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Laurence CORSINI

R E GLEMENTS DE CO NTE S

Nouvelles

Adiktion Studio
La Pieuvre

Nouvelle

Laurence CORSINI
© Adiktion Studio
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quelque manière que ce soit, sous forme électronique ou physique sans
l’accord d’Adiktion Studio et de l’auteur.
Cet ouvrage né de l’imagination de l’auteur, n’étant qu’une création
romanesque, toutes ressemblances ou similitudes dans la réalité avec les
personnages du roman ne peuvent qu’être fortuites et de ce fait ne pour-
ront faire l’objet d’aucune plainte ou poursuite juridique, ni être passibles
de sanctions pénales.

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L’Asile de la Déraison - Critique sociologique
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États d’âme, prose et poésies - Recueil de poèmes

Couverture
Illustration Marie Castelli, Adiktion Studio ©
Les personnages et les situations de ce récit étant purement fictifs, toutes
ressemblances avec des personnes ou des situations existantes ou ayant
existé ne sauraient être que fortuites.
La Pieuvre

Prologue

Elle était là, tapie dans l’ombre, scrutant de ses grands yeux
l’univers aquatique. Les courants sous-marins faisaient onduler
ses immenses tentacules comme des bras tendus vers un appel
sans fin. Sans faim non plus d’ailleurs… En effet la pieuvre ne
mangeait plus, elle couvait, ventilait, générant l’énergie néces-
saire à sa progéniture qu’elle avait accrochée en grappe à des
herbes vert-pâle, afin de la soustraire à tous les prédateurs.

D’ailleurs nul ne se risquait à l’approcher. Elle montait la


garde, vivant de ses réserves afin de protéger. C’était impres-
sionnant et pathétique aussi. Il lui fallait rester pour que l’espèce
survive, sa mort en constituait le prix. Le mâle ne se hasardait
pas, lui non plus, à l’approcher longtemps ! Après avoir diffusé
sa semence à travers les voies respiratoires de la femelle, il pou-
vait disparaître… D’ailleurs il n’irait pas très loin parachever son
destin.
Les pieuvres dépassaient rarement les cinq ans. Celle-ci, née
dans le Pacifique était impressionnante. Ses longues tentacules
de huit mètres environ se tordaient en tous sens et telle une tra-
gédienne priant Poséidon, elle semblait supplier afin qu’il soit
clément et que sa descendance continue son chemin. Tel était
le destin de la Pieuvre géante. Son regard presqu’humain captait
l’immensité des profondeurs où elle s’était cachée.

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La Pieuvre

Le club nautique - Manuel et Irina

Le Club nautique venait d’ouvrir ses portes. Déjà quelques


personnes arrivaient avec leur équipement pour leur première
plongée de la saison. Deux moniteurs devaient encadrer un
groupe de dix dont la tranche d’âge se situait entre trente et
soixante ans. En fait il s’agissait d’une équipe à majorité mascu-
line avec seulement deux femmes ayant une bonne expérience
des milieux sous-marins. Les hommes fanfaronnaient un peu,
parlant trop fort, sans doute plus émotionnés qu’ils ne voulaient
le dire par cette nouvelle plongée !
Une des femmes d’une trentaine d’années environ, s’appe-
lait Irina. Ses yeux d’un bleu très pâle mettaient presque mal
à l’aise les interlocuteurs qui la fixaient. Irina le savait, aussi se
gardait-elle de fixer quiconque lui parlant. Ce jour-là elle avait
opté pour une paire de lunettes de soleil afin de n’avoir pas à
contrôler cet état de fait. Déjà enfant, on la traitait de sorcière
ou d’« Alien » et c’est souvent en larmes qu’elle rentrait chez elle.
Sa mère la consolait comme elle le pouvait, lui expliquant que
cette anomalie génétique qui avait donné ce regard si étrange,
serait probablement un atout lorsqu’elle serait grande. Hélas, ce
ne fut jamais le cas, les humains rejetant instinctivement toute
différence soit par peur ou méfiance. Sa vie fut donc un enfer
jusqu’à sa rencontre avec Manuel. Dirigeant une petite école
de plongée, l’homme fasciné par son si surprenant regard, sem-
bla tomber amoureux d’elle instantanément et leur idylle com-
mença. Voilà environ cinq années qu’ils vivaient ensemble appa-
remment en harmonie et pourtant Irina se sentait maintenant
envahie par un sentiment de malaise n’ayant rien à voir avec la
transparence de ses pupilles.
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La Pieuvre

Manuel charmant et séducteur l’enveloppait de plus en plus


d’attentions, lui facilitant la vie au maximum, se rendant indis-
pensable au point qu’elle, si indépendante finissait pas ne plus
prendre aucune initiative. Peu à peu il l’éloigna de sa famille
et de ses amis d’enfance et elle avait fini par être totalement
phagocytée par lui, ne vivant que pour lui et à travers son ego
totalement disproportionné. D’ailleurs il lui faisait penser à ces
poulpes géants, croisés lors d’expéditions lointaines, pieuvres
dont l’étreinte mortelle achevait trop souvent la vie et les re-
cherches de ceux qui les approchaient de trop près.
Peu à peu, bien que choyée en apparence, Irina sentait ses
forces et sa volonté décroître et assistait impuissante aux agis-
sements pervers de Manuel, car à l’évidence c’en était un et de
la pire espèce  ! Ainsi depuis deux ans, multipliait-il les aven-
tures sexuelles devant elle, tout en la frustrant elle-même dans
ce même domaine, prétextant que rien ne fonctionnait plus avec
elle, Irina perdait pied… Voyant bien qui il était, elle aurait pu
le quitter mais elle se trouvait sous influence sans aucun moyen
de subsistance, lui ayant fait don de toute la fortune dont elle
disposait au décès de sa mère ! Manuel était un être vil et dia-
bolique.
Et aujourd’hui Irina au bord de l’épuisement psychique ve-
nait de décider de se débarrasser de Manuel.
L’idée s’était imposée lors de la dernière plongée où il l’avait
contrainte à observer des attouchements avec une cliente, ayant
réduit volontairement la réserve d’oxygène d’Irina, l’obligeant
ainsi à partager la sienne. En attendant de remonter par paliers,
elle avait dû assister à ce ballet pervers et sexuel au bord de l’as-
phyxie. Quand ils parvinrent à la surface, Manuel, un sourire
narquois aux lèvres, lui avait tendrement entouré les épaules en
lui murmurant : «  Tu es merveilleuse ma douce, quels bonheur
et plaisir que de plonger ensemble » !
La Pieuvre

Intention et action : « l’accident »

Ce fut ce jour-là, les lèvres encore cyanosées par l’hypoxie et


le cœur en chamade, qu’elle avait décidé de le tuer. Cela émer-
gea comme une évidence  ! Et presque de la légitime défense
aussi monstrueux que cela puisse paraître…
Ainsi telle la pieuvre géante du Pacifique, elle attendit l’ins-
tant.
L’opportunité se présenta la veille, avec ce nouveau groupe
inscrit depuis trois semaines. Irina choisit un vendredi 13, car
ces jours-là lui portaient bonheur. Manuel préparait soigneuse-
ment les bouteilles et vérifia comme à chaque fois l’équipement
de ses plongeurs. Irina se garda bien de l’aider ne voulant en au-
cune façon être impliquée dans ce qui allait être « l’Accident ».
Aussi se débrouilla-t-elle pour se trouver à un autre endroit que
Manuel et s’occupa de la préparation du pique-nique qui devait
clôturer la dernière journée de plongée. L’aube étant levée, le
groupe qu’il chaperonnait se dirigea vers le bateau et embarqua.
Les amarres furent larguées et pour la première fois depuis
des mois, Irina enleva ses lunettes de soleil et regarda les cieux et
son mari de son regard translucide avec un sourire désarmant.
« Oh que je suis maladroite, je viens de les faire tomber à la
mer ! » s’exclama-t-elle, regardant presque tendrement les dites
lunettes disparaitre, englouties par les eaux.
Bien que contrarié, Manuel dut se consacrer au déroulement
prévu de ses activités. Irina lui sourit de nouveau, lui envoya un
baiser et plongea à son tour. Cette fois-ci, elle avait pris la pré-
caution de mettre de côté sa bouteille de plongée de secours afin
que l’incident de la dernière fois ne se renouvelle pas !
La plongée se déroulait normalement…
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La Pieuvre

Irina prit soin de ne pas s’approcher de Manuel, autant pour


échapper à ses trouvailles sordides, que pour ne pas être trop
vue à ses côtés. A un moment précis de la plongée, il devait
s’assurer que tous les participants remontaient selon les règles
en respectant chaque palier : lui se devait de revenir le dernier et
c’était toujours à ce moment-là qu’il sollicitait Irina pour l’aider,
parvenant à chaque fois soit à être sadique, soit à la mettre en
difficulté, mine de rien, bien sûr ! Il fit comme d’habitude.
Le dernier client remonta. Dans un tourbillon de bulles et
avec une rapidité extrême compte tenue de l’apesanteur sous
l’eau, Irina s’approcha de lui et lui arracha brusquement l’em-
bout menant à l’oxygène  : elle vit sa stupéfaction à travers le
masque mais continua. Il fit un geste pour le rattraper… Irina
s’en saisit alors et le jeta au plus profond des flots. Puis elle re-
monta sans hâte.
Manuel dans un dernier réflexe tenta bien d’aller le rechercher
mais perdit en même temps des instants précieux pour sa survie.
Quand il le comprit, c’était déjà trop tard : l’eau bouillonnante
s’engouffrait dans ses poumons. Les sentant exploser, il tendit
en un geste aussi désespéré qu’inutile, ses mains vers la surface,
ayant dans la panique lâché le filin de sécurité. Tout éclatait dans
sa poitrine, il suffoqua, étouffa… Un voile rouge passa devant
ses yeux, en hoquetant, les yeux exorbités, il tourbillonna au
milieu des dernières bulles d’oxygène, puis se désarticula et…
se noya. Manuel devenu un pantin tournoyant lentement sur
lui-même, tomba dans les abysses !
La Pieuvre

Soulagement – Enquête

Irina humant avec délices l’eau salée sur ses lèvres, se sentait
étrangement calme. Rien ne remontait plus à la surface. Soupi-
rant de soulagement, elle se composa alors un masque tragique et
angoissé par la circonstance et donna l’alarme.
« Mais, mais où est Manuel ? Mon Dieu je croyais qu’il était
remonté ! » s’exclama-t-elle de façon stridente.
La plupart des clients s’étaient déjà débarrassés de leur équipe-
ment. Elle aussi d’ailleurs… Le temps de renfiler la combinaison
et de replonger, tout était consommé : L’Accident avait eu lieu.
Il ne restait plus qu’à prévenir les secours. Larmes et désarroi se
voyaient sur le visage d’Irina et ce, malgré les gestes de réconfort
du groupe. L’équipe de secours arriva enfin : une demi-heure était
passée et on ne put que constater la disparition de Manuel. Il
fallait désormais attendre que l’océan veuille bien rendre le corps.
La police bien sûr était là commençant ses interrogatoires.
Irina paraissait désespérée et tous s’apitoyaient sur le malheur qui
venait de s’abattre sur ce couple si parfait. L’enquête se dérou-
la avec toutes les investigations d’usage et conclut à l’accident.
Manuel avait une assurance-vie qui de fait devait revenir à Irina.
Celle-ci ayant un métier, préféra y renoncer au profit des enfants
de Manuel, nés d’une précédente union. La somme était ronde-
lette et tous louèrent la générosité de la jeune femme qui ne savait
que dire à ceux qui s’en étonnaient :
« Manuel aurait souhaité protéger ses enfants ! » Seule son ex-
compagne n’en était pas si sûre et trouva bien naïve la jeune Irina,
tout en se réjouissant pour sa progéniture.
Le temps passa, le corps ne fut jamais retrouvé sans doute
emporté au loin par les courants et dévoré en chemin. D’ailleurs
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La Pieuvre

quand bien même serait-il remonté à la surface qu’en serait-il


resté ? Il y avait treize témoins de l’accident et comme il s’agissait
de surcroit d’un Vendredi 13 ! La Fatalité fut invoquée !
Irina avait commis le crime parfait.
Trois années s’écoulèrent qui lui permirent malgré son
geste, de se reconstruire. Ce fut difficile et laborieux tant les
séquelles des sévices moraux et invisibles que Manuel lui avait
subir, étaient imprimées dans son psychisme. Par contre aucun
remord, aucun cauchemar n’avaient hanté ni ses jours, ni ses
nuits. Irina avait été en danger et n’avait trouvé que cela pour
sauver sa propre existence.
Elle consacra désormais sa vie à l’étude des grands cétacés
du Pacifique, partant régulièrement en mission dans l’Océan
Indien. Leur comportement la fascinait, surtout celui des fe-
melles qui, pour protéger leur descendance, n’hésitaient pas à
supprimer le mâle ! Pour Irina c’était sa vie qu’elle avait voulu
préserver. Néanmoins un fait que personne ne sut, la rappro-
chait des pieuvres avec lesquelles elle se sentait si solidaire : peu
de temps après la mort de Manuel, elle s’était aperçue qu’elle
était enceinte et comprit alors pourquoi elle avait accompli ce
geste fatal. Mais là encore la nature évalua bien les choses car
Irina fit spontanément une fausse couche, trois semaines après la
découverte de sa grossesse et, n’appelant pas le médecin, l’évacua
en secret. Bien que triste de l’issue de cette gestation qui avait
su aussi lui donner la force d’agir, elle accepta ce dénouement,
se disant qu’il n’y aurait plus aussi aucune trace en elle, de l’être
monstrueux qu’était son compagnon et qu’au moins ses gènes et
sa pathologie ne seraient pas transmis. Elle se consola donc et là
peut-être aussi quelque part, s’en trouva soulagée.
La Pieuvre

