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UNIVERSITE LIBRE DES GRANDS LACS

COURS DE CRIMINOLOGIE
Destiné aux étudiants de G3 (Droit public, Droit
privé et judiciaire et Droit économique et social)
Dispensé par le CT. Charles KAKULE KINOMBE, Doctorant en
Criminologie à l’Université catholique de Louvain

2018-2019
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INTRODUCTION
I. ELEMENTS D’IDENTIFICATION DU COURS

1. Intitulé du cours : Criminologie


2. Titulaire du cours : CT. KAKULE KINOMBE Charles
3. Volume horaire : 30 heures
4. Année d’étude : Troisième année de Graduat Droit, Tronc commun
5. Semestre : Premier.

II. Objectif général du cours

Ce cours va nous introduire à une réflexion interdisciplinaire 1 sur des thématiques


criminologiques. Il vise à présenter les concepts centraux et les différentes théories en
criminologie au départ de la pluralité d'approches auxquels ceux-ci donnent lieu, au regard
des diverses disciplines qui s'en saisissent (sociologie, droit, psychologie, sciences
biomédicales). Ces concepts et théories sont présentés, analysés et illustrés par des
expériences de terrain, des résultats de recherche, des débats d'actualité en lien avec les
questionnements contemporains qui se posent dans le domaine de la déviance et de la
délinquance. Le cours est essentiellement consacré aux savoirs sur le crime, le criminel, la
criminalité, la victime et la réaction sociale qui leur est dévolue. Ce cours vise in fine à donner
aux étudiants les outils nécessaires au développement d’un esprit critique sur les débats
relatifs au phénomène criminel.

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La criminologie est une science interdisciplinaire car elle fait recours aux connaissances d’autres sciences pour
comprendre son objet. Il s’agit notamment de la sociologie, du droit, de la psychologie, de la médecine, etc. Les
théories issues de ces différentes sciences aident le criminologue à comprendre le criminel. Facteurs
psychologiques : ex. complexe d’infériorité, l’injustice subie, cleptomanie ou kleptomanie (tendance
pathologique et irrésistible à commettre des vols, sans que les objets volés aient une quelconque utilité pour
l’auteur de ces vols. Il s’agit d’une maladie mentale qui se caractérise par une obsession à voler des objets. Le
cleptomane vole souvent des biens dont la valeur importe peu et n’a pas nécessairement besoin de ce qu’il
vole), etc. Facteurs biologiques : ex. taux élevé des testostérones, Chromosome du crime, etc. Facteurs
sociologiques : ex. l’apprentissage, l’imitation, etc. Théories juridiques : ex. le libre arbitre.

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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III. Objectifs spécifiques


➢ Connaître les concepts de base en criminologie (crime, criminel, criminalité, réaction
sociale, victime, paradigme du passage à l’acte, criminologie de la réaction sociale,
criminalisation primaire, criminalisation secondaire, déviance, délinquance,
criminogènese, etc.)
➢ Différencier la criminologie d’autres sciences criminelles
➢ Connaitre la définition de la criminologie, ses objets et son statut.
➢ Connaitre l’évolution historique de la criminologie,
➢ Connaitre les différentes théories criminologiques,
➢ Connaitre les facteurs explicatifs de la criminalité,
➢ Connaitre les différentes conceptions du criminel,
➢ Connaitre les différentes théories victimologiques
➢ Connaitre le processus du passage à l’acte criminel.

IV. Compétences

A l’issue de ce cours, l’étudiant aura une base solide sur les différentes approches
criminologiques et partant de différentes théories qui seront étudiées, il pourra être à même de
comprendre un phénomène criminel en dégageant les théories criminologiques qui peuvent
l’élucider. Il sera à même de construire une opinion critique sur les situations-problèmes
présentes dans toute société.

V. METHODOLOGIE

La méthode d’enseignement magistral est celle qui sera suivie pour cet enseignement.
Néanmoins, bien que le présent enseignement soit essentiellement magistral, nous
tâcherons de privilégier des échanges avec les étudiants.

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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VI. MODALITES D’EVALUATION

L’évaluation comprend deux composantes ci-après :

✓ Un travail pratique collectif à envoyer à l’adresse kinombecharles@gmail.com

N.B : - Le travail pratique sera coté sur 5 points. Date de dépôt : 5 janvier 2019 à 23h59 au
plus tard.

✓ Un examen écrit à livre fermé : 15 points.

VII. Plan du cours

CHAPITRE I : QU’EST-CE QUE LA CRIMINOLOGIE ?

Section 1 : Bref aperçu historique sur la criminologie


Section 2 : Définition de la criminologie
Section 3 : Le statut théorique de la criminologie
Section 4 : Objets de la criminologie
Section 5 : Les deux codes de langage
Section 6 : Les paradigmes criminologiques
Section 7 : La criminologie et les autres sciences criminelles

CHAPITRE II : LE DEBAT LIBRE ARBITRE VERSUS DETERMINISME

Section 1. Le libre arbitre


Section 2. Le déterminisme

CHAPITRE III : L’ECOLE POSITIVISTE ITALIENNE

Section 1 : Cesare LOMBROSO


Section 2 : Enrico Ferri
Section 3 : Raffaele Garofalo

CHAPITRE IV : L’ECOLE SOCIOLOGIQUE FRANÇAISE

Section 1 : Gabriel Tarde

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Section 2 : Emile Durkheim


Section 3 : Alexandre Lacassagne

CHAPITRE V : LES TRAVAUX AMERICAINS. LES ETUDES DE CRIMINOLOGIE


SOCIOLOGIQUE

Section 1 : L'Ecole de Chicago


Section 2 : Le culturalisme
Section 3 : Le fonctionnalisme
Section 4 : L'interactionnisme

CHAPITRE VI : LES TRAVAUX CRIMINOLOGIQUES BELGES

Section 1 : Etienne de Greef


Section 2 : Christian Debuyst

CHAPITRE VII : LA CRIMINOLOGIE CRITIQUE

Section 1 : Théorie critique de la connaissance


Section 2 : Engagement politique critique
Section 3 : La perspective abolitionniste de Louk Hulsman

CHAPITRE VIII : LA DELINQUANCE

Section 1 : Quelques facteurs explicatifs de la délinquance


Section 2 : Déviance et délinquance

CHAPITRE IX : LES AUTEURS DES CRIMES

Section1 : Les différentes conceptions du criminel


Section 2 : Qui sont criminels ?

CHAPITRE X : LA VICTIME

Section 1. Définition de la victime


Section 2. Typologie des victimes
Section 3 : Le contexte victimogène
Section 4 : La victimisation et les enquêtes de victimisation

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CHAPITRE XI : LA CRIMINOGENESE

Section 1 : Les causes internes de la criminalité


Section 2 : Les causes externes de la criminalité
Section3 : Le passage à l’acte

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CHAPITRE I : QU’EST-CE QUE LA CRIMINOLOGIE ?

« Le crime impose à tous les esprits son encombrante présence.


Se passe-t-il un seul jour sans que les journaux écrits ou parlés
ne rapportent une escroquerie, un viol, un assassinat ou un
attentat terroriste ? Et l’appareil érigé face à la menace n’est
pas tellement plus discret. Les prisons, tribunaux, services de
police et de sécurité ne se laissent pas longtemps oublier. C’est
la raison d’être de la criminologie que de rendre intelligibles
ces agissements et ces institutions : de décrire, comprendre,
expliquer de quoi le phénomène criminel est fait » (Maurice
Cusson, La criminologie, Hachette, Paris, 2014).

« L'image de l'homme criminel, comme celle du lou-garou ou


d'autres êtres maléfiques, hante le subconscient de l'homme
depuis des temps immémoriaux. Cette image évoque en nous une
ambivalence foncière. La peur, voire la terreur, se mêle à une
certaine familiarité, à un inavouable sentiment de connivence.
Pourquoi cette ambivalence ? C'est parce que le criminel est
essentiellement en dehors de nous ; il nous menace dans notre
intégrité corporelle et dans notre bien-être matériel. Mais il est
aussi, paradoxalement, en nous. Nous sommes capables de
comprendre, voire d'accomplir tous ces actes dont le récit
remplit notre esprit et notre cœur d'horreur et de répulsion ».
(Denis Szabo, Criminologie et politique criminelle, Les Presses
de l’Université de Montréal, Montréal, 1978, p.16).

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Section 1 : Bref aperçu historique sur la criminologie

Le terme « criminologie » est relativement récent. Il a été utilisé pour la première fois
par l’italien Raffaele Garofalo en 1885 dans son ouvrage intitulé Criminologie. Deux ans plus
tard, c’est-à-dire en 1887, l’anthropologue français Paul Topinard a aussi utilisé ce terme dans
un ouvrage qui s’intitule l'anthropologie criminelle.

Les auteurs de manuels de criminologie nous enseignent que les fondateurs de la


criminologie ont été trois savants italiens :

- Cesare LOMBROSO (1835-1909), médecin militaire, dont l'ouvrage "l'Uomo


delinquente", paru en 1876 sous le titre "L'homme criminel", constituerait, en quelque sorte,
l'acte de naissance de la criminologie ;

- Enrico FERRI (1856-1929), professeur de droit et sociologue, auteur d'un livre intitulé
"Sociologie criminelle", paru en 1881 sous le titre "Les nouveaux horizons du droit pénal" ;

- Raffaele GAROFALO (1851-1934), magistrat qui publia en 1885, un livre intitulé


"Criminologie".

L'histoire de la criminologie peut être découpée en deux grandes périodes :

❖ du XIXè Siècle à 1970, environ, où l'on pose finalement la question "pourquoi" le


crime ?
❖ à partir de 1970, où l'on va poser une nouvelle question : "qu'est-ce que "le crime ?

A l'origine donc, la criminologie classique n'a cessé d'être un discours sur le pourquoi?
Quelles sont les causes de la délinquance ? Pourquoi devient-on délinquant ?

La criminologie s'est alors inlassablement interrogée sur les raisons qui conduisaient
certains individus à passer à l'acte criminel, donc sur les différences entre délinquants et non-
délinquants.

Bien sûr, la réponse avancée s'est modifiée au cours du temps, mais la question, elle,
est demeurée toujours la même.

Nous allons voir dans la suite du cours que 3 types de réponses ont été proposés à cette
question : pourquoi devient-on délinquant ?

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1. La première solution qui vint à l'esprit a consisté à chercher le siège de cette


différence dans la personne même du délinquant, sur le thème "les criminels ont le crime dans
le sang". Ainsi, à l'origine, on a cru trouver la cause du crime dans la constitution bio-
anthropologique de l'individu (c'est, au moins au départ, l'idée de Lombroso avec le thème du
"criminel-né"). C’est dans cette perspective que furent développées par exemple, les notions
du chromosome du crime ou chromosome Y surnuméraire voire même les notions du taux
élevé de la testostérone chez les délinquants sexuels.

Aujourd'hui, on préfère parler de personnalité criminelle dont les traits sont


considérés, selon les écoles, comme innés ou comme acquis, comme stables ou relativement
labiles. La théorie de la personnalité criminelle a été développée par Jean PINATEL. Avant
de donner les éléments de la personnalité criminelle dégagés par Pinatel, définissons d’abord
le concept « personnalité ». La personnalité est un terme développé en psychologie et se
définit comme un ensemble de caractéristiques à partir desquels un individu peut être identifié
et son comportement ultérieur faire l’objet d’une prédilection en fonction même de ces
caractéristiques.

Selon Pinatel, quatre éléments caractérisent la personnalité criminelle, à savoir :

✓ L'égocentrisme. Il s’agit de la tendance à tout ramener à soi, à être « centré » sur soi.
Sur le plan criminologique, il se traduit par défaut d’inhibition que le sujet manifeste
vis-à-vis de la désapprobation sociale. Cela entraine un certains nombre de
conséquences : le sujet a tendance à auto-légitimer ses actes : le délinquant
égocentrique accuse autrui avec la même facilité qu’il se légitime en rendant la victime
coupable.
✓ La Labilité (du latin labilis : fragile, glissant, instable). Il s’agit de l’incapacité à
s’appuyer sur la menace pénale pour ne pas accomplir certaines infractions : c’est le
défaut d’inhibition que le sujet manifeste vis-à-vis de la menace pénale : Le délinquant
labile ne se sent pas menacé par la sanction encourue, lorsqu’il pose des actes
infractionnels. C’est l’absence de dissuasion individuelle.
✓ L'agressivité. Elle est à différentier de l'agression. C’est une « force instinctive qui a
pour fonction de vaincre et d‘éliminer les obstacles et les difficultés qui barrent la route
aux actions humaines ». L'agressivité a une fonction positive : c'est le dynamisme de
l'activité délinquante. Pour obtenir l'accomplissement de son acte, le délinquant doit
user de son agressivité. Il s’agit là d’un élément caractéristique d'un délinquant selon

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plusieurs auteurs. Dans la dynamique du crime, l'agressivité constitue l'élément


incitateur, le moteur, la ressource, l'élément pulsionnel du passage à l'acte pour
triompher des difficultés.
Selon Pinatel, l’agressivité est l'énergie mobilisée par l'infracteur pour commettre son
infraction.
✓ L'indifférence affective. Selon Pinatel, « lorsque l'on parle de l'indifférence affective
ou l'insensibilité morale du délinquant, on veut dire qu'ils n'éprouvent pas d'émotion et
d'inclinaison altruiste et sympathique, qu'ils sont dominés par l'égoïsme, la froideur vis-
à-vis du prochain. » On relève l'idée que le sort de l'autre ne suffit pas à arrêter le
criminel. Il ne voit les choses qu'à travers lui-même, engendré par l’égocentrisme.
Pinatel considère que l'indifférence affective est l'élément ultime du passage à l'acte «
car pour que le délinquant ne soit pas arrêté, inhibé par les conditions même de
l'exécution du crime, il faut qu'il soit à ce moment-là aveuglé et sourd à ce que
l'exécution de son crime comporte d'odieux. »
Le délinquant indifférent affectif est celui qui n’éprouve pas d’émotion ni de
sentiment altruiste et sympathique.

Pour PINATEL, la personnalité criminelle se définirait ainsi par la réunion et


l’addition de quatre traits psychologiques susmentionnés. Il convient de souligner en passant
que la théorie de personnalité criminelle a été fortement critiquée. En effet, élaborer une
théorie générale de la « personnalité criminelle » est difficile tant que les comportements
criminels sont variés. De plus, certains traits de la personnalité criminelle ont été retrouvés
chez des personnes non délinquantes. Christian Debuyst a critiqué le caractère statique de ces
traits de personnalité : le criminel semble les posséder de naissance et les garder à vie. Or, la
personnalité évolue jusqu’à l’âge adulte, et même si l’essentiel de cette dernière est maintenu,
le comportement est toujours susceptible d’être modifié. Il dénonce également avec Lode
Walgrave l’ambiguïté de ce concept : des études ont démontré que les variables
situationnelles étaient plus importantes que celles tenant à la personnalité. Marc LeBlanc a
une approche davantage dynamique de la « personnalité criminelle ». Comme Pinatel, il
affirme que ces composantes se superposent aux autres personnalités pour favoriser le passage
à l’acte. Ainsi, une personne peut avoir les traits de la « personnalité criminelle » : elle ne
deviendra véritablement criminelle que lorsqu’elle passera à l’acte. Pour LeBlanc, ces traits
de personnalité ne suffisent plus à eux seuls à expliquer la criminalité. Le passage à l’acte
selon lui est moins automatique que celui décrit par Pinatel.

Cette première conception de la criminologie, conçue comme science du délinquant,


est encore très vivace. Elle s'exprime aujourd'hui dans différents courants et, notamment, le
courant de la criminologie biopsychologique. Bien sûr, l'idée lombrosienne d'un "criminel-né"

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a fait long feu quoique l'on se soit interrogé dans les années 1970 sur l'existence d'un
chromosome du crime.

Toutefois, dans l'explication du phénomène criminel, ce courant privilégie aujourd'hui


l'étude des facteurs psychologiques, qui seraient spécifiques à la personne du délinquant.

2. Dans l'histoire des idées criminologiques, à ce premier courant est venu s'ajouter un
autre type d'explication du phénomène criminel. Ce deuxième courant, à la question pourquoi
devient-on délinquant, répond " on devient délinquant à cause des conditions de vie".

Le projecteur se déplace donc de la personne du délinquant à l'étude de ses conditions


de vie : le délinquant est alors considéré comme différent, non plus par ce qu'il est, mais en
tant que cas social : à cause de ses conditions de vie, il pose un problème à la société.

L'explication devient alors de nature sociale : on ne naît pas délinquant, on le devient


parce que l'on vit dans tel milieu social ou urbain, ou encore à la suite d'un apprentissage
culturel. La célèbre théorie d’Alexandre LACASSAGNE, chef de file de l'Ecole du Milieu
Social, se résume dans deux formules, qui illustrent bien ce mouvement : Lacassagne disait,
en effet : "Les sociétés n'ont que les criminels qu'elles méritent" et "Le milieu social est le
bouillon de culture de la criminalité, le microbe, c'est le criminel, un élément qui n'a
d'importance que le jour où il trouve le bouillon qui le fait fermenter".

Explication sociale du crime, mais pas encore explication sociologique : pour


Lacassagne, la société, le milieu social ne fait que révéler ou non la nature criminelle de
certains individus, nature intégralement déterminée à l'avance par leur hérédité. Là encore,
l'explication est de type causaliste: on devient délinquant à cause de la société.

Nous verrons que jusque dans les années 1960, l'application des grandes théories
sociologiques classiques à la criminologie s'est constamment opérée dans une telle
perspective.

3. L'ébranlement de cette grande tradition étiologique (la recherche des causes de la


délinquance) vint, au début des années 1960, de l'irruption progressive de la notion de
réaction sociale dans le champ des préoccupations criminologiques. L'idée est que l'on devient
criminel à cause de la "réaction sociale".

Le terme de réaction sociale, comme son nom l'indique d'ailleurs, peut être défini,
pour l'instant, comme l'ensemble des moyens –ici, les institutions pénales- que la société va se

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donner et mettre en œuvre pour réagir, face au crime : en matière pénale, la réaction sociale
va se manifester par la poursuite et la répression du délinquant. La réaction sociale ou
contrôle social est entendue aussi comme l'ensemble des moyens dont dispose une société
pour amener ses membres à se conformer aux normes et aux valeurs afin de maintenir l'ordre
social.

Or, pendant longtemps, la criminologie considérait la réaction sociale -plus


précisément donc, la justice pénale- comme à peu près hors de son champ d'étude. On
considérait implicitement la justice pénale comme un outil permettant d'atteindre le
délinquant et de chercher l'élément de différence permettant de rendre compte de son
comportement hors norme. Autrement dit, pour comprendre et expliquer le phénomène
criminel, on se disait qu'il suffisait d'étudier les condamnés comme si l'intervention de la
justice pénale était totalement neutre. Bref, l'étude des mécanismes et des processus de
réaction sociale était abandonnée aux spécialistes de la procédure pénale.

A partir des années 60, certains courants de pensée vont inclure l'étude de la réaction
sociale dans le champ de la criminologie. Il en est ainsi, comme nous le verrons, des théories
interactionnistes, inspirées de la pensée de Georges Herbert Mead, ou encore de la théorie de
l'étiquetage de E. Lemert ou H. Becker.

On peut résumer la pensée de ce courant, que nous étudierons plus loin en détail, en
disant que pour ses tenants, la réaction sociale doit être prise en compte dans la genèse du
comportement délinquant : le passage par la justice pénale, par exemple, par ses impositions
de rôle, constitue le délinquant comme différent en le traitant de façon discriminatoire,
ségrégative et stigmatisante. C'est ainsi que la réaction stigmatisante - on est étiqueté comme
délinquant favorisera une prise de rôle de délinquant durable. Selon la théorie de l’étiquetage
ou de la stigmatisation, non seulement la personne stigmatisée porte une étiquette, mais elle
aurait également tendance à vouloir se conformer à cette étiquette qui lui colle à la peau et
donc à répondre aux attentes sociales que fait naître l’étiquette. Le fait de mettre une étiquette
sur une personne, par exemple par l’intermédiaire du casier judiciaire, fait en sorte que la
société attend de cet individu qu’il se comporte conformément à son étiquette et, pire encore,
que la personne ainsi stigmatisée a tendance à répondre à cette attente. Ainsi, une
stigmatisation positive (par exemple celle d’un bon élève) poussera un individu à devenir
encore meilleur, alors qu’une stigmatisation négative (per exemple celle du cancre) aura

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tendance à le rendre encore plus mauvais. L’idéal serait donc d’éviter toute forme de
stigmatisation négative.

Par rapport au courant précédent, nous voyons que la réponse à la question "pourquoi
devient-on délinquant ?- a changé. La cause de la délinquance ne se tient plus dans la
personnalité du délinquant ou dans ses conditions de vie, mais dans l'action stigmatisante de
la réaction sociale. Mais, en même temps, nous pouvons remarquer que la question est
toujours fondamentalement la même : on recherche toujours en réalité ce qui rend le
délinquant différent des autres et permet donc d'expliquer son comportement, mais on n'en
situe plus le siège dans sa personne ni dans ses conditions de vie. C'est le passage par le
système de justice pénale qui en étiquetant l'individu délinquant le constitue comme tel.

Pourtant, en mettant l'accent sur la réaction sociale, ce troisième type de réponse à la


question "pourquoi devient-on délinquant ?" va ouvrir des champs d'études nouveaux pour la
criminologie et lui permettre de poser une autre question : "qu'est-ce que le crime ?"

Ainsi, depuis les années 1970, certains auteurs ont approfondi la notion de réaction
sociale, en faisant remarquer que son intervention ne se situait pas seulement après la
commission d'une infraction, mais encore en amont, par le processus d'incrimination. Bref,
on peut dire que pour les tenants de ce courant, il ne peut y avoir de délinquant que parce
qu'auparavant la loi pénale a créé l'infraction : en d'autres termes, pour qu'il y ait un criminel,
il faut d'abord un crime, c'est-à-dire un comportement que la loi considère comme
répréhensible.

Pour rendre compte du crime, ces auteurs vont donc étudier ce que l'on appelle les
processus de criminalisation :

- la criminalisation primaire, c'est-à-dire l'institution de la norme pénale (pourquoi, par quels


mécanismes, une société va-t-elle ériger tel ou tel comportement en crime ?)

- la criminalisation secondaire, c'est-à-dire l'application de la loi pénale au délinquant.

La criminologie devient alors une sociologie appliquée à une activité sociale bien
particulière, l'activité pénale : elle est donc une sociologie du pénal, que l'on nomme, pour
faire bref, sociologie pénale. La sociologie pénale va donc s'intéresser au crime, mais à la

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différence des courants précédemment examinés, elle refuse la définition juridique du crime2
(acte prévu et puni par la loi) telle qu'elle est donnée par les juristes : elle va s'interroger sur la
logique sociale de la logique juridique et rechercher, en étudiant la façon dont la loi pénale se
crée puis s'applique, dans notre système social, la définition du crime et du criminel. Pour la
sociologie pénale, le crime est une construction juridique et politique, une construction
sociale3. Toute disposition juridique qui réprime un comportement antisocial est le fruit d’une
série d’interactions entre différents acteurs sociaux. C’est-à-dire qu’en amont de la création de
la norme, il y a tout un processus d’interactions qui va aboutir à ce résultat. Nous savons que
le gouvernement intervient en proposant l’adoption de nouvelles législations, mais le texte de
loi qui est finalement adopté est le résultat d’une série d’interactions complexes. La norme est
le produit de toute une série de facteurs, liés ou non au droit pénal, juridiques ou moraux, des
valeurs,…

Plusieurs facteurs environnementaux vont contribuer à produire un résultat final :

o Valeurs ;

o Relations internationales ;

o Contexte socio-économique (l’évolution de certains phénomènes,


notamment les transactions bancaires internationales vont influencer : cf.
blanchiment).

o Enjeux politiques (au sens strict).

On dit souvent que l’effet de l’annonce de l’adoption de nouvelles dispositions pénales


a un effet électoral (on rassure par-là les électeurs).

o Médias.

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Car cette définition est très restrictive en se limitant uniquement aux comportements antisociaux prévus et
punis par la loi et elle suppose que le crime existe en soi or le crime est une construction sociale et il englobe
même des comportements ne relevant pas du champ juridique. Si le crime avait une existence en soi, on ne
pourrait pas concevoir qu’un acte criminel soit dépénalisé. Le crime varie dans le temps et dans l’espace. Ex.
L’avortement et l’adultère, jadis sanctionnés en Occident sont dépénalisés aujourd’hui.
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La plupart des criminologues sont d’avis que le crime est une construction sociale puisqu’il peut varier d’un
pays à l’autre, ainsi qu’au fil du temps.

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Différentes conceptions du terme du terme « crime »

Etymologiquement, le concept « crime » vient du latin crimen, inis: accusation, chef


d’accusation. On ne parle pas de l’acte. C’est par extension que crimen désigne le crime.
Chez les juristes, le mot « crime » renvoie à un comportement prévu et puni par la loi.
En droit français et belge, le crime est une des trois catégories d’infractions (contravention,
délit et crime). Le crime renvoie aux infractions plus graves (l’assassinat, etc). Le droit pénal
congolais n’opère pas de distinction entre contravention, délit et crime.
Cependant le mot crime est utilisé en tant que terme générique chez les criminologues.
Il s’agit d’une notion complexe en criminologie car c’est un concept controversé, non unifié.
De plus, cette notion s’est construite historiquement et est toujours en évolution. Elle traduit
toujours un point de vue théorique particulier chez les criminologues, en fonction de la
définition qu’il donne au mot crime.
Il existe diverses conceptions du crime :
✓ Conception morale (= rejoint le plus souvent le sens commun)

Il s’agit de concevoir le crime comme un acte que l’on positionne vis-à-vis de valeurs. Le
crime est quelque chose qui suscite l’indignation, une réaction par rapport à une morale
particulière, voire à une religion particulière. On fait référence au « mal ». Le crime est donc
quelque chose qui contrevient à nos valeurs, quelque chose d’immoral, de mal.

Problème : cette conception est limitée car elle renvoie à une vision unifiée du corps social.
Or nous n’avons pas tous les mêmes valeurs. Dans les extrêmes, il est facile d’avoir les
mêmes valeurs (ex : pédophilie, assassinat) mais dans les autres cas, il peut y avoir des
conflits de valeur entre les différents individus du corps social sur ce qui est bien ou mal.

✓ Conception naturaliste

Certains, partant du fait que certains crimes ont toujours été vus comme problématique
dans tous les temps, dans toutes les sociétés, concluent qu’il y aurait donc une essence du
crime : des actes seraient par essence criminels. Le crime est naturalité, il existe à l’état de
nature. Selon cette conception, il y a des actes qui sont considérés comme naturellement
criminels dans les temps et dans toutes les sociétés. Ex. l’assassinat.

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Le législateur doit codifier les actes qui naturellement sont criminels et y associer une
sanction. Il s’agit d’un des rôles qu’on attend de lui.

Problème : Cette conception ne laisse aucune place au relativisme social et historique.


Il n’y a donc pas de discussions possibles sur ce qu’est un crime avec les gens qui ont cette
conception.

✓ Conception légaliste
Sous un angle strictement juridique, le crime se définit comme le fait prévu et puni par
la loi pénale. Seuls les agissements définis et punis par un texte constituent des infractions.
Cette définition est descriptive, c’est-à-dire qu’elle ne se réfère à aucun ordre de valeur. C’est
une définition abstraite de toute donnée morale ou sociale, par conséquent est une infraction
ce que le législateur décide. Lorsque la police ou la justice s’intéresse à un individu, ce n’est
qu’en vertu d’une loi précise. Cependant il n’y a pas que la loi qui décide, il y a aussi la
morale.

Dans cette conception, le crime est mis en rapport avec la loi, comme le dit l’adage «
nullum crimen, nulla poena sine lege ». Il s’agit d’un critère externe sur lequel repose notre
système juridique. Le crime est donc ce qui apparaît comme tel dans la loi.

Problème : le législateur accepte aussi la définition naturaliste, car son rôle est de
mettre des faits naturellement criminels dans la loi. Il doit « encoder » ce qui est criminel. De
plus, cette conception est à l’origine de la rationalité pénale moderne, conduisant à ce qu’on
associe nécessairement le crime et la peine. Il y a une association systématique entre le crime
et la peine, comme le montre le Code pénal qui définit les infractions en fonction de leur
peine. Or on devrait pouvoir penser le crime sans la peine, d’autant qu’il existe des problèmes
qui ne sont pas réglés par la loi mais qui sont problématiques d’un point de vue social. Or, la
loi pénale n’en parle pas. Elle n’est pas exhaustive de tous les crimes au sens large de la
société.
Ex. La sorcellerie en droit congolais.
✓ Conception sociologique fonctionnaliste

Durkheim dit que le crime est un fait social, qui survient dans une société donnée à un
moment donné et de manière massive. Le crime est donc normal car toute société connait le
crime. C’est un phénomène universel car aucune société n’est pure de tout crime. De plus, le

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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crime est un phénomène qui remplit une fonctionnalité et qui assure l’équilibre du corps
social.
La fonction sociale du crime:
-De marquer l’interdit : trace des limites dans le social et normalise les comportements.
-De contribuer à l’évolution de la société. Par exemple, la dépénalisation de l’avortement en
Europe.
- de contribuer à l’évolution du droit. Par exemple, actuellement les juristes réfléchissent sur
la lutte contre le terrorisme, la cybercriminalité, etc.
- mise en place des nouveaux dispositifs de lutte contre la criminalité : les caméras de
surveillance, les serrures perfectionnées, les antivols, etc. Evolution de la technologie : Ex.
véhicule militaire blindé ou véhicule blindé de combat, etc.
Nous reviendrons ultérieurement avec beaucoup de détails sur la théorie d’Emile Durkheim.
Problème : à nouveau, vision consensualiste du corps social.

✓ Conception sociologique constructiviste

Le crime est un phénomène « construit » : aucun acte n’est criminel en soi. Le crime
est le produit d’une définition (est crime ce qu’on définit comme tel) et d’une construction
institutionnelle. Au départ, il n’y a que des faits sociaux, que l’on va à un moment considérer
comme criminels et traiter comme tels dans un mouvement processuel. C’est donc un concept
qui varie selon la culture, le contexte, la période, les valeurs.
Les valeurs sont des idéaux collectifs plus ou moins formalisés qui orientent nos
conduites (l’égalité, la liberté, l’honnêteté, la vie, …sont des valeurs).
Problème : le relativisme extrême est très critiqué, car il est difficile de dire que rien n’est
crime. Elle ne donne d’ailleurs pas vraiment de définition du crime, mais se soucie plutôt de
la criminalisation.On fait une pirouette (changement d’opinion) en disant que le crime est ce
qu’on définit comme crime.

L’approche sociologique du crime est fondée sur la gravité du trouble social causé.
Celle-ci concerne l’appréhension par le corps social d’un acte qui le perturbe ou le menace.
Atteinte aux valeurs d’une société donnée. Il faut pour cerner ce qu’est le crime, cerner
l’ordre social. Le droit pénal s’affirme en fonction d’une époque donnée (avortement et
homosexualité dépénalisés en Belgique, en France, etc.). Les valeurs de l’ordre social
recoupent celles protégés par le droit pénal. Néanmoins, il arrive aussi que des actes visent

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des faits indifférents à la morale. Il y aussi des comportements immoraux qui ne sont pas
sanctionnés (mensonge). Le droit pénal et la morale sont deux cercles concentriques.

✓ Conception extra-pénale

Cette conception est dérivée de la précédente, mais elle ajoute qu’il faut prendre une
distance par rapport aux institutions et qu’il faut se positionner hors du système pour penser le
crime. On préfère utiliser le terme de déviance, et non de crime. On parle de gens déviants
vis-à-vis d’une norme, mais cette norme ne comprend pas que la norme légale : il s’agit des
normes en général (Normes de politesse, normes morales, normes religieuses, normes
juridiques, etc.).
Un moment, certains chercheurs comme Louk HULSMAN ont préféré parler de
« situations-problèmes » ou « situations problématiques ». Le but était de remettre en cause la
justice pénale et son fonctionnement (mouvement abolitionniste, succès dans les années
1970). On réfléchit à ce qui pose problème, indépendamment des références aux institutions.
Ça permet aussi d’être plus créatif par rapport aux réactions que l’on peut avoir face aux
problèmes sociaux. Cela nous autorise alors à nous demander si la prison est vraiment une
solution face au problème social posé par certains crimes. Les abolitionnistes veulent
démontrer que nous sommes dans une société formatée par la réaction pénale face aux
problèmes.
Problème : cette conception est trop radicale et/ou trop utopiste pour certains.

✓ Conception politique

Les gens favorables à cette définition se posent la question de savoir pourquoi on


définit certains faits comme criminels. Cette question les amène à celle du pouvoir : qui
impose la définition du crime ? Le crime serait un instrument de pouvoir. Ceux ayant le
pouvoir définissent le comportement des autres comme criminel afin de dominer le public. On
peut ainsi voir le passage à l’acte comme une contestation ou un acte de survie : la
transgression est significative.
Problème : la définition est trop radicale, et ne peut s’appliquer à tous les actes.
Comme nous allons le voir plus en détails dans la suite du cours, l’évolution de la
criminologie peut être présentée brièvement de la manière suivante :

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1. La période préscientifique de la criminologie

Cette période s’inscrit dans la conception démonologique du phénomène criminel. Le


criminel est considéré ici comme un être soit possédé soit tenté par des démons.

2. L’école classique de la criminologie

L’école classique est enracinée dans la notion que l’homme est un être rationnel avec
libre arbitre.

3. La révolution scientifique du positivisme

Cette révolution prend place à la fin du 19ème siècle et elle est la base de toute la
criminologie moderne. Trois grands noms qui présentent l’École positiviste:
- Lombroso: Il affirme que la conduite humaine n’est pas simplement le résultat d’une
délibération, d’un choix volontaire, elle est également le fruit d’antécédents biologiques.
- Ferri: Reconnu comme le père de la sociologie criminelle, sa contribution principale est de
montrer le rôle joué par les facteurs sociaux dans la motivation criminelle.
- Garofalo: Propose de déterminer objectivement quels sont les comportements qu’aucune
société ne peut logiquement tolérer et ensuite, que la société élimine ces crimes et criminels
grâce à un usage rationnel de la peine.

4. La révolution scientifique Durkheimienne

Cette révolution marquera les débuts concrets de la sociologie criminelle moderne (fin
du 19e siècle et début du 20e siècle) · Durkheim soutient que le crime doit être étudié en tant
que phénomène social normal, en tant que fait social servant une fonction sociale.

5. Approche interactionniste

Cette approche soutient que le système pénal (Police-Parquet-Cours et tribunaux et la


prison) est responsable à la fois de la création et de la répression de la criminalité. Selon cette
conception, l’homme devient criminel lorsqu’il entre en interaction avec le système pénal.

6. Approche critique

Cette approche explique le phénomène criminel comme résultant d’une lutte de


pouvoir. Le crime est envisagé comme un acte politique, un acte de refus à l'égard d'une

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organisation sociale totalitaire et capitaliste. Il poursuit un objectif de transformation des


rapports politiques et sociaux.

On le voit, la criminologie connaît une histoire mouvementée.

Section 2 : Définition de la criminologie


On définit généralement la criminologie comme « la science qui étudie le crime », la «
science du phénomène criminel » ou encore « la science qui a pour objet l'étude du crime, du
criminel et de la criminalité ». Qu’entendre par phénomène criminel ? Criminalité ?

Le phénomène criminel est un fait inhérent au groupe social et à la nature humaine.


Dans le temps, il remonte aux origines de l’humanité (meurtre d’Abel par Caïn dans la
Bible), dans l’espace aucun pays n’y échappe. « Ubi societas, ibi crimen ».

Pour Emile Durkheim, le crime est normal, parce qu'une société qui en serait exempte
est tout à fait impossible. Il n’existe pas de société humaine sans crime, ce dernier étant
considéré comme un élément inévitable et nécessaire à la survie même de la société et à son
évolution. C’est dans l’article intitulé « le crime, phénomène normal » que Durkheim affirme
l’existence du crime dans toute société. Voici l’article dans son intégralité :

« Le crime est normal, parce qu'une société qui en serait exempte est tout à fait impossible ;
telle est la première évidence paradoxale que fait surgir la réflexion sociologique.

S'il est un fait dont le caractère pathologique parait incontestable, c'est le crime. Tous les
criminologistes s'entendent sur ce point. S'ils expliquent cette morbidité de manières
différentes, ils sont unanimes à la reconnaître. Le problème, cependant, demandait à être
traité avec moins de promptitude.

Appliquons, en effet, les règles précédentes. Le crime ne s'observe pas seulement dans la
plupart des sociétés de telle ou telle espèce, mais dans toutes les sociétés de tous les types. Il
n'en est pas où il n'existe une criminalité. Elle change de forme, les actes qui sont ainsi
qualifiés ne sont pas partout les mêmes ; mais, partout et toujours, il y a eu des hommes qui
se conduisaient de manière à attirer sur eux la répression pénale. Si, du moins, à mesure que
les sociétés passent des types inférieurs aux plus élevés, le taux de la criminalité, c'est-à-dire
le rapport entre le chiffre annuel des crimes et celui de la population, tendait à baisser, on
pourrait croire que, tout en restant un phénomène normal, le crime, cependant, tend à perdre
ce caractère. Mais nous n'avons aucune raison qui nous permette de croire à la réalité de
cette régression. Bien des faits sembleraient plutôt démontrer l'existence d'un mouvement en
sens inverse. Depuis le commencement du siècle, la statistique nous fournit le moyen de
suivre la marche de la criminalité ; or, elle a partout augmenté. En France, l'augmentation

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est près de 300%. Il n'est donc pas de phénomène qui présente de la manière la plus irrécusée
tous les symptômes de la normalité, puisqu'il apparaît comme étroitement lié aux conditions
de toute vie collective. Faire du crime une maladie sociale, ce serait admettre que la maladie
n'est pas quelque chose d'accidentel, mais, au contraire, dérive, dans certains cas, de la
constitution fondamentale de l'être vivant ; ce serait effacer toute distinction entre le
physiologique et le pathologique. Sans doute, il peut se faire que le crime lui-même ait des
formes anormales ; c'est ce qui arrive quand, par exemple, il atteint un taux exagéré. Il n'est
pas douteux, en effet, que cet excès ne soit de nature morbide. Ce qui est normal, c'est
simplement qu'il y ait une criminalité, pourvu que celle-ci atteigne et ne dépasse pas, pour
chaque type social, un certain niveau qu'il n'est peut-être pas impossible de fixer
conformément aux règles précédentes.

Nous voilà en présence d'une conclusion, en apparence assez paradoxale. Car il ne faut pas
s'y méprendre. Classer le crime parmi les phénomènes de sociologie normale, ce n'est pas
seulement dire qu'il est un phénomène inévitable quoique regrettable, dû à l'incorrigible
méchanceté des hommes ; c'est affirmer qu'il est un facteur de la santé publique, une partie
intégrante de toute société saine. Ce résultat est, au premier abord, assez surprenant pour
qu'il nous ait nous-même déconcerté et pendant longtemps. Cependant, une fois que l'on a
dominé cette première impression de surprise, il n'est pas difficile de trouver les raisons qui
expliquent cette normalité, et, du même coup, la confirment.

En premier lieu, le crime est normal parce qu'une société qui en serait exempte est tout à fait
impossible.

Le crime, nous l'avons montré ailleurs, consiste dans un acte qui offense certains sentiments
collectifs, doués d'une énergie et d'une netteté particulières. Pour que, dans une société
donnée, les actes réputés criminels pussent cesser d'être commis, il faudrait donc que les
sentiments qu'ils blessent se retrouvassent dans toutes les consciences individuelles sans
exception et avec le degré de force nécessaire pour contenir les sentiments contraires. Or, à
supposer que cette condition pût être effectivement réalisée, le crime ne disparaîtrait pas pour
cela, il changerait seulement de forme ; car la cause même qui tarirait ainsi les sources de la
criminalité en ouvrirait immédiatement de nouvelles.

En effet, pour que les sentiments collectifs que protège le droit pénal d'un peuple, à un
moment déterminé de son histoire, parviennent ainsi à pénétrer dans les consciences qui leur
étaient jusqu'alors fermées ou à prendre plus d'empire là où ils n'en avaient pas assez, il faut
qu'ils acquièrent une intensité supérieure à celle qu'ils avaient jusqu'alors. Il faut que la
communauté dans son ensemble les ressente avec plus de vivacité ; car ils ne peuvent pas
puiser à une autre source la force plus grande qui leur permet de s'imposer aux individus qui,
naguère, leur étaient les plus réfractaires. Pour que les meurtriers disparaissent, il faut que
l'horreur du sang versé devienne plus grande dans ces couches sociales où se recrutent les
meurtriers ; mais, pour cela, il faut qu'elle devienne plus grande dans toute l'étendue de la
société. D'ailleurs, l'absence même du crime contribuerait directement à produire ce résultat
; car un sentiment apparaît comme beaucoup plus respectable quand il est toujours et
uniformément respecté.

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Mais on ne fait pas attention que ces états forts de la conscience commune ne peuvent être
ainsi renforcés sans que les états plus faibles, dont la violation ne donnait précédemment
naissance qu'à des fautes purement morales, ne soient renforcées du même coup ; car les
seconds ne sont que le prolongement, la forme atténuée des premiers. Ainsi, le vol et la simple
indélicatesse ne froissent qu'un seul et même sentiment altruiste, le respect de la propriété
d'autrui. Seulement ce même sentiment est offensé plus faiblement par l'un de ces actes que
par l'autre ; et comme, d'autre part, il n'a pas dans la moyenne des consciences une intensité
suffisante pour ressentir vivement la plus légère de ces deux offenses, celle-ci est l'objet d'une
plus grande tolérance. Voilà pourquoi on blâme simplement l'indélicat tandis que le voleur
est puni. Mais si ce même sentiment devient plus fort, au point de faire taire dans toutes les
consciences le penchant qui incline l'homme au vol, il deviendra plus sensible aux lésions qui,
jusqu'alors, ne le touchaient que légèrement ; il réagira donc contre elles avec plus de
vivacité ; elles seront l'objet d'une réprobation plus énergique qui fera passer certaines
d'entre elles, de simples fautes morales qu'elles étaient, à l'état de crimes. Par exemple, les
contrats indélicats ou indélicatement exécutés, qui n'entraînent qu'un blâme public ou des
réparations civiles, deviendront des délits. Imaginez une société de saints, un cloître
exemplaire et parfait. Les crimes proprement dits y seront inconnus ; mais les fautes qui
paraissent vénielles au vulgaire y soulèveront le même scandale que fait le délit ordinaire
auprès des consciences ordinaires. Si donc cette société se trouve armée du pouvoir de juger
et de punir, elle qualifiera ces actes de criminels et les traitera comme tels. C'est pour la
même raison que le parfait honnête homme juge ses moindres défaillances morales avec une
sévérité que la foule réserve aux actes vraiment délictueux. Autrefois, les violences contre les
personnes étaient plus fréquentes qu'aujourd'hui parce que le respect pour la dignité
individuelle était plus faible. Comme il s'est accru, ces crimes sont devenus plus rares ; mais
aussi, bien des actes qui lésaient ce sentiment sont entrés dans le droit pénal dont ils ne
relevaient primitivement pas.

On se demandera peut-être, pour épuiser toutes les hypothèses logiquement possibles,


pourquoi cette unanimité ne s'étendrait pas à tous les sentiments collectifs sans exception ;
pourquoi même les plus faibles ne prendraient pas assez d'énergie pour prévenir toute
dissidence. La conscience morale de la société se retrouverait tout entière chez tous les
individus et avec une vitalité suffisante pour empêcher tout acte qui l'offense, les fautes
purement morales aussi bien que les crimes. Mais une uniformité aussi universelle et aussi
absolue est radicalement impossible ; car le milieu physique immédiat dans lequel chacun de
nous est placé, les antécédents héréditaires, les influences sociales dont nous dépendons
varient d'un individu à l'autre et, par suite, diversifient les consciences. Il n'est pas possible
que tout le monde se ressemble à ce point, par cela seul que chacun a son organisme propre
et que ces organismes occupent des portions différentes de l'espace. C'est pourquoi, même
chez les peuples inférieurs, où l'originalité individuelle est très peu développée, elle n'est
cependant pas nulle. Ainsi donc, puisqu'il ne peut pas y avoir de société où les individus ne
divergent plus ou moins du type collectif, il est inévitable aussi que, parmi ces divergences, il
y en ait qui présentent un caractère criminel. Car ce qui leur confère ce caractère, ce n'est
pas leur importance intrinsèque, mais celle que leur prête la conscience commune. Si donc
celle-ci est plus forte, si elle a assez d'autorité pour rendre ces divergences très faibles en

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valeur absolue, elle sera aussi plus sensible, plus exigeante, et, réagissant contre de moindres
écarts avec l'énergie qu'elle ne déploie ailleurs que contre des dissidences plus considérables,
elle leur attribue la même gravité, c'est-à-dire qu'elle les marquera comme criminels.

Le crime est donc nécessaire : il est lié aux conditions fondamentales de toute vie sociale,
mais, par cela même, il est utile ; car ces conditions dont il est solidaire sont elles-mêmes
indispensables à l'évolution normale de la morale et du droit.

En effet, il n'est plus possible aujourd'hui de contester que non seulement le droit et la morale
varient d'un type social à l'autre, mais encore qu'ils changent pour un même type si les
conditions de l'existence collective se modifient. Mais, pour que ces transformations soient
possibles, il faut que les sentiments collectifs qui sont à la base de la morale ne soient pas
réfractaires au changement, par conséquent, n'aient qu'une énergie modérée. S'ils étaient
trop forts, ils ne seraient plus plastiques. Tout arrangement, en effet, est un obstacle au
réarrangement, et cela d'autant plus que l'arrangement primitif est plus solide. Plus une
structure est fortement accusée, plus elle oppose de résistance à toute modification et il en est
des arrangements fonctionnels comme des arrangements anatomiques. Or, s'il n'y avait pas
de crimes, cette condition ne serait pas remplie ; car une telle hypothèse suppose que les
sentiments collectifs seraient parvenus à un degré d'intensité sans exemple dans l'histoire.
Rien n'est bon indéfiniment et sans mesure. Il faut que l'autorité dont jouit la conscience
morale ne soit pas excessive ; autrement, nul n'oserait y porter la main et elle se figerait trop
facilement sous une forme immuable. Pour qu'elle puisse évoluer, il faut que l'originalité
puisse se faire jour ; or pour que celle de l'idéaliste qui rêve de dépasser son siècle puisse se
manifester, il faut que celle du criminel, qui est au-dessous de son temps, soit possible. L'une
ne va pas sans l'autre.

Ce n'est pas tout. Outre cette utilité indirecte, il arrive que le crime joue lui-même un rôle
utile dans cette évolution. Non seulement il implique que la voie reste ouverte aux
changements nécessaires, mais encore, dans certains cas, il prépare directement ces
changements. Non seulement, là où il existe, les sentiments collectifs sont dans l'état de
malléabilité nécessaire pour prendre une forme nouvelle, mais encore il contribue parfois à
prédéterminer la forme qu'ils prendront. Que de fois, en effet, il n'est qu'une anticipation de
la morale à venir, un acheminement vers ce qui sera ! D'après le droit athénien, Socrate était
un criminel et sa condamnation n'avait rien que de juste. Cependant son crime, à savoir
l'indépendance de sa pensée, était utile à préparer une morale et une foi nouvelles dont les
Athéniens avaient alors besoin parce que les traditions dont ils avaient vécu jusqu'alors
n'étaient plus en harmonie avec leurs conditions d'existence. Or le cas de Socrate n'est pas
isolé ; il se reproduit périodiquement dans l'histoire. La liberté de penser dont nous jouissons
actuellement n'aurait jamais pu être proclamée si les règles qui la prohibaient n'avaient été
violées avant d'être solennellement abrogées. Cependant, à ce moment, cette violation était
un crime, dans la généralité des consciences. Et néanmoins ce crime était utile puisqu'il
préludait à des transformations qui, de jour en jour, devenaient plus nécessaires. La libre
philosophie a eu pour précurseurs les hérétiques de toute sorte que le bras séculier a
justement frappés pendant tout le cours du Moyen Âge et jusqu'à la veille des temps
contemporains.

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De ce point de vue, les faits fondamentaux de la criminologie se présentent à nous sous un


aspect entièrement nouveau. Contrairement aux idées courantes, le criminel n'apparaît plus
comme un être radicalement insociable, comme une sorte d'élément parasite, de corps
étranger et inassimilable, introduit au sein de la société ; c'est un agent régulier de la vie
sociale. Le crime, de son côté, ne doit plus être conçu comme un mal qui ne saurait être
contenu dans de trop étroites limites ; mais, bien loin qu'il y ait lieu de se féliciter quand il lui
arrive de descendre trop sensiblement au-dessous du niveau ordinaire, on peut être certain
que ce progrès apparent est à la fois contemporain et solidaire de quelque perturbation
sociale. C'est ainsi que jamais le chiffre des coups et blessures ne tombe aussi bas qu'en
temps de disette. En même temps et par contrecoup, la théorie de la peine se retrouve
renouvelée ou, plutôt, à renouveler. Si, en effet, le crime est une maladie, la peine en est le
remède et ne peut être conçue autrement, aussi toutes les discussions qu'elle soulève portent-
elles sur le point de savoir ce qu'elle doit être pour remplir son rôle de remède. Mais si le
crime n'a rien de morbide, la peine ne saurait avoir pour objet de le guérir et sa vraie
fonction doit être cherchée ailleurs ».

La réalité du phénomène criminel apparaît donc indiscutable. Elle est pourtant en


partie insaisissable car quel que soit l’angle d’approche sous lequel on se place, on ne
parvient à en appréhender qu’une partie.

Le phénomène criminel renferme l’ensemble des transgressions particulièrement


graves, attentatoires à l’ordre ou à la sécurité, contraire aux valeurs sociales admises,
réprouvées par la conscience et punies par la loi.

La criminalité est l’ensemble des crimes commis dans un milieu donné, à une époque
donnée. On distingue trois types de criminalité :

✓ La criminalité réelle

On a du mal à appréhender toutes les infractions, car toutes les infractions ne sont pas
découvertes. Le chiffre noir correspond à la différence entre le nombre d’infractions
commises et le nombre d’infractions répertoriées. Ce chiffre noir résulte des crimes
parfaits comme les meurtres parfaits, l’absence de plainte de la part des victimes. Pour
réduire ce chiffre noir, il est effectué des enquêtes de victimisation (également appelées
enquêtes de victimation) : ce sont des sondages au cours desquels les personnes interrogées
disent les infractions dont elles auraient été victimes. On utilise ces enquêtes pour demander
à un échantillon représentatif de la population si les répondants ont déjà été victimes d’une
infraction. Il y un chiffre noir par infraction. Une étude tend à montrer que la criminalité
réelle serait 5 fois supérieure que la criminalité connue des services de polices et de
gendarmerie. Une autre étude tendait à montrer qu’il y aurait 2 fois plus de vols simples, 3

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fois plus de vols avec violence et 6 fois plus d’agressions sexuelles. Au minimum, 1/3 des
infanticides ne sont pas élucidés.

La criminalité réelle comprend tous crimes commis dans la société (ceux reportés
devant les instances judiciaires + la criminalité cachée ou clandestine).

La criminalité clandestine consiste en un nombre par hypothèse indéterminé


d’infractions commises mais non officiellement révélées.

✓ La criminalité apparente

Elle est constituée par les affaires pénales portées à la connaissance de la police.

✓ La criminalité légale

Elle renferme l’ensemble des condamnations prononcées par les cours et tribunaux.

Il convient de souligner que la criminalité varie dans le temps et dans l’espace. Ce qui
est criminel à un endroit ou à une époque ne l’est pas forcément à un autre endroit ou dans un
autre temps. La criminalité n’est donc pas forcément aisée à définir. Il est impossible de
savoir ce que seront les actes criminels dans 100 ans.

En ce qui nous concerne, nous ne sommes pas favorables aux définitions


susmentionnées de la criminologie car elles sont ambiguës et ont tendance à produire un
rabattement du crime sur son aspect « substantiel », palpable, en ignorant la part de la
construction pénale des événements.

Etymologiquement, criminologie vient de deux mots : crimen (mot latin) et logos (mot
grec). « crimen (-inis) » qui signifie « décision judiciaire », « accusation » ou « chef
d'accusation ». C’est par extension que crimen désigne le crime.
En grec « krimein » signifie « juger », « choisir », « séparer ».

Dans son sens étymologique, le mot crime ne désigne pas directement une action, un
acte ou un comportement particulier, mais plutôt l'acte de juger un comportement dans le
cadre d'un processus institutionnel de type judiciaire.

Le mot « logos » signifie science, discipline.

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Etymologiquement la criminologie est la « science qui étudie les décisions législatives


et judiciaires » ou encore comme « la science qui étudie les jugements de valeur portés sur
certains comportements dans un contexte législatif et judiciaire ».

Le dictionnaire Larousse définit la criminologie comme « l’étude scientifique de


l’ensemble du phénomène criminel ». Cette définition, bien qu’étant correcte, n’en dit pas
assez sur ce qu’est la criminologie.

Le Wikipédia francophone la définit comme la « science qui étudie les facteurs et les
processus de l'action criminelle et qui détermine, à partir de la connaissance de ces facteurs et
de ces processus, les moyens de lutte les meilleurs pour contenir et si possible réduire ce mal
social »

Le principal problème de cette définition est qu’elle voit le crime comme un mal, se
positionne moralement, alors qu’il faut prendre le crime comme un acte, si on veut être
neutre dans notre définition. De plus, cette définition est à la fois incomplète et incorrecte :

- Incomplète car le criminologue ne s’intéresse pas qu’à l’action et à sa cause. Il


s’intéresse aussi à ce que produit l’acte, où il se produit, le comment,… Le crime n’est pas
qu’un comportement, c’est aussi un fait social qui suscite une réaction et qui arrive dans un
contexte. Cette réaction et ce contexte appartiennent au champ d’étude.

- Incorrecte car le job essentiel du criminologue n’est pas la lutte contre le crime. La
définition confond le fait d’agir et le fait d’étudier un phénomène. Et on ne peut pas aborder
le crime comme étant nécessairement un mal car il s’agirait d’une manière morale de le
concevoir et on fermerait la porte à la voie de l’utilité du crime. Il y a donc du sens commun
dans cette définition, qui énonce que le crime c’est mal et qu’il faut lutter contre. Mais le
projet du criminologue est la connaissance et la compréhension du phénomène ou mieux
l’élucidation de la question criminelle pour reprendre les termes d’Alvaro Pires. Il faut
analyser le crime de manière scientifique. La définition confond le projet de connaissance du
criminologue avec la lutte contre le crime, qui relève davantage de ce que l’on appelle « la
politique criminelle ».

Le Wikipédia anglophone, quant à elle, définit la criminologie comme «l’étude


scientifique de la nature, des causes, du développement et du contrôle du comportement
criminel à la fois d’un point de vue individuel et social. La criminologie est un champ
interdisciplinaire qui renvoie aux sciences comportementales, à la sociologie (en particulier

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dans le domaine de la sociologie de la déviance), à l’anthropologie sociale, au droit, etc. Le


champ de recherche criminologique couvre les formes, les causes et les conséquences du
crime autant que la régulation sociale et institutionnelle de la réaction au crime ».

Dans cette définition, on parle de la réaction sociale et du fait que la criminologie est
avant tout l’étude d’un phénomène social et individuel. Cette définition fait même référence à
l’histoire de la criminologie en parlant du côté interdisciplinaire de la criminologie.

Il manque cependant quelque chose à cette définition : on laisse entendre qu’il existe
un consensus sur le crime, mais la définition pose des controverses en soi au sein des
criminologues. Pour illustrer la complexité de cette notion, pensons au fait qu’un soldat qui
tue un autre soldat n’est pas considéré comme un meurtrier, alors qu’un étudiant tuant un
autre est considéré comme tel. Il semble dès lors qu’il faut encore inclure l’idée que la
criminologie s’attache également à voir et comprendre ce qui est défini comme crime et
comment se déroule ce processus de définition. Dès lors, si on s’attache à ce processus de
définition, on pourra également retenir certaines conduites qui ne sont pas définies comme
criminelles, mais qui sont qualifiées de déviantes.

Il existe une diversité des définitions de la criminologie selon les auteurs. Ainsi, pour
Emile DURKHEIM: "Nous constatons l'existence d'un certain nombre d'actes qui présentent
tous ce caractère extérieur que, une fois accompli, ils déterminent de la part de la société
cette réaction particulière appelée peine. Nous faisons de ces actes un groupe sui generis.
Nous appelons crime tout acte puni et nous faisons du crime l'objet d'une science spéciale: la
criminologie ».

DURKHEIM définit le crime en fonction de la réaction sociale, la peine. Les actes qui
intéressent sont ici, les actes figurants dans le code pénal.

Enrico FERRI, membre de l'école positiviste italienne où la criminologie fut


institutionnalisée, définit la criminologie comme la somme de toutes les sciences criminelles
(pénologie, criminalistique, politique criminelle, balistique) en ce compris le droit pénal.

Edwin SUTHERLAND (sociologue américain) définit la criminologie comme la


science qui étudie l'infraction en tant que phénomène social. Il assigne à la criminologie un
vaste domaine englobant les processus d'élaboration des lois (criminalisation primaire, qui
renvoie aux modes et causes d'élaboration des lois) ou sociologie législative, l'infraction aux
lois (étiologie), les réactions provoquées par l'infraction aux lois (pénologie).

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Jean PINATEL, juriste français, père de la théorie de la personnalité criminelle,


découpe la criminologie en deux branches distinctes:

- La criminologie clinique, qu'il définit comme la science pratique consistant en


l'approche multidisciplinaire du cas individuel en vue de son traitement et la
prévention de la récidive. La criminologie clinique a pour objet l’étude
individuelle du délinquant dans le but de déterminer les mesures nécessaires pour
l’éloigner d’une récidive éventuelle.

La criminologie clinique, à l'instar de la médecine s'applique en trois phases.


Premièrement, le diagnostic qui a pour but de comprendre les causes et les raisons du passage
à l'acte. Ensuite le traitement, et pour terminer le pronostic (prévision). La question du
pronostic renvoie au concept de dangerosité qui est la probabilité de passage à l'acte
délictueux ou criminel. Un individu dangereux, c’est celui qui présente une très grande
probabilité de commettre une infraction (par ex. un schizophrène).

- La criminologie générale définie comme la science théorique qui va coordonner


les diverses données qui sont recueillies sur les facteurs et les mécanismes de la
délinquance.

La criminologie générale comprend cinq sous-secteurs :

1. La criminalité (ensemble des infractions produites en un moment donné sur un


territoire donné).
2. Le criminel
3. Le crime
4. La victimologie
5. La réaction sociale

La définition qui nous parait convaincante est celle donnée par Avaro Pires. Pour lui,
la criminologie est à la fois un champ d'étude et une activité complexe de connaissance
interdisciplinaire, de nature à la fois scientifique et éthique, ayant pour but l'élucidation
et la compréhension de la question criminelle au sens large (càd, des situations-
problèmes et du contrôle social).

La notion d'activité de connaissance remplace, d'une part, celle de « science


autonome » - qui nous paraît moins appropriée pour rendre compte du statut particulier de la

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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criminologie - et, d'autre part, elle complète et est complétée par celle de « champ d'étude »,
ce qui permet de tenir compte de certains aspects du problème qui sont perdus par une
représentation axée exclusivement sur l'une ou l'autre de ces notions. Nous reviendrons par la
suite sur les différents aspects de cette proposition. Comme nous le verrons, cette nouvelle
manière d'envisager la criminologie aide à résoudre un certain nombre de difficultés et
d'impasses dans la manière de la présenter.

§1. La notion de « champ d'étude » ou de « corpus de connaissance »


Commençons par souligner que la notion de champ d'étude (ou de corpus de
connaissance) n'est pas synonyme de celle d'activité ; elle implique l'idée qu'il y a divers
savoirs disciplinaires qui ont néanmoins un thème commun, ou encore qui se réfèrent à des
thèmes reliés et jugés pertinents, et que l'on pourrait regrouper sous le terme de «
criminologie » ou de champ criminologique (sans que ce ne soit indispensable de le faire).
Ces savoirs peuvent avoir ou non la prétention d'être scientifiques. Bien sûr, ces thèmes
communs sont ceux reliés ou jugés pertinents par rapport à la question des situations-
problèmes, de la déviance, de la transgression et du contrôle social. On peut dire que la
notion de champ d'étude a alors une dimension relativement ouverte, conventionnelle,
variable et évolutive, mais aussi un aspect contraignant ou « objectif ». La dimension ouverte
renvoie au fait que les frontières de ce champ sont en principe susceptibles de négociation et
indéfiniment déterminables par les membres de la communauté scientifique préoccupés de «
bien » comprendre le problème. Par exemple, on peut en venir à juger important d'intégrer à
ce champ des ouvrages ou d'autres fractions du savoir qu'on ne considérait pas auparavant
comme « criminologique ». On peut aussi vouloir stimuler le criminologue à développer de
nouvelles problématiques de recherche pour mieux saisir ce qui se passe en matière de
comportements problématiques, de transgression et de contrôle social. La notion de champ
n'est donc pas fermée, puisque les représentations de ce qui en fait partie ou non varient et se
modifient selon le point de vue des membres de la communauté scientifique préoccupés par
ces thèmes communs.

Par la suite, afin de faciliter l'exposé, nous désignerons l'ensemble de ces thèmes
communs par les expressions « question criminelle » ou « question pénale ». Bien entendu,
nous donnons à ces expressions l'acception la plus large possible, de manière à y inclure tout
ce que le criminologue considère, ou est venu à considérer, comme important pour élucider
cette question ou comme faisant partie du champ ou de ses préoccupations de recherche.
Écartons donc tout malentendu : ces expressions ne désignent pas seulement les

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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comportements qui sont criminalisés par le système pénal ni même l'étude exclusive de ce
système particulier de contrôle social ; elles comprennent tout ce que la communauté
scientifique juge nécessaire d'y inclure. Elles sont en ce sens plutôt indicatives d'une
problématique théorique que du fonctionnement effectif d'une institution sociale. Dès lors,
les diverses et successives extensions du champ criminologique, c'est-à-dire l'étude des
diverses formes de déviance et de contrôle social, font partie de la « question criminelle ».

Certes, il faut néanmoins garder à l'esprit que le contenu empirique, l'accent sur telle
ou telle dimension, ou encore les frontières du concept de « question criminelle/pénale » se
sont modifiés au fil des années ou d'un auteur à l'autre. Par exemple, l'objet central des
préoccupations de Beccaria est plutôt la réforme du droit pénal que l'explication des
comportements de transgression. En outre, vers la fin du XIXe siècle, par exemple, on ne
voyait pas tout à fait l'intérêt d'étudier toutes les formes de comportements problématiques,
comme la violence policière et les irrégularités dans le monde des affaires, ni les processus
de création des lois. Cette situation se modifiera progressivement par la suite. Plus
récemment encore, plusieurs recherches -féministes sur la déviance et le contrôle social des
femmes ont insisté sur la nécessité d'élargir encore plus le champ d’analyse. L'expression «
question criminelle » prend alors un sens de plus en plus large. Nous ne sommes pas sûrs que
cette expression soit la plus appropriée pour désigner tous ces objets, mais elle demeure
indicative du fait que l'étude de toutes ces situations amène le criminologue à modifier
progressivement son regard sur le point de départ (historique) de ses préoccupations, le
système pénal et les comportements « criminalisés », c'est-à-dire étiquetés « criminels ».

L'aspect contraignant ou objectif de la notion de « champ d'étude » renvoie aux


pratiques effectives de recherche et aux différents systèmes de rationalité ou aux manières de
penser qui se forment nécessairement et que le criminologue est « obligé », pour ainsi dire,
d'identifier et de prendre en ligne de compte. Dit autrement : le criminologue ne peut pas, par
un simple acte de volonté, exclure de son champ ce qui ne lui plait pas et retenir, comme
étant « criminologique », seulement ce qui conforte sa propre pensée. La notion de champ a
sans doute ici une dimension contraignante, car elle renvoie à ce qui a été effectivement
réalisé dans la pratique de la recherche et dans le domaine plus vaste de la production des
idées. Que ces idées nous plaisent ou non, elles ne sont pas moins « criminologiques » pour
autant.

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Ainsi, il est dérisoire de vouloir exclure la pensée de Beccaria ou des classiques du


champ de la criminologie sous prétexte que celle-ci commence avec l'École positive italienne
un siècle plus tard. Car, comme nous le verrons plus loin, la pensée de Beccaria est récurrente
dans les débats criminologiques, ce qui lui donne un poids empirique particulier. D'ailleurs, à
notre connaissance, aucun criminologue n'a exclu la période classique, même lorsqu'il
soutient que la criminologie commence avec l'École positive. A l'inverse, nous ne pouvons
pas retenir seulement la pensée de Beccaria et exclure l'École positive sous prétexte que
celle-ci aurait été dépassée en raison de son déterminisme strict et de sa tendance à «
naturaliser » le crime. Bien sûr, ceci vaut aussi pour les débats contemporains. On ne peut pas
exclure la contribution de Foucault ou celle des interactionnistes parce qu'ils ont mis en cause
certaines connaissances qu'on jugeait « sûres » ou une certaine manière de penser la question
pénale. On ne peut pas non plus exclure la pensée plus conservatrice d'un J.Q. Wilson (1983).
La notion de champ d'étude a donc une dimension objective qui relève de ce qui « est là » et
non simplement de ce qu'on aimerait qui y soit.

