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AL n°11 : Les Fausses Confidences, 1737, Marivaux

Introduction
Comédie de la « surprise de l’amour », Les Fausses Confidences sont une pièce de Marivaux
représentée pour la première fois en 1737. Dramaturge français du siècle des Lumières, il n’est pas ce que
l’on qualifiera de dramaturge des lumières mais moderne. Ses comédies font « du langage le lieu même de
l’action et s’attachent à élucider la naissance du sentiment amoureux (comme dans La Surprise de l’amour,
1722 ou Le Jeu de l’amour et du hasard, 1730) tout en observant avec acuité la société » de leur époque.
Intrigues reposant sur des jeux de masques, d’interversions et de tromperies, Les Fausses Confidences est
une comédie filant cette mouvance. En trois actes et en prose, elle est donc représentée par les Italiens. Elle
met en scène un stratagème orchestré par Dubois, l’ancien et fidèle valet de Dorante qui amoureux
d’Araminte, et ne pouvant espérer l’épouser « honnêtement » s’en remettra à celui-ci qui par ses fausses
confidences rendra cet amour possible. Cet extrait, à la fin (scène 14, la 17 clôture l’acte I) de l’acte I suit
l’interruption par Dubois d’un entretien entre Araminte et Dorante, entretien au cours duquel Araminte
évoquait la possibilité de ne pas épouser le comte, laissant deviner peut-être son souhait de rester libre.
Notre extrait est un dialogue entre Araminte et Dubois durant lequel Dubois émet la première « fausse
confidence », renforçant son stratagème mis préalablement en place et auquel Dorante simulant sa volonté
de se dissimuler à Dubois dans la scène précédente ajoute encore l’apparence de la vérité. Dubois se livre
donc à une révélation auprès d’Araminte, fausse confidence entremêlée de vrai, il lui fait le récit quelque
peu embelli du coup de foudre de Dorante. Voici, dès lors Araminte hameçonnée, prise au piège tendu pour
la conduire inexorablement à l’amour.
Comment Dubois, double de Marivaux par sa maîtrise du langage et sa connaissance de l’âme et de ses
mouvements opère pour faire naître le sentiment amoureux chez Araminte ?
Dans la première partie, du début de l’extrait à « un honnête homme » (l.17), Dubois sème le doute et le
trouble, il pique la curiosité d’Araminte en remettant en cause Dorante. Puis, dans la deuxième partie,
jusqu’à « homme incomparable » (l.30), Dubois dresse le portrait de Dorante comme d’un homme
d’exception mais fou, fou d’amour afin de susciter chez Araminte l’intérêt et de piquer sa vanité, premières
plaies par lesquelles s’infiltre la jalousie faisant naître l’amour. Enfin, de « Oh bien ! » à la fin (l.37), le
piège se referme lorsque Dubois révèle à Araminte que cette passion si extraordinaire, c’est elle qui a su
l’inspirer. Dorante est amoureux d’elle.

I – Dubois suscite la curiosité d’Araminte, crée le trouble : (l.1.17)

ARAMINTE. − Qu’est−ce que c’est donc que cet air étonné que tu as marqué, ce me semble, en voyant
Dorante ? D’où vient cette attention à le regarder ?
La scène et l’extrait s’ouvrent sur une première réplique d’Araminte : 2 phrases interrogatives qui disent le
trouble, la curiosité d’Araminte. L’interrogation montre son questionnement et s’enquérant auprès de
Dubois, elle lui donne la parole et donc le pouvoir. Didascalie interne « cet air étonné » : donne à voir
l’expression de Dubois qui feint
l’étonnement, la surprise à la vue de Dorante. Au contraire du spectateur, Araminte ignore que ce n’est
qu’un jeu de la part de Dubois, un double jeu.
La manipulation de Dubois se perçoit également à travers les témoignages de son jeu dans le discours
d’Araminte. Ainsi, didascalie interne « cet air étonné », la PSR « que tu as marqué » qui dit l’insistance de
cet air, de même que le sème du regard et de l’acuité de ce regard donne à voir la manipulation à l’œuvre et
leur effet dans les questions même d’Araminte ; orientées justement par la surprise manifestée par Dubois et
ses regards. (comique de situation, « marqué » oui simulation mais Araminte ne s’en rend pas compte)

DUBOIS. − Ce n’est rien, sinon que je ne saurais plus avoir l’honneur de servir Madame, et qu’il faut que je
lui demande mon congé.
Volonté apparente d’atténuation avec la négation « ne rien » (litote) qui nie l’existence d’une raison, la fait
disparaître. Mais contredit par la conséquence « sinon que » avec l’annonce de la démission de Dubois.
Ainsi, par cette absence de réponse matérialisée par les négations est attisée la curiosité d’Araminte qui ne
trouve pas satisfaction, frustrée d’explication. Bien au contraire, la curiosité est renforcée par le départ
inexplicable et inexpliqué de Dubois avec une obligation impersonnel « il faut que ».

