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Mes jours français

Kosuke KUNISHI

Çela fait déjà presque dix ans que j'ai vu la France pour la première fois. Ce n'était
pourtant pas ma première expérience en Europe. J'avais déjà passé un an en Italie et le bon
souvenir que j'en gardais (garde même maintenant) était, je crois, une des choses qui me
poussaient vers la France. Maintenant je me rends compte que j'ai su me représenter la diversité
qui constitue l’essence de l’Europe seulement après avoir connu la France. Les jours francais
m'ont donc été doublement révélateurs.

1. Pau

Première étape

Un an avant le départ, j'avais déjà décidé d’aller en France et d’y passer un an. J’ai pris
des cours de langue française, mais après deux mois, j’ai arrêté parce qu’ils me semblaient trop
faciles pour moi. J’ai pourtant continué à utiliser le “manuel” du cours. C’était un conte intitulé Le
chat aux yeux d’or composé de phrases trés simples avec des explications minimales sur la
grammaire et sur le vocabulaire utilisés. Pendant la dernière année avant le départ, j’ai continué à
écouté le cd annexé au texte. Voila ce que j’avais préparé pour le séjour en France.
La première occasion où j’ai pu essayer mon français, m’est arrivée dès mes premiers
pas en France, à l’aéroport de Paris-Charles de Gaulle. J’ai dû montrer le passeport au personnel
de l’aéroport. “Que-est ce que vous faites?” m’a-t-il demandé (ou il m’a tutoyé peut-être, je m’en
souviens plus). J’ai répondu : “Je suis étudiant. J’étudie la langue française”. Et lui : “Vous parlez
le français! C’est très bien! Moi je ne connais aucun mot en japonais”. Et donc mon français
marchait déjà. Du moins c’est ce que je pensais.
À l’aéroport de Pau, mon aventure a commencé à avoir l’air plus compliquée.
Quelqu’un de ma famille d’acceuil devait y venir pour me prendre, mais personne n’était là. J’ai

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dû attendre pendant dix minutes, vingt minutes, mais rien ne se passait. Entre-temps j’ai aperçu un
garçon qui portait un sac à dos et dont la physionomie me paraissait fortement japonaise. Sa
présence me gênait un peu parce que je pensais ne pas rencontrer des japonais dans ce séjour à Pau.
J’avais décidé de m’installer à Pau parce qu’on disait que dans cette petite ville il n’y avait pas
beaucoup de japonais. Pour moi qui étais vivement motivé par l’apprentissage de la langue
française, la présence des japonais était quelque chose à éviter.
Après une trentaine de minutes très angoissantes, un monsieur avec des cheveux blancs
est arrivé. Il avait un air assez gai : “Salut! Comment ça marche? ”. Et il ne s’excusait pas du
retard. On est monté dans la voiture. Je ne comprenais pas très bien ce qu’il disait. Pourtant il y
avait un mot que j’ai pu comprendre : "Saragosse". Mais quoi de Saragosse? C’est ce que je me
demandais, jusqu’au moment où la voiture s’est arrétée. "Voila on est à Saragosse". Monsieur a
répondu à ma question sans savoir que je l’avais posée.
C’était mon premier jour en France (celui mémorable donc), mais je me trouvais en
Espagne. Ce qui est encore plus bizarre c’est que j’étais dans un hippodrome où je suivais des
yeux les mouvements des chevaux. J’écoutais les cris aigus des espagnols et non les paroles
douces des français. Entre-temps, monsieur s’occupait de ses affaires, et non pas d’un pauvre petit
garçon qui ne savait pas quoi faire.
Avec ce monsieur (appellons-le monsieur R.), j’ai du passer deux mois et quelques jours.
En fin de compte, je ne pense pas qu’il était tout à fait méchant. Il lisait le Figaro, il soutenait
Jean-Marie Le Pen, il disait une blague à chaque fois qu’on voyait un noir à la tv. et il pensait que
la colonisation en Afrique avait bien marché pour civiliser les Africains “incultes”. Pourtant en fin
de compte, je ne le considère pas trop antipathique. Oui, il aimait, sans aucun doute plus ses
propres chevaux que moi. Mais il était drôle et on riait souvent. Bien qu’il n’était peut-être pas
l’homme adéquat que j’aurais dû connaître au début d’une expérience aussi difficile, il n’était pas
inacceptable comme ami.
Clairement antipathique était son épouse. Je ne connais pas très bien son idéologie, mais
je n’ai aucune difficulté à la qualifier d’avare. Un des jours qui ont suivi mon arrivée à Pau, on
était, elle, monsieur R. et moi, dans un café-restaurant de l’hippodrome. Ils m’ont demandé de
choisir ce que j’allais prendre, à la condition que je le paie moi-même. J’avais déjà payé une
certaine somme pour tous les repas du mois et ce jour-là j’ai dû manger là-bas à cause d’eux. Je
pense que dans ce cas là c’était plus juste s’ils payaient. Mais laissons cela. À la fin du repas,
monsieur R., contrairement à son idéologie raciste, a proposé de m’offrir un café. Et voila arriva la
contestation de l’épouse ; pour moi c’est une avarice inouïe. Cinquante cintimes d’euro, à un
pauvre garçon japonais qui venait d’arriver en France....... ça vaut la peine de contester!? À la fin,
monsieur R., comme j’ai dit avant, n’était pas antipathique : il a dit ; “c’est mon argent. Je décide
moi-même comment le dépenser!”

