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Antiquité Classique

LES TROIS MUSES DE L'HÉLICON


Author(s): B. A. van Groningen
Source: L'Antiquité Classique, T. 17, Miscellanea Philologica Historica et Archaeologica in honorem
Hvberti Van De Weerd (1948), pp. 287-296
Published by: Antiquité Classique
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Accessed: 25-02-2016 01:27 UTC

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LES TROIS MUSES DE L'HÉLICON

par B. A. van Groningen

Le poèmede la Théogonied'Hésiode chantelonguementles louan-


ges des Muses, fillesde Zeus et de Mnémosyne; sur les sommetsde
l'Hélicon elles formentleur chœur et font entendredans la nuit
leurs voix harmonieuses. Elles sont nées en Piérie, vivent à la
courdu Roi des Dieux, mais c'est au pied de la montagne béotienne
où il gardaitses brebis,qu'elles ont consacré Hésiode commepoète.
Elles lui ont assigné la tâche de chanter la généalogie divine et
l'histoiredu monde et lui ont donné la forcede l'accomplir.
Elles sont au nombrede neuf. Le poète énumèreleurs noms aux
vers 77-79:
KXeic6 t' EvreQTirjre Oakeiá re MeX7co¡jtévr¡ re
r
TeQxpi%ÓQY¡ 'Eq aró re IloXvfjbViá OvQavtrjre
r
KaXhÓJtrjre.
Quatre de ces noms, Euterpe, Thálie, Erato et Uránie, sont trop
vagues pour nous permettrede préciserleursfonctionsen quoi que
ce soit. Les autres sont plus expressifs: Clio nous rappelle par
exemple Achille qui, assis dans sa tente,charmeses loisirs forcés,
ãeiòs ô'aQa xXêa ãvÔQcõv( I 189). Poésie et musique choralesse
retrouventdans le nom de Terpsichore,le genre hymniquedans
Polymnie; Melpomènedoit son nom à la tioXniq,combinaisonde
chant et de danse. A vrai dire,tous ces noms ne fontque présenter
sous un jour légèrementdifférent les diversaspects de cette molpé.
Le poète emploie le termeau vers 69 et le précise aussitôt après
comme suit :
'
Tteqlà ïa%e yaïa ¡uéÀaiva
, eQaròç ôè tzoôôjvvtzò ôovtzoçÖQcoQe.
v/btvevaaiç
Aucune attributionspéciale donc (*), qui rappelle la spécification

(1) ïl fautfaireexception maisle cas estspécial; il y a pro-


pourCalliope,

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ultérieurede leurs fonctionsindividuelles. Tout ce qui est « mu-


sique » instrumentale est négligé,bien que la flûteet la lyre soient
l'accompagnement naturel de mainte molpé. Si nous admettons
que le culte de ces Muses a comportédes performances artistiques,
il est permisde songertout d'abord à diversesformesde lyrique
chorale. La mèredes Muses portele nomsignificatif de Mnémosyne.
Il est permisďy voir un timideessai d'explication psychologique
de l'activité artistique: en effet,celle-ciprésentecomme élément
essentiel le pouvoir de reprise,de reproduction,de mémoire. Et
ceci vaut spécialementpour la musique, le chant, la danse Í1).
L'Hélicon et son entourage étaient terre sacrée : le culte des
Muses y était en grandhonneur.Hésiode est le premierà nous l'ap-
prendre; il n'est pas le seul. Dès le 111esiècle avant notreère (2)
les documentsauthentiquesnous prouventl'existenced'une grande
fête,les Movasïa. Thespiesles organiserégulièrement au nom de la
Confédérationbéotienne; à partirdu 11esiècle,elle le fait en son
proprenom. Mais aucun doute n'est possible: la fêteest beaucoup
plus ancienne. Depuis longtempsle « Val des Muses » était visité
par de nombreuxadorateurs des vénérables déesses. Pausanias
nous apprend (IX 31, 3) qu'elle comportaitun concours,véritable
âytbvMovoikóç, comme il est naturel. Un certain Nicocratès
(F.H.G. IV 465) avait écritIIbqI rov êv 'Efaxwvi âyœvoçet Athé-
née (XIV 629 a) cite Amphionde Thespies (F.H.G. IV 301) comme
auteur d'un ouvrage traitantdu sanctuairehéliconiendes Muses ;
on pouvait y admirerdes danses de garçons; une vieilleépigramme
doriennede Sicyôneprouve qu'on venait d'assez loin pour partici-
per aux concours. Les Muses de Thespies étaient également au
nombrede neuf: Pausanias (IX 40, 1) mentionneles deux séries

