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Figures Du Temps Discursif
Figures Du Temps Discursif
Temporalités
Revue de sciences sociales et humaines
6/7 | 2007
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Monique Sassier
https://doi.org/10.4000/temporalites.229
Abstracts
Français English
Le temps discursif, ou temps interne au discours, est le fruit d’une mise en scène d’un temps
supposé externe (« réel » – mesurable ou vécu –, fictionnel ou autre), au moyen, en particulier,
des temps grammaticaux. Cet article ne s’attarde ni sur les problèmes philosophiques ou
perceptifs liés au temps externe, ni sur la question technique de l’articulation des temps
grammaticaux ; il met l’accent sur la complexité de l’ancrage temporel porté par le présent
discursif et montre comment son interprétation est tributaire de la situation d’énonciation,
distincte de la situation de production, ainsi que du type d’inscription du texte dans le monde
(échanges quotidiens, presse, ouvrage scientifique, etc.). La problématique des ancrages
situationnels est éclairée par l’étude de ceux qui sont à l’œuvre dans les écrits théoriques,
considérés en corpus, particulièrement riches en ce domaine.
Time in discourse, or time internal to discourse, is the result of having staged a supposedly
external time (« real » – measurable or experienced in real life –, fictional or otherwise), by way,
more specifically, of grammatical tenses. This article does not linger on the philosophical or
perceptive problems connected to external time, nor on the technical question of how
grammatical tenses operate ; the accent is placed rather on the complexity of the temporal
anchoring represented by the discursive present and shows how its interpretation depends on the
situation of utterance, distinct from the situation of production, as well as on the way a text is
inscribed in the world (whether in daily exchanges, in the press, in a scientific opus, etc.). The
problem of situational anchoring is illuminated by studying how it works in theoretical writings,
considered as corpora, and particularly rich in this respect.
Index terms
Index de mots-clés : discours, situation d’énonciation, ancrage temporel, ancrage situationnel,
registre discursif
Index by keyword: discourse, situation of utterance, temporal and situational anchoring,
discursive register
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Full text
1 La réflexion proposée ici s’origine dans une analyse de discours à visée sociologique.
Les matériaux de base de cette analyse de discours sont les formes langagières telles
qu’elles apparaissent dans les textes1 étudiés, en lien avec leur fonctionnement dans la
communauté linguistique (non pas celle des linguistes, mais celle des usagers de la
langue). Observer ce fonctionnement est donc nécessaire à la constitution d’outils
d’analyse. Or, il semble que l’étude linguistique de l’expression de la temporalité tienne
le plus souvent pour évident que le présent grammatical est assimilable au présent de
production du discours, les cas problématiques étant soit non vus, soit rapidement
évacués comme nous le verrons chez Benveniste concernant le présent historique par
exemple. Culioli, prenant au sérieux cet usage particulier, évoque pour sa part un repère
décroché. Cependant cet auteur n’évoque que des cas où la phrase contient un
marqueur temporel (quand, par exemple) de disjonction d’avec le présent de
profération. Nous verrons qu’un tel repère décroché peut être mis en place non
seulement par un marqueur langagier, mais aussi par certaines formes d’inscription du
discours dans le monde.
2 Notre proposition trouve son origine première dans les travaux de Benveniste qui
distingue « deux plans d’énonciation différents, [...] celui de l’histoire et celui du
discours » :
« Les temps d’un verbe français ne s’emploient pas comme les membres d’un
système unique, ils se distribuent en deux systèmes distincts et complémentaires.
Chacun d’eux ne comprend qu’une partie des temps du verbe ; tous les deux sont
en usage concurrent et demeurent disponibles pour chaque locuteur. Ces deux
systèmes manifestent deux plans d’énonciation différents, que nous distinguerons
comme celui de l’histoire et celui du discours.
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26 La temporalité du monde imaginé de l’allocutaire semble devoir être encore plus rare,
et sans doute circonscrite à la vulgarisation, mais peut donner lieu à des morceaux
d’anthologie tels celui que l’on trouve sous la plume d’Albert Einstein :
« Sans doute avez-vous, cher lecteur, quand vous étiez jeune garçon, fait la
connaissance du superbe édifice de la Géométrie d’Euclide, et vous vous rappelez
peut-être, avec plus de respect que de plaisir, cette imposante construction sur le
haut escalier de laquelle des maîtres consciencieux vous forçaient de monter
pendant des heures innombrables. En vertu de ce passé vous traiteriez avec
dédain toute personne qui regarderait même la moindre proposition de cette
science comme inexacte. Mais ce sentiment de fière certitude vous abandonnerait
peut-être, si l’on vous posait cette question : “Qu’entendez-vous par l’affirmation
que ces propositions sont vraies ?” A cette question nous voulons nous arrêter un
peu. »18
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Ouvertures
38 A chaque type de monde de référence correspond, d’une part une posture énonciative
(lieu de la prise en charge originelle) que nous appelons énonciateur23, d’autre part une
origine des repérages énonciatifs (y compris celui lié à l’attribution syntaxique de valeur
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Notes
1 Précisons que nous appelons « texte » toute séquence langagière, écrite ou orale, susceptible de
faire sens.