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Deuxième étape

L’université et le centre-ville de Pau se trouvaient assez loin d’où j’habitais. Si je prenais


l’autobus, il fallait une heure et demi ou deux heures pour aller à la faculté. Le problème le plus
grave était que le dernier autobus passait vers 18h. Aux premiers mois au moins je devais rentrer
chez moi avant que tombe la nuit. Pas de vie nocturne, donc. Pour aller, par contre, je pouvais
parfois me faire accompagner par M. R. Dans ce cas-là j’arrivais toujours trop tôt pour les cours.
Je prenais un ou deux cafés au distributeur et passais un peu de temps sans rien faire.
À l’université de Pau il y avait un cours de langue française pour étrangers. Après avoir
passé les tests de langue, on m’a placé dans la classe du niveau le plus bas : je n’avais pas étudié la
grammaire. Alors que je faisais la queue pour l’inscription, une fille apparement asiatique qui était
derriere moi m’a parlé. Elle parlait déjà bien le français. Je ne comprenais pas trop ce qu’elle
disait. Alors elle a commencé à parler en anglais. Elle était coréene et s’appelait Susie. Je pensais
d’abord qu’il s’agissait d’un nom occidentalisé, mais c’etait son nom authentique. Susie est
devenue ma première amie en France.
Susie n’était pas dans ma classe. Mes camarades étaient : une Espagnole, un Espagnol,
une Holadaise, une Allemande, une Suédoise, une Norvegienne, une Américaine, une Japonaise et
un Japonais. J’ai eu un peu de malaise en voyant les japonais. C’est une chose naturelle, je pense,
de créer une amitié avec des compatriotes, mais je ne voulais pas créer avec eux un petit Japon et
y vivre. Mon choix alors a été particulier : parler avec eux en français. Il trouvait, je pense,
quelque chose d’étrange chez moi et on n’a pas beaucoup parlé (au début). Ma stratégie donc a
bien marché.
Il y avait deux professeures pour notre classe. L’une était une petite dame très gentille,
mais je ne me souviens plus de son nom. Après le premier cours avec elle, je suis allé lui parler de
quelque chose d’insignifiant. Elle a eu l’air d’être surprise : je parlais trop bien le français pour
être dans le niveau le plus bas. L’autre était une très grosse femme de nom MP (la plus grosse
femme que j’ai connu dans ma vie). Au début j’ai eu une impression pas vraiment positive par
rapport à elle, alors que le reste de la classe disait qu’il l’amait beaucoup. C’est peut-être pour son
obésité exagérée que j’en ai eu une mauvaise impression.
Mon compatriote masculin s’appelait TK. Il avait passé une certaine période en Espagne
et parlait bien l’espagnol. Je pense qu’il n’était pas vraiment difficile pour lui non plus
d’apprendre le français, mais il me semblait qu’il n’en avait pas envie. Il ne le pratiquait jamais, et
par consequant il ne progressait pas. Il parlait toujours en espagnol avec notre camade Guy qui
venait de Madrid. TK était un garçon très souriant. Avec son charme silencieux, il a bienôt réussi à
devenir une sorte de mascotte pour notre classe. Guy non plus ne parlait pas très bien le français.
Cependant les gros mots français ne lui manquaient pas. Après un des premiers cours, Guy m’a
appris l’expression « j’ai mon feu (je m’en fous)». Selon lui, cette expression voulait dire « ce
n’est pas important ». Je ne comprenais pas le rapport entre l’importance et le feu. Peut-être