bablement innovation de la partdupoète.Il l'appelle« la première de toutes»


parcequ'elle est la compagne des rois(vs 79 s.). En effet,ce sont les Muses
- entendez spécialement - qui leur inspirent
Calliope les doucesparoles
(yXvKEQrjV 83,fiE¿?.ixa 84»¡laÂaxoïoi90)parlesquelles ilsvidentlesdifférends
et réconcilient les partis.Gomme noussommes loinici du courroux dontté-
moigne la première partiedesTravaux : là (p. ex. 38 s.) desinvectives contre
la royauté, ici les aménités d'uncourtisan respectueux à l'égarddes mêmes
princes.Au reste,l'éloquence étaitappréciée partoutcommeartsui generis ,
cf.r 212-223.
(1) Cf.Plut,quaes. cono.IX 14,1 : à ChioslesMuses s'appellent Mveiai ;
B 600 les Musespunissent Thamyris:áoiói¡vâyèXovro nal ênAéha Sov m-
OaQiarvv ; Pind.Ném.I 12: Moîaa (jLefjLvãaOai yiXei.
(2) VoirFiehndansPauly-Wissowa-Kro II s. v. Thespeiap. 45 s.

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de neuf statues, la première,œuvrede Céphisodote,la seconde,de


trois artistes différents.
Mais il existait une autre traditionrelativeaux Muses de l'Héli-
con. Le même Pausanias nous la rapporteen ces termes(IX, 29,
1-3) : Tavxa ¡lèv ôtj E%ovxá èaxtv ovxco, Ovaai ôè êv cEàikô>vi
Movaaiç tzqÓxovç Kal éitovo¡iáaai xà oqoç Isqov eivai Movaã>v
v
'Eq>iáXxr¡vKal vQxov Xéyovatv , oÍKÍaai ôè avxovç Kal Aokqtjv•
9 3 •
Kal ôrj Kal Hyrjaívovçêm repôsêv xfj AtOíòi eTtoírjaev
"Aúkqij ô' aí TtaQéXsKxo Iloaeiòácov êvoaíy$<úv>
rj ór¡ oi xeke nalôa tzeqiti}.o¡u,ev(dvèviavxã>v
OïokXov, Sç tcq&xoç¡jlex*'AÃcoeoçeKxiae naíôcov
c
AoKQrjv , rj á' EÂikôjvoç e%ei nóôa môaKÓsvxa.
*
(2) Tavxrjvxov Hyrjaívov xrjvnoírjaiv ovk ETtEXs^áfjbriv, âXXà
7ZQÓXEQOV ãça èxXeXo invia r)vtiqIv rj êfjièyEvéadai * KakKinnoçôè
KoQtvdioç¿v xfjêç 'Oq%o[jlevíovçavyygafpfj jbtaQXVQianoisTcai xq>
e ôè

