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RFDC 090 0057
RFDC 090 0057
Karim Dosso
2012/2 n° 90 | pages 57 à 85
ISSN 1151-2385
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ISBN 9782130593874
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KARIM DOSSO
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Dans un article à l’intitulé provocateur, « À quoi servent les constitutions
africaines ? Réflexions sur le constitutionnalisme africain1 », le professeur
P.-F. Gonidec, dressant le bilan de trente années de pratiques constitutionnelles,
s’interrogeait sur l’utilité même des Constitutions africaines.
Un tel sentiment, qui laissait apparaître le scepticisme de l’auteur sur l’évo-
lution du constitutionnalisme africain, était relayé par une rhétorique forgée
autour des notions suivantes : déclin du constitutionnalisme2, constitutionna-
lisme rédhibitoire3, constitutionnalisme formel et irrationnel4, constitutionna-
lisme non démocratique5. De telles notions témoignent de la « crise précoce du
constitutionnalisme6 » qui a été remarquablement résumée par le professeur
A. Bourgi en ces termes : « Très vite, les Constitutions furent mises en som-
meil, quand les gouvernants civils n’étaient pas tout simplement renversés par
des coups d’États. Le parti unique s’est finalement imposé partout7… »
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pouvoir, le constitutionnalisme n’est plus alors « une situation tout à fait excep-
tionnelle en Afrique12 ».
Mais, le souvenir obsédant de trois décennies d’asservissement de l’État et
des personnes, hante encore les esprits et invite à la prudence. Il suggère par
contre, à moins de « sombrer dans un formalisme desséchant13 », d’apprécier
« le regain constitutionnel africain14 » à l’aune de sa pratique15.
Couramment utilisée, « l’expression pratique constitutionnelle » est rare-
ment définie. Ce constat autorise, au préalable, une clarification de la notion.
8. Cette période est marquée, selon les propos d’A. Sall, par une ferveur constitutionnelle.
On assiste partout en Afrique soit à la modification soit à l’abrogation des premières Consti-
tutions. Sur cette question, voir « L’Afrique en transition vers le pluralisme politique »
(sous la direction de G. Conac), Paris, Économica, 1993 ; J.-P. Daloz et P. Quantin (études
réunies et présentées par), Les transitions démocratiques africaines : dynamisme et contraintes,
Paris, Karthala, 1997 ; H. Roussillon (dir.), Les nouvelles Constitutions africaines : la transition
démocratique, Presse de l’IEP de Toulouse, 1993 ; D. Darbon, J. du Bois de Gaudusson (dir.),
La création du droit en Afrique, Karthala, 1997 ; M. Martin, A. Cabanis, « Le modèle du
Bénin : un présidentialisme à l’africaine », p. 53 ; A. Cabanis, M.-L. Martin, Les Constitutions
d’Afrique francophone. Évolutions des Constitutions récentes, Paris, L’Harmattan, 1999 ; J. du
Bois de Gaudusson, G. Conac, Ch. Desouches, Les Constitutions africaines, tomes I et II, Paris,
La Documentation française et Bruxelles Bruylant, 1997-1998.
9. Voir sur ce point, S. P. Huntington, The third wave, democratization in the late twentieth
century, University of Oklahoma Press, 1991.
10. L. Sindjoun, « Les nouvelles Constitutions africaines et la politique internationale :
contribution à une économie internationale des biens politico-constitutionnels », Études
internationales, vol. 26, n° 2, 1995, p. 334 (http:/id. erudit. org/iderudit/70349ar).
11. I. M. Fall, op. cit., p. 22.
12. Expression empruntée à D. G. Lavroff, « Les tendances d’un nouveau constitutionna-
lisme africain », in Dynamique et finalité des droits africains, Paris, Économica, 1980, p. 71.
13. J. Chevallier, « Pour une sociologie du droit constitutionnel », L’architecture du droit,
in Mélanges en l’honneur de Michel Troper, Paris, Économica, 2006, p. 283. Voir également
J. Chevallier, « Droit constitutionnel et institutions politiques : les mésaventures d’un
couple fusionnel », in Mélanges en l’honneur de P. Avril, La République, Montchrestien, 2001,
p. 183-199.
14. J. Gicquel, J.-E. Gicquel Droit constitutionnel et institutions politiques, Paris, Mont-
chrestien, 22e édition, 2008, p. 397.
15. Le professeur G. Conac ne disait-il pas que « l’exégèse des textes constitutionnels ne
peut jamais le dispenser de vérifier l’usage qui en est fait sur place », in Les Cours suprêmes en
Afrique, tome II, Économica, Paris, 1989, p. 3 et s.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e59
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Constitution en Afrique se dévoile le paravent qui abrite le pouvoir person-
nel23 ». « Les pratiques constitutionnelles, conclut alors l’auteur, deviennent
leur propre cause au lieu de rester l’effet par l’application des dispositions
constitutionnelles24. » C’est dans cette perspective qu’il convient d’orienter la
réflexion en ce qu’elle rend véritablement compte de la pratique constitution-
nelle dans les pays d’Afrique noire francophone.
En effet, si dans les démocraties libérales25 où « l’observation montre que la
réalité ne correspond pas toujours, ni même souvent, à l’optimisme des schémas
16. En réalité cette notion est apparue sous la plume de Dicey en 1885 qui parla de
« Constitutional convention », Introduction à l’étude du droit constitutionnel, trad. A. Batut/G. Jèze,
Paris, éd. Girard et Brière, 1902. Voir également : P. Avril, Les conventions de la Constitution,
Paris, PUF, coll. Léviathan, 1997 ; D. Levy, « De l’idée de coutume constitutionnelle à l’es-
quisse d’une théorie des sources du Droit constitutionnel et leur sanction », in Mélanges
Ch. Eisenmann, Paris, Cujas, 1975, p. 81 et s ; S. Rials, « Réflexion sur la notion de coutume
constitutionnelle », Revue administrative, 1979, p. 265 et s ; F. Lemaire, « Les conventions de
la Constitution dans le système juridique français », cette Revue, n° 35, 1998, p. 451-515.
