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Cycle d'enseignement militaire du 2ème degré des officiers de réserve

C.E.M.S. Air

Intervention

Comment garantir un retour d'expérience efficace pour optimiser la


préparation des unités de l'Armée de l'Air au combat ?

Par le Commissaire Lieutenant-Colonel (CR) Pierre LAURENT

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EN HOMMAGE

à Madame Caroline AIGLE, première femme pilote de chasse, 1 524 heures de vol dont 124
de nuit, qui a été fauchée durant l'été 2007 par un cancer de la peau, à l'âge de 33 ans.

Polytechnicienne, triathlète, Madame Caroline AIGLE se préparait à devenir astronaute.

Derrière une volonté hors du commun, une exceptionnelle intensité humaine qui représente, à
mes yeux, l'un des meilleurs exemples contemporains d'engagement au service de l'Armée de
l'Air.

AVEC MES REMERCIEMENTS,


au personnel de la base aérienne 217 de Brétigny-sur-Orge, tant pour les membres de mon
unité, la S.S.A.M. 217, que pour le Bureau Personnel Réserve ainsi que pour tous les
membres du P.C. base qui m'ont permis de nourrir ce travail de leur expérience et d'une
documentation bien utile.
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"L'expérience instruit plus sûrement que le conseil" disait André GIDE (*).

Comment garantir un retour d'expérience efficace pour optimiser la


préparation des unités de l'Armée de l'Air au combat ?

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* : écrivain français (1869 – 1951). La citation est extraite de l'ouvrage écrit en


1925 par André Gide, Les faux-monnayeurs : "Plutôt que répéter sans cesse à
l'enfant que le feu brûle, consentons à le laisser un peu se brûler. L'expérience
instruit, plus sûrement que le conseil".
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INTRODUCTION

Dobropolié en 1918, village de Yougoslavie situé aujourd'hui en Serbie, est le terrain


d'une victoire française sur les forces bulgares ; Shah-i-Khot en 2002 en Afghanistan est le
lieu d'un affrontement entre des talibans et des éléments d'une force multi-nationale composée
en partie de forces françaises. Deux batailles où l'armée française a été engagée à quatre-
vingts ans d'écart et pourtant il se trouve un point commun entre un conflit ayant opposé deux
armées dites classiques et une opération baptisée Anaconda, contre les terroristes d'Al-Qaeda.
Ce point commun est la montagne, milieu complexe, impitoyable pour les néophytes et qui
oblige à penser autrement. Milieu qui a coûté la vie, récemment, à plusieurs de nos militaires.

Les conflits contemporains en montagne sont une réalité, comme nous l'avons vu au
Cachemire, da ns le Caucase ou en Afghanistan. Ce théâtre d'opérations difficiles ne permet
pas toujours d'exploiter avec une efficacité totale la suprématie technologique. L'observation
satellitaire et aérienne, la maîtrise du ciel sont des éléments fondamentaux comme dans tout
type de conflit mais rien ne permettra d'éviter le contact au sol des troupes engagées ; contact
dans lequel le "faible" se sent rétabli dans une certaine égalité de chances dans son
affrontement au "fort", du fait de l'hostilité du milieu. Pire, celui-ci tentera d'attirer l'autre
dans cet espace.

Si l'évolution des techniques doit influencer l'approche tactique des combattants, la


permanence du milieu montagnard crée des contraintes qui ont été approchées dans des
conflits précédents. La bonne compréhension de ce milieu hostile doit pouvoir se nourrir des
expériences passées pour l'emporter avec efficacité tout en limitant le nombre de victimes.

Un autre exemple peut être cité. En 1992, la Somalie sombre dans les conflits claniques.
Une coalition internationale composée de troupes françaises intervient, notamment à
Mogadiscio, dans le cadre d'une opération baptisée "Restore Hope". Les partisans du général
AYDIID provoquèrent la mort de 24 soldats de la force d'interposition. Une des techniques
employées par l'adversaire consistait à entourer les unités de l'O.N.U. avec une foule
bruyante, composée en majorité de femmes et d'enfants qui manifestait son mécontentement,
voire son hostilité mais sans agression physique. La pression de la foule contre les cordons de
soldats se faisait de plus en plus forte, afin de permettre aux insurgés de pouvoir se saisir de
pièces d'équipement (combiné radio, armement…). L'unité encerclée devait alors faire des tirs
de semonce, ce qui provoquait un mouvement de panique des personnes rassemblées au
milieu de laquelle se trouvaient des tireurs. Ceux-ci prenaient pour cibles prioritaires les chefs
de l'unité agressée qu'ils avaient pu facilement identifier pendant la phase de "négociation"
avec la foule*.

