Vous êtes sur la page 1sur 46

i

Epigraphe

« Toute organisation sociale qui retarde le développement d’une seule personne


porte atteinte au bien commun. Celui-ci se mesure à sa capacité de permettre le
développement intégral de chacune des personnes».

Michael NOVAK

Le bien commun est « le bien du ‘nous-tous’ », un « nous-tous » qui recouvre les


personnes, les familles, tous les collectifs (associations, entreprises, syndicats,
communautés, réseaux…) sans lesquels il n’y a pas de vie sociale possible. Un
« nous-tous » inclusif qui refuse que certains soient sacrifiés au profit du plus
grand nombre. Un « nous-tous » qui ne s’arrête pas aux frontières d’une
communauté particulière, ni mêmes aux générations présentes : le bien commun
est celui de l’humanité, présente et à venir.

Pape BENOÎT XVI

«Le bien commun est cet ensemble de conditions sociales qui permettent tant
aux groupes sociaux qu'à chacun de leurs membres, d'atteindre leur perfection
d'une façon plus totale et plus aisée.»

CONCILE VATICAN II

« La vie commune requiert la charité ; tandis que l’égoïsme est son ennemi. En
fait, l’égoïsme, petit à petit, pousse à former un modus vivendi propre et
individuel : alors chacun prend le maximum de biens et donne le moins possible
de sa part.»

Bx Jacques ALBERIONE
ii

Dédicace

A ma tendre tante, la Demoiselle Germaine IPI,

A mon père dans la Foi, Fréderic Monsengwo, Prêtre des Fils de l’Immaculée
Conception (Conceptioniste),

… je dédie cet édifice, signe de reconnaissance et d’affection indéfectible!


iii

Avant-propos
Au terme de notre cycle de graduat en philosophie à l’Université Loyola du Congo (ULC), la
normalité des choses nous impose d’élaborer un travail de fin de cycle qui se veut une
modeste contribution à la réflexion sur la question de la société pluraliste et le bien commun.
Nous tenons à exprimer notre profonde gratitude à l'endroit de tous ceux et toutes celles qui
nous ont soutenus tout au long de notre parcours académique jusqu'à aujourd'hui.

À l’abord, nous disons merci à Dieu de qui nous possédons le souffle de vie et le don du
savoir. A Lui, haute gloire, louange éternelle! Pour nos chers parents, MBOKOSO Claude et
OLESI Yvette qui ne cessent de nous aimer inconditionnellement, nous leur en savons le gré
et à tous les autres familiers qui nous ont toujours soutenus et qui se préoccupent sans cesse
de notre bonheur, nous leur témoignons de notre reconnaissance. Notre reconnaissance ne
saurait ignorer les contributions apportées par certaines gens quant à la réalisation dudit
travail, en l'occurrence : les Révérends Pères Fréderic MONSENGWO, Patrick NSHOLE et
nos tuteurs papa Simon FEMBE et maman Catherine MALA.

Nos remerciements vont particulièrement à l'endroit du professeur Willy MOKA-MUBELO,


prêtre de la compagnie de Jésus et Doyen de la faculté de philosophie Saint Pierre Canisius
qui, en dépit de ses multiples occupations, a bien voulu assurer avec détermination, rigueur et
patience la direction de ce travail. Aussi, à la Révérende Sœur Amandine Bolongo, sa
constante disponibilité, sa clairvoyance, sa franchise et sa rigueur au travail, nous ont été aussi
précieuses que nous lui en savons gré. Ils nous ont émoustillés davantage en cultivant en nous
le goût pour la philosophie (politique). Nous profitons aussi pour exprimer notre profonde
gratitude à tout le corps professoral de la Faculté de Philosophie de l'Université Loyola du
Congo, surtout à ceux qui nous ont initiés à la lecture des textes philosophiques et qui nous
ont transmis les connaissances nécessaires. Notre reconnaissance ne peut passer outre la
contribution apportée par notre chère congrégation, la Société Missionnaire de Saint Paul pour
la confiance et le soutien qu’elle ne cesse de nous témoigner. Par elle, nous pensons à nos
formateurs de la propédeutique au postulat dont le père Déo TUTA et père Gillon MAKUNI,
à qui nous disons
iv

également merci pour l’accompagnement. Nos sincères gratitudes au Révérend Père Patrick
NSHOLE qui a réussi, d’une manière ou d’une autre, à mettre avec ferveur sa compétence à
notre disposition afin d’assurer la réussite de ce travail.
Nous tenons également à remercier tous les confrères Régis NGUDIE, Omer DIELA, Hervé
NGOY, Glody MAKUELA, Adonaï KANGA (mes amis et compagnons de lutte), Fidèle
ABEDI, Augustin NGOIE, Michel NZAMBI, Jonathan MAKILA, Bruno YANGALA,
Théophile ELULU, Ruphin KIBIPE, Stanislas NGOTO, Hénoch TSHIBANGU, Nicolas
MABWA pour la vie communautaire partagée ainsi que la formation reçue ensemble pendant
ce parcours de philosophie.

Enfin, les collègues avec qui nous avons partagé les mêmes auditoires durant ce cycle
académique. Nous pensons avant tout à Remy ISHAKU, Joseph BILIER, Baltasar KWETE,
Audrey MAKUTU et Glody MAKWELA avec qui nous formions le groupe d’études. Aussi, à
ceux qui ont contribué - dans une certaine mesure- à l’élaboration de cet édifice ; à tous ceux
et toutes celles qui nous ont fournis et suggérés certaines idées, dont le professeur Albert
MWAMBAY. À tous les acteurs dans l’ombre et dont les noms ne se retrouvent ici
mentionnés, nous disons un grand merci. Que Dieu vous bénisse ! A tous ceux et toutes celles
dont les noms n'ont pu être cités, qu'ils retrouvent ici l'expression de notre profonde gratitude.
INTRODUCTION GENERALE

0.1. Problématique
Le bien commun est une thématique complexe et polysémique ; il peut étendre sa
signification partant d’un domaine à un autre. En économie par exemple, il peut renvoyer aux
ressources qui peuvent être matérielles ou non. Pour ce faire, la notion du bien commun
occupe une place particulière dans la vie de l’homme. Lorsqu’il est mal compris, le bien
commun risque d’être perçu comme allant à l’encontre de la poursuite libre et diversifiée du
bien ; il en est de même dans la mégestion de la diversité qui devient source des maux et des
conflits. Le pluralisme peut s’entendre comme un environnement dans lequel les hommes
interagissent dans le strict respect des différences tant raciales, culturelles qu’autres.
Comment alors parler de bien commun dans la mégestion de la diversité des aspirations des
membres dans une société quelconque où chacun souhaite poursuivre son plein
épanouissement? La diversité sociale est un « fait naturel » et la façon dont les sociétés
répondent à leur diversité est un choix. Certes, la question du pluralisme demeure parmi les
préoccupations et réflexions de l’homme ; serait-elle une réponse positive à la diversité ? La
diversité est-elle un fardeau à supporter ou une opportunité à embrasser ?

La problématique de la compatibilité entre la société pluraliste et le bien commun


apparaît comme une contradiction et une ironie dans les sociétés actuelles marquées par le
pluralisme qui nie la reconnaissance, l’acceptation de la diversité d’opinions, des rationalités,
des modes de vie et tant d’autres. 1 Mettre en œuvre, une philosophie morale à la fois publique
et commune ne semble pouvoir se faire sans écarter toutes les conceptions particulières de la
«vie bonne». Au sein des régimes (politiques surtout) post-modernes éloignés les uns des
autres et fondés sur la revendication des droits, promouvoir la culture du bien commun, ferait
méthodiquement abstraction. D’où les questions fondamentales auxquelles nous tenterons
répondre dans cette investigation : la société pluraliste est-elle compatible au bien commun?
Quelle serait la place du bien commun dans une telle société ? Que signifie alors une société
pluraliste ? Quels y en sont les défis à relever en vue du vivre-ensemble authentique ? La
réalisation du bien commun dans une société pluraliste est-elle possible ?
De l’Antiquité à l’époque contemporaine, les philosophes n’ont pas eu de cesse à
s’intéresser à la question du vivre-ensemble authentique et harmonieux. D’où les nombreuses

1
Cf. Avant-propos de J.ONAOTSHO KAWENDE, Rationalité Pluraliste, Éthique et Société. Parti-pris d’une
philosophie pratique, Bruxelles, éd.Academia, 2016.

[1]
théories sur le savoir-vivre afin de faciliter cette harmonie dans la société. Notre intérêt se
situe donc chez l’un des grands philosophes de ce domaine, Michael NOVAK dans son
ouvrage Démocratie et bien commun. Il donne une théorie basée sur la catharsis de la vie
sociale, c’est-à-dire une diversité des rationalités comme moyen d’accueillir l’autre et de voir
en lui un alter ego, éthique véritable et même moyen de l’évolution de l’homme. Pour mieux
cerner le cadre de notre investigation philosophique, nous cogiterons sur la question : « Une
société pluraliste est-elle compatible au bien commun? Une lecture de la Démocratie et bien
commun de Michael NOVAK ».2 Dans le souci de répondre à cette problématique, indiquons
dans les lignes suivantes, l’importance de ce sujet.
0.2. Intérêt du sujet
Puisque selon Novak, «Un philosophe est un être humain qui n’est philosophe
qu’après[…] sa vocation étant la sagesse, son métier est d’explorer et d’éprouver la gamme
complète des facultés de l’esprit humain, d’imaginer de nouvelles façons pour l’homme de se
situer par rapport au monde qui l’entoure ».3 Ce présent travail vaut son pesant d’or en ce
qu’il comportera en son sein une analyse sur un schème capital en philosophie politique. La
philosophie politique est l’un des socles et l’une des bases de la vérité dans la façon dont
l’homme organise sa vie sociale en politique, sur les principes du vivre-ensemble dans une
société. Néanmoins, ce vivre-ensemble authentique devra être approuvé comme un métal
qu’on affine, et donc un mode de vie sociale basé sur l’acceptation de diversités.
En effet, notre planète traverse des moments de pericula de manière que les puissants
cherchent à tout prix à dominer les faibles ; où chacun veut tirer profit dans tout ce qu’il

2
Michael Novak (né le 9 septembre 1933 à Johnstown (Pennsylvanie) et mort le 17 février 2017 à Washington
(district de Columbia)1) est un philosophe catholique américain. Il a été représentant des États-Unis d'Amérique
à la Commission des Nations unies sur les Droits de l'Homme. En 1981, puis ambassadeur auprès de
l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe. Il était aussi titulaire de la chaire George Frederick
Jewett sur la religion, la philosophie et les politiques publiques à l'American Enterprise Institute. Avant sa mort
en 2016 et 2017, il était professeur à l'Université Catholique d'Amérique à Washington, DC. Michael Novak était
titulaire d'un M. A. en histoire et philosophie de la religion de l'université Harvard, et d'un baccalauréat en
théologie de l'université pontificale grégorienne. En 1994, il a reçu le prix Templeton. Il a contribué à de
nombreuses revues, dont First Things et la National Review. Il était membre du Conseil de l’Ave Maria Mutual
Funds.il mourut le 17 Février 2017 à 83 ans. Il a écrit de nombreux essais au sujet du capitalisme, de la religion,
et du processus politique de démocratisation. Michael Novak était un penseur dont les recherches n’avaient pas
d’égale à son époque, pas plus qu’à la nôtre. Comme intellectuel de renom, ses contributions s’étendaient sur
une ahurissante liste de champs – théologie, philosophie, journalisme, économie, poésie et fiction – rien que pour
les hors d’œuvre. Ses fonctions publiques ont compté un travail d’ambassadeur pour les droits de l’homme, un
travail de professeur, un travail d’orateur très demandé ; et ses services ont été reconnus par une impressionnante
liste de mises à l’honneur : 24 titres honorifiques, le Prix Templeton pour le progrès en religion, des prix offerts
par des associations et gouvernements d’Europe Centrale pour qui son œuvre monumentale « L’esprit du
capitalisme démocratique » servira de providentiel schéma directeur durant les années où ils se sont libérés de
décennies d’oppression communiste. Cf. sur www.washingtonpost.com (consulté le 14/04/2021).
3
M. NOVAK, La philosophie Réinventée. Essais pour une nouvelle génération, trad. de l’anglais par Marc-
André BÉRA, NEW YORK, TENDANCES ACTUELLES, 1976, p.28.

[2]
entreprend et promouvoir son intérêt personnel, les plus vigoureux se montrent égoïstes ; d’où
les personnes les moins avantagées ne voient pas le chemin par lequel passer en vue
d’atteindre le bien commun. C’est pourquoi ce sujet sur la société pluraliste et le bien
commun, nous semble important en vue de cerner les problèmes et les difficultés à réaliser le
bien commun dans une société pluraliste, sa portée véritable dans l’harmonie et l’équilibre de
la société actuelle. Abordant, pour ce, cette thématique telle que les lumières ont été jetées
dans Démocratie et bien commun, nous estimons Michael Novak à même de mieux nous
instruire en cette matière.
0.3. Méthode et architecture du travail
Dans le but de faire nôtre la pensée de Novak sur la question de la société pluraliste et
le bien commun, nous ferons usage d'une méthode analytique. Celle-ci consistera à mettre
l’accent sur les éléments constitutifs du texte de l’auteur ; dans le souci de mener à bonne fin
la construction de notre modeste édifice philosophique, afin de la saisir pour une meilleure
application dans notre vie de chaque jour, surtout de la vie éthico-socio-politique, c’est-à-dire
la coopération critique dans la quête de la vie sociale comme « normes des interactions socio-
politiques, culturelles, bref toute coexistence humaine respectueuse, pacifique et harmonieuse
qui régissent la gestion des collectivités ».4 Ce choix porté sur la méthode analytique trouve sa
justification du fait que dans l’analyse, l’accent sera mis sur les constitutifs du texte. À cet
effet, notre travail s’articulera autour de trois chapitres en plus de l’introduction et la
conclusion générale. Le premier chapitre, en préliminaire, traitera de l’élucidation
conceptuelle. Le deuxième chapitre-centré sur les difficultés à réaliser le bien commun dans
une pluraliste selon Novak, il s’agira de relever ce que notre auteur considère comme
obstacles, difficultés de réaliser le bien commun dans une société dite pluraliste. Enfin, le
troisième et dernier chapitre portera sur le bien commun à l’épreuve de la pratique dans la
société africaine pluraliste, où l’accent sera mis sur quelques préalables en vue de réaliser le
bien commun en Afrique.

4
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, trad. Par Marcelline Brun, préface de Bernard DE LA
ROCHEFOUCAULD, Paris, CERF, 1991, p.96.

[3]
CHAPITRE I : CLARIFICATION CONCEPTUELLE

Introduction
Dans ce premier chapitre, nous essayerons de définir quelques notions préliminaires.
Parmi les concepts que nous analyserons en termes des notions préliminaires, nous mettrons
l’accent sur les quatre concepts suivants : l’individu, la personne, la société pluraliste et le
bien commun; étant donné la question de la compatibilité entre la société pluraliste et le bien
commun suscite une contradiction, laquelle se laisse déjà appréhender dans le sens même du
binôme pluralisme et bien commun. Tandis que le premier se caractérise par la liberté
individuelle, le second se comprend par la propriété commune, par ce qui est partagé à tous.
Une telle élucidation conceptuelle nous permettra non seulement de bien cerner le sujet de
notre réflexion mais aussi et surtout à mieux saisir la pensée de notre auteur, Michael Novak,
tel qu’exposée dans son ouvrage Démocratie et bien commun. Puisque pour comprendre la
société pluraliste il faut savoir ce qu’est un individu, une personne, il importe d’étayer de
prime abord la signification de ce binôme (individu et personne).

