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Peritonite
Peritonite
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Péritonites
Peritonitis
P. Montravers (Professeur des Universités, praticien hospitalier) *,
F. Morazin (Chef de clinique-assistant), A. Cargeac
Département d’anesthésie-réanimation, CHU Jean Verdier, avenue du 14-Juillet,
93143 Bondy cedex, France
MOTS CLÉS Résumé Les péritonites correspondent à une inflammation aiguë du péritoine dont les
Péritonite ; causes les plus fréquentes sont infectieuses, le plus souvent par perforation du tube
Urgence ; digestif. Les germes impliqués sont ceux de la flore digestive (entérobactéries et
Antibiothérapie ; anaérobies), mais des cocci à Gram positif et des levures peuvent être isolés dans les
Anaérobies ;
infections acquises à l’hôpital. Ces affections sont une urgence thérapeutique. Le
Entérobactéries ;
Laparotomie ; diagnostic est le plus souvent clinique, avec l’aide des examens radiologiques. Le
Abcès ; traitement est chirurgical et médical. Le traitement étiologique repose sur la chirurgie
Drainage ; pour éliminer la cause de l’infection, effectuer une toilette péritonéale et prévenir la
Complications récidive. Le traitement médical prend en charge les conséquences de l’infection par la
postopératoires réanimation périopératoire et le traitement antibiotique dirigé contre les germes isolés
des prélèvements périopératoires. Une antibiothérapie ne prenant pas en compte tous les
germes isolés et une prise en charge tardive sont des facteurs de mauvais pronostic. De
même, l’affection reste grevée d’une forte mortalité lorsqu’elle survient chez un sujet
âgé, porteur de maladies sous-jacentes, opéré tardivement, tout particulièrement quand
il s’agit d’une infection postopératoire.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
Abstract Peritonitis is an acute inflammation of the peritoneum due, most of the time, to
KEYWORDS infection and resulting from acute bowel perforation. The microorganisms involved are
Peritonitis;
those originating from bowel flora (enterobacteriaceae and anerobes), but Gram positive
Antibiotic therapy;
Anaerobes;
cocci and fungi can also be cultured in case of hospital-acquired infections. These
Enterobacteriaceae; diseases require urgent management, combining surgical and medical treatments. Etio-
Laparotomy; logical treatment is based on surgery to eliminate the infectious source, to perform
Abscess; peritoneal lavage and to prevent relapse. Medical treatment is based on perioperative
Drainage; intensive care management and antibiotic therapy targeting the microorganisms cultured
Postoperative from perioperative samplings. Antibiotic therapy not taking into account all cultured
complications organisms and delayed management are factors of poor prognosis. Similarly, peritonitis
remains a life-threatening disease when occurring in elderly patients, in patients with
underlying diseases, in case of delayed surgery, and especially in case of postoperative
infection.
© 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
* Auteur correspondant.
Adresse e-mail : philippe.montravers@bch.ap-hop-paris.fr (P. Montravers).
1638-6205/$ - see front matter © 2005 Elsevier SAS. Tous droits réservés.
doi: 10.1016/j.emcar.2005.08.001
168 P. Montravers et al.
En fonction du type d’infection, les germes isolés toute la cavité abdominale. La relaxation expira-
sont différents.10,11 Ainsi, dans les infections extra- toire du diaphragme induit une pression intra-
hospitalières, les germes de la flore résidente sont abdominale négative qui favorise l’absorption par
isolés. Dans les infections postopératoires, des ger- les stomates diaphragmatiques du liquide et des
mes de type nosocomial sont plus fréquemment particules présents dans le péritoine.8
isolés (staphylocoques coagulase positifs, Pseudo- Cette absorption explique que dans les modèles
monas aeruginosa, Acinetobacter spp.) dont le d’infection expérimentale, la moitié des bactéries
spectre de résistance aux antibiotiques est souvent inoculées dans le péritoine soit captée par les lym-
élargi.11,12 La présence de ces germes est liée à la phatiques diaphragmatiques, apparaisse dans le ca-
modification de la flore digestive des patients par nal thoracique en environ 6 minutes et en moins de
une antibiothérapie préalable, même à dose uni- 30 minutes dans la circulation systémique, la rate
que. et le foie.17 Tous les germes inoculés ne sont pas
retrouvés à une concentration identique dans les
Approche expérimentale hémocultures et la durée de leur passage vasculaire
est variable. Certains germes, tels que les anaéro-
Les travaux expérimentaux ont confirmé l’évolu- bies, pourraient avoir une diffusion systémique plus
tion biphasique des infections abdominales.13 Après intense expliquant leur isolement fréquent dans ces
inoculation chez l’animal, une phase initiale septi- tableaux cliniques.
cémique est observée conduisant à un décès pré-
coce (3 à 7 premiers jours de la maladie) par choc Systèmes péritonéaux de défense
septique dans une forte proportion des animaux.