ARAMINTE, surprise. − Quoi ! seulement pour avoir vu Dorante ici ?


Surprise d’Araminte littéralement inscrite dans la didascalie, apparaissant aussi dans la phrase de type
exclamatif « Quoi ! », monosyllabe qui dit l’interjection et le cri spontané.
Adverbe d’exclusion « seulement » : incrédulité d’Araminte qui ne comprend pas qu’un fait aussi bénin
provoque une telle conséquence
Nouvelle phrase de type interrogatif : incrédulité

DUBOIS. − Savez-vous à qui vous avez affaire ?


Accroissement de la curiosité d’Araminte avec effet d’attente provoqué par le type interrogatif qui ne
propose pas de réponse bien au contraire tout en laissant présager une nouvelle hors du commun. Inversion
des questions / réponses, c’est maintenant Dubois qui pose les questions et dirige pleinement l’entretien.

ARAMINTE. − Au neveu de Monsieur Remy, mon procureur.


Réponse succincte et factuelle (jeu question / réponse en stichomythie)

DUBOIS. − Eh ! par quel tour d’adresse est-il connu de Madame ? comment a-t-il fait pour arriver jusqu’ici
?
Interjection (indignation avec point d’exclamation). Par ces questions, sous-entendu de la duplicité de
Dorante par les Interrogatifs de manière « par quel » et « comment » qui disent les manœuvres, procédés mis
en place par Dorante. Renforcé par expression « tour d’adresse », intrigue, manigance.( comique présent car
c’est Dubois qui réalise un tour d’adresse et qui est l’instigateur des manigances)

ARAMINTE. − C’est Monsieur Remy qui me l’a envoyé pour intendant.


Présentatif dans phrase clivée avec caractère emphatique, Monsieur Rémy, homme de confiance

DUBOIS. − Lui, votre intendant ! Et c’est Monsieur Remy qui vous l’envoie : hélas ! le bon homme, il ne
sait pas qui il vous donne ; c’est un démon que ce garçon-là.
Redoublement entre pronom et GN → incrédulité, avec l’exclamation, impression de crainte
Reprise de la phrase clivée mais détournement avec interjection « hélas » → déploration, fait craindre un
malheur
Innocence de Monsieur Rémy avec négation
Opposition entre « bon homme » et « démon » qui renforce l’idée de malheur et la malignité extrême de
Dorante avec l’hyperbole et la phrase clivée qui insiste en le mettant en valeur. Caractère hyperbolique qui
va provoquer la curiosité d’Araminte (comme le sait Dubois)

ARAMINTE. − Mais que signifient tes exclamations ? Explique-toi : est-ce que tu le connais ?
Trouble d’Araminte à travers les 2 phrases de type interrogatif. Elle s’enquiert, s’inquiète (réussite du
procédé de Dubois) Inquiétude avec impératif, nécessité d’être rassurée. Dubois sommé de donner des
explications.

DUBOIS. − Si je le connais, Madame ! si je le connais ! Ah vraiment oui ; et il me connaît bien aussi.


N’avez-vous pas vu comme il se détournait de peur que je ne le visse ?
Reprise des mots d’Araminte en type exclamatif + répétition « Si je le connais, Madame, si je le connais ! »
→ intensité dramatique soutenue avec trouble simulé de Dubois
Tournure hypothétique pour dire qu’il ne le connaît que trop bien.
Polyptote avec retournement, échange de pronom et type déclaratif → « et il me connaît bien aussi »,
résonne comme une menace avec adverbe « bien » et « aussi »
Phrase interro négative qui dissimule une phrase exclamative « n’avez-vous pas vu comme ». Il attire
l’attention sur la réaction de Dorante, la met en lumière. Allusion à la scénographie instaurée préalablement
par Dubois et Dorante mais double énonciation car Araminte ignorante de cette mise en scène. (Ironie pour
le spectateur qui sait que les deux hommes sont complices)
ARAMINTE. − Il est vrai ; et tu me surprends à mon tour. Serait-il capable de quelque mauvaise action, que
tu saches ? Est-ce que ce n’est pas un honnête homme ?
Manigance qui fonctionne avec assentiment, adjectif « vrai ».
Expression de la surprise d’Araminte : cette surprise dit l’impression favorable de Dorante sur Araminte, sa
perception positive de l’intendant
Sentiment favorable envers Dorante à travers la persistance du type interrogatif (2 questions) qui montre le
doute, l’incapacité à percevoir Dorante comme un être mauvais avec le conditionnel « serait-il ». Question
sur l’identité du jeune homme avec inscription de « l’honnête homme », prévenue en faveur de sa personne.
Amour naissant ?