I.1. BINOME INDIVIDU ET PERSONNE

L’usage courant a tendance à employer de manière interchangeable les termes


personne et individu. Mais ces deux termes doivent être confondus selon Novak car ils
désignent deux dimensions de l’être humain. Que signifient alors chacun ces termes chez
Novak et comment ce binôme est-il compris par Michael Novak ?

I.1.1. La notion de personne et d’individu chez Novak

André Lalande, dans Vocabulaire technique et critique de la philosophie, donne une


définition trilogique du concept de personne: anthropologique, juridique et moral. Au sens
anthropologique, la personne est conçue comme « Un être humain quelconque, sans désignation
de nom ou de personnalité ; au sens juridique, elle renvoie à l’être à qui est reconnue la capacité d’être
sujet de droit, tout être capable d’être titulaire et soumis à des obligations; au sens moral, le mot
personne fait référence à un individu auquel on témoigne un respect particulier ». 5
De cette trilogie ressort l’idée de la personne comme un être responsable, capable de
comprendre et de diriger ses propres actions indépendamment des autres. C’est en ce sens que
Novak dira : « Un arbre peut être différent de tous les autres et pourtant on ne peut le rendre
responsable de sa propre identité. Une personne humaine, elle, est responsable de sa propre

5
A. LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1926, p.495.

[4]
destinée. Elle est un individu doué d’intelligence et de liberté (choix) ».6 Quant au concept
d’individu, André Lalande le définit comme « tout être formant une unité distincte dans son
espèce ou dans son genre ; un être humain considéré comme isolement à partir de la
collectivité (les masses) dont il fait partie ou contre elle ». 7 En ce sens, parler d’individu, c’est
considérer seulement l’aspect matériel et physique des constituants d’une espèce donnée. Tel
est le cas des moutons dans un troupeau.
Il importe de dire selon Novak qu’un individu est simplement membre d’une espèce,
une incarnation unique d’une nature spécifique. 8 Cela revient à dire que la personne est un
concept d’une nature différente qui désigne un individu doué d’intelligence, de choix et de
liberté. C’est ce qui fait de l’autre un être responsable, capable de comprendre et de diriger ses
propres actions indépendamment de toutes pressions ou contraintes quelconques. Novak n’a
pu s’empêcher d’écrire : « La personne, contrairement à l’individu, est une partie de la race
humaine et pourtant aussi un tout : autonomie, se prenant en charge, cherchant à savoir et à
être relié à l’ensemble de la connaissance et à toute la capacité d’amour du monde ». 9 Dans la
perspective novakienne, chacun, en tant que personne, est lui-même un univers entier. Voilà
pourquoi sa liberté doit être respectée inconditionnellement dans l’espace qui lui est propre.
On s’aperçoit en outre que le concept de personne, tel que conçu par Novak, met en
lumière une caractéristique de seuls êtres humains. À la différence d’autres êtres vivants,
l’individu ne se distingue pas des autres membres de son espèce, sinon uniquement par les
seules caractéristiques physiques telles que les fourmis dans une fourmilière. Selon Novak, un
individu est simplement membre d’une espèce donnée, mieux encore, une incarnation unique
d’une nature spécifique, il le dit en ces termes : « Bien plus, la personne humaine est plus
libre et responsable, et ce qu’elle va faire de sa vie est entre ses mains. Chacun est per
subsistens: libre et indépendant de tout autre membre de l’espèce. Ni père, ni mère, ni frère, ni
sœur ne peut le soulager de cette responsabilité ».10
Un texte de Jacques Maritain illustre davantage la distinction entre la personne et l’individu :
[…] C’est parce qu’il est d’abord un "individu "dans l’espèce que l’homme, ayant besoin du
secours de ses semblables pour parfaire son activité spécifique, est ensuite un " individu " dans
la cité, une partie du corps social. Et à ce titre il est ordonné au bien de la cité comme au bien
du tout, au bien commun, qui est plus divin et comme tel plus digne d’être aimé que sa propre
vie. Mais s’il s’agit de la destinée qui lui convient comme "personne ", le rapport est inversé et
c’est la cité qui est ordonnée à cette destinée.11

6
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, p.38.
7
A. LALANDE, Op.Cit., p.495.
8
Cf. M. NOVAK, Démocratie et bien commun, p.38.
9
Ibid., p.174.
10
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, p.39.

[5]
Il va sans dire que chez Maritain tout comme Novak, l’homme ne peut pleinement être
une personne s’il est, « Un per se subsistens et un per se operans que dans la mesure où la vie de la
raison et de la liberté dominera en lui celle des sens et des passions ; sans cela il demeurera, comme un
animal, un simple individu esclave des évènements […] incapable de se diriger lui-même ; il ne sera
qu’une partie, sans pouvoir prétendre être un tout ».12

De ce qui précède, on peut affirmer selon Novak que chaque espèce tels que la plante,
l’animal et l’arbre avec leur situation particulière, est un individu. Parler ainsi de l’individu
d’après Novak, revient à parler de ce qui peut être situé, observé, vu, touché physiquement. A
ce niveau, c’est la dimension d’uniformité qui prime, dans la mesure où il est question de
l’espèce qui se reconnaît par les mêmes propriétés. A ce niveau d’individu, les hommes sont
les mêmes. En ce sens, « si on s’arrêtait à définir l’homme comme individu et si cette
définition épuisait la conception même de l’homme, on comprendrait que les hommes
vivraient facilement en communion de buts et d’intentions à l’aune d’un vol d’oiseaux ou
d’un banc de poissons ».13 Ainsi, le bien commun ne deviendrait concevable que lorsque
l’homme est pris seulement comme un individu. Dans ce contexte, le bien commun
apparaîtrait soit comme la somme du bien de chaque membre pris individuellement, soit
comme « le plus grand bien du plus grand nombre ».14 Ce qui n’est pas le cas lorsque
l’homme est conçu comme une personne.
La personne est « un individu doué d’intelligence et de liberté. Cela implique un être
responsable, capable de comprendre et de diriger sa propre action indépendamment des
autres».15 C’est dire que le vocable personne, distancie et différencie en même temps l’homme
d’autres individus, notamment les arbres, les animaux, etc. En ce sens, une personne est plus
qu’un individu, elle est « une "théophanie", une manifestation de la vie même de Dieu dans
l’histoire»16, laquelle exprime même le caractère sacré de la personne tout exigeant sa dignité.
En d’autres mots, c’est bien ce caractère sacré qui se déploie au niveau politique afin de
donner naissance aux droits inaliénables du respect de la dignité humaine. Dès lors, l’on peut
11
R. YVES-SIMON à Jacques Maritain, 11 déc.1945, cité par Ralph McINERNY, « La primauté du bien
commun» in O.F.WILLIAMS et J.W.HOUCK, Ed., The Common Good and U.S.Capitalism, Lanham,
Maryland, University Press if Américain, 1987, p.82, n°19 et par Cf. M. Novak, Démocratie et bien commun,
p.43.
12
Idem. « Un per se subsistens et un per se operans ». Cette expression chère de l’action créatrice par rapport à la
Métaphysique de Saint Thomas signifie ici que l’homme ne devient "personne" que lorsqu’il agit par soi-même
avec jugement, lorsqu’il est capable de s’autodéterminer.
13
A. MWAMBAY, Le capitalisme est-il compatible avec le bien commun? In Pensée Agissante. Revue
semestrielle de l’université Saint Augustin de Kinshasa, Vol.28, n°51, Juillet-Décembre 2020, p.18.
14
Idem.
15
M. NOVAK, Une éthique économique. Les valeurs de l’économie de marché, trad. de l’anglais par Marcelline
Brun, Paris, Cerf, 1987, p.38.
16
Cf. M. NOVAK, Démocratie et bien commun, Op.Cit., p.46.

[6]
comprendre que poursuivre le bien commun en termes de communion de buts tout en
considérant les hommes comme personne, c’est-à-dire les êtres dotés de liberté, de volonté et
de choix libre, serait en d’autres mots fragiliser la réalisation du bien commun.
Alors que le concept d’individu se réfère à ce qui est matériel, le concept de personne,
quant à lui, se réfère à l’intelligence et à la volonté. Une personne est un individu capable de
s’informer et de choisir. En ce sens, nous nous trouvons donc devant une tâche d’extrême
complexité, celle d’inclure à l’intérieur de la poursuite du bien commun, le respect d’une
diversité parmi les personnes et conviés à construire des institutions qui parviennent à le
réaliser au quotidien. C’est cette diversité qui est ici pensée en termes de société pluraliste.

I.2. LA SOCIETE PLURALISTE

Penser le bien commun, la coexistence harmonieuse et pacifique repose sur la


reconnaissance de la pluralité de modes de penser, de systèmes de croyances, etc. Nous
vivons un moment historique qui souligne l’urgence du pluralisme, de la diversité. Cette
diversité peut, à certains moments, devenir sources des conflits à entrainer des drames à une
société. Mais, quoiqu’il en soit : « Les personnes libres, prises individuellement, ont bien des
buts communs», dit Novak.17 D’une manière générale, poursuit-il, « les personnes libres ont
en effet quelques buts communs, bien que composées (ces personnes libres) de systèmes de
croyances et de niveaux de sensibilités diverses ».18 Nous pouvons comprendre par ces mots
de Michael Novak, la possibilité de l’existence d’un but commun dans toutes les sociétés
même celles marquées par la plus grande diversité d’opinions et de visions du monde.
Puisque le pluralisme reste un fait qui existe au sein de la société, élucidons-le afin de
saisir au préalable son impact dans la poursuite du bien commun dans une société pluraliste.
Car un tel fait permet la reconnaissance d’un principe fondamental de la sociabilité humaine.
Se faisant, il importe d’étayer d’une part, la définition du pluralisme et d’autre part, du
concept société et montrer quand est-ce qu’une société pluraliste ferait appel au bien commun.
Clarifions avant tout ce que signifie une société.

I.2.1. La société

Il est certes vrai que les hommes qui font partie d’une société présentent cette
caractéristique d'avoir entre eux des rapports volontaires ou involontaires explicites ou
implicites, réels ou potentiels; mais ils sont à quelque degré interdépendants et forment un

17
Id. Démocratie et bien commun, p.32.
18
Idem.

[7]
groupe qui comporte généralement des sous-groupes plus ou moins consistants et entremêlés
par les membres communs qu'ils comptent: ils font partie d'une société. 19 Or, lorsqu'il s'agit de
le définir, cet espace familier, dans lequel s'inscrivent toutes leurs pratiques individuelles ou
collectives et toutes leurs représentations, révèle une opacité inattendue. Qu'entend-on par
société ?

Le vocable société tel que défini par Godin dans Dictionnaire de philosophie, dérive
du mot latin « Societas » qui se traduit par « une union, association, compagnon » ; c’est un
terme générique renvoyant à un ensemble constitué ou institué, comprenant un certain
nombre d’individus vivant en relation plus ou moins étroite les uns avec les autres. Aussi ce
terme se réfère à un mode de vie propre aux êtres humains caractérisés par une association
organisée en vue de l’intérêt général.
Au Moyen-Âge, la société (societas) désignait, par opposition à l’universitas
organique, le caractère mécanique d’un collectif. 20 Du point de vue philosophique en général,
le mot « société » est polysémique. Il désigne à la fois un ensemble de relations spontanées,
fondées sur des rapports de dépendance, et un ensemble de relations fondées sur un accord
réciproque (société civile). Chez les penseurs du droit naturel et du contrat social (tels que
Hobbes, Locke, Rousseau), la société est une association politique telle qu’elle est fondée par
un contrat.21
Par ailleurs, le terme société, en sciences sociales, désigne un ensemble de personnes
qui partagent des normes, des comportements et une culture, et qui interagissent en
coopération pour former des groupes sociaux ou une communauté. Au sens juridique, une
société est une entité dotée d’une personnalité juridique. La Société Anonyme (SA), c’est là
où l’exercice de l’activité est séparé de la responsabilité des actionnaires ; la société civile,
quant à elle, est présente notamment dans les professions libérales et l’immobilier. 22 La
société-mode alors est « une expression sur le modèle de l’économie-monde de Braudel
désignée à traduire les effets d’unification sociale opérés par la mondialisation : désormais,
l’humanité ne formerait plus qu’une seule société».23
Pour Michael Novak, la société est essentiellement une composition de personnes.
C'est d'une manière générale, la communauté humaine plus ou moins complexe où l'on vit, où
vivent les individus pris en considération. Il s’exprime en disant : « la vie de la société n’est
19
Cf. E. DUPRÉEL Sociologie Générale, Paris, Presses Universitaires de France, 1948, p. 42
20
C. DODIN, Dictionnaire de philosophie, Fayard, éditions du temps 2004, pp.1223-1224.
21
Idem.
22
Cf. Ibid., p.1225.
23
C. DODIN, Dictionnaire de philosophie, p.1225.

[8]
rien d’autres que la vie des individus agissant les uns sur les autres, la vie de chacun d’entre
eux ne pouvant être que totalement différente s’il lui arrivait d’être séparé de la société». 24
Par ces mots, l’on comprend que la société est tout à fait organique ; c’est dire que retirer une
personne de la société serait la priver de la plus grande partie de son identité : de sa langue,
ses connaissances, ses traditions, etc. En outre, nous trouvons une conception «organique » de
la société chez Novak; il trouve les mots justes lorsqu’il écrit : « La société est entièrement
composée de personnes ; elle n’a pas de personnalité distincte extérieure ou supérieure à celle
de ses membres».25
La société a des règles instituées et des règles non instituées, comme la bienséance ou
le savoir-vivre.26 Aristote, définissant l’homme comme un animal politique, estime qu’il est
de sa nature de vivre au sein d’une société. Contrairement aux cris des animaux, le langage est
ce qui permet de véhiculer des jugements et des valeurs (le bien et le mal, le juste et
l’injustice, etc.) et est de ce fait la condition sine qua non de l’organisation d’une communauté
en tant qu’il est un animal qui parle, l’homme politique. A en croire Aristote, un homme qui
ne vivrait pas en société ne serait pas pleinement un homme. 27 Kant, quant à lui, pour
souligner cette dimension sociale de l’homme, parle de « l’insociable sociabilité » de
l’homme. C’est-à-dire que malgré leurs individualités naturelles, les hommes sont poussés à
nouer les relations sociales grâce à leur esprit de concurrence.28
« La bonne société est fondée sur une vision traditionnelle de l’ordre social. La société
donne de la discipline à la société et façonne les êtres humains ».29Ainsi, selon Novak, la
société est conçue comme le principal instrument de la réalisation du bien commun. Il en
parle lorsqu’il affirme que : « dans un ordre nouveau, le principal instrument de la réalisation
du bien commun n’est pas l’Etat mais la société dans son ensemble, avec sa vaste panoplie
d’institutions sociales: que l’on pense aux familles, aux églises, aux écoles, aux associations
30
de travailleurs, aux entreprises privées, etc.». De cette conception découlent à la fois l’idée
de la reconnaissance des capacités et des droits des personnes ainsi que celle de l’assemblage
d’hommes diversifiés qui, en fait, est une forme du pluralisme. Qu’en est-il du pluralisme ?