Chez les survivants, des abcès intrapéritonéaux se Les systèmes de défense mêlent très étroitement la
constituent en 5 à 7 jours. réponse inflammatoire et la lutte locale contre
Parmi la centaine de germes présents dans la l’infection.
flore digestive, seul un petit nombre d’entre eux
qui fonctionnent en synergie joue un rôle patho- Défense mécanique
gène important. Ainsi, Bacteroides fragilis accroît Cette défense liée aux particularités anatomohisto-
le pouvoir pathogène d’Escherichia coli lorsqu’ils logiques du péritoine associe une absorption rapide
sont inoculés ensemble.14 Les anaérobies inhibent des bactéries par les lymphatiques et un cloisonne-
la fonction des PNN et permettent la prolifération ment de l’infection conduisant à la constitution
d’autres bactéries telles que E. coli.15 Les anaéro- d’abcès (Fig. 1).
bies encapsulés tels que Bacteroides fragilis néces- Les stomates diaphragmatiques contribuent à la
sitent la présence de germes aérobies pour permet- clairance bactérienne rapide de la cavité périto-
tre la formation d’abcès. De plus, la capsule paraît néale. L’abolition de la contraction diaphragmati-
être un élément important en facilitant l’adhésion que réduit la clairance bactérienne péritonéale.8
à la paroi péritonéale et en inhibant la phagocy- La localisation des abcès est expliquée pour partie
tose.13,15 D’autres synergies ont été décrites, par la gravité.18,19 La gouttière pariétocolique
comme par exemple avec Enterococcus faecalis.16 droite est considérée comme la zone préférentielle
Au total, les entérobactéries sont les germes res- de communication entre l’espace sus- et sous-
ponsables de la mortalité précoce des péritonites mésocolique avec des zones déclives d’accumula-
et les anaérobies sont impliqués dans la formation tion de part et d’autre dans le cul-de-sac de Dou-
des abcès. glas et la zone sus-hépatique.
À la suite de ces études expérimentales, de L’épiploon est, avec les stomates diaphragmati-
multiples régimes thérapeutiques ont été évalués ques, le seul site capable d’absorber des particules
qui ont conclu à la nécessité de traiter les entéro- libérées dans la cavité péritonéale. De plus, l’épi-
bactéries et les germes anaérobies.13 ploon participe au cloisonnement de l’infection en
s’interposant devant les lésions viscérales ou les
Diffusion systémique de l’infection zones inflammatoires, isolant ainsi la région infec-
tée du reste de la cavité péritonéale. De même, les
Les mouvements du diaphragme génèrent un flux adhérences formées par les exsudats fibrineux par-
céphalique du liquide péritonéal assurant une pro- ticipent à la limitation de l’infection.8
pulsion constante du liquide contenu dans la cavité
abdominale vers le péritoine diaphragmatique. En Réponse humorale et cellulaire (Fig. 1)
cas de contamination bactérienne, la mobilisation L’activation du complément est un élément impor-
des viscères abdominaux par les mouvements respi- tant et précoce des mécanismes de défense périto-
ratoires favorise la diffusion du liquide septique à néale. Le complément est impliqué dans l’opsoni-