Ce sont ces aspects à la fois contraignants et ouverts de la notion de champ qui nous
invitent à y inclure, voire nous obligent à le faire, des savoirs sur le crime qui ont été produits
par des auteurs qui ne sont pas - ou qui n'ont pas la prétention d'être - des « criminologues »
ou même des experts dans ce champ. Par exemple, on peut vouloir inclure le savoir sur le
crime et la réaction sociale produits par les « psychiatres »du début du siècle comme Pinel,
ou celui sur le crime et les statistiques morales produit par les « statisticiens » et les
astronomes comme Quételet ou encore celui sur le suicide et l'anomie sociale produit par un
sociologue comme Durkheim, etc.

Comme nous l'avons laissé entendre, la notion de champ a une autre particularité : elle
peut aussi comprendre des savoirs qui ne sont pas scientifiques et qui n'ont pas (encore) la
prétention de l'être. Certains savoirs dits « préscientifiques », c'est-à-dire parus avant même
la naissance des sciences humaines, sont intégrés (a posteriori) au champ criminologique par
la force des choses et d'autres peuvent être intégrés ou proposés en fonction de
problématiques particulières. Ainsi, par exemple, le champ criminologique comprend
nécessairement le savoir de Beccaria (1764) sur le droit pénal et la conception du crime
même si ce savoir n'est pas scientifique ni n'a la prétention de l'être.

Par convention et commodité, nous allons retenir dans ce travail comme critère
d'inclusion dans le champ criminologique le fait qu'il s'agisse d'un « savoir sérieux »

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(scientifique ou non) portant sur la question criminelle au sens large. Les savoirs sérieux sur
la transgression et les sanctions sont ceux qui sont investis d'un certain statut d'autorité ou de
crédibilité potentielle en raison du statut de son émetteur ou de la forme qu'il prend. Cette
notion ne renvoie donc pas à une supposée « vérité » de l'énoncé, mais plutôt à
l'autorité/crédibilité de la source qui émet l'énoncé. Bien sûr, cela ne signifie pas que nous
allons couvrir tout le matériel qui répond à ce critère, mais tout simplement que ce matériel
est, en principe, éligible. La notion de savoir sérieux a l'avantage d'être plus large que celle
de savoir scientifique et de pouvoir donc comprendre la période préscientifique et aussi les
études philosophiques, juridiques ou de politique criminelle après cette période. Il a aussi
l'avantage d'écarter le domaine du roman policier, etc., que nous n'avons pas la possibilité de
couvrir.

Les « savoirs diffus » sur le crime et la peine sont ceux qui, tout en étant en même
temps des savoirs sérieux, n'ont pas eu ces thèmes comme leur objet principal. Les auteurs en
question sont venus à parler du crime ou de la peine alors même que leur objet était tout à fait
autre. Certains propos de Rousseau, par exemple, font partie des savoirs diffus sur la question
criminelle dans la mesure où ils apparaissent dans des ouvrages qui ne portent pas une
attention particulière à ces thèmes. Ces savoirs peuvent aussi être appelés à faire partie du
champ criminologique en fonction d'une problématique théorique particulière.

§2. La notion d'activité de connaissance


La notion d'activité est, pour nous, d'un ordre relativement différent et n'a pas la même
portée que celle de champ. Elle est aussi beaucoup plus difficile à élucider, mais nous
sommes convaincus qu'elle apporte un éclairage différent à la situation de la criminologie et
qu'elle aide à surmonter certaines difficultés indiquées lors des débats sur le statut
scientifique de la criminologie. Il faut cependant procéder par des approximations
successives.

1. Disons d'abord que cette notion vient remplacer celle de « science autonome » qui
nous paraît inadéquate pour décrire la situation particulière de la « criminologie » du point de
vue de la connaissance qu'elle produit. Il faut alors séparer ici la question de l'autonomie
institutionnelle de celle de l'autonomie du savoir scientifique. Sans vouloir engager ici un
débat sur le statut de la sociologie ou de la psychologie, nous croyons qu'on peut nous
accorder qu'il y a une différence entre la situation de ces savoirs et celle de la criminologie.
On reconnaît aujourd'hui qu'une science est « autonome » lorsqu'elle répond à deux

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conditions étroitement reliées : quand elle a un objet-domaine propre et quand elle a des
théories et méthodes propres. La criminologie répond très mal à ces deux conditions : elle est
obligée de partager ses objets et son domaine avec d'une part les sciences comme la
psychologie et la sociologie et, d'autre part, avec des savoirs comme l'éthique et le droit. Et
ce, à tel point qu'un criminologue reconnu a dit avec raison que « le criminologue est un roi
sans royaume » (Sellin, 1955). Le comportement criminalisé et la réaction sociale sont
étudiés autant par le sociologue-criminologue, ou le psychologue-criminologue, que par le
psychologue ou le sociologue tout court. Plus important encore : il n'existe aucune théorie
criminologique qui ne soit en même temps une théorie sociologique ou psychologique ou
biologique, etc. Cela vaut également pour les concepts. Les trois seuls concepts souvent
évoqués comme étant « criminologiques » - celui de dangerosité, de personnalité criminelle
et de sous-culture criminelle - sont fort contestés aujourd'hui et relèvent aussi des autres
sciences : du droit, de la psychiatrie, de la psychologie et de la sociologie. Bien sûr,
l'existence d'une « science » ne peut pas s'appuyer sur trois concepts qui sont, par surcroît,
contestés dans la discipline et qui ne couvrent qu'une infime partie des connaissances sur son
thème.

Dans le passé, on croyait que chaque science avait, pour ainsi dire, des « méthodes
propres » ou que les différentes adaptations des méthodes par les disciplines étaient un signe
de leur autonomie. Aujourd'hui, notre vision des choses s'est grandement modifiée et cet
argument a perdu beaucoup de son importance. Les formes d'observation et de collecte des
données sont largement communes dans toutes les sciences humaines et les différences de
méthode, lorsqu'elles existent, relèvent plus des objets que des sciences elles-mêmes. Par
exemple, il est certain qu'on ne peut pas faire des entrevues avec des algues marines, mais
l'entrevue, comme méthode, n'est pas plus criminologique qu'elle n'est psychologique,
sociologique ou anthropologique. Ainsi, même les sciences dites autonomes empruntent et
combinent des méthodes les unes des autres. On peut dire qu'il existe à cet égard « un stock
commun de techniques suffisamment interchangeables » (Houchon, 1975 : 39). En plus, les
grandes questions méthodologiques sont aussi communes aux différentes sciences. Certes,
certaines différences existent, mais il s'agit souvent de question d'emphase et d’objets. On
peut aussi dire que les différences dans les applications existent bel et bien, mais qu'elles
relèvent aussi beaucoup plus des caractéristiques des objets ou des contextes de la recherche
que de l'autonomie de la discipline comme telle. On peut trouver d'ailleurs d'énormes
différences dans les applications à l'intérieur d'une même discipline.

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2. Remarquons aussi qu'une activité de connaissance, qui est scientifique ou qui


implique ce type de connaissance mais qui n'est pas une science autonome, peut néanmoins
connaître éventuellement un processus d'institutionnalisation autonome en tant que discipline
d'enseignement académique ou professionnel (programmes et diplômes dans les écoles et
universités) et en tant que lieu d'échanges ou de production de résultats scientifiques
(instituts, centres de recherche, congrès, revues spécialisées, etc.). Ce n'est pas parce que
l'institutionnalisation est autonome que la science l'est aussi ; inversement, ce n'est pas parce
que l'activité de connaissance n'est pas une science autonome que l'institutionnalisation ne
l'est pas ou ne doit pas l'être. Les raisons pour institutionnaliser une activité sont d'un autre
ordre. Cependant, ces « critères extérieurs » de l'autonomie institutionnelle démontrent bien
qu'il existe une activité particulière de connaissance autour d'une certaine problématique.

Or, cela nous paraît être en partie le cas de la criminologie : elle serait une activité de
connaissance, de nature scientifique et éthique, mais non une science autonome ; en
revanche, elle a connu un processus d'institutionnalisation autonome à divers degrés dans
différents pays occidentaux et en RDC (Ecole de criminologie de l’Université de
Lubumbashi) et ce processus a sa propre raison d'être à cause des enjeux disciplinaires et de
l'incapacité d'une seule discipline à créer les conditions de développement ou
d'épanouissement qu'exige ce type d'activité. Bref, la sociologie et la psychologie peuvent
donc plus facilement revendiquer le statut de « science autonome » tandis que la particularité
de la criminologie serait celle d'être une activité complexe de connaissance (scientifique et
éthique) sans être pour autant une « science autonome ».

§3. L’interdisciplinarité de la criminologie

Pour expliquer l’interdisciplinarité de la criminologie, nous allons partir du cas de


Caïn qui est l'archétype du délinquant. Caïn est le meurtrier de son frère, il porte la marque de
l'infamie de son acte. La marque de Caïn, c'est le passage à l'acte : de l'envie, de la pulsion
d'attenter à l'intégrité matérielle et physique de l'autre, fi passe effectivement à l'action. Il tue.
C'est l'examen du cas de Caïn qui constitue la première démarche du criminologue et soulève
plusieurs questions, et à plusieurs niveaux.

D'abord celui des juristes. Pour celui-ci, il faut que l'acte soit la conséquence d'une
volonté délibérée. Le fou, le psychopathe est irresponsable. Il est malade et ne peut pas être
criminel. Il faut aussi que l'acte contrevienne à une règle clairement établie : celle qui protège
l'intégrité physique d'autrui.

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Si Abel avait menacé Caïn, celui-ci aurait pu faire valoir le principe de la légitime
défense. Il avait un motif : la jalousie, l'envie. Les traits de Caïn, héréditaires ou acquis, sont-
ils différents de ceux d'Abel ? Son patrimoine génétique, son anatomie, sont-ils les mêmes
que ceux de son frère ? Voici les questions que se posera le biologiste.

Sa personnalité, son caractère, son comportement sont-ils différents, se pré- sentent-ils


sous d'autres traits ? Sera-t-il l'opposé de son frère, alors que tous les deux sont issus de la
même famille, ont connu le sourire de la même mère et l'autorité du même père ? Telles
seront les questions que se posera le psychologue. Le milieu social, l'appartenance
professionnelle de la famille, sa position dans les classes sociales, le climat physique et moral
de son milieu de vie, sa culture ; tout cela fera l'objet de la curiosité du sociologue.

Enfin, l'état, l'organisation politique, le régime socio-économique dont les


manifestations embrassent la vie de chacun de nous constituent autant d'angles sous lesquels
envisager l'acte humain. Les stimulations de l'ordre économique sont intimement mêlées aux
nombreuses motivations de l'action des hommes et le pouvoir judiciaire est une des fonctions
de la puissance publique. Là, entrent en jeu les problèmes du politologue : il considérera Caïn
dans le contexte de l'organisation politique de l'époque. Finalement, la vie d’Abel constitue-t-
elle une valeur absolue ? Son bonheur, ses succès, n'expliquent-ils pas la jalousie de Caïn ?
L'étalage de ce bonheur ne fut-il pas ostentatoire ? Ce bonheur, supérieur à celui de son frère,
était-il justifié ? Le moraliste a, lui aussi, son mot à dire à propos du criminel.

Tentons l'examen des problèmes que soulèvent ces divers points de vue.

1. Le point de vue juridique

La matérialité du fait criminel dument constatée et sanctionnée suivant des règles


précises, suffit à elle seule pour qu'on qualifie quelqu'un de criminel. L'individu dont l'acte
échappe à la sanction pénale n'est pas, aux yeux de la loi, un délinquant.

Or, la sanction pénale, en plus de ne s'appliquer qu'en certaines circonstances, varie


aussi en fonction du temps et de l'espace. Dans certaines sociétés, les valeurs religieuses,
l'organisation familiale, patrilinéaire ou matrilinéaire, font l'objet de la protection pénale.
Dans d'autres sociétés, c'est la propriété privée qui est protégée ; dans d'autres encore, la loi
défend la propriété collective.

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Certains, comme l’Italien Garofalo, ont tenté de distinguer ceux qui violent les
sentiments rudimentaires de piété et de probité de ceux qui portent atteinte à des sentiments
susceptibles de changer. Ces derniers sont fiés aux mœurs, comme la pudeur, l'honneur, le
sentiment religieux, etc. Les premiers appelés délits naturels se retrouveraient partout ; les
seconds, délits conventionnels, seraient variables. Comme l'a remarqué Durkheim, c'est la
vivacité de la réaction sociale qui détermine ce qui sera considéré comme crime. Elle a une
double source : l'indignation morale et la peur.

Dans les sociétés archaïques, les criminels les plus dangereux furent ceux qui violaient
les valeurs collectives du groupe, en particulier celles qui touchaient la religion et la sécurité
du groupe, ce que nous appellerons aujourd'hui la sécurité de l'État. Les attentats contre
l'autorité et les règles au sein de la famille, du groupe de parenté ou de la communauté locale,
constituent une deuxième catégorie de délits. A l'intérieur de ces groupes restreints, ce sont
les sentiments individuels qui sont touchés, relatifs à l'intégrité des personnes (homicide,
attentat aux réputations) et à la propriété des biens (vols, fraudes, extorsions).

Le seuil de la sanction pénale variera en fonction de la vivacité de l'indignation


morale. Le degré de cette dernière dépend, pour une large part, de l'opinion de la population
sur l'efficacité des organes de protection sociale, tels que la police. En somme pour le juriste,
est criminel celui qui se rend coupable d'un acte sanctionné pénalement et ceci en état
d'exercice effectif de responsabilité morale.

2. Le point de vue biologique

Y a-t-il un substrat organique à la conduite criminelle ? Telle est la question que se


sont posée, dès les débuts de la criminologie, les médecins, les biologistes et les généticiens.
L'incapacité de distinguer le bien du mal, le concept d'« irresponsabilité » des juristes, celui
de « psychopathie » des psychiatres, plongent-ils leurs racines jusque dans le corps de
l'homme ?

On se souvient de Lombroso et de ses disciples qui échafaudaient la théorie du


criminel-né. Elle fut basée sur toute une série d'observations et de mensurations qui tendaient
à démontrer que les criminels d'habitude (que l'on opposait aux délinquants d'occasion)
appartenaient à une espèce sub-humaine de l'homo sapiens.

La spécificité physiologique de ces sous-hommes s'étendait jusqu'aux particularismes


linguistiques, tels que l'argot. Ces théories n'ont pas résisté à des examens plus approfondis.

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Le progrès des recherches a, cependant, indiqué des relations entre l'encéphalite épidémique
qui provoque une lésion anatomique et les troubles de caractère, susceptibles de prédisposer à
une conduite antisociale.

Certains criminologues contemporains, tels que Benigno di Tullio de Rome, pensent


qu'il existe, chez les délinquants (il faut toujours entendre délinquants d'habitude), des
troubles fonctionnels du diencéphale. Parmi un groupe d'assassins examinés par radiographie,
près de la moitié présente des lésions osseuses de la boîte crânienne. La fréquence de
l'énurésie chez les jeunes inadaptés chroniques, associée à l'encéphalite endémique, contribue
également à nourrir l'hypothèse de l'existence d'une enoéphalose criminogène.

En ce qui concerne les aspects anatomiques et physiologiques, les mesures effectuées


sur les populations délinquantes et non délinquantes ne furent guère concluantes. Les
biotypologies, qui ont été fort en vogue dans la première moitié de notre siècle, n'ont pas été
très fécondes non plus. La typologie de Kretschmer établit quatre types. D'abord, le type
pycnicomorphe cyclothymique. On trouve moins de ce type dans la population criminelle que
dans la population générale... Leur délinquance est particulièrement rusée et tardive (fraude
et escroquerie). Certains deviennent criminels sous le coup d'un sentiment irrépressible, à la
suite d'un accès de colère ou de dépression. Le type leptomorphe schizothymique est « sur-
représenté » chez les criminels. Leur délinquance précoce est durable. Ils s'adonnent moins à
la violence qu'aux vols, aux abus de confiance et aux fraudes.

Le type athlétomorphe-épileptoïde se caractérise par une délinquance brutale :


assassinats, vols à main année, incendies volontaires. Le taux de récidive ici demeure élevé
même chez les délinquants d'âge relativement avancé. Finalement, le type dysplastique est
représenté par des retardataires tant sur le plan du développement physique, psychique que
délinquantiel. On retrouve, dans ce type, une proportion élevée de débiles mentaux. Leur
délinquance se concentre surtout dans le groupe d'âge des 18 à 20 ans. On les rencontre
parmi les récidivistes dangereux, car inattendus et imprévisibles.

William Sheldon a élaboré aussi une biotypologie qui révèle quelques variations dans
la proportion des délinquants et des non délinquants appartenant aux divers types.

Notons, pour mémoire, que certains auteurs ont élaboré des typologies endocriniennes
qui ont eu leur temps de popularité dans les années trente. Ces typologies prennent en
considération la glande thyroïde, le thymus, les capsules surrénales et les gonades. L'extrême

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complexité des interrelations entre les diverses composantes du substrat organique, les
inférences hasardeuses entre ce substratum et la conduite humaine constituent une difficulté
encore non résolue dans la recherche scientifique contemporaine. Les progrès de nos
connaissances sont tributaires des recherches poursuivies dans les sciences fondamentales,
celles sur la biologie moléculaire et la neuropsychologie apparaissent parmi les plus
prometteuses.

3. Le point de vue psychologique

Si l'on ne naît pas criminel, si le substrat organique ne donne pas la clef de la


criminogénèse, quelles sont les hypothèses que nous propose la psychologie ? Pour le
criminologue belge Étienne De Greeff, la psychologie de l'homme criminel est le fruit d'un
lent processus de conversion. Normal au départ, l'homme qui devient criminel se dé- goûte de
l'existence telle qu'elle se présente à lui. Devant l'injustice du monde, il renonce à appliquer
les règles habituelles de « bonne conduite ». Il n'est plus disposé à sublimer certaines de ses
impulsions élémentaires. Il finit par se désintéresser de son propre sort, comme c'est le cas
dans certains crimes passionnels. L'échec de ses expériences sociales le conduisent au
découragement.

Au cours de ce lent processus de désengagement social, la personnalité se transforme


imperceptiblement. La tentation de commettre une agression n'apparaît plus « impensable »,
elle reçoit un certain assentiment ; lorsque celui-ci est formulé, le futur criminel juge et
condamne ses victimes éventuelles. Il cherchera des compagnons, choisira un milieu qui
acceptera cette nouvelle image qui se forme en lui, ce nouveau milieu le soutiendra dans sa
conviction de devenir un agresseur, de se soulager de cette tension accumulée, en passant à
l'acte. Car, c'est bien ce passage à l'acte qui distinguera psychologiquement le criminel de
celui qui ne l'est pas.

C'est sur la pensée de De Greeff que s'appuie Pinatel pour formuler la définition de la
personnalité criminelle formée d'un noyau central et de variantes. Le noyau central englobe
l'égocentrisme, la labilité, l'agressivité et l'indifférence affective. Les variantes consistent
dans des activités qui ont trait aux aptitudes physiques, intellectuelles, techniques, aux
besoins nutritifs et sexuels. C'est le noyau central qui gouverne le passage à l'acte. Il donne la
formule de la capacité criminelle qui sous-tend les conditions générales du passage à l'acte.

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Les traits regroupés dans le noyau central interviennent d'une manière précise dans le
processus de l'acte grave, d'une manière plus complexe dans le processus de maturation
criminelle et d'une manière condensée dans le processus de l'acte subi ou irréfléchi. En ce qui
concerne les variantes de la personnalité criminelle, elles sont associées et infléchissent les
modalités de l'exécution de l'acte. Par rapport au passage à l'acte lui-même, elles sont neutres.
Elles sont susceptibles d'éclairer la direction générale et la motivation de la conduite
criminelle.

L'apport de Freud4 a été important dans la psychologie criminelle. Les forces


instinctives du « Ça » étant contrôlées par le « Moi », les expériences successives au sein du
groupe amènent, chez l'enfant, la structuration d'une conscience morale appelée le « Surmoi
». Elle est marquée par le souvenir du « Père » qui évoque le principe du « Bien » et du « Mal
». C'est la mauvaise résolution du conflit d'Œdipe qui caractérisera le délinquant. Le
sentiment de culpabilité qui en résulte appelle, dans son inconscient, la punition. Bien des
crimes de l'adulte s'expliquent, d'après Freud, par le désir inconscient d'être châtié.

La morale sociale est intériorisée chez l'enfant et le relie ainsi aux groupes, au-delà du
milieu familial immédiat. Si la personnalité criminelle est très proche des toutes premières
phases de socialisation de l'enfant, c'est qu'elle présente des insuffisances du « Surmoi ».
Rappelons que les caractéristiques et la dynamique du « Surmoi » assurent une articulation et
un ajustement avec les autres membres de la société. Or justement chez les criminels, le «
Surmoi » ne fonctionnerait pas d'une manière satisfaisante. Selon certains psychanalystes, les
relations interpersonnelles sont vécues sur le mode sado-masochiste de l'agression. Le
criminel est victime de tensions inconscientes entre ses instincts mal contrôlés, sublimés, et
les règles qu'imposent les relations interpersonnelles de la vie en groupe, en société.

Le crime apparaît comme symptomatique d'un déséquilibre profond. Il y a beaucoup


de variantes de l'interprétation freudienne de l'homme criminel. En fait, il y en a autant qu'il y
a d'écoles de pensée qui se sont démarquées du fondateur de l'école. Une constante demeure

4
Freud a développé la théorie des instances du sujet. Il distingue trois instances du sujet que sont : le ça, le
surmoi et le moi. Le ça représente le réservoir des pulsions, le lieu de désir. Il fait l’écho à la notion de plaisir. Il
est le lieu de la spontanéité, du naturel. Le surmoi représente la loi et l’interdit. Il se traduit dons en termes
d’injonctions telles qu’« il faut », « tu dois », « il est interdit de », « nous sommes censés ». Il s’agit de l’héritage
de l’éducation parentale ou, plus précisément, des limites et interdits en provenance de toute image parentale.
Le surmoi ressort en cela non seulement du discours parental, mais également des valeurs transmises par
l’histoire et la culture. Le moi est le lieu d’articulation entre le ça, le surmoi et la réalité. Il est par conséquent le
lieu du compromis autant que de la prise de conscience et de l’analyse. Il est aussi le lieu d’accès à la parole et
à la prise de parole. Il se construit sous l’influence conjuguée des trois éléments que sont le surmoi, le ça et la
réalité, de telle sorte qu’il aura pour fonction de donner des réponses à des situations intérieures conflictuelles.

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cependant : c'est la capacité du passage à l'acte (prohibé) qui le différencie des autres
hommes. Analyser les conditions dans lesquelles s'effectuent ces passages à l'acte, conditions
qui sont liées à des types de personnalités, à des genres de délits et à des situations
spécifiques, constitue la tâche ardue de la criminologie psychologique.

Des conceptions anthropologiques récentes intègrent, d'une manière satisfaisante,


l'apport historique des sciences biologiques et psychologiques, à l'explication de l'homme.
Quatre pôles systématiquement complémentaires, concurrents et antagonistes surgissent : le
système génétique (code génétique), le cerveau (épicentre phénotypique), le système socio-
culturel (lui-même conçu comme un système phénoménal génératif), l'éco-système (dans son
caractère local de niche écologique et dans son caractère global d'environnement), (Morin,
1973, p. 214).

Chacun de ces systèmes co-organise et co-contrôle l'ensemble. L'écosystème contrôle


le code génétique (la sélection naturelle qu’il considère comme un aspect de l'intégration
naturelle complexe), co-organise et contrôle le cerveau et la société. Le système génétique
produit et contrôle le cerveau, conditionne la société et le développement de la complexité
culturelle. Le système socio-culturel actualise à son tour les compétences et les aptitudes du
cerveau, modifie l'écho-système et joue même son rôle dans la sélection et l'évolution
génétique. Le centre véritable de cette vision systématique de l'homme est toutefois le
cerveau.

Comme le dit Masters (1975, p. 29), le comportement humain est le produit de


l'intégration dans le cerveau humain d'une information phylogénétiquement sélectionnée
transmise par les gènes, historiquement sélectionnée, transmise par le langage et les symboles
culturels. Le tout est individuellement renforcé et appris durant le cycle de vie. Or le cerveau,
qui dans cette conception n'est pas seulement une entité biologique mais fait également partie
de la structure sociale, se caractérise par une conception triunique (McLean, 1970). On peut
considérer le tronc cérébral comme étant l'héritage du cerveau reptilien chez les mammifères
(paléocéphale), le système limbique comme étant l'héritage de la poussée cérébrale des
premiers mammifères (mé- socéphale), et le cortex associatif (néocéphale) comme étant le
développement propre aux mammifères supérieurs et aux primates, avec le couronnement,
l'énorme masse néo-corticale de l'homo-sapiens.

McLean considère le paléocéphale comme le siège de la procréation, de la prédation,


de l'instinct de territorialité, de la grégarité ; le mésocéphale serait celui des phénomènes

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affectifs ; le néocéphale enfin serait le siège des opérations logiques. Ces trois strates
superposées se décomposent en de nombreux sous-systèmes en état d'interaction réciproque
les unes avec les autres. Les interférences sont donc nombreuses et il faut concevoir la
triunicité comme trois sous-systèmes d'une machine polycentrique. Dès lors, note Morin, les
inter-relations faiblement hiérarchisées entre les trois sous-ensembles nous permettent de
situer le paradoxe de Sapiens-Demens ; le jeu permanent et combinatoire entre l'opération
logique, la pulsion affective, les instincts vitaux élémentaires, entre la régulation et le
dérèglement. Côté Sapiens, il y a le contrôle et la régulation de l'affectivité au niveau du
cortex supérieur. Côté Demens, il y a l'ensemble triunique, où le dispositif de régulation est
déréglable sous la poussée affective et où la motricité technique peut se trouver au service
des forces délirantes.

La conclusion intéresse directement notre propos : en effet, étant donné quil y a


régression du contrôle génétique programmé, et que le contrôle par le cortex supérieur est
fragile et instable, la porte est ouverte à l'Ubris (désordre) affective, laquelle de plus peut se
servir de la merveilleuse machine logique pour rationaliser, justifier, organiser ses entreprises
et ses desseins. La part « reptilienne » peut parfois même accéder au « pouvoir », ce qui dans
certaines circonstances entraînera des catastrophes mortelles provoquées par un instinct
aveugle de conservation.

C'est à l'instar d'autres cas de changements brusques de circonstances, où en dépit des


très hautes aptitudes adaptatives ou heuristiques du cerveau hypercomplexe, la grégarité, la
peur et la fureur, non seulement inhibent toute solution d'adaptation, mais entraînent
régression, échecs, désastres. La démence des sapiens Culmine et déferle, note Morin, quand
il y a simultanément absence, dans le jeu pulsionnel, des quatre contrôles fondamentaux : le
contrôle de l'environnement (écosystème), le contrôle génétique, le contrôle cortical, le
contrôle socio-culturel (lequel joue un rôle capital pour inhiber l'ubris et la démence des
sapiens).

Le délire est la conjonction entre, d'une part, l'invasion de ces forces pulsionnelles
incontrôlées et, d'autre part, leur rationalisation et opérationnalisation dans l'appareil logico-
organisateur et/ou par l'appareil socio-organisateur. Ainsi la satisfaction de la haine, « ubris »
agressive non contrôlée génétiquement (à la différence de l'agressivité animale), se
rationalise par l'idée de « faire justice », de punir, d'éliminer un être malfaisant. Elle est
opérationnalisée par des techniques de mise à mort et de supplice.

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Ainsi, au XXe siècle, la science et la logique, autant qu'elles guident la civilisation,


sont au service des forces de mort. Ce « vice de fabrication » du Cerveau humain que
souligne avec horreur Arthur Koestler, qui ne confirme pas le pouvoir hiérarchique du
cerveau cortical sur les deux autres, assure, d'un autre côté l'irruption dans le vécu des forces
profondes de l'affectivité, des rêves, des angoisses, des désirs. Cette conception que l'on vient
d'esquisser, renouvelle la perspective de l'étude biologique et psychologique de l'homme
criminel.

Malheureusement, la recherche criminologique n'a pas encore pris à son compte ce


nouveau point de vue. Il y a tout lieu de penser, toutefois, que de nouvelles recherches seront
entreprises par ces nouveaux postulats. Le comportement humain, considéré comme un
phénomène biologique, apparaît bien présenté dans le graphique que nous prenons de
Masters (1975, p. 29). La pénétration de cette conception dans les recherches à venir
contribuera à réduire, à coup sûr, les divergences artificielles qui se font jour, aujourd'hui
encore, dans l'étude du comportement criminel.

4. Le point de vue sociologique

Le point de vue sociologique s'est manifesté dès le début de la criminologie. En Italie,


l'élève de Lombroso, Enrico Ferri, et en France, Gabriel Tarde, soulignaient tous deux
l'importance du milieu et de l'apprentissage ou de l'imitation, dans la définition de la
criminalité.

Dans l'environnement socio-culturel, le sociologue considère l'acte criminel comme


une réponse de certains individus aux stimuli modulés par l'organisation sociale. Que ce soit
la famille, l'habitat urbain ou rural, le genre de vie industriel, pastoral, ou post-industriel,
l'origine ethnique, il s'agit toujours d'influences qui s’exercent d'une manière sélective sur les
personnes composant une collectivité. Tous les chômeurs ne sont pas des délinquants, mais un
grand nombre le furent surtout au début de l'industrialisation. Certains quartiers urbains
contiennent plus de délinquants, certaines professions en révèlent davantage et ainsi de suite.

Durkheim a formulé d'une manière sommaire l'approche sociologique : le crime, pour


lui, n'est ni une entité juridique, ni une entité bio-psychologique. N'est criminel que celui que
la conscience collective d'un groupe qualifie de tel. Une société dominée par la valeur
attachée à la propriété privée va définir le prototype du criminel comme le voleur. Une autre

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qui valorise l'honneur familial approuvera l'homicide lié à la vengeance et légitimera la


vendetta.

Dans des sociétés où les valeurs dominantes de la conscience collective encouragent


les vertus égalitaires, la hiérarchie des liens sociaux, apparaîtra comme tyrannique et sera «
criminalisée ». Pour le sociologue, l'analyse des caractéristiques des « criminels » définis par
la loi, ne constitue qu'une partie du problème. Certes, il importe de savoir qu'il y a plus
d'hommes que de femmes, plus de jeunes que de vieux, plus de chômeurs ou d'analphabètes
parmi telle ou telle population aux catégories criminelles.

Mais la question essentielle demeure celle-ci : pourquoi et dans quelles conditions ou


circonstances, telle conduite est-elle sanctionnée par la loi plutôt que d'être sanctionnée par
les mœurs ou d'être demeurée dans la vaste zone où se situent des actes pénalement
indifférents ? C'est ainsi que les scandales de corruption politique ou financière peuvent
présenter l'image du délinquant en col blanc comme le plus dangereux ennemi de la société.
Les jeunes vandales et agresseurs présentés dans le film « Orange mécanique » sont les
produits dangereux d'un urbanisme déshumanisé et d'un genre de vie mécanisé. Ce qui fut
appelé « instinct » et « identification » au cours de la socialisation chez les psychanalystes,
encéphales, structures somatotypique et génétique chez les biologistes, s'appelle dans ce
nouveau contexte, valeurs, normes et comportements pour le sociologue. C'est à partir de ces
points cardinaux qu’il tâchera de définir l'homme criminel.

Eu égard à ce qui précède, nous pouvons conclure que la criminologie est une science
interdisciplinaire car elle recourt à d’autres sciences, en l’occurrence, la biologie, la
psychologie, la sociologie et le droit pour comprendre le phénomène criminel.

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Section 3 : Le statut théorique de la criminologie

Malgré le passé qu'elle possède déjà, la criminologie pose encore une question qui ne
reçoit pas toujours une réponse très nette : la criminologie est-elle une science véritable ou
bien n'est-elle qu'un ensemble de propositions, plus ou moins cohérentes, et qui n'ont pas
encore acquis un véritable statut scientifique, voir même qu'un simple mythe pseudo-
scientifique ? »

Depuis la naissance de l'École positive italienne avec Lombroso, Ferri et Garofalo


dans le dernier quart du XIXe siècle, au moins trois représentations majeures de la
criminologie ont été véhiculées par les différents auteurs dans ce champ.

a) La première représentation, probablement la plus ancienne, est celle qui voit la


criminologie comme une branche d'une autre science. Le choix de la « science-mère »
dépend alors des préférences théoriques de chaque auteur en particulier. Cette représentation
a été véhiculée, entre autres, par au moins deux des principaux représentants de l'École
positive italienne (Lombroso et Ferri). Ainsi, par exemple, Lombroso considérait autrefois la
criminologie comme une subdivision de la biologie et Ferri (1905. 621) la voyait, quant à
lui, comme une branche de la sociologie. Ceci n'est pas tout à fait étonnant si l'on se rappelle
que Ferri avait proposé le nom nouveau de « sociologie criminelle » (Ferri, 1905 : 622) pour
désigner la nouvelle façon d'étudier la question criminelle. Or, ce nom renvoie, par lui-même,
à la sociologie comme science-mère. Quoi qu'il en soit, cette représentation n'a plus une place
importante présentement.

b) La deuxième représentation est celle d'une science autonome au même titre que
les autres sciences humaines. Elle aurait cependant une nature interdisciplinaire, à la fois
fondamentale et appliquée. On a soutenu cette autonomie de deux manières relativement
différentes. Certains auteurs ont essayé de démontrer que la criminologie aurait alors, comme
les autres sciences humaines, des théories, des concepts, des méthodes et un domaine
propres. Selon ce point de vue, la criminologie ne se confondrait pas, mais garderait des liens
étroits avec le droit pénal et avec trois sciences principales : la biologie, la psychologie et la
sociologie. Remarquons que le nombre de ces sciences d'appui change selon les auteurs.
D'autres ont cru pouvoir fonder l'autonomie scientifique de la criminologie dans une sorte
d'activité de synthèse et d'intégration des connaissances. La criminologie serait alors
scientifiquement autonome parce qu'elle intègre les connaissances produites par les

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disciplines de base comme la biologie, la psychologie et la sociologie et parce qu'elle corrige


leurs distorsions. La tâche du criminologue est alors celle de faire des synthèses (plutôt que
de faire des recherches). Les auteurs emploient souvent ici des expressions comme « science-
carrefour », « science-synthèse », etc. pour caractériser la criminologie. Certes, on a aussi
laissé entendre que la seule forme de recherche véritablement criminologique serait la
recherche complètement interdisciplinaire, telle que représentée par la « causalité multiple ».
Cette représentation de la criminologie comme science autonome semble avoir été dominante
particulièrement en Europe continentale et au Québec. Mais il est plus difficile d'identifier la
période forte où elle s'est développée. Elle serait néanmoins plus tardive que nous avons
tendance à le croire et doit se situer quelque part entre la fin de la première guerre mondiale
et la fin des années 1960. Cependant, contrairement à la représentation précédente, elle est
encore soutenue par certains criminologues contemporains. En plus, comme nous le verrons,
elle touche à un aspect du problème qui ne saurait être négligé.

c) Enfin, le troisième point de vue représente la criminologie comme étant


exclusivement une sorte de « champ d'étude » ou de « corpus de connaissance » composé de
savoirs épars mais néanmoins portant sur un thème commun. Ainsi, Sutherland (1924 : 11)
écrit dans la première édition de son livre que la « criminologie est le corpus de connaissance
concernant le crime comme problème social » et il donne, dans la deuxième édition, une
définition qui deviendra très connue par après : « La criminologie est le corpus de
connaissance concernant le crime comme phénomène social. Il comprend dans sa portée les
processus de production des lois, de transgression des lois et de réaction à l'égard des
transgressions des lois » (Sutherland, 1934 : 3).

Cette dernière représentation commence aussi assez tôt comme on peut le voir par la
date de la première édition du manuel de Sutherland. Jusqu'à la fin des années 1960, elle sera
dominante surtout aux États-Unis et parmi les criminologues d'orientation sociologique;
après les années 1970, elle deviendra assez répandue sur le plan international.

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Section 4 : Objets de la criminologie

C’est une illusion de croire que la criminologie a des objets. Il vaut mieux dire qu’elle
s’approprie des objets. Il reste que cette capacité à choisir ses objets a amené les
criminologues à engager un débat interminable sur les objets qui devaient faire partie de cette
activité de connaissance.

Pour certains criminologues, tels Philipe Robert, la criminologie a pour objet l’étude
du crime (le crime entendu ici comme un comportement incriminé). Elle porte sur :

- La criminalisation primaire, c’est-à-dire l'institution de la norme pénale (pourquoi, par


quels mécanismes, une société va-t-elle ériger tel ou tel comportement en crime ?). Elle
essaie de comprendre pourquoi et comment certains comportements sont érigés, à un
moment donné, en délits ou en crimes, alors qu'ils n'étaient pas considérés comme tels
jusqu'alors. En bref, la criminalisation primaire étudie le processus d’élaboration de la loi
pénale : pourquoi une loi a-t-elle été créée (quels sont les enjeux qui sous-tendent la
création de la loi, la loi vient répondre à quelle finalité ?) et par qui (quels sont les acteurs
qui participent au processus d’élaboration de la loi ?) ;
- La transgression des lois : la criminologie s’intéresse ici aux questions suivantes : qui
transgresse les lois ? Pourquoi ?;
- La criminalisation secondaire, c'est-à-dire l'application de la loi pénale (beaucoup
d’individus enfreignent les lois mais seulement certains se font prendre, comment
expliquer ce décalage ?)

Il s’agit là d’une conception étroite de la criminologie, c’est-à-dire que les


comportements qui ne sont pas sanctionnés par une loi pénale ne peuvent faire l’objet d’une
étude criminologique (l’homosexualité en RDC par exemple). Cette conception est trop
restrictive.

Remarque : L’objet « crime » n’est pas un objet neutre : il est passionnel et fait appel à
des valeurs. Généralement, les gens se positionnent face à ce phénomène. C’est un objet
d’étude compliqué, car il touche à l’humain mais aussi à la souffrance de la victime, du
criminel et de leurs proches. Le criminologue rencontre son sujet et il est face à un souci
d’éthique. On parle de l’humain et de la place du criminel dans la société…. En effet, peut-on
parler d’une discipline scientifique en faisant abstraction de celui qui la pratique ? Lorsque
l’on pose cette question, viennent alors d’autres questions. Quel est le projet du criminologue,

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quelle est sa position dans le champ scientifique ? Qu’entend-il montrer et démonter ? A quoi
sert-il ?

Pour d’autres criminologues, tels Alvaro Pires, la criminologie a pour objet « la


question criminelle » qui comprend d’une part les situations-problèmes et le contrôle social.
Le concept de « situation-problème » comprend non seulement les comportements
problématiques définis comme infractionnels par la loi mais aussi ceux qui ne sont pas définis
par la loi. Il s’agit ici d’une conception large de la criminologie. C’est cette conception qui est
soutenue aujourd’hui par la majorité des criminologues.

Il convient de souligner que la criminologie d’aujourd’hui favorise les deux axes :

➢ L’étude des situations-problèmes et


➢ L’étude du contrôle social.

Les professeures Maria Louisa Cesoni et Isabelle Ravier pensent, quant à elles, que la
criminologie s’intéresse de manière pluridisciplinaire au phénomène criminel. Elle prend
appui sur différentes disciplines (psychologie, sociologie, droit, médecine). Elle recourt à
différentes méthodes (statistiques, entretiens, analyse de dossiers juridiques, observations ou
autres). Elle va essayer de nous permettre de connaître le crime, le criminel, la victime, la
criminalité au sens large du terme et la réaction sociale à celle-ci.

§1. La notion de « situation-problème »


Cette notion a été proposée dans le cadre de la perspective abolitionniste de Louk
Hulsman et de la nouvelle criminologie clinique de l'École de Criminologie de l’Université
Catholique de Louvain (Debuyst, 1983). Son but premier est de permettre de décrire certains
événements, certains conflits, etc. sans utiliser immédiatement une notion morale ou, pire
encore, juridico-pénale qui introduit souvent une tendance à vouloir expliquer la situation
d'une certaine manière et à présupposer que l'intervention pénale (répressive) est la manière «
adéquate » de résoudre le problème.

Pour Avaro Pires, la notion de situation-problème désigne simplement le fait que pour
au moins un acteur quelconque une situation donnée est vécue ou perçue comme « créant un
problème » ou comme étant négative, inacceptable, indésirable.

Les principales caractéristiques de ce concept sont les suivantes. Il s'agit d'un concept
descriptif qui nous renvoie avant tout à un champ événementiel plutôt qu'à un champ

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normatif. En effet, une situation peut être perçue comme problématique même s'il n'existe
aucune norme préalable visant à gérer cette situation. Dit autrement : un comportement
problématique n'est pas nécessairement un comportement de transgression puisqu'il peut se
présenter dans des situations « hors-normes ». Il est aussi un « concept-ouvert » en ce sens
qu'on ne présuppose pas d'avance qu'une situation-problème quelconque réclame
nécessairement une réponse punitive ou qu'elle réclame même une solution quelconque.
Toute situation-problème ne prend pas nécessairement la forme d'un problème qui doit être
résolu coûte que coûte. Soulignons qu'une situation-problème peut faire l'objet de différentes
formes organisationnelles du droit et qu'on ne présuppose pas que le mode pénal, avec les
caractéristiques qu'il a présentement, soit nécessairement la solution appropriée pour un
grand nombre de cas qui sont susceptibles actuellement de tomber sous son emprise. Enfin, le
concept de situation-problème est moins unilatéral que le concept étatique de crime : d'une
part, il tient compte des victimes réelles et, d'autre part, le chercheur n'est pas limité par le
choix du législateur. On peut alors étudier plus librement, comme étant possiblement
semblables du point de vue biologique, psychologique ou sociologique, des situations-
problèmes que l'État représente au plan du droit (ou institutionnel) comme étant différentes.

§2. La notion de contrôle social


Tournons-nous maintenant rapidement vers la notion de contrôle social. Celle-ci est
aussi un concept-ouvert en ce sens que le criminologue va explorer ce qui lui parait pertinent
pour mieux saisir et faire avancer la réflexion théorique sur la question criminelle. On
souligne en général le fait que cette dimension comprend la question de la création et du
maintien des lois pénales et celle de l'application des lois et ses conséquences (Baratta, 1975 :
59 ; Robert, 1981 : 274-276 ; Debuyst, 1990 : 27). Néanmoins, on s'accorde aussi pour dire
que l'étude du contrôle social déborde largement ce cadre dans la mesure où il comprend
aussi les questions relatives au système correctionnel et à l'intervention socio-psychologique,
les aspects psycho-sociaux de la réaction sociale, les questions de politique sociale et
criminelle (prévention, décriminalisation, déjudiciarisation, formes alternatives de résolution
de conflits), etc.

La notion de contrôle social renvoie à l’étude des moyens, des outils que la société met
en œuvre pour sanctionner les comportements problématiques. Il s’agit donc des institutions

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tant formelles (police, parquet, cours et tribunaux, prison) qu’informelles (la famille, etc) qui
organisent la réaction sociale contre le crime.

Par définition, « le contrôle social » est l’ensemble de moyens dont dispose une
société, une collectivité pour amener ses membres à adopter des conduites conformes aux
règles prescrites, aux modèles établis, pour assurer le maintien de la cohésion sociale.

Il existe deux formes de contrôle social :

- Le contrôle social peut être interne ou externe

Les normes et valeurs sont certes respectées parce qu’il existe des sanctions mais aussi
parce qu’elles ont été intériorisées. Cette intériorisation s’effectue lors de la socialisation, on
parle alors de contrôle social interne : les normes et valeurs ont été apprises et intériorisées.
Le contrôle social est dit externe lorsqu’il est assorti de sanctions (positives ou négatives).
Les sanctions positives sont par exemple : une récompense, un prix, une médaille, des
félicitations, etc. En termes de sanctions négatives, nous pouvons citer : la servitude pénale,
l’amende, …

- Le contrôle social peut être formel ou informel


✓ Formel : (ou institutionnel) le contrôle social formel est le processus par lequel
des groupes sociaux et des institutions spécifiques (police, justice, école « ouvrir
une école, c’est fermer les portes de la prison », église…) régulent les activités
sociales afin d’assurer le maintien des règles et de prévenir les comportements
déviants. Les sanctions correspondantes sont de natures diverses : sanctions
morales (réprobation, blâme,…), sanctions religieuses (excommunication,
pénitence…), sanctions juridiques (dommages et intérêts, peine de prison, ...)
✓ Informel : le contrôle social informel s’exerce de manière continue au cours des
interactions sociales de la vie quotidienne et a un caractère non institutionnel.
Chaque individu contribue consciemment ou inconsciemment à réguler les
comportements sociaux d’autrui. Les sanctions, positives ou négatives, peuvent
prendre dans ce cas la forme d’approbations (sourire) ou de désapprobations
(remarques « désobligeantes ») proportionnelles à l’importance de la
transgression.
Le contrôle social informel est assuré par les amis, parents, voisins, pairs.

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Une des premières fonctions du contrôle social est de faire en sorte que chaque
individu respecte les normes. Cela a aussi un intérêt collectif puisque les individus vivent en
société.

Le contrôle social a des effets dissuasifs (càd il peut détourner quelqu'un de son
intention de faire quelque chose, de commettre une infraction) et de stigmatisation (càd
Accusation sévère et publique, flétrissure morale portée à l'encontre d'une personne, de ses
actes, de sa conduite).

Quand une société change, la manière dont le contrôle social s’y exerce se modifie
aussi. Elle évolue. De nos jours, il s’observe de plus en plus la montée du contrôle social
formel. Avec l’urbanisation et la montée de l’individualisme, le contrôle social informel
s’affaiblit au profit du contrôle social formel. En effet, avec l’urbanisation, les relations
sociales se sont anonymées, il y a moins de relations interpersonnelles et la surveillance
mutuelle est moindre. Le contrôle social informel et de proximité a donc décliné au profit des
actions policières et judiciaires qui, elles, augmentent. Cependant, le contrôle informel exercé
par les groupes primaires, n’a pas pour autant disparu, il a perdu de son efficacité.

Les nouvelles technologies sont aujourd’hui utilisées afin de renforcer le contrôle


étatique (vidéosurveillance des espace publics, contrôle biométrique des mobilités, radars
automatisés, etc.).

La vidéo surveillance est une forme de contrôle social car cela représente le regard des
autres et va entrainer une modification du comportement. On se sent moins libre. C’est une
façon de compenser la moindre efficacité du contrôle des institutions spécialisées (la police).

La biométrie est une utilisation de paramètre biologique pour identifier les personnes.
Elle permet d’identifier les criminels. Cela amène à constituer des fichiers qui réunissent des
informations sur des individus qui n’ont pas commis de délit. Il y a un risque sur les libertés
publiques, sur la vie privée. Ce risque d’une société totalitaire a été déjà évoqué avec
l’architecture panoptique.

Le radar est un appareil de radiorepérage qui permet de déterminer la position et la


distance d'un obstacle, d'un aéronef, etc., par l'émission d'ondes radioélectriques et la
détection des ondes réfléchies à sa surface. Il s’agit d’un dispositif qui permet de déterminer
la distance et la direction d'un obstacle par réflexion d'ondes électromagnétiques.

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Section 5 : Les deux codes de langage


L'activité criminologique renvoie aujourd'hui à deux types de langage que nous
désignerons par les expressions « code institutionnel » (ou « substantiel ») et « code
descriptif ». Ces codes correspondent à deux représentations opposées de l'objet et ont deux
caractéristiques opposées.

La première caractéristique du code institutionnel est qu'il nous amène à adopter, pour
parler des comportements, le langage juridique ou institutionnel du droit, utile dans la
pratique du droit, mais qui ne fait pas certaines distinctions qui peuvent être fondamentales
pour une compréhension théorique et empirique adéquate du sujet traité. Il faut noter que les
scientifiques eux-mêmes utilisent souvent le langage courant du droit dans leurs études
scientifiques sur les comportements de transgression. C'est pour cela d'ailleurs que nous
devons réexaminer souvent la pertinence de notre langage dans les discours scientifiques.
Une des conséquences de ce code est qu'il a tendance à se rabattre sur l'aspect « substantiel »
ou factuel de la notion de crime et à concevoir le « crime » comme étant simplement un acte,
un comportement ou un fait social brut ; bref, des véritables « délits naturels » (Garofalo,
1914 : 14) ou « délits essentiels » (Tarde, 1890 : 72-73).

La seconde caractéristique est qu'il a tendance à vouloir donner, toutes proportions


gardées, une portée très limitée et très circonscrite aux objets de la criminologie.

Par contraste, la première caractéristique du code descriptif est qu'il s'éloigne des
notions du langage juridique et institutionnel en vue d'examiner leurs présuppositions de
base. Il arrive alors que le code descriptif abandonne les concepts juridiques, modifie leur
signification ou élabore de nouveaux concepts. L'objectif de ce code est de nous amener à
maximaliser la capacité descriptive de notre langage. Il évite alors l'utilisation d'un langage à
connotation juridique, justement parce que ce langage se prête mal à la tâche de description
empirique.

En effet, le propre des concepts juridiques (pénaux) n'est ni de voir ni de décrire, mais
d'interpréter pour juger. Or, lorsque nous étudions le comportement des gens qui ont été
institutionnellement criminalisés, nous n'étudions pas les comportements antisociaux en
général ni les comportements problématiques tout court : nous étudions seulement les
personnes dont le comportement a été jugé institutionnellement comme « criminel ». Le
comportement criminel est alors un fait institutionnel, et non un fait brut ou empirique.
Comme le remarque Jeffery (1959 : 7), « c'est seulement dans le droit criminel que nous

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trouvons la distinction entre comportement criminel et non-criminel ». Ce code essaie donc


d'employer des concepts plus descriptifs et plus ouverts, plutôt que les concepts affiliés au
droit pénal.

La seconde caractéristique est que ce code a tendance à donner une portée plus large
aux objets de la criminologie justement parce qu'il ne se laisse pas limiter par le langage et
les objectifs institutionnels et juge nécessaire d'explorer, théoriquement et empiriquement, les
présupposés du code substantiel et sa tendance à prendre pour acquis la configuration que les
institutions sociales donnent à la réalité.

Section 6 : Les paradigmes criminologiques


Par définition, le paradigme est représentation du monde, une manière de voir les
choses, un modèle cohérent de vision du monde qui repose sur une base définie (matrice
disciplinaire, modèle théorique ou courant de pensée).

Les études criminologiques se divisent en deux grands paradigmes : le paradigme


du passage à l’acte ou la criminologie étiologique et la criminologie de la réaction sociale.

La criminologie du passage à l’acte, appelée aussi criminologie étiologique étudie les


causes qui conduisent à commettre un crime.

Dans la criminologie du passage à l’acte, la criminalité est considérée comme étant


une qualité objective, ontologique des comportements. Ce paradigme se rapproche des
postures que l’on rencontre généralement en droit pénal. Il appréhende le crime et la
criminalité comme des faits naturels qui, du reste, précèdent l’existence de la loi et des
pratiques pénales. L’existence du phénomène criminel est présentée ici comme indépendante
de l’intervention de l’homme, ce qui a conduit Pires (1995) à parler de la substantialisation du
crime. Pour le paradigme du passage à l’acte, l’intervention humaine se présente tout
simplement comme étant la conséquence logique et mécanique de l’existence du
phénomène criminel. Cette criminologie s’inscrit donc dans une conception idéaliste et
instrumentale du système pénal lequel est envisagé comme étant « extérieur », « au-dessus
» et « contre » la criminalité ( Kabuya, 2009). Pires et Faget, repris par Kienge Kienge
(2005 : 12), soutiennent que « la criminologie du passage à l’acte, en cherchant à considérer
les pratiques délinquantes comme des faits sociaux bruts ou empiriques, a beaucoup de peines

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


53

à rendre compte de l’effet que la réaction informelle ou institutionnelle de la société produit


sur les comportements sociaux ». C’est l’une de ses faiblesses.

Pour sa part, la criminologie de la réaction sociale s’inscrit dans une orientation


toute particulière et différente de celle qui est adoptée par le paradigme du passage à
l’acte. Elle perçoit le crime et la criminalité comme le fruit d’une construction de
nature juridico-politique. Elle souligne qu’aucun comportement n’est criminel en soi, et
prend suffisamment sa distance par rapport à la vision du caractère naturel du crime. Pour sa
part, le caractère criminel d’une situation est de ce fait le résultat de l’application du système
pénal. Au bout du compte, c’est ce système qui, à travers l’implication de ses agents,
désigne une situation ou un comportement comme étant criminel.

La criminologie de la réaction sociale renvoie ainsi à l’étude de la production de la


norme (criminalisation primaire) et de son application (criminalisation secondaire). Elle
s’intéresse aux institutions de la réaction sociale notamment, la police, le parquet, les cours et
tribunaux, la prison, etc.

Contrairement à la criminologie du passage à l’acte qui se focalise sur l’individu et qui


considère le crime comme un fait naturel, la criminologie de la réaction sociale met l’accent
sur les mécanismes de réaction sociale et considère le crime non comme un fait naturel mais
comme une construction sociale. Le crime est une construction sociale puisqu’il peut varier
d’un pays à l’autre, ainsi qu’au fil du temps. En d’autres termes, cela signifie que le crime en
tant que tel n’existe pas. Il existe uniquement parce qu’il est défini comme tel par l’être
humain. De même, c’est parce que certains comportements se sont vu attribuer l’étiquette
« crime » qu’ils sont devenus interdits5.

Les deux paradigmes renvoient à deux perspectives d’étude de la criminologie.

Nous pouvons retenir que :

- le passage à l’acte (se focalise sur l’individu et son acte, on est bien face à un «
comportement »). Cette perspective conduit le plus souvent à rechercher les causes du
comportement délinquant (biologiques, sociologiques, psychologiques);

- la réaction sociale (se focalise sur le contexte qui accueille cet acte et la
réponse qui y est apportée : on définit et on réagit à ce comportement). Cette perspective voit

5
André Kuhn, Sommes-nous tous des criminels ?, Les Editions de l’Hebe, 2002, p.12.

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davantage le crime comme une construction sociale et étudie davantage la criminalisation


primaire et secondaire que le crime en tant que tel.

Section 7 : La criminologie et les autres sciences criminelles

§1. La criminologie et la criminalistique

La criminalistique est une discipline des sciences criminelles qui étudie les techniques
scientifiques de découverte des indices matériels des infractions permettant d’identifier leurs
auteurs.

Le Professeur Nyabirungu Mwene Songa définit la criminalistique comme une


discipline comprenant toute une série de disciplines et de techniques scientifiques qui
concourent à la constatation matérielle des infractions et à la découverte de leurs auteurs. Elle
comprend la médecine légale, la balistique, la police technique et scientifique, la toxicologie,
la dactyloscopie, la génétique, l’anthropométrie, etc.

La criminalistique est une science au service de la justice pénale et plus exactement


l’ensemble des procédés scientifiques employés à l’administration de la preuve du crime. En
bref, elle est la science de la preuve pénale.

La criminologie diffère de la criminalistique bien que ces deux disciplines


s’intéressent toutes au crime. En effet, si nous admettons que la criminologie est l’étude des
causes du phénomène criminel, la criminalistique, elle, porte sur la recherche et l’exploitation
des indices matériels en vue d’identifier l’auteur du crime.

La criminalistique sert à établir la matérialité des faits, mais elle n’englobe pas toute la
criminologie.

§2. La criminologie et le droit pénal


En termes simples, le droit pénal peut être défini comme une branche du droit public
qui traite des infractions et des peines. Il se subdivise en deux branches : droit pénal général
et droit pénal spécial (pour plus de détails, lire les cours de droit pénal général et droit pénal
spécial). Actuellement, au sein du droit pénal spécial s’ajoute aussi le droit pénal des affaires.

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55

La criminologie et le droit pénal sont deux disciplines distinctes. Certes, elles ont le
même objet : le crime, mais elles ne l'étudient pas sous le même angle. Le droit pénal a pour
objet essentiel les infractions et les peines. La criminologie, quant à elle, recherche dans les
faits les causes du crime. Alors que le droit pénal utilise des méthodes juridiques reposant sur
l'interprétation des sources du droit, la criminologie est une discipline qui recourt aux
méthodes empiriques des sciences sociales (Observation, entretiens, etc.).

Le droit pénal est une discipline normative, prescriptive. Il décrit ce qui devrait être.
La criminologie par contre, est une science empirique qui étudie ce qui est. La criminologie
part de l'observation, tente d'approcher la réalité, de rendre compte de la criminalité, de
« dépeindre » le criminel. Elle tente de rendre compte de la criminalité en observant la
réalité ; elle vise à élucider la question criminelle (situations problématiques et le contrôle
social) ; à comprendre les comportements criminels et le système pénal ; elle vise également à
comprendre les résultats des politiques publiques conçues pour faire face au crime. La
criminologie remet en cause les évidences juridiques (ex. application systématique des règles
juridiques, etc.).

Si le droit pénal étudie les normes juridiques relatives à la pénalité tandis que la
criminologie se penche sur les faits et les personnes auxquels s’appliquent les normes
pénales, on admet toutefois aussi que les cloisons entre ces deux disciplines ne sont pas
étanches : les juristes pénalistes tiennent compte des résultats des recherches criminologiques
lorsque, par exemple, ils souhaitent la modification d'un texte de droit (par exemple,
l'introduction dans notre droit pénal des mesures de sûreté qui tiennent compte de la
"dangerosité" du délinquant : la dangerosité est une notion issue des recherches
criminologiques). Réciproquement les criminologues conviennent que le droit pénal définit
l'axe autour duquel ils mènent leurs recherches. Et pour cause : nous verrons que ce courant
part de la notion de crime telle qu'elle est définie par le droit pénal.

On pense souvent que la criminologie est une branche du droit, car des juristes comme
Beccaria ont joué un rôle important au moment de la naissance de la discipline. Mais il ne
faut pas les confondre : le droit est une science qui a la norme comme objet, alors qu’en
criminologie, on travaille avec les gens se trouvant hors de la règle. On étudie un phénomène
social et non un devoir être.

Remarque : le criminologue peut prendre la norme comme objet d’étude. Mais en


droit, on se préoccupe peu du « pourquoi punir », l’objet principal est la règle à appliquer ou

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à interpréter. Même si le criminologue peut s’intéresser à la norme qui est l’objet d’étude du
juriste, il ne pose pas les mêmes questions que le juriste. Face à une norme, le criminologue
se pose les questions suivantes : Pourquoi telle loi a été élaborée ? Quels sont les enjeux qui
sous-tendent son élaboration ? Le juriste, par contre se pose les questions suivantes face à
une loi : Le juge a-t-il bien ou mal appliqué la loi ? Comment interpréter telle disposition ?

La criminologie étudie la personne du criminel, les causes de sa criminalité et les


moyens d’y remédier6. Si l’on a autrefois cru possible d’opposer criminologie et droit pénal,
il faut aujourd’hui constater que, depuis déjà longtemps, une collaboration fructueuse s’est
établie entre les deux sciences et que le droit pénal, tout en préservant son autonomie,
n’hésite pas à intégrer les apports de la criminologie chaque fois qu’ils lui apparaissent
convaincants (les circonstances atténuantes, les mesures de sûreté, l’individualisation de la
peine, etc.).

A l’égard de l’homme suspecté d’avoir commis un crime, le pénaliste pose la


question : Est-il coupable de l’acte posé ? Ce qui va l’amener à rechercher les éléments
constitutifs de l’infraction, à savoir l’élément légal, matériel et moral en vertu du principe
cher au droit pénal : « nullum crimen, nullum judicium, nulla poena sine lege ». Une fois
l’infraction établie, il s’ensuit l’application de la peine. Mais, qui est cet individu qualifié de
délinquant ? Pourquoi et comment est-il passé à l’acte, c’est-à-dire a commis le fait ?
Comment a-t-on érigé un tel comportement en une infraction ? Telles sont les préoccupations
du criminologue qui veut que la peine qui sera appliquée à l’infracteur acquière la dimension
de peine-traitement, parce qu’elle sera individualisée, personnalisée et susceptible de faciliter
sa réintégration dans la société. Si le pénaliste porte l’attention sur l’acte délinquant, le
criminologue quant à lui, associe l’acte à son auteur, qui n’est pas seulement un être juridique
habité par le libre arbitre, mais aussi un être humain et social, c’est-à-dire susceptible d’être
influencé par des facteurs endogènes et exogènes pouvant expliquer sa conduite délinquante.

La criminologie humanise le droit car les apports criminologiques à la science


juridique et plus particulièrement au droit pénal sont de nature à atténuer la rigueur des lois
pénales en tenant compte du principe de l’individualisation de la peine.

6
C’est dans ce sens que Denis Szabo (1978 : 119) affirme que « le criminologue est un intellectuel, un
chercheur qui applique son intelligence à l'étude des causes complexes de la criminalité et qui s'interroge sur la
meilleure façon de la prévenir ».

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57

Ce principe exige que la peine soit adaptée à la nature, aux circonstances de


l’infraction et à la personnalité du coupable.

La nature de l’infraction peut orienter le juge vers le choix d’une peine particulière.
Dans le temps, le juge pénal sanctionnait d’une même peine tous les cas de vol, qu’il s’agisse
du vol d’une petite casserole ou d’une voiture de luxe. C’est grâce à la criminologie que le
juge est arrivé à tenir compte de la nature de l’infraction dans la fixation de la peine. Ce sont
les criminologues qui ont mis en exergue le principe de proportionnalité entre la peine et la
gravité de l’acte commis.

Les circonstances dans lesquelles l’infraction a été commise peuvent également être
prises en compte soit pour atténuer soit pour aggraver la peine. Par exemple, un individu qui
menace d’exercer des violences physiques à l’encontre d’un autre puis passe à l’acte le
lendemain démontre une volonté préméditée de porter atteinte à l’intégrité physique de sa
victime. Cette préméditation peut conduire au prononcé d’une sanction plus sévère. Les
circonstances atténuantes et aggravantes sont d’invention criminologique.

Enfin, le juge pénal doit tenir compte de « la personnalité de l’auteur de l’infraction au


regard notamment de ses antécédents judiciaires, de ses capacités physiques et intellectuelles
ou de son éventuelle fragilité ». C’est grâce à la criminologique qu’il existe aujourd’hui de
mesures de sûreté pour les malades mentaux et les mineurs.

Les mesures de sûreté sont en effet des mesures sans coloration morale ; elles sont
prises sans aucune considération de faute chez celui qui en est l’objet, et peuvent, dans ces
conditions, intervenir pour protéger la société contre les infractions que risquent de
commettre des personnes irresponsables ou des personnes à responsabilité partielle ou
atténuée. Elles visent à exercer un contrôle social important sur une personne ou un groupe
de personnes qu'on soupçonne de pouvoir porter atteinte, dans un avenir proche ou lointain, à
la sécurité publique ou à l'ordre public. Les mesures de sûreté ont uniquement un but de
prévention qu’elles s’efforcent d’atteindre par le moyen de la réadaptation ou par le moyen
de la neutralisation. Il en est le cas, par exemple, du placement des malades mentaux dans un
centre neuropsychiatrique.

Les données apportées par la criminologie au droit sont d’une importance capitale.
Elles se révèlent indispensables sous un triple aspect.

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Tout d'abord, elles ouvrent de nouveaux horizons au droit pénal et à ses applications
pratiques. L'application de la loi répressive par les tribunaux relève d'une technique qui n'est
pas seulement juridique et où la psychologie expérimentale a sa large place. Il est certain, par
exemple, que le développement ou, pour mieux dire, le perfectionnement de la législation
applicable aux mineurs délinquants ne peut pas être dissocié des progrès de la psychologie et
de la psychiatrie, générales et infantiles qui sont des sciences auxiliaires de la criminologie, à
côté de la sociologie et de la biologie .
Les sciences criminologiques apportent une deuxième contribution au droit. Elles
l'aident à comprendre les textes légaux. Il faut savoir que ce n'est pas le droit pénal mais les
sciences appliquées, en l’occurrence la criminologie, la psychiatrie…qui permettent de
commenter certaines définitions légales. Le principe du droit pénal aux termes duquel il n'y a
ni crime ni délit lorsque l'inculpé se trouvait en état de démence au moment des faits doit
s'entendre en fonction d'une certaine conception de la psychiatrie, de la criminologie
psychiatrique, de même que procèdent d'une conception différente les textes qui se réfèrent,
pour supprimer ou atténuer la peine, à la circonstance que le sujet se trouvait, au moment des
faits, dans l'incapacité totale ou partielle, en raison de son état mental, de discerner le
caractère délictuel de ses actes et de se comporter suivant ce discernement.

La criminologie contribue d’une manière significative à l’évolution du droit pénal, car


les modifications législatives ou l’élaboration des nouvelles lois répressives résultent
largement des recherches criminologiques.

L’étude du droit pénal spécial a bénéficié, depuis quelques décades, des recherches
menées par les criminologues. La criminologie essaie d’expliquer le comportement des
délinquants, afin d’éclairer le législateur sur les mesures les plus adéquates à prendre en vue
de provoquer la diminution de la criminalité dans tel ou tel domaine : elle contribue par là au
perfectionnement du droit pénal spécial.

Elle contribue également à mettre en évidence le caractère dangereux de certaines


attitudes sociales et elle incite le législateur à les réprimer, en indiquant à cette occasion à
quels impératifs les incriminations à créer doivent obéir pour être efficaces. C’est aux travaux
des criminologues que l’on doit la répression rigoureuse de la conduite d’un véhicule alors
que le conducteur se trouve en état d’ivresse ou sous l’empire d’un état alcoolique, ou la mise
sur pied de nouveaux moyens de lutter contre le proxénétisme.