24
Id. Démocratie et bien commun, p.47-48.
25
Ibid., pp.47-54.
26
Cf. VOLTAIRE, Le dictionnaire philosophique, Paris, Flammarion, GF, 1964, réédition 1993(édition de René
Pomeau). 1994-1995 (vol.2).
27
Idem.
28
Cf. E. KANT, Idée d’une histoire universelle au point de vue cosmopolitique, trad. de l’Allemand par Luc
Ferry, Paris, éd. Folio (2009), 1784, p.45.
29
A. SOLJENITSYNE, Le déclin du courage, Discours, Paris, éd. Seuil, 1978, p.8. Cité par M. Novak, Une
éthique économique. Les valeurs de l’économie de marché, p.55.
30
Id. Démocratie et bien commun, p.54.

[9]
I.2.2. Le pluralisme

Pour le commun des mortels, dit Novak, « passer d’une culture à une autre revient
donc à éprouver une sorte de choc culturel ». 31 Le pluralisme, composé de plural et d’isme,
vient du latin pluralis, qui serait relatif à la pluralité. Cependant, faisons un pas de plus, et,
suivant l’élucidation faite par Giovani Sartori, en soulignant tout d’abord que le pluralisme
n’est pas à confondre avec le « pluriel » ou avec la « pluralité. Le premier est relatif à
plusieurs entités différentes et le second à une multiplicité, une majorité». 32 C’est-à-dire que le
pluriel désigne plusieurs entités différentes et la pluralité comme fait d’exister en grand
nombre, fait de proposer une diversité.

Le pluralisme, finalement, semble faire du bien commun un concept totalement vide


de sens.33 Au sens idéologique, tel que défini par le Dictionnaire de philosophie de Christian
Godin, ce courant est une conception selon laquelle la coexistence de plusieurs systèmes ou
partis au sein du tout social est préférable à l’unité absolue. 34 Au sens politique et
sociologique, ce terme renvoie à une situation de diversité effective au sein d’un collectif. 35
Selon la conception philosophique, défendue et illustrée, entre autres, par Herbert (1776-
1841) et par W.James (1842-1910), le pluralisme est un cadre d’interaction selon lequel la
nature des choses ne saurait être réduite à un principe unique.36
Ainsi que l’atteste le Dictionnaire de philosophie de Godin, le pluralisme est un
système reconnaissant l’existence de plusieurs modes de pensée, de comportements,
d’opinions politiques et religieuses, de plusieurs partis politiques, etc. En outre, le pluralisme
comme courant pourrait comporter diverses significations métaphysique ontologique,
philosophique, épistémologique, etc. Selon Gérard Fourez, le pluralisme n’est pas l’absence
d’idéologie, mais une idéologie particulière : « il est lié à la société moderne, contractuelle et
individualiste, à laquelle les individus s’adressent autour de valeurs et de projets particuliers
sans interroger sur leurs légitimations et motivations ultimes». 37 D’après Novak, il existe des
symboles de pluralisme dans une société qui rendent possible une bonne attente, une unité
dans la diversité, notamment la liberté d’expression, la liberté de la presse, la liberté de
recherche intellectuelle. «Le pluralisme est une composition des systèmes et des niveaux de
31
M. NOVAK, Une éthique économique. Les valeurs de l’économie de marché, p.58.
32
G.SARTORI, Pluralisme, multiculturalisme et étrangers, Paris, Syrtes, 2004, p.25.
33
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, Op.Cit., p.32
34
C. GODIN, Op.Cit., p.994.
35
Idem.
36
Ibid., pp.993-994.
37
G. FOUREZ, le pluralisme, sa pertinence et ses ambiguïtés, in Eduquer, n°6, (2016), pp.177-205, article
disponible à l’adresse URL : https://www.cairn.info/eduquer.com. (Consulté le 07/03/2021 à 22h41).

[10]
sensibilité divers pour des raisons diverses et pour des fins différentes: imaginées
différemment, conçues différemment, d’un point différent dans l’ordre des préférences et des
priorités ».38 Dès lors, il reste à démontrer, quand une société est pluraliste.
Vivre un pluralisme en société, en politique, en économie, dans le domaine moral,
culturel, etc. peut-il conduire à l’ordre ? En dépit des antagonismes sociaux, comment
l’homme peut-il se réaliser dans une coexistence pacifique avec les autres en vue de la
promotion du bien commun ? « Comment est-il possible qu’existe et se perpétue une société
juste et stable, constituée de citoyens libres et égaux mais profondément divisés entre eux en
raison de leurs doctrines compréhensives morales, philosophiques et religieuses?»39
En vue de rendre coup pour coup au commun des mortels quant à la question de la
possibilité du vivre-ensemble-authentique dans la société pluraliste, disons à la suite de Novak
que la vie dans une société pluraliste enseigne à éviter les terrains minés, c’est-à-dire les
zones d’ombres. Toutefois, pris en ce sens, le pluralisme ne peut être réduit à une simple
"diversité culturelle" et encore moins, être assimilé à la promotion du multiculturalisme. La
problématique d’une société pluraliste, réside bel et bien dans la volonté d’établir un terrain
d’entente entre des individus profondément divisés par des désaccords. C’est une
problématique que John Rawls, pourrait-on dire, résumait en ces termes:
« Le tissu social se forme ainsi dans une interdépendance et une solidarité générale. C’est en
cela que l’on dit l’homme est un être social, fait pour vivre et s’épanouir en société comme
dans son milieu ou environnement naturel, dans lequel il puise les éléments de son existence
en échange de ce que lui-même apporte aux autres».40

Il ressort de ce texte la valorisation d’un ensemble des réalités de la société envisageant les
rapports sociaux, les liens sociaux. Jean Onaotsho rend bien compte de l’importance du
pluralisme dans une société lorsqu’il écrit : « La reconnaissance de cette pluralité des
rationalités s’accompagne de l’adoption d’une éthique axée sur les valeurs d’ouverture, de
tolérance, d’humilité, d’écoute, d’acceptation des différences, de dialogue, c’est-à-dire de
confrontation critique dans la quête coopérative». 41 En tout cela, poursuit-il, « une éthique de
la rationalité pluraliste qui exalte l’humilité, l’ouverture, l’écoute, la tolérance et la
coopération dans la quête des interactions socio-politiques, culturelles, religieuses, bref de
toute coexistence humaine pacifique et harmonieuse, gage de la réalisation des hommes
d’expérience. Ainsi, toute interaction sociale doit-elle se déployer sur fond du présupposé que
38
Id. Démocratie et bien commun, Op.Cit., p.32.
39
J. RAWLS, Libéralisme politique, Paris, PUF, 1995, p.6.
40
Mgrs M. DUBOST-S. LALANNE, Le nouveau Théo, L’encyclopédie catholique pour tous, Mame, Paris,
2009, p.986.
41
Avant-propos de J. ONAOTSHO KAWENDE, Rationalité Pluraliste, Éthique et Société. Parti-pris d’une
philosophie pratique, Bruxelles, éd.Academia, 2016.

[11]
c’est l’autre qui a raison».42 Cet extrait illustre de façon brève l’impact de la reconnaissance
de plusieurs modes de pensée, de comportement, d’opinions, etc.
A la question de la cohésion sociale (société pluraliste), concluons en disant qu’il
revient à chacun le devoir de participer à la construction de la communauté en même temps
qu’à son développement personnel dans son intégralité. Car la communauté a besoin de
chaque main et de chaque cœur disponibles. Novak rend plus clair cette notion dans Une
éthique économique:
Dans une société authentiquement pluraliste, il n’y a pas un seul dais qui soit sacré pour tous.
Et c’est intentionnel. Le sanctuaire de son cœur spirituel est vide. Il est laissé vide, car on sait
consciemment qu’aucune image, aucun mot, aucun symbole n’est digne de représenter ce que
tous y cherchent. Son vide représente donc la transcendance dont se rapprochent les
consciences libres venant d’un nombre virtuellement infini des directions. 43

Le pluralisme ainsi appréhendé dans une société, exige de chacun une bonne dose de
discipline, de tolérance, de bonne volonté. Ce n’est qu’en ce sens que les individus
apprendront que le bien commun transcende leur propre conception du bien. Car, « il n’est pas
nécessaire que tous ceux qui poursuivent le bien commun soient en accord, cependant cette
convergence imprévue, à partir de directions opposées, vers un concept central, est tout à fait
remarquable. Ainsi, plusieurs flèches, lancées de côtes différents, volent à la même cible ».44

I.3. BIEN COMMUN CHEZ MICHAEL NOVAK

Le bien commun comporte une signification plus large et se situe par lui-même dans
une perspective universelle mais ne touche pas seulement la justice, l’économie, le droit, la
politique mais aussi tout l’être humain, dans toutes ses dimensions culturelles, morales,
politique,etc. « La notion de bien commun est l’un des concepts les plus difficiles à clarifier
dans l’histoire du développement de l’humanité», 45 écrit le Nigérian Iniobong Udoidem. Dans
42
Conclusions générale de J. ONAOTSHO KAWENDE, Op.Cit., p.156
43
M. NOVAK, Une éthique économique, Op.Cit., p.57-58.
44
AVANT-PROPOS de M. Novak, Démocratie et bien commun, p.13.
45
S. INIOBONG UDOIDEM, Autority and the common Good, in Social and Political philosophy, Lanham,
Maryland, University Press of America, 1988, p.87 cité dans Appendices. Notes de terminologie par M.NOVAK,
Démocratie et bien commun, p.165.

[12]
le souci d’épargner ses contemporains des pourchassés et discussions fastidieuses sur la
notion de bien commun, Novak propose un ordo novus (nouvel ordre) de ladite notion et
collectionne un ensemble de points, une terminologie consacrée à l’élucidation du bien
commun. Cet ordre nouveau s’éclaircit par ce texte: « Le nouveau concept du bien commun
nous pousse, en somme, à dépasser notre tendance à simplement nous poser sur une autorité
qui définirait pour tous le bien en tant que tel, et nous encourage à élaborer les règles qui
rendent possible une société ouverte.»46
Certes, il est bien vrai qu’avant Michael Novak, nombreux sont les auteurs qui ont
centré leur réflexion sur la question de bien commun mais, c’est comme dira Bernard DE LA
ROCHEFOUCAULD: « Michael Novak a le mérite de contribuer à relancer le débat
économique sans le couper de ses racines éthiques et politiques […], il est soucieux de faire
dialoguer les différents acteurs du champ social.» 47 Par ailleurs, le bien commun tel
qu’entrepris par Novak dans Démocratie et bien commun se veut être la poursuite d’un bien
personnel qui soit commun à tous et le respect de la liberté individuelle dans ladite poursuite:
« Comment retrouver une philosophie morale qui permette à des hommes libres de découvrir
le bien commun sans tomber dans d’autres excès, est une tâche qui nous incombe à tous». 48
En d’autres termes, il est question de savoir comment peut-on poursuivre le bien commun
dans un univers d’hommes diversifiés par les opinions, rationalités tout en respectant la liberté
de chacun? Ce qui revient à dire que Novak, s’est engagé afin d’encadrer le concept de bien
commun avec la liberté particulière des individus. Il importe donc d’étayer la conception
novakienne de bien commun élaborée dans son œuvre Démocratie et bien commun, à partir
d’une définition trilogique, pour s’en rendre compte. Car, si « pour les Modernes, à la
différence d’Aristote ou d’un Thomas d’Aquin, le bien commun doit être défini au terme
d’une discussion démocratique et susciter le consensus de tous le citoyen», 49 chez Michael
Novak, par une trilogie, laquelle se laisse entrevoir par sa définition de la notion de bien
commun : d’abord, compris dans un cadre institutionnel, ensuite, comme réalisation et enfin,
comme un jalon.
En tant qu’institution, « Les personnes libres sont ordonnées au bien commun »50,
c’est-à-dire qu’en tant que citoyen, chaque personne faisant partie de ceux qui, dans un État
organisé, jouissant des mêmes droits et obéissant aux mêmes lois, doivent faire attention aux
46
Id. Démocratie et bien commun,p.136.
47
Ibid., pp.165-166
48
AVANT-PROPOS de M. NOVAK, Démocratie et bien commun, p.9.
49
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, préface de Bernard de la
Rochefoucauld, Op. Cit., p.10.
50
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, Op.Cit., p.24.

[13]
institutions communes qui garantissent leurs libertés individuelles et les aider à s’épanouir
afin d’atteindre le bien commun; les institutions en retour, doivent favoriser le développement
des personnes libres. La personne libre, tout en poursuivant son bien personnel, doit
construire le bien commun, et à son tour, le bien commun doit favoriser la perfection des
personnes libres. Autant dire, les êtres humains vivant dans des institutions, tout comme les
poissons de la mer, ce n’est que grâce à certaines d’entre elles que les personnes libres
exerceront leur liberté. De ce fait, comprendre et renforcer ces institutions devient le seul
moyen permettant de réaliser un bien commun digne des personnes libres. En ce sens, notre
auteur estime qu’il est possible de concevoir les institutions qui garantissent légalement les
intérêts de chaque citoyen. Des Institutions qui chercheront à coopérer le plus possible avec
les personnes de leur société et tâcheront d’être attentives aux uns et autres selon leur
diversité. Novak le dit bien en ces termes : « Toute société humaine, toute institution doit
trouver un juste milieu entre la liberté et l’action commune» 51. Toutefois, bien qu’aucune
institution ne réalise le bien commun de tous sans exception et sans imperfections, néanmoins
elle est indispensable à l’expérience et à la conception d’élargir sur la notion de bien commun
à réaliser principalement par des associations volontaires.
Comme réalisation concrète, le bien commun est obtenu grâce à la poursuite d’une
succession d’étapes dont chacun constitue un progrès pour la société. La personne humaine
tout étant en mouvement vers sa réalisation, une fois qu’elle y est parvenue, doit être capable
d’agir en bien avec les facultés propres aux êtres humains, dont l’intelligence, la volonté et la
décision.52 Toujours est-il que tout être humain, en prenant conscience de la liberté
personnelle, devient responsable de son appréciation propre, tant pour son propre bien que
celui du bien commun. Ceci est en d’autres termes tendre vers, qui est une façon de réaliser
dans les faits, un ordre social. Dans une société où chacun assure la sauvegarde de sa
vie physique, il y a lieu de parvenir à un bien commun en ce que chaque individu trouve un
champ où exercer sa liberté et son sens de responsabilité, sans étouffer et sans être étouffé par
le pouvoir étatique… C’est en ce sens que Gaston Fessard stipule qu’il en va de même dans la
multitude infinie des rapports interindividuels, transitoires et limités, pain quotidien de la vie
sociale où le langage tient la plus grande place ; et la raison en est que l’intelligence offre
alors aux échanges mutuels la transparence de sa médiation. La véritable réalité du bien
commun ne peut résulter que dans la mise en relation réciproque.53

51
Ibid., p.129.
52
Cf. Ibid., p.97.
53
Cf. G.FESSARD, Autorité et bien commun, Paris, Aubier, 1944, p.89.

[14]
Et enfin, comme jalon, le bien commun vise une étape supérieure et comporte une
vision qui le place à un très haut niveau à atteindre par toute société avec des cas concrets à
poser. Il écrit : « conçue comme jalon, la notion de bien commun oblige le citoyen de toute
société particulière à lever les yeux pour estimer sa façon d’agir selon un critère qui
transcende la réalisation du moment. »54 En bref, à en croire notre auteur, un terme comme
celui de «bien commun», va dans le sens de la somme de toutes les choses qui sont: « Croire
que le concept est simple ou n’a qu’une signification univoque est une grande erreur», dira-t-
il.55
De ce fait, les arguments en faveur d’une telle théorie du bien commun comme jalon
implique un appel au sacrifice de soi. Et c’est au Pape Jean-Paul II d’insister sur une telle
pratique tout en proposant la vision d’une civilisation du travail nouvelle et humaniste : « La
civilisation fondée sur le travail exige une étude approfondie es problèmes en acceptant les
conclusions. Elle demande également que les ambitions de l’individu ou du groupe soient
écartées et que la considération du bien commun soit première […]». 56 Ceci signifie que dans
le but d’atteindre un bien commun, quelques membres d’une société sacrifieront leur propre
bien personnel en son nom (au nom du bien commun). Ainsi, conclut Novak, le discours sur
le bien commun est donc presque toujours une exhortation, un processus, pourrait-on
ajouter.57

Conclusion

Dans ce premier chapitre, portant essentiellement sur la clarification conceptuelle, il


s’agissait d’abord de parcourir tout en définissant quelques concepts de base que nous avons
considérés comme les plus nécessaires et susceptibles de nous aider à mieux cerner la théorie
de notre auteur sur la problématique de la compatibilité de la société pluraliste et le bien
commun. En définissant les concepts société et pluralisme, nous avons montré que la société
comprise comme essentiellement une composition de personnes, n’est rien d’autres que la vie

54
M. NOVAK, démocratie et bien commun, p.131.
55
Ibid., p.170.
56
JEAN-PAUL II, lors de son adresse aux travailleurs à Melo, Uruguay (8 Mai 1988).
57
Cf. Id., Démocratie et bien commun, p.132.