172 P. Montravers et al.
Quel que soit l’âge du patient, un diagnostic maximale est observée entre le 5e et le 7e jour
retardé ou un traitement différé conduisent rapide- postopératoire (Tableau 2). Un deuxième pic re-
ment à une aggravation du tableau clinique. Des tardé correspond aux complications constatées au-
signes biologiques de souffrance tissulaire (éléva- delà de la seconde semaine. Le diagnostic est sou-
tion de la créatinine, thrombopénie, hypoxémie, vent difficile, marqué par la survenue d’une fièvre
ictère ou acidose lactique...) sont alors fréquem- au décours d’une chirurgie abdominale,33 isolée ou
ment constatés, voire un tableau de choc avec associée à des manifestations abdominales ou
défaillance polyviscérale.29,30 extra-abdominales (Tableau 4, Fig. 2). La présenta-
Chez des patients porteurs de maladies sous- tion clinique peut être déroutante ou atypique et
jacentes (cardiovasculaire, respiratoire, rénale, orienter dans une fausse direction. C’est le cas
etc.), la survenue d’une péritonite se traduit sou- pour :
vent par une décompensation brutale du tableau • des troubles de conscience, une agitation ou des
avec un état de choc ou une défaillance polyviscé- troubles psychiatriques évocateurs de syndrome
rale. L’insuffisance respiratoire aiguë est une cir- de sevrage alcoolique ou médicamenteux ou de
constance fréquente de révélation d’une urgence confusion du sujet âgé ;
chirurgicale tant chez les sujets âgés que chez les • une insuffisance rénale d’aggravation progres-
patients porteurs d’une insuffisance d’organe. sive, voire brutale, suggérant une complication
Ainsi, un tableau de choc avec insuffisance respira- toxique médicamenteuse ou une cause médicale
toire aiguë peut être l’élément révélateur d’une d’insuffisance rénale ;
urgence abdominale pouvant à tort orienter vers un • une détresse respiratoire aiguë attribuée à tort
autre diagnostic (pathologie respiratoire ou cardio- à une embolie pulmonaire, un œdème pulmo-
vasculaire). naire ou une infection pulmonaire responsable
de la fièvre ;
Infections nosocomiales • un œdème pulmonaire lésionnel inexpliqué ou
considéré comme une pneumopathie d’inhala-
Les patients hospitalisés peuvent développer une tion ou un œdème pulmonaire cardiogénique ;
complication digestive en rapport avec leur mala- • une thrombopénie ou des troubles de l’hémo-
die causale, ou indépendante (sigmoïdite, ulcère stase ;
perforé...) (Tableau 2). Le diagnostic de péritonite • une cholestase inexpliquée pouvant faire évo-
est souvent effectué à un stade tardif. Une périto- quer une pathologie biliaire.
nite secondaire banale peut survenir chez un La clinique n’est généralement pas suffisante
patient insuffisant rénal hémodialysé. Chez ces pa- pour établir le diagnostic, sauf à un stade tardif ou
tients médicaux, l’intensité des signes abdomi- en cas d’issue de liquide digestif par les drains ou
naux, la rapidité d’installation de l’infection et son d’une masse palpable anormale (Tableau 3). Quel-
caractère polymicrobien sont autant d’éléments ques éléments liés au contexte opératoire peuvent
évocateurs d’une infection chirurgicale (Ta- orienter le clinicien. Ainsi, les interventions qui
bleau 3). Les signes de gravité et de décompensa- prédisposent le plus à un sepsis postopératoire sont
tion brutale décrits dans les infections communau- celles effectuées dans un contexte septique, en
taires sont tout aussi applicables en cas d’infection situation d’urgence, chez un patient à risque d’im-
nosocomiale. munodépression (corticothérapie, dénutrition, ma-
ladie inflammatoire du tube digestif etc.). Ainsi,
Infections postopératoires Krukowski rapporte une fréquence d’infection post-
opératoire de 0,1 % après une chirurgie propre
Elles sont observées chez 1,5 à 3,5 % des patients passant à 6,5 % en cas de chirurgie septique.36 Ce
ayant subi une laparotomie,31,32 leur fréquence sont surtout les conditions locales (zone irradiée ou
Figure 2 Arbre décisionnel. En cas d’évolution anormale au décours d’une chirurgie abdominale.
cancéreuse) et la difficulté du geste chirurgical qui péritonite postopératoire,34 mais ce signe est banal
favorisent la survenue d’un sepsis postopératoire. en postopératoire. Les autres examens biologiques
Pettigrew et al. ont évalué prospectivement ne permettent en général pas de s’orienter vers le
113 patients opérés de résection colique.37 Dans ce diagnostic avant le stade de défaillance viscérale.
