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RFPS 028 0125
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FÉLICIE NAYROU
Le stress est mis à toutes les sauces de la sémiologie de notre vie quoti-
dienne. On le dit à l’origine d’accidents de voiture, de malaises cardia-
ques, d’insomnies, ou de mésententes conjugales… et la liste de ses
méfaits ainsi remarqués est loin d’être exhaustive. Par ailleurs, si le DSM-III
le considère comme la conséquence de traumatismes avérés, on le voit
également comme l’effet d’un certain mode de vie spécifiquement
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violente tempête ; ils étaient cinq à bord, un autre jeune homme et trois
jeunes femmes, et Pierre se sentait en charge de la responsabilité de tout
le monde. D’une façon factuelle, il dit le déchaînement des éléments
pendant toute cette nuit, puis ajoute qu’il a été envahi à la fois par la
terreur et par un sentiment d’impuissance, et qu’il a souffert de
violentes douleurs abdominales ; il dit aussi qu’il a lutté, qu’il s’est
efforcé de tenir le cap, mais qu’il avait perdu toute confiance en lui, qu’il
avait tenu « mécaniquement », mais qu’« un ressort était cassé ».
L’histoire en mer s’est bien terminée, mais le lendemain il a eu très mal
au ventre, et le surlendemain, les premiers symptômes de sa maladie sont
apparus.
Au début de la thérapie, deux ans après la tempête, le souvenir de
cette nuit-là reste toujours aussi traumatique. En l’évoquant, Pierre a
du mal à décrire la terreur qui l’étreignait et qui semble pourtant encore
présente ; il se décrit comme « figé », « immobilisé ». Mais c’est surtout
le sentiment de son insuffisance qui lui revient – « ce qui a été inquiétant,
c’est quand j’ai vu que j’étais si fragile » – et il dit répétitivement qu’il a
eu très peur de ne pas être à la hauteur, qu’il se sentait responsable aussi
bien de son ami que des trois jeunes femmes, alors qu’il se sentait tout à
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parents sont réunis et aussi parce qu’il veut les séparer, parce que je
voudrais le pénétrer comme une mère anale et aussi parce que, en posi-
tion paternelle dans le transfert, je voudrais le forcer à couper le lien
physique à sa mère, et encore parce que le couteau qui le protège peut
également le blesser. Face à tous ces dangers, il n’a pas mes « pouvoirs
extraordinaires », il est démuni parce que son pare-excitations est
effracté par toutes les excitations, et que ce qui devrait le protéger le
menace.
À partir de là, je vois plus clairement ce qu’il a nommé « le stress » et
qu’il pense être à l’origine de la désorganisation psychique précédant le
déclenchement de sa maladie : c’est une angoisse automatique liée à un
traumatisme ayant effracté son pare-excitations. Le rêve fournit une
représentation actuelle polymorphe et riche de ce qui a sans doute fait ce
traumatisme, représentation si bien condensée dans la réalité par la mer
en furie : sa terreur devant l’objet primaire qui devient hostile, l’échec
du contre-investissement réparateur de son agressivité œdipienne, sa
peur de l’intrusion ; aux racines de ce traumatisme, s’ajoute dans son
rêve une représentation de l’auto-attaque actuelle que constitue sa
maladie.
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avoir mal dans son corps qu’être angoissé, d’autant qu’il a l’impression
de pouvoir maîtriser son corps.
Ce mouvement continue pendant quelques séances. Quand il va
mieux du point de vue somatique, il se sent angoissé, il a peur de
l’angoisse flottante permanente. Alors il est très soulagé parce qu’il a de
l’eczéma : il a l’impression de l’avoir déclenché volontairement et de
pouvoir l’arrêter quand il veut, « pour que vous ne pensiez pas que vous
avez du pouvoir sur moi ». Je me demande si, en même temps qu’il croit
me maîtriser en souffrant d’une atteinte somatique qui montre mon
impuissance, il ne pressent pas la fonction d’arrêt de la désorganisation,
par la régression à une maladie à crises. Mais, lorsqu’il cherche à éviter
l’angoisse, je le vois aussi avec inquiétude se mettre en danger : quelque
temps plus tard, quand l’eczéma a disparu et que l’angoisse est revenue,
il a mangé tout ce qui pouvait lui faire mal, et quand il a eu mal au
ventre, son angoisse a cessé.
« J’ai rêvé qu’un gros cochon rose rentrait dans mon ventre. Je
n’étais pas inquiet au réveil, j’étais même rassuré, parce que ma mère
rentrait dans mon ventre… Mais j’ai pensé que vous n’alliez pas être
contente parce que je ne coupais pas le cordon ombilical. » Il revient sur
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une feuille qu’il avait cachée dans un livre et n’avait jamais relue : « Je
préfère avoir mal, ou me faire mal, ou être stressé, qu’avoir des
angoisses. » Je lui dis que l’absence – celle de sa mère ou la mienne – est
un abandon qui le laisse impuissant et démuni et qu’il préfère redevenir
actif en se faisant mal. Lui revient alors l’absence de sa mère, quand elle
avait dû se faire opérer, il ne sait pas quel âge il avait, il ne sait pas de
quoi elle a été opérée, il ne sait pas qui l’a gardé, il se souvient qu’il ne
voulait pas aller la voir à l’hôpital. Il est sidéré par cette réminiscence,
et dit que cette absence sans explication avait dû être « terrible ». Il la
rattache à la séparation si traumatique du moment où sa mère a recom-
mencé à travailler : « Si j’avais compris que le lien fusionnel avec ma
mère ne durerait pas, j’aurais été moins mal à la séparation. » Je pense
que c’est là une condensation intéressante de ses théories personnelles de
l’angoisse : il a l’idée que le rôle de « signal d’alarme » de l’angoisse
aurait pu le protéger de l’angoisse automatique suscitée par l’abandon.
Après ce temps de l’élaboration de l’abandon, il est plus calme. Puis,
après une séance où il a été à nouveau question de la dialectique activité/
passivité, à propos de la sidération qui l’avait atteint pendant la
tempête, le travail psychique tourne à nouveau autour de sa représenta-
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C’est autour des représentations qu’a créées Pierre sur son propre
fonctionnement, et en notant combien elles devenaient plus riches, que
j’ai pu suivre l’amélioration de la mentalisation chez lui. Et ses théories
sur son stress qui condensaient des visions communément partagées et des
pensées de plus en plus marquées par l’insight ont été particulièrement
éclairantes. Mais il y a eu une autre dimension dans ces élaborations : ce
mouvement constructif s’est assurément fait autour d’un espace trans-
féro-contre-transférentiel marqué par mon attention particulière aux
conceptions de Pierre sur le stress ; et je pense que la construction de
ses représentations centrées là-dessus, si elle est bien sa construction
psychique propre liée à sa problématique, est, dans le mouvement de la
cure, une co-création, une co-production entre lui et moi.
Sa première théorie du stress, celle du « mauvais stress », ancrée sur
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SUMMARY — Considering that the heterogeneous use of the word “stress” can indicate a
fault in psychical representation, the author follows the process in psychotherapy
through the work of representation which the patient accomplishes concerning this term.
The display of mentalisation is enhanced by the co-creation between patient and analyst
of representations of bad stress and good stress, taking the re-discovery of the original
traumatism as the point of departure.
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