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ARTICLE RETIRÉ : Le bon stress et le mauvais stress

Des mises en représentations psychiques


Félicie Nayrou
Dans Revue française de psychosomatique 2005/2 (no 28), pages 125 à 136
Éditions Presses Universitaires de France
ISSN 1164-4796
ISBN 2130552269
DOI 10.3917/rfps.028.0125
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FÉLICIE NAYROU

Le bon stress et le mauvais stress,


des mises en représentations psychiques

Le stress est mis à toutes les sauces de la sémiologie de notre vie quoti-
dienne. On le dit à l’origine d’accidents de voiture, de malaises cardia-
ques, d’insomnies, ou de mésententes conjugales… et la liste de ses
méfaits ainsi remarqués est loin d’être exhaustive. Par ailleurs, si le DSM-III
le considère comme la conséquence de traumatismes avérés, on le voit
également comme l’effet d’un certain mode de vie spécifiquement
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désigné, d’un travail torturant, de relations insatisfaisantes, ou encore
de variations climatiques brutales… et parfois, comme la conséquence
de la vie elle-même. Dans cet assortiment hétéroclite de causes et de
conséquences qui trouve son assise dans les travaux de neurobiologistes,
la large indifférenciation du mot pourrait néanmoins être considérée
comme le révélateur d’un manque à se représenter quelque chose de
psychique qui fait retour avec insistance. C’est ce que j’ai trouvé intéres-
sant de voir apparaître dans le matériel d’un patient en psychothérapie,
au cours de 18 mois de cure.
« C’est le stress de cette nuit-là qui a causé ma maladie. » Pierre avait
23 ans quand il a déclenché sa première crise de rectocolite hémorra-
gique (RCH), après avoir connu une situation de très grave danger en
mer qu’il voit donc comme étant à l’origine de sa pathologie somatique ;
et c’est en partie autour de ses théories personnelles sur le stress que va
s’organiser le processus de sa thérapie et que vont se construire ses capa-
cités de mentalisation. Je vais suivre ici le fil de cette mise en représenta-
tions, en prenant le risque, dans l’exposition, de l’isoler un peu
artificiellement du reste du matériel qui s’est tressé dans cette cure.
« C’est le stress de cette nuit-là qui a causé ma maladie », précise-t-il
donc dès le début de son premier entretien avec moi. Il était skipper sur
un bateau qui, croisant dans les îles Anglo-Normandes, a connu une
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violente tempête ; ils étaient cinq à bord, un autre jeune homme et trois
jeunes femmes, et Pierre se sentait en charge de la responsabilité de tout
le monde. D’une façon factuelle, il dit le déchaînement des éléments
pendant toute cette nuit, puis ajoute qu’il a été envahi à la fois par la
terreur et par un sentiment d’impuissance, et qu’il a souffert de
violentes douleurs abdominales ; il dit aussi qu’il a lutté, qu’il s’est
efforcé de tenir le cap, mais qu’il avait perdu toute confiance en lui, qu’il
avait tenu « mécaniquement », mais qu’« un ressort était cassé ».
L’histoire en mer s’est bien terminée, mais le lendemain il a eu très mal
au ventre, et le surlendemain, les premiers symptômes de sa maladie sont
apparus.
Au début de la thérapie, deux ans après la tempête, le souvenir de
cette nuit-là reste toujours aussi traumatique. En l’évoquant, Pierre a
du mal à décrire la terreur qui l’étreignait et qui semble pourtant encore
présente ; il se décrit comme « figé », « immobilisé ». Mais c’est surtout
le sentiment de son insuffisance qui lui revient – « ce qui a été inquiétant,
c’est quand j’ai vu que j’étais si fragile » – et il dit répétitivement qu’il a
eu très peur de ne pas être à la hauteur, qu’il se sentait responsable aussi
bien de son ami que des trois jeunes femmes, alors qu’il se sentait tout à
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fait incapable d’assumer cette charge. Il fait plusieurs cauchemars où il
est avec d’autres personnes dans une situation de grand danger, et il se
réveille dans l’effroi. Il rapporte d’autres rêves d’angoisse dans lesquels
il est impuissant, par exemple il est dans une piscine avec ses supérieurs
hiérarchiques et il ne sait pas nager.
Il rapporte également que sa maladie le met parfois dans une situa-
tion traumatique : ainsi, lors d’une hospitalisation au moment d’une
crise grave, il a été dans un tel état d’angoisse – il parle à nouveau de
« stress » – que ses médecins l’ont senti en danger, et qu’ils ont jugé
préférable pour sa santé de le laisser rentrer chez lui plutôt que de
choisir la solution de soins plus adaptés à l’hôpital. Lorsqu’il rapporte ce
fait, j’y trouve confirmation du danger que représentent pour lui tant la
passivité que la régression, et cette notation me reviendra souvent
pendant les séances.
Contre-transférentiellement, je me trouve devant des perspectives un
peu contradictoires, avec l’idée d’une pathologie grave puisqu’il a été
menacé de colectomie, avec une certaine crainte des situations de régres-
sion dans la cure, et en même temps j’ai le sentiment qu’il est tout à fait
capable de faire un travail en face à face : en effet, il me semble avoir des
capacités de mentalisation même s’il est parfois sidéré par le traumatique,
et par ailleurs il manifeste d’emblée des affects de nature transférentielle.
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Le bon stress et le mauvais stress,… 127