Recherche scientifique - Rencontre avec la pieuvre

Au fur et à mesure qu’elle progressait dans ses recherches sur


les pieuvres géantes, Irina en tant que plongeuse prenait de plus
en plus de risques en les observant de plus près. Etait-ce de la
culpabilité ? Pas même, juste de la curiosité, car elle était fasci-
née par leur comportement qui probablement l’avait inspirée !
Elle s’identifiait presque à elles et prenait un plaisir évident à
partager leur univers. Quand leur regard croisait le sien, une
sorte de communication intra-verbale s’établissait et toute peur
la quittait. Aussi chaque fois s’approchait-elle encore un peu
plus, au point que son équipe lasse de lui énoncer les risques, la
laissa aller vers ce qu’elle pensait être du délire ou des pulsions
suicidaires, consécutives au drame qu’elle avait vécu lors de la
perte de son compagnon. Or il n’en était rien, mais cela nous le
savons, puisque le crime avait bien eu lieu et même s’il pouvait
être compréhensible, le sang-froid et la préméditation utilisés
le rendait répréhensible. Car telle est notre morale judéo-chré-
tienne ! Personne n’a le droit de se faire justice soi-même ! Ou
bien alors il doit en être puni !
Et pourtant rien de cela n’apparaissait, le crime avait été par-
fait et nul remord, ni sanction ne venaient troubler l’existence
quasi idyllique d’Irina. Elle partagea même sa passion pour les
poulpes avec un nouveau compagnon qu’elle avait su choisir
attentionné mais surtout pas pervers !
Irina devenait comme ces spécialistes des requins qui fi-
nissent par ne plus voir le danger et vont plonger parmi eux,
certains d’être accepté jusqu’à qu’ils se fassent croquer ou ampu-
ter ! Donc un jour, lors d’une nouvelle plongée, Irina s’approcha
si près que la pieuvre géante protégeant sa postérité, la sentit
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La Pieuvre

menacée et saisit Irina d’un de ses bras musclés. Sous le regard


médusé de l’équipe, l’animal la fit tournoyer avant de l’enserrer
à nouveau afin de l’étouffer. A son tour, Irina perdit l’embout
de sa bouteille, mais eut le réflexe de le rattraper de justesse
et s’oxygéna de nouveau. Alors au lieu d’essayer de résister à
l’étreinte mortelle de l’animal et bien qu’étourdie par la violence
de l’attaque, de la main restée valide, elle caressa le poulpe et
plongea son regard dans le sien. Cela aurait dû aboutir à un ré-
flexe d’étouffement immédiat or l’étrange se produisit au même
moment ou un mâle adulte apparut pour participer au festin.
Le poulpe femelle non seulement fit face à ce nouvel agresseur
mais étonnamment et paradoxalement prit Irina sous sa protec-
tion au même titre que les œufs qu’elle ventilait soigneusement
jusqu’à leur maturité et éclosion. Irina se trouva alors au centre
de ce mouvement ondulatoire qui brassait l’oxygène nécessaire
pour leur naissance. Elle se laissa porter par le va et vient qui la
happait puis la rejetait en alternance sans pour autant la mal-
mener. Serrant bien le harnais de la bouteille d’oxygène qui lui
permettait de survivre, elle ne contrariait pas la cadence et s’y
laissait bercer. Cela constituait un spectacle à la fois incroyable
et terrifiant pour l’équipe qui, consciente du danger couru par
Irina, s’était éloignée, tout en filmant de loin avec un télé objec-
tif. Irina sachant que l’animal se laissait mourir de faim plutôt
que d’abandonner sa lignée et ce depuis des siècles, prenait tou-
jours avec elle dans un petit sac fixé à un de ses poignets, de la
nourriture dont raffolaient les poulpes élevés en captivité. Aussi
au bout d’un temps impossible à évaluer, décida-t-elle très len-
tement de libérer la lanière qui retenait la nourriture, afin que
la pieuvre y eût accès sans pour autant interrompre sa mission.
L’animal ressaisit Irina brusquement par une de ses tentacules
et le choc fut si violent pour la jeune femme qu’elle faillit en
perdre son équipement. Mais là encore, elle ne chercha pas ré-
sister et la pieuvre se calma. Alors l’imprévisible se produisit :
tout en maintenant Irina, l’animal s’alimenta et leurs prunelles
à nouveau se croisèrent. Une fois tout consommé, elle jeta un
jet d’encre et rejeta Irina, la libérant de son étreinte. L’équipe se
précipita pour la récupérer et la ramener par paliers à la surface,
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La Pieuvre

à demi inconsciente. Cela tenait du miracle, Irina avait survécu


à l’impensable. Les clichés et le film pris par le caméraman en
faisaient foi. Parfois la réalité dépasse la fiction…
La Pieuvre

Connivence

Irina mit quatre semaines pour se remettre du choc et de ses


émotions, mais persista à rester sur place, supervisant du bateau
les équipes de plongeurs. Puis la vie reprit peu à peu son cours
et elle rédigea un rapport qui devait être lu lors d’un colloque
traitant des recherches sur les poulpes géants. Un jour se sentant
bien, elle décida à nouveau de plonger ou plutôt de barboter un
peu. Puis elle reprit confiance et rejoignit l’équipe toujours à dis-
tance de la femelle qui, elle, s’affaiblissait. Calculant les courants,
elle décida d’accrocher à nouveau de la nourriture à un fil d’acier
l’amenant à sa portée afin que l’animal puisse se sustenter. Mais
dès qu’il arrivait, la pieuvre devenait irritable et nerveuse et on
interrompit l’expérience. Irina reprenait confiance et évoluait à
nouveau près du poulpe afin qu’il s’habitue à nouveau à sa pré-
sence, sans bouger, en se laissant flotter. La pieuvre se souvenait-
elle d’elle ? Un secret espoir résidait dans l’esprit d’Irina. Cepen-
dant aucun signe n’allait dans ce sens ; un jour sans même savoir
pourquoi, voyant la pieuvre plus faible que d’habitude, Irina vint
plus près, le sachet de nourriture au poignet  : elle s’approcha,
les prunelles de la pieuvre étaient presque glauques, épuisée elle
ventilait toujours. Etaient-ce les derniers moments ? Irina avança
encore et encore et de façon aussi insensée que la première fois
mais en toute connaissance de cause cette fois-ci, offrit la nourri-
ture à la femelle épuisée. Celle-ci mit plusieurs minutes avant de
réagir. Ses prunelles devinrent claires, allait-elle attaquer ? Elles
fixèrent Irina et le bras qui flottait et encore Irina et la nourriture
au poignet. La nature fit le reste et elle s’alimenta. Irina ne bou-
gea pas. La pieuvre n’agressa pas. Puis la jeune femme remonta
à la surface.
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La Pieuvre

« Tu es folle, Irina, tu n’as donc rien compris ? » lui dit-on


de toutes parts. Elle sourit mais n’en fit qu’à sa tête, et le len-
demain recommença le même scénario. La pieuvre observait,
manifestement l’identifiait, Irina libérait la nourriture et lui ten-
dait lentement, assistait au repas, puis remontait doucement.
Elle revenait chaque jour à la même heure, instituant un rituel
qu’eut approuvé Pavlov. L’animal reprenait des forces et ventilait
toujours. Elle n’allait pas mourir  ; l’éclosion approchait. Irina
et elle y assistèrent. Une dernière fois Irina s’approcha offrit la
nourriture. Des centaines de petits poulpes partirent dans le cou-
rant rencontrer leur destin, peu resteraient vivants sans doute,
peu importe, la survie de l’espèce était assurée. Mieux encore,
la mère était vivante et qui sait, pourrait recommencer ou bien
vivre sa vie sans plus se sacrifier. Alors ce fut magique et terrible
à la fois, une de ses tentacules comme la première fois, attrapa
Irina qui ne résista pas. La nourriture finie, elle ne la lâcha pas.
Irina la toucha et doucement la caressa ; leurs prunelles se croi-
sèrent, puis elle la libéra. Jetant un nuage d’encre elle partit à
jamais. Irina remonta. On ne revit jamais la pieuvre dans ce lieu.
Aucun émetteur n’ayant été posé, Irina ayant interdit tout essai,
elle disparut ainsi sa mission accomplie, épargnant la vie de celle
qui l’avait nourrie au risque de la sienne.
La Pieuvre

Épilogue

La vie reprit ses droits. Irina eut une chaire et fit des confé-
rences, défendant les grands poulpes, faisant taire les rumeurs
quant à leur dangerosité. Chaque être vivant est ainsi concerné
et se défend toujours lorsqu’il est en danger. En parlant ainsi,
Irina parlait d’elle. Dans le mot « meurtrière », se cache le terme
« meurtri »…
Seule la nature décide. Vie et mort sont mêlées. On sauve et
on détruit. Rien n’est programmé sauf l’éternité, l’espace d’un
instant…
Ode à un Corbeau défunt et… déplumé

Nouvelle

Laurence CORSINI
Ode à un Corbeau défunt et… déplumé

Humour noir

Un jour, un noir corbeau au grand bec disgracieux, cherchait


une pitance pouvant le rassasier. Survivre pour manger était son
obsession. Il malmenait tout, déchiquetant sans cesse les vic-
times naïves qu’il avait su plumer.
Sur un chemin tortueux passa une grosse limace, bien grasse
et bien luisante, pour lui appétissante !
Il en fut alléché et trépigna des pattes et de sa queue absente
qu’il voulut déployer. La limace avide plut de suite au corbeau.
Lui aussi fut séduit. Leurs physiques si ingrats et leur avidité se
retrouvèrent bien là. Pour mieux la dévorer, il lui fit mille grâces.
Avide de puissance, trémoussant son gros ventre et jouant
les sangsues de sa bouche écoeurante, elle lui fit miroiter un
territoire nouveau où il pourrait chasser en toute impunité et
enfin se venger de cette société l’ayant toujours renié. La vilaine
vieille limace était si repoussante qu’elle n’existât jamais en tant
que prétendante et jamais n’attira un seul admirateur. Elle se mit
donc en grâce auprès du prédateur, l’inondant de cadeaux inu-
tiles afin de l’appâter. Elle lui montrait ainsi son grand pouvoir
d’achat souhaitant être honorée par sa queue déplumée.
Leur spécialité à tous deux, était donc : se rendre indispen-
sables pour créer addiction et surtout dépendance. Leur but :
jouir pour exister en voyant périr l’autre, s’appropriant ses biens
comme une reconnaissance !
C’était le couple du siècle ! Cynique autant que pathétique,
mais quel scoop !
Chasser le naturel, il revient au galop. Un jour, le corbeau ne
se retenant plus, de ses griffes acérées, éventra la limace et… en
fit son repas.
27
Ode à un Corbeau défunt et… déplumé

Mais elle était maligne et toxique comme lui  ! Donc elle


l’empoisonna de sa bave verdâtre qu’elle offrait comme appât
afin qu’ils meurent ensemble.
Ils se ressemblaient trop, frustrés et revanchards, avides de
pouvoir et d’arnaques aussi. Ils étaient névrosés, cyniques, per-
vers et disgracieux, leur âme repoussante les fit se côtoyer, se
séduire mutuellement pour s’entredévorer. Sur le bas-côté d’un
chemin de traverse, un jour furent retrouvés, un bec béant hor-
rible et quelques plumes collées. Au milieu du charnier, seule
une trainée visqueuse et répugnante créée par leur errance, com-
pléta le tableau.

Victime du corbeau, une gentille coccinelle qui avait survé-


cu, se retirant à temps de son bec assassin, vit la scène de loin.
Elle se mit à sourire, vengée par le destin et d’un battement de
cils, les faisant disparaître, au loin, put vivre joyeuse, portant
toujours bonheur.
Eux furent anéantis et partirent errer au milieu des damnés
où accueillis tous deux pour leurs basses vilenies, ils furent tour-
mentés durant l’Eternité…
Moralité :
L’Histoire rattrape toujours celui qui veut la nier et finit
par détruire celui qui veut régner. Seules les âmes lumineuses
s’échappent du ghetto où la soif du pouvoir ramène à zéro.
Danse macabre

Nouvelle

Laurence CORSINI
Danse macabre

Prologue

Scintillant de mille feux, la boîte de nuit venait d’être totale-


ment relookée par les propriétaires afin d’y attirer une nouvelle
clientèle plus jeune et très branchée, consommant plus, bien
sûr !
La tranche des «  Seniors  » pour ne pas dire les «  vieux  »,
offrait l’opportunité de remplir les après-midis désespérément
vides afin de combler le déficit financier. La clientèle d’hier
avait bien sûr vieilli mais pouvait être « récupérée », de 14h30 à
22h00, offrant sept heures trente de nostalgie aux jeunes vieux
d’aujourd’hui.
L’espace diurne transformé en nocturne grâce aux néons pail-
letés et aux lasers, permettaient alors aux seniors de se sentir
vivants et séduisants, bercés par les chansons et musiques de
leur époque, diffusées habilement par le DJ qui les réunissait.
Les slows d’antan succédaient aux rocks endiablés pour calmer
les menaces d’apoplexie, et la climatisation quasi absente per-
mettait d’assoiffer les lèvres décharnées. Les hommes offraient
des boissons aux dames, se permettant quelques petits alcools
revigorant leurs forces… Chacun y trouvant son compte, tout
était donc parfait dans le meilleur des mondes !
Le soir, ils rentraient soigner leurs bobos et récupérer de leurs
illusions, auprès de leur moitié qui les attendait sagement devant
la télévision, les croyant occupés à de saines activités préservant
leur santé. Ce n’était pas totalement faux, chacun faisant son
cardio-training à sa façon. Les hormones et la chirurgie esthé-
tique faisaient le reste et quelques idylles se nouaient brèves et
pathétiques, puis ils retournaient s’agiter afin de faire reculer
Thanatos, avides de ces derniers lueurs de leur existence au dé-
33
Danse macabre

clin. Tout rapporte ici-bas, l’antichambre de la mort s’était orga-


nisée. Les résidences services servaient de transition aux maisons
de retraite repoussant la médicalisation des soins de gériatrie
encore un peu plus loin, l’âge de la population caressant les cent
ans.
Danse macabre