Xóy(p HyrjaívovEnrj, œaavxcoç Kal rjfiEiçTZETzoitffiEda
nag'
avxov KaXXÍTZTtov 5
ôiôa%dévxEç. "AoKQrjç¡xèv ôtfTtvçyoçeIç etz
Kal ãXXoovôèv eXeÍtíexoêç ¡btvij/birjv, 3
èfjbov oi ôè xov AÃcoscoçnal-
ôeç aQiOpóvXEMovaaç êvójbiiaavEÏvai xqeIç Kal ôvójuaxa avxalç
3
eOevxoMsMxrjvKal Mvrjfirjv Kal Aoiôrjv. (3) Xqovcúôè voxeqov
xpaoi nÍEQov MaKsôóva ... êXQóvxaêç Oeamàç êvvéa xs Movaaç
KaxaaxrjaaaOai Kal xà ov6¡iaxa xà vvv ftExadéadaiaqtíai.
Le passage méritegrande attentiontant pour ce qu'il rapporte
directementque pour les conséquences qui en dérivent. Ici les
Muses sont donc au nombrede trois. Le nombreapparaît encore
ailleurs. Pour plus de détail le lecteurvoudra bien consulterl'ar-
ticle substantiel de M. Mayer dans Pauly-Wissowa-Kroll, s.v.
Musai et Preller-Robert, Griechische Mythologie I, p. 491. Un pas-
de
sage Plutarque ( Quaest . conv. IX 14, 3 p. 744 c) méritepourtant
d'être cité ici : Eïtcevo$v ô âÔEÂyòç(Lamprias) ôxi xqeïç fjôsaav oi
naXaiol Movaaç , et un peu plus loin (D) : vaxEQovôè Kal KaO'
cHaíoôov fjôrj[¿ãXÁovèKKaXvTtxofjiEvoyv xcov ôvvàfiEœv , ôiaïQovv-
Kal
xeç eiç jbtEQrj sïôrj xqeïç TtáXiv êv
EKáaxrjvs%ovaav avtfj ôia<po-
1
Qàç écÓQcov ( ). En effet,c'est le seul qui puisse être mis en rapport
direct avec Pausanias, Plutarque étant Béotien.
Les Muses ternairesportentdes noms très expressifs: Mskéxrj
3
Mvij/urj, Aoiôrj. Le premierrappelletout ce qu'il faut de prépara-

se trompe
(1) Plutarque ou exagère, à peine,com-
puisqueHésiodespécifie
menousl'avonsremarqué.

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tion attentiveet d'exercicesassidus ; le second est un parallèle de


Mnémosyne; avec Aoidè nous touchonsau but, la présentationde
ce qui a été préparéet retenu.Notons surtoutqu'il ne s'agit point
du tout de molpé; seule Yaoidé est en question. Si nous prenons
les termesà la lettre - et pourquoi ferions-nousautrement? -
nous nous trouvonsdonc en présenced'un ordre d'idées différent
de celui des neuf Muses d'Hésiode. L'analyse est, u'une part, plus
serrée; d'autre part, elle envisage non pas une totalité des arts
« musiques», mais uniquementceux qui se rapportentau « chant»,
La danse est négligée, par conséquence tout ce qui est lyrique
chorale. Il ne peut s'agir, en principe,que de performancesrhap-
sodiques (pour lesquelles âeíòsiv est resté le termetechnique par
excellence)et, à la rigueur, de chantmonodique,c'est à dire d'épo-
pée héroïqueou didactique et de lyrismedans le genre d'Anacréon
et de Sapho. Il y a donc ici une analyse de la techniquepoétique
et récitativequi n'est ni sotteni inadéquate, malgrésa simplicité(x).
Le culte de ces troisMuses a été instituépar Otos et Ephialtès.
La nature primitivede ces figuresmythiques ne nous intéresse
guère à l'heure qu'il est. Rappelons pourtantqu'ils sont très sou-
vent mis en rapportavec des montagnes: ils ont voulu entasser
l'Ossa sur l'Olympeet le Pélion sur l'Ossa (À 315 s.). Ils sont donc
à leur place dans les parages héliconiens. Notons surtout qu'ils
appartiennentcertainementà la Béotie. Pausanias a vu leur tom•
beau à Anthédon (IX 22, 6) et déjà dans Homère ils sont fils ou
petit-filsde Poséidon (2). Òr, toute la Béotie est terresainte de ce
dieu, nous enseigneAristarque(3). Il est d'ailleurs trèsremarquable
que les Aloades sont jugés dans les traditionsantiques de deux fa-
çons absolumentcontraires: ils ont eu des défenseurset des ad-

(i) Mélétéet Aoidèfontégalement partiedesquatreMusesďAratus,filles


d'Aether et dela nymphe Plousia( ?) ; cf.Gic.denat.deor.III 54 etM.Mayer,
o. c.fp. 688.Les deuxautress'appellent 'Açxtf du« prélude
(personnification »?,
cf.Athen.IV, 180D-E) et Oefêivórj. Le système de celuique rapporte
diffère
Pausaniassous deux rapports : Mélétéest sensécomprendre également la
Mnémé ; Thelxinoéajouteà l'analysela réactiondes auditeurs.Le pointde
vueď Aratusparaîtêtreunecorrection de l'autresystème,ce qui esttrèspos-
sibleau pointde vue chronologique, commenousverrons.
le filsde Poséidon
(2) E 385 s., filsd'Aloeus, ; A 306filsde ce dernier.
c ràv Iloaeiôœva eïqtjtîev(Homère) âno
(3) Etym.M. ' 547: EÀixœviov
*
Efanœvoç,tbç Aqîotclq%oç ßotiKexai,ènei tfBoteoriaohr' îeçà IJooçi-
ôœvoç.