travail, 53 % des patients jugés à risque du fait de la Le bilan biologique permet d’évaluer les besoins de
difficulté du geste chirurgical ont développé une réanimation et est utilisé comme bilan préopéra-
complication chirurgicale postopératoire contre toire. Enfin, la mesure des concentrations de cer-
seulement 15 % des patients jugés à risque faible. tains marqueurs de l’inflammation (protéine C
Dans ce travail, lorsque des critères supposés reflé- réactive, procalcitonine...) a été proposée comme
ter une immunodépression étaient analysés (âge, élément du diagnostic par certains auteurs. Ces
dénutrition etc.), l’incidence des complications éléments sont pour l’instant l’objet d’évaluation en
était équivalente chez les patients à risque élevé et clinique.
à risque faible.37 Enfin, l’expérience de l’opérateur
est également un élément important à prendre en Iconographie
compte.38
Dans les infections extrahospitalières, le cliché
d’abdomen sans préparation (ASP), l’échographie
Place des examens complémentaires abdominale et/ou la tomodensitométrie confir-
ment le diagnostic et orientent le geste opératoire.
Biologie La tomodensitométrie est généralement réservée
aux situations complexes ou en cas de doute dia-
Dans les péritonites extrahospitalières, les exa- gnostique. Dans les formes sévères, la tomodensi-
mens biologiques sont essentiellement utilisés pour tométrie ne doit être envisagée que si l’examen ne
évaluer le retentissement de l’infection. Chez les retarde pas l’intervention.
patients âgés, la fréquence de leucopénie (< 2000/ Dans les infections nosocomiales ou postopéra-
mm3) paraît accrue par rapport aux sujets jeunes.28 toires, l’ASP est d’une rentabilité faible, concor-
Dans les infections nosocomiales et postopéra- dant avec la clinique dans seulement 15 à 50 % des
toires, les examens biologiques sont généralement cas.39 La recherche de collections ou d’abcès intra-
décevants. Ainsi, une hyperleucocytose (> 12000/ abdominaux (sous-phréniques, pariétocoliques,
mm3) n’est observée que dans 60 % des cas de cul-de-sac de Douglas) est le principal objet de
Péritonites 175
l’échographie abdominale et de la tomodensitomé- mettre en culture les drainages ouverts car leurs
trie (Tableau 3, Fig. 2). Dans le contexte d’une résultats sont très difficiles à interpréter.41 Il est
infection postopératoire, ces examens peuvent gui- impossible de faire la part entre la flore cutanée, la
der la décision opératoire, par exemple en cas flore de l’environnement et les germes issus du
d’augmentation de volume d’une collection. Un drainage proprement dit.
examen échographique ou tomodensitométrique
« normal » n’élimine pas pour autant le diagnostic. Infections communautaires
De manière à documenter une perforation digestive
inapparente à l’échographie ou à la tomodensito- La microbiologie des infections intra-abdominales
métrie, les auteurs proposent le recours à des exa- communautaires est bien connue. Il s’agit le plus
mens radiographiques digestifs avec un produit de souvent d’infections polymicrobiennes impliquant
contraste non baryté (gastrografine) à la recherche des germes aérobies (entérobactéries, streptoco-
d’une fuite extraluminale. Cependant, les résultats ques et entérocoques) et des germes anaérobies
de cette opacification n’ont de valeur que lorsqu’ils (Bacteroides, Fusobacterium, Clostridium etc.)