Néanmoins, à cause de ces risques, je vais prêter une particulière atten-


tion, pendant les premiers temps de la cure, à ses capacités de supporter
l’excitation transférentielle.
Assez rapidement, il apparaît que ce qui est traumatique pour
Pierre, c’est la perte de maîtrise. Il a d’ailleurs tout mis en place pour
maîtriser les situations, dans ses relations amoureuses et amicales, et
surtout dans les rapports qu’il a avec ses parents : face à eux il a, depuis
longtemps, construit tout un système qu’il ne me dévoilera que par
bribes, sur plusieurs séances. Avant de les voir, il décide d’une stratégie
de ses manifestations affectives : il ne manifeste pas son affection à ses
deux parents le même jour ; le plus souvent, il se montre assez proche de
son père, et il tient sa mère très à distance, se montrant parfois agressif
et/ou sadique avec elle ; plus rarement, lorsqu’il décide de se montrer
plus gentil avec elle, sans toutefois être vraiment proche d’elle, c’est de
son père qu’il s’éloigne. Plus tard, il va m’apprendre qu’il n’embrasse
jamais sa mère, mais qu’il lui serre la main, ceci depuis l’âge de 11 ou
12 ans. Après quoi, à plusieurs reprises, il va se souvenir d’une photo
sur laquelle, à 8 ou 9 ans, il tient, victorieux, la main de chacun de ses
parents qu’il sépare et maîtrise.
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Sur le passé de ses relations avec eux, il n’a, au début de la thérapie,
que des souvenirs très flous et surtout il n’exprime pas d’affect. Il dit
être resté pendant les quatre ou cinq premières années avec sa mère
qui ne travaillait pas, tandis que son père était amené à voyager pour
son travail. Ce n’est qu’après plusieurs mois de thérapie qu’il va
« apprendre » avec stupéfaction de sa mère qu’elle n’a recommencé à
travailler que lorsqu’il est entré au collège, à l’âge de 11 ans. À partir de
ce moment-là, il va s’appliquer à reconstituer en séance les circonstances
et les conséquences de cette séparation qu’il se met à évoquer avec beau-
coup de rancœur, puis avec de la rage, premiers affects qui vont montrer
une levée de la répression qui sévissait jusqu’alors sur les traces mnési-
ques de cette période de sa vie.
Pendant les premiers mois de thérapie, il va rester dans le rappel,
bref mais répétitif, de la situation traumatique de la tempête, tandis
qu’il se rassure avec le récit détaillé de la maîtrise qu’il exerce sur ses
parents à chaque rencontre avec eux. Ensuite, au bout de quelque
temps, avec gêne, il va me parler de son habitude, lorsqu’il va chez eux,
d’aller faire la sieste dans le petit lit qu’il avait gardé jusqu’à son départ
de la maison. Plus tard, avec un embarras encore plus grand, il ajoutera
que, lorsqu’il va dans sa chambre, sa mère vient s’asseoir sur un fauteuil
pour le regarder dormir, puis elle le réveille en lui caressant le front ; ce
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moment de proximité est le seul moment de rapprochement entre eux. En