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versaires. D'une part on les représentecomme des êtres monstru-


eux et dangereux,qui menacentla demeuredes dieux (X 313 ss.)
et prétendentépouser Héra et Artémis(Schol. E 385, DindorfIII
248) ; ils sont du nombredes insignesmalfaiteurssévèrementpunis
dans l'Hadès (Hygin 28, 4). Même leurs rapportsavec Poséidon
ne sont pas toujours aussi affectueuxque la généalogiehomérique
le fait supposer: une amphorede Vienne représentele dieu assom-
mant Ephialtès d'un bloc de rocher(Reinach, Répertoiredes vases
peints, II, 188, 1) et une autre montrenon seulement Éphialtès
frappépar Poséidon, mais peut-êtreégalementOtos tombantsous
les coups d'Artémis(ibid. 164, 2). Mais, par contre,nous lisons
dans Homère que la terreles avait nourriscomme« les plus beaux
après Orion» (A 310, cf. Eust. ad Iliad. E 385) et l'interprétation
allégoriqueque nous a conservéele scholiaste déjà cité et d'après
laquelle Otos et son frèreemprisonnantArès représententroòç
êv Ttaiòsía Àdyovçqui domptentle Ovpóç, est tout aussi favora-
ble à leur endroit. De même,ils ne peuventêtreconçuscommefon-
dateursd'un culte des Muses que dans une traditionqui les montre
sous un jour avantageux.
Or, qu'est-ce à dire que d'attribuerle culte de préférenceà ces
deux personnages? Quels sont les motifsà fairevaloir, si l'on veut
expliquercettetradition? Il y a, si je ne me trompe, deux raisons
Premièrement,les Aloades étaient chez eux sur la montagne de
l'Hélicon. Puis ils représentaientune Béotie tout-à-faitantique ;
ils étaient,pour ainsi dire, les autochtonesde la Béotie. Le culte
des Muses ternairesétait donc considérécomme plus ancien que
celui des neuf déesses. C'est d'ailleurs ce que Plutarque vient de
nous dire dans ses Propos de tableet Pausanias nous avait déjà en-
seigné que les neufMuses de Piérie, adorées à Thespies, dérivent,
ainsi que leur culte,des Muses ternairesque la Béotie doit aux Aloa-
des (x). Insistons: cette traditiontend à affirmer pour le culte des
trois Ä uses une origine des plus lointaines; à la naissance de la
Béotie elles étaient déjà là. Et la traditions'oppose délibérément
à celle qui avait cours à Thespieset à laquelle Hésiode s'est ralliée.
Le culte est béotien. Nous aimerionspréciser. Le texte de Pau-

(1) Il y a d'autrestraditions
de deuxgénérations deMuses.P. ex.Schol.Ap-
Rhod.III , 1 : êv <5eroïç elç Movaaïov âvayegopevoiçôvo îotoqovv
rai yevéaeiçMovoûv,nQeaßvreqav ¡uèvnarà Kqóvov, vecorégcov ôè rcov
êx Aiòç Hai Mvrifioovvrjç. Cf.Paus. L l. 4 et pourplusde détailMayer.

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sanias nous en fournitles moyens. En effet,il nomme les mêmes