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quelque chose à voir avec la cigarette qu’il tenait dans sa main ? C’est ce que j’ai pensé alors.
Ma compatriote feminine s’appelait SN. SN était quelqu’un de très gai et sociable. Et
par conséquent (?) elle a eu tout de suite un petit ami, ou plutôt des petits amis, de pays bien variés.
Ce qui m’a surpris le plus c’est qu’elle avait été camarade de du lycée de ma copine de l’époque.
Voilà le monde est petit ! SN, à la différence de TK, parlait assez bien le français. C’était elle qui
m’a appris des expressions comme « c’ est dommage ». SN, encore à la différence de TK, était une
personne assez indépendante (TK était toujours avec Guy). C’est l’aspect qui me plaisait le plus de
SN, puisqu’il y a bien peu de filles indépendantes au Japon. Indépendante était aussi la fille
allemande de nom W. Elle avait de la ressemblance avec Audrey Tautou dans le film Fabuleux
Destin de Amélie Poulain : la même coiffure et la taille similaire. Elle m’était sympathique parce
qu’elle cherchait toujours de parler en françait. Le reste de la classe était incliné à l’anglais et elle,
qui savait bien le parler, préfarait le français.

Troisième étape

Un jour Susie m’a presenté un ami coréen. C’était le gars que j’avais aperçu à l’aéroport
de Pau. Donc il n’était pas japonais !...... mais ?........ quand on s’est présenté, il a commencé à
parler en japonais « Hajime mashite. Gotteiimasu (Enchanté. Je m’appelle Go) ». Il m’a confusé.
Il est donc de quelle nationalité ? Il était un de ceux qu’on appelle « les Coréens Zainichi ». Les
Coréens Zainichi sont émigrés au Japon depuis la colonisation japonaise de la Corée et à la
différence des émigrés en France, la plus part d’entre eux sont devenus presque japonais (leur
physionomie, leur langue et même leur culture sont tout à fait japonais). Go aussi était presque
japonais. Si je l’avais connu au Japon, je l’aurais peut-être considéré comme un Japonais. Ce qui
est très intéressant c’est que son identité n’était pas claire pour lui-même, non plus. Petit à petit
j’ai commencé à noter que les autres l’appelaient « Kangsoo » et non pas « Go ». « Go » était la
version japonaise de son propre nom « Kangsoo ». Alors je lui ai demandé pourquoi il se faisait
appeler Kangsoo. Ou ma question était plutôt pourquoi il s’est d’abord présenté « Go ». Il m’a dit
qu’il s’était présenté « Go » aux Japonais et « Kansoo » aux Coréens tout simplement parce que
c’était plus simple.
C’était certainement à cause de (ou grâce à ?) ce « prèsque japonais » Kansoo que j’ai
commencé à parler en japonais : il ne connaissait pas le coréen ni le français (et moi non plus). On
avait beaucoup de choses en commun : on était fan du même groupe de rock « Quruli » ; on était
footballeur de longue date ; et enfin on aimait tous les deux la littérature. Un jour je lui ai demandé
quelle équipe il supporterait s’il y avait un match Japon-Corée. La réponse était inattendue : « je
supporterais le Japon ». La raison de cela était encore plus inattendue : « parce que je connais
mieux les joueurs japonais que les joueurs coréens ». Mais, j’y réfléchi maintenant, il avait
parfaitement raison. On aime l’équipe nationale de foot, puisqu’on la connait bien.

