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Avertissement : cette correction ne prétend pas voir tous les aspects des trois sujets.

Elle est une réflexion


à « chaud » sur trois sujets d’inégale difficulté et qui nécessitaient un travail de réflexion, d’écriture et
d’analyse avant tout.

Aucune référence, aucune interprétation obligatoire n’était requise. Cependant le bon devoir de
philosophie est celui qui est « ouvert » sur le juste, le vrai du sujet. Le bon devoir de philosophie est celui
qui montre un intérêt pour le sujet et une volonté de le traiter avec sérieux, souci de bien faire dans le
détail et la généralité sans ignorer et l’un et l’autre.

Ces corrigés sont faits sur le « vif » et des améliorations peuvent évidemment être apportées à ce
traitement. D’autres dimensions des sujets pouvaient être envisagées.

Sujet 1 : La liberté est-elle menacée par l’égalité ?

Comme le deuxième sujet, celui-ci pose de la question de l’articulation de deux concepts importants : celui
de liberté et celui d’égalité. En principe l’égalité est envisagée comme une notion positive. Favoriser
l’égalité semble être de nature à favoriser la justice et la liberté ? Mais est-ce toujours le cas ? Il y a une
logique que l’on appelle l’égalitarisme qui est une dérive de l’égalité. La question est de savoir à quelle
condition l’égalité favorise la justice. Car qui peut se prétendre libre lorsqu’il subit l’injustice ? Le propre de
la justice n’est-elle pas précisément de pouvoir nous priver aussi de notre liberté ?

Mais ce sujet nous pose d’autres questions : à partir de quel point la trop grande prise en compte de
l’égalité nuit-elle à la liberté ? Quelle est la limite à partir de laquelle l’égalité devient un frein à la liberté ?

Cette question -et celles qui lui sont périphériques - est importante d’autant qu’un mot fort constitue la
jonction entre la liberté et l’égalité c’est celui de « menace ». Menacer un être c’est risquer de le réduire,
de le détruire même. . Dans certains cas l’égalité peut nuire à la liberté mais quand et pourquoi ? Telle est
notre interrogation.

Pour répondre à cette question, il fallait sans doute introduire une distinction entre égalité et identité.
Nous sommes tous égaux mais nous ne sommes tous identiques. Nous avons tous le droit d’être reconnus
dans notre différence et l’injustice c’est précisément le fait de traiter tout le monde de la même manière.
Pourtant l’injustice c’est aussi le privilège indu, l’excès de biens accordé à certains au détriment du plus
grand nombre.

Rousseau l’a bien montré dans le Contrat social, lorsqu’il rappelle par exemple que le droit du plus fort
n’est jamais du droit mais de la force. De même Sieyès, lorsqu’à la veille de la Révolution, il critique les
privilèges qui peuvent tuer une nation car certains ont tout alors que d’autres non rien.
Dans ce cas c’est l’ignorance de l’égalité, du fait que chacun de nous sommes « frères » humains comme le
dira plus tard Albert Cohen qui fait que certains sont plus égaux que d’autres et d’autres plus aliénés que
certains.

Il est difficile d’être libre si certaines personnes autour de nous cumulent tout : pouvoir, richesse, savoir,
connaissances, relations. L’homme est ainsi fait qu’il peut avoir tendance à abuser de sa position et en
abusant il peut priver l’autre de sa liberté et donc de son droit à la différence.

L’ignorance d’une certaine égalité des hommes qui serait ici prise en compte de leur égale humanité
conduit parfois à la perte de toute liberté. En effet, la liberté ce n’est pas la liberté de quelques uns et la
prison pour les autres. La liberté c’Est-ce qui permet à chacun de vivre sa différence or comment la vivre
lorsque l’égoïsme outrancier de certains privent quelques autres du minima ?

La liberté se construit donc par certains côtés par une certaine prise en compte de l’égalité, entendue ici
comme égalité de notre condition d’hommes, égalité de chacun d’entre nous devant notre droit à voir
reconnu notre différence. Mais l’égalité ne doit pas être le dernier mot de tout discours.

C’est peut-être le deuxième point qu’il fallait traiter, il est des cas où au nom de l’égalité, certains
deviennent injustes et privent les autres de leur liberté - entendue ici au sens où ils emprisonnent autrui où
ils l’enferment dans des privilèges - ceux là s’appellent égalitaristes. Ils font passer l’égalité au-dessus de
tout mais ils oublient que celle-ci n’est pas la seule valeur pour construire le droit et la liberté.

