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n° 1

LE SAVIEZ-VOUS ?

ANTHROPONYMES ET NOMS DE PLANTES

Que ce mot ne nous fasse pas peur, « anthroponyme » signifie


tout simplement « nom de personne ».
Le saviez-vous ? Les botanistes au cours de l’histoire ont
souvent donné le nom d’une personne à une plante, à une fleur, à
un arbuste. Certains de ces noms, vernaculaires ou scientifiques,
nous sont tellement familiers que nous ne nous préoccupons
guère de leur origine. Nos jardins d’hiver ou d’été sont fleuris de
camélias, de bégonias, de fuchsias, d’amaryllis, de pivoines ; nous
aimons humer la subtile odeur des daphnés, des narcisses et des
jacinthes ; nos crèches de Noël s’ornent de poinsettias, alors que
nous rêvons des splendeurs tropicales du bougainvillier, du
frangipanier ou de l’alpinie ; les feuilles d’acanthe et les magnolias
ne sont pas étrangers quant à eux à nos climats tempérés. Pour
ne citer qu’un fruit, qu’elle est délicieuse en saison la clémentine !
Mais convient-il encore de mentionner les effluves interdits de
l’herbe à Nicot ?
Remontons le temps... L’élégante acanthe tient son nom
d’une nymphe de la mythologie grecque, Acanthe, poursuivie par

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le dieu Apollon qui tente de l’enlever ; elle le griffe au visage, il la
métamorphose en une plante épineuse qui aime le soleil ! Non
moins farouche et poursuivie par le même dieu-galant, la
chasseresse Daphné se transforme en un bel arbuste dont le
soupirant éconduit se contentera de respirer le feuillage odorant.
L’histoire d’Amaryllis est moins tragique, il s’agit d’une
aimable bergère de l’antiquité ; Virgile en ses Bucoliques nous
raconte que les forêts chantent sa beauté. Nous avons entendu
parler du beau Narcisse s’admirant dans l’eau d’un lac puis
transformé dans la fleur qui porte son nom. Le jeune Hyacinthe
eut moins de chance ; blessé à mort sur un terrain de sport par le
jet d’un disque, son sang donna naissance à la jacinthe.
Terminons ce petit voyage antique avec la pivoine ; fleur vive
d’été à l’origine de l’expression « rouge comme une pivoine »,
nous la tenons de Paeon, médecin des dieux de l’Olympe qui
aurait guéri grâce à elle Apollon - encore lui - victime d’une
blessure ; réputée en Chine, elle guérit aussi l’épilepsie.
Les XVIIe et XVIIIe siècles, pour leur part, furent «florissants»
en botanistes et naturalistes. A tout seigneur, tout honneur, on
conçoit que ceux-ci aient souvent donné le nom de l’un des leurs
aux plantes découvertes dans les Indes occidentales ou orientales.
Le magnolia aux superbes corolles blanches honore ainsi Pierre
Magnol, médecin protestant de Montpellier qui dut se convertir
au catholicisme pour accéder aux fonctions de directeur du Jardin
botanique royal puis de l’Académie des sciences. Le R.P. Joseph
Kamel, jésuite morave né à Brno et mort à Manille, nous a laissé
le camélia qui illumine l’hiver de rouge ou de blanc et permit à
Alexandre Dumas d’écrire son inoubliable « Dame aux camélias».
Nous devons à un autre membre de la compagnie de Jésus, le
R.P. Clément, directeur d’un orphelinat près d’Oran en Algérie, la
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succulente clémentine, hybride naturel de la mandarine et de
l’orange amère amélioré par le bon père. Les clochettes « rouge
soutane d’évêque » du fuchsia tirent leur nom d’un médecin
allemand luthérien, professeur de botanique et de pharmacie à
l’université de Tübingen, Leonard Fuchs. L’alpinie nous est
moins familière ; il ne s’agit pas d’une marque de voiture mais du
gingembre ornemental, baptisé ainsi en hommage au savant
italien Alpini, qui aurait pour sa part introduit en Europe le café
et la banane.
Quelques autres personnages méritent une mention, parmi
lesquels deux ambassadeurs, un intendant général et un
explorateur. Premier ambassadeur américain au Mexique, John
Poinsett envoya en cadeau de Noël à sa famille une très belle
plante aux feuilles rouges déjà connue des aztèques, qui en
extrayaient une teinture cramoisie ; les mexicains l’appelaient «
étoile de Noël », elle nous est connue sous le nom de poinsettia.
Ambassadeur de France à Lisbonne, Jean Villemain, seigneur
de Nicot, ramena à la Cour le tabac qui fit miracle pour soigner
les migraines de la reine Catherine de Médicis : si l’on baptisa la
plante nicotiana tabacum, on retient surtout hélas l’appellation de
nicotine, remède alors, poison aujourd’hui !
Intendant général à Saint-Domingue, puis intendant des
galères du roi à Marseille, le sieur Michel Bégon fut chargé
d’explorer les plantes du Nouveau Monde ; il en ramena le
bégonia multicolore dont il fleurit sans doute les parterres de
Rochefort, où il devait terminer sa carrière comme intendant de
la marine ; intendant un jour, intendant toujours !
Louis-Antoine de Bougainville, capitaine au long cours et
explorateur, mena son entreprise autour du monde, ramenant du

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Brésil le bougainvillier, ou bougainvillée, géant multicolore des
tropiques ou modeste tuteur sur nos balcons.
Il faut conclure. Géant de la botanique, né à Marseille en 1646
et mort à Cadix en 1704, le R.P. Charles Plumier, membre de
l’Ordre des Minimes, s’initia à la science des plantes au couvent
de la Trinité des Monts à Rome. Il participa à trois expéditions
aux Amériques et rendit l’âme à l’aube de la quatrième, après
avoir publié de nombreux ouvrages, recensé 106 nouveaux
genres de plantes, laissé de nombreux manuscrits et plus de 6000
dessins.
Point de plante dont le nom vernaculaire soit le « plumier » ;
le naturaliste suédois Linné dédiera toutefois au savant religieux
le plumeria alba, nom scientifique du frangipanier, arbuste aux
fleurs capiteuses que l’on enfile en couronnes pour honorer les
hôtes de marque en Orient. Hommage délicat rendu à l’ami de la
nature dans sa beauté et sa perfection, mais aussi dans sa bonté,
puisque le P. Plumier identifia la vanille !

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Frangipanier (plumeria alba)

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Auguste-Émile Bellet - Vendée 93

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n° 2

LE SAVIEZ-VOUS ?
HISTOIRE ET GUERRES DE VENDEE

« Le talent de l'historien consiste à faire un ensemble vrai avec


des traits qui ne sont vrais qu'à demi ». Réflexion de Renan qui
s’applique particulièrement bien à tant d’historiens de nos guerres
de Vendée ; pensons à Jules Michelet que l’on n’a pas hésité à
qualifier de « père fondateur de la science historique moderne ».
Excusez du peu, il s’agit tout bonnement de la publicité pour un
nouveau CD-ROM qui regroupe les 27 volumes de l’ « Histoire de
France » rédigés par le prolixe auteur au XIXe siècle.
Le saviez-vous ? Jules Michelet naquit le 27 août 1798 dans
le chœur d’une église désaffectée de Paris où son imprimeur de
père avait installé un atelier en pleine Terreur. Ayant goûté la
ferveur révolutionnaire au berceau, qui plus est sous les voûtes
d’un sanctuaire, on ne s’étonnera guère que ses recherches
historiques aient été teintées d’un léger parti-pris. On connaît
surtout son Histoire de France, mais ses autres ouvrages n’en
sont pas moins édifiants ; citons parmi eux « Des jésuites », « La
Bible de l’humanité », « La femme, le prêtre et de la famille », dont la
lecture décapante nous fera apparaître comme de l’eau de rose les
écrits de nos aimables anticléricaux modernes ! Sans oublier son
« Richelieu et la fronde », à recommander en cette année jubilaire de
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l’arrivée en nos murs de Monseigneur de Luçon – sinon pour son
objectivité du moins pour le pittoresque de ses portraits !
Mais revenons-en à l’historien de la Vendée. Son « Histoire de
la révolution française » parut en sept volumes, entre 1847 et 1853.
Ouvrage fort bien documenté, puisque Michelet fut de 1830 à
1852 chef de la section historique des Archives Nationales. Sans
méconnaître l’érudition de l’auteur, les chapitres consacrés aux
guerres de Vendée donnent une bien piètre image de nos
ancêtres, qui sera « religieusement » véhiculée jusqu’à notre
époque. Eux qui n’avaient alors que leurs faux, fourches et
bâtons pour se défendre, comment auraient-il pu résister par la
suite aux savants assauts du « père de la science historique
moderne » ?
Foin de polémique, relisons simplement les écrits de Michelet,
ils sont plus parlants que cent discours. C’est après avoir exalté
les faits d’armes libérateurs des armées de la jeune République
qu’il s’en prend à la Vendée, jouant du contraste qui peut exister
entre la lumière et les ténèbres : « Le drapeau de la France était
constitué celui du genre humain, celui de la délivrance
universelle… L’Europe, émue d’amour et de terreur, voyait
briller ses trois couleurs sur sa tête dans les neiges éternelles, dans
le ciel et dans le soleil. Le monde des pauvres et des esclaves, le
peuple de ceux qui pleurent, tressaillaient à ce grand signe ; ils y
lisaient distinctement ce que lut jadis Constantin : Par ce signe tu
vaincras.» La suite vaut son pesant d’or : «Il n’y eut qu’un peuple
aveugle, hélas ! Faut-il le dire ? Nous voudrions nous arrêter ici.
Et pourtant, que le cœur soit oppressé ou non, il faut ajouter
cette chose. Au moment où le monde se lance vers la France, se
donne à elle, devient Français de cœur, un pays fait exception ; il
se rencontre un peuple si étrangement aveugle et si bizarrement
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égaré qu’il s’arme contre la Révolution, sa mère, contre le salut du
peuple, contre lui-même. Et, par un miracle du diable, cela se voit
en France ; c’est une partie de la France qui donne ce spectacle :
ce peuple étrange est la Vendée. »
Michelet met en parallèle le 25 août 1792, date de la
suppression par la Constituante de tous les droits féodaux et
redevances seigneuriales, avec le début de l’insurrection en
Vendée. Il n’hésite pas à écrire : « Chose remarquable, ce fut le 25
août, le jour même où le paysan vendéen attaquait la Révolution,
que la Révolution, dans sa partialité généreuse, jugeait en faveur
du paysan le long procès des siècles, abolissant les droits féodaux
sans indemnité…Sainte décision, humaine, charitable autant que
raisonnable, selon Dieu et selon l’esprit. Que le monde se taise et
admire. Qu’il tâche à profiter. Qu’il reconnaisse le caractère
vraiment religieux de la Révolution. La Vendée ne lui fit la guerre
que par un malentendu monstrueux, par un phénomène
incroyable d’ingratitude, d’injustice et d’absurdité. La Révolution,
attaquée comme impie, était ultra-chrétienne ; elle faisait les actes
qu’aurait dû faire le christianisme. Et le prêtre, que faisait-il ? Il
faisait, par le paysan, la guerre ultra-païenne, qui aurait rétabli la
féodalité, la domination de la terre sur l’homme et de la matière
sur l’esprit. » « Cruel malentendu ! Ces Vendéens étaient sincères
dans leurs erreurs. Ils sont morts dans une foi loyale. L’un d’eux,
blessé à mort, gisait au pied d’un arbre (plus exactement au pied
d’un calvaire détruit !). Un républicain lui dit : «Rends-moi tes
armes» ! L’autre dit : «Rends-moi mon Dieu» ! Ton Dieu ? pauvre
homme ! Eh ! n’est-ce pas le nôtre ? Il n’y en a pas deux. Il n’y a
qu’un Dieu, celui de l’égalité et de l’équité, celui qui vient, au bout
de mille ans, te faire réparation, celui qui a jugé pour toi, le 25
août, le jour même, insensé, où tu as levé le bras contre lui. »
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Le chapitre le plus passionnant sans doute se trouve au Livre
VIII de l’ « Histoire de la Révolution française », repris par l’historien
dans un petit livre publié en 1854, « Les femmes de la Révolution ».
Ce chapitre, qui a pour titre « Le prêtre, la femme et la Vendée »,
développe une théorie passionnante, celle d’un complot
« savamment préparé par un travail habile. Dans ce coin de terre,
obscur, retiré et sans routes, le prêtre avait trouvé un admirable
élément de résistance, un peuple naturellement opposé à toute
influence centrale. Là, bien aidé des femmes, il avait pu
longuement, à loisir, créer une œuvre d’art, étrange et singulière :
une révolution contre la Révolution, une république contre la
République ».
La femme et le prêtre - obsession constante de Michelet - ont
bien été selon lui ces conspirateurs de l’ombre ; voici quelques
titres de chapitres que nous n’avons pas le temps de parcourir
mais que l’on retrouvera avantageusement sur CD-ROM ou dans
l’édition complète de l’ « Histoire de France » parue en format de
poche : « La femme fut l’agent de la Vendée - Attachement
passionné des femmes de l’Ouest pour le prêtre - Désespoir des
femmes lorsque la loi éloigne le prêtre - Les couvents foyers de
conspiration – Les prêtres annoncent la guerre civile et la
fomentent ». Terminons par cette perle du grand historien que les
chères sœurs de la Sagesse nous pardonneront de citer, mais elles
savent combien elles sont appréciées et aimées en Vendée et bien
au-delà. « Les Filles de la sagesse, dont la maison mère était à
Saint-Laurent, près Montaigu ( !), allaient soufflant le feu ; ces
bonnes sœurs infirmières, en soignant les malades, inoculaient la
rage. »