17. C. Bidegaray, affirmait : « Si les institutions ne se réduisent pas au seul texte consti-
tutionnel, leur pratique ne dépend pas des libertés que les auteurs prendraient avec elles », in
« Pierre Avril à la recherche des “conventions de la Constitution” », RFDSP, n° 5, 1998, p. 664.
18. P. Avril, « Une convention contra legem : la disposition du « programme » de l’arti-
cle 49 de la Constitution », in Mélanges en l’honneur de J. Gicquel, Montchrestien, 2008, p. 9.
19. Pour cet auteur, les conventions constitutionnelles se distinguent des coutumes non
par les éléments qui président à leur formation mais par leur rapport avec la Constitution.
À l’inverse des coutumes qui peuvent apparaître comme des usages établis en dehors des
normes écrites, Dicey considère que les liens des conventions avec la constitution sont
étroits. Cf. F. Lemaire, « Les conventions de la Constitution dans le système juridique fran-
çais », cette Revue, n° 35, 1998, p. 464.
20. J. Rossetto, Recherche sur la notion de Constitution et l’évolution du régime constitutionnel,
thèse, Poitiers, 1982, p. 311.
21. J. Gicquel, J.-E. Gicquel, op. cit., p. 181.
22. Voir D. Alland, S. Rials, Dictionnaire de la culture juridique, Lamy-PUF, 2003, p. 1180.
23. F. Wodie, « Régimes militaires et constitutionalisme en Afrique », Penant, juin-
septembre 1990, p. 196.
24. Idem, p. 196.
25. En France le système des « questions au gouvernement » a été établi, en 1974, par
un échange de lettres entre le Premier ministre et le président de l’Assemblée nationale.
Ainsi au début de chaque législature, des accords entre partis répartissent le temps prévu
pour ces questions entre les groupes parlementaires.
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l’analyse du professeur J. du Bois de Gaudusson, l’on pourrait s’inquiéter et
s’interroger avec lui, si l’Afrique ne replonge pas dans l’impasse constitution-
nelle. Le constitutionnalisme africain semble victime de nouveaux usages33.
Voilà qui autorise à ouvrir de nouvelles pistes de réflexions sur les pratiques
constitutionnelles dans les États africains notamment ceux de l’espace franco-
phone auxquels se limite notre étude.
Cette nécessité de revisiter l’état de la doctrine sur la pratique constitution-
nelle est renforcée par des événements en rupture avec les méthodes antérieures.
Les Présidents malien et béninois ont ouvert des pistes nouvelles de réformes de
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A priori on pourrait soutenir avec le professeur B. Kanté qu’« aussi bien les
textes que la pratique politique autorisent… à parler aujourd’hui de néo-consti-
tutionnalisme africain34 ». Or, nombre d’épisodes récents de l’actualité poli-
tique africaine viennent relativiser ce constat. On songe au Niger à propos de la
modification de la Constitution et plus spécifiquement à la Guinée et à Mada-
gascar où des coups d’États militaire et civil ont provoqué des changements
constitutionnels.
À la vérité, malgré les progrès réalisés par le retour et recours au droit
constitutionnel35, la pratique constitutionnelle en Afrique, comme un faux
messie, n’a pas répondu aux attentes suscitées par le constitutionnalisme triom-
phant des années 1990.
Une analyse dialectique permet en effet de constater des usages cohérents et
incohérents de la Constitution. Plus exactement, la pratique constitutionnelle
en Afrique noire francophone est autant marquée par des succès ponctuels (I)
que par des échecs récurrents (II)
nelles, telles qu’elles s’expriment dans certains pays d’Afrique noire franco-
phone, semblent réconcilier ces États « avec “l’orthodoxie” des démocraties
constitutionnelles38 ». Il est possible de résumer ces progrès ainsi réalisés par le
constitutionnalisme en deux grandes tendances : la revitalisation par endroits
de la séparation des pouvoirs, et la création de cadres politiques rénovés.
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tutionnelle laisse entrevoir un retour à ce postulat. L’émergence d’une justice
constitutionnelle (1) autant que la fin du recueillement muet du Parlement
l’attestent (2).
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contrôle par voie d’action et le contrôle par voie d’exception. C’est sur ce der-
nier point que la situation est nettement différente par rapport au schéma
antérieur.
Dégageant, en effet, les critères de vitalité du contentieux constitutionnel
des droits de l’homme, A. Soma estimait que le critère le plus pertinent est
celui de la vitalité du droit d’action directe de l’individu devant la juridiction
constitutionnelle50. C’est ce système étatique de justice constitutionnelle qui est
retenu dans certains pays d’Afrique noire francophone. L’exemple du Bénin est
assez démonstratif à cet égard. En témoignent trois dispositions pertinentes de
la Constitution béninoise du 11 décembre 1990.
L’une (l’article 121)51, reconnaît à la Cour le pouvoir d’auto-saisine. Les
autres (articles 3 et article 122)52 habilitent tout citoyen, in abstracto, c’est-à-
dire en dehors de tout conflit à saisir le juge constitutionnel53. Des dispositions
47. F. Moderne, « L’évolution des juridictions constitutionnelles », in Les institutions
constitutionnelles d’Afrique francophone et de la République malgache, Économica, Paris, 1979,
p. 185 ; Voir également L. Favoreu, « Brèves réflexions sur la justice constitutionnelle en
Afrique », in Les Cours suprêmes en Afrique, tome 2, Économica, Paris, 1989, p. 40.
48. R. Degni-Segui, « État de droit, droits de l’homme, bilan des années », Rapport
introductif n° 5, Symposium international de Bamako, p. 634.
49. J.-C. Aba’a Oyono, « Les mutations de la justice à la lumière du développement
constitutionnel de 1996 », Afrilex, 2000, n° 1, p. 9.
50. A. Soma, « Modélisation d’un système de justice constitutionnelle pour une meilleure
protection des droits de l’homme : trans-constitutionnalisme et droit constitutionnel com-
paré », RTDH, 2009, n° 78, p. 455.