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* source : extraits d'un article du commandant du bataillon interarmes de Somalie, lors
de l'opération ONUSOM II, le Col de SAQUI de SANNES, publié dans les cahiers du
RETEX, n° 4, joints à la revue Objectif Doctrine, n°29).
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Les affrontements en Côte d'ivoire, pour certains d'entre eux, présentent le même
schéma (opération Licorne qui a débuté le 26 septembre 2002). Les solutions dégagées lors
des évènements de Mogadiscio, sont transposables en partie. L'expérience acquise en Somalie
dans la gestion de la population utilisée comme bouclier pour des tireurs et la prise en compte
de l'angoisse que dégage la présence de cette foule hostile pour les troupes méritait que ces
éléments soient connus des militaires engagés en Côte d'Ivoire.

Le constat de l'apport des combats passés de l'armée de terre au profit de ses


engagements futurs concerne, de la même manière, tous les éléments de notre défense
nationale et notamment l'Armée de l'Air qui est l'armée la première au contact et la dernière à
quitter le terrain des opérations.

Comment garantir un retour d'expérience efficace pour optimiser la préparation des


unités de l'Armée de l'Air au combat est la question qui se pose à tout officier aviateur.

"L'expérience instruit plus sûrement que le conseil" disait André GIDE et Blaise Pascal
qui le précédait nous a rappelé que deux choses instruisaient l'homme : l'instinct et
l'expérience.

Le militaire n'échappe pas à ce déterminisme. Savoir tirer les leçons du passé pour gérer
le présent et construire l'avenir fonde la démarche des retours d'expérience. Cette dernière
traduit la capacité de l'homme engagé dans l'action à tirer toutes les leçons de ses actions
antérieures.

Nos responsables militaires ont donc intégré cette approche. La division emploi de
l'état-major des armées a repensé un système plus performant de retour d'expérience intitulé
RETEX dans son acronyme, qui se veut mieux adapté au format professionnel de nos armées
et aux nouvelles contraintes opérationnelles comme notamment la dimension interarmées et
multinationale des actions militaires engagées aujourd'hui.

Se fondant sur la démarche interarmées d'évaluation (D.I.E.), créée en 1994, l'E.M.A. a


formalisé en 2000 le processus RETEX dans une instruction 14000 du 25 juillet 2000*.

Cette volonté de l'Etat-major des Armées s'est déclinée au sein des différentes armées.
L'Armée de l’Air a donc mis en place depuis septembre 2002, au sein du Commandement de
la Défense Aérienne et des Opérations Aériennes (C.D.A.O.A.), une unité dépendant d'un
général chef d'état-major dont le nom est Préparation, Retex et Evaluation.

Cette démarche n'est pas propre à la France. Au sein de l'OTAN, le processus RETEX
est intégré dès la planification des interventions et il a sa place dans la conception des ordres
comme dans la conduite des opérations. Une des illustrations de ce processus de retour
d'expérience se retrouve dans l'organisation de la KFOR lors de son action au Kosovo. Une
cellule RETEX en français ou "lessons learned" en anglais, a été mise en place et était
articulée autour d'un officier désigné dans cette unique fonction au sein du HQ/KFOR.
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* Source, article paru en mars 2003, tiré du numéro 19 de la revue du Centre de formation du
Ministère de la défense.
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L'existence d'une procédure de retour d'expérience, RETEX, ne doit pas nous interdire
de réfléchir à la meilleure manière de la penser et de l'organiser.

Si nous partons de la définition même de l'expérience, celle-ci fait ressortir deux


éléments fondamentaux :
* L'expérience implique une pratique, un usage, un usage répété qui provoque une
observation de certains phénomènes ;
** L'acquisition des caractéristiques de ces phénomènes permet de rechercher une loi
applicable à ceux-ci ou plus humblement de tenter de mieux les contrôler s'ils se
reproduisaient à l'avenir ou de suggérer une idée pour les aborder.

Pour que l'expérience acquise par chaque aviateur soit le trésor de toute l'Armée de
l'Air (*), il nous faut donc répondre aux deux éléments de la définition de l'expérience.
L'ensemble des expériences individuelles de nos camarades aviateurs doit être collecté dans
un recueil organisé (I) afin de pouvoir en tirer une cohérence, une probabilité de conséquences
et ainsi intégrer ce retour d'expérience dans un processus de décisions (II).

I) Un recueil d'informations organisé


Si l'objectif est de tirer des enseignements des expériences antérieures, il est tout d'abord
nécessaire de collecter un descriptif des combats ou des situations de crise passées et d'en
tenir un catalogue sous forme de base de données. La détection de l'information et sa collecte
sont une condition imposée (A) avant toute classification et validation qui autoriseront ensuite
une utilisation pertinente (B).