Ralph

Le spectacle de ces morts vivants sembla terrible à Ralph,


quadragénaire en goguette et qui était rentré par hasard dans ce
lieu, attiré par la musique et la nouvelle déco. En même temps
il se dit que c’était plutôt mieux pour ces futurs squelettes
décharnés, d’aménager ainsi leurs derniers temps de vie plutôt
que de trainer et d’errer de médecins en hôpitaux, surbookant
les salles d’attentes et les urgences. Plus personne ne pouvait
rien pour eux. C’était la fin de leur vie, et seuls anxiolytiques
et antidépresseurs pouvaient leur être prescrits !
Désormais la danse avait remplacé les prescriptions mé-
dicales et constituait une nouvelle thérapie, prolongeant ou
achevant l’existence des seniors, allégeant du même coup le
budget déficitaire de la Sécurité Sociale ! Ce qui frappa Ralph
également, ce fut la minceur des danseurs. Là point d’obésité,
ceci expliquant leurs performances sur la piste. Pourtant cet
après-midi-là, une femme aux formes rebondies et plus qu’at-
tirantes était assise sur une banquette : son profil ne cadrait pas
avec celui des autres. Son âge ne devait pas être très différent,
cependant son comportement, son regard étaient très surpre-
nants. La vie émanait d’elle et curieusement les hommes au
lieu d’être attirés, la regardaient avec envie comme un gâteau
moelleux à la vitrine d’une pâtisserie, ne se hasardant pas de
peur de déclencher une hyperglycémie ! Vêtue de mousseline
noire, les cheveux argentés, elle regardait s’agiter ces insectes,
à la fois curieuse et terrifiée. Et elle se demandait également
si elle leur ressemblait, et à cette idée se sentit mal et impulsi-
vement se leva, prit son ticket de vestiaire et se dirigea vers la
sortie. Il lui fallait fuir cette réalité soulignant si cruellement
35
Danse macabre

la fuite inexorable du temps… Ce fut à cet instant que son


regard croisa celui de Ralph.
Comme il lui souriait, elle répondit machinalement à son
sourire tout en continuant avancer vers la sortie. Mû par je ne
sais quelle pulsion, il descendit trois marches et la rattrapa au
passage.
« Vous ne partez pas déjà ?» prononça-t-il en lui prenant le
bras.
« Ah, si ! s’exclama-t-elle, cela m’est insupportable » et elle
trébucha en même temps. Ralph s’étant précipité pour l’aider,
elle ne put se retenir qu’à son bras, balbutiant un merci quasi
inaudible. La musique d’un paso endiablé venait de retentir  :
il s’aperçut alors qu’elle avait les larmes aux yeux. Tendrement
mais fermement il lui prit la main en ajoutant.
« Je ne puis vous empêcher de partir, mais faites-moi la faveur
de m’accorder cette danse au moins, je crois que je suis aussi
perdu que vous. »
Pour se donner une contenance et masquer son désarroi, ou
parce qu’il était différent car plus jeune que les autres, elle se
laissa entraîner sur la piste de danse. Il guidait à merveille et elle
dansait de même, le paso étant une de ses danses préférées.
C’est ainsi que Ralph rencontra Laetitia.
Danse macabre

La rencontre

Toujours est-il qu’ils dansèrent toute la soirée, sans même


se parler, comme si la danse réparait quelque chose pour l’un
comme pour l’autre !
Laetitia ne voyait plus l’âge des autres danseurs qui l’avaient
mise si mal à l’aise. Ralph quant à lui semblait subjugué par cette
femme alors qu’elle n’avait pas son âge non plus et qu’il ne savait
rien d’elle. C’était cela la magie de la vie, la chaleur de l’instant.
Toujours est-il que le moment perdura jusqu’à vingt deux heures,
heure à laquelle ils durent quitter la salle pour laisser la place à
une nouvelle soirée réservée aux dix-huit-vingt ans. Ralph invita
Laetitia à dîner ce qu’elle accepta volontiers. Ils parlèrent de la
vie en général sans aborder la leur, comme s’ils voulaient ne pas
interrompre l’instant de grâce qui s’était installé entre eux deux.
En effet le temps venait de s’arrêter et l’un comme l’autre perce-
vait que c’était un grand privilège, sans même savoir pourquoi.
Ils firent durer la soirée, prirent un verre dans un pub et à deux
heures du matin, ils durent se quitter. Ralph donna son numéro
de téléphone à Laetitia qui s’abstint de donner le sien. Il le lui
demanda, elle lui sourit mais ne répondit pas. Il la raccompagna
à sa voiture et elle démarra. Au premier feu rouge, elle regarda
la carte de cet homme si charmant, la fit pivoter dans ses doigts
et la jeta au vent lorsqu’elle démarra. « A quoi bon, se dit-elle en
soupirant, encore une illusion ! Je ne veux plus souffrir »
Chacun reprit sa vie. Deux semaines passèrent mais Ralph
ne reçut aucun appel et pour cause. Il pensait toujours à cette
femme, et décida de retourner à ce thé dansant où il l’avait ren-
contrée. Il attendit en vain et repartit déçu. Quatre semaines,
puis deux mois, puis trois mois passèrent. Rien. Laetitia de son
37
Danse macabre

côté continuait une vie intéressante, certes, mais vide de tout


affect, ayant rompu une liaison de six ans avec justement un
homme plus jeune qu’elle. Elle avait compris et ne voulait plus
se confronter à cela.
Un jour qu’elle empruntait le périphérique, un véhicule dou-
blant sur la droite la percuta et fit rebondir sa voiture sur le rail
de sécurité. Le choc fut violent et meurtrier car un carambolage
s’en suivit ! Les secours arrivèrent vite : d’abord la police, suivie
par les ambulances des pompiers. Le SAMU fut requis, et au
milieu du sang, des vapeurs d’essence, des flaques d’huile et des
cris et gémissements des victimes, Laetitia à demi-inconsciente
mais encore en vie, fut transportée aux urgences de l’hôpital le
plus proche.
Danse macabre

Les urgences

Une sensation irréelle envahissait Laetitia. Elle ne comprenait


pas où elle se trouvait. Le choc avait tout effacé de sa mémoire.
Elle avait l’impression de danser sur un air de tango argentin qui
martelait ses tempes de façon douloureuse. Incapable d’ouvrir
les yeux malgré sa volonté de le faire, Laetitia sentit une mousse
acide envahir sa gorge et l’étouffer. Un spasme l’envahit.
« Attention, elle vomit, vite aspire, elle s’étouffe ».
Imperturbable, médecin et infirmiers du Samu, aguerris à
l’urgence accomplissaient les gestes pour maintenir la vie jusqu’à
la prise en charge de l’hôpital.
« Arrêt cardiaque. Défibrillateur ».
Laetitia se sentit flotter un instant, ses yeux se révulsèrent.
Tout la quitta, puis un choc terrible dans la poitrine la fit rentrer
à nouveau dans la souffrance. Elle haletait,en perte de vitesse
évidente.
«  Troubles du rythme, on déchoque de nouveau. Eloigne-
toi »
Nouveau tremblement sismique dans sa poitrine, puis un
peu de répit. Elle sombra.
« C’est reparti… Madame, madame vous m’entendez ? »
La pupille ne réagissait pas à la lumière.
« Coma stade 2. Il est temps d’arriver ! »
L’ambulance s’arrêta sur la place d’urgence, les brancards en
attente évacuèrent les blessés. Laetitia fut aussitôt dirigée en réa-
nimation. Allait-elle survivre ?
Des médecins réanimateurs furent demandés en renfort des
hôpitaux voisins, tant le nombre des blessés était impression-
nant. Ralph Andersen faisait partie de l’équipe de réanimation.
39
Danse macabre

Les radios et Télés commentaient l’accident, sa violence et ses


conséquences.
Le respirateur écrasait la poitrine de Laetitia, nue sous un drap.
Les perfusions furent mises en place, elle fut branchée sous scope
et respirateur. Tous étaient précis, efficaces, vigilants. Un silence
impressionnant régnait. Seul le bruit des machines du matériel
de survie ponctuait l’atmosphère. Laetitia évoluait dans un autre
monde se sentant tournoyer sur elle-même, au milieu de rayons
de lumières de couleurs arc en ciel. Une autre boîte de nuit en
somme ! Les sons qui lui parvenaient semblaient déformés et les
paroles arrivées à destination s’avéraient incompréhensibles. En
fait, elle n’avait aucune sensation ni perception, pas même celle
d’exister. Ce n’était ni agréable, ni désagréable  si ce n’est qu’elle
n’arrivait pas à se rassembler que ce soit au niveau du corps ou de
l’esprit.

Masqué, botté, équipé pour entrer dans ce sas protégé de toute


bactérie, Ralph Andersen poussa la porte. C’était son tour de garde
et il assurait la relève. Passant au milieu des corps anonymes des
blessés étendus nus comme pour un sacrifice, c’est là qu’il aperçut
Laetitia aussi blanche et livide que le drap sur lequel elle repo-
sait. Le voyant figé devant, un infirmier lui tendit les constantes
la concernant, n’imaginant pas une seule seconde ce qui se passait
dans l’esprit de Ralph.
En effet la stupeur mêlée à l’émotion envahissait ses hémis-
phères cérébraux, la découverte de la femme qu’il cherchait depuis
des semaines le paralysant totalement.  « Un problème ? » s’enquit
l’infirmier devant sa sidération. Ralph secoua alors la tête et revint
à la réalité. Il parcourut des yeux rapidement la fiche et comprit la
gravité du moment.
Laetitia était en danger et son pronostic vital était loin d’être
encourageant.
Comme pour souligner ses observations, le signal d’une nou-
velle fibrillation déchira le silence. Le défibrillateur fut aussitôt re-
quis et le tracé de l’électrocardiogramme revint à la normale. Ralph
soulagé refit les prescriptions, sortit du bloc, puis revenant sur ses
pas, s’approcha au plus près de Laetitia et lui murmura à l’oreille.
40
Danse macabre

« Accrochez-vous, je vous ai retrouvée et ne vous quitte plus.


Avec moi on ne meure pas. » Il effleura sa joue et sortit aussitôt.
A peine hors du sas, une bouffée de chaleur et d’émotion lui fit
monter les larmes aux yeux et lui-même fut surpris par cette
réaction. Au fond il connaissait à peine cette femme, pourquoi
ce remue-ménage intérieur et si soudain  ? Qu’est-ce que cela
pouvait bien lui rappeler  ? Rien ne revenant à sa mémoire, il
dut en conclure que c’était juste le fait de l’avoir retrouvée qui le
mettait dans cet état !
Reprenant ses esprits et refoulant ses affects, Ralph put de
nouveau se confronter à son rôle d’urgentiste et revint dans le
bloc.
A défaut de s’améliorer, la situation ne s’aggravait pas, voire
devenait plutôt stable ; il lui semblait même que l’oxygénation
était meilleure car la peau de la patiente avait retrouvé une
couleur plus rosée et les traces violacées données par l’hypoxie
désormais s’estompaient. Les rythmes cardiaque et respiratoire
s’étant équilibrés, le respirateur put être interrompu et les pou-
mons reprirent le relais présentant une capacité respiratoire qua-
si correcte. Les lèvres bleues redevinrent à leur tour de couleur
normale. Et après un laps d’une dizaine d’heures, l’équipe put se
dire que la femme inconsciente se trouvait hors danger.
Ralph alla prendre un peu de repos dans sa chambre de
garde, le bip d’urgence toujours accroché à sa blouse d’hôpital.
Il s’assoupit très vite, les images d’un laser d’une boîte de nuit se
mêlant à une musique endiablée au milieu des paillettes, atter-
rissant dans la salle de réanimation qu’il venait de quitter. Il se
retourna plusieurs fois sur son lit puis sombra profondément
dans les bras de Morphée.
Danse macabre

Soins intensifs – La découverte de Ralph

Ce fut la sonnerie de sa montre-réveil qui le tira du sommeil.


Le visage exsangue de Laetitia remonta à sa mémoire et après une
douche rapide, il se précipita aussitôt dans le service de réanima-
tion. Les machines sans défaillance occupaient tout l’espace. Les
êtres qu’elles assistaient ressemblaient à des marionnettes décolo-
rées, prêtes à être évacuées de façon définitive. L’uniformité dans
la souffrance et dans l’antichambre d’une éventuelle mortalité
apparut violemment à Ralph. Il en frissonna tout à coup et se dit
que si l’égalité provisoire de l’être humain était à ce prix-là, c’était
vraiment terrible  ! Plus personne n’existait en tant qu’individu,
seule la lutte pour survivre devenait évidente et les machines pro-
grammées pour la favoriser tenaient la première place. Un monde
déshumanisé pour sauver des vies…
« Hum se dit-il, allons y mettre une âme ! »
Laetitia avait le numéro 4 et il eut du mal à la reconnaitre.
Alors que la veille, un mieux avait eu l’air de s’installer, la situation
ce matin semblait se dégrader. Ralph se rappela de la femme qu’il
avait vue et désirée dans cette boite de nuit et se dit que l’être brisé
et désincarné qui gisait devant lui, n’avait rien en commun avec
elle. Un chagrin intense se distilla en lui et c’est avec une infinie
douceur qu’il prit le poignet de Laetitia. Seul point positif, l’assis-
tance respiratoire n’avait pas eu besoin d’être rebranchée. Quasi
agenouillé près d’elle, il lui murmura à l’oreille : 
« Douce et tendre Laetitia, je suis venu vous ramener à la vie,
nous nous connaissons et je vous ai cherché partout. Accrochez-
vous Laetitia j’ai besoin de vous. »
Toujours inconsciente, Laetitia ne réagissait pas mais Ralph
savait que souvent, au-delà des apparences, le réconfort d’une
43
Danse macabre