me faisant ces récits, il éprouvera des affects transférentiels mêlés à sa
gêne, et il les élaborera, mais par-devers lui, sans m’en faire part, dans
une stratégie défensive proche de celle dont il use avec ses parents, et que
je respecterai. Et ce n’est qu’après plusieurs mois qu’il évoquera cette
sieste particulière en pensant que je suis tout à fait opposée à cette
pratique.

Un tournant décisif se produit après une année de thérapie, avec un


cauchemar qu’il rapporte : « Je suis dans un appartement… dans mon
appartement ; quelqu’un essaie de rentrer chez moi, peut-être une
femme. Je veux me défendre, je tiens la porte de toutes mes forces pour
qu’elle ne rentre pas, pourtant je ne suis pas vraiment menacé.
J’entends mes parents qui arrivent. Je pense qu’ils sont menacés. Je
prends un couteau et je me précipite dans l’escalier. Tout s’éteint. C’est
étroit, c’est comme si j’étais dans quelque chose d’organique, comme un
boyau. Je me précipite couteau en avant pour suivre cette créature, je ne
sais pas si elle est vraiment menaçante, mais il faut que je protège mes
parents. J’ai très peur de tomber et de m’enfoncer le couteau dans le
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ventre. C’est cette peur qui me réveille. »
En commentant, il revient sur sa peur à l’égard de cette créature :
« Je pense qu’elle n’est pas dangereuse, mais je me sens menacé. » Puis
encore : « Je sais qu’elle ne me veut pas de mal, mais je me sens
menacé. » Il ajoute que cette femme a des pouvoirs extraordinaires, c’est
peut-être une sorcière, puis, avec réticence : « Ça me gêne beaucoup de
vous le dire, mais elle me fait penser à vous. » Et il explicite : « Avec ces
pouvoirs qu’elle a, c’est peut-être vous. »
À la séance suivante, il dit qu’il est agacé « parce que vous m’obligez
à couper le cordon ombilical. J’ai eu mal au ventre et j’ai pensé que
c’était de votre faute… Je sais bien que ce n’est pas vrai, mais quelque
chose en moi veut le penser ». Je lui dis qu’il veut penser que je le
menace doublement, comme il le ressentait dans le cauchemar, directe-
ment en forçant sa porte, et indirectement d’une possible blessure au
ventre avec le couteau qu’il met en avant pour se protéger de moi. Sur
quoi il associe qu’à la séance qui a précédé celle au cours de laquelle il a
rapporté le cauchemar, il s’était senti angoissé, « sous contrainte », alors
qu’il était revenu sur les événements qui avaient précédé le déclenche-
ment de la RCH.
Je suis frappée par la multiplicité des représentations inquiétantes et
par l’hétérogénéité de leur attaque. Il est en danger ; parce que ses
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parents sont réunis et aussi parce qu’il veut les séparer, parce que je
voudrais le pénétrer comme une mère anale et aussi parce que, en posi-
tion paternelle dans le transfert, je voudrais le forcer à couper le lien
physique à sa mère, et encore parce que le couteau qui le protège peut
également le blesser. Face à tous ces dangers, il n’a pas mes « pouvoirs
extraordinaires », il est démuni parce que son pare-excitations est
effracté par toutes les excitations, et que ce qui devrait le protéger le
menace.
À partir de là, je vois plus clairement ce qu’il a nommé « le stress » et
qu’il pense être à l’origine de la désorganisation psychique précédant le
déclenchement de sa maladie : c’est une angoisse automatique liée à un
traumatisme ayant effracté son pare-excitations. Le rêve fournit une
représentation actuelle polymorphe et riche de ce qui a sans doute fait ce
traumatisme, représentation si bien condensée dans la réalité par la mer
en furie : sa terreur devant l’objet primaire qui devient hostile, l’échec
du contre-investissement réparateur de son agressivité œdipienne, sa
peur de l’intrusion ; aux racines de ce traumatisme, s’ajoute dans son
rêve une représentation de l’auto-attaque actuelle que constitue sa
maladie.
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Le cauchemar est parti de la réminiscence de la situation trau-
matique, remise au travail, puis devenue situation de danger dans le
transfert. À partir de là, apparaissent de meilleures capacités de menta-