A) L'information collectée
L'observation des situations de crise, la collecte de l'information provenant des
engagements de nos forces pourraient sembler une tâche matérielle simple par nature mais
celle-ci est primordiale car elle aura une influence directe sur la qualité de l'analyse qui s'en
suivra. En effet, les sources d'information sont multiples et il faut être attentif à chacune
d'elles pour constituer un panel le plus large possible d'éléments de comparaison.

Il semble envisageable de distinguer deux grandes familles de source d'informations.


L'observateur, le collectionneur d'informations a devant lui une information existante,
préconstituée, brute, qu'il doit redécouvrir et appréhender pour pouvoir l'étudier avec les yeux
d'une démarche RETEX (a)) mais il peut concevoir également que les matériaux que lui
apportent les circonstances sont insuffisants et qu'il doive, comme un chercheur en laboratoire
ou un pilote en simulateur, recréer un milieu propice à ses observations pour en tirer un
enseignement qui lui manque (b)).

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* L'expérience de chacun est le trésor de tous (Gérard de Nerval, 1808 - 1855).

a) L'information existante appréhendée


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La détection de l'information préexistante pour sa prise en compte dans une


démarche RETEX peut s'orienter vers quatre sources : l'histoire ancienne (1), les combats
récents (2), l'expérience des armées étrangères (3) et le RETEX d'autres acteurs (4).

1) La première des sources de cette matière est de se retourner vers notre


passé et de sonder l'histoire de nos nombreux engagements militaires.

S'agissant de l'Armée de l'Air, son histoire est récente (une des premières dates liées à
l'aéronautique militaire peut être fixée vers 1909 lors de la commande par le général
ROQUES de cinq aéroplanes pour les besoins de l'Armée). Malgré tout, le principe de la
rationalisation d'une démarche ne doit pas être bloqué par cet élément temporel. Le principe
demeure. Le recours aux actions passées pour en dégager des tendances lourdes, des points de
convergence est nécessaire *.

Il peut être cité l'exemple de la crise de Suez, en 1956, dans laquelle l'Armée de l'Air est
engagée aux côtés des forces anglaises. Le général BROHON a commenté l'opération
Mousquetaire qui a permis la neutralisation par la destruction de l'aviation égyptienne qui
était, à l'époque, la première puissance aérienne du Proche-Orient. En moins de deux jours,
cette aviation fut anéantie offrant aux troupes anglaises et françaises une supériorité aérienne
totale. L'élimination préventive de l'aviation ennemie par le recours aux chasseurs-
bombardiers en vue d'acquérir la maîtrise du ciel deviendra l'un des principes fondamentaux
de la stratégie aérienne, principe décliné plus tard par les israéliens en 1967.

La connaissance historique habituelle est d'ailleurs insuffisante. Il paraît nécessaire de


reprendre, de relire les comptes-rendus avec un œil nouveau et de chercher, de traquer une
information qui sera susceptible d'être utile pour la démarche RETEX.

Bien évidemment, le recours à la compréhension de nos anciens conflits est réducteur.


Le général LEWAL, premier commandant de l'Ecole supérieure de guerre rappelait que
l'Histoire était une référence parmi d'autres et que seule et mal comprise, elle aboutissait à la
routine sous le nom de tradition, en tuant à la fois le raisonnement et le calcul. Il est donc
nécessaire de faire appel à d'autres sources.

2) Les combats récents ou actuels


L'étude des combats récents ou actuels a l'avantage de nous faire connaître les
difficultés liées aux nouveaux terrains d'opérations (les agglomérations urbaines notamment
mais aussi zones montagneuses qui obligent les avions à se rapprocher du sol et implique de
revenir à des "basics" de pilotage), au matériel récent et à l'adaptation des moyens aux
contraintes d'aujourd'hui.
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* Si l'on se permet une comparaison avec la Marine, les aviateurs disposent bien
évidemment de moins de données, c'est une raison pour toutes les collationner. Côté mer, l'on
constate que 60 % de la population de la planète vit à moins de 50 Km des côtes et est donc à
portée d'une opération amphibie. Pour cette armée, l'étude des grandes opérations amphibies
reste une réalité d'autant qu'il s'agit d'opérations complexes se développant sur trois espaces
disjoints, mer, terre et aérien. Nos alliés anglais ont connu avec la guerre des Malouines un
terrain d'opérations qui regroupait ces trois espaces disjoints cités ci-dessus.
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La notion d'avion bi-missions (avion de défense aérienne mais pouvant servir appui sol
ou avion multirôle de ravitaillement en vol et de transport, programme MRTT) nécessite une
logistique adaptée, souple d'emploi avec une compétence élargie pour les pilotes et le
personnel d'appui.