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n° 3

LE SAVIEZ-VOUS ?

ET QUE LA FETE COMMENCE !


Discrètement située dans le déambulatoire de la cathédrale de
Luçon, la « Descente de croix » peinte par Lubin Baugin au milieu
du XVIIe siècle est une œuvre fort intéressante ; elle offre un détail
frappant, dont nous parlerons plus loin : le linceul « démesuré »
qui attend le corps de Jésus.
Le saviez-vous ? L’auteur de cette toile de grande dimension
- environ quatre mètres sur trois - a été « redécouvert » il y a très
peu d’années. Il a fait l’objet de deux expositions en 2002, au
Musée des Beaux-Arts d’Orléans puis à celui des Augustins à
Toulouse. Longtemps méconnu, pour ne pas dire ignoré, et par la
plupart d’entre nous peut-être, Lubin Baugin doit sa seconde
naissance à Jacques Thuillier, professeur au Collège de France et
spécialiste des peintres du XVIIe siècle.
Né en 1610 à Pithiviers, près d’Orléans, notre artiste
commence sa carrière à Paris, à l’abbaye de Saint-Germain-des-
Prés. Il s’adonne en ses débuts à la nature morte et on lui doit
quelques petits formats dans cette veine, qui sont de purs chefs
d’œuvre. Allons vite découvrir sur le catalogue de l’exposition de
2002 qui lui fut consacrée, ou au Musée du Louvre, ou encore,
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pourquoi pas, sur internet, « La nature morte à l’échiquier » et « Le
dessert aux gaufrettes ». Ce dernier tableau est une petite merveille,
où le jeu de l’étain, de la paille et du verre nous attire
inexorablement vers le vin couleur d’ambre et les délicieuses
gaufrettes d’or pâle ; celles-ci ressemblent d’ailleurs à s’y
méprendre à des « cigarettes russes », mais l’expression ne date
que du second Empire. Rien à voir en apparence avec l’auteur de
la « Descente de croix » luçonnaise, et pourtant… nous y
reviendrons ! A noter au passage, pour ceux qui auraient vu le
très beau film inspiré du roman de Pascal Guignard, « Tous les
matins du monde », tourné en 1991 par Alain Corneau, que l’on y
retrouve le peintre Baugin et son « Dessert de gaufrettes ».
Après Saint-Germain, Baugin se fixe à Rome ; il découvre les
grands maîtres de la Renaissance italienne qui inspireront ses
œuvres ultérieures, entre autres Le Corrège et Raphaël. Il en
ramènera également une belle romaine qui sera sa première
épouse.
De retour en France il est reçu dans la corporation des
maîtres-peintres parisiens, à l’âge de trente-trois ans. Pendant les
vingt années que durera sa carrière artistique, jusqu’à sa mort en
1663, le peintre se consacrera principalement à l’art religieux. Il
réalise pour plusieurs églises de Paris, dont Notre-Dame, mais
aussi de province, comme à Pithiviers, sa ville natale, de grandes
toiles inspirées de la vie du Christ : Nativité, Sainte Famille,
Descente de Croix, Déploration, « toutes de douceur et de
délicatesse » selon les critiques du temps.
Une bonne partie de ces œuvres, exposées en 2002 à Orléans
puis à Toulouse, n’a pas recueilli cependant le suffrage de tous.
Non pas à cause du manque de talent de l’auteur, mais à cause
d’une restauration qualifiée de « sauvage » par le Figaro (22 mars
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2002) : « L’exposition Lubin Baugin est exemplaire. Pour deux
raisons : elle nous fait découvrir un peintre sublime et mal connu
du XVIIe siècle français… et elle nous offre un désastre commis
par des restaurateurs qui ont saccagé la presque totalité de
l’œuvre… On dirait que ce peintre, qui fréquenta une grande
partie de sa vie les anges, les apôtres, la Sainte Famille et les
madones, passa à côté de Dieu sans le voir. »
Dieu merci, c’est le cas de le dire, nous l’avons échappé belle !
La « Descente de Croix » de Luçon, peut-être en raison de ses
dimensions, ne figurait pas parmi les œuvres exposées en 2002 et
« sauvagement » restaurées. Elle le fut certes, un peu plus tard,
mais par des mains expertes qui ont su préserver « les jeux
d’arabesque et les accords de couleurs », et encore « le
raffinement des valeurs, des nuances et des rythmes » propres à
l’artiste.
Revenons donc à notre tableau. S’il est avéré qu’il est bien de
Baugin, on ignore ses origines. Fut-il commandé pour Paris, puis
donné par le cardinal de Richelieu lui-même à la cathédrale de
Luçon, dont il fut l’évêque à cette époque ? Nous ne retrouvons
que le compte-rendu des délibérations du conseil de fabrique qui
décida en 1837 de sa restauration par le sieur Sotta. « Sur les
représentations qui nous ont été faites par des gens de l'art que le
tableau de la Descente de croix était d'un grand maître et méritait
d'être conservé, le conseil a été d'avis, à l'unanimité, de le faire
restaurer et d'en confier le travail à M. Sotta, peintre distingué,
moyennant la somme de trois cents francs que M. le trésorier a
été autorisé à lui compter en temps opportun. » Classée en 1923,
l’œuvre a fait l’objet d’une seconde restauration qui nous permet
de l’admirer dans sa beauté presque originelle, effectuée en 2004
par Patrick Buti.
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Dans leur ouvrage « Patrimoine religieux en Vendée », publié en
2003, Joseph Renaud et Claude Arrignon consacrent une page à
la « Descente de Croix » de Baugin et font ce commentaire : «Les
femmes préparent le linceul avec des gestes de ménagères, précis,
méticuleux… Le linceul est blanc, comme la nappe de nos autels,
comme la robe du baptême, comme l’aurore du matin de
Pâques. » C’est une ébauche de l’interprétation qui est la nôtre.
La place que ce grand linge occupe dans le tableau, sa forme, son
blanc éclatant, la façon dont les trois femmes le déploient, autant
d’éléments qui nous font penser à la nappe d’un repas de fête qui
se prépare sur l’herbe ! Baugin fut en sa jeunesse un peintre de
nature morte : le voici dans cette œuvre qui fait « le saut de
l’ange » en passant du « Dessert aux gaufrettes » à la « Descente de
croix ».
Ne voyons aucune irrévérence dans cette comparaison d’un
dessert immobile et futile avec le banquet de la vie auquel le
Christ ressuscité invite ses amis. Et que la fête commence !

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Lubin Baugin - Descente de Croix

L. Baugin - Dessert aux gaufrettes

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Église de Péault - Vendée

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n° 4

LE SAVIEZ-VOUS ?