lisation, en même temps qu’une certaine névrotisation de son fonction-
nement. Ce mouvement est annoncé dans la séance par l’idée de
« contrainte » qui, dans ses associations après le récit du rêve, a
remplacé la répétition du traumatisme de la perte de maîtrise et de
l’impuissance de la scène vécue. Par là, l’analité se montre plus claire-
ment, à partir de quoi Pierre va entrer dans une tentative de maîtrise de
ses angoisses, dans un mouvement très marqué par le transfert.
Après une séance où il avait dit s’être trouvé soulagé de son angoisse
en renonçant à son désir d’aller faire la sieste dans son petit lit, reparaît
une angoisse d’intrusion, marquée à la fois par un transfert paternel et
par un transfert maternel. Il m’annonce, ravi, que je ne vais pas être
contente : voilà qu’il se sent très bien alors que le gastro-entérologue lui
a annoncé qu’il a des mauvaises analyses et qu’il est tout près d’avoir
une crise. D’ailleurs, il s’est senti beaucoup mieux parce qu’il a jeté
toutes les notes qu’il avait prises sur plein de choses à me dire. En fait,
c’est à la séance dernière que quelque chose l’avait angoissé : « J’ai
pensé que vous vouliez que je coupe le cordon ombilical ; je l’ai coupé, et
ce qui reste, je veux le garder » ; puis il continue en disant qu’il préfère
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avoir mal dans son corps qu’être angoissé, d’autant qu’il a l’impression
de pouvoir maîtriser son corps.
Ce mouvement continue pendant quelques séances. Quand il va
mieux du point de vue somatique, il se sent angoissé, il a peur de
l’angoisse flottante permanente. Alors il est très soulagé parce qu’il a de
l’eczéma : il a l’impression de l’avoir déclenché volontairement et de
pouvoir l’arrêter quand il veut, « pour que vous ne pensiez pas que vous
avez du pouvoir sur moi ». Je me demande si, en même temps qu’il croit
me maîtriser en souffrant d’une atteinte somatique qui montre mon
impuissance, il ne pressent pas la fonction d’arrêt de la désorganisation,
par la régression à une maladie à crises. Mais, lorsqu’il cherche à éviter
l’angoisse, je le vois aussi avec inquiétude se mettre en danger : quelque
temps plus tard, quand l’eczéma a disparu et que l’angoisse est revenue,
il a mangé tout ce qui pouvait lui faire mal, et quand il a eu mal au
ventre, son angoisse a cessé.
« J’ai rêvé qu’un gros cochon rose rentrait dans mon ventre. Je
n’étais pas inquiet au réveil, j’étais même rassuré, parce que ma mère
rentrait dans mon ventre… Mais j’ai pensé que vous n’alliez pas être
contente parce que je ne coupais pas le cordon ombilical. » Il revient sur
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la séparation avec sa mère. Il ne veut pas savoir pourquoi elle l’a
« abandonné », et en même temps il veut savoir. Il lui en veut, et en
même temps il ne veut pas couper le cordon ombilical : « la garder dans
mon ventre, c’est conserver ce lien ».
« – J’ai eu mal au ventre parce que j’ai mangé n’importe quoi.
– Comme un cochon rose…
– Oui, mais également, le cochon rose, je l’ai dans le ventre (il montre
son ventre). Je voudrais mettre mon ventre à côté… je voudrais faire de
la place pour ne garder que le cochon et vous donner mes intestins (re-
signe vers son ventre). »
Je me demande alors s’il ne pressent pas la coexcitation libidinale
dans le ventre et s’il ne cherche pas fantasmatiquement à séparer les
organes de la maladie et les organes du sexuel.
À ce moment-là, lui revient un rêve inquiétant qu’il ne m’avait pas
rapporté : il est dans un parking, au milieu il y a un tas de terre et,
au-dessus, un squelette ; c’est un rêve ancien, il ne me l’a pas rapporté
parce que, dit-il, il n’était que spectateur, il n’était pas acteur. Ses asso-
ciations sont transférentielles : il est inquiet de ne pas avoir raconté ce
rêve, comme s’il m’avait caché quelque chose, dit-il. Ce qu’il aurait
voulu me cacher ? Il réfléchit longuement, hésite, puis dit qu’il ne voit
vraiment pas. Je lui dis que quelque chose continue à être caché pour
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moi, puisque je ne sais toujours pas ce qu’il y a sous ce tas de terre. « Ah