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Après avoir analysé les apports de la criminologie au droit (surtout au droit pénal), il
convient d’examiner la contribution du droit pénal à l’édification de la criminologie

En effet, la criminologie serait peu de chose sans le droit pénal spécial, car elle ne peut
pas faire abstraction des qualifications plaquées par la loi sur les comportements délictueux.
L’objet de l’étude à laquelle se livre la criminologie est d’abord le comportement des
délinquants : or le délinquant, c’est la loi qui le définit. La criminologie travaille donc, pour
une très large part, sur le « matériel » fourni par la loi pénale.

Mais il serait erroné de penser que la criminologie se trouve placée dans l’entière
dépendance du droit pénal spécial. Deux remarques permettent de s’en assurer.

1° Il est d’abord évident que les données pénales ne lient nullement le chercheur
criminologue. Là où le pénaliste parle du meurtre comme d’une notion juridique unitaire, le
criminologue expliquera qu’à l’intérieur de la vaste catégorie des auteurs d’homicides
volontaires, il existe des types nettement différenciés : le meurtrier par agressivité, le
meurtrier par pulsion sexuelle, le meurtrier à réactivité primitive, celui qui agit sous l’empire
d’une crise, celui aussi pour qui l’homicide est le moyen de réussir un vol, enfin le meurtrier
par idéologie. On peut semblablement découvrir, pour d’autres infractions classiques telles
que le vol, les infractions sexuelles, les destructions ou dégradations, des distinctions
criminologiques importantes à l’intérieur des types juridiques définis.

2° La criminologie ne se contente plus de faire, des délinquants, son champ d’étude exclusif.
Voici que, sous le couvert de la notion de déviance, elle a étendu la portée de ses recherches
et de ses constatations : le déviant est un para-délinquant, qui présente certains des traits de
comportement du criminel, ou qui se trouve soumis aux mêmes processus de marginalisation
sociale, puis d’opposition ouverte aux impératifs sociaux. Il suffit de songer aux prostituées,
que le droit pénal français ne punit plus en tant que telles depuis près de deux siècles, à
certains jeunes oisifs, aux vagabonds et mendiants (alors que les dispositions du Code pénal
qui visent ces deux derniers groupes sont inefficaces et de plus en plus inappliquées). Par
l’élargissement de ses préoccupations, la criminologie aide à dépasser le droit pénal spécial et
à ne pas se contenter des éléments d’étude que celui-ci lui fournit.

Contrairement au pénaliste, le criminologue étudie toutes les situations problématiques


même si elles ne sont pas revêtues d’une qualification juridique. Par exemple, le criminologue

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congolais s’intéressera à la sorcellerie même si elle ne constitue pas une infraction aux termes
du code pénal.

Il convient de souligner, cependant, que le criminologue en étudiant un fait qualifié


infractionnel par la loi pénale, ne doit pas recouvrir aux mêmes concepts (concepts juridiques)
que le juriste, car les concepts juridiques résultant du code institutionnel ont une vocation de
jugement. Le criminologue utilise les concepts descriptifs qui lui permettent de conserver sa
neutralité mais aussi de s’insérer facilement sur le terrain de recherche.

§3. La criminologie et la pénologie


La pénologie est la branche des sciences criminelles qui étudie les peines, les règles de
leur exécution et les méthodes utilisées dans leur application.

Autrefois, on parlait de "science pénitentiaire" parce que son objet se rapportait aux
seules peines privatives de liberté et plus particulièrement la peine d’emprisonnement. Mais la
science pénitentiaire s'est élargie à la pénologie à partir du moment où elle a pris aussi pour
objet d'étude les peines et les mesures de sûreté autres que l'emprisonnement.

Plusieurs auteurs (Raymond GASSIN, Jean PINATEL) observent qu'à la fin du siècle
dernier, on assimilait généralement en France la pénologie à la criminologie. Cette conception
est encore adoptée actuellement aux Etats-Unis et elle s'explique par le fait que si l'on veut
prévenir efficacement la récidive, il faut bien connaître les facteurs de la délinquance ce qui
est l'essence de la criminologie.

La criminologie cherche à comprendre et à expliquer le phénomène criminel, à


découvrir les causes, la personnalité de l’auteur et à prévenir la criminalité. Ainsi définie, la
criminologie se trouve très intimément liée à la pénologie car elle lui offre le cadre
scientifique pour son action en lui permettant de mieux connaitre les mobiles et les
circonstances de l’activité criminelle en vue de concevoir un traitement curatif et préventif
plus approprié.

§4. La criminologie et la politique criminelle

I. Rapport entre politique criminelle et criminologie


L’expression « politique criminelle » trouve son origine dans la définition élaborée par
Feuerbach en 1803, suivant laquelle la politique criminelle constitue l’« ensemble des
procédés répressifs par lesquels l’Etat réagit contre le crime ».

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Pour Mireille DELMAS-MARTY, la politique criminelle comprend « l’ensemble des


procédés par lesquels le corps social organise les réponses au phénomène criminel ».

En 1975, Marc ANCEL précise qu’il s’agit d’« un système cohérent et raisonné de
réaction sociale anti-délictueuse ».

Le but essentiel de la politique criminelle est d’assurer le maintien de l’ordre social. Et


pour ce faire, la politique criminelle consiste à des mesures préventives (éducatives, sociales
(création de l’emploi, par ex.), médicales (internement des malades mentaux, par exemple),
etc.) et des mesures répressives (emprisonnement, amende, etc.).

BECCARIA affirmait que « le moyen le plus sûr, mais le plus difficile, de lutter contre
le crime est de perfectionner l’éducation »7. Plus d’un siècle après lui, VON LISZT (1882)
prononcera cette phrase devenue célèbre : « Une bonne politique sociale est la meilleure
politique criminelle ».

Il convient de souligner que l’organisation rationnelle de la lutte contre le crime se


base en général sur des données récoltées par la criminologie. La connaissance des causes de
la criminalité constitue le premier pas vers la lutte contre la délinquance. La politique
criminelle est l'organisation rationnelle de la lutte contre le crime sur base des données de la
science criminologique. Elle désigne l'ensemble des mesures à prendre pour tenter de faire
diminuer la criminalité.

Les statistiques des affaires criminelles du Tribunal de Grande Instance de Bukavu de


l’année 2015 montrent que la majorité des détenus (prévenus et condamnés) sont poursuivis
pour vol simple ou vol qualifié. 551 dossiers ont été enregistrés au courant de l’année
précitée. La plupart de ces détenus sont sans emploi.

Au regard de ce précède, on constate que le manque d’emploi est le facteur principal


de la criminalité dans la ville de Bukavu et le phénomène criminel est en gros dominé par
l’instinct de survie.

En ayant cette information importante, il devient alors facile de proposer une politique
de création d’emploi comme mesure efficace de lutte contre la criminalité.

7
C’est dans cette perspective que Victor Hugo soutient que « Celui qui ouvre une porte d'école, ferme une
prison ».

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II. Critère d’évaluation d’une politique criminelle

Toute politique criminelle rationnelle repose sur quatre critères cumulatifs :

- La légitimité : une bonne politique criminelle est celle qui est acceptée par la population.
En élaborant une politique criminelle, il importe de tenir compte de la culture de la
population.
- L’effectivité : Ici, il s’agit de s’interroger sur la mise œuvre ou l’application de la mesure
proposée, car on peut proposer une politique criminelle qui restera lettre morte.
- L’efficience : la question du coût doit être prise en considération dans l’appréciation
d’une bonne politique criminelle.
- L’efficacité : Il s’avère impérieux de se poser la question si la politique criminelle
envisagée atteindra le résultat escompté

Les critères ci-dessus permettent d’apprécier une bonne politique criminelle.

III. Critique sur la politique criminelle actuelle

Le but ultime de la politique criminelle est de tenter de prévenir la criminalité. Il y a


aujourd’hui différents moyens de prévenir ; c’est le pari actuel du droit pénal.
Paradoxalement, les pays où on punit le plus sévèrement sont les pays dans lesquels la
criminalité est la plus élevée. Les gens qui font de la politique criminelle font souvent plus de
la politique que de la prise en charge de la criminalité. La politique criminelle, ce sont des
choix de politique mais qui ne vont pas forcément dans le sens d’une diminution de la
criminalité. Ex : USA : les Etats qui ont instauré la peine de mort pour réprimer les crimes ont
connus une augmentation des crimes de sang.

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CHAPITRE II : LE DEBAT SUR LE LIBRE ARBITRE VERSUS LE


DETERMINISME

Il est évident que si l’on considère que l’individu est doté d’un libre-arbitre, c’est-à-
dire qu’il choisit librement, en âme et conscience, de passer à l’acte, la manière dont on va
envisager la criminologie, est différente que si on envisage ce même individu comme étant
déterminé par un certain nombre de facteurs (biologiques, psychologiques, sociologiques,…).

Ce débat libre-arbitre par opposition au déterminisme traverse l’histoire de la


criminologie. En effet, cette discipline à caractère scientifique est née en postulant que
l’individu, contrairement à ce que défendaient les tenants de l’école pénale classique, était un
être entièrement déterminé et qu’il fallait donc aller rechercher les causes du passage à l’acte.
Il s’agissait d’expliquer les facteurs qui peuvent déterminer un individu à passer à l’acte
criminel.

La philosophie de notre époque a démontré qu’il y avait là une fausse opposition,


liberté et déterminisme (ou libre arbitre et déterminisme) étant parfaitement
compatibles scientifiquement parlant. Les criminels sont donc à la fois libres et
déterminés sauf les malades mentaux qui sont prédéterminés à commettre les crimes en
raison des troubles psychiques dont ils souffrent.

Section 1. Le libre arbitre


La conception d’un être humain doté d’un libre arbitre est intimement liée à la
conception libérale de la société. Pour les tenants de cette conception, nous sommes tous
responsables de nos actes. Cette conception est en quelque sorte à l’origine de nos sociétés
démocratiques et est défendue par les théoriciens du contrat social.

§1. La naissance de la rationalité pénale moderne


Il est essentiel de s’attarder quelques instants sur l’Ecole classique et la naissance du
droit pénal tel que conçu par cette école. En effet, on peut soutenir que la criminologie est née
en réaction à la conception véhiculée par cette école concernant l’individu criminel. Par
ailleurs, cette école livre en quelque sorte son objet à la criminologie puisqu’elle est au
fondement du système pénal moderne et de la définition de ce qu’est ou non un crime.

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A l’origine de la rationalité pénale moderne se trouve un certain nombre de


philosophes qui appartiennent à ce qu’on appelle en général la philosophie des Lumières.
Ceux-ci se situent en réaction à la manière dont la justice pénale est conçue sous l’Ancien
Régime (l’ancien régime est le système social en vigueur avant la Révolution française). C’est
pourquoi il nous semble important de reprendre brièvement la manière dont la justice est
conçue sous l’ancien régime.

§2. L’Ancien Régime


La justice sous l’ancien Régime avait un double fondement : La vengeance et l’expiation.
Le crime était considéré comme une offense au Roi et par voie de conséquence il nécessitait
une vengeance terrible. Le Roi était d’essence divine. Il était considéré comme le
représentant de dieu sur terre.

Sous l’Ancien régime, les peines étaient inégales, arbitraires et cruelles :

➢ Inégales car variant selon la condition de la personne. Pour les mêmes faits, les peines
étaient différentes selon qu’on est riche ou pauvre ;
➢ Arbitraires car non préalablement prévues par un texte, insécurité juridique dans le sens
où les individus ne savaient pas quels actes étaient punissables ou non ;
➢ Cruelles : la peine de mort était la peine de référence. Elle était toujours précédée par des
supplices.

§3. Beccaria : Traité des délits et des peines de 1764


C’est en réaction à la manière dont la justice était rendue pendant l’Ancien Régime
que Beccaria rédigea son traité. Fortement influencé par les philosophes du contrat social, il
structura son traité autour de quelques principes. Pour lui, les individus ont confié une
parcelle de leur liberté à un souverain pour que celui-ci leur garantisse la sécurité de leurs
biens et leur personne (principe de base du contrat social), fondant ainsi la souveraineté de la
nation, mais aussi, corrélativement « le fondement du droit de punir ». Selon Beccaria, « tout
exercice de pouvoir qui s’écarte de cette base est abus et non justice » ; « tout châtiment est
inique (contraire à l’équité, injuste) aussitôt qu’il n’est pas nécessaire à la conservation du
dépôt de la liberté publique ; et les peines seront d’autant plus justes que le souverain
conservera aux sujets une liberté plus grande, et qu’en même temps les droits et la sûreté de
tous seront plus sacrés et plus inviolables ».

Beccaria tire plusieurs conséquences de ces principes :

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65

La première conséquence de ces principes est que les lois seules peuvent fixer les
peines de chaque délit, et que le droit de faire des lois pénales ne peut résider que dans la
personne du législateur, qui représente toute la société unie par un contrat social. Or, le
magistrat, qui fait lui-même partie de la société, ne peut avec justice infliger à un autre
membre de cette société une peine qui ne soit pas statuée par la loi; et du moment où le juge
est plus sévère que la loi, il est injuste, puisqu’il ajoute un châtiment nouveau à celui qui est
déjà déterminé. Il s’ensuit qu’aucun magistrat ne peut, même sous le prétexte du bien public,
accroître la peine prononcée contre le crime d’un citoyen. Selon Beccaria, « avec des lois
exécutées à la lettre, chaque citoyen peut calculer exactement les inconvénients d’une
mauvaise action, ce qui est utile, puisque cette connaissance pourra le détourner du crime ».

La deuxième conséquence est que le souverain, qui représente la société même, ne


peut que faire les lois générales, auxquelles tous doivent être soumis; mais qu’il ne lui
appartient pas de juger si quelqu’un a violé ces lois. En effet, dans le cas d’un délit, il y a
deux parties : le souverain, qui affirme que le contrat social est violé, et l’accusé, qui nie cette
violation. Il faut donc qu’il y ait entre eux un tiers qui décide la contestation. Ce tiers est le
magistrat, dont les sentences doivent être sans appel, et qui doit simplement prononcer s’il y a
un délit ou s’il n’y en a point.

En troisième lieu, la cruauté des peines est inutile. Dès lors, pour que le châtiment
produise l’effet que l’on doit en attendre, il suffit que le mal qu’il cause surpasse le bien que
le criminel retire du crime. Puisque le plaisir et la souffrance sont à la base de toute action
humaine, ce n’est pas tant la sévérité des peines qui a un effet préventif, c’est la certitude
qu’elles soient appliquées.

Pour Beccaria, l’échelle de gravité des crimes repose sur le dommage qu’ils causent à
la société. Dans la mesure du dommage causé, c’est bien l’acte et non l’intention qui doit être
pris en compte, car si l’on punissait l’intention, dit Beccaria, « il faudrait avoir non seulement
un code particulier pour chaque citoyen mais aussi une nouvelle loi pénale pour chaque
crime ». La mesure de la peine quant à elle, devra être strictement proportionnelle à la mesure
du délit. Si ce n’était pas le cas, on ne pourrait plus faire aucune distinction entre les délits.

Exemple : Un vol de 500.000 FC doit au moins être puni d’une amende de 700.00 FC
mais seulement à condition que la peine pour homicide soit supérieur à celle du vol. Selon
Beccaria, « Si un châtiment égal frappe deux délits qui portent à la société un préjudice

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inégal, rien n’empêchera les hommes de commettre le délit le plus grave des deux s’il
s’accompagne pour eux du plus grand avantage ».

On peut relier l'origine du droit pénal à la publication du Traité des délits et des
peines de Cesare Beccaria paru en 1764. Dans cet ouvrage, Beccaria plaide pour cinq grands
principes de justice :

1) La justice doit être égale pour tous.

2) Les lois doivent être écrites et codifiées afin que nul ne l'ignore.

3) Les lois doivent être sûrement et prestement appliquées (la certitude d'être jugé et
la célérité du jugement peuvent avoir un effet préventif)

4) La peine doit être définie par la loi

5) La punition doit être humaine (Beccaria prône l'abolition de la peine de mort, la


classification des détenus, l'étendue des privations de liberté…)

Il résume ses principes sous l'adage " Nullum crimen nulla poena sine lege".

Trois idées sous-tendent au droit pénal:

1) L'homme est rationnel, il est doté du libre arbitre.

2) L'homme est responsable de ses actes (principe de l'Homo Economicus).

3) La peine est considérée comme ayant un effet dissuasif.

Ces principes énoncés par Beccaria ont une influence capitale sur de nombreux codes
pénaux. La peine doit étroitement coller au crime avec une certaine forme d'automatisme. La
rigidité des codes pénaux ne permet cependant pas de tenir compte de la personnalité du
criminel ni des circonstances.

Le principal obstacle est que le même traitement soit d'application pour tous (criminel
primaire ou récidiviste, enfant ou adulte…).

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§4. L’Ecole classique


C’est sur de telles bases que se construit l’école classique dont les racines philosophiques
peuvent se résumer en quatre points suivants :

➢ Le libre-arbitre : l’homme est capable de choisir le cours de son action, sans l’influence
extérieur. Il est libre de choisir entre le bien et le mal ;
➢ L’hédonisme : l’homme est guidé par la recherche du plaisir et l’évitement de la
souffrance ;
➢ Le rationalisme : l’action humaine se base sur la raison ;
➢ Le contrat social : ses conséquences sur le droit pénal peuvent se résumer comme suit :
✓ Une justice égale pour tous : les lois s’appliquent à tous et tous doivent être traités
de manière égale,
✓ Les lois doivent être écrites et codifiées afin qu’elles soient accessibles et connues
de tous,
✓ Les lois doivent être surement et rapidement appliquées, la certitude de
l’intervention pénale assurant la certitude de l’effectivité des lois,
✓ Pas de crime, ni de peine qui ne soient définis par la loi,
✓ Les peines doivent être proportionnelles à la gravité de l’acte.

Pour l’Ecole classique donc, le crime est un préjudice social légalement défini. C’est
le droit positif qui détermine, objectivement, la gravité de l’infraction, c’est-à-dire le degré
d’atteinte à la société. L’accent est ainsi mis sur l’élément légal et l’élément matériel de
l’infraction.

La perspective criminologique qu’esquisse l’Ecole classique est ainsi nettement


normative, ne s’intéressant qu’au domaine des normes, de la réforme du droit, en l’occurrence
du droit pénal. Elle n’a aucune prétention scientifique. C’est une orientation philosophique.
Puisque le délinquant, comme tout individu, calcule ses actes en fonction des coûts et des
bénéfices qu’il peut en tirer, la société doit augmenter les coûts du crime et diminuer ses
bénéfices afin de dissuader les individus de passer à l’acte.

I. L’utilitarisme de Jeremy Bentham (1748-1832) : la peine doit être utile

Cette vision utilitariste de l’école classique doit beaucoup à la réflexion de Bentham.


Pour lui, la peine doit être utile, c’est-à-dire avoir un effet préventif, dissuasif. A cette fin, il
faut punir de manière certaine, mais pas plus qu’il n’est utile. Pour que la peine soit appliquée

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et comprise, elle doit être acceptée par les citoyens. Si elle est trop sévère, les citoyens ne
l’accepteront pas et elle ne sera pas perçue comme légitime. Elle ne peut donc pas être un
instrument de vengeance, mais bien de dissuasion et de prévention.

Bentham parle aussi du « principe d’analogie ». L’idéal de la peine est d’être une sorte
de copie du crime. Exemple : vous avez tué quelqu’un, la peine doit être la peine de mort.
Dans son esprit, l’analogie frappe l’imagination et produit une association plus vive entre le
délit et la peine, ce qui est considéré comme plus efficace pour la dissuasion.

II. Le rétributivisme d’Emmanuel Kant : « œil pour œil, dent pour dent » (punir
pour punir et non pour dissuader ou amender le coupable).

Pour Kant, le droit de punir puise son fondement dans une sorte d’obligation morale
qu’a l’autorité hiérarchique de rétablir l’ordre en imposant une souffrance au coupable. Il faut
punir pour punir et non pas pour dissuader, pour prévenir ou pour amender le coupable.

La peine est chez Kant un mal infligé en raison d’une faute. La loi pénale est un
impératif catégorique. Même si demain, c’était la fin de l’humanité, le coupable d’un crime
devrait être châtié. Si nous ne punissons pas les coupables, la justice n’est pas faite et nous
sommes tous complices de leurs crimes.

§5. Réception, application et critique des idées classiques


Il est incontestable que la Révolution française de 1789 a favorisé la réception des
idées classiques dans les systèmes juridiques. Ainsi, la déclaration universelle des droits de
l’homme et du citoyen affirma notamment le principe de légalité dont on trouve une
expression majeure dans le code pénal français de 1791 et dans celui de 1795.

Ces codes instituent un système de peines fixes correspondant au crime selon la


gravité de l’infraction. Le juge n’a plus qu’à se préoccuper de l’imputabilité et de la
culpabilité, puis à appliquer à la lettre le tarif prévu par le code.

L’application de ces codes ne s’est pourtant pas faite sans difficulté. Ils sont d’une
rigidité telle qu’il est impossible de prendre en compte la différence. L’égalité, chère aux
révolutionnaires, est ici synonyme d’identité. Il est pour le juge impossible de tenir compte
des différences entre individus, entre circonstances et situations dans la commission des
infractions, entre délinquants primaires et récidivistes, entre individus majeurs et mineurs ou
aliénés.

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Or pour respecter le principe d’égalité devant la loi, il faut tenir compte de l’inégalité
des contrevenants, c’est-à-dire des individus qui comparaissent devant les tribunaux. En gros,
l’uniformité est génératrice d’injustices. L’idée n’est pas ici de tenir compte de la situation
sociale des individus puisqu’alors on reviendrait en quelque sorte à une justice de classe
comme sous l’ancien régime, ce qui va totalement à l’encontre des principes individualistes
prônés par la Révolution française.

Diverses réformes furent introduites, dans une perspective qualifiée parfois de


« néoclassique » dont le but était de tenir compte de certaines de ces différences, mais aussi
d’éviter que les juges n’en viennent à acquitter dans des situations où ils estimaient que le
tarif pénal était profondément injuste.

Le code pénal de 1810 va introduire un minimum et un maximum de la peine,


permettant au juge d’avoir une certaine latitude dans les tarifs. En 1832, seront introduites les
circonstances atténuantes. Progressivement, les idées de responsabilité et de discernement et
de la prise en compte de l’état mental et de l’état de minorité vont faire leur chemin.

Reste que les critiques vont se multiplier à l’encontre du système jugé trop abstrait et
technico-juridique. La loi est devenue une fin en soi, inflexible, alors qu’elle devrait être un
instrument pour rencontrer certains besoins de la société.

Ce système abstrait ne se soucie pas de changer le délinquant en vue d’en faire un


citoyen utile et productif. La répression ne doit pas viser l’action du délinquant, elle ne doit
pas être tournée vers le passé, mais vers le futur. Elle doit pouvoir mesurer sa dangerosité et
c’est celle-ci qui doit guider la mesure à prendre.

Pour cela il faut une connaissance approfondie du délinquant, c’est-à-dire son étude
scientifique. On va donc commencer à s’occuper scientifiquement du délinquant, notamment
grâce à la médecine et à la psychiatrie. C’est cette conception qui est à la base de la naissance
de la criminologie comme discipline scientifique.

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Section 2. Le déterminisme
Comme nous l’avions souligné précédemment, la criminologie est née en réaction aux
thèses de l’Ecole classique. On considère communément que c’est l’Ecole positiviste italienne
qui donne naissance à la « criminologie » comme une activité scientifique.

Partant du constat d’échec du système pénal en vigueur tel qu’élaboré par l’Ecole
classique, puisque la criminalité ne cesse d’augmenter, que les peines sont inefficaces et que
les prisons ressemblent à une école du crime, l’Ecole positiviste italienne optera pour une
position radicalement différente.

Cette école a pour objectif de produire, en s’appuyant sur les méthodes et techniques
des sciences dites positives telles qu’elles se sont développées à la fin du 19ème siècle, un
savoir sur le crime, le criminel et la réaction sociale, qui puisse acquérir le statut de science.
Cette école vise par ailleurs aussi à élaborer un modèle de réaction sociale et pénale qui a
pour but d’enrayer et/ou de contrôler les comportements socialement indésirables appelés
« crimes ou délits » en se basant sur l’étude de l’homme criminel. Le droit pénal devient alors
une simple application des connaissances criminologiques. Cette école est à l’origine du
mouvement de défense sociale.

La criminologie se construit donc autour d’une conception de l’être humain comme un


individu déterminé par certains facteurs (biologiques, psychologiques, sociologiques) et non
pas libre des actions qu’il pose. Il est évident que si l’on veut expliquer le passage à l’acte, on
est en quelque sorte obligé de considérer que l’individu est pour une bonne part déterminé. La
question est évidemment de savoir par quoi il est déterminé et s’il y a moyen de changer
l’individu.

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CHAPITRE III : L’ECOLE POSITIVISTE ITALIENNE

C’est au sein de cette école que se construit de la manière la plus claire, la thèse de la
différence intrinsèque entre « criminel » et individus « normaux ».

Les tenants de cette école sont : Cesare LOMBROSO, Enrico FERRI et Raffaele
GAROFALO.

Section 1 : Cesare LOMBROSO (1835-1909)


Cesare LOMBROSO est né à Vérone. Ses études médicales le conduisent à se
spécialiser en psychiatrie. En 1859, il publie sa thèse de doctorat en médecine sur le
crétinisme et s'engage comme médecin militaire au cours de la même année.

En 1876, il enseigne la médecine légale et l'hygiène à l'université de Turin où il


devient professeur de psychiatrie clinique (1896) puis d'anthropologie criminelle (1906).

Au cours de cette activité professionnelle, il examine 383 crânes de criminels italiens


et 5907 délinquants vivants.

C'est à partir de cette observation que Lombroso va dégager sa théorie du criminel né.
Pour Lombroso, le criminel est un anormal de type biologique.

En 1870, lors de l’autopsie d’un homme réputé dangereux, Villela, Lombroso


découvre une énorme fossette occipitale qu’il met en rapport avec un autre creux
surdéveloppé, les deux creux étant également présents chez les vertébrés inférieurs. Il en
déduit que les caractéristiques des hommes primitifs et des animaux inférieurs continuent à
exister. C’est le point de départ de toute une théorie sur le crime. L’évidence saute aux yeux
de Lombroso : « quand un homme se prête à l’horreur du crime, c’est qu’il n’a pas suivi
l’évolution propre à l’homme, c’est qu’il s’est arrêté dans l’évolution normale et qu’il
témoigne d’une histoire plus ancienne. Pour Lombroso, le criminel est un atavus, càd un
vestige du passé, un primitif attardé parmi nous.

C'est en découvrant sur les crânes des délinquants l'existence d'une fossette occipitale
anormalement développée, que Lombroso énonce ce qui deviendra la théorie du "criminel-
né".

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Il affirme, en effet, que le véritable criminel est un type d'homme en voie de régression
vers le stade atavique. Il pense avoir prouvé que la morphologie du criminel, ses réactions
biologiques et psychologiques sont celles d'un individu arrêté dans l'évolution menant à
l'homme "normal", resté en arrière comme le sont encore, selon lui, les sauvages primitifs.

Bref, le criminel serait, dans nos sociétés évoluées, une survivance du sauvage
primitif. Il se reconnaitrait alors par des stigmates anatomiques, morphologiques, biologiques
et fonctionnels.

Ces caractères peuvent apparaître pour la première fois chez le criminel-né, alors qu'ils
n'étaient pas visibles chez les parents de celui-ci. L'atavisme est, on l'a vu, la réapparition de
caractères qui viennent d'ancêtres plus lointains.

En ce sens, Lombroso est l'homme de son temps. Disciple de Darwin, il a interprété


ses constatations à la lumière de la théorie de l'évolution. Or cette théorie postulait une
continuité essentielle entre les animaux et l'homme. De là l'idée que le crime est atavique,
c'est-à-dire qu'il reproduit une manière d'agir d'un stade ancien de l'évolution.

Dans son ouvrage "L'homme criminel" (1876), Lombroso décrit les stigmates
physiques du criminel-né. Ainsi, par exemple, l'homme enclin au viol serait caractérisé par la
longueur des oreilles, l'écrasement du crâne, les yeux obliques et très rapprochés, le nez épaté,
la longueur excessive du menton. Le voleur, pour sa part, se distinguerait par une remarquable
mobilité du visage et des mains, par ses yeux petits, inquiets et toujours en mouvement, par
ses sourcils épais et tombants, par son nez épaté, sa barbe rare, son front bas et fuyant. Le
meurtrier, enfin, se révèlerait par l'étroitesse du crâne, la longueur des maxillaires et des
pommettes8 saillantes.

Aux yeux de Lombroso, le criminel-né est voué au crime car son état de régression,
non seulement biologique mais aussi psychique par rapport à l'homme "normal" le rend inapte
à obéir aux lois pénales faites par et pour des hommes différents de lui.

Ainsi, dans sa conception, on trouve la croyance rassurante en une différence


irréductible de nature séparant les criminels du reste de l'humanité.

8
Pommette : partie la plus saillante de la joue, située au-dessous de l'œil.
Saillant : qui avance, qui sort en déhors

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Très souvent, et en particulier dans les manuels de criminologie, la présentation de la


théorie de LOMBROSO s'arrête à ce concept de "criminel-né", et on ajoute très rapidement
ensuite que Lombroso n'admit l'existence de "facteurs sociaux" que tardivement et sous
l'impulsion de ses contradicteurs. Cette présentation n'est pas tout à fait fausse, mais elle est
en partie biaisée car la théorie du "criminel-né" ne saurait exprimer à elle seule la théorie de la
criminalité de Lombroso.

Il est vrai que la spécificité de l'approche est bien d'avoir insisté sur le phénomène du
criminel-né. Mais, en fait, Lombroso, conformément à sa formation de médecin, ne faisait que
percevoir le criminel comme un individu anormal, pathologique. Etant déviant, l'individu
devait bien porter sur lui les symptômes de sa pathologie et le but de l'anthropologie
criminelle était de déterminer ces signes.

Mais Lombroso ne convainquit personne très longtemps avec son hypothèse de


criminel-né. Aussi, il évolua assez rapidement vers la fusion des concepts de "criminel-né", de
"folie morale" et d'"épileptique" : le criminel-né était reconsidéré comme un individu à fond
épileptoïde dont le caractère inné du comportement criminel était dû à un processus atavique
qui faisait de lui une espèce de "fou moral" ou, pour utiliser une autre expression chère à
Lombroso, un "crétin du sens moral".

Mais si Lombroso essaya surtout d'établir une causalité biologique, il ne se


désintéressa pas pour autant des facteurs du milieu social. Dès la deuxième édition de son
livre, en 1878, il aborde les influences néfastes de la pauvreté, de l'alcool, de
l'émigration...etc.

Lombroso ne fit pas jouer, dans son explication, la théorie de la dégénérescence: il


admet, bien sûr, l'idée d'un arrêt du développement de l'individu criminel, mais il le fait
dériver de l'atavisme et non de processus de dégénérescence chers aux aliénistes et à certains
médecins.

La distinction n'est pas gratuite ; nous verrons, en effet, que Lombroso trouva ses plus
terribles adversaires dans les partisans de la dégénérescence.

Avec sa théorie liant atavisme, folie morale et épilepsie, et facteurs du milieu social,
Lombroso a cherché à fédérer toutes les explications de la criminalité de l'époque. C'est
pourquoi son système a connu une grande renommée, parce que, d'après lui, ce système devait
permettre de rendre compte de tous les comportements criminels.

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Puisque l’homme criminel est un vestige du passé, qu’il n’a pas de sens moral, selon
Lombroso, il n’a aucune intériorité, il n’a pas d’espace interne : il ne peut y avoir de la place
en lui pour des sentiments, pour la réflexion : le criminel est un être insensible. En témoigne,
selon lui, les nombreux tatouages qu’il porte. Mais puisqu’il ne possède pas de morale, pas de
sentiment, il ne possède qu’un moi : la réalité d’autrui est totalement étrangère. L’autre
n’existe tout simplement pas.

Lombroso, comme on l'a dit en commençant ce cours, fait partie de l'Ecole positiviste
italienne. A ce titre, sa théorie a eu une très grande importance historique dans la mesure où
elle rompt, pour la première fois, d'une manière systématique, avec la conception abstraite du
criminel des juristes et qu'elle introduit la méthode positive et expérimentale dans l'étude du
criminel.

Mais, la théorie de Lombroso est aujourd’hui dépassée. En fait, les gènes ne sont plus
considérés comme des déterminants du développement du comportement criminel, mais bien
comme interagissant avec l’environnement, qui constitue un élément essentiel à l’expression
génétique et à l’acquisition de comportement (Susman et Stoff, 2005). Ce constat est issu de
la recherche en génétique du comportement, laquelle a grandement progressé au cours des
dernières années. L’influence de l’environnement familial et social est incontournable pour le
développement d’un individu vers une trajectoire déviante : quelle que soit la constitution
génétique de ce dernier, aucun facteur de risque individuel n’apparait suffisant sans un apport
spécifique de son environnement.

Section 2 : Enrico Ferri (1856-1929)


Enrico FERRI a une conception très vaste des causes du crime : il accorde, certes, une
place de choix aux facteurs sociaux, mais il tient compte également d'autres facteurs, et en
particulier des facteurs biologiques et géographiques.

Enrico Ferri (1856-1928) a été essentiellement un réformateur des institutions


judiciaires. Professeur de droit pénal à Rome puis à Turin, il fut aussi un homme politique
socialiste élu député de 1886 à 1924. En 1919, il préside la commission italienne préparant un
nouveau code pénal.

La science de la criminalité, que Ferri appelle sociologie criminelle, l'amène à


distinguer le crime comme fait individuel et la criminalité comme phénomène social. Il fait la

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synthèse de sa théorie dans un ouvrage, publié en 1881, "Les nouveaux horizons du droit
pénal", qui sera réédité par la suite sous le titre "Sociologie criminelle".

Disciple de Lombroso, E. Ferri croit, comme lui, au déterminisme. Mais alors que
Lombroso se limite au seul déterminisme biologique, E. Ferri, conscient de la multiplicité des
facteurs en jeu dans le phénomène criminel, va étendre ce déterminisme aux facteurs sociaux.

Pour Ferri, le crime est déterminé par toute une série de causes à la fois biologiques,
physiques et sociales, sur lesquelles l'homme n'a aucune liberté.

Dans la théorie de Ferri, il n'y a pas de place pour le libre arbitre. Certes, l'homme a
l'impression d'être libre, il "décide" d'agir dans un sens qu'il croit avoir choisi, mais son libre
arbitre n'est finalement qu'une illusion. Son caractère, son tempérament, les forces physiques
et sociales naturelles déterminent son comportement.

Ferri va chercher à identifier les différents facteurs qui déterminent l'homme à


commettre un crime. Il retient alors trois sortes de facteurs :

*1er groupe : les facteurs anthropologiques, inhérents à la personne du criminel, qui,


à leur tour se divisent en trois sous-groupes :

- le premier sous-groupe concerne la constitution organique du criminel et comprend toutes


les anomalies organiques et tous les caractères corporels en général ;

- le deuxième sous-groupe concerne la constitution psychique du criminel et comprend toutes


les anomalies de l'intelligence et des sentiments ;

- le troisième sous-groupe concerne les caractères personnels du criminel et comprend les


conditions biologiques de race, d'âge et de sexe, les conditions sociales telles que l'état-civil,
la profession, le domicile, la classe sociale, le niveau d'instruction.

*2ème groupe : les facteurs physiques ou cosmo-telluriques sont relatifs au milieu


physique (climat, nature du sol, saison, températures annuelles, conditions atmosphériques).
Les facteurs physiques développés par Ferri nous font penser à la « loi thermique » du belge
QUETELET qui prévoit que les régions méridionales et les saisons chaudes favorisent les
infractions contre les personnes, alors que les régions nordiques et les saisons froides se
caractérisent plutôt par les infractions contre les biens.

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*3ème groupe : les facteurs sociaux résultent du milieu social où vit le délinquant
(densité de population, religion, famille, système d'éducation, alcoolisme...).

Ferri classe les criminels en 5 catégories :

➢ les criminels-nés

Ce sont ceux qui présentent les caractéristiques du type criminel de Lombroso. Ferri
reprend ici les aspects physiologiques et psychologiques décrits par Lombroso. Toutefois, à la
différence de Lombroso, Ferri pense que le criminel-né n'est pas totalement voué au crime.
On peut en effet prévenir l'acte criminel par une meilleure prise en charge sociale du criminel.
Le crime s'explique néanmoins par des facteurs anthropologiques.

➢ les criminels fous

Ils agissent sous l'influence d'une maladie mentale. Ils sont, toutefois peu nombreux
parmi les criminels chez lesquels on rencontre, en revanche, un nombre important de sujets
mentalement anormaux, déséquilibrés psychiquement. Là encore, le crime s'explique par des
facteurs anthropologiques.

➢ les criminels d'habitude

Ce sont les récidivistes endurcis, ancrés dans la criminalité chronique sous l'influence de
facteurs sociaux. Il y a, parmi eux, des criminels d'envergure, véritables professionnels du
crime comme aussi des inadaptés sociaux, spécialisés dans les petits délits.

Le crime s'explique par la combinaison de facteurs sociaux (par l'existence d'un milieu
social défavorable) et de facteurs anthropologiques (par l'existence d'une constitution
psychique fragile).

➢ les criminels d'occasion

Ils sont les jouets de circonstances fortuites, en raison d'une certaine insensibilité morale
et d'une certaine légèreté dans le comportement. Pour Ferri, ils représentent la part la plus
importante des délinquants et leur acte s'explique, là encore, par la conjugaison d'un milieu
social défavorable et d'une personnalité qui, du fait de sa constitution biologique, reste très
fragile.

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➢ les criminels passionnels

Ce sont des sanguins, des nerveux, des sensibles. Emportés par une passion violente :
amour, colère, jalousie. Ils agissent au grand jour, sans préméditation, sans réflexion, sans
préparation.

Ils sont violemment émus avant, pendant et après le crime. Ils avouent immédiatement,
éprouvent de grands remords, tentent de se suicider et deviennent des détenus modèles.

Dans cette classification, on le voit, les facteurs anthropologiques prédominent dans les
deux premières catégories. Par contre, les facteurs sociaux l'emportent dans les trois dernières.

Mais, en tout état de cause, comme le souligne Ferri, l'homme criminel est déterminé par
l'ensemble de ces facteurs. Cette thèse déterministe a conduit Ferri à remettre en cause le
fondement de la responsabilité pénale. Cette dernière, en effet, ne peut être basée sur la faute
qui suppose l'existence du libre arbitre, c'est-à-dire la possibilité de choisir entre le bien et le
mal. La responsabilité pénale ne peut alors être fondée que sur l'idée du risque que le
délinquant fait courir à la société. Aussi, Ferri demande que l'on substitue aux peines
classiques des mesures de défense sociale. Ces mesures de défense sociale annoncent, en
quelque sorte, les mesures de sûreté de notre droit pénal contemporain.

En effet, le droit pénal classique n'envisage guère la peine que sous l'angle de la punition
d'une faute, remplissant les fonctions traditionnelles de rétribution, d'élimination et
d'intimidation. En proclamant que le comportement humain est essentiellement déterminé par
des facteurs physiologiques et sociaux indépendants de la volonté de chacun, Ferri a remis en
question cette conception bien établie de la peine et a affirmé la nécessité non de punir le
coupable, mais de l'empêcher de commettre de nouveaux crimes, c’est-à-dire protéger la
société.

Pour Ferri, "il n'y a pas de crimes, mais des criminels" qu'il convient donc, selon les
cas, de guérir de leurs tendances perverses par un traitement approprié, voire de neutraliser
purement et simplement s'ils se révèlent incurables.

Les mesures de défense sociale, préconisées par Ferri, peuvent ainsi, d'abord, être
fondées sur l'élimination des délinquants dangereux, élimination qui peut être physique (peine
de mort) ou symbolique (transportation des récidivistes).

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Mais surtout, Ferri propose un ensemble de mesures préventives qu'il appelle


"substituts pénaux" destinés à défendre la société contre le danger représenté par le criminel.
Pour lui, ce qui est important dans ces mesures est surtout leur aspect "négatif" : neutraliser le
potentiel dangereux de l'individu. Elles se présentent donc comme des mesures de protection
sociale ayant pour objectif de prévenir la récidive et de neutraliser l'état dangereux du
délinquant : placement des alcooliques dangereux, internement des aliénés, par exemple.

Surtout, et peut-être parce qu'il est aussi un homme politique, Ferri préconise de vastes
transformations de la société. Dans ce but, il s'aide des recherches de sociologie criminelle
qu'il a mené et qui l'ont conduit à formuler des lois relatives à la criminalité.

Ferri admet l'existence de deux lois complémentaires.

La première est celle de la saturation criminelle. Ferri se sert d'une image chimique
pour illustrer cette loi : "Comme dans un volume donné, à une température donnée, se dissout
une quantité déterminée de substance chimique, pas un atome de plus, pas un atome de moins,
de même, dans un milieu social donné, avec des conditions individuelles et physiques
données, il se commet un nombre déterminé de délits, pas un de plus, pas un de moins". Cette
loi régit les sociétés pendant les périodes normales. La loi de saturation criminelle prétend
qu’il y aurait un niveau constant de criminalité pour chaque type de milieu physique ou
social par analogie avec les lois de la physique et de la chimie.

La seconde loi est celle de la sursaturation, valable en cas de changement social


important : quand la société est agitée par certains évènements, la quantité de crimes qui
peuvent se commettre augmente, comme en chimie la quantité de sel qui peut se dissoudre
dans l'eau s'élève jusqu'à un nouveau niveau, dit de sursaturation, si la température du
mélange est portée plus haut.

La conception très vaste de la sociologie criminelle d'E. Ferri veut tendre à démontrer
que le crime est un phénomène complexe dans lequel entrent en ligne de compte de multiples
facteurs, et non pas un seul d'entre eux. C'est pourquoi d'ailleurs, on qualifie souvent la
théorie de Ferri d'approche multifactorielle de la délinquance.

Mais, comme toute tentative de systématisation, la théorie de Ferri a suscité des


critiques, notamment au niveau de la classification des facteurs. Par exemple, R. GASSIN,
dans son manuel de criminologie, se demande pourquoi Ferri range la production agricole
parmi les facteurs du milieu physique quand il classe la production industrielle dans les

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facteurs du milieu social. Il relève aussi que Ferri situe au même niveau tous les facteurs
criminogènes lorsque, vraisemblablement il en est de plus importants que d'autres.

En outre, la théorie de Ferri repose sur une distinction : facteurs anthropologiques


(c'est-à-dire individuels) / facteurs sociaux qui peut sembler assez artificielle.

Pour lui, en effet, la sociologie criminelle doit essentiellement étudier la criminalité en


tant que phénomène social. Dans cette perspective, elle envisage aussi bien les facteurs
individuels que les raisons sociales de la délinquance. Certes, cette distinction entre les
facteurs qui agissent sur le plan collectif et les facteurs qui agissent à l'échelle de l'individu est
intéressante dans la mesure où elle permet :

- d'une part, sur le plan social, d'évoquer les relations qui existent entre une structure sociale
donnée et la criminalité

- d'autre part, à l'échelle de l'individu, d'observer les facteurs qui interviennent à l'égard d'un
cas particulier.

Ainsi, cette théorie permet de distinguer les facteurs généraux auxquels sont soumis
tous les sujets vivant dans une société déterminée et les facteurs individuels propres à chacun
d'entre eux.

Mais, en même temps, la distinction est artificielle parce qu'il existe entre l'individu et la
société des interactions constantes. Or, en isolant les facteurs généraux et les facteurs
individuels de la délinquance, la théorie de Ferri ne peut pas rendre compte de ces
interactions.

C'est d'ailleurs à partir du constat de l'incapacité de la sociologie criminelle à saisir la


relation susceptible de s'établir entre facteurs généraux et facteurs individuels que va se
développer, durant l'entre-deux guerres, aux Etats-Unis, un courant qui va mettre l'accent sur
l'observation de ce carrefour entre le social et l'individuel pour essayer d'expliquer le crime.

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Section 3 : Garofalo (1851-1934)


Juriste de formation, Garofalo fut professeur de droit criminel et magistrat. Influencé
par son maitre, il tente de répondre aux critiques adressées aux anthropologues criminels,
essentiellement Lombroso. Pour Garofalo, les anthropologues sont tellement critiqués car ils
ont négligé, en parlant de criminel, de définir ce qu’ils entendaient par crime. Selon lui, le
terme « crime » ne doit pas être entendu dans son sens juridique. Il le définit comme « une
action nuisible, qui en même temps blesse quelques-uns de sentiments altruistes qu’on est
convenu d’appeler le sens moral d’une agrégation humaine ». Les sentiments altruistes sont
ceux qui ont pour objet direct l’intérêt des autres. Ces sentiments sont la pitié et la probité9.

Les délits naturels sont, selon Garofalo, des crimes qui portent directement atteinte à
un de ces sentiments, voire aux deux. Il faut nécessairement qu’il y ait cet élément
d’immoralité dans l’acte commis pour qu’il soit considéré comme un délit naturel.

Pour Garofalo, la cause essentielle de toutes les formes de criminalité réside dans
l’anomalie morale du criminel. Celui-ci a une psychologie particulière. Son « moi » manque
de sens moral.

Il convient de souligner qu’en ce qui concerne la réaction sociale au crime, Garofalo


considère le droit pénal comme un droit de défense sociale et non plus comme un droit de
responsabilité individuelle et de protection des libertés. La répression vise à préserver l’ordre
social. Selon Garofalo, l’évaluation du choix de la peine à infliger doit se faire non pas en
fonction de l’acte commis, mais en fonction du danger social que l’individu représente.

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Probité : honnêteté scrupuleuse.

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CHAPITRE IV : L’ECOLE SOCIOLOGIQUE FRANÇAISE

Les tenants de cette école sont Gabriel Tarde, Emile Durkheim et Alexandre
Lacassagne.

Section 1 : Gabriel Tarde


Gabriel Tarde (1843-1904) est un magistrat de carrière appelé à la direction du service
des statistiques du ministère de la justice, en remplacement d'Emile Yvernès. Il fut le
fondateur, avec Lacassagne, des archives d'anthropologie criminelle, en 1885.

Il engagea, avec Durkheim, une vive controverse sur la nature du crime. Pour lui, en
effet, le crime n'est pas ce fait social normal défini par Durkheim, pour la simple raison que le
crime contredit le principe d'adaptation, fondement de la lutte pour la vie. Le normal devant
être défini comme ce qui est adapté à la survie, le crime, comme la maladie, ne peut être
considéré que comme pathologique, anormal, puisqu'inadapté à la lutte pour la vie.

En fait, G. Tarde donne une autre définition du fait social. Pour lui, en effet, le fait
social est "la communication ou la modification d'un état de conscience par l'action d'un
individu sur un autre". Et la nature de cette action est d'ordre imitatif : "le caractère commun
des actes sociaux -écrit-il- c'est d'être imitatifs".

Ainsi, un objet social quelconque, un mot d'une langue, un rite d'une religion, un
secret de métier, un article de loi, une maxime morale, se transmet et passe d'un individu-
parent à un autre individu par imitation.

Cette transmission, que Tarde qualifie d'imitation, constitue toute la réalité d'une
chose sociale à un moment donné. Et même s'il peut y avoir des variantes individuelles, cela
n'empêche pas que se dégage une résultante collective.

Bref, pour Tarde, les rapports sociaux ne sont que des rapports interindividuels.

Ces rapports interindividuels sont régis par l'imitation. C'est par le jeu de l'imitation
que se développe et s'organise la vie sociale.

A cette notion d'imitation, Tarde ajoute un second concept qui permet d'expliquer la
vie sociale : l'invention.

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Tarde considère que la vie sociale et son développement se trouvent liés à ces deux
mécanismes qu'il définit de la façon suivante : l'imitation est un fait social élémentaire et
l'invention est une adaptation sociale élémentaire.

Quel est l'intérêt de ces deux notions pour la criminologie ?

En fait, les mécanismes d'invention et d'imitation déterminent pour Tarde la façon dont
les relations et les activités humaines vont se constituer et se développer. Et, parmi ces
activités, on peut naturellement compter celles qui sont qualifiées de délinquantes : ces
activités vont s'organiser selon les mêmes lois que les autres.

L'invention est donc considérée par Tarde comme adaptation sociale élémentaire.
L'invention apparaît, de prime abord, comme un phénomène individuel. Mais Tarde pense que
toute invention est d'abord sociale parce que l'inventeur emprunte à son milieu les outils de
son invention et qu'en plus, toute invention étant destinée à être imitée, devient sociale par ses
effets.

Dans ce contexte, Tarde va situer l'invention criminelle. Il définit d'abord la


délinquance. C'est, dit-il, "une manière de vivre aux dépens des autres". L'invention aura alors
pour objectif de rendre cette "manière de vivre" plus facile et plus rémunératrice : on
cherchera l'organisation la plus efficace, les méthodes les plus adéquates. Et ces inventions ne
naîtront pas du néant : Tarde pense qu'elles consistent à utiliser les caractéristiques de la
société susceptibles de favoriser les entreprises criminelles.

Aussi, selon Tarde, le crime se présente-t-il toujours comme une immoralité nouvelle,
qui naît à un moment donné : le trafic de stupéfiants s'organise en réseaux, les fraudeurs
mettent en place des plans et des techniques de plus en plus complexes. Mais finalement,
l'inventeur criminel utilise, pour réaliser son projet, non seulement les innovations techniques,
mais aussi les points faibles que la société présente, pour créer une nouvelle façon d'en tirer
profit.

A ces réflexions sur l'invention, Tarde ajoute des réflexions sur l'imitation comme fait
social élémentaire.

Pourquoi la société est-elle régie par l'imitation ? Pourquoi passons-nous notre temps à
nous imiter les uns les autres ?

Tarde invoque deux explications :

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- Selon lui, on apprend les règles morales comme on apprend une langue, c'est-à-dire en
associant un mot à une chose et en fortifiant ce lien par la répétition. L'enfant a conscience, en
prononçant un mot, que celui-ci signifie telle chose. Ce jugement, dit Tarde, implique "un
acte de foi" qui se fortifie par la répétition, si bien qu'il arrive un moment où l'enfant est aussi
sûr de la signification vraie de ce mot qu'il peut l'être de la couleur du ciel. Et ce qui est vrai
pour les mots, dit Tarde, l'est également pour les articles d'un code ou les devoirs de la morale
: le tout est de l'ordre de la croyance consolidée par la répétition et soutenue par le désir d'agir
dans le sens de la croyance : à force de se répéter que le meurtre est un crime, on finit par y
croire. C'est ainsi que se construisent les sociétés.

- La seconde explication conduit Tarde à distinguer les causes logiques et les causes non
logiques de l'imitation.

Les causes logiques agissent quand une innovation est imitée parce qu'elle est jugée
plus utile ou plus en accord avec les buts, les principes que l'on s'est fixés. Tarde donne des
exemples en matière de délinquance : ainsi, dans le choix des moyens, seront choisis et imités
ceux qui participent aux innovations techniques et rendent donc l'exécution de l'acte plus
facile (de la hache de bronze au revolver...). L'imitation participe donc à l'invention et suscite
un progrès qui sera à son tour imité.

Les causes non logiques : les causes logiques impliquent que l'homme réfléchisse,
pense à ce qui est le mieux pour lui. Or Tarde observe que, dans le cadre de la vie moderne,
les hommes, à des degrés divers, se dispensent de tout effort intellectuel. En particulier dans
les villes, l'agitation, le stress ("métro, boulot, dodo"), font que les individus se copient les uns
les autres sans en avoir conscience. L'imitation est, dans ce cas, non logique, et représente une
forme d'automatisme. C'est, pense Tarde, dans une large mesure cette réalité qui constitue le
lien social et donne à la société sa cohérence.

A partir de cette explication de l'imitation, Tarde propose alors 3 lois de l'imitation :

- les hommes s'imitent d'autant plus qu'ils sont plus rapprochés

- le supérieur est plus imité par l'inférieur que celui-ci n'est imité par celui-là

- les modes jouent un très grand rôle dans le choix des imitations quand deux modèles sont
incompatibles : la mode la plus récente va chasser l'ancienne.

Et Tarde va appliquer ces lois de l'imitation à ce qu'il appelle les foules criminelles.

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Il commence par distinguer les foules criminelles d'autres types de groupements


(corporations, sectes, partis, par exemple), qui sont organisés. Tarde, comme ses
contemporains d'ailleurs (G. Le Bon, auteur de la "Psychologie des foules, 1895), est sévère à
l'égard des foules.

Dans cette seconde moitié du XIXè siècle en effet, quand on parlait des foules, c'était
sur un ton très péjoratif, comme d'un troupeau, d'une sorte de masse irrationnelle et
irresponsable (voir 1848 et les débats sur le suffrage universel). Tarde est toutefois plus
nuancé que certains autres, parce qu'il considère que les comportements collectifs, même s'ils
présentent une certaine forme d'irrationalité, sont un support important du lien social.

C'est d'ailleurs pourquoi il distingue différents types de foules.

D'après lui, il y aurait :

- des foules expectantes (celles qui sont réunies pour attendre un évènement : un mariage
princier, par exemple,) et qui sont d'une extraordinaire patience ;

- des foules attentives (les étudiants de cet amphi, par exemple) ;

- des foules d'action : c'est parmi elles que l'on trouve les foules criminelles.

Ce terme de foule réfère à une réalité animale et implique un faisceau de contagions


psychologiques produites et entraînées par des contacts physiques. Les activités criminelles de
la foule (voir, par exemple, les "qu'on le pende" lancés par la foule dans les albums de Lucky
Luke) sont dominées, dit Tarde, par un mouvement de colère, de vengeance ou de peur. Cette
foule criminelle est comme hypnotisée; elle fait preuve d'irresponsabilité, de perte totale de la
mesure, d'une attitude intolérante et irréfléchie. Cette foule, finalement, se montre inférieure
en intelligence et en moralité à la moyenne des individus qui la composent. Pourquoi ? Parce
que les émotions et les idées les plus contagieuses sont également les plus simples et les plus
égoïstes. Et c'est ainsi que la foule criminelle peut commettre des actes d'une particulière
gravité, d'une particulière atrocité, dont personne cependant parmi ses membres ne se sentira
responsable, pas même d'ailleurs l'auteur.

Tarde va appliquer ces lois à la criminalité. L'idée essentielle est que chacun se
conduit selon les coutumes acceptées par son milieu.

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L'individu n'est donc pas engagé sur la voie du crime par des tendances organiques,
mais par des suggestions, des influences psycho-sociales, ces espèces de contagions dont
parlait Tarde à propos des foules criminelles. Les criminels ont donc été à l'école du crime: ils
sont devenus criminels non pas pour des raisons de dégénerescence ou d'atavisme, mais parce
qu'ils ont choisi et pratiqué le crime comme un métier : Tarde est le premier à dégager la
notion de criminel par profession, opposée par lui à celle de délinquant d'occasion, sujet dont
la conduite criminelle a été provoquée par des circonstances exceptionnelles et cesse
normalement avec la fin de ces circonstances.

Tarde attribue donc la délinquance au milieu : si on tue, ou si l'on vole, on ne fait,


finalement, qu'imiter quelqu'un de son milieu et se conduire comme l'exige ce milieu.

Toutefois, l'ensemble de ces mécanismes imitatifs n'exclut pas le rôle de certains choix
individuels. Il y a donc place pour une responsabilité pénale, et la peine doit donc être
individualisée sur des bases psychologiques.

Tarde et la responsabilité pénale

Tarde refuse la notion de libre arbitre sur laquelle repose le droit pénal classique (pour
lui, un individu ne peut être totalement responsable), mais il refuse également le déterminisme
des positiviste italiens (un individu ne peut pas être totalement irresponsable : ce qui nous
distingue des animaux est cette expérience humaine fondamentale du "je").

Pour Tarde, on ne peut pas nier un fait essentiel : dans la plupart des cas, le délinquant
éprouve une certaine culpabilité après son acte, il se sent responsable et la peine lui paraît
justifiée.

Mais, pour que ce fait existe, dit Tarde, il faut que certaines conditions soient remplies
:

- il faut d'abord que le sujet ait intériorisé les valeurs du groupe social dont il fait partie : c'est
ce que Tarde appelle la "similitude sociale"

- il faut ensuite que l'individu ait pu construire son identité et qu'il ait conscience de son
identité : c'est ce que Tarde appelle "l'identité personnelle".

Aussi, pour mesurer la responsabilité de l'individu, Tarde dit qu'il faut alors combiner
ces 2critères :

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1- La similitude sociale

Qu'est-ce ? Pour Tarde, cela signifie que l'individu a appris à porter sur les mêmes
actes les mêmes jugements d'approbation ou de blâme que ses semblables, qu'il partage leur
conception du bien et du mal.

Par cette similitude sociale, la commission d'une infraction soulève donc chez son
auteur un sentiment de culpabilité et de responsabilité morale.

Tarde dit en effet que "pour qu'il y ait délit, et donc culpabilité, il faut que l'auteur du
fait reproché appartienne à la même société que ses juges et qu'il reconnaisse, bon gré, mal
gré, cette communauté profonde".

2- L'identité personnelle

Pour qu'il y ait responsabilité, il faut aussi qu'existe une certaine conscience de sa
propre identité, et que le "moi" se perçoive comme un "je". Le "moi", dit Tarde, ne doit pas
être simplement spectateur de ce qui se passe en lui, il doit aussi en être acteur.

Nous connaissons tous des "guerres intérieures" (quand, par exemple, nous sommes
confrontés à des tentations telles que préparer son TD ou aller à la pêche). Et lorsque nous
résistons à la tentation, nous nous construisons et renforçons notre cohérence interne, notre
identité.

Mais nous connaissons aussi des guerres extérieures quand, par exemple, un bourreau
violente notre volonté pour nous faire commettre tel ou tel acte. Si nous lui résistons, cette
décision est nôtre ; elle ne l'est pas si nous cédons à la force. Bref, dans les deux cas, pour
apprécier la responsabilité, il faut savoir, dit Tarde, si "j'ai pu résister" et non pas si "j'ai été
libre".

Et je suis à même de résister si mon "moi" a acquis une certaine cohérence, une
identité suffisante qui lui permet de se définir.

On sera donc, d'après Tarde, d'autant plus responsable qu'on a bien construit son
identité, c'est-à-dire, qu'on est plus adapté à soi-même et à son milieu. Par contre, on sera
d'autant moins responsable qu'on s'est construit une identité plus fragile, soit en raison de
l'âge, soit en raison d'une aliénation mentale. Mais, ajoute Tarde, entre ces deux extrêmes,
s'interpose une échelle infinie de degrés de responsabilité.

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Ce raisonnement, qui concerne l'individu en général, vaut aussi pour le délinquant :


dans la mesure où la délinquance s'inscrit dans une carrière, et que tout s'organise autour du
projet délinquant, l'identité se construit et se renforce autour de ce projet. Le délinquant se
sentira donc et sera pleinement responsable du comportement délinquant qui sera le sien et sa
responsabilité s'affirmera d'autant plus qu'il se choisira un milieu qui renforcera cette
orientation de sa personnalité et que son "moi" s'enfermera dans un mode de vie délinquant.

On pourrait alors répondre à Tarde que le délinquant s'est coupé de la société et qu'il n'y a
donc pas responsabilité puisqu'il n'y a plus de "similitude sociale", c'est-à-dire cette
conception commune du bien et du mal, entre le délinquant et la société.

Tarde avait évidemment envisagé l'objection mais il affirme la responsabilité du


délinquant, parce que, pour lui, le délinquant, même plongé, immergé, dans le milieu
délinquant, ne s'est pas totalement coupé du reste de la société.

Il écrit ainsi : "le malfaiteur et l'homme vicieux ont opposé une résistance invincible à
la contagion de l'honnêteté qui les entoure, mais ils ne partagent pas moins les idées
régnantes, et en particulier les jugements ambiants sur la moralité ou l'immoralité des
actions".

Les délinquants sont donc, sauf exception, responsables de leurs actes et, par
conséquent, accessibles à la sanction pénale.

Pour Tarde, la peine est l'expression d'un blâme : le crime, dit-il, est une souillure sociale qu'il
faut effacer. Le crime entraîne un danger (parce qu'il est susceptible d'être imité) et une
indignation.

Le blâme, comme réponse à l'infraction, est l'expression de ce sentiment vécu par les
membres du groupe social. Mais c'est aussi l'expression de la colère et de la vengeance. Et
c'est dans cette ligne de pensée que tarde admet la peine de mort, moins d'ailleurs pour écarter
le danger que le délinquant vivant pourrait faire courir à d'autres vies humaines, que pour
éviter la souffrance morale que la société, la famille de la victime peuvent ressentir quand le
coupable ne reçoit pas le châtiment dû, selon elles, pour son crime.

Ainsi Tarde module la gravité de la peine en fonction de la gravité de l'infraction


commise, parce qu'il existe, selon lui, un besoin de symétrie entre l'acte du délinquant et la
réaction de la société et aussi parce qu'il estime qu'il faut tenir compte des critères de

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similitude sociale et d'identité personnelle. Aussi, si le délinquant apparaît encore comme un


semblable, c'est-à-dire comme membre du groupe social parce que partageant ses valeurs, la
société a des devoirs envers lui : la peine doit avoir une autre fin que la punition. Elle doit
tendre, si c'est possible, à l'amélioration du coupable et si c'est impossible, elle doit pourvoir à
son alimentation et à son entretien. Tarde dit : "La société a le droit de se défendre, soit, mais
plus qu'aucun d'entre nous, elle est assez riche pour se payer le luxe de la bonté". Sous cet
aspect, Tarde lie donc pénalité et assistance publique.

L'évolution de la société doit, pour Tarde, se caractériser par une prise en compte de
plus en plus large des autres comme semblables et donc par le développement d'un sentiment
croissant de responsabilité collective.

G. Tarde a joué un rôle déterminant dans l'évolution intellectuelle de l'histoire de la


criminologie, notamment par sa critique minutieuse de l'anthropologie lombrosienne. Pour
Tarde, en effet, "la plus grande partie de la criminalité d'habitude reste inexpliquée par des
causes d'ordre principalement biologique".

Mais il faut cependant bien préciser que, au moins au début de sa réflexion, dans sa
"Criminalité comparée", Tarde ne conteste pas ce qui paraît une évidence à tous les savants de
son époque : l'existence d'un type anatomique propre au criminel. Il conteste à Lombroso que
ce criminel-né soit un sauvage ou un fou, mais il reconnaît qu'il est un "monstre", et que
"comme bien des monstres, il présente des traits de régression au passé de la race ou de
l'espèce".

En réalité, les critiques de Tarde ne portent que sur l'interprétation donnée par
Lombroso aux caractères physiques si fréquemment présentés par les malfaiteurs, mais elles
n'entament pas la réalité du type criminel. Tarde pense que ce type criminel n'est pas un effet
de l'hérédité mais de la sélection sociale ; il est la conséquence d'un "type professionnel".

En remplaçant la notion lombrosienne de "type criminel" par celle de "type


professionnel", Tarde réintroduit le délinquant dans la société Le délinquant n'est plus cet
étranger, ce sauvage si différent de nous ; c'est quelqu'un qui a choisi la délinquance comme
une profession.

Comme pour toute profession, celle de "délinquant" sera considérée comme intéressante
quand les profits qui en découlent augmentent et que les risques en diminuent.

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Envisagée comme une carrière, la délinquance devient, aux yeux de Tarde, "une des
professions les plus dangereuses et les plus fructueuses qu'un paresseux puisse adopter".

Tarde dit que l'on peut comprendre que l'on s'y engage facilement.

D'autre part, ce type de profession se présente comme les autres. Elle suppose, en
effet, comme dans toute profession, un processus d'accès et de reconnaissance. On peut ainsi
envisager, comme le ferait n'importe quel individu à la recherche d'un travail, d'entrer dans
une multinationale ou dans une PME.

Quand on envisage les grandes organisations criminelles, on en devient membre


comme finalement on le deviendrait d'un cercle, d'une association civile ou commerciale
quelconque, d'un groupe théâtral.

Mais, à côté de cette grande industrie criminelle, Tarde distingue aussi "les petites
échoppes du crime", composées d'un patron et de deux apprentis (c'est-à-dire d'un vieux
récidiviste et de deux petits loubards).

Mais, de toutes façons, Tarde affirme bien que "c'est à une corporation industrielle que
ressemblent les sociétés des criminels et non pas le moins du monde à une tribu de sauvages".

Tarde montre alors que des actes normalement définis comme des infractions sont vus
autrement quand l'individu les situe dans une "optique professionnelle" : un crime n'est plus
un crime mais un acte profitable au groupe professionnel dont il fait partie.

Mais, pour passer de la profession au type professionnel, Tarde part de la supposition


que, s'il est ouvert à tous, le métier de délinquant, comme n'importe quel autre métier du reste,
n'attire de préférence que les individus les plus doués, ceux qui ont des aptitudes pour réussir.
Et il ajoute, sans doute influencé par le contexte de l'époque, que certaines caractéristiques
propres à ce métier pourraient alors s'accumuler et se fixer héréditairement : voilà qui ne
fâcherait pas Lombroso. Ainsi, de la même façon que l'on peut repérer des caractéristiques
anatomiques dans des générations de dockers, de boxeurs ou de pianistes, dont on finit par
dire "qu'ils ont le physique de l'emploi", il n'y a aucune raison de ne pas admettre que le crime
ou le délit qui sont des occupations caractéristiques n'aient pas également leur type
professionnel. Ainsi seraient expliquées les caractéristiques physiques des délinquants.

