AND : 5 € – CH : 6 FS – CAN : 9,95 $C - D : 6,0 € - ESP : 6,0 € – ITA : 6,0 € – MAR : 63 DH - ANTILLES : 7,0 € – PORT CONT : 6,0 € - REU

: 8,50 € - CAL : 2 200 XPF – BEL/LUX : 6,50 €

(Le Figaro Magazine + Madame Figaro) Viva technology/SIPA/SIPA
M 05918 - 2237 - F: 5,00 E

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mode
homme
afghans
un an chez

l’étoffe du
gentleman
reportage

les talibans

elon musk

LE FIGARO MAGAZINE ÉDITION INTERNATIONALE - N° 2237 du samedi 9 septembre 2023 - Commission paritaire N° 128 C 82655
f

exclusif : la biographie qui dévoile

qui est vraiment

les secrets du patron de tesla et twitter / x

2 AVENUE MONTAIGNE
 É d i t o r i a l

l’urgence démographique

P
ublié dans la touffeur de l’été, le chiffre est
passé complètement inaperçu. Il est
pourtant d’une importance capitale : le
nombre de naissances, selon l’Insee, a
baissé de 7 % au premier semestre 2023.
Le solde naturel, c’est-à-dire la différence
entre le nombre des nais­sances et celui des
décès, est au plus bas depuis la ­Seconde Guerre mon-
diale : 314 000 nouveaux bébés de janvier à juin, pour
313 000 décès. On frôle donc, pour la première fois, la
­régression démographique, malgré l’augmentation du
nombre des mariages enregistrés l’année dernière.
Le monde politique ne semble pas vraiment s’inquiéter de
cette situation, comme si on ne pouvait rien y faire. Les
plus libéraux considèrent qu’il s’agit de choix privés, dans
lesquels l’État n’a pas à interférer. Les écologistes ­estiment
quant à eux, plus ou moins ouvertement, qu’une chute de
la démographie est souhaitable, pour ne pas a­ ggraver le
dérèglement climatique et l’épuisement des ressources
­naturelles. D’autres responsables publics, la majorité sans
doute, ne voient pas trop l’intérêt de se mobiliser sur un tel
sujet. Il est vrai que la politique familiale n’a pas très
bonne presse dans les médias : encourager les naissances,
aider les ­familles, ça vous fait vite passer pour ringard,
­limite ­pétainiste, même si c’est le général de Gaulle qui a
introduit le quotient familial dans notre politique fiscale.
Et puis, la démographie, comme le réchauffement clima­-
ANDRÉ DE CHASTENET
Faut-il pour autant se résigner ? Comme l’a bien démon-
tré, entre autres, le démographe Gérard-François
­Dumont, il existe une corrélation entre la politique
­publique d’aide aux familles et le niveau de la natalité.
Lorsque François Hollande, pour punir les riches, s’est
attaqué à la fois aux allocations (désormais sous
­conditions de ressources) et au quotient familial, l’im-
pact sur la fécondité a été notable. Emmanuel Macron
avait amorcé un changement de politique, promettant
notamment 30 000 places de crèche supplémentaires au
cours de son premier quinquennat, mais, malheu­-
reusement, ses engagements en la matière n’ont pas
­vraiment été tenus.
À sa décharge, il n’existe évidemment pas de mesures
miracles pour relancer les naissances, mais les études
montrent quand même que les coûts engendrés par un
enfant supplémentaire (notamment en matière de
­logement) dissuadent de nombreux parents. Il serait
donc utile de remettre en place une vraie politique
­familiale, avec des aides financières qui ne soient pas
réservées aux plus modestes. Selon des sondages suc-
cessifs, le nombre moyen d’enfants que les Français
voudraient ou auraient voulu avoir est de 2,39, alors
que le nombre effectif par femme est de 1,8. L’hiver
démographique n’est pas une fatalité.

tique, est un enjeu de long terme, donc peu payant électo-

ralement. Il est vrai, par exemple, que les enfants qui
­naissent aujourd’hui ne commenceront à cotiser pour les
retraites de leurs aînés que dans un quart de siècle…

Guillaume Roquette
Directeur de la rédaction du Figaro Magazine
groquette@lefigaro.fr
@G_Roquette

7/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 S o m m a i r e

44
exclusif Qui est vraiment Elon Musk ? Extraits de la
biographie-événement de l’entrepreneur multimilliardaire.
Sous le joug des talibans Un portfolio exceptionnel du
photographe Ebrahim Noroozi sur la détresse du peuple afghan.
54
7 L’éditorial de Guillaume Roquette Quartiers Libres
11 SOmmaire Spécial mode homme 102 En vue Vincent Lacoste
13 Nous & vous Contributeur et le forum 104 écran Culturellement vôtre, par J.-Ch. Buisson,
14 Club Figaro Actualités du Figaro la vision télé de Stéphane Hoffmann
16 Arrêts sur images 106 À l’affiche Les passe-temps d’Éric Neuhoff
108 La page histoire de Jean Sévillia
Entrées Libres 110 Littérature et le livre de Frédéric Beigbeder
22 En vue Philippe Jost
24 Les indiscrétions de Carl Meeus 112 Nouvelle-Calédonie : santal,
le sortilège des îles Carnets de voyage
26 Polémique
28 Les clés pour comprendre Art de vivre
30 Mise à jour 123 Talent
32 Initiative & Technologie 124 Cadran
34 Les rendez-vous de J-R Van der Plaetsen 126 Auto & Techno
128 La table de Maurice Beaudoin
Esprits Libres 130 Vin
36 Bernard accoyer & Arnaud 132 Évasion
Montebourg “La France a-t-elle retenu
la leçon de ses errances en matière de nucléaire ?” 134 Patrimoine
42 La chronique de François d’Orcival 136 La grille de Michel Laclos
138 Les mots fléchés
Magazine Le Sudoku de Bernard Gervais
140 Bridge
REUTERS ; Ebrahim Noroozi / Associated Press

44 Elon Musk, l’homme

aux mille visages En couverture 146 Dernière nouvelle François Médéline
54 Afghanistan, Société éditrice : Société du Figaro - Siège social : 14, boulevard Haussmann, 75009 Paris.
un peuple en enfer Reportage Tél.: 01.57.08.50.00. Président : Charles EDELSTENNE. Directeur général, directeur de la
publication : Marc FEUILLÉE. Commission paritaire du Figaro Magazine (supplément de
64 François, ce pape Le Figaro - N
­ ° CPPAP 0426 C 83022) : 2001 C 83022 (édition nationale) et n° 0123C82655 (édition
internationale). Cahier N° 1 : Le Figaro Magazine - Cahier n° 2 : Le Figaro Magazine TV imprimé
révolutionnaire Extraits par MAURY (45330 Malesherbes)
70 Piriac-sur-Mer, Ce numéro comporte : cahier la Solitaire Piriac-sur-Mer de 12 pages. Broché au centre
les marais salants : l’or blanc sur les abonnés + kiosques du département 44. Encart bell & ross de 8 pages. Broché sur
tout le territoire national et au centre de la Solitaire (folio 8-9). Encart promo abonne-
de la presqu’île Reportage ment de 2 pages. Jeté statique sur la une du 3 e cahier sur les kiosques du territoire national.
Encart vpc figaro langue française de 2 pages. Encart jeté statique sur la une du 3 e cahier
sur tous les abonnés du territoire national. Fleurus presse de 6 pages. Jeté by pass sur
74 Spécial Mode Homme les abonnés postés & portés de tout le territoire national.

9/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Sommaire

92 74
Spécial
mode
homme
74

92
L’étoffe d’un gentleman

92
pourquoi le style british
ne connaît pas la crise

96
le soulier anglais
regagne du terrain

96
100
James Weston ; sdp

parfum : de l’influence
de la lavande “old english”

11/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

Tout le monde mérite un super jean dans sa garde-robe. Nous l’avons conçu pour vous. Les Jeans, le premier pantalon en
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 N o u s & V o u s

contributeur

Ebrahim Noroozi :
un an chez les talibans

C
’est un portfolio exceptionnel
que nous vous proposons cette
semaine, avec des images rares,
parfois dures, qui documentent
a u p l u s p rè s l a r é a l i t é d e
l’Afghanistan, sous le joug des islamistes
depuis août 2021. Elles sont l’œuvre du
photographe iranien Ebrahim Noroozi
qui, pendant un an, s’est installé dans
ce pays qu’il qualifie de « plus triste au
monde, et le pire pour les femmes ». Travaillant
pour l’agence d’information américaine
Associated Press, bravant les interdits, menacé à
maintes reprises par le pouvoir des talibans, ce photo-
graphe a souhaité témoigner de la détresse du peuple
afghan frappé par une économie en ruine et une crise
humanitaire sans précédent : un pays où le travail des
enfants est en augmentation, où les
­f emmes, privées de scolarité et d’em-
ploi, sont devenues quasi invisibles dans
la société.
Noroozi est un combattant de la liberté :
sur son propre pays, l’Iran, il n’avait pas
hésité à poser un regard sans complai-
sance, dénonçant par ses photos la peine
de mort par pendaison ou les attaques de
femmes à l’acide, des séries chocs qui lui
avaient permis de recevoir plusieurs
World Press Photo et d’être publié dans
les journaux les plus prestigieux comme le New York Times
ou le Washington Post. Son travail sur l’Afghanistan
est actuellement exposé à Perpignan au Festival inter­-
national du photojournalisme, et nominé pour la
­récompense suprême du visa d’or.

ce que vous en dites

Vos réactions sur lefigaro.fr Courrier

Dupont superstar

B énissons l’oncle d’Antoine Dupont qui

L’Éducation nationale : zone sinistrée ?
● Merci pour cette interview claire !
(Lire l’entretien de Lisa Kamen-Hirsig
par Judith Waintraub dans nos éditions
de la semaine dernière, ainsi que les
bonnes feuilles de son ouvrage La
Grande Garderie publié chez Albin
Michel, NDLR.) En France, on a
toujours confondu égalitarisme et
équité. C’est le socle des problèmes.
Hibiscus soleil
● La gauche a abandonné l’école basée
autrefois sur la méritocratie et
l’ascenseur social (…). Aujourd’hui,
le figaro ; Ebrahim Noroozi
réussir les meilleurs et non prôner
la médiocrité. Opinionlucyves
● Tout est juste dans cette analyse.
Il ne reste qu’à accepter de sacrifier
une génération pour faire de l’école ce
qu’elle n’aurait jamais dû cesser d’être.
Actium
● Certains savent depuis longtemps
que la décadence de la France vient en
grande partie de l’Éducation nationale,
qui joue son rôle en bourrant le crâne
des élèves avec des valeurs
républicaines sélectives. l'oeil13
● Beaucoup de bon sens et
a dissuadé son neveu d’arrêter son
sport de prédilection ! « Toto est venu me
voir pour me dire qu’il voulait abandonner
le rugby pour le football. Surpris, je lui
demande pourquoi. Il me répond que
c’est trop facile pour lui et qu’il traverse le
terrain sans que personne ne l’attrape »,
confie cet homme, de façon savoureuse,
à votre reporter. (Lire le reportage de
Jean-Marc Gonin, « Aux sources du rugby
français », dans nos éditions de la
semaine dernière.) Je souhaite au meilleur
joueur du monde 2021, qui a su
visiblement rester d’une grande humilité
malgré ses succès, de réaliser la plus
belle Coupe du monde avec ses
talentueux équipiers et leur formidable
sélectionneur. Jean Bernard (Besançon)

toutes les valeurs ont été inversées et

le wokisme de certains enseignants est
le point d’orgue de cette
déconstruction. Clairobscur
● La gauche a gangrené l’enseignement
et la droite a laissé faire ! VoisTout
● L’égalité à l’époque, c’était faire
de bonnes idées, sans langue de bois.
Prince Michkine
● Il nous faut faire un virage à 180 degrés,
sortir de l’héritage de Mai 68, choisir des
valeurs opposées pour tenter de nous
sortir de cette descente aux enfers. Yann

13/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 C l u b F i g a r o

“Propriétés le figaro”

“LE MEILLEUR
DE NOTRE PATRIMOINE”

P
our son numéro de rentrée,
Propriétés Le Figaro a le plaisir
de vous présenter le meilleur
de notre patrimoine. Les châ-
teaux, mais aussi les domaines
viticoles, les propriétés typiques : du mas
provençal au chalet savoyard en passant
par la villa tropézienne, la maison nor-
mande à colombages ou encore l’apparte-
ment haussmannien. Réalisations archi-
tecturales synonymes de patrimoine de
demain, témoignages d’un héritage du
passé, hommage à des passionnés qui
conservent, préservent, réhabilitent, pro-
longent l’histoire, donnent une seconde
vie à des lieux singuliers. Les spécialistes
nous éclairent sur ces biens de caractère
qui nécessitent l’attention la plus fidèle et
le respect des traditions. Les conseils de
nos experts sont aussi précieux que
l’amour qu’ils portent à la pierre.
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salon Goncourt du restaurant Drouant.
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compagnie de Guillaume-Alexandre
Marx, directeur commercial de
Domaine Clarence Dillon, ainsi que
des journalistes du Figaro Stéphane
Reynaud et Jean-René Van der
Plaetsen.
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place Gaillon, Paris 2e. 250 € (230 € pour
les abonnés du Figaro). Nombre de places
limité. Réservation sur www.figarostore.fr

les maisons du voyage Les Ateliers d’écriture du

“Figaro littéraire”
Rencontre avec
Stéphanie Perez Natalie David-Weill
et Metin Arditi
PROGRAMME
D ès le 10 octobre, retrouvez deux
nouvelles ­programmations des
DU SECOND SEMESTRE
Ateliers d’écriture du ­Figaro littéraire
animés, au choix, par Natalie David-
Weill, auteur, scénariste, professeur
P our débuter la saison 2023-2024,
Alexis Brézet et Vincent Trémolet
de Villers recevront, Salle Gaveau,
et animatrice d’émissions littéraires, quatre acteurs de la scène
et Metin Arditi, écrivain, professeur et intellectuelle et culturelle française,
plusieurs fois primé pour ses créations à l’occasion de la publication
littéraires. de leurs nouveaux ouvrages.
Les ateliers se dérouleront en petits Gilles Kepel, grand expert du monde

L
­comités au sein des locaux et de la arabe, soulèvera le grand défi de
e jeudi 12 octobre, à 19 heures au sein
­rédaction du Figaro, à Paris, à raison l’Université face à l’islamisme et au
de l’agence des Maisons du Voyage
de 6 sessions de 6 h de 18 h à 21 h. wokisme ; Jérôme Fourquet et Jean-
au 76 rue Bonaparte, Paris 6e, et en
­Attention, le nombre de places est limité. Pierre Le Goff confronteront leurs
visioconférence, Les Maisons du Voyage
Informations, tarifs et réservations sur perspectives sur deux visions
et le Groupe Figaro vous invitent à une
http://lefigaro.fr/ecriture de la France : celle d’avant et celle
rencontre avec Stéphanie Perez autour
d’après ; tandis que l’écrivain et
du livre Le Gardien de Téhéran (Plon).
journaliste Franz-Olivier Giesbert,
Ce premier roman est l’histoire du
nous dévoilera les secrets des
JF PAGA ; Benjamin Brolet ; le figaro

gardien du Musée d’art contemporain

présidents de la Ve République
de Téhéran, un homme seul face à la
qu’il a eu la chance de côtoyer.
menace des religieux fanatiques qui a
réussi à sauver 300 chefs-d’œuvre d’art Salle Gaveau, à 20 h, Paris 8e,
les 10 octobre, 20 novembre et 11 décembre.
moderne, le trésor de l’impératrice des
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14/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

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 A r r ê t s s u r i m a g e s

Mortelles traversées / Entre Calais et Douvres

C’est un record. Pour la seule journée du samedi
2 septembre, les autorités britanniques ont dénombré 872 migrants
ayant traversé la Manche sur de petites embarcations, profitant
d’une météo favorable. Au total, plus de 21 000 clandestins seraient
arrivés au Royaume-Uni depuis le début de l’année. Malgré les
promesses du Brexit de « reprendre le contrôle » des frontières,
près de 150 000 candidats à l’exil ont traversé illégalement la
mer entre 2018 et 2023 et des centaines se sont noyés.
Photo : Gareth Fuller / PA Photos / Abaca

16/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

17/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
Dans les flammes d’Héphaïstos / Grèce
Les incendies de forêt dévastateurs en Grèce cet été ont
touché plus de 150 000 hectares, notamment dans le Parc national
de Dadia (nord-est). Déclaré le 19 août dans le département de
l’Évros, au cœur d’une zone boisée difficile d’accès, ce feu est le
plus grand jamais enregistré dans l’Union européenne. L’ampleur des
dégâts n’est pas encore connue, mais les scientifiques s’interrogent
déjà sur la capacité de ces forêts à surmonter cet énième sinistre
qui hypothèque l’avenir même de la biodiversité grecque.
Photo : Kostas Tsironis / Epa / Maxppp

18/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

A r r ê t s s u r i m a g e s

19/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

A r r ê t s s u r i m a g e s

20/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Dernières nouvelles / Singe lecteur / Inde
« Le singe fut fait roi des autres animaux. Parce que, devant
eux, il faisait mille sauts. » Inspiré par le Grec Ésope, l’inventeur de
la fable au VIe siècle avant J.-C., Isaac de Benserade, comme
La Fontaine son célèbre contemporain, s’est amusé à parer les
animaux des traits de caractère des hommes. Et parmi eux, le
singe, si lointain et pourtant si proche, fut une cible de choix, tant
il « singe », justement, toutes les attitudes des êtres humains.
À l’image de celui-ci, si fasciné par ce morceau de papier
d’aluminium qu’il semble plongé dans une passionnante lecture.
Photo : Amit Jariwala / Solent News / Sipa

21/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 E n t r é e s

22/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

L i b r e s

Romaric Toussaint/Etablissement public Rebâtir Notre-Dame de Paris

 En vue

Philippe jost
À l’ombre du général Georgelin
Pour garantir la réouverture de la cathédrale Notre-Dame fin 2024
et succéder au général, disparu accidentellement au mois d’août,
son bras droit et fidèle collaborateur fait l’unanimité.

P
­insisté sur « l’éthique exemplaire » de son supérieur,
hilippe Jost n’a eu qu’à prononcer
quelques phrases pour que l’assemblée lui offre un ton-
nerre d’applaudissements. En ce matin d’obsèques du
général Jean-Louis Georgelin, au terme d’une longue
cérémonie solennelle et recueillie, le souffle qui s’est
alors engouffré dans la nef de la cathédrale Saint-Louis-
des-Invalides exprimait bien plus que l’hommage à
l’homme qui venait de mourir brutalement. Il manifes-
tait un soulagement, lié à la conviction désormais pal-
pable que, oui, le chantier du siècle allait se poursuivre
à la même cadence, sur sa lancée. Oui, la réouverture
promise aurait bien lieu à Noël 2024. « Nous prenons un
engagement collectif de mener à bien cette magnifique
mission qui a fait votre vie depuis quatre ans […], a-t-il
dit à l’adresse du défunt. Il reste beaucoup à faire, des
aléas et des imprévus sont certainement en embuscade,
mais nous vous le devons. »
DERNIÈRE BATAILLE
Dans l’église comble, nombreux étaient ceux qui décou-
vraient alors, derrière un micro, le visage de ce polytechni-
cien aux cheveux grisonnants, né en 1960, à Paris, de
­parents professeurs d’allemand et de lettres classiques. Un
fidèle parmi les fidèles du général cinq étoiles. Évoluant
dans son ombre depuis près de vingt ans, il a été ingénieur
de l’armement, directeur des plans pendant plusieurs
­années. Après l’incendie d’avril 2019, Georgelin et Jost ont,
ensemble, relevé le défi quasi biblique de reconstruire
­Notre-Dame en cinq ans.
En ce matin frais du 25 août dernier, Philippe Jost a
louant son « sixième sens stratégique toujours en éveil »,
sa « foi profonde nourrie par la lecture des psaumes ».
À vrai dire, ces deux hommes-là ne se quittaient plus.
Soucieux des deniers qui leur ont été confiés, ils ont
mené une série d’appels d’offres complexes entre
l’automne 2021 et l’été 2022 auprès d’entreprises spécia-
lisées et de métiers d’art. Ils ont écrémé le ballet des vani-
teux et des ambitieux, prompts à prendre position
autour d’un chantier qui, tel un ogre, absorbera le quasi-
milliard d’euros recueilli pour cette reconstruction.
La sobriété contenue de Jost compensait la voix toni-
truante du général. « Philippe Jost est un homme très fin.
Un serviteur de l’État », glisse un évêque. « Il serre les
budgets, regarde de près et, en bon ingénieur, garde l’obses-
sion que ça fonctionne », renchérit Xavier Rodriguez,
président du groupe Jarnias, qui est intervenu tel « une
force spéciale » pour atteindre les endroits inaccessibles.
« Il n’a pas le charisme du général mais il travaille d’arra-
che-pied à l’organisation de ce chantier depuis quatre
ans », témoigne Didier Durand, PDG de Pierrenoël, qui
fait de la maçonnerie traditionnelle.
Pour les seize mois qui restent avant la réouverture,
d’aucuns craignent de voir nommer une nouvelle tête
d’affiche. Déjà, les candidats se pressent au Palais de
l’Élysée pour reprendre le flambeau. « Je ne rentrerai pas
dans une logique de campagne, répond simplement
­Philippe Jost, joint par téléphone lundi. Ce qui doit se
faire se fera. » Un observateur avisé s’étonne : « c’est
­curieux, tout le monde veut savoir qui remplacera Georgelin,
est-ce vraiment intéressant ? La machine est lancée, tout
est financé et contractualisé. Et surtout, seul Macron sait
et décide. » Le président, connu pour sa faculté à réflé-
chir longuement aux nominations, en particulier pour
les établissements culturels, a-t-il intérêt à bousculer une
équipe qui a fait ses preuves ? Guyonne de Montjou

23/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 E n t r é e s L i b r e s

les indiscrétions

“
de carl meeus

“Nous sommes le point

d’équilibre
Hervé Marseille

“ Vous devriez être contents

que nous soyons là !
Jordan Bardella

D
es « rencontres de Saint-Denis », certains observa-
teurs n’ont voulu retenir que la durée des échanges
entre Emmanuel Macron et les dirigeants des partis
politiques. D’autres se sont focalisés sur le fait que la gauche,
après avoir proclamé qu’elle quitterait la réunion avant le dî-
ner, était restée jusqu’au bout de la nuit. Mais en réalité, ce
qui a été le plus important ce jour-là, voire historique, est la
participation de Jordan Bardella, président du Rassemble-
ment national. En intégrant le RN au milieu des autres par-
tis, Emmanuel Macron a sans doute plus fait pour sa dédia-
bolisation que tous les efforts de Marine Le Pen ces dernières

Q
ui aurait pu prévoir, voici quelques années,
que les centristes de l’UDI seraient l’une des
forces incontournables de la rentrée poli­-
tique de 2023 ? Sûrement pas Emmanuel
Macron qui avait pour ambition, en 2017,
de remplacer le « vieux monde » politique.
Six ans plus tard, il doit composer avec le parti du séna-
teur Hervé Marseille, qui incarne parfaitement ce
« vieux monde » que le président de la République ne
voulait plus mais qui s’impose à lui. Son groupe au Sénat,
l’Union centriste, appartient à la majorité au palais du
Luxembourg avec les Républicains, mais sur sa liste
dans les Hauts-de-Seine, pour les élections du 24 sep-
tembre, il a intégré des candidats d’Horizons d’Édouard
Philippe et du MoDem de François Bayrou, membres
de la majorité présidentielle. Confiant dans l’issue du
scrutin, Hervé Marseille estime que « la majorité sénato-
riale va être stabilisée, voire renforcée, grâce à nous »,
mais surtout qu’elle « va être plus équilibrée » si les cen-
tristes gagnent des sièges quand les LR peuvent en per-
dre. « Nous sommes le point d’équilibre. » Ainsi, Hervé
années. Qui, après ce jour, ne voudra plus débattre avec le
RN sous prétexte qu’il n’est pas « républicain » ? Surtout
qu’habilement, sur les institutions notamment, Jordan
­Bardella a fait des propositions que la droite ou les macro-
nistes partagent, comme le regroupement des élections loca-
les, l’élection directe des maires de Paris, Lyon et Marseille,
le changement de mode de scrutin aux législa­tives. Surtout,
également, quand on sait que les responsables de la Nupes
n’ont pas contesté la présence de Jordan ­Bardella. « La gau-
che n’a pas protesté quand il parlait », raconte un des partici-
pants. Il faut dire que le député européen avait travaillé, au
point d’impressionner jusqu’à Emmanuel Macron. Le
jeune homme – il n’a que 28 ans – s’est même permis de lan-
cer à l’assistance : « Vous
devriez être contents que
nous soyons là ! » Autre-
ment dit, le RN serait
« l’ultime rempart » qui
permettrait de canaliser
les mécontentements, en
leur offrant une issue dé-
mocratique. « Où seraient
François BOUCHON, Sébastien SORIANO/Le Figaro

­Marseille a fait savoir à ses amis Républicains qu’il n’em- c e s F ra n ç a i s s i n o u s

barquerait pas l’UDI avec eux dans leurs états généraux n’étions pas là ? » a pu dire
de la droite. Autre point de discussion, la loi immigration. le patron du RN, évo-
Hervé Marseille, qui était à Tourcoing chez Gérald quant ces classes popu-
­Darmanin pour sa rentrée politique, n’est « pas dans l’état laires qui ont déserté la
d’esprit des LR sur l’article 3 », celui qui concerne les titres gauche depuis long-
de séjour pour les métiers en tension. En revanche, il sou- temps et que les macro-
haite que le gouvernement reparte du texte modifié et n i s t e s, n o t a m m e n t
voté en commission au Sénat. Ce qui n’est pas le souhait ­Gérald Darmanin, cher-
d’Emmanuel Macron, pour le moment. chent à récupérer.

24/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 E n t r é e s
Polémique
Les mirages de l’agrivoltaÏsme
Encouragée par les pouvoirs publics, la production d’énergie photovoltaïque séduit le monde
agricole : les panneaux solaires envahissent les campagnes, dénaturant les paysages.
Par Ghislain de Montalembert
C
’est devenu la nouvelle marotte des agricul-
teurs : installer un tracker solaire à proximité
de leur exploitation en vue d’acquérir une
­indépendance énergétique précieuse, voire de
revendre les surplus d’électricité potentielle-
ment générés par ces gigantesques panneaux solaires
montés sur un mât de béton d’une dizaine de mètres de
hauteur. La particularité de ces ombrières mobiles qui
prolifèrent dans les campagnes ? Grâce au moteur dont
elles sont équipées, elles suivent les mouvements du
­soleil, à la façon d’un tournesol. À la clé : une efficacité
renforcée d’environ 70 % par rapport aux installations
solaires en toiture. « Un panneau photovoltaïque a un ren-
dement maximal quand il est perpendiculaire aux rayons
du soleil. Le tracker solaire biaxe, ou traceur solaire, est un
dispositif mécanique qui permet de suivre la course du
­soleil et maintient les cellules photovoltaïques face à lui
pour maximiser la production d’énergie renouvelable et
produire de l’électricité de manière stable et linéaire du
­lever au coucher du soleil, quelle que soit la saison »,
­explique la société OKwind, introduite en Bourse il y a
un peu plus d’un an. Le carnet de commandes de cette
start-up bretonne ne cesse de s’étoffer.
Les trackers solaires valent certes un certain prix (entre
50 000 et 100 000 euros) mais, une fois l’investissement
initial amorti, l’agriculteur peut espérer percevoir des
­revenus complémentaires (comme tout particulier que
rien n’empêche d’installer ce type d’engin dans son jar-
din, une fois sa demande de travaux acceptée en mairie).
Rien à redire, a priori. Sauf, objectera-t-on, en ce qui
concerne l’artificialisation des sols et la préservation des
paysages. Ces trackers futuristes, qui ressemblent à d’im-
menses écrans plasma piqués au milieu des champs, sont
en effet peu esthétiques. Mais c’est peut-être un moindre
26/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
L i b r e s
mal. Encouragé par les pouvoirs publics depuis la loi
d’accélération des énergies renouvelables adoptée en
­décembre 2022 (l’État ambitionne de multiplier par dix
la production d’énergie solaire d’ici à 2050), le dévelop-
pement de l’agrivoltaïsme, lorsque celui-ci est envisagé à
grande échelle, peut prendre des contours bien plus
­inquiétants. On ne parle plus alors d’un simple mât de
béton planté dans le sol, mais de fermes photovoltaïques
s’étendant sur des dizaines d’hectares, composées de
centaines voire de milliers de panneaux solaires.
Plusieurs mégaprojets de ce type sont en cours en France.
Comme celui de Seucats, au sud de Bordeaux, où Engie
et Neoen veulent construire un parc photovoltaïque
géant sur 1 000 hectares ; ou celui, très contesté, de
­Solarzac, porté par Arkolia Énergies, sur la petite com-
mune du Cros, située dans une zone classée Natura 2 000
et patrimoine mondial de l’Unesco au titre des paysages
culturels de l’agropastoralisme méditerranéen.
La perspective de gains attractifs
L’entreprise, qui envisageait de recouvrir entre 220 et
400 hectares de panneaux solaires, a dû revoir ses ambi-
tions à la baisse face à la levée de boucliers suscitée par
le projet : on évoque désormais une surface de panneaux
solaires de 150 à 200 hectares capable de produire l’équi-
valent de la consommation électrique de 100 000 à
130 000 personnes (hors chauffage). Autre exemple :
dans la Nièvre, pas moins de 2 000 hectares sont mena-
cés par l’installation de panneaux photovoltaïques sur
des terres initialement vouées à l’agriculture, comme à
Germenay-Dirol où un projet envisage le remplacement
de 75 hectares de culture de maïs par un champ de pan-
neaux solaires. La vocation nourricière de la terre est
vite oubliée face aux perspectives de gains financiers.
Avec ce genre d’opérations, les propriétaires fonciers
peuvent espérer percevoir entre 2 000 et 4 000 euros par
an à l’hectare en louant leurs terres à un industriel du
secteur énergétique. Soit 20 à 30 fois plus que ce qu’ils
obtiendraient dans le cadre d’un fermage classique !
­Revers de médaille : cette perspective de gains alléchants
fait grimper le prix des terres, les rendant inaccessibles
aux agriculteurs. « L’agrivoltaïsme et les centrales photo-
voltaïques sur les terres agricoles ont un impact majeur
sur les prix et la disponibilité du foncier », a dénoncé la
Confédération paysanne dans une lettre ouverte adres-
sée il y a un an au président de la République, soulignant
la contradiction de cette situation avec l’objectif gou-
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vernemental de doublement des installations d’agricul-
teurs pour assurer le renouvellement des générations.
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Il n’y a plus de françafrique
L’ingérence de la France dans une partie du continent africain est devenue un mythe
plus qu’une réalité. Le retour au pouvoir des militaires au Niger ou ailleurs devrait aider
à le comprendre. Ainsi que le reflux des intérêts économiques français depuis vingt ans.
1 Le mirage africain
d’emmanuel macron
Dès 2017, il annonce dans le discours de
Ouagadougou sa volonté de mettre fin à
la Françafrique jacobine pour privilégier
un nouveau libéralisme culturel et
économique. Le projet élyséen entend
minorer publiquement son appui aux
gouvernements et séduire
médiatiquement les forces vives de ces
sociétés en pleine explosion
démographique. Emmanuel Macron l’a
fait à l’occasion de ses voyages (2017,
2023), en mettant en scène la restitution
des œuvres d’art à l’Afrique, et lors du
sommet Afrique-France à Montpellier
(2021) qui chante la jeunesse et ignore
les chefs d’État. « Macron a inutilement
fragilisé les dirigeants africains, tout en
continuant de les soutenir, mais du bout
des lèvres. Or comment négocier une
nouvelle politique avec des chefs d’État
que vous avez traités sans égard ? » se
demande Kako Nubukpo, économiste
togolais et auteur de L’Urgence africaine
(Odile Jacob). L’échec est garanti, car la
jeunesse n’a pas cru au macronisme.
« Les nouvelles classes moyennes
africaines ne l’ont pas suivi, comme le
montrent les sondages : il ne leur a pas
échappé que la France n’a pas délivré
plus de visas d’affaires ni de visas
étudiants, et qu’elle a maintenu le franc
CFA, sans parler de ses huit ans de
présence militaire au Sahel », résume
Kako Nubukpo.
E n t r é e s L i b r e s
Les clés pour comprendre
Par Charles Jaigu
2 L’afrique
en treillis
Les coups d’État en série qui secouent les
capitales d’Afrique subsaharienne
s’appuient sur la colère d’une jeunesse
nombreuse et très pauvre qui se laisse
facilement séduire par un nouveau
populisme propagé par les réseaux
sociaux. « L’Afrique en treillis est en train de
revenir après trop de déceptions
démocratiques », dit Thierry Vircoulon, de
l’Institut français des relations
internationales. L’Afrique « startupeuse »
chère à Emmanuel Macron n’a pas eu
l’ascendant. Cette remilitarisation de
nombreux gouvernements ne fera que
confirmer l’affaiblissement du lien
commercial de la France avec sa zone
francophone. « Au Gabon, la France a
longtemps détenu 40 % de part de marché,
mais elle a diminué d’environ 10 points ces
dernières années, et une génération
d’entrepreneurs français est partie à la
retraite sans être remplacée », lit-on dans
le rapport sur « Relancer la présence
économique française en Afrique » (2019).
Au Niger, l’approvisionnement en uranium
est devenu moins prioritaire pour la
France et la balance commerciale entre
les deux pays n’était que de 180 millions
d’euros en 2022. Les sociétés
d’exploitation des minerais sont depuis
longtemps majoritairement chinoises ou
anglo-américaines. Reste Total, dont
l’extraction des hydrocarbures en Afrique
est en diminution.
28/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
3 nouvelles stratégies
économiques
La chute des échanges commerciaux
avec l’Afrique a eu lieu il y a longtemps.
Après les indépendances des années
1960, ces échanges sont passés de 30 à
15 % du commerce total du continent
africain dans les années 1980. Cette
part relativement stable de 15 % a
encore décru à 6 % dans les vingt
dernières années. Cette baisse
s’explique par l’arrivée de nouveaux
venus. Bien sûr la Chine, mais aussi
l’Allemagne, l’Inde, les pays de la
péninsule arabique, ou encore le Maroc
qui, par exemple, rachète les licences
bancaires françaises en Afrique. Les
exportations françaises ont malgré tout
doublé en valeur absolue, profitant d’un
marché africain en pleine explosion
(il a quadruplé depuis 2000).
Les entreprises hexagonales ont aussi
découvert l’intérêt de la zone
anglophone. « Dans ces pays, le concept
de “Françafrique” est inconnu. On y fait
des affaires sans être exposé au même
reproche de tirer avantage d’une
position dominante », relève Kako
Nubukpo. « Désormais, le Kenya,
l’Afrique du Sud, l’Angola, l’Éthiopie sont
les premiers partenaires économiques
de la France, et ils devancent la Côte
d’Ivoire, en cinquième position »,
ajoute-t-il, en soulignant aussi
« la multiplication des partenariats
AFP
franco-chinois (Vinci, Total) ».
 EE n
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MISE À JOUR

CORNHOLE, LA FOLIE AMÉRICAINE DÉBARQUE EN FRANCE

Envoyer un sac de maïs dans un trou de souris, c’est le défi qu’ont relevé les joueurs de cornhole
au cours des championnats du monde qui viennent de se dérouler à Paris. Une première.
Par Charles Lescurier

1 CINCINNATI,
BERCEAU MODERNE
D’après l’hypothèse la plus probable, le cornhole, qui consiste
à lancer des sacs de maïs dans un trou, aurait été inventé
par des paysans bavarois au XIVe siècle. Puis, les migrants
allemands l'auraient introduit en Amérique. Ce dont on est
certain, c’est qu’il prolifère ensuite autour de Cincinnati jusqu’à
éclore aujourd’hui pour devenir un phénomène
ultrapopulaire qui séduit des millions d’Américains…
60 cm
15 cm
10,15 cm
2 LA FRANCE EN
PREMIÈRE LIGNE
Pour la première fois, les championnats du monde ont été
organisés en dehors des États-Unis. Et c’est en France, au
stade Charléty, qu’ils viennent de se dérouler début
septembre. Car l’Hexagone a aussi été conquis par ce sport
simple et convivial où « Tout le monde peut jouer, tout
le monde peut gagner », comme l’exprime le slogan de
l'Organisation mondiale de la discipline. « Un valide peut
être battu par un non-valide, un homme par une femme,
un sédentaire par un sportif », confirme Axel Bourdin,
président de la fédération française.