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Quatrième étape

J’aimais jouer de la guitare et j’en cherchais une dès mon arrivé à Pau. Un jour je me
suis dit qu’il fallait peut-être aller chercher dans une ville plus grande, à Toulouse par exemple. À
la recherche d’une guitare donc j’ai fait le premier voyage en France, à Toulouse.
Malheureusement, je ne me souviens d’aucun détail de la ville : pour moi Toulouse commeçait à
l’entrée du magasin d’instruments de musique. Dans le magasin il y avait un garçon apparement
gentil et je lui ai posé quelques questions qui concernaient mon éventuel achat. Il a accordé
plusieures guitares pour moi et j’ai commencé à les essayer une après l’autre. Si je me souviens
bien, cela faisait à peu près deux ans que j’avais débuté l’apprentissage de cet instrument. C’est la
période où on tâche de jouer les morceaux les plus difficiles possible (en ne sachant pas qu’on les
interprètent très MAL). J’ai donc tenté quelque chose d’Eric Clapton et d’un
chanteur-compositeur-interprète japonais du nom de Masayoshi Yamazoki (les accords et le
rythme de ses chansons sont assez difficiles). Il fallait probablement essayer juste trois ou quatre
accords pour comprendre si le son de chaque guitare me plaisait ou non. Pourtant, après avoir
entrepris cet essai finalment inutile, j’ai acheté une guitare conseillée par le garçon et je suis sorti
du magasin très satisfait.
Retour à Pau. Puisqu’il y avait plus de chevaux que de personnes autour d’où j’habitais
à l’époque, j’ai pu jouer de ma nouvelle guitare sans trop me préoccuper du bruit qui aurait pu
irriter mes voisins (ce type de souci est omniprésent au Japon). J’avais bien porté dans mes valises
un bouquin très épais de partitions des chansons des Beatles et j’en ai pratiquées quelques-unes.
La chanson pour laquelle j’ai dédié le plus de temps était Michelle : je pensais qu’avec cette
chanson j’aurais pu chanter avec des français. Et j’ai eu vraiment l’occasion de le faire, dans la
classe pendant un cours de langue française. Le problème alors était que personne à part la
profésseure MP ne connaissait les paroles de Michelle. Moi et MP, nous avons essayé de leur
apprendre sans aucun résultat. À un moment on m’a demandé de chanter une chanson japonaise.
Je leurs ai répondu avec une chanson du susdit Masayoshi Yamazaki, One more time, one more
chance. Je suis sûr que je l’ai interprétée assez mal, mais, probablement sous l’effet du fameux
orientalisme, la professeure et mes camarades avaient l’air de l’apprécier.
Dans le mois qui suivait, ma guitare est devenue un outil pour l’apprentissage du
français dans notre classe. Et un jour on a composé tous ensemble une chanson en français ! On
s’est divisé en trois ou quatre groupes, chaque groupe a écrit des paroles et à la fin je les ai mises
en ordre en y ajoutant des accords et de la mélodie. Et voici les paroles de la chanson :

Dansons au bord du lac,

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En chantant et en attendant l’aube
Il faut vivre maintenant
Et puis profiter de chaqu’instant

Ils ont crée un monde dans la crique


Et avec un bon vin tous sont euphoriques

Ah ne soit pas triste, c’est la vie.


Chaqu’un suit son chemin, c’est la vie.

Les amis sont réunis autour du feu


Et nous regardons l’obscurité.

Le feu nous rechaffe autant que notre amitié

Ah ne sois triste, c’est la vie.


Chaqu’un suit son chemin, c’est la vie.

Il y a beaucoup de nuage et le soleil se cache,


Mais le soleil de l’amitié ne se couche jamais.