51. L’article 122 dispose : « Elle – la Cour – se prononce d’office sur la constitutionna-
lité des lois et de tout texte réglementaire censés porter atteinte aux droits fondamentaux de
la personne humaine et aux libertés publiques »
52. L’article 3 al 3 prévoit : « Toute loi, tout texte réglementaire et tout acte adminis-
tratif contraires à ces dispositions sont nuls et non avenus. En conséquence, tout citoyen a
le droit de se pouvoir devant la Cour constitutionnelle contre les lois, textes et actes présu-
més inconstitutionnels » ; article 122 : « Tout citoyen peut saisir la Cour constitutionnelle
sur la constitutionnalité des lois, soit directement… ».
53. Les statistiques fournies par le professeur T. Holo sont assez démonstratives : de juin
1993 à décembre 2008, la Cour constitutionnelle a rendu 2400 décisions dont 1728 en
contrôle de constitutionnalité. En 2008, à la date du 11 décembre, la Cour a rendu 117
décisions relatives à la violation des droits fondamentaux et des libertés publiques ». Cf.,
T. Holo, « Émergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 102.
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du Niger le 12 juin 2009.
Éloge à la Cour constitutionnelle nigérienne ! Tel pourrait se résumer le
sentiment au vu du contexte politique électrique qui prévalait. Se sachant inéli-
gible parce que la Constitution nigérienne n’autorise que deux mandats, le Pré-
sident de la République décide, par décret, de convoquer le corps électoral à
l’effet de modifier cette clause. Saisie, la Cour constitutionnelle, le 25 mai
2009, émet un avis défavorable. Elle réaffirmera cette position dans sa décision
du 12 juin 2009 estimant que l’initiative de la révision était, tant à la forme
qu’au fond, contraire à la Constitution. Le juge constitutionnel nigérien, maté-
rialise ici, ces propos de D. Rousseau selon lesquels « l’arbitraire politique ne
peut être source des lois56 ».
Par ailleurs, les Cours rendent parfois des arbitrages audacieux57. Ainsi
pourrait-on citer la décision de la Cour constitutionnelle du Bénin (DCC 07-175
du 27 décembre 2007) qui a permis de désamorcer une crise majeure entre le
gouvernement et l’Union nationale des magistrats du Bénin.
On peut observer aussi avec le professeur F. M. Djedjro, que les contesta-
tions électorales se résolvent de plus en plus devant le juge des élections58. Il
importe de rappeler, à cet égard, la réformation des opérations électorales (au
Mali en 1997 la cour a annulé l’ensemble du premier tour des élections législa-
tives), ou la remise en cause du mandat d’un président convaincu de violation
de la Constitution (démission du Président à Madagascar).
54. La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008. Sur ce point, voir « Question priori-
taire de constitutionnalité, premières jurisprudences », AJDA, n° 18, 2010, p. 1013-1040.
55. R. S. M. Dossou, « La Cour constitutionnelle du Bénin : l’influence de sa jurispru-
dence sur le constitutionnalisme et les droits de l’homme », Conférence mondiale sur la jus-
tice constitutionnelle, Cape Town, Afrique du Sud, 23 au 24 janvier 2009.
56. D. Rousseau, « Question de Constitution », Le nouveau constitutionnalisme, in Mélanges
en l’honneur de G. Conac, Économica, Paris, 2001, p. 8.
57. Voir sur ce point S. Bollé, « Les juridictions constitutionnelles africaines et les crises
électorales », 5e Congrès de l’Association des Cours constitutionnelles ayant en partage
l’usage du français, Cotonou, 22-28 juin 2008, (http.//www. laconstitution-enafrique.
org/) ; I. Abdourhamane Boubacar, Les Cours constitutionnelles dans le processus de démocratisa-
tion en Afrique : analyse comparative à partir des exemples du Bénin, de la Côte-d’Ivoire et du Niger,
thèse, Université Montesquieu-Bordeaux IV, octobre 2002.
58. F. M. Djedjro, « Le contentieux électoral en Afrique », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 143.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e65
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voir exécutif64. L’expression imagée que M. A. Endon donne de l’institution est
assez révélatrice à ce sujet. Les parlements, écrivait-il, « nous rappellent l’image
de la mer avec l’effet brouillard de l’écume qui cache la violence de la vague.
Plus précisément l’écume pluraliste qui cache la vague monolithique65 ». On
s’interrogeait alors à la manière du professeur P. Avril « qui fait la loi ? »66.
Aujourd’hui, sans être incontestables67, les avancées sont significatives. Le
Parlement, n’est plus un gadget, il est sorti de son recueillement muet pour
devenir un acteur de la scène politique68. Cette reparlementarisation69 est mar-
quée, du point de vue juridique, par un double mouvement. Le premier s’ap-
précie au niveau structurel. Quand au second, il concerne le renforcement fonc-
tionnel du parlement.
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les Parlements, avec non pas des conséquences désastreuses, comme c’est le cas
à l’occasion de tel phénomène, mais une revitalisation de l’institution.
Du coup, et c’est l’aspect fonctionnel, du reste le plus important, les Parle-
ments devenant des « espaces de dialogue75 », le silence cède la place aux
bruits, aux débats. Usant pleinement de leurs prérogatives constitutionnelles,
les Parlements participent désormais à l’activité normative. Mieux, le contrôle
de l’activité gouvernementale devient effectif.
En effet, à l’époque, sous les régimes de parti unique, c’est le gouverne-
ment, sans que la Constitution lui en attribue exclusivité, qui était à l’origine
de l’initiative des lois76. L’Assemblée nationale, constitutionnellement fondée à
intervenir en la matière, ne s’en prive plus aujourd’hui. L’initiative, comme
prévu par les Constitutions, est exercée concurremment par le gouvernement et
l’Assemblée nationale77.