120 À l’intérieur des sacs,

cm
des billes de plastique
ont remplacé les grains
de maïs
Les sacs peuvent
comporter deux
tissus différents
de chaque côté
Taille :15
15 x 15 cm
Poids : entre 430 et 460 g
Épaisseur : entre 2,8 et 3,8 cm

Les planches
30,5 cm
doivent avoir
1,5 cm un poids
d’au moins 7 kg
10 °
Bois lisse

3 UN TROU DE 15 CM INFOGRAPHIE LE FIGARO

Comment compter les points
À 8,23 MÈTRES Exemple : 4 BLOQUER L’ACCÈS
A joue contre B et
Les épreuves se disputent en simple le score est 9-3. Généralement, les joueurs tentent de bloquer
ou en double. Les joueurs lancent À la fin du tour suivant, l’accès à l’orifice en lançant un sac juste
chacun 4 sacs d’un peu plus de 400 g, le joueur A a lancé devant. Il faut alors soit passer par-dessus en
SOURCES : FFCH.FR, WCO-CORNHOLE.FR

en visant le trou de 15 cm de diamètre
placé en haut d’une planche légèrement
inclinée distante de 8,23 m. Le décompte
des points est le suivant : 3 points pour
un sac tombé dans le trou, 1 point s'il est
posé sur la planche, zéro s'il tombe
au sol. Le gagnant marque la différence
de points avec le perdant jusqu'à arriver
à 21.
1 sac dans le trou,
2 sacs sur le plateau
et 1 sac en dehors
pour un total de 5 points (1 x 3 + 2 x 1).
Le joueur B a lancé 4 sacs sur le plateau
pour 4 points au total (4 x 1). Le score
du tour est alors 1 point (5 – 4 = 1) que
le joueur A ajoutera à son score global.
Le nouveau score est maintenant 10-3.
tentant un roller bag, soit tirer directement
dans le trou sans toucher la planche, ce sera
un air mail. La réussite est conditionnée
par le choix des sacs, sélectionnés en fonction
de leur densité et de leur vitesse de glisse.
Le week-end dernier, les Français sont
devenus vice-champions du monde derrière
les intouchables Américains, mais devant
16 autres nations.

8 / Le
30/ Le Figaro
Figaro Magazine
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Initiative

Réparer plutôt que jeter

U
La plate-forme Fingz.fr met en relation n talon cassé, un bouton perdu, un bracelet
les particuliers avec des réparateurs fiables de montre brisé… Face à ces petits tracas du
quotidien, le réflexe immédiat serait d’aller
et locaux dans le but de stimuler au plus vite en jetant les produits en
l’économie circulaire. ­question avant d’en racheter de nouveaux.
Pas facile en effet de trouver un réparateur qualifié,
­proche de chez soi, capable de redonner vie à des objets
parfois chargés d’une empreinte émotionnelle indélé-
bile. Pour répondre à la montée des sensibilités environ-
nementales, la start-up Fingz lance une plate-forme uni-
que, conçue pour mettre gratuitement en relation les
citoyens avec des artisans fiables et certifiés. Il convient
de choisir un univers (cordonnerie, couture, maroquine-
30
artisans
rie, montres, vélos, ordinateurs…), puis un type de pres-
tation (pose de bouton, changement de bracelet, répara-
certifiés tion d’imprimante…) pour voir apparaître une liste de
professionnels proches de sa localisation. Pour l’heure,
le site regroupe une trentaine d’artisans, dont 80 % à
18
univers
­Paris. « Pour le démarrage, nous avons préféré nous
concentrer sur certains métiers prioritaires pour lesquels
i l n’ ex i s t e p a s d e s o l u t i o n d i g i t a l e » , ex p l i q u e
­Emmanuelle Bourgueil, la fondatrice de Fingz. Dans un
39 €
l’abonnement
futur proche, la plate-forme ambitionne de s’étendre
dans les grandes villes françaises. Elle compte également
mensuel intégrer la gestion du bonus réparation initié par le
pour les ­gouvernement. Ce dernier sera retiré du prix final (entre
réparateurs 10 et 45 € en moins selon la prestation) et remboursé
­directement à l’artisan. Pascal Grandmaison

Objet

L’antivol voiture
Au moindre mouvement suspect, ce traceur GPS lance une alerte sur mobile
et assure le suivi des déplacements du véhicule.

D
estiné aux collection-
neurs de voitures de luxe
comme aux propriétaires
soucieux de l’intégrité de
leur véhicule, le traceur
GPS Flashbird Auto de ­Pégase (299 €,
avec un abonnement mensuel de 5 €)
protège les voitures, les vans ou les
­camionnettes contre le vol. Branché
à moins qu’ils ne préfèrent alerter les
forces de l’ordre grâce à un module de
déclaration immédiate. Autre usage,
les pilotes sur circuit peuvent exploiter
les facultés de géolocalisation de l’ap-
pareil pour découvrir l’historique de
leur conduite (itiné­raires, vitesse,
temps au tour…). ­Résistant aux
­intempéries comme à la poussière,
Kzenon - stock.adobe.com ; service de presse

dans le moteur en 2 minutes (un seul compact (4 x 8 cm), F ­ lashbird Auto

câble à fixer), il se connecte aux
­réseaux mobiles 4G, IoT et GPRS,
ainsi qu’aux réseaux GPS et Galileo,
pour lancer une alerte instantanée sur
smartphone en cas de mouvement sus-
pect ou de déplacement inopiné.
À l’aide de l’affichage sur carte de la
position au mètre près, les utilisateurs
retrouveront rapidement leur ­véhicule,
s’installe facilement sur tout type de
véhicule. En charge à chaque fois que
le moteur est en ­marche, il assure une
autonomie de 1 000 kilomètres s’il
­venait à être ­déconnecté de la batterie.
Il est livré avec un porte-clés intelligent
qui reconnaît le conducteur et active
ou désactive automatiquement
­l’antivol. P. G.

32/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

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Source : DNCA Finance au 30/09/2022. Ce document promotionnel est un outil de présentation simplifié et ne constitue ni une offre de souscription ni un conseil en investissement. Ce document ne peut être reproduit,
diffusé, communiqué, en tout ou partie, sans autorisation préalable de la société de gestion. L’accès aux produits et services présentés peut faire l’objet de restrictions à l’égard de certaines personnes ou de certains
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ou gratuitement sur simple demande au siège de la société de gestion. DNCA Finance peut recevoir ou payer une rémunération ou une rétrocession en relation avec le compartiment présenté. Compartiment de
DNCA INVEST Société d’investissement à capital variable (SICAV) de droit luxembourgeois ayant la forme d’une Société Anonyme – domiciliée au 60 Av. J.F. Kennedy - L-1855 Luxembourg. Elle est agréée par la
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 E n t r é e s L i b r e s

Un homme, une voix les rendez-vous de

J-R van der plaetsen
Nicolas Le Nen
incertitude et grandeur militaires
Dans un roman aussi rude qu’envoûtant, où l’on retrouvera les influences de Jean Lartéguy
et de Paul Bonnecarrère, ce général fait revivre la tragédie des survivants de Diên Biên Phu.

L
a plume et l’épée. Ou plu-
tôt : la plume et le fusil
d’assaut. Le général Nico-
las Le Nen n’a pas oublié
ses premières lectures, qui
l’ont convaincu de choisir le métier
des armes. Au programme : Erwan
Bergot, Paul Bonnecarrère, Jean
Lartéguy et Pierre Schoendoerffer.
Soit des auteurs qui ont tous planté
l’action de leurs romans pendant la
guerre d’Indochine. Le Nen n’a pas
oublié non plus ses premiers grades,
ceux de lieutenant et de capitaine,
souvent considérés comme les plus
enthousiasmants dans la carrière
d’un saint-cyrien.
Depuis sa sortie de Coëtquidan,
­Nicolas Le Nen a vécu des années
­intenses. Ayant opté pour les troupes
alpines, cet ancien chef de corps du
27e BCA (le bataillon dit des Glières)
s’est en effet illustré en Afghanistan,
au cours de la bataille d’Alasaï, puis
au service Action de la DGSE, qu’il
a dirigé pendant quatre ans. Parallè-
lement, Le Nen s’est toujours efforcé
d’écrire. Des ouvrages de réflexion
La phrase du livre à retenir (p. 135)
“Quand on fait la guerre,
on n’est jamais en paix
avec soi-même ; tout au plus
parvient-on à conclure
un armistice
avec sa conscience”
Armistice,
de Nicolas Le Nen,
Le Rocher, 320 p., 19,90 €.
sur l’art de la guerre, mais aussi des
romans, tel Armistice, qui devrait
rencontrer le succès dans le monde
militaire.
En décrivant la marche dans la jungle
de trois soldats faits prisonniers
après Diên Biên Phu, l’auteur par-
vient en effet à entremêler le récit
d’action et la réflexion sur le sens de
leurs actions. Il y a là un jeune lieute-
nant idéaliste, un ancien officier de la
Wehrmacht devenu sergent-chef
dans la Légion et un tirailleur qui a
déserté. Contre toute attente, le
­destin va nouer le sort de ces trois
­hommes de milieux et d’expériences
si différents, mais aux passés liés sans
qu’ils le sachent. Défilent aussi des
personnages secondaires inspirés de
P i e r re S c h o e n d o e r ff e r, Rog e r
­Vandenberghe ou Georges Boudarel.
« Je voulais montrer que la guerre
fournit à l’homme mille occasions de
chute, dit Le Nen, et autant de possibi-
lités de rachat. » Évoluant entre dam-
nation et rédemption, Armistice est
un beau et âpre roman de lieutenant
écrit par un général.

Nous vivons une époque

formidable, Mort à venise
par Nicolas Ungemuth

P
auvre Venise. La plus
belle ville du monde a
connu bien des soucis.
Il y a quelques années,
des touristes alcoolisées
plongeaient dans les canaux,
jetaient leurs canettes de
des paquebots a été les a photographiés sur un
sensiblement amélioré. bateau dans une position
Et puis voici qu’en étonnante : monsieur avait
août 2023, il y a quelques le pantalon en accordéon,
jours, est arrivé un fléau. madame avait la tête entre
Kanye West en personne. ses cuisses.
L’an dernier, il avait déclaré Ils commettaient l’acte de
Quentin Crestinu/SDP ; Backgrid USA / Bestimage

bière n’importe où. Certains
se promenaient torse nu, voir
en string. Des magasins de
camelote produite en Chine
ouvraient partout, les kébabs
remplaçaient les restaurants
italiens. Et puis il y avait
les paquebots de tourisme
géants. La mairie a réagi,
établi une sorte de charte de
bonne conduite, et distribué
les amendes. Le problème
son admiration pour
le moustachu teigneux
Adolf Hitler et avait sorti
quelques saillies
antisémites à faire passer
Médine pour BHL.
Le rappeur est arrivé
en Italie avec sa nouvelle
compagne, Bianca Censori
(photo). Depuis sa liaison
avec Kim Kardashian,
on sait qu’il aime les femmes
au fort séant. Celle-ci était
dans une tenue tellement
transparente qu’elle aurait
aussi bien pu venir nue.
Quelques jours plus tard,
un paparazzi
chair en version buccale !
Les Italiens, outrés, ont
réclamé leur expulsion.
Mais que viennent faire
ces gens à Venise ? Visiter
des églises ? Admirer
des tableaux ? Nourrir
des pigeons ? Pourquoi
ne partent-ils pas à Dubai,
à Miami, ou, mieux encore,
dans un Airbnb des quartiers
Nord de Marseille ?

34/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 L A PLUS
GR ANDE
HISTOIRE
JAMAIS
POR TÉE
RE T RO U V E Z-NOUS SUR LE V I.C OM
E T S U R L'APPLIC AT ION LE V I’S ®

Découvrez l'histoire d’une cargaison contenir. Mais pour toute la cargaison

très précieuse, de bateau x de p êche
naviguant vers les États-Unis dans les
années 1970 et retournant à Kingston
avec des tonneaux remplis de blue-jeans.
Car oui, le jean 501 arriva sur l’île de
®
la Jamaïque, caché parmi des disques de
rock, des westerns et toute la culture
pop américaine qu’un tonneau pouvait
importée par ces bateaux, les Jamaïcains
réexportèrent leur style et leur culture
dans le reste du monde. Une révolution
qui eut un retentissement des pistes
de dancehall aux quatre coins de la
planète. Découvrez l'île qui a joué un
rôle décisif dans la plus grande histoire
jamais portée.

150 e ANNIVERSAIRE DU LE VI’S ® 501®

E s p r i t s L i b r e s

Arnaud Montebourg.

Jean-Luc Bertini/Pasco and Co pour le Figaro magazine

Bernard Accoyer.

36/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Bernard accoyer & Arnaud Montebourg

La france a-t-elle retenu

la leçon de ses errances
en matière de nucléaire ?
L’ancien président de l’Assemblée nationale, qui dirige l’association de défense
du patrimoine nucléaire et du climat PNC-France, et l’ancien ministre de l’Économie,
désormais entrepreneur, alertent sur l’explosion des prix de l’énergie. S’ils saluent la volonté
de l’Élysée de relancer la filière nucléaire française, ils se montrent très critiques à l’égard
des mécanismes à l’œuvre à Bruxelles et appellent à sortir du marché européen de l’énergie.

L
Propos recueillis par Alexandre Devecchio et Émile Douysset

e 1er août, les tarifs réglemen­-
taires de l’électricité ont aug-
menté de 10 % ; il s’agit du début
de la fin du bouclier tarifaire qui
s’arrêtera en 2025. Les problèmes
structurels que nous avions en
matière de production d’électri-
cité sont-ils derrière nous ?
Arnaud Montebourg – Les généra-
tions passées ont eu l’intelli-
gence de bâtir un outil de pro-
duction centralisé extrêmement rentable, archicompétitif
qui s’appelle EDF. Cette entreprise s’appuie sur deux
jambes : l’hydraulique, avec les barrages construits après
la guerre, et le nucléaire construit dans les années 1970-
1980. EDF nous a donné une électricité très compétitive
qui nous a permis de faire face aux chocs pétroliers, et
­d ésormais au réchauffement climatique. Grâce au
­nucléaire, on obtient la décarbonation de l’économie.
Pourtant, nous importons chaque année, au minimum
50 milliards d’euros d’énergie fossile sur la balance
­commerciale. Nous avons échoué à ce jour à diminuer
cette quantité d’importations.
Bernard Accoyer – Autrefois en surabondance de production
électrique, la France se retrouve maintenant en manque
d’électricité. Nous sommes toujours dans une situation
précaire. Il ne faudrait pas croire que le problème est réglé.
C’est la raison pour laquelle la fin du bouclier – dont le gou-
vernement nous dit qu’elle interviendrait dans deux ans –
sera problématique pour les ménages et les entreprises.
On perçoit déjà les conséquences de la réduction de la
puissance de ce bouclier. Nombreux sont les ménages et
les entreprises à ne plus y arriver. On tait le nombre d’entre-
prises qui meurent en raison du coût de l’énergie. C’est un
énorme problème. C’est pourquoi, nous soutenons une
reprise extrêmement vigoureuse d’abord de la prise en
compte des réalités énergétiques et physiques, et ensuite de
la reconstruction de notre souveraineté énergétique et élec-
trique. La question européenne est au cœur de la probléma-
tique. Elle est aussi responsable de ces prix insupportables.
Comment expliquez-vous cette explosion des prix ?
Arnaud Montebourg – Les prix de l’énergie ont été multipliés
par 300 voire 400 %. Il y a une conjugaison de plusieurs
facteurs : la hausse brutale des taux d’intérêt, la décision
de la Banque centrale européenne pour contraindre l’infla-
tion, mais c’est une décision inconséquente et suiviste par
rapport à la Federal Reserve Bank. Pour diminuer l’infla-
tion, il faut d’abord s’occuper de l’électricité, dont le prix
trop élevé est le premier carburant. Le prix de l’électricité
est très élevé parce que les mécanismes de formation des
prix unifiés du marché européen de l’électricité sont indexés
sur le gaz. C’était une décision sans conséquence en 1996,
lorsqu’en dehors des traités, une directive est venue orga-
niser de cette façon le marché. Mais nous ne sommes pas
obligés de nous fier à cette organisation de marché ; ce n’est
pas dans les traités ni dans les compétences de la Com-
mission européenne. Nous pouvons donc parfaitement
nous en affranchir, exactement comme l’ont fait l’Espagne
et le Portugal. Or, nous sommes les bons élèves de la
construction européenne au détriment de l’intérêt national.
Nous nous retrouvons maintenant avec des prix destruc-
teurs. Conjuguée avec de tels taux d’intérêt, la fin des prêts
garantis par l’État que les entreprises ne peuvent pas rem-
bourser et les coûts de l’énergie qui les étranglent, une vague
de faillites a commencé sous nos yeux. Celle-ci fait partie des
plus graves de ces vingt dernières années. Des centaines de
milliers d’entreprises ne savent pas comment faire. Elles
appellent EDF ou Engie, mais n’obtiennent aucune ____ u

37/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 E s p r i t s
“Nous sommes les meilleurs en matière d’émissions de gaz à effet de serre
grâce à notre parc nucléaire et à nos barrages. Un certain nombre d’États
commence à nous rejoindre”Bernard Accoyer
“À propos de Fessenheim, Élisabeth Borne, ancienne directrice de cabinet
de Ségolène Royal, est venue à une réunion interministérielle avec la liste
des réacteurs qu’elle voulait fermer” Arnaud Montebourg
réponse. Je suis allé voir Olivia Grégoire, la ministre délé-
guée chargée des Petites et Moyennes entreprises, du Com-
merce, de l’Artisanat et du Tourisme, pour lui dire qu’il y a
le feu sur le terrain. J’ai vu le ministre de l’Industrie, Roland
Lescure. J’ai beau répéter qu’il y a le feu sur le territoire, ils
ne veulent pas – ou ne parviennent pas – à négocier la fin
du système de formation des prix européens. Nous sommes
arrivés au pied du mur de notre naïveté européenne.
Élisabeth Borne a expliqué que nous avions dépassé le pic
de l’inflation…
Bernard Accoyer – Il y a des différences entre les réalités
physiques, techniques, financières et un certain discours
politique. On oublie que le bouclier tarifaire a contribué à
ruiner les finances d’EDF. On lui a fait supporter une part
importante du coût faramineux du bouclier tarifaire,
l’autre part a été supportée par les finances de l’État, c’est-
à-dire la dette et les contribuables. La France doit absolu-
ment prendre ses responsabilités à Bruxelles. Certes, elle a
commencé à ajuster un peu ses positions, mais cela reste
insuffisant. La France a un espace pour dire « ça suffit ».
On ne peut plus continuer comme si de rien n’était. Un
changement fondamental sur ce qui est vital et stratégique
pour les États, c’est-à-dire l’accès et le coût de l’énergie, doit
être opéré. Cela exige une remise à l’heure des accords et des
pratiques européennes. Ce qui est en train de se passer à
Bruxelles est insupportable pour la France et les Français.
Arnaud Montebourg, pourquoi est-il si difficile de défen-
dre les intérêts français en Europe ?
Arnaud Montebourg – Si on veut comprendre ce qui est à
l’œuvre dans la mécanique européenne par rapport aux
décisions françaises, il faut lire le Discours de la servitude
volontaire de La Boétie. Nous nous sommes habitués à ce
fonctionnement et nous refusons de le remettre en cause.
Il s’agit pourtant d’une perte de liberté. La question écolo-
gique, telle qu’elle a été formulée par l’Europe, est devenue
un surplomb au nom duquel nous sommes fondés, nous,
dans notre taxonomie européenne, à demander de béné-
ficier du nucléaire. C’est une énergie non carbonée et pas
chère. En réalité, c’est une lutte entre l’Allemagne et la
France qui ne parvient pas à être résolue. Une décision prési-
dentielle doit être prise avec une adresse aux Français. Le
bouclier a coûté près de 80 milliards d’euros. Avec cet argent,
n’aurions-nous pu construire une dizaine d’EPR en un an ?
Notre dette explique-t-elle notre soumission à l’Allemagne ?
Bernard Accoyer – Il est certain que la situation de nos
­finances publiques pèse dans la balance, mais ce n’est pas
l’essentiel. L’essentiel est que l’Allemagne défend ses inté-
rêts qui doivent être conformes aux exigences de la coali-
tion au pouvoir, qu’elle soit de droite ou de gauche. Or, en
38/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
L i b r e s
Allemagne, pour faire une coalition, il faut composer avec
les Verts. Ces derniers ont poussé d’abord la gauche alle-
mande, puis la droite, à sortir du nucléaire. L’Allemagne va
donc uniquement dans cette direction, et l’impose à l’Eu-
rope et donc à la France. Or, c’est une impasse. La France
pour le moment n’a pas bougé. Lorsqu’en 2008, la France
accepte, avec le paquet énergie, la règle des « 3 x 20 », contrai-
gnant au développement d’énergies éolienne et solaire dont
nous n’avions pas besoin, c’est contre nos intérêts les plus
élémentaires. Depuis, on continue de suivre la volonté alle-
mande. De Gaulle avait pratiqué en son temps la politique
de la chaise vide. Il revient au chef de l’État de mesurer les
conséquences de ce qu’il se passe en ce moment à Bruxelles
et sur ses conséquences – que ce soit sur la formation du prix
de l’électricité, la réforme du marché de l’électricité, les aides
publiques à la production d’électricité décarbonée – car tout
est contraire aux intérêts de la France.
Arnaud Montebourg, lorsque vous étiez au gouvernement, le
PS a également négocié un accord de ce type avec les Verts…
Arnaud Montebourg – J’ai témoigné sous serment lors d’une
audition de la commission d’enquête parlementaire en déli-
vrant des archives, des témoignages et des faits. Pendant dix
ans, le discours politique et l’appareil d’État se sont mis en
ordre de marche pour mettre en œuvre un accord électoral
que j’ai qualifié « d’accord électoral de coin de table » entre
Martine Aubry, Cécile Duflot et François Hollande. L’in-
dustrie du nucléaire est une filière exportatrice, créatrice
d’emplois qui recrute 100 000 personnes, créée 400 000 em-
plois et assure notre indépendance énergétique. Cet accord
consistait en un échange de bons procédés : des circons-
criptions contre des réacteurs.
Mon travail au ministère a été de démontrer l’inanité, la
dangerosité et les risques que cette décision nous faisait
encourir. D’ailleurs, j’ai mené la bataille politique publi-
quement contre la partie verte du gouvernement, en répé-
tant que la filière nucléaire était une « filière d’avenir ». Ces
dix années d’affaissement de la filière ont eu pour consé-
quence de déstabiliser la prolongation des réacteurs : si pas
de prolongation, donc pas de maintenance et une diminu-
tion des compétences. Le président d’EDF l’a lui-même
dit : puisque les réacteurs seront arrêtés, à quoi bon les
entretenir ; ils sont condamnés. À propos de Fessenheim,
Élisabeth Borne, ancienne directrice de cabinet de Ségo-
lène Royal, est venue à une réunion interministérielle avec
la liste des réacteurs qu’elle voulait fermer. Avec mes colla-
borateurs, nous avons refusé de signer ce projet et nous
avons fini par l’emporter, mais l’histoire ultérieure a mon-
tré que le combat pour la décarbonation par le nucléaire
restait âprement à mener. ____u
 E s p r i t s
Pourquoi les politiques se laissent-ils intimider par les
­écologistes malgré leur faiblesse sur le plan électoral ?
Bernard Accoyer – L’écologie politique antinucléaire fait
partie du lobby antinucléaire qui fait cause commune avec
celui des éoliennes et du solaire. C’est un lobby redoutable,
soutenu par des États comme l’Allemagne ou par ceux qui
nous vendent du gaz liquéfié, comme les États-Unis, et tel
autre qui domine l’industrie nucléaire à l’exportation
comme la Russie. Tous ceux qui souhaitent affaiblir la
France sont avec eux. La production des panneaux photo-
voltaïques est à 90 % chinoise ; non seulement pour des
questions de prix, mais pour la performance des pan-
neaux. La Chine maîtrise parfaitement l’extraction des
produits critiques, leur traitement, leur transformation et
les conséquences environnementales et commerciales.
Le marché intérieur chinois des énergies renouvelables
est le premier au monde. De même pour ce qui est des
nacelles éoliennes ; les entreprises de production d’éolien-
nes européennes sont toutes en crise. Non seulement on
mise sur des énergies intermittentes, mais en plus on se
met dans les mains de puissances étrangères pour les
matières premières, pour leur fabrication. Or, nous maî-
trisons toute la chaîne du nucléaire, nous détenons les
matériaux et le combustible. On ne devrait pourtant
parler que de décarbonation et de souveraineté. Il faut
être objectif et réaliste.
Les six nouveaux réacteurs promis par Emmanuel Macron
seront-ils suffisants ? On dit que nous manquons d’ingé-
nieurs et que la filière a été complètement abandonnée.
Bernard Accoyer – Pourquoi se fixer un plafond ? On ne
pourra que bénéficier de nouvelles constructions si nous
voulons respecter nos engagements climatiques, c’est-à-
dire l’électrification des usages, des transports, des bâti-
ments et de tous les processus industriels – nous aurons
besoin de beaucoup plus d’électricité que les délires décrois-
sants de l’Agence de l’environnement et de la maîtrise de
l’énergie (Ademe) et de la Direction générale de l’énergie et
du climat (DGEC) bénie en leur temps par RTE. Sur les
ressources humaines, c’est un point extrêmement impor-
tant auquel EDF et l’État se sont attachés à apporter des
réponses. Il faut espérer que celles-ci seront à la hauteur
des besoins. Quand il y a une volonté politique très forte,
on peut faire bouger les montagnes et on doit pouvoir
atteindre des objectifs beaucoup plus importants. Nos
anciens ont su réunir les savoir-faire nécessaires des sou-
deurs, des maçons : c’est un objectif politique qu’il faudrait
se fixer. À Belfort, le président de la République a appelé
le pays à réveiller la filière. Ce « réveil » doit être à la hau-
teur de nos besoins. Nous devons viser la réindustriali-
sation de notre pays pour faire de la France « le château
d’eau des électrons » en Europe. C’est à notre portée, ça
peut être un objectif rassembleur. ■
Propos recueillis par Alexandre Devecchio et Émile Douysset
Lire la version longue de l’article sur LeFigaro.fr
40/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
L i b r e s
Le temps de réflexion
Ce juge qui accuse la justice
J e nous accuse, juges et politiques,
d’impuissance coupable et de non-assistance
à France en danger. » En quelques mots,
tout est dit. Ancien juge d’instruction
et député honoraire (LR), Georges Fenech dresse
un portrait au vitriol d’une société déboussolée,
au bord de la guerre civile, et prise en otage
par une minorité de magistrats militants
et de politiciens qui la conduisent tout droit
vers l’abîme. Son constat est d’autant plus
douloureux qu’il fait mouche et touche en plein
cœur. Ceux qui ne le liront pas lui reprocheront
sans doute d’avoir écrit un livre idéologique
hors-sol et partisan qui, comme de bien entendu,
« fait le jeu de l’extrême droite ».
À l’inverse, les lecteurs qui iront jusqu’au bout
seront frappés par sa lucidité, son honnêteté
intellectuelle et la force de son autocritique
envers un monde politique et judiciaire
dont il a lui-même longtemps fait partie.
Tout en dénonçant la complaisance et le déni
face à une politique migratoire hors de contrôle,
l’échec partiel des rêves d’intégration
« à la française » et une délinquance de plus
en plus impunie, Georges Fenech n’épargne
personne et surtout pas les juges « au profil
idéologiquement monochrome » du très politisé
Syndicat de la magistrature, tristement célèbre
pour son navrant « mur des cons ».
Également dans sa ligne de mire, les « tenants
de l’angélisme » qui, de Taubira à Dupond-Moretti,
ont littéralement « dévalué » le sens même
de la justice au profit d’un théâtre d’ombres
où la victime est trop souvent le délinquant
et non plus celui ou celle qu’il a pris pour cible.
Au fil des chapitres, sa colère enfle en constatant
« la lâcheté d’une classe politique tétanisée
face à une magistrature conquérante »
qui « sape le socle républicain en refusant,
par pure idéologie ou faiblesse, de s’attaquer
frontalement à la criminalité et à l’immigration
incontrôlée ».
Ni populiste ni racoleur, L’Ensauvagement
de la France décrit une réalité qui gêne
car elle met en lumière le consternant catalogue
Jean-Luc Bertini/Pasco and Co pour le Figaro magazine ; sdp
de reculs et de renoncements qui, année
après année, assombrissent
l’éclat de la « France des
Lumières ». À lire avant
qu’il ne soit trop tard.
Cyril Hofstein
L’Ensauvagement de la France.
La responsabilité des juges et
des politiques, de Georges Fenech,
Le Rocher, 215 p., 17,90 €.

la chronique
de françois d’orcival
Une “initiative politique
d’ampleur” qui se dégonfle
Lors de la réunion de Saint-Denis, le chef de l’État a dit
regretter la « perte d’autorité » induite par l’impossibilité
de briguer un nouveau mandat présidentiel.
C
’est dans Le Figaro Maga-
zine qu’Emmanuel
­Macron l’avait annoncé
le 4 août : « Je vais prendre
une initiative politique
d’ampleur. » Comme il n’allait pas
­refaire le « Conseil national de la
­refondation », il voulait essayer « de
réunir autour d’un projet clair et
­s imple tous ceux qui veulent s’y
­retrouver sans leur demander d’adhé-
rer à tout »…
Les pièces de cette initiative, il les a
rassemblées avec les représentants des
groupes politiques, représentés à
­l’Assemblée et au Sénat, de la France
insoumise au Rassemblement natio-
nal… Il les a conviés le 30 août,
­durant douze d’heures, dans un vaste
salon d’apparat de la maison d’éduca-
tion de la Légion d’honneur à Saint-
Denis. Et ce 6 septembre, il ­devait ­(lui-
même puisqu’il n’y avait pas d’autre
preneur de notes) en tirer les conclu-
sions devant ses ministres – à trois
jours de l’ouverture de la Coupe du
monde de rugby au stade de France,
également à Saint-Denis !
Une telle réunion politique, la mai-
son de la Légion d’honneur n’a pas
gardé mémoire d’en avoir accueilli
une depuis bien longtemps ; quant
aux chefs de partis, le président de la
République ne les avait pas reçus
­ensemble depuis la crise du Covid.
C’est pourtant une réunion normale
en démocratie. Enjeu : les quatre
­années à venir…
E s p r i t s L i b r e s
Emmanuel Macron a confié orale-
ment ses doutes à ses interlocuteurs
après qu’ils eurent déposé leurs por-
tables à l’entrée : « Dès qu’on ne peut
plus se représenter, il y a perte d’auto-
rité, votre serviteur est bien placé pour
le savoir »… En même temps, il
­retient l’unanimité qui s’est dégagée
sur la politique étrangère de la France
(Mélenchon n’était pas là), tant sur
l’Ukraine, l’Algérie, ou l’Afrique
sub­saharienne ; il a aussi observé
qu’il y avait convergence sur un
­retour possible au cumul de deux
mandats, sans négliger la part de pro-
portionnelle pour corriger les effets
du seul scrutin majoritaire. Reste à
« faire nation », comme dit Macron.
Mais comment ?
On lui suggère de recourir au référen-
dum ; l’article 11 de la Constitution en
limite l’usage, et lui n’est « pas trop
pour »…Même pour l’immigration ?
La difficulté est de rédiger la question,
dit l’un des présents, le sénateur Hervé
Marseille, président des centristes de
l’UDI. Devrait-on plutôt dissoudre
l’Assemblée pour rendre la parole aux
électeurs, absents de la discussion de
Saint-Denis ? La dissolution est un
pari ; risqué, redoutent les uns, néces-
saire, jugent les autres. D’autant que
les européennes ont lieu dans huit
mois. À gauche, on le sait, ce sera la
dispersion. Au centre et à droite, ce
peut être le même éclatement ou un
rassemblement de plusieurs couleurs.
Une élection peut en cacher une autre.
42/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
La minute Philo
droit à la liberté…
mais pas trop
A rmageddon ? On put
le croire tant l’encre,
la salive et les larmes
ont coulé tout l’été suite au
changement de ligne éditoriale
d’un journal du dimanche.
À en croire la « vox dominandi »,
les forces du Mal étaient
dans nos murs et l’anathème
de rigueur. Il l’est toujours.
Sur France Inter, une invitée
commentant l’affaire a
récemment déclaré sans
sourire : « Le pouvoir en place
n’a rien fait, et laisse faire
comme si l’indépendance
des médias […] ne faisait pas
partie de ses préoccupations. »
Voilà qui a le mérite de la
clarté. De la clarté obscure
et suicidaire de l’oxymore.
Car si le pouvoir politique
doit « s’occuper » de
l’indépendance des médias,
alors exit l’indépendance
que l’on supprimerait donc
au nom d’elle-même…
De tels propos ne sont hélas
qu’une variante contemporaine
du tragi-comique « Pas de
liberté pour les ennemis de la
liberté ». On est ici au cœur
de l’idéologie chimiquement
pure selon Hannah Arendt :
« Une idéologie est très
littéralement ce que son nom
indique : elle est la logique
d’une idée. » D’une seule idée
tenue pour vraie, belle
et bonne, et devant donc
naturellement exclure toutes
les idées contraires. Pour
l’idéologue, la diversité
des lignes éditoriales, donc
des idées qui les sous-
tendent, serait un péché
contre son esprit. Une
violence faite à son être. Une
blessure ontologique. En bon
dévot, il refuse l’obligation
douloureuse de penser contre
lui-même, donc de penser
tout court. Il ne rêve que d’une
domination sans partage
de ses bulletins paroissiaux
imposés par le « pouvoir
en place », son ministère de la
vérité, ses flics de la pensée.
Paulin Césari
AFP
 m l e rLa

lit t o ra et l e

t l a n tique
oi re-A
L aveni r d e laL
 Elon musk
l’homme
aux mille
visages
L’entrepreneur multimilliardaire aux intuitions fulgurantes
et obsédé par le progrès technologique est aussi un homme
perclus de traumatismes d’enfance, de souffrances,
de « démons » parfois incontrôlables. Capable d’élans
affectifs démesurés et de décisions managériales
ultraviolentes, le patron omnipotent de SpaceX, Tesla,
Neuralink et Twitter/X fascine autant qu’il inquiète…