La fille allemande, W, était étudiante en musique et savait bien jouer de la flute. Un jour
on s’est mis d’accord pour jouer ensemble. Je suis allé chez elle et on a interprété encore une fois
la chanson de Yamazaki One more time, one more chance dont le début avait une partie pour la
flute. J’ai eu une impression assez bizarre en écoutant cette chanson japonaise accompagnée par
une allemande.
Dans le campus de l’université il y avait beaucoup d’espaces verts. Avec des bouteilles
de vin achetées dans le carrefour le plus proche, on faisait souvent la fête sur l’herbe de la faculté.
Dans ce type d’occasion je emportais toujours la guitare dont Kangsoo aussi jouait parfois. Guy
nous a appris calimocho (le vin mélangé avec du Coca-Cola) et quelques autres mauvaises
habitudes espagnoles. C’est probablement la période où je faisais le plus souvent la fête. On avait
trop de temps : on ne savait pas comment le dépenser.

Cinquième étape

Un jour de mai, le cours me parraissait ne pas vouloir terminer à l’heure fixée (18h).

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Mon potrable a sonné. Cela devait être M. R. qui m’attendait dans sa voiture assez loin de la
faculté (il m’a proposé de me raccompagner chez nous, mais il n’a pas voulu passer par
l’université). Je n’ai pas pu lui répondre, parce que, pour le petit bonhomme japonais que j’étais, il
semblait très malpoli de parler au téléphone pendant le cours. À peine le cours terminé je lui ai
téléphoné ; j’ai appris qu’il était déjà parti.
Puisqu’il n’y avait pas de bus après 18h, je ne savais pas quoi faire. D’après M. R. on
pouvait aussi rentrer chez nous à pied. J’ai donc entrepris ce petit voyage probablement parce que
je voulais vérifier si M. R. était un menteur ou non. Après trois heures de marche, je me suis assis
sur l’herbe le long du chemin que j’arpentais depuis très longtemps. J’ai chanté très fort en jouant
de la guitare dans l’obscurité. Une folie allègre régnait dans mon esprit. Au bout de cinq heures de
marche, je suis bien arrivé à la maison. Finalment M. R. n’était pas un menteur. Cependant, il me
suffisait juste d’une fois pour le vérifier : le lendemain matin j’ai acheté un vélo.

On me disait qu’il y avait beaucoup de vol de vélo dans la zone, mais je ne pensais pas
que laisser un vélo avec l’antivol pendant une demi heure dans le campus universitaire portait
autant de risque. J’étais dans l’autobus de retour de l’excursion et on m’a dit que j’aurais dû le
faire monter dans le bus (c’est une action à laquelle on ne songe jamais au Japon) et que
probablement je n’allais pas le retrouver. Et ils avaient raison. Il était 19h et je ne savais pas quoi
faire encore une fois. M. R. au téléphone était gai comme toujours : « Ce n’est pas un problème.
Dors chez un de tes amis ! ». Il n’avait sans doute pas compris la situation.
La plupart de mes amis vivaient dans une famille d’accueil et il me parraissait délicat de
m’inviter dans leur famille. Faute de mieux, j’ai demandé à Kangsoo, l’unique ami qui vivait tout
seul. Kangsoo ne m’a pas refusé. Et puisque tous les produits alimentaires (surtout l’alcool)
semblaient très bon marché pour nous qui étaions habitués à la vie japonaise, on a acheté trop de
bierre (et quelques autres boissons alcoolisées, si je me souviens bien) et on a trop bu. Vers minuit,
sur un coup de tête et l’alcool aidant, j’ai décidé de quitter la maison de M. R.