identifient l’extravasation du produit de contraste. (Tableau 5). D’autres bacilles à Gram négatif peu-
En cas de suspicion d’une complication postopéra- vent également être retrouvés dans 5 à 10 % des
toire dans les 3 premiers jours après une interven- prélèvements tels que Pseudomonas aeruginosa ou
tion de chirurgie digestive, la décision de reprise Enterobacter spp., surtout après une antibiothéra-
chirurgicale peut être prise sans iconographie de- pie.42
vant un tableau clinique de dégradation inexpli-
quée.40 Au-delà du 3e jour, la reprise doit être Infections nosocomiales
encadrée par des examens iconographiques, au
premier chef desquels la tomodensitométrie.40 Les études épidémiologiques ont le plus souvent
regroupé les patients atteints d’infection nosoco-
Particularités microbiologiques miale et d’infection postopératoire, partant du
principe que la flore intestinale était modifiée chez
Les examens habituellement pratiqués sont les hé- le patient hospitalisé ou soumis à une antibiothéra-
mocultures et la culture de liquide péritonéal pré- pie depuis plusieurs jours. Dans une étude récente
levé pendant l’intervention.41 Une à deux hémocul- comparant près de 250 patients atteints d’une in-
tures sont prélevées avant la mise en route de fection nosocomiale et 750 patients atteints d’une
l’antibiothérapie. Les péritonites sont rarement infection communautaire, nous avons montré une
bactériémiques, des hémocultures positives similitude dans les populations bactériennes iso-
n’étant rapportées que pour 10 à 15 % des pa- lées, tant en type de bactéries qu’en profil de
tients.10,12 Dans les infections postopératoires, une sensibilité.43
bactériémie à germes « digestifs » peut être un
élément d’orientation vers le diagnostic.33 Infections postopératoires
Les prélèvements microbiologiques du liquide
péritonéal sont indispensables à double titre : ils Dans les péritonites postopératoires, l’écologie mi-
permettent d’une part d’adapter précisément le crobienne est modifiée. Ainsi, des espèces bacté-
traitement antibiotique, et d’autre part ils permet- riennes comme Pseudomonas aeruginosa, Entero-
tent d’obtenir un reflet épidémiologique de la flore bacter spp., entérocoques multirésistants et
digestive des patients.41 Les prélèvements du li- Candida spp. peuvent être retrouvées avec une
quide péritonéal imposent de limiter tout contact fréquence accrue. De même, des souches telles que
avec l’air pour préserver la croissance des anaéro- Enterobacter, Serratia, Citrobacter, Morganella,
bies. L’échantillon doit être placé dans un milieu de Acinetobacter et Pseudomonas peuvent être mises
transport pour anaérobie. Un examen microscopi- en évidence.10-12 Ces souches sont généralement
que direct et une mise en culture à la recherche des résistantes aux antibiotiques habituels à l’excep-
bactéries aérobies et anaérobies strictes et de levu- tion des carbapénèmes et du céfépime. Il est à
res avec réalisation d’un antibiogramme doivent noter la fréquence accrue des infections à Staphy-
être effectués. La sélection de l’antibiothérapie lococcus aureus résistantes à la méticilline.12
probabiliste est orientée par l’examen direct du Sawyer confirme ces résultats et ne retrouve, chez
liquide péritonéal, puis le traitement est adapté des patients de réanimation en état septique ma-
secondairement en fonction des résultats de l’anti- jeur, que 17 % de Escherichia coli et 7 % de Bacte-
biogramme.41 roides fragilis.44 Les infections monomicrobiennes
Chez les patients opérés et ayant bénéficié d’un (entérocoques, Candida, staphylocoques à coagu-
drainage externe (lame, drain), il est inutile de lase négative) sont plus rares.
176 P. Montravers et al.
Tableau 5 Comparaison des types de germes obtenus exprimés en proportion dans les péritonites communautaires et les infections
nosocomiales et postopératoires (d’après Dupont10 et Roehrborn11).