Transition : Dubois a su par la ruse susciter le trouble et la curiosité chez Araminte. Perdant sa maîtrise, elle
se trouve prise à son piège dont il va enclencher la seconde phase.

II – Dubois dépeint un Dorante fou d’amour afin de susciter chez Araminte de doux sentiments soit un autre
type de trouble… (l.18.30)

DUBOIS. − Lui ! il n’y a point de plus brave homme dans toute la terre ; il a, peut-être, plus d’honneur à lui
tout seul que cinquante honnêtes gens ensemble. Oh ! c’est une probité merveilleuse ; il n’a peut-être pas
son pareil.
Portrait mélioratif qui s’inscrit en opposition au portrait péjoratif avec superlatif de supériorité hyperbolique
« plus brave homme dans toute la terre » puis comparatif supériorité « plus d’honneur…que ». Mélioratif
aussi car opposition « lui tout seul » avec adverbe « tout » qui renforce la solitude contre « 50 honnêtes
gens ensemble ». Eloge incomparable, sublimation de Dorante (contradiction avec propos précédent,
retournement de situation pouvant provoquer la confusion chez Araminte)

ARAMINTE. − Eh ! de quoi peut-il donc être question ? D’où vient que tu m’alarmes ? En vérité, j’en suis
toute émue.
Araminte troublée : interjection + exclamation + phrases interrogatives (effet recherché par Dubois, sa
stratégie fonctionne)
Peur : « tu m’alarmes »
Mot de « vérité » apparaît mais il n’en est jamais question dans le discours de Dorante, comique discret +
inscription d’une émotion avec adverbe « toute », Araminte est submergée par cette émotion, plus maîtresse
d’elle-même. Dubois est ici le maître de la conversation.

DUBOIS. − Son défaut, c’est là. (Il se touche le front.) C’est à la tête que le mal le tient.
Redoublement du défaut par la répétition parole et geste dans didascalie. Caractère comique (on retrouve la
vieille figure du valet)

ARAMINTE. − À la tête ?
Incrédulité avec interrogative, incompréhension

DUBOIS. − Oui, il est timbré, mais timbré comme cent.


Registre familier + exagération avec l’hyperbole (vieille figure du valet, la farce), Arlequin de la Commedia
Dell’Arte avec sa démesure

ARAMINTE. − Dorante ! il m’a paru de très bon sens. Quelle preuve as-tu de sa folie ?
Surprise de Araminte : exclamation + phrase nominale
Opposition entre les apparences et ce que dit Dubois : jeu entre apparence et réalité qui perturbe Araminte,
verbe de perception « m’a paru ». L’enjeu du théâtre de Marivaux est là.
Araminte perdue, elle se raccroche à la raison, vocabulaire scientifique « preuve », nécessiter de démontrer.

DUBOIS. – Quelle preuve ? Il y a six mois qu’il est tombé fou ; il y a six mois qu’il extravague d’amour,
qu’il en a la cervelle brûlée, qu’il en est comme un perdu ; je dois bien le savoir, car j’étais à lui, je le servais
; et c’est ce qui m’a obligé de le quitter, et c’est ce qui me force de m’en aller encore, ôtez cela, c’est un
homme incomparable.
Peinture de la folie dans laquelle Dorante est tombée. Idée d’un abyme avec le verbe d’action « est tombé ».
Chute dans l’amour.
Anaphore du « il y a six mois » pour mettre en évidence le temps important que dure cette folie.
Sème de la folie, folie extrême avec hyperboles : « fou », « extravague », « cervelle brûlée », « comme un
perdu » comparaison
Ce n’est pas n’importe quelle folie, celle-ci est une folie amoureuse : « il extravague
d’amour » avec le COI qui attire l’attention car extravaguer verbe intransitif.
Retournement grâce à cette construction syntaxique originale, analogie amour et folie qui loin de dresser un
portrait péjoratif de Dorante le met en valeur, en fait un amant incroyable par la puissance de son amour.
Aspect de vérité avec proposition coordonnée, « car » cause et mouvement binaire qui donne deux raisons
(similaires). Propos structuré avec anaphore « c’est ce que », discours explicatif : piège exprimé
rationnellement d’où sa force car apparence de logique et de vérité.
Antithèse avec « un homme incomparable » qui le met en valeur et « ôtez cela » aspect restrictif qui renforce
mais en fait doublement loué.