On retrouve cette quête d’affirmation progressivement dans le contrôle de
l’activité gouvernementale. Les Parlements, en effet « ne se contentent plus de
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coquille vide83. La loi est redevenue alors, ce qu’elle n’aurait jamais dû cessé
d’être, l’expression de la volonté générale. De ce point de vue, le Parlement par-
ticipe à l’effectivité du renouveau constitutionnel en Afrique noire francophone.
La création de cadres politiques s’inscrit dans la même dimension et consti-
tue, à cet égard la seconde facette de la revitalisation de la pratique constitu-
tionnelle en Afrique.
78. J. du Bois de Gaudusson, « Quel statut pour le chef de l’État en Afrique ? », Le nou-
veau constitutionnalisme, in Mélanges en l’honneur de G. Conac, Économica, 2001, p. 333.
79. F. Akindes et V. Topanou, « Le contrôle de l’action gouvernementale en République
du Bénin », Programme de l’UNRISD, Démocratie, gouvernement et droits de l’homme, document
n° 18, octobre 2005, p. 1.
80. Voir sur ce point B. Mathieu, « La qualité du travail parlementaire : une exigence
constitutionnelle », Constitution et pouvoir, Mélanges en l’honneur de Jean Gicquel, Dalloz, 2007,
p. 355-364.
81. Point 3e de l’accord de Linas-Marcoussis : « Les partis politiques représentés à l’As-
semblée nationale et qui ont participé à la table ronde s’engagent à garantir le soutien de
leurs députés à la mise du programme gouvernemental ».
82. A. Delehedde, « L’Afrique en transition vers le pluralisme politique : le rôle du par-
lement », in L’Afrique en transition vers le pluralisme politique, G. Conac (dir.), Économica,
Paris, 1993, p. 460.
83. C. Desouches, « Les parlements », art. cit., p. 95-138.
84. J. du Bois de Gaudusson, « Point d’actualité sur les modalités de production du droit
constitutionnel dans les États africains francophones », in Mélanges en l’honneur de Patrice
Gélard, Montchrestien, 1999, p. 341 ; G. Conac, op. cit., p. 13.
85. M. Glele-Ahanhanzo, « Le renouveau constitutionnel du Bénin une énigme ? », Un
passeur entre les mondes, in Mélanges en l’honneur de M. Alliot, publication de la Sorbonne,
2000, p. 255-233 ; T. Holo, « Émergence de la justice constitutionnelle », Pouvoirs, n° 129,
art. cit. p. 102 ; G. Conac, « Succès et crises du constitutionnalisme en Afrique », in Les
Constitutions africaines publiées en langue française, op. cit., p. 13 ; J. du Bois de Gaudusson, op.
cit., p. 9 ; L. Sindjoun, op. cit., 598 p. ; B. Kante, « Le constitutionnalisme à l’épreuve de la
transition démocratique en Afrique », 1996, étude citée, p. 3 ; F. M. Djedjro, op. cit., p. 5.
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regrets86, marqué par des années de non droit, semble bien loin ; celui des espé-
rances réel. En témoignent l’aboutissement de la conférence nationale (1) et la
création de comités pour la réforme des Constitutions (2).
1 – La conférence nationale,
modalité originale du renouveau constitutionnel
Alors que rien ne le laissait présager, les années quatre-vingt-dix sont mar-
quées par des mutations politiques profondes en Afrique noire francophone. Ces
processus de transition sont divers87. Mais c’est la conférence nationale88 qui
rend compte du développement d’un véritable mouvement constitutionnaliste
plus par l’originalité du processus que par l’effet de contagion.
Inaugurée au Bénin, reprise et expérimentée, avec des fortunes diverses, par
plusieurs autres pays89, la conférence nationale est un phénomène novateur90 et
même révolutionnaire91. Elle est marquée par « une irruption de la société
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civile, et plus largement du peuple, sur la scène politique92 ». Ici, n’est pas le
lieu de construire une théorie générale de la conférence nationale. Car comme
l’observait le rapport général de synthèse des travaux du symposium internatio-
nal de Bamako93, il est difficile d’en élaborer une, eu égard aux spécificités et
aux caractéristiques de chacune d’elles.
Malgré ces difficultés, l’enjeu majeur de ces conférences était toutefois
simple à situer. Il s’agit de rompre avec le consensus proclamé, mais en réalité
imposé aux populations par la forme monolithique des régimes94. Cette « révo-
lution douce95 » a paradoxalement eu pour effet « de redonner au droit… une
crédibilité que des années de non droit avaient fini par émousser dans l’opinion
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ces éléments a pour effet de rendre l’alternance impensable, envisageable, et
même réalisée. Il est arrivé en effet que s’opère une alternance au pouvoir
comme par exemple au Bénin, à Madagascar, au Mali. Qui connaît la pratique
politique antérieure ne peut que souligner l’évolution ainsi réalisée.
Dans le même sens les conférences nationales ont permis d’adopter de nou-
velles Constitutions exprimant « un aspect nouveau du consensus social ».
Longtemps en effet la doctrine africaniste avait considéré la Constitution, non
comme un instrument de protection des gouvernés, mais comme une technique
de légitimation du pouvoir des gouvernants. Or l’opération constituante résul-
tant des conférences nationales à déboucher sur la mise en place des bases d’un
nouvel ordre. On assiste à une démultiplication généreuse des instruments
protecteurs.
On pourrait objecter que l’adhésion à ces principes n’est pas nouvelle. Les
premières Constitutions de l’ère post-coloniale les avaient proclamés. Mais là où
se situe l’évolution c’est la constitutionnalisation des droits de l’homme. En
effet, les Constitutions ne laissent plus le soin au préambule de traiter des droits
de l’homme. Ils sont énoncés de manière très précise dans le corps de la Consti-
tution ; ce qui réduit considérablement la marge de manœuvre de l’exécutif et
même du législateur. D’ailleurs, comme il a été souligné ci-dessus, la diversifi-
cation des mécanismes de saisine des Cours constitutionnelles, permet au juge
de protéger ces droits et libertés.
