rapport aux risques
de mortencourus parles boatpeople quisetrouventface à une attaque de pirates.
D'autre part, une femme acceptera d'autant plus facilement de seruir de bouc
émissaire, de se "sacrifier au viol", si I'ont peut dire, qu'elle peut sauver les
membres de sa famille en fuite. Elle sait également que si elle oppose de la
résistance, si elle crie ou se débat, elle peut se faire jeter à la mer ou se faire tuer.
Alors, son système d'auto-défense peut être l'évanouissement pendant le viol, un
trou de mémoire quifait oublier l'événement... Suruivre, même à ce prix, c'est la
volonté consciente et instinctive la plus torte. Mais la femme entre aussitôt en
contradiction avec le système de valeur de la société sino-vietnamienne qui,
traditionnellement, lui demande de préseruer son corys et sa virginité. Le viol brise
alors son héritage socio-culturel,ladévalue, la marginalise etéclabousse I'honneur
de sa famille. Fait significatif , la femme n'en parlera jamais à ses proches restés au
viêt-nam. D'une façon ou d'une autre, la femme se sentira
"éjectée de la société".
voyageuse sans bagages, démunie de tout bien matériel, elle est alors dépossé-
dée de son identité culturelle.
Le viol ayant lieu sous les yeux d'autres boat people, lavictime se sent rejetée
par ceux qui ont *laissé faire", qui n'ont pas pu interuenir. En fait, tes boat peopte
ne se prémunissent jamais contre le viol et ne transportent pas d'armes à bord.

Revue intemationale de criminologie et de police technique 4/92 rl35


Précaution dérisoire, ils préparent quelquefois un mélange de safran que les
femmes mettent sur leurs visages afin de paraître plus laides, espérant ainsi
repousser les pirates.
Torture supplémentaire, la femme souffre d'avoir assrbfé à I'impuissance de
son entourage, du mari ou du fiancé. Ceux-ci sont culpabilisés, humiliés de n'avoir
pas pu la protéger. Mais on doit souligner une ambigu'ité sur ce point. D'une
certaine façon, en effet, la femme peut être utilisée pour apaiser la violence des
pirates qui poussent la cruauté jusqu'à transformer volontairement les témoins en
complices. Certains marchandages ont d'ailleurs lieu, partois... Une ieune fille
vierge peut être offefte en échange de la liberté du groupe de boat people.
Le viol est également ressenticomme une insulte aLt mari, blessé dans son
autoité. L'avenir du couple en sera perturbé, des conflits préexistants pourront être
révélés. Et si l'homme aftirme que c'est un accident indépendant de leurvolonté à
tous deux, qu'il faut "tout oublier',, otout recommenceJ,, c'est à demi-mots une
accusation envers lafemme, comme sielle avaitcommis un péché. Esseulée, en
pleine détresse, lafemme violée voit alors tout son système relationnel bouleversé.
Avec son mai, son fiancé, son groupe social, la société par laquelle elle se sent
condamnée. Le viol peut même avoir des répercussions sur les enfants qu'elle
meftra au monde.
Cauchemars, insomnies, phobie des hommes ayant l'apparence physique de
leur agresseur, ce sont d'autres formes de contrecoup. Enfin, la souffrance peut
être masquée sous un désir effréné de revanche, une agressivité pathologique,
une démission pure et simple du type "je n'ai rien à perdre" qui peut entraîner la
prostitution, ou bien encore une espèce d'infantilisation volontaire.
Si certaines d'entre elles tirent bénéfice de leur épreuve ou décident de figurer
parmi les cas particuliers pour lesquels les formalités en vue de trouver un pays
d'accueil sont facilitées et accélérées, la plupart des femmes se persuadent
qu'elles n'auront plus droit à une vie normale, à une famille."