Mais ce raisonnement peut aussi s'appliquer pour les caractéristiques morales : dans la
mesure où la délinquance est un métier qui utilise le meurtre et le vol comme outils privilégiés

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et qui donc porte atteinte à des valeurs sociales fortes, on peut aussi dire que les
caractéristiques de l'individu sont celles d'un être endurci et indomptable qui refuse
l'assimilation sociale.

C'est dans cette perspective que Tarde utilise le terme de "monstre" pour nommer les
criminels.

Cela signifie finalement que, lorsque l'on pousse l'explication jusqu'au bout, la réussite
dans la carrière criminelle peut conduire l'individu à utiliser des moyens que l'on qualifiera de
monstrueux. Tarde veille donc à rappeler que, quand il parle de "monstre", les caractéristiques
des individus résultent généralement de l'apprentissage du mal. Mais, dans certains cas, fort
rares, Tarde estime aussi que ces caractéristiques peuvent avoir une origine héréditaire.

C'est pourquoi l'on peut dire que son modèle professionnel reste quand même un peu
ambigu.

On l'a vu, pour Tarde, le crime est d'abord un mode de vie. Mais, dans un premier
temps de sa réflexion au moins, Tarde estime que ce mode de vie, à terme, finit par produire
et conserver chez ses acteurs des stigmates physiques. Ce n'est que plus tard, dans les années
1890 et son ouvrage "La philosophie pénale", que Tarde abandonnera définitivement cette
notion de type criminel, pour adopter une perspective plus psychosociale : "Je conteste a
priori -écrit-il- que les tendances du caractère qui aboutissent au crime, qui doivent même y
aboutir inévitablement, soient liées à un seul et même signalement anatomique. Car le crime
est un carrefour de voies intérieures venues des points les plus opposés, et l'insocialité
profonde qui fait le criminel-né provient tantôt d'un incommensurable orgueil qui rend
férocement vindicatif, comme en Corse ou en Sicile et dans la plupart des races primitives,
tantôt d'une paresse incurable qui, unie aux vices les plus divers, au libertinage, à l'ambition,
au jeu, à l'ivrognerie, pousse au vol meurtrier les déclassés ou les dégénérés des races
déchues".

Ce sont des facteurs sociaux qui, sauf tares biologiques exceptionnelles, expliquent
pour l'essentiel l'acte criminel. Ces facteurs, Tarde les emprunte à ses lectures : c'est la
dissolution de la famille, c'est la crise de la religion, c'est enfin la crise économique et la
misère.

La misère pousse au crime, et plus précisément la faiblesse ou l'instabilité du revenu,


la propriété et l'évolution des techniques de travail.

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C'est là le cœur du système de Tarde au terme duquel la vie sociale et l'histoire de la


société ne sont qu'une longue suite d'inventions imitées ou rejetées.

Ainsi, les inventions seraient les "causes des conditions sociales", les facteurs
déterminants de la progression ou de la baisse de la criminalité.

Tarde écrit, en effet : "Si le nombre des assassinats nocturnes dans les grandes villes y
diminue avec les progrès de l'éclairage, cela ne tient-il pas à la découverte de l'éclairage au
gaz ? Ne peut-il dépendre aussi de quelques découvertes de ce genre que la criminalité
astucieuse diminue à son tour ? Certainement, l'invention de la serrurerie a dû jadis diminuer
le chiffre des vols, comme à présent le perfectionnement des coffres forts".

Ces inventions se combinent avec l'imitation : "Tous les actes importants de la vie
sociale - écrit encore Tarde- sont exécutés sous l'empire de l'exemple. On engendre ou on
n'engendre pas par imitation (...) On tue ou on ne tue pas par imitation".

Et, selon Tarde, l'imitation explique aussi l'évolution historique de la criminalité : "il y
a des raisons sérieuses d'affirmer que les vices et les crimes aujourd'hui localisés dans les
derniers rangs du peuple y sont tombés d'en-haut" ; d'abord pratiqués par les classes
dirigeantes, ils auraient été progressivement imités par le peuple. Ainsi l'ivrognerie fut d'abord
un luxe royal, puis un privilège aristocratique avant de devenir un vice populaire ; de même
pour la consommation de tabac ou les délits contre les mœurs : adultères, viols... etc. De la
même manière, les campagnes imiteraient aujourd'hui les villes.

Pour terminer, on dira que le bilan de l'œuvre de tarde est contrasté : en définitive, en-
dehors de la mise en évidence d'un "type professionnel du crime" lié à l'existence de
véritables "carrières professionnelles du crime", l'œuvre de tarde a consisté essentiellement à
commenter le travail des autres et surtout à critiquer l'école positiviste italienne.

Sa théorie de l'imitation n'est pas très développée dans son œuvre. En outre, l'idée
même de contagion du crime par imitation était un thème commun chez les médecins depuis
le début du XIXè siècle. Ainsi, par exemple, Prosper LUCAS, connu pour ses travaux sur
l'hérédité, avait soutenu sa thèse de médecine sur les phénomènes d'imitation en 1833.

Enfin, la démarche de Tarde n'est pas véritablement sociologique : l'imitation est un


rapport inter-individuel, qui se rapporte donc aux relations entre des individus et non à la
structure sociale.

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Section 2 : Emile Durkheim


L'arrivée de la sociologie durkheimienne s'accompagne d'un certain nombre de
remises en cause théoriques. Pour simplifier, on peut dire que la pensée de Durkheim opère
une double rupture par rapport à la vision bio-médicale qui dominait le XIXème siècle.

D'une part, elle remet en cause l'évolutionnisme inégalitaire des anthropologues en


posant comme règle l'unité absolue de l'espèce humaine, c'est-à-dire l'insignifiance des
différences physiques et la relativité culturelle de toute production intellectuelle et morale.

D'autre part, elle montre que l'espèce humaine est, par essence, sociale, et qu'il n'existe
chez l'homme aucun comportement, même parmi les plus élémentaires, qui ne soit fortement
socialisé. Dès lors, les "primitifs" n'ont rien des "sauvages" que les anthropologues opposaient
aux "civilisés" : ils sont tout autant organisés, socialement et mentalement et ne sont pas
davantage asservis à des "pulsions", à des "instincts", que l'européen du XXè siècle.

Pour Emile Durkheim l'homme est avant tout une conscience socialisée, c'est-à-dire un être
dont le comportement est façonné par la société qui détermine en lui des "façons de penser, de
sentir et d'agir".

Pour lui, l'individu n'est donc pas antérieur à la société; c'est la société qui est
antérieure à l'individu. La conscience collective précède logiquement et historiquement la
conscience individuelle. En d'autres termes, la prise de conscience par chacun de son
individualité résulte du développement historique : dans la société, écrit Durkheim, chacun est
ce que sont les autres; dans la conscience de chacun dominent les sentiments communs à tous
ou sentiments collectifs.

Appliqué à la criminalité, ce raisonnement conduit à voir dans le crime, le produit


"normal" d'une société qui n'assure pas à chacun de ses membres les conditions d'une bonne
socialisation.

L'Ecole sociologique est représentée par E. Durkheim (1858-1917) qui peut être
considéré comme le fondateur d'une théorie qui lie les conduites criminelles à la structure
sociale.

Sociologue, E. Durkheim fut professeur à l'université de Bordeaux puis à la Sorbonne.


Il ne s'intéressa qu'accessoirement à la criminologie. C'est à travers deux ouvrages ("La
division du travail social" (1893) et "Les règles de la méthode sociologique" (1894)) qu'il

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donna une définition sociologique du crime : toute acte qui détermine de la part de la société
une réaction particulière que l'on nomme la peine.

En fait, si l'on entre dans les détails, Durkheim donne une définition du crime qui est à
la fois substantielle et méthodologique.

La première a été développée surtout dans "La division du travail social" et la seconde dans
"Les règles de la méthode..."

Définition substantielle : pour Durkheim, "un acte est criminel quand il offense les
états forts de la conscience collective". En d'autres termes encore : "il ne faut pas dire qu'un
acte froisse la conscience commune car il est criminel, mais qu'un acte est criminel parce qu'il
offense la conscience commune".

Pour arriver à cette définition, Durkheim part d'un certain nombre d'observations :

- il constate d'abord que le contenu des lois pénales change dans le temps et dans l'espace : la
notion de crime est donc relative,

- ensuite, il recherche ce qu'il appelle l'essence du crime, "ce quelque chose de commun" entre
tous les crimes. Si différents qu'ils apparaissent, il est impossible que les comportements
délinquants n'aient pas quelque chose de commun entre eux. Et, ce qui est commun, pense
Durkheim, c'est bien la réaction qu'ils suscitent, et le droit pénal correspond donc à ce qui est
au cœur, au centre de la conscience commune.

Durkheim va donc approfondir cette réflexion dans "les règles de la méthode..." et


c'est ainsi qu'il parvient à une définition méthodologique du crime : il définit le crime par la
peine. Il précise toutefois que ce n'est pas la peine qui fait le crime mais c'est par elle qu'il se
révèle extérieurement à nous et c'est donc de la peine qu'il faut partir si nous voulons
connaître le crime.

Durkheim constate que la nature du crime ne pose pas de problèmes aux


criminologues qui sont unanimes à reconnaître sa morbidité, son caractère pathologique. Or,
pour Durkheim, au contraire, le crime est un fait social normal. Affirmer que le crime est un
phénomène social normal ne revient pas à faire l’apologie du crime, mais simplement de
mettre en exergue le fait que le crime permet l’innovation, le changement, l’élaboration ou la
modification des normes pénales, la mise en place des nouveaux dispositifs, de nouvelles
stratégies de contrôle.

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Le principe sur lequel est basée la thèse de Durkheim a pour fondement sa


classification des faits sociaux. Parmi eux, en effet, il distingue deux variétés distinctes qui ne
doivent pas être confondues : "Nous appellerons normaux -écrit-il- les faits qui présentent les
formes les plus générales et nous donnerons aux autres le nom de morbides ou de
pathologiques car ils sont une exception dans le temps et dans l'espace". Il s'ensuit donc, pour
l'auteur, que "un fait social est normal pour un type social déterminé, considéré à une phase
déterminée de son développement, quand il se produit dans la moyenne des sociétés de cette
espèce, considérées à la phase correspondante de leur évolution".

Or le crime s'observe dans les sociétés de tous les types : c'est donc un phénomène de
normalité sociale.

Ainsi, pour Durkheim, un phénomène est normal lorsqu'il se rencontre de façon


générale dans une société d'un certain type, à une certaine phase de son devenir. Le crime est
donc un phénomène normal, ou, plus exactement, un certain taux de criminalité est un
phénomène normal. Ainsi, la normalité est définie par la généralité, mais, puisque les sociétés
sont diverses, il est impossible de connaître la généralité de manière abstraite et universelle.
Sera donc considéré comme normal, le phénomène que l'on rencontre très fréquemment dans
une société donnée, à un moment donné.

Les conséquences que Durkheim déduit de ce principe sont toutes dominées par cette
idée que le crime, parce qu'il est un fait social normal, est un facteur de la santé publique, une
partie intégrante de toute société saine.

En effet, Durkheim se demande ce qui se passerait dans une société au sein de laquelle
le développement de la conscience morale collective et individuelle serait tel que plus aucun
crime ne serait commis. On se trouverait, dit Durkheim, dans une "société de saints".

Dans un premier temps, comme plus personne ne commettrait ni homicide, ni attentat,


ni braquages... etc, les crimes proprement dits y seraient inconnus.

Mais ensuite, les plus petites fautes seraient considérées comme criminelles et traitées comme
telles, car cette société de saints, qui ne connaîtrait plus de "vrais" crimes, en inventerait
nécessairement d'autres parce que la conscience collective, en se fortifiant, devient, par
conséquent, plus sensible, plus exigeante, et réagit contre les moindres écarts.

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Autrement dit, plus la société évolue et devient "humaine", plus elle devient
intolérante à l'égard des petites choses, et donc, plus inhumaine ! Bref, une telle société de
saints serait donc tout aussi répressive, voire même elle le deviendrait encore plus.

En outre, le crime n'est pas seulement normal, il est aussi utile dans la mesure où il
prépare directement les transformations du droit. En effet, le crime se définit par rapport à la
commune appréciation de ce qui est une conduite moralement acceptable ; le crime n'est donc
souvent qu'une anticipation de la morale à venir. L'exemple cité plusieurs fois par Durkheim
est celui de Socrate : d'après le droit athénien, Socrate était un criminel et sa condamnation
était juste.

Cependant son crime, à savoir l'indépendance de sa pensée, était utile à la société dans
laquelle il vivait, car il servait à préparer une morale nouvelle.

Cette forme de criminalité est donc le fait de quelqu'un qui suscite une réaction sociale
par des comportements qui ne correspondent pas aux valeurs et aux croyances de son époque,
dans la mesure où il est en avance sur celles-ci (autre exemple plus récent : dans les années
1970, plusieurs centaines de femmes, dont certaines très célèbres, ont signé un manifeste dans
lequel elles reconnaissaient avoir pratiqué un avortement, qui, à l'époque, était parfaitement
illégal. Elles anticipaient, d'une certaine façon la morale à venir avec la loi Veil du 17 janvier
1975).

Dans la même logique que Durkheim, Karl Marx dans son article “Bénéfices
secondaires du crime”, soutient ce qui suit :

« Non seulement le crime est normal, mais il est facile de prouver qu'il a bien des utilités. Un
philosophe produit des idées, un poète des vers, un curé des sermons, un professeur des
bouquins, etc. Un criminel produit la criminalité. Mais si les liens entre cette branche soi-
disant criminelle de la production et toute l'activité productrice de la société sont examinés de
plus près, nous sommes forcés d'abandonner un certain nombre de préjugés. Le criminel
produit non seulement la criminalité mais aussi la loi criminelle ; il produit le professeur qui
donne des cours au sujet de la loi criminelle et de la criminalité, et même l'inévitable livre de
base dans lequel le professeur présente ses idées et qui est une marchandise sur le marché. Il
en résulte un accroissement des biens matériels, sans compter le plaisir qu'en retire l'auteur
dudit livre. De plus, le criminel produit tout l'appareil policier ainsi que de l'administration
de la justice, détectives, juges, jurys, etc., et toutes ces professions différentes, qui constituent
autant de catégories dans la division sociale du travail, développent des habiletés diverses au
sujet de l'esprit humain, créent de nouveaux besoins et de nouveaux moyens de les satisfaire.
La torture elle-même a permis l'invention de techniques fort ingénieuses, employant une foule
d'honnêtes travailleurs dans la production de ces instruments. Le criminel produit une

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impression tantôt morale, tantôt tragique, et rend un « service » en piquant au vif les
sentiments moraux et esthétiques du public. Il ne produit pas seulement les livres de droit
criminel, la loi criminelle elle-même, et ainsi les législateurs, mais aussi l'art, la littérature,
les romans et les drames tragiques dont le thème est la criminalité, tel que Œdipe et Richard
III, ou Le Voleur de Schiller, etc. Le criminel interrompt la monotonie et la sécurité de la vie
bourgeoise. Il la protège ainsi contre la stagnation et fait émerger cette tension à fleur de
peau, cette mobilité de l'esprit sans lesquelles le stimulus de la compétition elle-même serait
fort mince. Il donne ainsi une nouvelle impulsion aux forces productrices. Le crime enlève du
marché du travail une portion excédentaire de la population, diminue la compétition entre
travailleurs, et jusqu'à une certaine limite met un frein à la diminution des salaires, et la
guerre contre le crime, de son côté, absorbe une autre partie de cette même population. Le
criminel apparaît ainsi comme une de ces « forces équilibrantes » naturelles qui établissent
une juste balance et ouvrent la porte à plusieurs occupations soi-disant « utiles ». L'influence
du criminel sur le développement des forces productrices peut être détaillée. Est-ce que le
métier de serrurier aurait atteint un tel degré de perfection s'il n'y avait pas eu de voleurs ?
Est-ce que la fabrication des chèques bancaires aurait atteint un tel degré d'excellence s'il n'y
avait pas eu d'escrocs ? Est-ce que le microscope aurait pénétré avec autant d'efficacité le
monde commercial de tous les jours s'il n'y avait pas eu de faux-monnayeurs ? Le
développement de la chimie appliquée n'est-il pas dû autant à la falsification des
marchandises et aux tentatives pour y remédier, qu'aux efforts productifs honnêtes ? Le
crime, par le développement sans fin de nouveaux moyens d'attaquer la propriété, a forcé
l'invention de nouveaux moyens de défense, et ses effets productifs sont aussi grands que ceux
des grèves par rapport à l'invention des machines industrielles. Laissant le domaine du crime
privé, y aurait-il un marché mondial, est-ce que les nations même existeraient s'il n'y avait
pas eu de crimes nationaux ? L'arbre du mal n'est-il pas aussi l'arbre du savoir depuis le
temps d'Adam ? Le jour où le Mal disparaîtra, la Société en serait gâtée, si même elle ne
disparaît pas ! »

Pour Durkheim, le criminel n'apparaît plus comme un corps étranger, un être


radicalement asocial ; au contraire, c'est un agent régulier et régulateur de toute vie sociale.

Par conséquent, la théorie de la peine est à renouveler. Si, en effet, le crime est une
maladie, la peine, le traitement, en est le remède. Par contre, si l'on considère que le crime n'a
rien de morbide, la peine ne saurait avoir pour fonction de guérir et sa vraie fonction doit être
cherchée ailleurs. Pour lui, d'une façon générale, les individus sont normalement intégrés dans
la société par la contrainte créée par la conscience commune. L'idée, c'est que nous nous
poliçons nous-mêmes ; mais, dans le cas du criminel, cette auto-contrainte n'a pas fonctionné :
d'où l'intérêt de la peine. La peine infligée au criminel est une réaction sociale, quasi
mécanique, destinée à préserver la cohésion sociale autour de certaines valeurs.

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Pour Durkheim, la peine est une réaction passionnelle, d'intensité graduée, que la
société exerce sur ceux de ses membres qui ont violé certaines règles de conduite.

Elle est l'expression de la moralité et de la solidarité sociale et même, plus


précisément, elle va permettre la réaffirmation des liens de solidarité entre les consciences
humaines, ce qui lui donne, finalement, un caractère presque sacré.

Et Durkheim insiste sur ce caractère sacré de la peine : pour lui, les transgressions à la
loi pénale sont des outrages aux sentiments profonds de la conscience collective et l'essence
de la peine est bien de marquer la réprobation qui entoure le crime et donc de rapprocher les
consciences individuelles. Cette communion sociale qu'entraîne avec elle la peine lui donne
un caractère irrationnel et c'est donc en cela qu'elle est utile.

Pour Durkheim donc, l'intérêt de la peine est davantage la réaffirmation des valeurs
sociales que l'expiation du coupable.

Il va d'ailleurs approfondir ce thème dans un autre livre "L'éducation morale" (1902),


qui porte sur l'apprentissage des normes morales et aussi de la formation du lien social chez
l'enfant.

Un chapitre de ce livre est consacré à la pénalité scolaire et, à ce propos, Durkheim va


faire des considérations relatives à la pénalité en général. Bref, il nous fait part d'un certain
nombre de réflexions qui s'inscrivent finalement dans le cadre plus large de l'apprentissage du
respect des règles sociales.

Qu'est-ce qui peut bien faire, en effet, que nous respections les règles ?

Pour Durkheim, l'origine du respect de la règle n'est pas dans la sanction : si les élèves,
si les individus en général, respectent les règles en vigueur, c'est plus à cause de l'autorité de
celui qui les énonce ou les transmet, c'est la conviction avec laquelle elles sont énoncées, la
confiance que l'on place en celui qui les énonce et le sens qu'elles peuvent prendre qui en
assurent fondamentalement le respect.

C'est donc bien plus par l'attachement aux valeurs du groupe que par la sanction que
l'on incite un enfant ou un individu à respecter la règle.

Ainsi, si la punition ne sert pas directement au respect de la règle, quel peut donc bien
être le sens de la punition, de la peine ?

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Durkheim réfute alors la théorie utilitariste de la peine, selon laquelle la peine poursuit
un but de prévention générale et spéciale : pour lui, la peine ne contribue pas à socialiser le
délinquant mais seulement à lui faire peur. Et, même sur ce terrain, l'efficacité est limitée : la
peine n'intimide pas vraiment le délinquant car au fond, la peine n'est qu'une espèce de risque
professionnel aux yeux du délinquant.

Il s'oppose encore au rétributivisme selon lequel la peine doit avoir pour fonction
principale d'effacer la faute, d'être aussi une sorte de compensation et de réparation du mal
produit par un autre mal. Cette théorie paraît absurde à Durkheim : "c'est comme si un
médecin, pour guérir un bras malade, commençait par amputer l'autre bras".

Enfin, quelle que soit la théorie de la peine retenue, Durkheim critique les modalités
d'application des peines en ce qui concerne l'échelle des peines. Pour lui, en effet, l'échelle des
peines doit commencer aussi bas que possible et on ne doit passer d'un degré à l'autre qu'avec
la plus grande prudence. Or, ce qui fait la faiblesse de toutes les législations, observe-t-il, c'est
que celles-ci vont tout de suite aux sévérités extrêmes et donc sont obligées de se répéter,
perdant ainsi leur action (cf. emprisonnement). Car, passé un certain degré de souffrance,
toute souffrance nouvelle cesse d'être ressentie. On est alors obligé de renforcer encore la
peine qui continue à perdre son effet.

Quelle est alors l'élément positif que l'on puisse retirer de la peine ?

C'est, dit Durkheim, qu'elle réagit contre la faute, autrement dit, qu'elle réaffirme la loi, qu'elle
montre que la loi a quelque chose de sacré qu'on ne peut pas outrepasser impunément.

La peine doit donc d'abord être un blâme ostensible de l'acte qui a été commis. Elle
doit donc être essentiellement un discours, une communication, par lesquels va se manifester
ce sentiment de réprobation de l'acte. Il ne s'agit donc pas, comme on le ferait pour un animal,
de punir pour dresser, mais de dire, de manifester clairement son sentiment.

Comment faire ? Comment blâmer ? Comment traduire ce sentiment pour qu'il soit
compris et intégré par l'auteur de l'acte ?

Durkheim se tourne alors vers l'idée de mesure éducative, utile à celui qui la subit, c'est-à-
dire, comme le dit Durkheim, "lui paraisse respectable".

Il faut donc passer du temps à faire comprendre la sanction, car la manière de


l'imposer compte autant que son contenu.

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Durkheim propose donc, face aux théories traditionnelles de la peine, une autre
manière de penser, non plus la "peine", mais la "sanction". Il ne remet pas en question la loi
pénale en tant que telle, au contraire il la réaffirme, mais tente d'ouvrir d'autres perspectives
pour que la sanction prenne un sens. Et, pour arriver à ce résultat, on remarque que,
finalement, Durkheim retire à la sanction presque tous les caractères de la pénalité. En effet,
pour lui, l'essentiel de la sanction réside finalement dans ce que l'on pourrait appeler une
fonction symbolique de la réaction, c'est-à-dire une réaffirmation officielle de la règle et une
tentative pour réinscrire l'auteur de l'acte dans un lien social.

La sanction doit être, en quelque sorte, un outil de cohésion sociale :

- pour le groupe, d'abord, puisqu'elle resserre l'unité du groupe, conforte la conscience


collective ;

- pour le délinquant, ensuite, parce qu'elle doit permettre sa réinsertion dans le groupe social.

Toutefois, Durkheim observe que ces facteurs de cohésion sociale s'affaiblissent avec
l'évolution des sociétés, à cause, notamment, de la division du travail. En effet, la division du
travail a pour conséquence que ceux qui accomplissent des tâches spécialisées ne sont plus en
interaction suffisamment étroite et continue les uns avec les autres pour permettre le
développement progressif d'un système de règles communes et d'un consensus. En l'absence
de telles règles, la vie sociale devient imprévisible et incertaine, donc insécurisée. Les actions
et attentes des individus travaillant dans un secteur de la division du travail ne s'accordent
plus aux actions et attentes des individus travaillant dans un autre secteur. On constate alors
une tendance à la désintégration sociale : l'ensemble des règles communes constituant le
fondement de la régulation des relations entre les éléments d'un système social tend à
disparaître, et Durkheim appelle cette situation : l'anomie, c'est-à-dire l'absence de norme
sociale permettant de réguler les conduites sociales.

Cette anomie est, pour Durkheim, une des causes du suicide, et aussi la cause du
comportement de certains criminels : l'individu ne trouve plus de règles auxquelles conformer
sa conduite. Pour Durkheim la notion d’anomie est entendue comme un état d’une société
dans laquelle il y a carence ou déficience de règles sociales communément acceptées, de
sorte que les individus ne savent plus comment orienter leur conduite.

On trouve là un thème fort de la théorie durkheimienne : la société organise spontanément ou


consciemment la résistance aux tendances criminelles quand elle est à l'état normal, c'est-à-

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dire à l'état de développement lent, harmonique et régulier ; elle détermine l'apparition de la


criminalité quand elle est à l'état de crise. C'est une conception globale qui s'oppose
logiquement à l'idée lombrosienne de survivance d'un état du passé et l'on voit ici comment
une théorie du changement social va se substituer au schéma évolutionniste linéaire des
anthropologues du tournant du siècle.

Cette théorie de l'anomie sera, on le verra, reprise plus tard par la criminologie nord-
américaine.

Pour terminer ce paragraphe consacré à l'Ecole sociologique de Durkheim, il faut donc


insister sur ce qui est central, spécifique, dans la pensée dukheimienne : la société est une
réalité distincte en nature des réalités individuelles. Tout fait social a pour cause un autre fait
social et jamais un fait de la psychologie individuelle

Ce que nous enseigne Durkheim "c'est qu'un tout n'est pas identique à la somme de ses
parties, il est quelque chose d'autre et dont les propriétés diffèrent de celles que présentent les
parties dont il est composé (...) En vertu de ce principe, la société n'est pas une simple somme
d'individus, mais le système formé par leur association représente une réalité spécifique qui a
ses caractères propres. Sans doute, il ne peut rien se produire de collectif si des consciences
particulières ne sont pas données, mais il faut encore que ces consciences soient associées
combinées, et combinées d'une certaine manière; c'est de cette combinaison que résulte la vie
sociale, et , par suite, c'est cette combinaison qui l'explique".

Tel est le centre de la pensée méthodologique de Durkheim. Le fait social est


spécifique. Crée par l'association des individus, il diffère en nature de ce qui se passe au
niveau des consciences individuelles.

On voit alors ce qui oppose Durkheim à Tarde :

- Durkheim part de l'idée que, pour qu'il y ait fait social, il faut que plusieurs individus aient
mêlé leurs actions et que cette combinaison dégage un produit nouveau. Cette synthèse a lieu
en dehors de chacun de nous et a nécessairement pour effet de fixer, d'instituer en dehors de
nous certaines façons d'agir et certains jugements qui ne dépendent pas de chaque volonté
particulière prise à part. Durkheim arrive ainsi à dégager la spécificité du fait social et à
affirmer l'existence d'une conscience collective qui ne se réduit pas à la somme des
consciences individuelles.

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Tarde ne croit pas que cette rencontre sociale des "moi" différents fasse éclore un
"nous" qui existerait indépendamment de toutes les consciences individuelles : "l'individu
écarté, le social n'est rien" dit Tarde.

Bref, pour Tarde, tout se réduit en sociologie à des rapports interindividuels et la


sociologie n'est finalement qu'une inter-psychologie.

Les deux hommes s'étaient déjà opposés, comme on s'en souvient, sur la "normalité"
du crime.

On peut signaler, pour la petite histoire, que ces propos audacieux valurent à
Durkheim les foudres de Tarde qui, vexé de manière générale par les critiques de Durkheim
envers sa théorie de l'imitation - Durkheim n'y voyait qu'une théorie plus philosophique que
scientifique-, prit, ou fit mine de prendre, les constructions durkheimiennes pour une apologie
du crime. En assimilant ce qui est normal à ce qui est général, disait Tarde, Durkheim
exprime une opinion qui, sur le plan de la moralité sociale, risque d'avoir de graves
conséquences : Durkheim banalise le crime et sa thèse contribue donc au relâchement des
mœurs. Toutefois, après avoir critiqué autant que faire ce peut son adversaire, Tarde se
ralliera tardivement à la définition durkheimienne du crime comme violation des valeurs du
groupe, dans un article paru à la Revue pénitentiaire en 1898, intitulé "qu'est-ce que le
crime?".

Durkheim a souvent parlé du crime mais il n'a jamais réalisé une étude précise sur la
criminalité. C'est surtout la peine, le droit pénal qui l'intéressaient en tant qu'expression de la
solidarité et de la cohésion sociales et de ses transformations.

Durkheim ne s'intéresse pas à la nature de l'homme criminel mais à celle du crime. Le


crime lui apparaît indissociable de la peine qui le constitue comme objet de la vindicte
collective.

Mais l’étude de la peine renvoie elle-même à l’étude de la loi, ou de la norme, qui


institue tel ou tel comportement en crime. Aussi, pour Durkheim, l'étude de la production des
normes et celle de leur application est indissociable si l’on veut avoir une compréhension
globale du phénomène criminel : "violer la règle -écrit-il- est une façon de la pratiquer. Il n'y
a, en définitive, que des expressions différentes d'une seule et même réalité qui est l'état moral
des collectivités considérées".

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Durkheim était très au fait des travaux de criminologie de son époque, travaux qu'il
tenait pour une part essentielle des rares terrains sociologiques sérieux de son époque.

En 1897, il fonde une Revue "l'Année sociologique", laquelle contient une rubrique
intitulée "sociologie criminelle". C'est dans cette rubrique que vont s'exprimer les thèses de
l'Ecole sociologique : la sociologie, basée sur la statistique et l'histoire, est seule capable
d'expliquer la criminalité en tant que phénomène de masse.

La statistique est au point de départ de la science criminelle. Elle doit être un procédé
d'investigation et d’observation au service de la sociologie et un procédé de vérifications de
ses hypothèses pour le sociologue.

Mais ce n'est pas le seul instrument qui s'offre : la méthode comparative, l'histoire,
l'ethnographie et les monographies locales constituent d'autres méthodes indispensables.

Ainsi, par exemple, l'histoire peut contribuer à expliquer le phénomène observé : un


phénomène social a une genèse. Il est lié, en effet, à l'état général de la société état qui est lui-
même un produit de l'histoire. C'est donc dans l'histoire, comme le dit Durkheim qu'il faut
chercher l'origine et l’explication des relations sociologiques, des structures observées grâce à
la statistique. L'histoire permet en effet de répondre à la question de savoir pourquoi les
choses sont comme elles sont alors qu'elles auraient pu être autrement.

Des études vont être entreprises par différents membres de l'Ecole sociologique,
notamment sur la question de l'enfance criminelle ou encore sur la prison ou les milieux
criminogènes.

Les chercheurs constatent que les milieux qui concentrent prostitution, alcoolisme,
natalité galopante et pauvreté sont lourdement criminogènes, ce qui n'est pas très original
jusque-là.

Mais les auteurs de ces études de milieu observent que, et c'est là que la réflexion
devient originale, le délinquant ne s'y désocialise pas, il se socialise selon les règles en
vigueur au sein de ces communautés qui ont leurs propres formes de solidarité. La
compréhension du fonctionnement de ces milieux s'avère donc primordiale. Et, pour
comprendre ce fonctionnement, il faut étudier les mécanismes de socialisation. Cette
socialisation, pour les durkheimiens, passe par la formation de la conscience morale.

Durkheim observe en effet que :

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"Des changements profonds se sont produits, et en très peu de temps, dans la structure de nos
sociétés ; elles se sont affranchies d’un certain type avec une rapidité et dans des proportions
dont on ne trouve pas un autre exemple dans l'histoire. Par suite, la morale qui correspond à
ce type social a régressé, mais sans qu'une autre se développe assez vite pour remplir le
terrain que la première laissait vide dans nos consciences. Notre foi s'est troublée ; la tradition
a perdu son empire (...). Le relâchement ne pourra prendre fin qu'à mesure qu'une discipline
nouvelle s'établira et se consolidera".

Section 3 : Alexandre Lacassagne et l'Ecole du milieu social


L'école du milieu social dont le chef de file fut Alexandre Lacassagne (1843-1924),
professeur de médecine légale à Lyon en 1880, fondateur et directeur des Archives
d'anthropologie criminelle en 1886 puis de l'Ecole de Lyon, a mis, elle aussi, l'accent sur
l'influence prépondérante du milieu social dans l'étiologie criminelle.

Cette école a donc attiré l'attention sur les aspects sociaux de la délinquance autres que
les aspects économiques.

Les principales études de Lacassagne ont été publiées dans les archives
d'anthropologie criminelle. Elles sont d'ordre médico-légal, déontologique, statistique et
sociologique. Il a publié, en outre, divers travaux d'ordre criminologique.

Sur ce plan, il s'est opposé à Lombroso dès le 1er congrès international


d'anthropologie criminelle tenu à Rome en 1885. A la thèse de l'homme criminel, il a opposé
la théorie du milieu social.

Le concept de milieu social employé par Lacassagne est défini de façon extensive. Il
englobe l'ensemble des influences extérieures, climatiques et physiques, comme les influences
relatives à l'éducation et à l'entourage.

Lacassagne résume sa théorie dans une formule restée célèbre. De cette formule selon
laquelle "le milieu social est le bouillon de culture de la criminalité. Le microbe, c'est le
criminel, un élément qui n'a d'importance que le jour où il trouvera le bouillon qui le
fait fermenter", découlent un certain nombre de conséquences :

En premier lieu, le crime pathologique relève purement et simplement de la


psychiatrie.

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Lorsqu'un délinquant présente une anomalie mentale, il doit être soumis au même
régime que les non-délinquants atteints de troubles identiques car, pour Lacassagne "c'est la
volonté accomplissant un acte et non l'acte lui-même qui fait le crime".

Une fois les délinquants pathologiques écartés, Lacassagne dénie encore toute
spécificité aux stigmates lombrosiens. Selon lui, ces stigmates ne sont pas une manifestation
de l'atavisme, mais un produit des influences du milieu, de l'alimentation, de l'alcoolisme, de
la tuberculose ou de la syphilis.

Lacassagne finira donc par classer les criminels en 3 catégories :

- les criminels de sentiment ou d'instincts, qui sont pour lui, les "vrais" criminels ;

- les criminels "d'actes" qui agissent par passion ou par occasion. Ils représentent, d'après lui,
la catégorie la plus fréquente, dans laquelle la peine peut avoir une efficacité ;

- les criminels de "pensée" qui sont les "criminels aliénés" : leur état est dû, pour Lacassagne,
à l'hérédité ou à une disposition acquise. Cette catégorie comprend les "épileptiques
homicides" qui sont, pour Lacassagne, les "plus horribles assassins". Pour ces derniers, une
seule solution : l'internement dans un asile spécial.

Aussi, pour avoir une action sur les criminels, il faut d'abord agir sur le milieu. C'est la
misère qui laisse son empreinte et fait si bien les particularités relevées par Lombroso.

Des perspectives optimistes sont alors ouvertes, pour Lacassagne, sur le terrain de la
prévention. S'il est vrai, comme il le soutenait que "les sociétés n'ont que les criminels
qu'elles méritent", c'est sur les facteurs criminogènes du milieu social qu'il faut agir. Dès
lors, c'est la prophylaxie sociale sous toutes ses formes (lutte contre la tuberculose et la
syphilis, l'alcoolisme, les intoxications, le paupérisme) qu'il convient de développer au
maximum.

On peut toutefois observer qu'en dépit de cette orientation, Lacassagne a été un


partisan déterminé de la peine de mort. Cette position, toutefois, ne l'empêchait pas de
préconiser une réforme du régime pénitentiaire basée sur l'individualisation des peines.

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105

Quelle appréciation porter sur la thèse de Lacassagne ?

Cette théorie a le mérite d'avoir insisté sur le fait que le crime est la manifestation
d'une inadaptation sociale et d'avoir ainsi donné naissance à un humanisme pénal orienté vers
le reclassement du délinquant, ce que la doctrine positiviste italienne ne permettait pas. Mais
elle montre aussi ses faiblesses lorsqu'il s'agit d'expliquer pourquoi tous les individus, placés
dans un même milieu, ne deviennent pas également tous délinquants.

L'œuvre de Lacassagne est auréolée en France d'un certain prestige car on lui fait
crédit de s'être opposée aux causes biologiques de Lombroso. Et, souvent, pour établir cette
opposition entre "l'école positiviste italienne" et "l'école du milieu social" on cite, pour
illustrer les différences, ces phrases que Lacassagne aimait à répéter et qui devinrent à la
longue les aphorismes de l'école de Lyon : "les sociétés n'ont que les criminels qu'elles
méritent" et "le milieu social est le bouillon de culture de la criminalité...".

Cette séparation en deux camps bien distincts -causalité biologique chez les uns (pro
Lombroso) et causalité sociale chez les autres (pro Lacassagne)- ne rend pourtant pas bien
compte de la complexité des débats de l'époque. En isolant les affirmations de Lacassagne de
leur contexte, on oublie qu'elles ne firent jamais l'objet de controverses entre Lacassagne et
Lombroso, tout simplement parce que la théorie de Lombroso s'en accommodait fort bien.
Bref, Lacassagne n'était pas aussi éloigné de Lombroso qu'on a bien voulu le croire, parce que
finalement, sa conception du milieu social n'est pas incompatible avec une conception
biologique de crime. En fait, les aphorismes de Lacassagne constituent finalement une
stratégie permettant de se démarquer de l'école positive italienne et d'apparaître devant la
communauté scientifique internationale comme le représentant d'une autre école, cette fois
française, et facilement identifiable sous le nom d'école du milieu social.

Mais en réalité, la distance par rapport à l'école positive italienne n'est, encore une
fois, pas considérable.

Comme Lombroso, Lacassagne estime qu'il faut faire correspondre une peine
appropriée à chaque type de criminel. En fait, ce qui semble démarquer le second du premier
est cette référence au "milieu social".

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CHAPITRE V : LES TRAVAUX AMERICAINS. LES ETUDES DE CRIMINOLOGIE


SOCIOLOGIQUE

Les sociologues américains n'ont pas inventé la sociologie. Mais c'est aux Etats-Unis
que la sociologie est devenue une profession. Jusqu'à présent nous avons remarqué, en effet,
que les études qui nous intéressent en criminologie ont été principalement conduites par des
anthropologues, des médecins et quelquefois des juristes.

Aux Etats-Unis, au contraire, la sociologie va se professionnaliser et les sociologues


américains, reprenant les travaux européens, vont en faire un produit neuf.

Entre 1910 et 1970, la sociologie américaine voit se succéder diverses problématiques,


c'est-à-dire des façons d'appréhender les faits sociaux, et, en particulier le crime, à partir d'un
cadre de référence conceptuel déterminé.

C'est ainsi qu'elle a pu analyser les faits sociaux et donc le crime,, d'abord en terme de
"milieu", puis en terme de "culture", de "fonction" et enfin d’interaction".

Il est donc classique de distinguer, dans la sociologie américaine, 4 grands courants


correspondant à ces 4 problématiques :

- l'Ecole de Chicago qui crée l'étude de milieu

- le culturalisme

- le fonctionnalisme

- l'interactionnisme

Chacun de ces courants va donc proposer un cadre d'analyse (le milieu, la culture, la
fonction, l'interaction) qui énonce les problèmes à poser, les phénomènes à observer et le type
de méthode à employer si l'on veut objectiver les phénomènes pertinents, c'est-à-dire ceux
qui, au terme de l'orientation théorique, peuvent avoir un sens.

C'est dire que chaque courant met en œuvre un système de raisonnement, c'est-à-dire
une rationalité, qui lui est spécifique. Ces systèmes de penser les faits sociaux, autrement dit
ces rationalités s'ordonnent autour de principes, de postulats plus précisément, qui sont de 3
ordres : les postulats relatifs au concept fondamental qui rend compte du fait social que l'on

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veut observer ; les postulats relatifs aux éléments d'analyse qu'il convient alors de privilégier ;
enfin les postulats relatifs aux facteurs qui permettent d'expliquer le fait social observé.

Ces 4 orientations théoriques, avec leurs démarches méthodologiques respectives, vont


s'intéresser à ce phénomène social particulier qu'est la délinquance.

Et, pour éclairer ce que je viens de dire sur les postulats qui organisent la rationalité de
chaque courant, on peut dire que :

- pour l'Ecole de Chicago, le concept fondamental est celui de milieu au sens de communauté
écologique : la délinquance est alors définie en termes d'équilibre ou de déséquilibre d'une
communauté humaine particulière ; les éléments d'analyse résideront donc dans l'observation
des forces de l'environnement et les facteurs d'explication seront trouvés en termes
d'organisation ou de désorganisation de la communauté.

- pour le culturalisme, le concept fondamental est celui de système culturel : la délinquance


est définie comme un phénomène culturel ; les éléments d'analyse résideront donc dans
l'observation des groupes d'individus et les facteurs d'explication seront trouvés en termes de
socialisation, d'acculturation ou de déculturation.

- pour le fonctionnalisme, le concept fondamental est celui de structure sociale : la


délinquance est définie comme la conséquence d’ un mauvais fonctionnement du système
social ; les éléments d'analyse résideront alors dans l'étude des relations sociales, des statuts
des individus et les facteurs d'explication seront trouvés en terme de dysfonction ou de
fonction latente.

- pour l'interactionnisme, enfin, le concept fondamental est celui d'interaction : la


délinquance est définie comme le produit d'une interaction entre des individus ; les éléments
d'analyse résideront dans l'observation des rôles tenus par les individus, des stratégies, des
tactiques qu'ils déploient, et les facteurs d'explication seront trouvés en terme d'étiquetage, de
stigmatisation.

Nous allons donc maintenant étudier plus en détail chacun de ces 4 courants
sociologiques nord-américains.

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Section 1 : L'Ecole de Chicago

§1. Introduction
L’école de Chicago rassemble une série de travaux sociologiques menés par les
chercheurs de l’Université de Chicago entre 1915 et 1940. Elle est une sociologie urbaine qui
a entrepris un nombre très important de travaux concernant les problèmes sociaux auxquels la
ville de Chicago était confrontée durant cette époque-là. Elle s’est focalisée sur la
délinquance juvénile.

Après la première guerre mondiale, Chicago connait des transformations majeures


dans un très laps de temps. On assiste non seulement à une industrialisation et à une
urbanisation exponentielles, mais aussi à une immigration massive. Ces changements, liés en
partie au grand boom économique de l’après-guerre, modifient profondément le paysage
social. Chicago, à l’origine prévue pour 1 million d’habitants, se retrouve avec une population
qui avoisine 5 millions d’habitants. Les « nouveaux arrivants » sont confrontés à des
structures sociales qu’ils ne connaissent pas et qu’ils ne maîtrisent pas. Les formes
traditionnelles de contrôle et de prise en charge (famille, communauté) s’effritent dans la
ville de Chicago.

Les sociologues de l’Ecole de Chicago vont donc analyser une société urbaine se
trouvant aux prises avec des changements structurels profonds et rapides. Ils tenteront
d’expliquer « la déviance » (phénomène de gangs, délinquance croissance), en se référant à
ces changements sociaux. Ils consacreront bon nombre de leurs travaux à un problème
politique et social majeur, celui de l’immigration et de l’assimilation des millions
d’immigrants à la société américaine.

Pour les sociologues de l’Ecole de Chicago, c’est la communauté urbaine qui est
responsable du haut taux de délinquance et non pas les caractéristiques « intrinsèques » qui
seraient propres au déviant. La déviance est en quelque sorte considérée comme normale, les
déviants étant des êtres comme les autres qui subissent les conséquences d’un milieu
« désorganisé ».

Les sociologues de l’Ecole de Chicago mettent ainsi fin à l’idéologie à l’époque


encore très répandue de l’eugénisme.

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Il convient de souligner que l’Ecole de Chicago a abordé les notions de « l’écologie


urbaine », « la méthodologie qualitative », la désorganisation sociale ».. La notion d’écologie
urbaine s’inspire du monde des animaux (ex. les lions) qui luttent pour la défense du
territoire. Les sociologues de l’Ecole de Chicago soutiennent que pour expliquer la
délinquance, il faut inscrire l’individu dans son environnement.

La désorganisation sociale correspond à une perte d’influence des règles sur les
individus. Elle surviendrait lors des changements extrêmement rapides, comme per exemple
une densification de la population urbaine. Elle est le résultat d’une perte de contrôle de
l’individu sur son environnement. En fait, la désorganisation a lieu quand les attitudes
individuelles ne concordent plus avec les valeurs collectives du groupe social auquel on
appartient, lorsque les institutions sociales de ce groupe sont « périmées ». Elle a deux
conséquences : la déviance et un mouvement vers une réorganisation. Elle est donc
provisoire et précède une période de réorganisation qui mènera alors à une nouvelle
organisation sociale. Ce concept de désorganisation sociale permet de décrire comment un
système de contrôle social, enraciné dans une culture particulière, est détruit au contact d’une
autre culture, axée sur d’autres valeurs.

§2. THOMAS et ZNANIECKI


Ce sont ces deux auteurs qui, dans leur ouvrage « The Polish Peasant in Europe and
America », utilisent pour la première fois la concept de « désorganisation sociale ». cet
ouvrage, paru en 1918, étudie dans un premier temps l’organisation du groupe primaire, c’est-
à-dire la famille traditionnelle polonaise, les valeurs qu’elle prône, ses habitudes sociales, etc.
Ensuite, les auteurs se penchent sur l’analyse des facteurs économiques, politiques et culturels
qui ont contribué à l’éclatement de la famille paysanne et à une émigration massive vers les
USA. Dans la société polonaise, la désorganisation émerge quand « les individus définissent
leur situation en termes économiques, religieux, intellectuels, plutôt qu’en termes sociaux : le
désir de succès se substitue à celui de reconnaissance sociale » (Coulon, 1992 :29). Elle
amènera des milliers de polonais à émigrer vers les USA. L’immigration est donc un
indicateur de l’état de désorganisation de la société polonaise. Mais cette désorganisation va
être renforcée par l’immigration et aura pour effet de créer des comportements déviants. La
désorganisation sociale, génératrice de la délinquance, est ici le résultat d’une perte de
contrôle de l’immigrant polonais sur son environnement.

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Mais le groupe immigrant va petit à petit réorganiser ses attitudes. Cette réorganisation
n’implique pas une assimilation totale au groupe d’accueil dans la mesure où peuvent survivre
parallèlement des formes culturelles atténuées de groupe originel, dont les valeurs sont
toutefois moins restrictives.

Selon Thomas, une assimilation à la société d’accueil passe nécessairement par la


constitution d’une société américano-polonaise. Pour lui, il est essentiel de favoriser ces
formes sociales mixtes qui permettent de maintenir une continuité cohérente de la vie des
individus. L’assimilation doit donc se faire de manière progressive. Si la société américaine
entreprend d’assimiler trop rapidement ses immigrés polonais, elle risque de créer des formes
de délinquance plus ou moins violentes (symptômes pour lui de la démoralisation individuelle
des individus) car on ne peut couper un individu de son groupe d’appartenance sans que cala
n’ait des conséquences néfastes pour lui.

§3. PARK et BURGESS : le modèle écologique de la désorganisation


L’ouvrage « The City » dont la première version fut écrite en 1925 et la deuxième en
1967 est un des classiques de l’Ecole de Chicago. Ces deux auteurs s’inspirent de l’écologie
animale qui étudie la relation entre les différentes espèces, pour élaborer un type d’analyse
fondé sur la causalité. En effet, il existe entre les différentes espèces un caractère dépendant.
La vie de chacun affecte et est affectée par toutes les autres espèces qui participent à la
communauté et qui forment ensemble une sorte de super-organisme. La symbiose dans
laquelle vit ce super-organisme peut être par l’invasion d’une autre espèce. Celle-ci peut être
plus puissante et dominera les espèces les plus faibles, ce qui mènera à l’assimilation d’un
nouvel ordre symbiotique. Un ordre social peut être affecté par l’apparition de changements
sociaux rapides (urbanisation, industrialisation, immigration). Des conflits vont apparaitre
pour la domination, ce qui aura comme conséquence la désorganisation sociale. Le
compromis au niveau humain sera la déviance. Petit à petit la société s’organisera autour d’un
nouvel ordre social et une nouvelle « symbiose » apparaitra. En fait, l’équilibre des
communautés humaine est toujours précaire, ordre et désordre, désorganisation et
organisation se succèdent, assurant en quelque sorte la forme normale de l’existence d’une
ville. La proximité géographique des différents groupements humains qui caractérisent la ville
de Chicago et toutes les grandes villes ayant connu un taux élevé, mène inévitablement à un
certain déséquilibre de la société. Celle-ci est obligée de retrouver un équilibre car toute
société, qu’elle soit humaine ou animale, a besoin d’un minimum d’ordre pour survivre. Cet

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équilibre sera nécessairement différent du précédent, car composé à partir d’éléments


différents.

§.4. THRASHER
En 1927, John Thrasher publie un livre "The Gang" dont l'objet porte sur l'étude de la
délinquance juvénile.

Thrasher part du constat d'une localisation géographique de la délinquance juvénile : il


y a des secteurs de la ville qui sont plus touchés que d'autres par la délinquance juvénile.
Comment expliquer ce phénomène ?

C'est par une théorie de l'urbanisation que Thrasher va chercher à rendre compte de
l'apparition et de la perpétuation de la délinquance dans certains quartiers particuliers.

La ville industrielle américaine s'est développée en sorte que, entre le centre où sont
installés les bureaux et les magasins, et la périphérie où sont les quartiers résidentiels, un
espace intermédiaire a été libéré : s'y sont alors rassemblés les immigrants récemment arrivés
sur le sol américain ainsi que les Noirs fuyant le sud du pays.

En s'établissant dans cet espace libre, les immigrants ont en quelque sorte pris racine,
mais, comme il s'agissait d'un terrain particulièrement ingrat, leur accoutumance ne s'est pas
faite sans problèmes.

La délinquance juvénile est alors, pour Trasher, un phénomène caractéristique de cette


acclimatation socio-géographique difficile. Tout comme la nature, en écologie, a horreur du
vide, la délinquance remplit finalement les zones particulièrement défavorisées.

Thrasher exprime cela en écrivant : "Dans la nature, des matières étrangères tendent à
se rassembler et à s'agglomérer dans chaque crevasse, chaque fissure, chaque interstice. Il y a
de la même façon des fissures et des cassures dans la structure de l'organisation sociale. Le
gang de jeunes peut être regardé comme un élément intersticiel dans le cadre de la société, et
le territoire du gang est une région intersticielle dans le tracé de la cité".

Toute la théorie de Thrasher est organisée autour de cette notion d'espace intersticiel.

D'abord, les membres du gang considèrent l'espace urbain où ils évoluent, cette “
région intersticielle ”, comme un espace particulier, qui échappe à la propriété commune : ils
défendent donc cet espace contre l'invasion des autres bandes et inversement, toute intrusion

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dans les territoires limitrophes et considérée comme une agression. C'est là d'ailleurs la cause
de multiples conflits entre bandes.

Ensuite, les frontières de ces territoires sont bien marquées, bien délimitées. L'étranger
qui déambule dans la zone ne sait pas que la ligne de chemin de fer ou le stade du coin de la
rue marquent des frontières infranchissables. En revanche, tous les jeunes du quartier le
savent : ainsi, la symbolique de l'espace est si prégnante qu'elle détermine, pour les individus,
l'affiliation à des bandes particulières. Le fait d''habiter dans un même pâté de maisons
compte finalement pour plus que la couleur de la peau ou l'appartenance ethnique.

Enfin, Trasher remarque que, à cette espèce d’isolement géographique, écologique,


correspond un isolement culturel. Les activités sociales habituelles prennent ici un tout autre
sens : le vol, par exemple, n'est pas perçu comme l'appropriation du bien d'autrui mais peut
être perçu comme une activité sportive, une détente, une façon de s'occuper. On le regarde
comme naturel et, à l'invitation habituelle "Viens, on va voler", la réponse peut être : "Non, je
suis trop crevé" ou "j'ai autre chose à faire", mais jamais "c'est pas bien".

Ainsi, à la différence de ceux qui sont soumis aux pressions conventionnelles, ces
jeunes gens ne regardent pas de tels actes de délinquance comme de mauvaises conduites : ils
volent pour s'occuper, pour s'amuser.

Pour comprendre les pratiques délinquantes des bandes des jeunes, il faut donc, écrit
Thrasher, partir de l'espace urbain où vivent ces jeunes car pour lui : "De même que les
ressources naturelles d'une région ou d'un territoire déterminent de façon générale les activités
de ses habitants, de même l'habitat du gang -c’est-à-dire l’environnement dans lequel vit le
gang- forme les intérêts de ses membres -c’est-à-dire détermine leurs activités-".

Thrasher ne dit pas pour autant que cette région intersticielle soit désorganisée. Au
contraire, il pense que le gang est une forme d'organisation sociale : il est une création
spontanée des adolescents pour vivre dans une société qui leur convienne lorsqu’il n'existe
aucune société adéquate pouvant répondre à leurs besoins.

Ce qui est alors appelé par Thrasher désorganisation, c'est le fait que ces formes
spontanées de sociabilité ne peuvent pas être articulées avec les coutumes, les traditions, les
institutions, qui régissent le reste de la société. La désorganisation est donc un vice du
système total et non pas une propriété des gangs. Cette cassure -certains diraient aujourd’hui “

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cette fracture ”- dans le système social se traduit donc comme une inapplication des modèles
dominants.

Bref, cette désorganisation n'est pas absence de sociabilité ou absence de normes,


comme la définiront par la suite les culturalistes ou les fonctionnalistes. Elle est le produit du
développement non planifié, non contrôlé, non maîtrisé, des forces de l'environnement et la
délinquance est le résultat de ce développement incontrôlé d'une société où se conjuguent et
se combattent des forces diverses.

§5. SHAW et Mc KAY


Dans une série d'importantes monographies fondées pour la plupart sur des recherches
effectuées dans la ville de Chicago, Clifford Shaw et Henri Mc Kay s’intéressent eux aussi à
la délinquance juvénile et tentent d'expliquer la distribution de la délinquance juvénile dans
les villes américaines.

Les résultats de leurs recherches sont publiés dans différents livres dont un, bien
connu, s'appelle "Les facteurs sociaux de la délinquance juvénile" publié en 1931.

Ils observent que les zones à taux élevé de délinquance dans le Chicago des années
1900-1906 sont aussi des zones à taux élevé de délinquance dans les années 1917-1923.
Pourtant, la composition ethnique de ces zones s'est, dans cet intervalle de temps,
considérablement modifiée. Aussi, pour ces auteurs, quand des groupes ethniques immigrent
dans ces zones, leur taux de délinquance juvénile augmente, et inversement, quand ces
groupes ethniques quittent ces zones, leur taux de délinquance juvénile diminue. Ils en tirent
la conclusion que ce ne sont pas les groupes ethniques qui sont "facteurs" de délinquance,
mais bien plutôt le lieu, le milieu où ils habitent. Ils observent aussi que la plupart des délits
se commettent en petits groupes, ordinairement de deux ou trois individus.

Shaw et Mc Kay concluent alors que dans les zones à taux élevé de délinquance, la
criminalité et la délinquance juvénile sont devenues des aspects plus ou moins traditionnels de
la vie sociale et que ces traditions de délinquance sont transmises par des contacts à la fois
personnels et collectifs lorsque l’on s’installe dans ces zones.

La théorie de Shaw et Mac Kay les conduit à formuler le concept de "delinquency


area", c'està- dire de "zones urbaines de détérioration morale" caractérisées par des conditions
sociales et économiques défavorables et un taux élevé de criminalité.

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En effet, ils estiment que leurs recherches faites sur Chicago montrent les corrélations
existant entre la délinquance et d'autres phénomènes sociaux (comme le suicide, le chômage,
les familles monoparentales) dans certaines zones de la ville dénommées ainsi par eux "zones
de détérioration morale".

Tout comme Thrasher, Shaw et Mc Kay se placent dans une perspective géographique,
écologique. Pour eux aussi, la grande ville apparaît comme une juxtaposition de zones
concentriques différenciées.

Au centre, le quartier des affaires, des banques, des grands magasins, des offices
publics. Immédiatement adjacente, une zone surpeuplée et socialement désorganisée, autrefois
quartier aisé, peu à peu déserté par ses premiers occupants. Ils y furent remplacés par des
immigrants de date plus récente qui, eux-mêmes, une fois leur sort amélioré, désertèrent
l'endroit pour la zone voisine. D'étape en étape, le déplacement se fait ainsi vers la périphérie
au fur et à mesure de l'ascension dans l'échelle économique et sociale : zone des banlieues,
adjacente au centre, zone des habitations ouvrières, enfin zone de résidence des classes plus
aisées.

Les résultats des études de Shaw et Mc Kay établissent que la zone de délinquance
fournit constamment 60% de jeunes qui comparaissent devant le tribunal pour enfants malgré
le renouvellement incessant de la population. Ainsi, la délinquance n'apparaît pas liée à la
population mais à un quartier, ce qui atteste l'influence de l'entourage.

Cette théorie, que l'on peut ainsi qualifier d'"écologique", soutient donc que le milieu
sous - prolétarien de ces zones repoussoirs des grandes villes constitue le centre de
recrutement du milieu délinquant proprement dit, dont les traditions et les mœurs s'ébauchent
dans les bandes d'adolescents.

Les principaux organes de transmission de la délinquance sont, pour Shaw et Mc Kay,


les groupes de jeux et les bandes d'adolescents. Cependant, pour ces auteurs, bien que la
délinquance satisfasse le désir de sensation forte et d'intégration dans un groupe, elle ne se
différencie pas en cela des activités non-délinquantes : certes, les valeurs et les critères
culturels et moraux mis en œuvre dans les zones à taux élevé de délinquance ne sont vraiment
pas les mêmes que dans les zones à taux faible. Ils sont même sans doute largement
divergents ou même opposés ; il n'en reste pas moins que les motifs et les désirs que cachent
la participation des adolescents aux activités de leurs groupes sont sans doute identiques dans

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les deux situations. Ce qui fait finalement la différence, ce sont ce que Shaw et Mc Kay
nomment les "critères et les valeurs", c'est-à-dire les modèles culturels délinquants et non-
délinquants par lesquels ces désirs sont satisfaits.

Pour conclure ce paragraphe, et pour résumer la pensée des auteurs, on peut dire que
pour Shaw et Mc Kay, dans certaines zones urbaines, des traditions de délinquance sont
transmises par des contacts personnels et de groupe. Ce ne sont pas les motifs et les désirs qui
sont spécifiques aux délinquants, mais les modèles culturels mis en œuvre pour les atteindre.
Les auteurs montrent que ces traditions de délinquance se développent dans des zones à taux
élevé de rupture des contrôles sociaux. On a souvent retenu que cet aspect écologique de leur
théorie mais une lecture attentive montre que le noyau en est le processus de transmission
culturelle : dans certains endroits, on devient délinquant parce qu'une tradition de délinquance
nous est transmise. Ce processus de transmission culturelle permet d'introduire un facteur
d’explication sans lequel la liaison entre aire de désorganisation sociale et haut taux de
délinquance resterait purement descriptif et n'aurait aucune valeur explicative.

On comprend alors que le culturalisme, en germe déjà dans les études de Shaw et Mc
Kay, ait naturellement succédé à cette théorie écologique : il est difficile, en effet, de
comprendre ce milieu sans tenir compte de sa culture.

Aux études de communautés "écologiques", vont donc succéder les études de


communautés "culturelles", par une sorte de glissement de sens du terme de "milieu" : du
milieu au sens écologique, on passe au milieu au sens culturel.

Section 2 : Le culturalisme

§1. L'orientation théorique du culturalisme


Comme nous venons de le voir, le culturalisme va substituer aux problèmes de
distribution de la population dans l'espace géographique et aux questions de forme d'équilibre
des zones urbaines (“ aréa ”), le problème de la socialisation et des différences dans les
personnalités et les cultures des individus.

Ce qui dirige désormais l'attention du chercheur, ce sont les différences culturelles


entre les sociétés, les différences dans la personnalité des individus lorsqu'ils appartiennent à
divers milieux culturels, et les mécanismes de socialisation par lesquels un produit naturel
brut –le nouveau-né- devient différencié par suite de son appartenance à une culture
différente.

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L'analyse est donc psycho-sociologique puisque le problème central que se posent les
culturalistes est celui de la personnalité : comment des produits naturels statistiquement
identiques -les bébés- sont-ils transformés au point de devenir un type particulier d'individus,
adaptés à un genre de vie caractéristique d'une société particulière ?

L'opération centrale qu'il faut alors étudier, dans autant de sociétés que possible, est
celle de la socialisation c'est-à-dire l'intériorisation par les membres d'une société des modèles
culturels spécifiques à cette société. Mais, pour qu'une telle étude soit possible, il faut
distinguer 3 niveaux dans la réalité que l'on se propose d'étudier. D'abord postuler l'existence
d'une culture, c'est-à-dire d'un ensemble de modèles, d'institutions, de règles, ensemble qui
présente une certaine cohérence en sorte que l'apprentissage donne, comme résultat, des
produits relativement similaires. Ensuite, il faut postuler que le produit de départ -l'homme-
sur lequel travaille la société peut suivre des chemins extrêmement variés. Il faut donc
postuler, enfin, que tous les hommes ont, au départ, des pulsions identiques, mais que leurs
modes de satisfaction, n'étant pas innés, peuvent varier.

Dans cette optique, la délinquance est envisagée par les sociologues culturalistes, soit
comme le produit d'une transmission culturelle, soit encore comme un conflit de culture ou
encore une sous-culture.

§2. La délinquance comme produit d'une transmission culturelle. La théorie de


l’association différentielle de Edwin Sutherland
Les théories que nous allons voir maintenant mettent l'accent sur la notion de
processus d'apprentissage culturel par lequel la délinquance, qui n'est finalement qu'un aspect
de la déviance, est apprise.

Ces théories, qui insistent sur les variables situationnelles, ne doivent pas être
confondues avec les explications d'origine purement psychologique. Ces dernières tendent à
voir l'acte délinquant comme le produit de la personnalité ou encore de la structure
caractérielle : elles insistent, par conséquent, sur des variables liées à la personnalité.

Sans nier l'influence de ces variables, les théories de la transmission culturelle tendent
plutôt à considérer que la motivation d'une forme particulière de comportement délinquant
s'explique davantage par la connaissance et l'apprentissage des attitudes qui ont
manifestement et immédiatement rapport à cette forme de comportement délinquant, que par
des traits de personnalité caractéristiques de l'individu.

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Bref, les variables qui doivent être prises en considération pour expliquer la
délinquance forment, pour les tenants de ces théories, un sous-système de la personnalité, plus
ou moins indépendant des autres composantes de la personnalité. Pour comprendre cette
formule un peu savante, on peut l'illustrer en disant que, par exemple, en matière de
préférences alimentaires, notre goût pour certains plats n'a rien à voir avec nos attitudes à
l'égard du vol.

En fait, ces théories peuvent se résumer de la façon suivante : le comportement


délinquant –et plus largement, le comportement déviant- est déterminé par un sous-système
de connaissances, de croyances et d'attitudes qui rendent possibles, permettent ou même
prescrivent des formes spécifiques de délinquance dans des situations spécifiques. Ces
connaissances, ces croyances et ces attitudes doivent donc d'abord exister dans
l'environnement culturel du délinquant et elles sont ensuite "reprises", c'est-à-dire apprises et
intégrées dans la personnalité de la même façon que tous les autres éléments de la culture
ambiante.

Bien qu'elles considèrent les délinquants comme des types de personnes différents des
non délinquants, ces théories situent les différences dans un segment limité de la personnalité
; sous d'autres aspects, les délinquants sont semblables à n'importe qui d'autre. En outre, le
processus au cours duquel ils ont pris le chemin de la délinquance n'est pas différent du
processus au cours duquel les autres sont devenus des membres conformistes de la société.

Bref, nous sommes tous les enfants de notre culture. De cette façon, les théories de la
transmission culturelle minimisent le mystère et la particularité du crime et maximisent
l'humanité commune du déviant et du conforme.

Reste que la question de savoir comment les individus arrivent à intégrer les éléments
de leur culture et à sélectionner, parmi des modèles variés, le modèle délinquant, n'est pas
évidente.

Ces théories vont alors chercher la réponse dans l'observation du processus


d'apprentissage culturel.

Edwin Sutherland va tenter de formuler une théorie générale du comportement criminel en


terme de transmission culturelle.

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Sa théorie de l'association différentielle fut présentée pour la première fois dans


son manuel intitulé "Principes de criminologie" paru en 1947.

Selon sa théorie, le comportement criminel est appris; il n'est ni inhérent au


délinquant, ni inventé par lui. Il est appris au contact d'autres individus par un
processus de communication, principalement dans des petits groupes.

Cet apprentissage comprend d'abord l'apprentissage des techniques nécessaires


pour commettre l'infraction et ensuite l'apprentissage de "l'orientation des mobiles, des
pulsions, des rationalisations et des attitudes" qui permettront de la commettre. En
d'autres termes : il faut se donner de bonnes raisons de commettre l'infraction.

L'orientation des mobiles et des pulsions est fonction de l'interprétation favorable


ou défavorable que fait un individu des dispositions légales. Un individu devient donc
délinquant quand les interprétations favorables à la transgression de la loi l'emportent
sur les interprétations défavorables à la transgression. C'est là le principe de
l'association différentielle.

Chacun d'entre nous se trouve en contact avec les deux formes d'interprétation, et c'est
le rapport de l'une à l'autre qui est, finalement, décisif (exemple : brûler le feu rouge ou arriver
en retard au cours ?).