On pourrait également objecter que la déclaration de souveraineté, contrai-
rement à son statut initial, de la conférence nationale ne repose sur aucune base
légale irréfutable. Mais en réalité, la dynamique politique ne l’a emporté que
sur le perfectionnement juridique. C’est dire que s’il n’y a aucune base juri-
dique irréfutable, il y a, tout de même, des bases juridiques défendables.
D’abord l’initiative de sa convocation est d’origine gouvernementale.
Ensuite l’acte unilatéral de déclaration de souveraineté a été accepté par le Pré-
sident de la République. En conséquence, celui-ci, en sa qualité de chef de
l’État, sanctionnait par des décrets les décisions prises par la Conférence natio-
nale. Il ne s’agit donc pas d’un « coup d’État civil100 ». À la vérité, la Confé-
rence nationale est une invention originale, un outil « de gestion des crises poli-
tiques affectant des systèmes à parti unique, par la reconnaissance officielle des
libertés publiques et la consécration de l’État de droit101 ». Le professeur
M. A. Glele ne faisait-il pas d’elle, cela à juste titre, le disciple de la Déclara-
tion française des droits de l’homme et du citoyen de 1789102 ?
Les conférences nationales ont plutôt ouvert « l’ère du renouveau démocra-
tique103 ». Ceci semble être consolidé par la création de comités de réforme des
Constitutions.
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2 – La création de comités,
modalité nouvelle de réforme des Constitutions
Des Présidents, notamment les Présidents malien et béninois ont décidé de
créer, à l’image de la France104 un comité de réforme des institutions. Ce seul
fait qui constitue une première en Afrique, mérite à lui seul d’être remarqué.
En effet, nombre de critiques lient la crise du constitutionnalisme en
Afrique noire francophone à l’instabilité résultant de fréquentes révisions
constitutionnelles. Cette multiplication du rythme de révisions constitution-
nelles provoque un « malaise dans la Constitution105 ». C’est ce que le profes-
seur J.-L. A. Amougou veut dire lorsqu’il écrit que « la crise de la notion de
Constitution en Afrique est en partie due à la facilité des révisions constitu-
tionnelle ». Du coup « de texte sacré dépositaire de la parole du souverain et du
contrat social, de loi des lois, la Constitution devient banale, une loi ordinaire
à la disposition des intérêts politiques momentanés106… ».
Or de la crise de la notion de Constitution, naissent parfois des conflits
politiques, qui se transforment eux aussi en insurrection ou en guerre107. L’aver-
tissement n’est pas tombé dans des oreilles de sourds. Les nouvelles perspectives
de réforme des Constitutions initiées au Bénin et au Mali peuvent l’attester.
L’enjeu des réformes constitutionnelles en Afrique est relativement simple à
situer. Il est, comme le soulignent fort justement, les professeurs A. Cabanis et
100. J.-J. Raynal, « Conférence nationale, État de droit et démocratie. Quelques
réflexions à propos d’une occasion manquée », art. cit., p. 158.
101. F. E. Boulaga, « Les conférences nationales en Afrique noire », op. cit., p. 31.
102. M. Glele-Ahanhanzo, op. cit., p. 327.
103. C. D. Ouinsou, « Le contrôle de constitutionnalité au Bénin », Actes du symposium
international de Bamako, p. 82.
104. Le comité consultatif pour la révision de la Constitution dit commission ou comité
Vedel, 2 décembre 1992, Le comité de réflexion et de proposition sur la modernisation et le
rééquilibrage des institutions dit comité Balladur créé en 2007.
105. D. Rousseau, « Le nouvel horizon du droit constitutionnel », Renouveau du droit
constitutionnel, in Mélanges en l’honneur de Louis Favoreu, Dalloz, 2007, p. 889.
106. Idem, p. 889.
107. La crise ivoirienne est révélatrice à ce sujet.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e71
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personnes prises isolément. Il y a aussi et surtout toute la partie sur les rapports
entre les différents pouvoirs110 ». On a pu alors douter et même suspecter la
reforme envisagée111. La formation discrétionnaire du comité par le chef de
l’État, conduisait en effet à penser qu’il serait à son service pour matérialiser
techniquement son projet politique en matière constitutionnelle112. La commis-
sion Glèle, s’appuyant en cela sur ces orientations, a convenu de préserver les
options essentielles de la conférence nationale, à savoir la démocratie pluraliste,
l’État de droit, la limitation du nombre de mandats présidentiels et l’âge limite
à l’élection présidentielle. Par ailleurs la commission a pris en compte les insuf-
fisances observées dans la pratique de la Constitution de 11 décembre 1990 et
fait des propositions en vue de les corriger.
Il ne s’agit pas d’un acte isolé. Déjà, en avril 2007, le Président Y. Boni,
avait installé une commission de juristes indépendants sur le système électoral
en République du Bénin. Le rapport sanctionnant a notamment analysé les
insuffisances du processus électoral et formulé des propositions en vue de son
amélioration.
Le Mali s’est engagé dans la même voie. Et le rapport de la commission de
réflexion sur la consolidation de la démocratie au Mali d’appui aux réformes des
institutions est tout aussi remarquable en ce qu’il préserve les acquis de la
démocratie. On peut évoquer, à ce propos, à titre d’exemple quelques proposi-
tions au plan institutionnel. La commission a maintenu le système semi-prési-
dentiel avec un Président de la République élu pour un mandat de cinq ans
renouvelable seule une fois. Il résulte de ce qui précède que les révisions consti-
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Après quelques années d’euphorie, le constitutionnalisme africain est à nou-
veau sur la sellette. Certains ont alors conclu qu’il souffre d’un vice congéni-
tal114. Pourtant, tout laissait entrevoir que le constitutionnalisme avait à nou-
veau trouvé asile dans l’État de droit115. « Des lendemains qui chantent116 »
pour le constitutionnalisme pointaient à l’horizon. Paradoxalement l’espoir a
laissé la place au désappointement « rangeant ainsi le constitutionnalisme au
rayon des illusions perdues117 ». En réalité, les chants du constitutionnalisme,
comme les décibels des vuvuzela118, sont devenus inaudibles entraînant un
« désenchantement constitutionnel119 ». La Constitution est, en effet, tantôt
asservie par les faits (A) tantôt desservie par le droit (B).
est devenue un texte ordinaire voire banal123. Pourtant, l’on avait cru, à la
faveur ou à l’issue des transitions démocratiques, à la résurrection124 de la
Constitution. Croyance rendue caduque par la vague des « nouveaux
conflits125 » et leurs cortèges d’accords politiques qui inaugurent la seconde
mort de la Constitution. En effet, ces accords politiques, formes alternatives de
règlement des questions constitutionnelles126 (1) favorisent le retour des
régimes non constitutionnels (2).