Sixième étape

Avant d’avoir quitté la maison de M. R., j’avais demandé au bureau de l’université s’il y
avait une pièce disponible dans la résidence universitaire. Je ne sais pas si je parrassais
particulièrement sympathique ou plutôt misérable : la madame au bureau, en tous cas, n’a pas
hésité à m’arranger une chambre.
Le jour du déménagement, j’ai dû me rendre à la réception. La procédure
d’enrgistrement s’est passée comme dans une auberge de jeunesse : j’ai dit mon nom, j’ai présenté
ma carte d’étudiant et j’ai reçu une couverture et des draps. Tout d’un coup, quelqu’un m’a
adressé des mots : « Anataha Nihonjin Desuka ». Il s’agissait d’une phase en japonais qui voulait
dire : « Vous êtes Japonais ? ». Mais il ne devait pas être un Japonais, parce qu’il avait un très fort

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accent. Et il a continué : « Je m’appelle Kent. Nice to meet you ».
Kent était un Chinois très exentrique. Il avait l’apparence similare à celle d’un Japonais,
ou, au moins, il était très différent par rapport aux autres Chinois. Il connaissait un peu le japonais,
parce que – disait-il – son ex-fiancée était Japonaise. Il connaissait très bien le français car il vivait
en France depuis plus de deux ans. Il a parfois voulu parler en anglais, mais, il faut dire, assez mal.
L’accent chinois dominait dans les trois langues. Un jour j’ai mis beaucoup de temps à
comprendre un mot anglais qu’il avait prononcé : il parlait d’Elvis Presley (vous pensez peut-être
que c’est assez difficile de mal prononcer un nom propre comme Elvis Preseley, mais en réalité,
c’est bien possible !).

Septième étape

Kent était un Chinois très gai. Les premiers mots qu’il m’adressait quand il me voyait
n’étaient pas « salut ! » ni « comment ça va ? » : il me demandait ; « Combien de petites amies
as-tu ? ». On a souvent joué de la guitare ensemble. Il n’était pas bon guitariste, mais il en était
bien conscient. Et moi, débutant motivé, j’étais pour lui un super guitariste. On a donc assez mal
joué de la guitare et chantait encore plus mal ensemble. Cependant j’ai toujours bien rigolé. Il ne
cessait pas de me faire des compliments hyperboliques. En générale je n’aime pas les flatteries,
mais les siennes n’étaient pas insupportables : son sourire charmant les rendait plutôt agréables. Et
enfin, il semblait penser ce qu’il disait. Kent était d’ailleurs quelqu’un de très indiscret. Il entrait
dans ma chambre sans frapper à la porte et parfois emportait ma guitare sans m’en demander la
permission. Cela me parraissait très malpoli et son indiscretion m’irritait. Mais c’était pour lui (ou
pour les Chinois en générale ?) un signe d’amitié.
Kent était un homme assez indépendant et il ne se mélangait pas dans la comunauté des
Chinois comme presque tous les Chinois faisaient. Cependant un jour il m’a présenté beaucoup de
Chinois : on était dans une salle de ping-pong. Le ping-pong des Chinois était incroyable. Alors
que pour les Japonais normaux le smash est une technique à employer quand on a une balle
suffisamment facile, les Chinois le faisaient dans n’importe quelle situation. Le résultat était
inévitable : j’ai perdu tous les matchs, sans pouvoir une seule seconde espérer la victoire. Après un
ou deux matchs j’ai voulu quitter la table. Pourtant je ne savais pas comment exprimer mes
sentiments car la langue comune là-bas était le chinois (le mandarin, ou dieu sait quel type de
chinois !). Faute de mieux, j’ai continué à jouer. Et voilà un miracle. J’ai réussi à gagner le match
suivant ! Kent est venu vers moi et il m’a adressé des compliments, en ayant quand même l’air
supérieur. Il m’a dit comme un père dit à son fils : « Bravo, mon petit ! ». Je suis allé en suite vers
l’adversaire vaincu. Il m’était sympathique, non seulement parce qu’il ne jouait pas très bien au
ping-pong, mais surtout parce que lui, à la différence des autre Chinois, souriait toujours, même
pendant le match. Je me suis présenté et je lui ai dit : « je ne pensais pas que j’aurais pu gagner
contre un Chinois ». Alors lui : « Désolé mon ami, je ne suis pas Chinois. Je viens du Vietnam ».