CURE, FERMIER ET SOUS-PREFET

Parmi les prêtres vendéens qui prêtèrent serment à la


Constitution civile du clergé en 1791, certains se distinguèrent
dans le domaine politique et public et abandonnèrent pour la
plupart l’état ecclésiastique ; d’autres revinrent sur leur décision et
moururent en martyrs de la foi ; d’autres encore disparurent dans
l’oubli. L’un de ceux qui mirent au service de la République puis
de l’Empire leurs talents et leur connaissance de la réalité
vendéenne connut un destin hors du commun, même si son état
de « prêtre jureur » ne lui permit guère de jouir de la bienveillance
de ses compatriotes.
Le saviez-vous ? Jean-Alexandre Cavoleau, né à Legé en
1754 et mort à Fontenay-le-Comte en 1839, fut prêtre, fermier et
fonctionnaire de l’État sous trois régimes différents ! Des traces
de cet homme érudit et compétent, vous ne trouverez en Vendée
qu’une pierre de granit dans le cimetière de la paroisse Notre-
Dame à Fontenay-le-Comte et quelques rues qui portent encore
son nom.
Jean-Alexandre fait ses études au grand séminaire de Luçon,
qualifiées de brillantes par son biographe et admirateur, Hélie de
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Sainte-Hermine, qui sera plus tard son successeur comme
Secrétaire général de la Vendée. Après être passé pendant
quelques années par « le stade déplaisant du vicariat » (dixit
Philippe Bounolleau, auteur d’une maîtrise d’histoire sur
Cavoleau en 1996), le jeune abbé est nommé en 1784 curé de
Péault. C’est une petite bourgade rurale située près de Mareuil-
sur-Lay où l’on dénombre à l’époque 500 habitants ; le chiffre n’a
guère varié, ils sont actuellement 518 !
Les loisirs de son ministère permettent au nouveau curé
d’exploiter lui-même la ferme de son bénéfice. Son ingéniosité et
son influence sur ses paroissiens sont telles que « les plaines
autour du clocher de Péault furent bientôt mieux cultivées, les
moissons plus abondantes, les prairies plus nombreuses et plus
vertes, et les troupeaux mieux soignés et plus féconds ». Bon
pasteur, il ne veille pas seulement sur les ouailles qui lui sont
confiées, il se préoccupe d’améliorer la race du mouton vendéen,
tout en s’ouvrant aux idées philosophiques et libérales du temps.
C’est dans cet état que le trouve la Révolution de 1789, à laquelle
il s’empresse d’adhérer. Il prête en 1791 le serment de fidélité à la
Constitution civile du clergé et obtient du Directoire du tout
nouveau département de la Vendée la charge d’une bergerie-
modèle installée à Péault.
Bien lui en prend, car dès l’année suivante, la cure de Péault
est supprimée. Le pasteur assermenté perd son troupeau spirituel
mais conserve pour un temps le soin des 18 béliers et des 25
brebis de sa bergerie. Les événements vont alors se précipiter
pour notre prêtre-éleveur qui doit choisir entre les deux carrières
qui s’ouvrent à lui.
L’évêque constitutionnel de Luçon, François-Ambroise
Rodrigue, élu par les représentants des districts en 1791, le choisit
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en 1792 comme vicaire épiscopal. Sollicité également par les
autorités du département, installées à Fontenay-le-Comte depuis
peu, notre grand vicaire franchit un pas décisif et devient
Président du Conseil Général de la Vendée. Son choix est fait, il
renonce à l’état clérical en 1793 et se consacre dorénavant à la
chose publique. L’élu républicain se révèle modéré et compétent,
s’efforçant de pallier à la famine causée par la guerre civile qui fait
rage en Vendée, visitant les départements voisins pour obtenir
des vivres. On se souvient de son intervention en faveur de
quatre-vingts ecclésiastiques emprisonnés à Fontenay-le-Comte
où ils attendent d’être déportés à Cayenne. Alors qu’un bataillon
de soldats révolutionnaires envoyés pour ‘pacifier la Vendée’ se
préparent à massacrer les prisonniers, le citoyen Cavoleau
s’interpose au péril de sa vie, leur déclarant « qu’ils n’iront pas
plus loin sans lui passer sur le corps » et il obtient le départ des
soldats sans acte de violence.
La paix revenue, Jean-Alexandre Cavoleau s’emploie à
développer l’instruction publique ; il est l’un des organisateurs de
ce service en Vendée, tout en continuant de s’intéresser au
progrès de l’agriculture. Lorsque Bonaparte, Premier Consul, crée
en l’an IX de la République le corps des préfets et nomme à
Fontenay-le-Comte le citoyen Lefaucheux (ci-devant baron Jean-
Baptiste-Antoine Le Faucheux des Aulnois), Cavoleau devient
Secrétaire général de la Préfecture avec rang de sous-préfet,
charge qu’il exercera de 1800 à 1814, à Fontenay-le-Comte puis à
la Roche-sur-Yon ou plutôt « Napoléon », devenu en 1804 chef-
lieu du département par décision de l’empereur.
Le secrétaire général de la Préfecture de la Vendée est très
actif, et dans des domaines fort divers. Au service du
département et en particulier de l’agriculture, à preuve sa
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nombreuse correspondance conservée aux archives de la Vendée,
mais aussi comme écrivain et statisticien. Il publie dès novembre
1800 sa « Description abrégée du département de la Vendée », qu’il
continuera d’améliorer sans cesse et qui deviendra en 1818 la
« Description du Département de la Vendée et considérations générales sur
la guerre civile de 1793, 1794 et 1795 », ouvrage annoté et augmenté
par Armand-Désiré de la Fontenelle de Vaudoré en 1844, réédité
en trois tomes aux Éditions Laffitte en 1978.
Cavoleau publie aussi un journal littéraire et politique, il écrit
des annuaires, des mémoires sur la mise en valeur des marais, les
« ravages des campagnols dans la Vendée », les moutons
espagnols et les vaches suisses, et porte un jugement clairvoyant
sur les causes de la guerre civile: «Ce n’est point l’humiliation de
la noblesse ni la chute de la monarchie qui leur mirent les armes à
la main. Ils seraient toujours restés tranquilles, si une loi
impolitique n’eût condamné leurs prêtres à l’exil… Les maux
effrayants qu’ils ont soufferts leur ont inspiré contre la révolution
une aversion profonde, qui ne peut s’affaiblir que par l’effet du
temps et d’une administration juste et paternelle. »
Destitué lors du retour de la monarchie en France en 1814,
Jean-Alexandre Cavoleau continue de se livrer aux expériences
agricoles et d’écrire ; son dernier ouvrage publié en 1827 traite de
l’ « Œnologie française ». Après avoir quitté les ordres en 1793, il
avait épousé une ancienne ursuline de Poitiers en 1796. En 1803,
sur sa demande, Rome régularise sa situation. L’abbé sous-préfet
mourra en paix à Fontenay-le-Comte le 1er août 1839.

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n° 5

LE SAVIEZ-VOUS ?

LA VIERGE MARIE EN ISLAM

« Rappelle-toi quand les anges dirent : Ô Marie, certes Dieu


t'a élue au-dessus des femmes des mondes. »
Le saviez-vous ? Marie est la seule femme qui soit appelée
par son nom dans le Coran, où elle est mentionnée 34 fois. Elle y
est considérée comme vierge et mère - par intervention divine –
de Jésus. Le Concile Vatican II prend acte de cette place de Marie
en Islam quand il déclare : « Bien qu'ils ne reconnaissent pas
Jésus comme Dieu, les musulmans le vénèrent comme prophète ;
ils honorent sa mère virginale, Marie, et parfois même
l'invoquent avec piété. »
Le Coran et la tradition islamique donnent sur l’enfance de
Marie des détails plus nombreux que les quatre évangiles et dans
un langage très riche de sens, s’appuyant probablement sur des
écrits apocryphes des premiers siècles du christianisme. Mais ils
évoquent aussi les évènements majeurs de sa vie tels que nous les
connaissons et les célébrons dans l’Église catholique : la nativité
de Marie, sa présentation au Temple, l’annonciation : « Rappelle-
toi, quand les Anges dirent : "Ô Marie, voilà que Dieu t'annonce
une parole de Sa part : son nom sera le Messie, Jésus, fils de
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Marie, illustre ici-bas comme dans l'au-delà, et l'un des
rapprochés de Dieu. Elle dit : "Seigneur ! Comment aurais-je un
enfant, alors qu'aucun homme ne m'a touchée ?" - "C'est ainsi !"
dit-Il. Dieu crée ce qu'Il veut. Quand Il décide d'une chose, Il lui
dit seulement : "Sois", et elle est aussitôt. Et Dieu lui enseignera
l'écriture, la sagesse, la Thora et l'Évangile, et Il sera le messager
aux enfants d'Israël. »
Quant à la naissance de Jésus, Marie accouche en un lieu
lointain, seule sous un palmier qui la nourrit de « ses dattes
fraîches et mûres », pendant qu’une source jaillit sous ses pieds
pour apaiser sa soif. L’enfant au berceau s’exprime déjà pour
défendre sa mère, en bute aux critiques de ses proches : « Le
bébé dit : Je suis vraiment le serviteur de Dieu. Il m'a donné le
Livre et m'a désigné Prophète. Et que la paix soit sur moi le jour
où je naquis, le jour où je mourrai, et le jour où je serai ressuscité
vivant. » Le Coran précise toutefois que si Jésus est bien le fils de
Marie, il ne peut être fils de Dieu, « car il ne convient pas à Dieu
de s'attribuer un fils ».Certaines interprétations du Coran et des
« hadiths » (paroles et actes de Mahomet qui ne figurent pas dans
le Coran) permettent d’y voir également de discrètes allusions à
l’Immaculée Conception et à l’Assomption de Marie.
S’il a fallu plusieurs siècles à la théologie chrétienne pour
aboutir à la reconnaissance de « la maternité divine de Marie »,
proclamée par le concile d’Éphèse en 431, on sait qu’un courant
de pensée guidé par le patriarche de Constantinople Nestorius
s’est longtemps opposé à ce dogme. « Je refuse de voir un Dieu
formé dans le sein d'une femme », écrivait ce dernier, pour qui
Marie était la mère de l’homme Jésus mais non du Verbe éternel.
L’influence probable des moines nestoriens qui initièrent
Mahomet au christianisme permet de comprendre le rejet très
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clairement exprimé dans le Coran de la maternité divine de
Marie.
De fait, le Livre insiste sur les nombreuses qualités humaines
de Marie, comme il le fait sur celles de Jésus, toujours désigné par
le Coran comme « le fils de Marie », sa filiation divine demeurant
cependant inconcevable et inacceptable pour le vrai croyant :
« Ce sont, certes, des mécréants ceux qui disent : En vérité, Dieu
c'est le Messie, fils de Marie. Alors que le Messie a dit : Ô enfants
d'Israël, adorez Dieu, mon Seigneur et votre Seigneur. Le Messie,
fils de Marie, n'était qu'un Messager. Des messagers sont passés
avant lui. »
Mère d’un homme et non d’un Dieu, du « messager », Marie
est toutefois considérée comme un modèle pour l'humanité. Le
Coran indique qu’elle a été spécialement choisie par Dieu, rendue
pure, qu'elle est une sainte femme, un modèle de foi en Dieu, de
confiance en la providence, d'abandon à sa volonté, de piété et de
recueillement, de silence respectueux et de prière. Peut-on
envisager plus grande estime pour celle que les chrétiens
considèrent eux aussi comme un modèle de foi et d’amour ?
Au-delà des textes, certains comportements de Mahomet ainsi
que de musulmans d’hier et d’aujourd’hui, soulignent la place
privilégiée de Marie en Islam. Lors de la restauration de la
« Kaaba » à La Mecque vers 630 et de la destruction des images de
divinités païennes qui y figuraient jusque-là, Mahomet aurait
demandé que soit préservée une fresque représentant la Vierge
Marie avec l’Enfant-Jésus.
En 634, lors de l’invasion arabe de la Palestine alors tenue par
les byzantins, le calife Omar s’empare de Bethléem avant de
prendre Jérusalem en 638. Depuis cette date, les musulmans
vénèrent Marie au lieu même où elle aurait donné naissance à
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Jésus. Ceux qui ont visité la basilique de la Nativité ont pu
constater la présence, en un lieu précis de l’édifice, de musulmans
en prière.
Ceux-ci visitent aussi avec assiduité les sanctuaires mariaux du
Proche-Orient, en Égypte, au Liban, en Syrie, la maison de Marie
à Éphèse en Turquie. Il n’est pas rare de les voir également chez
nous se recueillir devant les images de la Vierge Marie, mère de
Jésus, que l’on appelle en arabe, langue du Coran, « Sittna
Maryam », Notre Dame Marie.
On ne s’étonnera pas que tout récemment, lors du 150°
anniversaire des apparitions de Lourdes, des musulmans aient
participé à diverses rencontres organisés à cette occasion. Deux
participants au pèlerinage mondial des journalistes se sont
exprimés ainsi :
« Marie représente la créature à l’écoute de Dieu, enveloppée
de sa tendresse : elle est un modèle pour que grandisse
aujourd’hui la fraternité universelle. »
« La seule femme citée dans le Coran, vierge et mère, nous
montre les fruits d’une vraie relation à Dieu, vécue dans la foi. »