présence et des paroles était perçu malgré le coma. Tendrement


il garda sa main dans la sienne durant quelques minutes, puis
dut aller faire face à ses responsabilités, ajustant les traitements
ou modifiant les prescriptions pour chacun. L’atmosphère était
lourde et la nouvelle équipe qui arrivait en perçut la densité. Une
sonnerie retentit pour signifier un arrêt cardiaque qui ne put mal-
gré les efforts déployés être corrigé et une âme s’envola… Chaque
décès était toujours vécu par les équipes de réanimation comme
un échec, personne n’acceptant jamais la mort comme inéluc-
table. Après cinq heures de travail intensif, Ralph alla à la cafétéria
se détendre un peu. Juste avant de sortir, il effleura la joue de Lae-
titia et lui murmura un « je t’aime » passionné, surpris lui-même
par son intervention. Laetitia respirait avec moins de difficulté et
sans l’aide de la machine. Ses lèvres devenaient moins violettes.
Oxygène et perfusions l’aidait peu à peu à remettre en circuit ses
fonctions vitales. Différentes fractures avaient été décelées, mais ce
n’était pas cela le plus grave. Une transfusion de sang était en place
car une hémorragie interne avait été décelée après éclatement de
sa rate dans l’accident. Transportée au bloc opératoire en pleine
nuit, elle avait bien failli ne pas en sortir vivante. Mais son destin
devait être autre, car malgré une faiblesse extrême, elle survécut
et après trois semaines de soins intensifs se retrouva en chirurgie
pour ses différentes fractures. Elle venait de sortir du coma et ne
se souvenait plus de rien, excepté d’une lumière intense et d’une
explosion dans son corps. Puis venait à sa mémoire une voix qui
lui murmurait un «  je t’aime » dont elle ne savait que faire, inca-
pable de l’attribuer à quelqu’un. Ralph venait la voir plusieurs fois
par jour et lorsqu’il vit qu’elle était sortie du coma, soulagement et
angoisse l’étreignirent simultanément. Il lui sourit remarquant le
changement spectaculaire que l’accident avait opéré sur elle. Sin-
cèrement s’il n’y avait eu son identité d’inscrite, personne n’aurait
pu la reconnaitre, tant les traumatismes et cette transition entre la
vie et la mort avaient été violents. Alimentée par sonde gastrique
elle survivait, mais était devenue l’ombre d’elle-même.
Ce jour-là Ralph arriva au moment où ne supportant plus
la sonde gastrique passant dans son nez et sa gorge jusqu’à l’es-
tomac, elle essayait de l’arracher car elle s’étouffait. Un jet de
44
Danse macabre

sang jaillit de sa gorge et la sonde fut retirée. Immédiatement


de façon transitoire, une perfusion de plus lui fut réinstallée afin
qu’elle ne dépérisse pas. Il fallait que la gorge cicatrise et l’on
décida pour l’alimenter de lui poser une autre sonde branchée
directement à l’estomac  : ce fut presque un confort pour elle
mais tout de même une agression de plus. Ralph s’approcha
pour la calmer.
« Tout va bien Laetitia, tout va s’arranger. Je suis là ».
Levant vers lui un regard désespéré, elle articula difficile-
ment :
« Emmenez-moi, sortez-moi de là. »
Lui caressant tendrement la joue, il le lui promit de le faire
dès qu’elle irait mieux, sans doute dans quelques jours. Ces pa-
roles semblèrent l’apaiser et elle ferma les yeux.
Danse macabre

Eros et Thanatos

Pourtant au fond d’elle, le tumulte régnait. Oui, elle venait


juste de rompre quand cela était arrivé. Peut-être que c’était cela
qui avait produit cette minute d’inattention ayant provoqué
l’accident. Et elle trouvait cela injuste ! Et cette rupture et cette
épreuve où son corps criait de douleur et où son âme refusait
de mourir, quel en était le sens ? Toutes ces pensées tourbillon-
naient dans sa tête comme des milliers de petits papiers de cou-
leurs différentes, au point de lui donner le vertige. Un spasme la
traversa. Elle se sentit partir. Une sonnerie retentit. A nouveau
l’équipe médicale agissait, réintubait faisant les gestes d’urgence
pour ramener la vie, pour stabiliser ce qu’il en restait. Ralph
comme les autres était là, et malgré l’efficacité de l’équipe, se
sentait impuissant devant le nouveau cataclysme qui ravageait
ce corps devant lui. « Pas sûr qu’on la récupère cette fois-ci ! »
se dit-il en lui-même. Puis au moment même où son souffle
se perdait, où son cœur s’affolait et fibrillait, où la fin semblait
inéluctable, ses yeux s’exorbitant pour un dernier regard, leurs
pupilles s’accrochèrent à celles de Ralph et le tsunami se calma,
aussi soudainement qu’il était venu. La situation s’était à nou-
veau stabilisée, alors que la fin paraissait imminente.
Dans la tête de Laetitia se mêlaient des séquences de sa vie
avant l’accident, ainsi douceurs et douleurs se côtoyaient en per-
manence dans un ballet sans fin. Des flashs de son existence re-
venaient à sa mémoire sans aucune chronologie d’ailleurs. Tout
tournoyait dans sa tête : les mensonges de son ami, sa trahison,
son ambiguïté car il ne voulait pas rompre malgré une nouvelle
liaison, ses difficultés financières à elle  ! Tous ces événements
étaient comme des bulles de savon qui éclataient dans sa tête.
47
Danse macabre

Un chagrin mêlé à de la colère envahissait tout son être déjà


malmené par l’accident. Ralph ne pouvait imaginer tout ce qui
se passait dans la tête de Laetitia tout en s’apercevant de l’agita-
tion qui l’animait et qui se traduisait par des extrasystoles, des
tremblements et des désordres affectant ses fonctions vitales.
A part pallier au plus pressé pour préserver sa vie, il se sen-
tit une fois encore désarmé. Il lui posa la main sur son front
en guise d’apaisement et reprit de façon quasi mécanique des
paroles, des mots simples et brefs :
« Tout va s’arranger – Je suis là – doucement respirez – oui
tout se calme – c’est possible ».
Puis en panne d’inspiration il se surprit à lui murmurer en
boucle : « Avec moi on ne meurt pas – avec moi on ne meurt
pas – avec moi on ne meurt pas … »
Laetitia se sentait loin déjà et aspirée par un vide cotonneux.
Les mots produisaient un ronronnement inaudible pour elle qui
perdait pied de plus en plus. Seuls les derniers mots arrivèrent à
lui parvenir : «  Avec moi on ne meurt pas ! » Sans savoir pour-
quoi, elle s’y accrocha comme le noyé s’agrippe à une bouée de
sauvetage. Puis elle se sentit glisser dans l’inconscience. Les mots
cependant cheminaient en sourdine, récupérés par l’instinct de
conservation qui réside en chaque être humain. Sa respiration
devint moins sifflante et s’apaisa, l’oxygène la soulagea. Son
cœur reprit un rythme plus acceptable. La cyanose à nouveau
quitta son visage et ses extrémités. Les derniers mots martelaient
doucement l’inconscient de la femme effaçant la violence des
flashs précédents.
A la surprise de toute l’équipe qui attendait la fin imminente
du corps broyé devant elle, tout revint à une sorte de normalité à
nouveau gérable médicalement parlant. Ralph en fut le premier
surpris, mais ne se posa pas plus de questions, acceptant avec
simplicité cette nouvelle réalité. Ce ne fut que plus tard qu’il ré-
alisa combien il était soulagé. Le combat en soins intensifs dura
encore deux semaines mais peu à peu, de gérable, la situation de
Laetitia devint acceptable au point qu’elle put quitter les soins
intensifs et se retrouver en cardiologie car des salves d’extrasys-
toles ponctuaient encore ses électrocardiogrammes.
Danse macabre

Souffrances et transition

Elle avait repris conscience mais son regard restait encore


dans le vague. Peu à peu, Ralph s’aperçut que ses yeux com-
mençaient à suivre les gestes des soignants. Laetitia ne com-
muniquait pas plus pour autant. Bardée de perfusions, on lui
enleva cependant le tube de la trachéotomie et puis la valve de
secours introduite dans l’orifice, put elle aussi être retirée et la
cicatrisation s’amorça. Aucun son ne sortait de la gorge de Lae-
titia et Ralph se demandait si les cordes vocales n’avaient pas été
endommagées. Ralph prit un bloc de papier et glissa un crayon
dans les doigts de Laetitia. Elle sembla le remercier en clignant
des paupières et le fixant intensément ensuite. Il lui prit la main
pour l’aider à écrire. C’était complétement fou cette idée dans
l’état où elle se trouvait ! Et pourtant, cela fonctionna : l’écriture
était malhabile, à peine appuyée et pourtant un mot pouvait
être déchiffré : colère…
« Pourquoi ? » demanda Ralph.
Le crayon traça de nouveau: « Rupture, injuste… »
Puis il vit des larmes couler en silence sur les joues creusées de
Laetitia. Une émotion intense le parcourut. Il fallait qu’elle sorte
de là ! Ils reprirent crayon et écriture automatique.
Et peu à peu l’histoire prit forme entre les détails de la rup-
ture, son chagrin, ses révoltes, le mot « Trahison » revenait en
boucle et parfois même des larmes coulaient le long du visage
émacié et figé par le coma. Peu à peu et au fur et à mesure que
le dernier épisode de la vie de Laetitia s’écrivait par mots sur le
papier, son état changeait également. Parallèlement, selon les
révoltes ou les chagrins, s’ébauchaient la cicatrisation des plaies 
mais aussi la reprise des fonctions vitales. L’aide par les machines
49
Danse macabre

ne fut plus nécessaire et même les perfusions purent être inter-


rompues. Seule la sonde de gastrostomie fut conservée. L’état de
Laetitia s’améliorait chaque jour et les notes s’amoncelaient, au
point que Ralph décida de les classer par ordre chronologique.
La seule chose qui surprenait, voire qui inquiétait Ralph était
cette rigidité du visage qui restait récurrente. En effet aucune
expression n’apparaissait jamais sur la figure de Laetitia et ses
traits restaient figés depuis son premier transfert de l’accident.
Pourtant aucune hémiplégie n’avait été constatée et les scanners
effectués montraient un système cardio-vasculaire indemne de
tout désordre. Pourquoi donc cette paralysie faciale s’était-elle
déclenchée ?
Danse macabre

La revanche des têtes blanches

De son côté, la génération de têtes blanches qu’avait entre-


vues Ralph en boite de nuit, avait fait des émules.
Elles se faisaient de plus en plus nombreuses et envahissaient
l’univers. Penchées, inclinées ou altières elles étaient de plus en
plus présentes car la longévité de l’existence humaine avait quasi
doublé ! Désormais il fallait compter avec ces têtes blanches qui
peuplaient le monde et réclamaient désormais leurs droits. Elles
voyageaient, exigeaient, revendiquaient. Et surtout ne voulaient
plus être parquées dans des thés dansants, antichambres de mai-
son de retraite, dans des clubs seniors donnant plus envie de fuir
que communiquer. Cloisonner était le nouveau mot de passe de
la société actuelle qui voulait rendre productif à tout prix chaque
individu en les classant par catégories. Mais la réalité était autre
et la Vie ne pouvait pas se mettre en équation. Heureusement !
Aussi le déferlement des têtes blanches amena-t-il une révo-
lution. Il était désormais impossible de les gérer. Elles refusaient
de se retrouver en lieux clos, ou en visites guidées assistées, où
seule la rentabilité des soins ou des services justifiait leur pré-
sence. L’humanité requise pour exister vraiment étant absente
totalement, les têtes blanches décidèrent de s’organiser. Elles
reprirent du service et créèrent des SCI, regroupant juristes,
soins médicaux, loisirs et assistances. Recrutant du personnel de
tout âge, peu à peu fut réintroduit ce qui se passe dans la vraie
vie avec toutes générations confondues, c’est-à-dire le partage et
enfin les échanges. Ouf ! Mais cela n’arrangeait pas du tout les
organisateurs du cloisonnement trans-générationnel où seul le
mot « Rentabilité » justifiait toutes ces aberrations. La guerre fut

51
Danse macabre

donc déclarée de façon ouverte entre ceux-là même qui avaient


organisé les clivages et les têtes blanches qui prenaient peu à peu
le pouvoir et dont le nombre s’accroissait chaque jour. Bientôt
même les anciens devinrent plus nombreux que les nouvelles gé-
nérations. Et les problèmes de société s’inversèrent ! Les jeunes
générations pleines de morgue et d’arrogance commencèrent à
prendre conscience de l’aberration du système au fur et à mesure
que la situation s’inversait. Et le plus surprenant était qu’elles
semblaient même y trouver leur compte. Fut constatée en effet
une nette diminution de l’agressivité et de la violence comme si
le fait de ne plus être en compétition pour prouver leur perfor-
mance en augmentant leurs gains, devenait un élément calmant,
voire un soulagement.
Les Têtes blanches réintroduisaient des valeurs, une nouvelle
hiérarchie fondée sur l’expérience, les efforts et la progression de
chacun. Surtout les tranches d’âge ne furent plus cloisonnées et
la vie put reprendre, toute génération confondue.
Donc quelque chose s’était à nouveau équilibrée dans cette
nouvelle société jusqu’au jour où un des Seniors oublia son âge
et décida lors d’un meeting aérien, de faire des acrobaties non
prévues et surtout non compatibles avec son système cardiovas-
culaire !
Au sol, le public constitué de juniors comme de seniors,
découvrait étonné et ébahi les circonvolutions de plus en plus
périlleuses d’un avion de voltige. Plusieurs injonctions furent
données au pilote de se reprendre et de retourner au classicisme
des figures imposées. Mais rien n’y fit, et emporté par je ne sais
quelle fougue ou délire, il continua à s’amuser comme un petit
fou au mépris des règles de sécurité élémentaires. Ce qui devait
arriver, arriva, la pression sollicitant par trop son système vascu-
laire provoqua l’accident : il lâcha les commandes. Après un pi-
qué vertigineux et comme il était déjà beaucoup trop près de la
foule qui suivait le spectacle, son appareil vint s’écraser comme
une bombe au milieu du public. Vision d’apocalypse, sirènes,
hurlements, explosions, flammes et corps déchiquetés jaillirent
de tous côtés, filmés en direct par les caméras prévues pour les
démonstrations. Le salon du Bourget devint cette journée-là,
52
Danse macabre

lieu d’horreur et de désolation : le pilote y perdit la vie à l’évi-


dence mais son délire de toute puissance entraîna la mort d’une
centaine de personnes…
Radios et télévisions commentèrent le désastre et la commis-
sion d’enquête commença à évoquer les problèmes liés à l’âge !
Danse macabre