Ces combats ou ces engagements peuvent concerner, bien évidemment, l'Armée


française seule comme dans l'opération MAMBA déclenchée en juin 2003 par la France dans
la République Démocratique du Congo ou dans une structure interarmées comme dans le
cadre de l'opération PAMIR en 2002 en Afghanistan.

3) Il est bon également de s'intéresser aux opérations d'armées étrangères.


La neutralisation de base aérienne et notamment de leurs pistes se retrouve dans les
interventions de l'Armée de l'Air israélienne. Les enseignements tirés de ces opérations de
bombardement ont pu être utilement analysés, lors, entre autres, de l'opération Epervier de
1986 qui a permis à l'Armée française de détruire la piste de la base d'Ouadi-Doum qui
donnait aux avions libyens la possibilité d'atteindre la ville de N'Djamena ou plus près de
nous lors de l'opération Allied Force en 1999 avec l'attaque du terrain de Podgorica au
Monténégro par les mirages 2000 D.

Ce retour d'expérience nécessite, malgré tout, l'entretien de relations de qualité avec


certains de nos homologues étrangers.

L'évolution des relations internationales et des opérations interarmées multinationales a


mis en évidence la nécessité non seulement de mieux se connaître pour travailler ensemble
efficacement mais cela a débouché sur une nécessaire voire une obligatoire normalisation des
procédures, du vocabulaire et de la symbologie ainsi qu'en cas d'engagement, de disposer de
règles comprises de tous. Le RETEX ne concerne pas seulement les aspects stratégiques ou
tactiques mais plus prosaïquement aussi, tout ce qui concourt à l'efficacité du combat et
surtout lorsque celui-ci est le résultat d'une alliance des forces.

4) Le RETEX à vocation militaire et le RETEX d'autres organisations


La démarche de type RETEX n'est pas connue uniquement dans l'Armée de l'Air ou
l'Armée prise dans sa globalité. Les entreprises, les organismes civils, les associations
connaissent cette approche. Elle est parfois baptisée d'un autre nom mais le fondement reste le
même *. Comment transmettre l'expérience d'une situation aux acteurs actuels de la structure
concernée afin qu'ils soient plus performants ? Le RETEX est un système de management
pour les décideurs, qu'ils soient militaires ou civils.

Il serait dommage de ne pas pouvoir profiter d'informations ou d'un retour d'expérience


"civil" si d'autres acteurs intervenaient dans un domaine proche de celui de l'Armée de l'Air.

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* Voir, par exemple, le mémento : la conduite du retour d'expérience (la REX) par la
Direction de la Défense et de la Sécurité civile dépendant du Ministère de l'intérieur et de
l'aménagement du territoire.
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Pour cela, il ne sera cité que l'apport des O.N.G. présentes sur un site en crise. Partant
de différentes constatations, pour le militaire, consistant à penser :
- qu'il doive comprendre et dominer son environnement. Celui-ci est un des facteurs de
l'action militaire ;
- que l'environnement est à prendre au premier degré d'environnement physique mais
aussi au deuxième degré, d'environnement humain et politique ;
- qu'une action de force conduite sans participation des organisations humanitaires peut
facilement transformer les militaires en force d'occupation auprès de la population ;
- que les O.N.G. sont entrées dans le jeu des acteurs de crise et que les responsables
politiques les intègrent dans leurs paramètres ;
De ce fait, par leur présence physique au moment d'une crise ou comme l'un des outils
de gestion de situation post-conflit, un lien est souhaitable entre les O.N.G. et la contribution
éventuelle qu'elles peuvent apporter à la force militaire en matière d'information au sens large
; cet échange avec les O.N.G. se limitant à la notion d'informations partagées *.

b) L'information recherchée
L'information fournie par les conflits passés ou présents peut paraître
insuffisante ou parcellaire.

Cette information sera alors recherchée lors d'opérations bien réelles mais
qui n'ont d'autres buts que de tester en grandeur nature un processus d'actions pour mieux
l'exécuter plus tard ou lors de phases d'entraînement

Deux exemples résument cet aspect de la collecte d'informations


recherchées, l'action test (1)) et l'entraînement (2)).

1) L'action test
L'action qui sera citée au titre d'une démarche d'apprentissage, recherchée pour son
retour d'expérience sera l'opération JUBILLE du 19 août 1942. A cette époque, les alliés
projettent un raid sur le port de DIEPPE, vaste opération de reconnaissance en force, destinée
d'une part à inciter les Allemands à réduire leur pression sur le front de l'Est et d'autre part à
tester de nouvelles techniques et de nouveaux équipements. Ils mettent donc sur pied
l'opération JUBILLE.