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Icône de la Vierge aimante – Mont Athos

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Ile de la Dominique - Antilles

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n° 6

LE SAVIEZ-VOUS ?

MISSIONNAIRE A LA DOMINIQUE

«Il y a exactement trois semaines ce matin que j’ai quitté la


Choletière définitivement, le cœur un peu gros, je l’avoue, mais
heureux tout de même de pouvoir me dire : je vais où le Bon
Dieu m’appelle, je vais sauver des âmes. »
Le saviez-vous ? Né aux Herbiers le 16 juin 1878, mort à
La Dominique le 24 août 1908 à l’âge de 30 ans, le père René
Suaudeau est l’un de ces missionnaires pleins d’élan que la
ferveur religieuse du XIXe siècle a dispersés aux quatre coins du
monde. Originaire d’une famille de paysans établie au village de
La Choletière, sur les pentes du mont des Alouettes, René est
ordonné prêtre en 1903 dans la Congrégation des Fils de Marie
Immaculée, fondée par le Vénérable père Louis-Marie Baudouin
en 1800. Dès 1872, les « pères de Chavagnes », comme on a
coutume de les nommer, ont été appelés à exercer une activité
missionnaire aux Antilles, qui commencera à La Dominique pour
se poursuivre à Sainte Lucie, puis en Martinique. C’est à La
Dominique que sera envoyé le père Suaudeau.
Quand notre jeune religieux de 26 ans débarque le 1er
décembre 1904 au port de Roseau, après un voyage de près d’un
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mois, il a déjà fait escale en Guadeloupe, en Martinique et à
Sainte-Lucie où ses confrères vendéens l’ont accueilli à bras
ouverts. Arrivé en Dominique, il est destiné tout d’abord à la
paroisse de Vieille Case pour y assister le père Bellaudeau, puis
promu curé de Wesley, à quatre heures de cheval, où il passe ses
toutes premières fêtes de Noël. Avec l’énergie et l’humour qui
caractérisent le jeune vendéen, dur au travail, et qui
transparaissent tout au long des lettres envoyées à sa famille et à
ses amis durant quatre ans, René Suaudeau s’attelle aussitôt à la
tâche. S’il dispose d’un grand presbytère, encore vide, l’église
n’est pas finie ; il lui faut faire la chasse aux chauves-souris,
envoyer les hommes couper du bois dans la forêt ou tirer de la
mer du corail pour en faire de la chaux.
Il visite dès le début les descendants des indiens Caraïbes «qui
ne sont pas noirs et ont une figure tout à fait à part », mais sans
exprimer la moindre trace de mépris : « Là encore, chère maman,
tranquillisez-vous. Ces gens-là sont plus civilisés que beaucoup
de Français et Vendéens du Petit-Bourg et des Herbiers. »
L’église, baptisée « Notre-Dame de la Soie », prend forme,
grâce au travail de tous, y compris du curé qui ébahit ses
paroissiens en fabriquant « une fourche, une pelle et une
brouette». Mais il fait aussi des « bottereaux » pour la Chandeleur,
sème des pois et s’entoure d’une cour des miracles dont la
description est franchement désopilante : Marie-Antoinette, la
vieille bonne peu douée d’esprit mais fort dévouée et qui aime
soigner les malades ; Tine, le petit domestique dont il ignore le
vrai nom ; deux chevaux, l’un « vieux comme le temps », l’autre
sa petit jument prénommée Lisette ; sans oublier une chatte, un
coq, une poulette et bientôt une petite chèvre. Le paysan
sommeille sous le missionnaire : « Quand j’aurai vendu mon
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vieux cheval, j’achèterai une vache. J’ai bien du terrain pour
nourrir tout cela, et je n’aurai plus besoin d’acheter du lait. »
Les « chiques » qui s’infiltrent sous les orteils et l’obligent
parfois à dire « la Sainte Messe nu-pieds », la fièvre et les maux de
tête occasionnels, rien de tout cela n’altère la belle humeur du
curé de Wesley. Il parcourt sa paroisse et l’île en tout sens, rend
visite à ses confrères, chasse l’iguane et la tourterelle pour
améliorer son ordinaire, voyage à pied, à cheval, en canot, ne
ménage pas sa peine.
En août 1907, alors qu’il ne reste plus qu’une année à vivre au
missionnaire de 29 ans, il envoie au curé du Petit-Bourg des
Herbiers une photographie des 32 membres « de la famille de
Wesley » au nombre desquels, outre curé, servante et domestique,
figurent chevaux, bourriques, chien, chat, canards, lapins et
chèvres. Si les animaux ne lui manquent pas, il se désespère
cependant de ne pas recevoir de France couteaux et outils
maintes fois demandés et qui lui font défaut, « j’en ai tant
besoin». Il propose d’envoyer en échange paniers et chapeaux
tressés par les indiens Caraïbes et barils d’orange (un avant-goût
du commerce équitable).
Au mois de décembre 1907, le père Suaudeau reçoit sa
nomination à La Plaine, au sud-est de l’île, où il devra se rendre
pour le Nouvel An. Ayant finalement reçu les outils et les images
demandés, il se prépare à expédier paniers et oranges comme
promis ! A la fin du mois de juin, fête des saints Pierre et Paul, les
marins-pêcheurs ont coutume « de faire chanter une grand-messe
chaque année ce jour-là ». Ce sera l’objet de la dernière lettre
adressée par le père René à ses chers parents, le 1er juillet 1908.
Après la messe, il s’est rendu au bord de la mer à cheval sur sa

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Lisette « qui ne craint pas les fusils ni les bannières, ni les cornes
dans lesquelles les marins soufflent à pleins poumons ».
Le lundi 24 août 1908, René Suaudeau part de bonne heure
pour visiter un malade à Boetica, un village de sa paroisse de La
Plaine. Soudainement pris de fièvre et de délire, attribués par ses
confrères à une « insolation » survenue quelques semaines
auparavant (mais on pensera plutôt à la fièvre jaune), il est
recueilli sur la route par trois bûcherons qui le portent dans une
maison voisine : « C’est là qu’il mourut tout doucement, pendant
que tous ces gens-là priaient pour lui et récitaient pour lui l’acte
de contrition ». La mort inattendue du jeune prêtre cause une
sincère désolation chez ceux qui l’ont connu et aimé, ses
confrères, ses paroissiens de Wesley et de La Plaine, dont certains
feront à pied de longues distances pour participer à ses funérailles
célébrées dès le lendemain dans l’église paroissiale où il reposera
désormais. Plusieurs lettres écrites après son décès par les prêtres
qui le côtoyèrent nous disent à la fois l’enthousiasme
missionnaire du jeune religieux et l’esprit d’enfance et de
fraîcheur qui fut le sien, tel qu’il transparaît d’ailleurs sans cesse
dans sa propre correspondance.
Le père Martin, dans la notice nécrologique qui conclut la
publication des lettres de René Suaudeau en 1927, rapporte que
celui-ci avait emporté avec lui aux Antilles une touffe d’herbe
cueillie sur la tombe de Chateaubriand. Il commente, avec un
humour certainement involontaire : «Et je suis sûr que s’il avait
pu prévoir, (et s’il avait eu le temps d’y songer), il aurait aimé le
cadre du tombeau où il repose lui-même aujourd’hui, à l’ombre
des palmiers, bercé par le flot de la mer des Caraïbes. »

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n° 7

LE SAVIEZ-VOUS ?