2 Benveniste, 1959, réédité dans Benveniste 1966, pp. 238-239.
3 Ibid, p. 245 (note de bas de page).
4 On sait par ailleurs que les temps grammaticaux du français, contrairement à ce qui se passe
dans d'autres langues, supportent des significations aspectuelles non strictement temporelles
(accompli / non accompli, ou perfectif / imperfectif, par exemple).
5 Interdiscours et inter ou intra texte se distinguent en ce que le premier réfère à du discours, des
propos tenus, et le second à un repérage matériel tel « nous le verrons au chapitre suivant ».
6 Première réalisation d’un véhicule terrestre à vapeur en 1769.
7 Définition du pronom personnel je par Benveniste en 1956 dans « La nature des pronoms »,
Benveniste, 1966, p. 252.
8 Achard, 1995b, p. 8. On trouve la formulation « accumulation de “textes” dans un même
voisinage » dans Achard, 1995a, p. 84. Un autre article évoque « la circulation effective des
discours entre des locuteurs partageant une même place sociale », Achard, 1989, p. 47. Dans une
première approximation, on peut définir l'indexicalité comme recouvrant tout ce qui est
tellement bien partagé que l’idée même d’en faire mention n’effleure pas l’esprit. Par exemple,
lorsqu’il fut, plus haut, question du présent grammatical du verbe, il allait sans dire que la
grammaire sollicitée était celle de la langue française…
9 Achard, 1993, p. 89. Le non marqué est ce qui ne surprend pas. Par opposition, trouver un tu
dans un texte mathématique serait surprenant, et donc marqué.
10 Le problème étant de savoir si l’homme « construit » la mathématique ou s’il met au jour un
déjà là.
11 encore que celui-ci puisse être un leurre : on pensera à Nicolas Bourbaki, auteur collectif
évolutif.
12 « Enonciativement, l'attitude “en collègue” est une attitude de co-énonciation avec prise en
charge, un “engagement”. L'autre attitude, qui constitue le texte en corpus, dans la terminologie
que nous utilisons, l'objective, le distancie au maximum. », Achard, 1997, p. 6.
13 Elias, 1993, pp. I-II.
14 Elias, 1993, p. 12.
15 Elias, 1993, p. 10.
16 Les « je » de cette phrase sont à comprendre en mention, d'où leur statut de troisième
personne grammaticale...
17 Achard, 1997, p. 5.
18 Einstein, La relativité, p. 7.
19 Pour un développement fin sur les notes de bas de page, on pourra se référer à la thèse en
cours d’achèvement de Julie Lefebvre.
20 Elias, 1993, p. 50.
21 Dans chaque dimension (de la personne, temporelle, locative, d'attribution syntaxique de
valeur de vérité), trois opérations de repérage peuvent être déclenchées associées respectivement
à l'identité (déclenchée par je, par exemple), l'altérité (tu) et la rupture (il) ; chacune peut être
suivie d'une expansion à partir de la position atteinte (notées respectivement 0, 1 et ) lors de
l'opération précédente (nous déclenche une expansion à partir de la position 0, vous de 1 et on de
). Sassier 2004, à partir des travaux de Benveniste, 1946, Culioli, 1973, Achard, 1996, et Guitart,
communication personnelle.
22 Culioli, 1973, réédité dans Culioli, 1999 a.
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23 L'énonciateur est, en tant qu'il énonce, un point distingué d'un univers d'observateurs, lieu de
la prise en charge (Achard, 1996 ; Sassier, 2004).
24 Ce point est développé dans Sassier, 2004.
References
Electronic reference
Monique Sassier, “Figures du temps discursif”, Temporalités [Online], 6/7 | 2007, Online since 08
July 2009, connection on 08 March 2023. URL: http://journals.openedition.org/temporalites/229;
DOI: https://doi.org/10.4000/temporalites.229
Copyright
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