JUBILLE avait pour objectif de prendre Dieppe et ses environs, de détruire des objectifs
précis avant de réembarquer pour l'Angleterre. Cette opération fut un échec sur le plan de
l'action car sur les 6 086 hommes constituant la force d'assaut, 3 000 hommes seulement ont
pu réembarquer et regagner l'Angleterre. Le raid aérien précédant l'assaut fut insuffisant, la
puissance de feu de l'ennemie ayant été sous-estimée. Malgré tout, la leçon de JUBILLE,
durement acquise servira lors des opérations futures comme pour le débarquement en
Normandie et l'opération Overlord ou pour le débarquement en Provence, opération Dragoon.
La nécessité d'un fort bombardement aérien en cas d'assaut sur une côte fortifiée fut retenue.

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* Revue Doctrine, numéro spécial du 26 février 2005, page 26 : "Il s'agit d'un lien
délicat qui ne peut s'institutionnaliser. On peut toujours cependant, à l'échelle individuelle, se
parler, collaborer ponctuellement et mêler préoccupation humanitaire et patriotisme".
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Les pertes éprouvées au cours du raid de DIEPPE représentent une partie du tribut versé
en échange de l'expérience retirée. Celle-ci a permis de mener à bien les grandes opérations
futures en versant moins de sang que les prévisions les plus optimistes ne l'espéraient.

Aujourd'hui, cette action test peut prendre la forme de la participation de la France à une
opération internationale en tentant de plaider pour occuper la place de la nation-cadre, leader
de la mission.
2) L'entraînement comme source de RETEX
L'importance de l'entraînement n'est plus à démontrer en matière militaire comme dans
d'autres domaines. Nous retiendrons cette affirmation comme un postulat en rappelant le vieil
adage bien connu : "On s'entraîne comme on se bat pour se battre comme à l'entraînement".
Les deux relatives nouveautés dans ce domaine sont l'influence du contexte interarmées et la
prise en compte de la coopération internationale qu'il faut intégrer dans l'entraînement, ce qui
augmente sensiblement le coût d'un entraînement grandeur nature.

L'Armée de l'Air participe régulièrement à des exercices interarmées comme les


exercices OAPEX avec l'Armée de terre.

La démarche RETEX étant maintenant largement identifiée par les Forces, les phases
d'entraînement viennent à leur tour compléter, enrichir la documentation d'une base de
données de type RETEX.

De plus, la réintégration de la France dans la structure de commandement de l'OTAN


aura des conséquences sur ces phases d'entraînement. Les rapports croisés entre les autres
forces aériennes occidentales vont augmenter. Ces liens déboucheront sur des exercices en
commun qui seront riches d'enseignement.

Afin de limiter les coûts de ces exercices, nous voyons apparaître une nouvelle formule
d'entraînement par le biais du "téléentraînement" ou entraînement au moyen d'un système
informatique de simulation. Le salon militaro-industriel international de la simulation en est
l'illustration commerciale la plus visible. L'arrivée de la simulation, à base d'informatique,
facilitera l'indexation des informations et donc l'enrichissement d'une base de données à
vocation RETEX.

La collecte d'informations, si elle puise dans de multiples sources, serait inutile sans un
classement de celle-ci permettant une exploitation dynamique.

B) La classification des expériences collectées


La classification des expériences a pour objectif de rendre utilisable, dans l'avenir, les
informations collectées. En terme militaire, il faut rendre possible l'analyse après action ou 3
A.
Pour cela, deux écueils majeurs sont à éviter : le retard dans la transcription de
l'information et la crainte d'exposer ses erreurs.
La démarche du retour d'expérience doit être initiée le plus tôt possible après la
réalisation de l'action, voire même en cours d'action si les moyens le permettent pour éviter la
perte d'informations pertinentes. Les opérations internationales prévoient d'ailleurs
généralement la présence d'observateurs dédiés à une cellule RETEX.
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Enfin, la collecte d'informations ne doit pas se heurter à la crainte d'exposer ses erreurs.
La peur des conséquences des décisions et actions pourrait entraver le recueil d'informations.
Le fait de vouloir limiter la perte de temps pour refuser une démarche de retour d'expérience
peut masquer celle d'exposer ses erreurs. C'est pourquoi, la pratique des observateurs neutres
par définition, rattachés à une mission RETEX est importante.

Ces deux écueils dépassés, la classification des expériences est susceptible de


s'organiser en trois phases : le niveau de collecte (a)), le niveau du retour d'expérience (b)) et
la mise en place d'un référentiel (c)).

a) Le niveau de collecte
Ce niveau de collecte est multiple. Il est possible d'en repérer habituellement quatre.

Les participants directs à l'engagement ou leurs observateurs, parce qu'ils sont


concernés par l'action menée, sont habilités à faire part de leurs analyses. En l'absence
d'observateurs, afin de faciliter la prise d'informations, un référent peut-être désigné.

