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Chapitre 14 - La justice

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La justice peut-elle tolérer l’inégalité ?
1. Définition
 La justice est d’abord la vertu des échanges et de la distribution. Il
s'agit de donner à chacun ce qu’il lui appartient de recevoir suivant son
mérite ou son démérite : droits, biens ou châtiments. Elle est ensuite une
institution qui juge les crimes et les délits.

 La justice commutative règle les échanges suivant une proportion mathé-


matique : les deux termes échangés ont la même valeur.

 La justice distributive règle les échanges suivant une proportion géomé-


trique : le don le plus important va au plus méritant.

 La justice sociale donne à tous les moyens indispensables pour survivre et


progresser dans la communauté humaine. Elle se doit donc de compenser
les inégalités de départ, en créant des conditions d’équité.

 La justice répressive correspond à l’appareil judiciaire et fixe les sanc-


tions, les confiscations, les privations et l'application des peines.

2. Les inégalités peuvent être justes


 Si la justice est la vertu du partage rationnel (réalisé avec justesse), on
peut initialement penser qu’elle consiste à partager un bien suivant le
principe de la stricte égalité. Cependant, la justice doit tolérer les inégali-
tés, dans la mesure où elles sont équitables : celui qui contribue le plus à
une tâche mérite de recevoir plus, comme l’affirme Mill.

 Pourtant, le mérite doit-il récompenser l’effort ou bien la seule efficacité ?


En effet, favoriser le premier n’incite guère celui qui pourrait être plus ef-
ficace ; et favoriser la seconde revient à donner un avantage social à celui
qui a déjà le bénéfice du talent.
3. Les inégalités peuvent être bénéfiques à tous
 Pour assurer la justice sociale, Rawls nous invite pourtant à approuver
certaines inégalités dans la mesure où elles ont, malgré tout, un avantage
pour l’ensemble de la société. Si la richesse d’une minorité permet de
créer des infrastructures publiques (sportives ou médicales, par exemple)
la fortune de quelques-uns est un bien pour tous. Mais ce principe de dif-
férence ne doit entrer en application qu’une fois que le principe de la
plus grande équité est réalisé.

4. Le droit, condition et forme de la justice


 La justice est la sortie de l’arbitraire, l’instauration des mêmes règles
pour tous, le souci de la proportionnalité dans la punition.

 Le droit coïncide avec le moment où les hommes se mettent d’accord sur


des règles communes : les décisions, les actions, les relations intersub-
jectives vont désormais se placer sous ces règles. La justice est insépa-
rable des lois, ce que l’étymologie du terme de justice nous indique
(« justus » en latin signifie « conforme au droit »).

 Le droit revêt ce que Rousseau appelle une « double universalité », qui


seule peut garantir la justice : universalité de l’objet (la loi ne fait pas ré-
férence aux hommes comme individus singuliers mais comme citoyens
ou personnes abstraites), et universalité de la volonté car l’instauration
des règles juridiques doit émaner de la volonté générale.

 Le droit se caractérise par son impartialité : il suppose et garantit l’in-


troduction d’un tiers dans les règlements des conflits. Le droit s’ap-
plique de la même façon à tous, sans exception : c'est ce qu'on appelle
l'isonomie. Les lois se caractérisent par leur accessibilité publique, elles
doivent pouvoir être connues de tous (« nul n’est censé ignorer la loi ») :
c'est le principe de publicité des lois.

 Le droit s’oppose à l’usage de la force par les particuliers. Ainsi la ven-


geance n’est pas justice puisqu’elle sert une passion individuelle et reste
arbitraire. Lorsque le droit se présente sous la forme de la vengeance, He-
gel considère qu’il est une nouvelle offense qui provoque de nouvelles
vengeances et ne permet plus de garantir la justice.

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Les fins de la justice
1. La vertu de justice
 Pour les philosophes de l’Antiquité, la justice est désirable en elle-
même, car elle conduit au bien humain suprême (voir l’analogie de Pla-
ton dans la République entre l’harmonie des parties de l’âme et l’har-
monie de la cité juste). Ainsi il vaut mieux subir l’injustice que la
commettre puisque l’âme n’est pas pervertie dans le second cas.

 Aristote montre que la vertu de justice ne fait pas que découler des insti-
tutions justes : elle vient aussi les parfaire. Une cité juste engendre bien
des hommes justes : un homme élevé sous de bonnes lois finira par dé-
velopper une disposition à vouloir les actions que les lois prescrivent.

2. Sécurité, propriété et liberté


 Pour la pensée moderne, les institutions n’ont pas à rendre les citoyens
vertueux mais à rendre possible la coexistence des individus. Sans
elles, les hommes, poursuivant chacun leur intérêt personnel, seraient
dans un état de guerre permanent (Hobbes et le Léviathan).

 Le but de toute société civile et l’instauration de la justice, selon les trois


pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire, ont pour objectif d’assurer la
protection de la propriété (Locke).

 L’utilitariste John Stuart Mill désigne la liberté individuelle comme


fonction première de la justice : chacun doit jouir de la plus grande li-
berté possible, tant qu’il ne commet aucun tort envers autrui.