6.3. Les motivations des pirates


Les pirates qui attaquent les boat people sont, pour la plupart, des pêcheurs
thaïlandais qui n'envisagent que cette solution pour résoudre leurs problèmes
pécuniaires.
Marc Grijp a, dans son mémoire sur les réfugiés vietnamiens, fait remarquer
qu'ils n'ont effectivement pas une vie très facile(2O):
- Les prix des carburants ont considérablement grimpé.
- Le golfe de Siam est saturé, surtout depuis que de nouveaux filets à mailles
fines sont utilisés.
- La Malaisie et la Birmanie ont étendu leur zone de pêche jusqu'à 200 miles.
Les Thaïlandais voueraient une haine ancestrale aux Vietnamiens(2l). C'est
également ce que prétend Pascal Dupont, qui s'explique(22):
propres eaux et que le poisson n'a pas le temps
"Parce qu'ils ont écumé leurs
de se reproduire, les pêcheurs thaîs s'aventurent à aller jeter leurs filets dans les
eaux des autres pays, dont celles du Viêt-nam. Certains se sonf tait prendre et
pourrissent dans les geôles viets, ce qui n'est pas fait pour améliorer les relations

436 4192 Revue internationale de criminologie et de police technique


entre les deux pays. De plus, l'armée vietnamienne occupe en partie le territoire de
deux voisins proches de la Thailande, le Cambodge et le Laos, et lance
périodiquement des raids contre les villages thaïs de la frontière. Aussi les réfugiés
sont-ils considérés dans l'opinion thaîs, comme faisant partie d'un plan d'invasion
d'ensemble. Que, dans ces conditions, certains soient pirates n'est pas un si grand
mal..."
Les pirates formeraientdonc une première ligne de défensethailandaise contre
le Viêt-nam. Dupont reproche également aux autorités.thaÏlandaises de "couvrir"
les pirates et de les encourager. En 1979, un représentant du Haut Commissariat
des Nations Unies pour les réfugiés (H.C.R.), aurait assisté, à Songkhla, à la
fusilladed'un bateauchargéde réfugiéspardespoliciersthai's. PlusieursVietnamiens
auraient été tués(23).
Au printemps 1981, 19 réfugiés qui, en mer, s'étaient défendus contre des
pirates thaÏs et avaient tué quelques-uns des pillards avant de s'emparer de leur
chalutier, ont été arraisonnés par la marine tha'rê. Sur plainte de trois des pirates
survivants, la justice thailandaise a voulu faire un exemple et le procureur a
demandé la peine de mod contre les 19 Vietnamiens(24).
En mai 1981, legénéralPremTinsulamond, chef du gouvernementdepuis mars
1980, a interdit I'accès de la Thailande aux "boat people". En juillet 1982, grâce
à des subsides du H.C.R. et sous la pression de I'opinion publique internationale,
la marine royale thaÏlandaise inaugura un programme anti-piraterie, et pourtant,
d'autres incidents sont rapportés.
Le 11 juillet 1982, les autorités thailandaises auraient, en dépit du gros temps,
fait remorquer deux bateaux remplis de réfugiés jusqu'en haute mer. Le premier
des bateaux se serait échoué sur une plage malaise, tous ses passagers sains et
saufs. Le second aurait chaviré et coulé avec 23 personnes. La corde qui le reliait
s'étant rompue, les Thai's auraient décidé d'en finir et auraient foncé sur I'embar-
cation pour l'éperonner. Ce récit est dû à un homme qui aurait réussi à nager jusqu'à
la côte.
Les autorités thaÏlandaises, elles, récusent ces accusations. Ainsi, Prasong
Soonsiri, Secrétaire Généraldu "National Security Council" (NSC) réagit-ilà des
articles de Henry Kahm(25), journaliste américain expulsé quelque temps aupara-
vant de ThaÏlande.
ll atfirme que les autorités thaÏlandaises apprécient tout commentaire constructif
en rapport avec la piraterie, mais il qualifie certains articles 6s "préjudiciables,
distordus et irresponsables" et conclut en ces termes: ... (that Thaî ofticials) ...
regretted the practise of some journalists in pursuing their personal prejudices
rather than upholding rn"i,
"11içs"(26).
Nitya Pibulsonggram, directeur général du Département des Organisations
lnternationales (ou Ministère des Atfaires Etrangères en Thaïlande) appuie cette
thèse en confirmant:
*ll est injuste et inacceptable pour la communauté internationale et les médias
de porter un jugement sur laThailande et de semer le doute quant à l'ensemble de
ses efforts dans le cadre de l'opération anti-piraterie en ne basant leur jugement
que sur quelques cas ertrêmes de mésaventures vécues par des
"boat people".

