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Fofiri Farines Plantain Manioc Cameroun 23
Fofiri Farines Plantain Manioc Cameroun 23
2023, 32, 25
© E.J. Fofiri Nzossié et L. Temple, Hosted by EDP Sciences 2023
https://doi.org/10.1051/cagri/2023018
Disponible en ligne :
www.cahiersagricultures.fr
Résumé – Cette étude a pour objectif de documenter le renouvellement d’une politique alimentaire
d’import-substitution au Cameroun. Elle interroge en quoi la production de farines panifiables à partir de
productions vivrières locales (manioc, banane plantain, patate douce) peut devenir compétitive par rapport
aux importations de blé. Elle utilise pour cela un cadre d’analyse de filière et de cluster alimentaires, ainsi
que des bases de données primaires et secondaires et des enquêtes. Les résultats confirment une tendance à
l’importation croissante de blé, qui présente des risques à l’avenir pour la souveraineté alimentaire. Ils
montrent qu’il est difficile de se concentrer uniquement sur un objectif de substitution à la farine importée.
La production nationale de manioc, de banane plantain et de patate douce fournit encore peu d’excédents
pour répondre aux besoins d’une production industrielle de farines panifiables. En revanche, ces résultats
confirment l’opportunité de développement de clusters constitués de petites unités de transformation
valorisant une diversité de produits locaux à partir des produits amylacés tropicaux.
Mots clés : blé / manioc / plantain / import-substitution / système alimentaire / cluster / Cameroun
Abstract – Wheat import-substitution and competitiveness for cassava, plantain and sweet potato-
based bread flour in Cameroon. This study aims to document the renewal of an import-substitution food
policy in Cameroon. It examines how the production of bread flour from local food crops like cassava,
plantain and sweet potato can become competitive with imported wheat. This study uses a food chain and
cluster analysis framework, coupled with primary and secondary databases and surveys. The results confirm
the trend towards wheat imports, with risks on future food sovereignty. However, it will be difficult to focus
solely on the objective of substituting imported flour. Domestic production of cassava, plantain and sweet
potato still provides little surplus to meet the needs of industrial production of bread flour. Nevertheless,
these results confirm the opportunity to develop clusters made up of small processing units that add value to
a diversity of local products from tropical starch products.
This is an Open Access article distributed under the terms of the Creative Commons Attribution License CC-BY-NC (https://creativecommons.org/licenses/by-nc/4.0),
which permits unrestricted use, distribution, and reproduction in any medium, except for commercial purposes, provided the original work is properly cited.
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produits alimentaires. Au regard de cette interpellation macro- – 6 responsables des administrations en charge de l’agri-
économique, cet article questionne en quoi la production de culture et du développement industriel et gestionnaires de
farines panifiables à partir des productions vivrières de manioc projets et programmes agricoles ;
(Manihot esculenta), de banane plantain (Musa x paradisiaca) – 10 sociétés coopératives de producteurs et transformateurs ;
et de patate douce (Ipomoea batatas) peut devenir compétitive – 20 membres du Syndicat patronal des boulangers du
par rapport aux importations de blé centrées sur la farine pour Cameroun et du Groupement patronal interprofessionnel.
la production du pain et des pâtes alimentaires.
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Valeur des importaons de blé et farine de blé par habitant au Cameroun (en
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Source Données : FAO-Stat - Graphique : Auteurs 2022
Fig. 2. Valeur des importations de blé et farine de blé par habitant au Cameroun (US$).
Fig. 2. Value of wheat and wheat flour imports per capita in Cameroon (US$).
2023) –, elle est souvent révélée par l’évolution relative des L’ambition de politique nationale de renouveler les
parts de marché en volume et en valeur d’un pays (Falciola objectifs de promotion du « Made in Cameroon » dans la
et al., 2020). L’évolution des importations physiques de blé par transformation du secteur agro-industriel par une politique de
habitant révèle une perte de compétitivité de l’agriculture substitution aux importations se trouve ici pleinement justifiée
vivrière camerounaise. L’analyse d’évolution du même pour : (i) réduire le déficit de la balance commerciale ; (ii)
indicateur en valeur différentie trois périodes. Avant 1993, éviter l’extraversion des habitudes de consommation alimen-
les importations en valeur de blé par habitant sont inférieures à taire et la perte de souveraineté alimentaire à l’avenir. Cette
2 $/habitant. Entre 1999 et 2008, elles doublent à 4 $/habitant. ambition interpelle la connaissance du potentiel national
Depuis 2008, elles se situent entre 4 $ et 10 $, avec une d’innovation technologique sur les farines locales.