Transition : 1ère confidence : vérité et mensonge mêlées ce qui apporte de la crédibilité, Dorante
effectivement amoureux mais sublimation de cet amour dans la présentation. Suspens : identité de celle qui a
su inspirer un tel amour non révélée. Jalousie recherchée de Araminte.

III – Une jalousie exacerbée par la vanité puis apaisée par la révélation : Dorante est amoureux d’elle
(l.31.38)

ARAMINTE, un peu boudant. − Oh bien ! il fera ce qu’il voudra ; mais je ne le garderai pas : on a bien
affaire d’un esprit renversé ; et peut-être encore, je gage, pour quelque objet qui n’en vaut pas la peine ; car
les hommes ont des fantaisies…
Didascalie et réplique en contradiction : jeu entre apparence et vérité, dissimulation de la part d’Araminte,
vérité du corps et mensonge du langage. Refus du sentiment traduit par « un peu boudant », cela traduit la
réussite du procédé de Dubois qui a réussi à faire susciter le sentiment de jalousie chez Araminte et donc un
sentiment amoureux. Vanité piquée par ce « oh bien » avec l’exclamatif. Contradiction chez Araminte qui
manifeste ses sentiments blessés, opposition entre « il » et « je » avec conjonction de coordination
d’opposition « mais ». Propos généralisant en appel à une sagesse commune, ou une doxa avec « on », elle
se soutient avec un jugement validé par l’opinion publique, ne peut plus faire appel à sa propre volonté,
jugement. Affirmation avec emploi du futur mais contredit par la didascalie, manifeste le renoncement,
l’effort.
« et peut-être encore, je gage » : « peut-être », adverbe modalisateur, supposition émise qui appelle une
réponse, « encore » adverbe de gradation quantitative qui renforce, précautions oratoires avec rejet en fin de
phrase, la vraie pensée se révèle mais diffuse, verbe « je gage », opinion, avis, dédaigneusement (quelque
objet) lâchée pour masquer, souci de l’intérêt de dissimuler qu’elle y prend, répulsion à émettre cette
hypothèse qui lui vole l’amour de Dorante (PSR « qui n’en vaut pas la peine », négation).
« fantaisies » : caractère péjoratif, (= qui est sans fondement, imagination)
Points de suspension… (est-il besoin de préciser…) : Dépit amoureux

DUBOIS. − Ah ! vous m’excuserez ; pour ce qui est de l’objet, il n’y a rien à dire. Malepeste ! sa folie est de
bon goût.
Indignation avec onomatopée exclamative « Ah » pour contredire le propos de Araminte, montrer à quel
point il est erroné. Objection élevée. Réfutation des dires d’Araminte. Reprise d’une tournure plus
convenable, donne du crédit à sa parole. Comme désolé de la contredire alors que ruse en place car exacerbe
la jalousie d’Araminte que l’objet de l’amour de Dorante en soit digne.

ARAMINTE. − N’importe, je veux le congédier. Est-ce que tu la connais, cette personne ?


Contradiction entre volonté exprimée de le congédier avec phrase de type assertif et phrase de type
interrogatif qui dit la volonté d’en savoir plus. Contradiction renforcée avec la locution concessive
« n’importe » qui dit l’indifférence affichée mais niée dans la phrase suivante. Figure d’insistance avec la
répétition nominale du pronom, traduit la curiosité extrême d’Araminte et sa frustration.
DUBOIS. − J’ai l’honneur de la voir tous les jours ; c’est vous, Madame.
Retardement de la réponse avec rejet à la fin, effet d’attente pour une dernière fois susciter la curiosité,
peur… chez Araminte. Présentatif qui dévoile enfin la réponse avec caractère emphatique et théâtralisation
repris par la répétition nominale qui érige Araminte comme objet de ce sublime amour.
ARAMINTE. − Moi, dis-tu ?
Etonnement avec type interrogatif et pronom tonique « moi » qui insiste sur l’identité. Demande de
confirmation (pour apaiser sa crainte).
Faire la conclusion.
Ouverture : la maîtrise du langage de Dubois le rend supérieur à Araminte, inversion des rôles (maitre/valet),
ébranlement de la hiérarchie sociale comme l’avait réalisé pleinement L’Ile des esclaves, 1725

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