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parallèlement à la Constitution, informent, aujourd’hui le fonctionnement des
pouvoirs publics constitutionnels. L’accord inter-ivoirien de Linas-Marcoussis,
en fournit un exemple révélateur. Il fixe à la fois le statut du Premier ministre
et ses rapports avec le Président de la République128.
A priori, on a pu voir dans ces accords un certain dynamisme constitution-
nel. On peut même croire à l’émergence de conventions de la Constitution en
Afrique noire129. Mais en réalité, comme le fait remarquer fort justement le pro-
fesseur F. M. Djedjro, la succession des arrangements politiques a pour effet de
créer des incertitudes sur la notion de Constitution130. L’idée de malaise dans la
Constitution retrouve ici une actualité. Ce malaise ou cette incertitude peut
s’apprécier tant du point de vue normatif que du point de vue institutionnel.
Sur le premier point, se référant à la conception normative ou kelsenienne,
la Constitution est l’ensemble des règles qui se caractérise par sa suprématie sur
les autres règles. Ce qui induit la conformité des règles inférieures et corrélati-
vement en cas de contrariété leur invalidité, avec comme conséquence que, dans
le meilleur des mondes juridiques, elles ne devraient jamais entrer en vigueur
ou toutes être supprimées de l’ordre juridique. Or justement, ce sont ces prin-
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On pourrait objecter, notamment dans le cas ivoirien, qu’un tel arrangement
était rendu inéluctable. On pourrait même y voir des conventions de la Consti-
tution et conclure « à un véritable enrichissement constitutionnel136 ». Au sur-
plus, ne dit-on pas que la « Constitution posée n’est pas à elle seule, la garantie
sans faille de l’ordre juridique137 ». Autrement dit, comme le constate le doyen
Vedel, la Constitution ne peut soumettre toute la vie politique à sa raison138.
En France en effet, le fonctionnement de l’État n’est pas entièrement subor-
donné au droit et à la loi139. Des pans importants de la vie politique et juri-
dique se sont développés en marge sinon en dehors du texte constitutionnel140.
C’est d’ailleurs ce qui ressort de la pratique constitutionnelle française et
notamment de ces propos du général de Gaulle lorsqu’il affirme que « le Prési-
dent de République détient par la volonté du peuple l’autorité indivisible de
l’État, définit l’orientation politique nationale et dispose de la faculté de chan-
ger le Premier ministre141… ».
131. L’accord d’Arusha du 4 août 1933 en son article 47 qu’« en cas de conflit entre les
autres dispositions de la Constitution et celles de l’accord de paix, ces dernières prélavent ».
Voir sur ce point F. Reyntjens, « La production constitutionnelle en situation de crise : les
cas du Rwanda et du Burundi », in La création du droit en Afrique, D. Darbon et J. du Bois
de Gaudusson (dir.), Karthala, 1997, p. 292-307.
132. L’accord de Linas Marcoussis du 23 janvier 2003.
133. La Charte de la transition à Madagascar, août 2009.
134. A. Kpodar, « Politique et ordre juridique : les problèmes constitutionnels posés par
l’accord de Linas Marcoussis, du 23 janvier 2003 », art. cit., p. 2520.
135. A. Bourgi, art. cit., p. 725.
136. D. Maus, « Où en est le droit constitutionnel ? », in Mélanges en l’honneur de
F. Moderne, Mouvement du droit public, du droit administratif au droit constitutionnel, du droit
français aux autres droits, Dalloz, 2004, p. 711.
137. D. Rousseau, « Question de Constitution », in Mélanges en l’honneur de Gérard Conac,
Le nouveau constitutionnalisme, Économica, 2001, p. 6.
138. Cité par D. Rousseau, idem, p. 8.
139. Voir S. Pinon, « Le pouvoir exécutif dans l’œuvre constitutionnelle de Maurice Hau-
riou (1856-1929) », Revue d’histoire des facultés de droit et de la science juridique, 2004, p. 134.
140. Voir P. Avril, « Les conventions de la Constitution. Une “jurisprudence orga-
nique” », Itinéraires d’un constitutionnaliste, Mélanges en l’honneur de Francis Delpérée, Bruxelles,
Bruylant, LGDJ, 2007, p. 126-138.
141. Cité par D. Rousseau, idem, p. 10.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e75
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Vraisemblablement, comme le laissait croire leur initiateur, les accords
politiques ne semblent pas conduire vers une vie politique apaisée. Bien au
contraire ils créent les conditions favorables au retour des régimes non
constitutionnels.
mœurs150. La Constitution, plus qu’hier, est marquée par une instabilité répéti-
tive et chaotique.
Naguère, l’une des explications de cette désacralisation se trouvait dans l’ir-
ruption de l’armée dans la vie politique151. L’on avait cru qu’un tel phénomène
appartenait au passé de la pratique constitutionnelle en Afrique. D’ailleurs l’at-
titude de la communauté internationale contribuait à renforcer cette
croyance152. Mais « l’espoir de la fin des coups d’État n’a duré que le temps d’un
rêve153 ». La situation de la Guinée et du Niger nous rappelle que l’armée
exerce encore « sa tutelle »154 sur les institutions républicaines. Cette forme de
« protectorat militaire155 » retrouve une telle actualité en raison des enjeux géo-
politiques liés aux rébellions internes, aux guerres frontalières, et autres dis-
putes autour des ressources naturelles156.