moyenne de 8 $/habitant (Fig. 2). Cette tendance présente le
risque d’une dépendance structurelle du système alimentaire
3.1 L’import-substitution, socle de développement du
camerounais aux marchés internationaux et donc d’une perte
potentielle de sa souveraineté alimentaire à l’avenir, alors que tissu industriel et économique
ce pays dispose pourtant d’une large gamme de productions Le Cameroun affirme dès son Indépendance en 1960 sa
vivrières, de bonnes potentialités agronomiques et d’une volonté d’investir dans la production agro-industrielle
culture alimentaire identitaire. nationale (Varlet, 2000). La décennie 1970, caractérisée par
Cette tendance confirme des travaux des années 1980 l’interventionnisme de l’État, marque l’ère des sociétés
(Boutrais, 1982) qui, observant l’évolution de la consommation publiques d’encadrement et de formation des paysans
de blé (pain industriel, pâtes alimentaires, beignets, pâtisseries et (Courade, 1983 ; Fofiri Nzossié, 2013). La création de ces
biscuiterie), constataient une massification de la consommation sociétés a contribué à assurer un équilibre relatif de la balance
de pain. Le contrôle du prix du pain bénéficie depuis commerciale jusqu’au désengagement des politiques publi-
l’Indépendance d’une régulation et la farine de blé a acquis ques dans la décennie 1980.
une fonction de stabilisation sociale dans la gouvernance
sociopolitique (exonérations fiscalo-douanières des céréales en
2008), renforçant probablement cette tendance. Cela contribue à 3.2 Revenir sur l’extraversion des habitudes de
solidifier la compétitivité des filières d’importation de blé au consommation
regard des filières de transformation des productions vivrières
locales. Le blé importé bénéficie par ailleurs de subventions Les importations agroalimentaires révélatrices de situ-
significatives dans les pays producteurs. Ce n’est pas le cas des ations d’extraversion des habitudes de consommation alimen-
produits amylacés tropicaux (manioc, banane plantain, patate taire restent principalement focalisées sur l’adoption du riz et
douce). Depuis 2008, le prix à l’importation du blé (calculé par des pâtes alimentaires. Les importations de riz, de 300 000 ton-
division de la valeur des importations sur les volumes) est en nes en 2009, sont passées à 894 485 tonnes en 2019 (INS,
diminution structurelle (Fig. 3). 2021). Elles sont cependant moins significatives que celles du
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Fig. 3. Prix d’importation du blé et de la farine (US$/kg).
Fig. 3. Import prices for wheat and flour (US$/kg).
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Source : Données FAOSTAT - Graphique : Auteurs
blé. Les importations de pâtes alimentaires connaissent en énergétiques du séchage (Tran et al., 2022), à l’incertitude d’un
revanche une augmentation exponentielle depuis 2004 pour approvisionnement régulier en farines locales panifiables, aux
atteindre 26 890 tonnes en 2020 (Fig. 4), cela malgré des différentiels de coût entre la farine de blé et les farines locales
mesures législatives prises en 2013 (Loi n°2013/004 et et à l’ancrage des habitudes alimentaires des consommateurs
n°2014-11) régissant les conditions d’investissement favora- dans les produits à base de farine de blé (pâtes alimentaires).
bles à la production nationale de pâtes alimentaires à partir de Ce dernier argument est cependant controversé (Thiele et al.,
la farine de blé. 2021). Ainsi, au dernier comice agropastoral du Cameroun en
Le constat ci-dessus interpelle l’option stratégique 2011, les dégustations de pain à base de farines locales ont
d’utiliser les farines locales panifiables comme substitut à la révélé l’adhésion des populations au pain enrichi à 10–20 % de
farine de blé. Les diverses tentatives régionales dans cette voie farine de manioc et de maïs (Bimogo, 2020). Par ailleurs, plus
se sont soldées par des échecs liés à une certaine hostilité de la de la moitié de la consommation alimentaire est constituée de
filière classique (moulin, boulangerie), aux contraintes racines, tubercules et céréales, qui fournissent 48 % des
technologiques inhérentes à la faible soutenabilité des coûts calories totales (Ambagna, 2018).