Revue internationale de criminologie et de police technique 4/92 rl37


Pour la même raison, les fonctionnaires thaïlandais sont amers de voir que leurs
etforts ne sont pas jugés suffisamment importants - jugements également basés
sur ces cas exceptionnels"(27).
Je m'abstiendraide porterle moindre jugementsurcettepolémique, mais ilfaut
tout de même admettre que sices pays d'Extrême-Orient n'ont pas ouvertement
encouragé la piraterie, leur attitude, au début de I'exode des réfugiés vietnamiens,
n'était guère dissuasive pour les candidats pirates.
Les "boat people" constituent des proies d'autant plus faciles qu'ils n'otfrent
généralement que peu de résistance à leurs assaillants, tant ils sont épuisés après
plusieurs jours passés à la dérive avec de maigres rations de nourriture, quand ils
en ont encore. Pratiquement tous naviguent sans armes, d'autant plus que, depuis
1975, il est extrêmement difficile de se procurer des armes au Viêt-nam, particu-
lièrement pour ceux considérés comme suspects par le gouvernement.
De toute manière, les "boat people" sont persuadés que ces armes ne leur
seraient guère utiles; ils craignent par-dessus tout d'exciter davantage les pirates
dont les attaques sont déjà si violentes. Ceux-ci pourraient se venger et exécuter
les enfants ou tout le monde à bord. De plus les "boat people" savent que les
pirates peuvent communiquer par radio et appeler des renforts.
Les pirates, enfin, ont la certitude de pouvoir tirer profit de leurs attaques. Au-
delà de la satisfaction de leurs plaisirs bestiaux, de terroriser, violer et même
massacrer sans courir eux-mêmes de grands risques, ils peuvent espérer pouvoir
enlever de nombreuses femmes ou jeunes filles qu'ils revendront à des réseaux de
prostitution.
En mai 1986, deux organisations humanitaires, les comités ouest-allemand et
français: "Cap Anamur - Médecins de secoursD et "Médecins du monde",
révélaient à la presse que les femmes vietnamiennes enlevées par les pirates en
mer de Chine étaient acheminées vers les lupanars de Bangkok. Un petit nombre
de femmes sont expédiées directement sur Bangkok, tandis qu'un plus grand
nombre passent par Koh Kra, avant d'être acheminées par petits contingents en
ThaÏlande.
En s'appuyant sur des données (136 femmes enlevées en 1985), qu'il suppose
encore inférieuresà la réalité, Rupert Neudeck, présidentdu comité "CapAnamur",
accusa le gouvernement de Bangkok "de n'avoir même pas réponduD aux
démarches du Haut Commissariat pour les réfugiés (H.C.R.) ou de Cap Anamur,
demandant des moyens pour pouvoir enquêter sur place et délivrer ces fem-
mes(28).

6.4. Evaluation de la situation


ll est extrêmement ditficile, voire impossible de se faire une idée de I'importance de
la piraterie, quoique la férocité des attaques ait été documentée. Un rapport du
HCR, publié en 1984, a fait énormément de bruit et a été commenté par la presse
du monde entier. En effet, celui-ci révélait qu'entre 1980 et 1984, le HCR avait reçu
des rapports concernant au total 1376 assassinats, 2283 viols et 592 enlèvements
de femmes dont on a perdu toute trace. Les premières attaques de "boat people"