E
Par Vincent Jolly

n ce jour de designers et les ingénieurs travaillent

2009, Drew
Baglino est un
peu angoissé.
Ce jeune ingé-
nieur de Tesla
Motors, dont
les équipes sont
en pleine
conception du
fameux « modèle S », la berline haut de
gamme qui sortira trois ans plus tard,
doit fournir à Elon Musk la réponse à
un problème décisif dans l’architec-
ture du véhicule : le nombre mini-
mum de cellules présentes dans la
batterie pour atteindre l’autonomie
ambitionnée. Un élément essentiel
puisque cette batterie, située sous le
plancher de la voiture, doit être la plus
plate possible afin de conserver la sil-
houette longiligne souhaitée par Musk.
Et éviter qu’elle ne ressemble « à un
­putain d’œuf sur roues ». La question du
design est loin d’être anodine pour
l’entrepreneur sud-africain, qui vient
de se séparer de Henrik Fisker, un
­designer danois connu pour avoir des-
siné des modèles emblématiques de
BMW et d’Aston Martin. Comme
Steve Jobs, Elon Musk tient à ce que les
ensemble. Il sait que le design n’est pas
qu’une question d’esthétisme mais bel
et bien, comme le disait le fondateur
d’Apple, « l’âme fondamentale d’une
création humaine qui finit par s’exprimer
dans les couches extérieures successives
du produit ou du service. »
Après plusieurs semaines passées à réflé-
chir à la question, Baglino, spécialiste
des questions de motopropulsion, a
fini par évaluer à 8 400 cellules le
nombre minimal de cellules néces-
saires. C’est ce qu’il vient d’assurer à
Elon Musk. Qui refuse. Et fixe sans
aucune forme de débat un objectif de
7 200 cellules.
une vision du monde
Baglino encaisse le caprice sans bron-
cher. Il sait comment son patron peut
réagir face aux gens qui le contredisent
ou lui apportent des mauvaises nou­-
velles – il n’hésite pas à agresser verbale-
ment ou à acculer son interlocuteur
pour l’humilier. Alors l’ingénieur s’exé-
cute. Et finira par confesser plus tard :
« Le truc dingue avec son objectif de
7 200 cellules, c’est qu’on est effectivement
arrivés à le faire. C’était un calcul à l’ins-
tinct, mais il est tombé pile-poil. » ___u

44/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 En couverture

REUTERS

45/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023


L’instinct. Ce serait donc ça, le secret
de la réussite de celui qui caracole en
tête du classement des hommes les plus
riches et les plus puissants de la pla-
nète ? C’est un peu court. Derrière les
coups d’éclat, les échecs et les polé­-
miques, il y a surtout une vision du
monde et de l’homme ; des convictions
nourries par des capacités intellec-
tuelles hors du commun ; une réflexion
que beaucoup de ses interlocuteurs et
collaborateurs qualifient certes de
chaotique, mais de redoutablement
efficace. Il y a aussi cette volonté systé-
mique à vouloir relever des défis que
tout le monde considère comme
­impossible. Ou une obsession de prou-
ver que le plus fort, c’est lui – comme
s’il était encore ce jeune enfant
­maltraité dans la cour d’une école en
Afrique du Sud par des garçons plus
grands que lui avant qu’il ne se rebelle
et se forge lui aussi une personnalité à
la dure. « Je suis l’alpha dans cette rela-
tion », aurait-il déclaré à sa première
femme. Sans oublier un père sévère et
abusif : Musk a évoqué de nombreuses
fois comment son père le torturait psy-
chologiquement. Sa vie d’adulte, aussi,
aura été marquée par des drames
­personnels, comme la mort de son
­premier enfant à l’âge de 10 semaines.
Cette singulière alchimie est au cœur
de l’ADN de celui qui s’est imposé
comme l’un des grands génies de ce
début de siècle, mais aussi comme une
personnalité publique incontournable
et mondialement connue.
accro aux jeux video
Diagnostiqué souffrant du syndrome
d’Asperger (une forme d’autisme
­caractérisé par un fonctionnement res-
treint dans les domaines de la commu-
nication et des interactions sociales),
Musk s’évade dès l’enfance dans la
science-fiction, les jeux de rôle et les
jeux vidéo. « L’une des raisons qui m’a
poussé à me lancer dans les nouvelles
technologies, peut-être même “la” rai-
son, c’est les jeux vidéo », raconte-t-il.
Adolescent, il va même jusqu’à déve-
lopper lui-même un jeu… où l’on
contrôle un vaisseau spatial qui se bat
contre des envahisseurs aliens. Cette
addiction aux jeux vidéo, où l’on doit
relever des défis toujours plus diffi-
En couverture
ciles, fait incontestablement écho à la
manière dont il gère sa vie.
Sa passion assumée pour la pop
culture des quarante dernières années
le distingue des autres grands patrons
de la Silicon Valley et des autres g­ énies
de son époque (Jobs, Gates ou
­Z uckerberg) dont il se rapproche
néanmoins par certains côtés. Comme
eux, il a, par exemple, abandonné l’uni-
versité prestigieuse qu’il fréquentait
pour se consacrer à ses projets, quittant
Stanford au milieu des ­années 1990
pour lancer un premier logiciel qu’il
­revendra quelques années plus tard
pour 300 millions de dollars. Avec cette
somme, il lancera X.com (le même
nom avec lequel il rebaptisera Twitter),
SpaceX est
désormais évalué
à 150 milliards
de dollars.
Avec le rachat
de Twitter,
il s’est sacré
roi de la plus
grande arène
mondiale
qui deviendra Paypal, vendu plus tard
à eBay pour 1,5 milliard de dollars. Un
montant anecdotique au regard des
évaluations boursières délirantes et
­mirobolantes de ces dernières années,
mais à l’époque, la transaction avait
fait date. Plutôt que de partir siroter des
cocktails sur une plage, il décide alors
de tout réinvestir en créant trois
­sociétés – dont SpaceX en 2002 et Tesla
46/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
­ otors (repabtisé Tesla) en 2004. Plus
M
que de simples investissements moti-
vés par le gain, ces entreprises sont
pour lui un moyen d’améliorer les
chances de survie de l’humanité sur
Terre : l’exploration spatiale avec
­SpaceX et la lutte contre le réchauffe-
ment climatique avec les énergies
­solaires et électriques de Tesla.
Résultat ? Elon Musk est aujourd’hui
à la tête d’une fortune estimée par
Forbes à 220 milliards de dollars. Il est
également PDG de cinq sociétés (dont
quatre qu’il a fondées) : SpaceX est
évalué à 150 milliards de dollars ; Tesla
à 1 000 milliards de dollars ; Neuralink
à 1 milliard et The Boring Company à
5,6 milliards de dollars. Il ne délègue la
direction d’aucune de ces entreprises et
les dirige toutes au jour le jour.
aussi puissant qu’un chef d’état
Mais au-delà de l’influence qu’une telle
somme d’argent confère à un individu,
le parcours d’Elon Musk témoigne
d’autre chose. Il symbolise cette
­manière dont les géants de la tech sont
devenus bien plus que des chefs de
conglomérats industriels. Ils incarnent
aujourd’hui une puissance et des pou-
voirs qui rivalisent avec ceux des gou-
vernements des plus grands États.
Dans une enquête du New Yorker
­publiée fin août, Ronan Farrow (le
journaliste qui a lancé l’affaire
­#MeToo) raconte comment Colin
Kahl, le sous-secrétaire américain à la
Défense pour la stratégie, s’est retrouvé
à devoir téléphoner à Elon Musk en
pleine crise ukrainienne. Pourquoi ? À
ce moment-là, la quasi-totalité des
communications de la résistance
­orchestrée par Kiev reposait sur le sys-
tème de fournisseur d’accès à internet
par satellite Starlink… propriété de
Musk, qui avait (à la demande de
­l’armée ukrainienne) envoyé plusieurs
centaines d’antennes pour venir en
aide au pays envahi par l’armée russe.
TODD ANDERSON/NYT-REDUX-REA ; sdp
« Même si techniquement il n’est ni
­diplomate ni un homme d’État, j’ai senti
qu’il était important de le traiter comme
tel, raconte Kahl. Compte tenu de l’in-
fluence qu’il avait sur la situation. »
Difficile de faire autrement quand des
militaires déployés sur le front témoi-
gnent dans la presse américaine : « sans
Starlink, nous aurions perdu la guerre ».
Problème : l’armée ukrainienne utilise
les satellites pour organiser sa défense,
mais aussi pour orchestrer des opéra-
tions offensives. Musk décide donc de
couper Starlink dans les zones où
mouille la flotte russe près de Sébas-
“
topol. Une décision justifiée par une
conviction : il est persuadé que
l’Ukraine doit rester neutre et qu’une
tentative de reconquête de la Crimée
pourrait entraîner une réaction en
chaîne catastrophique. De surcroît,
SpaceX ne peut pas – selon lui – se per-
mettre d’être perçu en train de subven-
tionner des frappes militaires de drones,
alimentant une guerre entre deux États.
mission civilisatrice
Cette décision comme plusieurs de ses
tweets jugés prorusses refroidiront ses
relations avec Kiev – Zelensky ira
même jusqu’à publier un sondage sur
le réseau social pour demander « quel
Elon Musk préférez-vous ? Celui qui
soutient l’Ukraine ou celui qui soutient
la Russie ».
Que le sort d’un pays envahi par un
autre puisse reposer sur la bonne
volonté d’un patron d’entreprise qui
n’est soumis à aucune forme de res-
ponsabilité et au tempérament impul-
sif comme celui d’Elon Musk fait
froid dans le dos. Particulièrement
quand celui-ci se sent investi d’une
mission civilisatrice. Ce qui est le cas
de Musk. Le rachat de Twitter, qu’il a
rebaptisé X, va aussi dans ce sens. Selon
lui, les médias sont affligés d’une pen-
sée unique et d’un conformisme qui
ostracisent ceux qui ne rentrent pas
dans le rang. En s’emparant de la plate-
forme, il espère en faire une agora
ouverte à toutes les opinions. Mais
surtout, il se sacre comme le roi de la
plus grande arène mondiale, celle où
journalistes, politiques et personnes
influentes s’affrontent sans cesse.
Certes, ses traumatismes d’enfance ont
profondément fait souffrir Musk. Mais
ils ont aussi permis de lui donner les
­armes pour mener sans retenue c­ haque
bataille qu’il doit livrer. Une histoire
­digne d’une fable : celui qui se faisait
harceler dans la cour d’école en est
­désormais devenu le nouveau caïd. ■
Vincent Jolly
son enfance,
sa rivalité
avec bill gates,
twitter…
Qui est vraiment Elon Musk ? Réponse dans une biographie
exceptionnelle signée Walter Isaacson, qui s’est appuyée
sur des témoignages et des documents totalement
inédits pour dresser le portrait du richissime chef
d’entreprise. Quelques jours avant sa sortie mondiale
en librairie, nous en publions des extraits exclusifs.
ENFANCE deux ou trois ans. Les conseillers
Elon Musk grandit en Afrique du d’éducation traitaient ce genre d’épi­-
Sud : là-bas, il connaît la souffrance et sodes comme des avertissements :
apprend comment y survivre. « Vous éviterez de vous montrer aussi
Un jour, à l’âge de 12 ans, il monte dans cons que ce petit abruti qui est mort l’an
un bus qui le conduit dernier. Soyez moins cré-
vers un camp de survie tins que cette lavette. »
e n p l e i n e b ro u s s e, L a d e u x i è m e fo i s
connu sous le nom de qu’Elon se retrouve à la
veldskool. Dans son veldskool, il approche
souvenir, « c’était Sa des16 ans. Il est bien
Majesté des Mouches, plus costaud, mesure
en mode paramilitaire ». plus de 1,80 mètre à la
Les gamins reçoivent suite d’une poussée de
tous de petites rations croissance qui l’a doté
de nourriture et d’eau, de la carrure d’un ours,
et ils sont autorisés ­(en- et s’est un peu initié au
couragés, à vrai dire) à judo. Cette fois, la veld­-
se les arracher par la « Elon Musk », skool se passe beaucoup
violence. « La brutalité de Walter Isaacson, mieux. « Je m’étais
était considérée comme Fayard, 621 p., 28 €. rendu compte que, si un
Traduit de l’anglais
une vertu », souligne son type me cherchait, je
par Johan-Frédérik
frère cadet, Kimbal. Hel-Guedj et Pierre pouvais lui mettre mon
Les grands apprennent Reignier. En librairie poing dans la figure, et
vite à frapper les petits le 13 septembre. qu’ensuite il ne viendrait
au visage pour leur plus s’en prendre à moi.
­piquer leurs rations. Encore chétif et Il me tabasserait peut-être, mais, si
mal à l’aise avec ses émotions, Elon se j’avais frappé bien fort, il ne recommen-
fait rouer de coups à deux reprises. Il cerait pas. »
perdra 5 kilos. Dans les années 1980, l’Afrique du
Vers la fin de la première semaine, les Sud est un pays violent, où les attaques
garçons sont séparés en deux groupes à la mitraillette et les meurtres au cou-
et reçoivent la consigne de se battre les teau sont monnaie courante. […] La
uns contre les autres. « C’était complè- famille Musk vit entourée de bergers
tement dingue, hallucinant », se rappelle allemands, entraînés à s’attaquer à qui-
Musk. Des gosses mouraient tous les conque passe en courant près de la ___u
47/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
maison. Un jour, alors âgé de 6 ans,
Elon trotte dans l’allée et son chien
préféré lui saute dessus et le mord
dans le dos, lui arrachant un épais
morceau de chair. Aux urgences, il ré-
siste alors qu’on s’apprête à le recou-
dre, refusant de se laisser soigner
avant d’avoir reçu la promesse que le
chien ne serait pas puni. « Vous n’allez
pas le tuer, hein ? » demande-t-il. On
lui jure que non. Lorsqu’il me raconte
cette histoire, Musk marque un
­silence, le regard perdu un très long
moment dans le vide. « Après ça, ils
l’ont évidemment buté. »
C’est à l’école qu’il vit ses expériences
les plus cuisantes. De tous les élèves de
sa classe, il est longtemps le plus jeune
et le plus petit. Il a du mal à saisir les
codes relationnels. N’étant pas d’un
naturel empathique, il n’a ni le désir ni
le réflexe de se faire apprécier. En consé­-
quence, il devient régulièrement la cible
de brutes qui le coincent et le frappent
au visage. « Celui qui n’a jamais pris de
coup de poing dans la gueule ne peut pas
comprendre en quoi ça vous affecte pour
le reste de votre vie », confie-t-il.
Un matin, à l’assembly, le rassemble-
ment hebdomadaire de tout l’établisse-
ment, un élève qui chahute avec une
bande de potes lui tombe dessus. Elon
le repousse. Les insultes volent. À la
­récréation, le garçon et ses amis le cher-
chent partout et le retrouvent, un sand-
wich à la main. Ils s’attaquent à lui par-
derrière, lui rouent la tête de coups de
pied et le poussent tout en bas d’une
volée de marches en béton. « Ils se sont
assis sur lui et ils l’ont tabassé sans fin en
lui défonçant la tête, explique Kimbal,
qui se trouvait avec lui à l’époque.
Quand les gars ont laissé tomber, je ne
reconnaissais même plus son visage. Ce
n’étaitplus qu’une masse de chair, telle-
ment enflée que ses yeux étaient à peine
visibles. » On le conduit à l’hôpital, et
il manque les cours une semaine. Des
dizaines d’années plus tard, il subira
encore des interventions chirurgicales
pour tenter de réparer les tissus de sa
cloison nasale.
Mais les blessures physiques sont peu
de chose face aux balafres émotion-
nelles que lui inflige son père, ingé-
nieur véreux et rêveur charismatique,
qui hante encore Elon. Après cette
Avec ses parents,
sa sœur Tosca et
son frère Kimbal.
ses
traumatismes
d’enfance
l’ont rendu
vulnérable
rossée à l’école, Errol prend parti pour
le garçon qui a démoli le visage de son
fils. « Ce garçon venait de perdre son
père, c’était un suicide, et Elon l’avait
traité de débile, raconte Errol. Elon
avait cette mauvaise habitude de traiter
les autres de débiles. Comment j’aurais
pu en vouloir à cet enfant ? » Quand
Elon rentre enfin de l’hôpital, son
père le réprimande. « J’ai dû rester
planté une heure devant lui, pendant
qu’il me hurlait dessus en me traitant
d’idiot et en me répétant que je n’étais
bon à rien », se rappelle-t-il.
[…] « Quelqu’un a dit un jour que chaque
homme tente de se montrer à la hauteur
des attentes de son père ou de réparer
ses erreurs, écrit Barack Obama dans
ses Mémoires, Une terre promise, et je
suppose que cela explique la sorte de
maladie dont je suis atteint. » Dans le
cas d’Elon Musk, l’ombre portée de
son père sur son psychisme sera dura-
ble, malgré ses nombreuses tentatives
pour le bannir de son existence, tant
sur le plan physique que psycholo­-
gique. Ses humeurs cycliques passent
de l’ombre à la lumière, de l’intense au
loufoque, du détachement à l’émoti-
vité, avec de temps à autre des plongées
occasionnelles dans un « mode
­démon » très redouté par son entou-
rage. À l’inverse de son père, il se montre
48/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
aimant avec ses enfants. Mais, à d’autres
égards, son comportement laisse affleu-
rer un danger qu’il doit constamment
combattre : le risque, ­selon le propos de
sa mère, « qu’il ­devienne son père ». C’est
l’un des motifs les plus évocateurs de la
mythologie. Dans quelle mesure la
quête épique du héros de Star Wars
­impose-t-elle à son fils d’exorciser les
­démons que Dark Vador lui a laissés en
héritage et de lutter contre le côté obscur
de la Force ?
[…] Sorti de ce chaudron, Musk s’est
créé une aura qui lui donne parfois des
allures d’extraterrestre, comme si sa
mission martienne était une aspiration
à retourner d’où il vient, comme si son
désir de construire des robots huma-
noïdes participait de la quête d’une
lignée. On ne serait pas absolument
choqué de le voir arracher sa chemise
et de découvrir qu’il n’a pas de nombril
et n’est pas né sur cette planète.
Pourtant, c’est aussi son enfance qui le
rend trop humain, faisant de lui un gar-
çon dur mais vulnérable qui a décidé de
s’embarquer dans des aventures épi-
ques. Il a développé une ardeur qui dis-
simule son esprit potache, et un esprit
potache qui dissimule son ardeur.
­Légèrement mal à l’aise avec son corps,
comme un grand gaillard qui n’a
­jamais été un athlète, il marche du pas
d’un ours investi d’une mission et
danse des gigues qu’on ­dirait ensei-
gnées par un robot. Il parle de la néces-
sité d’alimenter la flamme de la
conscience humaine, de sonder l’uni-
vers et de sauver notre planète avec la
force de conviction d’un prophète.
BILL GATES
« Salut, j’aimerais beaucoup venir te
voir pour parler philanthropie et cli-
mat », suggère Bill Gates à Elon Musk
quand ils se croisent lors d’une réunion
début 2022. Les cessions de titres aux-
Maye Musk ; John Angelillo/UPI/ABC/Andia.fr
quelles a procédé ce dernier l’ont
conduit, pour des raisons fiscales, à
placer 5,7 milliards de dollars dans un
fonds caritatif qu’il a créé. Gates, qui
consacre alors l’essentiel de son temps
à la philanthropie, a quantité de sug-
gestions à lui soumettre. Ils ont eu quel-
ques échanges amicaux par le passé,
notamment quand Bill Gates a amené
son fils Rory sur le site de SpaceX.

Musk a toujours plus apprécié le sys-
tème d’exploitation de Microsoft que
la majorité des autres geeks, il est donc
capable de saisir ce qui anime un type
qui a bâti une entreprise en sachant se
montrer aussi hardcore qu’infatigable.
Ils s’entendent pour organiser une vi-
site et Gates, qui a une équipe de secré-
taires et d’assistants à son service, le
prévient qu’il demandera à son bureau
de contacter son secrétaire. « Je n’ai pas
de secrétaire », lui répond Musk. Il a
décidé de se séparer de son assistante et
de son secrétaire, parce qu’il veut
conserver la maîtrise complète de
son calendrier. « Que ta secrétaire
m’appelle directement. »
Gates trouve « bizarre » qu’il n’ait pas
de secrétaire et, gêné à l’idée qu’un de
ses assistants appelle Musk, se charge
directement de fixer un rendez-vous à
Austin. « Je viens d’atterrir », l’aver-
tit-il par un message dans l’après-midi
du 9 mars 2022. « Super », lui répond
Musk. Il envoie Omead Afshar l’ac-
cueillir à l’entrée de la Gigafactory.
Dans la confrérie réduite des individus
ayant détenu le titre de la personne la
plus riche de la planète, Musk et Gates
présentent quelques similitudes. Ils
possèdent tous les deux un esprit ana-
lytique, une faculté de concentration
hors du commun et une assurance
intellectuelle qui frise l’arrogance.
Ni l’un ni l’autre ne tolèrent la sottise.
Tous ces points communs rendent
leurs affrontements ultérieurs d’autant
plus prévisibles, et c’est ce qui se pro-
duit dès que Musk entame la visite de
l’usine avec Gates.
Ce dernier avance que des batteries ne
seront jamais capables d’alimenter de
lourds semi-remorques et que l’énergie
solaire constitue un élément détermi-
nant dans la résolution de la question
climatique. « Je lui ai montré les chiffres,
m’explique Gates. C’est un domaine
dans lequel je savais manifestement des
choses qu’il ignorait. » Il lui donne aussi
du fil à retordre sur la question de
Mars. « Je ne suis pas quelqu’un de très
fixé sur Mars. Musk, lui, est immergé
dans la planète rouge jusqu’au cou. Je
l’ai laissé me livrer sa réflexion sur le
sujet, qui est une pensée un peu parti­-
culière. Son raisonnement un peu fou,
c’est qu’il y aura peut-être une guerre
En couverture
n­ ucléaire sur Terre, que des gens iront sur
Mars, qu’ils reviendront ici et, vous voyez,
qu’ils seront toujours en vie, alors que
nous nous serons tous entretués. »
Il n’en est pas moins impressionné par
l’usine que Musk a construite et par sa
connaissance détaillée de chaque
­machine et de chaque processus. Il
­a dmire aussi SpaceX d’avoir su
­déployer une vaste constellation de
satellites Starlink permettant de four-
nir un accès internet depuis l’espace.
« Starlink, c’est la réalisation de ce que
j’ai essayé de faire avec Teledesic il y
a vingt ans », rappelle-t-il.
À la fin de la visite, la conversation
tourne autour de la philanthropie.
Musk exprime son avis à ce sujet :
grosso modo, c’est de la « connerie ».
L’impact n’est que de 20 cents par
­dollar investi, estime-t-il. Il ferait davan-
tage de bien pour le changement clima-
tique en investissant dans Tesla.
« Je vais te montrer cinq projets à
100 millions chacun », lui répond Gates.
Il cite successivement le versement de
sommes d’argent pour des réfugiés, le
une assurance
intellectuelle
qui frise
l’arrogance
Bill Gates
s’est attiré
les foudres
de Musk
en pariant
en Bourse
contre Tesla.
­envoyant à Musk le document promis
49/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
soutien à des écoles en Amérique, un
traitement contre le sida, l’éradication
de certaines variétés de moustiques par
le forçage génétique ou encore des
­graines génétiquement modifiées qui
résisteraient aux effets du changement
climatique. Gates est très prosélyte en
matière de philanthropie, et il promet
de lui écrire « une super longue descrip-
tion de toutes ces idées ».
Il leur reste toutefois un sujet litigieux
à aborder. Gates a vendu l’action Tesla
à découvert, en pariant très gros sur
l’hypothèse que le titre perdrait de sa
valeur. Il s’avère qu’il a eu tort. À son
arrivée à Austin, il accuse une perte de
1,5 milliard de dollars. Musk en a eu
connaissance et il fulmine. Il réserve
aux vendeurs à découvert une place
toute particulière dans son pandémo-
nium personnel. Gates lui dit être
­désolé, mais cela ne suffit pas à l’ama-
douer. « Je me suis excusé, me confirme
Gates. Dès qu’il a appris que j’avais
vendu l’action à découvert, il s’est
montré extrêmement agressif envers
moi, mais il est super agressif avec tel-
lement de gens, on ne peut pas trop se
sentir visé personnellement. »
[…] « Comment peut-on se prétendre
passionné par la lutte contre le change-
ment climatique et ensuite agir en vue
de réduire la masse des capitaux investis
dans la société qui œuvre le plus en ce
sens ? me demande Musk quelques
jours après la visite de Gates. C’est de
la pure hypocrisie. Pourquoi vouloir
gagner de l’argent sur l’échec d’un
constructeur de voitures qui fonction-
nent à l’énergie durable ? »
Grimes (de son vrai nom Claire Boucher,
chanteuse et performeuse, mère de
trois enfants d’Elon Musk, NDLR) y
ajoute sa propre interprétation :
« J’imagine que c’est un peu un concours
pour savoir qui a la plus grosse. »
Gates donne suite à la mi-avril en
sur les options de philanthropie qu’il a
rédigé de sa main. Musk lui répond par
un SMS avec cette simple question :
« Tu gardes encore une position à décou-
vert d’un demi-milliard sur Tesla ? »
Le milliardaire philanthrope se trouve
dans la salle à manger de l’hôtel Four
Seasons de Washington avec son fils
Rory, qui vient d’entrer en première ___u

année de licence. Il éclate de rire, mon-
tre le message à Rory et lui demande
conseil sur la manière de répondre.
« Dis-lui juste oui, et ensuite tu changes
vite de sujet », suggère son fils. Gates
tente le coup. « Navré de te dire que je
n’ai pas soldé ma position. J’aimerais
discuter de possibles actions de phi-
lanthropie. » Cela ne fonctionne pas.
« Désolé, réplique instantanément
Musk. Je ne peux pas prendre au sérieux
ton action philanthropique sur le climat
quand tu conserves une position massive
à découvert contre Tesla, l’entreprise qui
contribue le plus à résoudre le problème
du changement climatique. »
Quand il est furieux, Musk peut deve-
nir mauvais, en particulier sur Twitter.
Il poste une photo de Gates en polo
de golf avec son ventre proéminent
qui lui donne presque l’air d’être
­enceint. « Pour le cas où vous auriez
­besoin de vite débander », ajoute-t-il en
commentaire.
Que la vente à découvert du titre Tesla
contrarie à ce point Musk déconcerte
Gates. Et Musk est tout aussi décon-
certé que Gates trouve cela déconcer-
tant. « À ce stade, je suis convaincu que
c’est franchement un malade (et au fond
un vrai connard), m’écrit Musk par
SMS juste après son échange avec
Gates. J’avais vraiment envie d’appré-
cier ce type (soupir). »
Pour sa part, Gates se montre plus
élégant. Plus tard cette année-là, il
se trouve dans un dîner à Washing-
ton, et des convives critiquent
Musk. « Vous pouvez réagir comme
vous voulez au comportement d’Elon,
relève-t-il, mais à notre époque per-
sonne d’autre que lui n’en a autant
fait pour repousser les limites de la
science et de l’innovation. »
TWITTER ET
LE “COMMANDO
SACRAMENTO”
« Ce planning ressemble-t-il à quelque
chose que je pourrais trouver tant soit
peu acceptable ? demande Musk.
Mani­festement non. Un programme
long, c’est un programme con. »
Il est tard, ce soir du 22 décembre 2022,
et l’atmosphère dans la salle de confé-
rences de Musk au dixième étage de
Twitter est de plus en plus tendue.
En couverture
Il s’adresse à deux managers infra­-
structure qui n’ont jamais eu beau-
coup affaire à lui – et assurément pas
quand il est de mauvais poil.
L’un d’eux essaie d’expliquer le pro-
blème. L’entreprise qui abrite l’un
des parcs de serveurs de Twitter, situé
à Sacramento, a accepté de leur
accorder des rallonges de bail à court
terme pour qu’ils puissent commencer
à quitter les lieux en bon ordre en 2023.
« Mais ce matin, précise nerveusement
le manager à Musk, ils nous ont rappe-
lés pour dire que ce plan n’était plus
d’actualité parce que, je les cite, ils ne
pensent pas que nous resterons viables
financièrement. »
Le parc de Sacramento coûte plus de
100 millions par an à Twitter. Musk
souhaite économiser cette somme en
installant les serveurs dans un autre
centre de données utilisé par le réseau
social qui se trouve à Portland, dans
“personne
n’en a autant
fait que lui
pour repousser
les limites
de la science”
Bill Gates
Un exubérant
avec une passion
pour le spectacle
et les fanfares.
50/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
l’Oregon. Une autre manager inter-
vient pour dire que le déménagement
ne peut pas se faire dans l’immédiat.
« Nous ne sommes pas en mesure de
sortir de là en toute sécurité avant six
ou neuf mois, déclare-t-elle platement.
Sacramento doit rester actif pour assu-
rer le maintien de l’activité. »
Bien souvent, au fil des années, Musk a
dû choisir entre ce qu’il estime néces-
saire et ce que d’autres lui disent qu’il
est possible de faire. Le résultat de sa
réflexion est presque toujours le même.
Il marque un silence quelques instants,
puis annonce : « Vous avez 90 jours pour
faire ce travail. Si vous ne pensez pas y
arriver, votre démission est acceptée. »
La manager tente d’évoquer certains
des obstacles qui se présentent pour le
déménagement des serveurs jusqu’à
Portland : « Là-bas, le centre de données
a des densités de baies différentes, des
densités de puissance différentes. Donc
il faut mettre les salles à niveau. » Elle
embraye sur d’autres points tech­-
niques, mais au bout d’une minute
Musk l’interrompt :
« Ça me donne mal au crâne.
– Désolée, ce n’était pas mon intention,
répond-elle d’une voix monocorde.
– Vous connaissez l’émoji tête qui
­explose ? demande-t-il. C’est l’impres-
sion que j’ai là, tout de suite. Quel
­ramassis de conneries ! Sainte-Marie
mère de Dieu. Il est clair que Portland a
énormément de place. C’est rien du tout
de déplacer des serveurs d’un endroit à
un autre. »
Les managers réessaient d’expliquer
les contraintes auxquelles ils sont
confrontés. Musk les coupe : « Vous
pouvez envoyer quelqu’un au centre de
données et m’envoyer des vidéos de
l’intérieur ? » Noël tombe dans trois
jours ; les managers promettent les
­v idéos dans une semaine. « Non.
­Demain, ordonne Musk. J’ai person-
nellement construit des centres de
­données, et je saurai vous dire si vous
pouvez mettre plus de serveurs là-bas
ou pas. C’est pour cette raison que j’ai
demandé si vous aviez bien visité ces
DPA / Photononstop
installations. Si vous n’avez pas été
sur place, vous ne racontez que des
conneries. »
SpaceX et Tesla ont réussi parce que
Musk pousse sans relâche ses équipes à ___u
MARIE-MADELEINE,
3e TOMBEAU
DE LA CHRÉTIENTÉ
EN RÉGION SUD

Le Pape François va bénir le

pèlerinage Marie-Madeleine,
qui retrace le chemin de la Sainte
venue se réfugier dans une Grotte
du massif de la Sainte-Baume.
La Région Sud a œuvré à la
reconstitution de ce périple,
reconnu dans le monde entier
et à la restauration de la Grotte,
3e tombeau de la Chrétienté.

Renaud Muselier
Président de la Région Provence-Alpes-Côte d’Azur
Président délégué de Régions de France

Conception : Direction de la Communication et de la Marque Région Sud. Peinture : “Marie-Madeleine prêchant dans la rade de Marseille” - Frédéric Montenard. Photo : Brigitte & Juergen Schmidt D.R.

être plus pugnaces, plus agiles, et à
s’embarquer dans des périodes de
rush survoltées qui aplanissent tous
les obstacles. Voilà comment ils ont
bricolé une chaîne de montage de voi-
tures sous une tente à Fremont, un site
d’essais dans le désert du Texas, un pas
de tir à cap Canaveral avec des pièces
de récup. « Tout ce que vous avez à faire,
c’est emporter ces putains de serveurs
jusqu’à Portland, répète-t-il. Je serais
très surpris que ça prenne plus de trente
jours. » Il marque une pause et refait
ses calculs. « Vous n’avez qu’à trouver
un déménageur, et il vous faudra une
semaine pour transporter les bécanes,
une semaine de plus pour les brancher.
Deux semaines. Voilà ce qui devrait se
passer. » Personne n’ose répondre.
Mais Musk ne fait que s’échauffer.
« En louant un foutu camion, vous pou-
vez sûrement faire ça vous-mêmes. »
Les deux managers infrastructure le
dévisagent et se demandent s’il est
­sérieux. Steve Davis et Omead Afshar
assistent aussi à cette réunion. Ils ont
vu Musk dans cet état bien des fois et
savent que, sérieux, il l’est peut-être
bien. « Et si on s’en occupait tout de
suite ? » suggère James Musk (cousin
d’Elon Musk, NDLR).
Le lendemain soir de cette réunion aga-
çante sur le délai à envisager pour
­déménager les serveurs du centre de
données de Sacramento, son frère,
­Andrew, et lui sont montés avec Elon
dans son avion à San Francisco. Férus de
ski, ils avaient prévu de se rendre à T
pour Noël, mais ce vendredi 23 décem-
surtension, mais ­Andrew l’a convaincu
­ ahoe
bre, Elon les a invités à l’accompagner à
Austin. James n’était pas très enthou-
siaste. Il se sentait épuisé mentalement et
se serait bien passé d’un nouvel accès de
qu’ils devaient y aller. Voilà pourquoi ils
sont dans cet avion – avec Grimes et X,
ainsi que Steve Davis (ingénieur, fidèle
lieutenant d’Elon Musk qui l’a nommé à
la tête de The B­ oring Company, NDLR),
Nicole ­Hollander et leur bébé – et
­écoutent Musk se plaindre de cette
­histoire de serveurs.
Ils sont à peu près au-dessus de Las
Vegas quand James propose de les
déménager sur-le-champ. C’est
exactement le genre d’idée impul-
sive, difficile à mettre en pratique,
En couverture
Son cousin
James Musk
déménageant
les serveurs
de X/Twitter.
impulsif et
touche-à-tout,
il n’hÉsite pas
à régler
lui-même
les problèmes
improvisée sur le moment que Musk
adore. Malgré l’heure déjà assez
avancée, il ordonne à son pilote de
mettre le cap sur Sacramento.
[…] Le site, qui abrite les serveurs de
nombreuses autres entreprises, est
très sécurisé, avec des serrures bio-
métriques à empreinte rétinienne à
l’entrée de chaque chambre forte. Alex
l’Ouzbek (un employé de Twitter origi-
naire d’Ouzbékistan, NDLR) est en
mesure de leur ouvrir celle de Twitter,
qui renferme environ 5 200 baies de
la taille d’un réfrigérateur, chacune
contenant 30 ordinateurs. « Ces
machins n’ont pas l’air tellement diffi-
ciles à déplacer », déclare Musk. Une
affirmation passée par son champ de
distorsion de la réalité, dans la mesure
où chaque baie pèse tout de même plus
d’une tonne et mesure 2,5 mètres de
haut. « Faudra embaucher une entre-
prise spécialisée pour soulever les dalles
de sol, fait remarquer Alex. Il faut
des ventouses. » Une autre entreprise,
précise-t-il, devra ensuite envoyer
des gars sous les dalles pour décon-
necter les câbles électriques et les tiges
sismiques.
Musk se tourne vers son agent de sécu-
rité et lui demande son canif. Avec la
52/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
lame, il parvient à soulever l’une des
grilles d’aération du sol, ce qui lui per-
met de retirer les dalles alentour. Il se
glisse ensuite lui-même sous le plan-
cher devant une baie, force l’ouverture
d’une armoire électrique avec le canif,
débranche les câbles de la baie et
­patiente un moment pour voir ce qui
va se passer. Rien n’explose. La baie est
prête à être déménagée. « Bon, ça n’a
pas l’air trop difficile », déclare-t-il à
nouveau tandis qu’Alex l’Ouzbek et
les autres le regardent, les yeux ronds.
Musk est carrément surexcité à pré-
sent. C’est, dit-il avec un grand rire,
comme un remake de Mission impos-
sible, commando Sacramento.
Le lendemain – la veille de Noël –,
Musk fait venir des renforts. |…]
À 15 heures, après que les quatre pre-
mières baies ont été embarquées dans
le camion, la nouvelle de ces frasques
arrive aux oreilles des directeurs de
NTT, l’entreprise propriétaire du
­centre de données. Ils ordonnent à
l’équipe de cesser toute activité. Musk
entre alors dans l’état d’euphorie mêlée
de colère qui accompagne souvent ses
rushs maniaques. Il appelle le directeur
de la division stockage, qui l’informe
de l’impossibilité de déplacer les baies
de serveurs sans une troupe de spécia-
listes. « N’importe quoi, réplique
“
Musk. Nous en avons déjà emporté
quatre dans le camion. » Le directeur
lui explique que certains sols du
centre de données ne peuvent pas
supporter une pression supérieure à
250 kilos, faire rouler une baie d’une
tonne dessus provoquerait donc des
dégâts. Musk lui répond que les
baies possédant quatre roues, la
pression sur chacune n’est que de
250 kilos. « Ce mec n’est pas très bon
en maths », fait-il remarquer aux
mousquetaires.
Après avoir gâché le réveillon des direc-
teurs de NTT – en plus de leur infliger
une perte probable de revenus de plus
de 100 millions de dollars pour l’année
à venir –, Musk fait preuve de pitié et
leur annonce qu’il suspend le démé-
nagement des serveurs pendant deux
jours. Mais l’opération, prévient-il,
reprendra dès le lendemain de Noël.
James Musk
Extraits choisis par
Jean-Christophe Buisson
 Reportage

Afghanistan

un peuple
en enfer
Pendant plus d’un an, le photographe iranien Ebrahim Noroozi,
basé à Kaboul, a suivi la lente déchéance du pays depuis
le retour au pouvoir des talibans en août 2021. Effacement
des femmes dans l’espace public, toxicomanie, pauvreté, famine,
effondrement de l’économie, il documente la triste réalité
du régime islamiste. Un reportage exclusif
exposé à Perpignan au festival Visa pour l’image.
Par Ebrahim Noroozi / Associated Press (photos), texte de Nadjet Cherigui

54/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Ces parents ont tout perdu.
Ils tentent de prendre soin de
leur enfant malade et n’ont
plus les moyens d’acheter
des médicaments.