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Les tendances à l’amplification et à la multiplication des crises d’autres demandes bioéconomiques potentielles. Ainsi, au
économiques, sanitaires et militaires (pandémie de Covid-19, Cameroun, le manioc commence à être demandé pour extraire
guerre russo-ukrainienne, détérioration des termes de l’échange) de l’amidon à des fins d’usage industriel non agricole :
réhabilitent ainsi l’objectif d’une souveraineté alimentaire, pressings, industries de cartonnerie, plastiques, industries
permettant d’affranchir une économie nationale de sa dépendance agroalimentaires parfois externes (acheteurs chinois).
trop forte à des marchés internationaux contrôlés par quelques Cette faisabilité invite à distinguer deux facteurs de
firmes multinationales, instrumentés comme « arme alimentaire » différenciation entre les trois spéculations ciblées (plantain,
par d’autres, et/ou à un nombre réduit de pays. manioc, patate douce) : le rendement agricole et le taux de
matière sèche transformée. Ainsi, pour chacune des hypo-
thèses d’incorporation, le besoin identifié en farine panifiable
3.3 Les innovations technologiques
détermine le besoin équivalent en matière première agricole. Il
pour la production de farines locales panifiables
se situerait, au regard des hypothèses retenues, entre 119 000 et
Plusieurs institutions d’enseignement et de recherche 476 000 tonnes pour le manioc, 143 000 et 572 000 tonnes pour
nationales et internationales, ainsi que des cadres de stratégie la banane plantain et la patate douce.
publique, documentent différents projets d’investissement
industriel (firmes étrangères ou nationales) pour la production 4.2 Une faible compétitivité des farines locales
de farine panifiable à base de banane plantain, en réalité peu sur les marchés domestiques
mis en œuvre. En revanche, les initiatives d’organisations de
producteurs confirment la professionnalisation de la trans- L’analyse à long terme du prix nominal comparé du manioc
formation agro-artisanale de manioc, de banane plantain et de (tubercules), de la banane plantain et de la farine de manioc
patate douce par de petites et moyennes entreprises (PME). aboutit à deux conclusions.
Depuis quelques années, la qualité des farines panifiables à Tout d’abord, le prix de la banane plantain fraîche étant
base de manioc et de banane plantain (taux d’humidité, règles quasiment le double de celui du manioc frais, les potentialités
d’hygiène, maîtrise du blanchiment, conditionnement/embal- d’usage de la banane plantain pour produire de la farine à usage
lage) s’est beaucoup améliorée. Mais en raison de l’atomisa- industriel sont improbables au regard du coût de la matière
tion de ces PME, l’évaluation de l’offre agro-artisanale reste première.
difficile. Au-delà des facteurs d’émergence suscités, ces En second lieu, le prix du manioc frais a doublé entre 2012
initiatives mobilisent des chercheurs nationaux sur les et 2021, tendance également observée pour la farine de manioc
conditions de solidification du secteur des PME, elles qui a atteint 400 FCFA/kg au consommateur en 2021.
bénéficient de financements de projets étatiques pour les L’augmentation du prix du manioc frais répond à un usage
activités de transformation (Projet de développement des croissant du manioc dans l’élaboration de nombreux produits
racines et tubercules, Projet d’investissement et de dévelop- locaux (Gari, Bibolo, Miondo, cossettes de manioc) qui
pement des marchés agricoles), et sont soutenues par le structurent le développement d’un secteur agro-artisanal basé
plaidoyer de la société civile pour la consommation du « Made sur l’évolution des habitudes alimentaires (Fig. 5) et
in Cameroon ». Au regard du potentiel agrotechnologique, exportateur sur le marché régional.