Il faut insister sur le fait que Sutherland ne parle pas d'associations entre criminels et
d'associations entre non-criminels, mais plutôt d'associations entre interprétations favorables à
la transgression et d'associations défavorables.

Ainsi, on peut, en tant qu'individu, côtoyer peu de criminels alors même pourtant que
ces associations comporteront de nombreuses expositions à des modèles pro-criminels. De
plus, même dans la fréquentation avec des criminels, de nombreuses formes de comportement
criminel peuvent être défavorablement interprétées : par exemple, le voleur peut se montrer
tout aussi défavorable au viol, au meurtre que tout citoyen conventionnel et bien-pensant.

D'autre part, des attitudes pro-délictueuses à l'égard d'une infraction, par exemple la
fraude fiscale ou l'abus de biens sociaux, peuvent être apprises de personnes qui, dans
l'ensemble, sont respectables et conformistes.

Sutherland note en outre que les associations différentielles ne sont pas toutes de poids
égal, n'ont pas toutes la même importance : certaines ont un impact, une influence plus grande

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que d'autres. Ce poids varie avec la fréquence, la durée, l'antériorité et l'intensité de chaque
association particulière :

- la fréquence : plus on est exposé à un modèle criminel, plus le risque s'accroît de devenir
criminel.

- la durée : plus les contacts avec les modèles criminels sont longs et plus le risque s'accroît de
les adopter pour son propre comportement.

- l'antériorité : elle exerce une influence décisive en ce sens qu'en règle générale, le
comportement conformiste ou criminel développé dans l'enfance peut persister toute la vie.

L'apprentissage socio-culturel se faisant, en premier lieu, dans le sein de la famille


d'origine, l'enfant peut être élevé, dressé à la délinquance.

- l'intensité : elle se rapporte au prestige du modèle criminel ou non-criminel.

Toutefois, d'un point de vue technique, il faut insister sur le fait que les mécanismes de
l'apprentissage du comportement criminel avec des modèles criminels et non-criminels sont
identiques à ceux impliqués dans tout apprentissage.

La théorie de Sutherland est aussi importante pour ce qu'elle nie que pour ce qu'elle
affirme.

En particulier, Sutherland nie que le comportement délinquant puisse s'expliquer par


des besoins et des valeurs particuliers, non parce que ces besoins et ces valeurs n'aideraient
pas à déterminer le comportement délinquant, mais parce que les comportements délinquants
et non délinquants sont les expressions des mêmes besoins et valeurs. Les voleurs volent pour
de l'argent, les gens honnêtes travaillent pour de l'argent. Aussi, pour expliquer les
différences, il faut déjà trouver où sont les différences. Pourquoi alors devient-on délinquant
tandis que d'autres pas ?

Et ces différences peuvent s'expliquer et se trouver dans le fait que la culture globale
n'est pas homogène et comporte des définitions contradictoires du même comportement, dont
l'une est avalisée par le législateur.

Les taux et la fréquence de chaque type de comportement criminel dépendent donc de


la manière dont l'organisation sociale stimule ou inhibe l'association aux modèles criminels ou
aux modèles anticriminels. Ainsi, par exemple, Sutherland remarque que la mobilité, la

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diversité et l'anonymat de la société urbaine créent plus d'occasions pour les associations pro-
criminelles que les modèles plus contrôlés de la société rurale.

Pour conclure, on peut dire que la systématisation de Sutherland a permis d'attirer


l'attention sur l'importance des relations interpersonnelles dans la genèse de la carrière
criminelle.

Certes, Tarde en avait eu l'intuition, mais il s'était trop centré sur le processus de
l'imitation.

Sutherland a approfondi les processus psycho-sociaux qui interviennent dans le


développement d'une carrière criminelle.

Mais en même temps, parce que sa théorie se situe aux frontières de la psychologie et
de la sociologie, on lui fera reproche :

- soit d'escamoter les problèmes de personnalité. C'est, par exemple, le reproche que lui fait J.
Pinatel qui ne croit pas que l'on puisse faire l'économie de l'analyse psychologique du
délinquant dans la mesure où, pour lui, le prestige des modèles culturels n'est pas le même
pour tous et dépend de variables individuelles ;

- soit d'oublier les problèmes liés à la structure sociale. On reprochera alors à Sutherland son
impuissance à expliquer pourquoi il existe une culture délinquante à transmettre, pourquoi
elle a tel ou tel contenu et pourquoi elle est distribuée de telle ou telle façon.

Ce reproche explique que certains, dans la tradition de Durkheim, se soient tournés


vers la structure sociale pour tenter d'expliquer le phénomène criminel, ce qui donnera
naissance au courant fonctionnaliste.

Mais, avant d'aborder ce courant fonctionnaliste, il faut encore voir un autre aspect du
culturalisme : celui qui explique la délinquance en terme de conflit de culture ou encore de
sous-culture.

§3. La théorie des conflits de culture : l'analyse de Thornstein SELLIN


T. Sellin est un sociologue suédois qui a joué le rôle d'intermédiaire, à la fin des
années 1930, entre les sociologues, les pénologues et les criminologues.

Il a été amené à étudier divers aspects de la dépression économique des années 1930 et
de leur influence sur le développement de la criminalité. De même, la législation américaine

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sur la prohibition et ses conséquences sociologiques ont attiré son attention. Il s'est aussi
intéressé aux statistiques criminelles. S'éloignant des doctrines criminologiques européennes,
orientées, à l'époque, vers des considérations biologiques ou psychologiques, il s'est
rapproché de la doctrine sociologique américaine, et plus particulièrement de Sutherland qui
considère, comme on l'a vu, le comportement criminel comme essentiellement appris et
comme relevant largement du domaine culturel.

C'est dans ce contexte que T. Sellin va publier, en 1938, son ouvrage fondamental
intitulé "Conflits de culture et criminalité".

A l'époque où travaille Sellin, les Etats-Unis connaissent de grands problèmes


d'immigration.

L'idée ou l'hypothèse de base de Sellin est la constatation que le fils d'immigré se


trouve confronté à la divergence, souvent cruciale, entre la culture de son milieu
d'origine, soigneusement préservée par ses parents, et la culture de son nouveau milieu
avec laquelle il prend contact à l'école ou dans la rue. D'où des tensions et des frictions
qui provoqueront souvent des actes ou des comportements délictueux.

C'est cette hypothèse qui fait l'objet du livre : la criminalité s'explique par les
conflits de culture, entendus comme conflits entre normes de conduite.

Un tel conflit peut se produire comme le résultat d'un processus de différenciation


entre groupes vivant dans une même zone culturelle ou comme le résultat d'un contact entre
normes tirées de différentes zones culturelles.

Voyons maintenant les mécanismes qui sont en jeu et vont conduire à ces conflits.

Sellin observe que, parmi les divers moyens que les groupes sociaux ont développés
pour assurer la conformité de la conduite de leurs membres, le droit pénal occupe une place
privilégiée car ses normes s'imposent à tous ceux qui vivent à l'intérieur d'un Etat et sont
appliquées grâce au pouvoir coercitif de cet Etat. Ainsi, le droit pénal peut être considéré en
partie comme un ensemble de règles qui interdisent des formes spécifiques de conduite et
indiquent des peines pour leurs violations. Mais Sellin observe aussi que le caractère de ces
règles, le genre ou type de conduite qu'elles interdisent, la nature de la sanction attachée à leur
violation, dépendent des caractéristiques et des intérêts des groupes de la population qui
exercent une influence sur la législation. Dans certains pays, ces groupes peuvent comprendre

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la majorité des individus, dans d'autres, une minorité, mais les valeurs sociales qui obtiennent
la protection du droit pénal sont toujours en fin de compte celles auxquelles les groupes
d'intérêts dominants sont le plus attachés.

Bien sûr, les normes pénales, c'est-à-dire les normes de conduites incorporées dans le
droit pénal, peuvent changer lorsque les valeurs des groupes dominants sont modifiées ou que
des changements politiques et sociaux provoquent une recomposition des groupes dominants.

Ainsi, des faits qualifiés crimes dans le passé peuvent constituer aujourd'hui un
comportement légal, tandis que des crimes dans un Etat contemporain peuvent constituer un
comportement légal dans un autre Etat (voir, par exemple, la dépénalisation de l'usage du
cannabis, de l’avortement dans certains Etats).

Sellin conclut donc que tout ce que le droit pénal de n'importe quel Etat interdit
aujourd'hui ne sera pas forcément interdit à un certain moment dans l'avenir, à moins que ne
s'installe une stagnation sociale complète, ce qui semble impossible.

La définition du crime a donc un caractère variable.

En même temps, l'homme naît au sein d'une culture. Au cours de ses contacts sociaux,
il va recevoir et adapter des idées qui lui seront transmises de façon formelle ou informelle. A
ces idées, l'individu va donner des significations particulières qui sont attachées aux
coutumes, aux croyances et à ses propres relations avec les autres et avec les institutions
sociales. Ces idées sont donc des éléments culturels qui vont s'insérer dans des modèles - ce
que Sellin appelle des configurations d'idées- ayant tendance à se fixer, à s'incorporer dans
l'esprit de chaque individu. Bref, elles deviennent des éléments de la personnalité et Sellin
appelle personnalité la somme totale de tous ces éléments.

Or, au cours de son existence, l'individu se trouve confronté à des choix. La grande
majorité de ces choix ont un caractère non dramatique, routinier et tellement influencés par
l'habitude qu'ils en deviennent presqu'automatiques ( par exemple : café, thé ou chocolat au
petit déjeuner). Dans d'autres cas, l'individu se trouve en face d'une situation nouvelle, il va
devoir réfléchir pour choisir la réponse qui lui paraît être la plus appropriée (par exemple,
boire ou conduire).

Dans tous les cas, sa réaction peut être considérée comme une expression de sa
personnalité.

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Et le caractère de cette réaction dépend de la signification qu'il donne à la situation.


Certaines de ces situations se répètent assez souvent et sont tellement socialement définies
qu'elles appellent des réponses définies ("dire bonjour à la dame"). Des normes y sont, pour
ainsi dire, attachées. Ces normes définissent la réaction ou la réponse qui, chez un individu
donné, est approuvée par le groupe normatif. L'attitude du groupe vis à vis des réponses a été,
par conséquent, cristallisée en règles dont la violation donne lieu à une réaction du groupe.
Ces règles ou normes peuvent être appelées normes de conduite. Ainsi, le droit pénal ne
contient pas à lui seul toutes les normes de conduites, mais simplement certaines d'entre elles.

Les normes de conduite sont donc des produits de la vie sociale. Les groupes sociaux
imposent à leurs membres certaines règles qui ont pour but d'assurer la protection de certaines
valeurs sociales. Sellin affirme ainsi que "l'on trouve des normes de conduite partout où l'on
trouve des groupes sociaux, c'est-à-dire universellement. Elles ne sont pas la création d'un
seul groupe normatif ; elles ne sont pas enfermées dans des limites politiques ; elles ne sont
pas nécessairement enfermées dans des lois".

En effet, tout individu fait partie d'un groupe social et inscrit ses actions dans la
société. Et, parce que la société est traversée de différents groupes sociaux, un individu
appartient simultanément à plusieurs groupes sociaux. Or chacun de ces groupes est normatif
en ce sens qu'en lui se forment des normes de conduite spécifiques. En tant que membre d'un
groupe social donné, un individu n'est pas seulement supposé se conformer aux normes
auxquelles il participe avec d'autres groupes, mais aussi à celles qui sont spécifiques au
groupe auquel il appartient.

Par exemple, un individu peut avoir à se conformer successivement aux normes de


conduite de son groupe familial, de son groupe de travail, de son groupe de jeu, de son groupe
politique, de son groupe religieux, etc...

Dans cet ordre d'idée, on comprend alors que Sellin affirme que la loi pénale contient
sans doute un grand nombre de normes de conduite, mais que finalement, elle n'est pas la
seule.

Pour Sellin, le droit pénal est le code de conduite du groupe politique. Mais, pour lui,
l'étude des normes de conduite et de leur violation doit être infiniment plus large que l'étude
des normes du crime, en raison, notamment, de la multiplicité des groupes sociaux auxquels
un individu peut concurremment appartenir.

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Or, plus une société devient complexe, plus il est vraisemblable que le nombre des
groupes normatifs qui influent sur l'individu sera important et que fera défaut la chance que
les normes de ces groupes soient uniformes, même si sur certains points elles peuvent
toutefois se chevaucher.

Sellin dit alors qu'un conflit de normes existe quand des règles de conduite plus
ou moins divergentes règlementent la situation spécifique dans laquelle un individu peut
se trouver : la norme de conduite d'un groupe dont il fait partie peut émettre une
réponse à cette situation alors que la norme d'un autre groupe dont il fait partie
permettrait une réponse complètement contraire.

De même, Sellin note que l'on peut s'attendre à trouver un conflit de norme lorsqu'un
habitant rural déménage pour la ville. Mais on peut aussi supposer que ce conflit n'aura pas
grande répercussion parce que cet individu a intégré les normes de base de sa culture qui
comprend aussi bien la ville que la campagne. Les choses sont bien différentes, et le conflit
bien plus aigü, dans le cas de groupes sociaux qui ont des ensembles de normes radicalement
différents des autres et cela, en raison des modes de vie et des valeurs sociales développés par
ces groupes.

Ainsi, des conflits de culture sont inévitables quand les normes d'une zone
culturelle émigrent ou entrent en contact avec celles d'une autre zone culturelle.

Sellin illustre son propos en prenant l'exemple de la diffusion du droit français en


Algérie, au moment de la colonisation : en introduisant le code pénal en Algérie, on
transforme en infractions des usages anciens des habitants que leur coutumes permettaient ou
imposaient.

Ainsi, chez les Kabyles, le meurtre des épouses adultères : son père ou son frère
ont le droit et le devoir de la tuer pour laver l'honneur des parents, ou encore le meurtre
par vengeance qui est aussi un devoir, de famille à famille, en cas de meurtre d'un
parent : ne pas se venger est perdre la face ou perdre l'honneur.

Bref, l'abolition du droit coutumier ne va pas sans poser problème : ce qui était
hier un devoir devient un crime.

Ce n'est là qu'un exemple. Sellin généralise en concluant que les conflits de


culture peuvent finalement se produire dans trois types de situations :

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- d'abord quand des codes culturels différents se heurtent à la frontière de zones de


culture contigües ;

- ensuite, dans le cas des normes légales, quand la loi d'un groupe culturel est étendue
pourcouvrir le territoire d'un autre groupe culturel ;

- enfin, quand les membres d'un groupe culturel émigrent dans un autre groupe
culturel.

Les conflits de culture peuvent donc naître quand différents systèmes culturels
entrent en contact les uns avec les autres: Sellin appelle conflits primaires ce type de
conflit qui procèdent de la migration de normes d'une culture à une autre, ou encore qui
se développent à la frontière de deux cultures lors d'une colonisation ou encore par
l'effet de migrations d'un groupe dans d'autres. Mais ils peuvent aussi naître à
l'intérieur d'un même système culturel : Sellin parle ici de conflits secondaires pour
désigner ces conflits qui sont dûs à un processus de différenciation sociale engendrée par
l'évolution de la culture de différents groupes sociaux.

Reste que, dans tous les cas, la conduite des membres d'un groupe impliqué dans
le conflit sera jugée anormale par l'autre groupe et qualifiées de déviante ou de
délinquante.

La théorie des conflits de culture a connu une grande fécondité. D'une part, elle a
irrigué beaucoup d'études travaillant sur migrations et criminalité. D'autre part, elle s'est
avérée capable de réintégrer les résultats des recherches menées en terme de transmission
culturelle : l'association différentielle apparaît ainsi comme une spécification des conflits
secondaires, et les "aires culturelles" de Shaw et Mc Kay en constituent une version
écologique.

§4. La délinquance comme produit d'une sous-culture. L'analyse de Albert.K. COHEN


Albert. K. Cohen est un psycho-sociologue américain. Dans son livre "Delinquent
boys", paru en 1955, il va fonder une théorie générale de la sous-culture à partir de la
délinquance juvénile. Une sous-culture est un groupe d’individus ayant les mêmes problèmes
d’adaptation à la vie sociale qui commettent des actes infractionnels pour régler ces
problèmes. Il s’agit d’un ensemble de technique et de schémas comportementaux qu’un
certain nombre de sujets ont en commun, qu’ils se transmettent les uns aux autres et par
lesquels ils résolvent ou cherchent à résoudre les difficultés de la vie.

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Au départ, il pose comme phénomène majeur de la délinquance juvénile l'existence


d'une sous-culture délinquante qu'il définit de la façon suivante :

- elle est non utilitaire : par exemple, le vol est "une activité valorisée par elle-même à
laquelle s'attache la gloire, la prouesse et la profonde satisfaction"; en d'autres termes, les
jeunes délinquants volent pour la beauté du geste et non pour le profit que l'on peut retirer de
la chose volée comme le font les voleurs professionnels ;

- elle est méchante : les méfaits sont accomplis "pour le plaisir de voir les autres dans l'ennui
ou pour le plaisir de défier les tabous" ;

- elle est négativiste, en ce sens que la sous-culture délinquante prend ses sources dans la
culture dominante mais elle inverse son sens.

Le problème que se pose alors A. Cohen est alors le suivant : compte tenu du fait que
cette sous-culture se rencontre de préférence dans les classes populaires et qu'elle est le fait
des garçons plutôt que des filles, comment expliquer à la fois son apparition et sa persistance
?

Ces deux questions vont conduire A. Cohen à formuler une théorie générale de la
sous-culture.

Pour qu'une sous-culture soit possible dit-il- il faut d'abord que les individus
rencontrent les mêmes problèmes : "la condition cruciale pour l'émergence de nouvelles
formes culturelles est l'existence d'un certain nombre d'acteurs avec des problèmes similaires
d'ajustement".

Ayant donc un problème commun d'adaptation à la vie sociale, chacun de ces acteurs
va accueillir avec soulagement, avec joie, tout signe chez les autres qui encourage une
solution qui s'écarte du droit chemin, ce que Cohen appelle une "innovation", solution peut-
être pas très orthodoxe, mais qui permet de régler ce problème d'adaptation.

Ainsi, pour que l'innovation soit possible, il faut que cette solution déviante soit
reconnue comme valable par le groupe, qu'elle soit validé par lui. Ce qui permet à Cohen de
dire que finalement, il y a un processus d'élaboration commune de la nouvelle solution, dans
la mesure où choisie par l'un, elle n'a de pertinence sociale que si elle est acceptée par les
autres.

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Ces “ innovations ” deviennent ce que Cohen appelle de “ nouveaux standards ” du


groupe, c’est-à-dire des règles qui vont conduire leurs comportements.

Cohen insiste donc sur ce phénomène d'interaction entre les membres du groupe. Il
reviendra un peu plus tard sur cette notion, dans un livre intitulé "La déviance" dont nous
parlerons aussi.

Une fois que s'est constituée une sous-culture, c'est-à-dire une fois qu'ont émergé les
"nouveaux standards" du groupe, comment cette sous-culture se perpétue-t-elle ?

Cohen indique que : "Une fois établis, de tels systèmes sous-culturels ne se perpétuent
pas par pure inertie. La sous-culture peut survivre à ceux qui l'ont créée, pour autant qu'elle
continue à servir les besoins de ceux qui ont succédé à ses créateurs.".

Pour Cohen, toute collectivité doit disposer d'un système de valeurs aux termes duquel
chaque individu qui la compose se voit assigner une place, une position dans la hiérarchie
sociale. Et si un tel système de valeurs n'existe pas, les individus ne sont pas en mesure
d'obtenir du respect de la part des autres individus. Or, Cohen observe que dans certaines
situations, certains groupes ne parviennent plus à faire apprécier leurs performances ou leurs
actions par rapport aux valeurs instituées (c’est l’exemple, des pauvres, des jeunes des
banlieues...). Dès lors, se constituent des systèmes de valeurs marginaux, c’est-à-dire une
sous-culture, en marge de ceux de la société dominante. Mais, dans la mesure même où
s'instaure ce que Cohen appelle une sous-culture, le clivage entre les groupes qui s'en
réclament et la société globale s'accuse. Du coup, vont aussi s'accentuer davantage d'une part,
la séparation du groupe par rapport à la société globale et d'autre part la dépendance des
membres du groupe les uns par rapport aux autres. Par conséquent, la dépendance est accrue
par le seul fait que ces individus se sont constitués en sous-culture. Il y a ainsi une sorte de
logique interne de la sous-culture qui tend à s'affirmer toujours davantage par le seul fait qu'en
se constituant elle redouble l'inadaptation de ceux qui y participent.

On comprend alors que Cohen fonde sa théorie de la délinquance sur un mécanisme


central qui est celui de la socialisation. Plus précisément, il insiste sur les difficultés que
rencontre la socialisation des enfants issus des classes populaires. Pour lui, il y a contradiction
entre la socialisation familiale et la socialisation scolaire, et c'est à cette contradiction que les
adolescents réagissent lorsqu'ils se constituent en bandes délinquantes. C'est une façon de
régler un problème d'adaptation.

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Les expériences et les problèmes dépendent, en effet, du système de valeurs des


individus.

Aussi, tant que la socialisation se réduit à l'éducation familiale, les enfants issus des
classes populaires intériorisent des modèles homogènes et cohérents. Mais, dès qu'ils entrent
en contact avec le système scolaire, une disparité apparaît. En effet, le système de valeurs aux
termes duquel les performances des enfants sont appréciées à l'école est celui de la classe
moyenne. Or, si les enfants des classes moyennes voient ainsi l'éducation familiale confirmée,
on demande finalement aux enfants des classes populaires de renoncer à leur culture d'origine
pour adopter les modèles de la classe moyenne.

Autrement dit, l'école n'est pas tant un lieu où se redouble l'inégalité que celui où se
déculturent les enfants issus des classes populaires : ces enfants doivent finalement faire le
deuil de leur culture familiale. Certains jeunes vont alors s'acculturer aux valeurs de la classe
moyenne, c’est-à-dire tenter d’intérioriser les valeurs de la classe moyenne, mais ils n'en
demeurent pas moins dans une situation difficile. Car le fait d'avoir partiellement abandonné
les valeurs de leur classe d'origine, alors même qu'économiquement ils y appartiennent
encore, les conduit à ce que les culturalistes nomment pudiquement des "problèmes
d'adaptation" et à ce que Cohen nomme des "solutions sous-culturelles". La délinquance est
alors la forme extrême que peut prendre ce processus de déculturation-acculturation. Ainsi,
les formes non utilitaire, négativiste ou méchante que prend cette sous-culture délinquante
exprime d'une certaine façon le trouble dans lequel se trouve le jeune incapable de résoudre
cette contradiction entre deux cultures intériorisées.

Le modèle que Cohen développe dans "Delinquent boys" s'inscrit donc dans la théorie
des sous-cultures délinquantes. On a remarqué, en analysant sa théorie, que Cohen marquait
au passage l'importance de l'acte délinquant comme "solution sous-culturelle", acte qui doit
être validé par les autres membres du groupe pour devenir pertinent, ou comme dirait Cohen,
pour devenir un "nouveau standard" du groupe.

Plus tard, Cohen va essayer d'approfondir cet aspect de sa théorie.

Il va donc intégrer l'acte criminel dans son analyse, en le considérant comme une
réalité effective, spécifique. Pour lui, l'acte criminel est un phénomène particulier dans la vie
du délinquant, et qui se distingue bien des autres actes de ce dernier. Aussi, il se propose
d'étudier l'acte criminel en lui-même et de le réintégrer dans l'explication de la délinquance.

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Il complète donc la théorie des sous-cultures délinquantes en proposant de tenir


compte de l'acte délictueux dans l'explication de la délinquance.

Comme le note R. Gassin dans son manuel de Criminologie (Ed. 1990, p.203), A.K.
Cohen conçoit l'acte délictueux comme l'aboutissement d'une interaction entre l'acteur et la
situation pré-criminelle au terme d'un processus de passage à l'acte.

Cette définition permet de mettre en évidence les facteurs qui, pour Cohen, expliquent
la délinquance : il s'agit d'une interaction entre un auteur et une situation. En outre, Cohen
montre que l'acte criminel n'est pas quelque chose de figé mais le point d'aboutissement d'un
processus qui se déroule dans le temps et par une série d'étapes au cours desquelles auteur et
situation sont en interaction constante. Enfin, pour Cohen, l'acte criminel n'est jamais
entièrement déterminé par le passé et le processus de passage à l'acte peut voir son cours se
modifier quand il y a changement, soit de la personnalité de l'auteur de l'acte, soit de la
situation, soit des deux.

Cohen va expliquer sa théorie dans un ouvrage bien connu, publié en 1966 et intitulé
"La déviance".

Il observe que beaucoup de théories du comportement déviant présument que la


délinquance peut être expliquée par des différences au niveau de l'auteur. Dans ces théories,
on se demande finalement quelle est la sorte d'individus qui fait cette sorte d'acte et quelles
sont les caractéristiques des auteurs. Et, pour autant que la situation joue un rôle, elle est
cependant traitée comme une circonstance qui déclenche l'acte mais qui réalise une tendance
déjà présente chez l'individu et qui se serait de toute façon exprimée tôt ou tard. Du coup, ces
théories se bornent à essayer d'élaborer une classification ou une typologie des personnalités
dans laquelle chaque type possède une tendance à présenter tel ou tel genre de comportement.

En réalité, pour Cohen, ces théories oublient de tenir compte du fait que, la
délinquance résulte d'une interaction entre un auteur et une situation. Plus précisément, dans
ces théories, cette interaction est traitée comme un épisode unique : tout se passe comme si il
y avait un passage brusque d'un état de conformité à un état de déviance, de délinquance.

Cohen préfère mettre l'accent sur le processus d'interaction, c'est-à-dire insister sur le
fait que l'acte délinquant se développe dans le temps, par une série d'étapes successives.

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Pour lui, un individu prend, pour atteindre un but, une direction qui peut être orientée
dans un sens délinquant ou non. Cependant, le pas suivant qu'il accomplira n'est pas
entièrement déterminé par l'état des choses au point de départ. L'individu peut choisir entre
deux ou plusieurs directions possibles. Ce que sera son choix dépendra de lui mais aussi de la
situation à ce moment précis : et, avec le temps, auteur et situation peuvent avoir connu des
changements.

Par exemple, pendant que l'auteur se demande s'il va voler telle voiture en
stationnement, qu'il se détermine à le faire, un agent de police apparaît brusquement au coin
de la rue. La situation a changé et elle va influer sur le choix de l'auteur.

Bref, Cohen conçoit l'acte lui-même comme une tentative, un processus de


tâtonnement du terrain, qui n'est jamais entièrement déterminé par le passé et qui est toujours
susceptible de modifier son cours en réponse à des changements intervenus au niveau de
l'auteur, ou de la situation, ou des deux.

Si l’on veut résumer, on peut dire que, pour Cohen, le processus d'interaction possède
5 grandes caractéristiques :

1- L'acte ne survient pas brusquement : il se développe et possède une histoire. Bien


qu'une étape de son développement puisse être un antécédent nécessaire à une autre étape, le
mouvement d'une étape à l'autre n'est pas entièrement déterminé par les antécédents ;

2- les circonstances qui déterminent le choix de telle ou telle solution comprennent à la


fois les propriétés de la personne et celles de la situation ;

3- certaines circonstances qui participent au développement de l'acte sont tout à fait


indépendantes des évènements survenus au cours des étapes antérieures (c’est l’exemple du
policier et de la voiture en stationnement de tout à l’heure). Toutefois, d'autres circonstances
sont des conséquences, souvent non prévues, des évènements survenus antérieurement.

Par exemple, un individu cambriole une maison. De façon inattendue, le propriétaire


rentre chez lui et le cambrioleur le tue. Ce qui était au départ un cambriolage s'achève en
meurtre, à la suite d'une circonstance qui n'était pas nécessairement implicite dans l'étape
précédente de l'acte. Ainsi, Cohen observe que les cultures délinquantes conduisent
fréquemment à des actes délinquants non parce qu'elles incitent directement les individus à

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131

agir de façon intentionnellement délinquante mais parce qu'elles les encouragent à se placer
dans des situations dans lesquelles il y a un risque élevé de commettre un acte délinquant ;

4- la composante situationnelle dans le processus d'interaction consiste surtout en


effets de retour, ce que l'on appelle le feedback de la part des autres.

En effet, le développement de l'acte délinquant dépend de la victime, des témoins, des


individus touchés par l'acte, et plus précisément de la façon dont ils perçoivent l'acte et dont
ils réagissent.

Pour être délinquant, un comportement doit donc être perçu comme tel : il faut donc
que les témoins, au sens de groupe social, considèrent l'individu comme délinquant. Cet
étiquetage dépend en partie de la réputation que l'auteur avait avant son acte mais aussi de
l'autorité de ceux qui appliquent la définition de ce qu'est le comportement délinquant.

Et dans la mesure où l'étiquette de délinquant devient un élément de son identité,


l'auteur peut alors ne plus avoir les choix dont il disposait auparavant. Et comme les choix
deviennent de plus en plus limités ou les alternatives légitimes plus coûteuses, l'auteur peut se
laisser aller dans la direction du comportement compatible avec le rôle stigmatisé, c'est-à-dire
le rôle que l'on attend de lui. Ce comportement sera alors interprété comme la confirmation du
"diagnostic" antérieur - “ je vous l’avais bien dit que c’était un délinquant ”- et aura sans
doute pour conséquence une nouvelle restriction des choix de comportement possible, ce qui
conduira à un engagement plus profond encore dans le rôle de délinquant. Au cours de ce
processus, l'auteur peut arriver à découvrir les satisfactions et les profits qu'il peut tirer de ce
rôle. Il peut acquérir de nouveaux objets de référence qui le soutiendront dans sa délinquance.

Bref, l'individu peut finir par accepter le nouveau rôle comme partie de son soi, c'est-
à-dire à se voir comme les autres le voient, c'est-à-dire comme un délinquant et
éventuellement comme quelqu'un "qui ne peut rien y faire" en agissant de la sorte.

5- Mais, tout comme la délinquance peut être l'expression d'un rôle que l'on se donne,
ou qui nous est attribué, les réponses à la délinquance peuvent l'être également. Les individus
peuvent répondre à la délinquance répressivement ou sévèrement, avec indignation ou avec
tolérance, avec compréhension, gentiment mais fermement ou encore en tendant l'autre joue...

Généralement, on attribue ces diverses réactions à des différences qui seraient le


produit de la propre socialisation des individus et on en reste là. Cohen va plus loin dans

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l'analyse et ajoute que ces réactions peuvent aussi être motivées par le besoin de prouver aux
autres le genre de personne que l'on est. Ainsi, la façon dont nous étiquetons les autres et dont
nous répondons à leurs actions délinquantes, ou plus largement déviantes, est en partie
déterminée par nos investissements dans les rôles personnels que nous voulons tenir, c'est-à-
dire dans la façon dont nous voulons nous présenter aux autres et dans la perception que nous
avons des comportements qui valident ce rôle.

Pour conclure, on peut dire que, en mettant l'accent sur le concept de processus
d'interaction, processus qui, comme il le reconnaît lui-même, n'est pas spécifique à la
délinquance mais qui concerne tous les actions humaines, Cohen a amené les sociologues à
étudier de façon plus approfondie le passage à l'acte en terme d'interaction.

Sous cet aspect, on peut donc considérer que Cohen annonce le courant
interactionniste.

Toutefois, avant d'étudier ce courant interactionniste, il faut encore faire un détour par
le fonctionnalisme.

Section 3 : Le fonctionnalisme

§1. L'orientation théorique du fonctionnalisme


A priori, culturalisme et fonctionnalisme sont deux théories qui semblent avoir
beaucoup de points communs.

Dans les deux cas, en effet, la société est analysée comme une totalité et de
nombreuses notions (telles que norme, modèle, institution, statut, etc.) sont communes.

Cependant, cette identité de vocabulaire ne signifie pas forcément qu'il y ait une
identité conceptuelle, et donc explication identique de la délinquance.

Prenons l'exemple de la notion de statut qui est un concept de base du fonctionnalisme


et que l'on retrouve dans le culturalisme.

Au sens culturaliste, une position statutaire est la position qu'occupe un individu dans
la hiérarchie du prestige. Autrement dit, il s'agit d'un concept qui permet d'évaluer la position
d'un individu dans la hiérarchie sociale d'une communauté donnée.

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Au contraire, pour les fonctionnalistes, le statut est une position sociale dans un réseau
de relations sociales. Et, comme un individu au cours de sa vie, entretient de multiples
relations sociales, il occupe plusieurs positions sociales, c'est-à-dire plusieurs statuts
différents.

Pour les fonctionnalistes, chaque position statutaire définit, pour celui qui l'occupe, un
ensemble de relations bien définies avec les autres, c'est-à-dire une espèce de contrat vis-à-vis
de ceux avec qui il est en relation statutaire (par exemple, en tant que médecin, X... a un
certain nombre de droits et de devoirs vis-à-vis des malades, des infirmières, de ses
collègues...etc).

Les fonctionnalistes appellent rôle, le contenu de ce contrat. Ainsi, avoir tel ou tel
statut nous conduit à tenir tel ou tel rôle.

Mais, par ailleurs, chaque individu occupe simultanément diverses positions statutaires
: par exemple, tel individu est à la fois un juge, catholique, de droite, marié, deux enfants,
joueur de football,...

Les exigences qui définissent chacun de ces rôles sont, dans la plupart des cas,
compatibles les unes avec les autres. Il peut se faire cependant que, dans des circonstances
particulières, elles apparaissent comme difficilement conciliables, voire même radicalement
incompatibles.

Ce concept de statut est un concept fondamental de la théorie fonctionnaliste.

Mais, jusque-là, il n'y a pas de différence fondamentale avec le culturalisme dans


lequel on admet aussi qu'un individu puisse appartenir à plusieurs groupes sociaux.

Aussi, c'est dans la façon d'analyser ce concept de statut que les différences vont
apparaître avec le culturalisme.

Tout d'abord, le problème de la motivation des individus ne se pose plus de la même


façon que dans le culturalisme..

Dans le culturalisme, la question fondamentale est celle de savoir comment rendre


compte des différences entre les conduites des individus qui appartiennent à des cultures
différentes. Cette question conduit à mettre l'accent sur l'unité du système normatif aux termes
duquel les individus qui appartiennent à une culture déterminée règlent leurs pratiques.

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Pour le fonctionnalisme, le point de départ est inverse : l'accent est mis au contraire
sur la grande diversité des conduites des individus appartenant à une même culture. Comment
expliquer alors que les conduites soient différentes alors qu'existe une unité du système
culturel?

Pour les fonctionnalistes, les conduites sont diverses parce que, au sein d'un même
système culturel, les statuts sociaux occupés par les individus sont eux-mêmes très divers.

Et donc, à partir du moment où les rôles que chaque membre d'une même culture peut
être amené à occuper sont très divers, on ne peut pas régler le problème de leur apprentissage
à partir d'une théorie de l'intériorisation des modèles communs à ceux qui appartiennent à
cette culture.

Et il ne sert donc pas à grand-chose de s'interroger sur la personnalité de base des


individus ou de se demander comment un individu peut, par exemple, se déculturer ou
s'acculturer.

Il est préférable alors de se placer du point de vue du fonctionnement du système


social et de rechercher quel est le type d'individu défini comme pertinent par le système social
pour occuper tel ou tel statut (par exemple, le "chauffeur de taxi", le "bureaucrate", le
"juge",...).

Ainsi, le problème de la socialisation n'est-il plus l'axe central des recherches ou, plus
exactement, ou alors si, mais à condition de donner à ce mot un sens différent.

Pour les fonctionnalistes, la socialisation ne peut pas être, comme le pensent les
culturalistes, un processus d'intériorisation, d'apprentissage de règles culturelles, tout
simplement parce qu'il n'y a pas de modèle culturel commun à intérioriser. Il s'agit plutôt d'un
mécanisme de sélection des individus en vue de pourvoir différentiellement à des positions
qui sont définies par la structure sociale.

Mais alors, comment les fonctionnalistes arrivent-ils à expliquer que les conduites,
mêmes si elles sont différenciées, n'en présentent quand même pas moins un caractère de
standardisation? Tout le monde joue en effet, de la même façon le rôle du juge ou de
professeur, ou même d'étudiant...

C'est ici que les fonctionnalistes traitent de la question de la motivation de façon


différente de celle des culturalistes, en y intégrant une théorie de l'anticipation.

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Cette théorie de l'anticipation consiste à dire que si les individus n'enfreignent pas,
dans la grande généralité des cas, les systèmes de normes qui, différentiellement, régissent les
relations sociales, ce n'est pas parce qu'ils l'ont intériorisé dès l'enfance (comme diraient les
culturalistes), mais parce que, dans leurs conduites, ils vont anticiper les rôles des positions
sociales qu'ils peuvent être amenés à occuper : par exemple, pour celui qui veut devenir juge,
mieux vaut ne pas boire, ne pas commettre d'escroquerie et essayer d'adopter le profil d'un
bon sujet, bon père de famille, bref de répondre à l'attente des divers individus avec lesquels il
sera en relation.

Ainsi, grâce aux anticipations statutaires, l'individu s'interdit des écarts trop grands qui
pourraient remettre en question le système. Par exemple, dans le film "Le cercle des poètes
disparus", le professeur de lettres incite ses étudiants à monter sur leur table : il a mal anticipé
sa position statutaire, ou il n'a pas voulu le faire : autrement dit, il n'a pas rempli le rôle que le
système social attendait de lui. Conséquence : il est viré. Et si, par hasard je vous incitais à un
comportement semblable, je connaitrais sans doute le même sort. Pourquoi ? Parce qu'à
terme, je remettrais en cause l'équilibre du système social, à travers la menace de déséquilibre
que je ferais peser sur l'un des éléments de ce système social : le sous-système universitaire.

Ainsi, dans le fonctionnalisme, ce problème de la motivation renvoie à un problème


central qui est celui du fonctionnement du système social.

Pour les fonctionnalistes, en effet, le système social global -ce que nous appelons "la
société"- est composé d'éléments interdépendants qui sont eux-mêmes des systèmes ou, plus
précisément des sous-systèmes : l'école, l'église, la justice, le parlement sont, par exemple, des
sous-systèmes de notre système social global.

Cette notion de système ne se rencontre pas dans la théorie culturaliste où l'analyse se


limite aux relations individu-société à travers les opérations de socialisation (déculturation -
acculturation, apprentissage).

Comme nous l'avons fait pour les autres courants sociologiques, nous allons illustrer le
propos par deux exemples tirés de travaux d'auteurs fonctionnalistes : les travaux de Merton
d'abord dans lesquels la délinquance, et plus largement la déviance, s'inscrit dans une théorie
générale de l'anomie ; ceux de Cloward et Ohlin ensuite qui ont directement appliqué
l'analyse fonctionnaliste à la délinquance.

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§2. La théorie de l'anomie : Robert King MERTON


Durkheim appliquait le concept d'anomie à la division du travail et au suicide. Il n'a
pas tenté de développer ce concept pour construire une théorie générale du comportement
déviant.

En 1938, Robert King Merton publie, dans la Revue américaine de sociologie, un


court article intitulé "Social structure and anomie" qui établit les fondations d'une théorie
générale.

Merton commence par approfondir et rendre explicite une distinction en trois points,
distinction qui était implicite dans l'analyse du suicide de Durkheim.

Le fonctionnement de la société repose sur trois variables fondamentales :

- premièrement, il y a les buts culturels : c'est-à-dire les désirs et les aspirations que la
culture inculque aux hommes. Ces buts culturels constituent un aspect de ce que Merton
appelle la "structure culturelle".

- deuxièmement, il y a les normes : c'est-à-dire l'ensemble des règles sociales qui


prescrivent aux hommes les façons de faire qu'ils peuvent légitimement employer pour
atteindre les buts culturels. Ces normes représentent un second aspect de la structure
culturelle.

- troisièmement, il y a les moyens institutionnalisés : c'est-à-dire les possibilités offertes


par la société pour accomplir les buts culturels d'une manière compatible avec les
normes.

Merton observe alors que les sentiments de frustration, de désespoir ou d'injustice et,
plus généralement de tension sociale, ne dépendent pas de chacune de ces variables mais de la
relation entre elles.

Ainsi, par exemple, une disjonction peut se produire entre les buts, c'est-à-dire les
désirs, et les moyens institutionnalisés-les possibilités-, soit par une escalade des buts (c'est le
"toujours plus"), soit par une restriction de la définition des moyens légitimes pour les
accomplir (par exemple, une situation de chômage prolongée).

L'interaction entre ces trois variables -but, norme et moyen- détermine la distribution de ce
que Merton nomme la "tension socialement structurée".

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La structure culturelle peut prescrire des buts similaires pour tous les membres du
système social, ou des buts différents pour tous les individus occupant différentes positions
sociales (cf. apartheid).

Elle peut aussi prescrire certaines normes pour accomplir ces buts qui sont uniformes
pour tous les membres de la société, ou elle peut aussi interdire à ceux qui occupent une
position sociale donnée ce qu'elle permet aux autres.

Par exemple, Merton remarque que la société américaine de l'entre-deux guerres


tend à prescrire aux hommes de toutes classes et de toutes conditions sociales le but
culturel de "bien réussir" mais entièrement en termes de réussite matérielle et
pécuniaire, et les règles du jeu, les normes, ne diffèrent pas beaucoup selon les
différentes positions sociales. Pourtant, en réalité, dans la vie quotidienne des individus,
les possibilités d'accomplir ces buts culturels, autrement dit les moyens institutionnels,
varient considérablement selon les positions sociales. D'où, évidemment, l'existence de
grandes frustrations et le développement d'une tension sociale (c'est cette tension
socialement structurée dont parle Merton), en particulier dans les classes inférieures
dont l'accès aux moyens institutionnellement permis est moindre.

Cette disjonction entre les buts et les moyens, et la tension qui en résulte,
conduisent à un affaiblissement de l'engagement des hommes envers les buts
culturellement prescrits ou les moyens institutionnalisés, c'est-à-dire à une situation
d'anomie.

L’anomie est alors conçue comme une rupture dans la structure culturelle qui
va se produire quand il y a une disjonction importante entre les normes et les buts
culturels d’un côté et les moyens institutionnalisés des membres du groupe de s’y
conformer de l’autre.

Merton met alors en évidence les façons logiquement possibles de s'adapter à


cette disjonction, autrement dit 5 modes d'adaptation construits autour de 2 variables :

- les individus peuvent accepter ou rejeter les buts culturels

- ou ils peuvent accepter ou rejeter les moyens institutionnalisés.

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Ce qu'ils font d'un côté ne détermine pas forcément ce qu'ils feront de l'autre. On a, dès
lors, deux variables qui peuvent prendre chacune deux valeurs : positive (+) ou négative
(-).

Les résultats possibles sont classés dans le tableau, où le signe + signifie "acceptation"
et le signe - "rejet" et le signe ± "rejet des principales valeurs et introduction de nouvelles
valeurs".

Typologie des modes d'adaptation individuelle

Modes d'adaptation Buts culturels Moyens institutionnalisés


Conformisme + +
Innovation + -
Ritualisme - +
Evasion - -
Rébellion ± ±
Source : R.K. MERTON : Eléments de théorie et de méthode sociologique

On peut commenter ce tableau :

Le premier de ces résultats est le "conformisme", dans lequel l'individu adhère aux
buts culturels et aux moyens institutionnalisés pour atteindre ces buts.

Les autres comportements constituent tous des genres de comportements déviants.

Les "innovateurs" (par exemple, les voleurs professionnels, criminels en col blanc,
tricheurs aux examens) adhèrent aux buts (faire de l'argent, obtenir un diplôme), mais rejettent
les moyens normativement prescrits.

Les "ritualistes" font une vertu du "sur-conformisme" aux moyens institutionnalisées


au prix d'un "sous-conformisme" aux buts culturellement prescrits. C'est l'exemple des
bureaucrates qui suivent aveuglément les règles sans considération des buts pour lesquelles
elles ont été établies. Bref, c'est l'employé de la CAF qui veut absolument le papier jaune sans
quoi pas de sous...

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Ceux qui recourent à "l'évasion" (par exemple, les toxicomanes, les alcooliques
chroniques) se retirent de la compétition sociale en abandonnant à la fois les buts et les
moyens.

Enfin, les "rebelles" (par exemple, les membres des mouvements révolutionnaires) se
détournent d'un système social et culturel qu'ils estiment injuste et cherchent à reconstituer la
société sur de nouvelles bases, avec un ensemble nouveau de buts et de règles pour les
réaliser.

On terminera cet exposé de la théorie de Merton par quelques remarques.

D'abord cette explication des comportements sociaux est plus large que la simple
explication de la délinquance. En effet, elle met en œuvre le concept de déviance, concept
plus large que celui de délinquance : les comportements délinquants sont des comportements
déviants mais l'inverse n'est pas vrai : tous les comportements déviants ne sont pas des
comportements délinquants.

Ensuite, cette approche de la déviance ne se concentre pas sur les caractéristiques des
individus mais bien sur les positions que ces individus occupent dans le système social et les
tensions qui peuvent en résulter. Et elle situe les sources de cette tension, non dans l'individu,
mais dans la structure sociale et culturelle. Il s'agit donc bien d'une approche radicalement
sociologique.

Enfin, elle permet de traiter à la fois de la conformité et de la déviance à l'aide d'un


modèle conceptuel simple et économe. C'est en ce sens que l'on peut parler de "théorie
générale".

Cette théorie reste toutefois très incomplète. Certes, Merton examine les déterminants
de la tension (buts culturels, normes et moyens institutionnalisés) et les réponses à la tension
(modes d'adaptation). Il fait également quelques observations sur les facteurs qui influencent
le choix de tel ou tel mode d'adaptation. Cependant, il ne présente pas de classification
systématique de ces facteurs déterminants et encore moins d'explications, de règles générales
opérant la liaison entre les classes de facteurs et les classes de modes d'adaptation. Ainsi, on
reprochera à Merton de ne pas expliquer pourquoi, c'est-à-dire selon quels facteurs, un
individu devenait "conformiste", "ritualiste", "rebelle", etc.

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§3. CLOWARD et OHLIN et la théorie des opportunités différentielles


Les travaux de ces deux sociologues américains, Richard Cloward et Lloyd B. Ohlin,
s'inscrivent dans la tradition fonctionnaliste. Dans un ouvrage paru en 1960 et ayant pour titre
"Delinquency and opportunity : a theory of delinquent gangs" ils notent que Merton ne
s'intéressait finalement pas aux facteurs qui pouvaient expliquer qu'un individu choisisse tel
ou tel mode d'adaptation (le conformisme, le ritualisme...etc).

Ces auteurs vont alors développer le concept "d'occasion illégitime" pour tenter de
remédier à cette lacune.

Ils constatent que les occasions légitimes, que l'on peut définir comme l'utilisation de
moyens normativement acceptables pour atteindre des buts culturels, sont distribuées très
différentiellement dans la structure sociale. Mais surtout, ils insistent sur le fait que les
occasions illégitimes, c'est-à-dire les occasions de réaliser les buts culturels par des moyens
illégitimes, le sont aussi.

Cloward et Ohlin partent du principe que les réponses déviantes, et donc les réponses
délinquantes, prennent une forme sous-culturelle. En cela, ils se rapprochent de Sutherland.

Mais, pour eux, le fait qu'une sous-culture délinquante naisse, de même que la forme
qu'elle va prendre dépend de la position qu'occupe l'individu par rapport à la structure sociale.
Pourquoi? Parce que la structure sociale détermine, en effet, la structure des occasions
illégitimes.

La structure des occasions illégitimes se compose en grande partie des occasions


d'apprendre, de pratiquer et de remplir des rôles délinquants. Plus spécifiquement, elle
implique un milieu qui contient des modèles de déviance réussie, des occasions pour adopter
ces modèles et la mise en place d'agents et de techniques pour rendre la délinquance
praticable et fructueuse.

La délinquance est posée, par Cloward et Ohlin comme un système de rôles et le


mécanisme fondamental qui l'explique est donc l'occasion, ce que les auteurs nomment plus
spécifiquement la "structure d'opportunité".

Nous allons voir que même si l'on trouve, dans leur théorie, des éléments qui évoquent
les théories antérieures (sous-culture, association différentielle), l'explication proposée est
radicalement différente.

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A première vue, en effet, la théorie de Cloward et Ohlin semble être une variation de
la théorie de Cohen. En effet, la délinquance est analysée comme sous-culture. Plus
exactement, les auteurs distinguent 3 types de sous-culture possibles :

- la sous-culture criminelle (les "méchants" : meurtriers, violeurs...)

- la sous-culture conflictuelle (les bandes de jeunes, ceux dont on dit aujourd'hui qu'ils
commettent des "incivilités")

- la sous-culture retraitiste (les toxicos, par exemple).

Mais, dès qu'ils définissent ce terme de sous-culture, il apparaît qu'ils ne parlent pas du
tout de la même chose que Cohen.

Nous avons vu que la sous-culture délinquante chez Cohen se définissait comme sens
reconnu à certaines pratiques des délinquants (les "nouveaux standards"). Cloward et Ohlin ne
cherchent pas à définir le sens que les délinquants donnent à leurs conduites mais ils partent
de la définition institutionnelle de l'acte délinquant.

L'acte délinquant est la violation d'une norme qu'accompagne une sanction, infligée
par le groupe social au délinquant : "L'acte délinquant est défini -écrivent-ils- à partir de 2
éléments essentiels, c'est un comportement qui viole des normes fondamentales de la société
et, quand il est officiellement reconnu, il provoque un jugement, par les agents de la justice
criminelle, établissant que de telles normes ont été violées".

Une telle définition a un sens méthodologique : désormais on peut utiliser à bon droit
les statistiques judiciaires dans une étude empirique sur la délinquance car le fait d'être
sanctionné est partie intégrante du phénomène de délinquance. C'est un élément de la
définition de la délinquance.

Cloward et Ohlin vont alors développer leur théorie : la délinquance est à l'origine de la
constitution d'un groupe particulier : la bande (et non l'inverse comme le pense un culturaliste
: la bande est à l'origine de la délinquance).

A partir du moment, en effet, où l'on admet que la punition de l'acte délinquant est un
état constitutif de l'acte délinquant, cet acte devient essentiellement dangereux pour celui qui
le commet. A ce titre, il peut être considéré comme une épreuve exigée à l'intérieur du groupe.

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Chez Thrasher, on a vu que l'acte délinquant est une "espièglerie" à laquelle s'amusent
les jeunes ; chez Cohen, l'acte délinquant exprime l'angoisse des jeunes dans une culture
traversée par des contradictions et constitue une réponse à un problème d'adaptation; chez
Cloward et Ohlin, l'acte délinquant est un défi et, à ce titre, une épreuve ou un rite grâce
auquel le titre de membre de la bande est conféré. Ce qui signifie aussi, par conséquent, que
tous les jeunes, quoiqu'ayant des problèmes d'adaptation, ne seront pas forcément admis dans
la bande.

La délinquance n'est donc pas le produit naturel d'un groupe de jeunes désœuvrés, en
proie à l'ennui ; la délinquance est la condition nécessaire sans laquelle aucune bande ne
saurait se former.

Du coup la "bande" dont il est question ici n'est pas le groupe de jeunes habitant le
même quartier. La notion de bande est définie par Cloward et Ohlin comme un système de
rôles différenciés. Il y a un chef, des lieutenants et des exécutants et il peut y avoir ce que les
auteurs appellent des spécialisations fonctionnelles ( celui qui fait le guet, celui qui sait ouvrir
un coffre de banque, celui qui porte les sandwiches...). Bref, la bande a une structure
organisée.

Tenir ces divers rôles suppose l'accomplissement de conduites illégales car la nature
de la performance va déterminer le rang et la tâche de chacun des membres de la bande. Et si
une telle diversification des fonctions est possible, c'est parce que le groupe reconnaît la
légitimité d'un certain nombre de règles.

La sous-culture délinquante n'est alors rien d'autre que l'ensemble des prescriptions sur
lequel l'accord du groupe s'est fait. La prescription majeure est, bien sûr, celle de la
délinquance : "Une sous-culture délinquante est une sous-culture dans laquelle certaines
formes d'activité délinquante sont des exigences essentielles si l'on veut accomplir les
rôles dominants supportés par cette culture".

Le consensus interne au groupe que définit la sous-culture a pour fonction ce que


Cloward et Ohlin nomment "l’intégration resserrée" du réseau de relations qu'entretiennent les
délinquants en tant que membres de la bande. A l'égard du monde extérieur, la sous-culture
fournit à ses membres un principe de légitimation. Elle permet au délinquant, quand il est
arrêté, de défier les autorités, de justifier et de réinterpréter ses actes.

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Une telle reformulation a alors une conséquence essentielle : elle permet de rendre
compte des variations dans le contenu de la sous-culture délinquante, ce que ne permettait
pas, à l'origine, la théorie de Cohen. Cloward et Ohlin reconnaissent qu'il y a bien certains
groupes de délinquants dont on peut dire que la sous-culture est négativiste, méchante et non-
utilitaire.

Mais, à côté de cette délinquance "conflictuelle", il existe pour eux d'autres formes de
délinquances qui ne peuvent pas être définies à partir de ces valeurs comme, par exemple, la
sous culture criminelle : Cloward et Ohlin proposent donc de distinguer la sous-culture
retraitiste et la sous-culture criminelle qui, elles fonctionnent sur d'autres valeurs.

C'est en ce sens que la théorie de Cloward et Ohlin se distingue de celle de Cohen.


Celle de Cohen devient un cas particulier, autrement dit, le phénomène de départ pour
Cloward et Ohlin c'est la diversité des sous cultures délinquantes et c'est précisément de cette
diversité que la théorie de Cohen ne peut pas rendre compte.

Mais alors, il faut encore expliquer pourquoi ces sous-cultures délinquantes se


rencontrent plus particulièrement chez les adolescents des classes populaires.

Et, pour cette explication, il n'est pas question de faire appel à une théorie de la
socialisation (sous peine de tomber dans une théorie culturaliste).

En effet, à partir du moment où en bon fonctionnaliste on considère qu'il existe non


pas une sous-culture délinquantes mais des sous-culture délinquantes dont les contenus
normatifs peuvent varier à l'extrême, il ne sert à rien d'essayer de démontrer comment le
contenu idéologique, le "modèle" de culture- fait l'objet d'un long apprentissage depuis la
petite enfance puisqu'il n'existe pas un modèle mais une multitude de modèles différents. Ce
qu'il faut montrer, par contre, lorsque l'on est fonctionnaliste, c'est comment de telles sous-
cultures peuvent se constituer dans le système social.

Pour cela, Cloward et Ohlin vont se souvenir de l'enseignement de Merton.

En effet, dans la théorie de l'anomie, Merton se livre à une analyse structurale du


comportement déviant.

Le système social, comme on l'a vu, peut être contradictoire. Et c'est en raison de ce
caractère contradictoire du système que certaines sous-cultures vont pouvoir prendre
naissance.

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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Pour Merton, l'environnement d'un individu est composé d'une part de la structure
culturelle et d'autre part, de la structure sociale.

La structure culturelle est définie, on l'a déjà vu, comme l'ensemble organisé des
valeurs normatives gouvernant le comportement des individus, ensemble de valeurs qui
est commun aux membres de la société ou d'un groupe déterminé.

La structure sociale peut être définie comme l'ensemble organisé des relations sociales
dans lesquelles les membres d'une société sont diversement impliqués.

L'anomie est alors conçue comme une rupture dans la structure culturelle qui va
se produire quand il y a une disjonction importante entre les normes et les buts culturels
d'un côté et les capacités socialement structurées-les moyens institutionnalisés- des
membres du groupe de s'y conformer de l'autre. Ainsi, selon cette conception, les valeurs
culturelles peuvent contribuer à produire des comportements qui sont en contradiction avec ce
que prescrivent ces valeurs mêmes. Par exemple, si le but culturel est le "toujours plus" et que
l'individu ne dispose pas de la capacité de s'y conformer parce qu'il appartient à une classe
défavorisée, il va être conduit à voler pour atteindre ce but culturel, c'est-à-dire pour se
conformer à cette valeur culturelle qui fait de l'argent, de la possession, l'étalon de la réussite
d'un individu. Mais en même temps, il adopte un comportement interdit par ces valeurs
mêmes.

Or, selon la position qu'un individu occupe dans la structure sociale (médecin, notaire,
ouvrier, enseignant, chauffeur de taxi, chômeur...), il est ou il n'est pas en situation d'agir
conformément aux prescriptions de la culture du système social.

Donc, par conséquent, si l'on veut définir l'inégalité sociale, il ne faut donc pas partir,
comme le font les culturalistes, des valeurs culturelles différentes selon les classes sociales
mais des différences objectives entre les conditions dans lesquelles vivent les individus.

Les membres des classes défavorisées sont les individus dont la situation socio-
économique rend difficile, voire même impossible, l'accès aux positions socialement
recherchées pour les privilèges en fortune, en prestige ou en pouvoir qu'elles confèrent, bref
pour pouvoir atteindre les buts culturels.

Dès le départ, les gens des classes défavorisées ont un handicap qu'ils n'arrivent que
tout à fait exceptionnellement à rattraper.

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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Pour Cloward et Ohlin, ce qui est ainsi crée, ce sont les conditions des sous-cultures
délinquantes :

" Nous suggérons -écrivent-ils- que de nombreux adolescents issus des classes
populaires font l'expérience du désespoir, qui naît de la certitude que leur position dans la
structure économique est relativement fixée et immuable ; un désespoir d'autant plus poignant
qu'ils sont exposés à l'idéologie culturelle dans laquelle l'incapacité à s'orienter vers les
hauteurs sociales est considérée comme faute morale et dans laquelle l'échec à la mobilité
ascendante est regardée comme preuve de cette tare".

Qu'il s'agisse de Merton ou de Cloward et Ohlin, on le voit, dans les deux cas, on rend
compte de l'apparition plus fréquente de la délinquance dans les milieux défavorisés sans
avoir recours à une théorie culturaliste telle que la déculturation/acculturation de Cohen, mais
en tenant compte de la position qu’occupe un individu dans la structure sociale.

Section 4 : L'interactionnisme (Ici nous sommes dans le paradigme de la réaction


sociale)
L'interactionnisme va étudier les relations entre l'auteur d'un acte déviant, délinquant,
l'acte lui-même et la réaction qu'il provoque de la part de la société.

Ce courant va mettre l'accent sur le changement de l'image de soi de l'auteur d'une


déviance à la suite de son passage par la justice pénale et sur les conséquences qui vont
s'ensuivre. On va alors analyser les caractéristiques individuelles et sociales des individus qui
ont fait l'objet d'une telle réaction sociale institutionnalisée, parce qu'ils ont commis un acte
délinquant pour en déduire l'explication de ce passage à l'acte.

La tendance interactionniste en sociologie de la déviance est inspirée par les travaux


d'un psycho-sociologue : George-Herbert Mead.

Nous allons donc parcourir brièvement sa théorie, de façon à pouvoir en comprendre


les implications sur le plan de la théorie criminologique.

§1. La théorie des rôles : G.H. Mead


G.H. Mead a exposé sa théorie dans un livre écrit en 1934 et traduit en français sous le
titre "L'esprit, le soi et la société".

Pour lui, pour que les individus puissent communiquer les uns avec les autres, ils
doivent d'abord apprendre à identifier, définir et classer les objets qui les entourent. Par

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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exemple, ils doivent indiquer à eux-mêmes le genre d'objet qu'ils ont à traiter. L'objet étant
identifié ( une "femme", un joueur de foot-ball"), un ensemble d'attitudes et d'attentes est
provoqué et ce sont ces attitudes, ces attentes qui vont déterminer en grande partie ce que
l'individu va faire, la façon dont il va se comporter par rapport à l'objet.

Or les catégories dans lesquelles nous classons les objets, que ce soit des choses ou
des personnes sont socialement construites. Par exemple, les catégories de personnes
socialement reconnues (par exemple, un juge, un enseignant, un chômeur...) sont des rôles
sociaux et, au cours de notre enfance, puis de notre adolescence et encore après, nous
apprenons ce système de rôles : nous apprenons les critères qui définissent socialement telle
ou telle personne (comme juge, enseignant ou chômeur...), les signes par lesquels elle peut
être reconnue, les images de ce que cette personne paraît, les attentes relatives au
comportement qu'elle doit avoir.

Le soi, c'est-à-dire l'image que nous avons de nous-mêmes, est aussi un objet social.
C'est l'acteur en tant que vu, désigné et jugé par lui-même. La façon de se sentir, la manière de
se conduire, ce que nous tentons de faire de nous-même, nos tentatives pour se transformer,
tout cela dépend en premier lieu du genre d'objet que nous pensons être ou désirons être.

Or, les types de soi possibles dépendent de la culture : étudiant, professeur, citoyen, ...
De plus, ces rôles existent en nombre limité et nous sont plus ou moins imposés. En effet, le
soi est élaboré au cours du processus d'interaction avec les autres.

En traitant avec les autres, c'est-à-dire en communiquant avec eux, nous découvrons ce
que nous sommes, c'est-à-dire les catégories dans lesquelles nous sommes rangés. Bien sûr,
nous pouvons prétendre à être un certain type de personne, mais cette revendication doit
prendre un sens dans les termes de la culture de ceux avec qui nous communiquons et nous
devons la rendre plausible. Pour cela, nous devons la valider en rencontrant, en adoptant, les
critères culturels du rôle. Par exemple, si je veux vous apparaître comme un professeur, il faut
que je me conduise selon les critères culturels qui définissent ce qu'est un professeur (que j'en
adopte le comportement, le discours, la tenue...).

Et nous savons ensuite que nous avons réussi la validation du rôle quand les autres
indiquent, par leurs réponses, qu'ils nous acceptent comme spécimens valables du rôle. Par
exemple, le fait que vous soyez sagement assis devant moi, à prendre des notes de ce que je

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dis, me laisse croire que, dans ces eaux glacées de l'interaction sociale, je joue bien mon rôle
et que vous y croyez.

Ainsi, chacun de nous est continuellement engagé, durant toute sa vie dans un
processus de construction, de maintien et d'adaptation d'un soi. Agissant à partir du répertoire
des rôles fournis par sa culture, l'individu joue à être tel ou tel genre de personne, constate son
succès ou son échec qu'il lit dans les réponses des autres.

Or, tous les rôles auxquels nous sommes identifiés ne sont pas activement recherchés
et cultivés par nous-mêmes. Nous pouvons résister à certains rôles et les refuser (tels les rôles
d'alcooliques ou d'anciens prisonniers), ou encore les accepter avec résignation (rôle de
malade mental en traitement).

Ainsi, les rôles que nous tenons sont forgés dans des concessions mutuelles de
l'interaction de groupe. Ils sont aussi façonnés à la mesure des forces et des ressources de
chaque membre du groupe, par ajustements successifs : nous ayant assigné à nous-même tel
ou tel rôle, encore faut-il que les autres l'acceptent. Or, les autres peuvent aussi nous
contraindre à adopter un rôle que nous n'acceptons pas ou auquel nous nous résignons. Et, une
fois "pris" dans le rôle, nous sommes disposés à adopter tous les ensembles de comportements
qui expriment ou soutiennent ce rôle.

Ainsi, du point de vue de la théorie des rôles, le nœud central du problème du


comportement délinquant ou déviant, devient le processus d'acquisition des rôles et
d'engagement dans les rôles de délinquant.

§2. Les implications de l'interactionnisme en criminologie


C'est à partir des années 1950 que va se développer, en criminologie, une théorie
systématique du comportement déviant basée sur la réaction sociale.

Les auteurs qui s'inscrivent dans ce mouvement vont distinguer alors le premier
passage à l'acte -simple phénomène accidentel- des éventuelles réitérations secondaires.
Celles-ci marquent un engagement de l'auteur dans la délinquance et cette amplification
secondaire est présentée comme découlant de l'effet stigmatisant de la réaction sociale
intervenant quand la justice pénale classifie comme délinquant celui qui s'est contenté en
premier lieu de poser un acte délinquant.

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Sur ce tronc commun se sont développés différents courants interactionnistes. L'un des
plus connu est celui de l'étiquetage social, représenté, notamment, par Howard Becker.

§3. H.S. Becker : la théorie de l'étiquetage (labelling theory)


Becker, né en 1928, a étudié la sociologie à l'Université de Chicago. Il publie, en
1963, un ouvrage fondamental "Outsiders". Ce livre a constitué une étape très importante du
développement récent de la sociologie de la déviance. Et on peut dire que son auteur est à
l'origine du renouveau de la criminologie en France, dans les années 1970.

En effet, il a contribué à élargir les limites dans lesquelles s'inscrivaient


antérieurement les recherches sur la délinquance. Le terme de déviance qui désigne le
domaine de la vie sociale étudié dans Outsiders possède, dans la sociologie américaine un
sens plus large que celui de délinquance : sont qualifiés de "déviants" les comportements qui
transgressent des normes acceptées par tel groupe social ou par telle institution. Cette
catégorie inclut donc les actes sanctionnés par le système pénal, par exemple la
consommation de marijuana étudiée plus particulièrement dans le livre, mais aussi les
maladies mentales ou l'alcoolisme, qui sont des comportements déviants mais non
délinquants. Becker comprend même dans ce champ d'étude un groupe professionnel comme
les musiciens de jazz qui n'est exclu et ne s'exclut de la société conventionnelle que par son
mode de vie et ses goûts.

En ce sens, le livre de Becker s'inscrit dans le courant de la sociologie interactionniste


américaine des années 60, avec des auteurs tels que Erving Goffman [Asiles (1961), Stigmate
(1963)] ou Edwin Lemert [Déviance et contrôle social (1967)].