[15]
des individus agissant les uns sur les autres. Par conséquent, retirer une personne de la société,
reviendrait à la priver de la plus grande partie de son identité.
Le pluralisme, nous le pensons, est une réponse positive à la diversité, ainsi que nous
l’avons illustré. Il implique de prendre des décisions et d’entreprendre des actions, en tant
qu’individus et en tant que sociétés, en se fondant sur le respect de la diversité. C’est bien cela
qui nous a conduits à élucider le binôme individu et personne. Car, l’on ne peut mieux
comprendre une société pluraliste qu’en clarifiant ses composantes. Autrement dit, l’on ne
pourra bien cerner le sens d’une société pluraliste qu’en comprenant davantage les différences
existant entre l’individu et la personne qui peuplent cette société. Pour finir, nous avons cogité
sur la notion de bien commun selon Michael Novak. Nous avons aussi souligné le fait que le
bien, en tant que ce à quoi tend tout homme, suppose le bien commun. Ainsi, nous avons
souligné le fait qu’au-delà de la définition trilogique de sa conception de bien commun, c’est
la notion de coopération qui domine dans la théorie novakienne du bien commun. Et donc,
nous pouvons poursuivre notre travail en abordant le deuxième chapitre tout en relevant les
obstacles qui contrecarre cette notion de coopération. Ce dernier concernera les difficultés à
réaliser le bien commun dans une société pluraliste.

CHAPITRE II : LES DIFFICULTÉS À RÉALISER LE BIEN COMMUN SELON


MICHAEL NOVAK

Introduction

Si, en clarifiant les notions préliminaires dans le chapitre qui précède, nous avions
démontré que la société pluraliste est bel et bien compatible au bien commun dans la mesure
où la poursuite de bien commun n’est pas planifiée et laisse chaque personne exercer

[16]
librement son esprit d’initiative, sa volonté, sa raison sur base d’intérêt personnel afin
d’aboutir à une unicité des biens; cette manière d’exercer par la suite étouffe la réalisation
complète du bien commun à cause des difficultés qu’entraine l’intérêt personnel. Ces
difficultés apparaissent dans le sens où, en laissant les hommes agir librement, leur vie restera
marquée par l’intérêt personnel qui les conduira à ne prendre soin que d’eux-mêmes et en cela
se révèle une impossibilité à causes des divers obstacles qui entre en jeu, notamment l’intérêt
personnel, l’esprit de faction, le voile d’ignorance et la pluralité de biens. Que signifient
intérêt personnel, l’esprit de faction, le voile d’ignorance et pluralité de bien? En quoi
constituent-ils des obstacles dans la poursuite de bien commun selon Novak? C’est à ces
questions que ce chapitre tentera de répondre dans les lignes qui suivent.

II .1. L’INTERET PERSONNEL

Le concept intérêt dérive du mot latin interest, qui signifie « il importe ». Il comporte
un sens objectif et subjectif, dans le Dictionnaire de philosophie de Christian Godin : « Au
sens objectif, il renvoie à ce qui importe, ce qui est avantageux à quelqu’un ou à quelque
chose. Au sens subjectif, il se rapporte à l’attachement exclusif à ce qui nous est avantageux, à
l’amour de soi exclusif ».58 Et ce sont ces deux sens qui nous intéresseront le plus dans cette
partie. L’intérêt devient alors personnel, lorsqu’il est défini comme un ensemble des services
et des avantages susceptibles à satisfaire les intérêts propres en s'opposant au bien commun.
Aussi, lorsqu’il est exclusivement orienté vers la satisfaction personnelle.
Dans le domaine socio-économique, Adam Smith évoquait dans son œuvre La
Richesse des Nations (1776) l'idée que des actions guidées par notre seul intérêt personnel
pouvant contribuer à la richesse et au bien-être commun. Selon lui, c'est une « main invisible
» qui guide les actions des individus. 59 Loin d’être un individualiste, Smith croyait que c’était
l’influence de la société qui transformait les humains en êtres moraux. Il pensait que souvent,
les hommes et les femmes se trompent sur leurs propres intérêts. Il [Adam Smith]
considérait la tentative d’expliquer tout comportement humain sur les bases de l’intérêt
personnel comme peu judicieuse analytiquement et pernicieuse moralement. 60 Comme ce
dernier l’avait certainement compris, l’intérêt personnel se veut être l’une des principales
forces organisatrices des activités économiques de toute société. En d’autres termes, l’intérêt
personnel smithien n'est pas absolument mal, moins encore, un vice comme l’on y penserait
58
C. GODIN, Op.Cit., pp.679-680.
59
Cf. A. SMITH, La Richesse des Nations, livre IV, chapitre 2, GF-Flammarion, édition 1991, tome II, p. 43.
60
Cf. A. SMITH, De son temps et du nôtre, trad. de l’anglais par Jerry Z. Muller, Princeton : Princeton
University Press, 1993, p.2.

[17]
au sens péjoratif. En effet, dans la même perspective que Smith, Novak estime aussi que
l’intérêt personnel n’est ni bon ni mauvais, en soi; tout dépend de l’usage que les êtres
humains en font. Il écrit: « ainsi un intérêt personnel particulier est à la source de l’amour
d’une mère pour son enfant jusqu’à la mort même, comme il est à la source de l’amour de la
patrie et de la défense des valeurs auxquelles on est attaché».61
Par contre, il arrive aux personnes dont le sens tendanciel est très développé de vouloir
tout ramener à soi-même, au point de se sentir exclusivement au centre du monde, c’est-à-dire
lesdites personnes mettent de côté toute tendance à centrer les intérêts sur elles-mêmes plutôt
que sur les autres. En ce sens, notre auteur Novak pense que l’intérêt personnel, bien qu’il
soit, d’une part, la source de motivation qui pousse l’homme à l’initiative et à l’entreprise
pour son bien propre, lequel est toujours orienté vers les autres ; D’autre part, il (l’intérêt
personnel) change des couleurs tel un caméléon. Il écrit: « l’intérêt personnel est quelque fois
noble, quelque fois ignoble et le plus souvent un mélange de deux. Il peut être anobli mais ne
peut en aucune façon extirpé du cœur humain». 62 De ce fait, à cause du caractère caméléon de
cet intérêt, Novak distingue deux sortes d’intérêt personnel: l’intérêt personnel bien compris
(bien entendu) et l’intérêt personnel mal compris qu’il convient de comprendre dans le point
suivant.

II.1.1. L’intérêt personnel bien compris


Il convient de clarifier, au préalable, ce que Novak pense d’un intérêt personnel bien
compris avant d’aborder d’autres considérations, dans le but de mieux cerner ce type d’intérêt,
sans lequel l’intérêt personnel mal compris ne sera mieux appréhendé. Signalons que la notion
d’intérêt personnel bien compris qu’aborde Novak n’est rien d’autres que la « doctrine de
l’intérêt personnel bien entendu » entreprise par Alexis de Tocqueville dans son œuvre De la
démocratie en Amérique II. Pour ce dernier (Alexis), cette doctrine, loin de l’idéaliser, est celle
qui permet aux êtres humains de ne pas oublier la dimension sociale qui les lie étroitement et
leur apprend qu’ils ont besoin les uns des autres en vue de développement. En outre, cette
doctrine permet aux êtres humains de ne pas ignorer l’aspect social, et les aide (êtres humains)
à relier leurs intérêts particuliers à ceux du général ; et servir le bien commun deviendra le
principe de base de la conduite humaine. 63 L'expression "intérêt général" employé, désigne
les intérêts, valeurs ou objectifs qui sont partagés par l'ensemble des membres d'une société ;
tandis que l’intérêt particulier, tel que l’indique le concept particulier (qui ne concerne qu'un

61
Id., Démocratie et bien commun, Op.Cit., pp.58-59
62
Idem.
63
Cf. A. DE TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique II, Paris, Flammarion, 1981, coll. « GF », p.438.

[18]
individu) est ce qui importe à quelqu'un, ce qui lui convient, ce qui lui procure un avantage,
une utilité.

La doctrine de l’intérêt bien entendu dont prône Alexis trouve, dans un cadre la vie
associative, un cadre adapté. Elle garantit la liberté politique par la gestion collective centrée
sur l’intérêt général. Tout citoyen, par cette assurance en même temps, entreprend les activités
correspondant à ses propres intérêts étant dans son plein intérêt d’exercer sa liberté. 64 Ce type
d’intérêt personnel, est celui qui « enseigne aux êtres humains qu’ils sont des animaux
sociaux, qu’ils ont besoin les uns des autres et que leur propre développement personnel
dépend de leur capacité à devenir des êtres sociaux ». 65 En d’autres termes, cet intérêt
personnel relie les intérêts particuliers à l’intérêt général comme susindiqué. Il est celui qui
apprend à servir le bien commun qui apparaît comme principe de base de la vie humaine.
« Sans lui, le bien commun apparait comme un bien que seuls les anges peuvent poursuivre
car, si les hommes étaient des anges, ils n’auraient besoin d’aucun principe d’intérêt bien
compris pour les encourager à servir le bien commun ».66

On peut donc dire que selon notre auteur Novak, l’intérêt personnel bien compris ou
bien entendu exprime la nature sociale parfaite des êtres humains ; en ce qu’il est de cet
véritable intérêt d’aider l’homme à exercer sa liberté en coopération libre, généreuse et
ouverte avec ses concitoyens. Il y va de son propre intérêt et de l’intérêt commun. 67 Cette
forme d’intérêt personnel est rare dans les sociétés actuelles. Bien que cela, cet intérêt bien
compris « n’est ni le sommet ni le résume de la vertu, c’est-à-dire il n’est pas le seul principal
ou le seul mobile dont les hommes se servent pour conduire les autres ». 68 C’est dans l’intérêt
personnel bien compris que les êtres humains pourront réussir le pari dont le socle demeure la
bonne gouvernance. Concluons avec Novak en disant :

Le principe d’intérêt personnel bien entendu exprime parfaitement la nature sociale de la


personne humaine : il est de son véritable intérêt d’exercer sa liberté en coopération libre,
généreuse et ouverte avec ses concitoyens. Il y va de son propre intérêt et de l’intérêt commun.
Faire coïncider les deux est l’objectif même de l’intérêt personnel bien entendu ou bien
compris. 69

64
Cf. Idem.
65
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, p.76.
66
Ibid.
67
Ibid.
68
Ibid., pp.74-75.
69
Id. Démocratie et bien commun p.76.

[19]
Ce texte laisse paraître l’idée selon laquelle le principe de base de tout humain est de servir le
bien commun dont l’essence consiste à relier les instincts, les projets destinés au bénéfice de
la société et l’intérêt personnel mal compris est son contraire.

II.1.2. L’intérêt personnel mal compris

L’intérêt personnel mal compris est ce qui nous intéresse le plus, dans le cadre de
notre travail. Ce second type d’intérêt personnel, contrairement au premier (susmentionné), se
présente de deux manières. Il désigne, d’un côté, « une insatisfaction ou même une rébellion
contre l’oubli établi ».70 C’est cette forme d’intérêt qui, à en croire Novak, étouffe la liberté
des individus et se trouve fréquent dans les ordres sociaux et stagne les conditions de vie.
D’un autre côté, l’intérêt personnel mal compris se veut « une étroitesse d’esprit qui pousse le
citoyen à réagir contre les difficultés de la vie en cherchant d’abord (et peut-être uniquement)
son propre bénéfice, en exploitant à son avantage exclusif toutes les occasions qui se
présentent à lui ».71
Ce type d'intérêt ne sert pas l’intérêt public et le bien commun dans la mesure où il
prône un individualisme à outrance, qui est au-delà même des bornes habituelles. Car il porte
atteinte au bien commun et nécessite d’intenses efforts nécessaires. Un tel intérêt fait appel à
la notion d’égoïsme (qui est un amour passionné et exagéré de soi-même qui conduit l’homme
et la femme à tout rapporter à eux-mêmes et à se préférer de tout) et à l’individualisme. Ce
dernier, dans Démocratie et bien commun, est un mot nouveau que Tocqueville oppose au
mot ancien d’égoïsme. L’individualisme est « une expression récente, un sentiment réfléchi et
paisible qui dispose chaque citoyen à s’isoler de la masse de ses semblables et à se retirer à
l’écart avec sa famille et ses amis […] un jugement erroné de l’esprit […] ».72
L'individualisme, poursuit Alexis de Tocqueville, « ne tarit d’abord que la source des vertus
publiques ; mais, à la longue, il attaque et détruit toutes les autres et va enfin s’absorber dans
l’égoïsme ».73 Selon Alexis de Tocqueville, l’égoïsme est la perversion même du coup qui en
vient, avec de l’individualisme, à ébranler les républiques, l’intérêt général.
Pour mieux rendre compte de l’idée d’individualisme, Novak écrit :
Si les citoyens se mettaient à agir systématiquement en vue de leur intérêt personnel mal
compris, tout gouvernement démocratique républicain deviendrait impossible sur-le-champ et
70
Ibid., p.71 cité par A. MWAMBAY, « Le capitalisme est-il compatible avec le bien commun ? », in Pensée
Agissante. Revue semestrielle de l’Université Saint Augustin de Kinshasa, Vol.28, n°51, Juillet-Décembre 2020,
p.18.
71
Idem.
72
A. DE TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, « Préface de l’auteur de la douzième édition », Paris,
Flammarion, 1981, Tome I, p.125.
73
A. DE TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique, Op.Cit., p.125.