Régression

Et tout fut remis en question ! Les dangers liés aux nouvelles


organisations, les précautions à prendre et peu à peu le secta-
risme refit surface. Les Têtes blanches durent renoncer à leur
puissance et se soumettre à de nouvelles règles qui n’étaient en
fait que les anciennes, remises au goût du jour. Ainsi en va-t-il
des remaniements n’aboutissant en fin de compte qu’à repro-
duire toujours les mêmes erreurs. Les vieux furent évincés, reca-
drés, éliminés et à nouveau parqués et l’histoire recommença
sans en tirer un seul enseignement susceptible de favoriser la
communication transgénérationnelle.
Un jour, une équipe prit une décision et l’histoire ne dit pas
si elle fut composée de juniors ou de seniors, ou des deux ; donc
dans le plus grand secret, ce groupe élabora un projet spatial
pour aller installer loin dans la galaxie, une ville nouvelle avec
de nouvelles règles et de nouveaux espoirs. Plusieurs vaisseaux
partirent bondés de volontaires. Le progrès était là. Et tous se
réjouirent d’aller porter au loin de nouvelles idées, de nouvelles
structures si révolutionnaires que toute la galaxie allait en réson-
ner. Tout tintinnabulait si bien au milieu des étoiles que l’on
crut bien trouver enfin la solution. Hélas, dame Zizanie rat-
trapa les humains qui retrouvèrent alors leurs errances d’antan :
tout se cloisonna à nouveau, les adultes, les adolescents et aussi
les enfants, et tombée sur la tête dans l’espace sidéral, la folie
retrouva une parcelle de chacun pour aller morceler ses délires
plus loin.
Restons sur notre Terre, notre vieille planète, qui bien qu’abi-
mée par les délires humains, pouvait encore donner bien des
joies dans ce monde. Un peu de terre intacte, de l’espoir, des
55
Danse macabre

projets, de l’amour en pagaille à ne savoir qu’en faire pouvait


si on voulait, peu à peu restaurer têtes blanches, blondes ou
brunes, droites ou inclinées, unies dans un même mouvement
pour enfin retrouver, sans haine ni dépit, sans rage, sans jalousie,
un monde plus enclin à préserver la vie et l’amour d’Autrui.
Danse macabre

Rééducation pour Laetitia - La visite

Laetitia continuait à communiquer avec l’aide du bloc et du


crayon, mais son visage gardait toujours la rigidité de la cire. Un
jour elle reçut une visite. L’homme qui l’avait trahi et avec lequel
elle avait vécu six années, vint la voir. Ayant appris l’accident
il était rongé par la culpabilité et une partie de son visage était
couvert de psoriasis. Son cou avait enflé et une grosseur évidente
apparaissait en relief.
A sa vue, Laetitia fut agitée de tremblements, l’homme s’ap-
procha encore mais le visage figé de la femme le paralysa aussi-
tôt. Les yeux de Laetitia par contre lancèrent des éclairs suivant
chacune de ses émotions et la vivacité du regard était tellement
saisissant que l’homme devint livide et vacilla un peu.
« Tu m’en veux toujours, non ce n’est pas possible, dis-moi
quelque chose, ne me fixe pas ainsi ! »  balbutiait-il, de plus en
plus troublé. Bien sûr, il ignorait la paralysie faciale de Laetitia et
attribuait cette immobilité à son mépris et à sa haine. Il faut dire
que le regard de la femme était éloquent, soulignant ce qu’elle
pensait vraiment. Effrayé par tant de violence, il sortit presqu’en
courant dans le couloir et s’effondra au pied de l’ascenseur. Un
médecin qui passait l’examina aussitôt et ne put que constater
l’arrêt cardiaque. Défibrillateur une fois, deux fois, trois fois, fi-
nit par faire repartir ce cœur glacé d’effroi. Le brancard le trans-
porta à son tour en réanimation. Ce fut à ce moment précis que
Ralph entra et vit le regard courroucé de Laetitia. Il vit aussi
l’homme sur une civière, évacué vers les soins intensifs, mais il
remarqua également les yeux de Laetitia. Prenant aussitôt le car-
net et le crayon, traducteurs de son bouillonnement intérieur, il
le lui tendit et elle se mit à écrire avec fébrilité.
57
Danse macabre

Écriture - Thérapie

« Voilà c’est lui, c’est lui, ce monstre qui m’a tuée ! » ponc-
tuant d’une ligne de points d’exclamation, le dernier mot.
Et Laetitia commença à raconter ce qui s’était passé entre cet
homme et elle : les rires qui les avaient rapprochés, sa présence
lorsqu’elle avait été malade, sa gaieté et sa joie de vivre, sa fa-
çon de se rendre indispensable, ses attentions, ses bouquets de
fleurs, leurs sorties enfin toute sa séduction car il était séducteur.
Pourtant la sexualité avec lui manquait de subtilité, de créativité,
d’érotisme, il n’était pas répétitif et pour dire vrai, elle s’ennuyait
au lit avec lui. Ils faisaient de moins en moins l’amour et elle se
sentit frustrée. Mais il était si présent et si attentionné qu’elle en
oublia ses frustrations. Plus de cinq ans passèrent, le charme du
début n’existait plus. Elle essaya au moins une bonne dizaine de
fois de rompre mais comme il revenait à chaque fois, elle accep-
tait que la relation reprenne sans bien savoir pourquoi ! Il était
d’une nature violente et insécurisante. Comme elle n’avait peur
de rien, ni de personne, elle n’en fut pas dérangée en apparence,
tout en étant toujours malade depuis leur rencontre ; d’ailleurs
ses anciennes relations à lui, elles-aussi avaient déclenché cancers
et autres troubles. Mais il était là s’insinuant dans sa vie, tout en
tyrannisant mine de rien, éliminant les gens et sa famille autour
d’elle. Un jour elle décida de l’aider à acheter un bien immobi-
lier, cela l’amusait. Elle savait faire, trouva l’appartement, fit les
tractations avec le banquier trouva l’apport personnel, négocia
le prêt, et… il signa chez le notaire. Elle supervisa les travaux,
décora, installa, loua le bien, ravie de faire plaisir. Il avait réussi
sans doute ce qu’il voulait depuis le début, car il l’avait manipu-
lée en sourdine mais elle l’ignorait encore !
59
Danse macabre

Puis il recontacta une future autre victime vraiment laide et


disgraciée et entama une liaison avec elle, pour l’argent… Laeti-
tia le découvrit et interrompit sa relation. Ce fut la rupture. Elle
eut la présence d’esprit de lui faire signer une reconnaissance de
dette qui s’étalait sur cinq ans, car il ne pouvait rembourser au-
trement. Il voulait garder la relation avec elle tout en ayant une
sexualité avec la vieille moche qui le couvrait de cadeaux et se
servait de lui comme gigolo. C’était la première fois que Laetitia
avait été trahie et surtout escroquée. Troublée par les pensées
qu’elle venait d’avoir, alors qu’elle se trouvait au volant de sa
voiture, elle eut un moment d’inattention et ce fut l’accident !
La vue de cet homme venait de lui rendre ces émotions qu’elle
avait figées en elle et au fur et à mesure qu’elle les rédigeait et
exprimait sur le bloc-note, les traits de son visage reprenaient
vie. Ce fut alors qu’elle écrivait le mot  « Fin » sur le bloc note
que Ralph entra.
C’était un matin de mars. Le printemps s’annonçait. Le vi-
sage énigmatique de Laetitia redevenu vivant se tourna vers lui
et lui tendant le bloc, elle prononça : « Merci ».
Des larmes, joyaux des dieux ruisselaient sur ses joues, enle-
vant à jamais frustrations et chagrins revenues la hanter à travers
les offenses. Elle était redevenue vivante et avait survécu. Elle
serait vigilante, on ne l’abuserait plus. Tout avait disparu, les
traumas de l’enfance et ses chagrins de femme. La paralysie aussi
n’existait plus. Ralph lui offrit son bras et même proposa plus.
Elle accepta le geste mais refusa le reste. Laetitia était libre et
voulait le rester. La nouvelle tête blanche commença d’exister en
ce jour de printemps qui annonçait l’été.
Danse macabre

Réalité

Des mois passèrent. Croyant être libérée des vieux démons


passés, Laetitia poursuivit son chemin. Mais le temps avait fait
des dégâts et les réflexes d’antan pour se remotiver et donner une
suite à sa vie, ne fonctionnaient plus. La paralysie certes avait
quitté son visage mais se trouvait néanmoins être omniprésente
dans tous ses faits et gestes de la vie quotidienne. Le double choc
avait tout modifié. Laetitia physiquement avait peu changé et
pouvait toujours être attrayante malgré les mois écoulés. Cepen-
dant elle se sentait vieille et démotivée et ne pouvait se résoudre
à s’intéresser aux hommes de son âge. Comme sa pulsion de vie
avait rétrogradée, les plus jeunes ne la regardaient plus, séduits
désormais par la vivacité d’autres femmes.
La vieille recette de vie ne fonctionnait plus. Elle essaya bien
quelquefois de repartir danser espérant que musique et désirs
des hommes pourraient lui redonner enfin ce qui lui faisait
désormais défaut. Mais en vain, les têtes blanches dont elle fai-
sait désormais partie ne l’inspiraient pas du tout, pire la dégoû-
taient et cela se voyait ! Même la danse elle-même qui avait été
un moteur réactivant la pulsion de vie, était inopérante. Il faut
dire que son accident et la réanimation elle-même, avaient laissé
quelques séquelles, et douleurs dans le bassin et essoufflement
ne l’aidaient à oublier son âge. Même en cardio-training, cela
ne marchait plus  ! Les thés dansants auxquels son âge l’obli-
geait, devenaient si mortels qu’elle n’y retourna plus. Sa famille
aussi peu à peu s’éloignait, prenant des nouvelles, certes une fois
par semaine puis la conscience en paix, l’oubliait totalement.
Quelques amis fidèles l’appelaient cependant souvent au télé-
phone, mais elle le sentait bien, eux aussi se lassaient. Etre seule,
61
Danse macabre

ne constituait plus pour elle cette douce liberté qu’elle reven-


diquait tant. Devenue désormais subie, elle s’avérait pesante et
angoissante. Laetitia était devenue âgée pas seulement en années
mais aussi dans son cœur ! Elle ne savait que faire. Elle s’inscrivit
alors sur des sites de rencontres et réalisa ce qu’elle savait déjà
d’ailleurs auparavant : la désolation de la décrépitude du genre
humain. Les hommes sur ces sites réclamaient tous l’amour ! En
fait ils avaient, grâce à quelques galipettes, juste besoin de savoir
s’ils existaient encore et s’ils pouvaient séduire. D’autres cher-
chaient sans doute infirmières, cuisinières pour agrémenter leur
triste fin de vie. Cela donna à Laetitia froid dans le dos et elle fit
le point. Ceux qui lui plaisaient encore ne la regardaient plus du
même regard qu’avant, les autres la dégoûtaient sans doute par
leur effet miroir. L’ancien homme de sa vie plus jeune lui aussi
continuait son chemin. Elle ne regrettait rien, il l’avait frustrée
et bien trop malmenée. Seul le fait d’être seule et ne plus parta-
ger, lui pesait beaucoup trop. Les associations qui auraient pu
être là comme une transition, étaient elles aussi peuplées de ces
fantômes qu’elle repoussait tant. Et le temps s’égrenait inexora-
blement !
Une violente poussée d’hypertension la mettant en danger,
réactiva la nécessité de perdre des kilos. La consolation d’une
nourriture facile dut cesser et elle mit en place une diététique
plus saine. Ce n’était pas si simple car la faim tenaillait mais les
médicaments n’étant pas supportés, c’était bien la seule chose
que son corps tolérait. Il lui fallait marcher, elle le fit, puisque la
danse ne pouvait plus lui apporter le sport comme l’agrément.
Là aussi, elle se retrouvait seule, c’était intolérable. Autour d’elle
les gens de son âge aussi se dégradaient : son ex-mari mourait,
les autres s’organisaient et faisaient des projets de futurs héri-
tages. Brrr…
Laetitia ne voulait pas mourir ainsi. Elle changea sa tête
blanche qu’elle aimait bien pourtant et la fit transformer par
des mèches plus sombres la striant désormais. Cela la rajeunit.
Illusion du moment. ! Seule, pleine de bon sens, sa petite fille
lui dit qu’elle l’aimait mieux avant avec ses lunettes et ses vrais
cheveux blancs.
62
Danse macabre

Les hommes réclamaient toujours la même chose  : des


femmes sexy et des talons aiguille car leur libido s’émoussant
peu à peu, les stimuli devenaient impératifs pour eux ! Laetitia
se dit que le moment qu’elle préférait dans un couple c’était la
nuit : elle aimait dormir avec un homme et se sentait protégée,
même si c’était un leurre. Et puis surtout, là il ne la dérangeait
pas : car il dormait ! Tout cela après avoir fait l’amour bien en-
tendu ! Cette pensée la fit sourire.
Elle continua sa vie, son chagrin s’atténuait. Elle mincit. Sta-
bilisant son existence, sa tension se normalisa. Son ami revint à
la charge, voulant rétablir un lien qui s’était interrompu depuis
longtemps déjà. Il remboursa aussi l’argent qu’il avait pris. Mais
Laetitia ne lui pardonna pas pour autant.
Les êtres humains vivent d’illusions  ! Oscillant à leur tour
entre espoirs et trahisons, elle et lui réussirent seulement à s’ou-
blier doucement, peu à peu mais inexorablement.
Danse macabre

Épilogue

La rupture fut effective quand Laetitia eut un nouvel amant


qu’elle garda juste pour la pulsion de vie et non pas pour l’ac-
compagner dans sa dernière ligne droite. Elle avait tiré un ensei-
gnement de son dernier chagrin. Elle vendit son bel apparte-
ment devenu impossible à gérer tant les charges étaient lourdes,
fit des choix différents préférant la vie au dehors à la solitude
du dedans. Elle s’installa dans le même quartier mais dans un
studio inondé de soleil avec un grand balcon à la grille arrondie
et ventrue, donnant sur une rue charmante et animée appelée
Rue de la Gaîté. Autrefois repère des filles de joie cette rue fut
désormais un cœur pour Laetitia. Regardant au dehors la vie par
la fenêtre, elle sourit tendrement à la vie retrouvée. Par la suite,
elle réussit même, grâce à une Succession familiale enfin résolue
après trente ans d’attente, à racheter son ancien appartement et
à restaurer une vieille propriété aux murs écroulés. Cette fois,
elle sut assurer son confort en premier tout en pensant aussi à la
sécurité des siens.
La suite est dans les cieux, l’histoire ne le dit pas, sauf qu’à ce
moment-là, à sa porte, une sonnerie retentit sous forme d’une
mélodie.
« Laetitia ?
– Oui c’est moi.
– Je suis en bas de chez toi, après t’avoir cherchée depuis plus
de trois mois. Viens prendre un thé en face, je pense toujours à
toi ! »
Un sourire ourla les lèvres de Laetitia. Ralph était là tout
près, la vie s’offrait à elle. Alors, elle ne résista pas.
Et l’histoire recommença… La vie reprit ses droits !
Le gigolo de l’Anaconda