l’implémentation de la politique de transformation structurelle L’évaluation de la compétitivité par évaluation comparative
du secteur implique une meilleure connaissance de la demande des prix entre farine de blé et farines locales à partir des prix sur
nationale en farine locale panifiable. les marchés domestiques montre que le kilo de farine de manioc
varie de 750 à 1000 FCFA et celui de la banane plantain et de la
patate douce de 750 à 1700 FCFA, à Douala et Yaoundé. Ces prix
4 L’évaluation de la demande potentielle sont très élevés comparativement à celui du kilo de farine de blé
en farines locales et les opportunités (350 à 550 FCFA). Il révèle pour partie la non-compétitivité
de marché actuelle des farines locales. D’autres éléments de compétitivité
hors prix seraient cependant à analyser au niveau institutionnel
4.1 Quelle demande nationale en farines panifiables ? concernant les facteurs culturels, anthropologiques, techniques,
technologiques et nutritionnels (Tab. 1).
Pour documenter la demande nationale en farines, l’étude a
Ces résultats mettent en évidence un ensemble de facteurs
retenu quatre hypothèses d’incorporation de farines locales
défavorables pour les farines locales d’ordre fiscalo-douanier,
dans les produits de boulangerie et de pâtisserie, respective-
technico-technologique, nutritionnel, commercial, écono-
ment à 5 %, 10 %, 15 % et 20 %. Suivant les hypothèses
mique ou de différentiel de subventions publiques. Ils sont
d’incorporation ci-dessus, les besoins en farines locales en
autant de défis pour le développement des farines locales.
2020 seraient respectivement de 35 000, 71 000, 107 000 et
143 000 tonnes. Le Syndicat national des patrons de boulan-
gerie du Cameroun exprimait quant à lui, suite à des 5 Les défis de la mise en place
concertations gouvernementales pour la mise en place d’une d’une politique d’import-substitution
inter-profession des farines locales en 2018, un besoin annuel
de 50 000 tonnes en farines locales panifiables, ciblé sur la La faisabilité d’une politique d’import-substitution par la
boulangerie et la pâtisserie avec un taux d’incorporation production de farines locales interroge en soi la disponibilité de
minimum de 10 % de farines locales. La faisabilité de cette la matière première agricole, c’est-à-dire simultanément celle
substitution interroge la disponibilité de la matière première au de la production agricole et celle de la performance des
regard de la capacité d’ajustement de la production, mais aussi équipements de transformation d’autre part.
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Source Données : INS - Calculs : L.Temple - E.Fofiri 2022
Fig. 5. Prix au consommateur du manioc frais et de la farine de manioc sur les marchés de Yaoundé au Cameroun (FCFA/kg).
Fig. 5. Consumer prices for fresh cassava and cassava flour on Yaoundé markets in Cameroon (FCFA/kg).
Tableau 1. Analyse comparative des facteurs de compétitivité entre farine de blé et farines locales.
Table 1. Comparative analysis of competitiveness factors between wheat flour and local flours.
Exonérations fiscales sur les importations de blé dur Oui Non concernées
Exonérations fiscales sur l’importation des équipements de Oui Non concernées
minoteries
Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les farines locales Oui Oui
distribuées dans les grandes surfaces
Taxe sur la valeur ajoutée (TVA) sur les équipements de Non concernée Non déterminé
transformation de fabrication locale
Niveau de performance des équipements de transformation Non concernée Très faible, voire nul
de fabrication locale pour la production à grande échelle
Propriétés organoleptiques/nutritives de la farine Faibles Propriétés nutritives spécifiques pour l’alimentation
infantile en cas d’urgence (crise), pour l’alimentation
diététique
Existence d’une structure faîtière capable de porter un Oui Oui (plusieurs inter-professions de producteurs portent
plaidoyer auprès des instances nationales de régulation du individuellement le plaidoyer auprès des ministères
marché sectoriels)
Facteur culturel et anthropologique (influence du Fortement positif Faiblement établi
mimétisme sur le choix des consommateurs)
5.1 Manioc et banane plantain : deux spéculations au développement de l’industrie artisanale (transformation en
davantage porteuses d’enjeux de sécurité alimentaire bâton, gari, farine pour la boule). Une dizaine de variétés
que de transformation industrielle cultivées circulaient en milieu paysan. De nos jours, selon les
statistiques, le manioc constitue la principale culture vivrière au
En 1929, les recherches agronomiques relevaient déjà la Cameroun depuis les dix dernières années. La production
place privilégiée du manioc dans les agrosystèmes locaux augmente rapidement depuis 2005 et atteint 500 000 tonnes en
(Hédin, 1929), tant dans l’alimentation que pour sa contribution 2019 (Fig. 6).