oui, vous voulez dire qu’il y aurait mes intestins ? Alors, ça voudrait dire
que je veux vous les laisser sans que vous le sachiez. »
À la séance suivante : « J’ai peur de revenir parce que j’ai passé une
bonne semaine ; c’est parce que j’ai laissé mes intestins ici, ça me fait
peur. Je ne sais pas si j’ai peur de les récupérer ou que vous ne me les
rendiez pas. » Finalement il décide qu’il a surtout peur de les récupérer
« parce que je me suis senti tranquille, allégé… Je les ai imaginés ici dans
le coin, dans la maison Fisher Price (posée par terre dans un coin du
bureau) ». Je vois l’aspect transitionnel sécurisant de cette image et je lui
dis qu’il les voit gardés dans une maison protectrice, située entre lui et
moi. Il se sent apaisé.

À partir de là, il tente de se réorganiser économiquement, et ceci,


dans un premier temps, autour des éléments phobo-obsessionnels de sa
personnalité. Il s’inquiète, il a peur de venir parce qu’il n’a pas aimé
« ce que nous avons dit ici sur ma mère » ; mais il a besoin de me voir. Je
lui dis qu’il a besoin de vérifier que je suis bien là, malgré le mal qu’il a
pu penser de moi ; « oui, j’avais besoin de vous voir vivante ». Il associe
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sur sa peur que le fait d’aller mieux n’entraîne la mort de sa mère qu’il
n’a pas vue depuis quinze jours. Après ces moments de crainte de sa
propre destructivité, il rentre dans une phase d’activité intense : il est
surmené, surchargé ; il ne dort que trois heures par nuit, parce qu’il a
trop à faire, des travaux qu’on lui a demandés, des amis à voir, des
services à rendre ; il ne peut renoncer à rien.
« – Il faut que je me mette la pression. Pour les autres, je suis
toujours prêt, je prends sur moi, je me mets la pression. J’ai l’impres-
sion que j’ai besoin du stress pour sécréter des hormones pour ne pas
ressentir la fatigue, et même pour éviter l’angoisse. Mon schéma est le
même depuis toujours : faire plein de choses, ça me stresse, et quand la
pression s’arrête, j’ai mal au ventre et je suis angoissé. Avec l’activité
qui me stresse, je focalise mes pensées sur les autres, ça m’évite de les
focaliser sur moi. »
Voilà donc le « bon stress » de l’activité, et la suractivité qui le proté-
gerait d’une angoisse automatique due à des pulsions destructrices liées à
une scène primitive insupportable qui porte l’idée d’abandon. Pour ma
part, je ne sens pas ce mouvement comme une simple tentative de
décharge de l’excitation dans le comportement, qui marquait déjà ses
conduites alimentaires. Ce comportement est aussi marqué par son acti-
vité réparatrice, contre-attitude de sa destructivité, dont la mise en échec
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pendant la tempête avait été pour beaucoup dans sa désorganisation de