Le niveau supérieur serait le P.C. où du personnel serait affecté au regroupement des


informations revenant des éléments référents ainsi qu'au collationnement des éléments
provenant du P.C. lui-même.

Le P.C. regrouperait, à son tour, les informations transmises pour une analyse faite par
l'Etat-major de l'Armée de l'Air qui pourrait se poursuivre par une transmission à l'Etat-major
des armées.

b) Le niveau du retour d'expérience


Le signalement d'un élément peut présenter un intérêt qui implique une analyse après le
déroulement de l'action.

Le niveau de traitement de l'élément analysé peut varier en fonction de deux paramètres


: son degré de gravité par rapport à la mission et son degré de nouveauté.

Le milieu civil applique à ce fait analysé une cotation entre ces deux paramètres,
cotation qui va déterminer le niveau de diffusion de cette information et son niveau de
traitement.

Si l'on prend un exemple simpliste, l'on pourrait citer le dysfonctionnement d'une


cuisine de campagne. Celle-ci ne fonctionne pas car les tuyaux d'alimentation en eau ont gelé
du fait d'un manque de protection. Le problème a été réglé sur place de façon artisanale mais
la solution sera intégrée dans le prochain appel d'offres des cuisines de campagne de l'Armée
de l'Air. Même si Napoléon avait coutume de dire que les armées marchent avec leurs
estomacs, ce problème de cuisine ne va pas forcément remonter au niveau d'un Etat-major.

Le niveau du retour d'expérience est donc à mettre en place pour lui offrir un traitement
adéquat en fonction de sa gravité et de sa nouveauté.

c) La mise en place d'un référentiel


Dans une entreprise privée, la mémoire de l'entreprise est parfois conservée par
quelques dirigeants qui ont fait leur carrière dans un service précis. L'illustration la plus
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topique est l'organisation des études de notaire où certains clercs ont accompli 35 ans de
carrière. Leur stabilité leur permet de connaître l'ensemble des clients et une très grande partie
des problèmes qu'ils peuvent soulever.

La conservation de la mémoire des expériences de combat et la diffusion de cette


expérience nécessitent l'existence d'un référentiel, d'une base de données large et à jour des
engagements effectués. Le commando de l'Air, le pilote ou l'officier renseignements ne
connaissent pas la même stabilité de poste que le clerc de notaire.

Le recours à une base de données est indispensable. Néanmoins, cette base de données
bien que classique dans sa conception, à savoir, un référentiel de date, de lieu ou de thèmes
doit être adaptée à son objectif. C'est ainsi que la réalisation d'un diagramme causes-
conséquences, par exemple, pourrait y avoir sa place.

L'existence même de ce référentiel aura une influence sur la manière de recueillir les
données pour en faciliter le tri. Une standardisation de la chaîne de collecte s'imposera d'elle-
même.

La qualité du collationnement du retour d'expérience n'aurait pas de sens si cette


démarche ne débouchait pas sur l'identification de pistes de progrès devant servir à améliorer
la doctrine d'emploi de nos forces.

II) L'intégration du retour d'expérience dans le processus de décision


L'influence du retour d'expérience ne sera effectif que si celui-ci est connu des acteurs
dans son principe, qu'il soit matériellement accessible mais également qu'il irradie l'ensemble
des parties prenantes et leur organisation.

La diffusion de ce que l'on peut appeler une bonne pratique doit être mise en place (A)
et cette diffusion ne doit pas seulement donner un éclairage sur le passé des engagements pour
suggérer des améliorations possibles, elle doit être une des justifications, un des moteurs à
l'évolution de notre doctrine de combat et nous pousser à anticiper les difficultés à venir (B).

A) La diffusion des bonnes pratiques


Le constat effectué sur le terrain des unités engagées avec leurs commentaires, une fois
ces éléments triés, pourra être pris en compte à quatre stades de l'Armée de l'Air : sa doctrine
(a)), son organisation au plus haut niveau (b)), ses ressources humaines (c)) et ses
équipements (d)).

a) Sa doctrine
Le processus de RETEX, s'il est estimé indispensable par le commandement militaire,
doit être érigé en une véritable culture de management avec pour corollaire imposé une
organisation permanente et cohérente incluant du personnel formé à tous les niveaux afin de
s'assurer d'une bonne qualité des résultats.
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Cet élément de culture d'entreprise pour reprendre une expression du monde civil, doit
être formalisé au plan national mais aussi au plan international. Le rôle de la France dans
l'OTAN devrait faciliter cette coopération.

Pour ne retenir qu'un exemple d'inflexion de la doctrine militaire, il sera rappelé les
enseignements tirés de la guerre liée à l'invasion du Koweït en 1990-1991. Cette guerre et les
premières opérations en Bosnie ont révélé l'inadaptation de la conscription à la projection des
forces et ont déclenché le processus de la professionnalisation des armées.