438 4192 Revue internationale de criminologie et de police technique


ont eu lieu dès 1975, alors que les premiers bateaux commençaient à fuir le Viêt-
nam. La fréquence de ces attaques n'a cessé de croltre, jusqu'en 1979. Cette
année-là, plusde 200.000 personnes ontfuil'lndochine ettraversé la merde Chine
méridionale pourtenterdetrouver refuge dans d'autres paysdu Sud-Estasiatique.
Depuis lors, leur nombre a constamment décru jusqu'à ne plus atteindre, en 1984,
que 24.865 arrivées au total et environ 13.500 durant le premier semestre de 1985.
La zone à plus haut risque est indubitablement le golfe de Siam. ll faut
cependant insister sur le fait que les statistiques ne reflètent qu'une partie de la
réalité. Elles sont toutefois amplement sutfisantes pour justifier une action énergi-
que de la communauté internationale en vue de tâcher de résorber le fléau. Je vais
maintenant dresser le tableau des diverses mesures etfectivement entreprises,
tant par des organismes privés que gouvernementaux, jusqu'en 1986.

6.5. La mobilisation de I'opinion publique internationale

Au début des années 1 980, I'opinion publique internationale a découvert avec eff roi
le drame que vivaient quotidiennement les réfugiés d'lndochine. De nombreux
comités se sont formés afin de récolter des fonds pour aider ces réfugiés et de
mener une campagne de pression contre les gouvernements de certains pays du
Sud-Est asiatique. Ceux-ci ont reçu des milliers de lettres de sympathisants de ces
comités.
D'un autre côté, ces comités, aidés par des organismes otficiels comme la
"Croix Rouge lnternationale", "Médecins sans Frontières", etc., ont récolté des
fonds pour venir en aide aux réfugiés. Ces fonds ont notamment permis d'affréter
des navires qui ont, parfois conjointement avec des navires militaires américains,
français, thailandais, et autres, recueilli des milliers de "boat people" dérivant en
mer. Voici ci-dessous les noms de quelques-uns de ces navires affrétés par des
organismes privés en vue de porter secours aux réfugiés.

1978 USA Akuna I

1978-81 USA Seasweep


1979.80 France lle de Lumière
1980-82 France Goelo
1979-80 Norway Lysekild
1980-82 RFA Cap Anamur
1980-81 RFA Flora
1981-84 USA Akuna l, Akuna ll, Akuna lll
1981-83 Suisse Akuna ll, Akuna lll, Herta S
1982-83 France Goelo

Revue intemationale de criminologie et de police technique 4/92 499


Des navires militaires ont également été mis à la disposition d'organismes
humanitaires. Citons notamment les deux navires de la marine nationale f rançaise,
le "Jean Charcot'et le "Victor-Schelcher" qui ont dû interrompre leur mission en
juin 1985, parce que plus aucun pays n'acceptait encore d'accueillir d'autres
réfugiés(29).
Signalons que leur mission peut-être I'occasion d'en mener une seconde à bien:
retrouver des soldats disparus pendant la guerre du Viêt-nam, ainsi que I'atfirme
le commandant de la mission "Akuna ll", le colonel américain Jack Bailey, un
(ancienD duViêt-nam: *Firstandforemost, wewanttosavelives. Butwealsowant
to find out anything we can about Mias (Missing in action seruicemen)."
Beaucoup de réfugiés qui ont fui le Viêt-nam ont été longtemps détenus dans
des camps de "rééducation" du régime communiste et sont les mieux à même de
fournir des informations concernant les Américains disparus(3O).

6.6. Les p rogrammes anti-pirate rie

6.6.1. Le premier programme


Début mai 1980, le HCR avait fourni au gouvernement thaïlandais une vedette
rapide non armée pour surveiller la région, mais le premier programme résulte d'un
effort bilatéral américain et thailandais. ll fut appliqué de février à septembre 1981
grâce à des subsides de 2 millions de dollars des Etats-Unis. Ces subsides ont
permisà laMarine RoyalethaÏlandaised'acquérir2 nouveauxavionsde reconnais-
sance, d'entreprendre la construction d'un patrouilleur et de couvrir les frais
opérationnels. Les avions de reconnaissance permettent d'identifier les bateaux
pirates et de diriger les secours.
Au momentde I'expiration du programme bilatéral, les Etats-Uniset laThailande
n'ont pas pu se mettre d'accord sur la continuation de leur effort initial en raison,
semble-t-il, de I'insistance du gouvernement thailandais pour obtenir un crédit de
30 millions de dollars.