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Huitième étape

Je ne me souviens plus quand et comment j’ai connu X. X était une Chinoise bien
différente par rapport aux autres Chinois que j’avais connus à Pau : X n’avait pas de nom
occidentalisé ; elle ignorait complètement la culture anglo-saxonne (elle ne connaissait pas les
Beatles). D’ailleurs elle n’était presque jamais avec des Chinois et ce fait m’a rendu curieux. Un
jour, comme d’habitude, je suis allé au Restaurant universitaire pour prendre le déjeuner. Dedans il
y avait Kent et d’autres connaissances, mais je me suis dirigé vers X et assis à côté d’elle. Kent
m’a dit le jour suivant que toutes les Chinoises de l’université de Pau (qui étaient assez
nombreuses, je suppose) avaient observé mes pas avec attention pour savoir avec laquelle d’entre
elles j’allais parlé en premier. Kent (et « toutes les Chinoises de la Faculté » aussi?) a donc
interpreté mon geste comme une aventure amoureuse.
En tous cas, moi et X, on est bientôt devenu amis. Elle était l’unique personne avec
laquelle je pouvais parler de la philosophie et de la littérature. À peine après avoir lu un morceau
de Nietzsche, elle venait chez moi pour en parler, enthousiaste. J’avais l’impression qu’elle ne le
comprenait pas très bien, mais ce n’était pas important : j’étais content d’avoir un
interlocutrice pour échanger sur ce type de conversation. X était très chaleurese et indiscrète en
même temps, comme Kent. Ils m’ont cuisiné beaucoup de plats chinois exceptionellement
délicieux (j’en avais marre de me contenter de trucs en boîte à conserve que Mme. R. m’avait
« préparé » les mois passés). Quand j’étais malade, elle venait chez moi et me procurait des
médicaments chionois, auxquels –à vrai dire- je ne faisais pas confiance. Mais quand on est
malade, peut-être, on recherche plus la chaleur humaine que les médicaments.

Au moment de quitter Pau, mes camarades de classe n’étaient plus là. TK (le garçon
japonais) était le premier à partir et W (la fille allemande) était la dernière juste avant moi. Je
passais donc la veille de mon départ avec Kent et X. On est déscendu dans la cour de la résidence
universtiaire. Il y avait beaucoup de gens parmi lesquelles quelques connaissances à moi :
l’Équatorien qui m’avait longtemps embarrassé en me demandant de lui présenter des amies
japonaises ; l’Espagnol que j’avais connu pendent les cours d’été ; l’Africain (je me souviens plus
de quelle nationalité il était) qui jouait très bien de la guitarre ; le Marocain qui jouait de la
guitarre encore mieux. J’ai joué de la guitarre et on a chanté la chanson composée dans la classe,
« C’est la vie ». Peu à peu le monde autour de moi a commencé à se décomposer. J’observais des
images auxquelles je sentais ne plus appartenir ; c’était comme une vision d’un film. Je ne pense
pas avoir bu autant au point de perdre conscience, mais sans doute qu’il y avait quelques élements
qui me plongeaient dans la confusion. Au moment de rentrer chez moi, sur les escaliers de la
résidence, j’ai croisé l’Équatorien. Il était avec une fille blanche, moi j’étais avec X. Il m’a jeté un

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regard malicieux que j’ai trouvé assez detestable.

Le lendemain matin très tot je suis sorti de la maison. X m’a accompagné jusqu’à la gare.
Sur la route on a croisé un groupe de garçons de la Résidence. Ils ont remarqué que ma coiffure
avait changé et m’ont demandé où je m’étais coupé les cheveux. J’ai répondu que X l’avait fait. Et
l’un d’eux, en regandant X ; « tu pourras le faire pour moi aussi ? ». Ce qui est étrange c’est que je
ne me souviens plus de comment je suis parti de la gare de Pau et, par conséquant, je ne sais plus
comment c’est passé le moment d’adieu avec X. Ce dont je me rappelle c’est que dans le train
pour Paris j’ai pleuré comme un veau en lisant une lettre que Kent m’avait ecrite. Ses mots
sincères qui déclaraient son amitié m’ont ému. Mais à Paris j’allais commencer une nouvelle vie,
sans cette amitié, cultivée à Pau.

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