CHRISTUS ORIENS

« Visitavit nos Oriens ex alto : illumináre his, qui in ténebris et in


umbra mortis sedent, ad dirigéndos pedes nostros in viam pacis. » - « Soleil
levant qui vient nous visiter pour illuminer ceux qui habitent les
ténèbres et l'ombre de la mort, pour conduire nos pas au chemin
de la paix. » (Luc, 1/78-79)
Le saviez-vous ? Le nouvel évêque de Luçon, Mgr Alain
Castet, ordonné en sa cathédrale le 29 juin 2008, a choisi comme
devise « Christus Oriens », littéralement « Christ Levant ». Devise
illustrée par son blason où figurent la croix du Christ et le soleil ;
en langage héraldique, « d’argent à la croix de gueules cantonnée
de quatre soleils d’or ». Il s’agit d’une image biblique
traditionnelle, celle du Christ « soleil levant » tel qu’il est désigné
par Zacharie, père de Jean-Baptiste, dans son cantique d’action
de grâces rapporté par l’évangéliste Luc. Présent dans l’Ancien et
dans le Nouveau Testament, ce symbole sera souvent repris par
les Pères de l’Église.
Il s’agit cependant d’une image récurrente qui a été employée
par de nombreux peuples et religions de l’antiquité. Pour ne citer

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que quelques exemples, les égyptiens adoraient le soleil sous le
titre du dieu « Râ », en l’honneur duquel fut bâtie Héliopolis, en
grec la « ville du soleil », qui est aussi depuis le début du XXe
siècle le nom d’un faubourg du Caire. Adoré par les indo-perses
et les chaldéens, le soleil figure au panthéon des dieux grecs et
romains sous le nom de Phébus. Au troisième siècle de notre ère
l’empereur Aurélien officialise le culte du soleil, « sol invictus »,
fixant sa fête au début du solstice d’hiver, le 25 décembre, et lui
fait bâtir un temple à Rome sur le Champ de Mars.
Les civilisations précolombiennes d’Amérique du Sud ont
aussi vénéré le soleil. Aztèques, Mayas et Incas lui ont rendu
hommage en bâtissant d’imposants édifices à sa gloire. Le plus
impressionnant sans doute devait être le « Coricancha» - l’enceinte
d’or en quechua - à Cuzco, au cœur des Andes, où se déroulaient
les grandes cérémonies des souverains incas, appelés fils du soleil.
Pillé par les conquérants espagnols puis rasé, il en demeure
cependant les assises d’énormes blocs de pierre qui constituent
désormais les fondements de l’église et du couvent des
dominicains de la ville !
Pour en revenir aux temps bibliques, Moïse et ses successeurs
à la tête du peuple hébreu durent souvent combattre le culte du
soleil qui tentait aussi les croyants, sous l’influence des religions
égyptiennes puis cananéennes. Le Deutéronome punit de mort
ceux qui se prosternent devant le soleil ou les astres. Plus
pédagogue, l’auteur du Livre de la Sagesse invite les croyants à
découvrir le Créateur à travers la beauté de ses créatures : « Ils
ont regardé le feu, le vent, l'air mobile, le cercle des étoiles, l'eau
impétueuse, les flambeaux du ciel, comme des dieux gouvernant
l'univers. Si, charmés de leur beauté, ils ont pris ces créatures
pour des dieux, qu'ils sachent combien le Maître l'emporte sur
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elles ; car c'est l'Auteur même de la beauté qui les a faites.»
Créature admirable parmi tant d’autres, le soleil est omniprésent
dans le langage biblique, mais sans jamais obscurcir le visage de
Celui qui l’a créé, qui l’a mis au firmament comme le « grand
luminaire pour présider au jour ». C’est « frère soleil », que
chantera plus tard François d’Assise dans son cantique des
créatures, « lui, le jour dont tu nous éclaires, beau, rayonnant
d'une grande splendeur, et de toi, ô Très-Haut, portant l'image ».
Le soleil célèbre la gloire de Dieu et rythme la vie des hommes, il
se lève et se couche, non sans avoir accompli son œuvre. Les
justes lui sont comparés, ainsi que la bien-aimée du Cantique des
Cantiques, « belle comme la lune, pure comme le soleil ».
Parmi les prophéties messianiques, quelques textes laissent
entrevoir la venue de celui qui illuminera le monde d’un jour
nouveau. La splendide vision d’Isaïe au chapitre 60 est celle d’un
Dieu lumière qui vient embraser la Jérusalem nouvelle :
« Debout ! Resplendis ! car voici ta lumière, et sur toi se lève la
gloire de Yahvé. Tandis que les ténèbres s'étendent sur la terre et
l'obscurité sur les peuples, sur toi se lève Yahvé, et sa gloire sur
toi paraît...Tu n'auras plus le soleil comme lumière, le jour, et la
clarté de la lune ne t'illuminera plus : Yahvé sera pour toi une
lumière éternelle, et ton Dieu sera ta splendeur. » Malachie
annonce le « soleil de justice » qui fera bondir les justes,
comparaison délicieuse, « comme les veaux d’une étable » !
La prophétie de Zacharie aux chapitres 3 et 6 est ainsi traduite
dans la Vulgate de saint Jérôme : « Voici, je ferai venir mon
serviteur, l’orient… Voici, un homme, dont le nom est orient. »
Le cantique de Zacharie père de Jean semble bien fait référence à
cette traduction, appelant lui aussi Jésus «orient» ; de même les
Pères de l’Église et les théologiens du Moyen-Age, jusqu’au grand
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saint Thomas, qui cite entre autres Jean Chrysostome, Grégoire,
Bède le Vénérable et Théophilacte, dans son commentaire sur
l’évangile de Luc. Même si les exégètes modernes ont désormais
substitué à la parole « orient » celle de « germe », plus conforme
semble-t-il au texte hébreu, nous nous en tiendrons à notre
bonne vieille Vulgate ainsi commentée avec enthousiasme par
Bède le moine anglo-saxon : « Le nom d’Orient convient
parfaitement au Christ, parce qu’il nous a ouvert l’entrée de la
vraie lumière. »
Jésus n’a pas hésité à se qualifier lui-même de « lumière du
monde » et à désigner de même ses disciples : « Vous êtes la
lumière du monde. » Appelé par le Prologue de saint Jean
« lumière véritable qui illumine tout homme venant dans ce
monde » le Christ est « le soleil nouveau », selon le mot de saint
Ambroise, venu pour que ceux qui croient en lui ne marchent pas
dans les ténèbres mais qu’ils aient la lumière de la vie.
Les églises chrétiennes sont tournées vers l’orient, vers le
soleil levant comme symbole du Christ. Voici ce qu’écrit Mgr
Castet à propos de sa devise épiscopale « Christ Levant » : « Avec
l’avènement du sauveur, toute personne et toute chose trouvent
sens et consistance, comme au petit matin la venue du soleil
donne vie à la création. Le verbe « se lever » fait également écho à
celui qui, dans l’Écriture, est utilisé pour désigner la résurrection,
aube des temps nouveaux. » Et le pape Benoît XVI à l’approche
de Noël : «Que cet Astre de lumière, qui ne décline jamais, nous
transmette la force pour suivre toujours le chemin de la vérité, de
la justice et de l'amour. »

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Blason de Mgr Alain Castet, évêque de Luçon

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Philippe de Champaigne - Portrait de Richelieu

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n° 8

LE SAVIEZ-VOUS ?

RICHELIEU ET SES CHANOINES

Parmi la nombreuse correspondance de Richelieu figurent


deux lettres adressées aux chanoines du chapitre cathédral de
Luçon en 1619 et en 1623. Alors que l’on célèbre en cette année
2008 le quatrième centenaire de l’arrivée du jeune évêque dans
son diocèse, il est vrai que ces documents traitent plutôt de son
départ. Mais le roman et le cinéma nous ont habitués à ces
histoires qui commencent par la fin et puis remontent le temps !
Le saviez-vous ? Évêque de Luçon de 1608 à 1623, Armand
Jean du Plessis de Richelieu prend possession de son siège à l’âge
de 23 ans ! Il doit composer avec le chapitre qui est le sénat de
l’évêque et veille aux intérêts tant spirituels que temporels du
diocèse. La quarantaine de chanoines de la ville se sont quelque
peu lassés du passage rapide d’évêques commendataires qui ne
s’intéressaient guère à leur cathédrale, en ruine, ni à leurs ouailles,
en piteux état elles aussi à la suite des guerres de religion. Aussi le
nouvel évêque a-t-il fait de son mieux pour gagner leur confiance.
C’est du moins ce qui transparaît dans les deux lettres que nous
commenterons maintenant.
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La première lettre est adressée « en forme de testament aux
chanoines de Luçon, le 8 février 1619 ». Le mot de testament
peut surprendre, de la part d’un homme de 34 ans. Cependant,
c’est de détresse morale que souffre le prélat plutôt que d’un mal
physique qui le rapprocherait de la mort. Exilé brusquement à
Avignon en avril 1618 par le roi Louis XIII, qui lui reproche
d’avoir été en contact avec sa mère et rivale Marie de Médicis,
Richelieu se morfond. Il a commencé par occuper utilement son
temps en écrivant « L’Instruction du Chrétien », mais il se
décourage en ne voyant rien venir. Ses ambitions politiques
semblent vaines, il se sent abandonné et inutile, et voilà qu’il
pense à la mort.
D’entrée, l’auteur envisage son avenir avec un pessimisme
marqué : «Nul ne sachant quel doit être le cours de la vie et ne
pouvant prévoir, en mon particulier, comme il plaira à Dieu de
disposer de moi…» Il ajoute qu’il s’adresse par écrit à ses
destinataires, craignant de ne pouvoir les rencontrer « devant que
de passer de cette vie à une autre meilleure ». Après ce noir
exorde et après avoir brièvement rappelé l’amour, partagé, qui
l’attache aux membres du chapitre, il va droit au but : « En cette
considération, je vous laisse mon corps afin de reposer, mort, au
lieu où je me désire vivant pour vous servir en servant Dieu ainsi
que j’y suis obligé. » Ce premier legs est assorti d’une condition :
« Le lieu de ma sépulture sera, s’il vous plaît, immédiatement au-
dessus du pupitre des chantres, désirant que le plus haut du
chœur, comme plus honorable, soit conservé pour mes
successeurs qui viendront après moi. »
Le second legs est plus palpable : le bon évêque laisse à ses
chanoines l’argenterie de sa chapelle, ses ornements et trois
tapisseries des Flandres, tout en regrettant de ne pouvoir faire
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davantage : « Ma volonté surpassant ma puissance, mes désirs
suppléeront au défaut de mes effets. » Dans le dernier paragraphe
de cette lettre « en forme de testament», l’évêque de Luçon, déjà
prêt à renoncer à la vie, se dit aussi prêt à résigner sa charge. Il
envisage déjà l’arrivée d’un nouvel évêque dont il trace le profil. Il
conjure ce successeur virtuel d’observer la résidence, « de visiter
son diocèse, échauffer par son exemple et ses instructions ceux
qui, sous lui, ont charge d’âmes ». Le pasteur exilé conclut son
testament en forme parénétique, exhortant les chanoines à vivre
en bonne intelligence avec leur futur évêque : « Nul corps ne
pouvant subsister sans l’union du chef avec ses membres, je vous
supplie de vivre en étroite union avec celui qui me succèdera.»
Les derniers mots parvenus du fond de l’exil sont empreints
d’une émotion à peine contenue : « Cela fait, Messieurs, il ne me
reste qu’à vous conjurer d’aimer ma mémoire comme d’une
personne qui vous aime tendrement et qui, souhaitant avec
passion votre salut, sera éternellement, Messieurs, votre bien
affectionné confrère à vous rendre humble service. »
La seconde lettre du cardinal de Richelieu « annonçant aux
chanoines de Luçon sa démission », le 5 juin 1623, est d’une tout
autre tournure. Il n’y est plus question de testament, de morosité,
ni de sépulture. Entre-temps, il est vrai, la fortune a souri de
nouveau à l’évêque de Luçon. Louis XIII l’a rappelé d’Avignon
en mars 1619, le priant de s’affairer pour conseiller la reine mère.
Auteur de la réconciliation entre le roi et Marie de Médicis, habile
conseiller du monarque dans sa guerre contre les huguenots, élu
proviseur de la Sorbonne, le titulaire « du plus vilain évêché de
France, le plus crotté et le plus désagréable » est tôt fait cardinal,
puisqu’il reçoit le chapeau rouge du pape Grégoire XV en
septembre 1622, à l’âge de 37 ans.
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Pour faire face à ses nouvelles obligations, le cardinal renonce
l’année suivante à l’évêché de Luçon, où l’on s’accorde à dire qu’il
a œuvré avec un véritable zèle apostolique pour cette petite
Église de province. C’est la nouvelle qu’il annonce aux membres
du chapitre le 5 juin 1623. Tout en exprimant son regret et en
renouvelant son affection, l’évêque devenu cardinal est moins
expansif et un tantinet moins chaleureux. Mais il indique aux
chanoines qu’il a apporté un soin particulier au choix de son
successeur : «Je me suis étudié à transporter cette dignité à une
personne dont vous puissiez recevoir de la consolation et qui pût
apporter, quant et quant, en l’exercice de la charge, le soin et la
vigilance nécessaires. » Rassurant, il leur dit qu’ils ne perdront
rien au change puisqu’ils auront désormais deux évêques au lieu
d’un seul, « celui qui vous assistera par sa présence et moi qui,
bien qu’absent, aurai toujours le même esprit de charité pour tous
et la même passion à rechercher vos intérêts que j’ai ci-devant
témoignée ».
Certes, le temps a passé où le malheureux exilé d’Avignon se
préoccupait de sa destinée future. Il ne parle plus de sa mort ni
de léguer son corps au chapitre, mais confirme le don de sa
«chapelle tout entière » à l’église-cathédrale de Luçon et assure
avoir obtenu une « décharge des dîmes » en faveur des chanoines.
Ceux-ci sont invités à faire mémoire de lui « au chœur de leur
église », mais son corps n’y reposera point, comme il était prévu
dans la lettre précédente, sinon au chœur de l’église de la
Sorbonne, à Paris. La signature n’est plus celle de l’humble «
Armand », mais du « cardinal de Richelieu » qui dès l’année
suivante allait faire son entrée au conseil du roi de France, puis
devenir le « premier et principal ministre de l’État » jusqu’à sa
mort, le 4 décembre 1642.
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n° 9