[20]
la condition de la personne libre « pitoyable ». L’homme serait un loup pour l’homme. La
jungle prendrait la place de la communauté civilisée. Non, les vices privés ne conduisent pas à
la vertu publique […].74

Cela signifie que dans une société où les membres visent le bien commun, les vices
contrecarrent la quête du bien et ne peuvent guère conduire à la vertu publique et là, se vit la
jungle dans laquelle le plus fort imposa sa volonté. Devant un comportement qui se veut être
accaparement de tout bien, il devient irréaliste de poursuivre le bien commun compris comme
communion de buts et d’objectifs. Outre l’intérêt personnel (mal compris), il y a la notion de
l’esprit de faction, une autre difficulté qui, au vu de Novak, infirme la réalisation du bien
général. Qu’en est-il ?
II.2. L’ESPRIT DE FACTION
L’existence humaine est constamment affectée par une scission qui sépare l’être
présent de son être à venir, et, se vit simultanément comme manque et dépassement de ce
manque, tendu vers un accomplissement toujours en avant d’elle-même qu’elle ne peut
espérer d’atteindre que par l’action.75 « Madison voyait clairement comment l’esprit de
faction, laissé à lui-même, avait pu nuire au bien commun. Parce que ‟leurs causes latentes
[sont] semées dans la nature humaine”, les factions ont « divisé l’humanité en partis, ce qui a
excité une animosité […] ».76
L’esprit de faction, comme l’intérêt personnel, peut être défini comme contraire au
bien commun. La faction s’identifie à un « groupe de citoyen (minorité ou majorité selon le
cas) animé par un élan commun de passion permanent et généreux de la communauté». 77
Albert Mwambay dans son article (le capitalisme est-il compatible avec le bien commun ?)
estime que les hommes [et les femmes] partagent presque naturellement les mêmes avis, les
mêmes convictions politiques, économiques et culturelles, forment des groupes auxquels ils
consacrent toute leur attention et tous les efforts en vue de l’intérêt du groupe, parfois au
détriment des autres. Cela introduit, dans la société, les séparations et les divisions entre les
hommes.78 En ce sens, chacun ou chaque groupe est porté vers la recherche de son intérêt
propre et se vit en cette situation une ubiquité, une recherche du profit dans tous les secteurs
de la société. Et cela rend difficile la réalisation du bien commun. C’est dans cette perspective
que Novak écrira : «Les factions ont divisé l’humanité en partis, ce qui a excité en eux une
animosité mutuelle et les a disposés à ses contrarier et à se tourmenter plutôt qu’à coopérer
74
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, Op.Cit.p.77
75
Cf. CHARLES DE KONINCK et la question du bien commun, in Dignité de la personne et primauté du bien
commun, Vol. 70, n° 1, février 2014, pp.13-25.
76
Ibid., p.62.
77
Cf. Id. Démocratie et bien commun, p.61.
78
A. MWAMBAY, Op.Cit., pp.18-19.

[21]
pour le bien commun ».79 Mais, comment l’esprit de faction peut-il handicaper la réalisation
du bien commun ?

Lorsque les êtres humains conçoivent le bien commun en termes de communauté de


buts et d’intentions et qu’ils posent le gouvernement comme gardien de ce bien commun, ils
s’exposent à ce danger d’esprit de faction. Cela se justifie par le fait que les membres de
gouvernement étant eux aussi des hommes et des femmes, il y a lieu que l’esprit de faction et
d’intérêt personnel les animent. En d’autres termes, ils seront tentés soit, par un désir
d’accaparement, soit de former des petits groupes minoritaires, tout comme majoritaires en
vue des intérêts qui leur reviennent anéantissant ainsi le bien commun. Conscients de cette
situation dans les sociétés actuelles et en ce qui concerne les membres desdites sociétés,
chacun poursuit des intérêts différents de ceux des autres membres.
Puisque l’esprit de faction amène les membres d’une société à ériger des groupes tant
minoritaires que majoritaires et à y consacrer toute leur attention affaiblissant ainsi le bien
commun, Novak pense que « les factions, bien qu'elles peuvent être dressées les unes contre
les autres, de manière fructueuse, permettant de retirer un certain bien d’un mal, elles ne sont
pas bonnes entant que telles ».80 De ce fait, nous pensons qu’avec l’esprit de faction qui
marque la vie humaine, il est irréaliste de poursuivre le bien commun comme communion de
buts, d’objectifs et d’intentions. Car, en formant des groupes tant minoritaires et majoritaires,
le but premier serait de chercher d’abord les intérêts des membres appartenant auxdits
groupes− ; dès lors, la place n’est accordée à l’intérêt général. Ainsi, il devient difficile que
les membres d’une même communauté mettent en commun leurs intérêts diversifiés ; et cela,
suite à une autre difficulté qui surgit, notamment le « voile d’ignorance ».

II.3. LE VOILE D’IGNORANCE


Tout bien considéré, il convient de signaler que Novak n’est pas le premier auteur à
avoir forgé la théorie de « voile d'ignorance ». Au demeurant, le voile d’ignorance est une
notion philosophique développée par un bon nombre d’auteurs, notamment Thomas Hobbes,
John Locke et Emmanuel Kant et qui aurait été formalisée par John Harsanyi et reprise
par John Rawls dans son ouvrage Théorie de la justice (1971) en vue d’établir la moralité d'un

79
Id., Démocratie et bien commun, Op.Cit., p.62.
80
Ibid., p.76.

[22]
problème qui s'appuie sur l'expérience de pensée qui consiste à se mettre dans une « position
originelle » et à faire abstraction de ses goûts, ses attributs et sa position dans l'espace social. 81
De toute évidence, ce voile d’ignorance entrepris par Novak n’est pas à confondre à
celui d’autres auteurs précités. Tâchons-nous différencier de façon brève le voile d’ignorance
entrepris par Novak de celui repris par Rawls afin de saisir la difficulté que constitue le voile
d’ignorance novakien.

II.3.1. Le voile d’ignorance chez John Rawls


Tout bien considéré, il convient de signaler que le voile d’ignorance, tel que défini
dans dictionnaire de philosophie de Christian Godin,

Est une expérience de pensée, une situation originaire fictive qui, dans la philosophie
néocontractualiste de John Rawls (1921-2002), fait office d’état de nature ; c’est-à-dire sous le
voile d’ignorance, les hommes ne connaissent rien de leurs déterminations subjectives et
sociales : ils ne savent pas s’ils sont riches ou pauvres, instruits ou illustrés. Dans cette
situation, ils choisiraient nécessairement des principes de justice qui garantissent à tous la
liberté ainsi que le sort le plus favorable aux plus démunis.82
En d’autres termes, c’est une expérience de pensée de la position originelle qui n’existe que
par imagination où les hommes ne connaissent pas de différenciation et tant d’autres choses :
ils sont à égalité. Le voile d’ignorance rawlsien se veut être lié à la position originelle dont
découle l’expression «justice comme équité».83 La position originelle rawlsienne se présente
comme le « statu quo » initial adéquat qui garantit l’équité des accords fondamentaux qui
pourraient y être conclus; c’est-à-dire une garantie des rapports équitables des accords où il
n’y a ni père, ni mère, ni fils ni fille.84
Autant dire que le voile d’ignorance rawlsien, c’est un état dans lequel on ne trouve ni
corruption, ni tribalisme,…personne ne connait ni sa place dans la société, ni sa classe sociale,
ni sa fortune dans la répartition des biens, ni ses talents, bref, les hommes sont égaux, tous
sont dans un hasard naturel. Il s’ensuit que, d’après Rawls, dans la disposition originelle les
partenaires sont égaux. Cela veut dire qu’ils ont tous les mêmes droits dans la procédure du
choix des principes, chacun peut faire des propositions et ainsi de suite. Il s’ensuit que le voile
d’ignorance, chez Rawls, correspond à une mise en parenthèse de toutes contingences et
divergences en vue d’emmener tous les membres d’une communauté à une situation d’égalité,
laquelle favoriserait un processus équitable dans la démarche des principes de justice. Celle-ci
est à comprendre comme la vertu des institutions. Les êtres humains sont démunis de toute

81
Le voile d’ignorance, notion philosophique, in https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Voile_d%27ignorance
(Consulté le 20 Mars 2021 à 14h13).
82
C. GODIN, Op.Cit., p.1414.
83
A. MWAMBAY, Op.Cit., p.19.
84
J.RAWLS, Théorie de la justice, trad.de C.Audard, Paris, Seuil, 1987, p.44.

[23]
«empiricité», de toute catégorisation, etc. Donc, c’est l’égalité qui caractérise les hommes
dans la théorie de voile d’ignorance rawlsien. Que dire de voile d’ignorance novakien ?

II.3.2. Le voile d’ignorance chez Michael Novak

Le voile d’ignorance novakien, contrairement à celui de Rawls, se comprend comme


correspondant à l’incertitude, à l’ignorance inhérente à la vie humaine: « l’ignorance humaine
est telle qu’il est pratiquement impossible de régler des désaccords, même sur un plan
théorique».85 C’est à cause de cette ignorance qui aveugle l’homme et cette incertitude face
au bien que le voile d’ignorance novakien devient une difficulté de la réalisation du bien
commun, ci-haut défini comme communion de bien et de buts. Cela signifie que lorsque les
hommes ont des difficultés à connaître avec certitude et exactitude ce qui est bien pour eux-
mêmes, il leur sera difficile de déterminer les biens des autres, afin de les rassembler en vue
d’ériger un bien qui soit commun pour tous. Au fait, c’est là que survient le voile d’ignorance
comme difficulté à réaliser le bien commun. Il revient à Novak de relever trois raisons à la
base de cette difficulté :
Il n’est pas facile non plus de découvrir le bien commun des personnes libres
et ce, pour trois raisons. D’abord parce que, lorsqu’il s’agit de déterminer son
propre bien économique, dans le contexte de ses objectifs politiques, moraux
et culturels, l’incertitude et la confusion vous envahissent souvent. Faut-il
prendre ces décisions sans connaître l’avenir, sans être en possession de toutes
les données dont certaines risquent de se révéler inadéquates[…]; Ensuite,
parce que chacun de nous ignore nécessairement ce qu’est le bien économique
des commerces, des professions, des industries, des technologies et des
situations autres que les nôtres; Enfin parce que, même si le bien économique
d’une nation entière, à un haut niveau d’abstraction par rapport aux personnes
et aux groupes peut être assez facilement établi à esquisser par (une liste de
vœux)[…], il ne reste pas moins que la conscience savante, supposée
découvrir comment concilier ces nombreux concurrents, s’est vu attribuer le
sobriquet de morne science.86
Il est bien facile d’imaginer un bien commun. Partant de cet extrait, il est évident que
dans le voile d’ignorance novakien, apparaît un affaiblissement qui brise la conception même
du bien comme communauté de buts et d’intentions dans la mesure où les êtres humains étant
ignorants, approchent le bien avec plus ignorance, tâtonnement, etc. Ce qui conduit Novak à
estimer que « l’ignorance des êtres humains est telle que l’on ne saurait donner à aucun
d’entre eux pouvoir sur les responsabilités inaliénables des autres […] ». 87 Ce qui signifie,
étant donné que la nature humaine se caractérise par le voile d’ignorance(selon Novak), nul ne

85
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, p.96.
86
Ibid., p.95.
87
J. RAWLS, Op.Cit, p.102. Cité par A. Mwambay, Op.Cit., p.21.

[24]
peut déterminer ce qui est bien pour l’autre ; bien par contre, chacun étant, devra définir son
propre bien, grâce à sa raison et à sa volonté ; ce qui donnerait lieu à une pluralité de bien.
Face à cette pluralité de bien, il y a difficulté d’arriver à la réalisation du bien
commun. Et donc, la pluralité de bien et le voile d’ignorance sont alors ceux qui déstabilisent
et anéantissent le bien commun comme communauté des biens, des buts et d’intentions. Bien
plus, le fait que chaque personne a sa propre vision du bien qui ne conjugue pas toujours à
celle des autres, cela contrecarre la réalisation d’un « nous-tous ». En ce sens, il y a un rejet de
la vision du bien commun.
Conclusion
Dans ce chapitre intitulé Difficultés à réaliser le bien commun selon Novak, nous
avons démontré qu’il est une croyance bien tenace et profondément ancrée dans les esprits des
êtres humains, celle d’un être humain naturellement égoïste et agressif…Ainsi, avons-nous
dans ce chapitre, d’une part, rendu claire la dichotomie entre le voile d’ignorance. Chez
Rawls, avons-nous dit, le voile d’ignorance est lié à la « position originelle » où les hommes
se présentent comme étant dans un « statu quo initial » dans lequel se vit une garantie des
rapports équitables des accords et où il n’y a ni père, ni mère, ni fils ni fille, ni chef ; bref, tous
les hommes sont égaux et poursuivent le bien commun. Pour Novak, au reste, le voile
d’ignorance réfère à l’ignorance naturellement humaine qui est pratiquement impossible de
régler des désaccords, même sur un plan théorique. C’est à cause de cette ignorance et cette
incertitude face au bien que le voile d’ignorance devient une difficulté de la réalisation du
bien commun. Nous avons montré aussi qu’au-delà des personnes, si peu vertueuses que l’on
trouverait dans ce monde, la vie humaine est toujours marquée par l’intérêt personnel, lequel
incite chacun à tourner vers soi-même. Ainsi les êtres humains, bien que dotés de la volonté,
de la liberté et de la raison, « étouffent dans l’œuf », précarisent et infirment la réalisation du
bien commun et cela, à cause entr’autres de l’intérêt personnel, l’esprit de fraction, le voile
d’ignorance et la pluralité.

CHAPITRE III. LE BIEN COMMUN À L’ÉPREUVE DE LA PRATIQUE DANS LA


SOCIETE AFRICAINE PLURALISTE

Introduction

Au précédent chapitre, nous avions montré que l’intérêt personnel, l’esprit de faction,
la pluralité des biens et le voile d’ignorance caractérisent la vie humaine; les hommes sont
toujours tentés de chercher exclusivement chacun son intérêt propre. Par le fait même, réaliser

[25]
le bien commun comme communauté des buts devient utopique. Au présent chapitre, il sera
question, à la suite de Michal Novak, précisément dans sa pensée étayée dans Démocratie et
bien commun, de relever quelques moyens nécessaires pour la réalisation du bien commun en
Afrique. Autant dire dans ce chapitre, notre regard sera fixé sur l’Afrique pour laquelle, en
essayant de contextualiser la pensée de notre auteur Novak, nous relèverons les éléments
jugés majeurs, pouvant aider l’africain d’aboutir à la chose commune, à « un-nous-tous ». Ce
chapitre est pour nous d’une importance capitale en ce sens qu’en son sein, nous cernerons la
question de la réalisation du bien commun tout en relavant les éléments que nous trouvons
majeurs pouvant mener à la réalisation de bien commun dans une société africaine qui se veut
pluraliste. Et quels sont les dispositifs?