Le terme de "outsider" signifie, pour Becker, le terme "étranger". Mais ce terme même
d'étranger a un double sens, selon que l'on se place du point de vue du groupe ou du point de
vue de l'individu :

- est "étranger" d'une part, l'individu qui, ayant transgressé une norme est perçu par le groupe
social comme un type particulier d'individu auquel on ne peut pas faire confiance pour vivre
selon les normes sur lesquelles s'accorde le groupe. L'individu est donc considéré comme
étranger au groupe

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- Mais, d'autre part, l'individu qui est ainsi étiqueté comme étranger peut voir les choses
autrement. Il se peut qu'il n'accepte pas la norme selon laquelle on le juge ou qu'il dénie à
ceux qui le jugent la compétence ou la légitimité pour le faire. Il en découle donc un second
sens du terme : le transgresseur peut estimer que ses juges sont étrangers à son univers.

Becker va alors essayer d'expliquer les situations et les processus auxquels renvoie ce
terme d'Outsiders à double usage, c'est-à-dire qu'il va observer les situations dans lesquelles la
norme est transgressée et celles dans lesquelles on la fait appliquer, et les processus qui
conduisent certains à transgresser les normes et d'autres à les faire respecter.

Dans ce but, il commence par définir le terme de déviance : il note que la conception
sociologique qui définit la déviance par le défaut d'obéissance aux normes du groupe oublie
un élément central dans cette définition, à savoir que la déviance est créée par la société.

Pour Becker, cette affirmation ne signifie pas, comme on le dit classiquement, que
les causes de la déviance se trouvent dans la situation sociale de l'individu ou dans les
facteurs sociaux qui sont à l'origine de son action. Ce que Becker veut dire, c'est que les
groupes sociaux créent la déviance en instituant des normes dont la transgression
constitue la déviance, en appliquant ces normes à certains individus et en les étiquetant
comme déviants. Bref, la norme et son application créent la déviance : supprimez le code
pénal et il n'y a plus de délinquants.

Donc, de ce point de vue, la déviance n'est pas une qualité de l'auteur ou de l'acte
commis par lui, mais plutôt une conséquence de la création et de l'application, par les
autres, de normes et de sanctions à un "transgresseur". Le déviant est celui auquel cette
étiquette a été appliquée avec succès et le comportement déviant est celui auquel la
collectivité attache cette étiquette.

Puisque la déviance est une conséquence des réactions des autres à l'acte d'une
personne, on ne peut donc pas supposer qu'il s'agit d'une catégorie homogène.

Il ne s'agit pas d'une catégorie homogène parce que :

- d'une part, le processus n'est pas infaillible : des individus peuvent être désignés
comme déviants alors qu'en réalité, ils n'ont transgressé aucune norme.

- d'autre part, on ne peut pas non plus supposer que la catégorie qualifiée de déviante
comprendra effectivement tous les individus qualifiés de déviants : une partie de ceux-ci

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peuvent ne pas être appréhendés et échapper aux poursuites pénales, par exemple. (il y
en a même qui deviennent ministres !)

Donc, pour Becker, puisque la catégorie n'est ni homogène, ni exhaustive, il est


vain de chercher à découvrir, comme le fait la criminologie classique, par exemple, dans
la personnalité ou dans les conditions de vie des individus des "facteurs" du crime qui
leur seraient communs.

Par contre, ce qui est commun à tous ces individus, c'est qu'ils partagent tous
l'étiquette de déviants ainsi que l'expérience d'être étiquetés comme étrangers au groupe
social.

Becker part donc de cette identité fondamentale pour analyser la déviance : il


considère la déviance comme le produit d'une transaction effectuée entre un groupe
social et un individu qui, aux yeux du groupe, a transgressé une norme. Il ne s'intéresse
donc pas aux caractéristiques sociales des déviants mais concentre son analyse sur le
processus au terme duquel ces individus vont être considérés comme étrangers au
groupe, ainsi qu'à leurs réactions à ce jugement, à cet étiquetage.

Le caractère déviant ou non d'un acte dépend donc de la manière dont les autres
réagissent, bref de ce que l'on appelle la réaction sociale. Or, face à un acte donné, la
réaction peut varier.

Il peut y avoir, par exemple :

- d'abord une variation dans le temps (cf. légalisation de l'IVG) ;

- ensuite une variation selon les catégories sociales auxquelles appartiennent celui qui a
commis l'acte et celui qui s'estime victime de l'acte : les lois s'appliquent
tendanciellement plus à certaines personnes qu'à d'autres.

Tout cela pour dire que le caractère déviant ou non d'un acte donné dépend en partie
de la nature de l'acte, c'est-à-dire de ce qu'il transgresse ou pas une norme, du genre de norme
transgressée, et en partie de ce que les autres en feront. La déviance est donc, non une
propriété du comportement lui-même, mais de l'interaction entre la personne qui
commet l'acte et celles qui réagissent à cet acte.

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Becker va donc s'attacher, à partir de plusieurs cas concrets, tel l'exemple des fumeurs
de marijuana, à décrire la genèse du comportement déviant selon ce qu'il appelle un modèle
séquentiel, c'est-à-dire un modèle qui prend en compte le fait que le comportement se
développe dans le temps selon une séquence ordonnée. Pour cela, il utilise le concept de
"carrière déviante".

La première étape d'une carrière déviante consiste la plupart du temps à commettre


une transgression, c'est-à-dire un acte non conforme à un système particulier de normes.

Pour rendre compte de cette étape, pour l'expliquer, Becker remarque que la plupart du
temps, on se demande pourquoi l'auteur a voulu commettre cet acte. Et on se pose cette
question parce que l'on présuppose que la différence fondamentale entre le déviant et le non-
déviant réside dans la nature de leurs motivations. Mais, pour Becker, ce présupposé est peut-
être totalement faux. Il est, pour lui, beaucoup plus vraisemblable que la plupart des individus
connaissent très fréquemment des tentations déviantes. Becker renverse alors la question :
pour lui, il est en effet plus juste de se demander pourquoi ceux qui respectent les normes tout
en ayant des tentations déviantes ne passent pas à l'acte. Le début de la réponse est sans doute
dans l'analyse de ce qu'il appelle le processus d'engagement par lequel un individu "normal"
se trouve progressivement impliqué dans les institutions et les conduites conventionnelles. Ce
terme d'engagement renvoie au processus par lequel un individu, le temps passant, trouve de
plus en plus d'intérêts à adopter une ligne de conduite conventionnelle. Aussi, quand un
individu "normal" découvre en lui une tentation de déviance, il est capable de la réprimer en
pensant aux multiples conséquences qui s'ensuivraient s'il y cédait. En d'autres termes, rester
"normal", conformiste, représente un enjeu trop important pour qu'il se laisse influencer par
des tentations déviantes.

Aussi quand on examine les actes de déviance, il faut se demander comment l'individu
concerné parvient à échapper à ses engagements dans le monde conventionnel. Pour Becker,
un tel processus est rendu possible parce que l'individu emploie des techniques de
neutralisation, c'est-à-dire des "justifications" de la déviance : lorsqu'une action est entreprise
pour satisfaire des intérêts que l'on estime légitime, elle devient, sinon tout à fait régulière, du
moins pas tout à fait irrégulière.

A partir de là, pour certains individus, l'acte déviant restera exceptionnel, tandis que
d'autres feront de la déviance leur genre de vie. Pour Becker, un des mécanismes qui
conduisent à une activité déviante constante repose sur le développement de motifs et

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d'intérêts déviants. Et, pour lui, ce sont des motifs socialement appris qui sont à l'origine de
cette activité : les individus apprennent à participer à une sous-culture organisée à partir d'une
activité déviante particulière. En cela, Becker se rapproche du culturalisme mais il s'en
distingue aussi vite en ajoutant que, pour être déviant, il ne suffit pas de se livrer à une activité
déviante. Encore faut-il être pris et publiquement désigné comme déviant. Pour Becker, il
s'agit là de l'étape la plus cruciale du processus de formation d'un mode de comportement
déviant stable.

Qu'une personne franchisse ou non ce pas dépend moins de ses propres actions que de
la décision des autres de faire, ou non, respecter la norme qui a été transgressée.

Le fait d'être pris et stigmatisé comme déviant a des conséquences importantes sur la
participation ultérieure à la vie sociale et sur l'évolution de l'image de soi de l'individu. La
conséquence principale est un changement dans l'identité de l'individu aux yeux des autres.
En raison de la faute commise, il acquiert un nouveau statut : il sera dorénavant étiqueté
comme "drogué", "violeur", "voleur" ou "pédé"...

Bref, pour être qualifié de "délinquant" il suffit officiellement d'avoir commis un


"délit". Le mot de délit, du point de vue du Code pénal, n'implique rien d'autre, mais il
comporte socialement de façon sous-entendue un certain nombre de connotations qui
attribuent à tous ceux qui reçoivent cette étiquette des caractéristiques accessoires.

Ainsi, par exemple, si un homme a été reconnu coupable d'un cambriolage, a été
condamné, et pour cette raison qualifié de délinquant, on va présumer qu'il est
susceptible de commettre d'autres infractions ; c'est ce postulat qui conduit la police,
quand elle enquête sur un nouveau délit, à faire une rafle parmi les personnes connues
pour avoir commis antérieurement des infractions (cf. l'individu "bien connu de nos
services").

De plus, on considère que cet homme risque de commettre d'autres types de délits
puisqu'il s'est révélé être une personne "qui ne respecte pas la loi". Ainsi, un individu
qui a été appréhendé pour un seul acte déviant court le risque, par ce fait même, d'être
considéré comme déviant sous d'autres rapports. Et, pour Becker, traiter une personne
qui est déviante sous un rapport particulier comme si elle l'était sous tous les rapports,
c'est énoncer une prophétie qui contribue à sa propre réalisation.

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En effet, divers mécanismes vont alors se déclencher qui concourent à modeler la


personne sur l'image qu'en ont les autres ; à faire de la personne ce que les autres voudraient
qu'elle soit.

D'abord, du fait de cette officialisation de la déviance, la participation à des groupes


respectueux des normes conventionnelles, bref au groupe des "honnêtes gens" tend à devenir
impossible, même lorsque les conséquences de l'activité déviante n'auraient pas, par elles-
mêmes, entraîné l'isolement de son auteur si elles étaient restées secrètes. Par exemple, bien
que l'effet de la drogue n'altère pas forcément votre capacité de travail, une réputation de
toxicomane a toutes chances de vous faire perdre votre emploi. Dans de telles situations (le
chômage), il est alors difficile de se conformer aux autres normes même si, au départ, on ne
comptait pas les transgresser et l'on risque alors de se retrouver déviant sous d'autres aspects :
le toxicomane se voit, par exemple, contraint à d'autres types d'activités illégitimes, telles que
le vol, parce que les employeurs respectables refusent de l'embaucher ou de lui conserver son
emploi. Ainsi, le toxicomane se trouve placé, en raison même du mode de traitement de sa
déviance, dans une position telle qu'il est nécessairement conduit à la fraude et au délit, ne
serait-ce que pour se procurer sa dose habituelle. Mais, on le voit, sa conduite résulte moins
de propriétés inhérentes à l'action déviante que des réactions des autres à sa déviance.

Bref, l'explication de la déviance tient finalement à deux éléments :

- il faut qu'une norme soit instituée,

- il faut qu'elle soit appliquée à un auteur.

Becker va donc s'intéresser aux circonstances dans lesquelles la norme va être


appliquée à un individu déviant ou, au contraire, ne le sera pas. Pour lui, l'explication met en
jeu plusieurs facteurs.

Premièrement, il faut que quelqu'un prenne l'initiative de créer, d'instituer une norme,
puis de faire punir le présumé coupable : créer et faire appliquer une norme suppose donc un
esprit d'entreprise et implique un entrepreneur.

Ensuite, il faut que ceux qui souhaitent voir la norme appliquée attirent l'attention des
autres sur l'infraction : il faut, en d'autres termes que quelqu'un crie "au voleur!". Et, pour
crier au voleur, il faut y trouver un avantage.

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Enfin, c'est l'intérêt personnel qui pousse à prendre cette initiative. Et le type d'intérêt
personnel varie en fonction de la complexité de la situation. Il y a des situations complexes,
dans lesquelles la norme peut être interprétée de plusieurs façons divergentes, ou encore des
situations dans lesquelles l'imposition du respect de la norme peut faire naître des conflits.

La création, l'institution de la norme est le produit de l'initiative de certains individus


que Becker appelle des "entrepreneurs de morale". Il en distingue deux types :

- ceux qui créent la norme : ce sont les individus qui entreprennent une croisade pour
la réforme des mœurs et qui se préoccupent du contenu des lois et pensent agir pour le bien de
l'humanité. Par exemple, ils vont être convaincus que, pour assurer le bonheur universel, il
faut faire interdire le tabac, ou l'alcool, et qu'il faut donc réformer la loi. Ils peuvent obtenir le
soutien de gens dont les motifs sont moins purs mais, en définitive, ce qui compte pour eux
est la fin et non les moyens. Quand ils en viennent à esquisser des réglementations
spécifiques, ils font alors fréquemment confiance aux spécialistes et ce sont souvent alors des
juristes qui sont consultés car ils sont experts dans l'art de rédiger un texte légal en termes
recevables.

Ainsi, ces entrepreneurs de la morale ont besoin des services de professionnels. Mais,
en laissant à d'autres le soin de mettre au point des lois spécifiques, Becker observe qu'ils
laissent la porte ouverte à des influences imprévues car ceux qui préparent les lois peuvent
avoir leurs propres intérêts à défendre, qui risquent d'influencer la législation préparée.

- ceux qui font appliquer les normes : avec la création d'une législation nouvelle,
Becker note que l'on voit souvent s'établir un nouveau dispositif d'institutions et d'agents
chargés de faire appliquer celle-ci. Aussi, ce qui a débuté comme une campagne pour
convaincre le monde de la nécessité morale d'une nouvelle norme devient finalement une
organisation destinée à faire respecter celle-ci. Ainsi, pour Becker, le résultat final d'une
croisade morale, c'est souvent une nouvelle force de police.

Becker s'est alors intéressé au travail du policier et en a tiré les réflexions suivantes
quant à l'application de la norme :

Le policier qui est chargé de faire appliquer la loi trouve dans cette occupation sa
raison d'être.

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Deux intérêts conditionnent son activité dans le cadre de ses fonctions: il doit,
premièrement justifier de son emploi et, deuxièmement, gagner le respect de ceux dont il
s'occupe.

Pour justifier l'existence de son emploi, le représentant de la loi ( le policier, mais


aussi plus largement le magistrat) rencontre un double problème :

- d'une part, il doit démontrer aux autres que le problème ne cesse pas d'exister : les lois qu'il
est censé faire appliquer (et, du coup, son travail) ont de l'importance puisque des infractions
sont commises.

- d'autre part, il doit montrer que son travail est efficace et que la délinquance est bien prise en
charge comme il convient.

Du coup, notre pauvre représentant de la loi est pris entre deux impératifs
contradictoires : il dit d'abord qu'en raison de son travail acharné, la solution du problème est
proche ; mais, en même temps, pour justifier son existence, il doit aussi affirmer que le
problème est plus grave que jamais.

De la même manière, le représentant de la loi est poussé à croire que les gens dont il
s'occupe doivent le respecter parce que sinon il lui sera très difficile de faire son travail. C'est
pourquoi Becker observe qu’une bonne part de l'activité du policier ne consiste pas
directement à faire respecter la loi, mais bien contraindre les gens dont il s'occupe à le
respecter lui-même. Becker en tire la conclusion que quelqu'un peut être qualifié de déviant
non parce qu'il a effectivement enfreint la loi, mais parce qu'il a manqué de respect envers
celui qui est chargé de la faire appliquer.

Et, parce qu'il n'a pas les moyens matériels de tout traiter, le représentant de la loi
dispose aussi d'un grand pouvoir d'appréciation et établit des priorités. C'est donc de façon
sélective que les représentants de la loi, répondant aux propres pressions de leur situation,
appliquent la loi et créent des catégories de personnes extérieures au groupe. Ainsi, le
classement effectif dans la catégorie "déviant" d'un individu dépend de plusieurs facteurs qui
sont extérieurs au comportement réel de cet individu : sentiment des représentants de la loi
qu'à un moment donné, pour justifier leur emploi, ils doivent manifester qu'ils font leur travail
; degré de déférence témoigné envers ceux-ci par le fautif ; intervention d'un intermédiaire
"bien placé" dans le processus judiciaire ; place du genre d'acte commis dans la liste des
priorités des représentants de la loi, etc.

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Pour conclure, on peut dire que l'apport essentiel de Becker est d'analyser la déviance
comme une action publiquement disqualifiée et comme le résultat des initiatives d'autrui.

Avant qu'un acte quelconque puisse être considéré comme déviant, et qu'une catégorie
d'individus puisse être étiquetée et traitée comme "Outsiders", comme étrangère à la
collectivité pour avoir commis cet acte, il faut que quelqu'un ait instauré la norme qui définit
l'acte comme déviant.

Les normes ne naissent pas spontanément. Pour qu'une norme soit créée, il faut que
quelqu'un appelle l'attention du public sur certains faits, puis donne l'impulsion indispensable
pour mettre les choses en train - une réforme législative- et dirige les énergies ainsi mobilisées
dans la direction adéquate.

Sans ces initiatives destinées à instaurer des normes, la déviance, qui consiste à
transgresser une norme, n'existerait pas.

Mais la déviance est aussi le produit d'initiatives à un autre niveau.

Une fois que la norme existe, il faut qu'elle soit appliquée à des individus déterminés
avant que la catégorie abstraite de déviants que crée cette norme puisse se peupler. Il faut
découvrir les délinquants, les identifier, les appréhender et prouver leur culpabilité. Cette
tâche incombe normalement à des professionnels spécialisés dans l'imposition du respect des
normes ; ce sont eux qui, en faisant appliquer des normes préexistantes, créent une catégorie
spécifique de déviants, d'outsiders.

L’étiquetage désigne l’opération consistant à assigner à autrui une identité


déviante et à qualifier de déviant l’acte commis par cet individu.

§4. David Matza


Dans ce courant interactionniste, on peut encore citer David Matza, sociologue de la
nouvelle Ecole de Chicago. En 1964, il publie un livre "Delinquency and drift" dans lequel il
analyse la délinquance juvénile. Or cette analyse va déboucher sur l'analyse du système
judiciaire comprenant les tribunaux pour enfants, la police, et les délégués à la liberté
surveillée.

Comment D. Matza arrive-t-il à ce résultat?

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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D'abord, parce qu'il définit la délinquance comme un processus, une "dérive" : cette
dérive est une séquence de mouvements graduels, de changements successifs, non perçus
comme tels par l'acteur. La délinquance est donc analysée comme un passage entre statuts,
mais ce passage n'est pas expressément ou consciemment effectué : pour Matza, le délinquant
ne choisit jamais clairement la délinquance; il navigue, il dérive, entre la société
conventionnelle et la société déviante, répondant tour à tour aux demandes de l'une ou de
l'autre. Ainsi, le délinquant dérive (drift) entre l'action criminelle et l'action conventionnelle.

Et si Matza étudie en détail la justice pour mineurs et les agents de ce système


judiciaire, c'est parce que, pour lui, c'est l'institution judiciaire qui va avoir la charge de fixer
la dérive et de répartir les désignations, les "étiquetages" dirait Becker, entre délinquants et
non-délinquants.

L'originalité de la pensée de Matza est d'affirmer que cette désignation fait l'objet
d’une connivence, d'une transaction entre les parties, c'est-à-dire entre le juge et le jeune
délinquant.

Cette démarche est donc originale dans la mesure où, à partir du moment où l'on
suppose une certaine complicité, une certaine connivence, entre le juge et le délinquant, il
devient impossible de définir la délinquance comme une sous-culture, comme le faisaient les
auteurs que nous avons précédemment étudiés (Cohen, Cloward et Ohlin, par exemple).
Matza insiste sur un fait, que les culturalistes n'avaient peut-être pas assez remarqué, c’est que
les délinquants sont des adolescents.

Le fait même de leur jeunesse rend improbable la création d'une sous-culture


délinquante parmi les délinquants juvéniles : pour qu’une sous-culture puisse naître, il faut
qu’elle puisse s’isoler du reste de la société. Or Matza observe que la culture dominante, celle
des adultes, imprègne tout le système de valeurs des adolescents qui restent ainsi encerclés
par la culture conventionnelle. D'ailleurs, Matza observe que lorsque l'on demande à des
délinquants de hiérarchiser un certain nombre de délits, on retrouve exactement la même
hiérarchie que celle constatée chez les individus qui mènent une vie conventionnelle.

Pour Matza, la délinquance se définit donc davantage par les situations typiques
auxquelles sont confrontés les délinquants que par une culture. Certes, on a vu que, parmi ces
situations, il en est une qui est déterminante dans l’élaboration de la théorie de la sous-culture,

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c'est celle que Matza appelle la "situation de compagnie", c'est-à-dire le fait d'appartenir à une
"bande".

C'est dans l'existence de cette "bande" que les auteurs culturalistes ont fondé leur
théorie de la sous-culture délinquante, en partant de l'idée que pour que la bande se soude, il
faut que ses membres partagent un code commun ; et c'est ce code qui serait l'expression de la
sous-culture.

Au contraire, pour Matza, le ciment de la bande, ce qui unit le groupe, n'est pas le
consensus mais un dissensus : chaque membre du groupe pense que les autres sont engagés
dans la délinquance au contraire de lui-même qui se conçoit comme une exception en
compagnie de vrais délinquants. Ainsi, l'image que chacun des membres du groupe se fait de
lui-même ne coïncide pas avec l'image que se font d'eux les autres membres du groupe.

Matza observe alors que les adolescents ont d'ailleurs une conscience diffuse de ce
quiproquo et que ce quiproquo fait naître, en chacun d'eux une sorte d'angoisse statutaire,
c'est-à-dire une anxiété qui porte sur son identité sociale. D'où, entre ces adolescents des
provocations, du genre "si t'es un homme...; t'es pas capable de...; tu ne feras pas ça parce que
t'as la trouille...; destinées à leur permettre d'assurer leur statut. Pour Matza, l'erreur des
culturalistes est d'avoir pris ces paroles comme l'expression d'une sous-culture quand, en
réalité, il ne s'agit que de dissiper cette angoisse statutaire, cette crise d'identité sociale, que
partagent tous les adolescents.

En principe, cette angoisse statutaire se réduit lorsque l'on parvient à l'âge adulte parce
que l'on va s'intégrer dans la société conventionnelle. Mais, quelquefois, cette intégration, ces
affiliations ne fonctionnent pas : l'individu ne fonde pas un foyer, ne trouve pas d'emploi
stable...etc. Alors l'anxiété de statut se maintient et l'individu continue de dériver.

Matza pense donc qu’il n’existe pas de sous-culture délinquante, c’est-à-dire de


système de valeurs délinquantes qui s’opposerait à la culture conventionnelle. Pour lui, ce qui
est important pour caractériser les jeunes délinquants est le rapport qu’ils entretiennent à
l’égard de la culture conventionnelle et, en particulier, à l’égard de la loi.

Et, pour Matza, la caractéristique essentielle des jeunes délinquants est leur profonde
volonté de s'intégrer dans la société. En cela, ils ne diffèrent pas des autres adolescents. Ainsi,
en transgressant une règle, le jeune délinquant ne cherche pas à affirmer une autre règle. Au
contraire, en commettant une infraction, l'adolescent sait commettre une infraction, il est bien

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conscient de ce qu'il fait. Mais il postule que la loi n'est pas applicable dans son cas. Par
exemple, le jeune délinquant niera sa responsabilité ("c'est pas de ma faute"; c'est un
accident") ou invoquera des forces sur lesquelles il n'a pas de contrôle ("j'ai perdu mon sang-
froid). Bref, le jeune délinquant met en place ce que Matza appelle, comme Becker, un
mécanisme de neutralisation consistant à annuler le caractère délictueux de l'infraction.

Matza se demande alors comment, par cette neutralisation, le jeune arrive à convertir
le délit en simple action. Pour lui, le jeune ne fait rien d'autre que de mettre en pratique ce
qu'il apprend dès ses premiers contacts avec l'institution judiciaire.

En effet, pour le juge, il n'y a délit que si certaines conditions bien précises sont
remplies, et en particulier la conscience de commettre un délit. Et, concernant la justice des
mineurs aux Etats- Unis, les critères par lesquels est appréciée la culpabilité d'un enfant sont
très flous, le principe étant celui de la justice individualisée à chaque type d'enfant ou
d'adolescent. On remarque d'ailleurs qu'en France, la situation est à peu près identique,
laissant une grande marge d'appréciation au juge des enfants. Du coup, ceux qui ont déjà fait
l'expérience de la justice des mineurs" connaissent le système" et peuvent anticiper sur les
attentes et les réactions du juge.

Ainsi, plus un jeune a de contacts avec l'institution, plus il dispose de moyens pour
éviter l'application de la loi.

Matza montre donc que l'institution judiciaire produit les délinquants qu'elle est
chargée, en principe, de combattre. En cela, il est fidèle au courant interactionniste. Mais, en
même temps, il va plus loin : en effet, pour lui, la justice la plus libérale, la plus humaniste,
c'est-à-dire celle qui prend le plus en compte l'infinité des circonstances atténuantes
(l’enfance, la famille, la société...) est aussi celle qui contribue le plus fortement à généraliser
la neutralisation, la dérive, et donc la délinquance juvénile.

Elle fournit aux jeunes les arguments dont ils ont besoin pour se séparer de l'ordre
légal et partir à la dérive vers la délinquance.

Nous voici parvenus au terme de l’étude des quatre grands courants théoriques qui ont
dominé la sociologie américaine et qui ont inspiré les études de criminologie durant l’entre-
deux guerre.

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Soulignons enfin que le paradigme de la réaction sociale comprend deux principales


approches constructivistes, à savoir la théorie interactionniste (que nous venons d’aborder) et
les théories critiques. Les théories critiques font partie de la criminologie néo-marxiste. Elles
soutiennent que la société est traversée par un ensemble de rapport de pouvoir, de domination.
La société est divisée en deux classes sociales antagonistes, à savoir les dominants et les
dominés ou les riches et les pauvres. Les riches veulent maintenir leur pouvoir, imposer leurs
valeurs aux pauvres. Les tenants de ces théories critiques postulent que la justice pénale est un
instrument entre les mains des puissants pour maintenir leur suprématie sur les faibles.

Avant d’examiner les théories critiques, il nous parait intéressant de nous appesantir
sur les travaux criminologiques belges.

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CHAPITRE VI : LES TRAVAUX CRIMINOLOGIQUES BELGES

Deux éminents professeurs, en l’occurrence Etienne de Greef et Christian Debuyst


marquent l’histoire de la criminologie belge.

Section I. Etienne de Greef

Etienne de Greef fut professeur à l’Ecole de criminologie de l’Université catholique de


Louvain. Il a présidé cette école entre 1944 et 1961, date de son décès.

Médecin spécialisé en psychiatrie, De Greeff assume tout d’abord, durant deux ans, la
direction médicale et psychiatrique d’une colonie pour anormaux éducables où existait, depuis
le Moyen Âge, une tradition de traitement en liberté. Dès ce moment, il prend ses distances
par rapport à la psychiatrie officielle et s’engage dans une perspective phénoménologique.

Son Essai sur la personnalité du débile mental, qui date de 1927, est significatif à cet égard.

De Greeff devient ensuite médecin adjoint à l’hôpital psychiatrique universitaire puis,


en 1926, est nommé médecin anthropologue de la prison centrale de Louvain, où il complète
ses recherches psychiatriques par des recherches criminologiques. Durant trente ans, il
accumule une expérience clinique considérable en milieu pénitentiaire mais, compte tenu de
son indépendance d’esprit et de ses initiatives, ses rapports avec l’administration pénitentiaire
ne seront guère aisés. En 1952, il est nommé médecin-directeur du service d’anthropologie
pénitentiaire mais il démissionne de cette fonction dès mars 1955 (De Greeff, 1955 : 649-
674). Parallèlement à cette carrière criminologique, il crée un centre de neurologie à Bruxelles
et, en 1954, est nommé professeur de psychopathologie à l’Institut de psychologie de
l’Université de Louvain.

De Greeff est donc présent à l’École de criminologie de Louvain dès la naissance de


celle-ci. Sa personnalité et son enseignement marqueront fortement le « style » de l’École,
tant au niveau de l’approche théorique de la question criminelle que des pratiques et des
positions éthiques.

S’il reste relativement peu de traces de la période qui précède la guerre, on sait
néanmoins que les premiers doctorats en criminologie, présentés entre 1945 et 1950, furent
réalisés sous la direction de De Greeff (Mlle Declercq et l’abbé Snoeck sur la culpabilité ; le

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père Godin sur le suicide). Ils approfondissent une thèse de De Greeff, importante en
criminologie, selon laquelle la psychologie du délinquant doit, sauf exception, être étudiée
dans le cadre de la psychologie de l’homme « normal » et non comme phénomène
pathologique. En cela, De Greeff se démarque des courants criminologiques européens de son
époque, centrés sur les recherches de différences exclusives entre délinquants et non
délinquants.

Pour lui, le passage à l’acte délinquant doit se comprendre, du point du vue du sujet,
comme la meilleure solution à un problème vécu à travers le concept de psycho
criminogenèse. Pour De Greef, la psychologie de l’homme criminel est le fruit d’un long
processus de conversion. Normale au départ, l’homme qui devient criminel se dégoute de
l’existence telle qu’elle se présente à lui.

Par ailleurs, le docteur De Greeff n’était pas, aux dires de ceux qui l’ont connu, un
homme ordinaire. Intellectuel brillant, il fut aussi un puissant observateur et analyste de son
temps, dénonciateur, avant la guerre, d’une société qui serait bientôt peuplée d’une masse
d’individus amorphes où l’ « ennemi est en nous », où « l’ennemi, c’est le renoncement
consenti et joyeux de millions d’hommes à la vie autonome de l’esprit » (De Greeff, 1945: X).
Il apparaît souvent comme un homme «révolté » et en décalage permanent avec les milieux
traditionnels qu’il était amené à fréquenter.

§.1. Une démarche particulière

Un ouvrage récent, consacré à De Greeff, situe son oeuvre « dans la foulée d’une
mouvance phénoménologique chrétienne dont Scheler fut un pilier » (Tange, 2001:17). Lui-
même ne s’expliquera guère sur ses rapports avec la phénoménologie, mais il est indéniable
que sa démarche de recherche, comme son attitude de praticien, s’inscrivent dans ce courant
philosophique et psychiatrique qui marqua une partie importante du xxe siècle. C’est
probablement une fidélité remarquable à cette manière d’être dans la vie, par rapport à soi et
par rapport aux autres, qui l’amena à se démarquer d’une criminologie positiviste et
étiologique objectivante.

Une présentation chronologique de ses principaux écrits permet de montrer comment


certaines intuitions étaient déjà présentes dès le début de sa carrière, mais aussi comment
certains thèmes se sont complexifiés, voire élargis. Elle permet aussi de situer les ambiguïtés
qui ont donné lieu à des interprétations contradictoires. Nous nous appuierons, pour ce faire,

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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sur les analyses de Debuyst qui apparaît, pour l’École de Louvain, comme son interprète le
plus important, et qui construira sa propre pensée en référence à celle de son maître.

1. L’approche des débiles mentaux

L’expérience que De Greeff acquiert à travers ses contacts avec les débiles mentaux de
Gheel peut apparaître comme fondatrice d’une attitude phénoménologique et, déjà, d’une
prise de distance par rapport à la psychiatrie officielle de l’époque. Dans une de ses premières
publications, « Essai sur la personnalité du débile mental » (1927), De Greeff se centre
principalement sur la « manière de voir » des débiles, il tente d’entrer dans le point de vue de
ceux-ci afin de comprendre leur perception du monde et des autres. Plutôt que de les observer
de l’extérieur, ce qui lui paraît essentiel c’est de comprendre « le débile tel qu’il se voit »,
d’appréhender « comment le débile voit les autres », de déterminer «la manière dont il
envisage l’avenir », etc. Les tests, dit-il, ne peuvent donner une vision suffisante du sujet, ils
sont « statiques » ; or, c’est un « point de vue dynamique » qui est éclairant. « Seule l’étude
de la vie du sujet peut nous éclairer sur la valeur de la personnalité » (De Greeff, 1928 : 30).

Par ailleurs, les tests donnent toujours de l’autre une signification par référence à un «
homme normal », pris comme étalon. Il n’est alors vu que comme une image altérée de nous-
mêmes, ou comme déficitaire, mais jamais dans ce qui le constitue en tant que sujet, en tant
qu’il donne sens à autrui et au monde qui l’entoure. Cette manière d’appréhender l’autre, qu’il
soit débile, délinquant, citoyen ordinaire, cet effort pour entrer dans son cadre de référence
propre se retrouvera dans tous les travaux de De Greeff ; ils sont le fondement de son attitude
clinique.

2. Une zone de non-communication au coeur d’une communauté de destin

C’est à travers une réflexion sur lui-même en tant que clinicien face à l’autre que De
Greeff va construire le double axiome qui fonde la possibilité de la rencontre d’autrui. Pour
lui, il existe une identité fondamentale, de nature, entre deux personnes qui se trouvent dans la
relation clinique, mais aussi une différence irréductible. L’autre est semblable à moi au sens
où il participe à une communauté de destin qui préexiste à la formation des rôles sociaux et
des personnages qu’ils construisent. Le « drame humain » est la scène sur laquelle se
rejoignent les différents destins des hommes et c’est dans la tentative d’impossible
coïncidence de soi avec soi que chacun peut se retrouver dans l’autre (Digneffe, 1989a : 182

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et suivantes). Mais, en même temps, l’autre possède une manière particulière d’être sensible
et de réagir qui est liée à son inscription au monde, à son histoire et à ses aptitudes.

Cet autre a donc un « moi » différent, qu’il importe de comprendre à partir de son
rapport au monde singulier, personnel. Cette exigence suppose que le clinicien tente, dans une
certaine mesure, de mettre entre parenthèses son propre cadre de référence, pour accéder à
celui de l’autre.

Un des apports essentiels de l’œuvre de De Greeff a consisté à réaliser dans la


pratique, et à expliciter à un niveau plus théorique, cet effort pour tenter de réduire, tout en la
reconnaissant, la zone d’incommunicabilité qui existe entre les hommes et que chacun a trop
souvent tendance à nier ou à évacuer, au risque de projeter dans ses représentations de l’autre
ses propres préjugés et ses propres représentations.

§.2. Deux modes de connaissance et de reconnaissance : la sympathie et la défense

De Greeff a marqué la criminologie de son époque, notamment par son ouvrage


Instincts de défense et de sympathie, paru en 1947. Ce qu’il découvre dans son travail
clinique et qu’il tente de théoriser, c’est une ambivalence fondamentale de chaque être
humain vis-à-vis du monde et des autres.

Il propose l’hypothèse de l’existence, en l’homme, de deux groupes d’instincts, qu’il


appellera par la suite des « modes de rattachement » ou des « fonctions incorruptibles ». Il
s’agit de manières fondamentales de connaître autrui, de projeter sur lui une image valorisante
ou dévalorisante, sacralisante ou réductrice. Les modes de rattachement sont considérés tantôt
comme innés, dépendants d’une infrastructure biologique dont on ne peut se défaire, tantôt
comme « disposition interne à être émotionnellement sensible », cette disposition permettant,
par le biais des émotions vécues, de prendre conscience de la situation dans laquelle on se
trouve et, dès lors, d’opérer une sorte de « choix » visant soit à aller dans le sens de
l’impulsion vécue, soit à bloquer cette impulsion qui irait à l’encontre de la manière dont le
sujet s’est structuré.

Les modes de rattachement agissent également comme modes de connaissance,


d’appréhension du réel. L’intelligence, selon De Greeff, si elle permet de prendre distance par
rapport aux instincts, ne parvient jamais à s’en séparer complètement et chacun restera
marqué, dans son rapport au monde, par les réactions de défense et de sympathie qui se sont
structurées en fonction de son histoire propre. Cela ne vaut évidemment pas seulement pour

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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les délinquants, mais concerne chaque homme et s’observe également dans le fonctionnement
des institutions. On connaît l’attitude critique de De Greeff par rapport à l’institution
judiciaire qui est, selon lui, plus souvent dominée par des mécanismes de défense que par un
souci de rendre la « justice » entendue comme une valeur.

Bien que l’idée d’instinct ait évolué dans la pensée de De Greeff, il faut, pour en saisir
toute la densité clinique, insister sur le fait qu’elle se distingue de l’acception que ce terme
pourrait recevoir dans le domaine de la biologie. On est en effet bien plus proche de ce que
Freud a nommé trieb, traduit par pulsion.

Il s’agit bien, du point de vue de De Greeff, d’un concept fondamental qui, à l’instar
de ce qu’écrit Freud, permettra aux générations futures de cliniciens de distinguer le plan de
l’humanité et celui de la naturalité. L’instinct de De Greeff ne procède pas d’une réponse
déterminée par l’environnement extérieur, somme toute toujours la même, mais d’un
mouvement interne au sujet lui-même dans la rencontre avec un tel environnement. Ces
nuances apparaîtront décisives pour la conception de « l’objet », y compris de l’objet
scientifique dans la mesure où l’instinct « pulsionnel », l’homme lui-même, prête, par
l’entremise de mécanismes projectifs, des caractéristiques et des attributs à un objet donné.

Aujourd’hui, cette conception continue d’inspirer les travaux menés à Louvain qui ont
pour projet clinique, comme le formule André Levy (1997), de « réinsérer le sujet humain
dans l’acte de connaissance » scientifique. Ainsi, les anciennes notions des précurseurs se
voient réactualisées et ressaisies dans une portée véritablement méthodologique, car l’homme
et la femme de science sont eux-mêmes le lieu de tels mouvements pulsionnels déterminant la
connaissance. Il relève donc de leur propre responsabilité d’en prendre conscience et
d’observer comment et en quoi ils orientent nécessairement toute élaboration théorique.

§.3. La démarche clinique du criminologue

La communication faite par De Greeff lors du IIe Congrès international de


criminologie, qui eut lieu à Paris en 1950, fait date dans l’histoire de la criminologie. Elle
retiendra notre attention en ce qu’elle précise l’attitude clinique adoptée par De Greeff dans
son travail en milieu pénitentiaire, plus particulièrement avec les détenus coupables de faits «
graves », tels les homicides. Intitulée «Criminogenèse», elle est pour lui l’occasion de faire le
point sur l’état des connaissances et, surtout, de prendre ses distances par rapport aux savoirs
criminologiques dominants.

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L’étude de la criminogenèse, dit-il d’emblée, « suppose l’homme présent,


implacablement présent ». Or, Il suffit de lire un certain nombre d’études pour se rendre
compte que beaucoup de criminologues ne se le sont jamais demandé. Ils supposent, très
souvent et avec une inquiétante candeur, qu’un homme est le lieu où se passent certaines
choses biologiques, sociales, psychologiques, etc. et que ses actions sont le résultat des choses
qui se sont passées en lui... Bref, l’homme est à leurs yeux, une unité économique ou sociale,
douée de qualités plus ou moins parfaites et qui réagit au milieu selon certaines lois (De
Greeff, 1950 : 296).

Une telle manière de voir les choses rend la compréhension des problèmes criminels
fort aisée mais, dit De Greeff, si elle n’est pas totalement inexacte, elle ne mène pas très loin
et seule une véritable attitude clinique peut amener à comprendre l’homme criminel. Elle
suppose certes un ensemble de connaissances, mais l’essentiel consiste en ceci : « L’homme
criminel doit être approché [...], comme tout homme auquel on s’intéresse, dans un élan de
sympathie complète, qui vous permette, sans l’approuver d’ailleurs, de retrouver sa ligne à lui
et lui permette d’établir avec vous une certaine communication [...] il est essentiel de se
débarrasser momentanément de tout schéma préconçu, de toute tendance à résoudre le cas en
portant un diagnostic ou en rangeant le sujet dans une catégorie » (De Greeff, 1950 : 272).

L’attitude clinique, rencontre entre deux subjectivités, requiert du clinicien qu’il ait
conscience de son propre rapport aux normes et au crime, mais en même temps qu’il soit
capable de « résister à la simplification criminelle, de réduire l’homme à une intelligence et
une volonté » (De Greeff, 1950 : 273). Bien qu’il s’agisse d’un exercice « malaisé », De
Greeff tente de décrire l’attitude clinique du criminologue. Il le fait d’abord par la négative :
Je parle d’une attitude clinique, l’opposant à celle qui aurait pour objet d’étudier l’acte
incriminé en tant que faute ; l’opposant à celle qui étudierait le fait comme s’il n’avait qu’un
aspect économique ou social et exclurait tout aspect de faute; l’opposant à celle qui ne verrait
dans l’acte que l’aboutissement d’un raisonnement, l’opposant à celle qui, tout en analysant
les facteurs psychologiques ou les mécanismes psychanalytiques, néglige le fait que [...] la
conscience du sujet reste le point où tout se manifeste (De Greef, 1950 : 273).

Pour De Greeff, l’attitude clinique « comporte avant tout l’étude de l’état de


conscience, les événements qui s’y passent s’expriment au “moi”» (De Greeff, 1950 : 273).
La criminogenèse, poursuit-il, doit s’étudier depuis la conscience, à travers un effort de

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compréhension et d’interprétation qui exige du clinicien d’accéder à la perspective


particulière de l’autre, à partir de laquelle son comportement prend sens.

C’est donc une certaine qualité de la relation à l’autre, qui se réalise dans la durée, qui
permettra d’accéder à cet univers de sens, permettant de comprendre comment, même dans
les passages à l’acte les plus graves, c’est le « meilleur choix » qui a été opéré par le sujet.
C’est également une certaine autonomie par rapport aux exigences et aux contraintes de
l’administration pénitentiaire qui permettra que s’installe une relation de confiance suffisante
pour que, dans les interactions qui se nouent, puisse émerger le mode d’être au monde et
d’être avec autrui, propre au sujet et qui est déterminé, pour De Greeff, par ces fonctions
incorruptibles que sont les instincts de défense et de sympathie. Ce n’est qu’en reconnaissant,
puis en acceptant, ces déterminations fondamentales que, selon De Greeff, le sujet peut
prendre distance par rapport à elles pour éventuellement s’engager dans des voies nouvelles. «
Une thérapeutique, qu’elle soit psychologique ou psychiatrique, vise à libérer l’individu des
déterminismes qui rendent impossible une vie de relation et par le fait même perturbent ses
engagements vécus, quels qu’ils soient » (Debuyst, 1956 : 146).

Centrée essentiellement sur le sujet, cette démarche clinique n’est cependant pas
insensible aux rapports à l’environnement social et relationnel. Car, d’emblée, la manière dont
les instincts de défense et de sympathie s’organisent est reliée à la naissance et à l’enfance du
sujet. C’est de ces premières expériences que surgissent sa vision du monde, la nature de ses
rapports avec les autres et l’élaboration de ses références éthiques. Il ne faudrait cependant
pas en déduire une conception déterministe car, pour De Greeff, le destin de chacun est
intimement lié aux « engagements » qu’il prend face aux « drames » qu’il rencontre : la
résolution de ceux-ci, du point de vue du sujet, apparaîtra toujours comme un « choix » de la
conscience, une direction dans laquelle il « décide » de s’engager, un certain nombre de «
risques » qu’il accepte de prendre.

Celle-ci sera également déterminée par l’environnement du sujet et ses interactions


avec les autres. L’art du clinicien réside alors dans sa capacité à soutenir le sujet dans une
démarche qui lui permettra de reconnaître en lui les orientations prises et leur inscription dans
la durée.

L’attitude clinique criminologique ainsi définie prend évidemment ses distances par
rapport à une criminologie de l’« acte ». C’est en effet toute la trajectoire, ou encore la
carrière du sujet qu’il s’agit de comprendre, l’acte n’étant pas perçu comme le symptôme

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d’une « faille » de la personnalité, mais comme la résultante normale de toute une série
d’interactions vécues, qui produisent progressivement une modification du cadre de référence
du sujet et l’amènent à prendre distance par rapport au groupe et/ou à être mis à distance par
les autres.

Il convient de retenir brièvement que Etienne de Greef a développé la théorie des


instincts en distinguant l’instinct de sympathie et l’instinct de défense. L’instinct de
sympathie nous pousse à reconnaitre les autres, à être sensible aux autres. Par contre,
l’instinct de défense développe le comportement d’insensibilité à autrui. Celui qui développe
l’instinct de défense annule l’instinct de sympathie et celui qui développe l’instinct de
sympathie annule l’instinct de défense.

Section II : Christian Debuyst

Christian Debuyst était assistant d’Etienne de Greeff depuis 1951. Il a défendu sa thèse
de doctorat en 1959 et est nommé maître de conférences dès 1962. Il reprendra plus tard la
présidence de l’École de criminologie. Il a créé la théorie de « l’acteur social ».

Christian Debuyst explique qu’il est inutile de s’interroger sur le libre arbitre de celui qui
commet un crime ni même sur son déterminisme sauf les malades mentaux. Ce qui lui parait
utile est d’envisager l’homme délinquant comme un acteur social. On ne peut pas juger d’une
personne en la sortant de son contexte, de son milieu. Il existe un système d’interrelation dans
lequel chacun d’entre nous vit. Cette notion d’acteur social renvoie au fait que tout individu
est un sujet ayant un point de vue qui se constitue progressivement en lien avec une série de
variable : l’histoire personnelle, la place que l’on occupe dans la société, les projets que l’on
est en mesure de construire, les difficultés auxquelles on est ou non confrontées.

Approcher le délinquant comme un acteur social permet d’enrichir la compréhension


de son acte. L’acteur social est un sujet ayant un point de vue qui se constitue
progressivement.

Debuyst , a eu le mérite de systématiser le concept d’acteur social comme grille de


lecture du système de justice pénale. Il le définit de la manière suivante :

« sous le terme d’acteur social, sont présentes les idées que d’abord, le sujet n’est pas
un être passif dont le comportement résulterait du jeu des déterminismes ou pourrait

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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s’expliquer en termes de stimulus-réaction ; que d’autre part, il ne constitue pas une


abstraction dans la mesure où il est porteur d’un point de vue propre qui dépend de la position
qu’il occupe dans le cadre social, de l’histoire qui a été sienne et des projets autour desquels
son activité s’organise, que finalement, il est appelé à être acteur, c’est-à-dire agissant ou
intervenant et qu’il se trouve de ce fait confronté à des règles, c’est-à-dire à un langage selon
lequel il importe de s’exprimer, confronté également au fait de se trouver constamment pris
dans les jeux de pouvoir et de vivre dans ses relations avec les autres à l’intérieur ou au-delà
de ces jeux, des processus de reconnaissance ou de non-reconnaissance qui paraissent
essentiels dans l’élaboration de sa propre identité » (Debuyst, 1990 : 25-26 ; Debuyst, 2004 :
68).

Cette manière de définir le concept d’acteur social, bien que large, constitue une
double prise de distance par rapport aux positions de l’école positiviste italienne et par rapport
à celles de l’école pénale classique, car elle permet de considérer, « d’une part, que l’homme
situe ce à quoi il se trouve confronté par rapport à ses expériences et la manière dont il les
interprète, par rapport aux autres éléments constitutifs du monde qui l’entoure, et réagit en
fonction d’une stratégie ou, d’une manière plus précise, d’un projet plus ou moins explicite
qui l’anime, et d’autre part, le sujet comme pôle interprétant et agissant à partir d’un point de
vue qui a sa particularité et qu’il importe de prendre en compte » (Debuyst, 1990 : 25-26).

Le concept d’acteur social s’inscrit dans la perspective phénoménologique qui s’est


développée à partir des années 1925-1930 en psychiatrie et en criminologie et qui s’est
caractérisée par « la volonté d’atteindre le vécu du sujet ainsi que le monde des
représentations à partir duquel son comportement prenait sens » (Debuyst, 1990: 27). Cette
perspective prend en compte, au-delà de la fiction juridique du libre arbitre de l’école
classique et en quelque sorte au-delà du jeu des déterminismes de l’école positiviste italienne,
« la notion de liberté ou de responsabilités vécues » (Bebuyst, 1990 : 100).

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CHAPITRE VII : LA CRIMINOLOGIE CRITIQUE

Dans le champ disciplinaire que l’on désigne sous le vocable général de la criminologie, on
retrouve de nombreuses approches et perspectives dont la variété témoigne du caractère
hétérogène – certains diront hétéroclite – de la discipline. Il devient dès lors difficile d’y
circonscrire un champ d’étude général, ce qui nous autorise à postuler l’existence d’une
pluralité de criminologies : criminologie du passage à l’acte, criminologie clinique,
criminologie critique, criminologie de la réaction sociale, etc. Dans ce foisonnement de
criminologies, la criminologie critique se distingue à la fois par sa posture épistémologique et
par son engagement politique explicite. Nous proposons ici de présenter brièvement ces deux
aspects spécifiques qui permettent de distinguer la criminologie critique des autres
criminologies.

La criminologie critique, appelée aussi criminologie nouvelle ou criminologie néo-marxiste


est apparue dans les années 60-70, dans les pays anglo-saxons.

Dans l'ouvrage de Taylor, Walton et Young " The new criminology" (1967), l'action
criminelle est considérée comme un acte politique par lequel un délinquant exprime son rejet
du pouvoir en place, un refus de l'organisation sociale de la société capitaliste qui crée des
discriminations.

La criminologie critique est un mouvement qui apparaît en opposition à l'interaction


symbolique. Cette criminologie a pour ambition de montrer que l'analyse du crime ne peut se
concevoir indépendamment des systèmes économiques et politiques dans lesquels s'inscrit le
crime. Ce courant est influencé par les thèses marxistes et la sociologie du conflit. Il est
également marqué par des théories radicales (telles les luttes sociales et le féminisme), les
questions suscitées par la guerre du Vietnam, la révolte de la jeunesse (jeunesse bourgeoise,
mai 1968).

Cette criminologie est militante. Elle conçoit le crime comme la résultante d'un rapport
politique ou économique de domination. Elle poursuit un objectif de transformation des
rapports politiques et sociaux.

La sociologie du conflit peut être représentée par TURK. Elle considère la société comme
composée de groupe en compétition ; chaque groupe luttant pour le contrôle et la domination.

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Les conflits peuvent porter sur des richesses mais également sur des problèmes de cultures, de
religion...

Cette conception amène à considérer le droit non pas comme le produit d'un consensus social
mais comme le reflet des valeurs du groupe dominant et qui, par conséquent, dispose du
pouvoir d'influencer le droit.

Le droit pénal serait, en fait, un instrument politique mis en place par la classe dominante
pour maintenir l'ordre social et économique et pour criminaliser ceux qui menacent la position
dominante du groupe.

La criminologie néo-marxiste (caractérisée par un ouvrage collectif de TAYLOR, WALTON


& YOUNG) critique l'approche du conflit au motif que cette dernière prend trop peu en
considération la nature fondamentalement économique du conflit social.

Dans nos sociétés, une petite part de la population (la bourgeoisie) détient une très grande part
des richesses. La structure sociale serait donc criminogène. L'analyse se base donc sur la
répartition des richesses. Le droit pénal ne sert qu'à la défense du système en place, à assurer
son maintien. La loi pénale n'est appliquée qu'à la classe dominée. Lorsque la loi pénale est
appliquée à un membre de la classe dominante, c’est uniquement pour en faire un bouc
émissaire dans le but de renforcer le mythe de la neutralité de la loi. La criminologie critique
démontre que les grandes puissances peuvent impunément violer les lois de protection de
l'environnement, de santé... Elles parviennent à détourner l'attention des délits qu'elles
commettent sur les crimes commis par la classe populaire.

GRAHAM illustre ces théories en démontrant comment les grandes industries


pharmaceutiques ont tout mis en œuvre pour empêcher la criminalisation de leurs produits :
des lobbys ont fait pression pour empêcher l'interdiction des amphétamines, du Valium, ...

Dans cette perspective, le crime est envisagé comme un acte politique, un acte de refus à
l'égard d'une organisation sociale totalitaire et capitaliste.

Ces travaux arrivent dans la criminologie de langue française à travers les travaux de Michel
FOUCAULT et de Robert CASTEL. Elle se consacre progressivement à la procédure de la
gestion de la déviance.

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172

Section I : Théorie critique de la connaissance

Au plan épistémologique, la criminologie critique se caractérise avant tout par le recours à


une méthode critique dans la façon d’appréhender son champ d’étude. Proche parente de la
criminologie de la réaction sociale, à laquelle elle est souvent assimilée, la criminologie
critique se distingue des autres criminologies du fait qu’elle cherche à demeurer critique par
rapport à la délimitation de ses objets et à la production du savoir criminologique traditionnel.
À cet égard, la criminologie critique se donne pour mission de constamment questionner
les a priori théoriques et les idées reçues concernant le crime et les mesures mises en place
pour y répondre.

Entretenir une attitude critique par rapport à la connaissance, c’est être en mesure de
constamment questionner le processus par lequel on en arrive à produire du savoir. S’inspirant
à cet égard du réalisme critique de Karl Popper, une théorie critique de la connaissance se
doit de continuellement remettre en question la validité même de ses fondements théoriques et
empiriques. Optant pour une méthode falsificatoire, la démarche poppérienne s’appuie sur
l’idée qu’aucune théorie ne peut être prouvée de façon définitive, mais seulement réfutée sur
la base du raisonnement et des expériences empiriques. Toute nouvelle théorie, aussi
rigoureuse soit-elle, demeure toujours une hypothèse qui pourra éventuellement être réfutée.
Selon cette perspective, il s’avère illusoire d’espérer atteindre un jour la vérité ultime. La
mission du chercheur consistera donc, en toute humilité, à se rapprocher toujours davantage
de la vérité par un incessant processus d’essais et d’erreurs, tout en préservant ce
réflexe falsificatoire. C’est cette continuelle quête de la falsification qui permet de conférer à
cette méthode son caractère critique. Comme le mentionne Popper (1991: 78) cette démarche
critique a pour principal avantage qu’elle nous permet d’échapper à « la stratégie
d’immunisation de nos théories contre la réfutation ». Être critique pour le chercheur, c’est
donc s’assurer de ne jamais tomber dans le piège de la certitude absolue et de l’acceptation
aveugle des idées reçues. Bien qu’au premier abord plus confortable, cette certitude par
rapport à notre connaissance des choses n’en demeure pas moins improductive du point de
vue des nouvelles découvertes.

Au niveau des sciences humaines, cette attitude critique s’avère d’autant plus pertinente que
le chercheur est appelé à se pencher sur des objets et des phénomènes qui sont au départ
marqués par une lourde connotation sociale et institutionnelle. À cet égard, la plupart des
objets des sciences sociales peuvent être considérés comme des concepts et des idées reçues

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dont l’origine peut être retracée au sein même des institutions sociales. C’est particulièrement
vrai de la criminologie, dont le principal objet, à savoir le crime, est le produit d’une
désignation juridique et sociale fortement marquée par des enjeux normatifs liés au maintien
de l’ordre et à la répression des conduites marginales. Dans cet esprit, maintenir une attitude
critique implique donc pour le criminologue d’éviter de prendre ces objets pour acquis,
d’essayer d’en dévoiler leurs origines institutionnelles, et de proposer des définitions
conceptuelles et théoriques alternatives. Le réflexe critique consiste donc à continuellement
questionner la provenance des a priori qui circulent au sein de la discipline. Dans ce sens, il
s’agit d’étendre la portée du réalisme critique de Popper au-delà de la réfutation des théories,
pour y inclure aussi la réfutation des concepts et des objets qui sont au cœur de la
criminologie traditionnelle. Au plan épistémologique, la criminologie critique se distingue
donc des autres criminologies du fait qu’elle se donne pour mission de remettre en question
l’objectivité des constructions institutionnelles que sont le crime, la criminalité et le criminel.

On peut retracer, dans l’histoire de la criminologie, de nombreuses illustrations de cette


posture critique par rapport à certaines idées ou concepts hérités des agences du système
pénal. Par exemple, la criminologie critique a permis de remettre en question la validité
empirique des taux de criminalité tel que compilés par les agences de contrôle et de répression
du crime. En insistant sur le processus par lequel ces données sur le crime sont constituées, on
a pu démontrer que les statistiques officielles ne mesuraient pas tant le nombre d’infractions
commises sur un territoire donné, mais plutôt l’activité de répression des agences de contrôle.
Depuis longtemps reconnu en dehors même de la criminologie critique, ce principe a permis
de mettre en évidence l’existence d’un chiffre noir de la criminalité, et de mettre l’accent sur
le processus de criminalisation secondaire qui constitue une des principales activités des
institutions répressives.

De façon plus importante encore, la criminologie critique a permis de mettre en lumière le fait
que le crime, à titre de conduite spécifique, n’est pas tant un phénomène brut qu’une
construction juridique et sociale. Ce qui caractérise toutes les conduites qualifiées de crime,
ce ne sont pas les caractéristiques inhérentes à ces conduites, mais bien le fait qu’elles
transgressent un code de conduite qui a été instauré par des institutions politiques et
juridiques. Le crime est avant tout le produit d’une incrimination qui est suivi d’une
transgression (Robert, 2005). Chez les néo-marxistes, par exemple, on insiste sur la
désignation politique de certaines conduites comme étant des crimes du fait qu’elles menacent

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le maintien de l’ordre social des groupes dominants. Le système de justice pénale serait dès
lors considéré comme un instrument de répression entre les mains de l’élite économique,
permettant de mieux gérer la force de travail (Rusche et Kirchheimer, 1994). Chez Michel
Foucault, on porte encore plus loin cette analyse de la qualification institutionnelle qui s’opère
au sein de la pénalité. Il souligne entre autres que la production d’un savoir positiviste sur le
criminel aurait permis de doubler le caractère juridique du crime d’une nouvelle valeur
scientifique, ouvrant ainsi la porte à la mise en place de nouvelles technologies de contrôle
des marginaux (Foucault, 1975 et 1999). Cette emphase mise sur le processus de désignation
a ainsi permis l’émergence en criminologie d’une tradition de recherche portant sur les
processus de mise en forme juridique et institutionnelle de certaines conduites jugées
répréhensibles.

Cette attitude critique a conduit des chercheurs à dénoncer le recours à certaines notions ou
concepts soi-disant neutres et objectifs, mais qui en fait étaient calqués sur le jargon et les
catégories des institutions de prise en charge. Dans cet esprit, les tenants de la criminologie
critique se sont toujours efforcés de proposer des façons alternatives d’aborder et de définir
l’objet du « crime » qui est au cœur de leur discipline. On peut penser en particulier à Louk
Hulsman qui allait proposer l’expression de situations problématiques ou situations-
problèmes pour désigner les situations de conflit qui seront prises en charge par le système
pénal. Cette redéfinition de l’objet permettait dès lors, tout en échappant au langage et à la
logique propres au système de justice pénale, de tracer des nouvelles frontières au sein de la
discipline criminologique. Le concept de situation problématique deviendra d’ailleurs l’un
des principaux éléments théoriques de sa perspective abolitionniste (Hulsman et Bernat de
Celis, 1982).

Dans la même veine, on peut aussi mentionner la criminologie clinique de Christian Debuyst,
dans laquelle on retrouve ce même regard critique par rapport aux catégories et aux notions
cliniques héritées de la logique pénitentiaire (Debuyst, 2009). C’est en privilégiant une
perspective critique qu’il propose de traiter des comportements problématiques plutôt que des
conduites criminelles, ce qui permet de recouvrir une réalité clinique plus large et moins
empêtrée dans les impératifs correctionnels. Il aborde aussi la difficulté de travailler avec
certains concepts cliniques, tel que la dangerosité ou la personnalité criminelle, qui sous une
apparente neutralité scientifique, reproduisent en fait des catégories qui sont juridiquement et
politiquement connotées. Ces concepts sont en effet présentés et utilisés comme s’ils

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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recouvraient des réalités naturelles et absolues, alors qu’ils renvoient à des réalités
institutionnelles et relatives. Le rôle du criminologue critique consiste donc à dénoncer le bien
fondé de ces idées, et à proposer de nouveaux outils théoriques et conceptuels pour mieux
délimiter son champ d’étude.

Section II : Engagement politique critique

La criminologie critique se distingue aussi des autres traditions criminologiques par son
engagement politique explicite. Il s’agit d’une criminologie qui cherche à tirer de la théorie
critique des outils pour l’action sociale. Dans la lignée de l’École de Francfort et de
la Radical Criminology des années 1970, la criminologie critique se donne pour mission de
défendre un idéal de justice sociale et de protection des groupes marginalisés. On peut dès
lors considérer comme critique toute criminologie dont les activités savantes permettent de
déboucher sur un engagement politique en faveur d’une remise en question de l’ordre social.
On pourrait ainsi évoquer, en réaction à une criminologie du maintien de l’ordre, une
criminologie de l’émancipation et des droits de la personne.

Traditionnellement, les criminologues critiques ont toujours adopté une position en faveur
d’un recours minimal au droit pénal et à la répression. C’est dans cet esprit qu’ils ont mené
des recherches portant, par exemple, sur les conditions de vie en prison et sur les effets
corrosifs de l’intervention pénale sur les justiciables (Pirès, Landreville et Blankevoort, 1981).
Dans sa forme la plus radicale, la criminologie critique préconise l’abolition du système
pénal. Dans sa version plus soft, elle défend l’idée d’une intervention réduite de l’appareil de
justice criminelle. Cet appel à un allègement pénal se traduit, par exemple, par des demandes
pour la création de peines alternatives à l’emprisonnement et pour la réduction des pouvoirs
octroyés aux agences policières. On dénonce aussi cette tendance à la criminalisation d’un
nombre de plus en plus important de conduites qui devraient relever davantage de la politique
sociale que de la politique criminelle.

Le contexte sociopolitique étant appelé à changer, on constate depuis quelques décennies


l’émergence d’une nouvelle criminologie critique qui, contrairement à sa version plus
traditionnelle, prône le recours accru à l’intervention pénale pour réprimer certaines conduites
perpétuées par les groupes dominants ou qui représentent un préjudice par rapport aux

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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groupes plus défavorisés. Rappelant toujours la nécessité de lutter contre les inégalités
sociales et économiques, ces criminologues en appellent à une intervention pénale plus
musclée pour réprimer des conduites qui génèrent un tort considérable à la société, mais qui
échappent à toute forme de contrôle. C’est le cas, entre autres, des criminologues qui
s’inscrivent dans la mouvance de la new left criminology et de la green criminology, ou qui
s’intéressent à la criminalité des puissants. Bien qu’au niveau des moyens préconisés, on
demande en fait un élargissement du contrôle pénal, leur agenda politique s’inscrit néanmoins
dans une perspective critique en revendiquant une plus grande justice pour les groupes
marginalisé ou défavorisés. La criminologie critique est donc appelée à évoluer au gré des
fluctuations sociales et politiques plus générales.

Section III : La perspective abolitionniste de Louk Hulsman

Contrairement aux autres auteurs, HULSMAN va exclusivement travailler sur le droit pénal
et le système pénal. Il va parler du système de l’administration de la justice pénale. Pour lui, il
s’agit d’un système qui dysfonctionne. Il comprend 3 instances :

• le droit pénal (la loi pénale mais également la jurisprudence et la doctrine)


• les organes officiellement chargés de mettre en œuvre la loi pénale, envisagés dans
leurs relations mutuelles (police, Ministère public, maisons de justice, etc.)
• le système des relations entre les organismes chargés de mettre en œuvre la loi pénale
et les médias

Il justifie cette dernière inclusion de la manière suivante : il faut distinguer 2 sortes de


connaissances du système pénal : une connaissance littéraire (dramatique) et une
connaissance littérale (qu’on acquiert à partir d’expériences pénales vécues en tant que
justiciables. Il s’agit d’une représentation idéale et irréelle.

Le plus souvent, dit HULSMAN, la politique criminelle est basée sur une connaissance
littéraire du système pénal. Il va alors tenter de la développer à partir de la connaissance
littérale, de ce que le système pénal produit pour les justiciables.

Dans l’œuvre de HULSMAN, il y a un premier versant CRITIQUE DU SYSTEME


PENAL :

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Selon HULSMAN, le système pénal est un mal social pour les raisons suivantes :

- Il est une machine démocratique dans laquelle il n’y a aucun responsable.

Pour déclarer ceci, il va se baser sur des études à propos des sous-systèmes (ex : police,
Ministère public, juge,…). Chacun de ces sous-systèmes est une unité démocratique qui a une
logique propre, aux objectifs propres, avec une idéologie propre et qui a très peu à voir avec
les autres sous-systèmes.

- Selon HULSMAN, le système pénal est incontrôlable ne serait-ce que parce qu’il est
composé de différents sous-systèmes qui sont peu coordonnés entre-eux.

En effet, il n’y a ni contrôle par le bas (par la clientèle, les justiciables) ni contrôle par la haut
(indépendance du pouvoir judiciaire et dépendance fonctionnelle de tous les sous-systèmes en
aval par rapport aux sous-systèmes situés en amont). Par exemple, le système policier est situé
en amont de la prison, un juge d’instruction est situé en aval du système de police. Une
illustration de ceci est le fait que les juges d’instruction ont besoin des policiers pour effectuer
les enquêtes.

- Le système pénal procède via des mécanismes de réduction des problèmes humains.

En effet, on va construire une définition de la situation problématique qui est adéquate à


l’intervention du système pénal. On réduit donc des pans entiers de la situation pour la rendre
traitable par le pénal. Ceci aura comme conséquence qu’on va reprendre sous une même
étiquette des situations qui n’ont rien à voir entre elles. On donnera l’appellation « coups et
blessures », par exemple, autant à un cas de violence intra-familiale que pour une rixe dans la
rue après une soirée bien arrosée.