55/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Devant une boulangerie à
Parwan, province au nord de
Kaboul, ces femmes privées
du droit de travailler sont
réduites à la mendicité.

En décembre dernier,
une femme défiant
courageusement
du regard un taliban dans
une rue de Kaboul.

56/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Reportage

Dernière petite fenêtre

d’accès à l’éducation :
l’école coranique, qui reste
encore ouverte aux filles.

“Je devais montrer au monde ce qui se passe ici.

J’ai appris à être fort, beaucoup plus fort”

Dans ce marché de Kaboul,

l’activité continue malgré le
black-out. Depuis le retour des
talibans, l’accès à l’électricité
est très problématique.

57/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Reportage

Sous le joug des talibans, les filles

sont interdites d’école, mais travaillent :
ainsi cette enfant de 9 ans
harassée de fatigue dans une
manufacture de briques à Kaboul.

58/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 “L’Afghanistan
est le pays
le plus triste du
monde”

R
aconter ce pho-
tographe n’est
pas chose aisée.
Son talent est une
évidence. Sa sen-
sibilité transpire
dans chacun de
ses clichés. Sa
passion s’imprime dans chacune de
ses images. Ebrahim Noroozi est
pourtant un homme de peu de mots.
Parler est une épreuve. Se livrer sur
lui-même est une lutte à mener contre
sa nature. Le verbiage est, selon lui,
inutile. Et pour cause, ses images
parlent d’elles-mêmes. Elles expri-
ment ce qu’il a à dire du monde.
Ebrahim Noroozi est né à Téhéran en
1980. Il n’a connu dans son pays que
l’obscurantisme des mollahs. Et
pourtant, il a choisi la lumière, celle de
l’art, du beau, de la photographie,
pour mettre précisément en évidence
les injustices, les souffrances de ce
monde. Il s’est lancé dans la photo-
graphie en 2005. À l’époque, il tra-
vaillait comme assistant technique au
sein d’une agence de presse locale. Il
découvre un jour, lors d’une présenta-
tion, un sujet de Sebastião Salgado
sur les conditions de vie dans les
­mines d’or au Brésil. « En regardant
ces photos se souvient-il, j’ai compris
que c’est exactement ce que je devais
faire. J’ai réalisé que je pouvais parler
aux gens avec des images. Quelques
jours plus tard, j’ai acheté un appareil
photo et j’ai commencé à apprendre
par moi-même en regardant le travail
des autres et les livres. Je regardais
attentivement les lumières. J’obser-
vais la composition. » Autodidacte et
doué, Ebrahim ne tarde pas à faire
partie des grands. En 2012, il rem-
porte un prestigieux prix au World
Press Photo et rejoint l’équipe de
l’agence américaine Associated
Press pour laquelle il couvre en Iran
tous les sujets de société.
Au printemps 2022, quelques mois
après la chute de Kaboul, le départ des
Occidentaux et le retour au pouvoir
des talibans, Ebrahim Noroozi s’ins-
talle dans la capitale afghane pour tra-
vailler. Pendant près d’un an et demi, ___u

59/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 “Les talibans imposent la charia et considèrent les journalistes comme
le diable ; certains m’ont qualifié de mécréant en raison de ma profession”
il a documenté le quotidien de la
population, à mesure qu’il s’est obs-
curci, pour livrer un travail photogra-
phique exceptionnel décryptant les
conséquences de l’islamisme au pou-
voir. L’intitulé de cette série est sans
appel : « Le pays le plus triste du
monde, le pire pays pour les fem-
mes. » En dépit des risques sur le
terrain, il a travaillé sur les désas-
treux effets économiques, sociaux et
sanitaires suite au départ des ONG
et à l’arrêt des aides financières
mondiales qui ont suivi l’arrivée au
pouvoir du nouveau régime.
Les camps de la honte
Travail des enfants, malnutrition,
famine, toxicomanie, interdiction
d’accès au travail et au sport pour les
femmes, fermeture des écoles pour les
filles, etc. Ses images dépeignent une
réalité d’une noirceur vertigineuse,
celle d’un pays où l’espoir a déserté
pour ne laisser place qu’à l’agonie des
existences. C’est ainsi que commence
d’ailleurs le travail d’Ebrahim
­Noroozi, à travers sa série déclinée
autour de la toxicomanie. Il est
parvenu malgré l’hostilité (armée)
des talibans à photographier l’enfer
de la drogue dans ce pays parmi les
premiers producteurs d’opium au
monde, plus gros consommateur
de drogue où l’interdit fait foi et la
charia fait loi.
Les toxicomanes sont à la merci des
fondamentalistes qui les traquent
dans les bas-fonds de Kaboul et les
forcent à la désintoxication en les
­enfermant dans des centres dignes des
camps de concentration. Pugnace et
courageux, il a réussi à pénétrer à l’in-
térieur. Ses images témoignent de la
terreur et du désespoir qui viennent se
fracasser sur la brutalité et la sauvage-
rie des geôliers. « Parvenir à photogra-
phier ces moments n’a pas été facile. Un
de mes contacts m’a informé, au milieu
de la nuit, que les talibans s’apprêtaient
à arrêter des drogués dans un quartier
de Kaboul. Il était une heure du matin.
Je m’y suis rendu immédiatement mais,
sur place, les talibans m’ont arrêté. J’ai
parlé sans relâche, toujours avec calme,
pour expliquer la nécessité de montrer
cette réalité, que les photos peuvent ser-
vir la cause. Bien sûr, je me suis défendu
de faire de la politique. Je suis iranien et
certains d’entre eux parlent farsi, cela
m’a facilité les échanges. À force de
conviction, ils ont fini par me laisser
travailler. L’Afghanistan est un terrain
très compliqué. Les talibans imposent
la charia et considèrent les journalistes
comme le diable ; certains m’ont quali-
fié de mécréant en raison de ma profes-
sion. Ces hommes imposent de nom-
breuses restrictions, mais la population
aussi, et ce, en raison de sa propre pen-
sée culturelle. En Iran, j’ai vécu et tra-
vaillé avec ces limites et je crois qu’elles
m’ont poussé à me montrer créatif pour
les dépasser. »
Ebrahim Noroozi est parvenu à en-
trer dans ce « camp », installé en péri-
phérie de la capitale, et où plus de
3 000 personnes sont entassées dans
un espace prévu pour un millier. Les
conditions d’hygiène sont désastreu-
ses, les prisonniers sont affamés et
subissent la violence. Le photogra-
phe a aussi pris tous les risques en se
rendant dans les quartiers malfamés
de la ville où les drogués s’installent
pour consommer. Armé de patience,
d’humanité et d’empathie, il est par-
venu à nouer un lien de confiance.
« Beaucoup de ceux que j’ai rencon-
trés étaient des gens bien. Ils ont eu
une vie de famille, un travail. Mais les
guerres qui se succèdent ici depuis près
de cinquante ans, l’âpreté de la vie, le
désespoir les ont poussés à se droguer
pour simplement supporter d’être
condamnés à cet enfer. J’ai vu certains
d’entre eux réduits à manger l’écorce
d’un arbre ou se battre pour voler les
quelques rations de nourriture appor-
tées par les proches de certains codéte-
nus. C’est terrible. »
Ce que décrit Ebrahim Noroozi tout
au long de ces mois de reportage et à
travers ces clichés n’est que souf-
france. Comme une éponge, il
­absorbe cette douleur et confie sa
difficulté à sortir chaque jour pour
s’y confronter. La famine qui dévore
des milliers de vies, ces visages éma-
ciés, les pleurs de ces petites filles pri-
vées d’école, les larmes de ces mères
sans moyens de subsistances et ren-
dues incapables de nourrir leurs
­familles, ces enfants réduits à la men-
60/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
dicité ou forcés de travailler jusqu’à
épuisement, le destin de ce pays le
hante mais le porte aussi. « Tout est
triste en Afghanistan. Je pleurais cha-
que soir, confie-t-il. J’avais honte de
trouver chez moi un endroit confortable
pour dormir et une nourriture correcte.
J’étais déprimé, mais je me suis accro-
ché à mon travail car c’est ce qu’il me
fallait faire. Je devais montrer au
monde ce qui se passe ici. J’ai appris à
être fort, beaucoup plus fort. Comme le
peuple afghan qui, malgré les difficul-
tés qu’il endure, continue d’essayer de
se battre pour vivre et survivre. Je devais
me montrer résilient comme eux, car,
s’ils ont perdu espoir, ils s’accrochent. »
au fond du gouffre
S’accrocher et résister, à l’image de ces
femmes sans visage, effacées par la
burqa imposée par les talibans. Dans
sa série déclinée autour du sport, le
photographe fait poser des athlètes
­féminines afghanes, dans leur tenue de
sport, mais aussi voilées, pour dénon-
cer leur condition et l’interdiction qui
leur ai faite dorénavant de pratiquer
une quelconque discipline sportive. Il
a aussi saisi des clichés de petites filles
entassées dans des écoles clandestines
et, dès les premiers jours du retour des
talibans au pouvoir, il a, au péril de sa
vie, couvert les manifestations de
­femmes qui tentaient de résister à cette
chape de plomb islamiste. « C’est un
des moments où j’ai eu le plus peur,
confie-t-il. Les talibans ont menacé les
journalistes présents. Ils ont confisqué
nos appareils et l’un d’entre eux a placé
le canon de sa kalachnikov sur ma tête.
Il avait le doigt sur la gâchette. Je suis
parvenu à garder mon sang-froid et je
lui ai parlé calmement, longuement. Il a
fini par baisser son arme et je suis même
parvenu à récupérer mon boîtier mais
aussi ceux de tous mes confrères. Mais
ce moment a été effrayant et m’a beau-
coup marqué. »
L’Afghanistan plonge toujours un
peu plus dans un état de désespérance
et fait face à l’une des pires crises de-
puis l’éviction du gouvernement dé-
mocratiquement élu. Une étude a
classé la nation comme l’une des plus
malheureuses dans le monde. La
situation sanitaire est désastreuse, ___u
 Reportage

Les consommateurs Dans ce centre tenu par les

d’héroïne se cachent talibans, les toxicomanes sont
pour se droguer. internés pour un sevrage forcé.

Des détenus toxicomanes sont Dans cette prison, les drogués ne

regroupés pour passer sous la bénéficient d’aucun soin et reçoivent de
douche avant de rejoindre très maigres rations de nourriture.
leurs compagnons d’infortune.

Dans la province d’Uruzgan,

les talibans supervisent le travail
des ouvriers locaux, hurlant sur eux
pour les inciter à accélérer la cadence.

61/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Reportage

À Kaboul, ces trois enfants découvrent

stupéfaits une pomme reçue comme aumône
alors que leur mère mendiait dans la rue.

62/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Les Nations unies
estiment à près de
20 millions le nombre
de personnes touchées
par la faim
20 millions de personnes souffrent de
la faim, soit près de la moitié de la po-
pulation. Ebrahim Noroozi est l’un
des témoins de cette interminable des-
cente aux enfers. À propos de cette
photo édifiante dans laquelle trois
­enfants ébahis figent leur regard sur
une unique minuscule pomme rouge,
il dit : « Ce jour-là, j’avais suivi le quoti-
dien d’une famille déshéritée. La mère
mendiait chaque jour. Et tous les soirs,
ses enfants affamés l’attendaient pour
voir ce qu’elle avait pu glaner. Elle leur
a présenté ce fruit que quelqu’un lui a
donné. L’expression sur leurs visages
dit tout de leur stupeur car ils n’avaient,
jusque-là, probablement jamais vu de
pomme de leur vie. » Les images
d’Ebrahim Noroozi sont dures,
d’aucuns qualifieraient ces sujets de
sombres, mais son travail est néces-
saire, une lueur d’espoir à laquelle
s’accrocher pour se convaincre que,
peut-être, le monde regarde encore,
puisse compatir, s’indigner et agir. ■
Nadjet Cherigui

Les yeux
ouverts
sur le monde

C e travail photographique
d’Ebrahim Noroozi sur la détresse
du peuple afghan est présenté au
Couvent des Minimes, à Perpignan, dans
le cadre de Visa pour l’image, jusqu’au
22 septembre. Parmi les 24 expositions
de cette 35e édition du Festival
international du photojournalisme, dont
Le Figaro Magazine est partenaire officiel,
seront mis à l’honneur les travaux de
certains de nos collaborateurs, comme
Pascal Maitre avec son enquête
sur « Le charbon de bois, l’or noir des
pauvres », Mads Nissen pour son
reportage sur la guerre perdue contre
la cocaïne en Colombie, ou Sandra Mehl
qui a suivi, en Louisiane, les premiers
réfugiés climatiques des États-Unis.
À noter également la remise
du 11e Visa d’or d’honneur, remis par
Le Figaro Magazine, à un photographe
émérite pour l’ensemble de
sa carrière (Alain Keler en 2022).
Pour plus de renseignements :
www.visapourlimage.com

63/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 françois,
ce pape
révolutionnaire
Qui est vraiment l’héritier actuel de saint Pierre,
qui bouscule en profondeur l’Église catholique ?
Jean-Marie Guénois, spécialiste des questions religieuses
au « Figaro », y répond dans un essai dense, stimulant
et documenté, où se mêlent admiration et esprit critique.

Par Jean Sévillia

J
’irai à Marseille, pas en
France », expliquait le
mois dernier le pape
François dans l’avion
qui le ramenait des
JMJ de ­Lisbonne, pré-
cisant que sa visite
dans la cité pho-
c é e n n e, l e s 2 2 e t
23 septembre prochains, ne corres-
pondra pas à un voyage officiel en
France, démarche qu’il ne juge pas
prioritaire. L’évêque de Rome – c’est le
titre qu’il préfère – se rendra à
­Marseille dans le cadre des Rencontres
méditerranéennes, symposium où les
représentants des Églises des cinq rives
de la Méditerranée (Afrique du Nord,
Balkans, Europe latine, mer Noire et
Moyen-Orient) discuteront inégalités
économiques, migrations et change-
ment climatique. ­Invité par le cardinal
Jean-Marc Aveline, le souriant arche-
vêque de Marseille, ­François célébrera
n é a n m o i n s l a m e s s e, a u s t a d e
­Vélodrome, devant quelques dizaines
de milliers de fidèles.
Élu le 13 mars 2013, l’Argentin Jorge
Mario Bergoglio n’est pas un pape or-
dinaire : comptant autant d’admira-
teurs que de détracteurs, il peut être
considéré comme une personnalité cli-
vante, dont les initiatives déroutent
souvent. Jean-Marie Guénois, qui a été
correspondant à Rome puis, pendant
dix ans, chef du service religion à La
Croix avant d’entrer, en 2008, au Figaro
où il est rédacteur en chef chargé des
questions religieuses, est certainement,
au sein de la presse française, un de ceux
qui connaissent le mieux l’Église catho-
lique, et ­notamment le Vatican où il en-
tretient des r­ éseaux qui lui ont permis
de suivre trois papes successifs, Jean-
Paul II, Benoît XVI et François. Dans
un ­livre excellemment informé, et d’une
grande probité intellectuelle, celui qui
récuse le mot de « spécialiste » et ­encore
plus de « vaticaniste » pour leur préférer
la qualification de « journaliste libre »,
explique en quoi l’accession de l’ancien
archevêque de Buenos Aires à la tête de
1,3 milliard de catholiques a été une ré-
volution.
manœuvres et contradictions
« François, observe Jean-Marie
­Guénois, restera l’un des grands papes
de l’histoire dans sa volonté de réforme
de l’Église et un authentique religieux
attachant, passionné de Dieu mais
également rusé, éminemment poli­-
tique. » Dans maintes de ces pages,
l’auteur se montre impressionné,
voire admiratif, à l’égard du pape
Bergoglio. ­Cependant, fidèle à la
­méthode qu’il applique dans ses arti-
cles du Figaro, il pose les questions
jusqu’au bout : quand il le faut,
­Guénois n’hésite pas à dire en ___u

64/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Extraits

S. Dal Pozzolo/CONTRASTO-REA

Le pape François,
entre ombre
et lumière.

65/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023


quoi ce pontificat récuse l­ ’héritage de
Jean-Paul II et de Benoît XVI, et ne
c ra i n t p a s d e m e t t re à nu l e s
manœuvres et les contradictions
d’un exercice autoritaire de la pa-
pauté mené au nom de réflexes pro-
gressistes. Toutefois, le journaliste
rappelle que le pape n’est pas un bloc.
Si François déteste le conservatisme
et les conservateurs, sa piété mariale
et son culte des saints, de saint Joseph
à sainte Thérèse de Lisieux, sont
­dignes d’un curé de campagne. C’est
un homme d’action, mais il se lève à
4 heures du matin et passe deux
­heures en prière, seul, avant de dire sa
messe à 7 heures, et il termine sa jour-
née par une heure d’adoration eucha-
ristique. Le 22 septembre prochain,
d’ailleurs, le pape se recueillera, en
compagnie du clergé de Marseille,
dans la basilique Notre-Dame de la
Garde, au pied de « la Bonne Mère ».
François est en rupture avec ses prédécesseurs, comme en témoignent son
regard empathique sur l’islam et son attention constante envers les migrants
Extraits
Et pourtant, l’actuel évêque de
Rome, si désireux de désacraliser la
fonction pontificale, est bien un fac-
teur de rupture : sa géopolitique non
européenne, son attention constante
envers les migrants et son regard
­empathique sur l’islam ne caractéri-
saient pas ses prédécesseurs, sans
­parler de la distance que le pape a
prise avec l’enseignement anthropo-
logique et moral de Jean-Paul II, et
plus encore de sa conception du pou-
voir au sein de l’Église, institution à
qui il veut imposer une gouvernance
démocratique et décentralisée dont
les résultats sur l’unité du catholi-
cisme seraient incertains.
aventure spirituelle
Le 4 août dernier, La Croix, quoti-
dien peu susceptible d’opposition
­envers le pape François, remarquait
que ce dernier avait laissé, chez les
66/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
j­ eunes des JMJ de Lisbonne, « des
sentiments contrastés ». Si le rendez-
vous ­mondial de la jeunesse catho­-
lique a été un éclatant succès (1,5 mil-
lion de participants à la messe de
­clôture, le 6 août), les jeunes pèlerins
étaient venus parce qu’ils aspiraient à
la grande aventure spirituelle des
­disciples du Christ, et non pour se
conformer aux lubies idéologiques de
certains conseillers pontificaux, les-
quels seront peut-être déçus, demain,
car le prochain pape ne s’appellera
pas forcément François II. Ce sont
ces jeunes catholiques qui témoigne-
ront, dans vingt ou trente ans, de ce
qui restera du présent pontificat. Des
prêtres issus de cette génération célé-
breront sûrement la messe en latin,
celle que François veut abolir. Ce
qu’un pape a fait, un autre peut le
­défaire. Ce qu’un pape a défait, un
autre peut le refaire. ■ Jean Sévillia
Le pape recevant
des réfugiés d’Afrique
en décembre 2021.
IPA/ABACA ; dr
 Les grands travaux
“
de François
Dans son livre, Jean-Marie Guénois revient notamment
sur les initiatives du pape jésuite qui ont
modifié et bousculé le fonctionnement interne
et la politique générale du Vatican.
La fonction papale
désacralisée
François a « renversé la table », si je
puis dire, en politique ou dans les
­affaires. C’est le premier point de ce
bilan. Ce fut son premier travail, il
restera. […] Si ce n’est pas « renverser
la table » au sens trivial du terme, c’est
renverser les perspectives. Le pape se
soumettait à la foule des fidèles.
C’était à l’opposé de la posture
­papale habituelle marquée par l’iné-
vitable surplomb de cette fonction
­religieuse mondiale. Il y eut par la
suite de multiples gestes similaires.
Pour rappel, l’abandon de l’apparte-
ment pontifical, peu luxueux mais
trop isolé à son goût, le troc des
­grosses limousines Mercedes pour les
­petites Fiat, l’adoption du tutoiement
avec ses formules chocs, les coups de
fil impromptus à des particuliers en
difficulté, des destinations de voyages
avec le souci de visiter des popula-
tions en souffrance, le lavement des
pieds de prisonniers chaque Jeudi
saint. C’était une priorité non feinte
pour lui, une habitude de pasteur.
François avait choisi son nom de
pape en référence à saint François
d’Assise. Dans le style François, il
­restera quelque chose du poverello
d’Assise, un chef d’Église simplifié,
accessible, parlant le langage de la
rue. Un pape proche.
Personne dans l’Église n’aura osé
­critiquer cette voie pontificale, plus
inspirée des sentiers bordés d’arbres
et d’oiseaux d’Assise que des marbres
rutilants du Saint-Siège. Les langues
acerbes du Vatican, il y en a beau-
coup, mais jamais à découvert, n’en
pensaient pas moins. Elles étaient
­paralysées parce que cette façon de
Extraits exclusifs.
« Pape François. La révolution »,
de Jean-Marie Guénois,
Gallimard, 287 p., 21 €.
faire était évangélique. Certains, tou-
tefois, ont très vite perçu dans ce
­renoncement à la pompe vaticane une
forme de désacralisation de la fonc-
tion papale. Le premier n’était plus un
roi, il se voulait le serviteur. C’est un
point de discussion de son bilan : le
pape François a-t-il affaibli la
­papauté en « l’appauvrissant » ou
­l’a-t-il, paradoxalement, renforcée et
enrichie en la dépouillant ? […]
Il est interdit
d’interdire
Le pape François a voulu créer une
Église pour tous. Il n’a pas rogné le
dogme, il n’avait pas le droit de le
faire, surtout en tant que pape puis-
qu’il en est le gardien et le garant,
mais il a inversé la perspective. Au lieu
de s’appuyer sur des livres et des
­d ogmes définis par des siècles de
­réflexions et de débats, il part des gens
tels qu’ils sont. C’est une forme de
­populisme catholique. […] Abolir le
« poste-frontière », selon une expres-
sion de François à propos du dogme,
qui demanderait un passeport de bon
catholique pour entrer dans l’Église
n’est pourtant pas une nouveauté
dans l’Église. C’est une forme de
67/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
« pastorale » historique et pratiquée
depuis des siècles dans toute l’Église
catholique, conservatrice ou progres-
siste, de droite ou de gauche, gallicane
ou ultramontaine. Car le prêtre a
­toujours eu pour mission de se mettre
à la portée des personnes, de leurs
problèmes quotidiens, pour s’adapter
à chaque situation afin d’aider cha-
cun sur le plan matériel et spirituel.
[…] La nouveauté de François est
qu’il a institué ce « style pastoral » au
niveau même de la papauté. Comme
pape, il s’est mis à parler comme un
curé. Comme pape, il s’est adressé à
chacun et à chacune en le ou la
­tutoyant, parce que les moyens de
communication le lui permettaient,
notamment les médias sociaux.
D’une certaine manière, il est resté un
religieux prêtre jésuite tout en étant le
chef de l’Église catholique. C’est ce
qui faisait son charme, cette manière
d’être, direct, sincère, accessible. […]
Ce « contournement » du dogme au
profit de la pastorale n’est pas une
nouveauté dans l’Église : des prêtres,
des évêques ont dû parfois s’y résou-
dre pour évangéliser. La nouveauté
est que cette méthode ait été prati-
quée au plus haut niveau, laissant
penser à beaucoup que le dogme
n’avait plus tellement d’importance.
C’est le risque de dilution qu’a pris
François dans le souci de « récon­-
cilier » l’Église avec les gens qu’il
considérait exclus, on l’a vu : les
­d ivorcés-remariés, les personnes
­homosexuelles, ou transgenres, aux-
quelles il est particulièrement attentif,
les pauvres, les réfugiés, les migrants,
toutes les personnes qui ne sont pas
dans la norme. Qui critiquerait ce
s o u c i l o u abl e e t é m i n e m m e n t ___u

c­ hrétien ? Le problème est que
­l’espoir de rassembler en polissant les
aspérités catholiques n’a pas été for-
cément au rendez-vous. Et que cette
approche pastorale pertinente a eu
pour effet de créer, au sein de l’Église
catholique, une confusion profonde
des esprits, les gens se demandant si ce
en quoi ils avaient mis leur foi, et ce en
quoi on leur avait demandé de croire,
était toujours valable. […]
Il n’a jamais été en revanche question
pour le pape François de brader le
dogme, le mot dogme étant utilisé ici
au sens large et non au sens technique.
On l’a vu sur plusieurs dossiers
comme sur le célibat sacerdotal ou la
formation de sa propre génération de
jésuites a posé de puissants freins sur
des évolutions potentielles. Il y a quel-
que chose de très classique en ce pas-
teur, très attaché à la piété populaire,
dévot de saint Joseph et de sainte
­Thérèse de l’Enfant-Jésus, radical
dans sa façon de vivre l’Évangile et de
conduire l’Église, mais également très
sensible aux évolutions du monde et
des mentalités, et cherchant toujours à
s’y adapter. Son « style pastoral » aura
marqué définitivement la m ­ anière
d’exercer la papauté et la façon d’en-
seigner au plus haut niveau. […]
L’éthique
avant la morale
Le pape François a mené une troisième
révolution, morale cette fois, sur les
questions touchant la sexualité et la
­famille mais pas seulement. Cette op-
tion fut motivée par un contentieux
avec le pontificat de Jean-Paul II. En jé-
suite, Mgr Bergoglio estimait que le
pape polonais avait trop parlé des
questions de morale familiale, au point
de décourager les gens. Ce qui était en
partie vrai mais qui reste à prouver, car
beaucoup de familles chrétiennes ont
trouvé un appui durable sur les ensei-
gnements de Jean-Paul II. […] Cette
« révolution ­morale » de François a
certes dépassé les sujets d’ordre sexuel.
Elle a englobé le grand combat de
François en faveur de l’immigration et
contre la pauvreté. En ce sens, la troi-
sième ­révolution de François est une
« révolution éthique ». On pourrait
l’exprimer par ce paradoxe : d’un côté,
le pape jésuite a décomplexé les catho-
Extraits
Dix ans de règne
au Vatican presque
sans partage.
“Ce politique aimant
le pouvoir sait écarter
ceux qui ne partagent
pas son dessein
réformateur”
liques sur les questions sexuelles et de
couple, tout en les chargeant, de
l’autre, en les culpabilisant en perma-
nence sur les questions d’immigration,
d’injustice sociale et d’écologie.
­Jamais, à vrai dire, on n’a eu un pape
aussi moralisateur que François. Il ne
se passait pas une semaine sans l’enten-
dre ou le voir réprimander les ­braves
catholiques, les bonnes sœurs, les curés,
les évêques, qui n’étaient ­jamais assez
bien à ses yeux, pharisiens, cléricaux,
hypocrites, tristes… Beaucoup se sont
lassés de ces leçons de morale blessan-
tes qu’ils trouvaient caricaturales et
­injustes. Ils ont pris deux partis : l’indif-
férence et la ­distance. […]
Gérer dans le moindre
détail et jusqu’au bout
Une quatrième « révolution » appa-
raît dans le bilan du pape François,
celle de son sens de l’action. Est-ce
son pragmatisme, son souci du dé-
tail ? On n’avait pas vu depuis long-
temps un chef de l’Église catholique
mettre à ce point la main à la pâte…
Sa réforme des finances et de la gou-
vernance du Vatican, sa lutte contre
la pédophilie, sa réforme du statut des
divorcés-remariés auront vu François
aller jusqu’au bout avec un puissant
souci de vérification et d’efficacité et
une méfiance vis-à-vis de ses collabo-
rateurs. Levé tôt, travailleur acharné,
68/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
concret, François, selon plusieurs
­témoignages directs de personnalités
qui ont travaillé régulièrement avec
lui, ne laisse rien au hasard et descend
vraiment dans le détail. Ce politique,
aimant le pouvoir contrairement à
son prédécesseur, sait écarter ceux qui
ne partagent pas son dessein réfor­-
mateur, parfois avec une certaine
­violence. Il ne recule pas devant des
stratégies parallèles, confiant le dos-
sier à d’autres pour parvenir à ses fins
sans que l’intéressé officiellement en
charge en sache rien. Cet homme de
pouvoir adopte les méthodes du
­pouvoir tout en étant un homme de
prière familier des habitudes des
hommes de prière. […]
Un démocrate
passablement
autoritaire
Le cinquième travail de François, qui
marquera son bilan est la réforme de
l’exercice du pouvoir papal. […] Fran-
çois a œuvré pour limiter son propre
pouvoir mais il a paradoxa­lement
­dirigé le Vatican en autocrate selon
beaucoup de témoignages de haut
­niveau et concordants, ce qui ne se
percevait pas forcément de l’extérieur.
Dans sa réforme de la curie p ­ ubliée en
mars 2022, il a pratiquement sup-
primé le poste de son premier ministre
dont ne resta que le nom pour donner
au pape les commandes de toute la
structure vaticane. Il s’est arrogé, de
plus, la direction du plus grand dicas-
tère, celui de l’« évangélisation des
peuples ». Il gère q ­ uasiment la moitié
des églises de la planète, celles des pays
de mission, non encore stabilisées
­administrativement et financièrement
comme le sont les diocèses des pays
occidentaux.
Mais à côté de ce pouvoir papal total
au Vatican, François a redistribué le
pouvoir ecclésial sur l’organisme
­romain du « synode des évêques »
censé injecter une culture décentrali-
sée et démocratique à tous les niveaux
Eric VANDEVILLE / GAMMA-RAPHO
de l’Église. Il a, d’autre part, renforcé
le pouvoir de décision locale des
conférences des évêques. Il faudra
­observer le prochain pontificat pour
vérifier si cette volonté de François
aura été réaliste et applicable. ■
Extraits choisis par Jean Sévillia
 C’est tout un programme !

EN DIRECT
des Rencontres
méditerranéennes
à Marseille
Cathédrale La Major
Dimanche 24 septembre
de 10h30 à 12h
sur
© AdobeStock

10h30
MAGAZINE EN DIRECT
David Milliat reçoit le cardinal Aveline,
archevêque de Marseille, pour partager
sa rencontre avec le pape.
10h45
DIRECT MESSE Horaire spécial
Messe présidée et prêchée par le
cardinal Michael Czerny, préfet
du Dicastère pour le service du
développement humain intégral.

Le Jour du Seigneur, c’est tous les dimanches matin sur , et tous les jours de la semaine sur lejourduseigneur.com
 Piriac-sur-Mer
LES MARAIS SALANTS :
L’OR BLANC
DE LA PRESQU’ÎLE
Du 13 au 17 septembre, Piriac-sur-Mer, en Loire-Atlantique, accueille
la troisième et dernière étape de la Solitaire du Figaro-Paprec 2023.
Partis de la baie de Morlaix, les skippers découvrent, bord à bord, un port
de plaisance et une petite cité de caractère avec, à proximité, les marais salants
de Guérande, empreints de paysages, de savoirs et de précieux cristaux.
Par Alice Brouard (texte) et Arnaud Robin (photos)

70/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Reportage

Les marais salants de

Guérande, un patrimoine
paysager, culturel et naturel.