III.1.L’EDUCATION COMME VOIE A LA NOTION DU BIEN COMMUN

Nul ne peut ignorer l’importance de l’éducation dans une société quelconque ; car, il
peut y avoir des intellectuels mal éduqués et des incultes bien-éduqués. Toutefois, c’est
lorsque l’homme s’est démarqué de la pure animalité que s’est posé le problème de
l’éducation. D’ailleurs Kant estimait déjà en son époque que l’homme est le seul être qui a
besoin d’une éducation pour se réaliser, tandis que les animaux n’ont besoin que de se laisser
guider par leur instinct.88 L’éducation, si vielle qu’elle soit autant que l’humanité, voit se
succéder dans l’histoire toutes les générations sans doute qui s’y concourent sous un vade-
mecum (un cheminement) afin de transmettre à leurs descendants la morale, la culture, etc.
Loin de nous la prétention d’exposer ici toutes les réflexions sur l’éducation, ce qui d’ailleurs
est impossible, nous allons nous atteler à montrer comment l’éducation impacte sur société
africaine dans la poursuite de la réalisation du bien commun.

Du point de vue étymologique, le terme éducation vient du vocable latin « educatio»,


qui dérive lui-même du verbe « ex-ducere », qui signifie conduire, commander, faire
produire, guider hors de, faire produire (la terre), faire développer (un être vivant). Il signifie
plus couramment l'apprentissage et le développement des facultés intellectuelles, morales et
physiques, les moyens et les résultats de cette activité de développement.89 Partant de cette
définition même, l’éducation étymologiquement évoque un changement de l’homme qui le
convie à devenir beaucoup plus homme. Jean-Paul II, au cours d’une intervention à
l’UNESCO en Juin 1980, estimait que l’éducation consiste à ce que l’homme devienne

88
Cf. E. KANT, Réflexion sur l’éducation, trad. de l’allemand par Alexis PHILONENKO, Paris, VRIN, 1993,
p.69.
89
Cf. A. COMTE-SPONVILLE, Dictionnaire philosophique, p.1072.

[26]
toujours plus homme, qu’il « soit » davantage et non seulement qu’il « ait » davantage, et que
par conséquent, à travers tout ce qu’il possède et sache de plus en plus à être non seulement
« avec les autres », mais aussi « pour les autres ».90 Mais qu’est-ce qui déterminerait le mieux
ce changement ? Par quoi et comment pourrait-on aider l’africain à devenir ce qu’il doit être ?
Quel est le socle sur lequel reposerait l’éducation de l’homme africain ? Mieux, quel est
l’impact de l’éducation dans le processus de la réalisation du bien commun dans une société
africaine pluraliste?

A certaines de ces questions répond Kant en montrant l’importance même du vocable


éducation :

L’éducation repose en dernier ressort sur la question d’une réalisation possible de l’humanité.
Elle est passage de l’hétéronomie à l’autonomie, apprentissage de la liberté […], l’éducation
est l’entretient du fait humain et de l’idée de l’humanité telle qu’elle devrait être. La pédagogie
permet d’approcher la ligne de démarcation du physiologique et du transcendantal, du discours
anthropologique. 91
De ce fait, l’éducation apparait dans la poursuite de la chose commune dans une société
pluraliste comme un puissant agent de changement dans la société en ce qu’elle améliore les
moyens de subsistance et contribue à l’évolution du monde, à la compréhensibilité, c’est-à-
dire au respect mutuel des différences (races, cultures, etc.) et stimule la croissance
environnementale et, elle est aussi essentielle à la réalisation de chacun et à l'amélioration de
la qualité de vie d'une personne. Et donc, elle est un outil essentiel pour le développement
économique, politique, social et culturel−de toutes les populations dans le monde.

Chez Michael Novak, l’impact de l’éducation se comprend dans la poursuite libre du


bien commun. Le bien commun des personnes libres comme un ordre dans lequel les rapports
entre les êtres tiennent constamment compte des raisons des uns et des autres. Un tel ordre
respecte la dignité de chaque personne libre. C’est aussi la condition d’un progrès social
régulier dont chaque personne a sa part et lequel progrès ne peut se faire sans l’éducation. 92
En d’autres termes, en tant que citoyens éduqués, réaliser le bien commun revient à n’étouffer
la liberté d’aucuns membres de la société quel que soit le statut que l’on occupe dans une
société bien déterminée, puisque l’éducation que l’homme reçoit le transforme et cela impacte
sur une société donnée. C’est en cela qu’écrit Benjamin Barber:
La démocratie est l’affaire du citoyen, lequel, est une personne consciente et éduquée qui a à
la fois de la place qui est la sienne dans une communauté élargie et de la possibilité de (se)
faire entendre (his public voice, sa voix en public) pour participer activement et pour délibérer.
90
Cf. JEAN-PAUL II, « L’éducation, tâche première de la culture », in L’éducation dans l’enseignement des
Papes, Paris, Solesmes, 1982, p.23.
91
Cf. B. VANDEWALLE, Kant, éducation et critique, Paris, L’Harmattan, 2001, p.17.
92
Cf. M. NOVAK, Démocratie et bien commun, p.159.

[27]
Le citoyen doit être à la fois sujet et auteur du droit. Son éducation se fait en partie à l’école,
mais aussi devant cet autre instrument de la socialisation qu’est la télévision. Les références
aux séries font partie intégrante des conversations quotidiennes au travail, à l’école, entre
amis, ce qui atteste de l’existence et de l’importance d’une culture populaire commune.
L’acquisition de repères rendue possible par la prise de conscience des problèmes qui
fragilisent le système invitent le citoyen à une réflexion indispensable au bon développement
et fonctionnement de la communauté à laquelle il appartient. 93

La démocratie, comprise donc comme pouvoir des peuples, met en exergue l’importance
d’une éducation à la citoyenneté, laquelle vise à faire des africains dévoués au bien commun,
respectueux des lois. Dans une école qui éduque à la citoyenneté, les élèves doivent, à l’école,
passer par l’appropriation de l’histoire nationale et c’est en cela que l’on promeut le socle
rassembleur qu’est la démocratie. Il revient à Kant d’affirmer que la citoyenneté est ce qui
permet à l’homme d’accéder à la personnalité morale, comme équivalent d’un type historique
(la loi de l’histoire comme type de la loi morale).94

La façon d’éduquer en vue du bien commun peut être bien saisie dans le sens des
verbes « educare et educere »(prendre soin de et faire sortir de) et être comparé au soleil dont
les rayons éclairent les humains en les dézombifiant, pour reprendre l’expression chère à
Willy Moka, c’est-à-dire, en les faisant passer de la caverne à la lumière en les éduquant aux
valeurs communes afin qu’ils soient initiés à la montée vers le bien commun, telle que le
laisse entrevoir l’analogie de l’allégorie de la caverne de Platon. Cette dernière consiste à
dégager de leurs chaînes, à arracher et à sortir de leur caverne, les hommes aux nuques
attachées au mur par l’ignorance afin de les faire monter aux lieux qu’éclaire le soleil qui se
veut la partie la plus noble de l’âme et la contemplation du plus excellent endroit de tous les
êtres.95 Tel est ce qui doit être fait pour un africain. Rousseau disait en effet que nous pouvons
être homme sans être savant.96 En d’autres termes, la vertu n’est pas à confondre à la science,
à la connaissance ou au bagage intellectuel, etc.

La recherche du bien commun est ce qui motive l’action de la communauté voire


celle politique et sociale. Eduquer l’africain au bien commun c’est alors, l’entraîner à
assimiler le sens du bien commun. Novak quant à ce, invite à ce que l’on passe de la simple
intention du bien commun au niveau de la pensée à la réalisation, à la concrétisation,

93
B.VILLEZ, L’éducation du citoyen : une pédagogie de la démocratie ? Dans Séries télé : visions de la
justice (2005), pp. 137-159.
94
Cf. B.VANDEWALLE, Kant, éducation et critique, L’harmattan, Paris, 2001, p.137.
95
Cf. PLATON, La République, in PLATON, œuvres complètes, Livre VII (version électronique), pp.331-334
96
J. J. ROUSSEAU, Emile et l’éducation, in https://www.20aubac.fr/corriges/32354-rousseau-emile-education-
conscience-conscience-instinctdivin (visité le 05/04/2021 à 23h42).

[28]
laquelle exhorte à servir, à vouloir et à tout rechercher le bien commun. 97 Eduquer les êtres
humains dans le continent d’Afrique en vue du bien commun dès lors, devient les conduire
hors (et c’est bien là le sens étymologique même de l’éducation, ex-ducere, les arracher de
l’égoïsme qui les gangrènent afin de leur donner le sens de l’intérêt universel, le désir de
l’être universel ou politique, le sens du bien qui dépasse la simple satisfaction égocentrique.
Il faut y mettre suffisamment de temps et les moyens nécessaires…

En grosso modo, nous pensons que l’éducation s’avère être d’une importance dans la
question de la réalisation au bien commun en Afrique, marquée par le pluralisme à outrance et
perverti car elle est le socle sur lequel peut se construire la société ; dans la réalisation de bien
commun en Afrique, l’éducation deviendra ce qui élève les africains des simples passions
égoïstes et leur permet la corrélation à une culture éducative efficace de la prise en charge
personnelle du bien commun. L’éducation au bien commun est le phare qui éclaire la bonne
marche d’une communauté africaine et protègera même les gouvernants africains de tout
égarement irrationnel dans la gestion étatique. Etant donné que l’éducation ne peut être bien
entreprise que dans un environnement bien assaini, concevoir les institutions politiques pour
les êtres humains bien-éduqués qui promeuvent le bien commun en pratique en mettant en
œuvre une psycho-pédagogie98 de la conscience qui participe aussi au développement des
membres vivant en société africaine. Cette marche éducative inclut l’idée que la recherche du
bien commun ne peut se concevoir sans un engagement ambitieux en faveur de la protection
de la nature; cela implique la prise en compte de la notion d’environnement. L’éducation
s’aperçoit aussi dans un adage latin qui dit : « Nemo dat quod non habet », qui signifie
littéralement "personne ne donne ce qu'il n'a pas ". Ceci se vérifie dans le domaine de
l’éducation lorsque Kant écrit : « l’homme ne reçoit son éducation que d’autres hommes
éduqués par les mêmes voies. »99 Ceci signifie que dézombifier l’africain (l’aider à réfléchir
sur la réalisation du bien commun en vue d’une Afrique meilleure), revient à le soumettre à
l’intervention des acteurs de l’éducation, parmi lesquels on peut citer le pouvoir politique.
Car, dira Novak, « La réalisation du bien commun est avant tout une responsabilité politique
puisque l’élaboration d’un cadre institutionnel adapté en est une condition sine qua non
».100C’est en ce sens que le pouvoir devient la condition indispensable de la réalisation du bien
97
Cf. M. NOVAK, Démocratie et bien commun, pp.96-97.
98
Le travail du thème psychopédagogie employée ici signifie mettre en œuvre une morale qui vise à émanciper
intellectuellement les membres de la société et à les considérer dans leur ensemble (facteurs cognitifs, affectifs,
physiques, scolaires, familiaux…).
99
Cf. E. KANT, Réflexion sur l’éducation, p.74.
100
Id., Démocratie et bien commun, p.129.

[29]
commun. Qu’en est-il du pouvoir politique? Quel lien comporte-t-il avec le bien commun ?
En quoi constitue-t-il un préalable pour la réalisation de bien commun en Afrique ?

III.2. LE POUVOIR POLITIQUE, PROMOTEUR DU BIEN COMMUN

Les hommes veulent être heureux mais ils ne savent pas exactement ce qu’ils
peuvent pour être heureux. De nos jours, l’impression que certains acteurs politiques et
gouvernementaux donnent c’est que l’enrichissement personnel est le but poursuivi, tandis
que l’élaboration et la réalisation des projets de développement deviennent les moyens pour
atteindre le but qu’ils se fixent. Il y a donc, nous le pensons, une inversion totale où l’intérêt
personnel prime sur l’intérêt général qui étouffe l’avenir de l’Afrique. L’avenir du continent
d’Afrique ne peut pas continuellement être sacrifié sur les bases malsaines et égoïstes d’une
poignée de gens. Face à cela surgit une question : dans quelle mesure le pouvoir politique
serait-il promoteur de la réalisation de bien commun en Afrique? Le pouvoir politique n’est-
il pas, au sens premier et noble du terme, le service du bien commun ?

Le bien commun est un thème transversal, pour user de la thématique de Célestin


Kabuya, dont l’étude ne se focalise pas sur une seule discipline purement philosophique ou
théologique; il s’intéresse à bien d’autres disciplines, notamment l’éthique, la science
politique et tant d’autres. L’impact du pouvoir politique dans la vie sociétale et dans la
notion de la réalisation du bien-être pour tous n’est pas à ignorer. Indibutablement, le bien
commun est la visée même à laquelle aspire toute société politique. Car, il est du souci de
toute société de voir évoluer chaque citoyen; En ce sens, le pouvoir politique devient le
promoteur de la réalisation du bien commun, de bonheur de l’homme où les humains vivent
en corrélation avec ses semblables et sont « je et tu »101, pour utiliser l’expression de Martin
Buber.

Un texte de Novak met en lumière le rôle et la responsabilité du pouvoir politique en


ce terme : « la réalisation du bien commun est avant tout une responsabilité politique
puisque l’élaboration d’un cadre institutionnel adapté en est une condition sine qua non ».102
De ce fait, dès lors que l’on comprend le bien commun comme objet du pouvoir politique,

101
Je et Tu est une œuvre de Martin Buber publiée pour la première fois en 1923. Aussi bien philosophique que
théologique ce petit livre insiste sur l'Altérité - le sens de l'autre comme 'personne' - comme dimension
absolument essentielle à toute vie humaine. Le binôme Je-Tu utilisé par Buber fonde le monde de la relation. Il
prend ici le sens de relation.
102
Id., Démocratie et bien commun, p.129.