« cette nuit-là ». Là, nous sommes à la veille d’une séparation pour deux
semaines de vacances, ce que je lui rappelle, en faisant le lien avec la
nécessité dans laquelle il se trouve de fuir l’angoisse de cette séparation :
« Oui, j’y ai pensé. » Je lui rappelle aussi le départ de sa mère pour
retravailler : « Là, ce n’était pas de l’angoisse, je pense que c’était une
douleur extrême. » Ferait-il donc là la différence entre une angoisse sans
représentation et une « douleur extrême » qui se serait trouvée plus
psychisée et plus érotisée ?
Au retour, il connaît un moment très difficile où sont mêlées
l’angoisse et l’excitation de me retrouver. Il a des idées contradictoires
qu’il me livre dans le désordre et la confusion : « Il y a quelque chose que
j’ai pensé pendant ce temps, mais je ne peux pas en parler… Je me dis :
“arrête de te stresser”… Je ne peux pas entendre parler de cordon
ombilical… là mon cerveau se bloque, il me dit : “arrête” et je ne pense
plus… je pense au Livre de ma mère d’Albert Cohen, je n’ai pas pu le
lire… » Dans la confusion, il tente de construire pour lui-même des théo-
ries pour articuler ensemble l’excitation et l’angoisse qui l’envahissent,
et cette recherche elle-même est excitante parce que marquée du sceau
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du transfert. Il tâtonne autour de l’idée que les enchaînements d’idées
qui partent des pensées sur sa mère et/ou sur moi l’amènent à la nécessité
de se défendre contre « ce stress » par une activité intense qu’il consi-
dère comme du « bon stress ». Il mêle alors les différentes acceptions du
terme stress qu’il a utilisées ; c’est à la fois l’angoisse, l’excitation et la
suractivité, liées à la situation de dépendance transférentielle qu’il vit au
retour d’une longue séparation. Alors qu’il ne parle pas de symptômes
somatiques, je suis frappée par l’excitation corporelle que révèle son
discours syncopé et chaotique. À la séance suivante, l’agitation continue.
Il raconte qu’il a eu mal, qu’il a tout fait pour que ça continue en
mangeant tout ce qui pouvait accroître ses maux de ventre, et qu’il est
parti dans la suractivité, ne dormant que quelques heures par nuit. Il
sait que c’est pour ne pas penser, mais il préfère avoir mal que penser.
« – Je suis partagé, à la fois angoissé de venir et très content. Je
préfère avoir des œillères, ne pas voir. J’ai toujours cherché à me faire
mal… depuis le collège ; je me tapais dans le ventre pour me faire mal.
– C’est à ce moment-là que votre mère avait recommencé à travailler.
– J’ai écrit l’année dernière que je préférais me faire mal que penser
à tout ça. »
Il est très confus ; de ses explications embrouillées, je comprends que
l’année précédente, après quelques mois de thérapie, il avait écrit sur
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une feuille qu’il avait cachée dans un livre et n’avait jamais relue : « Je
préfère avoir mal, ou me faire mal, ou être stressé, qu’avoir des
angoisses. » Je lui dis que l’absence – celle de sa mère ou la mienne – est
un abandon qui le laisse impuissant et démuni et qu’il préfère redevenir
actif en se faisant mal. Lui revient alors l’absence de sa mère, quand elle
avait dû se faire opérer, il ne sait pas quel âge il avait, il ne sait pas de
quoi elle a été opérée, il ne sait pas qui l’a gardé, il se souvient qu’il ne
voulait pas aller la voir à l’hôpital. Il est sidéré par cette réminiscence,
et dit que cette absence sans explication avait dû être « terrible ». Il la
rattache à la séparation si traumatique du moment où sa mère a recom-
mencé à travailler : « Si j’avais compris que le lien fusionnel avec ma
mère ne durerait pas, j’aurais été moins mal à la séparation. » Je pense
que c’est là une condensation intéressante de ses théories personnelles de
l’angoisse : il a l’idée que le rôle de « signal d’alarme » de l’angoisse
aurait pu le protéger de l’angoisse automatique suscitée par l’abandon.
Après ce temps de l’élaboration de l’abandon, il est plus calme. Puis,
après une séance où il a été à nouveau question de la dialectique activité/
passivité, à propos de la sidération qui l’avait atteint pendant la
tempête, le travail psychique tourne à nouveau autour de sa représenta-
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tion du stress :
« – Ça m’a beaucoup aidé ce qu’on a dit sur le rapport entre le stress
de la nuit de la tempête et mon envie d’aider les autres.
– Vous dites aussi que votre volonté d’aider les autres vous cause du
stress.
– Oui, mais ce n’est pas le même stress. Je passe chaque jour par
plein de hauts et de bas. Il faut que j’aide, le stress d’aider me fait du
bien à l’esprit mais du mal au corps. C’est nouveau, je m’en rends
compte aujourd’hui. Cette semaine, à nouveau, j’ai voulu faire tout ce
qui m’était demandé à droite et à gauche et j’ai dormi quatre heures par
nuit. J’étais content mais épuisé. Il faut que j’aide ! » Après quoi,
pendant le reste de la séance, il va me donner à voir combien il lutte pour
protéger l’autre de sa propre négativité. Son désir c’est de réparer, et la
terreur est en partie causée par la mise en échec de ce désir de répara-
tion. Il revient sur la nuit de la tempête : « J’ai eu très peur quand j’ai
senti que je ne pouvais pas les protéger, je me suis senti responsable, j’ai
eu peur de leur mort. » Mais également il redit ce qu’il m’avait déjà dit,
qu’il serait prêt à m’aider si j’étais dans le besoin. Je lui rappelle que,
lors d’une absence, il avait craint que quelque chose ne me soit arrivé.
« C’est vrai, ça m’avait beaucoup inquiété, je ferais tout pour vous
protéger ! »
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134 Félicie Nayrou