3. L’égalité
 Une dernière finalité de la justice semble bien être l’égalité, mais en quel
sens exactement ?
 Aristote distingue deux espèces d’égalité à partir de la distinction entre la
justice corrective et la justice distributive. L’égalité stricte de la justice
corrective concerne toutes les transactions passées dans un cadre privé et
la justice pénale, qui concerne la réparation des torts et la punition du
coupable. L’égalité proportionnelle de la justice distributive porte sur
les divers biens à répartir au sein de la cité.

 Le problème qui demeure est celui de savoir comment déterminer les cri-
tères de la répartition. La position égalitariste revendique ainsi une re-
distribution des biens qui tienne compte du mérite et des inégalités
sociales.

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Les fondements de la justice
1. Un fondement divin
 Selon Aristote, la justice ne se conçoit que sur la base de l’amitié. Cette
amitié est une forme de considération minimale qui crée un lien, un point
de communauté, entre les gouvernants et les gouvernés. La justice sup-
pose de créer avec autrui un type de rapport qui dépasse le pur intérêt.
Ainsi il n’y a pas de justice entre l’instrument et l’artisan, pas plus entre
le maître et l’esclave, la justice supposant une communauté que l’ami-
tié rend possible.

 Les trois monothéismes ont situé en Dieu l’origine de la justice et du


droit. La Justice divine est représentée par les religions comme un mo-
dèle et un fondement à la justice imparfaite des hommes.

 Une rupture s’opère aux XVIIe et XVIIIe siècles, où des écrivains et phi-
losophes s’interrogent sur le fondement divin de la justice.

2. Un fondement moral
 La variabilité des lois selon le lieu et les époques peut conduire à adopter
un point de vue relativiste. C'est ce qu'exprime Pascal par la formule :
« Vérité en deçà des Pyrénées, erreur au-delà ».
 Cependant, nous sommes capables de porter un jugement critique vis-à-
vis du droit ou d’une norme de justice défaillante. Cela ne nous in-
dique-t-il pas que la justice ne saurait être simplement fondée par les ins-
titutions ?

 Les théoriciens modernes du droit naturel vont s’attacher à démontrer


que l’individu possède un certain nombre de droits inaliénables qui
doivent jouer le rôle de fondement du droit positif. Ces droits sont inhé-
rents à tout homme, quel qu’il soit : droit de conservation, liberté, etc.

 L’article 2 de la Déclaration universelle des Droits de l’homme et du ci-


toyen du 26 août 1789 reprend l’ensemble de ces droits naturels : « ces
droits sont la liberté, la propriété, la sûreté et la résistance à l’oppres-
sion ».

 Des auteurs contemporains, comme Léo Strauss, affirment l’importance


d’un droit naturel pour pouvoir juger de la valeur de nos lois civiles en
s’appuyant sur une norme supérieure.

3. Un fondement politique
 Le fondement du droit par lui-même : le positivisme juridique soutient
qu’il n’y a pas de justice anté-juridique, précédant la définition précise
des droits dans les textes de loi, mais que la justice se réduit au droit
institué avec toutes ses garanties.Cette école de pensée, nommée positi-
visme juridique, est représentée par Kelsen ou Bentham.

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Faire progresser la justice
1. Le pouvoir judiciaire
 La Constitution et les lois sont légales lorsqu’elles sont émises sans
contrevenir aux règles formelles du droit législatif, mais elles ne sont lé-
gitimes que si elles garantissent la liberté des citoyens et leurs droits fon-
damentaux : intégrité physique, liberté d’opinion, d’expression, de
conscience, d’association. La légalité est la qualité d’une forme, la légiti-
mité est la qualité d’une finalité du pouvoir judiciaire.
 Le pouvoir ne doit pas être concentré dans les mains d’un seul homme,
d’une seule institution ou d’un seul groupe. Suivant Montes-
quieu dans L’Esprit des lois, il faut organiser le pouvoir selon une divi-
sion étanche : les individus chargés de la rédaction des lois (pouvoir lé-
gislatif), ceux qui les mettent en œuvre (pouvoir exécutif) et ceux qui ré-
priment les transgressions (pouvoir judiciaire) devront être indépen-
dants.

 Le rôle des juges est lui aussi capital, en vue de l’instauration d’une jus-
tice véritable. Juger vient de l’allocution jus dicere, qui a donné judicare.
C’est donc dire le droit, prononcer le droit. Juger, c’est aussi parfois in-
terpréter la loi de telle sorte que celle-ci puisse s’appliquer à des cas im-
prévus de la meilleure façon (Aristote).

2. Vers une plus grande justice sociale


 L’exigence de progrès vers une société plus juste se fait dans la réparti-
tion des biens et dans le cadre d’une mise en oeuvre concrète des
droits. D’un point de vue économique et social, la paupérisation d’une
partie de la population mondiale, les inégalités flagrantes qui continuent
de se creuser dans chaque pays, les discriminations selon le sexe ou l’ori-
gine ethnique sont loin d’avoir disparues.

 La question devient de savoir selon quelles modalités les pouvoirs pu-


blics, le droit international et l’action individuelle se doivent d’engager
des mesures efficaces et pouvant être reconnues comme légitimes par
l’ensemble des citoyens.

 La justice internationale repose la question de la relativité des


normes en fonction des choix idéologiques, religieux, politiques et philo-
sophiques de chaque nation. Une justice internationale est-elle d’ailleurs
concevable sans un État de droit minimal fédérant les nations ?

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