Etre juste c’est aussi savoir tenir compte des différences et du mérite de chacun.

Etre juste c’est donner à chacun ce qui lui revient et nul ne peut vivre libre s’il ne lui est pas donné ce qui lui
revient ou si on refuse de le lui donner malgré ses efforts et ses mérites, sous prétexte simplement que
tout le monde peut tout avoir, n’importe comment. La liberté ce n’est pas la licence car la licence c’est faire
tout ce que je veux mais aussi faire donc n’importe quoi. Or être libre ce n’est pas faire n’importe quoi c’est
faire advenir la Liberté. Mais quelle est-elle ?

Platon le remarque dans les tous premiers livres de la République. La démocratie meurt parfois au nom du
fait que tout le monde s’estime avoir tous les droits. A ce moment là le goût de l’effort se perd et avec lui le
sens de la valeur humaine. Certains hommes, certaines femmes valent plus que d’autres et être juste c’est
accepter de tenir compte de leur valeur.

C’est au contraire nuire à sa liberté de jugement que de vouloir que tout le monde soit identique et égal en
ce sens, que tout un chacun soit un modèle en tous points. Les hommes ont leurs petits défauts et - par
exemple on ne juge peut-être pas seulement la valeur d’un homme politique aux seuls petits écarts qu’il
peut commettre - être juste et libre dans son jugement n’Est-ce pas d’abord se demander si cet homme est
un excellent politique, s’il se distingue des autres par sa connaissance des dossiers, par son sens de la
liberté et de l’égalité ? Etre libre dans son jugement est-ce vraiment ne juger qu’un homme à un acte alors
que sa vie témoigne d’une grande valeur ?
L’égalitariste ne veut rien entendre de la valeur et de la distinction. Pourtant certains êtres sont distingués
et d’autres ne le sont guère. Certains n’ont honte de rien et d’autres respectent un peu plus leurs
semblables sans pour autant être des saints. Or l‘égalitarisme veut tout égaliser et parfois il ruine l’idée
même de valeur au nom pourtant de laquelle il fonde sa légitimité. Or si l’égalité vaut c’est parce qu’il y a
des valeurs et s’il y a des valeurs c’est donc que tout ne se vaut pas, qu’il y a des différences. Tout le monde
ne veut pas l’admettre cependant.

Tocqueville reprend d’ailleurs cette critique platonicienne de la démocratie dans la Démocratie en


Amérique. Il évoque même une passion égalitaire qui nuit à la liberté même puisqu’à terme l’Etat
démocratique au nom de la prétendue égalité peut vouloir devenir le plus tyrannique qui soit.

Cependant, Tocqueville était un Aristocrate, certains pensent qu’il était un post-moderne déjà critique des
valeurs soutenus par la Révolution ? Ne soutenait-il pas une classe particulière ? Certains au nom de
l’égalité n’utilisent-ils pas cette critique pour introduire le retour de la ploutocratie qui est le règne des plus
riches et non des meilleurs ?

Si la liberté ne passe pas par l’égalité à tous prix et si elle implique prise en compte de nos différences ainsi
que des valeurs de chaque homme, comment mesurer ces valeurs, comment faire en sorte d’équilibrer ces
deux logiques et ces deux concepts, comment articuler liberté et égalité ?

Ce troisième moment est le moment dans lequel, tenant compte peut-être de l’histoire il s’agit de penser
un espace politique mais aussi familial et amical qui permette à la fois de conjuguer l’envie de liberté de
tous et la différence de chacun. Nous le savons, il ne faut pas ignorer le fait d’une certaine fraternité entre
les hommes, il ne faut pas ignorer l’impartialité mais nous savons aussi que tous les hommes ne se valent
pas, qu’il en est qui sont effectivement plus égaux et plus valeureux que d’autres , ce sont ceux qui ont
l’esprit noble, le sens du courage, de la vertu ?

Ce mot de vertu est galvaudé. Pourquoi alors ne pas parler d’éthique ? Certains plus éthiques que d’autres
méritent peut-être d’être valorisés et lorsqu’ils sont valorisés ils permettent l’accroissement des libertés
des autres.