LE SAVIEZ-VOUS ?

L’ETAT DU VATICAN

A l’approche de la visite du pape Benoît XVI en France, au


mois de septembre 2008, le président de la « Fédération nationale
de la Libre Pensée » s’est adressé au président de la République
pour remettre en cause la participation des autorités publiques
aux frais occasionnés par ce voyage. Le principal argument
invoqué par l’aimable libre-penseur tient en ces quelques mots :
« S’agissant de la réception à Paris, nous considérons, après
consultation des États recensés à l’ONU… que le Vatican n’est
pas un État. » De quoi faire crier au scandale les acheteurs de la
récente édition du « Petit Futé » ainsi présentée : « Le Vatican,
plus petit État au monde, n’en appelle pas moins l’attention et les
foules de visiteurs. » Vont-ils à juste titre réclamer le
remboursement des 14 euros investis dans l’achat du guide
touristique d’un pays… qui n’existe pas ?
Le saviez-vous ? L’État du Vatican existe bel et bien.
Depuis fort longtemps d’ailleurs, et dans sa forme actuelle depuis
1929. Il figure parmi les 193 États reconnus par la communauté
internationale, avec le statut particulier d’État non-membre des
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41 - collection DE OMNI RE SCIBILI – dominique rézeau


Nations-Unies, aux activités desquelles il participe toutefois
régulièrement en tant d’Observateur. Statut confirmé lors de la
cinquante-huitième session de l’Assemblée générale des Nations
Unies qui a rappelé en séance plénière, le 1er juillet 2004 « que le
Saint-Siège a obtenu le statut d’État observateur permanent
auprès de l’Organisation des Nations Unies le 6 avril 1964 ».
Dont acte !
Avant de nous adonner aux quelques considérations
historiques et juridiques qui s’imposent, relisons les paroles
prononcées par le pape Paul VI à New-York le 4 octobre 1965 :
« Celui qui vous parle est un homme comme vous; il est votre
frère, et même un des plus petits parmi vous, qui représentez des
États Souverains, puisqu'il n'est investi - s'il vous plaît de Nous
considérer à ce point de vue - que d'une minuscule et quasi
symbolique souveraineté temporelle: le minimum nécessaire pour
être libre d'exercer sa mission spirituelle et assurer ceux qui
traitent avec lui qu'il est indépendant de toute souveraineté de ce
monde. Il n'a aucune puissance temporelle, aucune ambition
d'entrer avec vous en compétition. De fait, Nous n'avons rien à
demander, aucune question à soulever ; tout au plus un désir à
formuler, une permission à solliciter : celle de pouvoir vous servir
dans ce qui est de Notre compétence, avec désintéressement,
humilité et amour. »
Certains se souviennent de ce petit homme en blanc, frêle et
cependant plein de feu, s’exprimant dans l’immense auditorium
des Nations Unies devant un parterre de chefs d’État et qui
terminait son intervention par ces phrases devenues historiques :
« Jamais plus la guerre, jamais plus la guerre ! Si vous voulez être
frères, laissez tomber les armes de vos mains ! » Une minuscule et
quasi symbolique souveraineté temporelle : le petit père des
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peuples, Joseph Staline, l’avait exprimé en d’autres termes -
sarcastiques ceux-là - lors de la visite à Moscou de Pierre Laval en
1935 : « Le Vatican, combien de divisions ? » Aucune raison,
donc, de craindre cet État symbolique qui ne vise qu’à assurer
l’Église de son indépendance dans le concert des nations. Il
convient de reconnaître en même temps qu’il n’en fut pas
toujours ainsi dans l’histoire. Jusqu’en 1871 les « États
pontificaux » représentent une véritable puissance temporelle. Le
Pape est le souverain d’une bonne partie de la péninsule italienne,
sans oublier en France Avignon et le Comtat Venaissin (jusqu’en
1791) ; le « Palais des Papes » et le « Châteauneuf du Pape » en
demeurent de somptueux vestiges, de culture et de grand cru !
Les vicissitudes des temps, la Révolution française, puis
l’Empire, portent de sérieux coups aux États pontificaux.
Rétablis lors du Congrès de Vienne en 1815, ils sont annexés par
le Royaume d’Italie en 1870, une année particulièrement riche en
évènements : le 18 juillet, le Concile Vatican I définit la doctrine
de l'infaillibilité pontificale, le 19 juillet la France déclare la guerre
à la Prusse, déclaration suivie le 4 septembre de la chute de
l'Empire Français, protecteur des États pontificaux ; le 20
septembre les troupes du roi Victor-Emmanuel II rentrent dans
Rome, proclamée capitale de l’Italie, alors que le pape Pie IX se
réfugie dans la Cité du Vatican, après avoir ordonné aux
« zouaves pontificaux » de ne pas répondre au feu. Ce n’est qu’en
1929, par les Accords du Latran, que la « question romaine » est
résolue, le pape ne conservant sa souveraineté que sur l’État de la
Cité du Vatican, d’où s’exerce l’activité du Saint-Siège.
Cette appellation de « Saint-Siège » va de pair dans la
reconnaissance internationale avec celle d’État du Vatican, sans
toutefois coïncider avec elle ! Il s’agit en effet de deux
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personnalités juridiques distinctes. Alors que le Saint-Siège,
ensemble des organismes de gouvernement de l’Église
Catholique est reconnu comme une entité internationale,
participe à ce titre au travail des différentes organisations et
envoie ses diplomates auprès des nations, l’État du Vatican
remplit les fonctions de support matériel de ses activités. Comme
le disait Paul VI en 1965 cet État symbolique existe comme
garantie de l’exercice de la liberté spirituelle du Saint-Siège, et
donc comme moyen d’en assurer l’indépendance réelle et visible.
Il n’en demeure pas moins un véritable État, avec son
territoire de 44 hectares, soit le plus petit de tous les états
souverains, et ses structures administratives définies par la « loi
fondamentale » approuvée par le pape Jean-Paul II le 26
novembre 2000. Le souverain pontife délègue l’ensemble du
pouvoir législatif, exécutif et judicaire aux organes créés à cet
effet, sous la responsabilité d’une Commission de Cardinaux.
Cette commission exerce ses fonctions par l’intermédiaire
du gouvernorat de l’État de la Cité du Vatican et de ses différents
services : direction des finances, direction des services de sécurité
et de protection civile, direction sanitaire, direction des musées,
bureau philatélique et numismatique, gendarmerie pontificale.
Et puis comme partout on trouve au Vatican un bureau de
poste, une pharmacie, un supermarché, un journal, une librairie,
une caserne de pompiers, une banque ; sans oublier un
observatoire astronomique dont le siège est à Castelgandolfo, une
station de radio, une bibliothèque (la fameuse Vaticane), et même
une toute petite prison, généralement vide ! N’hésitez à visiter cet
« État symbolique » mais bien réel, ou encore comme l’appelait
avec humour le pape Pie XI « ce petit lopin de terre bien utile au
Saint-Siège ».
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Plan de l’État de la Cité du Vatican

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Le Greco - Enterrement du comte d’Orgaz

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n° 10

LE SAVIEZ-VOUS ?