71/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Reportage
Sur la pointe de Sinabat,
un labyrinthe de canaux
et de bassins.
Des hommes et des femmes
attachés à leur territoire.
O
btenir du sel des marais salants semble, a
priori, simple : une faible pluviométrie esti-
vale, un long ensoleillement, des vents régu-
liers et le travail de l’homme permettent à
l’eau de mer de s’évaporer et au sel de cristal-
liser. Et pourtant ! Il en faut bien plus (force physique et
mental d’acier, notamment) pour produire gros sel, sel fin
et fleur de sel, l’or blanc de la presqu’île de Guérande. Avec
une évidence pour le poète Yves Cosson (1919-2012),
­habitué des lieux : « Il [le soleil] revient, soyez-en sûr, et
­toujours à sa place dans l’immensité du ciel… Sans doute
est-ce le plus beau don que le soleil fait aux Piriacais :
­pouvoir vivre, à longueur de vie, dans l’intimité de la mer et
du ciel, imprégnés par la beauté du monde. »
Ici, au bord de l’océan Atlantique, entre la Vilaine et la
Loire, sur 2 000 hectares répartis entre les marais salants de
Guérande (communes de Guérande, Batz-sur-Mer, Le
Croisic et La Turballe) et du Mès (Mesquer-Quimiac,
Saint-Molf et Assérac), vous remontez le temps et suivez,
au rythme des marées, l’œuvre des paludiers et paludières,
paysans et paysannes de la mer.
Les plus anciennes traces écrites de ces vastes étendues
remontent au IXe siècle. Treize chartes du Cartulaire de
Redon – le recueil des titres des propriétés foncières de l’abbaye
Saint-Sauveur de Redon en Ille-et-Vilaine – mentionnent les
donations ou ventes d’une vingtaine de salines nommées ou
localisées sur le territoire de Batz-sur-Mer et de Guérande, au
profit des moines. Au Moyen Âge, les baules (prairies mari­-
times au sol argileux) sont progressivement défrichées, creu-
sées et modelées en un labyrinthe de canaux et de bassins,
pour organiser un système complexe de production de sel.
72/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
Des gestes ancestraux pour
remonter le sel à la surface.
“Dans l’intimité de la mer
et du ciel, imprégnés
par la beauté du monde”
Jusqu’au XVIIIe siècle, dopée par les activités de pêche et
de conserverie, la saliculture connaît un bel essor et assure
la prospérité et la notoriété de Guérande. Avant de subir,
au XIXe, un déclin lié à la concurrence du sel gemme
(extrait des mines) en Angleterre et en Lorraine ou du sel
de Méditerranée, produits en quantité industrielle, donc
meilleur marché. Et ce, juste avant l’apparition du
­réfrigérateur qui se substitue au sel pour conserver les
­aliments… et peut entraîner la disparition de cet incompa-
rable exhausteur de goût.
L’œuvre des paysans de la mer
Reste que des paludiers attachés à leur territoire et voués à
leur métier ne l’entendent pas ainsi. Dans les années 1970-
1980, face au développement du tourisme de masse et aux
convoitises immobilières, ils se mobilisent pour sauver leur
outil de travail, sans renier ni paysage naturel ni savoir-faire
traditionnel. Une coopérative – les Salines de Guérande – est
créée, une formation qualifiante (aujourd’hui BPREA sali-
culture) s’ouvre à La Turballe, l’Association pour la promo-
tion du sel artisanal (Aprosela) est lancée. En 1991, le sel de
Guérande obtient le Label rouge ; vingt et un ans plus tard,
l’Identification géographique protégée (IGP). « Ces résultats
ont redoré l’image du marais et du métier, souligne Milena
­Surreau, paludière sur la pointe de Sinabat à Batz-sur-Mer et

Un environnement
et des savoirs préservés,
transmis depuis le IXe siècle
candidate aux Jeux paralympiques Paris 2024 en badminton
simple. Il y a vingt ans, on était encore paludier de père en fils.
Et si l’on était un cancre, on risquait d’exercer ce métier !
Aujourd’hui, on se bat pour récolter à la main un produit naturel
non lavé, sans additif, et récupérer un marais. »
De l’eau extraire le sel de la vie
Entre canaux, ponts et bassins, l’eau de mer chemine… et le
sel cristallise. Un jour de grande marée, le paludier ouvre une
trappe pour laisser l’eau remplir un premier bassin de décan-
tation et d’évaporation (vasière). En parvenant, par dénivel-
lations successives, dans le dernier bassin de cristallisation
(œillet), l’eau atteint 280-300 g de sel par litre, soit une
concentration dix fois plus élevée qu’en mer. De mi-juin à mi-
septembre, le paludier décolle les grains formés sur le fond
d’argile de l’œillet, à l’aide d’un las (planche de bois munie
d’un manche), avant de remonter le sel sur une plate-forme
circulaire (ladre) où il s’égoutte dans la nuit. Le lendemain,
il le transporte, dans une brouette, sur une autre plate-forme,
avant de l’ajouter au gros tas de sel (mulon) pour un séchage
d’été en plein air. La cueillette de la fleur de sel à l’aide d’une
espèce d’écumoire (lousse) se révèle plus aléatoire : seuls le
beau temps et des vents froids et secs assurent la formation
d’une fine pellicule de cristaux, à la surface de l’eau. Les
marais salants de Guérande et les 330 paludiers – dont une
Jérémy Coirier, chef du Castel
Marie-Louise à La Baule,
ambassadeur de l’or blanc.
73/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
trentaine de femmes – produisent, en moyenne et chaque
a­ nnée (2023 s’annonce exceptionnelle), 15 000 tonnes de
gros sel aux cristaux naturellement gris, de sel fin (broyé et
­tamisé) et de fleur de sel.
Le Pays blanc, dont l’homme façonne l’identité et développe
l’activité depuis plus d’un millénaire, subsiste grâce à lui, dans
un patrimoine paysager, culturel et naturel précieux. Peu pro-
fonds en eau, les bassins permettent, en effet, à la lumière de
réchauffer l’argile et de favoriser la prolifération du plancton,
base de la chaîne alimentaire. Liée à la douceur du climat,
cette richesse nutritive fait des marais salants de Guérande
une aire de prédilection pour l’hivernage et la reproduction
des gorgebleues, spatules blanches, avocettes élégantes, oies
bernaches… plus de 280 espèces d’oiseaux migrateurs, sans
oublier les sédentaires dont le tadorne de Belon. Sur les talus
bordant les pièces d’eau, les couleurs, senteurs, saveurs de
plantes – fenouil, obione, statice, moutarde noire et s­ alicorne
– explosent. « Avec la richesse de nos marais, l’abondance des
poissons, des crustacés, des algues sur nos côtes, les pépites de
nos terres dont le pigeon de Mesquer, nous ne pouvons qu’ima-
giner une cuisine de terroir généreuse, traditionnelle et inven-
tive, reconnaît Jérémy Coirier, chef du Castel Marie-Louise
à La Baule. Notre différence se joue dans l­ ’approche humaine :
nous donnons toute la place aux produits et à leurs artisans. Pê-
cheurs, cueilleurs, paludiers, maraîchers, éleveurs, tous respec-
tent notre mer-terre nourricière, profon­dément attachés à
l’Océan et à ses rivages inspirants. » « Un lieu qui concentre en
lui l’immense et le minuscule, le voyage et l­’escale, la couleur et
la blancheur, le vif et la souriante mélancolie », écrit Hélène Ca-
dou (1922-2014), la poétesse née à ­Mesquer dans le Pays
blanc. ■ Alice Brouard
Des monticules de
sel plantent le décor
de Batz-sur-Mer.
Les marais salants
comme une invitation à
(re) découvrir la terre-mer.
 Le style Fig Mag

L’étoffe
d’un
gentleman
Des cardigans moelleux, des blazers bien coupés
et une élégance teintée de nonchalance…
La tradition britannique inspire le vestiaire
de Valentin, en escapade à Varengeville-sur-Mer.

Par Matthieu Morge Zucconi (conception), James Weston (photos), Loyc Falque (stylisme et réalisation),
sous la direction d’Anne-Sophie von Claer.

74/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode

Manteau en laine, 4 550 €,

RALPH LAUREN PURPLE LABEL.
Veste, 1 250 €, et pantalon en sergé
de laine et coton, 850 €,
le tout LEMAIRE.
Pull col roulé en cachemire, 188 €,
FALCONERI.
Souliers en cuir, 980 €, CHURCH’S.

75/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode

Manteau en jersey de laine,

5 200 €, DIOR MEN.
Écharpe en laine,
280 €, MARGARET HOWELL.
Pantalon en coton,
740 €, GIULIVA HERITAGE.
Souliers en cuir,
980 €, CHURCH’S.

76/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

Pull en laine, 59,99 €, MANGO MAN.

77/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Blazer en laine, prix sur demande,
EMPORIO ARMANI.
Pull en cachemire, 179 €, TRICOT.
Jean en coton, 155 €, LEVI’S.
Chaussettes en coton, 18 €, FALKE.
Mocassins en cuir, 795 €,
MANOLO BLAHNIK.
Sac en cuir, 3 100 €, LOUIS VUITTON.
Valise en aluminium, 1 190 €, RIMOWA.

78/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode

Veste en daim,
prix sur demande, PRADA.
Chemise en popeline de coton,
240 €, HUSBANDS PARIS.
Pull en cachemire, 179 €, TRICOT.

79/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode

Pull en laine, 1 490 €,

SAINT LAURENT PAR
ANTHONY VACCARELLO.
Pantalon en laine,
prix sur demande, PRADA.
Souliers en cuir, 1 290 €,
J.M. WESTON.

80/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Pull en cachemire,
1 500 €, LORO PIANA.
Chemise en popeline de coton,
240 €, HUSBANDS PARIS.
Tee-shirt en coton,
35 €, McALSON.
Pantalon en velours côtelé,
prix sur demande,
OFFICINE GÉNÉRALE.

81/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Polo en laine et cachemire,
1 750 €, BOTTEGA VENETA.
Tee-shirt en coton,
35 €, McALSON.

82/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode

Manteau en laine,
prix sur demande, VALENTINO.
Pantalon en gabardine de coton,
680 €, LORO PIANA.
Bottines en cuir,
1 980 €, JOHN LOBB.
Sac en cuir, 590 €,
LONGCHAMP.

83/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode

Blouson en suède,
4 500 €, BERLUTI.
Pull en cachemire,
179 €, TRICOT.
Pantalon en laine,
690 €, FENDI.

84/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Polo en cachemire,
1 990 €, ZEGNA.
Tee-shirt en coton,
35 €, McALSON.
Pantalon en velours,
129 €, Mr MARVIS.

85/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode

Veste en laine et soie,

prix sur demande, GUCCI.
Pull col roulé en cachemire,
285 €, FURSAC.
Pantalon en coton, 740 €,
GIULIVA HERITAGE.
Souliers en cuir, 980 €,
CHURCH’S.

86/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode

Pull en cachemire, 3 200 €,

et pantalon en coton, 850 €,
le tout HERMÈS.
Sac en cuir, 990 €,
EMPORIO ARMANI.
Montre Star Legacy Grey
Automatic Date 39 mm
Limited Edition, boîtier
en acier inoxydable, 2 220 €,
MONTBLANC.

88/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode

groomer : yulia pantiukhina ; modèle : valentin caron @ success paris ; directeur de casting : wiliam lhoest ; assistante styliste : laura sar ; production : vengo production

Pull en double cachemire,

4 100 €, BRIONI.
Pull col roulé en cachemire,
188 €, FALCONERI.
Montre Star Legacy Grey Automatic
Date 39 mm Limited Edition, boîtier
en acier inoxydable, 2 220 €,
MONTBLANC.
Pantalon en laine, 685 €,
MARGARET HOWELL.

90/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Spécial mode
Paul Smith pose
avec l’acteur Matt Smith
( « The Crown ») dans
sa dernière campagne.
C
’est l’histoire de standards dont
le nom se prononce à l’anglaise.
Le caban dont la forme origi-
nelle a été conçue au début du
XIXe siècle pour les marins hol-
landais, ensuite adopté par la
Royal Navy. Le trench-coat, ou
manteau des tranchées, endossé
par les troupes à terre de la Pre-
mière Guerre mondiale. Le pan-
talon chino, popularisé par les
GI mais créé en Inde au milieu du XIXe siècle à destina-
tion des troupes coloniales britanniques. Le bermuda
des officiers de la marine en poste au début du XXe siècle
aux Bahamas qui, las de leurs pantalons trop chauds, en
avaient eux-mêmes revu la longueur… La liste est
­longue. Si tous puisent leur origine dans le domaine
­militaire, ils ont un autre point commun : ce sont des
grands classiques du dressing britannique.
Mais comment nos voisins d’outre-Manche ont-ils pu
installer leur influence de manière si durable dans la
mode masculine ? Un peu d’histoire. Le 7 janvier 1778,
à Londres. Le secrétaire particulier de Lord North, alors
premier ministre de la Grande-Bretagne, accueille un
fils, George. Dès ses études à Eton, celui-ci se fait remar-
quer pour sa mise. Ses camarades de classe le surnom-
ment rapidement « Buck » du surnom affectueux alloué
aux arbitres des élégances… De Buck, il devient Beau.
Beau Brummell. Un nom rimant pour l’éternité avec
« dandysme », grâce à l’essai de Barbey d’Aurevilly,
92/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
Décryptage
pourquoi
Le style
“british”
ne connaît
pas la crise
groomer : yulia pantiukhina ; modèle : valentin caron @ success paris ; directeur de casting : wiliam lhoest ; assistante styliste : laura sar ; production : vengo production
Du dandysme façon Beau Brummell
aux podiums contemporains, la mode
masculine s’est toujours nourrie de ce qui
se faisait au Royaume-Uni. Décryptage.
Par Matthieu Morge Zucconi
Du dandysme et de Beau Brummell (1845) : « Brummell
avait donc en lui quelque chose digne d’attirer et de captiver
les regards d’une grande époque ; sorte de regards qui ne
se prennent pas, comme les oisillons au miroir, seulement
à l’appeau de vêtements gracieux ou splendides. Brummell,
qui les a passionnés, attachait d’ailleurs beaucoup moins
d’importance qu’on n’a cru à cet art de la toilette […] »
Selon d’Aurevilly, sa vie entière fut « influence ». Beau,
dit-on, fut le premier à abandonner les habits flam-
boyants du XVIIIe siècle et à arborer ce qui deviendra
le costume actuel. « … Il éteignit les couleurs de ses
vêtements, en simplifia la coupe et les porta sans y
p e n s e r. » E t l ’ h o m m e é l é g a n t , d ’ h i e r c o m m e
d’aujourd’hui, ­continua de l’imiter.
l’héritage de savile row
C’est d’ailleurs l’un des autres facteurs du rayonnement
britannique dans la mode masculine : au XIXe et au
XXe siècle, c’est à Londres, et précisément à Savile Row,
que s’écrivit la saga du costume. Fred Astaire, Marlene
Dietrich, Roger Moore, le roi Charles III (fidèle client
d’Anderson & Sheppard), mais aussi les rock stars Mick
Jagger, David Bowie et Nick Cave… Tous ont foulé le
pavé du Golden Mile, le surnom de cette artère tran-
quille du quartier de Mayfair, et ont un jour poussé la
porte des ateliers aux noms mythiques, de Huntsman à
Gieves & Hawkes. Dans cette rue qui est au bespoke ce
que le Forum romain est à l’histoire du commerce, le
costume prend ses lettres de noblesse. Les meilleurs arti-
sans du monde (même le fameux Alexander McQueen ___u
 Spécial mode
1 2
1. Gravure de Beau Brummell dont le nom rime pour l’éternité
avec « dandysme » (XIXe siècle). 2. Le prince Charles, ici
en 1989, est un client fidèle d’Anderson & Sheppard, à Savile
Row. 3. Punks et lords dans une rue de Londres en 1986.
3 vendus dans le magasin. Un coup de génie marketing.
4. La campagne de l’hiver 2023-2024 de Burberry
par le directeur artistique Daniel Lee,
met en avant une certaine idée de la « britishness ».
5. David Bowie, icône de la mode anglaise, à la BBC en 1965.
4 5
Musique et mode ont
toujours été très liées,
particulièrement
en Angleterre
94/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
y a fait ses gammes) et les plus prestigieux lainages
­jamais fabriqués sont là, prêts à se mettre au service des
icônes de mode… Et des riches banquiers de la City.
Outre le costume, la prestigieuse culture locale du sou-
lier (lire p. 96) et des lainages, mais aussi de l’habit de
pluie (Barbour, Burberry), font de l’Angleterre l’un des
épicentres de l’habillement contemporain.
Mais la mode britannique n’est pas qu’affaire de tradi-
tions. Ou plutôt, leur existence implique qu’elles furent
bouleversées. Dans les années 1960, les groupes de rock
délaissent les tailleurs classiques pour les créations d’un
duo magique, Tommy Nutter et son bras droit, Edward
Sexton (décédé en juillet dernier). Plus sulfureux, plus fitté,
le costume de ces deux-là devient culte lorsqu’il est porté
par trois des ­Beatles sur la couverture de l’album Abbey
Road. Seul George Harrison est en jean. Une décennie plus
tard, c’est une femme qui révolutionne le genre : Vivienne
Westwood. Dans sa boutique nommée Sex, son acolyte
Malcolm McLaren ­rencontre un groupe dont il s’improvise
rapidement le m ­ anager : les Sex Pistols. En 1976, la vague
punk submerge l’Angleterre, Sid Vicious et ­Johnny Rotten
portent les pantalons de cuir tendance sadomasochiste et
les tee-shirts imprimés de leurs p ­ aroles, simultanément
Tout un mouvement endosse alors la garde-robe de Westwood,
ses tee-shirts aux ­slogans provocateurs inspirés du situa-
tionnisme, ses pulls troués et ses vêtements marqués de
sym­boles anarchistes… L’héritage de la créatrice disparue
en décembre dernier est immense, l’influence du punk sur
le vestiaire des hommes est indéniable.
Bridgeman Images ; Tim Graham Photo Library via Get ; Alamy Stock Photo ; Getty Images ; sdp
adolescents comme retraités
Car musique et mode ont toujours été très liées, parti­-
culièrement en Angleterre. Des New Romantics aux
groupes de britpop, des Teddy Boys aux adeptes du
grime du début des années 2000, les sous-cultures se
­succèdent. Leur style fait tant d’émules qu’il devient
aussi celui de l’establishment. Desert Boot, Dr. Martens,
veste Harrington et Perfecto chaussent et habillent
nombre d’adolescents comme de retraités. Et les traders
de la City ne sont pas en reste : ce seraient eux qui ont
lancé la tendance des chaussures (bien italiennes pour-
tant) Loro Piana portées avec doudoune sans manches
sur chemise. Comme quoi… Sur les podiums, le legs bri-
tannique est aussi partout. Des polos de rugby de
JW Anderson au tartan de Daniel Lee chez Burberry,
des créations de Paul Smith à celles de Kim Jones chez
Dior Men ou d’Hedi Slimane chez Celine, designers so
British mais aussi américains et français ne cessent de
puiser l’inspiration dans ce riche roman stylistique. ■
Matthieu Morge Zucconi
Depuis 1997,
McAlson combine le confort du
slip avec l’élégance du caleçon.
www.mcalson.com
 Spécial mode
Le soulier
anglais
regagne
du terrain
Alors que le secteur vit un nouvel âge d’or
outre-Manche, chausseurs historiques
et manufactures confidentielles séduisent
les élégants d’aujourd’hui.
Par Frédéric Brun
P
as à pas, les chausseurs anglais ont
­reconquis du terrain en misant sur
leur meilleur atout : le style. Le défi
était de taille. Si, au milieu des années
1980, la production annuelle du
Royaume-Uni atteignait 180 millions
de paires, la décennie suivante sera
celle du déclin pour tomber autour de
6 millions de paires, selon les études de la British Foo-
twear Association. L’avenir du soulier de ville ou de
campagne « made in England » semblait compromis
face à la croissance des chaussures de sport. Même si
Reebok affichait encore l’Union Jack, la production de
ses baskets n’était plus assurée par les établissements
fondateurs de JW Foster and Sons, à Manchester, mais
filait aux États-Unis. La robustesse traditionnelle des
« brogues », nom générique des souliers de cuir à lacets
et perforations décoratives dérivé du gaélique et de
l’écossais, passait alors pour un synonyme de lourdeur
et de conservatisme. Quand les citadins de par le monde
se laissaient plus volontiers tenter par des modèles
­italiens ou français jugés plus souples et confortables,
seuls quelques BCBG anglophiles restaient fidèles à la
tradition. Inexorable déclin ? C’était sans compter sur la
combativité britannique.
Désormais, pour relever le défi, bottiers et chausseurs
reviennent aux fondamentaux, comprenant qu’ils
­peuvent toujours miser sur deux atouts majeurs : l’excel-
96/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
Manteau en laine,
3 590 €,
GIVENCHY. Pull
en laine et alpaga,
175 €, EDEN PARK.
Pantalon en
gabardine de
coton, 680 €,
LORO PIANA.
Souliers en cuir,
610 €,
CROCKETT &
JONES.
lence de leurs savoir-faire, garants de leur réputation de
qualité, et le style élégant de leurs créations. Reste à
­mener une opération de séduction pour redonner tout
son statut à ce soulier en montrant son adaptation aux
temps nouveaux. Il s’agit pour les marques de redé-
ployer leurs collections, en jouant subtilement avec des
codes classiques parfaitement assumés ou en les pimen-
tant d’une pointe d’humour British. Voire d’un rien
d’excentricité, à l’instar des créations de Paul Smith
osant des couleurs inédites ou de Matthew Cookson,
dont les slippers brodées enchantent les dandys au-delà
du cercle intime des fumoirs de clubs…
retour à northompton
Ainsi, en quinze ans, la production locale a montré une
croissance de près de 30 % par an. Aujourd’hui, une
trentaine d’usines et de manufactures fabriquent des
chaussures au Royaume-Uni, notamment dans le Nor-
thamptonshire, épicentre historique de cette industrie.
Certaines marques ont même choisi de revenir dans leur
fief d’origine, telle l’entreprise Clarks qui, délocalisée en
Asie, a rapatrié sa célèbre Desert Boot en 2018 à proxi-
mité de son siège social à Street, dans le Somerset.
Ce nouvel âge d’or est porté par l’aura de grandes mai-
James Weston
sons, comme Edward Green et John Lobb qui font tou-
jours tourner les têtes des calcéophiles. Fournisseur atti-
tré du roi Charles III mais aussi de James Bond,
Crockett & Jones a su se renouveler pour offrir aux amateurs ___u
 Spécial mode

Double Monk William,

JOHN LOBB.

Chez George Cleverley,

les formes en bois
des pieds célèbres
portent aussi bien
la mention de
Winston Churchill que
de Sylvester Stallone

Chez Church’s, les

finitions sont réalisées
à la main dans l’atelier
de Northampton.
de beaux souliers des modèles épousant tous les
moments de leur vie : Chelsea boots aux accents du
« Swinging London » pour le bureau, mocassins souples
destinés aux vacances, bottines lacées montantes Monk Jonathan,
­imperméables et tout-terrain pour crapahuter dans la GEORGE CLEVERLEY.
campagne ou faire du deux-roues.
Redynamisée par George Glasgow et son fils, la signa-
ture George Cleverley, l’une des meilleures adresses de
sur-mesure au cœur de Mayfair, a aussi conquis
­H ollywood, au point de chausser les plus grandes
stars à l’écran comme à la ville. Dans l’atelier londo-
nien, où toutes les opérations sont réalisées dans les
règles de l’art, les formes en bois des pieds célèbres
portent aussi bien la mention de Winston Churchill
que de Sylvester Stallone.

excellent rapport qualité-prix

Encouragés par cette embellie, des bottiers talentueux se
sont lancés, à la manière de Tony Gaziano et Dean
­Girling qui ont fondé leur manufacture, Gaziano & ­ Richelieus Courtenay,
Girling, en 2006 et connaissent un succès grandissant CROCKETT & JONES.
auprès des puristes en quête de fantaisie, grâce à leurs
patines ambrées.
Certains chausseurs ont fait le choix d’assumer le style
anglais sous l’angle du rapport qualité-prix, en promou-
vant notamment le cousu Goodyear (permettant de
­ressemeler à l’infini, dit-on). C’est le cas des chaussures
fabriquées par Tricker’s, Cheaney, Barker, Grenson ou
Loake, dont les modèles classiques, monk shoes à bou-
cles ou derbys et richelieus à lacets, sont plébiscités par
les avocats de Westminster, les businessmen de Canary
Wharf et les banquiers de la City. ■
sdp

Frédéric Brun

98/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023


De l’influence de
la lavande “Old English”
Hérités des savons à barbe de l’Angleterre victorienne,
les sent-bon traditionnels n’ont jamais été aussi « fashionables ».
F
loris, Atkinsons,
­Penhaligon’s… Au
XIXe siècle, ce sont les
barbiers londoniens
qui définissent le style
olfactif britannique,
ra c o n t e Vi rg i n i e
­Daniau, fondatrice
de l’agence de conseil Parfum Parfait et
experte des fragrances d’outre-Man-
che. Leurs “barber shops” principale-
ment situés à Jermyn Street deviennent
l’épicentre de l’élégance attirant alors
lords et gentlemen des quartiers de
­Londres, la City et Mayfair. » Des dan-
dys (menés par le premier d’entre eux
Georges « Beau » Brummell) aussi
­férus de mode – costume noir et che-
mise amidonnée – que d’onguents par-
fumés aux essences de menthe et de
­lavande utilisées pour leurs vertus anti-
septiques. Largement associée à l’eau
de la toilette et aux produits de rasage,
aux savonnettes et au talc, cette lavande
dite « Old English » cultivée dans le sud
du pays signe la plupart des sillages
masculins qui se doivent d’être vifs,
­toniques, légers. Car, dans l’ère victo-
rienne un brin puritaine, il n’est pas
question pour l’homme d’afficher une
identité olfactive trop marquée. C’est
donc une lavande à la fraîcheur presque
savonneuse, que l’on retrouve dans le
pionnier Original English Lavender de
Yardley (1873) à peine habillé de néroli
et de sauge sclarée.
Une lavande également présente dans
le Blenheim Bouquet créé en 1902 par
le fournisseur de la reine, Penhaligon’s,
pour le duc de Marlborough en hom-
mage à son palais au nord d’Oxford.
Depuis, ce trio dynamisant de lavande,
citron, thym (adopté par Winston
Churchill) devenu le symbole d’une
Angleterre chic et propre, s’envisage
comme l’interprétation aromatique de
la Cologne méditerranéenne – la
­lavande remplaçant ici la fleur d’oran-
ger. Autres fournisseurs attitrés de la
Spécial mode
Parfum
Par Pauline Castellani
royauté et distingués grâce au précieux
Royal Warrant (ou brevet royal), le par-
fumeur Creed fondé en 1760 (JFK sera
Eau de parfum adepte de son Vétiver) ou encore l’apo-
Boy Les thicaire D.R. Harris, l’une des plus
Exclusifs de
vieilles pharmacies de Londres, qui
Chanel, 215 €
les 75 ml. propose toujours une large sélection de
fragrances et de formules de grooming
aux senteurs délicieusement vintage.
L’archétype d’une parfumerie
propre et virile
L’Angleterre victorienne devenue le
Eau de Cologne
pays de l’élégance, un siècle de Frenchies
Arlington de D.R. Harris, se fera habiller à Londres : il sera du
65 € les 100 ml. ­dernier cri de faire blanchir son linge sur
les gazons du Lincolnshire tout comme
d’imiter ce sillage aromatique hérité des
savons à barbe. Cet esprit de propreté
toute British se déclinant alors dans de
nombreux sent-bon français. D’autant
que l’accord lavande-géranium-cou-
marine lancé en 1882 avec Fougère
Royale d’Houbigant puis sublimé quel-
ques années plus tard par Jicky de
Guerlain ouvre la voie à une nouvelle
famille olfactive. « Si tous ces accords
aromatiques ont évolué avec des facettes
plus modernes dont des notes ambrées,
parfois même métalliques, les fougères
restent l’archétype d’une parfumerie pro-
Eau de parfum pre et virile », résume Virginie Daniau.
Aventus de Creed, Citons ce Boy de la collection Les Ex-
295 € les 100 ml. clusifs de Chanel inspiré par l’amour de
Gabrielle pour l’Anglais Arthur (dit
Boy) Capel et qui reprend la structure
emblématique de la fougère avec sa
­lavande ourlée d’agrumes et de notes
herbacées avant de s’en affranchir grâce
à un fond ambré et crémeux. Ou encore
Eau de toilette
le H24 d’Hermès présenté comme une
Blenheim « fougère high-tech » qui ne comprend ni
Bouquet de lavande ni géranium, mais une sauge
Penhaligon’s, sclarée associée à une molécule de syn-
140 € les 100 ml. thèse, dont les effluves façon vapeur de
fer encore brûlant rappellent ceux que
Eau de toilette l’on sent, non pas chez le barbier, mais
H24 de Hermès, dans les ateliers de confection pour
118 € les 100 ml. hommes. ■
100/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
Q u a r t i e r s L i b r e s

Emmanuel Giraud/ Production Ever Paris ; presse

102/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 En vue

Vincent Lacoste
Pour lui, l’école n’est pas finie
Le comédien, omniprésent sur les écrans depuis des années, interprète un prof de maths
dans le nouveau film de Thomas Lilti, « Un métier sérieux ».
Un retour en classe réussi pour celui que l’on a découvert en collégien complexé
dans « Les Beaux Gosses », en 2009.

I
l y a quinze ans, Vincent Lacoste dan-
sait la tecktonik, avait un poster du rappeur 50 Cent
­accroché au mur de sa chambre, se rêvait caïd devant
Scarface, son film préféré, et cultivait une drôle de phobie,
l’émétophobie (la peur de vomir). L’adolescent gauche et
introverti en classe de troisième, habitant le quartier de la
Fourche, dans le 17e à Paris, était loin de s’imaginer comé-
dien un jour. Mais entraîné par ses copains, il se présente
au casting des Beaux Gosses, le premier long-métrage
d’un jeune auteur de bandes dessinées, Riad Sattouf. La
suite est connue : il est engagé pour incarner le rôle
d’Hervé, un collégien mal fagoté et obsédé par les filles. Le
film engrange 1 million d’entrées et le propulse dans un
métier qu’il ne va plus quitter.
Aujourd’hui, sa phobie a heureusement disparu après
des années de psy. Sur les murs de sa chambre sont
­désormais disposés des rayons de bibliothèque. La teck-
tonik revient, selon lui, à la mode mais il a aussi appris
à danser la valse pour les besoins d’un tournage. Et
Barry Lyndon, qu’il revoit chaque année, a remplacé
Scarface dans son panthéon des meilleurs films. Le
­comédien, surnommé « mon kiki », « mon chouchou » ou
« mon petit poney » par son alter ego toujours présent
Riad Sattouf, vient de fêter ses 30 ans. « Tout le monde
m’en parle, je ne comprends pas pourquoi. C’est un âge que
je fantasmais comme celui de la maturité. Ce n’est pas
vraiment le cas ! J’ai parfois l’impression d’en avoir dix de
plus, puisque j’ai commencé à travailler très tôt. »
Le jeune acteur a grandi devant les caméras. Dans
­Hippocrate (2014), de Thomas Lilti, il quitte les affres de
l’adolescence pour se confronter au monde réel en enfi-
lant la blouse d’un interne en médecine. Deux ans plus
tard, Victoria, de Justine Triet, révèle son potentiel en
­séduction dans les bras de Virginie Efira. En 2017, il
prend de l’ampleur et rayonne dans Plaire, aimer et
­courir vite, de Christophe Honoré, avant de nous boule-
verser dans Amanda, le film post-attentat de Mikhaël
Hers. Et grâce à Illusions perdues, de Xavier Giannoli, il
décroche son premier César en 2022, comme meilleur
acteur dans un second rôle. Après quatre précédentes
nominations sans succès, le trophée enfin gagné aurait
pu entamer la nonchalance joyeuse qui le caractérise, sa
marque au fil de ses interprétations. Il en faudrait plus.
« Je suis d’un tempérament assez calme. Quelquefois,
quand je suis énervé, je pense qu’on ne le voit même pas. »
de l’autre côté du miroir
Trente-cinq rôles plus tard, le voilà de retour là où tout
a commencé, sur les bancs d’un collège et à la cantine,
dans Un métier sérieux *, de Thomas Lilti. Mais cette
fois de l’autre côté du miroir. Face à des élèves nés
­l’année de la sortie des Beaux Gosses, il tient le rôle d’un
enseignant en maths sans expérience qui va découvrir le
métier et la solidarité entre profs. Aux côtés de Vincent
Lacoste, Thomas Lilti a réuni François Cluzet, Adèle
Exarchopoulos et Louise Bourgoin pour rendre un bel
hommage à la profession, après une trilogie consacrée
au monde médical.
C’est la troisième fois que les deux hommes travaillent
ensemble. William Lebghil, un vieux copain avec qui
Vincent Lacoste, fidèle en amitié, a déjà
tourné deux fois, fait aussi partie de
l’aventure. « C’est assez beau de tourner
des films avec ses amis et de se voir
vieillir ensemble. Ce sont un peu comme
des témoignages qui racontent l’histoire
de notre vie. » Valérie Beck
* En salles le 13 septembre.