Platon, pensait que ces hommes ne pouvaient être que des philosophes et dans la République il appelle de
ses vœux un pays gouverné par les philosophes. Mais le politique doit-il être philosophe ? Le philosophe,
pour Platon est celui qui aime passionnément la vérité. Mais l’amour de la vérité peut parfois se révéler
pathologique et Nathalie Sarraute l’a bien montré dans son beau et court texte intitulé le mensonge. Alors
comment sélectionner les meilleurs éthiquement et moralement ? Nous faut-il des saints mais le saint est-
il celui qui favorise et pense la liberté des autres ? N’est-il pas parfois cet homme exigeant - trop pour lui-
même - et qui finit par n’avoir aucune compréhension pour nos petites faiblesses ?

Cette question de l’articulation entre liberté et égalité est le cœur du maître livre de John Rawls intitulé la
théorie de la justice. Rawls admet l’inégalité, il admet que certains aient plus et d’autres moins mais ce
principe de différence doit être soumis au principe de liberté. Le pouvoir donné à certains ne doit pas être
un moyen pour leur permettre de nuire à la liberté d’autrui. De plus ce pouvoir doit reposer sur une stricte
égalité des chances devant les concours, les postes et aussi par le souci du plus démuni, du plus humble. Et
pourquoi ne pas choisir le meilleur en fonction de son souci pour le plus grand nombre ? Cette démarche
utilitariste gène Rawls, tout comme elle gênait Rousseau car elle suppose qu’au nom de la majorité il est
souvent facile d’exploiter le plus faible.

L’éthique pour Rawls implique précisément prise en compte des différences qui affaiblissent : la femme
isolée, l’étranger, l’enfant sont à protéger plus que les autres. Celui qui vit dans l’exil également. Mais que
faire alors lorsque deux exilés se rencontrent ? C’est la véritable question.

En conclusion, chacun s’accorde sur le fait qu’entre ces deux valeurs que sont la liberté et l’égalité c’est le
souci de tenir compte des singularités de chacun qui importe mais ce souci peut conduire à l’égoïsme et ce
règne de l’égoïsme est liberticide car à terme il détruit la nation, la cité et les groupes. Il faut donc trouver à
nouveau la limite à partir de laquelle le trop d’exigence de liberté nuit à la l’égalité et où le souci de l’égalité
risque de nuire à la liberté et choisir entre l’une et l’autre ou ne pas choisir et privilégier une valeur
supérieure à toutes les deux qui est peut-être le souci du lien vivant, de la vie et de la limite justement.
Sujet 2 : L’art est-il moins nécessaire que la science ?
Ce sujet interroge sur une possible subordination entre l’art et la science du point de vue de la nécessité.
L’un a-t-il plus de valeur que l’autre ?

C’est une question importante car l’art est souvent rangé du côté du superflu, de la « fanfreluche », du luxe
alors que la science est considérée comme indispensable, vitale même.

L’art est-il un luxe dont on pourrait se passer et la science un moyen incontournable. Un mot relie ici ces
deux concepts à travailler : celui de nécessité. Lequel de ces deux concepts se situe au plus prés de la
nécessité ? Lequel est-il le plus humain et le plus proche de notre humanité ? Telle est sans doute la
question.

Tout dépend peut-être du sens que l’on donne à ces deux termes. Si l’art s’entend au sens du
divertissement, de la fuite devant les écrans pourvu qu’ils soient allumés alors la réponse est sans conteste
positive : l’art ici devient superflu mais l’art est plus que cela. Il ne se résume pas à la fuite devant les
images virtuelles et à l’abrutissement. Il n’est pas que divertissement mais quel est-il et quel est le lien qu’il
entretient avec la science ?

Pour répondre à cette question, il est peut-être intéressant - mais non point nécessaire - de réfléchir sur les
distinctions à introduire entre les différentes formes d’art. Il y a art et art. Tous ceux qui produisent des
travaux qui se prétendent artistiques ne le sont pas. Tous ceux qui se disent artistes ne sont que des
illusionnistes. Mais comment faire la différence en ce domaine et qui placer du côté de l’accessoire et qui
ranger du côté du nécessaire ?

Cette question est celle que Socrate se pose à la fin du Livre X de la République. Il veut chasser les poètes
de la cité car ceux-ci, à l’image d’Homère se sont trompés de fonctions, ils se sont pris pour les instituteurs
de la cité.

L’artiste n’est pas un instituteur et ne peux donc à ce titre prétendre gouverner la cité. Pour gouverner, il
faut avoir une science au sens « d’épistémè » , c’est-à-dire qu’il faut connaître les essences des choses, ce
qu’elles sont dans leur réalité et leur profondeur.