Infections communautaires (%) Infections postopératoires et
nosocomiales (%)
Dupont10 Roehrborn11 Dupont10 Roehrborn11
Aérobies
Bacilles à Gram négatif
- Escherichia coli 33 36 24 19
- Proteus spp. 4 3
- Klebsiella spp. 6 7 5 7
- Enterobacter spp. 4 3 8 12
- Pseudomonas spp. 2 2 5 6
Cocci à Gram positif
- Enterococcus spp. 11 5 21 21
- Staphylococcus spp. 2 2 4 11
- Streptococcus spp. 11 17 4 4
Divers 7 11 6 9
Anaérobies
- Bacteroides spp. 9 10 7 7
- Clostridium spp. 3 2
- Divers 5 5
Levures 4 6 4
Dans les infections postopératoires, des résultats ble.59 Quatre variables étaient associées au décès :
comparables ont été rapportés. Ainsi, Koperna rap- un score de gravité élevé à l’admission (score APA-
porte que 94 % des patients décédés avaient reçu un CHE > 17), une insuffisance respiratoire aiguë à
traitement antibiotique inadapté.46 Enfin, un trai- l’admission, une origine gastroduodénale de la pé-
tement initial ne prenant pas en compte tous les ritonite et la présence de Candida à l’examen di-
germes se traduit par une morbidité accrue et une rect du liquide péritonéal.60 Ces résultats souli-
mortalité doublée en comparaison avec une anti- gnent le mauvais pronostic de ces infections et la
biothérapie adaptée.12 valeur d’un examen direct positif à levure, témoin
Le problème de la nécessité du traitement anti- d’un inoculum massif.59,60
biotique a été plus spécifiquement évalué pour les Certains auteurs ont recommandé un traitement
entérocoques. Ces germes posent le problème de systématique antifungique dès la reprise opératoire
bactéries saprophytes du tube digestif, peu sensi- de manière à éviter la dissémination de l’infec-
bles aux antibiotiques, dont le pouvoir pathogène tion.61 Une solution pourrait être de débuter un
spontané est modeste mais qui sont retrouvées très traitement probabiliste chez les sujets dont l’exa-
fréquemment dans les prélèvements des péritoni- men direct du liquide péritonéal retrouve la pré-
tes, tant communautaires que postopératoires.10,12 sence de levures, témoignant d’un inoculum impor-
Plusieurs études suggèrent qu’un traitement anti- tant,60 de même que chez les sujets à risque, ayant
biotique ne prenant pas les entérocoques en reçu un traitement antibiotique préalable et hospi-
compte pourrait être utilisé avec succès dans les talisés de manière prolongée.62
infections plurimicrobiennes.51 Néanmoins, des
échecs thérapeutiques et des bactériémies à enté- Stratification des choix de l’antibiothérapie
rocoques dont l’origine était le site opératoire ont
été rapportés lors de traitements négligeant ce Bien que la démonstration soit faite que le traite-
germe.54,55 Ces germes se comporteraient donc ment de tous les germes isolés dès la phase proba-
comme des facteurs de morbidité accrue,55 mais biliste soit associé à un meilleur pronostic, près de
pourraient être un facteur de mortalité dans les 30 % des patients dans les infections communautai-
infections postopératoires. En l’absence de don- res n’ont pas un traitement antibiotique efficace et
nées fiables dans la littérature, il est recommandé vont guérir malgré cette inefficacité partielle ou
de prendre en compte ces germes dans le traite- totale.41 Cette constatation illustre la nécessité
ment initial des patients les plus graves (sujet d’un traitement antibiotique stratifié selon la sévé-
fragile, défaillance polyviscérale, choc septique, rité des patients, les patients les plus sévères ne
etc.), en cas d’antibiothérapie préalable, en cas pouvant pas faire les frais d’un traitement ineffi-
d’infection postopératoire. cace. Cette stratégie a été suggérée par la confé-
rence d’experts de la Société française
Place des infections fungiques d’anesthésie-réanimation sur les associations d’an-
tibiotiques63 et le consensus français consacré à la
Les levures, principalement de type Candida, po- prise en charge des péritonites communautaires.41
sent des problèmes équivalents à celui des entéro-
coques. Ces agents sont saprophytes du tube diges- Péritonites communautaires de faible gravité
tif et prolifèrent dans la lumière intestinale sous avec geste chirurgical complet
l’effet des traitements antibactériens intercur- Le geste chirurgical fait l’essentiel du traitement.
rents. On admet que 20 à 30 % des sujets sains Les antibiotiques administrés ont pour objectif
hébergent des levures de type Candida dans leur d’éviter les bactériémies précoces, la formation
tube digestif. Dans les infections communautaires, d’abcès de paroi et les abcès résiduels intra-
les levures sont retrouvées chez les patients opérés abdominaux. Les cibles bactériennes sont les enté-
d’ulcères perforés gastriques56 ou de lésions coli- robactéries et les anaérobies. Un traitement anti-
ques. Dans les infections postopératoires, les levu- biotique par une monothérapie est suffisant.