103/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Q u a r t i e r s
Culturellement vôtre
Par Jean-Christophe Buisson
nineynarrable
Grâce à Pierre Niney, impressionnant
(et hilarant), le nouveau film de
Michel Gondry ne fait pas que décevoir.
P arfois, un film est sauvé par un acteur. Une
performance. Une présence. Cas d’école
avec Le Livre des solutions, de Michel Gondry
(en salles le 13 septembre). Sans le phénoménal
Pierre Niney, cette chronique d’un réalisateur
narcissique, arrogant, malade, atrabilaire et
misanthrope n’aurait pas grand intérêt. Quelques
idées de mise en scène, des reparties parfois
hilarantes, des situations cocasses : tout cela ne fait pas
un film. Le scénario est à l’avenant : un cinéaste
conceptuel dont les producteurs refusent de continuer
à financer ses lubies (son prochain chef-d’œuvre
de quatre heures) s’enfuit avec les rushs dudit chef-
d’œuvre, sa monteuse et des membres de l’équipe
technique. Destination : les Cévennes, dans la ferme
de son accueillante tante Denise. Sur place, Marc est
traversé de fulgurances mais surtout de moments
d’angoisse, de paranoïa et de folie. Le cerveau envahi
par mille idées à la seconde, perturbé par des
obsessions déroutantes, il fait feu de tout bois tout
en essayant de canaliser son énergie en tentant
de suivre des consignes dans un « livre des solutions »
qu’il rédige dans ses rares moments de lucidité
schumpétérienne (la destruction créatrice, tout ça, tout
ça). Suffisant pour que le film voie un jour le jour ? Cette
question, on s’en moque comme de colin-tampon…
Si on croit au début à une parodie autocritique (drôle,
donc), le sérieux avec lequel Gondry filme la descente
aux enfers de ce réalisateur qui est évidemment
son double suscite peu à peu ennui et indifférence.
Surtout quand apparaît Blanche Gardin, qui a hérité
d’un rôle ingrat et nous le fait savoir. Quant à Françoise
Lebrun en vieille tante, elle démontre que
le non-jeu (sûrement volontaire) a ses limites.
Reste heureusement Pierre Niney. Il est prodigieux.
Chacun de ses gestes (surtout les plus débiles),
chacune de ses expressions, chacune
de ses répliques éblouissent. La scène où
il demande à un orchestre de mettre en musique
sa gestuelle GROTESQUE est un morceau d’anthologie.
Serait-ce un tableau, on l’encadrerait.
104/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
L i b r e s / É c r a n s
SUR LES PLATES-FORMES
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Focus
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Laurent Lafitte,
A
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A G
RO
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droit au but
Dans l’excellente série sur Netflix,
le comédien s’impose sous les traits de
Bernard Tapie aux côtés de Joséphine Japy.
I
l aime tous les paris. Même les plus ambitieux. Sur ce
plan, Laurent Lafitte n’est pas si éloigné de Bernard
Tapie qu’il campe dans l’excellente série dédiée à
­l’ancien homme d’affaires, devenu président de
l’Olympique de Marseille, ministre puis comédien.
Ce qui frappe immédiatement dans l’œuvre en sept épisodes
de Tristan Séguéla et Olivier Demangel, c’est leur ressem-
blance physique. L’acteur de 50 ans est criant de naturel dans
son interprétation de celui qui désapprouvait la réalisation
d’un tel projet avant son décès survenu le 3 octobre 2021.
Même prestance, même gouaille, mêmes mimiques… Rien
ne manque. Le pensionnaire de la Comédie-Française a
trouvé la bonne formule, sans tomber dans la caricature. Les
premiers épisodes donnent le ton. Tapie est persuadé de faire
carrière dans la chanson. Lafitte, toujours en mouvement,
transmet son énergie. Entre en scène Fabrice Luchini sous
les traits d’un entrepreneur qui va confier au jeune loup la
gestion d’un magasin. Nouvelle désillusion, mais
­Wonderman (le titre initial) se console dans les bras de
­Dominique (formidable Joséphine Japy) et se relance…
dans le monde médical. On connaît la suite. Une carrière
dont la densité avait tout pour séduire Laurent Lafitte, qui
s’illustra jadis dans le one-man-show – registre dont il est
­assez proche ici – et qui incarnera bientôt… Molière sous la
direction d’Olivier Py, avant de figurer en 2024 au casting
des Barbares de Julie Delpy et du Comte de Monte-Cristo
d’Alexandre de La Patellière et Matthieu Delaporte. Les
­nanards ? Très peu pour lui. Pierre de Boishue
 Q u a r t i e r s
Drame
Le grand écart
★ ★ L’Été dernier, de Catherine Breillat,
avec Léa Drucker, Samuel Kircher…
(en salles le 13 septembre).
A
nne est une femme comblée.
Dans la sphère privée, elle
forme un couple modèle avec
son mari et leurs deux enfants. Même
réussite sur le plan professionnel pour
cette avocate chevronnée. Une har-
monie soudain brisée par l’appari-
tion du fils de son époux, âgé de
17 ans, dont elle va s’éprendre…
­Remake du film danois Queen of
★★★★ Hearts, le nouveau long-métrage de
Excellent
★★★ Catherine Breillat séduit par son
Très bien rythme et sa sobriété. Jamais vulgaire,
★★ il offre un rôle de premier plan à Léa
Bien Drucker dont le personnage passe
★
Moyen par toutes les émotions sous la coupe
✖ de cet adolescent campé par Samuel
À éviter Kircher. Un duo explosif. P. B.
la vision télé
de stéphane hoffmann
DES NOUVELLES DE LA JUSTICE
La vie quotidienne des tribunaux en France
L a justice est souvent
incomprise du peuple
français alors qu’elle est
rendue en son nom. Ça ne date
pas d’hier. Flaubert écrivait qu’il
y croirait le jour où il verrait trois
juges d’accord sur l’interprétation
d’un texte de loi. Depuis, le fossé
s’est agrandi. Voilà pourquoi
« Justice en France *, série
de documentaires qui entame
sa deuxième saison sur France 2
Mika Cotellon/Netflix ; sdp
(le mercredi en deuxième partie
de soirée), est la bienvenue
pour montrer et expliquer la vie
quotidienne des tribunaux
français, où les caméras
L i b r e s / É c r a n s
comédie dramatique
les feux de l’amour
★ ★ Les Secrets de la princesse
de Cadignan, d’Arielle Dombasle, avec
elle-même, Julie Depardieu, Michel Fau…
F
emme libre, célèbre dans les sa-
lons parisiens pour son esprit
et sa coquetterie, la princesse
de Cadignan a constitué un carnet de
conquêtes dignes de don Juan. Mais
alors qu’elle a renoncé aux plaisirs de
la chair, elle découvre l’amour avec
un écrivain monarchiste et catho-
lique à qui l’on ne connaît aucun
écart. Avec peu de moyens, Arielle
Dombasle insuffle beaucoup de
charme à cette adaptation de la nou-
velle de Balzac. Michel Fau en écrivain
spectateur de son propre livre offre
une mise en abyme ingénieuse. Une
fable précieuse sur l’amour et le
temps qui passe dont on pardonne les
maladresses. Valérie Beck
s’installent. Après l’intervention
du garde des Sceaux, mercredi
dernier, et avant des visites
au juge des affaires familiales
et à la chambre des appels
correctionnels de Poitiers,
l’émission du 13 septembre
propose un procès d’appel
à la cour d’assises de Saint-Omer.
Il s’agit d’un bébé de 13 mois
secoué, présume-t-on, par sa
mère, condamnée en première
instance et qui a fait appel. Nous
suivons les trois jours d’audience.
Plus de dix ans se sont écoulés
depuis les faits. Pourquoi une
telle lenteur ? On ne nous le dit
105/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
SUR LES PLATES-FORMES
Série
Le plein de cyber
★ ★ The Undeclared War, de Peter
Kosminsky, avec Edward Holcroft,
Hannah Khalique-Brown, Adrian Lester
(6 épisodes, disponible sur Canal+).
P
as de round d’observation ! À
peine nommée stagiaire à
l’agence de renseignement bri-
tannique, la géniale informaticienne
Saara Parvin se trouve en première
ligne pour contrer une cyberattaque
sans précédent orchestrée par les
Russes. L’heure est d’autant plus
grave que cette offensive intervient à
quelques semaines des élections légis-
latives… Avec The Undeclared War,
Peter Kosminsky traite avec brio ce
sujet ô combien d’actualité. Fake
news, trolls… Les rebondissements
sont incessants, les fausses pistes du
scénario, intelligentes et efficaces. On
se lève pour ces espions ! P. B.
pas, et c’est bien dommage.
Mais l’émotion est au plus fort
tout au long des trois quarts
d’heure où le spectateur peut
se mettre dans la peau d’un juré.
C’est passionnant. Le ronronnant
débat qui suit, court mais bavard,
conduit par Dominique
Verdeilhan, entre un magistrat et
un avocat, reste dans l’entre-soi :
le décryptage annoncé n’est pas
au rendez-vous. Mais, avant cela,
ce qu’on voit du travail de
la justice est palpitant et doit
être salué.
* France 2, mercredi 13 septembre,
en deuxième partie de soirée.
 Q u a r t i e r s L i b r e s / À l ' A f f i c h e

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théâtre

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il était une fois aux amériques A R O

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lvar Nuñez Cabeza de Vaca est un conquistador espagnol de la meilleure

extraction : dans sa famille, on a conquis les Canaries et repoussé les
­Maures à Grenade. Lui a décidé de s’embarquer pour les Amériques
en1528. Il y restera dix ans au cours desquels il traversera mille épreuves,
combattra des Indiens de Floride et du Mexique l’épée à la main, participera, non
sans scrupule, à des pillages, rêvera d’une mythique cité d’or, perdra ses compagnons
d’aventure, défiera la mort et la maladie, deviendra médecin d’une tribu où il s’instal-
lera et se mariera avant d’en être chassé. Et on en passe ! Parfois, un homme seul sur
scène se mue en livre et en film, et sa performance laisse pantois. C’est le cas d’Alexis
Moncorgé qui, en se glissant dans la peau de Cabeza (qui a vraiment existé), mais
aussi des autres personnages d’Eldorado 1528 *, pour narrer leurs tribulations inouïes
à sa vieille mère, transporte littéralement le spectateur. À la fois géographiquement
et spirituellement, les vertiges moraux traversés par l’hidalgo n’étant pas les moins
­intéressants dans ce seul-en-scène, finement mis en scène par Caroline Darmay et
­acclamé au dernier Festival d’Avignon. À juste titre. Jean-Christophe Buisson
* Petit Montparnasse, Paris 14e.

musique
sparklehorse ressuscité

D
ans les années 1990 et 2000, Mark Linkous a réalisé, sous le nom de
Sparklehorse, certains des plus beaux albums de l’époque, parmi les-
quels Good Morning Spider, It’s a Wonderful Life ou Dreamt for Light
Years in the Belly of a Mountain. Le génie de Linkous était tellement
évident qu’il a bénéficié de plusieurs invités prestigieux sur ses chefs-d’œuvre :
Tom Waits, P. J. Harvey, Julian Casablancas (Strokes) et même David Lynch ne
se sont pas fait prier pour collaborer avec cet Américain tourmenté. Il s’est suicidé
en 2010 après avoir difficilement survécu à différentes addictions et même, quel-
ques années auparavant, à un arrêt cardiaque qui a duré plusieurs minutes.
Voici que sort l’album conçu avec son frère Matt juste avant son décès. Miracle :
c’est une merveille supplémentaire à mettre à son actif. On retrouve sur Bird
Machine (Anti) toute la grandeur de Linkous. Des chansons vives ou douces,
toujours portées par un sens de la mélodie et de la production phénoménal.
D’habitude, ce genre de projet a des allures de fond de tiroir douteux. Là, il s’agit
d’un authentique chef-d’œuvre qui sonne comme un disque fini. Entendre à nou-
veau cette voix sur des chansons inédites est un bonheur absolu. Nicolas Ungemuth

les passe-temps
caméra-stylo d’éric neuhoff

A
l’écran, les personnages d’écrivains se font rares.
Les cinéastes se fichent de la rentrée littéraire.
Rien de moins photogénique qu’un clavier
d’ordinateur. Il n’y a plus le merveilleux crépitement
des bonnes vieilles machines Remington avec leur petit
se moque de lui en lisant ses pages à haute voix.
Bien fait pour lui. Au début de Plein sud (1980), Patrick
Dewaere plaque tout pour fuir à Barcelone avec une
inconnue. Il a des excuses : c’est Clio Goldsmith. Dans
la vie, les romanciers font n’importe quoi. Ils annulent
PIERRE PLANCHENAULT ; ; Danny Clinch ; sdp

gling à la fin de chaque ligne tapée. Il n’est pas idiot
de revoir en dvd les films de Luc Béraud. Dans La Tortue
sur le dos (1977), Jean-François Stévenin est un auteur
en panne. Cela existe. Six ans qu’il n’a pas publié.
Son Montblanc en résine noire pond de vagues phrases.
Elles restent orphelines sur la feuille. Il n’arrive plus
à coucher avec sa femme. Bernadette Lafont lui donne
des claques. C’est tout ce qu’il mérite. Vers la fin,
l’équipe du Splendid dans une 303 décapotable
leurs conférences, mentent à leur épouse, embarquent
sur des paquebots pour des destinations lointaines
comme dans les poèmes d’Henry Jean-Marie Levet,
où rôde le consul général de France à La Plata.
Au début, le héros s’arrête devant la librairie Gallimard
pour vérifier que son livre est bien en vitrine. Les bons
films se reconnaissent à ce genre de détail. Béraud a
arrêté de tourner. Il a eu tort. Peut-être qu’il s’est lancé
dans la littérature. On ne sait jamais, hein.

106/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Q u a r t i e r s L i b r e s / À l ' A f f i c h e

les variations
de françois delétraz

à Biarritz, on y danse,
on y danse

U
ne fois de plus, le festival de danse de Biarritz montre
sa singularité. Pas d’a priori comme presque partout
ailleurs, mais une large ouverture à toutes les
danses. C’est la fierté du Temps d’aimer la danse * : inviter
le classique ou le néoclassique, le contemporain, le hip-
hop, le baroque ou le folklorique… Et cet éclectisme plaît
infiniment au public, comme l’attestent les réservations au
sommet. Elles soulignent la justesse de cette programmation,
qui sait aussi mélanger les grandes compagnies ayant
pignon sur rue avec d’autres, prometteuses.
Parmi les poids lourds qui se produisent à la Gare du
Midi, salle de 1 000 places, il faut noter l’excellente troupe
classique italienne Aterballetto, qui ouvre le festival.
Ou la troupe du théâtre de Wiesbaden. Mehdi Kerkouche,
la nouvelle star de la danse, est présent à Biarritz pour
animer un stage et présenter sa dernière œuvre, Portrait.
Le Ballet Nice Méditerranée reprend la Cendrillon de
Thierry Malandain pour le plus grand bonheur des
premiers arrivés : plus une place pour les retardataires !
Quant au Ballet du Rhin, il investira la salle multisport
Lauga de Bayonne, avec la reprise de sa très bonne pièce
On achève bien les chevaux. Quant au Malandain Ballet
Biarritz, il fait le tour des salles de pelote basque de
la région avec un pot-pourri de ses meilleurs ballets.
Et puisqu’il n’est pas de bon festival sans une pointe
d’humour, ne manquez pas, au théâtre du Casino, Grand
écart, du Suisse Kiyan Khoshoie, qui vient de faire un
tabac au off d’Avignon – une autobiographie pleine de
délicieuse autodérision. Pour terminer le festival, une
rencontre improbable et étonnante : celle de la star du
flamenco Andrés Marin, avec Jon Maya – un enfant de la
danse traditionnelle basque. Autant dire, un duo de très
grands danseurs, d’horizons quasiment opposés.
* Jusqu’au 18 septembre (Letempsdaimer.com).

107/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Q u a r t i e r s
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la vraie madame du Barry
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Emmanuel de Waresquiel, dans une superbe biographie, renouvelle
profondément le portrait de la dernière favorite de Louis XV.
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oilà plus de deux siècles que la malheureuse
traîne une mauvaise réputation appuyée sur
des faux, et alimentée, de nos jours, par le
­cinéma – voir le caricatural Jeanne du Barry
réalisé par Maïwenn et présenté
cette année au Festival de Cannes. Il est vrai
que le singulier destin de cette femme partie de
si bas pour monter si haut et pour finir tragi-
quement a tout pour exciter l’imagination.
­Cependant, Emmanuel de Waresquiel n’est ni
romancier ni cinéaste. Pour écrire la vie de la
dernière favorite de Louis XV, cet historien
scrupuleux, repoussant clichés et préjugés, a
fait ce qu’il a toujours fait pour ses grandes
biographies, de Talleyrand à Fouché : il est allé
aux sources. Celles-ci, qui sont pourtant peu
abondantes, lui ont par exemple permis de découvrir
l’existence d’une fille de Mme du Barry, née de sa liaison
avec le conseiller d’État Arnaud de Laporte. Voici par
conséquent un livre tout à la fois rigoureux, intelligent
et passionnant, non seulement parce que Jeanne du
Barry fut une figure de roman, mais aussi parce que
l’auteur montre ici la fine connaissance du XVIIIe siècle
finissant dont il avait fait preuve, à propos du procès de
Marie-Antoinette, dans Juger la reine : son portrait de
essai
charismatiques, pour le meilleur et pour le pire
★ ★ Ces grandes figures qui ont fait l’Histoire, de Ian Kershaw, Seuil, 522 p., 25,90 €.
E n février 1917, quand la révolution russe
éclate, Lénine se trouve hors de Russie
depuis près de vingt ans. Il est en Suisse.
Bien sûr, il souhaite rentrer en urgence, saisir
les fruits rouges de l’arbre moribond du tsarisme,
que la faction bolchevique, qu’il dirige de loin,
secoue depuis quinze ans. Mais l’Europe de 1917
est en guerre. Obtenir un laissez-passer paraît
inconcevable. Pourtant, l’Empire allemand lui
en octroie un, organise même le voyage retour
de l’agitateur ennemi… Or, si Lénine n’avait pas
regagné la Russie le 3 avril, il n’y aurait pas eu
de révolution d’Octobre, de police secrète,
de Tcheka, de terreur rouge, affirme Ian Kershaw.
Dans une somme de 500 pages, ce spécialiste
de Hitler et de la Seconde Guerre mondiale étudie
les conditions dans lesquelles les grands
dirigeants du XXe siècle, malfaisants ou non,
ont conquis le pouvoir et modelé l’Europe.
Sa thèse ? Un mi-chemin entre l’assertion de
Rousseau, « ce sont les grandes occasions
qui font les grands hommes », et l’histoire
personnalisée qui veut par exemple qu’une figure
108/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
L i b r e s / H i s t o i r e
LA PAGE D’HISTOIRE
DE JEAN SéVILLIA
la maîtresse royale s’inscrit dans la société de son temps.
Fille naturelle aux origines indécises, Jeanne Bécu de
Cantigny ou Jeanne Gomard de Vaubernier, devenue
comtesse du Barry à la suite d’un mariage fictif, est
­introduite à la Cour et présentée à Louis XV en
1768. En dépit de leur différence d’âge, qui est
d’au moins trente-cinq années, le monarque
tombe fou amoureux de celle qui, à 23 ans, passe
pour « la plus belle ­personne de son ­siècle ».
­Désormais, elle r­ égnera sur Versailles, imposant
sa touche dans le domaine des arts mais prenant
également sa part dans le jeu politique, notam-
ment par son hostilité envers le ministre Choi-
seul. Retirée dans son château de Louveciennes
à la mort du roi, en 1774, elle y sera rattrapée par
la Révolution en 1793. ­Waresquiel confirme
que Mme du Barry, devant la guillotine, poussa « un cri af-
freux ». L’auteur, toutefois, avoue ne pas avoir percé tou-
tes les énigmes laissées par son personnage. « Avec Jeanne,
tout finit toujours par du silence, conclut-il. Les secrets de
sa vie ont été aussi ceux de sa mémoire. » Si ­documenté
soit-il, cet ouvrage attachant et magnifi­quement écrit
laisse toute sa place au mystère.
Jeanne du Barry. Une ambition au féminin, d’Emmanuel de Waresquiel,
Tallandier, 588 p., 27,90 €.
comme celle de Hitler ait forgé à elle seule
l’Allemagne nazie.
Kershaw plaide pour l’équilibre, veut démontrer
que sans une conjonction de facteurs favorables,
ces figures seraient restées mineures.
Mais que d’autres personnalités dans le même
contexte n’auraient pas su en tirer le même profit.
Ainsi Helmut Kohl. Si le chancelier allemand,
auquel on ne pense pas d’emblée lorsqu’on pense
« grandes figures qui ont fait l’Histoire »,
avait quitté le pouvoir au printemps 1989,
la postérité aurait vu en lui « un chef de parti
exemplaire, mais un chancelier quelconque ».
Pugnace, occupé à sa tâche, il ne le quitte pas.
Et en novembre 1989 vient sa chance.
Un conseiller le tire de son sommeil.
« Chancelier, le mur tombe ! » Dès lors, cet
amateur de panse de porc farcie s’attellera
à entrer dans l’Histoire. La thèse n’est pas
révolutionnaire, mais l’historien britannique
l’argumente et réussit en particulier les parties
presse
sur Lénine, Churchill et Gorbatchev.
Madeleine Meteyer
01 45 44 50 21 - 75 BD DU MONTPARNASSE, 75006 PARIS - THEATREDEPOCHE-MONTPARNASSE.COM

L’ É D U CA T I O N
L’ÉCHANGE SENTIMENTALE
DE PAUL CLAUDEL
CLAU DE GUSTAVE FLAUBERT
MISE EN SCÈNE DIDIER LONG L I B R E A DA P T A T I O N : PA U L E M O N D

AV E C PAU L I N E B E L L E - M AT H I L D E BISSON MISE EN SCÈNE ET INTERPRÉTATION

FRANÇOIS DEBLOCK - WALLERAND DENORMANDIE SANDRINE MOLARO & GILLES-VINCENT KAPPS

EDWARD ALBEE GARGANTUA

DE FRANÇOIS RABELAIS
ZOO STORY MISE EN SCÈNE ANNE BOURGOIS
TRADUCTION ET MISE EN SCÈNE PIERRE VAL ADAPTÉ ET INTERPRÉTÉ PA R
AVEC SYLVAIN KATAN ET PIERRE VAL PIERRE-OLIVIER MORNAS

S’ABANDONNER BRIGITTE
FOSSEY
DANIELLE
LAVAL

À VIVRE LAFONTAINE
JUDITH MAGRE EN FABLES ET EN NOTES
LIT DES NOUVELLES DE DE JEAN DE LA FONTAINE
S Y LVA I N T E S S O N
SOUS LE REGARD DE THIERRY HARCOURT
MUSIQUES DE NINO ROTA, MICHEL LEGRAND, BACH,
RACHMANINOV, DEBUSSY, BEETHOVEN, SCARLATTI...

EURYDICE
DE JEAN ANOUILH
MISE EN SCÈNE EMMANUEL GAURY
AVEC BÉRÉNICE BOCCARA OU LOU LEFÈVRE
GASPARD CUILLÉ OU EMMANUEL GAURY
BENJAMIN ROMIEUX - CORINNE ZARZAVATDJIAN
PATRICK BETHBEDER - MAXIME BENTÉGEAT
OU VICTOR O’BYRNE OU PIERRE SORAIS
JÉRÔME GODGRAND
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Essai récit

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hymne à la vie tragédie iranienne

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sauvage

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★ ★ ★ La dernière place, de Négar
★ ★ ★ ★ L’Ombre d’un grand Djavadi, Stock, 288 p., 20,50 €.

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oiseau, de Catherine Poulain, e 8 janvier 2020, un avion de la
Arthaud, 192 p., 18 €.

A
compagnie Ukraine International
Airlines s’écrase quelques minutes
u début, c’est un après son décollage de Téhéran,
murmure. Presque entraînant la mort des 176 passagers.
un souffle. Léger La cousine de la narratrice se trouvait
et grave. Puis peu parmi eux. Venue passer les fêtes
à peu le ton auprès des siens, comme les milliers
monte et se fait cri. Entre d’Iraniens éparpillés à travers le monde,
douleur, amour et fascination, Niloufar Sadr rejoignait le Canada via
Catherine Poulain explore la Kiev. Comment croire à un accident
réalité crue du monde animal technique ? Nous sommes en Iran,
un pays « qui broie avec une égale
et s’enfonce dans ses méandres. intensité tout ce qui nuance, contredit,
Avec elle, on arpente les bois singularise, se détache, revendique
et l’on suit le cours des rivières. ou s’oppose […] Par le mensonge,
Mais la mer, la vigne et la forêt la falsification, la dissimulation,
ne sont jamais loin. Partout, la délation, la destruction, la terreur,
la beauté la bouleverse la disparition, la mort. Les moyens
et la blesse à la fois. Pourquoi ne manquent pas. » Installée à Paris
n’a-t-elle pas pu sauver depuis son exil, quarante ans plus tôt,
ce rapace ni libérer ce chien Négar Djavadi aurait pu garder ce drame
enchaîné ? Tour à tour pour elle. Comment raconter le pays
perdu ? De quel droit écrire sur des
fauconne blessée, panthère êtres qu’on a chassés de ses pensées
en cage, oiseau marin mazouté dans un douloureux élan de survie ?
après le naufrage de l’Erika, L’éloignement ouvre-t-il d’autres
cerf traqué, elle danse comme perspectives ? Ces questions
une bacchante à la recherche de ce lien étrange et changeant qui unit poignantes traversent son enquête.
l’homme au sauvage. Comme dans ses deux précédents livres, Le Grand Elle a ceci de
Marin (2016), un premier roman inspiré par ses dix années passées à bord passionnant,
d’un bateau de pêche en Alaska, et Le Cœur blanc (2018) qui raconte la vie de haletant même,
d’une saisonnière agricole en Provence, elle tisse une toile sensuelle et qu’elle brasse,
profonde, servie par une écriture aussi précise et acérée que les serres d’un dans les sables
mouvants de la
épervier. Au gré de ses souvenirs, défilent l’enfance insouciante, la jeunesse mémoire et des
inquiète et intrépide, puis la quête du danger, le défi d’une vie à la marge, émotions, l’intime
solitaire et solaire, jusqu’à l’approche, hantée par la mort, des derniers et le politique.
jours. Foisonnant de vie jusqu’à la folie, ni roman ni récit ni tout à fait On en sort secoué,
essai, L’Ombre d’un grand oiseau a la force et la puissance des grands textes. mais instruit.
Cyril Hofstein Élisabeth Barillé

polar gueules cassées

★ ★ ★ Comme si nous étions des fantômes, de Philip Gray, Sonatine, 502 p., 23,90 €.
Traduit de l’anglais par Élodie Leplat.
Maurice ROUGEMONT/Opale.photo ; service de presse

F évrier 1919. Les armes

se sont tues sur les champs
de bataille de la Somme, laissant
des villages dévastés, des
campagnes ravagées et des
centaines de milliers de cadavres,
qu’il s’agit désormais de tenter
d’identifier et d’inhumer. C’est
en s’acquittant de cette terrible
tâche que des soldats britanniques
découvrent, au détour d’une
tranchée, l’entrée d’un réseau
complexe de galeries souterraines
abritant en son cœur
un épouvantable charnier.
Treize corps, douze Chinois et
un officier anglais s’entassent
dans cette lugubre sépulture.
Et tout porte à croire que leur
sort n’a rien à voir avec les
combats, mais relève purement
et simplement du meurtre
crapuleux. Au même moment,
une jeune Anglaise à la
recherche de son fiancé porté
disparu débarque sur les lieux…
Des années après la mort de
son grand-père, l’historien Philip
Gray découvre de précieuses
archives (cartes, photos…)
relatives à cette terrible époque,
conservées par l’ancien
combattant de 1914-1918.
Elles irriguent cet impressionnant
polar, plein de mystère et de
suspense, dévoilant au passage
quelques aspects méconnus
(drogue, racisme) de la vie dans
les tranchées. Philippe Blanchet

110/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Q u a r t i e r s L i b r e s / L i t t é r a t u r e

le livre
de frédéric
ENTREPRISES ÉRIC REINHARDT, beigbeder

FICTIONS POUR DAMES

Un conte moral sous forme de dialogue en magasin.
Éric Reinhardt – Oui bonjour…
La cliente – Bonjour monsieur, je viens pour vous
­commander un roman sur ma vie de femme mariée avec
un connard.
É. R. – Vous avez frappé à la bonne porte, madame… ?
La cliente – Je me prénomme Sarah. Mais vous pouvez
m’appeler Susanne.
É. R. – Susanne Stadler ?
La cliente – Non. Je préfère Susanne Sonneur.
É. R. – Chez Reinhardt and Co, la cliente est reine !
Alors dites-moi, Mme Sonneur, votre mari est-il
un pervers narcissique ou seulement un infidèle
toxique ?
Susanne Sonneur – Un peu des deux, je le crains.
É. R. – Ah ! mais c’est parfait ! J’ai déjà écrit
L’Amour et les Forêts sur ce sujet en 2014, mais pourquoi ne
pas refaire ce qui a très bien marché ? Virginie Efira pourra
encore interpréter votre rôle. Mais racontez-moi, que vous
a fait votre enflure de mari ?
S. S. – Il regardait des pornos à la cave et ne me touchait plus.
É. R. – Eh oui on ne peut pas tout faire… enfin je veux dire :
quel salaud !
S. S. – Alors je l’ai quitté et il s’est mis avec une plus jeune.
J’ai sombré dans la dépression et la misère.
É. R. – Mais c’est ignoble, abject, inadmissible, auriez-vous
une photo de la nouvelle bombasse en maillot de bain ?
C’est pour ma documentation personnelle.
S. S. – Cette pute m’a brisée, maltraitée, humiliée et
remplacée !
É. R. – Quelle horreur. Continuez de vous confier, c’est très
émouvant ce que vous dites, je le note.
S. S. – Mais dites-moi, si vous racontez ma vie, je touche
combien ?
É. R. – Rien, vous resterez pauvre. Mais votre
divorce devient un roman publié chez Gallimard !
S. S. – En fait, vous êtes comme Flaubert.
É. R. – Pardon ? euh… je suis bien d’accord, mais
pouvez-vous développer votre compliment ?
S. S. – Flaubert a écrit Madame Bovary sur une
femme malheureuse… Il lui a volé sa vie.
É. R. – Mais c’est tout à fait exact, Mme Sonneur,
à votre service, Mme Sonneur ! Heureusement que
vous ne vous êtes pas suicidée !
Une voix grave tonne depuis l’entrée du magasin. C’est
Gustave Flaubert qui vient d’entrer ! Il gueule :
– Crénom de nom !! Emma ne m’a pas dicté mon roman,
Emma, c’était moi et je l’ai inventée tout seul, à la sueur
de mon front et de ma solitude normande !! L’artiste
n’écoute que lui-même, et si le lecteur lui dicte son œuvre,
c’est la mort de la littérature !!
La morale de ce conte est simple. Dans Sarah, Susanne et
l’écrivain, il y a tout ce que promet le titre… sauf l’écrivain.
Sarah, Susanne et l’écrivain, d’Éric Reinhardt, Gallimard, 432 p., 22 €.

Retrouvez Frédéric Beigbeder sur Radio Classique tous les samedis à 19 heures.

le marque-page
de nicolas ungemuth profession : écrivain
★ ★ ★ À pied d’œuvre, de Franck Courtès, Gallimard, 186 p., 18,50 €.

J
usqu’où peut-on aller pour servir
ses idéaux ? Franck Courtès est
allé très loin. Ancien photographe
de renom, il était courtisé,
admiré et souvent bien payé par
tous les magazines et quotidiens
pour ses grands portraits de gens
aussi variés que Tom Hanks,
Jean-Louis Murat, JoeyStarr
(qui l’a humilié), Patti Smith, Michel
★★★★ Serrault et bien d’autres. Un jour,
Excellent l’évolution de la profession
★★★ l’a répugné, ce défenseur de
Très bien l’argentique a décidé de tout
★★
Bien arrêter pour devenir écrivain.
★ Écrivain aujourd’hui publié
Moyen chez Gallimard, à La Blanche… Tout
✖ le monde n’est pas Éric Reinhardt
À éviter
(lire ci-dessus), tout le monde ne
dispose pas d’à-valoir faramineux
et de romans adaptés au cinéma.
C’est ce que Courtès raconte dans
ce récit. La bascule brutale dans la
misère absolue. Les jobs minables
et sous-payés, dans le bâtiment,
comme livreur à vélo, conducteur
pour vieilles dames, etc. Le reste
est à l’avenant : les courses faites
dans les magasins pour les
pauvres, l’incapacité de se nourrir
correctement, les vêtements qui
tombent en loque, les kilos perdus.
Et toujours, cette discipline : écrire.
Il y a l’humiliation ultime de ne plus
pouvoir s’occuper de ses enfants
désormais installés au Canada.
« Personne, aucune
critique, aucun
sarcasme ne pourra
me blesser davantage
que ce message de
ma fille me disant qu’elle n’a pas
eu de père et qu’elle ne lira jamais
une ligne de ces livres qui restent
maudits pour elle, la cause
de ses souffrances adolescentes. »
Il faut avoir le cœur bien accroché
pour lire ce récit poignant,
toujours digne, sans dolorisme,
très bien écrit. Il décrit la pauvreté,
ce que personne ne veut voir
ni lire, qui touche tant de Français.
Les meilleurs livres ne sont pas
toujours les plus gais.

111/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Carnets de voyage

Le santal,
trésor des Kanaks.
De Maré (ci-dessus)
à l’île des Pins
(page de droite).

112/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Nouvelle-Calédonie
Santal,
le sortilège
des îles Une des essences naturelles les plus prisées
de la parfumerie, le précieux bois de santal, pousse dans
tout l’archipel calédonien. Son histoire mouvementée,
empreinte d’aventures et de convoitises, se poursuit
aujourd’hui plus paisiblement mais intensément dans deux
îles des Loyauté : Lifou et Maré. Une plongée envoûtante
au cœur du Pacifique Sud dans la forêt kanake.
Par Marie-Angélique Ozanne (texte)
et Éric Martin pour Le Figaro Magazine (photos)

113/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

114/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
 Carnets de voyage

Une île forêt sertie

par un lagon d’une
beauté ensorcelante

A
près l’ondée, la forêt lustrée par la pluie
resplendit. Brumes de chaleur et notes de
pétrichor remontent de la terre humide.
Dani, machette à la main, ouvre la
­marche. Dans ce labyrinthe végétal, il se
fraye un passage au milieu des lianes et
des fougères. D’un lent revers de manche,
il essuie les gouttes de sueur qui constellent son visage. Les
autres, son père Kauma et Joseph, le garde forestier, le
­suivent en cadence. Seul le chien, étourdi par les murmures
de la jungle, court dans tous les sens. Ce jour-là, Dani veut
obtenir une autorisation de coupe d’un santal qu’il a repéré
sur les terres coutumières. Nous sommes dans le district de
Wetr, au nord-ouest de Lifou, la plus vaste des îles Loyauté.
Une île forêt sertie par la mer de Corail, à plus de
­16 000 kilomètres de l’Hexagone. Comme dans tout
­l’archipel calédonien, le bois précieux est ici une espèce pro-
tégée. Après quarante minutes de marche, voici enfin
­l’arbre convoité. Sans faste ni panache, le santal se fond
anonymement dans le paysage. Ne dégage aucune odeur,
puisque seuls le bois de cœur et les racines dissimulent la
­divine essence. Bernard Suprin, grand érudit en botanique
calédonienne, nous avait prévenus : « Son apparence ne
­correspond pas à l’image prestigieuse attachée au parfum ;
quelconque, mal venant, il a un tronc de petite taille, court et
droit avec une écorce rugueuse, grise et fendillée, son feuillage
est arrondi, touffu, d’un vert clair et brillant. J’aime le compa-
rer à l’élève moyen d’une classe que personne ne remarque et
qui un jour épatera tout le monde. »

“Le santal est notre or”

Pour contrôler la filière du santal et éviter l’épuisement de
la ressource naturelle comme ce fut le cas dans les
­années 1980, les îles Loyauté ont scrupuleusement régle-
menté la coupe. Joseph, agent assermenté par la province,
est là pour enregistrer la position GPS de l’arbre, vérifier la
circonférence du tronc (supérieure à 45 cm), effectuer un
­carottage afin de s’assurer de sa maturité, le marquer, déli-
vrer un certificat de coupe comprenant la photo du coupeur
et un numéro d’attribution (dans le respect des quotas, soit
171 en 2022). Pour chaque arbre vivant prélevé, la législa-
tion impose d’en planter au moins trois. Mais il n’en fut pas
toujours ainsi… « Le santal est notre or, la forêt notre coffre-
fort, mais attention ! Nous devons le protéger pour ne pas
­reproduire les erreurs du passé », nous dit Kauma en ressor-
tant dans la clairière. Avec son associé Stéphane, la bénédic-
tion du grand chef de Wetr et le financement d’IFF (un des
leaders mondiaux dans la création d’arômes et de par-
fums), il a monté en 2015 l’usine Liflor, une distillerie de
santal aujourd’hui labellisée For Life par Ecocert. Il nous
La plage sauvage et emmène chez lui, dans la tribu de Xépénéhé (qui signifie « là
cachée de Kiki, à Lifou, où débarquent les bateaux ») sur la baie du Santal pour ren-
apparaît après
45 minutes de marche
contrer Marcel, le porte-parole de la chefferie. Le « vieux »,
dans la jungle. comme ils appellent ici les anciens avec respect et humilité,
nous accueille autour d’une table garnie de fruits coupés et ___u

115/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Carnets de voyage
d’eau fraîche. La peau burinée et le regard d’albâtre, le sage
laisse parler ses hôtes. C’est le moment de faire la coutume,
rite essentiel dans le monde kanak. Un don symbolique
posé sur la table (un billet de 1 000 CFP, soit environ 10 €),
un discours de présentation et de sincères remerciements
pour l’accueil. Littéralement « un acte d’échange cérémoniel
qui marque la relation et la position vis-à-vis de l’autre ».
Marcel nous raconte la vie en tribu dans ces îles où l’organi-
sation traditionnelle de la société kanake perdure inten­-
sément. Les femmes reviennent des champs où elles ont
­ramassé les premières ignames. Les ados sont allés se
­baigner à Kiki Beach, une des plus belles plages sauvages
du monde. On partage un bougna, en palabrant sur
­l’histoire du santal, qui nous amène ici.
Une essence mythique
Les Européens découvrent le santal néo-calédonien dans la
première moitié du XIXe siècle. Les colons britanniques
installés en Australie commercent alors avec la Chine. Ils
vont chercher au pays du Milieu des cargaisons de thé dont
ils raffolent. En contrepartie, rien n’intéresse les Chinois,
­excepté le santal dont le principal fournisseur, l’Inde, com-
mence à manquer. Les temples chinois et autels particuliers
en consomment une quantité astronomique sous forme
d’encens. Faisant escale dans l’archipel calédonien, des
­capitaines de navires australiens découvrent un jour par
­hasard que les forêts kanakes en regorgent. Dans la grande
anse du nord-ouest de Lifou (appelée depuis la baie du
­Santal), les autochtones brûlent du bois dont les fumées
parfumées ont mis la puce à l’oreille des marins. Dès 1840,
les santaliers remplissent leurs bateaux de bois précieux,
échangés aux Kanaks contre de la verroterie, des objets
­métalliques et des fusils. Ce trafic impactera non seulement
la terre, pillée à l’os, mais aussi les hommes. En introduisant
le fer et les armes, il entraînera un bouleversement sociétal.
Entachées par la violence en 1842, les relations conflic­-
tuelles entre santaliers et insulaires s’apaisent vers 1865,
scellant une paix commerciale de raison. Au début du
XXe siècle, des colons s’installent dans l’archipel pour
­exploiter le santal, une des matières premières les plus pri-
sées de la parfumerie, mais leur gestion intensive et sauvage
conduit à l’appauvrissement de la ressource, passant de
230 tonnes exportées en 1908 à 4,5 tonnes en 1911, puis à
l’épuisement presque total dans les années 1970-1980.
Cette essence mythique (citée dans la Bible comme dans les
contes des Mille et Une Nuits) n’est pourtant pas histori-
quement un arbre majeur de la forêt sacrée kanake. Jules,
que l’on retrouve chez Lifou Nature à quinze minutes de
voiture au nord de Xépénéhé, dans la tribu de Hunëtë, nous
le confirme. Musicien, conteur et botaniste amateur, il a
­rejoint la famille du petit chef Bassié Ijezie pour développer
un tourisme régénératif. Nous partons randonner dans la
forêt à la découverte des plantes médicinales tradition­-
nelles, des mythes et légendes du Pays sacré (Zimetrötr).
« Être guide, c’est être le gardien de la nature et de la mémoire,
le passeur de culture », nous chuchote-t-il. La forêt est le
116/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
à la découverte
des plantes médicinales
traditionnelles,
des mythes et légendes
du Pays Sacré
­ omaine des lutins, esprits farceurs, plus ou moins bien-
d
veillants. Le paysage se lit comme un recueil de contes et de
croyances. On y croise le géant buni, « l’arbre de tous les
­esprits de la forêt, avec lequel on construit la case de la grande
chefferie », comme de minuscules fleurs blanches d’une
­délicatesse absolue. Au bout du chemin se trouvent la plage
protégée de Ngöni et la première réserve marine naturelle
coutumière. Il y a dix ans, c’était une désolation. Depuis que
le périmètre est protégé et la pêche interdite, un jardin aqua-
tique multicolore est apparu, peuplé d’une multitude de
poissons, de tortues marines, de coraux somptueux,
­d’anémones et étoiles de mer… Une féerie.
Parmi les spécialistes de la biodiversité calédonienne, l’ingé-
nieur agronome Jean Waikédré est une figure majeure. Il
nous attend à l’aérodrome de Maré, l’île voisine, où
­plusieurs jeunes le saluent aimablement d’un « bonjour
­tonton ! ». En l’espace de quelques années, il est passé du sta-
tut de modeste chercheur à l’Institut de recherche pour le
développement travaillant sur « les substances naturelles et
savoirs traditionnels » à celui de brillant entrepreneur à l’ori-
gine de la gestion raisonnée du santal de Chanel. Son
pick-up traverse l’île, une pépite de 650 km², posée sur un
atoll surélevé dont le plateau calcaire est couvert de jungle
et parsemé de grottes dentelées, de criques translucides, de
plages idylliques, de falaises vertigineuses… On s’arrête à
« l’aquarium naturel », un immense bassin cristallin
connecté à la mer de Corail par des canaux souterrains, au
trou de Bone, à la plage de Yejele. Sur la route, quelques
­églises, de rares épiceries à l’ambiance Bagdad Café, et des
cases aux pancartes peintes « accueil en tribu ». On rend
­visite à son ami Gérard, le « tradipraticien » aux allures de
chamane. Il fait bouillir la marmite de feuilles de santal,
« une infusion à boire un mois sur deux pour se fortifier et conser-
ver une bonne santé », soutient-il. En Nouvelle-Calédonie,
toutes les plantes sont signifiantes. Les Mélanésiens
­s’entourent de végétaux, même en milieu urbain, pour se
soigner ou conjurer le mauvais sort. « On est tous un peu
guérisseurs », nous dit Marina, de passage ce jour-là. En
­remuant son breuvage, Gérard se souvient : « Dans notre
­enfance, les vieux nous avaient dit de ne jamais couper les
­santals du jardin, qu’ils auraient un jour une grande valeur. »
Dans Un patchwork végétal
Sur le site de production d’essence de santal monté par Jean
Waikédré, le groupe Robertet (pour Chanel) et la grande
chefferie de Guahma, les visiteurs attendent pour un tour
guidé. Il y a l’usine Takone pour la partie sylviculture, et ­Serei
No Nengone pour la distillerie. Nous filons avec ­Toline, un
collaborateur de Jean, dans la plantation. Des ­effluves am- ___u
 Marcel, le porte- Le banian cathédrale
parole de la chefferie du Parc des Grandes
et son « toutoute ». Fougères.