La semaine suivante, il revient très apaisé : « La séance m’a fait du


bien, j’ai été paisible toute la semaine, j’ai vu mes parents, c’était bien.
J’ai aussi fait des rêves apaisants, il y avait mon supérieur, je le voyais et
c’était simple : il s’était rapproché de moi, au lieu d’être lointain comme
d’habitude, et l’apaisement venait de là ; il n’y avait pas de stress. »

C’est autour des représentations qu’a créées Pierre sur son propre
fonctionnement, et en notant combien elles devenaient plus riches, que
j’ai pu suivre l’amélioration de la mentalisation chez lui. Et ses théories
sur son stress qui condensaient des visions communément partagées et des
pensées de plus en plus marquées par l’insight ont été particulièrement
éclairantes. Mais il y a eu une autre dimension dans ces élaborations : ce
mouvement constructif s’est assurément fait autour d’un espace trans-
féro-contre-transférentiel marqué par mon attention particulière aux
conceptions de Pierre sur le stress ; et je pense que la construction de
ses représentations centrées là-dessus, si elle est bien sa construction
psychique propre liée à sa problématique, est, dans le mouvement de la
cure, une co-création, une co-production entre lui et moi.
Sa première théorie du stress, celle du « mauvais stress », ancrée sur
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l’expérience du grave danger vécu dans la tempête, s’approche des
conceptions communes du stress post-traumatique : il décrit un choc
dans lequel il semblait avoir perdu toute possibilité psychique de traite-
ment de ce qui lui arrivait, avec des éprouvés physiques violents. Mais ce
qu’il me donne à entendre, c’est que ce traumatisme, comme le montre le
rêve clé, semble avoir été surdéterminé par une condensation autour de
la mer en furie, terreur devant l’objet primaire qui devient hostile, échec
du contre-investissement réparateur de sa pulsionnalité, peur de l’intru-
sion. Après quoi, ayant perdu toute maîtrise de la situation, tout
contrôle sur lui-même, et tout pouvoir sur les autres, il a dû connaître un
véritable état de détresse. Et c’est probablement l’impossibilité de
traiter psychiquement, d’une part, l’excitation débordante, d’autre
part ce qui a dû être un conflit entre le moi et les idéaux, qui a fait
s’installer une angoisse sans possibilité de décharge qui a précédé la
désorganisation somatique.
Sa deuxième théorie, celle du « bon stress », reprend l’idée, égale-
ment répandue, d’un système durable stimulus/excitation qui protége-
rait de l’angoisse par la sécrétion d’adrénaline qui augmenterait les
capacités physiques et psychiques. En fait, il s’agit d’une suractivité qui,
certes, permet la décharge de l’excitation, mais qui est resexualisée, et
dans laquelle les stimuli sont porteurs d’enjeux de réparation et
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Le bon stress et le mauvais stress,… 135