6.6.2. Le second programme


En raison du fait que tous ces incidents se déroulent en haute mer, et considérant
que la communauté internationale toute entière était concernée par ces drames,
le HCR en a saisi son Comité exécutif, I'Assemblée Générale, le Secrétaire
Général des Nations Unies et I'OMl.
C'est ainsi que des négociations ont été entamées et ont abouti à la mise en
oeuvre d'un second programme anti-piraterie. Celui-ci débuta en juillet 1982 et
devait durer un an, grâce à des dons de douze pays: 2 millions de dollars des Etats-
Unis et un crédit de 1,7 million de dollars de I'Australie,.du Canada, du Danemark,
de la République fédérale d'Allemagne, de la France, de I'ltalie, des Pays-Bas, de
la Norvège, du Royaume-Uni et de la Suisse. Grâce à cette somme, plusieurs
vedettes, des bateaux-pièges maquillés en embarcations de réfugiés et deux
avions de reconnaissance ont été mis en seruice permettant la surveillance parair
et par mer d'une zone de 33.000 km2 en mer de Chine méridionale.

44 4192 Revue internationale de criminologie et de police technique


Depuis lors, ce programme qui est mis en oeuvre par plusieurs organes du
gouvernementthaÏlandais - la Marine Royale, la Police maritime, le Ministère de la
mer et les autorités policières des provinces orientales et méridionales - a été
chaque année prorogé grâce à des crédits octroyés parces douze pays donateurs.
En juin 1986, onze pays - la France s'étant désolidarisée du programme - ont
décidé d'accorder encore au gouvernement thaïlandais des crédits pour 2,52
millionsde dollars, prolongeantainsiune nouvellefois le programme jusqu'en juillet
1987. Depuis la mise en oeuvre de ce programme, les autorités thaïlandaises ont
reçu, par I'intermédiaire du HCR, 15,2 millions de dollars en services spécialisés,
en équipements et en espèces(31).

6.7. La création d'un centre régional d'information


Les efforts du HCR ne se sont toutefois pas limités à la mise en oeuvre de ce
programme anti-piraterie. En juin-juillet 1983, une équipe de trois experts interna-
tionaux a été envoyée en Thailande afin de contrôler la mise en oeuvre du
programme anti-piraterie international et d'envisager des moyens de I'améliorer.
certaines de leurs suggestions ont été mise en application. Relevons notamment:
- l'établissement de patrouilles nocturnes imprévues;
- la création d'un commando anti-piraterie;
- la création d'un centre régional d'information qui enregistrerait, coordonnerait
et ditfuserait des informations en rapport avec les activités de pirates dans la région.

6.8. Sauvetage en mer


ll s'avère, en lisant les témoignages de peopleD, que de nombreux bâtiments
"boat
de commerce ont évité de leurportersecours. Le nombre de 50 navires est parfois
cité, mais ces navires, soupçonnés d'avoir délibérément ignoré ces personnes en
détresse, les ont-ils seulement aperçues?
Les petitesembarcations généralementemployéessonttrès ditficiles à repérer
en haute mer dès qu'il y a un tant soit peu de vent, tandis que les réfugiés, eux,
peuvent apercevoir un navire à plus de 10 milles. En outre, ces embarcations sont
d'autant plus difficilement détectables au radar qu'elles sont en bois et probable-
ment dépouruues de réflecteurs radar. Enfin, I'attention du personnelde quart n'est
pas nécessairement toujours attirée par un petit bateau en dehors de la route, si
oelui-ci ne présente aucun signe évident de détresse. combien de pêcheurs à bord
de telles embarcations ne font-ils pas de grands signes uniquement pour saluer?
Toutefois, beaucoup de navires ont délibérément refusé de porter secours à
des bateaux de réfugiés parmi lesquels certains étaient morts ou à I'agonie,
transgressant ainsi la tradition maritime et la loi internationale. Le devoir de sauver
des personnes en mer est en effet reconnu universellement depuis I'antiquité. ll
s'agit d'une pratique séculaire, une obligation morale qui ne saurait être remise en
question.
Depuis quelques décennies, des législateurs ont tenté de codifier le droit de la
mer et ont souligné à maintes reprises le devoir de sauvetage. lls omettaient
toutefois systématiquement d'envisager d'autres situations que des naufrages
traditionnels et des cas de marins dont le statut juridique ne pose pas de problème