Nouvelle

Laurence CORSINI
Le gigolo de l’Anaconda

Prologue

Pedro était devenu barman… Parti à dix-huit ans de son pays


natal, pour découvrir le monde, échapper à une famille canni-
bale, ainsi qu’au service militaire, que pouvait-il faire d’autre ?
La nécessité de manger et de survivre, l’avait incité à se diri-
ger vers les bars et les cafés où la main d’œuvre non qualifiée
tournait en permanence  : jeune, solide et corvéable à merci.
Payée à la journée, plus elle travaillait, plus elle était payée et les
pourboires n’étaient pas déclarés !
C’est là qu’il apprit à séduire, à sourire, à jouer de la prunelle,
de son corps, de son charme, à se vendre en fait, pour quelques
dollars aux U.S.A, quelques euros en Europe. Il parcourut le
monde, il était courageux, dur au travail. Il survécut donc. Et
même se sentit reconnu à travers les pourboires octroyés géné-
reusement ou pas, à chaque action positive proposée. En fait,
nous étions à une époque et dans une société où travailler
se faisait de façon basique, sans respect pour autrui. Il fallait
donc payer pour avoir un sourire, un service plus attentionné,
quelques égards en somme qui eussent été normaux dans une
autre culture.
Le gigolo de l’Anaconda

Pedro

Pedro apprit très vite ; il sut se faire respecter, fut détesté des
hommes et apprécié des… femmes. Au début, il les séduisait
toutes, les jeunes, les vieilles, les belles, les moches. Il consom-
mait et se servait.
Grand, bruns aux yeux clairs, il était de corps harmonieux
et musclé, élancé, plutôt classe. Pour un barman, c’est mieux !
Son sourire ravageur faisait oublier le visage dur et ingrat que
la nature lui avait octroyé. Son nez surtout était impression-
nant, grand, crochu, intrusif et menaçant. Son regard bleu gris
n’était pas bienveillant, les fréquentations douteuses avaient
su l’aguerrir. Il n’avait, dans ce milieu basique de la nuit et des
bars, que deux possibilités pour exister  : se faire craindre ou
séduire. Terroriser fut sa façon d’avancer et de subsister !
Résistant, il pouvait travailler douze heures d’affilée, obser-
vant, jaugeant, souriant et calculant le potentiel des hommes,
des femmes, des paumés. Comme tous les barmans, il rêvait
de femmes riches.
Les femmes mûres devinrent vite sa priorité, voire sa spé-
cialité. Elles ne demandaient rien, pas d’enfants, pas d’argent,
pas de fidélité, juste d’être séduites. Il choisit d’être Don Juan,
son visage inquiétant devint vite attrayant. Les «  bad boys  »
plaisent toujours aux femmes matures esseulées ! Ecumant bars
et dancings, il se faisait draguer, tortillant juste ce qu’il fallait :
son sourire ou ses fesses et, pour l’estocade finale, promettant,
faisait rêver, galant en apparence, charmant, séducteur et…
menteur.
Aucune émotion, aucun sentiment. Juste le plaisir de la
chasse, voire de se faire séduire, le faisait exister. La vie faisait
71
Le gigolo de l’Anaconda

le reste. Il induisait le manque, ne demandait rien, laissait les


femmes s’investir et donner…
Prendre était ce qu’il faisait de mieux, à part préparer les…
cocktails !
Il ne pouvait pas s’identifier à Casanova, pas assez beau
pour en avoir la séduction, ni assez performant sexuellement
parlant. Juste Don Juan, donc frustrant et pervers, maniant la
surenchère et se jouant de la jalousie féminine avec maestria.
Ses qualités premières étaient : étonner, rassurer, faire sem-
blant, paraître, donner une bonne image. Ses failles : Réacti-
vité, sadisme et agressivité envers les autres.
Fuyant toute responsabilité, il réfutait amour, famille et
enfants. Tout était encombrant. Il voulait la place pour lui
seul. Toute la place ! Celle qu’il n’avait pas eue sans doute un
jour, avant… dans son enfance. Il prit donc celle des autres
et devint un coucou, s’introduisant partout, éliminant les
sincères, les corrects, mentant effrontément. Cynique à l’ex-
trême, basique il avança en prédateur pervers. Ses victimes :
les fragiles, les instables, les femmes abandonnées, puis les
moches, les vilaines, enfin les vieilles pas tellement exigeantes
et si reconnaissantes qu’il veuille bien «  les sauter  » en leur
susurrant fadaises acidulées.
Sa technique comme barman : se faire draguer. Les cartes
de visite vite lui étaient données. Dans la vie, il écumait les
boîtes, les terrasses des cafés. Alors il choisissait le milieu et
l’argent. Ambitieux, Il désira cibler des femmes intelligentes,
toujours vingt ans au moins de plus que lui, donc plus mani-
pulables. La cinquantaine sonna pour lui, un jour du mois de
juillet. Il se dit qu’il lui fallait trouver un peu de stabilité.
Le gigolo de l’Anaconda

Crapula

Il trouva une vilaine et la sélectionna. Ce fut l’Anaconda…


Grosse, énorme, anale à souhait et femme de pouvoir, Crapula
payait les marlous en leur faisant « des pipes ». Jouant la ver-
tueuse dans la bonne société, elle arnaquait en douce un pauvre
handicapé lui piquant son argent et vivant sur son dos. Elle
l’abreuvait de drogues et de malversations, tout en jouant la gen-
tille pour le neutraliser. La nuit tombée, elle le laissait souvent
pour aller « faire la fête ». Grande comme un homme, on eut
dit un travelo. Son nez comme une patate était planté en plein
centre d’un visage flasque et rond où de petits yeux chafouins
bleus se dissimulaient derrière des lunettes désespérément « has
been ». Son cou énorme et blanchâtre était orné en permanence
d’un ruban de velours noir permettant de cacher sa peau affais-
sée, comme le faisaient jadis les vieilles douairières. Exhibant sur
Facebook une moue provocatrice, sa bouche aux lèvres lippues
parées d’un rouge écarlate, permettait à tous de comprendre ses
propositions obscènes et aguicheuses. Sa photo sur Facebook,
contrastait violement avec celles de jeunes et jolies femmes et la
faisait ressembler plutôt à une vieille tenancière de maison close.
Donc l’Anaconda rencontra le barman. Elle le dragua sur son
lieu de travail. Il la fit mijoter quelques temps dans son jus, pour
mieux la préparer à son show habituel. Fille de boucher, elle
savait bien saigner et désosser ses victimes. Obèse, la nourriture
comblant ses frustrations, était son obsession. Elle ne pouvait
séduire, trop laide et repoussante, transpirant le désir de ses pul-
sions tordues. Mais elle savait payer des gigolos que la vie lui ser-
vait comme des plats bien au chaud. A la vue du barman, l’Ana-
conda déplia ses anneaux, ses écailles luisantes cachant tous ses
73
Le gigolo de l’Anaconda

replis obscènes. Sa mâchoire puissante s’ouvrit béante, prête à


la fois, à tout avaler et à mieux étouffer sa proie en la broyant
lentement.
Crapula jeta son dévolu sur Pedro. Il ressemblait à une espèce
de rat de la famille des marsupiaux à longues pattes, les yeux
en permanence aux aguets. Il n’avait jamais vu un anaconda
aussi gras et énorme et plus encore, ne l’avait pas même entendu
venir. En effet le voyant bien tranquille, enroulé sur lui-même,
presque paisible, il s’était dit qu’il digérait la proie qu’il venait
d’attraper. Pedro ignorait la boulimie permanente et insatiable
du reptile qui dévorait tout et n’importe quoi : petites et grosses
proies passaient un sale quart d’heure avant de succomber. La
bête repoussante s’approchait alors avec une lenteur calculée au
millimètre, puis se précipitait pour engloutir sa victime. Cette
approche l’excitait au plus haut point même si sa circulation de
reptile n’en laissait rien paraître. Parfois un peu de bave verdâtre
coulait au coin de sa langue frémissante qu’elle dardait pour
détecter quelque chose à gober. Ses anneaux se déroulaient alors
excessivement lentement, inexorablement vers la victime ciblée.
Or cette fois-ci, malgré tous les prémices et signaux annon-
cés, la séduction n’eut pas lieu et ce fut le rat marsupial qui vint
à sa rencontre.
Il faut dire que ce rat-là, se prenait pour un kangourou et
pensait en avoir la prestance et la force. Jugeant inoffensif le
gros anaconda, il entreprit de le séduire puisque l’autre en traces
luisantes et fécales, lui avait laissée sa carte de visite ! Il alla donc
le chercher un après-midi d’août sous un soleil torride et dans
un moment de délire, lui montra sa tanière… L’adiposité de
l’énorme reptile se dilata d’aise à l’idée de dévorer le rat-kangou-
rou, mais le jugeant trop maigre et efflanqué, il se dit qu’il pou-
vait différer le moment d’en faire son repas afin de l’engraisser
un peu avant de le gober.
Alors en attendant le moment fatidique, l’Anaconda fit le
gentil, la gentille plutôt, car bien que de taille monstrueuse,
il s’agissait bien d’une femelle anaconda ayant le gabarit d’un
mâle ! En avait-elle dans son cerveau reptilien, aussi les attri-
buts ? L’avenir allait nous le dire…
74
Le gigolo de l’Anaconda

Le rat-kangourou, œil vif et pieds agiles lui était de sexe mas-


culin, mais son attribut de reproduction qui n’avait d’ailleurs
jamais servi pour la survie de son espèce, était si minuscule,
qu’on eut pu se demander s’il existait vraiment ! Aussi en perpé-
tuelle action de séduction, compensait-il en charmant ses voi-
sines afin de faire oublier son inconsistance et sa veulerie. Prêt à
tout pour être accepté, il redoublait auprès de la gente féminine,
quelle que fut sa race, de sauts, de cabrioles, de frémissements
de moustaches allongeant son museau déjà orné de naseaux im-
pressionnants, pour renifler les bonnes affaires et la bonne chère.
Pour séduire, il tortillait en permanence de l’arrière-train afin
d’être remarqué et suivi ! L’Anaconda vit le manège mais préda-
trice elle-aussi, n’y prit point garde quand le gringalet se frotta
contre sa peau graisseuse en lui murmurant des mots doux. Elle
le crut, tant sa frustration de ne jamais avoir été sollicitée était
extrême, n’ayant jamais eu aucun soupirant sincère à se mettre
sous… mais nous ne dirons pas où !
Le gigolo de l’Anaconda

Délires mutuels

C’est à ce moment précis que la folie commença…


Tous deux se mirent à enfler de suffisance, puis leurs peaux
commencèrent à desquamer, normal pour un reptile, surprenant
pour un rat. Celui-ci alors envahi de psoriasis géant, se grattait
contre tous les troncs d’arbres dont la rugosité semblait pouvoir
lui apporter un soulagement. Il y laissait des lambeaux de peau
sanguinolente, gardant ses nouvelles pellicules pour la poubelle
ambulante qu’était l’Anaconda. Il dépérissait à vue d’œil et elle,
se trémoussait de plus en plus d’aise, en faisant aller et venir ses
anneaux graisseux autour du pauvre corps décharné du marsu-
pial.
Pressentant le danger, il réussit pourtant à un moment donné
à se sauver et à se camoufler sous le déguisement d’un caméléon-
rhinocéros, si bien que la « belle » errait de chemin en chemin
et de serveur en serveur, afin de glaner quelques informations
sur sa misérable existence. Elle squattait même son terrier et
y passait des heures à l’attendre, sa graisse gélatine tremblante
d’émotions et de rage. Comment avait-il pu s’échapper ? Mais
« Œil vif et Pieds Agiles », c’était le surnom de notre compère,
savait par expérience que seule la fuite permettait le salut.
Le gigolo de l’Anaconda

La fuite

Il vint alors se réfugier chez une ancienne copine, salamandre


de son état, qui l’hébergea quelques temps puis le ficha dehors car
comme toujours, il promettait beaucoup sans pouvoir assurer !
Pour mieux apprendre à esquiver, il décida de s’insérer dans
une troupe théâtrale et s’exerça aux improvisations et jeux de rôles
divers dans le but d’apprendre à se perfectionner pour tromper
davantage. Là le rat-kangourou exultait… Sa vraie nature ici était
légitime puisqu’il se trouvait dans un contexte de simulation
théâtrale ! Il pouvait donc en ce lieu, au grand jour, se montrer
menteur, hypocrite, mythomane, cruel, charmeur, lâche, géné-
reux, pervers ou désespéré, devant un public qui applaudissait ses
performances et grands talents d’acteur. Pedro peaufinait donc ses
rôles comme les turpitudes qu’il préparait dans la vie, très heureux
de pouvoir sans cesse utiliser ses plus bas instincts au service de
son « Art ».
Il rencontra sur son chemin, mulots, oisillons, biches, mar-
mottes et moult autres êtres fragiles et sans défense sur lesquels il
exerça ses talents de prédateur sans vergogne, ni états d’âme, aux
dépens bien sûr de ces pauvres créatures. Sa technique était d’ail-
leurs toujours la même : il les mettait en confiance, les séduisait,
les amusait, devenait leur ami voire plus, pour mieux les enfermer
dans son filet invisible de cruauté et d’hypocrisie. Puis le moment
venu, l’estocade arrivait : il les écrasait, les humiliait, les détruisait,
jouissant en riant de leur souffrance pour les dévorer in fine et
s’approprier leurs biens et leur terrier. L’abus de confiance était sa
spécialité.
Ces petites proies sans défense commençant à le lasser, il visa
plus gros, plus… costaud.
79
Le gigolo de l’Anaconda