Ceci ne signifie pas que Platon condamne tous les arts. Il fustige ceux qui se prennent pour ce qu’ils ne sont
pas. De même il n’aurait pas condamné la communication par exemple en politique ou dans l’entreprise.
Ce qu’il condamne c’est plutôt l’inversion : l’artiste qui décide à la place du politique. Or l’artiste n’est pas le
politique pour lui. Le Politique c’est celui qui a la science et qui sait. L’art, comme il le montrera, dans le
Phèdre, reste une bonne propédeutique, une manière de préparer à la science et il doit donc lui être
subordonné.

Seulement rappelons- le, pour Platon, la science ce n’est pas notre science moderne c’est le savoir des
essences.

Alors précisément, aujourd’hui la science s’entend surtout au sens du travail du scientifique et du savant.
Le savant passe-t-il avant l’artiste ? Est-il celui qui saisit véritablement le vrai ? Le risque n’est-il pas à côté
de la dérive du trop artistique d’une dérive vers le trop scientifique, le scientisme ?
La question d’une science omniprésente et l’omniprésence de la science peut conduire à l’occultation de la
vérité. Trop de savoir scientifique peut parfois nuire à la saisine de la vérité et aussi ignorer cette manière
juste de saisir le vrai qu’est l’intuition.

Schopenhauer, dans le Monde comme volonté et représentation, reprenant pourtant le programme


Platonicien, soutient ainsi la supériorité de l’art sur la science. L’artiste, le poète voit plus et mieux que le
scientifique car il est dans l’intuition. Il saisit immédiatement les choses dans son essence. De plus, sa vision
et sa saisine du vrai sont désintéressés.

Schopenhauer - et Nietzsche avec lui dans sa naissance de la tragédie - fustigent le scientisme du XIXème
siècle Européen. Le vrai savoir pour eux c’est celui de l’artiste.

Mais l’artiste qui est-il ? N’est-il pas celui qui vit dans les songes et l’imagination au détriment du
scientifique qui vit plus exactement dans le réel ? N’y a-t-il pas aussi une pathologie de la création artistique
et de la culture en général qui relierait d’un certain point de vue le savant et l’artiste et pour aller vers le
vrai ne faut-il pas plutôt sortir de cette pathologie de la culture en général ?

Ce dernier point a été abordé par la psychanalyse et notamment dans le très beau texte, intitulé malaise
dans la culture de Freud. Freud montre que souvent l’artiste et le savant sont des êtres diminués qui fuyant
le contact avec le monde risquent de reproduire leurs fantasmes sur le monde et ainsi de l’ignorer.

Ce qui pose problème dans leurs démarches respectives ce n’est pas le fait qu’ils soient artistes ou
scientifiques mais plutôt qu’ils oublient de vivre et d’être au nom de leurs sciences. Ce qui pose problème
dans leur démarche c’est qu’au nom de la culture ils oublient les véritables valeurs , celles qui sont
nécessaires à l’homme : le souci du juste, du vrai, du bien, du bonheur, de l’autre et de soi, de la vie en
général.

En conclusion, si l’art et la science sont au service d’un fantasme de pouvoir ou de domination sur l’autres
aucun des deux n’est plus nécessaire que l’autre. Tous les deux sont devenus des accessoires, des leurres.
Ils ne deviennent nécessaires que lorsqu’ils nous aident à être plus heureux, plus libres, plus justes avec
nous et avec les autres. A défaut ce ne sont que des futilités propres à culpabiliser ceux qui n’ont pas de
culture, à les rejeter et ainsi à les humilier, à leur faire honte pour ce qu’ils ne seraient pas et au nom d’un
prétendu savoir de les humilier.
Sujet 3 Explication du texte de Sénèque

Le problème du texte est le suivant : certains soutiennent que le don purement gratuit est impossible, que
l’on attend toujours quelque chose en échange de ce que l’on donne, que c’est « toujours un vif calcul » qui
me rend généreux. Sénèque interroge cette doctrine et la contredit. Son texte se présente comme un
raisonnement par l’absurde elle-même constituée par une série d’exemples assez concrets et très
différents : le testament, l’aide à l’étranger, l’aide au naufragé, etc…

L’idée est de dire que si cette thèse était vraie alors il n’y aurait pas toute cette série d’actes gratuits que
connaissent généralement les hommes et qu’ils accomplissent parfois plus que les médias par exemple - ou
l’histoire - ne le reconnait parfois.