Aloades comme fondateursďAscra au même titre qu'Oioklos, fils
de la nympheAscra et - le dieu réapparaît- de Poséidon (1).
Deux conclusionss'imposent: le culte est considérécomme hélico-
nien (tout comme celui des Muses d'Hésiode), mais spécialement
ascréen(à rencontrede celui-là); ensuitel'origined'Ascra remonte
égalementaux tempsde la constitutionmêmede la Béotie.
Reste à savoirà qui Pausanias a empruntéla tradition.Au début
du chapitre il dit simplementMyovaiv, et plus loin (§3) q>aoL
Le sujet ne peut être différent de celui de Myovoi au chapitrepré-
cédent (28, 1) c'est-à-direoí neql ròv 'EÀiicœva oixovvreç.. L'ex-
pressionest vague, mais peut êtreprécisée. Pausanias par exemple
n'a pas écrit oí Osomeïç, ce qui, du reste,seraitimprobableà prio-
ri, puisque les traditionsde Thespies étaient essentiellementdiffé-
rentes, comme nous l'avons vu. Mais il ne dit pas davantage
oi rovMovoeíov îsqsïç ; encore une fois, on ne pourraitguère
s'y attendre: le clergén'a pas soutenu une théoriemal vue de la
principaleville des environsqui, par-dessusle marché, organisait
les fêtes. Il s'agit donc d'autres personnes,habitants de la monta-
gne sacrée,mais partisansd'une traditionhétérodoxe. Ces Hélico-
niens peuvent citer des auteurs. Ils nommentènl rœôe (§ 1),
c'est-à-direau sujet de la fondationd'Ascra,un certainHégésinous,
auteur d'une Atthideen vers. Même Pausanias ne la connaissait
plus directement(2) •; il empruntela citationau CorinthienKallip-
pos. Celui-ci est encore nommé IX, 38, 9, comme auteur d'un
ouvrage (3) traitantd'Orchomèneet de ses habitants; il y nomme
une seconde fois un poète dont le Périégètene lit plus les œuvres,
Chersias d'Orchomène.Tout ce qu'il sait, c'est que les Orchomé-
niens lui attribuaientl'épigrammefunéraireplacée au tombeau

(1) Dans leurcommentaire (Paus, ad loc.)Hitzig-Bluemner fontdes diffi-


cultésau sujetdeneQmXo/jLêvœv êviavrœv. L'expression signifiesimplement:
« dansle coursdestemps». Y a-t-ilfusionde deuxtraditions, Oioklosd'une
part,les Aloadesd'autrepart? La questionn'influe pointsurnosconsidéra-
tionsultérieures.
(2) A moinsqu'il ne failleidentifier(avecBergk,Griech. Lit. Gesch.II 72,
16) cetHégésinous avecHégiasde Trézène,citéPaus. I 2, 1. Dans ce cas,
Pausaniasl'auraitconnusans s'en rendrecompte. au reste,
L 'identification,
ne nousavanceaucunement.
(3) AppeléovyyQa(pt¡ 38,9.Etait-cedoncun discours
ici et Àôyoç decontenu
historique?Cf.la préposition êç dansle titrede l'ouvrage.

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LES TROIS MUSESDE L'HÉLICON 293

d'Hésiode. Ce tombeau, on le sait, se dressait sur l'agora de la


ville (*). Il n'y a aucun argumentsérieuxà fairevaloir contrel'his-
toricitéde ce Chersias(2). Et même s'il fallait se résoudreà y voir
un personnagefictif,nous devrionsencoreconclureque déjà avant
Aristote(3) il existait une traditionattribuantà un vieux poète de
ce nom l'épitaphe orchoménienned'Hésiode. Mais j'estime que
Kallippos de Corinthen'a rien inventé,et, si nous acceptons Cher-
sias - puisqu'enfinil faut bien que l'épigrammeait eu son auteur
- pourquoi rejeter Hégésinous? Il n'est pas le seul personnage
absolumenthistoriquedont nos textes ne donnentle nom qu'une
seule fois.
La ligne de développementde la traditionnous mène donc non
seulement à Ascra ; elle nous conduit également à Orchomène.
D'autre part,elle passe de proposdélibéréà côté de Thespies, dont
elle contreditles convictionsles plus chères. Cette rivalitéde trois
villes, deux contre une, au point de vue de traditionsprécieuses
au moinspour deux d'entreelles,Ascra et Thespies,trouveun paral-
lèle frappantdans l'histoirepolitique et militaire. Ce qui est na-
turel d'ailleurs. La ville natale d'Hésiode a été détruite par la
grande rivaleet c'est Orchomènequi a recueilliles survivants. C'est
ce que nous lisons de nouveau dans Plutarque (Comm. Hes. 60
p. 81 Bern.), en ces termes: 'Aoíxrjtová' avrò (Ascra) o IIXov-
TCLQ%OÇ lorOQEÏXdì XÓX S eÎVCLI
, 0 SOTZléCDV
aveÀÓVTCDV roèç ohcovv-
raç, 'OQ%ofievi(ovôè rovç aœOévraç deÇa/uévcov • ôdev naì ròv
Oeòv 5Oqxo/jlsvíoiçnQootáÇai rà *Haióòov Xeíipava Xaßelv xal
'
Oáipai noQ avroïç, œç nal 9AQiaroréXr]ç q>r¡olyqácpoivvf¡v9Oq%o-
¡bísvítov TtoXirelav.
Il va de soi que les œuvres du célèbrepoète béotien ont été étu-
diées de près tant à Ascra et Orchomènequ'à Thespies. De part et
d'autre on a espéré trouverchez lui de quoi appuyerla thèse pré-