On ne peut donc pas imaginer que le système apporte des solutions nuancées et
individualisées. HULSMAN va dire que le système méconnaît les vrais problèmes et crée des
faux problèmes.

- Le système pénal vole leurs conflits aux personnes qui sont directement intéressées
(l’auteur et la victime).

En effet, on leur vole leur conflit, leur définition de la situation, leur affaire.

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- Le système pénal produit une seule chose : de la souffrance.

Il produit de la souffrance pour les personnes pénalisées, condamnées (cela apparaît à la


limite le plus légitime), mais également pour la famille de la personne condamnée
(déshonneur, séparation) et pour la victime (ex : femmes abusées sexuellement qui doivent
raconter plusieurs fois leur histoire et qui sont à la limite suspectées de l’avoir provoquée.
Elles sont rejetées).

Le système pénal est un mal social qui n’est pas nécessaire pour les raisons suivantes :

• Il n’a jamais été démontré que le système pénal provoquait des effets de prévention
générale (dissuasion du crime). Une des seules choses qu’on a pu démontrer, c’est que
les effets de prévention générale étaient d’autant plus grands que la peine est certaine
et déterminée peu de temps après l’infraction.
• Il n’a jamais été déterminé que le système pénal provoquait des effets de prévention
spéciale. Généralement, on peut montrer que la peine n’a pas vraiment d’effet de
prévention de la récidive (ex : la prison ne prépare pas à la réinsertion).

Dans le même ordre d’idées, Michel Foucault note : « la prison ne diminue pas le taux
de criminalité et provoque la récidive ; le type d’existence qu’elle impose aux détenus
ne peut qu’engendrer la délinquance et favoriser l’organisation d’un milieu de
délinquants ; les conditions faites aux détenus libérés les condamnent à la récidive ; en
plaçant la famille du détenu dans des conditions de vie rendues difficiles, elle
engendre indirectement la déviance »10.

• La fonction d’incapacitation consiste à mettre des personnes hors d’état de nuire (ex :
mettre une personne en prison pour qu’elle ne puisse plus agir). HULSMAN déclare
que cette fonction n’est également pas remplie par le système pénal car, si on met
quelqu’un hors d’état de nuire dans certaines formes de délinquance (ex : marché de la
drogue), cette personne sera tout simplement remplacée par quelqu’un d’autre.
• La seule fonction qui parait partiellement rencontrée par le système pénal, selon
HULSMAN, c’est la rétribution (payer un mal par un mal). Mais, cette fonction ne lui
parait gère justifiable dans notre société contemporaine.

10
M. Foucault, Surveiller et punir, Paris, Gallimard, 1975, pp.269 et ss.

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179

• Le système pénal ne rassure pas la population, ne produit pas de la sécurité dans la


population. Le thème de l’insécurité prend d’ailleurs une place croissante. Le tout au
pénal est selon HULSMAN une manière de jouer avec des représentations
fantasmatiques de la population pour donner des solutions apparentes à des problèmes
qu’en réalité on ne traite pas. Il a donc une fonction de diversion de la population par
rapport à d’autres problèmes politiques plus fondamentaux. Cela ne réduit en rien
l’insécurité.
• Il n’y a pas d’effet de restauration pour la victime. Il ne remet pas son sentiment de
dignité à la personne.
• On voit qu’actuellement il est parfaitement dysfonctionnel et ineffectif (cf. arriéré
judiciaire, affaires classées sans suite).

Tout ceci montre bien que le système pénal n’est pas nécessaire.

Dans le deuxième volet de son œuvre, HULSMAN va tenter de reconstruire ce qu’il a


critiqué. Il s’agit de sa POLITIQUE CRIMINELLE.

Le système qu’il propose est basé sur plusieurs notions : la situation problème, la résolution
ou solution de situation problème et la communauté concrète ou tribu moderne.

La « situation problème » (à la place du crime, de l’infraction) implique de considérer les


points de vue des personnes impliquées dans la situation. Une situation n’est jamais
problématique en soi ; elle est problématique pour certaines personnes. Il est tout à fait
probable que les définitions, les descriptions que les personnes impliquées donnent soient
différentes. Il faut donc comparer les définitions de situations qu’elles proposent. On ne peut
alors pas proposer un système de simplification.

Pour HULSMAN, parler de situation problème implique de renoncer à dire savoir quelle est a
priori la situation problème. La construction de la situation problème est bien à faire à partir
d’une visée anascopique.

Il va également parler de « résolution » ou « solution » de situation problème (à la place de


peine ou de mesure de défense sociale). On ne dispose pas à priori d’un catalogue
prédéterminé de solutions. On sait néanmoins que les différentes personnes impliquées ont
des points de vue différents.

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180

Une partie de la solution consistera alors dans le fait de tenter de trouver une définition
commune, un point de vue commun sur la situation. La réduction de la complexité se fait
donc par une négociation des parties.

Ce que HULSMAN va situer à la troisième pointe du triangle, c’est la « communauté


concrète » ou « tribu moderne ». Idéalement, il faut que la résolution de problème se passe
dans cette communauté ou tribu moderne. Le critère de la communauté est qu’il s’agirait d’un
groupe social dans lequel il y a une interdépendance effective et reconnue entre les membres.
C’est ce qui fera que les parties seront intéressées à trouver une solution à la situation
problématique.

Dans un autre cas, si la personne n’est pas intéressée par la solution, il faudra manipuler son
intérêt. Ceci est très difficile lorsqu’il n’y a pas de liens et lorsqu n’y a rien pour faire pression
pour l’exécution de la décision.

HULSMAN va tout de même réserver une place ici à l’Etat : sa responsabilité sera d’instaurer
des lieux et agents de négociation de situation problème. L’Etat doit donc instaurer des
procédures de médiation et des médiateurs, sans du tout imposer une solution qui est basée sur
une définition a priori.

Dans ses écrits plus tardifs, HULSMAN va développer son propos. Il va dire que la médiation
n’est qu’un style parmi d’autres et qu’il faut développer d’autres styles en dehors du système
pénal :

- Style éducatif : le manque d’éducation peut être à l’origine de la situation


problématique (ex : population marginalisée, comportements qui témoignent du fait
que la personne n’a pas incorporé un certain nombre de normes de la vie en commun).
- Style psycho-médical : l’Etat doit prévoir des systèmes de soins pour réagir à ces
causes de situations problème (ex : problèmes psychiques et relationnels).
- Style compensatoire : l’Etat doit prévoir des fonds d’indemnisation des victimes au
cas où on ne parvient pas à un accord sur la définition de la situation problème.

L’Etat doit donc fournir un certain nombre de moyens d’agir de manière volontaire sur des
situations problématiques.

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181

A partir de la théorie de HULSMAN, on a procédé à des réaménagements qui correspondent à


un PHENOMENE DE RETRAIT :

• décriminalisation primaire (supprimer un certain nombre d’incriminations) et


secondaire
• dépénalisation (suppression de la peine ou désescalade pénale par une réduction de la
peine ou par substitutions de mesures de défense sociale ou de mesures pénales à
certaines infractions.

Il faut tout de même faire la distinction entre une dépénalisation réelle et une dépénalisation
apparente (mesures de défense sociale qui sont tout de même vécues comme des peines par
les personnes concernées).

Les auteurs insistent qu’il s’agit de processus qu’il faut distinguer de la déjudicisation ou
baisse de la puissance juridique. On ferait donc moins appel au droit et plus à d’autres formes
de règlements de situations problématiques.

On distingue la dépénalisation également de la déjuridictionalisation, déjuridiciarisation ou


déjudictiarisation. Dans les résolutions de situations problématiques, on va privilégier des
acteurs qui ne sont pas des acteurs judiciaires (ex : les matières du juge de la jeunesse sont
devenues de compétences du conseiller à l’aide à la jeunesse).

On pense chaque fois en termes de réduction ou de suppression de la pression juridique.


Autrement dit, on pense sous forme de retrait du champ pénal. Certains auteurs vont dire
qu’on a alors procédé à une diversification des formes d’intervention de l’Etat.

La dépénalisation peut prendre un certain nombre de formes. On a ainsi distingué plusieurs


dimensions :

- 1ère dimension : distinction entre les formes de dépénalisation absolue et de


dépénalisation relative :

• dépénalisation absolue : pour certains comportements, faits ou pour certaines


catégories d’auteurs, on supprime le recours au mode de conduite des conduites qu’est
la sanction pénale

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182

• dépénalisation relative : déclassification des infractions (un crime devient un délit, un


délit devient une contravention, etc.)

- 2ème dimension : distinction entre les formes de dépénalisation objective et les formes
de dépénalisation subjective :

• dépénalisation objective : on réduit la pression pénale par rapport à certains


comportements
• dépénalisation subjective : on réduit la pression pénale par rapport à certains auteurs
d’infraction (au cas par cas ou pour certaines catégories d’auteurs)

- 3ème dimension : distinction entre la dépénalisation de droit (de jure) et la


dépénalisation de fait (de facto) ou jurisprudentielle :

• dépénalisation de droit : réduction de la pression pénale prévue par la loi


• dépénalisation de fait : les peines ne sont plus appliquées pour certains types d’auteurs
ou certains types de faits alors que la loi considère qu’elles le sont toujours

- 4ème dimension : distinction entre dépénalisation facultative et dépénalisation


automatique :

• dépénalisation facultative : la possibilité est ouverte à un organe d’application de la loi


d’apprécier l’opportunité de la poursuite ou non
• dépénalisation automatique : il y a dépénalisation de plein droit et aucun pouvoir
d’appréciation n’est laissé

- 5ème dimension : distinction entre dépénalisation conditionnelle et dépénalisation


inconditionnelle :

• dépénalisation conditionnelle : le caractère de dépénalisation est subordonné à


certaines conditions qui doivent être jugées après qu’on ait déterminé l’opportunité de
dépénaliser
• dépénalisation inconditionnelle : dépénalisation définitivement acquise

Très généralement, ces phénomènes de retrait se sont accompagnés de PHENOMENES DE


REAMENAGEMENT :

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1. Légitimation :

Un comportement ou une situation autrefois considéré comme problématique cesse de l’être.


Il y a donc une pleine reconnaissance sociale et légale de certains comportements (ex :
interruption de grossesse).

2. Légalisation :

Il y a une reconnaissance légale. Certains comportements deviennent licites (ex : légalisation


du cannabis). Il n’y a plus de prise en charge de ce comportement par la loi.

3. Rééducation et médicalisation :

HULSMAN considère que le droit n’est pas la bonne manière de gérer une situation
problématique. Selon lui, l’éducation et la médicalisation doivent se substituer à la
pénalisation et doivent réorienter l’intervention de l’Etat vers la prévention et non la
répression. Ces méthodes ne doivent pas être appliquées sous pression pénale.

4. Sanctions administratives au lieu de sanctions pénales :

Ceci est encore discuté à cause de l’encombrement pénal. La visée de HULSMAN était de
pouvoir signifier un interdit mais en dehors d’un système afflictif.

5. Fiscalisation :

La fiscalisation doit, sans recours à la sanction pénale, atteindre des objectifs de dissuasion
(ex : fiscalisation du tabac et de la consommation d’alcool).

6. Disciplinarisation :

La disciplinarisation renvoie à la commission d’une infraction disciplinaire. On va alors


prévoir que certaines situations problématiques seront gérées dans le cadre de l’institution où
elles ont été commises (ex : ordre des avocats, ordre des médecins, direction d’une institution
pénitentiaire,…). Ces institutions appartiennent à la communauté concrète dans laquelle
l’infraction s’est produite. Ceci soulève la question de la protection des personnes qui sont
soumises à ces procédures disciplinaires.

7. Réglementation :

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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La réglementation consiste à rendre un comportement licite si et seulement si ce


comportement a lieu sous le contrôle de certaines personnes qui y sont habilitées par la loi
(ex : distribution de la méthadone, interruption de grossesse).

8. Conciliation :

La conciliation table sur une confrontation entre l’auteur et la victime à partir de laquelle il
faut trouver une solution à une situation problématique.

9. Compensation :

Instituer des mécanismes de compensation (financière) pour certaines parties à la situation


problématique.

En conclusion, on peut postuler que si l’objet de la criminologie traditionnelle est d’expliquer


la conduite criminelle et de produire un savoir permettant de prévenir cette criminalité, l’objet
de la criminologie critique est d’expliquer comment fonctionnent les institutions de contrôle
du crime et de produire un savoir indépendant permettant de lutter contre les inégalités
générées par ces institutions. À cet égard, la principale caractéristique de la criminologie
critique est qu’elle cherche à conserver son indépendance, tant au niveau épistémologique que
politique, par rapport à une criminologie administrative qui cherche de son côté à répondre
aux besoins implicites des agences du système pénal.

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CHAPITRE VIII : LA DELINQUANCE

La délinquance est la transgression de normes juridiques donnant lieu à une sanction. Elle est
incluse dans la déviance. La déviance correspond à un écart durable par rapport aux normes
socialement établies.

Les degrés de la délinquance :

- Les contraventions sont des infractions aux normes légales. Elles sont jugées par les
tribunaux de police en raison du faible trouble apporté à l’ordre public.
- Les délits recouvrent les atteintes courantes à la propriété et les actes de violence plus
ou moins volontaires. Ils sont jugés devant les tribunaux correctionnels. Les sanctions
peuvent être de l’emprisonnement, une lourde amende, ou un travail d’intérêt général.
- Les crimes correspondent aux infractions les plus graves et relèvent des cours
d’assises. Ils sont passibles de peines de prison pouvant aller jusqu’à la réclusion
criminelle à perpétuité.

Le crime peut être considéré comme une déviance au regard du droit pénal, le crime est
défini par le droit, alors que la déviance est une notion plus large.

Section I : Quelques facteurs explicatifs de la délinquance

La littérature criminologique met en exergue plusieurs facteurs explicatifs de la


délinquance. Nous avons déjà abordé une grande partie de ces facteurs dans les précédents
chapitres de ce cours. Dans cette section, nous allons juste nous appesantir sur quelques
facteurs, notamment :

- les facteurs économiques, soit dans leur dimension limitative (chômage, pauvreté), soit
dans leur dimension incitative (surplus de désirs et de frustration créé par la richesse
ambiante) ;

- les problèmes associés à la famille, souvent perçue comme incapable d’insérer les
jeunes dans un réseau d’encadrement et de soutien suffisamment présent (familles
recomposées, déstructurées et défavorisées, familles des parents incarcérés, familles des
parents divorcés).

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La famille a une grande influence sur le développement de la personne et certaines


lacunes ou problèmes que nous y retrouvons parfois peuvent engendrer un comportement
délictueux dans l’avenir. Certains de ces problèmes ou lacunes dans la famille ont une
portée plus grande sur les garçons et d’autres sur les filles. Voyons tout d’abord les causes
qui ont plus de portée pour les garçons. Les conflits entre les parents ainsi que la violence
familiale en sont un exemple. En effet, selon Colvin et Pauly (1983) cités dans D’Amours
(1995), il a été démontré que la présence sur une base régulière de disputes entre les parents
devant les enfants est un facteur propice au développement de la délinquance, et ce surtout
chez les garçons. La présence de violence familiale a le même effet, et il est encore une fois
plus prononcé chez le sexe masculin. Toujours en regard de la famille, l’absence du père
augmente souvent les probabilités que le garçon devienne délinquant. Toutefois, aucunes
données ne sont disponibles quant à l’effet de l’absence de la mère sur les filles. La famille
présentant certains problèmes ou lacunes aurait une influence négative sur la délinquance
masculine. Cela dit, ce ne sont pas tous les auteurs qui s’entendent sur cette affirmation. En
effet, selon Biron, Gagnon et Le Blanc, l’influence de la famille est plus importante pour les
filles que pour les garçons. Ces derniers affirment que les filles sont plus sensibles aux
différents problèmes familiaux, tout particulièrement en ce qui concerne la rupture. « ...la
famille apparaît être un élément dont l’influence est plus grande chez la fille que chez le
garçon. Il ressort en effet que la fille est beaucoup plus sensible que le garçon à toute
rupture parentale et que ce manque constitue davantage pour les filles que pour les garçons
un facteur prédisposant à la délinquance » (1980, p.56).

En somme, les écrits montrent que les problèmes familiaux sont un facteur prédisposant
dans le développement de la délinquance. Malgré le fait que tous les auteurs ne s’entendent
pas sur leur portée, il ressort néanmoins que certains problèmes ont plus d’influence sur un
sexe que sur l’autre. La violence semble toucher davantage les garçons et les ruptures, les
filles. Bien que ces affirmations aient leurs limites, il nous semble pertinent de les présenter
puisqu’elles sont directement liées au phénomène de la surreprésentation masculine.

- la démission des institutions, qui n’assurent plus leur rôle de prévention ou de


répression de la délinquance. Ainsi, école, justice et police sont parfois considérées comme
incapables de remplir leur mission de maintien de l’ordre et de la moralité publics;

- la perte des valeurs. Les recherches révèlent un sentiment relativement fort de remise
en question des fondements moraux de la vie sociale: individualisme tendant à l’égoïsme,

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déclin du sentiment religieux, incapacité des générations récentes à aspirer à des idéaux non
matérialistes, dégradation de la culture, etc.

- la perte des communautés d’antan. Plusieurs personnes ont mentionné l’anonymat de


la vie moderne et la perte ou l’affaiblissement substantiel des «appartenances» sociales, qui
intégraient les individus dans des groupes à la fois contraignants et protecteurs.

- la présence de communautés étrangères inassimilables à la population locale. Dans


cette optique, la délinquance a été causée par la brèche faite dans les institutions, dans les
valeurs et dans les comportements, par des populations allogènes, incapables ou non
désireuses de s’intégrer dans la société d’accueil et d’en respecter les lois. On évoque
souvent aussi l’idée de cultures différentes où la violence serait banalisée.

- l’influence délétère des médias. Les médias sont souvent mentionnés, soit qu’ils
incitent les individus à la violence par un effet de mimétisme, soit qu’ils les poussent au
crime par le monde brillant mais inaccessible qu’ils leur proposent un exemple.

« Je pense, que c'est un peu tout ce que vivent les gens dans leur jeunesse…
[...] C'est aussi beaucoup les films à la télé ou les films en général qui - je pense
pour trois quarts - sont des films criminels si l'on peut dire.[...] Il y a peut-être
beaucoup de gens qui nient ça, mais je ne crois pas que ça passe comme ça,
inaperçu, si les gamins regardent - il y en a quand même beaucoup qui regardent
beaucoup la télé ! » Extrait d’un entretien

- les troubles du comportement ou de la personnalité. S’il y a du crime c’est, dans cette


optique, parce qu’il y a des personnalités déviantes. Cette déviance peut être de deux
natures. Dans le premier cas, il s’agirait d’individus qui maximisent leur profit par le
crime: ils choisissent l’acte délictueux parce qu’il est le moyen le plus simple d’obtenir
quelque chose. Dans le second, on met en avant les tares morales ou psychologiques des
délinquants, incapables de discerner le bien du mal ou de résister à leurs pulsions de
destruction.

- L’influence de l’environnement familial et social est incontournable pour le


développement d’un individu vers une trajectoire déviante. Le délinquant est celui qui subit
l’influence criminogène du milieu social dans lequel il évolue. Le chômage, une crise
économique, une guerre, les convictions politiques et religieuses, la perte des valeurs, le rôle
de la télévision, le manque d’éducation, etc,… prédisposent à la criminalité. Une des causes

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évidentes est l’urbanisation. On constate qu’il y a d’avantages de délits commis en zone


urbaine qu’en zone rurale. La profession, ainsi que l’absence de cadre familial solide sont
également des facteurs exogènes. Dans les milieux ruraux, les contrôles sociaux informels
dominent et sont exercés par les membres de famille, du clan, de la tribu, des voisins, etc. ¨Par
contre, dans les milieux urbains, il s’observe la montée du contrôle social formel (Police,
parquet, cours et tribunaux, prison). Avec l’urbanisme et la montée de l’individualisme, le
contrôle social informel s’affaiblit au profit du contrôle social formel. En effet, avec
l’urbanisme, il y a moins des relations interpersonnelles et la surveillance mutuelle est
moindre. Le contrôle social informel et de proximité a donc décliné au profit des actions
policières et judiciaires qui, elles, augmentent. Dans les campagnes, la délinquance juvénile
est pratiquement inconnue. Elle se développe dans les milieux urbains ou semi-urbains. Cette
absence de délinquance chez les jeunes des milieux ruraux provient du fait que les structures
traditionnelles leur assignent des activités déterminées qui, non seulement donnent un sens à
leur vie, les aident à rechercher leur identité et leur sécurité, mais aussi assurent une base
fondamentale à leur choix entre différentes valeurs.

- On peut également évoquer la lutte des classes.

Il existe des facteurs déclencheurs du crime. En principe, un crime est toujours un acte
volontaire.

1) Le passage à l’acte individuel

Il peut résulter d’une situation instantanée ou d’une situation plus durable.

Le passage à l’acte résultant d’une situation instantanée est le fruit des circonstances du
moment. Le passage à l’acte résultant d’une situation durable est décrit par un processus de
maturation criminel.

Le passage à l’acte d’une gravité supérieure est facilité par un acte moins grave qui n’a
pas été puni ou qui a été trop peu sanctionné.

2) Le passage à l’acte en groupe

Il résulte de l’influence exercée par certains individus sur d’autres individus. Il


s’explique aussi par le sentiment de force et le sentiment d’impunité. L’impunité favorise la
justice populaire.

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Section II : Déviance et délinquance

a) – La déviance se définit par rapport aux normes sociales

1. La déviance se définit par rapport aux normes sociales. En effet, pratiquement toute
notre vie sociale est organisée par des normes. Nous apercevons aisément celles qui
sont les plus contraignantes, celles dont l’infraction entraîne une sanction juridique
(voler dans un magasin). Mais, il existe un très grand nombre de normes sociales
non moins impératives quoique non juridiques (ne pas se moucher le nez devant
quelqu’un). Les normes familiales peuvent s’imposer par exemple aux enfants sans
même avoir jamais été énoncées. Et leur non respect peut entraîner des sanctions
physiques mais aussi psychiques : la plus banale est sans doute le sentiment de
culpabilité. La déviance correspond donc à un comportement jugé non conforme
aux normes sociales d'un groupe, à un moment donné, et qui s'accompagne de
sanctions. Le critère majeur de la déviance est donc la réaction qu'elle provoque :
réprimande, sarcasme, réprobation, dénonciation, isolement, ostracisme, traitement
obligatoire, enfermement, exécution... Quand un acte autrefois jugé déviant ne fait
plus réagir, c'est qu'il a cessé d'être déviant. La notion de déviance ne saurait être
comprise en dehors de l'interaction du déviant et de ceux qui le jugent.

Déviance

Normes
Sanctions
valeurs

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2. Ce phénomène est à la fois relatif, dans le temps, dans l'espace, et universel :

✓ La déviance est relative dans le temps : certaines conduites, jugées autrefois déviantes, ne le sont plus
de nos jours. Inversement, l’évolution des sociétés modernes conduit à pénaliser des comportements
jadis tolérés voire considérés comme normaux : certaines formes d’atteinte à l’environnement
(chasse, pollution), certaines formes de violences psychique (le harcèlement sexuel, moral, le propos
raciste). Aujourd’hui, l’individu qui allume une cigarette dans un hall de gare est un délinquant
puisqu'il enfreint la loi. Il y a à peine quelques années, dans la même situation, il était un individu
parfaitement normal.

✓ La déviance est relative dans l'espace : les normes ne sont pas les mêmes d'un espace géographique ou
social à l'autre. Le port de la mini-jupe admis chez nous est sévèrement puni en Iran. Finalement, la
déviance d'un acte sera relative au contexte normatif dans lequel il est posé.

✓ La déviance est universelle : toutes les sociétés sont confrontées à des phénomènes déviants puisque
toutes les sociétés produisent des normes sociales. Dans certains cas, l'universalité de la déviance est
renforcée par l'existence de normes universelles (prohibition de l'inceste, ne pas tuer, ne pas voler,
droits de l'homme...).

3. La mesure de la déviance est donc difficile car elle dépend de la variation de la norme. Le
relativisme, c'est- à-dire la position d'après laquelle normes et valeurs sont variables et dépendent
de chaque société, est une attitude nécessaire au criminologue qui veut comprendre un groupe qui
n'est pas le sien. Le chercheur en a besoin pour éviter de juger les diverses cultures à travers le
prisme de son propre système culturel. Il doit également tenir compte des changements, au cours
du temps, des normes sociales et des sanctions qui l'accompagnent.

✓ Une augmentation des normes peut faire basculer certains comportements dans la déviance et
l'accroître (la prohibition de l'alcool ou de la cigarette).

✓ Un relâchement des normes peut rendre conforme des actes autrefois taxés de déviants (l'avortement,
l'homosexualité en occident).

b) – La délinquance se définit par rapport à la loi

1. La délinquance ne représente qu'un aspect de la déviance. Elle se définit comme un comportement


déviant vis-à-vis de la loi qui est réprimé par l'application de sanctions formelles négatives. Le
domaine des normes sociales est donc bien plus large que celui des normes juridiques et toutes les
normes juridiques ne sont pas des normes sociales (ex. autorisation de l’avortement, du mariage
homosexuel dans certains Etats) :

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2. Les normes juridiques répondent à une demande sociale d’institutionnalisation d’une règle. Elles
visent à légitimer des normes sociales pour être en adéquation avec les mœurs. Ainsi, l'évolution des
lois sur le divorce ou sur l'homosexualité répond à une évolution des modes de vie au sein des
sociétés modernes. La norme juridique a d’autant plus de poids qu’elle est convergente avec la norme
socialement admise.

c) – Déviance et délinquance supposent un contrôle social

1. La sociologie de la déviance ne se réduit pas à l'étude de la délinquance mais recouvre des


comportements plus larges tels que l'alcoolisme, la toxicomanie, le suicide,…C'est la sanction des
comportements déviants qui permet de s'assurer de l'effectivité de la norme et d'en cerner les
contours. La déviance exige le contrôle social.

2. Le contrôle social correspond à l'ensemble des moyens dont dispose une société pour amener ses
membres à se conformer aux normes et aux valeurs afin de maintenir l'ordre social.

✓ La socialisation est un de ces moyens. Elle correspond au processus par lequel un individu apprend
et intériorise, tout au long de sa vie, les normes et les valeurs en vigueur dans la société. Si l’individu
est bien régulé, il a intériorisé les normes et les valeurs de sa société. Il va adopter un comportement
conforme par un simple contrôle social interne. La marche à pied, le fait de se tenir assis en cours,
s'habiller,...résultent de ce processus d'apprentissage.

✓ Les sanctions sont une autre façon d’obtenir que l’individu se conforme aux normes sociales. Dans
ce cas, on a à faire à un contrôle social externe qui fait intervenir plusieurs institutions régulatrices.

• Les sanctions positives approuvent et encouragent la conduite conforme en récompensant, en


valorisant, l'individu (les bonnes notes, la médaille du sauveteur, le cadeau qui sanctionne la réussite
à un examen...).

• Les sanctions négatives visent à réprouver et à empêcher la transgression des normes en punissant
les individus qui contreviennent aux règles. Certaines de ces sanctions sont répressives, c'est à dire
destinée à punir (servitude pénale, travaux forcés, etc.), d'autres sont réparatrices ou restitutives
(dommages et intérêts).

3. Le contrôle social formel fait intervenir des institutions, leurs lois et règlements (police, armée,
Parquet, cours et tribunaux, école, entreprise, prison...) alors que le contrôle social informel fait
intervenir des groupes sociaux dont les règles de vie en commun ne sont pas écrites et sont plus
diffuses (famille, groupes de pairs, gangs...). Le contrôle social a plusieurs objectifs :

• Protéger la société des comportements individuels déviants ;


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• Protéger l’individu contre lui-même ;

• Maintenir l’ordre social ;

• Favoriser la prévisibilité des comportements.

4. Le contrôle social évolue avec la société. Les sociologues ont mis en avant plusieurs grandes
évolutions dans les sociétés occidentales développées :

✓ Le contrôle social s'est élargi à de nombreux domaines. En se civilisant la société, sous l'influence
des élites sociales, a établi un nombre croissant de normes sociales telles que les règles d'hygiène
(se moucher, cracher, se curer les dents), les règles de politesse (courtoisie, conversation, règles de
maintien à table), les règles liées au corps (la nudité, la pudeur...). Norbert Elias a décrit ce
"processus de civilisation" (1939) qui conduit la société à se civiliser et à se pacifier. Cependant, il
est difficile de prouver que les sociétés traditionnelles avaient moins de normes sociales que les
sociétés modernes. Tout ce que l'on peut dire c'est qu'elles étaient différentes parce que la société
était moins différentiée.

✓ Le contrôle social est devenu de plus en plus formel. Autrefois, les groupes primaires (la famille, le
clan, la tribu, le voisinage, la communauté religieuse) exerçaient un contrôle étroit sur le
comportement des individus. Le contrôle social est essentiellement informel. L'individu n'existe que
par le groupe. Tout comportement déviant va se traduire par l'exclusion. De nos jours, la société s'est
individualisée, urbanisée et étatisée. Le contrôle social est de plus en plus confié à des institutions
spécialisées (police, animateurs sociaux, école...) qui obéissent à des règles juridiques. Cela se
manifeste de plus en plus en occident.

✓ Le contrôle étatique s'est renforcé. La prison moderne est conçue pour discipliner les corps et les
esprits. La privation de liberté se substitue aux exécutions sur la place publique ou aux sanctions
physiques. Michel Foucauld dans "surveiller et punir" (1975) décrit cette mise en place du contrôle
étatique qui se poursuit avec la mise en place de technologies modernes pour encadrer tous les
aspects de la vie des individus (fichier anthropométrique, carte d'identité biométrique,
vidéosurveillance, fichiers informatiques, surveillance des traces laissées sur Internet...) ce qui met,
peu à peu, en cause le respect de la vie privée.

5. Comment l'individu peut-il se comporter face aux contraintes des normes social et au contrôle social
? Il a trois possibilités :

✓ Le conformisme : il adhère à la fois aux objectifs et aux moyens socialement valorisés. Il représente le
modèle de réussite pour les institutions de régulation. Une société demeure stable et cohérente tant

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que les conformistes représentent une large partie de la population. Cependant, celui qui respecte à la
lettre et dans l'esprit les normes sociales et juridiques est relativement rare. Il arrive au "bon citoyen"
de frauder le fisc, de dépasser les limites de vitesse,...

✓ La normalité comprend tous les actes que la société admet même s'ils sont répréhensibles du point de
vue de la morale ou de la loi. La pratique protestante était condamnée avec force par la majorité
catholique du XVIe siècle. Elle apparaissait comme une déviance. Mais à partir du moment où une
fraction très importante de la population allemande ou anglaise se convertit au protestantisme, cette
religion accèdent à la normalité. De même, plus les adolescents et les adultes sont nombreux à fumer
occasionnellement un « joint » de marijuana, moins cette conduite paraîtra condamnable, moins elle
sera déviante. Une activité quelconque ne peut pas être à la fois habituelle et déviante. L'intensité de
la déviance varie donc en raison inverse de sa fréquence parce qu'il est impossible au sein d'un groupe
que les gens réprouvent avec une indignation extrême des agissements fréquents.

✓ La déviance est une différence négativement perçue. Plus un acte est déviant, plus il est rare. La
nécessaire relation entre déviance et rareté tient non seulement à ce qu'il est difficile de réprouver
fortement des pratiques courantes, mais aussi à ce que les groupes minoritaires ou majoritaires
finissent tôt ou tard par imposer leur critère de normalité. Ainsi, l'homosexualité après avoir été jugé
comme un crime est devenu, à la suite des combats des homosexuels, une pratique acceptée
globalement par la société. En conséquence le couple homosexuel revendique les mêmes droits que
les couples hétérosexuels au nom d'une société égalitaire et le droit évolue peu à peu en ce sens
(reconnaissance du mariage homosexuel dans certains pays, reconnaissance de la double filiation
pour les enfants d'homosexuels...). Les déviants peuvent être selon R.K.Merton des "innovateurs" ou
des "rebelles" qui font évoluer les normes sociales au point de transformer une déviance en normalité.

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CHAPITRE IX : LES AUTEURS DES CRIMES : LES CRIMINELS

Dans ce chapitre, nous allons passer en revue les différentes conceptions développées au fil du
temps sur le criminel. Ensuite nous allons nous poser la question de savoir qui sont les criminels ? Est-
ce les hommes ou les femmes ? Les jeunes ou les vieux ? Les pauvres ou riches ?

SECTION I : Les différentes conceptions du criminel

§1. La conception démoniaque

Il s’agit d’une conception qui envisage le criminel comme soumis à la tentation, aux forces du mal.
C’est la plus vieille conception du criminel. Elle repose sur une conception du monde où le bien et le
mal combattent, conception souvent soutenue par la religion. Selon cette conception, les criminels
sont des personnes qui succombent aux forces du mal.

Il faut distinguer deux phénomènes :

- La tentation : l’homme est tenté par le mal, comme c’était le cas d’Eve dans le jardin d’Eden.
Les forces du mal entourent en effet l’individu de la tentation : le criminel est celui qui succombe à la
tentation (Eve serait ainsi la première criminelle de l’histoire). Mais c’est un choix fait par l’individu,
et donc une forme d’exercice de la liberté. L’homme peut dire non à la tentation. Celui qui dit oui est
bien sûr un faible, mais il est resté libre d’agir comme il a agi.

- La possession : l’homme est habité par les forces du mal, on parle aussi d’un criminel. On ne
lui reconnait plus sa liberté, c’est le mal qui agit à sa place.

Tentation Possession

Liberté Déterminisme

Le criminel est un individu libre Le criminel est déterminé par quelque


chose d’extérieur à lui

§2. La conception classique

Il s’agit d’une conception du 18ème siècle. Celle-ci a donné naissance au droit pénal classique et à la
rédaction du premier code pénal français de 1791. Elle affirme que l’individu reste libre et choisit ce
qu’il fait. Le criminel est donc un homme qui fait un mauvais usage de sa liberté : on définit le
criminel comme un être libre, rationnel, régit par son intérêt et calculateur.

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Cette conception a cependant des limites : c’est une conception abstraite de l’homme, car tous les
actes que nous posons ne peuvent être libres et rationnels. Pourtant, c’est une conception qui s’impose
chez beaucoup de juristes. Pour eux, le criminel choisit son mode de vie. Cette conception est
d’ailleurs dominante dans notre société. Mais on ne prend pas en compte l’expérience de l’individu, et
la liberté est vue de manière trop absolue.

§3. La conception pathologique

Ce courant considère que le criminel est un homme différent et anormal. Ici l’individu ne peut être vu
comme entièrement libre de ses actes car il est « constitué autrement que les autres » ou est malade.

Pensons à l’homme criminel de Lombroso : le criminel est une personne à un degré arrêté de
l’évolution (atavisme). Il y a également des caractéristiques propres au criminel-né. Plus tard, on
évaluera également vers la psychologie en disant d’abord que le criminel est une personne en manque
de sentiments moraux ensuite, qu’il a des problèmes d’ordre mental. On passe ainsi d’une anomalie
physique à une anomalie psychique, mais remarquons que le criminel reste quelqu’un d’anormal :
perspective pathologique !

L’impact de ce raisonnement est important, car il va donner naissance au développement de la notion


de dangerosité, qui, pour certains (attention, discutable !), pourrait se manifester avant le crime et
même indépendamment de celui-ci (idées d’individus « potentiellement dangereux »).

Trois caractéristiques :

- Déterminisme : le comportement déviant est extérieur à l’individu.

- Positivisme : la cause de la délinquance est observable.

- Pathologisme : l’individu est malade et affecte le social (criminel = maladie du social).

Les limites :

- On complexifie le modèle mais le déterminisme est toujours trop important dans cette conception. Il
considère qu’on nait et qu’on meurt criminel.

- On donne l’apparence d’une fausse neutralité, alors que Lombroso par exemple est parti d’une
catégorie qui était déjà jugée criminel par la justice sans tenir compte du fait que cette intervention
pouvait avoir déjà sélectionné un public particulier. Il a alors identifié les caractéristiques de ce public
là, en les attribuant à tous les criminels.

- Cette théorie ouvre également la porte à la domination des experts, à une mainmise de la science sur
le phénomène criminel.
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- On fait abstraction des problèmes sociaux car on se focalise uniquement sur l’individu.

§4. La conception fonctionnaliste

Selon cette conception, le criminel est un agent régulier de la vie sociale (Emile Durkheim).

Le crime est un fait social et l’individu n’est pas un être isolé. Il est quelqu’un venant éprouver les
normes sociales. Il joue une fonction sociale.

§5. La conception de la réaction sociale

Le criminel est celui qui est défini comme criminel par le système pénal. Il est le produit d’une
définition, il est celui qui génère à son encontre une réaction particulière qui le définit comme
criminel. Cette conception critique la construction institutionnelle du délinquant : c’est le système
pénal qui définit à un moment ou un autre quelqu’un comme criminel. On analyse ainsi comme
criminel ceux qui sont définis comme tels par l’institution.

Le chiffre noir : les institutions ne réagissent qu’à une partie des crimes, en effet, elles ne
touchent pas tous les criminels. Chaque fois que l’on parle du criminel, on parle de ceux déjà
construits comme criminel par les institutions. Mais d’où vient cette construction ? Il faut pouvoir
aller au-delà.

Théorie de l’étiquetage et théorie de la stigmatisation : ces théories placent le focus sur


l’organisation de la réaction autours du crime (le Système d’Administration de la Justice Pénale =
SAJP). De nouvelles questions apparaissent : pourquoi tel comportement est criminel ? Pourquoi pas
tout le temps ? Pourquoi telle population ? Pourquoi seulement dans tel contexte ? Il faut prendre des
distances avec les définitions des institutions, il faut déconstruire. En effet, s’il n’y a pas de réaction,
on n’apparait pas comme criminel. C’est donc la réaction institutionnalisée qui va définir l’individu
comme criminel. Aucune des manières de définir le criminel ne s’imposent, d’autant que ces
définitions coexistent bien qu’elles ne peuvent se confondre entre elles. Il faut faire attention car le
sens commun a tendance à faire une soupe de ces définitions, en définissant le criminel comme un
grand malade mental mais qui est en même temps rationnel etc.

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


198

Section II : Qui sont criminels ?

§1. Est-ce les hommes ou les femmes ?

Depuis les toutes premières recherches en criminologie, on a pu observer que la plus grande partie des
criminels sont des hommes, plus particulièrement des jeunes hommes.

Essayons de savoir pourquoi les hommes plus que les femmes et pourquoi plus les jeunes que les
vieux.

Pourquoi les hommes plus que les femmes ?

Trois types d’hypothèses peuvent être imaginés :

➢ La justice est plus clémente avec les femmes


➢ Le niveau d’émancipation n’étant pas le même, l’explication est sociologique
➢ Il y a des différences biologiques

Reprenons ces hypothèses dans l’ordre.

1. La justice est plus clémente

On observe, en comparant le nombre de femmes soupçonnées, condamnées et emprisonnées, que cela


diminue. On peut donc penser que le processus pénal est plus clément pour les femmes. Or, ce n’est
pas le cas.

Pour le déterminer, on a utilisé des sondages de victimisation, où l’on demandait aux sondés quel était
le sexe de l’agresseur. Les résultats montrent que les hommes sont plus nombreux à êtres cités, mais
qu’ils sont encore plus nombreux lorsque la criminalité augmente.

Cela veut dire que si les femmes sortent du processus pénal au fil de son avancée c’est peut-être parce
qu’elles ont commis des infractions moins graves. Et lorsque les infractions sont moins graves on est
moins souvent condamné et encore moins souvent emprisonné11.

Bon, donc l’hypothèse du traitement de faveur est invalidée. Reste à se poser la question concernant
les deux autres hypothèses.

2. Hypothèse sociologique

11
Il y a tout de même une infraction où cela se passe différemment, c’est l’enlèvement d’enfants. Mais qu’est-ce que ça
veut dire l’enlèvement d’un enfant ? C’est la soustraction de l’enfant à la personne qui détient l’autorité parentale. Mais,
nous vivons dans une société où nous avons tous intégré que l’enfant part avec sa maman et lorsque cela ne se passe pas
comme ça (parce que le juge en a décidé autrement), les femmes ne le supportent pas. Donc dans les cas où le résultat
du divorce n’est pas celui qui est attendu par les gens, les femmes réagissent différemment des hommes.
Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019
199

Hypothèse qui veut que plus les femmes exercent des responsabilités dans la société, plus elles
commettent des infractions. Sous-entendu que ce sont les responsabilités données à un individu qui
peuvent pousser à la commission d’infractions.

L’hypothèse de l’émancipation voudrait donc que si l’on attribue aux femmes les mêmes
responsabilités que les hommes, alors elles commettraient plus d’infractions. En d’autres termes, plus
la femme est émancipée, plus elle commettra de crimes. Mais le problème de cette hypothèse, c’est
que si l’on en est partisan, on devrait admettre qu’à responsabilité égale, il y aurait égalité en matière
de criminalité, de taux de condamnation, etc. Et dès que l’on fait cela on se met assez rapidement à
dos des mouvements comme le féminisme.

Mais voyons historiquement comment cela se traduit. Pendant les périodes de guerre, les femmes
avaient un taux de responsabilité plus grand.

Que se passe-t-il au niveau de la criminalité ? Pendant les périodes de guerre la criminalité féminine
augmente, puis elle diminue. Avec l’émancipation qui augmente pendant les années suivantes, la
criminalité féminine augmente encore. On a donc longtemps pensé que l’hypothèse était valable.

Mais… avant la guerre il y avait par exemple 10 femmes pour 90 hommes qui commettaient des
infractions, on obtient donc 10% de criminalité féminine.

Mais pendant la guerre on arrive à 20%. Comment est-ce possible?

Le nombre de femmes criminelles augmente

Le nombre d’hommes criminels diminue

Or c’est bien la deuxième possibilité qui s’est réalisée, car les hommes tombaient pendant la guerre
sous le coup du code pénal militaire.

On observe donc que les femmes, avant et pendant la guerre ont toujours commis même nombre
d’infractions.

Mais que dire concernant la fin de la courbe ? Parce qu’il faut savoir que la courbe, dans les années 90
régresse. Si l’on suivait l’hypothèse, cela reviendrait à dire que l’émancipation diminue, ce qui est peu
probable.

Bref, il n’y a donc pas, d’hypothèse sociologique qui soit valable pour expliquer la criminalité
féminine.

Même si l’on prend en considération que les femmes conduisent moins, on observe que les femmes
commettent moins d’accidents et des accidents moins graves que les hommes.
Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019
200

Les différences de criminalité que l’on essaye de faire remonter à l’idée d’émancipation ne se vérifient
pas dans la pratique. Pourtant il est aujourd’hui encore certain que l’on n’éduque pas les petits garçons
de la même manière que les petites filles. Les différences d’éducation créent des différences qui
peuvent éventuellement expliquer quelque chose dans la criminalité féminine. Mais la pratique ne
nous permet pas d’affirmer cette hypothèse.

Il n’en reste pas moins que les problèmes rencontrés par les hommes et les femmes sont plus ou moins
identiques et ce que l’on peut observer assez clairement c’est qu’il y a une sous-représentation des
femmes dans le domaine de la criminalité. Mais en contrepartie il y a une surreprésentation féminine
dans les problèmes psychologiques. Certains auteurs en arrivent à la conclusion que le mode de
fonctionnement masculin serait d’extérioriser un problème, ce qui se traduirait par un comportement
violent, alors que les femmes auraient tendance à intérioriser les problèmes, ce qui induit des
problèmes psychologiques.

3. Hypothèse biologique

Partons maintenant de l’idée que la différence de criminalité entre les hommes et les femmes ne
s’explique pas entièrement par la théorie de l’émancipation et qu’il y aurait peut-être quelque chose à
chercher du côté de la biologie. Naturellement cette hypothèse n’est pas politiquement correcte. Il
n’empêche que l’on est en devoir de se poser cette question, sans pour autant poser une seule
hiérarchie.

Cette hypothèse biologique va recevoir des appuis de recherches médicales. Certaines recherches ont
montré que l’agressivité (et non la criminalité) serait liée à un taux de testostérone élevé12. Sachant

12
Il existe des études qui montrent que les hommes présentent des prédispositions biologiques à une certaine forme de
violence. Selon Ferland et Cloutier, la testostérone est sans aucun doute la principale explication de la surreprésentation
masculine en regard de la condition biologique, en faisant abstraction de la notion de force physique. De nombreuses
recherches ont démontré que la testostérone est à la source de la plus grande agressivité généralement rencontrée chez
la gent masculine.
« Certains auteurs ont indiqué que le profil hormonal masculin, dont le taux élevé de testostérone, générateur d’une
plus grande agressivité, serait lié à cette surcriminalité masculine. Certaines déficiences neurologiques, physiologiques
ou endocriniennes y seraient également rattachées. » (Ferland et Cloutier, 1996, p.22)
Toujours selon les mêmes auteurs, plus le taux de cette hormone est élevé chez un homme, plus celui-ci a tendance à
présenter un comportement violent, et plus le degré de violence de ce comportement sera élevé. Toutefois, les hommes
ne sont pas tous violents même si tous ont de la testostérone.
D’Amours abonde dans le même sens que les auteurs que nous venons de citer : « Ainsi, la recherche biomédicale a
permis d’établir que certaines déficiences neurologiques, physiologiques ou endocriniennes peuvent modifier
profondément les comportements des individus. Par exemple, une déficience ou une surproduction de certains
neurotransmetteurs comme la dopamine ou la sérotonine peuvent provoquer des troubles de comportements… »
(D’Amours, 1995, p.39)
Ce dernier précise que le pourcentage de crimes commis par des gens de sexe masculin relié à cette influence biologique
est à ce moment-ci inconnu. Il atteste toutefois que nous ne pouvons passer outre leur influence et que « on doit retenir
qu’ils peuvent, dans certains cas, permettre l’éclosion d’un comportement violent ou criminel. » (D’Amours, 1995, p.39)
Les caractéristiques biologiques peuvent donc dans certains cas expliquer la surreprésentation masculine dans la
délinquance et la criminalité.
Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019
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que les hommes ont un taux de testostérone plus élevé que les femmes, on pourrait, en tant que
criminologues, se dire que la violence est plus courante chez les hommes que chez les femmes. Cela
ouvre des perspectives de recherche nouvelles en criminologie. Parce que si l’on considère que
l’agressivité est liée au sexe, il se pourrait que lorsque quelqu'un change de sexe, un homme qui
devient une femme par exemple, son risque d’être agressif chute. Il semblerait que c’est effectivement
le cas. La seule question qui reste encore en suspens c’est de savoir si cela se passe aussi dans l’autre
sens (femme qui devient un homme deviendrait plus violente).

Lorsqu'on observe les statistiques à travers la procédure judiciaire, on se rend compte que les
femmes disparaissent davantage que les hommes. On pourrait donc, faire dire à ces chiffres que les
femmes sont mieux traités que les hommes et par conséquent, vont moins en prison. Mais ce n'est pas
le cas, la raison est simplement que les femmes commettent des délits de moindre importance et par
conséquent sont plus souvent condamnées à de simples amendes. Les femmes commettent moins de
crimes que les hommes et lorsqu’elles en commettent, ils sont de plus faible importance 13. Et ce fait,
se réalise même dans les domaines dont les préjugés veulent que se soient les femmes qui commettent
ce type de délits, comme le vol à l'étalage, mais encore une fois, ce type d'infraction est également
commis en majorité par des hommes. Le seul crime majoritairement commis par les femmes en
Occident, c'est les enlèvements de mineurs. Ce phénomène s'explique par la mémoire sociologique
historique qui veut que la femme garde les enfants, donc quand le juge décide, au cours d'un divorce,
d'accorder l'autorité parentale au père, c'est moins bien accepté que l'inverse.

En Afrique, les crimes majoritairement commis par les femmes sont les coups et blessures, les
homicides et les vols. La grande majorité de la criminalité féminine est imprégnée de violence. Dans
la majorité des cas, il s’agit de querelles domestiques consécutives à des mésententes conjugales ou
plus fréquemment, à des jalousies entre épouses ou concubines.

§1. Est-ce les jeunes ou les vieux ?

Ce que l’on observe partout et toujours c’est que les jeunes commettent plus d’infractions que les
vieux et que le sommet de cette criminalité se situe vers la fin de l’adolescence. Cette distribution qui
veut que l’on commette plus d’infractions à ce moment-là de la vie est vraie autant pour les femmes
que pour les hommes.

Mais qu’est-ce qu’être jeune ou adulte ? Les choses changent, on observe des différences de pics de
criminalité à travers l’histoire et les différents pays.

13
Si les femmes vont moins souvent en prison, c'est généralement qu'elles commettent des infractions moins graves,
pour lesquelles elles ne seront pas envoyées en prison.
Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019
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La question que l’on va se poser c’est : « Pourquoi ces différences ? » On va utiliser les mêmes
hypothèses que pour les hommes et les femmes.

1. Traitement de faveur

Il y a –t-il un traitement de faveur pour les jeunes ou pour les vieux ?

La réponse est oui. Lorsque par exemple la police doit se poster devant un lieu le samedi soir, elle ne
va pas devant un tea-room, elle va devant une discothèque et ceci en faveur des plus âgés.

Le constat doit être fait que le traitement de faveur n’explique pas toute la différence affichée sur le
graphique proposé ci-dessus.

Donc, on ne va pas partir de l’idée que le traitement de faveur explique l’entier de la différence entre
jeunes et moins jeunes.

2. Différence biologique ?

Il va de soi de dire que les jeunes et les vieux sont différents ; entre 20 et 80 ans, on n'a pas les mêmes
capacités, pour courir par exemple. On pourrait donc créer une corrélation entre l'âge et la criminalité.
Cependant, se poser la question entre 20 & 80 ans n'est pas la bonne solution. Entre 20 & 30 ans, la
diminution des crimes est beaucoup plus importante.

Hypothèse d’autant plus douteuse que la courbe monte très vite, mais redescend très vite aussi. Il est
certes certain que nous n’avons pas les mêmes pulsions à 20 ans qu’à 80. Mais il ne devrait alors pas y
avoir de chute de la criminalité à 30 ans.

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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La théorie biologie a un peu de plombs dans l’aile parce qu’au moment où il y a une diminution forte
de la criminalité, la différence biologique est très faible.

3. Théories psychosociologiques

Dans cette perspective il y a une théorie qui est aujourd’hui largement majoritaire et qui revient à dire
que la délinquance juvénile et son pic de criminalité s’expliqueraient par une position sociale
déstructurée de l’individu de cet âge. Position qu’on pourrait définir comme étant le fait qu’à cet âge
l’individu ne veut plus être un enfant, mais est pris encore par ceux qui l’entoure comme un enfant.
Pour démontrer qu’il est un adulte, l’individu doit réagir et cette réaction peut prendre des formes
diverses (sports, études, etc.) dont la criminalité fait partie.

Maintenant, cette hypothèse pose un petit problème. Il y a 100 ans la position sociale des gens se
structurait aux alentours de 18 ans (fin des études, début de la vie professionnelle). Par contre le pic de
criminalité intervient aux alentours de 25 ans.

La seule chose dont est certain c’est que si dans une société à un moment donné il y a un « baby-boom
», vingt ans plus tard il y aura un « crimi-boom ». Il faudrait prendre en considération cet élément
purement démographique dans notre analyse.

Autre élément sur lequel je reviens rapidement. On a vu que les hommes commettent plus
d’infractions que les femmes, que les jeunes commettent plus d’infractions que les vieux. Maintenant
quand on essaye de réfléchir à quelles autres variables pourraient être prises en compte, on nous cite
souvent la nationalité.

Des études faites aux Etats-Unis, en Europe et au Canada démontrent que les personnes sujettes aux
arrestations policières représentent surtout la tranche d’âge entre 15 et 25 ans, les délits contre les
biens étant surtout commis par des jeunes de 15 à 19 ans, les délits violents par des personnes entre 18
et 24 ans (Barclay, 1991 ; Blumstein, 1984, 1987 ; Steffensmeier et Harer, 1987, 1991 ; Projectgroep
Structuurplan, 1989 ; Mary et Papatheodorou, 1999 : 13).

§3. Pauvres ou riches ?

Une première réponse que l’on peut donner (et que l’on doit donner) à la question de savoir si
la pauvreté est criminogène, est non. Il existe des endroits dans le monde où le taux de pauvreté est
extrêmement fort et où le taux de criminalité est plus bas que dans les pays « riches ».

On sait que les classes sociales défavorisées sont sur-représentées dans le domaine de la
criminalité, mais il est faux d’en conclure que la pauvreté est, en soi, créatrice de la criminalité. En
effet, il existe des pays extrêmement pauvres dont le taux de criminalité n’est pas anormalement élevé.

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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Par contre, on observe que le fait d’être « pauvre » dans une société de « riche » est propice à
engendrer la criminalité.

En 1938, R. K. Merton expliquait ce lien entre pauvreté et criminalité de manière assez


convaincante. Selon lui, la société nous fixe des buts à atteindre que chacun intègre dans sa manière
de penser : nous voulons (ou devons) tous devenir riches et célèbres. Cependant, les moyens à la
disposition de chacun pour atteindre ces buts ne sont pas identiques, puisque nous n’avons pas tous le
même niveau de formation, ni les mêmes sommes d’argent à disposition. L’écart qui existe entre les
buts et les moyens (appelé « anomie ») est donc plus important pour les pauvres que pour les riches.
Pour compenser ce surcroit d’anomie, les plus défavorisés seront animés à trouver de nouveaux
moyens d’atteindre les buts sociaux ; on dit alors qu’ils « innovent ». Certains trouveront des moyens
innovateurs tout à fait conformes à la loi, mais d’autres, en désespoir de cause, utiliseront des moyens
illégaux pour parvenir à leurs fins. Cela expliquerait donc pourquoi les personnes issues de classes
sociales défavorisées sont surreprésentées dans le domaine de la criminalité.

Pour pallier ce problème en Europe, on a tenté de donner des moyens supplémentaires à ceux
qui en avaient le moins. On a notamment créé des écoles pour les personnes défavorisées, on leur a
offert des appartements subventionnés et on a introduit un salaire minimum. Malheureusement, ces
mesures n’ont pas eu le succès espéré.

CHAPITRE X : LA VICTIME

La victime a été beaucoup moins étudiée que le criminel, et ne l’a été que beaucoup plus tard.
Pendant longtemps, elle n’a présenté qu’un intérêt mineur, mais aujourd’hui, une nouvelle discipline
est en train de voir le jour : la victimologie.

La victime est un acteur particulier du système pénal, et on a beaucoup de présupposés aussi à


son sujet. D’ailleurs, cette victime est plus diversifiée et plus mystérieuse qu’on ne le croit alors que
l’on parle généralement « des victimes » comme d’un groupe unifié. Par exemple, il y a plus de
victimes d’accident de la route que de victimes de serial killer. De plus, nous sommes tous des
victimes de crimes écologiques ou économiques et financiers, mais on ne se représente pas comme
des victimes à cause notamment des visions stéréotypées qui dominent nos représentations.

Pendant longtemps, les données chiffrées sur la victime se sont limitées à des statistiques
pénales, là où les victimes se sont fait connaitre. Mais une victime qui veut rester cacher le restera. On
a donc peu de statistiques vraiment fiables. On voit cependant apparaitre des enquêtes de victimisation
qui tentent de résoudre ce problème statistique.
Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019
205

Les recherches victimologiques ont commencé à se développer à partir des années 50 avec les
travaux de Von Henting et de Benjamin Mendelsohn qui sont considérés comme les fondateurs de la
science victimologique. C’est au cours de la même seconde moitié du 20 ème siècle que l’on voit se
développer la reconnaissance de la victime tant en ce qui concerne la réparation matérielle de ses
préjudices que son accompagnement psychologique et social. Cette reconnaissance remplit selon le
lieu diverses fonctions : symbolique, exécutoire, compensatoire et plus exceptionnellement
restauratrice.

Section 1. Définition de la victime

La victime est l’objet de la jeune discipline qu’est la victimologie. Étymologiquement, le mot


vient du terme latin « victima ». Autour de ce terme, on a trois verbes latins :

- Vincere qui signifie vaincre ;

- Vincire qui signifie lier ;

- Vigere qui signifie être fort.

La première définition classique du mot victime renvoie aux êtres vivants (humains ou
animaux) destinés au sacrifice (victime de sacrifice). Ces êtres vivants étaient sacrifiés aux dieux pour
obtenir des faveurs soit pour apaiser leur colère ; ainsi dans la théologie chrétienne, Jésus est la
victime suprême venue pour racheter les péchés des hommes. Sa mort est considérée par les chrétiens
comme un sacrifice qui a valeur de réparation, de repentir…

La deuxième renvoie aux personnes victimes d’infractions. Ces personnes souffrent suite aux
actes d’autrui qui sont incriminés. C’est la définition qui est contenue dans la Résolution 40/34 du 11
décembre 1985 adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies et qui porte sur la Déclaration des
principes fondamentaux de justice relatifs aux victimes d’abus de pouvoir. Les victimes y sont définis
comme « des personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi un préjudice, notamment
une atteinte à leur intégrité physique ou morale, une souffrance morale, une perte matérielle, ou une
atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en raison d’actes ou d’omissions qui enfreignent les lois
pénales en vigueur dans un État… ;

On entend par victimes (d’abus de pouvoir) des personnes qui individuellement ou


collectivement, ont subi des préjudices, notamment une atteinte à leur intégrité physique ou mentale,
une souffrance morale, une perte matérielle, ou une atteinte grave à leurs droits fondamentaux, en
raison d’actes ou d’omissions qui ne constituent pas encore une violation de la législation pénale, mais

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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qui représentent des violations des normes internationalement reconnues en matière des droits de
l’homme… ».

La troisième définition renvoie à toute personne tuée ou blessée suite aux catastrophes
naturelles (variations climatiques, sécheresses…), accidents de moyens de transport, accidents de
travail ou encore aux attentats terroristes. Ce qui est mis en évidence dans cette définition c’est le
caractère fortuit ou accidentel de la victimation. La souffrance ici n’est pas liée à l’intention mauvaise
d’autrui.

Ex. Les victimes des attentats terroristes de Paris du 23 novembre 2015 ou des attentats
terroristes de Bruxelles du 22 mars 2016, etc.

Il y a lieu de souligner qu’en droit, d’une manière générale, il n’y a pas une définition précise
du mot victime mais plutôt des termes comme la partie lésée, la partie civile…

Section 2 : Typologie des victimes

§1. Typologie des victimes selon Von Henting et d’Ellenberger

Von Henting et Ellenberger ont examiné la relation entre le criminel et la victime. Selon
Henting, la victime est l’un des facteurs qui peut conduire aux crimes (ex. un individu victime d’un
cambriolage qui n’a pas pu fermer la porte de sa maison, une femme vêtue en minijupe, victime d’un
viol). D’où l’intérêt qu’il y a à l’étudier pour comprendre le crime et le prévenir. Hans Von Henting et
Ellenberger ont effectué une double classification de la victime et mis en évidence les relations
spécifiques qui caractérisent les criminels et els victimes.

A. Le criminel-victime

Une personne selon les situations dans lesquels elle se trouve peut assumer successivement le
rôle de criminel et de victime. Par exemple, un criminel professionnel dangereux, peut à sa sortie de
prison, se voir discriminer par ses anciens complices et son employeur. De même, une victime peut
ultérieurement se transformer en criminel. C’est le cas d’un enfant maltraité pendant une période
donnée de sa vie et qui peut à son tour développer des comportements criminels. Il en est également
de la femme qui subit les violences de son conjoint, pour se libérer, elle procède à son élimination.

Dans certaines situations, une personne peut être simultanément criminelle et victime, tel dans
le cas de « suicide de soi-même, double et élargi à prédominant » où se conjuguent le désir de mourir,
de tuer et/ou d’être tué.

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B. La victime latente ou potentielle

Il s’agit d’un sujet présentant des dispositions inconscientes, épisodiques ou permanentes, à


jouer le rôle de victime, à la manière de l’attraction « de l’agneau par le loup ». De telles
prédispositions peuvent être « spécifiques » et tenir à l’âge (enfants, vieillards), à des états psycho-
pathologiques (handicap mental, ivrognerie, dépression), à la situation sociale (étranger, minorité
ethnique, isolé social) …

Cette typologie de Von Henting et d’Ellenberger met en évidence la complexité et


l’interchangeabilité des rôles de criminel et de victime.

§.2. La typologie de Benjamin Mendelsohn

A son époque, l’avocat autrichien Benjamin Mendelsohn avait constaté que la victime n’avait
pas encore été suffisamment étudiée ni défendue en justice. La science, selon lui ne s’était jamais
occupée de la victime en tant que victime. D’où la science victimologique devrait avoir pour objet
d’étude la victime contrairement à la criminologie qui ne s’en occupe pas.

La victimologie, écrit Mendelsohn doit étudier « les éléments communs permettant de


découvrir les données générales qui rendent certains individus enclins à devenir des victimes à cause
d’un potentiel réduit ou inexistant de résistance, du point de vue bio-psycho social ».

Benjamin Mendelsohn a introduit la notion de couple pénal qui permet d’établir le lien entre la
culpabilité de la victime et la criminalité de l’infracteur. Il a aussi décrit la corrélation entre la victime
et l’infracteur autour de quatre aspects psychosociaux :

- La victime est la cause de l’infraction (exemple : meurtre en flagrant délit d’adultère) ;

- La victime est le prétexte à l’infraction ;

- La victime est le résultat d’un consensus (exemple : le suicide à deux);

- La victime est le résultat d’une coïncidence (exemple : la victime possède ce que


convoite l’infracteur).

Dans la typologie établie par Mendelsohn, il a distingué cinq types de victime :

1. La victime entièrement innocente (c’est la victime innocente) ;

2. La victime de culpabilité moindre (la victime par ignorance) ;

Exemple : la femme qui provoque une fausse-couche par des moyens empiriques et paie son
ignorance de sa vie.
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3. La victime aussi coupable que l’infracteur (c’est la victime volontaire) ;

Par exemple :

a) Ceux qui commettent le suicide en tirant au sort – suicide sanctionné par certains codes
pénaux ;

b) Le suicide par adhésion ;

c) La victime souffrant d’une maladie incurable et ne pouvant supporter les douleurs, qui
implore son entourage de mettre fin à sa vie (euthanasie) ;

d) des amoureux désespérés qui se suicident.

4. La victime plus coupable que l’infracteur

Ce sera :

a) La victime-provocateur qui, par sa conduite, incite l’auteur à commettre l’infraction ;

b) La victime-par imprudence, qui détermine l’accident par manque de maîtrise de soi.

5. La victime la plus coupable ou uniquement coupable

Mendelsohn distingue dans cette catégorie :

La victime infracteur : en commettant l’agression, elle en devient la victime, exclusivement


coupable (idéal), l’accusé étant en état de légitime défense. La conséquence est que l’accusé sera
absous de toute peine.

La victime simulante : le plaignant qui sciemment ou inconsciemment (irresponsable) accable


l’accusé ayant recours à toute espèce de manœuvre pour induire la justice en erreur. Les juges et les
experts ne doivent pas agir avec des idées préconçues et suivre une seule piste. Ils doivent diriger
leurs recherches dans toutes les directions et non seulement sur les hypothèses qui semblent probables
ou possibles, mais envisager aussi celles qui logiquement semblent impossibles.

§.3. Les typologies d’Ezzat Fattah et de Stephen Schaffer

Ces typologies découlent en grande partie des catégorisations élaborées par les pères
fondateurs. Partant du raisonnement selon lequel « l’étude du couple pénal montre que, dans plusieurs
cas, il est extrêmement difficile de déclarer qui est coupable et qui victime », Fattah a précisé que «
l’équité ne demande pas seulement une différenciation de la répression selon la nature de l’infraction
et de la personnalité du délinquant mais aussi selon les qualités de la victime et de ses agissements ».

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Selon Fattah, la victime est provocateur dans certains cas de sa propre victimisation, par
conséquent ses agissements doivent être sanctionnés chaque fois qu’ils ont contribué à l’origine de
l’infraction. Car, pour lui, de même qu’il y a parmi les couples des normaux et des anormaux, de
même il y a parmi les victimes des innocents et des coupables. Ainsi, selon les cas, la victime peut
être totalement, également ou partiellement responsable de l’infraction. Pour apprécier sa
responsabilité, il convient de tenir compte de « l’aptitude consciente » de la victime envers l’acte et
envers l’auteur.

Dans sa typologie, Ezzat Fattah répartit les victimes en trois catégories selon qu’elles partagent
une part de responsabilité de l’infraction. Cette typologie se base sur la conscience de la victime.

1. La victime désireuse ou supplicative

Il s’agit de la victime qui dans le désir de l’acte criminel, fait tout son possible pour inciter
l’agent à le commettre.

Exemple : l’avortement effectué par un médecin succombant aux supplications de sa patiente.

2. La victime consentante librement et consciemment

Il s’agit de la victime qui pour ne pas prendre une part active dans la commission de l’acte, elle
ne se désiste et n’essaie pas d’empêcher l’infraction d’avoir lieu.

3. La victime non consentante

C’est la victime par provocation : elle intervient positivement lors de la maturation de l’idée
criminelle et suscite la réalisation de l’infraction.

Exemple : la victime « trompeuse-trompée », qui devient victime de son propre marché de


dupes.

La victime précipitante usant la première de la force physique au risque de voir se commettre


l’homicide.