[30]
cela implique que le bien commun soit incarné par les gouvernements démocratiquement
élus, c’est-à-dire conformément aux règles établies (élection, etc…). Dans le contexte actuel
des Etats africains caractérisés par un pluralisme perverti et où le rôle des gouvernements
évolue au rythme que les sociétés s’individualisent, il y a lieu de (re)définir le pouvoir
politique, compris tel un type de pouvoir qu'une personne ou un groupe de personnes exerce
dans une société. Ce pouvoir peut être associé soit avec la souveraineté, soit le pouvoir de
fixer les règles qui s'appliquent à la population sur un territoire donné. 103 Il peut aussi
renvoyer à une clarification terminologique du terme « pouvoir » qui se trouve accompagné
du qualificatif « politique » pour désigner cette instance de décision qui organise toutes les
actions de l’Etat.104
Comme l’a si bien souligné le professeur Lohata TAMBWE, « Depuis l’antiquité
grecque, les philosophes, les juristes, les moralistes, les politicologues et autre spécialistes
des sciences sociales qui s’intéressent au pouvoir, ne cessent d’affirmer que la politique a
comme objectif fondamental d’assurer la gestion du bien commun. »105 Cela implique
l’intervention du pouvoir politique dans la question de l’intérêt général dont il doit corriger
les inégalités, unifier les citoyens, et à accorder l’accessibilité de tous les citoyens au bien
commun. Celui-ci entendu comme cet ensemble des choses, des valeurs et des droits
accessibles à tous les habitants d’une société voire d’un Etat. Dès lors, son but consiste à
gérer les structures institutionnelles de l’Etat et à organiser la vie de la communauté
politique au service du bien-être de tous.
Pour Katato Nsenga, les principaux critères des biens incorporels demeurent la non-
rivalité et de non-exclusion.106 Mais à voir les pouvoirs politiques actuels, tout passe comme
si les gestionnaires politico-administratifs ignoraient l’existence et les intérêts des gouvernés
au point de faire d’eux des esclaves, en accaparant les biens appartenant à l’Etat. Toujours à
la question du pouvoir politique comme promoteur de la gestion du bien commun, Platon,
alors soucieux de la reconstruction d’Athènes en son époque, pensait lui aussi que le pouvoir
politique doit retourner au bien ou à ce qui est juste en créant le vivre-ensemble
harmonieux.107 Bien que cela, Aristote pensait déjà que : « l’activité Politique est l’art du
commandement social, l’activité pacificatrice permettant à une société divisée de s'ordonner
103
Cf. Pouvoir politique, in https://fr.wikipedia.org/wiki/Pouvoir_politique#cite_ref-1. (Consulté le 08/04/2021à
15h11).
104
L. TAMBWE, Politique comme gestion visant le bien commun, in Congo-Afrique n°506(Juin-Juillet-Août),
2016, p.452.
105
Idem.
106
B. NSENGHA, « lexique de science politique, vie et institutions politiques, Paris, Dalloz, 2011, p.35. Cité par
L.TAMBWE, Op.Cit., p.453.
107
Idem.

[31]
à une fin supérieure ».108 C’est cela qui fait appel au bien commun, lequel ne saurait être
possible que dans les sociétés politiques.

Novak pense que la politique, si imparfaite qu’elle soit, est la meilleure profession
qui puisse servir le bien commun: « la politique est sans conteste la profession la plus
noble […]».109 Claude Ryan, de par son expérience politique, pense que « le bien commun
est la résultante de l’exercice responsable du pouvoir et, dans nos sociétés démocratiques,
cela signifie la prise en compte des intérêts individuels sans renoncer aux intérêts de la
communauté. Ce sont ces fragiles équilibres que doit défendre la classe politique ».110 Ainsi,
partant de la nécessité de redéfinir le pouvoir politique comme promoteur et les grandes
diversités d’intérêts qu’elle regorge, le pouvoir politique est habité par un besoin d’unité et
de solidarité entre les membres de la société. Lesdits membres de la société sentent la
nécessité d’agir communautairement autour de certains objectifs et d’une autorité agissant en
leur nom dans les affaires communs ; et, c’est cette autorité qui est ici appelée pouvoir
politique.
Ce besoin, pour les membres de la société, de s’unir en vue du bien commun
s’exprime par diverses formes d’entraide et de collaboration entre les personnes, mais
principalement par la désignation de personnes mandatées pour agir au nom de la
collectivité. Une lettre encyclique de Jean-Paul II observait un rapport intrinsèque de
causalité entre le pouvoir politique et le bien commun dans la mesure où le pouvoir politique
n’existe que pour le bien commun et celui-ci (bien commun) comme un bien humain qui
constitue la raison d’être du pouvoir politique. Elle affirme en ces mots :
Si chaque communauté humaine possède un bien commun qui lui permet de se connaitre en
tant que telle, c’est dans la communauté politique qu’on trouve sa réalisation la plus complète. Il
revient à l’Etat de défendre et promouvoir le bien commun de la société civile, des citoyens et des
corps intermédiaires.111
Autant dire que le bien commun peut être défini dans cette perspective comme la
base de la vie de toute action politique. « Le développement de l’homme souvent envisagé
dans la sphère politique ne peut connaître son essor véritable que si cette notion du bien

108
L. TAMBWE, Op.Cit., p.455.
109
M. NOVAK, Démocratie et bien commun, p.131.
110
C. RYAN, « L’autorité politique et le service du bien commun dans les conditions d’aujourd’hui », in
Éthique publique [En ligne], vol. 6, n° 1 | 2004, mis en ligne le 29 décembre 2015. (Consulté le 08 avril 2021 à
13h51).
111
[CEC] Catéchisme de l’église catholique, Édition définitive avec guide de lecture (trad. du latin), Italie,
Bayard/Cerf/MAME, 2013, n°1910.

[32]
commun est réellement assimilée au profit de l’intérêt général et hautement promue au
détriment de tous les autres intérêts particuliers ».112
En définitive, disons que la classe politique, bien qu’elle joue un rôle promoteur dans
la réalisation du bien commun, ne constitue pas pour autant la seule cible en rapport avec le
décollage d’un continent comme celui d’Afrique ; néanmoins, les détenteurs du pouvoir
chargés d’impulser le changement, les acteurs politiques portent la plus grande part de
responsabilité quant à la question de la réalisation du bien commun. Novak écrit :
« Beaucoup devront apprendre aussi apprendre par expérience que ce que l’on peut attendre
du gouvernement, du pouvoir politique reste limité […] ».113 Cela signifie, quoiqu’il
revienne à l’Etat, en tant que forme morale et garant de la nation d’user de son pouvoir et de
coordonner les actions des citoyens, par le fait même se perçoit la tâche du pouvoir politique
comme promoteur, initiateur du bien commun ; il en revient aussi que les citoyens de chaque
pays du continent d’Afrique acceptent de changer leur modus vivendi (mode de vie) en
déchargeant des antivaleurs qui empêchent le décollage de l’Afrique, notamment le
détournement, la corruption, l’« état-providence », la paresse, l’intérêt personnel et tant
d’autres. Ce n’est qu’en ce sens que le pouvoir politique pourrait être promoteur du bien
commun. Car, même si nous pouvons tous attendre du pouvoir politique la réalisation de
bien commun, nous n’atteindrons par lui qu’une petite partie de ce bien commun. Mais, dans
une société africaine pluraliste, le bien commun ne peut se réaliser que suivant un ordre;
d’où l’importance de poursuite de la justice dans les décisions politiques pour contribuer
largement à l’épanouissement des hommes et à favoriser l’harmonie des sociétés.

III.3.LA JUSTICE COMME DISPOSITION AU BIEN COMMUN

Il existe plusieurs façons d’appréhender le concept de justice et les écrits qui


l’abordent sont légions. Il est difficile de définir d’une manière unanime la justice. Bien que
cela, le mot "justice" vient du latin « justicia » qui à son tour dérive de « justus », renvoie à
ce qui est conforme au Droit. La justice signifie étymologiquement ce qui est conforme à la
norme du droit, ce qui est dû à l’autre personne considérée comme personne humaine. Aussi,
la justice désigne également la vertu par laquelle les droits des personnes sont respectés en
tant que personnes égales.114

112
L. TAMBWE, Politique comme gestion visant le bien commun, in Congo-Afrique n°506(Juin-Juillet-Août),
2016, p.452.
113
Id. Démocratie et bien commun, p.131.
114
Cf. Mgrs M. DUBOST-S.LALANNE, Op.Cit., p.898a.

[33]
On distingue traditionnellement, depuis Aristote, trois types de justice : distributive,
corrective, commutative:
La justice distributive est celle des partages ou, comme le mot l’indique, des
distributions. Elle est soumise à l’égalité, lorsqu’il est juste de donner la même chose
à tous. La justice commutative ou réciproque est celle qui est requise dans les
échanges, par exemple, grâce à la monnaie, dans le commerce. Elle doit respecter
l’égalité entre les choses échangées. Enfin, la justice corrective est celle qui répare un
préjudice. Si l’un s’est enrichi malhonnêtement aux dépens d’un autre, par exemple en
cas de vol ou de rupture de contrat, « le juge s’efforce d’établir l’égalité » en enlevant
le gain obtenu, en rendant son dû à celui qui a été lésé, voire, le cas échéant, en
sanctionnant le coupable.115
De cet extrait présentant les formes de justice, nait l’exigence de la répartition
équitable des revenus de la société. Une répartition qui ne tient compte des distinctions
aucunes et ne favorise pas certaines des gens au détriment d’autres; une répartition qui permet
à chaque homme de bien vivre. C’est en cela qu’elle doit être une distribution acceptable
socialement, entre individus ou groupes d’individus, habitant une société quelconque. Mieux,
une répartition qui n’est plus l’apanage d’un seul groupe, de certains individus ou d’une
classe sociale au détriment des autres classes sociales. Elle exige que tous les citoyens soient
traités de la même façon. Chez Thomas More ces formes de justice reçoivent une conception
particulière, surtout celle distributive qui est si différente de la manière dont le thème se
trouve développé par bien d’autres penseurs. La justice distributive chez More ne se repose
pas sur le facteur de méritocratie qui exige à ce qu’on donne à chacun selon ses forces, sa
contribution à la chose publique, mais repose sur un principe fondamental qui est : « tout
appartient à tous ».116

Au dire Novakien, la justice est conçue comme principe transcendant dans le sens
qu’elle ne peut jamais être parfaitement réalisée à aucun moment de l’histoire, mais elle
encourage la marche en avant de la race de pèlerins que sont les hommes. 117 Ceci signifie que
chaque génération se trouve penchée vers cette quête de la justice. Le besoin de justice est
même un moteur puissant de transformations tant au niveau politique que social. De ce fait,
dans les sociétés actuelles, plusieurs organisations pour un changement (de société) ne se
fondent-elles pas sur une certaine conception de la justice? C’est dire que la justice constitue
une valeur à laquelle les humains aspirent. Ce sentiment universel permet d’affirmer que la
justice relève du bien commun en ce sens que l’homme est par le fait même plus attentif à la

115
A. COMTE-SPONVILLE, Op.Cit., p.1825.
116
Cf. T. MORE, Utopie, Paris, éd. SOCIALE, 1966 (1982), p.204.
117
Cf. M. NOVAK, Démocratie et bien commun, p.178.

[34]
dimension de la justice. Par conséquent, la poursuite de la justice dans nos décisions
contribue largement à l’épanouissement des hommes et favorise l’harmonie des sociétés.
Tâchons-nous d’en expliciter plus pour en saisir la dimension conciliaire.

Toutefois, le sentiment vécu n’est pas suffisant pour déterminer ce qui est
objectivement juste et ce qui ne l’est pas. « Le juste, écrit Aristote, est ce qui est conforme
à la loi et ce qui respecte l’égalité ; l’injuste, ce qui est contraire à la loi et ce qui manque à
l’égalité».118 Autrement dit, on appelle juste, tout ce qui contribue à produire ou à
entretenir pour une communauté politique le bonheur aussi bien dans sa totalité que dans
les détails. Pour Platon, « la cité comporte trois classes: les philosophes, les gardiens et les
artisans. La première doit commander, la seconde et la troisième doivent obéir. La justice
tient au fait que chaque classe remplit la fonction correspondant à ses aptitudes». 119 De par
ces deux auteurs, il ressort l’idée de la justice sociale comme une construction morale et
politique; ce qui signifie que les membres d’une société s’accordent sur certains principes
de justice, acceptés par tous et qui orientent l’action politique. Il existe plusieurs
conceptions de la justice sociale, qui diffèrent notamment selon le degré d’inégalités
qu’elles jugent acceptables. Telle n’est pas notre poursuite dans cette partie, celle d’étayer
la justice sociale partant de ses degrés.

Par ailleurs, par extension, la justice et le bien commun sont incompatibles avec les
discriminations, celles-ci entendues comme orientations des politiques publiques dont
l’objectif est de valoriser une ou plusieurs catégories sceptiques. 120 Pour John Rawls, «la
recherche de justice suppose l’exclusion de toute forme de partialité et d’arbitraire dans les
décisions. Tout autrement, la justice ne tolère aucun privilège ou régime de faveur sans
raison valable, c’est-à-dire, sans raison qui ne puisse être expliquée ou justifiée à toutes et
tous».121 En conséquence, il n’y a pas de justice sans une prise en compte égale de

118
ARISTOTE, Éthique de Nicomaque, (intro.Trad.et commentaire par R-A.GAUTHIER ET J-Y.JOLI, Paris,
Garnier-Flammarion, 1965 (réimpr. 1998) ,1re éd. Livre V, 1940, p.1235 b 17
119
PLATON, La République, livre IV, 441d-444 c, tard. du grec par E. Chambry, Ed. Les belles lettres, 1989,
pp.41 et 45-46.
120
Cf. S.WUHL, La discrimination positive à la française. Les contradictions des politiques publiques in
Informations sociales 2008/4 (n° 148), pp. 84-93.
121
https://www.google.com/url?
sa=t&rct=j&q=&esrc=s&source=web&cd=&cad=rja&uact=8&ved=2ahUKEwjY98y0rNDvAhWB5AKHVOFD
UQQFjAAegQIAxAD&url=https%3A%2F%2Fwww.justicepaix.be%2Fspip.php%3Faction%3Dtelecharger
%26arg%3D2936&usg=AOvVaw3ixRunBCWLUiAFiypmYcNH. (visité le 20/03/2021 à 13h20).

[35]
l’ensemble des membres d’un groupe à qui s’applique telle ou telle autre décision. La
justice et le bien commun, nous le pensons, sont incompatibles avec des discriminations de
richesse, de sexe, de couleur de peau ou d’origine par exemple. La justice constitue ainsi
un idéal moral, en tant qu’une solution pragmatique, un moyen efficace de règlement des
conflits sans exercer une force.

Dans la même perspective, la justice permet à une communauté déterminée de


s’accorder sur des normes de référence facilitant la bonne "entente" entre les êtres
humains. Et c’est bien cette recherche de la justice qui s’avère donc cruciale pour
contribuer au bien commun, en tant qu’elle renforce l’harmonie d’une société et contribue
à l’épanouissement de chacun de ses membres. Autrement dit, la justice sociale suppose
l’accès égal pour toutes et tous à un certain nombre de libertés fondamentales, dont les
libertés d’expression, conscience, de pensée, de la propriété personnelle, etc. sans doute,
ce sont ces libertés précitées qui constituent des moyens essentiels pour que chacun puisse
poursuivre et réaliser sa conception de la vie bonne. Dès lors, toute décision tant politique
qu’économique qui contrecarre l’accès à ces libertés, porte atteinte à la personne humaine
et par conséquent, elle devient incompatible à une recherche du bien commun. Nous
pensons que la quête de la justice est indissociable de la poursuite d’un bon nombre de
libertés. Cependant, l’exercice desdites libertés, autant que l’on sache, dépend d’un certain
nombre de conditions sociales, économiques, culturelles,…

Ainsi, la poursuite du bien commun reste indissociable de la quête de la justice. Pour


ce faire, comme l’a si bien précisé Pie XI: « La norme de justice sociale est bien le commun.
Les ressources qu’accumule l’économie sociale doivent être réparties de telle manière entre
les individus et les diverses classes sociales de la société…La justice sociale ne tolère pas
qu’une classe empêche l’autre de participer à ces avantages». 122 C’est donc au nom de la
justice en vue du bien commun que les êtres humains avec rigueur et vigueur doivent se
caractériser. Seule une éducation, un cadre éthique peut mettre à jour et cultiver ce qu'il y a de
noble dans l'homme pour l'orienter vers une fin plus noble encore, telle que la recherche du
bien commun dans une société pluraliste. Donc, la poursuite du bien commun suppose
l’aspiration collective des citoyens au bien-être de chacun et chacune, ainsi qu’à une haute
qualité de relation entre les membres d’une société. Cette considération égale de toute
personne suppose la recherche de la justice, laquelle comprend la lutte pour la défense des

122
PIE XI, Encyclique Quadragesimo anno, 1931, §110. Cité par Mgrs M.DUBOST-S.LALANNE, Le nouveau
Théo. L’encyclopédie catholique pour tous, Op.Cit., p.898.