(1) Cf.Cert.Hom.Hes. 14;Paus. IX, 38,3 ; VitaHes.infine; le toutdérive


de VÖQxofievicov noXneía d'Aristote (V. Rose, Arist.pseud.p. 505 s.).
Voici l'épigramme:
"AúTCQrj
fjLEV
TiatQlç7toXvXr¡iog, àXXàOavóvroç
ôaréa nXr¡^Í7i7ioyv
yf¡ Mivvcõvxaré%£i
rHglóôovrov
nXeíarovêv âvÔQíÓTioiç nkéoçearIv
âvÔQ&v xQivofjLEvcovêv ßaadvcp oo(p¿r¡g.
Il est plusque probableque c'est effectivement
l'épigramme de Chersias.
(2) W. Schmid, Griech.
Lit. Gesch.I 1 p. 292exprimedesdoutes.
(3) Voirn. 1.

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294 B. A. VANGRONINGEN

férée. Ici Ascra a dû baisser pavillon devant la rivale. Non seule-


ment Hésiode s'exprime en termestrès malveillantsà son égard
'
en l'appelant xco[¿r}oi£vQr¡, %el¡xanaxrj, dégei aQyaXérj , ovôè nor
èodXrj{Trav, 639 s.) (*), mais en outre il adopte sans la moindre
apparence d'hésitation la tradition thespienne des neufMuses.
Nulle part il ne met sa ville natale en rapportavec les déesses de
l'Hélicon ou avec leur culte. Là où il aurait pu les nommerensem-
ble, p.ex. dans le proème de la Théogonie, il n'y songe pas. Im-
possible de préciserjusqu'à quel point cette attitude est due éga-
lement à l'aversion qu'Ascra lui inspirait. Nous aimerions tant
savoir si, oui ou non, la petiteville jouait ou prétendaitjouer pen-
dant une certainepériodeun rôle prépondérantdans l'organisation
des Movoeïa, et si la lutte malheureuseavec Thespies avait comme
enjeu la préséanceaux fêtes. Tout ceci doit resterobscur,malgré
une certainevraisemblanceimmédiate. Ce qui ne l'est pas, c'est
que Thespies n'avait qu'à se louer du grand poète. Il avait bien
méritéla statue de bronze sur l'agora (2).
Mais les adversaires? Mais Orchomèneet surtoutAscra? Re-
noncer à l'unique gloire littérairequi ornait son blason? Il n'y
fallaitpoint songer. C'est ici que l'on commenceà saisir la portée
de cette nouvelle traditionrapportéepar Pausanias (IX, 31, 4) :
Boicotœv ôs oí neqì ròv 'EÀixœva oìxovvreç (nous les connaissons
ôó^rj Xéyovow <bç ãXXo rHoíoòoç noirjoeiev
déjà) 7iaQ£ihr¡/j,jbiéva
ovôèv fj rà "Egya * nai rovrcovôè rò êç ràç Movaaç â (païQovoi
TtQooljuiov,aQxr¡vrfjçnorfoecoçeivai rà êç ràç "Eçiôaç Àéyov reç
(les vers 11 ss.). Kat ¡âol ¡löXvßbov èòeínvvoav ... rà noXXà vuiò
• v
rov xQÓvovXeXv¡Áaa[jLévov èyyêyqanrai ôè avrcorà Eqya (3). Une
table de plomb éveille la méfiance,mais en tout cas les partisans
d'Ascra ont riposté aux argumentspoétiques de Thespies en pro-
clamant la fausseté des textes défavorables: toute la Théogonie
et le proèmedes Travaux. Le sacrificeétait gros,sans doute, mais