Revue intemationale de criminologie et de police technique 4/92 441


particulier quant à leur rapatriement, qui peut normalement s'effectuer à partir du
premier port où relâche le navire de sauvetage. Les "boat peopleD, cependant,
sont demandeurs d'asile et ne peuvent, dès lors, pas bénéficier de la protection et
des services de leur propre pays d'origine.
Face à I'atflux continu de "boat people" arrivant sur leurs rivages, les pays
asiatiques refusent souvent de débarquer des réfugiés sur leur territoire en
I'absence de garanties formelles de réinstallation à l'étranger dans les délais les
plus brefs. Outre la crainte de se voir contraints de prolonger la durée de leur séjour
en poft, il se peut que des commandants qui ont choisi d'éviter de petites
embarcations en détresse I'aient fait de peur d'avoir à supporter de lourdes
dépenses. Je ne vais pas m'étendre longuement sur les termes contractuels des
accords d'atfrètement ou d'assurance de navires. Grijp y a consacré un chapitre
entier de son mémoire sur les réfugiés du golfe de Siam(32).
En août 1985, Paul Hartling, Haut Commissaire auprès du HCR, a lancé un
appel à tous les commandants de navires croisant en mer de Chine, leur
demandant de perpétuer les traditions maritimes et de respecter les lois internatio-
nales en portant secours aux réfugiés.
Un guide, "Directives pour le Débarquement de réfugiés" a été distribué à plus
de 15.000 exemplaires. Ces directives expliquent comment débarquer sans
risques et rapidement des réfugiés recueillis en mer, signalant comment minimiser
ou éviter ceftaines dépenses en avertissant le plus tôt possible les autorités du
prochain port d'escale prévu et en demandant I'aide du bureau local du HCR. De
plus, certaines dépenses peuvent être remboursées, notamment les frais d'assis'
tance et de débarquement. C'est souvent I'Etat au pavillon duquel appartient le
navire qui a sauvé des réfugiés qui donne ls "garantie de réinstallation" néces-
saire, mais de nombreuxsauvetages sonteffectués pardes navires battant pavillon
dit "de complaisanceD ou enregistrés dans des pays dont on ne peut escompter
qu'ils offriront des possibilités de réinstallation. C'est pourquoi, dès 1979, le HCR,
avec I'aide de nombreux Etats, a créé une réserue spéciale de lieux de réinstallation
connue sous le sigle DISERO (Disembarcation Resettlement Otfers).
En mai 1985, sur une nouvelle initiative du HCR, un autre programme a été
lancé sous le sigle RASRO (Rescue at Sea Resettlement Offers). ll s'agit d'un pool
de visas garantissant aux réfugiés débarqués par des navires un accueil dans un
pays contribuant au programme. En octobre 1985, ces pays étaient au nombre de
15: I'Australie, le Canada, le Danemark, la Finlande, la France, la Grèce, le Japon,
les Pays-Bas, la Nouvelle-Zélande, la Norvège, l'Espagne, la Suède, la Suisse, le
Royaume-Uni et les Etats-Unis d'Amérique. L'objectif de ce programme est
d'assurer un débarquement rapide des réfugiés sauvés en mer, ainsi qu'une
répartition équitable des lieux de réinstallation entre les pays y contribuant(33).
Le HCR a également créé un fonds pour rembourser les propriétaires de
navires des frais résultant directement du sauvetage de réfugiés en mer, en sus du
remboursement de leurs frais de subsistance, habituellement évalués à 5$ par
réfugié et par jour. Cette indemnité complémentaire ne devrait toutefois pas
s'élever à plus de 20.000$. Toute réclamation d'un dédommagement pour un
montant supérieur devra être adressée au P&l Club qualifié ou au siège du HCR

442 4192 Revue intemationale de criminologie et de police technique


à Genève si le propriétaire du navire n'est atfilié à aucun p&l club(34). Des
messages sont régulièrement radioditfusés en mer de chine, encourageant
commandants et pêcheurs à secourir les
"boat people" ei en leur promettant des
récompenses.