RITES REPUBLICAINS

A l’occasion de plusieurs événements récents, on a pu


s’étonner que la République ait recours aux rites de l’Église pour
accompagner l’hommage de la nation à certains de ses citoyens.
Aussi bien Lazare Ponticelli, le dernier « poilu » de la première
guerre mondiale, que les soldats morts en Afghanistan ont fait
l’objet en 2008 d’une célébration religieuse solennelle en l’église
Saint-Louis des Invalides. Quant aux derniers présidents décédés,
Charles de Gaulle, Georges Pompidou et François Mitterrand, les
voûtes de Notre-Dame de Paris ont retenti pour eux de chants et
de prières qui demandaient à Dieu de les accueillir en son repos
éternel ! A toutes ces manifestations, les plus hautes autorités
d’un Etat pourtant laïc ont participé « ès qualités ».
Le saviez-vous ? Depuis bon nombre d’années déjà, des
élus tentent de remédier à ce qui leur apparaît comme une
anomalie. Nous avons retenu cinq projets de loi parmi ceux qui
ont été présentés au Sénat ou à l’Assemblée Nationale. S’ils n’ont
pas bénéficié jusqu’à présent d’un grand intérêt de la part des
législateurs, leur contenu est assez significatif d’une époque et
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d’un pays, le nôtre, où le « religieux » perd du terrain. C’est du
moins ce dont lesdits élus et autres défenseurs d’une laïcité
militante voudraient se convaincre et nous convaincre.
Le premier projet de loi présenté en 2003 par Monsieur
Michel Charasse et cinq autres sénateurs est le plus virulent :
«Sécularisation des rituels civils dans la République et respect de
la neutralité de l'État et des services publics ». Ayant constaté que
les autorités constituées, « par facilité et faute de cérémonie civile
dédiée régie par les textes, laissent aux desservants des cultes le
soin d'agir, niant par-là à la société un droit absolu et propre à
célébrer seule, selon des rites neutres, les événements de
commémoration collective et/ou individuelle », les élus
demandent que les actes majeurs de la vie civile - naissance, pacte
de solidarité, décès - soient pris en charge par la collectivité
publique au moyen de rites dits « d’acceptation ». Le texte
propose donc la célébration de la naissance et du parrainage
républicain en mairie, celle du pacte civil de solidarité au tribunal
d’instance, celle des funérailles en mairie ou en un lieu approprié.
On prendra connaissance dans le texte du détail des
cérémonies prévues. A noter toutefois que le projet est assorti de
« menaces » qui font froid dans le dos. Un nouvel alinéa est
ajouté à l’article 433-21 du Code pénal, qui punit déjà sévèrement
les ministres du culte qui célébreraient le mariage religieux avant
le mariage civil : ceux qui procèderont aux cérémonies religieuses
de parrainage ou de funérailles avant la cérémonie civile seront
punies de la même peine, soit six mois de prison et 7500 euros
d’amende. Mazette ! La loi de séparation des Églises et de l’État
de 1905 est également amendée, interdisant toute cérémonie
officielle dans un lieu de culte et à toute autorité civile ou
militaire de participer ès qualités à une cérémonie à caractère
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religieux. Là aussi le couperet tombera : révocation et exclusion
du service public !
Mentionnons enfin le codicille de ce projet qui rappelle, pour
mémoire, l’interdiction faite aux membres du Gouvernement par
le Conseil des ministres, sur la proposition de Clemenceau,
« d'assister au Te Deum chanté à Notre-Dame de Paris pour
célébrer la victoire du 11 novembre 1918 et honorer les morts de
la guerre ». Méfions-nous cependant des professions de foi ou
d’athéisme des hommes politiques. « Paris vaut bien une messe »
aurait dit Henri IV au moment d’abjurer le protestantisme pour
la couronne de France. « Une messe est possible », avait indiqué
Mitterrand dans son testament !
Venons-en aux autres propositions de loi présentées à
l’Assemblée Nationale : celle de Monsieur Jacques Myard en 2006
« visant à instaurer le parrainage civil », celle de Madame Paulette
Guinchard en 2007 « instituant des funérailles républicaines »,
celles de Mme Guinchard en 2007 et de Monsieur Richard Mallié
et alii en 2008, toutes deux « relatives au baptême républicain ».
D’un genre assez différent, respectueux de la liberté individuelle,
ne prévoyant pas de « mesures de rétorsion », ces projets visent à
solenniser le début et la fin de la vie de ceux qui ne souhaitent
pas recourir aux rites d’une religion. Nous parlerons ici de la « fin
de la vie », laissant la solennisation de son « début » à une
prochaine édition. Les « funérailles républicaines » proposées par
Mme Guinchard ne diffèrent guère des « funérailles civiles » telles
qu’elles existent déjà. Le député remarque toutefois dans son
exposé des motifs que si « le concile Vatican II a
considérablement simplifié les rites catholiques des funérailles, il
demeure que seules les funérailles religieuses ont un aspect
vraiment solennel ». Une des raisons sans doute - au-delà des
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convictions réelles - du pourcentage très élevé des obsèques
religieuses en France (env. 80%) par rapport au nombre de
pratiquants (env. 5%). L’élue estime que lors d’un enterrement
civil la famille et les proches sont livrés à eux-mêmes et se
sentent souvent abandonnés ; les objectifs de sa proposition de
loi sont donc de « renforcer le principe de liberté des funérailles
et de rétablir la dignité de la personne humaine ». Si le vœu en a
été exprimé par le défunt ou encore en l’absence d’ayants droit, il
est prévu que le représentant de la commune intervienne au nom
de la République et qu’une salle soit mise à la disposition des
proches. Le projet de loi ne précise pas en quoi consistera la
célébration républicaine, hormis la présence du maire ou de son
délégué.
Pour clore ce chapitre sur les « funérailles » mentionnons
brièvement la législation en vigueur qui consacre la liberté de
chacun de choisir le déroulement de ses obsèques et la « liberté
de culte » à laquelle elle fait expressément allusion. La loi du 15
novembre 1987 prévoit que « tout majeur ou mineur émancipé,
en état de tester, peut régler les conditions de ses funérailles,
notamment en ce qui concerne le caractère civil ou religieux à
leur donner et le mode de sépulture » (art.3). Le Code général des
collectivités territoriales (art. L2213) établit qu’en matière de
funérailles « il est procédé aux cérémonies conformément aux
coutumes et suivant les différents cultes ». Le Code pénal quant à
lui «permet de réprimer l’organisation de funérailles religieuses
auxquelles le défunt s’était opposé de son vivant, ou,
inversement, l’organisation de funérailles civiles alors que le
défunt avait demandé une cérémonie religieuse » (cf. art.333).

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n° 11

LE SAVIEZ-VOUS ?
PATRIOTE ET DE BON CŒUR

« Au pied d'une meule de blé, je t'écris pour m'entretenir avec


toi. » « Il neige toujours, j'écris à Caroline. » Dans les vastes
plaines de la Somme et au pied du Mont Olympe, ces mots
simples furent écrits par nos grand-pères Moïse Paquereau et
Jules Rézeau, combattants de la première guerre mondiale. Du
premier nous tenons les lettres qu'il adressa deux mois durant à
notre grand-mère Florine avant d'être enseveli dans un dernier
silence. Du second nous conservons le carnet de route où il
consigna par le menu ses deux années de campagne sur le front
d'Orient. Il avait déjà quarante-trois ans, mais lui revint finir
doucement ses jours à l'ombre des rosiers grimpants de son
jardin. Le crayon du jeune fantassin est plus maladroit peut-être,
mais il est tenu par le cœur qui tantôt saigne, tantôt s'épanche,
tantôt s'emballe en ces grandes phrases pleines de tendresse qui
voudraient déborder le carcan de l'écriture. La plume du vieux
territorial est régulière en toute saison, elle se veut comme ces
"belles entures bien faites" qu'en homme de l'art il apprécie au
passage d'une plantation grecque.