[36]
libertés fondamentales et des droits économiques et sociaux. Pour terminer, l’aspiration au
bien commun pour toutes et tous, induit à une recherche des meilleurs dispositifs des prises
de décision. A ce titre, outre la démocratie qui, elle aussi demeure la modalité d’action qui
porte le plus une attention aux voix plurielles des citoyens, aux préoccupations diverses, la
justice en est un élément majeur.

Conclusion

Dans ce chapitre, il s’agissait de montrer dans quelle mesure la pensée de Michael


Novak pourrait être contextualisée en Afrique. Cela nous a conduits à l’aborder sous une
thématique reprise comme suit : « le bien commun à l’épreuve de la pratique dans la africaine
pluraliste » et subdivisée en trois points. D’abord, nous avons souligné le fait que dans le
continent d’Afrique où les gouvernants et gouvernés ne manifestent pas les liens spécifiques
entre eux et ne sont pas mobilisés par/ et à avoir une intention commune idéalement, et tant
d’autres implications, l’éducation serait le moyen de l’humanisation de tous les membres de la
société. Ensuite, au deuxième point, nous avions tout de même relevé la thématique du
pouvoir politique comme promoteur du bien commun, une condition sine qua non, car le
pouvoir politique est l’élément pouvant aider les africains à cerner l’essence de la société
humaine. Enfin au dernier point, centré sur la justice, nous soulignions que la justice est un
principe de base, un organe qui permettrait un respect des droits de chacun dans les Etats
africains et de maintenir l’ordre afin de mener pacifiquement la quête du bien commun.
Néanmoins, l’éducation, le pouvoir politique et la justice ne suffisent pas pour mettre fin à la
problématisation de la réalisation du bien commun, il y a bien d’autres éléments non abordés.
Pour ce, tâchons tirer une conclusion générale, une récapitulation plus globale, au terme de
cette investigation philosophique.

CONCLUSION GENERALE

Notre travail a porté essentiellement sur « La société pluraliste est-elle compatible


au bien commun? Une lecture de la Démocratie et bien commun de Michael NOVAK »,
une problématique située indubitablement dans le domaine de la philosophie politique. Celle-
ci est une branche de la philosophie qui étudie les questions relatives au pouvoir politique, à
l’État, au gouvernement, à la loi, à la politique, à la paix, à la justice et au bien commun entre
autres et, se distingue des sciences politiques par son caractère normatif, qui est de l’ordre du
devoir être, c’est-à-dire qu’elle montre ce qu’on veut qui soit fait, comment le monde doit
être, mieux philosophie politique est préoccupée par ce qui est moralement bon ou mauvais;

[37]
alors que les sciences politiques sont descriptives, elles établissent les règles et s’occupent des
données empiriques. Et notre travail se problématisait essentiellement autour de la question de
l’éthique politique dans une société pluraliste. Le souci, en élaborant ce travail, était de
démontrer que la société pluraliste est tout à fait compatible au bien commun. Cependant,
comme dans toute entreprise scientifique où est requise la systématisation ou
l’ordonnancement des notions et des idées, la nôtre portait sur trois chapitres. Récapitulons-
les.

D’abord, au premier chapitre intitulé « clarification conceptuelle », nous avons clarifié


les concepts de base que nous avons considérés comme les plus importants et susceptibles de
nous aider à cerner la théorie novakienne du bien commun en vue de dégager les difficultés
qui handicapent la réalisation du bien commun dans une société pluraliste et montrer la
manière dont la société pluraliste procède à la réalisation du bien commun. De tous les
concepts de base, c’est le bien commun qui était au centre. Nous avions montré que le bien
commun s’identifie à la communauté de buts et d’intentions. En conséquence, sa réalisation
n’est compatible dans une société pluraliste que lorsque les hommes sont considérés comme
des individus, c’est-à-dire membres d’une espèce humaine reconnus sur base des propriétés
physiques communes. Ainsi donc, le bien commun ne peut se réaliser dans une société
pluraliste que par la non-planification des buts, d’intentions, la poursuite libre, etc.

Ensuite, au deuxième chapitre dénommé « les difficultés à réaliser le bien commun


selon Novak », nous soulignions le fait que la vie humaine reste marquée par l’intérêt
personnel qui conduit l’homme à ne prendre soin que de lui-même. De ce fait, cet intérêt
personnel, accompagné d’autres difficultés dont, l’esprit de faction, le voile d’ignorance et la
pluralité de bien poursuivi dans la société pluraliste fragilisent la réalisation du bien commun;
Face à ces fléaux, nous avons donc pensé dans ce chapitre que prétendre réaliser le bien
commun en termes de communion de buts et d’intentions relève de l’utopie car l’homme reste
marqué par l’intérêt personnel, le voile d’ignorance et l’esprit de faction.

Enfin, s’en était suivi le troisième et le dernier chapitre, centré sur la thématique de
« bien commun à l’ère de la pratique dans la société africaine pluraliste », dans lequel il
s’agissait de montrer dans quelle mesure la pensée de Michael Novak pourrait être
contextualisée en Afrique. Il nous revenait de dire qu’il est une évidence qu’en Afrique
particulièrement les hommes sont différents, par conséquent, chacun à son bien. À la lumière
de Novak, nous avons voulu démontrer qu’à la question de la réalisation et la poursuite de
bien commun, le continent d’Afrique demeure encore dans une sorte de « caverne » et, cela
[38]
par le fait même que nombreux gouvernants et gouvernés africains cherchent leurs intérêts
propres dans tout ce qu’ils entreprennent; d’où il leur faut certaines bases sur lesquelles ils
accordent beaucoup plus d’attention pouvant les aider à sortir de cette caverne. Parmi ces
bases, nous en avons considéré trois, dont, l’éducation, le pouvoir politique et la justice.

Toujours ce chapitre, nous relevions le fait que la mauvaise éducation, la mégestion du


pouvoir politique et de la justice conduisent la majorité de la population africaine à l’intérêt
personnel. Face à cela, nous pensons qu’éduquer les nouvelles générations africaines en leur
transmettant les notions et les valeurs dont elles ont besoin pour leur insertion dans la
poursuite de bien commun, serait la meilleure qui puisse assurer le renouvellement perpétuel
des pays africains; parce que l’éducation inculquera alors dans les cœurs des citoyens des
pays africains les conditions de leur propre existence. Etant donné que cette éducation ne
saurait se faire sans un socle, le pouvoir politique serait le promoteur ; car le bien commun,
d’aucuns n’ignorent, est étroitement lié au pouvoir politique. La justice serait la condition
sine qua non de la réalisation du bien commun dans une société africaine pluraliste. Car la
justice ne tolèrerait pas qu’une classe empêche l’autre de participer à ses avantages ; elle est
ce qui fait respecter les règles de vie en société en sanctionnant les actes et comportement
contraires à la loi et en protégeant entretemps les personnes les plus fragiles (à réaliser leur
plein épanouissement dans la poursuite de bien commun).

En tout et pour tout, terminons avec Michael Novak en reconnaissant en sa pensée,


particulièrement contenue dans Démocratie et bien commun, une richesse immense. Loin de
nous l’idée d’avoir étayé toutes les idées sur la problématique de la compatibilité d’une
société pluraliste avec le bien commun, ce qui est d’ailleurs impossible ; nous nous sommes
attelés à ce qui nous est essentiel et constant à ladite problématique et nous avions montré
comment celle-ci (la problématique de la compatibilité entre la société pluraliste et le bien
commun) impacte sur la société. Toutefois, la pensée de Michal Novak continue à susciter en
nous beaucoup de questionnements, surtout celui du bien commun pour le cas du continent
d’Afrique. Ainsi donc, au terme de ce travail, nous proposons à tous de continuer à penser et
repenser la question de la cohésion sociale, mieux la compatibilité entre le bien commun et la
société pluraliste. L’intérêt personnel, cette philosophie immorale que combattait Michael

[39]
Novak, n’est-elle pas la source de sous-développement et des querelles en Afrique? Pour ce
faire, ce travail reste soumis à toute remise en question et à toute falsifiabilité de tous.

BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE
Ouvrages de l’auteur
1. M.NOVAK, Démocratie et bien commun, trad. de l’Anglais par Marcelline Brun, Préface de
Bernard de la Rochefoucauld, Paris, Cerf, 199.
 Idem, Une éthique économique. Les valeurs de l’économie de marché, trad. de
l’anglais Par Bernard Dick-Marcelline Brun, Lettre-préface de Jean-Yves Calvez,
Paris, Cerf, 1987.
 Idem, La philosophie Réinventée. Essais pour une nouvelle génération, trad. de
l’anglais par Marc-André BERA, New-York, TENDANCES ACTUELLES, 1976.
Autres ouvrages
1. ARISTOTE, Éthique de Nicomaque, (intro.Trad.et commentaire par R-A.GAUTHIER ET J-
Y.JOLI, Paris, Garnier-Flammarion, 1965 (réimpr. 1998) ,1re éd. Livre V, 1940.
2. B.VANDEWALLE, Kant, éducation et critique, Paris, L’harmattan, 2001.
3. A. De TOCQUEVILLE, De la démocratie en Amérique II, (coll. « GF »), Paris, Flammarion,
1981.
4. E. KANT, Réflexion sur l’éducation, Paris, VRIN, 1993.
5. G.FESSARD, Autorité et bien commun, Paris, Aubier, 1944.
6. G.SARTORI, Pluralisme, multiculturalisme et étrangers, Paris, Syrtes, 2004.
7. J.MARITAIN, Autorité et Bien commun, Paris, AUBIER, 1944.

[40]
8. J.ONAOTSHO KAWENDE, Rationalité Pluraliste, Éthique et Société. Parti-pris d’une
philosophie pratique, Bruxelles, éd.Academia, 2016.
9. J.RAWLS, La justice comme équité. Une reformulation de Théorie de la justice, trad.de
l’anglais par Bertrand Guillaume, La Découverte, 2003.
10. KABUYA-LUMUNA, Sociologie politique. Le peuple, le citoyen, l’État, la loi et le bien
commun, Éditions CEDIS, Kinshasa, 2018.
11. Mgrs M. DUBOST-S. LALANNE, Le nouveau Théo, L’encyclopédie catholique pour tous,
Mame, Paris, 2009.
12. NSENGHA, « lexique de science politique, vie et institutions politiques, Paris, Dalloz, 2011.
13. PIE XI, Encyclique Quadragesimo anno, 1931, §110. Cité par Mgrs M.DUBOST-
S.LALANNE, Le nouveau Théo. L’encyclopédie catholique pour tous, Paris, MAME, 2009,
p.898.
14. PLATON, La République, livre VII (version électronique), p.331-334
15. A. SMITH, De son temps et du nôtre, trad. de Jerry Z. Muller, Princeton : Princeton
University Press, 1993.
 La Richesse des Nations, livre IV, chapitre 2, GF-Flammarion, édition 1991,
tome II.
 Théorie de la justice, trad.de C.Audard, Paris, Seuil, 1987, p.44
16.T. MORE, Utopie, Paris, éd. SOCIALE, 1966.
Articles et revues
1. A.MWAMBAY, Le capitalisme est-il compatible avec le bien commun? In Pensée Agissante.
Revue semestrielle de l’université Saint Augustin de Kinshasa, Vol.28, n°51, Juillet-Décembre
2020, pp.18-31.
2. L.TAMBWE, Politique comme gestion visant le bien commun, in Congo-Afrique n°506(Juin-
Juillet-Août), 2016.
Webographie
1. https://www.20aubac.fr/corriges/32354-rousseau-emile-education-conscience-conscience-
instinctdivin.
2. https://fr.m.wikipedia.org/wiki/Voile_d%27ignorance.
3. https://fr.wikipedia.org/wiki/Pouvoir_politique#cite_ref-1.
Dictionnaires de philosophie
1. A.LALANDE, Vocabulaire technique et critique de la philosophie, Paris, PUF, 1926.
2. C. GODIN, Dictionnaire de philosophie, Paris, éd. DU TEMPS, 2005.
3. VOLTAIRE, Le dictionnaire philosophique, Paris, Flammarion, GF, 1964, réédition
1993(édition de René Pomeau). 1994-1995, vol 2.

[41]
TABLE DES MATIERES
Epigraphe...................................................................................................................................................i
Dédicace...................................................................................................................................................ii
Avant-propos...........................................................................................................................................iii
INTRODUCTION GENERALE...........................................................................................................1
0.1. Problématique....................................................................................................................................1
0.2. Intérêt du sujet...................................................................................................................................2
0.3. Méthode et architecture du travail.....................................................................................................3
CHAPITRE I : CLARIFICATION CONCEPTUELLE....................................................................4
Introduction..............................................................................................................................................4
I.1. BINOME INDIVIDU ET PERSONNE.............................................................................................4
I.1.1. La notion de personne et d’individu chez Novak............................................................................4
I.2. LA SOCIETE PLURALISTE............................................................................................................7
I.2.1. La société.........................................................................................................................................8
I.2.2. Le pluralisme.................................................................................................................................10
I.3. BIEN COMMUN CHEZ MICHAEL NOVAK...............................................................................13
Conclusion..............................................................................................................................................16
CHAPITRE II : LES DIFFICULTÉS À RÉALISER LE BIEN COMMUN SELON MICHAEL
NOVAK.................................................................................................................................................17
Introduction............................................................................................................................................17
II .1. L’INTERET PERSONNEL...........................................................................................................17
II.1.1. L’intérêt personnel bien compris.................................................................................................18
II.1.2. L’intérêt personnel mal compris..................................................................................................20
II.2. L’ESPRIT DE FACTION...............................................................................................................21
II.3. LE VOILE D’IGNORANCE..........................................................................................................23
II.3.1. Le voile d’ignorance chez John Rawls........................................................................................23
II.3.2. Le voile d’ignorance chez Michael Novak..................................................................................24
Conclusion..............................................................................................................................................25
CHAPITRE III. LE BIEN COMMUN À L’ÉPREUVE DE LA PRATIQUE DANS LA
SOCIETE AFRICAINE PLURALISTE............................................................................................26
Introduction............................................................................................................................................26
III.1.L’EDUCATION COMME VOIE A LA NOTION DU BIEN COMMUN...................................26
III.2. LE POUVOIR POLITIQUE, PROMOTEUR DU BIEN COMMUN..........................................30
III.3.LA JUSTICE COMME DISPOSITION AU BIEN COMMUN....................................................34
Conclusion..............................................................................................................................................37
CONCLUSION GENERALE..............................................................................................................38
BIBLIOGRAPHIE SELECTIVE.......................................................................................................41
TABLE DES MATIERES....................................................................................................................42

[42]

Vous aimerez peut-être aussi