6.9. Les aboutissements de la lutte anti-piraterie dans le golfe de Siam


Les mesures décrites ont remporté des succès divers, mais toutes ont eu des
résultats remarquables:
- Des milliers de réfugiés ont été recueillis en mer, que ce soit par des navires
privés, des navires de guerre, des navires marchands ou des bateaux de pêche.
- De nombreuses institutions maritimes et autres ont collaboré et apporté leur
contribution à des initiatives visant à sauver et recueillir des réfugiés, prévenant
ainsi efficacement le risque d'attaques de pirates. Citons notamment: la
"Baltic and
International Maritime council BlMCo,,la Klnternationat chamber of shipping
ICC",le "GrouP of P&l Clubs",le oHaLft Commissariat des Nations |Jnies pour les
réfugiés", UNHCR, sans oublier les gouvernements et organes de presse.
De nombreux pirates ont été arrêtés et incarcérés. En voici une brève liste:
Novembre 1979: 7 Thai's arrâés pour viol à l'île de Koh Kra. lls seront
condamnés le 22 juin 1980 à des peines d'emprisonnement allant de g à 20 ans.
Première condamnation connue de pirates prononcée par une cour thaie.
Août 1980: Arraisonnement par la marine royale thaïlandaise de 2 bateaux de
pêche thaÏs. Premier cas d'arraisonnement connu.
/98/; Arrestation de 6 pirates thaïs par un bateau piège de la marine royale
thaïlandaise.
Avril 1981: Arrestation au port de pêche de chaimongkol de 7 des 9 pirates qui
s'étaient emparés d'un chalutier. Parmieux se trouvaient 4 membres d'équipage
qui avaient assassiné le patron, un mécanicien et le cuisinier.
Août 1981: 54 bateaux sont arraisonnés lors d'une campagne menée
conjointement par la Malaisie et la Thaïlande.
Octobre 1981:Le patron d'un bateau de pêche est arrêté alors qu'il violait une
jeune fille vietnamienne de 15 ans.
octobre 1 981 ; 8 personnes arrêtées à Prattini pour avoir volé à main armée le
chalutier "Pro DaruneeD et avoir attaqué des réfugiés en mer.
Octobre 19Bl; Arrestation d'un suspect.
Janvier 1982:5 pirates thai's anêtés par la police malaise.
Novembre /983: coups de semonce tirés par un bâtiment de guerre malais
contre 18 chalutiers thaÏs en vue de protéger 2 embarcations vietnamiennes.
23 janvier 1984:2 pirates arrêtés.
Septembre 1984: Arrestation de 9 pêcheurs pirates. Leur chalutier avait été
identifié par 7 de leurs victimes.
1 8 septe mb re 1 I 84: Arrestation d'un pêcheu r pirate.
condamné plus tard à trois
ans de prison. Neuvième sentence prononcée par une cour tha'rê.
22 octobre 1984: Arreslation de 2 pêcheurs pirates, etc...
Alors que, de 1982 à 1984, I'action financée par la communauté internationale
contre la piraterie avait conduit la marine et la police thaÏlandaises à mettre la main

Revue intemationale de criminologie et de police technique 4/92 rt4il


sur 30 personnes suspectes de piraterie, à l'égard des réfugiés, 50 suspects ont
été appréhendés et inculpés au cours de la seule année 1986. Surces 80 individus
interpellés, 15 ont vu leurs chefs d'accusation tomber. Durant les dernières
semaines de 1986, lestribunauxont prononcé des peines particulièrementsévères
telles que peine de mort et peines de 448 années de prison.
Grâce à un nouveau système d'immatriculation numérique et à un ordinateur
otfert par le gouvernement noruégien,le gouvernementthaiaentrepris de recenser
ses bateaux de pêche. Cette mesure devrait grandement faciliter I'identification de
bateaux soupçonnés de commettre des actes de piraterie.
Malheureusement, pratiquement aucune mesure ne semble être effectuée
aujourd'huipourtenterdedémantelerles réseauxde prostitution etde retrouverles
centaines de femmes enlevées.