Si le don gratuit n’existerait pas je n’aiderais pas l’inconnu qui vient de faire naufrage, je ne réglerais pas
mes dispositions testamentaires et répartissant mes bienfaits dont je ne retirerai aucun profit. Cette
logique est donc absurde. L’histoire de Schindler qui sauve des vies, les résistants et les martyrs de toutes
les époques sont là pour donner raison à Sénèque. L’homme n’est pas, contrairement à ce qu’a pu penser
un certain utilitarisme un être qui ne pense qu’à son intérêt à court terme. Il est homme et donc humain
aussi.

Dans un second moment, Sénéque va même plus loin en soutenant même que la vraie générosité ignore
l’intérêt. Pour lui, on est même réellement et purement généreux dans ce moment de pur
désintéressement.

Pour Sénèque, la vraie générosité est un don et n’est pas un échange. La deuxième partie est conclusive.
En effet, « nous ne donnons jamais plus méticuleusement, jamais nos choix ne sont soumis à un contrôle
plus rigoureux qu’à l’heure où l’intérêt n’existant plus, seule l’idée du bien se dresse devant notre regard ».
Pour Sénèque celui qui échange pour éviter de donner est dans la fuite. Il ne voit pas et ne veut pas voir ce
pour quoi il a donné. Or c’est lorsque l’on donne vraiment pour rien que l’on donne vraiment car dans ce
moment, il n’y a plus que l’idée du bien plus que celle du juste qui nous travaille.

Ce texte est donc également une thèse qui privilégie le bien sur le juste. Il plaide pour une générosité pure
exempte de tout intérêt. Il critique donc ceux qui ignorent la logique du don gratuit.

Il pouvait faire (accessoirement et pas nécessairement car l’essentiel était de rendre du problème du texte)
l’objet de trois types de critiques :

• une critique interne, lorsque Sénèque évoque le « don » fait post-mortem, il écrit que certains
pensent que nous n'obtiendrons aucun profit de nos bienfaits. Mais certains ne lèguent-ils pas à
d'autres pour soulager leur conscience ou se mettre en paix avec eux-mêmes ? Dans ce cas ne
peut-on parler d'intérêt ? Que dire de ceux qui agissent afin d'obtenir la reconnaissance des Dieux ?
Mais à cette critique, Sénèque pourrait répondre qu'il ne s'agit pas ici d'intérêt mais de souci de soi
et de la transcendance. Si intérêt il y a c'est un intérêt élevé qui n'est peut-être pas aussi
condamnable que l'intérêt mesquin qui consiste immédiatement à obtenir retour de ce que l'on a
pu donner.
• Une critique plus radicale peut être faite à cette démarche et à Sénèque, certains pouvaient
associer René Girard. Au nom d’une morale du sacrifice et du désintéressement c’est souvent une
logique du bouc émissaire et de la culpabilisation qui s’opère. Ce sont souvent les même à qui l’on
demande de se « sacrifier », d’agir pour le bien de tous en s’ignorant soi ? Cette démarche du don
est toujours sacrificielle.
• On pouvait avec Marcel Mauss et son essai sur le don, montrer qu’en fait les attentes dans le don
et l’échange ne sont pas les mêmes. Dans l’un on attend un intérêt immédiat, un retour alors que
dans l’autre c’est une attente pour soi, le rejet de toute honte ou une attente pour une
transcendance qui nous anime.

Ou bien avec Aristote, il pouvait également être rappelé que toute morale constituée sur un modèle
contient une part culpabilisante. Sénèque propose un sacrifice absolu, le rejet de toute contrepartie mais
peut-on demander le même désintéressement à celui qui a vécu toute sa vie dans la misère et celui qui a
connu les fastes et l’argent et qui sait ce qu’elles sont ? Peut-on demander la même chose à celui qui vit
dans un milieu où tout le monde autour de lui « possède » quelque chose et celui qui vit dans un milieu où
tout un chacun est dépossédé ?

Ne sont-ce pas souvent ceux qui ont tout qui demandent à ceux qui n’ont rien de se sacrifier ? C’est là aussi
une question d’ordre éthique sur lequel ce texte pouvait nous interpeller Si l’éthique ce n’est pas demander
aux hommes de n’être que des êtres moraux car ils ont un physique ce n’est pas non plus demander à
autrui ce que je ne fais pas moi-même sans doute.

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