Le service miliaire qui était pourtant l'un des mythes fondateurs de la République
française dont la création remontait au 5 septembre 1798 a été suspendu, jusqu'à nouvel ordre,
par une loi du 28 octobre 1997.

Cette suspension n'est donc pas uniquement le résultat d'une recherche d'économie
budgétaire mais la volonté de l'adaptation de nos forces à des contraintes différentes qu'une
démarche RETEX avait permis de détecter et surtout de confirmer.

b) L'organisation de l'Armée de l'Air


S'il n'y a de richesses que d'hommes, cet adage s'applique parfaitement à une politique
RETEX.

Le relevé des informations du terrain appelle la présence de "capteurs" en nombre


suffisant et formés à cette responsabilité. Ceux-ci vont alimenter la démarche RETEX
d'informations "montantes" qui repartiront vers les unités, pour enseignement, après
approbation de la hiérarchie.

Cette relation interactive implique donc deux flux. La mise à jour des enseignements
liés à une approche RETEX exige une bonne communication des forces vers l'élément
centralisateur et un retour de cet élément centralisateur vers les forces. Cette communication
demande une présence de responsables RETEX à de multiples échelons, qu'ils soient en état-
major, au sein de P.C ou en unité. L'approche RETEX aura une influence sur les structures de
commandements.

D'un point de vue plus matériel, la simple mise à jour et le partage en réseau d'une base
de données RETEX pour ses informations à vocation opérationnelle mérite un investissement
en temps et en finances. La compatibilité des réseaux utilisés en matière internationale par les
différentes armées, leur interopérabilité et la standardisation des procédures nécessiteront une
attention particulière.

c) Les ressources humaines


Outre la présence de capteurs ou de responsables RETEX à plusieurs niveaux, le rôle de
l'individu étant primordial dans cet élément d'organisation militaire, les programmes des
écoles militaires doivent en connaître la trace. C'est, de plus, un élément supplémentaire
traduisant l'interarmisation des forces.

Une analyse RETEX sur la récupération de pilotes abattus en territoire ennemi donne
potentiellement lieu à l'utilisation de moyens provenant de plusieurs armées. Un RETEX
limité en partie à l'Armée de l'Air aurait peu de sens en terme d'enseignement pour une
opération de secours de ce type.
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d) Les équipements
La présence de l'Armée de l'Air sur des sites très différents, Afrique, Pays de l'Est,
Moyen Orient déclenche des demandes d'équipements adaptés à l'évolution des techniques. La
confrontation avec les armées étrangères suggère des idées mais aussi peut-être des envies
notamment en matière d'équipement personnel de l'individu.

Sur un aspect plus général, l'on peut citer le choix délibéré de certains pays de s'équiper
de dispositifs sol-air efficaces plutôt que d'avions de supériorité aérienne plus coûteux.

Face à la grande mobilité des systèmes sol-air, des armées ont décidé de mettre en
place, des systèmes de détection pertinents. La défense sol-air utilisée par les serbes, d'origine
russe, en est un témoignage. Son efficacité a malheureusement été démontrée.

La destruction de ces défenses pour la maîtrise du ciel demande de connaître la


localisation de ces batteries. La génération des avions rapides et/ou furtifs, répond en partie à
ce besoin. Néanmoins, l'avènement des drones apporte une précision renforcée dans la
détection des moyens de défense sol-air et permet de diriger les chasseurs-bombardiers.

Si ce constat est exact, il doit inciter les armées à se doter, par exemple, de drones
pouvant compléter les moyens de renseignements embarqués sur avion de reconnaissance.
Des appels d'offres sont susceptibles d'être préparés.

Il faut reconnaître que, parfois, des industriels devancent le besoin des armées. Je citerai
une illustration étrangère en la personne de la société General ATomics Aeronautical Systems
qui a développé un drone, le predator C Avenger, qui bénéficie directement des retours
RETEX de la guerre au Kosovo.

La relation, forces armées, industriel avec un enseignement lié à un RETEX est là,
parfaitement claire.

Ce retour d'expérience, s'il permet d'agir sur le court et moyen terme doit avoir
également une influence sur le long terme, sur la recherche opérationnelle qui déterminera,
demain, le choix des systèmes d'armes ou le choix des structures d'unité.

B) Le retour d'expérience, source d'évolution et d'anticipation


Cette recherche d'une efficacité sur le long terme peut se décliner dans l'intégration du
RETEX dans une réflexion prospective (a) et dans l'organisation d'une veille technologie (b).

a) La réflexion prospective
Les réflexions d'aujourd'hui considèrent que les forces devront savoir faire porter leurs
efforts sur les villes, principaux théâtres d'opérations dans le futur. Les armées étrangères y
ont été confrontées comme Tsahal dans les territoires palestiniens mais aussi l'armée française
en Bosnie ou en Afghanistan.