Au milieu de Lifou,
un café-épicerie-
pompe à essence.

À Lifou, la première Gérard,

réserve naturelle le « tradipraticien »,
marine coutumière. fait bouillir les feuilles
de santal.

Dans la forêt kanake,

Jules se « recharge »
en enlaçant un buni.

117/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 Chanel est partenaire
d’un programme visant à
r­ égionale des douanes a prohibé en 2015 l’exportation de
préserver 75 000 arbres
dans leur milieu naturel
brés s’échappent des monticules de drêche. On passe devant
l’enclos où vivent les 19 ânes des Pyrénées qui transportent
le bois depuis la forêt. Le domaine ressemble à un patchwork
végétal. Hémiparasite, le santal est mis en terre à proximité
de plantes hôtes dans lesquelles il puisera des éléments
­nutritifs indispensables à sa survie. Il a donc été planté dans
différents biotopes : forêt, jardin tropical, ­vanilleraie, jardin
d’épices… afin de voir où il se plaît le mieux.
L’exportation de bois de santal prohibée
L’espèce endémique se nomme Santalum austrocaledoni-
cum. Elle diffère du Santalum spicatum d’Australie, mais se
rapproche du Santalum album indien. Olivier Polge, le nez
de Chanel, le décrit « crémeux, texturé, chaud, opulent, avec
une densité particulière ». Une matière première essentielle
aux fragrances iconiques (N° 5, Bois des Îles, Bleu…) que
la maison se procure ici en exclusivité depuis 2010. À cette
époque, l’anarchie régnait encore : « Aucune régulation ni
aucun contrôle de la récolte n’étaient exercés, faisant peser la
menace d’une déforestation. » Des pirates, bandits sans foi
ni loi à la solde de riches commanditaires, payaient jusqu’à
dix fois plus cher les coupeurs pour piller la forêt. Pour
­m ettre un terme à ce commerce illicite, la Direction
Sculpture en bois clair
de santal conservée
au CCT de Nouméa.
118/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
bois de santal de Nouvelle-Calédonie. Il doit être trans-
formé sur place. Afin d’assurer sa durabilité, Chanel est par-
tenaire d’un programme visant à préserver 7­ 5 000 arbres
dans leur milieu naturel.
Avant de quitter l’archipel, il faut faire escale à Ouvéa, « l’île
la plus proche du paradis », dont les distilleries artisanales
ont séduit le parfumeur et cosmétologue Roderic Peyrot.
Le santal qu’il utilise provient de petits producteurs des
aires coutumières d’Ouvéa, mais aussi de l’île des Pins. « Le
santal, c’est ce qui nous lie, nous tous qui vivons en Nouvelle-
Calédonie et avons tant de différences sociétales. »
À l’île des Pins, les annales gardent en mémoire de sordides
faits divers dans le sulfureux sillage du santal. Mais la grande
chefferie a décidé de reprendre les choses en main et dévelop-
per, comme à Maré, un projet économique et ­durable en
­milieu traditionnel qui recrée du lien coutumier. On part au
petit matin pour glisser en pirogue sur la baie d’Upi, se
­baigner dans la piscine naturelle d’Oro, puis randonner au
milieu des cinq essences de bois remarquables de la forêt
­kanake : la fougère arborescente, le pin colonnaire, le kaori,
le houp et le banian. Des arbres magiques que l’on retrouve
sur la Grande Terre, au Parc des Grandes Fougères, à seule-
ment une heure trente de Nouméa. Dans l’avion du retour,
on ouvre une petite fiole d’huile de santal en songeant aux
mots de Flaubert : « Tu en verseras une demi-goutte sur n’im-
porte quoi et tu verras ensuite quelle odeur. C’est le premier et
le plus précieux parfum d’Orient. » ■ Marie-Angélique Ozanne
À Maré, Toline et ses
enfants plantent des
santals dans leur jardin.

1 3
Dans la forêt kanake, Le paysage se lit
comme un recueil de contes et de croyances
Se renseigner
Auprès de Nouvelle-Calédonie
Tourisme (Nouvellecaledonie.travel/fr),
dont le nouveau site web remanié
et enrichi vient d’être dévoilé.
Y aller
Les compagnies partenaires Air France
(36.54 ; Airfrance.fr) et Aircalin
(01.78.09.08.09 ; Aircalin.fr) proposent
tous les jours des vols Paris-Nouméa
(compter 25 heures de trajet), via
Singapour ou Tokyo, à partir de 2 064 €
l’aller-retour en classe Économique. Pour
le premier tronçon, des vols quotidiens
Paris-Singapour et 3 vols Paris-Tokyo
par semaine (mercredi, vendredi,
dimanche) sont opérés par Air France.
Le second tronçon est assuré par
Aircalin, dont on apprécie particulièrement
les appareils de dernière génération,
le confort des nouveaux aménagements
des cabines (Business Hibiscus,
Premium Economy et Economy) et
le service à bord aux petits oignons.
Air Calédonie (Air-caledonie.nc).
Pour les vols domestiques : depuis
Nouméa, compter 40 min pour Lifou
ou Maré, et 30 min pour l’île des Pins.
Notre sélection
d’hébergements
À Nouméa
Sur l’anse Vata, Château Royal
(00.687.29.64.00 ; Hotelchateauroyal.nc/
fr/hotel) dispose de suites appartements
(chambre et salon séparé, doté d’une
cuisine équipée ouverte sur un balcon),
avec services hôteliers. Deux restaurants,
Carnets de voyage
une piscine, un spa, un jardin et l’accès
direct à la plage. Un 4 étoiles d’une
propreté irréprochable.
À partir de 235 € la nuit pour 2 personnes
avec petit déjeuner.
À Farino
Les Bulles de Farino @ Hôtel Nengone Village
(00.687.85.48.99 ; Lesbullesdefarino.nc).
Créé par un jeune couple, l’établissement
compte 5 bulles et dômes dissimulés
dans une végétation luxuriante de
tamanus, niaoulis, fougères… au-dessus
d’une petite rivière cristalline et ses
bassins naturels creusés dans la roche.
Coup de cœur pour le Dôme Centaure
(avec grande terrasse et jacuzzi extérieur),
à partir de 300 € la nuit. Petit déjeuner,
34 € par personne. Table d’hôtes sur
réservation.
À Lifou
Drehu Village (00.687.45.02.70 ;
Hoteldrehuvillage.nc), caché sous les
cocotiers, ourle une plage de sable blanc
de la baie de Chateaubriand. L’hôtel,
qui doit être repris et complètement
rénové, est charmant mais un peu
défraîchi et le service indolent. Réservez
un bungalow en première ligne face à la
mer, la baignade au réveil sera magique
et la vue, un ravissement ! Petite piscine,
restaurant avec menu local du soir
(deux choix pour chaque plat). Bungalow
vue mer (4 personnes max), à partir
de 139 € la nuit.
À vos agendas : au sud de l’île, dans
un domaine de 6 hectares de jardins
et forêts bordant la baie de Wadra,
119/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
4
l’InterContinental Lifou Wadra Bay
Resort (Ihg.com/intercontinental/hotels/
fr/fr/lifou/lifwb/hoteldetail), le seul hôtel
5 étoiles des Loyauté, devrait ouvrir au
printemps 2024.
À Maré
!
(00.687.45.45.00 ;
Hotelnengonevillage.nc). Ce 3 étoiles
confortable est l’adresse incontournable
depuis des lustres. Merveilleuse situation
géographique sur une crique bordée de
pins colonnaires. La déco a vieilli, mais
l’accueil reste chaleureux. 19 bungalows,
3 cases et une villa. Bungalow vue mer
(4 personnes max), à partir de 139 €
la nuit.
Sur l’île des Pins
Le Méridien (00.687.26.50.00 ;
Marriott.com/fr/hotels/ilpmd-le-meridien-
ile-des-pins) est toujours LA référence
de l’hôtellerie haut de gamme en
Nouvelle-Calédonie. Après une dernière
rénovation en 2015, l’hôtel mythique
de la baie d’Oro, challengé par l’arrivée
imminente de l’InterContinental
à Lifou, se refait une beauté. 48 clés
(20 chambres et 28 bungalows), un spa
Deep Nature, un restaurant La Pirogue.
Quelques bungalows avec
un accès direct au lagon calme (Jet-Ski
interdit). Ne repartez pas sans avoir
goûté le rhum arrangé santal & vanille $
créé par la distillerie Terre du Sud
en exclusivité pour le bar Longitude 167.
À partir de 287 € la nuit en chambre
double vue jardin, petit déjeuner ___u
 Carnets de voyage

Gustave Flaubert Écrivait à son amante, le santal

“est le premier et le plus précieux parfum d’Orient”
compris ; 428 € pour un bungalow
avec terrasse et vue plage.
Bonnes tables
À Nouméa
Du mardi au vendredi, le Tout-Nouméa
se retrouve Au P’tit Café (28.21.89 ;
Auptitcafe.nc) autour de plats fusion.
Formule midi : plat et dessert, 36 €.
À Lifou
Dans la baie du Santal, le restaurant du
débarcadère d’Easo propose chaque
jour deux plats typiques confectionnés
par des femmes des tribus de l’île (qui
tournent régulièrement) pour une dizaine
d’euros. En évitant les jours d’escale
des croisiéristes, on rencontre les locaux
dans une atmosphère très conviviale.
À Maré
Quand le staff métropolitain de Chanel
vient à Maré visiter l’usine et la production
de santal, il dîne immanquablement à Eni,
Chez Dom (90.10.02). Dominique cuisine
délicieusement les spécialités et produits
locaux : bougna (légumes, ignames, lait
de coco, poisson… cuits dans une feuille
de bananier), langouste, roussette
(chauve-souris)… Compter 43 € par
personne pour la table d’hôtes où locaux
et voyageurs dînent ensemble.
À Voir, à faire
Visiter l’exposition évolutive « Forêt.
Au-delà du visible » au Centre culturel
Tjibaou (Centretjibaou.nc), à Nouméa,
jusqu’en décembre 2023. À noter,
un dimanche par mois de 8 h à 12 h,
le marché des femmes rurales réunit
des productrices des quatre coins de
l’archipel pour une vente en direct dans
la cour du centre culturel.
Arpenter le Parc provincial des
Grandes Fougères aux portes de
Farino, à 1 h 30 de route de Nouméa.
Un domaine de 4 535 ha dans une forêt
dense humide de la province Sud, connu
pour abriter des végétaux extraordinaires
comme des fougères arborescentes
endémiques (pouvant atteindre plus de
25 m de haut), un banian cathédrale,
mais aussi des oiseaux : cagou, notou,
perruche de la chaîne, fauvette
calédonienne…
À Maré, découvrir la provenance du
santal d’exception qu’Olivier Polge utilise
en surdose pour Bleu de Chanel
et comprendre la transformation,
du bois à l’essence, chez Takone
(Facebook.com/Sosomyka/?
locale=fr_F R) qui organise des visites
guidées de l’usine et de la distillerie.
Coup de cœur
Lifou Nature (Lifounature.nc). Au nord-
ouest de l’île, dans la tribu de Hunëtë,
le petit chef Bassié Ijezie, son épouse,
Marianna, et leurs enfants ont développé
une offre de tourisme durable exemplaire
(table d’hôtes, marche guidée dans
la forêt avec découverte des plantes
chères aux Kanaks et randonnée palmée
dans la réserve naturelle coutumière,
42 €). On peut aussi dormir au bord de
l’eau dans une case traditionnelle ou
une grande paillote inspirée de celles
d’Ouvéa.
Pott
Rapporter
Du miel de Lifou, multirécompensé
internationalement, en vente à l’UCPA,
la coopérative agricole de la tribu
de Traput.
Des huiles d’essences locales sauvages
de la distillerie de Boulouparis §
(Distillerie-boulouparis.nc).
Jordane et Arnaud distillent niaouli,
santal, bruyère calédonienne,
eucalyptus citronné... apportés par
les habitants des tribus voisines.
Des cosmétiques de Botanik
(Botanik.nc), la marque naturelle
d’ethnoparfumerie calédonienne créée
par le chimiste Roderic Peyrot.
Grande boutique dans le centre-ville
de Nouméa, ravissants packagings,
% large choix de produits à base
d’ingrédients locaux. On aime
particulièrement la gamme aux plantes
traditionnelles kanakes. Compter 83 €
pour L’Eau Ensorcelante, au sillage
de bois de santal, feuilles de niaouli,
résine de kaori...
Lire
Le Santal en parfumerie, ouvrage
collectif édité par Nez+LMR cahiers
des naturels.
Ils étaient venus chercher du santal,
de Dorothy Shineberg (traduit de
l’anglais par André Surleau), Publications
de la Société d’études historiques de
la Nouvelle-Calédonie, Nouméa, 1973.
Stars du caillou, les arbres, de Bernard
Suprin, Éditions Grain de sable.
Nouvelle-Calédonie, guide Lonely Planet.
M. -A. O.

Îles Bélep

Baaba
Yandé Balabio
Mer de Corail
Neba
Boh

Ouvéa
Xépénéhé District de Wetr
Baie du Santal Wé
Koné G
RA ÎL
ND ES Tiga
E LO Lifou
TE YA Léliogat
Grimault RR UT Dudune
E É Maré
Trou de Bone
Parc des Grandes Fougères
Farino Toupéti
Plage de Yejele
NOUVELLE-CALÉDONIE
Ducos
infographie : le figaro

Hugon

Nouméa Piscine
naturelle
Ouen d’Oro
Île des Pins Baie d'Upi
5 50 km OCÉAN PACIFIQUE
Kotomo

120/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 DU 7 AU 14 OCTOBRE 2024

...EMBARQUEZ POUR
LA GRANDE CROISIÈRE CULTURE DU FIGARO

avec Jean-Christophe BUISSON

Directeur adjoint du Figaro Magazine

et ses invités

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et peut être modifié sans préavis. Présence des invités sous réserve de désistement en cas de force majeure. Document non contractuel. Droits réservés. Crédit photo : Shutterstock.
 RENDEZ-VOUS AU PAYS
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LE JAPON ENTRE TRADITION ET MODERNITÉ
DU 1 ER AU 15 MARS 2024

Il est des voyages qui restent à jamais gravés dans les mémoires…
Celui-ci en fera sans nul doute partie. De Tokyo à Hiroshima, en VOYAGE
passant par Kyoto, Osaka et le mythique mont Fuji, envolez-vous ACCOMPAGNÉ
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* Tarif par personne sur la base d’une chambre double à partager. Crédit photo : AdobeStock.
 A r t d e v i v r e

TALENT

ARABELLE REILLE
Des idées qui nous parlent…
Des tables à dresser clés en main, des créations inédites et originales… Son site Waww
La Table, créé avec son amie Péri Cochin, remet au goût du jour l’art de recevoir.

A
quelques jours du salon
Maison & Objet où elle
sera présente, Arabelle
Reille (photo, à droite)
nous donne rendez-vous dans les
bureaux parisiens de Waww La Table,
l’entreprise fondée avec son amie Péri
Cochin en 2021. Accueil convivial,
conversation chaleureuse autour d’un
café… Recevoir n’est pas, pour elle,
un mot creux, une convention. Il s’in-
carne dans son sourire, dans le plaisir
de partager l’enthousiasme d’une actua-
lité exaltante, sur le plan créatif
notamment. Par où commencer ? Par
une « exclusivité mondiale dans l’art
de la table ». Et de vous dévoiler la
collection Divination et ses huit assiettes
parlantes 3.0. De la porcelaine de
Limoges, un dessin raffiné bleu et
blanc reprenant des arcanes du tarot
SERVICE DE PRESSE
qui, à propos d’amour, d’argent…,
vous délivre un message bienveillant.
Inviter à table le jeu, l’humour, la
­modernité est une façon habile de
bousculer les traditions. Car si cette
historienne de l’art respecte l’étiquette,
elle n’hésite pas à mélanger les styles
de vaisselle, les couleurs, à dépareiller
les verres, les couverts même tout en
conservant l’harmonie d’un fil
rouge : comprendre le bon goût.
Des créations originales
Une mère qui aime et sait recevoir, un
père fin gourmet, membre du Club
des Cent, ont contribué à lui offrir
cette éducation au beau, cette sensi-
bilité à un hédonisme éclairé qui gui-
dent ses choix avec élégance et bon
sens. « Le repas est un moment privilé-
gié pour échanger. Avec Péri, on éli-
ces recommandations les proposi-
tions pratiques qui sont le point fort
de Waww La Table. Le site propose,
en effet, des tables composées de ser-
vices chinés, dressées clés en main,
des tables « prêtes à poser » consti-
tuées, c’est nouveau ! de créations
maison produites par les Ateliers de
Tyr, une ONG caritative du sud du
Liban. « Au-delà de perpétuer des
­savoir-faire artisanaux, les comman-
des permettent de redonner un revenu
et une dignité à une centaine de
­familles », précise-t-elle. Un engage-
ment auquel sont attachés les nom-
breux artistes et designers qui signent
des collaborations : Jean-Charles de
Castelbajac, Charles Zana, Karin
Nebot comptent parmi les recrues de
cette rentrée. Une brocante digitale
où vendre et acheter doit également

séduisent l’œil avant de vous laisser mine les objets décoratifs trop hauts, être lancée. Autant d’initiatives qui
bouche bée. Car il suffit de quelques les murs de végétation ou de fleurs, tout ­illustrent l’heureux retour de l’art de
clics sur un iPhone pour qu’appa- ce qui empêche de se voir ou de se par- la table, y compris chez les jeunes
raisse sur l’écran une pythie animée ler », conseille Arabelle. S’ajoutent à ­générations. Laurence Haloche

123/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 A r t
destinations lointaines
Et si vous repartiez sans attendre au bout du monde ?
Ces cinq montres à fonction GMT sont taillées pour se rire des décalages horaires.
H
eureux qui comme
Ulysse a fait un beau
voyage… surtout s’il
s’est muni d’une montre
à complication GMT
indiquant deux fuseaux horaires à la
fois. Peut-être faites-vous déjà partie
des « nomades numériques » ayant
choisi d’emmener au bout du monde
son travail et son bureau. La manufac-
ture Longines (5) vient de compléter
sa jeune collection HydroConquest
d’un calibre GMT dernier cri.
­Ultra-précis, doté de 72 h de réserve
de marche, il intègre un spiral en sili-
cium et des composants novateurs
faits de matériaux non magné­tiques.
D’un diamètre de 41 mm, étanche à
300 m, cette montre au boîtier en
acier est proposée avec un cadran
vert, brun, noir ou bleu soleil (à
­partir de 3 000 €).
pour des globe-trotters
contemporains
De son côté, Baume & Mercier (2) pro-
fite des 50 ans du modèle Riviera pour
proposer deux versions GMT en acier
de 42 mm de diamètre (3 250 €). Une
élégante invitation au voyage. En sus de
la signature constituée par sa lunette
dodécagonale équipée de quatre vis,
une quatrième aiguille centrale rouge
permet de lire instantanément l’heure
dans un second fuseau horaire.
C’est aussi un anniversaire que célèbre
Grand Seiko (3), valeur sûre de l’horlo-
gerie japonaise : les 25 ans de son cali-
bre 9S, entièrement conçu en interne,
fondement de la réussite des montres
mécaniques de la marque, installée
désormais place Vendôme, à Paris. La
nouvelle montre GMT de la collection
Sport (8 600 €) est ornée d’un cadran
bleu évoquant la mer de nuages qui se
dévoile parfois à l’aube, non loin du
mont Iwate, visible depuis le Grand
Seiko Studio Shizukuishi. Une édition
limitée à 2 000 exemplaires en acier est
dotée d’une aiguille GMT et d’une
lunette rotative en verre saphir bleu
et blanc. Le fond transparent de son
d e v i v r e / S t y l e
Cadran
1
boîtier révèle une masse oscillante en
titane bleu clair et son calibre 9S86 2
Hi-Beat GMT.
Chez Bell & Ross (1), la BR 05 GMT
Sky Blue (à partir de 5 200 €) propose
aux globe-trotters contemporains l’af-
fichage clair et simple d’un deuxième
fuseau horaire grâce à une quatrième
3
aiguille : le pointeur muni d’une pointe
blanche en forme de flèche indique ins-
tantanément l’heure du pays d’origine
grâce à une lunette intérieure graduée
sur 24 heures. Ici, la date apparaît dans
un guichet rectangulaire, cerclé de
­métal, à 3 heures.
des modèles
taillés pour l’aventure
Enfin, Tudor (4) étant l’une des mar-
ques à suivre du moment, notre atten-
tion se porte sur la Black Bay GMT
(4 250 €) mariant cadran opalin et
lunette bordeaux et bleu. L’indication
des fuseaux supplémentaires se fait
grâce à une aiguille GMT rouge
« Snowflake ». Sur sa lunette tournante
bidirectionnelle graduée 24 heures, les
douze heures du jour sont indiquées sur
la section bordeaux, les heures noctur-
nes sur la bleue. Cette pièce en acier de 4
41 mm de diamètre, étanche à 200 m,
bat au rythme d’un calibre Manufac-
ture MT5652 avec fonction GMT inté-
grée, doté de 70 h de réserve de marche.
L’aiguille des heures sautantes et la
5
mise à l’heure rétrograde ont été déve-
loppées par Tudor pour ces modèles
taillés pour l’aventure. Judikael Hirel
sdp
124/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
 Proximité
Partage
Loisir
Famille
Bien-être
Moi
© ffgolf - Alatack - photo : A. Lamoureux

Plus de 450 golfs vous attendent

pour des initiations.
Rendez-vous sur ffgolf.org ou sur l'appli kady.
 A r t d e v i v r e / A u t o & T e c h n o

Événement

Circuit des remparts, une ville en fête

Réputée pour son ambiance conviviale et champêtre, la manifestation d’Angoulême
s’est installée comme l’événement de la rentrée pour les amateurs de belles carrosseries.

MGB

Lancia Stratos

L
es années n’ont pas de prise sur le meeting charen-
tais. Les Remparts restent l’une des manifestations
de la rentrée parmi les plus prisées du calendrier des
amateurs et collectionneurs de voitures anciennes.
Son succès dépasse largement les frontières et repose sur un
savoureux cocktail : un accueil chaleureux, une ambiance
décontractée, un cadre historique et une affiche toujours
captivante. La 51e édition ne déroge pas à la règle avec un
programme fourni et varié. En 2023, les femmes sont à
l’honneur. Outre une exposition photographique qui court
jusqu’au 8 octobre et montre leur présence dans le sport
automobile depuis Camille du Gast en 1901, le jury du
concours d’élégance est 100 % féminin. C’est une première.
Il est présidé par Anne Asensio, vice-présidente ­Design Ex-
périence chez Dassault Systèmes.
Les Remparts rend également hommage à l’industriel
­angoumoisin Ernest Ballot. Les productions de ce construc-
teur se sont illustrées en compétition jusqu’à Indianapolis.
Cette manifestation nous rappelle que la firme MG (Morris
Garages), qui fête son centenaire, n’a pas seulement traversé
l’Atlantique pour chasser les records sur les lacs salés, mais
a aussi produit une lignée d’authentiques sportives, depuis
les MG Magnette K3 jusqu’à la MGB en passant par la série
des T et la MGA.
Bernard Darniche, invité d’honneur
La compétition est encore sous les projecteurs avec les cin-
quante ans de la Lancia Stratos. Née prototype de salon à
Turin en 1971, la berlinette imaginée par Bertone défend les
couleurs de Lancia en rallyes à partir de 1973, remportant le
Tour de France Auto. Animée par le V6 2,4 l Ferrari Dino,
la Stratos domine le championnat du monde des rallyes
1974, 1975 et 1976. À son volant, Bernard Darniche, invité
d’honneur à Angoulême, totalise 43 victoires. Sylvain Reisser
Enceinte générale 30 €, gratuit moins de 16 ans, étudiants 21 €
(Circuitdesremparts.com).

High-Tech
Le drone pro à petit prix

D
ouble caméra avec zoom Lors de nos tests, nous avons été
optique x 3, capteur 24 mm ébahis par la qualité
à ouverture f/1,7, vidéos 4K cinématographique des
à 60 i/s, photo 48 mégapixels, séquences. Peu importent les
Focus Track pour conserver conditions lumineuses, les images
Vincent Thuillier ; service de presse

automatiquement le sujet au se sont révélées parfaitement

centre du cadre, détection
d’obstacles omnidirectionnelle…
Le DJI Air 3 repousse les limites
pour offrir des performances
de niveau professionnel à un prix
accessible (1 099 € avec une
radiocommande standard
connectée à un smartphone).
Pour ne rien gâcher, l’autonomie
s’envole à 47 min, évitant l’achat
de batteries supplémentaires.
équilibrées, jamais surexposées
ni bruitées, foisonnant de détails.
La gestion du format vertical nous
a également permis de réaliser
des scènes instantanément prêtes
à être publiées sur Instagram. Une
belle réussite ! Pascal Grandmaison

126/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

LE BIG BANG FIGARO DE LA SANTÉ 2023
UN ÉVÈNEMENT EN DIRECT SUR LEFIGARO.FR

Trois matinées pour décrypter l’avenir de la santé :

6 DÉCEMBRE
L’HÔPITAL DE DEMAIN
7 DÉCEMBRE
L’INTELLIGENCE ARTIFICIELLE
8 DÉCEMBRE
LA SANTÉ DES FEMMES

Plus d’informations sur : www.lefigaro.fr/bigbangsante

Suivez-nous sur les réseaux sociaux @BigBangFigaro

En partenariat avec
 A r t
la table de
maurice beaudoin
Le Casier, À Auray
Une cuisine rare, un jardin derrière les bambous,
du charme, beaucoup de charme…
A
u r ay, s o n p o r t , s o n
­architecture médiévale,
ville natale du héros
chouan Georges
­Cadoudal, garde aussi
la mémoire de Benjamin Franklin
qui, en 1776, voguant vers Nantes,
contraint par le vent, y fit escale. Il
était venu demander l’aide de la
France en vue de l’indépendance des
États-Unis. Un quai porte son nom.
Il est bon de connaître ces histoires
l o c a l e s ava n t d e ré s e r ve r c h e z
­G onzague de Champsavin, au
restaurant, Le Casier, qu’il tient, à
Auray, avec sa jeune épouse, Anne-
Laure. Gonzague et son joli nom ont
bourlingué d’Amérique du Sud en
Extrême-Orient, avant de s’installer
face à l’école de sa jeunesse, dans un
lieu clair, aéré, agrémenté d’un jardin
tout simple, doté d’un charme fou.
l’image du bonheur
Souriant, enthousiaste et sympa­-
thique, cet aventurier des mers et sa
femme, la jolie Anne-Laure, ont du
succès. Leur jeunesse, leur sourire se
reflètent dans les assiettes aux recettes
colorées et souvent exotiques.
Gonzague, Anne-Laure sont l’image
du bonheur. Ces deux Bretons se sont
d e v i v r e / G a s t r o n o m i e
rencontrés en saison, à Carnac, ne se
sont plus quittés, se sont mariés et ont
eu leur premier enfant. À 30 ans, ils
ont réalisé une belle partie de leurs
rêves. Et ça va continuer.
Un menu à 42 €, un autre à 52 €. Pois-
son de ligne, huile de langoustine,
purée de daïkon, réduction de crusta-
cés, gel d’Italicus, tuile fenouil ; carré
d’agneau jus vert d’oseille, estragon
du Mexique et noisettes, bimis
vapeur et baies de la passion, lentilles
frites, pousses de tagettes et confiture
d e y u z u . Vo i l à d e u x p l at s t rè s
travaillés, dont les clients raffolent.
Gonzague réalise une cuisine très
personnelle. On réclame sa lotte
bretonne aux agrumes, ses tentacules
d e p o u l p e g r i l l é s, s a q u e u e d e
homard flambée à l’armagnac.
Une cuisine qui ne ressemble à
aucune autre, avec de nombreux
ingrédients, comme, au dessert, ses
abricots rôtis et fumés, crème men-
the, macaron, glace à la sarriette,
confit d’abricots et shiso.
Si vous passez par Auray, foncez-y.
Dépaysés, on se régale…
Le Casier. 16, rue du Jeu-de-Paume,
56400 Auray (02.97.52.88.29 ; Restaurant-
lecasier.fr). Menus : 26 € (déjeuner), 42 €
et 52 €. Fermé dimanche et lundi.
128/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
r
jeune
Le dé al de…
nic
domi
Émile Cotte
E
n deux ans, le bistrot
d’Émile Cotte, Baca’v
(Paris 5e) s’est imposé
comme l’un des plus
sympathiques de la capitale. Du
bon et du convivial : la formule
lui permet aujourd’hui d’ouvrir
une deuxième enseigne à
Boulogne-Billancourt *. On reste
sur des produits frais, surtout du
Limousin, et un rapport qualité-
prix au cordeau, de 29 à 79 €
pour le menu dégustation. « Le
restaurant est à 300 m de chez
moi, mon fils m’y rejoint souvent.
Il n’a que 7 ans, mais on échange,
on confronte nos idées ! » C’est
ensemble qu’ils arpentent les
allées du marché Escudier pour
préparer le repas du dimanche.
« Pas de liste de courses, je
regarde le banc du poissonnier, je
discute avec le tripier, le primeur.
Je vois les produits, je les
touche… et le menu s’improvise. »
Cet antibrunch aime partager
des « tapas à la française », céleri,
saucisson, betterave, œuf mayo…
Suivent une belle pièce de
viande et un saint-nectaire « pour
conserver la bouteille de vin
rouge ». La tablée se régale
enfin d’une tarte au chocolat de
Christelle Brua ou d’un mille-
feuille de Gilles Marchal. « Pas
de créations instagrammables ! »
Ses tables du dimanche :
« Désirier pour les fruits de mer,
L’Assiette de David Rathgeber
et pour la cuisine japonaise Kura,
et Azabu. » Laurence Haloche
* 33, avenue du Général-Leclerc,
92100 Boulogne-Billancourt (Bacav.fr).
Service de presse
 L’A I R D U T E M P S