C’est là qu’il tomba sur… l’Anaconda. La situation lui


parut riche de promesses, de bénéfices secondaires et de jouis-
sances perverses à venir. L’idée vint même au rat-kangourou,
de jouer pour une fois la victime et non le protecteur, pour
mieux tenter et apprivoiser le reptile.
L’Anaconda le trouvant trop maigre pour en faire un repas
immédiat, décida de le laisser momentanément en vie pour
qu’il s’étoffe un peu et constitue pour l’avenir un repas plus
conséquent. Le serpent alla même jusqu’à laisser à l’infâme
marsupial, quelques restes d’animaux qu’il déglutissait, les
prédigérant pour lui. Comme le prédateur déguisé en victime
n’était pas raffiné, il avalait tout sans mot dire, en éprouvant
même un plaisir indicible ! En effet sa future victime chassait
pour lui et même le nourrissait comme une mère aimante,
favorisant sa régression. Mais le cerveau reptilien existant aussi
chez les anacondas, l’instinct fit qu’elle voulut rapidement
s’accoupler avec le rat déjà un peu plus gras, ce qui à l’évidence
était bien contre nature et pas pour lui déplaire !
Notre compère n’en n’était pas à une horreur près et se
laissa savourer, renifler, consommer sexuellement par l’Ana-
conda femelle, qui le stimulait avec désespérance de sa langue
fourchue, afin qu’il puisse l’honorer de son pauvre attribut
rachitique de reproduction. De petits coïts arrivèrent pénible-
ment à émerger, ravissant le pauvre reptile disgracié et repous-
sé car repoussant. Le rat copulait rapidement et s’endormait
aussitôt, exténué par l’acte sexuel représentant pour lui un
exploit incompatible avec sa nature profonde. L’Anaconda le
trouvant peu répétitif et faiblard décida alors non seulement
de le nourrir mais d’ajouter dans les mets qu’il lui apportait,
quelques drogues stimulantes pour sa libido endormie. L’in-
fâme rat-kangourou n’en devint pas pour autant performant,
par contre une paranoïa commença à s’installer en lui, peu à
peu, le rendant encore plus agressif.
Le gigolo de l’Anaconda

« Association de malfaiteurs »

De plus en plus certain de maîtriser le monde, Pedro se sen-


tait devenir incroyablement puissant, croyant détenir la vérité
pour chacun :
Ainsi se permettait-il de donner avis et conseils à qui voulait
bien l’écouter, empli d’un orgueil de plus en plus démesuré. Il
ne se rendait même plus compte de son aspect chétif et malingre
tant les produits distillés dans la nourriture offerte par l’Ana-
conda étaient toxiques  : amphétamines, neuroleptiques, anti-
dépresseurs et stabilisateur de l’humeur se mélangeaient allègre-
ment dans des plats en sauce divers de toutes sortes qu’elle lui
mitonnait amoureusement.
Il faut dire que cet anaconda qui se dissimulait dans ce corps
monstrueux de travelo, s’avérait d’une perversité insatiable.
Comptabilisant les biens d’autrui dans son activité profession-
nelle, elle était chargée par ses supérieurs de réclamer l’argent
des débiteurs. Elle excellait dans la manipulation des comptes et
trouvait un réel bonheur à ne parler que d’argent, à le réclamer
insidieusement et à amasser ses propres gains de façon plus ou
moins licites. Un jour, vérifiant la comptabilité d’une entreprise
de pompes funèbres sous le prétexte fallacieux de la sortir d’un
mauvais pas, le reptile proposa même de travailler pour la dite
entreprise, afin de faciliter ses transactions immobilières ! Là, en
bonne nécrophage qu’elle était, la femelle anaconda se renseigna
sur les techniques diverses d’embaumement et de conservation
des corps, pouvant ajouter à son arsenal d’empoisonneuse de
nouveaux produits impossibles à se procurer dans le commerce.
Elle avait aussi fait, dans les années précédentes, connais-
sance d’un paysan plutôt débonnaire, à qui elle proposa ses ser-
81
Le gigolo de l’Anaconda

vices. Entre temps sur Facebook, elle exhiba en gros plan, à


côté de son image de matrone qu’elle était, un cliché de sa
bouche maquillée d’un rouge sanglant, signifiant clairement
sa spécialité de fellatrice patentée ! Le pauvre bougre qui lui
avait fait confiance, fut sa première victime, et un jour, grâce
aux bons soins de l’Anaconda, déclencha une hémiplégie le
clouant dans un fauteuil roulant. Jouant la magnanime, elle se
proposa, comme accompagnatrice de l’infortuné et s’installa
dans l’appartement de cet homme afin de soulager sa famille
bien trop contente de ne pas avoir à gérer un impotent. Cette
femme monstrueuse, grande et costaud pouvait le soulever
sans problème du fauteuil au lit et du lit au divan. Elle lui
confectionnait de bons plats, lui octroyant en plus quelques
fellations afin de l’amadouer et de se rendre indispensable.
Puis peu à peu le rendit dépendant et sous prétexte d’un état
dépressif, finit par l’abrutir allègrement de médicaments, met-
tant le pauvre hère en son total pouvoir. Elle l’endormait donc
au sens propre comme au figuré. Tout cela avec la bénédiction
de la société que cela arrangeait bien et qui ne voulait voir en
elle, qu’une femme laide donc vertueuse. Qui donc trompait
l’autre ?
Elle accapara aussi l’argent, les biens, les pouvoirs et les
pensions de l’homme handicapé, bénéficiant habilement de
tous les services que la société octroie à ces traumatisés de la
vie. Le soir, pour aller faire ses frasques avec les serveurs qu’elle
recrutait et draguait dans les bars et qu’elle payait bien sûr
pour « se faire sauter », elle endormait le malheureux infirme
avec des somnifères ! Maltraitance et escroquerie était donc le
pain quotidien de la « belle ».
Pedro le barman, qui avait même pris un peu de poids grâce
à elle, trouvait très pratique cette relation et surtout y trou-
vait son compte financièrement. Peu embarrassé lui aussi, par
des scrupules, il évitait surtout de se demander comment elle
avait tant d’argent, d’où venait-il et surtout ce qu’elle faisait
du pauvre invalide quand elle passait la nuit dans son terrier ?
Le gigolo de l’Anaconda

Sordide pas de deux

Pedro habitait un studio ensoleillé avec balcon dans un


HLM de banlieue. Le lieu avait, lui aussi été bien aménagé par
une pauvre idiote à qui il avait joué du pipeau, lui faisant croire
à sa probité et à sa loyauté. Ayant fait également une opéra-
tion immobilière juteuse grâce à elle et d’ailleurs à ses dépens,
il venait de la remplacer par sa péquenaude de travelo, pen-
sant arrondir son magot, son patrimoine et ses investissements
dans un avenir prochain. En effet, totalement subjuguée, et
pour mieux le séduire, Crapula lui achetait slips, vêtements,
draps, bijoux, finançant également week-ends, relais-châteaux
et auberges crapuleuses. Il y trouvait son compte, peu regar-
dant sur l’aspect physique de la femme. Quant au sens moral
de la « dame », il était du niveau du sien, cela ne pouvait donc
point le déranger.
Il poussa même la perversité jusqu’à laisser des photos de
son ex-amie, ainsi que d’anciennes missives, afin de rendre ja-
louse et plus docile l’Anaconda. Celle-ci prétexta s’en moquer
alors qu’étant d’une jalousie et possessivité maladives, elle éla-
borait déjà un plan machiavélique pour mettre le barman sous
sa dépendance : elle venait, se dérangeait donc au domicile du
sire, lui apportant cadeaux, jouant les Mata-Hari obèses et éna-
mourées, puis repartait comme une prostituée ayant apporté
l’argent à son souteneur. Trois fois par semaine elle faisait ce
rituel  : les mercredi et samedi soirs, ainsi que le dimanche.
Restaurants et sorties ponctuaient ces jours de grâce et agré-
mentaient sa vie, la baignant dans une excitation maniaque :
elle préparait alors son corps difforme, l’enduisant de crèmes
parfumées, le drapant dans des lingeries affriolantes, maquil-
83
Le gigolo de l’Anaconda

lant sa bouche béante d’un rouge sanglant afin d’annoncer


comment elle allait absorber jusqu’à l’épuisement, l’énergie
spermatique du pauvre niais.
Lui se croyant fort, pensait la dominer et même commen-
çait à y trouver un agrément.
Mais c’était elle, bien sûr, qui menait la danse. A chaque
passage, elle ponctuait ses visites par une carte postale mièvre
et sentimentale où elle y inscrivait scrupuleusement la date du
jour de leurs ébats. Puis elle changea les chaises, la couleur des
draps, acheta un énorme chat en peluche qu’elle déposa sur
un guéridon, investit dans un percolateur et divers appareils
ménagers, bourra le frigidaire de nourriture confectionnée par
ses soins et droguée d’aphrodisiaques, pour mieux stimuler
l’idiot. Enfin, elle s’installa peu à peu, mine de rien, posant
crèmes et peignoir rose bordée de fourrure de cygne comme
une star d’Hollywood  ! Obsessionnelle également, elle rédi-
geait des dossiers datés eux-aussi, avec les photos de Pedro,
l’être aimé, positionnant celles-ci à côté des albums des autres
femmes ayant existé dans sa vie. « Je suis la dernière, et j’efface
la trace de toutes les autres, en posant mon empreinte » vou-
lait-elle signifier !
Le barman laissait faire, cela l’arrangeait plutôt, la sentant
prise à son propre piège. Mais vénal également, il continuait
tout de même à résister un peu, désirant se faire offrir beau-
coup plus, car il voulait s’installer à son compte ! C’était sans
compter sans l’analité de l’obèse qui voulait bien donner un
peu, dans la mesure où dans son délire maniaque, elle pouvait
en jouir et se raconter un film à l’eau de rose. Car le plus pa-
thétique c’est qu’elle y croyait au film du Prince Charmant, de
l’homme exceptionnel qu’elle venait de rencontrer ? N’eut-elle
pas été si sordide et machiavélique, elle en aurait été presque
touchante dans cette désespérance à vouloir être aimée et re-
connue. Pedro d’ailleurs se trouvait être dans ce même cas de
figure ; car le hasard n’existe jamais dans les rencontres…
Les fellations de Crapula arrivaient à conditionner Pedro
et aboutissaient à quelques ébats, certes insuffisants pour elle,
tant sa voracité était extrême. Et puis, bien que flambeur, cet
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Le gigolo de l’Anaconda

homme égocentrique à l’extrême donnait peu en fin de compte.


Il pratiquait la pêche au gros, prêt à tout pour faire grossir son
patrimoine. Mais sa paranoïa grandissant, Pedro s’imaginait
tout maîtriser : et là fut son erreur.
Le printemps arrivant, l’occasion, l’herbe tendre et les
femmes en fleurs à conquérir constituèrent des tentations. Car
notre barman aimait séduire, le reste ne l’intéressant guère au
fond. Au bout de quelques mois, sa vraie nature reprenant ses
droits et sa névrose aussi, l’amenèrent à déclarer forclos : Pedro
n’ayant jamais été un vrai baiseur, juste un séducteur…
Le gigolo de l’Anaconda

Amour et kaleidoscope

En plus, même s’il y avait prescription, il était encore un


peu amoureux d’une ex, qui, plus intelligente que lui, bien sûr,
l’avait émue, séduit par son authenticité, sa pulsion de vie et sa
pugnacité. Elle l’avait même aidé gracieusement à acquérir un
bien. Il en aurait bien profité de cette occasion-là pour escro-
quer la belle, mais elle ne se laissa pas faire, et il dut tout lui
rembourser pour ne pas avoir d’ennuis et pour laisser une bonne
image de lui. Car au fond, il l’aimait toujours cette femme, sans
doute plus qu’il ne le croyait car elle l’avait épaulé sans calcul,
sans jamais rien lui demander en échange  ! Ce fut juste pour
le geste. Lui aussi d’ailleurs, s’était surpris à vouloir la protéger
lorsqu’elle avait été malade.
Ah  ! Les sentiments surprennent toujours et empruntent
souvent des sentiers imprévus !
Toujours est-il qu’elle ne lâcha pas prise tant qu’elle ne fut
pas remboursée ! Nécessité faisant loi et bien que généreuse, la
femme savait aussi se faire respecter. Après, elle disparut, n’ayant
vraiment plus rien à faire de cet homme d’un jour qui avait duré
un peu plus, ayant toutefois mémorisé qu’il ne fallait plus rendre
service à n’importe qui et qu’apprendre à se protéger serait dé-
sormais d’actualité pour elle.
Elle se dit même que ce serait drôle de voir au final qui, des
deux prédateurs sans scrupules, allait gagner. Sa revanche à elle,
serait d’être libérée de turpitudes ne la concernant pas et de lais-
ser la vie régler probablement les choses à sa place. L’essentiel
étant qu’elle avait récupéré sa mise, le temps, juge de paix impi-
toyable, allait faire son travail. Soulagée, et désormais indiffé-
rente, elle reprit sa route vers plus de lumière et de lucidité.
87
Le gigolo de l’Anaconda

De loin, elle voyait l’évolution des êtres, se disant que vrai-


ment la terre ne tournait pas bien : la vie était si courte et tout
ce que savaient faire les êtres humains, était de trahir, détruire,
tromper, tout abimer durant le peu de temps qu’ils avaient à pas-
ser sur la planète. Pourquoi cette absurdité et ces aberrations ?
Mais ces interrogations métaphysiques, n’étant pas le propos
de l’histoire, reprenons donc la suite de la saga de nos deux pro-
tagonistes…
Pedro, le barman continua sa vie sans états d’âme, alternant
séances de séduction pour se rassurer et réception à domicile de
la vieille moche dont il bénéficiait des faveurs. Pour ne pas le
perdre, elle offrait de plus en plus de services et de cadeaux. Mais
ses efforts de ranimation sexuelle ne faisant plus guère effet, elle
commença à devenir suspicieuse et de plus en plus jalouse. Il
devait la tromper, elle en était certaine et sa colère la faisait man-
ger, manger, manger toute la journée et enfler à vue d’œil ! Elle
ne pouvait accepter cela ! Sans doute était-ce à cause de cette
jolie ex, dont il parlait toujours avec admiration, voire vénéra-
tion ! Crapula devenait folle et là son apparente désinvolture et
sang-froid commencèrent à s’émousser. Elle se mit alors à poser
en permanence des questions au rat-kangourou, l’ensevelissant
sous des monceaux de nourriture bourrée d’aphrodisiaques,
auxquels elle joignait des cartes postales aux déclarations dithy-
rambiques et dégoulinantes d’amour. Mais elle était rouée, la
grosse et rompue à l’hypocrisie !
Pedro commençait à se sentir phagocyté par cette mégère
et ses regards d’écrevisse morte d’amour. Ses gestes impulsifs
pour en permanence le palper, lui faisaient esquisser un début
de danse à reculons ; de trois, il décida alors de réduire à une
seule séance, les rencontres érotico-sumo-pipe-show, car, malgré
tous les efforts de la créature, le glas avait sonné et il n’arrivait
plus à «  bander  ». Tout au plus, se lâchait-il de soulagement
dans cette bouche dévoreuse, et ce, par effet réflexe. Il n’arrivait
plus à l’honorer, prétextant la fatigue, l’épuisement, les horaires
impossibles…
«  Je ferai tout pour toi » lui sifflait-elle à l’oreille en perma-
nence, mais elle ne pouvait se résoudre à ouvrir plus son escar-
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Le gigolo de l’Anaconda

celle pour investir dans la crêperie fantasme de l’amant barman,


tant son besoin à elle de prendre était infiniment plus grand que
celui de donner !
Elle voulait bien lui faire croire qu’elle s’impliquerait finan-
cièrement, mais de là, à concrétiser  ! Elle soupira, gonfla son
énorme ventre d’espérances déçues, évacuant son souffle par un
sifflement reptilien éloquent signifiant :
« Ah ! si encore il m’avait parlé mariage… »
Désormais, ses compliments récurrents et gluants, ses minau-
deries permanentes, ne suffisaient plus au barman. Il voulait du
concret, et elle ne voulait pas ouvrir son compte en banque. Il
prit donc ses distances. Pedro le barman, ne demandait jamais, il
savait manœuvrer pour mieux conditionner « l’autre » à l’inciter
à « offrir » !
Le gigolo de l’Anaconda

Colére et vengeance de Crapula.