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Dans l’ensemble, les rendements restent faibles dans les rendement (multiplication et distribution aux producteurs de
exploitations familiales agricoles : 10 à 15 tonnes/ha (Fig. 7). 11 millions de boutures de variétés améliorées en 2019).
Ils varient entre 25 et 30 tonnes/ha pour les variétés à haut L’évaluation annuelle des besoins en semences améliorées, sur
rendement (8034, 8017, 8061, 92/0326, 96/1414, 95/0109), la base du scénario maximal d’incorporation de farine locale à
essentiellement destinées à la transformation avant consom- 20 % dans les produits de boulangerie et de pâtisserie,
mation, et pour différentes variétés améliorées douces (TME atteindrait cependant 190 millions de boutures pour 19 000 ha à
419, TME 693). emblaver.
En terme de tendance, les rendements ont chuté de 16 à En dépit de la dizaine de variétés améliorées mises au point
6 tonnes/ha entre les années 1990 et 2005. Ils augmentent par la recherche, la production des semences certifiées reste
depuis 2005 pour atteindre environ 14 tonnes/ha, cette une véritable gageure, conséquence de deux facteurs : la très
augmentation étant renforcée par les appuis institutionnels faible disponibilité des semences de prébase d’une part,
(programmes et projets agricoles). L’intervention étatique l’échec de la structuration d’une véritable filière semencière
depuis 2014 soutient la vulgarisation de variétés à haut d’autre part. Il en résulte une utilisation dominante des variétés
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dites « tout venant », à faible rendement et peu adaptées aux produits pour la campagne agricole 2021, selon la Direction de
exigences de la transformation. En 2021, le parc en matériel la réglementation et du contrôle de qualité des intrants et
végétal était d’environ 11 millions de boutures certifiées de produits agricoles. Tant pour le manioc que pour la banane
manioc pour une superficie à emblaver de 1100 ha. Les plantain, la production disponible par habitant est en
semences constituent donc un obstacle à la production de augmentation depuis 2003 (Fig. 8), ce qui indique une
farine panifiable à base de manioc. amélioration de la productivité physique du travail.
La production de banane plantain, quant à elle, suit une En plus des contraintes concernant la production de ces
évolution comparable à celle du manioc pour atteindre deux spéculations, la transformation de l’excédent mobilisable
4 millions de tonnes par an en 2020. La banane plantain est pour la production de la farine panifiable rencontre également
au cœur de deux enjeux relatifs d’une part à la sécurité des difficultés techniques relatives à la performance des
alimentaire (aliment complet, indispensable à la nutrition des équipements.
enfants, qui évite les carences nutritionnelles) et d’autre part à
l’amélioration du revenu des acteurs de la filière. En 2019, la
culture sur 346 000 ha (FAO) restait extensive, avec des 5.2 Une faible performance technique
rendements de 4 à 7 tonnes/ha dans les plantations villageoises des équipements de transformation
en association et 25 à 30 tonnes/ha dans les exploitations qui
intensifient par la maîtrise de nouvelles techniques culturales, La faible industrialisation du processus constitue le
les densités ou l’usage de nouveaux matériels de plantation principal goulet d’étranglement pour accroître l’offre en
(Kwa et Temple, 2019). La banane plantain a bénéficié farines de haute qualité. La transformation reste pour
d’investissements de recherche au sein du Centre africain de l’essentiel artisanale. Elle est mise en œuvre dans des unités
recherches sur bananiers et plantains (CARBAP) et de soutiens techniques fragmentées, mobilisant des équipements peu
publics via un plan national d’appui aux pépinières. Les intensifs en capital. Les initiatives de transformation semi-
rendements ne cessent d’augmenter depuis 1993, avec une industrielles existantes utilisent encore des équipements peu
accélération forte de cette augmentation à partir de 2005. À la performants pour automatiser la chaîne de production. Cette