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Évoquant l’endurance, la vigueur et la majesté, le soleil éclatant symbolise la vie et
constitue un porte-bonheur universel commun à toutes les cultures du monde.
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Nouvel emballage recyclable
Pour cette rentrée, les pancakes La Fournée
Dorée adoptent la boîte en carton recyclable
et renouvelable. Avec ce nouvel emballage,
la marque réduit son impact environnemental
tout en préservant la fraîcheur et la texture
ultra-moelleuse de ses pancakes à la saveur
unique. Une recette inchangée avec des
ingrédients de qualité : de la farine de blé
française et des œufs frais, toujours sans
huile de palme. Ils existent aussi en version COSTA BRAVA ET PYRÉNÉES DE GÉRONE La Costa Brava et les Pyrénées de Gérone
Toute l’année… invitent à explorer un territoire où tout est
tout chocolat pour les plus gourmands.
possible. Ces destinations permettent de
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vivre deux fois plus d’expériences grâce à
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d’un même voyage. Vivre en double, c’est
venir sur cette terre pour découvrir ses
moindres recoins : plonger dans des eaux
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de sols composée du plateau calcaire de
Saint-Emilion, de la Côte Pavie www.costabrava.org
exposée plein sud et du pied
de côte. Entourée de la même
équipe technique depuis 1998,
la famille Perse veille sur
ce site magique pour produire
LE TANNEUR - Savoir-faire et intemporalité
des vins qui expriment
pleinement leurs terroirs, À l’occasion de ses 125 ans, Le Tanneur lance
de la façon la plus pure et les festivités avec un cabas d’exception
la plus naturelle. Cet opus « à la française » : Le 125. Cette création
marie à la perfection se distingue par son mélange de cuir au tannage
élégance et puissance : semi-végétal et de cuir de taurillon, matière
des arômes de fruits mûrs, noble provenant d’une tannerie d’excellence
une longueur et une du Sud-ouest. Reconnaissable à sa grande poche
profondeur incroyables frontale sur laquelle est embossé un écusson
avec une pointe persistante trouvé dans les archives de la Maison,
de minéralité. ce cabas est une jolie manière d’évoquer ce que
« savoir-faire » et « élégance intemporelle »
Environ 450 ¤ chez les cavistes
www.vignoblesperse.com signifient aujourd’hui.
Photos DR

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PA G E R É A L I S É E PA R L E S E R V I C E C O M M E R C I A L D U FIGARO MAGAZINE

rAreté
La chartreuse
blanche,
bouteille mystère
des ventes aux
enchères
C
’est au détour d’un
entretien avec Aymeric
de Clouet, expert en vin
et spiritueux près la Cour
d’appel de Paris, spécialiste et
grand amateur de la reine des
liqueurs, que l’on apprit
l’existence d’une mystérieuse
chartreuse « blanche », issue
d’une série très limitée produite
dans les années 1950. Une même
bouteille régulièrement remise
à l’encan, de facture assez bas
de gamme d’un point de vue
purement aromatique – mais
comment savoir ? – adjugée, d’un
bref coup de marteau, lors de
sa dernière entrée en scène pour
la modique somme de 8 000 €.
Une liqueur incolore et
doucereuse commercialisée
jusqu’à l’aube du XXe siècle,
autrefois connue sous le
sobriquet de Mélisse, privée de
l’étape de coloration, dont la
recette aurait vraisemblablement
été perdue en chemin. Si la
moindre bouteille de celle que
l’on surnomme la « vieille dame »
semble faire l’objet de toutes
les convoitises, cette version
diaphane et rarissime semble
dotée d’un supplément d’âme
qui la rend diaboliquement
attachante. Et après tout,
qu’importe le goût, pourvu qu’il
reste la tendresse. Alicia Dorey
A r t d e v i v r e / V i n
événement
Château Siran
Les années
folles
La propriété de Labarde,
en appellation Margaux,
a organisé
pour « Le Figaro Magazine »
une dégustation de ses
millésimes des années 1920.
L
es flacons sont stockés dans
l’abri atomique du château,
construit par la famille
Miailhe, juste après l’ouver-
ture de la centrale nucléaire du Blayais,
au début des années 1980. La structure
en acier et béton n’a jamais été conçue
pour protéger des hommes, mais des
vins. Ce jour, Édouard Miailhe en a
sorti huit bouteilles de millésimes cou-
rant de 1920 à 1929. La dégustation se
double d’un dîner d’époque concocté
par Séverine Miailhe avec, au menu,
vichyssoise, magret de canard à
l’orange et tarte des demoiselles Tatin.
Un moment unique que seul un vigno-
ble de Bordeaux peut offrir.
Début de décennie en beauté avec le
millésime 1920 dont la première carac-
téristique est une grande jeunesse
­dominée par des arômes de cerise.
Un vin léger, presque un claret, à la
conservation parfaite, aux tannins plus
souples qu’une gymnaste roumaine.
130/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
Le 1921 présente un nez plus boisé.
En bouche, il révèle de la chaleur,
­t émoignage d’un été marqué par
des températures exceptionnelle-
ment élevées. Ce qui n’exclut pas
des ­touches acides assez nettes. Un
jus aux arômes torréfiés de rose
­séchée, de grillé.
Le 1922 révèle au nez des arômes de
pruneau et de discrètes senteurs d’écu-
rie qui traduisent peut-être la présence
de brettanomyces. Pardonnons-lui.
La bouche se montre encore fraîche.
La structure reste solide. La finale
laisse échapper de discrètes touches de
caramel.
Le 1923 est un cru puissant légère-
ment champignonné dont les tannins
se montrent encore rugueux.
Le 1924 se révèle comme le maillon
faible de la série. Le nez madérisé
­p récède des arômes dérangeants.
Certaines bouteilles ne deviennent
pas centenaires impunément.
Le 1926, quant à lui, affiche une
forme surprenante. Il conserve une
robe très dense, rouge carmin. Si le
nez est un peu faible, il se rattrape en
bouche. Les tannins n’ont pas perdu
de leur vigueur. L’équilibre est par-
fait. On croirait déguster un vin des
années 1960 ou 1970.
champion, le 1929
Arrive le formidable 1928, vif et puis-
sant, avec une large palette aromati-
que de fruits confits. Un vin qui a
conservé une grande concentration,
un jus ample qui tapisse le palais,
­simplement délicieux.
Toutefois, à Château Siran comme
dans beaucoup de domaines, le cham-
pion de la décennie demeure le 1929.
Si le nez est un tantinet moins séduc-
teur que celui de son prédécesseur,
voici en bouche un costaud qui roule
des mécaniques, un vin dominé par
des arômes floraux, presque explosifs
tant sa vigueur a été conservée.
Comme les autres plus beaux flacons
Christie’s ; service de presse
de Siran des années 1920, les tannins
révèlent un moelleux ravageur. Ce
millésime est sans conteste le plus
­solide de la décennie, il emporte tout
sur son passage. Stéphane Reynaud
Chateausiran.com
 PROGRAMME DU SECOND SEMESTRE 2023

Alexis Brézet et Vincent Trémolet de Villers recevront salle Gaveau :

GILLES KEPEL
MARDI 10 OCTOBRE
« L’UNIVERSITÉ FACE AU DÉFI DE L’ISLAMISME ET DU WOKISME »
Politologue et spécialiste de l’islam et du monde arabe
contemporain, professeur des universités à l’Institut
d’Études Politiques de Paris.

JÉRÔME FOURQUET ET JEAN-PIERRE LE GOFF

LUNDI 20 NOVEMBRE
« FRANCE D’AVANT - FRANCE D’APRÈS »
Jérôme Fourquet, sociologue, directeur du département
« opinion et stratégies d’entreprise » de l’IFOP,
et Jean-Pierre Le Goff, philosophe et sociologue.

FRANZ-OLIVIER GIESBERT
LUNDI 11 DÉCEMBRE
« DE GAULLE À MACRON - MA 5ÈME RÉPUBLIQUE »
Journaliste, éditorialiste, biographe, écrivain.
Ancien directeur des rédactions
du Figaro et du Point.

Placement libre
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20H00 - SALLE GAVEAU

45-47 rue La Boétie, 75008 Paris
DESSIN CLAIREFOND
 A r t d e v i v r e
France - Italie
Le charme exquis des grands hôtels de famille
Deux institutions séculaires, élégantes et discrètes accueillent leurs hôtes avec la même passion
depuis plusieurs générations. Un art de recevoir classique et attentionné. Jamais démodé.
Par Yan Bernard-Guilbaud et Marie-Angélique Ozanne
À Paris
Le chic à la française
A u cœur du Triangle d’or parisien, l’établissement brille
d’une jolie histoire. Il a été construit en 1857 par
Edmond Petit. Acheté en 1923 par Simon André Terrail,
propriétaire du restaurant La Tour d’Argent, il est transformé
en hôtel. Pendant plus d’un demi-siècle et jusque dans les
années 1980, le San Régis est le refuge du milieu de la mode
parisienne et des célébrités de Hollywood comme Lauren
Bacall et Gene Kelly. Racheté en 1984 par Elie Georges,
l’hôtel est entièrement rénové et modernisé. La vision de cet
amateur d’art est simple : préserver l’élégance intemporelle
parisienne et apporter de la modernité. Les intérieurs sont
donc signés du designer Pierre-Yves Rochon. Elie Georges
s’entoure de ses deux frères, Maurice et Joseph, pour faire
de cette maison un 5 étoiles tout en élégance et au charme
discret. Une affaire familiale qu’ils dirigeront durant trente-
cinq ans avant d’en transmettre les rênes à Sarah et Zeina,
les deux filles d’Elie. Ces dernières confient alors les travaux
de rénovation à l’architecte Aude Gros-Rosanvallon,
formée chez Pierre-Yves Rochon. La boucle est bouclée.
Les couleurs, les tissus et le mobilier des 42 chambres
et suites sont fidèles à l’esprit des lieux.
L’intérieur bourgeois est propice aux regards glissés, aux
murmures et aux pas feutrés. D’ailleurs, niché sous une
verrière majestueuse, le restaurant Les Confidences est
parfait pour un dîner en toute discrétion. Pour célébrer ses
100 ans cette année, le San Régis y organise des déjeuners-
conversations intimistes, « Les Petites Confidences
du San Régis », autour de thématiques chères à la maison.
Aux fourneaux, le chef Michele Fanciullo, formé à l’hôtel
George V. Cerise sur le gâteau : en septembre, l’hôtel
accueille l’audacieuse Jessica Prealpato, sacrée meilleure
pâtissière du monde en 2019, pour un tea time à partager
en famille. Un joli cadeau d’anniversaire.
Hôtel San Régis (01.44.95.16.16 ; Hotel-sanregis.fr).
À partir de 500 € la chambre double.
132/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
/ É va s i o n
R
APP OUV
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PA
- TEST
R LE FI
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M AGA
Sur la côte amalfitaine
la dolce vita sorrentina
L e Vésuve trône en majesté. Le bleu de la mer Tyrrhénienne
hypnotise le regard. Les statues de pierre contemplent
l’éternité. Le temps semble suspendu à jamais sur la terrasse
mythique du Grand Hotel Excelsior Vittoria. Comme chaque
matin, Guido et son épouse, l’exquise Ornella, saluent
aimablement leurs hôtes, perpétuant la tradition des
Fiorentino. Leurs deux fils, digital natives, ne sont jamais très
loin. Ils prendront un jour la relève. Ouvert en 1834, le luxueux
hôtel de Sorrente est tenu par cette même famille depuis
sa création. Elle y cultive un art de vivre élégant et solaire.
Au fil des pièces, des salons en enfilade, des escaliers
monumentaux… la patine des siècles se dévoile. Les
matériaux, les peintures murales, le mobilier, les objets…
racontent les époques successives du palace. Si tout a
changé en cent quatre-vingts ans : la bâtisse historique s’est
agrandie, l’ascenseur conduisant à la plage a remplacé le
funiculaire, une grande piscine a été construite, une serre
accueille un spa, un jardin d’enfants a été créé, les chambres
sont majoritairement devenues des suites… Le style
demeure. Attentionné et résolument classique (pas de
pastiche de l’ancien ni de dialogue pompeux avec le
contemporain ici). Comme disait Chanel : « La mode se
démode, le style, jamais. » L’esprit des lieux a jadis inspiré
Virginie Garnier ; RICARD ROMAIN ; service de presse
des musiciens : Wagner, Caruso, Pavarotti. Et séduit des
cinéastes : Billy Wilder y tourna des scènes d’Avanti !.
Aujourd’hui, après des moments de doux flottements,
l’institution se réveille avec une table étoilée (Le Bosquet),
un pétillant bar à champagne (La Pergola), et deux fêtes
annuelles mémorables, pour la Saint-Sylvestre et Ferragosto.
La dernière s’inspirait du proverbe « When life gives you
lemons… », clin d’œil à leur jardin d’agrumes, à Beyoncé,
à Rothko… et au zeste d’optimisme qui caractérise cet hôtel.
Grand Hotel Excelsior Vittoria (00.39.081.877.7111 ;
Excelsiorvittoria.com). Compter 1 000 € la chambre double avec petit
déjeuner.

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 P a t r i m o i n e

Logement

Un crédit immobilier toujours cher,

mais un peu plus accessible
Difficile de se financer à moins de 4 % sur 20 ans, mais les banques
rouvrent progressivement les vannes en cette rentrée et prêtent à nouveau.

L
es acheteurs immobiliers, fragilisés par la
hausse des taux de crédit, vont peut-être entre-
voir un peu la lumière. Pas du côté du coût de
l’emprunt, qui continue de grimper (il faut
compter au moins 4 % sur 20 ans aujourd’hui),
mais du côté des banques. Les établissements de crédits,
qui ne prêtaient plus qu’à leurs meilleurs clients, rouvrent
progressivement le robinet. « On est prévenu du retour de
certaines banques qui ne prêtaient plus et qui redeviennent
offensives », indique Ludovic Huzieux, cofondateur
d’Artémis Courtage. C’est notamment le cas de la Société
générale ou de caisses régionales d’établissements mu-
tualistes – Banque populaire, Caisse d’épargne, Crédit
agricole… – qui avaient réduit la voilure. La raison de ce
come-back ? La hausse des taux, qui a pris au dépourvu
les banques, leur permet aujourd’hui de reconstituer
leurs marges. Elles gagnent à nouveau de l’argent. Le pla-
fond de l’usure, le taux maximal tout compris – crédit,
­assurance, caution… – au-delà duquel une banque ne
peut pas prêter, n’est plus un obstacle. Celui-ci est désor-
mais fixé à 5,56 %. De quoi voir venir avec des taux d’em-
prunt autour de 4 %. « On voit le bout du tunnel, confirme Ce retour des banques va donc redonner un peu plus de
Cécile Roquelaure, directrice des études et de la commu- choix aux emprunteurs. Mais il ne leur donne pas carte
nication d’Empruntis. Toutes les banques ne vont pas reve- blanche pour autant. Dans un environnement de taux
nir du jour au lendemain, mais la situation s’améliore. » élevés, les acheteurs doivent disposer d’un apport d’au
Ces derniers mois, sous l’effet conjugué d’une baisse de la moins 10 %, voire 20 %, pour emprunter dans de meil­-
demande liée à l’envol des coûts de financement et de la leures conditions. En outre, les mensualités ne doivent
frilosité des banques, la production de crédits s’est effon- pas dépasser 35 % des revenus, ce qui n’est pas toujours
drée (– 40 % sur un an en juillet, selon l’observatoire simple au vu de la cherté actuelle du crédit et des prix qui,
­Crédit Logement CSA). pour l’heure, baissent encore peu. Jorge Carasso

Argent
Éducation financière, les Français n’ont pas les bases
26 % des ménages tricolores n’ont pas les connaissances suffisantes
pour prendre des décisions financières éclairées, selon une étude de l’assureur Allianz.

C e n’est plus une surprise.

Les Français ne sont pas bons
élèves en matière de finance
personnelle. Ils manquent globalement
de connaissances économiques pour
bien faire. Une étude récente de
l’assureur Allianz, menée dans sept
pays occidentaux (Australie,
Allemagne, Espagne, États-Unis,
France, Italie et Royaume-Uni),
enfonce à nouveau le clou : près d’un
Français sur quatre (26 %) disposerait
décisions éclairées. Ce qui place
l’Hexagone, comme à son habitude,
parmi les derniers de la classe.
L’Italie est première.
Pire, cette inculture coûte cher aux
épargnants tricolores. Selon Allianz,
l’écart de gain entre un épargnant
français avec des connaissances
solides et un autre qui en serait dénué
atteindrait près de 2 730 € par personne
et par an (pour un patrimoine financier
de l’ordre de 180 000 €). Sur trente ans,
méconnaissance est d’autant plus
dommageable que, dans le même
temps, l’inflation grignote les économies
des ménages. « Sans devenir un
spécialiste de la finance, il est important
d’appréhender les notions économiques
clés et de comprendre les bases
des produits de placement pour faire
des choix éclairés et optimiser au mieux
ses investissements, prévient Marion
Dewagenaere, directrice d’Allianz
patrimoine. Un épargnant disposant
ADOBE STOCK

d’une faible éducation financière. ce manque à gagner se monterait à près de quelques connaissances financières
Seuls 10 % auraient un niveau élevé de 243 959 €. De quoi donner à réfléchir. a plus de chances de faire des choix
leur permettant de prendre des Un coût financier lié à cette conformes à ses intérêts. » J. C.

134/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

 PUBLI-COMMUNIQUÉ

AVEC LA VENTE EN NUE-PROPRIÉTÉ,

METTEZ VOTRE BIEN IMMOBILIER
AU SERVICE DE VOS PROJETS !

Si vous êtes âgé de plus de 65 ans et propriétaire d’un bien immobilier, votre
patrimoine - que ce soit une résidence principale, une résidence secondaire ou un bien
locatif - peut être monétisé grâce à la vente en nue-propriété. Maintenir son train
de vie face à l’inflation, se faire plaisir ou donner des liquidités de son vivant à ses proches…
autant de raisons de penser à cette solution de monétisation !

UN CAPITAL DORMANT QUI PEUT
ÊTRE LIBÉRÉ IMMÉDIATEMENT
La vente en nue-propriété consiste à vendre
un bien tout en conservant le droit de l’habiter
ou de le louer. C’est une solution patrimoniale
sécurisée qui permet de percevoir im-
médiatement un capital important.
Pour le vendeur, c’est la possibilité de vendre
son bien au moment opportun pour encaisser
une plus-value et de redéployer son
patrimoine différemment. Une solution
que recommandent de plus en plus de
conseillers en gestion de patrimoine et qui peut
s’appliquer aussi bien à des biens détenus en
direct que via une société (SCI, SARL, …).
UNE SOLUTION POUR RÉALISER
TOUS VOS PROJETS
Avec une inflation qui explose et des charges
de copropriété en constante augmentation,
beaucoup de retraités voient leur pouvoir
d’achat diminuer. Avec la vente en nue-
propriété, ils disposent d’une solution
permettant de se créer des revenus
complémentaires, de financer des travaux
de rénovation ou bien de s’offrir des services
à domicile.
Selon un sondage OpinionWay de septembre
2021, 67% des retraités ayant des enfants
pensent que ces derniers vendront
leur résidence principale à leur décès.
Pour tous ceux-là, vendre la nue-propriété
de leur bien est aussi une façon d’anticiper
leur succession et de donner un coup de pouce
à leurs héritiers de leur vivant.
Enfin, pour beaucoup, la vente en nue-
propriété est également une façon d’optimiser
la fiscalité de la succession et d’éviter
aux héritiers les situations d’indivision,
source de tensions familiales.
MONETIVIA, LE LEADER DE LA VENTE
EN NUE-PROPRIÉTÉ DANS L’ANCIEN
Parce que tous les seniors n’ont pas les mêmes
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souhaitent recevoir un capital immédiatement
tout en conservant l’usage de leur bien
à vie. Cette solution s’adapte également
parfaitement à ceux qui souhaitent
monétiser la nue-propriété d’un bien reçue
par voie de donation ou succession.
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ajusté permet aux vendeurs d’occuper
leur bien à vie tout en bénéficiant
d’une réévaluation du prix en cas de
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prématuré du vendeur, de revoir le prix
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 M o t s c r o i s é s

La grille de Michel Laclos

Horizontalement 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
1. Modèle hors-série. Double.
2. Pincée ou mordue. Bleus. 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1
3. Section d’infanterie. Morceau
de piano. Attraper. Instructions 2 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 2
obligatoires.
4. Pas hongrois. Possessif. 3 0 0 1 0 0 1 0 0 0 0 0 0 1 1 0 0 0 0 0 0 3
Faisait son entrée par-derrière.
Chapeau haut de forme. 4 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 4
5. Dans l’Oise, dans l’Isère et
dans la Côte-d’Or. Le plancher 5 0 0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 5
des vaches. Calcul mental.
6. Placé du mauvais côté. 6 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 6
Papistes.
7. Pièces brillantes venues 7 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 1 1 0 1 7
d’un ouvrage de vers. Fait partie
de la bande des Neuf. 8 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 1 0 0 0 0 8
8. Des quantités comme ça, ça
fait vraiment beaucoup. Signes 9 0 1 0 0 0 0 1 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 9
de croix.
9. Trou, mais pas normand. 10 0 0 1 0 0 0 0 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 10
Direction. Controverse.
10. Note. Train d’autrefois. Trains
d’aujourd’hui. Chemise mal mise. 11 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0 0 0 0 11
11. Résultat du tirage. Somme,
en somme. Choisie par la droite. 12 1 1 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 1 0 1 0 1 0 0 0 12
12. Ont quelque chose d’assez
gaulois. Change tous les ans. 13 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0 1 0 0 0 0 0 1 0 0 13
Personnage de choix.
13. Fait suite. Champs du 14 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 14
départ. Suspension. Lettres
de Stendhal. 15 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 1 15
14. Ce n’est pas une pêche
ordinaire. Égaré, il y a longtemps. 16 0 0 0 0 1 1 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 16
Maladie des iris.
15. Sent fort de la tête. 17 0 0 0 0 1 0 1 0 1 0 0 0 0 1 0 0 0 0 1 0 17
Démonstratifs (et même un peu
trop). À la bonne heure ! 18 0 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 1 0 0 0 1 0 0 0 18
16. Également, mais à l’envers.
Vase sans valeur. Ils nous en 19 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 19
mettent plein la vue.
17. Son sec. Dieux ou enzymes. 20 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 0 1 0 0 0 0 0 0 0 0 20
Cendrier ou corbeille à papiers.
18. Valseuse. Elle tient souvent 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 11 12 13 14 15 16 17 18 19 20
à son trousseau. Jamais seul
quand il est faux.
19. Une bonne bouille, mais retourné. 10. Mont de piété. Raffinerie Petits clous.
toute retournée. N’est plus 5. Martyre en 44 et en 87. Article d’huiles. Note. Kif-kif bourricot. 16. Cité en Corse. Queue de pie.
en activité. Au bout de la ligne. d’Angleterre. 11. Poisson rouge. Faire des Bas mis à l’envers. Morceau en
20. Fait. Ne risquent pas de 6. Tête de nègre. C’est elle passages dans les montagnes sol.
tomber en panne des sens. qui fait siffler six serpents sans du Tyrol. Ont changé de têtes. 17. Poule mouillée. Partie
cesse sur Cécile. Un accord Partie de cartes. d’Amérique. Petit bout de
Verticalement de moujik. 12. Faire des ondulations. femme. Fait la part des choses.
1. Duo de soliste. Débuts 7. Pièces bondées. Fait Lettres de cachet. Leva le voile. 18. Brillant au théâtre. Postérieur
de représentations. reprendre la répétition. Sans fin. 13. Note. Charles X ne l’était du chef. De bas en haut :
2. Fait sauter. Pronom. Son service se prend à cinq qu’en titre à ses débuts. Font gouverne avec une délégation.
Un genre de poème qui aurait heures. partie des guides. Pronom. 19. 290 kilomètres ou seulement
dû inspirer Aragon. 8. Montra son estomac. Brûlé. 14. Participe. Roi sans bon sens 38. Occupe une place importante
3. Pièce jaune. Roi... soleil. Dans la misère. À l’envers : ou prince du non-sens. Cube dans notre cœur. Moutarde à
Rarement clair, quand il est récolter des champignons. de bois. Préposition. À l’envers : l’ancienne.
illuminé. 9. Revint. À l’envers : ceinture instrument à cordes. 20. Patrie des Sagiens. Franc
4. Liaisons coupables. de bois. A une bonne raison. 15. Doublé, n’est plus lente. Fait élevé. Meunières bien-aimées.
Sue comme Ionesco. Indicateur Premier anglais. des prélèvements de liquide.

Solution du 1er septembre

Horizontalement
1. Articulations. Gentry.
2. Mortifications. Sire. 3. Émois.
Vipéreau. Teint. 4. Laine. Réa.
Alcarazas.5. Inselberg. Kief. Gel.
6. Oc. Ru. Semée. Roi. Eia.
7. Rivarol. Oc. Perle. Gi. 8. Aérien.
An. 16. Ré. Affaires. Io. Coût.
17. Clé. Ru. Assonance. Ce.
18. Élitismes. URES. En. UU.
19. Aération. Menu. Océans.
20. Prélude. Safari. Bée.
Verticalement
8. Aciers. Gustave. End.
9. Tapage. OAS.Ti. Gras.
10.Ite. Moscoutaires.
37
NOUVEAU
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136/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

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PLAT DE VILLA AU Solution du problème n° 2273
FAYENCE DE L’OR SUR MAROC N L Z M C L O R
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ACCUSÉ VENT S T E R I L I T E ER

La diabolique de la semaine de Bernard Gervais

Ingénieur et ancien professeur de mathématiques,
spécialiste du Su Doku en France.
Les astuces
de la Diabolique
du numéro précédent
Difficulté : ✰✰✰✰✰
F3 = 1, H7 = 4. La découpe
de la colonne E fournit
E8 = 3 (voir I4 = 3 et un 3 en
G9 ou H9). De B3 = G7 = 2
on déduit un 2 en H1 ou H2
et H5 = 9 candidat unique.
G5 = 8, I3 = 8, I6 = 7, I5 = 2.
En 4 temps : (1) D1-F1 = 7-
9 (E5-E6), (2) D8-F8-
D9 = 2-4-9 (2-4 en E1 ou E2
ou E3 et G7-H7-C7) (3) Ne
peuvent valoir 7 ou 9 : B1-
B5-B6-B7 (un 7 en D7 ou
F7) et B8. B2-B4 = 7-9. (4)
A2 = 1 par simple
d é c o u p e d u s e c t e u r.
B8 = 1, B7 = 6, A7 = 3, C8 = 5, I7 = 5, E9 = 6, D7 = 8, F7 = 7, D1 = 7, F1 = 9,
E4 = 8, I8 = 6, I9 = 9, D8 = 9, F8 = 4, A8 = 2, D9 = 2, D5 = 4, D6 = 5, D4 = 1,
B5 = 5, F5 = 3, H6 = 1, etc.

138/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

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Problème n°840 : Danger immédiat Solution du problème n°839 : ♠ D 10 7 4 3

Exagéré ? ♥972
♦4
Contrat : 3♠.
♣ R 10 6 3
Entame : 7 de ♣.
♠R9 ♠A62
N
♥ D 10 6 3 ♥V54
OE
♦V63 ♦ A 10 9 7 2
S
♣V874 ♣D9
♠V85
♥AR8
♦RD85
♠ AD9 Si vous bénéficiez du partage 3-2 ♣A52
♥ 9854 des atouts, ce qui n’est pas trop
♦RD98 demander, vous pouvez compter sur trois levées de ♠, As-Roi de ♥, As-Roi de
♣R5 ♣ et un ♦. Il en manque une. L’idée la plus naturelle consiste à jouer ♦ du mort
vers Roi-Dame. Si l’As de ♦ est en Est, celui-ci peut être tenté de le fournir, ce

Les enchères, Sud donneur, tous vulnérables.

Sud O N E
0
♠ R 10 5 3
qui vous offrirait deux levées dans la couleur et votre contrat par
la même occasion. Sitôt pensé, sitôt fait. Prenez donc du Roi de ♣ – il n’y a
pas d’intérêt à fournir un petit, seule une faute grossière de la défense vous
offrirait une troisième levée à ♣ – et jouez un petit ♦. Un petit apparaît, vous
♥ ARDV2
1♥ passe 2♦ 4♣ ♦ V 10 7 6 jouez votre Roi… et faites la levée, votre adversaire n’est pas tombé dans votre
5♣ passe 6♥ fin ♣– piège. Que faire désormais ? Vous êtes à la tête de cinq levées d’honneurs et
un nouveau plan se dessine. Parvenir à réaliser quatre levées d’atout suffira
Le jeu de Sud s’est considérablement réévalué après la réponse de 2♦.
à votre bonheur. La solution consiste à couper trois fois du mort, vos trois ♦
Le barrage à 4♣ l’incite à faire un Splinter. 5♣ suggère une chicane à ♣
restants, précisément, puis à développer une levée d’honneur à ♠ avec
et un soutien de quatre cartes à ♦. La qualité de ses honneurs à ♦,
le soutien de quatre cartes à ♥ et le solide contrôle à ♠ expliquent le saut Dame-Valet-10. Allons-y : ♦ coupé, ♣ pour l’As, ♦ coupé, As-Roi de ♥ et votre
à 6♥ de Nord. dernier ♦ coupé. Quelle que soit l’attitude d’Ouest sur ce dernier ♦, il reste
la Dame de ♠ seconde au mort en face du Valet troisième dans votre main.
Entame : 2 de ♣. Le contrat semble sur table, sauf quand Est défausse Sortez à ♥ ou ♣, vous finirez par faire encore un atout.
sur le premier tour d’atout. Visualiser le danger est un premier pas vers
le succès. A. L. Retrouvez plus d’une année de problèmes de bridge
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CHARLES EDELSTENNE : PRÉSIDENT
BRIDGE Fig Mag 09 septembre.indd 1 28/08/2023 11:56
MARC FEUILLÉE : DIRECTEUR GÉNÉRAL, DIRECTEUR DE LA PUBLICATION
JEAN-LUC BREYSSE : DIRECTEUR GÉNÉRAL ADJOINT
ALEXIS BRÉZET : DIRECTEUR DES RÉDACTIONS

Guillaume Roquette : Directeur de la rédaction du Figaro Magazine MAQUETTE Cyril Delabarre : Directeur artistique adjoint
Jean-René Van der Plaetsen : Directeur délégué de la rédaction François Cachelou - Sandrine Kaufmann
Philippe Gruson : Directeur de création Corinne Laguerre - Bruno Signorino
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(culture & art de vivre) Véronique Dequatremard : Rédactrice en chef
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ESPRITS LIBRES Vincent Trémolet de Villers : Rédacteur en chef Yannick Baume : Assistante culture et art de vivre
FRANCE Carl Meeus : Rédacteur en chef Isabelle Esserméant : Comptabilité photo
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Nadjet Cherigui - Charles Jaigu - Guyonne de Montjou Robert Mergui : Éditeur
Judith Waintraub : Grands reporters Maurice Beaudoin : Directeur général adjoint
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CULTURE Nicolas Ungemuth : Rédacteur en chef adjoint Emmanuelle Dauer : Directrice de la fabrication
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in France. Origine du papier : Allemagne. Taux de fibres recyclées : 65 %. Eutrophisation : Ptot 0.003 kg/tonne de papier.

140/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023

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Chaque semaine, “Le Figaro Magazine” publie une nouvelle inédite d’un écrivain
ce rebond, diable !
Avant votre match d’ouverture
de la Coupe du monde contre
les All Blacks, je vous raconte
une histoire comme on les entend au
bistrot, vers Solliès-Pont, le paradis.
C’est au tournant de l’automne, il y a
24 ans, je suis encore vivant. Le titre
est promis aux Néo-Z. Plus que
d’habitude car ils n’ont gagné la coupe
Webb Ellis qu’une fois, contre Blanco
et consorts, en 1987. Ils débarquent en
Europe dans un Boeing spécial tout
peint de noir, une longue fougère
nacrée sur le fuselage. C’est la plus
belle équipe de tous les temps et déjà
les demi-finales. Si les Blacks de 1999
ne vous évoquent rien, pensez
seulement : Josh Kronfeld, Tana
Umaga, Jonah Lomu.
Les autres patronymes vous
ficheraient mal à la tête. Ils vont nous
rouler dessus après avoir filé cinquante
pions de moyenne en quatre matches,
et même plus de cent à la Squadra
Azzurra. Tout est préparé pour notre
débâcle : nous boirons le calice jusqu’à
la honte, à Twickenham, dans le
temple du rugby, déculottés à la face
du monde chez ces enfoirés de Rosbifs.
Ledit monde a ses raisons. Trop de nos
titulaires du grand chelem 1998 sont
blessés ou suspendus, dont le plus
illustre, Castaignède, et le plus
costaud, Califano. Nos coaches ont été
contraints de sortir un certain Galthié
de son canapé en cours de
compétition, au préalable sacrifié ainsi
que son vieux compère columérin,
Sadourny. Trois, quatre leaders nous
guident, pas plus. Tous des gros, dont
notre capitaine Ibañez. Un bleu-bite
D e r n i è r e n o u v e l l e
Par François Médéline *
Mes chers petits Bleus, les ninous,
nous sert de sentinelle : Garbajosa
vient de la Ville rose, comme les
entraîneurs Skrela et Villepreux, qui
prônent un rugby total. Or, nous
ne sommes ni assez intelligents
(situationnellement),
ni assez préparés (athlétiquement)
pour appliquer leurs préceptes
flamboyants. Pire, notre équipe est
d’abord composée de chauds du bulbe
à la sauce Dourthe, Tournaire
ou Soulette, des gens comme moi,
Domi de Toulon.
J’ai un gros doute durant les hymnes.
Il enfle à mesure du haka. Leur
meneur Randell hurle le chant de la vie
et de notre trépas. Un médium a beau
avoir prédit à ma mère, dans les
montagnes de la Dracénie, que j’avais
un don, comme il a deviné la mort de
ma grande sœur Pascale, je mesure
seulement 1,72 m et l’autre ailier,
Philippe Bernat-Salles, ressemble à
une crevette grise. Alors qu’en face ?
Ils ont le plus effroyable des rugbymen
(Jonah mesure 1,96 m et pèse
119 kilos) et celui qui deviendra
le meilleur (Tana est jeune et porte
déjà ses dreadlocks)…
L’arbitre écossais, Fleming, siffle. Les
Blacks ratent des pénalités. Kronfeld
demeure au sol, se tenant les yeux.
Mais Lomu met la France sur le cul :
Galthié et papa Ntamack à la rue,
Benazzi changé en boule de billard,
Juillet qui se blesse… Bon an mal an,
après douze pénalités concédées, nous
restons dans le match : 17 à 10 à la
mi-temps. J’ai eu le temps de prendre
une cravate à la glotte et de débouler
sur quarante mètres en posant des
146/ Le Figaro Magazine / 8 septembre 2023
crochets intérieurs. Titou Lamaison
et Olivier Magne sont on fire. Des
« Allez les bleus, Allez les bleus ! »
commencent à monter des travées.
Dans le vestiaire, je dis aux gars,
fanfaron céleste : « Ils se caguent ! »
Au retour sur le pré, c’est Garba qui a
la frousse : Lomu déboule, Lomu
marque. 24 à 10 : c’est cuit, fini.
Vraiment ? Quatre coups de pied pour
autant de prémices. Un drop, deux
drops, une chandelle : Dourthe fonce
sur Umaga, terrorisé. Ballon
de récup’, Galthié tape par-dessus.
Je démarre. Le 8 et le 10 noirs se
précipitent. Le ballon heurte le sol.
J’accélère, à l’instinct. L’ovale monte,
je lève le bras. Ça va vite, très vite.
Je chipe le cuir, file entre Mehrtens
et Randell. Je cours et j’aplatis.
Essai ! Nous menons, 27 à 24. Les
guerriers maoris ne résisteront pas à
notre transe et leur capitaine ne le sera
plus jamais. Les Anglais chantent
même la Marseillaise.
Ma vie a changé grâce à un rebond ou
à cause. Certains diront par hasard,
comme si Dieu s’était promené
incognito. Désormais, je sais que c’est
faux. Je l’ai fait parce que je n’étais
pas rugbyman de formation, que le
football m’avait appris la science du
rebond. Je l’ai fait parce que je courais
vite. Je l’ai fait parce que je le voulais.
Je l’ai fait pour elle et par amour.
Si un instant de doute vous ensevelit,
pensez-y et relevez-vous.
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