Peut-être, parfois, l’attitude des autorités constitutionnelles n’offre d’autres
alternatives que les coups d’État157. C’est vrai que certains ont cru voir dans
l’intervention de l’armée un moyen de développement économique et/ou la
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modernisation politique158. L’exemple du Mali venait corroborer leurs propos159.
Mais en réalité, la situation malienne n’est qu’anecdotique. Dans la plupart
des cas les coups d’État posent les jalons de l’instabilité des institutions. Il ne
pouvait en être autrement. Ces expériences, invariablement, s’accompagnent de
l’abrogation, à tout le moins de la suspension de la Constitution. Le coup
d’État emporte en effet, à la fois le chef de l’État, les institutions, la Constitu-
tion. La légalité normale étant en vacance, la sécurité juridique cède la place à
l’insécurité juridique160.
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nalisme en Afrique noire francophone. Il en résulte que la « Constitution cesse
de gouverner la dévolution et l’exercice du pouvoir politique168… ».
Cette « dévalorisation du constitutionnalisme169 » n’est pas seulement liée
aux faits. Le droit à travers l’usage qu’en font les institutions, nationales et
internationales, tient sa part.
161. En Côte-d’Ivoire après avoir indiqué que le pouvoir ne l’intéressait pas, le général
R. Guei, arguant que c’était la volonté du peuple, se présenta aux élections présidentielles.
Il les perdra, non sans avoir tenté de confisquer le pouvoir en prétendant passer outre le
résultat de l’élection.
162. Voir B. Kante, « Instabilité politique et reconstruction de l’État en Afrique : des
vicissitudes du fédéralisme à un changement de paradigme », Cahier des écoles doctorales,
Faculté de droit de Montpellier, n° 3, juin 2003, p. 37-62.
163. L’ancien président de la Cour constitutionnelle, R. Ratsirahona, affirmait : « Je ne
dirai pas que c’est anticonstitutionnel, je dirais que c’est extraconstitutionnel… ».
164. Ordonnance n° 2009 -001 du 17 mars 2009.
165. Ordonnance n° 2009-002 du 17 mars 2009.
166. Ordonnance n° 2009-003 du 19 mars 2009.
167. V. Foucher, « Difficiles successions en Afrique subsaharienne : persistance et recons-
truction du pouvoir personnel », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 131.
168. F. Wodie, « Régimes militaires et constitutionnalisme en Afrique », art. cit.,
p. 196.
169. G. Conac, « Les processus de démocratisation en Afrique », l’Afrique en transition vers le
pluralisme politique, op. cit., p. 12.
170. J. du Bois de Gaudusson, art. cit., p. 338.
171. Voir sur ce point, M. Bleou, « La Constitution ivoirienne, la crise et la réconcilia-
tion nationale », colloque international sur les processus de réconciliation nationale et les
défis de la construction de l’État démocratique, Ouagadougou, 16-18 décembre 2008, p. 1-
21. L’article 35 de la Constitution ivoirienne relatif aux conditions d’éligibilité est au cœur
de la crise ivoirienne.
e78 Karim Dosso
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« Une Constitution ça se révise174. » Cette boutade, que l’on doit à
A. Thiam à propos du Sénégal n’est-elle pas en réalité révélatrice du malaise
général de la Constitution ou de la pratique constitutionnelle en Afrique noire
francophone ? « Le révisionnisme frénétique175 » en Afrique pourrait le laisser
croire.
Pourtant le phénomène n’est pas propre à l’Afrique176. D’ailleurs en France,
la commission Vedel soulignait que trop de rigidité risquerait de ruiner l’édifice
constitutionnel177. D’où vient alors l’idée de la manipulation constitutionnelle ?
Il ne s’agit pas ici de revenir sur la possibilité et la nécessité de réviser
la Constitution178. Une telle question a été débattue et finalement réglée par
les constituants de Philadelphie et les révolutionnaires français de 1791179.
Ce qui est utile à la réflexion et qui accrédite l’idée de la manipulation ou de
l’instrumentalisation constitutionnelle, c’est l’enjeu et l’objet qui soutend ces
révisions.
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effet intégré dans l’œuvre constituante186.
Un tel raisonnement est valable dans les démocraties occidentales où la pra-
tique et l’histoire enseignent qu’au bout de deux mandats le Président sortant ne
se représente plus en général187. Elle ne peut prospérer en Afrique où, comme le
souligne fort à propos B. Gueye, « l’histoire politique… instruit… qu’un très long
séjour à la tête d’un État conduit souvent à la personnalisation du pouvoir… ».
Cette volonté affichée par les constituants d’assumer l’histoire se « renverse alors
en une prétention à maîtriser l’avenir188 ». Il s’agit donc d’une « protection sup-
plémentaire contre l’établissement d’un pouvoir personnel189 ». Et les récents
événements au Niger190 montrent qu’une telle clause n’est pas superfétatoire.
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une révision en période de vacance.
Suite à cette alchimie constitutionnelle, M. F. Natchata Ouattara, est rem-
placé par F. Eyadema qui devient le nouveau Président de l’Assemblée natio-
nale. La voie de l’accession à la magistrature suprême était ainsi tracée pour
Eyadema fils.
Loin d’être la réponse aux contingences sociales, les révisions constitution-
nelles sont au service des intérêts politiques circonstanciels. La prolongation des
mandats électifs sans élection participe de cette perversion de l’usage du
droit195.
« Les régimes modernes tiennent l’élection pour signe visible et infaillible
de la démocratie196. » Cette formule pour être infaillible induit « l’élection des
dirigeants au suffrage universel à travers des élections compétitives, disputées à
intervalles réguliers197 ». Or cette exigence générale de toute démocratie d’or-
ganiser198, à terme échu, des élections semble être en sursis en Afrique noire
francophone.