(1) Mêmele termede xwjliť) sembledésobligeant à dessein; Ascraa sans


de
aucundoutejoui du statut nóÀiç.
(2) Encoreau ne siècleavecnotreèreil y avaità Thespiesune sociétéde
"
avvdvrrjrã[i McúúácovEiaióòeioi (Ditt.Syll.3 1117). Le termes'explique
aisémentsi Tonadmetqu'elleconsidérait le poèteantiquecomme du
initiateur
cultelocal des Muses.
(3) Mayer,Z./.p. 696entrevoit de cettehypothèse,
la possibilité sanspou-
voirl'admettre.J'estime que l'étudedes donnéesobligeà l'accepter.

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LES TROIS MUSESDE L'HÉLICON 295

que n'a-t-on pas sacrifiéen Grèce par chauvinismelocal? D'ail-


leurs,ils n'ont pas été les seuls à douterde l'authenticitédu proème
des Travaux. Voici ce que rapporteProclus (Op. Hes.praef. II 3 s.
G.): on ôè to 7CQOO ífiióv nveç ôiéyQaipav,coojzsq äXXoi re Kai
3
Aqíot(xqxoQoßsXiCcovtovç or¿xovQ-xa i IlQaiiqjávrjç o rov &eo-
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rv%elvcprjaivaTtQOO ipuáor co rã> ßißXicoxaì âQxo/J,évq)
xœQk
éniHXr¡oe(úQ rœv Movocov(1). Un savant de l'importanced'Aris-
tarque a donc nié l'authenticitéde ce proème; il ne l'a certespas
fait sans argumentssérieux; nous les ignorons,mais ils auronttrès
probablementété fournispar des partisansde la théorieascréenne
Et cet exemplaireque Praxiphanèsa eu en main, était-iloriginaire
de la Béotie? Impossiblede le dire,mais les habitantsd'Ascra,les
survivantsadoptés par Orchomèneet les « habitants de l'Hélicon »
qui conservaient,dans une hostilitésourde ou ouverteaux présen-
tions de Thespies, le souvenir de la traditionconcurrente,n'ont
certes accepté que des exemplairestronqués de la même façon.
La traditiona été tenace : Praxiphanès la connaît au me siècle
avant notreère et Pausanias encoreun demimillénaireplus tard(2).
Il ne semblepas que Thespies ait réussi à se gagnerles sympathies
de ses voisins.
De la sorteun débat acharné qui a, pendant des siècles,mis aux
prises des groupes de Béotiens, ne se reconstituequ'à l'aide de
données éparses, tandis que même des conflitsrelativementpeu
importantsqui ont agité la vie d'Athènes,cette« Hellade de l'Hel-
lade », se suiventaisément. Il est donc inexact d'exiger ailleurs la
mêmerichessede donnéeset, du momentqu'elles ne sont pas aper-
tementfausses, il est de bonne méthodede les accepter. C'est le
cas dans celles qui nous ont occupé. Chacune d'elles n'a qu'une
valeur bien mince et rien n'est plus aisé que de les écarter. Mais
mises ensemble, elles constituentun tout remarquablementco-
hérent.S'il nous était possible de situeravec quelque précisionla
destructiond'Ascra, il serait plus facile de dresserune espèce de
tableau chronologique. Maintenant nous n'avons qu'à constater

(1) Autrestextesdansl'apparatde Rzach,1902,p. 127.


encoreun autrevestigede tradition
(2) Il y a peut-être à Ascra.
favorable
Zénodote, nousdit Strabon(IX, 413) lisaitdansle CataloguedesVaisseaux
(B 507) nonpas "Agvqv,mais"AoKQrjv.
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296 B. A. VAN GRONINGEN

qu'au temps de Pausanias il existe encore en Béotie une tradition


qui remonteau-delà d'Aristoteet qui a persistémalgrétous les ef-
fortsque Thespies,pendant des siècles seule organisatricedes fêtes
en l'honneurdes Muses,a dû fairepourla jeter dans l'oubli. Curieux
exemplevraimentde la ténacitéde souvenirsactivés par le ressen-
timent!

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