Notes
(1) DeschampsH., PimtesetFtibustiers, Presses Univorsitairesde France-Collection.Ouesais-je?" 554, Paris 1973
pp.107-114
(2) lbid.
(3) British Admiralty Chart 5399, South Pacific and Eastem paû of the lndian Ocean,'fauton 1981'
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(5) British Admiralry Chaft2757.
(6) Kay Tot H., SlË.its pirates - Malaysian ship aftacked,in Bangkok Posl 021985.
(7) Trenteirois passagers d'un navirc ont été tués pat des pirates au large de Ia Malaysie, in Le lilain,2410811984.
(8) Piraten vallen Maleysische stad aan, in Gazet van Antweryen, 24/o9h985.
(9) Mtlller G.O.W. & Adler F., Outlaws of the Ocean, Hearst Marine Books, New York, 1985.
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(11) Anti-piracy expeft rccruited in,lMo News,3/1985, p. 19.
(12) Griip M., Bootvluchtelinge4 Verhandeling voorgedragen tot het verkrijgen van de licentie in Nautische
Wetenschappen. Hogere Zeevaartschool, Antwerpen, 1984-1985.
(13) Santoli A., TheBoatPeoplefleetodeath-orworse-inthepiratesea,inAtlanticMagazine,4-SlO3h984,pp.8-
9.
(14) Billard A., Piates dans le goffe de Siam,in Réfugiés Magazine, No 2 05/198{t, pp.24-26.
(15) Ttagédle en haute men in Rétuglés, No 21 , 09/1 985, p. 34
(16) Norten C. e.a., Seul contrc les piÊtes, in Sélection du Readels Digest,4Tùlavril 1986, pp. 106-115.
( 17) AmarH.C., BoatWomen: L'autrc dimension delapiruterie- Leviol etsesconséquences, in Béfugiés, No 18,06/
1985, pp.30-31
(18) Schroeder DaoT.K., An expeience in counselling women refugee "Boat People"'
(19) Amar H.C., o.c.
(20) Grijp M., o.c. p. 103.
andtheVîetnam€sê, ...*,
(21)
"ys11rt1"6 Ortheprcmise ol bootyorcentules-old nclalantagonlsmbetweantheThaî
ln Cerquone J., vtetnamesê Boat People - Ptrate's vulnenable Prey, US Commlttèe for Refugees, Now York 19&4, p.
7.
(22) Dupont P., Pirates d'aujoutdhui,Ramsay, Paris, 1986, pp. 67s8.
(23) id., p.33.
(2a) id., p. ss.
(25) Kahm H., in N ew Yo rk 7i mes, O4lO7 I 1 984, in H enl d Tribune, O5lO7 I 1 98r'..
(26) Chongkhadikil., Unfah rcpoft on piracy against people", in Banùkok Post, 131071198/..
"boat
(27) Piraterie, in Rétugiés, No 6, 06/1984, p. 8.
(28) Réfugiées vietnamiennes livrées à la prostitution,in Le Soit,120511983, p. 3.
(29\ Boat People: perconne n'en veut plus, on ne les recueille plus, in Le Soin 0d06/1 985.
(3o) Opention to save Viets frcm stoms and pintes,ln New Strait nmes, 14l06/198t1.
(31) Cinqquestions-réponsessurteprcgmmmeanti-piÊteie,in Béfugiés, No2,02/1984, pp.27-28. Burrow R., Nêtls
augmentation des aîestations et condamnations pour pinteie en I 986, in Réfugiés, No 38, 02/1 987, pp' 1 3'1 4.
(32) Grijp M., o.c., pp. 106-116.
(33) tMB, A third repoft into the incidence of piracy and amed robbery from merchant sh,Fs, ICC-IMB, s.1., 1985, pp.
39-41.
(34) id.
(gS) lnlormations transmises par le Haut Commissariat des Nations Unies pour les rélugiés, à Genève.

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