res, principalement Candida, sont isolées dans près L’amoxicilline/acide clavulanique ou la ticarcil-
de 20 % des prélèvements, préférentiellement en line/acide clavulanique ont un spectre d’action
cas de localisation sus-mésocolique.12,57 adapté.51,63
Une surmortalité est probable en cas d’infection
fongique.12,58 Dans une étude récente, quatre fac- Péritonites communautaires graves
teurs prédictifs d’isolement de Candida des prélè- (hospitalisées en réanimation)
vements péritonéaux ont été identifiés : état de La gravité est liée soit au terrain (sujet âgé ou
choc à l’admission, localisation gastroduodénale de atteint préalablement d’insuffisance viscérale),
l’infection, sexe féminin et antibiothérapie préala- soit à l’affection (score de gravité élevé ou dé-
180 P. Montravers et al.
faillance viscérale liée à l’infection). Le pronostic traitement probabiliste antifungique est débat-
de ces patients est meilleur quand l’antibiothéra- tue.62
pie prend en compte tous les germes abdominaux
dès la phase probabiliste.53 Ainsi, lorsque l’on veut Péritonites tertiaires
éviter les aléas d’un traitement antibiotique in- Il ne paraît pas possible de faire des recommanda-
complet, il est préférable d’opter pour une associa- tions supplémentaires par rapport aux infections
tion d’antibiotiques. Les traitements probabilistes postopératoires. La seule possibilité serait d’ad-
suivants pourraient être proposés : amoxicilline/ joindre un traitement antifongique jusqu’aux résul-
acide clavulanique (2 g × 3/j) + aminoside (genta- tats microbiologiques du fait de la présence très
micine ou nétilmicine 5 mg/kg/j en une ou deux fréquente de Candida spp.2,45
injections), ticarcilline/acide clavulanique (5 g ×
3/j) + aminoside (gentamicine ou nétilmicine).
Bien que le rôle des entérocoques soit reconnu dans Suivi thérapeutique
les complications infectieuses postopératoires,
aucun consensus ne peut être obtenu sur l’obliga- Les traitements sont adaptés en fonction des résul-
tion de les prendre en compte dans une antibio- tats des prélèvements microbiologiques peropéra-
thérapie initiale. L’association de céfotaxime toires. À l’opposé, les cultures de drains ne peuvent
(2 g × 3/j) ou ceftriaxone (2 g × 1/j) + métronida- être utilisées pour guider le traitement.
zole (500 mg × 3/j) est largement utilisée mais ne Le suivi thérapeutique des patients est basé sur
prend pas en compte ces germes.63 l’évaluation des données cliniques et paracliniques.
Quelques cas particuliers de risque d’échec du Le traitement complet d’une lésion abdominale
traitement nécessitent une prise en charge particu- évolutive se traduit théoriquement par un retour à
lière : une situation clinique normale (apyrexie, dispari-
• le traitement chirurgical n’ayant pu assurer une tion de la leucocytose, réapparition du transit) en
éradication satisfaisante du foyer infectieux ; quelques jours. L’absence d’amélioration ou une
• les patients vivant en institution ou ayant reçu aggravation secondaire peut correspondre à l’évo-
une antibiothérapie préalable, chez qui le ris- lution d’une complication intra- ou extra-
que d’écologie bactérienne digestive modifiée abdominale, mais aussi à une défaillance mono- ou
est important impliquant Pseudomonas aerugi- polyviscérale, conséquence de la péritonite. Une
nosa, Enterobacter cloacae, des entérobacté- complication doit être envisagée devant toute évo-
ries multirésistantes ou d’autres bacilles à Gram lution clinique anormale (Fig. 2).
négatif non fermentants. En cas d’échec du traitement antibiotique,
Dans ces cas particuliers, le risque d’une impasse l’analyse de cet échec impose de rechercher en
thérapeutique ne paraît pas acceptable ; le spectre premier lieu un problème chirurgical non résolu.
thérapeutique pourrait être élargi en utilisant un Les autres causes d’échec sont dues à un traite-
traitement identique à celui utilisé dans les infec- ment antibiotique inadapté (spectre insuffisant,
tions nosocomiales et postopératoires.41,63 La prise posologie insuffisante, émergence d’un ou plu-
en compte des entérocoques dans le schéma théra- sieurs germes résistants, sites infectieux inaccessi-
peutique doit être discutée. bles aux traitements) (Fig. 3).
En cas de besoin, une laparotomie exploratrice
Péritonites nosocomiales et postopératoires peut être nécessaire pour établir le diagnostic.