différence du manioc, la faible adoption de nouvelles variétés filière de transformation mobilise trois catégories d’acteurs :
ou de l’usage accru d’intrants (engrais et pesticides) lie – des producteurs agricoles qui transforment de petites
potentiellement l’augmentation de rendement à la massifica- quantités d’excédents de leur production pour fabriquer des
tion de l’usage des plants issus de fragmentation de tiges (PIF) beignets et gâteaux destinés aux exhibitions (foires,
(Soule et al., 2022) – un million de plants certifiés ont été dégustations) et au petit commerce de rue. Dans la
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prolongation de l’économie domestique, ils diversifient les Au regard de l’atomisation spatiale de la production
revenus pour des populations en situation de précarité ; agricole (manioc, banane plantain) dans de petites et moyennes
– des réseaux de sociétés coopératives et d’associations de exploitations familiales ou entreprises artisanales, mais aussi
producteurs (une vingtaine pour la farine panifiable). Leur de la diversité des produits de transformation demandés sur les
expansion est entravée par l’absence de garantie de marché marchés locaux, des investissements agro-industriels pour
permettant l’accès aux financements bancaires pour spécialiser des unités de transformation sur la fabrication de
investir dans des équipements performants, l’acquisition farine sont peu viables. En revanche, la densification du tissu
de la matière première et l’expertise technique ; actuel de PME agro-artisanales qui structurent le secteur de la
– des micro-initiatives industrielles d’expérimentation, transformation est une opportunité centrale pour solidifier
comme celle du Centre régional d’initiative et de formation l’intégration sectorielle de la transformation à partir d’une
en agriculture et technologies innovantes (CRIFAT), offre agricole atomisée et diversifiée. La faible structuration
investi dans la production industrielle de la banane plantain spatiale et institutionnelle de ce secteur agro-artisanal
(475 ha) et de manioc (265 ha) pour la production de farines interroge la façon dont la notion de cluster pourrait orienter
de haute qualité. une politique publique d’accompagnement.
La notion de cluster (Chiffoleau et Touzard, 2007 ;
Laperche et al., 2010) renvoie aux synergies de concentrations
Du point de vue technique, les investissements dans la géographiques et organisationnelles de PME qui mutualisent
transformation, en augmentation, sont impulsés par des appuis des ressources et qui, par des relations de « coopétitions »,
institutionnels aux équipementiers, par la formation des réalisent des économies d’agglomération territoriale et des
acteurs par le PNDRT et l’International Institute of Tropical externalités technologiques positives en termes d’innovations
Agriculture (IITA) pour la fabrication d’équipements de (Torre et Zimmermann, 2015). Ces concentrations peuvent se
transformation du manioc, par l’appui au montage de chaînes révéler à différentes échelles territoriales selon la localisation
de production de farine ou par la formation d’entrepreneurs des ressources, mais aussi selon les polarisations que peuvent
dans des incubateurs d’entreprises à Douala. Les équipements créer les infrastructures d’accès à l’énergie (en cas de
de fabrication locale restent encore peu adaptés pour une mécanisation des procédés), à l’eau, mais aussi les infra-
production à moyenne et grande échelle. Différents points structures routières et numériques qui structurent les densités,
faibles sont relevés par les utilisateurs : absence d’intégration la régularité des interactions et donc la communauté de
entre les composantes (broyage, fermentation, séchage, pratiques et d’apprentissage territorialisée. Ces sources
ensachage/étiquetage...) fonctionnant isolément et nécessitant d’efficacité compensent alors potentiellement les économies
des manipulations non hygiéniques hors normes sanitaires d’échelle liées à une spécialisation dans de grandes entreprises.