La victime du vol de son véhicule stationné avec les clés à l’intérieur.

Quant à Stephen Schaffer, sa typologie repose sur le degré de responsabilité de la victime dans
la relation criminel-victime :

- Les victimes précipitantes, c’est-à-dire qui incitent ou attirent le criminel ;

- Les victimes biologiquement faibles au plan mental et physique ;

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- Les victimes socialement faibles, vulnérables, non reconnues ou exclues par la société ;

- Les auto-victimes qui se victimisent elles-mêmes par la consommation de produits


toxiques ou par des pratiques suicidaires ;

- Les victimes politiques qui sont persécutées ou souffrent à cause de leurs idées
politiques.

Ces typologies ont tenté bien que de manière discutable de résoudre le problème de
l’implication de la victime dans la situation qui conduit un agresseur à la faire souffrir. Ce qui semble
avoir préoccupé les travaux des premiers victimologues c’est d’établir la culpabilité de la victime dont
l’innocence n’apparait explicitement que dans la typologie de Mendelsohn (la victime idéale,
totalement innocente).

Cependant, il y a lieu de ne pas exagérer les prédispositions diverses de la victime à précipiter,


à provoquer le crime. Par rapport aux valeurs sociales fondamentales, rien ne peut autoriser un
individu à les transgresser sinon ses propres aptitudes au passage à l’acte, acquises en cours de
socialisation et favorisées par diverses situations dans lesquelles il vit. Les interrelations entre
l’infracteur et la victime n’enlèvent pas la volonté criminelle de l’auteur qui cause de réels dommages
et souffrances à leurs victimes. Il est vrai que la victime est consubstantielle de la situation. Par son
attitude, ses comportements elle peut conforter l’infracteur dans son projet criminel. Mais il est un fait
que l’infracteur prend seul l’initiative de la transgression, après avoir le plus souvent neutralisé la
victime.

Enfin, les typologies des victimes ont conduit leurs auteurs à s’intéresser au contexte
victimogène en soulignant la proximité socio-démographique et culturelle des protagonistes formant
le couple pénal.

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Section 3 : Le contexte victimogène

Les facteurs qui favorisent les victimisations ne sont pas à confondre avec les causes
victimogènes, c’est-à-dire qui produisent, cristallisent les victimisations. Ces facteurs ont été
catégorisés autour des caractéristiques endogènes ou exogènes à la victime. Les premiers renvoient
aux caractéristiques socio-démographiques de la victime, les secondes à son milieu socioculturel.

A. Les facteurs victimogènes socio-démographiques

Dans la première série de facteurs victimogènes, la plupart des études victimologiques


(classiques) ont souligné celui de l’âge : le jeune âge ou l’âge avancé du fait de manque de
discernement ou de perturbation par la vieillesse favorise la victimisation.

Il en est de même du sexe de la personne (victime). Les femmes sont davantage exposées que
les hommes aux agressions au sein de la famille et aux infractions sexuelles.

L’état physique de la victime est susceptible de la rendre vulnérable aux victimisations de


violences ou d’appropriation. Il en est de même de la race à laquelle appartiennent les victimes. Ce
facteur de risque de victimisation est souvent mis en relation avec les conditions socio-économiques et
culturelles des intéressés.

Les troubles de personnalité ont été identifiés comme des facteurs qui favorisent des
victimisations (cas des personnes qui dépendent des produits comme l’alcool, la drogue…).

B. Les facteurs victimogènes socio-culturels

Dans ces facteurs, nous pouvons souligner le statut social ou professionnel de la victime. Le
fait d’exercer certains professions et services (commerçants, trafiquants, cambistes, travailleurs dans
le transport) exposent aux agressions individuelles ou organisées.

La possession de biens ou d’objets de valeur et surtout leur exposition ostensible attirent la


délinquance d’appropriation.

Certains lieux urbains et styles de vie favorisent des victimisations : fréquentation nocturne des
bars, des salles de cinéma, des stades… L’isolement social et spatial, la marginalisation ethnique dans
des quartiers défavorisés encouragent des comportements agressifs.

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212

Section 4. : La victimisation et la victime

Les premiers travaux de victimologie ont été construits quasi entièrement dans une approche
étiologique. Ce qui semble avoir préoccupé ces travaux était d’identifier le rôle tenu par la victime de
l’acte criminel. Les limites de cette approche ont permis d’orienter les observations des victimologues
vers les caractéristiques statistiques réelles du phénomène de victimisation et d’interroger les
expériences vécues par les victimes d’actes criminels afin de favoriser leur réparation globale.

§.1 Types de victimes

Les réalités ou potentialités à devenir victime sont nombreuses et à partir d’elles, des
distinctions des victimes sont possibles. C’est ainsi que l’on peut distinguer par exemple : les victimes
des crimes crapuleux, les victimes d’accidents de la route, les victimes des crimes contre l’humanité,
les victimes de guerre, les victimes de catastrophes naturelles, les victimes de discriminations, les
victimes d’oppression politique, les victimes de la corruption…

Les victimologues ont construit une typologie des victimes en allant au-delà de multiples
réalités ou potentialités à devenir victime. C’est ainsi qu’ils ont pu distinguer : les victimes directes,
d’une part et les victimes indirectes, d’autre part.

1. Les victimes directes

Les victimes directes sont celles qui ont été touchées directement par la commission des
crimes. Il s’agit des victimes qui sont par exemple attaquées, volées, menacées directement par
l’agresseur. Celles-ci subissent sur leur propre personne des coups et des blessures, des atteintes
psychologiques, physiques, matérielles, etc.

2. Les victimes indirectes

Il s’agit des personnes qui sont affectées par la victimisation d’une autre personne. D’une
manière générale, ces personnes ne se reconnaissent pas comme des victimes et ne sont pas non plus
reconnues en tant que telles par la société. La victime indirecte est celle qui entretient avec la victime
directe des liens personnels étroits.

§.2. Types de victimisation

Deux types de victimisation ont été distingués, il s’agit de la victimisation primaire et de la


victimisation dite secondaire. La victimisation primaire est constituée de tous les effets directement
reliés à l’agression ou à l’acte criminel : coups, blessures, troubles physiques, choc émotionnel, argent
ou autre bien volé etc. Ce type de victimisation est évident pour les victimes directes.

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La victimisation secondaire désigne des expériences traumatisantes vécues par la victime


lorsqu’elle est en contact avec des personnes et des systèmes suite à l’acte criminel qu’elle a subi. Et il
peut s’agir du système judiciaire, des agents de la police, de son entourage proche, etc.

Ce sont les réactions de ces systèmes et de ces agents (incompréhension, blâme, classement
sans suite, rejet, indifférence…) qui ajoutent cette seconde victimisation à la première. Tout aussi
réelle, la seconde victimisation peut produire des conséquences et des réactions. Mais comme les
victimes indirectes, cette victimisation secondaire n’est pas toujours reconnue comme telle. En fait, la
victimisation secondaire n’est pas une conséquence directe du crime, elle découle plutôt de la réaction
des gens et des institutions face à la victime.

Micheline Baril a examiné certains effets des actes de violence sur leurs victimes et leurs
proches. Elle souligne, tout d’abord, que les traumatismes de la victimisation sont contagieux et que
les victimes secondaires sont aussi affectées que les victimes primaires. Elle a aussi constaté que la
victime, autant par son entourage que par les services judiciaires et sociaux est trop souvent négligée
et blâmée. Les frustrations des victimes évoluent ainsi au fur et à mesure qu’elles avancent dans le
processus pénal. Progressivement, elles perdent tout contrôle sur les évènements et sont utilisées par
une justice qui les accable d’obligations sans reconnaître leurs droits particuliers.

La victimisation est une expérience personnelle et unique. La victime réagit comme elle est, à
partir de son expérience de vie. Les répercussions de la victimisation sont nombreuses, elles peuvent
être d’ordres physique, psychologique, social, matériel, existentiel. Grâce aux recherches
psychologiques, psychiatriques et de la psychanalyse, il a été démontré que les victimes d’infractions
graves subissent, par l’effraction psychique que provoque l’acte criminel, un trauma (véritable
blessure psychique) plus ou moins profond. Totalement imprévisible, le traumatisme peut être
déformé par les représentations, la résistance, les aptitudes ders personnes qui en souffrent.
Lorsqu’une personne est confrontée au réel de la mort, à l’imminence de sa propre mort, à celle d’un
proche ou de toute autre personne, le trauma peut conduire à des blessures psychiques plus intenses.
Le trauma enfui dans l’appareil psychique peut ne réapparaître que bien plus tard, à la suite d’une
période de latence (généralement de un à trois mois voire plusieurs années).

La névrose traumatique ou le syndrome psycho traumatique différé et durable (PTSD) est alors
susceptible de se manifester, à l’occasion de circonstances particulières rappelant l’évènement
(images, bruits, odeurs…) ou lui permettant d’émerger.

La reviviscence du traumatisme perturbe profondément la personnalité des victimes qui


connaissent beaucoup des difficultés : des cauchemars, rêve traumatique, tristesse, réminiscences
diurnes, perte de l’estime de soi, évitements phobiques, toxicomanies etc.
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§.3. Les enquêtes de victimation ou les enquêtes de victimisation

Les enquêtes de victimation consistent à demander aux membres d’un échantillon de


populations s’ils ont été, au cours d’une période donnée, victime d’un acte criminel. Ces enquêtes
présentent deux intérêts, le premier est d’ordre criminologique et le second victimologique. L’intérêt
criminologique repose sur l’estimation du chiffre noir (ou criminalité cachée). Le chiffre noir est
l’écart entre la criminalité connue et réelle. Les statistiques officielles mesurent la criminalité connue,
il s’agit de la criminalité apparente ou légale. Cette dernière peut renvoyer aux statistiques policières,
c’est-à-dire à l’ensemble des faits portés à la connaissance de la police. Elle peut aussi renvoyer au
système judiciaire, c’est-à-dire aux faits portés à la connaissance de la justice.

Les enquêtes de victimation permettent de savoir qui est victime de quoi ? Dans quelles
conditions et avec quelles conséquences s’est passé la victimisation ? Elles peuvent permettre aussi de
comprendre les raisons qui font que certaines victimes ne portent pas plainte. D’une certaine manière,
elles permettent d’avoir une bonne connaissance de la victime qui n’était reconnue comme telle que
comme statistique ou seulement comme partie plaignante. Dans ces enquêtes, les victimes ont la
possibilité de s’exprimer, ce qui est une forme de leur reconnaissance.

Les enquêtes de victimation présentent plusieurs difficultés : les premières sont d’ordre
méthodologique et les secondes sont liées à la victime. Sur le plan méthodologique :

- L’échantillon de la population étudiée peut ne pas être représentatif ;

- Le contexte de l’étude n’est pas souvent pris en compte ;

- L’enquêteur lui-même influe sur les réponses des enquêtés ;

- Certaines enquêtes augmentent le nombre d’infractions bien que certains faits déclarés
n’aient pas fait l’objet d’une qualification pénale ;

Quant aux difficultés liées à la victime :

- Il y a des victimes qui ne sont pas prises en compte dans les enquêtes et notamment les
victimes déjà mortes ;

- La victime peut éprouver un simple sentiment d’insécurité qui ne correspond à aucun


acte criminel ;

- Il y a des victimes qui peuvent connaître des troubles de mémoire sans qu’elles ne
soient de mauvaise foi ;

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215

- Certains enquêtés peuvent déclarer des faits imaginaires et même choisir de ne pas
révéler ce qu’ils tiennent pour leur secret ;

- Le rôle joué par la victime dans l’agression peut être minimisé.

CHAPITRE XII : LA CRIMINOGENESE

Nous allons clôturer notre cours par la criminogènese, qui est la recherche des causes du
phénomène criminel. Ce chapitre nous permettra de réfléchir profondément sur l’étiologie criminelle
en revenant sur certaines théories précédemment étudiées afin de les assimiler davantage.

Auparavant les explications du phénomène criminel procédaient de la pétition de principe.


Ainsi primitivement ce fut en référence à la religion que le crime fut analysé. Sous l’Antiquité l’acte
criminel était la conséquence d’un sort des dieux. Dans l’Ancien Droit français l’homme criminel est
un pécheur et « l’étude du péché et de ses causes se confond ainsi avec l’étude du crime » (Laingui,
L’homme criminel dans l’Ancien Droit, Rev.sc.crim. 1983, p.19).

Et déjà est mise en lumière l’idée fondamentale de la liberté de l’homme. Concept


fondamental, véritable dogme, le libre arbitre a inspiré les grands codes pénaux du XIXe siècle et
notamment le Code pénal français. C’est donc résolument que l’homme choisit l’état de délinquant,
décide d’enfreindre les lois de la société. Il aura fallu attendre les travaux de l’Italien Lombroso pour
que la criminogenèse s’élabore sur des bases moins irrationnelles et relègue à sa juste place le postulat
du libre arbitre. D’ailleurs auparavant celui-ci n’était plus perçu par certains auteurs comme la
panacée : Saint Thomas d’Aquin expliquait la perversité du délinquant par un ensemble de
dispositions morbides et Thomas More voyait dans la grande misère une cause du crime.

On se doute que la recherche des causes de la délinquance est d’une utilité primordiale. Elle
présente l’avantage de permettre de mieux lutter contre la délinquance (par exemple par une politique
d’assainissement de l’habitat, par la lutte contre certains fléaux, telles la maladie, la misère, la drogue)
et d’aider à déterminer le traitement à appliquer aux délinquants (prison classique, mesures éducatives
ou médicales par exemple). Deux grands types de causes de la criminalité peuvent être distingués : les
causes internes (Section 1) et les causes externes (Section 2). Etienne De Greeff soutient que nous
sommes tous des délinquants virtuels, seul le passage à l’acte permet de différencier le délinquant du
non-délinquant.Il convient donc d’analyser enfin le passage à l’acte criminel (Section 3).

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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Section 1 - Les causes internes de la criminalité

On entend par là les causes qui tiennent à l’individu, propres au délinquant, et dont la
combinaison caractérise la personnalité du sujet étudié. Les unes sont innées (§1), les autres sont
acquises (§2).

§1. Les causes internes innées

A. Anomalies physiologiques

Au premier rang figurent les facteurs corporels dus à l’hérédité pris en considération par
plusieurs écoles. Il y a d’abord la théorie du criminel-né ou théorie de la criminalité atavique, qui a
pour auteur Lombroso et dont l’ouvrage, L’homme criminel, publié en 1876, a eu un retentissement
énorme. Lombroso part de la constatation selon laquelle le crime n’est pas propre à l’homme ni le
produit de la liberté, mais qu’il est aussi le fait d’animaux ou de plantes. Observant ensuite les
caractères physiques de nombreux criminels, Lombroso est amené à relever les diverses anomalies
que présente le grand criminel, qui évoquent la bestialité de l’homme primitif (proéminence des
arcades sourcilières, capacité réduite du crâne, front fuyant, oreilles écartées, hyperostose,
insensibilité à la douleur — d’où la pratique du tatouage —, égoïsme, frivolité).

La thèse de Lombroso a vite été critiquée, en particulier par l’un de ses disciples, Ferri et par
Gabriel Tarde, et il a été démontré que les prétendus stigmates du criminel sont un critère des plus
contestables. Elle suscite même l’hilarité générale des auditoires estudiantins ! Après Lombroso
d’autres chercheurs se sont penchés sur l’importance des facteurs héréditaires. Ainsi on a pu étudier
certaines familles avec la technique de la monographie, tels les Juke ou les Kallikak. L’ancêtre de
cette dernière famille s’était marié deux fois, avec une femme de mauvaises moeurs puis avec une
femme vertueuse, et seuls les descendants du premier lit s’avérèrent des délinquants. Ici encore, un
manichéisme aussi primaire en devient risible.

Plus récemment ont été découvertes des particularités chromosomiques et l’on a constaté que
la majeure partie des personnes présentant des aberrations chromosomiques se trouvaient parmi les
délinquants. Néanmoins cette thèse ne saurait trop porter à conséquence : d’une part la grande
majorité des délinquants ne présentent pas d’aberrations chromosomiques, et d’autre part les sujets
affectés de cette anomalie sont loin d’être tous des délinquants.

Charles Kakule Kinombe, Cours de Criminologie, G3 Droit, ULGL, 2018-2019


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B. Corrélations entre morphologie et caractère

Une autre théorie consiste à procéder à des analyses morpho-caractériologiques pour


déterminer les rapports entre le corps humain et la délinquance, l’essentiel étant de comparer
délinquants et non délinquants, ce que Lombroso n’avait pas fait. La classification la plus connue est
celle de l’Autrichien Kretschmer qui, dans son ouvrage La structure du corps et du caractère,
distingue quatre types morphologiques fondamentaux : le type pycnique — formes arrondies et
potelées, assez petite taille —, le type leptosome — formes amaigries et anguleuses —, le type
athlétique — grand squelette, muscles puissants, pilosité abondante —, et le type dysplastique —
croissance retardée, déficience des organes sexuels —. Au niveau caractériel Kretschmer distingue
deux catégories d’individus : les cyclo­thymiques, allant de l’euphorie à la mélancolie, et les
schizothymiques, qui sont invertis. Il résulte de plusieurs enquêtes que si les pycniques s’adonnent
peu à la délinquance, les leptosomes sont souvent voleurs ou escrocs, les athlétiques prédisposés aux
actes de violence et les dysplastiques à la délinquance sexuelle.

Une autre classification est due à l’Américain Sheldon (Varieties of delinquant youth, 1949)
qui oppose trois types morphologiques : l’endo­morphe — prédominance du feuillet interne du tissu
embryonnaire, à savoir viscères —, le mésomorphe — prédominance du feuillet médian, à savoir
musculature —, et l’ectomorphe — prédominance du feuillet externe, à savoir système nerveux —, et
trois types caractériels : viscérotonie (sociabilité), somatotonie (agressivité), cérébrotonie (réserve).

Toutes ces classifications n’ont qu’une valeur relative, la délinquance ou la non délinquance de
chaque individu n’étant aucunement prédéterminée de façon infaillible par son appartenance à une
catégorie donnée ; simplement cette dernière peut avoir une influence sur le comportement du sujet.

C. Thèses constitutionnalistes

D’autres criminologues ont voulu élargir leur champ d’investigation, partant de l’idée que la
délinquance ne peut être conditionnée par les seuls détails morphologiques, chromosomiques et
héréditaires. L’homme est en effet beaucoup plus complexe que cela, comme l’a souligné l’école
criminologique constitutionnaliste. Trois thèses ont été soutenues à cet égard.

La première est la théorie du pervers constitutionnel, élaborée notamment par Dupré et


Michaux. Divers instincts existent chez l’homme (nutrition, appropriation, reproduction, association)
et l’hypertrophie ou la déviation d’un de ces instincts est une perversion. Il existerait ainsi chez de
nombreux délinquants une perversion constitutionnelle, originelle et incurable.

La seconde théorie est celle de la constitution délinquantielle de l’Italien Di Tullio (Principes


de criminologie clinique, 1967). Pour cet auteur deux groupes fondamentaux caractérisent la société :
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218

les individus neutres ou conformistes, et les individus originaux ou non conformistes, plus prédisposés
au crime et parmi lesquels se trouvent les criminels constitutionnels. Ceux-ci sont répartis en trois
catégories. Il y a d’abord les criminels constitutionnels à orientation hyper-évolutive, les criminels
constitutionnels à orientation psycho-névrotique et les criminels constitutionnels à orientation
psychopatique.

Enfin doit être mentionnée la théorie constitutionnelle de Kinberg (Les problèmes


fondamentaux de la criminologie, 1960). Quatre facteurs radicaux constitutionnels — c’est-à-dire de
la constitution psychique — existent à des degrés variables chez chaque individu : ce sont la capacité
— ou intelligence maximale à laquelle peut parvenir un individu —, la validité — ou quantité
d’énergie cérébrale —, la stabilité — ou degré de facilité de rétablissement de l’équilibre émotionnel
— et la solidité — ou degré d’unité fonctionnelle de l’activité —. Les prédispositions de chaque sujet
peuvent être corrigées par la fonction morale, définie comme la réaction plus ou moins rapide aux
stimuli moraux venant de l’extérieur. A cet égard Kinberg distingue quatre groupes : les sujets
connaissant les actes défendus par la morale mais dépourvus d’élément émotionnel, les sujets
connaissant la morale et réagissant émotionnellement, les sujets dont la connaissance ou l’émotion
sont affectées par des lésions pathologiques, les sujets dont les fonctions morales sont réduites.

§2. Les causes internes acquises

A. Maladie

L’hypothèse de la maladie criminogène ne pouvait pas ne pas être envisagée. On songe


d’abord tout particulièrement à la démence, qui est une maladie acquise et non congénitale, et aux
diverses névroses. Il est évident que les maladies mentales prédisposent à la délinquance et les
criminologues qui ont voulu classer les délinquants en plusieurs catégories ont toujours accordé une
place importante aux délinquants poussés par la démence : ainsi Lombroso (avec le criminel-fou),
Ferri (avec le criminel aliéné), Di Tullio (avec le criminel-fou).

D’autres maladies ont encore une influence non négligeable, tels la syphilis, la tuberculose et
le sida. Surtout plusieurs criminologues ont étudié les relations entre le fonctionnement des glandes
endocriniennes et le psychisme de l’individu. Un excès ou une insuffisance de sécrétion de ces
glandes (hypophyse, thyroïde, glandes surrénales, glandes génitales) auraient une incidence sur le
comportement de l’intéressé (travaux de Schlapp et Smith aux États-unis). Enfin la consommation de
produits toxiques, (alcool, stupéfiants) est une cause importante et indiscutée de nombreux crimes et
délits. Stricto sensu il ne s’agit pas véritablement de maladies, mais d’habitudes contractées, quoiqu’il
puisse arriver que ce genre d’excès soit la source de certaines lésions.

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B. Psychisme

Une place à part doit être faite aux facteurs proprement psychiques de la délinquance. Il existe
en premier lieu des théories psychanalitiques.

On signalera celle du Français Daniel Lagache (Psychocriminogenèse, 1950) qui distingue


deux phases essentielles dans le processus de formation de la personnalité, processus qualifié par les
psychologues de socialisation progressive de l’individu. La première phase est dite de retrait, ou refus
de l’identification au groupe, le sujet voyant alors son processus de maturation troublé par des
anomalies, d’où des troubles se manifestant par l’égocentrisme et l’immaturité. La seconde phase est
dite de restitution, ou tentative d’ajustement. Détaché d’un groupe, le délinquant va en chercher un
autre. Lagache perçoit à cet égard les aspects interpersonnel et intrapersonnel des conduites
criminelles Le premier concerne les rapports entre le délinquant et les groupes auxquels il participe.
L’infraction révèle que son auteur commet une agression contre les valeurs du groupe dont il enfreint
les règles et qu’il pose d’autres valeurs propres au groupe auquel il aspire. Le second concerne les
rapports entre le délinquant et son acte. Le conflit inconscient interne au sujet sera résolu par une
action extérieure, le crime, qui est donc une tentative d’ajustement.

En deuxième lieu doit être mentionnée la théorie psycho-physiologique, principalement


illustrée par le Belge Etienne de Greef (Introduction à la criminologie, 1937). Chacun est un
délinquant virtuel et inconscient, car le système neurophysiologique transmet à tout individu des
incitations constantes à l’agressivité. Le plus souvent l’homme réussit à les endiguer, à les contenir en
édictant une barrière morale à l’aide de son psychisme supérieur qui sécrétera certaines valeurs
altruistes, à savoir l’amour, la sympathie. Mais il arrive que le sujet succombe et devienne alors
délinquant. De Greef a dégagé le concept de fonctions incorruptibles, qui échappent complètement à
la volonté. Ces fonctions, indifférentes au bien et au mal, se reconnaissent notamment dans les
sentiments de responsabilité, de justice, de destinée. Si elles jouent sous l’impulsion des instincts de
défense, sans contrôle, le sujet commettra alors une infraction, laissant libre cours aux réactions de
son mésencéphale (ou cerveau moyen). Il importe par conséquent d’avoir en soi des fonctions de
protection suffisantes. De Greef écrivait : « Un honnête homme est un sujet qui se trouve
constamment en équilibre instable. Il est toujours en train de perdre son honnêteté. Il est toujours en
train de la retrouver ».

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Section 2 : Les causes externes de la criminalité

§1. Quelques données essentielles

Nul ne doute de l’importance des facteurs du milieu dans la genèse du phénomène de la


délinquance.

Il y a d’abord le milieu familial dont l’influence peut être énorme. Une enquête effectuée dans
l’agglomération parisienne en 1942 a montré que 88% des délinquants mineurs étaient issus de
familles dissociées (divorce, séparation de corps ou de fait, mésentente). Pareillement diverses études
ont mis en lumière le poids d’un niveau socio-économique modeste de la famille d’origine et celui du
comportement des parents. Le milieu physique est également important : ainsi le milieu rural favorise
la criminalité violente et le milieu urbain une délinquance d’une autre nature, plus orientée vers les
biens. Surtout l’influence de l’habitat paraît prédominante, neuf enfants inadaptés sur dix ayant vécu
dans des taudis ou bidonvilles. Outre le milieu familial et le milieu physique il faut encore citer le
milieu économique, le milieu social et même le milieu répressif, notamment le milieu carcéral.

Forts de ces constatations quelques criminologues ont dégagé à partir d’observations


statistiques certaines lois criminologiques qui traduisent l’impact des facteurs exogènes. Ferri par
exemple a découvert la loi de la saturation criminelle s’exprimant telle une formulation chimique. Le
niveau de la criminalité est déterminé chaque année par les différentes conditions du milieu physique
et social combinées avec les tendances héréditaires et les impulsions occasionnelles de l’individu. De
la sorte s’explique le concept de saturation : selon les conditions de chaque milieu considéré on arrive
à connaître avec précision le nombre de crimes. Une autre loi due au même auteur est celle de la
sursaturation qui joue en cas de changement social important. La quantité de crimes augmente alors,
comme celle du sel dans l’eau quand la température de ce mélange est portée plus haut.

De son côté le Belge Quételet est l’inventeur de la loi de la régularité constante du crime dont
la formulation est mécanique. En vertu de cette loi les crimes se reproduisent chaque année au même
nombre, dans les mêmes proportions et avec des peines identiques, d’où la possibilité de déterminer à
l’avance combien de personnes tueront, voleront, violeront...

Une autre loi célèbre est la loi thermique de la criminalité formulée par Quételet et le Français
Guerry. Les infractions contre les personnes, en vertu de cette loi, sont plus nombreuses dans les
régions méridionales et pendant les saisons chaudes, alors que les infractions contre les biens
prédominent dans les régions septentrionales et pendant les saisons froides.

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Gabriel Tarde devait démontrer plus tard qu’il n’y avait là qu’illusion, le contraste entre le
nord et le sud s’expliquant par le degré différent d’urbanisation. Toutes ces lois tirent donc des
conclusions à partir de phénomènes statistiques et telle est leur seule ambition.

Plus récemment la criminologie a découvert le rôle majeur que joue la victime dans bien des
cas. Ainsi la victime peut être un agent actif lorsqu’elle commet une infraction pour mettre fin à son
état de victime : par exemple une femme maltraitée qui en vient à tuer son mari brutal. La victime
peut encore être un agent passif, lorsque en particulier son attitude provoque le délinquant,
l’illustration classique étant celle de la femme violée qui par un comportement de complaisance
initiale aura attisé les pulsions du criminel.

§2. Criminologie sociologique

Divers courants existent au sein des explications du mécanisme de la socio-criminogenèse. Le


premier et le plus ancien est le courant de la criminologie sociologique qui comporte plusieurs
manifestations. Il y a ainsi la théorie de l’anomie, ou disparition des valeurs sociales. Ce concept,
élaboré par Durkheim, a été développé en criminologie principalement par l’Américain Merton dans
son ouvrage Éléments de théorie et de méthode sociologique (1949). Les structures sociales présentent
deux éléments : les buts et objectifs culturels proposés par la société à ses membres et les moyens
légitimes pour y parvenir. Lorsque la coïncidence entre buts et moyens disparaît, il y a délinquance ;
alors les buts dépassent les moyens. Tous les individus sont de plus en plus soumis dans la société à
un « processus d’exaltation des fins » sans cesse grandissant, les moyens restant toutefois identiques.
Deviennent délinquants ceux dont le mode d’adaptation se caractérise par l’un des procédés suivants:
innovation — l’individu accepte le but proposé par la société mais refuse les normes sociales —,
évasion — l’individu ne partage aucune des valeurs communes —, rébellion — l’individu rejette la
structure sociale existante —. Échappent au contraire à la délinquance deux catégories d’individus :
les conformistes — qui acceptent les buts et les moyens définis par la société, — et les ritualistes —
qui renoncent à l’idéal de la réussite financière pour se cantonner à des projets plus réalisables.

La seconde théorie importante est celle des conflits de cultures du criminologue américain
Sellin (Culture conflict and crime, 1938 ; Conflits culturels et criminalité, R.D.P.C. 1960, 815 et 879).
Un tel conflit surgit quand les valeurs morales et les règles de conduite sanctionnées par le Code pénal
d’un pays donné à un moment donné contredisent les valeurs et normes adoptées par certains groupes
sociaux. Afin d’assimiler la minorité, la majorité fait pression sur elle, d’où une crise. Ainsi la
criminalité procède de la difficulté pour une personne élevée dans un certain milieu de s’adapter à un
autre milieu. Les exemples de tels conflits abondent : conflits lors de la colonisation de pays du Tiers-
monde entre la culture européenne et la culture des indigènes, conflit dans un pays entre immigrés et

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nationaux, conflit entre certaines minorités politiques agissantes (gauchistes) et le reste de la nation,
etc.

La troisième théorie, dite de l’association différentielle, est due à l’Américain Sutherland


(Principes de criminologie, publiés en France en 1966) qui s’est inspiré de la loi de l’imitation
dégagée par Tarde, loi selon laquelle le milieu social agit sur l’individu parce que chacun cherche à
imiter la conduite des autres. Ainsi pour Sutherland le comportement criminel est appris au contact
d’autres personnes par des processus de communication individuelle. Deux éléments peuvent être
distingués dans cette formation : l’enseignement des techniques de commission de l’infrac­tion et
l’orientation des mobiles, des tendances impulsives. Et celle-ci ne peut se faire dans le sens de la
délinquance que si l’individu est en contact avec des modèles criminels. Tel est le principe de
l’association différentielle.

§3. Théorie du label

Un autre courant, appelé courant interactionniste — représenté en particulier par les


Américains Lemert (Social pathology, 1951) et Becker (Outsiders, studies in the sociology of
deviance, 1963) —, insiste sur le rôle essentiel que jouent les institutions pénales et les attitudes
sociales dans l’apparition de la délinquance ou dans l’essor des comportements déviants. Ce sont le
législateur et la société qui, au terme d’un processus d’interaction, fixent la liste des actes
infractionnels, stigmatisent pareils comportements, d’où l’expression américaine de labelling theory
ou théorie du label.

En quelque sorte certains individus sont poussés par la société à la délinquance. Cette
explication est radicalement opposée à l’explication classique fournie par la criminologie sociologique
pour laquelle la déviance conduit au contrôle social, puisqu’ici c’est le contrôle social qui mène à la
déviance. Il en résulte une modification considérable de l’objet de la criminologie parce que l’on
passe de la criminologie de l’acte à la criminologie de la réaction sociale. Cette théorie, qui explique
d’ailleurs mieux le phénomène de la récidive, a eu un grand succès dans les années 1960. Elle ne
présente pas moins la faiblesse majeure de ne pas avoir vu que les définitions par la société des
comportements délinquants ne sont pas arbitraires. La labelling theory confond bel et bien la
délinquance et sa sanction en parlant de criminologie de la réaction sociale (Cf. Gassin, De quelques
tendances récentes de la criminologie anglaise et nord- américaine, Rev.sc.crim. 1977, 266 et 267).

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§4. Criminologie politique

Le dernier courant, que l’on peut considérer comme un courant de contestation politico-
économique, est représenté par la criminologie radicale ou criminologie critique, née aux États-unis et
en Grande- Bretagne vers 1970. Ses principaux représentants sont les Américains Schwendinger, les
Anglais Taylor, Walton et Young et le Français Michel Foucault.

Ce mouvement a pour origine certaines luttes politiques qui se sont déroulées aux U.S.A. et
l’influence du marxisme sur plusieurs intellectuels anglo-saxons. La criminologie radicale propose
une intervention essentiellement politico-économique du phénomène criminel. L’action criminelle est
l’acte politique par lequel le délinquant exprime son refus de l’organisation sociale en place. Mais les
tenants de cette école ne se contentent pas de cette analyse et ils proposent des solutions. En effet ils
pensent régler le problème criminel avec la transformation révolutionnaire de la société et
l’élimination des systèmes économiques et politiques d’exploitation, dans une perspective marxiste.
Le criminologue a donc une tâche normative : celle-ci « consiste à démasquer le vernis moral et
idéologique qui dissimule une société inégale et à lutter pour le changement social et l’établissement,
parmi les alternatives post-capitalistes, d’une société conforme à son idéal » (Gassin, article précité, p.
264). Qualifiée par les uns de « criminologie militante » (Gassin, article précité), par d’autres d’«
anticriminologie » (Merle et Vitu, Traité de droit criminel, T. 1, n° 284), la criminologie radicale se
heurte à de sérieuses objections, en particulier au caractère politique de son orientation.

Section 3 : Le passage à l’acte

S’il est vrai, comme l’assurait E. De Greeff, que nous sommes tous des délinquants virtuels,
seul le passage à l’acte permet de différencier le délinquant du non-délinquant. Cette remarque est
d’ailleurs valable dans toutes les perspectives criminologiques, car même si seulement certains
individus sont prédisposés à la criminalité, tous ne deviennent pas effectivement criminels. Le
délinquant est celui qui passe à l’acte. Pourquoi et comment franchit-il ce seuil redoutable devant
lequel les autres gardent leur sang-froid ou ne sont même pas tentés ? Nous sommes ici au cœur du
problème de la criminogenèse, et son importance est capitale. Car si l’on parvient à découvrir les
conditions du passage à l’acte, il sera possible de recenser les syndromes de l’état dangereux, ces
faisceaux de symptômes qui alertent le criminologue sur la probabilité d’un dénouement délictueux.
Et si, allant plus loin, on réussit à démonter le mécanisme qui transforme cet état dangereux en état
criminel, on pourra intervenir plus efficacement pour l’empêcher de fonctionner.

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§1 : Les conditions du passage à l’acte

Les apparences trompeuses du passage à l’acte. — Le crime frappe souvent par sa soudaineté
et par la futilité des motifs qui l’ont immédiatement déclenché. Un homme délaissé par sa maîtresse
tire sur elle parce qu’elle chante ou le regarde avec un certain sourire. Un père de famille tue son
enfant parce qu’il a très mal à la tête et qu’il ne peut supporter d’entendre ses cris. Un piéton frôlé par
une voiture sort brusquement un couteau de sa poche et frappe mortellement le conducteur. Un
automobiliste prend en charge une auto-stoppeuse sur la route et au bout d’un moment la viole. Après
leur crime, les uns et les autres diront sincèrement : « Je ne sais ce qui m’a pris tout à coup, je n’étais
plus moi-même ».

Dans la tragédie classique, enfermée dans la convention des trois unités de temps, d’action et
de lieu, le crime se réduit à ce bref moment, à « ce jour détestable où s’est produit le carnage, comme
l’écrivait Racine. Mais Racine n’était pas dupe et savait fort bien que « quelques crimes précèdent
toujours les grands crimes » ou qu’ « un seul jour ne fait pas d’un mortel vertueux, un perfide
assassin, un lâche incestueux ». Le droit pénal, comme le théâtre, « isole le drame pour l’étudier à
l’état pur, au sens où le chimiste isole un corps pur ». Or, dans la vie quotidienne, le drame n’est
jamais pur, permanent, continu. Les moments dramatiques sont discontinus, entrecoupés par des
périodes d’oubli, préparés par des successions d’événements.

Autrement dit, le passage à l’acte n’a que l’apparence de la soudaineté. Le crime n’est qu’une
longue patience, résultat d’une morne application quotidienne, souvent inconsciente, du criminel, et
d’une conjonction de circonstances funestes. Selon l’heureuse formule de M. Pinatel, « le crime est la
réponse d’une personnalité à une situation ». Le passage à l’acte exige donc en principe qu’une «
personnalité criminelle » soit placée dans une situation criminogène. Il ne faut pas cependant
généraliser. La réunion de ces deux conditions n’est pas toujours nécessaire. II arrive souvent que
l’occasion seule fasse le larron : par exemple, le délinquant primaire qui, à la suite de circonstances
particulières, commet une infraction, n’a peut-être pas une véritable mentalité criminelle. Inversement,
il y a des cas où une personnalité structurée pour le crime recherche et suscite l’occasion qui ne se
présente pas.

Quoi qu’il en soit, prises ensemble ou séparément, la personnalité criminelle et les situations
criminogènes sont génératrices de ce que l’on appelle l’état dangereux.

A. La personnalité criminelle

Les freins qui empêchent le non-délinquant de passer à l’acte. — Il ne peut échapper à un


observateur attentif des grands courants de la pensée criminologique que l’élaboration du concept de
personnalité criminelle est l’un des points culminants de toutes les recherches entreprises. Les
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explications biologiques, socio-culturelles, ou psychiques de la délinquance débouchent toutes à un


carrefour à partir duquel les routes convergent et aboutissent à un être humain nécessairement doté
d’une personnalité... Une personnalité qui est tissée de multiples influences maléfiques dont les
criminologues ont patiemment établi l’inventaire. Une personnalité, autrement dit un caractère, un
tempérament, une manière d’être, de penser, d’agir et de réagir devant les gens et les choses, un Moi,
disent les psychologues.

Cette personnalité s’enrichit, si l’on peut dire, d’une dimension nouvelle lorsque l’individu
prédisposé est effectivement passé à l’acte. Car elle possède alors un élément spécifique qui la
différencie des autres. Cet élément dynamique est peut-être même le seul qui soit commun à tous les
délinquants. Car l’on vient au crime par des chemins multiples et variés, mais tous ceux qui, au bout
de la route, ont franchi le dernier seuil ont ensemble un trait qui les unit et qui parachève leur
personnalité criminelle. Il est donc tentant pour l’homme de science de rechercher les composantes de
cette personnalité criminelle.

Une bonne méthode pour conduire cette étude consiste à prendre le problème à l’envers et à se
demander ce qui empêche le non-délinquant de passer à l’acte. C’est ce qu’a fait à la fin du siècle
dernier Manouvrier en s’inspirant de considérations très simples. Il suffit en effet que chacun de nous
s’introspecte, car nous ne manquons pas de tentations. Qui n’a pas, dans un moment de colère,
réprimé un geste de violence ? Quel homme d’affaires n’a pas côtoyé la malhonnêteté ? Qui n’a pas
un jour ou l’autre convoité le bien d’autrui ? Et pourquoi ces mouvements vers l’infraction ont-ils
avorté ? Divers freins, mis en lumière par Manouvrier, ont pu jouer, depuis les plus nobles jusqu’aux
plus terre à terre : le sentiment de l’immoralité de l’acte ou de son caractère odieux ; la crainte du
châtiment, et de toutes ses conséquences : la peine, la perte consécutive de l’emploi, la
déconsidération et l’opprobre qui s’attache au nom de malfaiteur, les difficultés matérielles de
l’exécution du crime, la pitié pour la victime...

Chez le délinquant qui est passé à l’acte, ces freins d’ordre moral, pénal, matériel et affectif
n’ont pas joué. Le criminel est semblable à l’homme normal lorsque, avant de commettre son crime, il
est soumis aux tentations, aux impulsions, aux déterminismes, aux situations criminogènes de la
condition humaine. Mais il devient anormal lorsqu’il se singularise en cédant à ces poussées. N’est-ce
pas là le signe que le délinquant possède dans sa personnalité des traits psychologiques qui sont en
opposition avec ceux qui retiennent le non-délinquant ? M. Pinatel a tenté, en s’appuyant sur de
nombreuses analyses criminologiques faites dans les domaines les plus divers par les spécialistes de
toutes tendances, de dégager ces composantes spécifiques de la personnalité criminelle.

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Les composantes de la personnalité criminelle. — Égocentrisme, labilité, agressivité,


indifférence affective, tels sont selon M. Pinatel, les quatre caractères fondamentaux de la personnalité
qui sous-tendent le passage à l’acte.

Le délinquant est égocentriste, il a tendance à tout rapporter à soi-même et à se considérer


comme le centre de l’univers. Il en résulte diverses conséquences importantes du point de vue du
passage à l’acte qui ont été bien mises en évidence par De Greeff. Jugeant son attitude d’après ses
critères personnels, le délinquant a toujours tendance à légitimer sa faute « en dévalorisant les lois et
les hommes, en se démontrant que l’hypocrisie est universelle et qu’il est encore plus honnête, lui, que
ceux qui auraient à le juger ». Mais, en même temps, il est porté à éprouver un « sentiment d’injustice
subie », car la notion de justice n’est jamais suspendue : « tous ces êtres expliquent leur vie et leurs
attitudes par les injustices et les maladresses dont ils ont été l’objet... ». Ainsi s’explique, selon M.
Pinatel, le défaut d’inhibition qu’ils manifestent vis-à-vis de l’opprobre social.

Le délinquant est labile, il est exposé à tomber, faiblir à la moindre secousse. De ce fait, il est
incapable d’être inhibé par la menace de la sanction pénale.

Mais il est aussi agressif et c’est ce qui lui permet de renverser les obstacles matériels et les
difficultés de l’entreprise criminelle. M. Pinatel, synthétisant divers travaux, attire l’attention sur les
formes et les mécanismes de cette agressivité (agressivité physiologique ou pathologique,
psychophysiologique ou psychosociale).

Enfin le délinquant est atteint d’indifférence affective, qui le rend « aveugle et sourd » à ce que
l’exécution du crime comporte d’odieux. Cette indifférence affective peut être soit une « composante
solidifiée et structurée de la personnalité criminelle », soit, comme l’a montré De Greeff, la
manifestation d’un processus évolutif et transitoire d’inhibition affective ou de désengagement
affectif.

Mais encore faut-il pour que l’individu ainsi structuré passe à l’acte qu’il rencontre la situation
propice.

B. Les situations criminogènes

Distinction entre le milieu du développement et le milieu du fait. — Lorsqu’ils étudient les


facteurs mésogènes, les criminologues font une distinction entre le « milieu du développement », qui
influence la formation et l’évolution de la personnalité (la famille, les groupes sociaux, etc.), et le «
milieu du fait », c’est-à-dire les situations dans lesquelles est placé le délinquant au moment de son
crime. C’est ce milieu du fait qui joue un rôle plus ou moins important dans le déclenchement du
passage à l’acte.
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Des classifications peuvent faciliter la compréhension de ces situations criminogènes. On


oppose, par exemple, les situations spécifiques (dans lesquelles l’occasion de commettre une
infraction est toujours présente, mais les modalités d’exécution dépendent des circonstances) aux
situations amorphes (qui obligent à rechercher l’occasion de l’infraction et à employer une technique
opératoire définie). On distingue aussi les situations instantanées et les situations permanentes.

Le criminologue suédois Kinberg a recensé quelques saisissantes hypothèses de situations


spécifiques : la situation « pré-incestueuse » (caractérisée chez le père de famille par une cessation de
l’activité sexuelle conjugale due à la maladie, la vieillesse, la mort ou l’indifférence affective de
l’épouse, et par l’intimité de la vie familiale et l’autorité paternelle qui orientent l’instinct sexuel du
sujet vers ses filles), la situation de « tourmenteur d’épouse » (qui pousse la femme à tuer son mari
pour faire cesser ses brutalités), la situation de « tueur de maîtresse » (la maîtresse veut rompre,
l’amant désespéré décide de se suicider devant elle, et finalement il la tuera aussi), la « situation de
viol » (une jeune fille accepte de monter dans la voiture d’un inconnu ou de l’accompagner à son
domicile, mais finalement résiste aux avances qu’elle avait imprudemment suscitées). On pourrait en
décrire beaucoup d’autres provoquées, comme le note Seelig, par la conjonction de la misère ou de
toute autre cause et des conditions de travail (le père de famille qui ne subvient pas à ses besoins avec
son traitement modeste et qui cède à la tentation de dérober les marchandises de son patron ; le
comptable saisi par le démon du jeu, qui puise dans la caisse).

Parmi les situations amorphes, il faut citer aussi la misère, la fréquentation des bandes qui,
lorsque l’occasion du crime ne se présente pas, poussent l’individu à la rechercher.

D’autre part, on met de plus en plus l’accent à l’heure actuelle sur le rôle que joue la victime
en tant qu’élément essentiel de la situation précriminelle. Toute une criminologie victimologique
retient l’attention. La victime peut être, soit un agent actif du crime, soit un agent passif. Elle est un
agent actif lorsque précisément sa situation de victime la pousse à commettre une infraction
(hypothèse dite du « criminel-victime » : la femme maltraitée par un mari alcoolique qui se soustrait à
sa condition en tuant son tourmenteur). Elle est un agent passif mais un agent tout de même,
lorsqu’elle est une « victime latente », prédisposée à jouer ce rôle, ou lorsqu’elle attire le crime par
son attitude (imprudence, provocation, légèreté, consentement, etc.). La victime intervient donc
parfois elle aussi comme facteur de dangerosité.

L’état dangereux. — Le concept d’état dangereux, inventé à la fin du siècle dernier par le
positiviste italien Garofalo, disciple de Lombroso, a connu parmi les criminologues de toutes
tendances un grand succès.

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Garofalo définissait la temibilita comme « la perversité constante et agissante du délinquant et


la gravité du mal que l’on peut redouter de sa part, en d’autres termes, sa capacité criminelle ». Dans
sa pensée, cette notion, dans laquelle il englobait aussi le degré d’inadaptation sociale, devait servir de
guide dans le choix de la sanction applicable à l’infracteur. Mais les criminologues ont
considérablement étendu son champ d’utilisation, non seulement pour mesurer, après le crime, « le
degré de sociabilité qui reste », mais aussi avant le crime pour dépister, prévoir et faire cesser l’état
dangereux.

Dans la stricte perspective de la criminogenèse, l’état dangereux constitue en quelque sorte le


signal d’alarme qui permet de déceler la plus ou moins grande probabilité du passage à l’acte. Il est le
produit de l’équation « Personnalité criminelle + situation criminogène ». Mais il peut aussi résulter
seulement de l’un ou de l’autre de ces éléments dont les criminologues s’efforcent de doser l’intensité
par l’application de méthodes de diagnostic appropriées. Car la personnalité criminelle, notamment,
n’est évidemment pas structurée de la même manière chez tous les individus : les traits respectifs
d’égocentrisme, de labilité, d’agressivité, d’indifférence affective, sont plus ou moins accusés, en
sorte que les « seuils délinquantiels » ne se situent jamais au même niveau.

Cependant, si la mise en évidence de l’état dangereux permet de prévoir la possibilité ou la


probabilité du passage à l’acte, elle ne suffit pas à expliquer complètement le passage à l’acte lui-
même. Car même lorsque toutes les conditions préalables sont réunies, d’autres mécanismes
interviennent au moment où le sujet devient un délinquant.

§ II : Le mécanisme du passage à l’acte

A. Les motivations dans le passage à l’acte

Les juges ont tendance à insérer le crime, qui est un accident de la raison et un défi au rationnel,
dans un schéma intellectuel cartésien. Les juges pratiquent la logique judiciaire et ne peuvent
s’empêcher, en reconstituant le déroulement de l’action criminelle, de remettre de l’ordre dans ce qui
fut seulement désordre et inconséquence.

Or les motivations qui servent de levier au passage à l’acte sont souvent superficielles,
illogiques, contradictoires, morbides, ou troublées par un orage affectif. On risque chaque fois de se
tromper, de confondre une motivation apparemment passionnelle avec une motivation utilitaire et,
inversement, de voir une préméditation là où elle n’a pas vraiment existé, ou au contraire de prendre
pour un acte impulsif un geste réfléchi et calculé.

La colère, l’irritation, la provocation, l’amour perdu constituent bien sûr des facteurs
déclenchants ; mais ils cachent toujours des sentiments plus profonds qui sont à la racine du crime. Le
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meurtrier passionnel n’est pas véritablement déterminé par l’amour, mais par l’égoïsme, la haine ou
l’esprit de vengeance ... L’homme qui a tué dans un accès de rage avait d’autres raisons et vivait avec
elles avant sa crise... Dans les meurtres de bars, si fréquents lorsque, après une dispute entre mauvais
garçons, l’un d’eux sort son revolver et tire, il y a là toutes les apparences d’un règlement de comptes ;
mais, en réalité, la plupart du temps c’est la peur qui est à l’origine de ce coup de feu ; dans ce milieu
où l’on est armé, si les discussions s’aigrissent, chacun craint l’autre et le réflexe défensif est de tirer
le premier...

La motivation criminelle se dégage donc d’un tourbillon ou d’un ouragan mental et, une fois la
tempête apaisée, le délinquant s’aperçoit parfois qu’il a choisi la plus mauvaise solution à une
situation qui pouvait en comporter de moins dommageables.

Le tourbillon des motivations surgit parfois en quelques instants. Parfois, il est plus long et
s’étire dans un processus complexe qu’étudient les criminologues.

B. Les processus du passage à l’acte

Plusieurs criminologues ont formulé des hypothèses sur le mécanisme du passage à l’acte.
Certains ont une conception atomistique du passage à l’acte. Ils réduisent le travail psychique du
délinquant à un seul phénomène localisé dans le temps au jour de l’infraction (alors qu’il n’y a pas
véritablement de crime soudain), et ils accordent aux mobiles de l’acte une importance excessive
(alors que le mobile n’est que l’apparence logique d’un geste irrationnel). Plus sérieuse est la
conception globale, qui procède d’une recherche de toute la vie psychique et sociale du sujet avant le
crime. Dans cette dernière perspective, on retiendra à titre d’exemples les théories proposées par
Sutherland, Di Tullio, et surtout De Greeff.

Le processus de maturation criminelle décrit par Sutherland

Sutherland a tenté de décrire « les constantes du comportement criminel susceptibles


d’expliquer pourquoi tel individu a commis tel crime, à tel moment et de telle manière ». Parmi ces
constantes, on trouve chez les criminels invétérés le processus de maturation.

En réalité, ce processus de maturation précède le passage à l’acte proprement dit. C’est un


processus d’adaptation du sujet à l’idée criminelle. L’individu passe à l’acte lorsqu’il a atteint l’ « âge
criminel », c’est-à-dire le moment de sa vie où sa criminalité a terminé son développement. Cette
maturité criminelle est acquise lorsque le sujet a assimilé une attitude générale envers la criminalité et
lorsqu’il a complètement acquis la connaissance des techniques criminelles d’exécution. La
maturation peut se terminer très tôt ou très tard. Ainsi, un enfant éduqué dans une zone où la
délinquance est élevée peut atteindre la maturité criminelle à 12 ou 14 ans. Mais le processus peut être
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beaucoup plus long si le futur délinquant vit dans un milieu honnête. Par exemple, un comptable ou un
caissier qui, pendant des années, a parfaitement rempli ses fonctions, et qui éprouve tout à coup des
besoins au-dessus de ses moyens (du fait du jeu, d’une maîtresse exigeante ou de toute autre cause
inavouable), se trouve placé devant un problème « incommunicable » à son entourage. Il finit par se
rendre compte qu’il peut résoudre ce problème en violant la confiance de ses patrons et en utilisant les
moyens dont sa profession lui a enseigné l’usage ; il se convainc d’ailleurs facilement qu’il a
l’intention de rembourser les fonds ainsi « empruntés », et se met ainsi d’accord avec les valeurs
morales de son milieu. Jusqu’au jour où il lui arrivera peut-être de poursuivre ses détournements en
abandonnant toute idée de remboursement et de s’identifier alors avec les attitudes des criminels...
Malheureusement, si à propos des comptables indélicats ce processus de maturation rend parfaitement
compte du mécanisme du passage à l’acte, dans la majorité des cas ce genre d’explication ne dépasse
pas le stade de la formation de la personnalité criminelle.

Le processus crimino-dynamique décrit par Di Tullio

Di Tullio, en quelques pages suggestives, formule des vues générales sur la crimino-
dynamique, qu’il oppose à la criminogènes. Il distingue les facteurs prédisposants, les facteurs
préparants, et les facteurs déclenchants. Les facteurs préparants, les plus fréquents, selon lui, sont les
états émotifs et passionnels, les intoxications alcooliques, et tous les phénomènes qui s’expliquent à
travers la suggestion. Quant aux facteurs déclenchants, ils existent en général dans toutes les
circonstances qui, pour faible que soit leur force causale, sont toujours nécessaires pour
l’accomplissement de l’acte criminel, car elles sont responsables de l’anéantissement des résistances
individuelles. Le passage à l’acte, ou la dynamique criminelle, est actionné en effet par un mauvais
fonctionnement « des forces inhibitoires, et plus précisément des forces crimino-répulsives ».

Tel est là le schéma général, un peu maigre, qui, selon cet auteur, ne peut guère être précisé
davantage, car la majorité des caractéristiques de la dynamique criminelle sont variables selon chaque
cas particulier. Di Tullio s’est cependant efforcé d’analyser dans une perspective différentielle les
processus crimino-dynamiques des délits contre la propriété, contre la personne humaine, ou des délits
sexuels les plus répandus. Mais ses descriptions concernent surtout les facteurs prédisposants ou
préparants de ces infractions ; elles font moins bien saisir la dynamique du déclenchement.

C’est Étienne De Greeff qui a été incontestablement le plus loin dans ce domaine.

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Le processus d’acte grave dans certains homicides décrit par Étienne De Greeff

De Greeff, dont tous les travaux ont été centrés sur la vie intérieure du criminel, a assimilé le
processus criminogène de l’homicide à celui de l’acte grave, c’est-à-dire de l’acte qui implique une
option capitale. Le type de l’acte grave auquel De Greeff s’est référé pour édifier sa théorie est la
conversion religieuse, telle qu’elle a été analysée chez les précivilisés par Allier.

Le processus qui conduit à l’accomplissement de l’acte grave comporte quatre phases


principales : la phase de l’assentiment inefficace, la phase de l’assentiment formulé, la phase de la
crise, et le dénouement. L’élément essentiel de ce processus est le « devenir » du sujet : ce que le
criminel est devenu psychologiquement, généralement sans le savoir, devenir qui n’est perceptible que
dans une étude portant sur une longue durée, car seule la durée permet de saisir l’évolution ou la
stagnation.

L’étape initiale de l’assentiment inefficace est l’aboutissement d’un lent travail inconscient.
Une occasion quelconque révèle au sujet « un état souterrain préexistant » : un rêve, la lecture d’un
fait divers, une conversation, un film ou toute autre circonstance lui fait entrevoir par une sorte
d’association d’idées ce que, sans le savoir encore clairement, il souhaitait vaguement depuis quelque
temps, par exemple la disparition de son conjoint, dont il est las. Il accepte alors l’idée de cette
disparition possible. Mais la mort de son conjoint est représentée dans son esprit comme un
phénomène objectif dans lequel il ne prend personnellement aucune part. La mort n’est pas son œuvre
; il imagine qu’elle puisse résulter de la nature des choses, d’un accident de la route, d’une maladie,
d’un cataclysme, d’un suicide... Mais il envisage cette possibilité sans déplaisir : acquiescement
encore inefficace, puisque le sujet ne se représente pas encore en tant qu’auteur de ce drame. Nous
retrouvons ici les sourdes incitations du diencéphale et des fonctions incorruptibles sur lesquelles De
Greeff a beaucoup insisté.

Dans la plupart des cas, la velléité homicide très indirecte et très détournée s’arrête là, car
l’équilibre est vite rétabli par une réaction morale. Mais quelquefois cela va plus loin. L’assentiment,
d’inefficace, devient alors un acquiescement formulé. Tout en continuant à s’efforcer de penser que la
disparition pourra s’accomplir sans son concours, le sujet commence à se mettre lui-même en scène en
tant qu’adjuvant de l’œuvre destructrice. Mais la progression de cette idée passe par des hauts et des
bas. Le travail de dévalorisation de la victime alterne avec l’examen des inconvénients du crime. A ce
stade, « un rien peut faire accomplir un bond prodigieux en avant ou susciter une fuite éperdue ». Le
crime peut même survenir prématurément au cours de cette période, alors que la préparation du
criminel n’est pas complète ou qu’il n’a pas eu le temps ou la hardiesse « de se regarder lui-même ».
Une ivresse, une discussion, un événement hors-série, une occasion exceptionnelle offerte par le

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hasard précipitent les choses. C’est ici, note De Greeff, que pourront se situer des actes mal exécutés
ou dont l’éclosion apparemment soudaine trompera la justice sur leur véritable signification
(processus d’acte subit et irréfléchi). Mais, souvent, le dénouement est précédé d’une crise.

La crise est le signe que l’homme « marche à reculons » vers un acte aussi avilissant qu’un
crime. Il ne s’y détermine qu’après une véritable « agonie morale ». Il faut qu’il se mette d’accord
avec lui-même, qu’il légitime son acte. Plus il est « stabilisé dans des pratiques morales lui enjoignant
la réprobation d’un tel acte, et plus il lui faudra de temps pour s’adapter à cette déchéance ». Quelques
criminels cependant, pour surmonter cette pénible crise, s’imposent à eux-mêmes un processus
avilissant « en se créant une personnalité pour qui le crime ne soit plus une chose grave et tabou ».
Selon la fine observation de De Greeff, ce processus correspond à un des aspects du péché mortel
dans la religion catholique, car la gravité de la faute « ne réside pas seulement dans la matérialité du
fait homicide mais dans les dispositions d’âme que le sujet s’inflige ou recherche, pour en devenir
capable, ou pour pouvoir les justifier ».

Après le dénouement, on constate généralement un changement d’attitude. Le délinquant, qui


se trouvait auparavant dans un état d’émotivité anormale va manifester, selon les cas, un soulagement,
des regrets, de la joie ou de l’indifférence. « Toute la personnalité du criminel se trouve condensée à
ce moment-là. »

D’une manière brève, ces étapes dégagées par De Greeff peuvent être présentées de la manière
suivante :

- L’assentiment inefficace : C’est l’étape durant laquelle autrui est perçu comme un obstacle et
le sujet a de ce fait l’idée de sa disparition comme d’un évènement heureux. On voit alors
l’émergence de petits actes manqués, de traits d’esprit avec allusion à cette éventualité. Le
point de départ de cette idée se trouve parfois dans le rêve. Mais cette idée est de plus en plus
rapidement réprimée et censurée.
- L’assentiment formulé : étape au cours de laquelle l’idée de meurtre prend corps et s’installe
dans le psychisme du sujet qui devient capable de la formuler clairement. Ce souhait de mort
est soutenu par deux processus conjoints :
• La réduction de l’autre-obstacle à tous ses éléments négatifs. On assiste en cela à une
reconstruction de l’image de la future victime à partir des instincts de défense, cet autre se
trouvant ainsi déjà détruit dans l’imaginaire et sa suppression se trouvant justifiée en raison de
ses propres caractéristiques. L’importance de la symbolique des mots est ici centrale.
• La modification du milieu avec lequel le sujet établit des liens, de telle manière à ce que le
passage à l’acte ne fasse plus l’objet d’une réprobation morale et d’un isolement ou d’u rejet de

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son auteur. Celui-ci fréquentera alors de préférence des milieux présentant des déficiences
morales (zones de détérioration morale) et une possible compréhension pour un comportement
ordinairement désapprouvé. Dans l’ensemble, durant cette étape, on assiste à une levée
d’obstacles affectifs et sociaux et à une justification de la suppression de l’autre.
- L’état de crise : A ce stade, le problème de la disparition effective de l’autre est posée de
manière concrète. Le sujet peut alors envisager le recours à des moyens extérieurs, à des
intermédiaires, ou à sa propre intervention. Il connait un état de tension émotionnelle
grandissante, tension qui sera soulagée par l’acte lui-même. D’autre part, des omissions
susceptibles d’avoir une issue fatale (omission de médicaments à un cardiaque) ou l’incitation
de la victime à des activités à haut risques peuvent précéder le passage à l’acte en lui-même. Il
s’agit là d’une série de situations homicides susceptibles en effet de s’y substituer. En tout état
de cause, le sujet connait un état manifeste d’ambivalence, de même qu’il est le lieu
résistances internes susceptibles de provoquer l’échec du passage à l’acte. En raison même de
cette ambivalence, il manifestera une grande énergie et une forme d’acharnement dans la
commission de l’acte. Ceci témoigne de ce qu’il n’a pu s’identifier à cet acte.
- Le dénouement, c’est l’étape finale du passage à l’acte d’homicide où le sujet éprouve de la
joie de réussir sa mission.

Ce schéma général, étudié par De Greeff à propos de l’homicide « utilitaire » peut évidemment
comporter des modalités variées selon les infractions commises.

Ainsi, dans le crime passionnel, De Greeff aperçoit un « processus suicide » et un « processus


de réduction ». Le processus suicide apparaît lorsque l’amant abandonné se rend compte qu’il est en
train de perdre un être d’une valeur infinie. La vie n’a plus d’intérêt pour lui. Il songe au suicide, mais
souvent y renonce et il reste alors profondément désengagé, indifférent à son propre sort. C’est cette
indifférence qui lui donnera l’audace nécessaire pour réaliser son crime. Mais le passage à l’acte
exigera une deuxième transformation psychologique : le processus de réduction par lequel le futur
criminel, après avoir dans un premier stade du conflit revalorisé au maximum l’être aimé, va le
ramener à une abstraction responsable en même temps qu’il revalorisera « certaines choses qui avaient
été délaissées : son propre moi, sa réputation, son argent trop facilement donné... ».

De Greeff a, d’autre part, beaucoup insisté sur certains éléments fondamentaux qui sous-
tendent le processus criminogène : le sentiment d’injustice subie, le désengagement, l’inhibition
affective.

Le sentiment d’avoir subi une injustice caractérise la réaction criminelle de nombreux


délinquants, notamment chez les déséquilibrés, les récidivistes, instables et inadaptés sociaux. Ils ne «

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suspendent jamais » la notion de justice qui les habite. Presque tous les voleurs, même les
occasionnels, justifient leur délit par l’injustice du monde. Ce sentiment aide le criminel dans la
période d’acquiescement formulé.

La réaction de désengagement, déjà notée par De Greeff dans le processus suicide du crime
passionnel, est également fréquente dans les autres infractions. Elle est consciente. L’inhibition
affective, au contraire, s’accomplit sans participation du sujet.

C. Les suites psychologiques du passage à l’acte

Plus un criminel, écrit De Greeff, se comporte après les faits comme l’auteur d’un acte raté,
qui demande pardon à sa victime et voudrait la sauver, plus il se rapproche du normal. Au contraire,
plus longtemps persiste l’attitude et le plaisir homicide après les faits, et plus la situation est grave.

La gamme des réactions des criminels dans le moment qui suit le crime est en effet variée :
regrets ou remords, indifférence, soulagement, persistance d’une sorte de rage dévastatrice, expression
de la volonté de recommencer à la prochaine occasion..., tout cela est possible et s’observe
quotidiennement.

Les regrets suivent généralement l’acte de ces individus qui, en contemplant le résultat de leur
œuvre criminelle, ont brusquement l’impression d’avoir accompli leurs gestes dans un état de « court-
circuit » mental : « Tout s’est passé comme si ce n’était pas moi, comme si je ne savais pas qui a fait
ce mal », a dit le curé d’Uruffe lors de son arrestation. Cette sensation de dépaysement morale, propre
aux criminels qui ne se croyaient pas capables de franchir ce pas, n’exclut pas le sentiment de
culpabilité ; bien souvent, elle l’avive et favorise ainsi le désir d’expiation.

La réaction d’indifférence ou de désengagement, si bien décrite par De Greeff, se rencontre


chez les criminels qui, ayant longuement vécu la préparation psychologique de leur acte, considèrent
le résultat comme une conclusion logique de leur projet. Ils ont fait ce qu’ils voulaient accomplir et ils
n’éprouvent pas le besoin de dramatiser davantage. On peut alors prendre pour du cynisme un
comportement qui traduit seulement la sensation de la tâche remplie : cette femme, par exemple, qui
après avoir tué son mari infidèle sort de son sac à main une glace et une houppette pour se repoudrer
le visage... ; ou cet homme qui vient de larder sa maîtresse de coups de couteau et dit aux policiers,
très calme : « Laissez-moi au moins le temps de me laver les mains ... » ; ou encore cette jeune femme
qui, s’étant enfin décidée à noyer son bébé pour satisfaire le désir de son amant, télégraphie à celui-ci
: « Catherine décédée. A bientôt peut-être... » ; ou ce mot surprenant de Pauline Dubuisson au soir de
son crime : « Pourrai-je continuer mes études de médecine ? »

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Cette indifférence immédiate est trompeuse, car elle est souvent suivie à plus long terme de
remords profonds qui peuvent conduire le criminel au suicide.

Chez les obsédés qui ont vécu dramatiquement la maturation de leur passage à l’acte, ou chez
les déséquilibrés sexuels, la réalisation du crime provoque au contraire un agréable sentiment de
soulagement. C’est le cas chez les étrangleurs ou chez les éventreurs. Mais quelquefois le criminel,
insatisfait, n’étanche pas en seul acte toute la soif de ses besoins morbides. Il s’acharne alors sur sa
victime et la tue en quelque sorte « plusieurs fois », ou bien il la dépèce sadiquement.

L’appréciation du degré d’état dangereux d’un criminel est donc commandée en partie par le
type de réaction qu’a manifesté le sujet immédiatement après le passage à l’acte.

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