191. De plus en plus les fils succèdent aux pères. Ce fut le cas au Togo et au Gabon. Au
Sénégal l’on prête au Président A. Wade, de préparer un destin présidentiel pour son fils
K. Wade.
192. Article 65 de la Constitution du 27 septembre 1992, révisée le 31 décembre 2002
dispose : « En cas de vacance de la présidence de la République par décès, démission ou
empêchement définitif, la fonction présidentielle est exercée provisoirement par le président
de l’Assemblée nationale… Le gouvernement convoque le corps électoral dans les soixante
jours de l’ouverture de la vacance pour l’élection d’un nouveau Président de la Répu-
blique ».
193. Article 144 dispose : « Aucune procédure de révision ne peut être engagée ou pour-
suivie lorsqu’il est porté atteinte à l’intégrité du territoire ».
194. J.-L. Atangana Amougou, « Les révisions constitutionnelles dans le constitutionna-
lisme africain », art. cit., p. 17.
195. Voir P. F. Nkot, Usages politiques du droit en Afrique. Le cas du Cameroun, Bruxelles,
Bruylant, 2005.
196. F. Wodie, « Le contentieux des élections législatives en Côte-d’Ivoire (à la lumière
de la loi du 1er septembre 1980) », op. cit., p. 325.
197. Philippe Braud, Sociologie politique, 8e édition, LGDJ, 2006, p. 223 ; Philippe Lau-
vaux, Les grandes démocraties contemporaines, collection Droit fondamental, PUF, 2008, p. 40.
198. L. Touvet, Y.-M. Doublet, Droit des élections, Paris, Économica, 2007, p. 164. Voir
également T. Holo, « La Constitution, garante de l’alternance démocratique », op. cit., p. 2-16.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e81
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prolongés. Même au Bénin une telle volonté s’était fait jour. Elle fut neutrali-
sée par une décision audacieuse de la Cour constitutionnelle204.
Il faut redonner au peuple sa souveraineté pour qu’il désigne, à travers des
élections, les représentants de son choix. Or l’encadrement international du
pouvoir constituant africain ne favorise pas cette option.
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Une telle attitude qui s’apparente à une dépossession du peuple de sa
souveraineté n’est pas un problème en soi. D’ailleurs, comme le note Claude
Klein, le dessaisissement de l’État de ce pouvoir résulte de divers facteurs dont
son affaiblissement du fait de crise sociopolitique grave et de la volonté de la
communauté internationale d’y répondre. La fin est sans aucun doute légitime211.
Mais là où surgit la difficulté, c’est que parfois, cette prise en charge des ques-
tions constitutionnelles donne « lieu et naissance à des montages surprenants212 »
ou des « dispositions de dupe213 » mettant en péril le constitutionnalisme.
Les soubresauts constitutionnels de la Côte-d’Ivoire depuis la crise de sep-
tembre 2002, témoignent, s’il en était besoin, que le constitutionnalisme est
dévalué par les décisions des organismes intergouvernementaux et notamment
les résolutions des Nation Unies214. Une lecture même rapide de la résolution
1721 permet de constater de nombreuses incohérences. Alors que dans le para-
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CONCLUSION
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Succomber alors au charme de l’idée de la fatalité de la crise du constitu-
tionnalisme était tentant. Mais l’émotion contenue, la lucidité retrouvée, se
décline ou se dénoue alors l’énigme du constitutionnalisme en Afrique noire
francophone. La crise du constitutionnalisme n’est ni congénitale, ni liée au
mimétisme224. D’ailleurs l’étude du professeur J. Rivero225 montre que les phé-
nomènes d’imitation ne sont pas consubstantiels à l’Afrique. Aussi la solution
ne réside donc pas dans la négation du constitutionnalisme, en lui substituant,
comme le propose C. Milhat, des concepts plus idoines tel que celui de « l’es-
pace réel », de façon à ce que l’Afrique réinvente ses propres paradigmes226.
La solution, pour nous, se trouve dans la réhabilitation d’un principe simple
et universel : le principe de la généralité et de l’impersonnalité de la règle de
droit, ici la norme constitutionnelle.
En réalité le contournement de ce principe n’est pas étranger aux crises qui
secouent l’Afrique. Le feuilleton constitutionnel ivoirien, à travers les revire-
ments du général Robert Guei du « et » et du « ou »227 est un exemple
topique. On avait soupçonné une telle tergiversation comme la volonté de la
222. Voir G. Conac, « La modernisation des droits en Afrique du droit de l’État à l’État
de droit », art. cit., p. 287.
223. J. du Bois de Gaudusson, « Sur l’attractivité du modèle de la Constitution de 1958
en Afrique, cinquante ans après », 1958-2008, Cinquantième anniversaire de la Constitution
française, AFDC, Dalloz, 2008, p. 677.
224. Voir sur cette question les nombreuses contributions de J. du Bois de Gaudusson,
« Les nouvelles constitutions africaines et le mimétisme », La création du droit en Afrique,
D. Darbon, J. du Bois de Gaudusson (dir.), Karthala, 1997, p. 309-316. ; « Constitution
sans culture constitutionnelle n’est que ruine du constitutionnalisme », art. cit., p. 332-
347 ; « Le mimétisme postcolonial, et après », Pouvoirs, n° 129, 2009, p. 45-55.
225. J. Rivero, « Les phénomènes d’imitation des modèles étrangers en droit administra-
tif », in Mélanges Walter Jean Ganshof van der Meersch, Bruylant, 1972.
226. C. Milhat, « Le constitutionnalisme en Afrique francophone. Variations hétérodoxes
sur un requiem », art. cit. p. 8 et s.
227. Par deux fois le général Robert Guei, est intervenu de façon autoritaire pour modi-
fier le projet de loi constitutionnelle. Voir décret n° 2000-383 du 24 mai 2000 portant
publication des projets de Constitution et du Code électoral, JORCI, n° 5 (spécial), vendredi
26 mai 2000. Décret n° 2000-497 du 17 juillet 2000 portant modification du projet de
Constitution, JORCI, n° 28 du jeudi 20 juillet 2000.
Pratiques constitutionnelles dans les pays d’Afrique noire francophone e85
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