Mais là, la stratégie habituelle ne fonctionna pas. La folle-


dingue d’amour était totalement en transe et ne supportait pas
le rejet. Comment, après tout ce qu’elle avait fait pour lui, par
amour, comment pouvait-il la repousser ainsi ? Cela la rendait
folle ! Ce ne pouvait être qu’à cause de cette mijaurée qu’il ne
pouvait oublier et dont il parlait tout le temps.
Voilà deux ans que l’Anaconda, mygale à ses heures, avait tissé
sa toile, ravalant son orgueil, ses ambitions, son amour délirant
pour cet homme qu’elle idolâtrait. Elle venait d’avoir soixante-
neuf ans, lui cinquante-trois ans. Ce rat-kangourou lui filait
entre ses anneaux : elle voulait le dévorer de baisers, l’étouffer
de tendresse, l’abriter à jamais dans son repère, avoir un avenir
avec lui, tout en prônant le contraire pour le rassurer, Lui… Elle
lui répétait sans cesse, en effet, qu’il était libre, que des moments
fugaces lui suffisaient à elle, mais c’était pour mieux l’appâter et
le garder comme elle l’avait déjà fait avec l’handicapé avec qui
elle vivait, bien avant qu’elle ne l’assassine tout en le maintenant
vivant, mais celui-là, c’était par intérêt financier. Là, non, elle
avait vraiment Pedro dans la peau, dans sa peau de reptile…
Quelle passion, quelle histoire !
Le rat-kangourou désormais, raréfiait leurs entrevues, re-
poussant ses avances, avec des prétextes, des astuces. Crapula se
trouvait désormais prise à son propre piège c’est-à-dire la liberté
de l’autre qu’elle affirmait vouloir respecter ! Foutaises !
« C’est pour mieux te manger mon enfant » disait le Grand
Méchant Loup déguisé en grand-mère au Petit Chaperon Rouge.
N’étant pas dupe, Crapula l’hystérique sentait venir la fin de
son roman-photo. A moins de lui acheter son affaire et être son
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Le gigolo de l’Anaconda

associée pour le ligoter et le garder à jamais prisonnier ! Mais


cela lui arrachait le cœur de sortir le moindre euro pour le finan-
cer  ! Alors soudain, comprenant son infortune et la fin de sa
romance, l’Anaconda femelle répudiée, décida de se venger.
Elle choisit donc d’empoisonner Pedro… peu à peu et de
faire accuser celle qu’elle avait toujours vécue comme une rivale
et dont elle avait toujours été jalouse et n’avait jamais réussi
malgré ses roueries répétées, à faire oublier à son sigisbée. Ses
anneaux tressautaient de plaisir à la perspective de cette ven-
geance. Et elle la savourait par avance. Il ne voulait pas d’elle,
bien, il allait le payer de sa vie. Et l’autre femme irait en prison !

Pedro le barman, rat-kangourou frétillant des moustaches ne


se doutait de rien, inconscient du danger qui le menaçait, et
il continuait à séduire à tout va  ! Ses neurones limités et son
archaïsme évident ne lui avait pas fait apprécier la dangerosité de
la dame. La grosse vieille moche qu’il avait sélectionnée, présen-
tait une pathologie extrême et cette Marie couche-toi-là, Bes-
nart en jupons, allait de ce pas, organiser son trépas.
Il avait pourtant été prévenu par une psy, rencontrée par
hasard, et qui, elle, avait vu le danger. Mais se croyant invulné-
rable, il jouait avec sa vie comme avec les êtres, de façon imma-
ture et cruelle et inconsciente. Peter Pan d’opérette, il venait de
rencontrer le Capitaine Crochet déguisé en grand-mère confi-
ture, bavant désormais plus de haine que de désir !
Elle continua donc à lui apporter orgie de nourriture, de vins
et de spiritueux à profusion. Elle glissait dans le riz au lait qu’il
adorait et dans les mets épicés qu’elle lui mitonnait avec amour
pour stimuler sa libido d’antan, de toutes petites doses de mort
aux rats, qu’elle avait en réserve dans sa cave. La fille du boucher
et de l’épicière connaissait bien le mode d’emploi.
Au début, Pedro ne sentit rien, les doses étant infinitésimales,
histoire de l’habituer, et lui était robuste. Au bout de trois mois
environ, quelques vertiges le prirent. Crapula ralentit et diminua
la posologie. Seule une fatigue chronique et insidieuse s’installa
lentement chez Pedro. Il ne pensait plus, après son travail quoti-
dien harassant, qu’à aller se coucher pour récupérer et accepta la
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Le gigolo de l’Anaconda

présence maternante de la matrone, mais tout cela sans sexe bien


entendu. Elle se fit caressante pour le réconforter en apparence
et fit dissoudre dans sa tisane, un somnifère pour le faire dormir.
Ainsi procédait-elle avec son ami paralysé qu’elle droguait de
cette manière lorsqu’elle voulait sortir le soir et prendre sa nuit.
Une fois Pedro anéanti lui aussi par la drogue, elle se vautrait
littéralement sur lui, le couvrant de baisers et de sanglots mê-
lés. Pas une parcelle de sa peau n’échappait à sa bouche vorace
de serpent devenu désormais venimeux. Au matin, couvert de
bleus et d’ecchymoses, Pedro avait la peau rose vif des crevettes
passées au court-bouillon !
Le gigolo de l’Anaconda

Épuisement de Pedro.

Avant de se lever, à l’aube, le barman exsangue, n’enten-


dait même plus le réveil sonner cinq heures ! Il se traînait alors
jusqu’à son véhicule, ne pouvant plus emprunter son vélo tant
son épuisement était grand. De plus, il avait l’impression chaque
fois qu’il la voyait, d’être passé sous un rouleau compresseur.
Le gabarit de la dame n’en était pas si loin… Puis des vomis-
sements survinrent de façon régulière. Six mois avaient passé.
Les vacances arrivèrent. Comme par un réflexe de survie, Pedro
décida de partir se reposer dans son pays d’origine pour revoir sa
famille que pourtant habituellement il n’appréciait pas du tout.
Et là, loin du monstre adipeux et pervers et surtout du poi-
son, son sourire revint et sa santé aussi. L’air iodé lui fouetta le
visage lui redonnant couleurs, énergie, souffle et appétit. Les
vomissements cessèrent.
Mais les vacances ayant une fin, il fallut repartir. Pedro re-
tourna à Paris travailler et retrouva l’enfer. La mégère était là,
fidèle au poste, se précipitant sur lui, avec plein de victuailles. Et
à nouveau les malaises recommencèrent avec la grande fatigue.
La sollicitude de l’Anaconda grandissait au fur et à mesure que
l’état de Pedro se dégradait. Le pauvre rat-kangourou devenait
gris-vert et ses poils tombaient. L’autre folle, elle, engraissait
approchant le quintal !
Le gigolo de l’Anaconda

Mémoire et instinct de survie.

Soudain, un matin, le barman retrouva la mémoire. Dans


son esprit anémié lui revint la parole d’une amie, lui ayant dit
de se méfier de l’Anaconda qu’elle avait entraperçue un soir. A
l’époque, Pedro surnommait cruellement Crapula « la Vache qui
rit » à cause de son facies bovin et de son popotin.
«  C’est une empoisonneuse, doublée d’une cinglée, méfie-
toi, elle se vengera quand tu ne voudras plus d’elle… » Les mots
prononcés par l’amie qu’il n’avait pas voulu croire à l’époque, lui
revenaient maintenant en boucle à son esprit. Il lui téléphona,
décrivant ses symptômes.
« Jette sa nourriture lui dit-elle, mais surtout n’attire pas son
attention, ne dis rien et lorsqu‘elle vient, mange avant, dis que
tu n’as pas grand appétit en ce moment, et surtout ne bois rien
qui ne soit conservé de façon hermétique. »
Pedro pensa que c’était du délire et qu’elle exagérait. Mais il
n’empêche qu’un soir, allez savoir pourquoi, il agit ainsi et fit sem-
blant de s’endormir après avoir simulé d’avaler la tisane. C’est alors
qu’il vit la femme ventouse, se parer de dentelles et se précipiter sur
lui, reproduisant son scénario habituel. Se levant en trombe, il la jeta
à terre et lui en colla une sur le coin du museau ! Dardant sa langue
venimeuse, elle siffla «  Mon amour, oh ! que me fais-tu là, mon bel
hidalgo ? » Il la jeta dehors et alla au commissariat déposer plainte.
Puis ensuite, Pedro revit son médecin pour expliquer ses
symptômes. Celui-ci prescrivit une vraie batterie d’examens et
de recherche pour un éventuel empoisonnement. On découvrit
alors, dans les aliments portés dans un laboratoire, de la mort
aux rats, ainsi que des traces datant de plusieurs mois, dans les
cheveux du barman.
Le gigolo de l’Anaconda

Épilogue

L’arrestation de Crapula eut lieu : maltraitance et empoison-


nement-captation de biens et escroquerie sur personne en état
de faiblesse. Fraude fiscale et abus de biens sociaux.
Un grand procès fit la une des journaux. Crapula toute à
son hystérie, pour une fois, fut la star. Et plus encore, on en tira
même un film.
Reconnue responsable, mais très pathologique, l’Anaconda
fut enfermé dans un zoo psychiatrique où la populace pouvait
la voir écumer de rage et manger voracement, agressant tout ce
qui pouvait bouger.
Pedro le barman, quitta son bar, les femmes plus âgées que
lui et fit semblant de se reconvertir dans la vie monastique, enfin
pour quelques temps… Il devint la fierté de sa vieille mère cas-
tratrice et autoritaire qui voulait faire de lui, le curé du village.
Son père cynique à souhait, priait pour le salut de Dame Ana-
conda…
Quant à l’ancienne amie qui avait alerté Pedro, elle avait pris
le large et ce depuis longtemps. Quand elle apprit l’histoire, elle
n’en fut point surpris, et alla au procès. Elle écrivit un livre, le
titre en était : « Je l’ai échappé belle ».
Son instinct l’avait protégé elle-aussi. Elle partit néanmoins
vivre très loin, sachant pertinemment que les fous s’échappent
encore des asiles psychiatriques, et qu’en plus la prison à perpé-
tuité n’existant que dans l’imaginaire collectif, ce n’était donc
qu’une légende dans une planète marchant totalement à l’en-
vers !
C’est vrai qu’il était tombé sur la tête, ce monde avec ses
valeurs inversées, peut-être qu’un peu de mort aux rats pour
99
Le gigolo de l’Anaconda

certains criminels d’aujourd’hui serait bien nécessaire ! Dans ses


geôles, Crapula l’Anaconda, terroriste de demain, se réjouirait
alors, espérant pourquoi pas, reprendre du service. Pedro passa
entre les mailles, ayant été victime à son tour de l’empoison-
neuse patentée, il fut relaxé. Certes il avait donné l’alerte, mais
ne valait pas mieux. Mais oublions cela  ! Crime et vengeance
tirant l’humanité par le bas, relevons le débat !
Cette Histoire se termine donc ainsi en queue de serpent...
Table des matières La Pieuvre

Prologue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 9

Le club nautique - Manuel et Irina. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 11

Intention et action : « l’accident ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Soulagement – Enquête. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 15

Recherche scientifique - Rencontre avec la pieuvre. . . . . . . . . . . . . 17

Connivence . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 21

Épilogue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

Table des matières Ode à un Corbeau défunt et… déplumé

Humour noir. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Table des matières Danse macabre

Prologue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

Ralph. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

La rencontre. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 37

Les urgences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 39

Soins intensifs – La découverte de Ralph . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 43


Eros et Thanatos. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47
Souffrances et transition. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 49

La revanche des tetes blanches . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 51

Régression . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

Rééducation pour Laetitia - La visite . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 57

Écriture - Thérapie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 59

Réalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 61

Épilogue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 65

Table des matières Le gigolo de l’Anaconda

Prologue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

Pedro. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71

Crapula . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 73

Délires mutuels . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 77

La fuite. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 79

« Association de malfaiteurs ». . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Sordide pas de deux. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 83

Amour et kaleidoscope. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 87

Colére et vengeance de Crapula.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91

Épuisement de Pedro.. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 95

Mémoire et instinct de survie. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97


Épilogue. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 99
Cet ouvrage a été imprimé en U.E.
Dépôt légal : 2016
ISBN :

Maquette : Adiktion Studio

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