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Le saviez-vous ? Alors que nous célébrons en ce mois de
novembre le quatre-vingt-dixième anniversaire de la fin de la
première guerre mondiale, on se souviendra que la Vendée est le
département de France qui proportionnellement à sa population,
a eu le plus grand nombre de morts, 22.000, soit 35% des
combattants levés sur le département, alors que la moyenne
nationale est de 28%. Il n’est guère de familles de chez nous qui
n’aient eu à pleurer la disparition d’un époux, d’un père, d’un
parent dont le souvenir s’est perpétué jusqu’à ce jour.
Originaires respectivement de Vouvant, de Saint-Mesmin et
de Menomblet, nos deux grand-pères et notre grand-oncle
maternel partirent tous trois pour la guerre, sans autre arrière-
pensée que le devoir à accomplir. Notre grand-père Moïse se dit
« patriote et de bon cœur », il écrit avant son départ à celle qu’il
aime : « Je partirai faire mon devoir avec toi sur mon cœur, ne te
quittant pas un instant dans ma mémoire. »
Un seul d’entre eux revint vivant de la grande guerre, malgré
un naufrage en Méditerranée sur le Gallia torpillé par la marine
allemande, notre grand-père Jules, paisible jardinier
vouvantais enrôlé en 1916 dans l’armée d’Orient.
Moïse pour sa part ne devait jamais revoir « sa chère épouse
et son petit bébé ». Incorporé à Fontenay-le-Comte dans le 137e
régiment d’infanterie, comme beaucoup de Vendéens (les autres
le furent à la Roche-sur-Yon dans le 93e), il est dirigé vers le front
le 10 août 1914 ; blessé dans la Somme le 30 septembre, il décède
à l’hôpital militaire de Caen le 8 octobre, à l’âge de 30 ans. « Très
bon soldat, courageux, a toujours fait preuve au feu d’entrain
remarquable, de beaucoup d’énergie et d’abnégation. Mort pour
la France le 8 octobre 1914. Croix de guerre avec étoile de
bronze ».
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Notre grand-oncle Gabriel Gourmaud a obtenu avant la
guerre un brevet de pilote civil, - il joue aussi du violon et
pratique la boxe. Ayant rejoint l’aéronautique militaire
progressivement constituée durant le conflit, il gagne ses galons
de « sous-lieutenant pilote » au sein de la 215e escadrille de
chasse. Aux commandes d’un SPAD XI il est abattu en combat
aérien au-dessus de la forêt de Hesse (Meuse) le 1 er août 1918, à
l’âge de 27 ans (Légion d’honneur, Croix de guerre, Victoria
cross, Distinguished flying cross).
De ces modestes héros qui ont répondu sans hésiter à l’appel
de leur pays, sans savoir qu’ils allaient écrire avec leur chair une
histoire de sang et de larmes, nous ne retiendrons ici que des
mots d’amour et de foi, tels qu’ils affleurent dans les lettres
de l’un d’entre eux, notre grand-père maternel Moïse. Né à Saint-
Mesmin en 1884, établi à Saint-Pierre-du-Chemin comme
menuisier-ébéniste, il épouse en 1909 Florine Verdon, lingère de
son état. De leur « doux mariage » naît en 1911 une petite-fille,
Marie-Angèle, conçue et mise au monde dans le beau lit de chêne
que l’artisan a fabriqué de ses mains pour l’offrir à son épouse.
Il ne l’a pas oublié, « ce doux lit d’amour pour pouvoir te
serrer, t’embrasser de cet amour si pur et si égoïste que j’ai pour
toi », évoqué de nouveau peu de jours avant sa mort : « Chère
épouse, je viens ce matin te dire bonjour et embrasser
éperdument tes jolies lèvres roses dans ton lit de chêne. Je
t'embrasse à travers l'espace et auprès de toi aussi ma fille que je
suis heureux d'avoir conçue pour être ta vie des jours pénibles,
pour me remplacer auprès de toi, tout vivant dans ce petit
chérubin si gentil. Elle saura te caresser et te faire paraître moins
dure l'absence de son petit papa qui fait son devoir de citoyen
français et de catholique pour défendre notre indépendance,
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notre liberté et la sécurité de nos familles. Ceux qui sont déjà
morts au champ d'honneur seront heureux là-haut dans les cieux
qu'ils ont bien gagnés pour avoir le repos éternel. »
C’est par des mots d’amour et de tendresse que commencent
les lettres écrites presque chaque jour « à sa mignonne chérie et à
son petit bébé ». Amour et foi profonde qui ne cessent de
s’entremêler : « Ce soir, puisque j'aurai du temps, j'irai prier dans
l'église pour que le Bon Dieu me fasse retourner auprès de l'ange
aimé qu'il m'a donné. J'y ai pleine confiance, c'est ce qui me
donne la force de vivre et du courage, car sans toi et le fruit de
notre amour je ne pourrais vivre si loin... J'ai embrassé ce matin
une petite fille comme ma Marie-Angèle, dont le papa est parti à
la frontière. Mon cœur de père s'est brisé un instant en pensant
plus fortement à vous autres dans cette circonstance. »
« Depuis mon départ, nul moment je n'avais plus souffert et
été plus heureux en même temps que le dimanche 16 août. J'étais
à Vêpres à Cassines et je ne m'étais pas encore vu si loin de toi,
chère amour, car la douce vision de notre mariage m'est apparue
soudain, devant l'autel, faisant mon chapelet. O quel bonheur,
quel heureux jour quand je t'avais à mon bras. Enfin je te vis
dans toute ta blancheur d'épousée, alors ce bon souvenir me
déchira la poitrine et je sanglotais d'être si loin de mes deux êtres
si aimés. J'ai tant besoin de vous caresser comme autrefois, mais
sois heureuse en attendant, douce chérie, car toi et ma fille n'êtes
pas oubliées un instant. »
« Au coin d'un bois, sous la pluie de balles, j'ai pensé à vous,
chers trésors, j'ai bien pensé ne plus jamais vous revoir. Mais,
après avoir fait mon Ave Maria et mon acte de contrition, j'étais
prêt à tout et j’ai marché la tête haute, ne craignant rien. »

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Cimetière de Menomblet - Vendée

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Crèche napolitaine

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n° 12

LE SAVIEZ-VOUS ?
LE MYSTERE DE NOËL

Ils seront nombreux les prédicateurs et les chrétiens sincères


qui critiqueront cette année encore avec véhémence la
commercialisation des fêtes de Noël. Oubliant sans doute qu’il
s’agit là d’un débat très ancien. On attribue généralement à
l’empereur Constantin la « christianisation » des fêtes païennes au
début du IVe siècle, et en particulier la fête de Noël, qui aurait
remplacé la fête du soleil célébrée le 25 décembre. En fait, cette
fête du soleil, qui correspondait au solstice d’hiver, ne fut
instituée que bien tardivement par l’empereur Aurélien : celui-ci
inaugura le 25 décembre de l’an 274 de notre ère le temple dédié
au soleil sur le Champ de Mars à Rome, alors que les chrétiens
fêtaient déjà à cette date la naissance du Christ, probablement
depuis l’an 221. Le pouvoir romain aurait donc voulu
« paganiser » une fête des chrétiens plutôt que l’inverse. Il
anticipait déjà sur ceux qui aujourd’hui « commercialisent » cette
même fête. Mais plutôt que de polémiquer, regardons seulement
l’enfant-Dieu en cette belle saison !
Le saviez-vous ? Les enfants et les saints, les papes et les
théologiens se sont penchés depuis les origines sur le berceau de
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Jésus pour y contempler le mystère de Noël. A l’approche de
cette fête les très grands se font très petits. Marqués par le
langage et la culture d’une époque, écoutons ce qu’ont dit de
Noël certains d’entre eux.
Diacre de l’Église de Syrie au IVe siècle, poète et musicien,
saint Ephrem est l’auteur de nombreuses hymnes, toujours
chantées dans la liturgie syriaque : « Adam était dans l'attente du
maître des Chérubins pour qu'il vienne le revêtir des feuilles de
l'arbre de Vie… Dans la nuit de grâce, qu'il n'y ait ni colère, ni
tristesse ! Qu'il n'y ait ni trouble, ni effroi dans la nuit de calme !
Dans la nuit de l'humilité, qu'il n'y ait ni orgueil, ni jactance !
Dans la nuit du pardon, que personne ne dresse ses comptes ! »
Saint Augustin, né à Thagaste en Afrique du Nord en 354,
professeur à Carthage, baptisé à Milan, évêque d’Hippone,
prêche sans se lasser - ni lasser ses auditeurs - dans sa cathédrale
ou lors de ses multiples déplacements entre l’Algérie et la Tunisie
actuelles. Il évoque souvent le mystère de la Nativité, avec une
tendresse particulière pour Marie mère de Jésus : « L'enfant que
tu allaites sera ton propre créateur. Toi, que Dieu nourrit de ses
largesses, tu lui donneras tes mamelles à sucer ; tu envelopperas
de langes celui qui t’a accordé le vêtement de l’immortalité ; tu
placeras dans une crèche le corps enfantin de celui qui t’a préparé
une table céleste.»
Saint Léon le Grand est pape de 440 à 461. Il arrête Attila et ses
Huns, armé d’une simple croix, et les dissuade d’attaquer Rome
en 453. Premier pape inhumé dans la Basilique Vaticane, on cite
souvent le début de la phrase qu’il prononça une nuit de Noël ; la
voici tout entière : « Agnosce, o christiane, dignitatem tuam, et divinae
consors factus naturae, noli in veterem vilitatem degeneri conversatione

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redire. » « Chrétien, reconnais donc ta dignité : participant de la
nature divine, garde-toi de te dégrader par une conduite indigne
de ta grandeur. »
Réformateur de l’Ordre bénédictin au Moyen-Age, homme de
Dieu très humble et conseiller des grands d’Europe, prédicateur
de la deuxième croisade en 1146, saint Bernard de Clairvaux
commence ainsi l’un de ses sermons de Noël : « C'est un grand
jour, mes frères, que le jour de la naissance de Notre-Seigneur,
mais il est plus court que les autres et me force de vous parler
moins longuement. Ne vous étonnez pas que j'abrège mes
paroles quand Dieu le Père a lui-même diminué son Verbe. »
Emporté par l’enthousiasme de la fête, le saint moine ne tiendra
toutefois pas sa promesse : passé au crible infaillible de
l’ordinateur, son « court » sermon ne compte pas moins de 2783
mots, quand une homélie de taille raisonnable en compte
habituellement un petit millier !
Évêque au temps de la Renaissance et de la Réforme
protestante, saint François de Sales fut prédicateur, humaniste et
conseiller spirituel. Il est le patron des journalistes, des hommes
de lettres et des directeurs de conscience, auteur de cette belle
devise : « Rien par la force, tout par amour ». Il prêche ainsi aux
religieuses de la Visitation d’Annecy la veille de la Nativité :
« Considérez, je vous prie, ce petit nouveau né dans la crèche de
Bethléem, écoutez ce qu'il vous dit, regardez l'exemple qu'il vous
donne… Ce mystère est si haut et si profond que nous n'y
entendons rien ; tout ce que nous en savons et connaissons est
extrêmement beau, mais nous croyons que ce que nous ne
comprenons pas l'est encore davantage. »
Contemporain du précédent, le cardinal de Richelieu, dont nous
célébrons en ce mois de décembre 2008 le quatre-centième
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anniversaire de l’arrivée à Luçon, prononce son premier sermon
de Noël à la cathédrale quelques jours après sa prise de
possession. C’est sur la paix qu’il centre son message avec une
grande insistance, due sans doute aux circonstances du temps où
les divisons politiques et religieuses minent le royaume de
France : « La paix est aux maisons quand ceux qui demeurent
ensemble vivent sans envie, sans querelle, sans inimitié les uns
contre les autres. Il n’y a rien au monde qui ne soit si désirable
que la paix. Seigneur, lorsque vous avez daigné venir au monde,
vous avez mis la paix partout. Rendez nous si heureux,
qu’arrivant en ce lieu, je la trouve partout. Je vous demande la
paix. »
Le grand orateur que fut Jacques-Bénigne Bossuet, né à Dijon en
1627, nous a laissé des allocutions de haute tenue littéraire.
Précepteur du dauphin, éducateur, il est aussi prédicateur,
théologien et évêque. Celui que l’on a surnommé « l’Aigle de
Meaux » prêche le jour de Noël 1655 devant le roi Louis XIV et
la cour à Versailles. Il ne craint pas d’opposer la pauvreté du fils
de Dieu dans la crèche à la vaine gloire de ceux qui l’écoutent !
« Voulez-vous que je vous dise ce que je trouve de grand,
d'admirable, ce qui me paraît digne véritablement d'un Dieu
conversant avec les hommes? C'est qu'il semble n'être paru sur la
terre que pour fouler aux pieds toute cette vaine pompe et braver
pour ainsi dire par la pauvreté de sa crèche notre faste ridicule et
nos vanités extravagantes .»
Le pape Benoît XVI s’exprimait ainsi l’an passé lors de la
messe de minuit à Saint-Pierre de Rome : « Le ciel n’appartient
pas à la géographie de l’espace, mais à la géographie du cœur. Et
le cœur de Dieu, dans cette Nuit très sainte, s’est penché jusque
dans l’étable : l’humilité de Dieu est le ciel. »
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