œdipiens, dans un moment où, dans la cure, le patient commence à sortir


de la répétition de ses conduites de maîtrise.
Mais Pierre entrevoit maintenant qu’il peut ne plus avoir besoin de
cette activité intense pour connaître des moments sans angoisse. Ainsi,
après deux séances d’absence prévues pour son travail, il revient en
disant qu’il s’est senti apaisé en allant voir ses parents, et qu’il a eu un
dîner agréable avec eux. Et il a fait des rêves calmes et plaisants ; ainsi il
se souvient d’un rêve dans lequel il est en vacances, et « pour une fois,
c’était paisible et agréable, comme si je n’avais pas besoin de stress pour
être sans angoisse ; c’est d’ailleurs comme ça que je vois les vacances qui
viennent ». A contrario, cela lui rappelle les vacances qu’il a passées,
deux années de suite, à s’occuper bénévolement d’infirmes moteurs céré-
braux. Il décrit des moments très durs. « C’était pour prouver à ma
mère que je pouvais faire ça ; mais maintenant je n’ai plus besoin de
passer des vacances comme ça. En plus, je ne suis plus du tout certain
qu’une telle pression soit bonne pour moi. Je me dis : “Tu n’as pas
besoin de faire ça, arrête-toi, calme-toi.” Pour la première fois, je vais
partir en vacances tranquillement. »
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FÉLICIE NAYROU
113 rue de l’Ouest
75014 Paris

RÉSUMÉ — Considérant que l’utilisation hétérogène du mot « stress » peut marquer un


défaut de représentation psychique, l’auteur suit le processus d’une psychothérapie au
travers du travail de représentance qu’accomplit le patient sur ce terme. L’activité de
mentalisation qui se déploie, à partir du traumatisme originaire redécouvert, est
alimentée par la co-création, entre patient et analyste, de représentations autour du
mauvais stress et du bon stress.

MOTS CLÉS — Traumatisme. Détresse. Angoisse automatique. Angoisse signal d’alarme.


Représentation. Mentalisation. Co-création.

SUMMARY — Considering that the heterogeneous use of the word “stress” can indicate a
fault in psychical representation, the author follows the process in psychotherapy
through the work of representation which the patient accomplishes concerning this term.
The display of mentalisation is enhanced by the co-creation between patient and analyst
of representations of bad stress and good stress, taking the re-discovery of the original
traumatism as the point of departure.
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136 Félicie Nayrou

KEY-WORDS — Traumatism. Distress. Automatic anxiety. Anxiety alarm signal. Repre-


sentation. Mentalisation. Co-creation.

ZUSAMMENFASSUNG — Davon ausgehend, dass die heterogene Nutzung des Wortes


« Stress » auf einen Fehler in der psychischen Repräsentation hinweisen kann, verfolgt
der Autor den Prozess einer Psychotherapie im Hinblick auf die Arbeit an der Repräsen-
tanz dieses Begriffes durch den Patienten. Die Tätigkeit der Mentalisierung, die sich vom
wieder entdeckten ursprünglichen Trauma aus entfaltet, wird gespeist durch eine von
Patient und Analytiker unternommene Co-Kreation von Repräsentationen im Themen-
feld des guten und schlechten Stresses.

STICHWÖRTER — Trauma. Verzweiflung. Automatische Angst. Alarmsignal-Angst.


Repräsentation. Mentalisierung. Co-Kreation.

RESUMEN — Considerando que la utilización heterogénea de la palabra « estrés » puede


indicar un defecto de representación psíquica, el autor sigue el proceso de una psicote-
rapia a través del trabajo de « representence » que ha realizado el paciente sobre este
termino. La actividad de mentalización que se despliega, a partir del traumatismo origi-
nario re-descubierto, se alimenta por la co-creación entre paciente y analista, representa-
ciones sobre el buen estrés y el malo.
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PALABRAS CLAVES — Traumatismo. Desamparo. Angustia automática. Angustia. Señal de
alarma. Representació. Mentalización. Co-creación.

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