Une bithérapie par des molécules qui associent une Dans tous les cas, une reprise chirurgicale inutile
activité antianaérobie et une large activité antiaé- est moins dommageable pour le patient qu’une
robie est justifiée. La pipéracilline/tazobactam intervention trop tardive. L’attitude sera d’autant
(4,5 g × 4/j) ou l’imipénème (1 g × 3/j) + amika- plus interventionniste que l’état clinique du pa-
cine (20 mg/kg en 1 à 2 injections par jour) sont tient est grave.64 Bohnen rapporte une mortalité de
indiqués. Cette association peut être arrêtée ou 35 % en cas de réintervention précoce (dans les
adaptée au troisième jour, en fonction de la flore 24 heures suivant le diagnostic) contre 65 % en cas
intra-abdominale retrouvée à l’intervention. La de réintervention plus tardive.29 Cette attitude
vancomycine (15 mg/kg en dose de charge puis interventionniste doit être mise en balance avec le
administration continue ou discontinue pour attein- risque de lésions digestives iatrogènes.
dre une concentration à l’équilibre ou en résiduel
d’environ 20 mg/l) peut se justifier en cas de Place de la radiologie interventionnelle
suspicion de staphylocoque méticilline-R ou d’Ente-
rococcus faecium de haut niveau de résistance à la En cas de lésions cloisonnées (abcès), l’alternative
pénicilline (CMI > 16 mg/l).63 La nécessité d’un à la réintervention est le drainage percutané
Péritonites 181
(Fig. 2). Les drainages peuvent être guidés par nautaires graves, la durée du traitement n’est pas
échographie ou par tomodensitométrie.19,65,66 Ce- établie. Il est en général poursuivi 7 à 15 jours. La
pendant, seule la chirurgie permet d’éliminer la reprise d’un transit digestif, le retour de l’apyrexie
présence de lésions associées. En effet, la présence et la baisse de la concentration des leucocytes sont
d’un abcès n’élimine pas celle d’une péritonite les trois éléments généralement retenus pour arrê-
persistante ou d’un lâchage de suture que le plus ter le traitement.
souvent seule la chirurgie peut traiter. Aussi, un La durée du traitement dans une infection noso-
lâchage d’anastomose satellite d’un abcès est un comiale ou postopératoire n’est pas établie. Cette
facteur d’échec du drainage. En pratique, 30 % des durée n’est probablement pas la même en cas de
abcès sont traités par drainage seul.19,66 Parallèle- reprise précoce chez un patient sans défaillance
ment à la mise en place du drain, une irrigation- viscérale et chez un sujet âgé, réopéré tardivement
drainage des abcès et une antibiothérapie dirigée en défaillance polyviscérale. Cependant, les tra-
contre les germes isolés sont effectuées. Une sur- vaux sur ce thème manquent. Le traitement est en
veillance clinique et tomodensitométrique régu- général poursuivi 7 à 15 jours67 selon la sévérité
lière des abcès est recommandée. L’amélioration initiale et la qualité du geste chirurgical. Un traite-
clinique doit être rapide et nette au décours du ment plus prolongé ne sert à rien. Tout comme pour
drainage. Au moindre doute ou en cas d’aggrava- les infections communautaires, la reprise d’un
tion clinique sous drainage, une réévaluation est transit digestif, le retour d’une apyrexie et la
nécessaire avec indication éventuelle d’un drai- baisse de la leucocytose sont les trois éléments
nage chirurgical ou d’un nouveau drainage percu- généralement retenus pour arrêter le traitement.
tané. Les complications ne sont pas inhabituelles
(fistule digestive, drainage insuffisant, déplace-
ment du drain etc.).19,65,66 Une chirurgie de com- Pronostic
plément est proposée en cas d’aggravation clinique
(10 % des cas) ou d’échec du drainage (10 à 20 % des La mortalité des péritonites extrahospitalières va-
patients) (Fig. 3). rie entre 0 et 50 % selon la cause.67 À la vue des
données de la littérature, le terrain paraît jouer un
Durée du traitement antibiotique rôle considérable dans le pronostic : âge avancé,
pathologies associées, immunodépression, dé-
Dans les péritonites communautaires de forme peu faillances d’organe, dénutrition, etc. Le retard à
sévère, un traitement antibiotique de brève durée l’intervention chirurgicale, source d’accroissement
(< 5 jours) est suffisant.41 Dans les formes commu- de l’inoculum bactérien, est un facteur de gravité
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