La place de l'aviation dans ce combat est à déterminer. L'unité d'emploi de demain sera
peut-être la section appuyée d'hélicoptères et d'avions. Le RETEX effectué à ce jour pourra
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aider utilement les états-majors concernés à élaborer une politique d'engagement, un choix de
structures pour les unités ainsi qu'un choix de politique de soutien.

Enfin, la finalité de toute opération est le rétablissement d'institutions politiques et


administratives auxquelles les forces apportent leur soutien après la phase d'intervention. La
période de reconstruction est lente, coûteuse, difficile. La normalisation et le retour de la paix
seront facilités si la phase de guerre n'a pas opéré une destruction massive de l'adversaire et de
ses infrastructures.

La gradation des moyens employés doit faire comprendre à l'adversaire qu'il peut être
anéanti mais qu'il peut aussi entrevoir une sortie honorable. La conception de cette gradation
n'est pas que technique, elle est aussi humaine, psychologique. Les informations provenant
d'un RETEX permettront vraisemblablement de dégager, d'identifier des tendances lourdes et
d'arrêter le dosage à retenir pour certaines actions de destruction qui auront un objectif
immédiat de gain militaire mais aussi un objectif secondaire de proportionnalité avec le
devenir de la région concernée.

b) La veille technologique
Le terrain urbain des opérations a notamment incité le commandement à numériser le
champ de bataille pour suivre au mieux les opérations, localiser l'ennemi et éviter les tirs
fratricides. Cette numérisation de champ de bataille est utilisée également par les forces
américaines qui ont servi d'aiguillon à certains de nos industriels.

L'avantage de la numérisation n'a de sens que si celle-ci est partagée entre les
différents acteurs et notamment les forces aériennes. Une des prémisses à cette numérisation a
eu pour domaine les opérations de fouille de localités ou d'objectifs en zone urbaine.

Ces opérations voudraient que des missions de reconnaissance soient effectuées.


Celles-ci sont dangereuses et annihilent l'effet de surprise. Les montages d'images vidéo
prises par avion avec des cartographies en trois dimensions ont permis à des bataillons en
Bosnie de procéder à des répétitions de scénarios et d'apprentissage des modes d'action sur le
terrain sans perte d'élément de reconnaissance et en conservant l'effet de surprise.

Le RETEX fait ressortir les avancées technologiques des autres armées et leur intérêt
pour le champ de bataille. Ces informations doivent déclencher une réflexion et une action
pour l'équipement des armées de demain.

Conclusion
Pour certains, l'esprit humain ne peut rien créer, s'il n'est fécondé par l'expérience et la
méditation, ses connaissances sont les germes de ses productions.

Si l'on retient cette proposition, il ressort que garantir un retour d'expérience efficace pour
optimiser la préparation des unités de l'Armée de l'Air au combat, nécessite notamment :
- la collecte d'informations dans différentes directions,
- leur classement et indexation,
- leur analyse et la prise en compte de celles-ci dans une doctrine d'emploi et dans la
planification des actions que cela soit d'un point de vue opérationnel ou d'un point de vue
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prospectif pour aider nos unités à s'adapter en permanence aux défis auxquels nous devons
faire face.

La démarche est en cours, elle doit être poursuivie et amplifiée. Le général ABRIAL rappelait
dans l'une de ses interventions que si nous dormons sur nos lauriers et n'agissons pas pour
maintenir notre avantage, le prix à payer pourrait être très élevé pour redécouvrir ce vieux
principe*.

Alors, bien évidemment, le RETEX à lui seul, serait insuffisant à nous offrir l'avantage.

L'expérience est une lanterne qui éclaire le passé disait un auteur célèbre. La variété des
combats obligera parfois un chef à s'affranchir de toute procédure pour agir avec sa
conscience, sa propre expérience mais aussi son instinct face à une situation aux paramètres
inconnus.

André GIDE pensait que "Toute théorie n'est bonne qu'à condition de s'en servir pour passer
outre" et que "Le monde ne sera sauvé, s'il peut l'être, que par des insoumis **".

Ces affirmations seraient-elles le dernier enseignement du retour d'expérience d'une vie


accomplie jusqu'à son terme par l'auteur. Sont-elles transposables au milieu militaire ? Nous
le serons peut-être…plus tard.
______________________________
* Allocution du GAA Stéphane ABRIAL, chef d'état-major de l'Armée de l'Air, devant la
59ème session de l'I.H.E.D.N.

** André GIDE, son Journal publié de 1943 à 1953, maximes tirées des Feuilles de route.

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