internationales ; insuffisance de référentiels technico-écono- L’implémentation de ces clusters dans l’agriculture
miques (tonnage de farine produite par heure) ; calibrage du tropicale (Reardon et al., 2009 ; Feyaerts et al., 2020) impose
temps de séchage pour les séchoirs électriques ; coûts d’intensifier une politique décentralisée d’aménagement
énergétiques ; dégradation de la qualité de la farine (acidifica- territorial créant les conditions localisées d’interaction de
tion, noirceur) ; multiplication des séquences de broyage pour services publics actuellement fragmentés dans différents
obtenir la granulométrie standard de la farine. L’investisse- ministères : vulgarisation, recherche agronomique, appui à la
ment dans des innovations technologiques comme le « Flash production. La notion de cluster, au-delà d’une réalité
Dryer » (Abass, 2022), introduit par le Centre de coopération sectorielle, recherche les sources d’efficacité inhérentes aux
internationale en recherche agronomique pour le développe- complémentarités liées à la diversité des activités (Ramirez
ment (CIRAD), reste peu activé par les équipementiers locaux et al., 2018 ; Otsuka et Ali, 2020). La densification des startups
faute de relais : formation et suivi des équipementiers, sur le manioc dans plusieurs villes interpelle les conditions de
financements et entretien des équipements. structuration et de spécification localisées de ces clusters. De
manière complémentaire, elle appelle des expériences comme
5.3 La clusterisation comme innovation celle de la « Plateforme interprofession de la chaîne de valeur
pour développer les farines locales panifiables manioc Cameroun » (PIP-CV) (FAO, 2009), qui met en
relation des acteurs dépendants (exploitations familiales
Les rendements du manioc et de la banane plantain peuvent agricoles, coopératives de production et de transformation,
encore augmenter, vu les potentiels de productivité, en PME et PMI) et expérimente différentes fonctionnalités utiles
poursuivant la transformation des systèmes de production. à la clusterisation (Fig. 9).
Un levier d’accélération de cet accroissement est à rechercher L’équilibre fonctionnel du modèle cluster reposerait ainsi
dans l’adoption inégale de certaines technologies de produc- sur l’interaction permanente entre les acteurs des chaînes de
tion sur l’ensemble du territoire. valeur ciblées au sein d’un espace territorial construit comme
Le prix de la banane plantain en frais restant significativement unité géographique adaptée à la structuration d’une action
plus élevé que celui du manioc, les perspectives de transformation collaborative autour d’une ou plusieurs spéculations. Un
sont économiquement plus probables pour le manioc, dont la élément de blocage étant parfois l’accès à la terre, les
diversité et la multiplicité des produits de transformation offrent de collectivités territoriales décentralisées (communes et régions)
possibles économies de gamme (complémentarité entre produits peuvent activer des acquisitions foncières sur le domaine
qui permettraient de mieux amortir des investissements en capital national et les mettre à disposition (en bail) aux entrepreneurs
sur de nouveaux équipements) au sein d’unités de transformation impliqués (producteurs indépendants, coopératives, entrepri-
agro-artisanales. ses agro-artisanales, agro-industriels).
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Fig. 9. Interconnectivité des acteurs-partenaires au sein du cluster selon la plate-forme PIP-CV Manioc-Cameroun (Relations professionnelles,
commerciales et de conseil interne).
Fig. 9. Inter-connectivity of actor-partners within the cluster according to the Cassava-Cameroon PIP-CV platform (Professional, commercial
and internal advisory relationships).
La densification ou solidification de ces formes de doit toutefois être utilisée prudemment et tenir compte des
clusterisation impose d’innover dans la nature des partenariats effets controversés de la clusterisation relevés par Martin et
sur la fourniture de biens et services (financements, intrants, Sunley (2003) et Motoyama (2008).
équipements, récoltes, conseils, terre) et sur les mécanismes de
financement pour investir dans un contexte de faible
accessibilité des PME et PMI au secteur bancaire commercial. 6 Conclusion
Elle constitue ainsi un levier activable de développement des
filières manioc, banane plantain et patate douce (accroissement L’augmentation des importations de blé et de pâtes
de la fourniture de semences, intensification de la production, alimentaires par habitant au Cameroun implique de soutenir
innovation technologique sur le segment de la transformation, des politiques alimentaires et agricoles qui évitent une
sécurisation du marché). dépendance alimentaire accrue aux marchés internationaux
La mobilisation de cette notion de cluster comme levier et un risque de perte de souveraineté alimentaire, dans un
d’activation de la compétitivité des farines locales panifiables contexte de croissance du marché intérieur nourri par la
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Citation de l’article : Fofiri Nzossié EJ, Temple L. 2023. Politique d’import-substitution au blé et compétitivité des farines panifiables à base
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